Chapitre 5 : De sombres présages
Table des matières
***
Chapitre 5 : De sombres présages
Partie 1
« Graaawr ! »
Un loup gris, un croc de feu, courait à travers la forêt dense en hurlant sauvagement. Il s’était frayé un chemin à travers les arbres envahis par la végétation, piétina les buissons et il fit le tour derrière nous à une vitesse que je ne pouvais pas suivre. Mais cela ne suffisait pas pour dépasser la mobilité de l’araignée blanche qui m’accompagnait.
« Grrrr… !? »
Le croc de feu avait grondé alors qu’il était en état de choc. Une ombre blanche, qui était à mes côtés il y a un instant, lui bloquait maintenant le chemin.
« Tu ne passeras pas, » dit l’araignée blanche en souriant au loup. « Hmph. »
« Gya !? »
L’araignée blanche, Gerbera, donna un coup de poing sur le museau à main nue. Elle avait simplement avancé son poing, mais il était plus que suffisamment puissant pour être mortel. Les crocs écrasés s’envolèrent en l’air tandis que le loup de deux mètres de haut fut envoyé dans la direction opposée. L’impact semblait suffisant pour briser la nuque du loup, mais comme on peut s’y attendre de la part d’un monstre, le croc de feu s’était relevé avec le nez en sang.
« Grrr… ! Grawr ! »
Il grogna pour nous retenir, mais il décida ensuite qu’il était désavantagé et il se mit à fuir.
Bien sûr, nous n’allions pas le laisser s’échapper.
« Mon Seigneur ! »
Gerbera était rapidement revenue à mes côtés et avait pris le grand bouclier de mes mains, l’avait rangé, puis m’avait pris dans ses bras fins. Elle avait été complètement fluide. Chaque action qu’elle entreprenait au combat était astucieuse, et avec aucun mouvement inutile. C’était captivant. Elle brillait vraiment sur le champ de bataille comme l’enfant béni du dieu de la guerre. Si on la poussait à le dire, son comportement regrettable habituel semblait être un mensonge. Mais c’était adorable en soi.
« Fais attention à ne pas te mordre la langue, » déclara-t-elle.
« Cela aurait été bien que tu me le dises lors de notre première rencontre. »
« … N’avais-tu pas promis de ne pas en parler ? »
Gerbera avait l’air mécontente de ma mauvaise blague, mais je voulais être pardonné pour au moins cela. Elle me portait après tout comme une princesse. C’était tellement pathétique. J’avais envie de pleurer, mais à cause de mon manque de vitesse de déplacement, je n’avais pas d’autre choix que d’accepter mon sort. Je lui avais dit qu’elle pouvait aussi bien me porter sur son épaule comme un sac, mais elle avait rejeté ma proposition parce qu’il était trop dangereux de courir comme ça dans la forêt.
« Nous y voilà, » dit-elle en se mettant à courir comme une flèche libérée.
« Uooh !? »
Nous avions rapidement accéléré alors que les arbres de la forêt passaient derrière nous à une vitesse incroyable. Ce n’était pas si différent d’une voiture dans le Japon moderne, mais je ne pouvais pas oublier que nous étions dans une forêt très dense. Si j’étais capable d’atteindre cette vitesse par moi-même, je me serais absolument écrasé contre un arbre en quelques pas seulement. Ses réflexes étaient incroyables. De plus, Gerbera faisait attention à me secouer le minimum possible. Si j’étais passé par-dessus son épaule, elle n’aurait pas pu me tenir aussi fermement.
Mes yeux s’habituaient peu à peu à la vitesse. Je pouvais voir le croc de feu que nous poursuivions. Il courait aussi à travers la forêt à un rythme terrifiant. Mais Gerbera était capable d’aller beaucoup plus vite. C’est précisément pour cela qu’elle pouvait maintenir une distance fixe derrière lui. Si c’était nous qui étions poursuivis, le croc de feu ne pourrait certainement pas faire de même.
Le loup remarqua qu’il ne pouvait pas s’échapper et il s’arrêta. Il s’était tourné vers nous alors que nous nous arrêtions également, puis il prit une profonde respiration.
« Awooooo ! »
Je ne pouvais pas dire s’il s’endurcissait pour la bataille ou s’il criait de désespoir. Mais quelques secondes plus tard, j’avais entendu d’autres loups hurler en réponse. Les loups forment généralement des meutes. Les crocs de feu près de la colonie étaient simplement des « errants » qui avaient échappé aux chasses de l’équipe d’exploration. Celui que nous avions rencontré aujourd’hui s’était avéré être seul, mais nous pensions qu’il appellerait à l’aide lorsqu’il serait acculé. En d’autres termes…
« … On dirait que la mission est un succès, » murmurai-je.
« Hm. » Gerbera avait fait un signe de tête. « On dirait qu’ils sont cinq ou six. »
Des loups étaient venus en bondant à notre gauche et à notre droite au moment où elle avait fini de parler.
« Graaawr ! »
L’attaque la plus forte du croc, les flammes qu’il pouvait tirer de sa bouche baignaient la forêt dans le rouge. Au moment où ils nous avaient complètement encerclés, Gerbera avait bondi et s’était réfugiée au sommet d’un arbre.
« Argh… ! »
Le bruissement des branches qui me frôlaient me faisait mal, mais j’avais serré les dents et j’avais enduré la douleur. Gerbera avait immédiatement sauté sur un autre arbre, et un instant plus tard, de multiples flammes avaient claqué à l’endroit qu’elle occupait et elles avaient éclairé l’arbre comme une torche.
« Malheureusement, aucun d’entre eux ne semble être un allié, » Gerbera avait commenté.
J’avais regardé en bas et j’avais vu six crocs de feu grondants sous nous. Je ne pouvais pas les sentir à travers mon cheminement mental.
« On dirait bien. »
« Très bien. Alors il n’y a pas lieu d’hésiter. »
Gerbera avait souri avec audace alors qu’elle lâcha des fils de sa main. La moitié des crocs de feu esquivèrent, mais le reste fut pris dans sa toile. Elle attrapa facilement trois loups, puis elle les envoya vers le sol, la tête la première.
« Devons-nous en finir ? »
Il ne lui avait pas fallu longtemps pour exterminer les crocs de feu.
◆◆◆
Il n’était pas question de ramener six crocs de feu en entiers, alors nous avions dû nous occuper d’eux ici. Nous les avions découpées afin de séparer leurs parties comestibles et non comestibles et nous avions essayé de les écorcher nous-mêmes. Nous n’avions pas fait un très bon travail. Ce type de travail avait toujours été laissé à Rose, alors nous avions pris pleinement conscience de sa valeur maintenant qu’elle n’était plus avec nous.
Après avoir quitté le site, j’avais de nouveau eu une conversation avec Gerbera.
« … Alors, maintenant. Nous avons changé notre zone de recherche, et jusqu’à présent, ça se présente plutôt bien. »
« En effet. Mais il nous faut encore trouver un autre serviteur. »
« Nous ne pouvons pas faire grand-chose à ce sujet. Nous avons au moins réussi à obtenir autant de rencontres que nos trois derniers jours en une demi-journée seulement. »
Nous étions venus au lac que Gerbera avait mentionné. Il y avait beaucoup plus de monstres ici. Aujourd’hui encore, nous avions trouvé trois monstres différents, le dernier étant le croc de feu que nous venions de combattre. Il était beaucoup plus efficace de chercher des meutes de monstres pour pouvoir en rencontrer le plus possible. Avec les capacités de Gerbera, il n’y avait pas de problème pour les vaincre. Il aurait été plus rapide de se heurter à une meute, mais selon les circonstances, nous trouverions des monstres agissant indépendamment comme nous venions de le faire. C’est là que j’avais imaginé un certain plan.
Les monstres n’avaient pas de volonté propre claire, mais ils possédaient au moins une intelligence qui correspondait à celle des animaux sauvages sur Terre. Ainsi, si nous attendions simplement qu’ils appellent leurs alliés, nous pourrions mener notre exploration d’autant plus efficacement. Et c’est exactement ce que nous avions fait avec les crocs de feu tout à l’heure. Le plan avait parfaitement fonctionné, si bien qu’en quelques heures seulement, nous avons réussi à trouver huit monstres.
« Il va bientôt faire nuit. Nous devrions rentrer et décider de ce qu’il faut faire demain. »
La situation n’était pas mauvaise, mais il ne nous restait pas beaucoup de temps. Il était temps pour Lily de se remettre complètement. Rose avait également presque fini de reconstituer notre armement. Il fallait se réjouir de ces deux faits, mais nous allions perdre notre chance pour Gerbera de réaliser quelque chose de grand.
Nous devons nous dépêcher…
Nous étions donc retournés au nid de l’arachnide afin de réprimer la panique qui régnait en moi.
◆◆◆
De retour au nid, Lily m’avait accueilli avec un énorme sourire.
« Bienvenue, Maître ! »
Elle s’était accrochée à mon bras et m’avait regardé. Il n’y avait pas un seul signe d’épuisement sur son visage. Au contraire, elle était d’une humeur étrange.
« Je suis de retour… Peux-tu te permettre de ne pas dormir ? » demandai-je.
« Je m’en sors bien maintenant. Mais je viens de me réveiller il y a peu de temps. Gerbera, bon retour. »
« M-Mm. Je suis de retour… »
Maintenant que j’y pense, cela faisait plusieurs jours que Lily ne s’était pas accrochée à moi comme ça. Je me promenais dans la forêt, et chaque fois que je revenais, je prenais rapidement un repas et je m’endormais. De plus, Lily passait une grande partie de la journée à se reposer, alors nous n’avions jamais vraiment pu parler.
Il était possible que son bonheur soit proportionnel aux besoins qu’elle accumulait au fil du temps. J’étais également heureux de sentir sa chaleur et de la voir en si bonne santé. Mais même si j’étais heureux, c’était un peu gênant. Il était clair comme le jour qu’elle allait demander à nous accompagner dans notre exploration de la forêt maintenant qu’elle était en bonne santé.
Il était plus pratique de fouiller la forêt seule avec Gerbera pour améliorer sa relation avec Rose. Alors, qu’est-ce que je devais faire ?
Je m’étais plongé dans de telles pensées avec le dîner rempli d’amour de Lily devant moi. Le repas d’aujourd’hui était du croc de feu, auquel j’étais habitué maintenant… Et comme toujours, c’était assez mauvais. Et dur. L’amour de Lily n’avait pas réussi à surmonter la mauvaise qualité des ingrédients.
« Je viendrai à partir de demain, » avait-elle déclaré.
« Tu viens à peine de guérir. Pourquoi ne pas te reposer un peu plus longtemps ? » demandai-je.
« Je suis tout à fait bien. J’ai une tonne d’énergie. »
« J’ai pris soin de me reposer un jour de plus après ma guérison, n’est-ce pas ? »
J’avais fait semblant de ne pas remarquer l’expression d’insatisfaction de Lily et j’avais continué à manger mon repas. C’était une piètre tentative pour gagner du temps. Il est clair que nous avions peu d’espoir d’accomplir quoi que ce soit en une seule journée. Mais il valait mieux avoir au moins la possibilité de le faire.
« Oh oui, il y a quelque chose dont je dois vous parler. »
J’avais coupé les objections de Lily en changeant de sujet avec force. De plus, je ne mentais pas sur le fait d’avoir quelque chose à leur dire. Après avoir parlé avec Gerbera de la région, j’avais réussi à comprendre certaines choses.
« On dirait qu’il y a un espoir de sortir de cette forêt. Grâce à Gerbera, bien sûr. »
« Gerbera ? » demanda Lily, surprise. Elle jeta un coup d’œil à Gerbera, qui hocha la tête d’une expression raide.
Il restait encore quelques réserves entre ces deux filles. Lily se comportait parfaitement naturellement, mais il semblait que Gerbera se sentait encore profondément redevable envers elle. C’est Lily qui avait subi de loin le plus de dommages lors de cette soirée fatidique, car elle avait dû se reposer jusqu’à présent pour se remettre. Inévitablement, Gerbera se sentirait désolée de cette situation. La voir ainsi m’avait donné envie de faire quelque chose rapidement, mais je ne pouvais rien faire.
***
Partie 2
« Gerbera a dit qu’elle avait déjà fait tout ce chemin jusqu’à la lisière de la forêt, non ? »
« M-Mm. C’est vrai. » J’avais forcé la conversation, et Gerbera avait finalement commencé à expliquer. « Peut-être devrions-nous commencer par le début. C’est arrivé il y a bien longtemps. Vous l’ignorez probablement tous les deux, mais il y a eu trois occasions au cours de ma longue vie où des humains semblables à notre seigneur sont entrés en grand nombre dans cette forêt. Ce sont les seules fois où j’ai vu des humains avant maintenant. »
« Hmm. » Lily avait haussé la voix en signe d’admiration. « Donc, il y a d’autres humains dans ce monde que ceux qui ont été téléportés ici comme notre maître, hein ? »
« C’est ce que je pensais aussi, » avais-je dit.
Nous avions été téléportés au milieu d’une forêt dense, nous n’avions donc pas pu confirmer la présence d’autres humains dans ce monde. On ne savait pas s’ils existaient ou non.
« Cela dit, j’ai en quelque sorte deviné leur existence à partir de cette cabane. »
« Hmm. Oh oui, ce truc. »
Je faisais référence à la cabane dans laquelle nous avions trouvé Katou, qui était maintenant réduite à un tas de décombres. Lorsque nous l’avions trouvée, j’avais largement supposé qu’il y avait d’autres humains dans ce monde bien que cela aurait pu être une planète dominée par des singes ou des limaces marchant à la verticale ou quelque chose comme ça. Il y avait des monstres ici, donc je ne pouvais pas rire de ces possibilités. En ce sens, le récit de Gerbera sur la présence d’humains était très précieux.
« Naturellement, avec autant d’humains dans la forêt, ils étaient sûrs de laisser des traces en se déplaçant. Il était impossible que nous, les monstres, ne le remarquions pas. C’était comme une vague déferlante. À l’époque, je n’étais qu’un des participants à la vague. Et alors que nous chassions les humains, nous nous sommes retrouvés à la lisière de la forêt avant même de nous en rendre compte. »
« Je crois que les humains que Gerbera a trouvés étaient une force militaire humaine, » avais-je ajouté. « Ils étaient apparemment un groupe armé portant un équipement similaire. Cela dit, tout était déjà devenu chaotique au moment où elle est arrivée, donc ils n’agissaient pas vraiment comme une armée à ce moment-là. »
Chacun d’eux portait apparemment une armure, un casque, une épée et un bouclier. D’après ce que j’avais entendu, il s’agissait vraisemblablement de soldats d’un pays inconnu de ce monde. D’après ce que Gerbera savait, ils ne semblaient pas être armés d’arme à feu. S’ils étaient largement armés d’épées plutôt que de lances, c’est peut-être parce qu’ils devaient se battre dans une forêt, où il y avait de nombreux obstacles.
« Ainsi, selon l’expérience antérieure de Gerbera, la distance la plus courte pour sortir de la forêt serait directement au nord. Enfin, ce que nous considérons comme le nord, du moins. »
« Permettez-moi d’ajouter que c’était il y a longtemps. Il est possible que la limite de la forêt ait changé, » déclara Gerbera.
Lily avait tapé dans ses mains et avait souri à Gerbera. « C’est quand même mieux que de ne rien savoir ! » Elle n’avait plus de mauvais sentiments envers elle. Au contraire, son sourire semblait vouloir montrer à Gerbera qu’elle était prête à la rencontrer à mi-chemin sur le sujet. Son attitude avait contribué à apaiser mes inquiétudes, surtout dans la situation actuelle où j’étais submergé de problèmes.
« Hein ? » marmonna Lily en réalisant soudainement quelque chose. « … Le premier corps expéditionnaire n’est-il pas allé à l’est ? »
« Oui. Il semble que leurs hauts gradés n’ont pas de chance. »
Non pas que nous avons nous-mêmes eu de la chance, ayant suivi derrière eux. Il était tout à fait possible qu’ils aient changé de cap après s’en être rendu compte. Dans ce cas, l’ami d’enfance de Miho Mizushima, Takaya Jun, se lancerait cependant dans une course-poursuite sans fin.
« S’ils vont assez loin à l’est, ils finiront par sortir de la forêt. » Ce n’était pas comme si la forêt pouvait continuer éternellement. Il y avait en fait une frontière au nord.
« Alors, allons-nous nous diriger vers le nord maintenant ? » demanda Lily.
« … À ce sujet. Honnêtement, je suis un peu en conflit. »
En allant vers l’est, nous allions probablement rencontrer le premier corps expéditionnaire. C’était le meilleur choix pour trouver quelqu’un qui s’occuperait de Katou. Cependant, aller dans cette direction signifierait passer plus de temps dans la forêt.
Tôt ou tard, il fallait bien que nous sortions d’ici. L’environnement était bien horrible pour y vivre pendant une longue période. Maintenant que nous avions Gerbera avec nous, notre sécurité s’était considérablement améliorée, mais le problème de notre alimentation ne pouvait pas être résolu par sa force brute.
Il était préférable de se diriger vers le nord et de recueillir ce dont nous avions besoin dans un village humain. Nous pouvions certainement traverser la forêt avec nos forces actuelles, et il était très probable que nous trouvions une colonie de cette façon. Une force armée signifiait qu’une nation était située dans cette direction. Peu importe la forme qu’elle prenait, une société désordonnée n’aurait pas pu former une armée.
Cependant, nous ne pourrions pas rencontrer le corps expéditionnaire de cette façon. Ainsi, le problème de trouver quelqu’un pour garantir la sécurité de Katou se serait accentué. C’était une décision difficile.
« Eh bien, je suppose que nous n’avons pas vraiment à décider tout de suite. » C’était ma conclusion. Il était dit que précipiter les choses conduisait à des gaffes. Il valait mieux que nous réfléchissions bien avant d’agir.
« … Maintenant que j’y pense…, » Katou, qui avait écouté en silence tout ce temps, s’était soudainement jointe à la conversation.
« — ! » J’étais en train de saisir une broche de viande de crocs de feu et je m’étais arrêté involontairement en entendant sa voix. « … Qu’y a-t-il, Katou ? »
Je m’étais forcé à bouger, j’avais attrapé la broche et j’en avais pris une bouchée. Lily, qui était nichée juste à côté de moi, était apparemment la seule à avoir remarqué quelque chose d’étrange dans mon comportement. Elle me regardait avec une expression un peu curieuse.
« Ce n’est rien de grave. J’étais juste un peu curieuse. Gerbera a dit qu’elle n’avait vu d’autres humains que nous que les trois fois où ces armées sont entrées dans la forêt, non ? »
« C’est comme ça que je l’ai entendu… C’est vrai ? » J’avais dit cela en me tournant vers Gerbera.
« M-Mm, » répondit-elle en hochant la tête comme un petit enfant.
« Vous n’avez jamais rencontré d’autres humains que nous en uniforme scolaire… ? Je veux dire, des vêtements comme les nôtres ? » Katou le lui avait demandé.
« Vous voulez dire ceux qui ont été envoyés ici avec vous ? Non, je ne les ai jamais rencontrés. »
« Dans ce cas… Senpai ? »
Katou avait déplacé son attention vers moi, et j’avais levé le regard de ma nourriture. J’avais alors réussi à maîtriser mon agitation. Mais même ainsi, au moment où j’avais rencontré ses yeux, mon cœur avait eu une réaction étrange.
« Nous avons trouvé un tas de cadavres mutilés, vous vous souvenez ? Ceux que nous pensions avoir été tués par un grand monstre. Donc, si Gerbera n’a jamais rencontré aucun des étudiants, cela signifie qu’elle n’est pas celle qui les a tués. »
« … Maintenant que tu le dis, oui. »
Nous avions déjà trouvé cinq cadavres mutilés, dont celui d’un tricheur. C’était un guerrier qui ne possédait aucune sorte de capacité particulière, seuls sa force physique et son mana étaient améliorés. Les guerriers étaient toujours censés être assez monstrueux pour ne pas être tués par autre chose qu’un monstre de haut rang. Et même alors, ce serait difficile pour le monstre. En premier lieu, la raison pour laquelle nous avions quitté la grotte était que nous craignions de tomber sur ce haut monstre dans la région.
Après cela, nous avions été attaqués par Gerbera. J’avais vraiment supposé qu’elle avait tué ces étudiants… Ou plutôt, il se passait tellement de choses que je les avais complètement oubliés. Mais maintenant que Katou en avait parlé, Gerbera ne pouvait pas être la coupable. D’ailleurs, en y repensant, plusieurs autres faits étaient ressortis. Tous les cadavres semblaient avoir été déchiquetés par des dents. Gerbera n’était pas ce genre de bête carnivore.
« Des cadavres mutilés ? De quoi s’agit-il ? » demanda Gerbera.
Comme nous le pensions, elle ne savait rien d’eux. Cela voulait-il dire qu’il y avait un autre grand monstre dans les environs qui faisait figure d’exception parmi les monstres ? Les choses n’avaient aucun sens si ce n’était pas le cas, mais cela semblait quand même étrange.
Les monstres ne s’entendaient fondamentalement pas entre eux. Ils étaient même ouvertement hostiles les uns envers les autres selon les circonstances. Ce n’était pas comme dans un RPG où les monstres s’alignaient joyeusement côte à côte avec différentes espèces dans un front uni.
En fait, les monstres ne s’étaient même pas approchés du nid de l’arachnide dans lequel nous étions actuellement. C’était sans doute parce que les monstres qui étaient susceptibles de le faire avaient tous été exterminés au fil des ans. Il nous avait fallu cinq jours pour marcher depuis les cadavres mutilés jusqu’à ce nid. Un monstre aurait pu parcourir cette distance en beaucoup moins de temps.
Un monstre devait accumuler du mana pendant de très nombreuses années pour devenir un monstre de haut rang. Par exemple, Gerbera avait déjà vécu de nombreuses vies humaines. S’il y avait un autre haut monstre dans une région aussi confinée, cela voudrait dire que les deux individus avaient coexisté pendant des siècles. Était-ce même possible ? Je n’avais pas d’autre choix que de le penser, il n’y avait aucune preuve du contraire.
« En tout cas, il faudra le garder à l’esprit, » avais-je conclu.
« C’est vrai, » répondit Katou.
Elle avait vraiment du talent. Elle m’avait fait remarquer quelque chose que je n’avais même pas réalisé. La qualifier de vive et capable… me semblait un peu déplacé, d’une certaine manière. Katou avait simplement le don de lire le flux. Même si je n’étais pas doué pour cela, elle avait l’air d’avoir une nature perspicace et intelligente. Comment était-elle capable de cela ? C’était un peu un mystère maintenant que j’y pense. Le simple fait de me demander comment elle avait pu inventer des choses comme ça avait commencé à me rendre suspicieux.
« … »
J’avais alors grincé des dents et j’avais enfoui mes souvenirs amers. J’étais dégoûté de moi-même de penser à la personne qui m’avait sauvé la vie de cette façon. On pourrait dire que je m’améliorais, puisque j’étais au moins conscient de moi-même maintenant, mais ce n’était pas une excuse valable. J’avais la responsabilité de rembourser la faveur de m’avoir sauvé la vie.
Ce n’était pas seulement une question morale. Katou avait couvert des domaines où j’avais une faille, tout comme elle le faisait maintenant. Gerbera avait raison de dire qu’elle méritait d’être consultée. En ce sens, je devais rapidement faire quelque chose pour ma relation avec elle.
Mais même si j’en reconnaissais la nécessité, je ne savais toujours pas quoi faire. Je m’étais donc rapidement couché pour me préparer à la dernière précieuse opportunité qui s’offrait à moi le lendemain avec Gerbera… Ce n’est que plus tard que j’avais réalisé que c’était une erreur.