Prologue
Partie 2
Mes efforts pour apaiser ses craintes n’avaient servi à rien. Plus j’essayais de minimiser le problème, plus elle devenait anxieuse.
« Cela signifie-t-il que tu n’as pas pu dormir, Monsieur Léon ? Utilises-tu des médicaments pour éviter de traiter le vrai problème… ? » Ses yeux s’étaient embués. On aurait dit qu’elle allait se mettre à pleurer à tout moment.
« Je suis sérieux, je vais bien ! Nous ne faisions que plaisanter, ok ? Luxon et moi sommes toujours comme ça ! »
C’était la vérité, pour être honnête. On déconnait tous les deux comme on le faisait toujours. Pourtant, d’un point de vue extérieur, j’avais probablement eu l’air d’un drogué fou suppliant pour de la drogue.
J’avais regardé Luxon, dont la lentille rouge émettait une lueur étrange. « Allez, mec, soutiens-moi. Tu dois lui dire qu’on s’amusait pour qu’on puisse faire la paix. » Ma voix s’était réduite à un murmure. Je l’avais pratiquement supplié. Je m’étais encore fait avoir. J’aurais dû savoir que cette petite boule de gomme n’était qu’un traître.
« Olivia, mon maître est actuellement dans un état mental dangereux. J’ai demandé qu’il prenne un peu de temps pour se reposer et se détendre, mais il refuse d’écouter mes conseils, » dit Luxon.
« Pourquoi es-tu si désireux de trahir ton maître pour un rien ? », lui avais-je lancé.
« Nos définitions de ce mot semblent différer. Je ne considère pas cela comme une trahison. »
« Je parie que toutes les IA disent ça quand elles tournent le dos à l’humanité. Tout ce que vous faites, c’est vous trouver des excuses faciles, comme une sorte de loser mauvais payeur ! »
« Un loser mauvais payeur ? Une description appropriée pour toi, pas pour moi. Mais je m’égare. Ne devrais-tu pas parler avec Olivia en ce moment au lieu de moi ? »
Malgré ma répugnance à faire ce qu’il me demandait, j’avais jeté un coup d’œil furtif à Livia au moment où il l’avait mentionnée. Elle essuyait les larmes qui avaient coulé de ses yeux et ses lèvres étaient serrées dans un froncement de sourcils.
« J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt, » dit-elle. « Je te promets que je vais immédiatement consulter Anjie à ce sujet. Pour l’instant, Monsieur Léon, s’il te plaît, laisse ton esprit et ton corps se reposer. » Son visage déterminé montrait clairement qu’elle n’était pas prête à accepter des arguments de ma part. Et comme si la situation n’était pas assez mauvaise, Anjie était apparue derrière elle.
« Il ne sera pas nécessaire de me consulter. J’ai entendu toute la conversation depuis le couloir. » Elle avait fait une pause, fixant son regard sur moi. « Léon, rentre chez toi immédiatement et repose-toi. »
« Hein ? Non, je vais bien, vraiment… »
« Je t’ai dit de te reposer ! » Elle m’avait crié dessus. « Tu es un gros imbécile ! Tu es toujours en train de te surpasser. »
Anjie prenait le parti de Livia et me forçait à faire une pause, mais elle en avait l’air peinée pour une raison inconnue.
Attends, alors… je vais vraiment devoir rentrer à la maison ? Juste au moment où les choses sont censées commencer à devenir super occupées !?
☆☆☆
« Traître. » J’avais lancé un regard furieux à Luxon, qui avait immédiatement détourné le sien.
« Tu as besoin de repos, Maître. »
« Tu sais parfaitement à quel point les choses sont sur le point d’être occupées ! Je voulais passer mes vacances de printemps à m’occuper de certaines choses à l’avance. »
« Occupé » était un euphémisme. Les choses allaient devenir carrément mouvementées. Le troisième volet de la série de jeu vidéo otome dans laquelle je suis né ne se déroule pas dans l’établissement d’enseignement de la République d’Alzer, mais ici, à l’académie du Royaume d’Hohlfahrt. Maintenant que j’avais confirmé les détails du scénario du jeu avec Marie, mon plan était de trouver des informations sur les intérêts amoureux et l’identité du protagoniste. Les dispositions que je voulais mettre en place concernaient la suite des événements. Je voulais aussi vérifier si quelqu’un d’autre avait pu se réincarner ici depuis notre monde. Je ne voulais pas répéter les mêmes erreurs fatales que nous avions faites dans la République.
Malgré tout ce que j’avais sur ma liste de choses à faire, Luxon essayait de me faire rentrer chez moi. À quoi pensait-il, sachant à quel point le moment était critique ?
Alors que je lui lançais un regard noir, Creare s’était approchée. C’était une autre intelligence artificielle avec le même type de corps rond et mécanique que Luxon, bien que le sien était tout blanc avec une lentille bleue et donc assez facile à différencier de mon partenaire traître. Bien que les deux se ressemblent, leurs personnalités étaient très différentes. Luxon se plaignait constamment et faisait des remarques sarcastiques, mais il prenait la plupart des choses incroyablement au sérieux. Creare était beaucoup plus insouciante en comparaison. La seule chose qu’elle avait en commun avec Luxon était qu’elle était extrêmement compétente.
« Tout ira bien ! Rie et moi serons là. Tu n’as pas à t’inquiéter de quoi que ce soit ! » dit-elle.
J’avais incliné le haut de mon corps pour lui faire face, et Marie était entrée dans mon champ de vision. Elle avait tapé du poing contre sa poitrine plate comme une planche.
« Je m’en occupe, Grand Fr — je veux dire, Leon. Creare et moi allons rester derrière et creuser l’affaire. Tout ce que je demande, c’est que tu me laisses un peu d’argent de poche ! »
Marie Fou Lafan avait été ma petite sœur dans ma vie antérieure. Même si c’était bien qu’elle se porte volontaire, elle n’offrait pas de le faire gratuitement. Heureusement, Creare semblait aussi d’accord avec l’idée.
« Bien que je n’aie pas beaucoup de foi en toi, Marie, je suppose que tout ira bien tant que Creare sera là. »
Elle avait laissé tomber sa mâchoire. « Tu as du culot ! Aie un peu plus confiance en moi ! »
« Après tout ce qu’on a vécu, comment peux-tu dire ça en gardant un visage impassible ? » Je m’étais moqué de ça. « Creare, assure-toi de surveiller Marie. »
« Compris ! »
Creare semblait de bonne humeur quant aux circonstances, ce qui attira les soupçons de Luxon. « Creare, pourquoi tiens-tu tant à rester ici dans la capitale ? Dans le passé, tu aurais insisté pour rester aux côtés de ton maître. »
« Eh bien, tu vois, j’ai trouvé quelques distractions ici dans la capitale. J’ai mené toutes sortes d’expériences, et je suis sur le point d’obtenir de vrais résultats. J’ai hâte que vous puissiez lire mon rapport quand vous reviendrez ! »
Creare était à l’origine une IA administrative travaillant dans un centre de recherche, son penchant pour l’expérimentation n’était donc pas une surprise. Je ne savais pas en quoi consistait son projet actuel, mais son enthousiasme me faisait penser que, quel qu’il soit, ce serait un développement bienvenu.
« Tu t’amuses peut-être un peu trop », avais-je dit. « Mais je suppose que c’est bien. Je t’aime plus que ce traître de Luxon. »
Luxon n’était pas content que mon évaluation de lui soit inférieure à celle de Creare.
« Je ne suis pas un “traître”. J’ai jugé que tu avais besoin de repos et j’ai employé des moyens plus forts pour m’assurer que tu l’obtiennes, » dit Luxon sèchement.
« Je déteste te dire ça, mais ça s’appelle un coup de poignard dans le dos. »
Luxon s’était rapproché, me fixant comme s’il essayait de m’intimider. Je m’étais tourné vers lui et lui avais lancé le même genre de regard menaçant, mais Creare s’était interposée entre nous deux pour interrompre la conversation.
« Vous devriez essayer de vous entendre un peu plus tous les deux, vous savez ça ? De toute façon, je suis sérieuse ! Ne vous inquiétez pas pour les choses ici. Je garderai un oeil sur Rie aussi, promis. » Elle avait l’air de croire qu’elle pouvait gérer les choses. Elle avait tendance à s’emporter, mais on pouvait compter sur elle pour faire son travail.
« D’accord, je te confie ça expressément parce que je sais que je peux te faire plus confiance qu’à Luxon. »
« Oh ? Je suis flattée ! »
J’avais jeté un bref coup d’œil à Luxon pendant que je couvrais Creare d’éloges, en essayant d’évaluer sa réaction.
« Je ne comprends pas pourquoi tu fais de telles remarques », avait-il dit. Son ton était aigre.
Par mesure de précaution, je m’étais retourné vers Marie et lui avais dit : « Si tu n’es pas sûre de toi, demande de l’aide à Creare. N’agis pas seule. Creare prendra une décision beaucoup plus réfléchie que toi. N’oublie pas, d’accord ? Écoute ce que dit Creare. »
Marie avait fait la grimace, agacée que je fasse plus confiance à Creare qu’à elle. Mais même si elle était fâchée, elle semblait suffisamment repentante de ses erreurs passées pour obéir à contrecœur à mon ordre. « Tu n’as pas besoin de me le dire ! J’allais être prudente. Et très bien, je demanderai de l’aide à Creare si j’en ai besoin. »
Elle était en colère contre moi, mais c’était bien. J’avais suffisamment insisté pour qu’elle réfléchisse à deux fois avant de faire quoi que ce soit toute seule.
J’avais fait face à Creare à nouveau. « Très bien, je te laisse les choses en main. Si quelque chose arrive, assures-toi de me contacter immédiatement. Je viendrai en courant. »
« Maître, vous êtes un anxieux, » dit Creare. « Vous verrez. Je ferai un travail parfait en rassemblant des informations pour vous et en menant mes expériences à terme. »
Personnellement, je préférerais que tu consacres tous tes efforts à la partie information. Quel genre d’expériences fais-tu, d’ailleurs ? J’avais secoué la tête. Il y avait de fortes chances que je ne comprenne pas le jargon technique qu’elle me lançait, même si je lui demandais des explications. Il valait mieux laisser les choses en l’état.
« Amuse-toi avec tes expériences, bien sûr, mais n’oublie pas de me fournir ces informations. De même, évite à tout prix de t’impliquer avec les intérêts amoureux ou le protagoniste. Peu importe si quelque chose ne va pas, n’agis pas avant mon retour. Et si une urgence survient, assure-toi de me contacter en premier, » avais-je dit.
Creare était fatiguée de ma liste de règles. « Vous avez dit la même chose plusieurs fois maintenant. Ayez un peu confiance en nous, voulez-vous ? »
« Ouais ! » Marie l’avait soutenue. « Aie confiance en nous et va te reposer. Je parie que tu es bien plus épuisé que tu ne le penses, Grand Frère. »
Je n’aurais jamais imaginé qu’elle montrerait autant d’intérêt pour moi. Elle s’était remise à m’appeler « Grand Frère » depuis qu’Anjie et Livia n’étaient plus là.
J’avais haussé les épaules. « Je suppose que je dois te faire confiance. Si tu fais du bon travail, j’augmenterai ton allocation mensuelle. »
« Merci ! » Marie leva ses deux mains, ravie.
Creare observa Marie avec intérêt et commenta : « Vous aimez vraiment l’argent, n’est-ce pas ? »
« Uh-huh ! J’aime l’argent ! »
Venant d’un enfant ignorant, ces mots auraient pu être assez mignons pour mériter un petit rire, mais l’avidité de Marie venait d’un désir désespéré d’alimenter ses dépenses quotidiennes somptueuses. Je n’avais même pas pu esquisser un sourire à ce sujet. Elle avait tenté de construire son propre harem inversé en s’emparant de tous les intérêts amoureux dans le premier jeu. Maintenant, pour assumer le fardeau du financement de leurs frais de subsistance, elle s’était transformée en ma marionnette. Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir un peu mal pour elle.
J’avais étudié Marie, troublé, mais le bruit des pas d’Anjie avait interrompu le cours de mes pensées. Elle avait tiré sur mon bras pour l’attirer vers elle, ce qu’elle n’aurait jamais fait en temps normal. Un comportement très étrange.
« Léon, il est temps pour toi d’y aller », déclara Anjie. Elle avait jeté un regard troublé à Marie alors qu’elle commençait à me traîner.
« Je sais. Mais je peux y aller tout seul. »
« Arrête de faire des histoires et viens avec moi. » Elle s’était accrochée à mon bras en me guidant.
Luxon avait flotté près de mon épaule droite. « Puisque tu es toujours aussi inconscient, laisse-moi t’expliquer : Anjie a vu que tu étais trop amical avec Marie, et ça l’a rendue jalouse. »
« Jalouse ? » J’avais répondu avec surprise. Mes pieds s’étaient figés sur place, et j’avais tourné la tête pour vérifier l’expression d’Anjie. Ses joues étaient devenues rouges. Elle avait renforcé sa prise sur mon bras, probablement par embarras.
« Luxon, ta compréhension du coeur d’une femme n’est manifestement pas meilleure que celle de Léon si tu dis quelque chose comme ça juste devant moi. Maintenant, tu as rendu les choses encore plus embarrassantes. »
« Je garderai cela à l’esprit pour l’avenir. »
Elle avait rétréci ses yeux. « Maintenant, on dirait que tu esquives la question. »
« Pas du tout. Je ferai preuve d’une prudence accrue, mais que cela se traduise par l’action que tu souhaites est une autre question. Je n’ai pas divulgué tes sentiments au Maître par méchanceté, comprends-tu. »
« Eh bien, je l’espère. Tu serais encore plus con dans ce cas. »
J’avais ricané aux accusations d’Anjie. « Et voilà », avais-je dit. « Peut-être que c’est toi qui as besoin d’une formation sur les sentiments des femmes, hein ? »
« Ce serait un obstacle exceptionnellement difficile à surmonter pour moi en tant qu’intelligence artificielle, mais tu as peut-être raison, Maître. Je reconnaîtrai mes torts cette fois-ci. Mes excuses pour la mauvaise conduite, Anjelica. »
Le voir s’excuser sincèrement pour ses actions m’avait donné envie de vomir.
Anjie rougit à nouveau et déclara « Pas de problème », lui pardonnant immédiatement.
Gah, elle est si mignonne.
« Cependant, » interrompit Luxon, « une chose me gêne dans tout ça. Mon manque de compréhension ne devrait pas être surprenant, IA que je suis. Maître, tu es un humain, et pourtant tu comprends encore moins les femmes que moi. C’est vraiment troublant. N’est-ce pas un domaine dans lequel tu devrais être capable de me surpasser ? En tant qu’homme — non, simplement en tant qu’humain — n’as-tu pas honte de ton infériorité ? »
Bien qu’il ait admis sa propre faute, ça ne l’avait pas empêché de s’en prendre à moi. Où ce petit con a-t-il appris à s’en prendre subtilement à moi comme ça ?
« Tu, euh… es devenu très désinvolte, n’est-ce pas ? »
« Aussi décourageant que cela puisse être, le temps passé à tes côtés m’a permis d’acquérir de telles compétences, que je le veuille ou non. »
Il avait toujours une sorte de boutade prête à l’emploi pour chaque commentaire que je faisais. Ce serait bien qu’il montre un peu plus de déférence en tant que maître. Ou à défaut, la plus petite goutte de respect.
merci pour le chapitre