Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 4 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : La fin d’une journée tranquille

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Chapitre 1 : La fin d’une journée tranquille

Partie 1

Je m’étais enfoncé de plus en plus profondément. L’obscurité enveloppait mon environnement. Je ne pouvais rien voir. Je ne pouvais rien toucher. Je me sentais en quelque sorte dans un environnement familier, et j’avais soudain réalisé que je rêvais. C’était ce cauchemar que j’avais vu une fois auparavant.

Cette idée m’était venue un mois après mon arrivée dans ce monde. Après la destruction de l’habitation temporaire que nous, les étudiants, avions construite, la Colonie, je m’étais retrouvé à errer dans la forêt. J’y avais rencontré mes serviteurs, des monstres de ce monde, et j’avais commencé à vivre dans cette grotte. Un soir, après avoir rencontré mon ancien camarade de classe Kaga et après lui avoir demandé : « Qu’est-ce qu’il y a ? », j’avais dû le tué en représailles pour avoir essayé de prendre ma vie, j’avais fait un rêve très similaire à celui que je faisais maintenant. Bien que, cette fois, je n’avais pas ressenti l’isolement étouffant. Je pouvais sentir quelque chose de l’autre côté de l’obscurité lourde. Cela m’avait apporté la paix de l’esprit.

Ce n’était qu’un rêve, mais c’était quand même étrange pour une personne. Je n’avais cependant toujours aucune idée de ce que tout cela signifiait. Ma conscience avait finalement commencé à émerger de l’obscurité. Toujours incapable de voir, de sentir ou de savoir quoi que ce soit, je m’étais réveillé.

« Bonjour, Maître. »

J’avais lentement ouvert les yeux et regardé sur le côté. Une fille était assise, complètement nue, et me regardait fixement. Tout ce qui se trouvait sous les courbes charmantes de sa taille était caché sous les draps, alors que rien du tout ne cachait le haut de son corps éblouissant.

Dans un sens, c’était une vue excessivement stimulante. Si c’était la nuit, je n’aurais peut-être pas pu retenir mes pulsions croissantes… Ou peut-être que je n’avais pas pu me retenir la nuit dernière précisément parce qu’il était tard. Son corps se cambrant dans la pièce sombre. Son souffle doux. La voix coquette qui s’échappait de ses lèvres. J’avais revécu les souvenirs succulents de la nuit précédente. Normalement, je réprimais de tels désirs, ce qui avait pu provoquer un dysfonctionnement de mes freins.

 

 

« Tu peux dormir un peu plus longtemps si tu veux, » dit-elle gentiment, en tendant sa main fine vers ma joue. La douce sensation de sa paume et sa chaleur bienveillante avaient stimulé mon envie d’être un peu présent, mais…

« … Non, je vais me lever. Bonjour, Lily. » J’avais secoué la tête et m’étais levé du lit. « Maintenant que j’y pense… La dernière fois, Rose n’était pas loin, n’est-ce pas ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » Lily avait demandé avec curiosité en s’asseyant à côté de moi.

Mon pouvoir, inhérent à ceux qui avaient été transportés dans ce monde — appelé une tricherie par nous et une bénédiction par les locaux — me permettait de communiquer avec le cœur des monstres. Lily semblait trouver étrange que j’évoque le nom de mon deuxième serviteur né de ce pouvoir. Elle avait remonté les draps jusqu’à sa poitrine et avait penché la tête avec curiosité.

« Et Rose ? » demanda-t-elle.

« Rien. Je faisais juste un rêve étrange. »

« Hmm. Quel genre de rêve ? »

« C’était… Euh… C’était quoi ? »

Même un rêve qui avait laissé une impression profonde se dissolvait comme le sucre dans le café une fois réveillé. C’était simplement ce qu’étaient les rêves. Il n’y avait plus aucune trace tangible de ce que j’avais vu dans mon esprit.

« Bon sang. Es-tu encore à moitié endormi ? » dit Lily avec un petit rire.

« … Peut-être. »

Je n’étais pas une personne du matin. C’était la routine. C’est pourquoi ni Lily ni moi n’y avions prêté attention.

C’était le matin de mon quatrième jour au Fort de Tilia, le début d’une journée tranquille.

 

 ◆ ◆

Lily m’avait aidé à m’habiller alors que je restais dans un état groggy. Je m’étais assis sur le bord du lit et j’avais levé les yeux vers son sourire, qui semblait cinquante pour cent plus éclatant que d’habitude.

« … Tu as l’air de bonne humeur, » avais-je dit.

« Oh ? »

Lily inclina légèrement la tête et prit dans ses bras la petite renarde Ayame, dont la queue duveteuse battait le sol par anticipation. Après avoir calmé la liane parasite Asarina, qui s’étendait sur le dos de ma main gauche, Lily avait pris place à côté de moi.

« Hehehe. Je veux dire, je me suis beaucoup ressourcée la nuit dernière. »

« … Je vois. Tant mieux pour toi. »

J’étais resté assis, hébété, me demandant ce qu’elle avait rechargé, en attendant que mes pensées paresseuses se réveillent. Après un court moment, un coup avait résonné dans la pièce.

« … Ayame, Asarina. »

Le Fort de Tilia avait été construit pour lutter contre les monstres qui sévissaient dans les Terres forestières, une forêt spéciale riche en mana. C’était l’une des têtes de pont protégeant l’humanité. Si les visiteurs pouvaient voir le slime mimétique Lily, qui pouvait imiter l’apparence de la défunte Mizushima Miho, je ne pouvais pas laisser quiconque voir Ayame ou Asarina, car elles étaient clairement des monstres.

« Désolé de vous faire rester dans des endroits aussi exigus. »

« Kuu ! »

« Maî — tre ! »

Les deux monstres avaient répondu comme pour me dire de ne pas m’inquiéter pour elles, puis elles s’étaient cachées avant que Lily n’aille accueillir notre visiteur. Un garçon à lunettes avec une personnalité plutôt ringarde se trouvait de l’autre côté de la porte. C’était mon ami d’avant que nous soyons envoyés dans ce monde, Kaneki Mikihiko.

« Bonjour, Mizushima. »

« Hm. Bonjour, Kaneki. »

Après avoir salué Lily, qui jouait le rôle de Mizushima Miho, Mikihiko s’était approché de moi. Je n’avais aucune idée de ce qui lui passait par la tête, mais il m’avait adressé un sourire narquois.

« Je suis là. »

« … Bonjour. »

« Tu m’as complètement ignoré. Quel ami ! En fait, tu as toujours l’air un peu endormi, Takahiro, » dit Mikihiko avec exaspération avant que ses yeux ne s’ouvrent en grand. « Un garçon et une fille tout seuls dans une pièce. Et toi, ici, endormi… Est-ce le légendaire lendemain de fête ? »

« … Tu sais que je n’ai jamais été du matin. »

« Oh. C’est vrai. Tahaha. Désolé pour ça. Quand même, Takahiro, tu as laissé passer mon commentaire avec nonchalance. Qu’est-ce que tu en penses, Mizushima ? »

« Hein ? Ooh, hm… Je me le demande ? Teehee. »

« Alors ! C’est trouvé ! Je n’aurais pas dû demander ! Commandante ! Réconforte-moi… ! Je suppose que c’est impossible, hein. Sa garde est bien trop forte, mais bon sang, j’aime aussi cette partie d’elle ! »

« … Tu es vraiment énergique dès le matin, » avais-je dit en regardant Mikihiko avec des yeux à moitié ouverts. « Alors, de quoi as-tu besoin ? Shiran ne vient pas ce matin. »

Shiran était la première humaine de ce monde que je rencontrais depuis que j’avais été téléporté ici — plus précisément, une elfe — et elle m’avait beaucoup appris sur ce monde inconnu. Nous avions également assisté ensemble à un service commémoratif pour les morts dans le mausolée. Ces deux derniers jours, elle m’avait enseigné les bases de l’escrime. C’est plus ou moins comme ça que nous avions fait connaissance.

Des dispositions avaient été prises pour que je puisse l’accompagner lors de son entraînement matinal habituel lorsque cela était possible, mais la jeune lieutenante de la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance avait du travail à faire ce matin. Il semblerait qu’elle était en mission de patrouille dans les environs. Tout récemment, elle avait mené une expédition de longue durée dans les Profondeurs pour secourir les étudiants qui avaient échappé à la Colonie. Normalement, elle n’était pas censée recevoir un autre ordre d’envoi avant un certain temps. Cependant, les Chevaliers de l’Alliance étaient à court de personnel. Ils avaient besoin de toutes les mains qu’ils pouvaient trouver.

C’était plutôt malheureux. Si l’occasion se présentait, je voulais lui parler de quelque chose. Vu qu’elle ne venait pas ce matin, je n’avais pas d’autre choix que de reporter cela jusqu’à ce que l’occasion se présente. Nous aurions sûrement de nombreuses occasions de nous parler tant que je resterais dans cette forteresse.

« Oh. J’ai entendu dire que la lieutenante est occupée ce matin, » dit Mikihiko en agitant la main en l’air. « En fait, j’ai aussi l’intention d’aider la commandante, donc je ne peux pas participer à l’entraînement de toute façon. »

« Quoi, toi aussi ? »

« Oui. Je dois rentrer très vite. Elle sera furieuse si je suis en retard. Elle peut être une femme effrayante. »

Le ton enjoué de Mikihiko traduisait à quel point il était fou de la femme qui servait de commandante de la troisième compagnie. Il avait vécu le même enfer que moi le jour de la chute de la colonie. La commandante était pour lui ce que Lily était pour moi. Je pouvais très bien comprendre son comportement à cet égard.

« … Hm ? Alors, qu’est-ce que tu es venu faire ici ? »

« Oh, c’est vrai. À propos de Kei. Elle vient ici aujourd’hui encore, n’est-ce pas ? »

« Oui. »

J’avais demandé à Kei, la nièce de Shiran, d’être notre accompagnatrice. C’était surtout un moyen de la protéger. L’autre jour, elle avait presque été agressée par l’un des élèves, Sakagami Gouta. Heureusement, nous avions réussi à l’éviter grâce aux efforts de Lily, mais nous n’avions rien pu faire contre la source du mal elle-même.

Le pouvoir que nous appelons tricherie — que les locaux appellent bénédictions — était une ressource extrêmement utile dans ce monde, constamment menacé par les monstres. Il existait en fait un historique de visiteurs d’autres mondes ayant protégé l’humanité, de sorte que les habitants vénèrent les visiteurs venus de loin comme des sauveurs avec une ferveur presque religieuse. En revanche, les elfes avaient été historiquement traités moins favorablement. En tant qu’elfe, Kei avait besoin du patronage d’un autre visiteur pour la protéger. C’était le moyen le plus rapide de résoudre la situation.

« Alors, qu’en est-il de Kei ? » avais-je demandé.

« Il vaut mieux pour elle qu’elle évite de se retrouver seule autant que possible, non ? J’ai donc demandé à une de mes connaissances des Chevaliers de l’Alliance de l’escorter ici. Il a un peu râlé, mais ce type a un caractère bien trempé, donc je ne pense pas qu’il se retirera même si Sakagami tente quelque chose de stupide. Il a une bonne excuse, vu qu’elle est ton assistante et tout. C’est aussi une demande personnelle de ma part. »

« Je vois. Désolé que tu aies dû faire tout ça. »

« Peu importe, mec. Ne t’inquiète pas pour ça. Je dois aussi beaucoup à Kei. J’ai déjà prévu un tas d’autres trucs. »

Mikihiko avait souri. J’étais un peu curieux de savoir pourquoi il semblait s’amuser autant, mais vu que la sécurité de Kei en dépendait, il ne faisait rien d’imprudent. Contrairement à son comportement, il n’était pas du genre à s’amuser.

***

Partie 2

Après cela, Mikihiko était rapidement parti comme il l’avait dit. Lily et moi, nous étions également allés prendre le petit-déjeuner avec les autres élèves dans l’une des grandes salles de la forteresse.

« Bonjour, Majima. Ça te dérange si je m’assois à côté de toi ? »

Lorsque nous avions pris place, un des élèves était venu voir s’il pouvait se joindre à nous. Il s’agissait de l’élève de terminale qui nous avait parlé sur le chemin de la forteresse, celui qui donnait l’impression d’être un pacificateur dans la classe, Miyoshi Taichi.

« Bien sûr, vas-y. »

« Merci. »

De la même façon que j’étais toujours avec Lily, les étudiants avec qui j’étais venu à la forteresse avaient tous leurs propres cliques. Miyoshi était suivi par deux garçons et une fille. Après avoir obtenu mon accord, ils avaient tous pris place à côté de nous. Au même moment, j’avais senti un étrange regard se poser sur moi.

J’avais regardé autour de moi pour en trouver la source. Pour une raison inconnue, la fille assise en diagonale en face de moi me regardait d’un air inquisiteur.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je demandé.

« … Hum, Kaneki nous a mentionné quelque chose hier… Majima, es-tu… ? »

« Hé, Ryouko, » avait dit Miyoshi sur un ton de reproche.

« Haha. Désolée. Ce n’est pas grave, ce n’est rien. »

Sa réaction était bien trop peu naturelle. J’avais échangé un regard avec Lily. Elle avait haussé les épaules. Il semblait qu’aucun de nous n’avait la moindre idée de ce qui se passait.

« Euh, est-ce que Mikihiko t’a dit quelque chose sur moi ? » avais-je demandé à Miyoshi.

« Ce n’est vraiment rien. Ne t’inquiète pas pour ça. »

 

 

Cela m’avait rendu encore plus curieux. Je voulais demander ce qui se passait, mais Miyoshi n’avait pas l’intention de poursuivre cette conversation. La vue du sourire étrangement amusé de Mikihiko ce matin m’était revenue à l’esprit. Peut-être devais-je avoir une petite discussion avec lui à ce sujet plus tard.

De toute façon, il était inutile de s’accrocher davantage à ce sujet. J’avais abandonné et j’avais tranquillement pris mon petit-déjeuner. Le groupe de Miyoshi avait surtout parlé de l’entraînement qu’ils recevaient à la forteresse. Le but de cet entraînement était d’éveiller le pouvoir caché en eux en tant que visiteurs d’un autre monde.

De tels visiteurs étaient traités comme des sauveurs ici. La façon dont le groupe de Miyoshi était tout excité à propos de leur avenir de héros était parfaitement naturelle, dans un sens. La leçon d’aujourd’hui allait apparemment se concentrer sur l’utilisation de la magie. Cela s’était avéré être le résultat de plaintes selon lesquelles l’entraînement physique continu était trop dur pour leur physique. Je m’étais demandé si les futurs héros devaient vraiment se plaindre de cela, mais peut-être que ces pensées étaient simplement le fruit de ma propre sensibilité.

Des sujets similaires s’échauffaient également à d’autres tables. Les deux garçons entourés de chevaliers impériaux et de soldats avaient un air particulièrement excité. Celui qui était le plus grand était Juumonji Tatsuya. Le plus petit était Watanabe Yoshiki. Ils étaient tous deux des tricheurs de l’équipe d’exploration de la colonie. Ils étaient également membres du premier corps expéditionnaire, l’équipe d’élite qui était partie à l’est à la recherche des humains de ce monde.

La conversation autour d’eux semblait se concentrer sur leur participation à l’entraînement au combat de l’autre jour. Juumonji et Watanabe n’avaient pas de capacités particulières. Ils étaient ce qu’on appelait des guerriers, ceux qui possédaient simplement une force physique et un mana exceptionnels. Les tricheurs savaient instinctivement comment utiliser leurs propres capacités, tandis que les guerriers comme eux pouvaient apparemment avoir l’intuition de ce qu’il fallait faire exactement dans un combat. Ils avaient fait preuve de compétences de combat terrifiantes pendant l’entraînement. Je l’avais vu de mes propres yeux. J’étais en fait plutôt impressionné. Ils étaient également sûrs de mettre leur puissance en valeur lors de l’entraînement à la magie d’aujourd’hui.

Tous deux s’étaient déjà taillé une position inébranlable dans cette forteresse. Ils parlaient aux supérieurs avec des expressions extrêmement confiantes.

« Ils sont vraiment impressionnants, hein ? » Miyoshi murmura avec sincérité en les regardant.

« … Oui. »

J’avais lâché une réponse appropriée. Cependant, mes mots ne reflétaient pas vraiment mes propres pensées. En regardant Juumonji sourire et parler avec les gens de la forteresse, je m’étais souvenu de son comportement lorsqu’il était apparu lors de l’incident avec Sakagami et Kei.

« Sérieusement. Combien de temps comptes-tu agir comme si c’était chez toi ? C’est un autre monde. Pourquoi dois-je supporter un con qui ne peut pas comprendre que tout est différent ici… ? »

C’est ce que Juumonji avait dit du comportement égoïste de Sakagami. Il avait raison. Je ne pouvais pas être plus d’accords, ce monde était complètement différent de chez moi. Après avoir été pris dans la panique de la destruction de la colonie, avoir failli être tué, et avoir erré dans les bois dans la misère et la douleur, il n’y avait aucune chance que je puisse oublier.

D’un autre côté, c’était précisément la raison pour laquelle je ne pouvais m’empêcher de remettre en question son comportement héroïque alors qu’il savait que ce monde était différent. Bien sûr, malgré mes pensées, même moi je pouvais reconnaître qu’ils s’étaient bien débrouillés.

Si l’on tient compte de la situation et des circonstances de ce monde — auxquelles s’ajoute l’accident survenu juste avant notre arrivée à la forteresse, où Skanda avait magnifiquement intercepté les chenilles-taureaux —, tout ce qui s’était passé avait démontré une telle chance que cela n’avait fait qu’accentuer leur image de héros. Quoi qu’il en soit, ils avaient réussi à gagner la confiance de leurs supérieurs et à unifier les élèves. Leur glorieux voyage en tant que sauveurs se déroulait sans encombre. Cela s’appliquait certainement aux autres étudiants ici aussi.

« Nous ne faisons que commencer nous-mêmes, » déclara Miyoshi à ses amis, plein d’espoir pour leur avenir promis.

 

 ◆ ◆

Après le petit-déjeuner, nous étions retournés dans notre chambre. En chemin, mes yeux avaient croisé un garçon qui descendait le côté opposé du couloir.

« … Oh, Senpai. »

Son visage mince portait une expression timide. C’était l’enfant maltraité, Kudou Riku. Sakagami, celui qui l’utilisait comme garçon de courses, n’était pas en vue. Peut-être qu’il était encore endormi.

« B-Bonjour… » Kudou nous avait salués puis il était passé devant nous sans s’arrêter.

« Tiens bon, Kudou. »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Kudou s’était tourné vers moi avec un mélange de peur et d’étonnement sur son visage. C’était compréhensible, vu la façon dont il était utilisé par Sakagami, mais ça ne faisait pas du bien d’être craint comme ça. J’avais essayé de ne pas y prêter trop d’attention.

« Merci pour hier, » lui avais-je dit.

« … Pour quoi ? »

« Tu as essayé de protéger Kei de Sakagami, n’est-ce pas ? J’ai pensé que je devais te remercier pour ça. »

Kudou était resté là sans rien dire.

« Est-ce que Kei est le nom de cette fille ? Si c’est le cas, je n’ai rien fait qui vaille la peine de me remercier. J’ai dit ça hier aussi, mais je n’ai rien pu faire. »

« Ce n’est pas vrai. »

J’avais secoué ma tête. Kudou avait essayé d’empêcher Sakagami d’entraîner Kei dans cette pièce, au point de se faire frapper. Si ce n’était pas le cas, nous ne serions peut-être pas arrivés à temps.

« Kei était également reconnaissante pour ce que tu as fait. »

« Je ne pouvais pas supporter son comportement égocentrique. »

Kudou détourna les yeux et se gratta la joue. Il semblait que quelqu’un dans la forteresse qui pouvait utiliser la magie de guérison avait traité sa blessure, vu que le gonflement de sa joue avait disparu.

« C’est tout ce que c’était… Si c’est tout, je vais devoir partir maintenant. »

J’avais observé le dos de Kudou alors qu’il se dépêchait de partir, puis j’avais soudainement haussé la voix. « Hé, Kudou. »

« Oui ? » dit-il en se retournant.

« Hier, quand tu as entendu Juumonji se plaindre que Sakagami se comportait comme chez lui alors que tout est différent ici, tu as dit que rien n’avait changé du tout, n’est-ce pas ? »

Kudou était resté silencieux.

« Qu’est-ce que tu voulais dire par là ? »

J’étais resté bloqué sur ces mots depuis qu’il les avait prononcés.

« Qu’est-ce que tu dis ? Rien n’a changé du tout. »

C’est ce que Kudou avait marmonné après avoir entendu le grognement de Juumonji. Après avoir été jetées dans ce monde, beaucoup de choses avaient changé dans ma vie, et j’avais aussi perdu beaucoup de choses. Venir dans cette forteresse m’avait fait réaliser cela plus que je ne le voulais. Alors, j’étais curieux de savoir comment Kudou pouvait faire une telle affirmation.

« … Oh, ça ? Je ne parlais qu’à moi-même, » dit Kudou. Il avait forcé un sourire, mais il avait l’air résigné. « Je ne voulais pas dire grand-chose. Les forts agissent simplement comme ils le souhaitent. Nous avons été envoyés dans un autre monde, mais cette partie est restée exactement la même qu’avant. C’est tout ce que je pensais. »

 

 

Pour Kudou, qui était essentiellement un homme de main ou un serviteur de Sakagami, un nouvel environnement ne changeait pas vraiment grand-chose. Jusqu’à présent, je ne m’étais concentré que sur les choses que j’avais perdues. Cependant, cela ne signifiait pas que les choses qui restaient les mêmes étaient nécessairement bonnes. Il y avait des facettes de ce que Kudou disait auxquelles je n’avais pas pensé avant.

« Désolé de dire quelque chose de si étrange. Si c’est tout, alors veuillez m’excuser. »

Kudou avait légèrement incliné la tête et nous avait finalement quittés. J’avais observé son dos tandis que Lily s’appuyait contre moi.

« Quelque chose ne va pas ? » avait-elle demandé.

« Ce n’est rien. »

J’avais secoué ma tête. Ce n’était pas sérieux. Il y avait juste une partie de moi qui était d’accord avec ce qu’il avait dit.

« Les forts agissent simplement comme ils le veulent. Nous avons été envoyés dans un autre monde, mais cette partie est restée exactement la même qu’avant. »

Le monde d’où nous venions avait un système de lois personnelles qui maintenait l’ordre public de la société par la morale, l’éthique et le sens de la justice. Ces lois étaient soutenues par les organisations qui maintenaient l’ordre public. Prenez la police, par exemple, ou dans un cas extrême, l’armée. Cependant, il n’y avait pas de tels moyens de dissuasion dans les terres forestières. Par conséquent, une partie de ceux qui avaient le pouvoir avait agi comme bon leur semblait, entraînant la destruction de la colonie.

Dans ce cas, peut-être que rien n’avait radicalement changé en venant ici. Dans notre monde, dans la forêt, et ici dans cette forteresse, la nature humaine était restée la même. Tout ce que cela signifiait, c’est qu’une puissance encore plus forte déterminait les règles. Si c’est le cas…

« Maître ? » dit Lily, me tirant de mes pensées.

« Nous devrions retourner dans notre chambre. Kei devrait bientôt arriver. »

« … Oh, c’est vrai. N’est-ce pas trop tôt, hein ? »

Un temps assez long s’était écoulé depuis que nous avions pris le petit-déjeuner avec le groupe de Miyoshi. À ce rythme, nous finirions par faire attendre Kei dans le couloir. Ainsi, j’avais marché côte à côte avec Lily à un rythme légèrement pressé pour rentrer.

***

Partie 3

Nous avions fini par rentrer juste au moment où Kei arrivait.

« Bonjour. »

La fille aux mêmes cheveux blonds et yeux bleus que Shiran avait hoché la tête en nous saluant énergiquement. Elle était avec le chevalier dont Mikihiko nous avait parlé. Il me semblait familier. Je l’avais examiné de plus près et j’avais reconnu en lui l’homme à qui Shiran avait parlé lorsque nous étions dans le bureau des Chevaliers de l’Alliance l’autre jour. Il s’appelait Marcus.

Après que Marcus ait laissé Kei avec nous, nous étions entrés dans notre chambre. Ce qui avait suivi était l’heure de cours. Bien que, celui qui jouait le rôle de professeur n’était pas l’un des enfants plus âgés présents, mais la toujours enfantine Kei. Elle avait étalé plusieurs livres sur la petite table et avait commencé à nous enseigner les monstres de ce monde.

« D’après ce que Shiran nous a dit la dernière fois, tous les monstres viennent des Terres forestières. Cela veut-il dire qu’il n’y a pas beaucoup de monstres forts en dehors des Terres forestières ? » avais-je demandé.

« C’est fondamentalement vrai, mais il y a des exceptions. »

Kei avait serré les poings au sommet de ses genoux et s’était penchée en avant, faisant de son mieux pour me répondre. Cela soulignait à quel point elle était enthousiaste, ce qui était très attachant. Une fine chaîne portant une pierre runique rouge de la taille d’un doigt pendait à son cou. Il s’agissait d’une pierre runique de traduction.

« Grâce aux efforts des grands sauveurs dans l’histoire, nous avons réussi à nous frayer un chemin à travers les Terres forestières. Quoi qu’il en soit, même dans les terres qui ont été nettoyées, il y a des restes de la région boisée. Nous les appelons les bois sombres. Il arrive souvent que des monstres puissants qui ne peuvent être vaincus par des moyens normaux installent leurs nids dans ces endroits. Pour se débarrasser de ces forêts, il faudrait être résolu à subir de grandes pertes. La Rage des Terres en est un exemple célèbre. »

« Je vois. Ce qui veut dire qu’il y a une raison majeure de laisser derrière soi des morceaux de la région boisée. »

« Oui. À l’inverse, les monstres qui n’ont pas l’habitude de s’installer sont traités comme des catastrophes lorsqu’ils sont en dehors des Bois. Contrairement à ceux de la forêt noire, ils causent de graves pertes lorsqu’ils sont laissés en liberté. Beaucoup d’entre eux ont été supprimés par les estimés sauveurs du passé. »

« Donc, c’est aussi une de leurs tâches. »

« C’est ainsi que ça s’est terminé. Pour ce qui est des autres cas, il y a une légende qui parle d’un monstre qui dominait un petit pays. Oh, mais elle est considérée comme apocryphe par l’Église et n’est pas reconnue comme un fait. »

« Vraiment ? »

L’Église mentionnée par Kei était la Sainte Église, qui traitait les visiteurs d’autres mondes comme des objets de leur foi. Presque tous les villages avaient une église dans laquelle ils répandaient les légendes des sauveurs. Qu’est-ce que cela signifiait pour une telle église de rejeter une telle légende ? J’avais levé la tête avec curiosité.

« Je veux dire, un monstre possédant l’intelligence pour dominer un pays, c’est impossible, » dit Kei.

« … Eh bien, c’est vrai. »

Du coin de l’œil, j’avais pu voir Lily, assise sur le lit, ricaner.

« Apparemment, il a même été transformé en une pièce de théâtre tenue dans la capitale impériale à un moment donné dans le passé. La tragédie du roi mort-vivant Carl. C’est l’histoire du roi d’un pays qui excellait dans la magie. La mort de son amoureuse, une des grandes sauveuses, l’a rendu fou. À la fin, il s’est transformé en un monstre mort-vivant appelé liche. »

J’avais déjà rencontré un autre type de monstre mort-vivant : les goules. Un groupe de chevaliers de l’Alliance se déplaçant séparément du groupe de Shiran lors de leur opération de sauvetage dans les Profondeurs avait été anéanti par des monstres. Ces chevaliers s’étaient transformés en monstres morts-vivants.

Les épidémies de goules dépendaient de la densité de mana dans la région. Par exemple, les cadavres se transformaient souvent en goules sur les champs de bataille jonchés de morts. L’âme contient du mana, donc lorsque de nombreuses vies étaient dispersées au vent en un seul endroit, la densité de mana dans la zone était amplifiée. Les Terres forestières étaient une région spéciale, riche en mana, et les épidémies de goules y étaient fréquentes.

« Les liches sont essentiellement les mêmes que les goules, car ce sont des monstres morts-vivants. Cependant, on dit que ce sont des monstres puissants qui, bien qu’imparfaits, sont presque immortels et peuvent utiliser librement la magie. »

« Donc, c’est quelque chose comme une goule de haute classe ? » avais-je demandé.

« Quelque chose comme ça. On dit que le roi mort-vivant Carl utilisait sa volonté implacable pour maintenir son intelligence. Pendant longtemps, personne n’a été capable de le vaincre. Mais finalement, les membres du Saint Ordre qui avaient servi sous les ordres de son amoureuse ont été envoyés, et le Roi Mort-Vivant a disparu dans les flammes de la purification. »

« Alors ce roi mort-vivant est déjà mort ? »

« Teehee. Ce n’est qu’un conte de fées, Takahiro. L’Église enseigne que le roi fou a mené son pays vers une révolte ouverte contre l’Empire. Cela s’est passé il y a plusieurs siècles, donc naturellement, il est mort depuis longtemps. »

« Je vois. »

J’avais donné une réponse appropriée et j’avais soupiré de façon à ce que Kei ne le remarque pas.

C’est malheureux… J’avais pensé ça en moi-même. J’avais une raison d’interroger Kei sur un monstre aussi célèbre. En mettant un pied dans le monde des humains, nous nous éloignions du monde des monstres. Cela signifiait qu’il serait difficile pour moi de renforcer notre force de combat. D’un autre côté, nous pouvions recueillir des informations beaucoup plus facilement dans le monde des humains, un avantage certain pour être ici.

En apprenant tout ce que je pouvais sur les monstres puissants, peut-être pourrais-je rencontrer des monstres rares ou hauts qui pourraient potentiellement devenir mes serviteurs. Kei n’avait pas l’air d’y croire, mais d’après ce qu’elle m’avait dit sur le Roi Mort-Vivant, cela laissait supposer l’existence de monstres qui avaient conscience d’eux-mêmes sans que je sois un facteur. J’étais plutôt intrigué par cela.

Mais même sans un tel motif, le simple fait d’apprendre à connaître les monstres était utile au cas où nous les rencontrerions. Les chevaliers étaient particulièrement bien informés sur les monstres des Franges, où se trouvait la forteresse, et ces informations étaient donc très précieuses. Les Franges étaient en fait une région assez vaste avec de nombreux endroits, chacun avec des monstres que je n’avais jamais vues auparavant. Tout cela était très intéressant pour moi. De plus, j’avais pu entendre une autre histoire amusante.

« Il y a aussi un monstre célèbre ici dans les Terres forestières du Nord. Des histoires vieilles de 500 ans parlent de la grande Arachne blanche. Je ne sais pas si elles sont vraies ou non, mais il y a une araignée décrite comme étant si belle qu’on ne penserait pas qu’elle vient de ce monde. On le retrouve dans les récits héroïques des sauveurs. »

J’avais presque recraché le thé dont je venais de prendre une gorgée.

« A-Arachne blanche… ? »

« Oh. Cela vous intéresse-t-il ? Lors de la retraite de la campagne dans les Abysses, il y a cinq cents ans, la grande Arachne blanche faisait partie des monstres qui ont attaqué l’armée épuisée. Le sauveur qui les menait était déjà en train de mourir d’une blessure mortelle, mais une bataille héroïque s’est quand même déroulée entre eux. Leur duel s’est terminé sans vainqueur. Il est possible que la Grande Araignée blanche erre encore dans les Bois à ce jour. »

Je veux dire, elle est censée être assez proche de la forteresse en ce moment… Non pas que je puisse mentionner cela. Même si c’était avant qu’elle n’ait un ego, Gerbera avait apparemment eu un passé malicieux. Elle m’avait déjà raconté comment elle avait rencontré une armée humaine, mais elle n’avait pas parlé d’une bataille épique contre leur chef.

Quoi qu’il en soit, notre temps avec Kei avait été éducatif et agréable. Nous avions pris notre déjeuner ensemble, et nos cours avaient continué dans l’après-midi jusqu’à ce que Shiran revienne de sa patrouille et nous rende visite. Shiran allait nous enseigner l’escrime aujourd’hui aussi.

« Désolé de vous demander d’utiliser votre temps libre pour nous, » avais-je dit.

« Ne le soyez pas. C’était mon offre au départ. D’ailleurs, je vous l’ai déjà dit, mais je n’ai pas vraiment d’autre chose à faire que de m’entraîner. Vous êtes plutôt enthousiaste à ce sujet, Takahiro, donc il y a aussi un intérêt à vous enseigner. »

« Vous êtes un bon professeur. Ce serait du gâchis si je ne le prenais pas au sérieux. »

« Je… je ne crois pas que ce soit le cas… »

Shiran avait détourné ses yeux bleus tout en touchant ses oreilles pointues. Son innocente démonstration de timidité m’avait fait sourire et j’avais décidé d’ajouter une demande supplémentaire.

« Mais j’ai l’impression que vous êtes un peu trop prévenante. Vous pouvez être un peu plus stricte, si vous le voulez. »

« … Je crains que vous ne vous blessiez si je suis plus stricte. »

« Parfois, devenir plus fort signifie passer par la douleur. Je ne vais pas me plaindre juste à cause de quelques os cassés. Ils peuvent être guéris par la magie, de toute façon. S’il vous plaît, allez-y aussi loin que vous le voulez. Sinon, ça n’a pas de sens. »

« Je vois. Vous avez continué jusqu’à ce que vous atteigniez les limites de votre endurance hier, donc je ne doute pas que vous soyez sérieux… »

La voix de Shiran semblait un peu étonnée, mais je sentais aussi un sentiment favorable envers mon attitude.

« Si vous avez fini de parler, alors allons-y, Takahiro ! » Voyant que notre conversation était terminée, Kei s’était précipitée vers moi et m’avait pris la main. « Je vais recevoir des leçons de Shiran aujourd’hui aussi. Faisons de notre mieux ! »

Kei avait tiré ma main comme pour dire qu’elle ne pouvait pas attendre un instant de plus. Shiran s’était renfrognée, l’expression troublée, en regardant la petite fille.

« Kei. Tu es un peu trop familier avec Takahiro… »

« Allons, allons, Shiran. C’est bon, n’est-ce pas ? » dit Lily, en essayant d’arranger les choses. « Majima a un petit frère, mais pas de petite sœur. Il est heureux d’avoir une jolie fille comme Kei si attachée à lui. »

« Mais… » Shiran avait regardé sa nièce saisir fermement ma main. Puis son expression s’était détendue et elle avait souri. « … Très bien. Mes excuses, Takahiro, s’il vous plaît, prenez bien soin de Kei. »

« Oui ! » Kei avait applaudi, apportant un sourire sur tous les visages.

« Je suppose qu’il n’y a rien à faire, » dit Shiran avec un regard affectueux.

C’était une scène si paisible qu’on n’aurait pas cru que nous étions au milieu d’une forêt où sévissent des monstres. J’avais continué à regarder le profil de Shiran en me rappelant ce qu’elle m’avait dit dans le mausolée.

« Même si je ne la reverrai peut-être jamais de mes propres yeux, je veux protéger ma ville natale. Je veux protéger les autres villages qui partagent les circonstances de mes compatriotes. Je veux protéger les camarades qui se battent à mes côtés. »

Ce genre de scène était sûrement ce que Shiran voulait protéger. Ici et maintenant, je pouvais le sentir sur ma peau.

***

Partie 4

Shiran nous avait précédées pour préparer la salle tandis que Lily et moi tenions compagnie à Kei. Nous ne pouvions pas nous permettre de la laisser seule. Kei avait préparé des linges humides et des bouteilles d’eau, et nous nous étions dirigées vers le terrain d’entraînement où Shiran nous attendait. Lily et moi avions porté la plupart des bagages, à part le grand sac en cuir dans les mains de Kei. Il contenait son armure en cuir et d’autres types d’équipements utilisés pour son propre entraînement. Les pas de la jeune fille étaient vifs, comme si même ce poids lui était agréable.

Au fait, j’avais appelé Mikihiko. Il voulait aussi participer aux leçons de Shiran, et il allait nous rejoindre plus tard. Nous avions marché dans les couloirs pendant que Kei nous racontait joyeusement ce qu’elle avait déjà appris de Shiran.

« … ? »

Lorsque nous étions arrivés dans la salle prévue à cet effet, qui était suffisamment grande pour que plusieurs personnes puissent s’y déplacer en même temps, j’avais senti l’atmosphère tendue sur le bout de mon nez et je m’étais arrêté. Une jeune fille en armure se tenait là, son profil digne affiché, une épée prête dans la main droite et un grand bouclier dans la gauche.

Elle avait soudainement expiré et fait un pas en avant. Malgré sa lourde armure, ses mouvements étaient vifs, comme s’ils glissaient sur le sol. Je ne pouvais même pas dire quand elle avait levé son épée jusqu’à ce que je la vois frapper avec. Son épée s’était retournée, la pointe avait changé de direction et elle s’était retrouvée au-dessus de sa tête dans un coup inversé. Ensuite, il y avait fait un balayage horizontal suivi d’une poussée. Ses mouvements étaient si légers qu’on n’aurait pas cru qu’elle manipulait une grande masse d’acier, alors que d’innombrables coups fusaient dans l’air.

L’exécution de ses coups n’était pas si rapide, peut-être pour qu’elle puisse confirmer les moindres détails de ses propres mouvements. Pourtant, la façon dont elle portait son épée rendait extrêmement difficile la poursuite de la lame avec mes yeux. Ses actions étaient bien trop lisses, sans un seul soupçon de gaspillage. Ce n’était pas une vue commune. C’était quelque chose qu’elle avait acquis grâce à une dévotion à glacer le sang dans ses études et à une expérience du combat qui mettait sa vie en danger. C’était comme si cette fille devant mes yeux existait précisément pour le plaisir de manier l’épée, comme si elle et sa lame étaient une seule et même entité.

Elle m’avait déjà montré des exemples de maniement de l’épée, mais c’était la première fois que je la voyais s’entraîner de la sorte. Si c’était la norme pour les chevaliers qui se battaient sur les lignes de front des Terres forestières, les tricheries que nous possédions, nous, visiteurs, étaient-ils vraiment si impressionnants !?

« … C’est incroyable, » avais-je dit, en expirant soudainement.

« N’est-ce pas ? » Kei avait accepté ça avec joie. « Elle peut aussi utiliser plus qu’une simple épée. C’est aussi une spiritualiste très talentueuse. » La voix de Kei débordait de respect pour la fille qu’elle idolâtrait comme une grande sœur. « Passer des contrats avec les esprits est un type de magie spécial uniquement autorisé aux elfes. Cependant, même parmi les elfes, seule une petite fraction de spiritualiste talentueux peut former un contrat. Les esprits testent leurs contractants. Tous ceux qui acceptent ce défi ne rencontrent que le succès ou la mort. »

« Ce qui veut dire qu’il y a une exigence pour réussir ces épreuves ? »

« Oui. Les esprits ont besoin d’une âme noble. On dit aussi qu’ils ont besoin d’une prière très pure. C’est pourquoi nous, les elfes, suivons un entraînement strict dès le plus jeune âge. Malgré cela, très peu osent relever le défi de passer un contrat. »

« Alors, les elfes vont aussi loin pour passer ces contrats, hein ? »

Je m’étais concentré sur l’être jaune qui flottait au-dessus de Shiran pendant qu’elle brandissait son épée. L’esprit, qui ressemblait à une sphère d’argile avec de petits membres qui en sortaient, portait de longs vêtements verts. Comme toujours, il flottait dans l’air d’une manière joyeuse et insouciante.

« C’est vrai. Les esprits sont après tout vraiment spéciaux pour nous. »

Les elfes étaient ostracisés, car les esprits étaient considérés comme des monstres, des ennemis de l’humanité. Cela faisait de ceux qui contractaient avec eux des traîtres, ce qui leur valait de nombreuses critiques. Néanmoins, les elfes ne rejetaient jamais les esprits. C’est dire à quel point ils étaient spéciaux.

« De plus, les esprits aident toujours leur contractant lors des batailles de vie et de mort. »

« Hmm. J’avais l’impression que c’était juste essentiel pour détecter les ennemis. »

L’esprit sous contrat avec Shiran m’avait repéré quand je me cachais dans la forêt. J’en avais parlé à cause de mon expérience antérieure en la matière, mais Kei avait secoué la tête.

« Ils aident de cette manière, mais ce n’est pas tout. Un esprit soutiendra son contractant avec de la magie pendant la bataille. Par exemple, l’esprit qui accompagne toujours Shiran utilisera la magie de la terre pendant la bataille et amplifiera également ses capacités physiques. En empruntant le pouvoir d’un esprit de cette manière, les spiritualistes peuvent faire le travail de deux mages talentueux à la fois. »

« Hmm. C’est incroyable. »

« Oui, c’est vrai. Je veux aussi être comme ça un jour… » Les yeux de Kei brillaient tandis qu’elle tenait fermement le sac en cuir dans ses bras contre sa poitrine. « Et aussi ! Et aussi ! Ce n’est pas la seule chose d’extraordinaire chez Shiran ! »

« Ne me loue pas jusqu’aux cieux, Kei. »

Shiran avait soudainement arrêté son épée et s’était tournée vers nous. Elle semblait être intensément concentrée sur son entraînement, mais elle avait réalisé que nous étions présents. Eh bien, c’était naturel vu le vacarme que nous faisions.

« Tu… tu écoutais !? » cria Kei.

« Je t’ai entendue très clairement. Tu dois faire attention à garder ton calme. » Shiran avait rengainé son épée et avait marché vers nous. Elle avait ensuite levé son doigt devant Kei qui était en train de paniquer. « De plus, tu seras écuyère dès l’année prochaine, Kei. Tu es en bonne voie pour devenir un chevalier. Je suis encore une novice à mi-chemin de ma voie. Tu dois fixer tes objectifs plus haut que ça. »

« O-Oui, m’dame. »

« J’ai promis de veiller à ton entraînement aujourd’hui aussi, n’est-ce pas ? S’il te plaît, prépare-toi. »

« Oui, madame ! »

Shiran était maintenant en mode-conférence. Kei avait couru énergiquement dans la pièce en suivant les instructions de Shiran. Elle avait ouvert son sac en cuir et avait commencé à en sortir le contenu. Lily l’avait suivie, et toutes deux avaient eu une conversation amicale tout en se préparant. Voyant que Shiran se dirigeait vers moi, j’avais entamé une conversation avec elle.

« Il n’y a pas besoin d’être si strict avec elle, n’est-ce pas ? »

« J’ai la responsabilité d’élever cette fille jusqu’à ce qu’elle devienne une adulte à part entière, » avait répondu Shiran en baissant la voix pour que Kei ne puisse pas entendre. « Sinon, je ne pourrais pas faire face à mon défunt frère et à sa femme, ou à ma mère qui s’inquiète toujours pour elle. »

Shiran avait agi comme une grande sœur, indépendamment de leur relation réelle. En y repensant, la façon dont Gerbera s’occupait d’Ayame était un peu similaire. Gerbera était cependant un peu plus douce.

« Mais d’après ce que je peux dire, Kei est en fait tout à fait capable de manier l’épée et la magie pour son âge, n’est-ce pas ? Elle peut même utiliser une pierre runique de traduction. »

Même lors de l’incident avec Sakagami hier, si son statut social ne l’avait pas empêchée de résister, et si elle n’avait pas eu la peur et la confusion d’être abordée par un garçon plus âgé, elle aurait pu s’en sortir sans mon aide. J’avais pensé que c’était assez impressionnant pour son âge.

Mais Shiran secoua la tête. « Elle a encore besoin de beaucoup d’études assidues pour être capable de se battre jusqu’au bout, ici dans les Bois. De plus, elle a du mal à garder sa présence d’esprit et peut être plutôt négligente. Je ne peux pas la quitter des yeux. »

« Voulez-vous parler de ce qu’elle vient juste de faire ? Elle voulait juste parler à quelqu’un de la grande sœur dont elle est si fière. N’est-ce pas une bonne chose ? »

Elle n’avait probablement pas beaucoup d’occasions de le faire. Shiran et Kei étaient toutes deux des elfes, les seuls à qui elle pouvait parler ainsi étaient ses proches. C’était rare qu’elle puisse se vanter de sa sœur devant des étrangers comme Lily et moi.

« Sur ce point, vos compétences sont vraiment étonnantes, Shiran. En vous regardant, j’ai compris l’envie de Kei de se vanter. »

« Ce n’est pas vrai, » avait objecté Shiran, malgré mon ton sérieux. « Ce n’est pas si impressionnant que ça. » Je pensais qu’elle était simplement humble, mais il y avait un air de tranquillité dans son expression. Elle était sincère. « Je m’efforce bien sûr de faire tout ce que je peux… Mais ça ne semble jamais être suffisant. »

L’expression tranquille était restée sur le visage de Shiran, mais il y avait une certaine morosité dans sa voix maintenant.

 

 

« Ce n’est tout simplement pas suffisant. Peu importe l’entraînement de mon corps, je suis incapable de protéger mes camarades qui meurent les uns après les autres. »

« Shiran… »

Ses yeux sombres s’étaient souvenus du frère qu’elle avait perdu dans les bois, ainsi que de tous les autres camarades qui étaient morts au combat jusqu’à présent.

« Nous sommes capables de bien trop peu. Chaque année, des villages disparaissent, des gens sont dévorés, et la forêt empiète progressivement sur le monde. Même avec des épées à la main, en mettant nos vies en jeu dans la bataille, il faut tout ce que nous avons pour éviter la destruction complète. Tout ce que nous pouvons faire est de faire face à une bataille défensive sans espoir, construite sur une montagne de sacrifices. » Shiran avait serré son poing alors que le son du cuir se resserrait. « C’est pourquoi… » Soudain, ses yeux bleus s’étaient fixés sur moi — non, pas moi, sur les sauveurs de ce monde. « … Takahiro, connaissez-vous la différence majeure entre nous et les grands sauveurs ? »

« Y en a-t-il un ? » avais-je demandé en fronçant les sourcils.

« Oui. La grande différence entre nous et les visiteurs d’autres mondes se trouve, dit-on, dans nos âmes. La puissance de vos âmes donne naissance à d’immenses capacités, dit-on. La véritable essence d’une personne ne réside pas dans son corps, mais dans son âme. Nous nous différencions des sauveurs par notre essence même. »

***

Partie 5

Ce n’est pas vrai…, me suis-je dit. S’il y avait effectivement une différence, c’était simplement que nous étions nés dans des mondes différents. C’était mon opinion, mais je n’étais pas assez irréfléchi pour la dire à haute voix. Les mots de Shiran avaient un poids particulier.

Après avoir essayé, et essayé, et essayé, et essayé si fort… elle ne pouvait toujours pas atteindre de tels sommets. Elle enviait grandement ce qu’elle ne pouvait pas obtenir. Ces pensées avaient transformé dans ses yeux l’image fabriquée des sauveurs en idoles religieuses. C’est ce que je croyais. Je l’avais ressenti dans le comportement de Shiran, ainsi que dans celui des autres élèves.

Par exemple, dans les légendes dont Shiran avait parlé auparavant, les sauveurs qui étaient descendus sur ce monde s’étaient tous jetés dans la bataille pour sauver les masses souffrantes. Il n’y avait pas une seule exception. « Savoir ce qui est juste et ne pas le faire est un manque de courage, » disait-on. Un idéal vraiment merveilleux. Mais un tel idéal était trop lumineux. Les humains ne sont pas si parfaits. L’expression « plusieurs hommes, plusieurs esprits » n’avait pas toujours de bonnes connotations. Il était impossible que tous les humains jetés dans ce monde soient des saints aussi bienveillants. Nous n’aurions pas besoin de la police si c’était le cas.

Les légendes des sauveurs étaient bien trop propres. Elles étaient nées d’altérations de l’histoire et de récits embellis. C’est pourquoi j’avais appelé leur vision des sauveurs une image fabriquée. Néanmoins, on ne pouvait pas dire que ce soit inconditionnellement une mauvaise chose. Parfois, il était nécessaire d’avoir quelque chose de propre et de joli sur la vérité souillée de boue.

« Le premier sauveur a dit un jour : “Ce monde est celui où les souhaits se réalisent”, » avait poursuivi Shiran, la voix remplie de passion. « Ces mots étaient très simples, donc il y a beaucoup d’interprétations. La croyance dominante est que, dans cette ère sombre où l’humanité est poussée au bord du gouffre, le sauveur a laissé ces mots derrière lui pour encourager les gens à ne pas perdre espoir. J’ai également reçu leurs encouragements. »

« … »

Tout ce que j’avais pu comprendre de ça, c’était : « J’étais un type totalement impuissant et ordinaire, mais après être venu ici, je suis devenu un héros sorti tout droit de mes rêves. » Non pas que je puisse lui dire ça. Il était clair que cette illusion était quelque chose de nécessaire pour Shiran. Je n’étais pas insensible au point de briser ça.

« Dans quelques années, Kei rejoindra le champ de bataille. Si l’on pense au taux de pertes parmi les chevaliers, il est peu probable qu’elle revienne vivante dans notre village. De plus, même si une circonstance quelconque la ramène, nous ne saurons toujours pas quand la forêt engloutira ce village. De plus, je ne pourrai rien y faire. Je ne pourrai pas mettre fin à cette bataille éternelle qui fait rage depuis des milliers d’années avant qu’elle ne rejoigne la mêlée… »

Shiran avait regardé sa nièce enfiler son équipement en cuir d’un air triste.

« Je suis impuissante, incapable de faire quoi que ce soit face à la réalité qui s’offre à moi… Cependant, l’espoir s’est abattu sur nous. » Ses yeux bleus s’étaient tournés vers moi et elle avait souri de façon radieuse. « Il n’y a pas de précédent avec autant de visiteurs descendant sur ce monde en même temps. Peut-être que cette génération sera celle où nous serons libérés de la menace qui pèse sur nous depuis si…, si longtemps. »

« … »

Une pensée m’était venue à l’esprit en regardant son sourire. Ça pourrait être sans espoir… Il y avait une chose dont je voulais parler avec Shiran. Il s’agissait de trouver quelqu’un qui pourrait nous aider, comme j’en avais discuté avec Lily.

« Nous demandons de l’aide après avoir expliqué un certain nombre de nos circonstances. Nous pouvons simplement taire le reste. Par exemple, nous voulons quitter la forteresse, mais nous ne voulons pas que les autres le sachent. On peut le mentionner, non ? »

Jusqu’à hier, je ne pouvais pas faire confiance à une seule personne dans cette forteresse. J’avais absolument tout caché de moi et j’avais essayé de remplir mon objectif. Mais Lily avait dit que ce n’était pas bon. En tant que maître, j’avais décidé de chercher une personne de confiance et de lui demander sa coopération. Cependant, il ne s’agissait pas seulement de trouver quelqu’un dont je pensais qu’il ne nous trahirait pas. Je devais choisir quelqu’un qui connaissait les circonstances de ce monde. Sinon, je ne ferais que leur causer des ennuis. La première personne qui m’était venue à l’esprit était Shiran.

J’avais une assez bonne idée de son caractère grâce à nos interactions. J’avais pensé que je pourrais lui demander conseil, comme Lily l’avait dit. Cependant, si la perception que Shiran avait de moi n’était rien de plus qu’un de ces « sauveurs fabriqués », alors je ne pouvais pas lui dire que je voulais quitter la forteresse sans que personne ne le sache. Cela reviendrait à briser sa précieuse illusion.

C’est malheureux, mais je vais devoir chercher quelqu’un d’autre.

Alors que j’arrivais à cette conclusion, Shiran avait soudainement retiré son sourire.

« Mais j’en suis venue à penser maintenant… Peut-être que c’est juste mon espoir égoïste. »

« Shiran… ? »

« On m’a appris que les grands sauveurs qui descendent sur nous de loin sont de vaillants héros qui se battent pour sauver le monde. Si je serre les dents et que j’endure, alors un jour, ils viendront tous nous sauver. Je n’ai pas l’intention de nier que je me suis battue avec de tels espoirs en tête. Mais… » J’étais déconcerté par ses mots inattendus alors que Shiran me regardait avec un regard sincère. « Quand nous avons parlé dans le mausolée, vous m’avez dit que vous pouviez comprendre mes sentiments de vouloir protéger ma ville natale, mon peuple et mes camarades. »

« … Oui, je l’ai fait. »

« Je peux dire que vous ne mentiez pas en regardant la façon dont vous avez déplacé votre épée. Takahiro, vous n’essayez pas de protéger ce monde comme les grands sauveurs des histoires… Je sens que vous consacrez désespérément tout ce que vous avez pour protéger quelque chose qui vous est cher. Cela ne me dérange pas si vous riez de cela comme si j’étais prétentieuse, mais je crois que vous êtes pareil que moi. »

Shiran avait de l’empathie envers quelqu’un qui avait les mêmes sentiments qu’elle. J’avais ressenti la même chose pour Shiran dans le mausolée. À l’époque, elle l’avait aussi ressentie en moi.

« Si c’est vrai, alors les espoirs que je plaçais en vous n’étaient rien d’autre qu’une illusion égoïste. »

« … N’êtes-vous pas en colère ? J’ai trahi vos espoirs, n’est-ce pas ? »

« Se mettre en colère pour la trahison d’un espoir que j’ai poussé sur vous de façon arbitraire est bien trop peu sincère, ne le croyez-vous pas ? Au contraire, je devrais m’excuser auprès de vous, Takahiro. Pardonnez-moi d’avoir projeté sur vous une illusion aussi égoïste. »

Les yeux de Shiran me regardaient droit dans les yeux, ici et maintenant.

« Je suis prête ! Hein ? Shiran ? Takahiro ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Kei avait fini d’enfiler son armure de cuir et était arrivée en courant. Elle avait regardé chacun d’entre nous avec une expression de curiosité. Lily avait senti que quelque chose se passait, alors elle avait posé sa main sur l’épaule de Kei pour l’arrêter.

« Shiran, je… »

Je m’étais résolu et j’avais ouvert la bouche, suspendu à mes prochains mots. Shiran m’attendait… mais son teint avait soudainement changé.

« Hm !? S’il vous plaît, attendez, Takahiro. »

Elle regarda droit dans les airs l’esprit qui émettait une lumière jaune clignotante. Il tournait en rond, agité, et ses petits membres s’agitaient dans tous les sens. J’avais eu une impression de déjà vu. C’était la même scène que j’avais vue juste avant l’attaque des chenilles-taureaux devant le Fort de Tilia.

« Des monstres ? »

« Oui. Il semble qu’ils soient proches de la forteresse. » Shiran m’avait regardé debout, tendu, et m’avait fait un sourire de confiance. « Il n’y a pas besoin de s’inquiéter. Les attaques de monstres sont quotidiennes ici. Nous avons déjà terminé nos patrouilles pour la journée et il n’y avait aucune anomalie, donc il s’agit probablement d’une attaque de monstres très mobiles, quelque chose comme un ou deux tripdrills. Ça arrive tout le temps. Ce n’est pas grave. » Shiran était ensuite passée devant moi et avait fait un pas dans le couloir. « Les autres n’ont probablement pas encore remarqué. Je vais aller les informer. Je reviendrai une fois que nous serons sûrs qu’ils ont été repoussés, continuons alors notre conversation. »

« Bien sûr, » avais-je dit en hochant la tête.

Shiran m’avait offert un sourire rafraîchissant. « Je peux respecter le fait que vous consacriez tout ce que vous avez à l’amour de quelque chose qui vous est cher. Même si vous n’êtes pas un sauveur, j’attends avec impatience le moment où nous pourrons parler à nouveau. »

***

Partie 6

« Yoohooo ! Je suis là ! » Mikihiko avait crié juste après le départ de Shiran. « Je viens de croiser la lieutenante Shiran tout à l’heure. On dirait que quelque chose d’urgent s’est produit, non ? »

« Elle a dit que des monstres sont apparus et qu’elle a dû partir. Cela arrive-t-il souvent ? »

« Ooh, ça. Oui. Ça arrive tout le temps. C’est à peu près garanti une fois tous les trois jours environ. Dans la plupart des cas, elle est la première à le remarquer, donc il n’y a pas vraiment d’intérêt à avoir des sentinelles de l’armée autour. Elle est comme un radar à haute efficacité. »

« C’est logique. »

En vérité, vu le fait qu’elle n’avait pas pu détecter Ayame et Asarina dans leur cachette, je savais que l’esprit de Shiran lui disait seulement quand les ennemis étaient proches. C’était un peu différent d’un radar. Quoi qu’il en soit, c’était un splendide moyen de détection. D’après ce que Mikihiko avait dit, cette capacité était très appréciée dans la forteresse.

« Je pense que les chevaliers de l’Alliance vont probablement être déployés pour exterminer les monstres qui approchent, » dit Kei en relâchant son corps léger et en levant les yeux vers nous.

« La défense de la forteresse n’est-elle pas le travail de l’armée ? »

La garnison du Fort de Tilia était composée de l’armée impériale du Sud, de la deuxième compagnie des chevaliers impériaux et de la troisième compagnie des chevaliers de l’Alliance, cette dernière étant envoyée par l’un des États vassaux de l’Empire. L’armée gérait les défenses de la forteresse tandis que les chevaliers répriment les monstres dans les bois. J’avais entendu dire que c’était ainsi que leurs tâches étaient séparées.

« Bien sûr, l’armée va prendre des positions défensives, mais ces gens sont plutôt des tortues, » avait répondu Kei.

« Donc ils ne vont pas dans la forêt. »

« Exactement. Les rares fois où des monstres se faufilent et parviennent jusqu’à la forteresse, ils se plaignent auprès des chevaliers, alors que la défense de la forteresse est leur travail ! N’est-ce pas cruel !? »

« Eh bien, tu pourrais leur dire que s’ils veulent se plaindre, ils n’ont qu’à aller le faire eux-mêmes, » dit Mikihiko avec un sourire crispé. « Mais si tu le fais, ils vont probablement commencer à se plaindre que la forêt est sous la juridiction des chevaliers. »

« … Ça a l’air d’être une vraie douleur, » avais-je dit.

« C’est comme ça que les organisations fonctionnent. » Mikihiko avait haussé les épaules et avait fait claquer ses doigts. « Oh, oui. Hé Takahiro, puisque c’est foutu pour le moment, pourquoi ne pas aller jeter un coup d’œil ? »

« Jeter un coup d'oeil à… ? Veux-tu dire les chevaliers qui repoussent les monstres ? »

« Oui. Tu es aussi intéressé, hein ? »

« … Je suppose que oui. »

C’était en fait une proposition assez attrayante. Voir des chevaliers expérimentés qui avaient suivi un entraînement approprié prendre part à une bataille serait une bonne référence.

« Mais est-ce si facile d’aller jeter un coup d’œil ? »

« Ça ira tant que tu ne dis pas un truc stupide comme si tu voulais descendre avec eux pour être tout près. En fait, je pense que si tu insistes, ils te laisseront faire ça aussi… Mais tu ne veux pas embêter la petite Kei en l’entraînant dans une bataille et en la faisant pleurer, n’est-ce pas ? »

« Je ne pleurerai pas ! »

« Es-tu d’accord pour regarder ? » Mikihiko ne voulait pas vraiment la faire pleurer lui-même, alors il avait demandé pour être sûr. Après que Kei lui ait fait un rapide signe de tête, il avait fait avancer les choses. « Alors allons à la tour d’observation sud. Nous pouvons voir environ la moitié des environs de la forteresse de là. »

Sur ce, nous avions accepté la proposition de Mikihiko et nous étions partis. Il y avait plus d’agitation que d’habitude dans la forteresse. Ils se préparaient à faire face aux monstres. Nous avions parlé à quelques soldats et avions réussi à obtenir une permission avant d’arriver à un escalier en spirale qui menait au sommet d’une tour.

« Oh oui, Takahiro, » dit Mikihiko à mi-chemin de l’escalier, en se retournant d’un ton joyeux. « J’ai entendu dire que tu as fait de la petite Kei ici présente ta maîtresse. Est-ce vrai ? »

« M-Maîtresse — !? »

Ce n’est pas moi qui avais réagi à ça. C’était Kei. Elle avait trébuché sur les marches et avait failli tomber. De mon côté, je m’étais contenté de froncer un peu les sourcils. Malheureusement, je connaissais ce type depuis longtemps déjà, alors j’étais habitué à ce que Mikihiko dise des conneries maintenant.

« Tu as aussi posé tes mains sur Shiran, à ce qu’on m’a dit. »

« Qui dit de telles choses, monsieur ? »

« Je suppose que presque tous les étudiants le savent… Eh bien, c’est moi qui l’ai fait savoir. »

« M-Mikihiko !? »

 

 

Kei avait commencé à se plaindre gentiment sur les épaules de Mikihiko. Elle avait complètement oublié qu’il était un sauveur. Shiran la critiquerait certainement si elle était là, mais Mikihiko avait ri comme s’il s’amusait. Son visage était celui d’un criminel prenant plaisir à ses propres crimes. Cependant, il n’était pas seulement irréfléchi. Répandre de telles rumeurs rendait en fait la situation plus sûre pour elles deux. Maintenant, je comprenais. Le comportement étrange du groupe de Miyoshi pendant le petit déjeuner était dû à cela.

J’avais une ou deux plaintes à faire, mais il avait supposé que je serais d’accord. L’équipe d’exploration ferait probablement des histoires une fois qu’elle l’aurait découvert, mais Mikihiko essayait juste de les protéger à sa façon.

Nous avions atteint le sommet de la tour alors que nous continuions à discuter. Il y avait plusieurs soldats dans la pièce qui surveillaient l’extérieur par de grandes fenêtres ouvertes.

« Oh, Mikihiko ? Qu’est-ce qui vous amène ici, monsieur ? »

« Nous sommes juste venus jeter un coup d’œil. Ils sont avec moi, » dit Mikihiko, qui semblait connaître le soldat. « J’ai entendu dire que des monstres étaient apparus. Où sont-ils ? »

« On ne les voit pas encore. Les chevaliers sont sur le point de sortir. »

« D’accord. Alors, à l’avant. »

Mikihiko s’était approché d’une des fenêtres. D’en haut, le Fort de Tilia ressemblait à un grand polygone. Cette tour était placée là où deux des murs se rejoignaient. En regardant par les fenêtres installées sur le mur circulaire, on pouvait voir la lumière scintillante de la porte en fer de la forteresse. Le vent soufflait par la fenêtre, transportant l’odeur de la forêt.

« … Hm ? » murmura Lily en reniflant l’air et en fronçant les sourcils.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je demandé.

« Oh, rien. Peut-être que je suis juste en train d’imaginer des choses. Tout à l’heure, j’ai eu l’impression que… »

« Oh ! Ils sont là ! » cria Mikihiko, coupant la parole à Lily.

En regardant de plus près, les portes de fer s’ouvraient. Une vingtaine de chevaliers en armure étaient sortis de la forteresse. Ils semblaient faire partie des chevaliers de l’Alliance, mais je ne pouvais pas voir le casque blanc de Shiran dans la foule. Une rangée de soldats armés d’arcs se tenait sur les remparts au-dessus de la porte.

Le pont-levis avait été abaissé au-dessus des douves entourant la forteresse et les chevaliers l’avaient traversé. Quand le dernier chevalier avait fini de traverser, ils s’étaient tous arrêtés brusquement. Je me demandais si quelque chose s’était passé quand Lily avait tiré sur mes vêtements.

« C’est mauvais. »

« Quoi… ? »

Au moment où j’allais demander ce qui se passait, j’avais tenu ma langue. Je pouvais aussi entendre le bruit maintenant. La terre grondait au loin, et le son se rapprochait progressivement. La forêt tremblait. Quelque chose arrivait. Au moment où cette pensée m’avait traversé l’esprit, un raz-de-marée de vert s’était déversé des arbres.

« Quoi — !? »

C’était une armée de bestioles de trois mètres de haut, les chenilles-taureaux. Et pas seulement dix ou vingt individus, il y en avait facilement plus d’une centaine qui sortait de la forêt. Elles avaient empiété sur les terres dégagées entourant la forteresse comme une vague déferlante, soulevant de vastes nuages de poussière derrière elles.

« C’est quoi ce bordel ? »

« Vous plaisantez, n’est-ce pas ? Est-ce que je fais un mauvais rêve… ? »

« Pourquoi y a-t-il tant de… ? H-Hey, c’est mauvais ! Il faut qu’ils relèvent rapidement le pont-levis ! »

Les soldats dans la tour étaient en émoi. Leur réaction m’avait dit que c’était une situation anormale. La panique avait retardé la réaction de chacun. Le pont-levis avait finalement commencé à se lever alors que des flèches couplées à du feu magique se déversaient des remparts. Le chemin devant les chenilles-taureaux se transforma en un champ de mort regorgeant de fer et de flammes.

Cependant, ce ne serait qu’un champ de mort pour les humains faibles. La vague déferlante de monstres ne pouvait pas être arrêtée par des moyens aussi superficiels. Les flèches avaient plongé dans la viande. Les carapaces brûlaient. Mais ce n’était pas suffisant pour ralentir ces chenilles-taureaux tenaces, encore moins pour les tuer.

Les défenses de la forteresse avaient été construites en supposant que leur nombre écrasant s’attaquerait à quelques monstres à la fois. Avec leurs attaques réparties si finement sur la marée verte, il était clair que les défenses seraient moins efficaces.

L’avant-garde des chenilles-taureaux avait enfin atteint le pont-levis. Les chevaliers se tenaient devant eux, ne pouvant plus retourner à la sécurité relative de la forteresse en traversant les douves. Même s’ils pouvaient revenir, ils avaient choisi de défendre cet endroit jusqu’à la mort.

Les douves qui entouraient la forteresse étaient profondes, mais elles ne suffisent pas à arrêter l’invasion des monstres. Ce n’était rien d’autre qu’un moyen de les ralentir. Pourtant, n’importe qui pouvait dire que de telles tactiques de ralentissement étaient essentielles dans un siège. Les ennemis qui rampaient dans les douves étaient des cibles faciles, ce qui donnait l’avantage aux défenseurs.

Si le pont-levis était pris, cependant, la tactique perdrait de son efficacité. C’est pourquoi ils ne pouvaient pas se permettre de céder leur position. La décision du chef n’était pas mauvaise.

Je pouvais entendre son ordre tranchant depuis la tour. « Troisième compagnie ! Chargez ! »

Même vêtus d’une armure solide, les vingt chevaliers semblaient minuscules lorsqu’ils avaient foncé sur les insectes. Et en quelques secondes, ils avaient été avalés par la marée verte.

« Nooon ! »

Kei avait crié et s’était couvert la bouche. Les chevaliers n’étaient plus visibles dans la masse de corps verts et de poussière. Leur noble sacrifice n’avait permis de gagner que quelques secondes. Mais ces quelques secondes n’avaient pas de prix. C’était assez de temps pour lever le pont-levis, après tout.

Eh bien, c’était censé l’être, du moins. Alors pourquoi le pont-levis s’était arrêté à mi-hauteur ? Les chenilles-taureaux bondirent dans les airs vers le pont-levis à moitié levé. Plusieurs d’entre eux étaient tombés dans les douves, mais beaucoup avaient réussi à s’en sortir.

« Hé ! Pas possible ! Allez ! Tu te fous de moi, hein !? Arrête ça ! Hé ! Arrête ! » Mikihiko avait crié d’un ton raide.

Nous avions regardé de plus en plus d’insectes s’accrocher au pont, le faisant lentement vaciller… quand soudain, il ne pouvait plus supporter le poids et s’effondra. Le chemin était ouvert. Il n’y avait plus personne pour les bloquer. La grande armée de chenilles avait traversé le pont en direction de la porte en fer. Et sans ralentir, elles s’y étaient écrasées. La forteresse avait tremblé dans un grondement de tonnerre.

« Wow ! »

Des fluides corporels verts se répandirent dans l’air. L’un après l’autre, comme des lemmings se jetant d’une falaise, ou comme des papillons de nuit vers une flamme, ils n’avaient pas hésité à frapper leurs corps contre la porte en fer.

Au fur et à mesure, leurs têtes s’étaient effondrées et s’étaient dispersées dans l’air. Elles étaient en train de mourir. C’était comme si c’était une compétition. Leur comportement nauséabond me rappelait en quelque sorte les goules. Je ne pouvais pas sentir le moindre attachement à la vie que tout être vivant devrait posséder.

Elles s’acharnaient sur la forteresse, leurs attaques furieuses suffisaient à pulvériser leurs propres corps. La première vague avait causé un craquement. La deuxième, un tremblement. La troisième, la quatrième et la cinquième avaient ouvert une brèche dans les portes. Les portes de fer avaient tremblé et s’étaient ouvertes. La marée verte avait déferlé d’un seul coup par la porte ouverte.

« Les monstres… ont traversé… ? »

La voix abasourdie de quelqu’un avait frappé mon lobe d’oreille. J’étais probablement dans la stupeur depuis moins longtemps que la plupart des personnes présentes dans la pièce. C’est pourquoi j’avais pu remarquer que Lily, qui était juste à côté de moi, s’était soudainement raidie.

« Oh non ! Ils viennent par ici ! »

J’avais levé mon regard de la grille et j’avais repéré une volée de balles volantes : des insectes de soixante-dix centimètres de large, des scarabées poignards. L’instant d’après, le dernier étage de la tour d’observation où nous nous trouvions s’était effondré.

***

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