Chapitre 3 : La nourriture de l’âme
Partie 2
Anjie soupira : « Ce n’est pas vraiment le moment d’avoir une conversation sérieuse après ça. »
Noëlle fit la moue, les lèvres froncées : « J’aimerais contester la partie où Olivia dit qu’elle aime le plus Léon. » Elle n’allait pas laisser passer les remarques de Livia à ce sujet.
Anjie sourit : « Je dois être d’accord avec toi sur ce point. Je tiens beaucoup à Livia, mais je ne vais pas laisser passer ça sans réagir. »
Livia décolla son visage de ma poitrine, les yeux rouges et légèrement gonflés. Elle fixa les autres filles, les bras serrés autour de moi :
« Je suis la première à avoir rencontré Monsieur Léon, alors naturellement, c’est moi qui l’aime le plus profondément ! »
Il était difficile de croire qu’elle discutait avec elles, elle qui avait été si renfermée et timide lors de notre première rencontre.
Anjie et Noëlle se précipitèrent vers nous et m’entourèrent de leurs bras.
« Devrions-nous demander à Léon de décider qui serait le plus triste ? » suggéra Anjie avec un sourire malicieux et enfantin.
J’avais grimacé. « Non, je ne préfère pas, » ai-je dit. « Je ne pense pas qu’il soit possible de mesurer l’amour que vous avez toutes les trois pour moi. »
Noëlle sourit : « Oui, je vois que c’est le genre de question qui te met vraiment mal à l’aise. C’est pourquoi j’aimerais que tu me donnes une réponse précise. »
Je ne pouvais pas répondre à une question aussi dangereuse, car quelle que soit la réponse, elle blesserait deux des trois personnes présentes. Je devais trouver une solution qui ne contrarierait aucun d’entre eux.
Je pris une grande inspiration, puis je répondis : « Je pense que vous m’aimez toutes de la même façon. »
C’était une non-réponse, il faut l’admettre. En guise de punition, les trois filles commencèrent à m’étouffer dans leurs étreintes.
« Attendez une seconde ! » m’écriai-je. « Donnez-moi le temps de trouver une autre réponse ! »
« Je savais que tu donnerais cette réponse », ricana Anjie. « Un homme si prévisible. »
Elles lâchèrent finalement prise.
☆☆☆
« Lady Marie, Lady Marie ! » cria Carla. « Ils s’enlacent tous les quatre. Leur relation ressemblait à un drame sentimental pendant un moment, mais il semblerait qu’ils soient parvenus à se réconcilier. » Elle jeta un coup d’œil à travers la porte, espionnant Léon et ses fiancées, et rapporta tous les moindres détails à Marie.
Kyle lui lança un regard exaspéré : « Tu aimes vraiment les pièces de théâtre avec des histoires d’amour dramatiques entre les gens », commenta-t-il. « Je comprends un peu pourquoi, mais c’est de mauvais goût de regarder par la porte. »
Malgré son reproche, elle ne put pas ravaler sa curiosité.
« Je ne peux pas m’en empêcher, c’est tellement divertissant. Oh, mon Dieu, quel baiser passionné… ! »
« Quoi ? » Kyle s’y intéressa immédiatement. Il se précipita vers la porte pour jeter un coup d’œil en même temps qu’elle.
Marie s’appuya contre le mur, à une courte distance. Ses doigts se resserrèrent autour du bâton de sainte qu’elle tenait dans ses mains. Dégueulasse. La dernière chose que je veux voir, c’est la vie amoureuse de mon frère. Elle n’avait pas non plus envie de voir ses fiancées l’embrasser. Pourtant, son esprit était préoccupé par Léon pour une tout autre raison.
Il a trois fiancées. Il doit survivre à cela… Contrairement à moi.
☆☆☆
Après avoir débarqué de la Licorne, ma prochaine destination était l’Einhorn, amarré au port royal du palais. Une fois à bord, je m’étais dirigé directement vers le hangar. Les armures de la Brigade des Idiots y avaient déjà été stockées. Outre les améliorations que Luxon avait apportées à leurs armures, le design avait été changé pour quelque chose de plus approprié à ce qui allait être notre dernière bataille.
Lorsque j’entrai, Greg sortit du cockpit de son armure. Il était apparemment en train de faire quelques derniers réglages.
« Enfin de retour, n’est-ce pas ? » dit-il.
« Que penses-tu de ta nouvelle armure ? » lui avais-je demandé.
Lorsque les caractéristiques d’une armure sont modifiées à la dernière minute avant une bataille importante, c’est sur son pilote que repose le plus gros du fardeau. Malgré cela, Greg s’était contenté de fléchir les bras devant moi, ce qui me fit comprendre que tout allait bien.
« C’est incroyable », s’enthousiasma-t-il. « J’aime le fait que tu aies même ajouté une arme secrète pour moi. »
« Une arme secrète ? » J’avais penché la tête sur le côté.
« En raison de leur mise en œuvre soudaine, ces armes supplémentaires sont imparfaites. Cependant, j’en ai ajouté une à chaque armure en tenant compte des points forts de chacun », expliqua Luxon.
Brad s’approcha : « La fonctionnalité de base de nos armures s’est améliorée et nous pouvons maintenant te protéger. » Il portait Rose et Mary — sa colombe et son lapin de compagnie — dans ses bras et souriait gaiement.
Je fronçai les sourcils.
« Tu vas me protéger ? As-tu vraiment l’intention de m’accompagner ? »
Mon visage se tordit d’incrédulité.
« Nous ne pouvons pas te laisser porter tout le fardeau tout seul. »
Chris se dirigea vers nous, la main chargée d’un petit paquet de tissu.
« Ceci étant dit, ça te dérange-t-il si j’utilise ce tissu pour me fabriquer un pagne ? »
Il s’agissait d’un tissu que j’avais trouvé lors d’une chasse au trésor.
« Tu ne prévois pas sérieusement de ne porter qu’un pagne pendant que tu pilotes ton Armure ? » dis-je.
« Non, malheureusement, cela n’aurait pas de sens », répondit Chris d’un air morose. « Je t’assure que je porterai ma combinaison de pilote. Mais je pense que je devrais au moins pouvoir porter le sous-vêtement que je préfère en dessous. »
Et selon lui, ce sous-vêtement devait être un pagne. J’étais sidéré.
« Oui, je voulais y aller en sous-vêtements seulement, mais j’ai renoncé et j’ai mis le costume », m’informa Greg.
Je secouai la tête avec dégoût. « Taisez-vous, bande d’idiots. »
« S’il te plaît ! » plaida Chris en me serrant le bras et en s’accrochant à moi. « Ce tissu est fin, mais résistant, il s’adaptera donc parfaitement à mon costume. Je dois simplement porter un pagne pour notre bataille finale décisive ! »
« Bien, » répondis-je. « Mais lâche-moi ! » ai-je craqué.
Jilk fut le prochain à sortir de son cockpit et à nous rejoindre après avoir terminé les derniers ajustements.
« Vous semblez tous terriblement détendus à l’approche d’une bataille », dit-il.
« En faisant abstraction de tout ce vacarme, pourquoi y a-t-il cinq armures au lieu de quatre ? »
Le reste de la brigade des idiots partageait sa confusion. Il y avait en fait six armures, y compris celle d’Arroganz. Celle qui attira leur attention était une armure blanche ayant reçu des améliorations similaires aux leurs. À en juger par leurs regards ahuris, ils ne pensaient pas qu’il y avait quelqu’un pour la piloter, et ils ne comprenaient donc pas pourquoi elle était là.
« Oh, celle-là ? » J’avais fait un signe de tête en sa direction, prêt à tout dévoiler. « Le pilote sera Ju — ! »
L’écho des pas qui s’approchaient m’interrompit. Nous avions tourné la tête pour regarder l’intrus. Brad mit Rose et Mary à terre et les poussa à se mettre à l’abri. Chris et Greg sortirent leurs armes. Jilk avait déjà son pistolet à la main.
L’atmosphère était chargée de tension en raison de l’apparition d’un chevalier masqué. Il était vêtu d’une combinaison de pilote et une cape flottait derrière lui. Son visage était en partie caché par un demi-masque qui couvrait ses yeux. On aurait dit qu’il s’apprêtait à assister à un bal masqué plutôt qu’à prendre part à une guerre.
Le chevalier masqué s’arrêta devant moi et proclama : « C’est moi qui piloterai cette armure. » Il semblait très fier de son apparition opportune. Tout en lui était exagéré, de son langage corporel à son discours.
Je me demande si c’est parce qu’il est le fils de Roland.
« Cela fait un moment, messieurs », poursuit le chevalier masqué. « Je vais me joindre à ce combat à vos côtés. » Il écarta les bras de façon théâtrale, ponctuant ainsi sa déclaration.
Greg pointa sa lance vers l’homme :
« Qu’est-ce que tu es venu faire ici, chevalier pervers ?!
« Chevalier masqué ! » corrigea-t-il. « Je te l’ai dit des dizaines de fois ! Pourquoi n’arrives-tu pas à le comprendre ? »
J’avais poussé un long soupir. Combien de fois avions-nous vécu cela ?
« Combien de temps allez-vous continuer cette stupide mascarade ? »
« Je compatis, Maître », dit Luxon, exaspéré lui aussi.
Jilk pointa le canon de son arme sur le chevalier masqué :
« Tu n’arrêtes pas de réapparaître. Qui es-tu exactement ? Si tu n’as pas l’intention de te dévoiler, je te demande de partir. »
« Je suis votre allié », dit le chevalier. « Nous avons tous les cinq combattu ensemble un nombre incalculable de fois, n’est-ce pas ? »
Brad avait les mains prêtes à faire appel à sa magie si le besoin s’en faisait sentir. Il regarda le chevalier avec méfiance.
« J’admets que tu nous as aidés à plusieurs reprises, mais nous devrions limiter au maximum les éléments incertains dans une bataille de cette ampleur. Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que tu sois en réalité un impérial. En fait, nous ne pouvons pas te faire confiance du tout avec ton visage caché comme ça. »
Les quatre autres se méfiaient profondément de l’intrus masqué. Brad avait exprimé leur pire crainte : que cet homme soit un espion ennemi qui les trahirait au moment le plus inopportun.
Quelle idée ridicule !
Chris leva son épée. Il était prêt à découper le chevalier s’il faisait le moindre faux pas.
« Pourquoi ne pas enlever ce masque ridicule et nous montrer qui tu es vraiment ? »
Lassé de cette mise en scène, je m’assis sur une caisse en bois qui se trouvait à proximité.
« Luxon, je meurs de faim, » dis-je. « Tu ne peux pas me donner quelque chose à manger ? »
« Je préférerais que tu ne manges rien de trop lourd avant la bataille », répondit-il.
Je roulai des yeux.
« Cela pourrait être mon dernier repas. Allez, tu n’as rien ? »
« Je n’ai pas l’impression que tu plaisantes », s’emporta-t-il. « Nous avons du riz dans la réserve, alors je vais te préparer des boulettes. »
Cette réponse me fit sourire. Je ne m’attendais pas à avoir droit à des boulettes de riz.
« Génial. Ce sera le meilleur dernier repas de ma vie. »
« Maître, je te conseille de cesser ce genre de plaisanteries sans humour à l’avenir. Maintenant, je dois aller préparer le repas. » Il s’éloigna rapidement.
Une fois Luxon parti, j’avais reporté mon attention sur la brigade des idiots et leur petit spectacle comique. Ils avaient toujours leurs armes braquées sur le chevalier, qui avait renoncé à les convaincre à ce stade. Je ne voyais pas l’intérêt de continuer à se déguiser.
Le chevalier tendit la main vers son masque :
« Vos craintes sont tout à fait compréhensibles, alors permettez-moi de vous démontrer ma sincérité. »
Il souleva le masque et secoua la tête, laissant ses cheveux danser autour de son visage. Sous le déguisement se cachait nul autre que Julian.
Le reste de la brigade poussa des soupirs audibles.
Jilk prit la parole en premier, la voix chargée d’incrédulité : « Était-ce toi depuis le début... — Votre Altesse ? » Sa mâchoire se décrocha.
Julian lui sourit :
« Oui, j’étais le chevalier masqué pendant tout ce temps. »
Chris grimaça, se sentant mal à l’aise. Il abaissa son épée. « Je n’aurais jamais deviné, Votre Altesse. »
N’avaient-ils vraiment pas compris ? Qu’est-ce qui ne va pas dans leur tête ? Ou bien tout cela faisait-il partie d’une comédie ? Si c’est le cas, j’aimerais que l’on me mette au courant. Je commençais à penser que je devenais fou.
Tandis que je remettais intérieurement en question leur santé mentale — et la mienne —, Brad se détendit et réfléchit à leurs rencontres passées avec le chevalier.
« Maintenant que j’y pense, le prince n’était jamais là quand le chevalier masqué arrivait. Ce n’est pas étonnant qu’il en sache autant sur nous et qu’il se soit toujours présenté au moment le plus opportun pour nous aider. »
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