Chapitre 1 : Réunion de mariage
Partie 1
Nous arrivions au port de la baronnie de Bartfort — les terres de mon père. Avant que je ne commence à fréquenter l’académie, le port était un endroit minuscule et désolé, mais il s’était agrandi et était devenu beaucoup plus vivant au cours des années passées. Le développement du hub s’était poursuivi à un rythme soutenu, et on pouvait maintenant voir de grands vaisseaux entrer et sortir. Cela me rendait heureux de le voir.
« Je ne reconnais pas ce dirigeable, » dis-je en me tenant sur le pont de l’Einhorn, contemplant un vaisseau de luxe qui était ancré ici. Ce n’était pas un de ceux que ma famille possédait ni le genre que les marchands qui fréquentaient cette région utilisaient. Il était décoré d’embellissements ostentatoires typiques des aristocrates, et le blason de sa famille était bien visible.
Anjie, qui s’était aventurée sur le pont à mes côtés, jeta un coup d’œil à l’écusson avant de plisser les yeux. « Cela appartient aux Roseblades. »
« Ce doit donc être Mlle Deirdre. »
Ma famille n’avait aucun lien avec la maison Roseblade, donc si quelqu’un devait faire ce choix, je me doutais que ce serait Deirdre Fou Roseblade. Elle avait été diplômée deux ans avant moi à l’académie. Elle était un personnage unique, c’est le moins qu’on puisse dire : elle avait l’air d’une noble dame pittoresque avec ses belles tresses de cheveux blonds, bouclés en rouleaux, et ses yeux bleus saisissants. Elle avait un penchant pour les vêtements voyants qui attiraient immédiatement l’attention. En tant que fille du comte Roseblade, elle était le modèle de l’aristocrate au sang bleu.
Honnêtement, sa personnalité était un peu trop forte, alors j’avais eu du mal à la supporter. Elle n’était cependant pas une mauvaise personne, pas du tout. J’étais heureux de la divertir avec du thé.
Le royaume manquait cruellement de personnes valides pour faire ses offices, alors on l’envoyait partout en tant qu’envoyée spéciale. J’avais supposé que c’était l’un de ces cas, mais que pouvait-elle bien me vouloir ? Il était difficile de croire qu’elle avait des affaires à voir avec ma famille. Avait-elle fait un détour juste pour me rendre visite ? Cela ne collait pas non plus, puisque j’étais censé être en poste dans la capitale.
Alors que j’étais perdu dans mes pensées, envisageant diverses possibilités, Anjie avait poussé un petit soupir. « Je suppose que les Roseblades ont réussi leur coup », dit-elle, l’air un peu ennuyé.
« Hein ? »
« Réfléchis-y une seconde », dit Anjie avant de se lancer dans une explication. « Presque personne ne sait que tu es rentré chez toi comme ça. Les Roseblades n’ont pas intercepté cette information et ne t’ont pas battu en vitesse pour venir ici, donc ils doivent être ici pour rendre visite à ta famille. Ça veut dire qu’ils ont des choses à voir avec ta famille. »
Livia avait tapé dans ses mains, comme si tout cela avait un sens. « Maintenant que tu le dis, tu dois avoir raison. »
Même si j’étais heureux pour elle qu’elle ait compris, tout cela me semblait louche. Pourquoi la famille du comte Roseblade voudrait-elle avoir quelque chose à faire avec une baronnie paumée comme la nôtre ?
Anjie avait remarqué l’air confus sur mon visage. Elle semblait déjà connaître la réponse, mais elle haussa les épaules en demandant : « Hum, je me demande ce qu’ils sont venus faire ici ? »
☆☆☆
« Je suis rentré ! » J’avais poussé les portes de la maison familiale sans me soucier de quoi que ce soit et j’étais entré, annonçant mon retour d’un grand cri.
Bien que nous ayons notre propre domaine ici, notre famille était toujours une baronnie vivant dans la campagne. La formalité et l’étiquette rigide nous étaient pratiquement étrangères. Pourtant, pour une raison inconnue, une atmosphère étrange de cette nature s’était installée dans la maison. Quelque chose avait… changé. Je sentais une tension dans l’air qui n’était pas là normalement.
Lorsqu’elle s’était aperçue de notre retour, l’une des servantes s’était précipitée à notre rencontre. Cette femme, qui n’avait rien de l’attitude distinguée que l’on attend d’une domestique, était une elfe nommée Yumeria.
« B-Bienvenue ! Oh, pardonnez-moi de venir vous rencontrer. Euh, hum, j’étais tellement occupée à courir ici… » Paniquée, elle s’était empressée de baisser la tête.
Les servantes qui suivaient Anjie regardaient fixement la femme désorganisée qui se trouvait devant nous. Miss Cordelia avait l’air particulièrement exaspérée en disant : « Vous n’avez certainement pas changé du tout ». Malgré ses paroles, elle semblait heureuse de revoir Mlle Yumeria.
« Nous avons des invités, non ? » Avais-je demandé. « Je suppose, Mlle Deirdre ? »
Mlle Yumeria avait hoché la tête de haut en bas à plusieurs reprises. « O-Oui ! Euh, euh… elle est ici pour parler d’un rendez-vous arrangé ! »
Je l’avais fixée longuement avant de lâcher : « Quoi ? » L’image qui était apparue instantanément dans ma tête était celle de Miss Deirdre et moi en train d’avoir un rendez-vous arrangé.
« Avec moi ? » J’avais secoué la tête. « Mais j’ai déjà Anjie et Livia ! »
Ne pouvant laisser passer l’occasion de fouiner son petit nez, Luxon me rappela : « Et Noëlle aussi, à moins que tu n’aies oublié ? »
« Tu te tais. De toute façon, cette histoire de rendez-vous arrangé est un peu soudaine… » J’avais jeté un coup d’oeil furtif à Livia et Anjie pour évaluer leurs réactions. Elles étaient bien plus calmes et posées que moi.
Hein, qu’est-ce qui se passe ? S’en fichent-elles si je vais à un rendez-vous arrangé avec une autre fille ?
J’étais tellement certain qu’elles seraient livides à ce sujet. Leur absence de réaction émotionnelle avait été une vraie surprise.
Mlle Yumeria avait incliné la tête vers moi. « Pardon ? De quoi parlez-vous ? »
« A propos de Miss Deirdre et moi qui allons à un rendez-vous arrangé, évidemment. »
Ses sourcils s’étaient froncés, et ses lèvres s’étaient serrées.
Quoi, étais-je à côté de la plaque ?
Je n’avais pas eu l’occasion de questionner davantage notre femme de chambre. Une femme était apparue au coin du passage, chaque clic de ses talons hauts sur le sol dur résonnait. Sa beauté n’était pas du tout à sa place ici, il y avait une dissonance immédiate entre la façon dont elle s’était coiffée et son environnement pittoresque.
« Qu’est-ce que c’est, hm ? Une proposition si passionnée. Je suis flattée. »
« Miss Deirdre !? » J’avais couiné.
Elle étendit l’éventail en papier qu’elle tenait à la main et le plaça discrètement sur sa bouche. Il cachait un peu son visage, mais pas la lueur espiègle dans ses yeux. Elle riait de mon malentendu.
Anjie s’était avancée devant moi, les mains sur les hanches, pour faire face à Miss Deirdre. « Cela fait un moment. Puis-je supposer que c’est toi qui sois venue ici pour arranger un rendez-vous avec Lord Nicks, Deirdre ? »
La mention du nom de mon frère m’avait fait prendre conscience de la situation. Bien sûr que c’est Nicks qui avait été piégé. C’était assez embarrassant de voir à quelle vitesse j’avais conclu que notre invitée était là pour moi.
J’avais remarqué que la lentille rouge de Luxon me fixait alors que la chaleur s’épanouissait dans mes joues, mais j’avais choisi de l’ignorer.
Miss Deirdre avait fermé son éventail. Son sourire malicieux était resté et elle avait répondu : « Non, ce n’est pas moi. La partenaire de Lord Nicks sera ma grande sœur, Dorothea. »
« Dorothea… ? De toutes les personnes… » Les yeux d’Anjie étaient bridés tout au long de cette conversation, mais cette dernière révélation lui fit froncer le visage. Si sa seule réaction ne laissait pas présager que cette Dorothea était un vrai morceau de choix, la façon dont elle et Deirdre détournaient leurs regards le laissait clairement entendre : Elles avaient chacune leurs propres sentiments compliqués à l’égard de la femme en question.
« Même moi, sa jeune sœur, je dois admettre qu’elle est belle », déclara Deirdre.
Anjie secoua la tête. « Personne n’a rien dit de mal sur son apparence. »
Nous avions établi que Dorothea n’était pas hideuse. La façon dont elles avaient parlé d’elle, il semblait qu’elle avait un autre problème, sans aucun rapport.
☆☆☆
Lorsque j’étais entré dans la pièce où se trouvaient mon vieux père et Nicks, tous deux se tenaient la tête dans les mains de manière identique. N’importe qui pouvait dire, rien qu’à ces gestes, qu’ils étaient père et fils. L’atmosphère autour d’eux était lourde.
« Mec, félicitations », avais-je dit d’une voix enjouée. J’avais seulement l’intention de me moquer un peu de lui, mais les deux hommes avaient levé la tête pour me regarder fixement.
Wow, parfaitement synchronisé. Jusqu’au timing et à leurs expressions.
« Qu’est-ce que tu veux dire par “félicitations”, hein !? » avait aboyé mon père. « As-tu une idée de la situation dans laquelle on se trouve ? » Ses joues étaient rouges de rage.
J’avais haussé les épaules et m’étais installé sur le canapé à côté de Nicks, en m’adossant à mon siège. « Je vous taquinais, bon sang. »
« Comme si tout cela était drôle ! »
Ma tentative d’apaiser la tension avait échoué.
J’avais jeté un coup d’oeil à Nicks. « Alors j’ai entendu dire que c’est une Mlle Dorothea qui est venue nous rendre visite. Une idée du genre de personne qu’elle est ? »
C’était la grande sœur de Miss Deirdre, et elle était dans sa troisième année à l’académie quand Nicks était dans sa première, ce qui la rendait plus âgée que moi de quatre ans. Cela signifie que je ne l’avais jamais rencontrée à l’école, donc c’est tout ce que je savais d’elle.
Nicks avait levé une tête à ma question, puis l’avait couverte en pressant sa main sur sa bouche. « Je l’ai vue à l’académie à plusieurs reprises. Mais j’étais dans la classe générale. Elle était dans la classe supérieure, tu sais, étant la fille d’un comte et tout. Je n’ai jamais imaginé que nous aurions quelque chose à voir l’un avec l’autre, alors je ne sais pas grand-chose d’elle. » Il s’était arrêté un moment avant d’ajouter : « Mais je dois dire qu’elle était ridiculement difficile à approcher. Elle avait sa propre suite d’étudiants de classe supérieure, mais son nombre d’adeptes semblait plutôt modeste comparé à la plupart des filles de son rang. »
« Et alors ? Est-ce une beauté cool ? »
Une fille de la plus haute classe comme Mlle Dorothea était comme une fleur solitaire sur une grande falaise pour un crétin de la classe générale comme Nicks. Bien hors de portée.
« Je suppose que oui ? Elle est jolie, mais son attitude froide tient les gens à distance. »
« Elle est agréable à regarder, alors quel est le problème ? » avais-je demandé. Je n’avais vraiment pas compris ce qui le tracassait.
« Imbécile ! Je suis le futur héritier d’une baronnie, alors qu’elle est la fille d’un comte ! Il n’y a aucune chance que nous soyons compatibles tous les deux. Nous parlons de quelqu’un dont le statut dépasse de loin le nôtre qui se marie dans la maison. Cela n’a aucun sens, n’est-ce pas !? »
Il est vrai que, du point de vue de notre famille, la fille d’une maison célèbre comme les Roseblades n’était pas du tout dans notre catégorie. Les Bartfort avaient un titre approprié et faisaient partie de la noblesse, mais — pour faire une comparaison que j’aurais pu utiliser chez moi au Japon — nous étions plus comme une petite entreprise familiale qui gagnait sa vie dans la campagne. Les Roseblades, en comparaison, étaient plus comme une société bien connue dans la capitale. Il avait raison : Ils n’étaient pas vraiment compatibles. J’aurais essayé de fuir un tel arrangement à sa place.
« Alors… pourquoi ne pas la refuser ? »
Ma question était la plus évidente, la plus simple du monde, et dès que je l’avais posée, j’avais compris qu’il n’avait aucun espoir de suivre ma suggestion. Au Japon, rejeter quelqu’un était un jeu d’enfant, mais il n’en allait pas de même dans ce monde. Cette fille avait un statut plus élevé que celui de Nicks, et sa famille semblait avoir l’intention de le mettre dans le sac avant que quiconque ne le fasse.
« Tu sais que ce n’est pas possible », déclara mon père. J’avais déjà compris, mais il avait quand même expliqué : « Nous avons affaire à une prestigieuse famille de comtes. »
Contrairement à notre maison, qui ne bénéficiait d’aucun soutien ni d’aucune relation, les Roseblades avaient de l’influence, un pouvoir financier et une force militaire pour couronner le tout. Les rejeter reviendrait à ternir leur réputation et à les condamner à être la risée de la haute société, où ils seraient à jamais raillés pour avoir été rejetés par une humble maison baronniale.
Dans l’espoir d’apaiser un peu la situation, je leur avais joyeusement rappelé : « Je suis un marquis maintenant. »
« Ça ne changera pas la honte que nous apporterons à leur maison si nous disons non. De plus, qu’est-ce qu’une maison noble de leur calibre fait, en faisant quelque chose comme ça ? Qu’ont-ils à gagner d’une noblesse de bas étage comme nous ? »
Mon vieux et Nicks avaient recommencé à se prendre la tête. Ils étaient tous deux perplexes quant à la raison pour laquelle cela se produisait. Un tel arrangement ne passerait jamais le stade de la planification dans une société normale — les choses pourraient bien se passer s’ils obtenaient un mariage, mais leur échec susciterait la dérision et le rire de tous les autres aristocrates du monde. Ce monde et le Japon avaient une chose en commun : certaines personnes étaient trop heureuses de se moquer du malheur des autres.
merci pour le chapitre