Chapitre 6 : Nouvelle famille
+++
Chapitre 6 : Nouvelle famille
Partie 1
J’ai pensé que tout irait bien si je m’échappais de la planète. Avec mon départ, l’empire n’aurait plus de cible à attaquer à Hohlfahrt et cesserait les hostilités.
À mon grand dam, ce n’était pas si simple.
Jamais, dans mes rêves les plus fous, je n’aurais imaginé que ce jeu vidéo otome inclurait une intrigue aussi complexe (et sans doute ennuyeuse !). Qu’est-ce que c’était que cette histoire de « vieille humanité contre nouvelle humanité » ? Ils auraient dû donner à ce jeu un cadre plus paisible et plus décontracté.
« Tu es blanc comme un linge, mon oncle. Est-ce que tu vas bien ? » Les yeux d’Erica s’étaient remplis d’une véritable inquiétude alors qu’elle étudiait mon visage.
Luxon, puis Creare, s’étaient donné beaucoup de mal pour équiper l’infirmerie de la Licorne de toutes sortes de matériel médical. C’était la preuve de leur détermination à maintenir Erica en vie à tout prix.
J’avais pris une chaise et j’étais assis à côté de son lit. J’avais un sourire, mais il était si forcé que je craignais qu’elle ne voie à travers moi.
« Je manque juste un peu de sommeil », lui avais-je assuré. « Ne t’inquiète pas. J’ai prévu de faire une sieste plus tard. Avant cela, il y a quelque chose que je voudrais te demander. À propos de moi. »
Erica se redressa dans le lit, en penchant la tête. « Qu’est-ce que tu veux demander ? »
« Tu m’as caché quelque chose, n’est-ce pas ? »
L’état d’Erica s’était amélioré si rapidement, pour ensuite se détériorer rapidement, mais elle avait tout pris à bras-le-corps. Elle était mûre pour son âge, ayant déjà vécu une vie — de nombreuses années de plus que moi — mais c’était tout de même troublant. J’avais l’impression de savoir pourquoi Erica était si en paix avec sa santé, les théories de Creare m’avaient mis la puce à l’oreille.
Erica détourna les yeux, honteuse. « Je suis désolée. »
« Peux-tu m’en dire plus ? Je pense que ce que tu sais pourrait s’avérer très important. »
Pour autant que je sache, Erica était la seule personne à avoir joué un peu au troisième volet de la trilogie. Marie y avait joué à moitié avant de l’abandonner, et Finn s’était contenté de regarder une partie du jeu de sa sœur. Je n’avais terminé que le premier jeu, et j’étais donc dans l’ignorance de tout ce qui se passait à partir de la suite.
Erica m’avait déjà donné quelques détails sur le jeu, mais à l’époque, mes questions étaient d’une tout autre nature. Quoi qu’il en soit, l’intrigue du troisième jeu avait déjà déraillé. J’avais pris la responsabilité de rectifier occasionnellement le tir lorsque c’était nécessaire, mais ce faisant, j’avais négligé un point essentiel : Erica n’avait jamais partagé tout ce qu’elle savait.
Erica prit une grande inspiration. « Quand j’étais plus jeune, et que maman était occupée par son travail, je n’avais personne pour me tenir compagnie. Je me sentais seule. Bien sûr, je ne lui en veux pas du tout pour ça. Mais je voulais vraiment passer du temps ensemble, alors j’ai pensé que je pourrais au moins jouer aux mêmes jeux qu’elle. »
Chaque fois qu’elle s’ennuyait, chaque fois qu’elle se sentait seule, elle se tournait vers ce jeu vidéo otome.
« Je l’ai terminé plusieurs fois », poursuit-elle. « Moins parce que je l’appréciais personnellement, que parce que j’aimais jouer à quelque chose que je savais que maman appréciait. »
Je m’étais gratté l’arrière de la tête, m’excusant au nom de ma sœur. « Cette idiote », avais-je grommelé. « Elle aurait pu t’offrir de meilleurs jouets. Je sais que je ne peux pas parler pour elle, mais en tant qu’oncle, je suis désolé que tu aies dû subir ça. »
« Oh, cela ne m’a pas particulièrement dérangé. » Erica sourit chaleureusement. « J’ai utilisé le téléphone de maman pour trouver une marche à suivre. C’est comme ça que j’ai découvert que la méchante princesse, Erica, avait en fait une faible constitution — même si la narration l’a toujours présentée comme une menteuse à cet égard. » Son sourire était devenu tendu.
Dans le jeu, Erica avait menti si fréquemment que les gens ne pouvaient se résoudre à la croire, même lorsqu’elle était honnête. Personne ne l’avait crue alors qu’elle souffrait de ses symptômes. La pauvre.
« Sais-tu ce qui a provoqué sa maladie ? » avais-je demandé.
« En fait, je n’en sais pas grand-chose », avoua Erica en haussant les épaules. « Sauf que lorsque Mia s’est réveillée, mon état de santé s’est soudainement dégradé. Je pense que ça a été l’élément déclencheur. » En disant cela, elle s’était repliée sur elle-même, détournant son regard de moi.
Cela confirma mes soupçons, Erica savait que l’amélioration de Mia était la conséquence de sa propre détérioration. C’était comme si le monde nous disait que l’ancienne et la nouvelle humanité ne pourraient jamais partager la même planète.
« Donc tu étais d’accord pour souffrir si cela signifiait que Mia se rétablirait », avais-je supposé en soupirant.
« J’ai vécu assez longtemps dans ma vie précédente », expliqua Erica avec un sourire troublé, mais heureux. « En plus, j’ai pu me faire plein de souvenirs impérissables avec toi et maman. »
Est-ce qu’elle se sacrifie autant à cause de sa vie passée ? Ou Erica était-elle simplement ce genre d’individu ? Une partie de moi était fière d’elle, mais une autre partie souhaitait qu’elle ne donne pas la priorité au bien-être des autres plutôt qu’au sien.
« Tu es plutôt vilaine, tu sais. Personne ne t’a jamais dit qu’il était mal vu de mourir avant ses parents ? » J’avais fait un sourire ironique. « Et sans moi, tu serais déjà morte. »
Est-elle vraiment d’accord pour laisser Marie derrière elle ?
Erica fronça les sourcils. « Je ne suis pas sûre que tu puisses t’appuyer sur une base solide. »
« Non. » Je m’étais tapé le front et j’avais ri. « Tu m’as eu ! »
Ses lèvres se retroussèrent en un sourire.
« Si quelque chose d’autre se produit, j’espère que tu me tiendras au courant », lui avais-je dit d’un ton tranchant.
« Bien sûr. Mais je dois te prévenir, ces souvenirs datent vraiment. Il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens pas. Mais s’il m’arrive de me souvenir de quelque chose d’important, je ne manquerai pas de te le dire. »
Heureusement, Erica n’avait aucun moyen de savoir les conséquences désastreuses que ses actes avaient déjà déclenchées.
☆☆☆
À la seconde où j’avais quitté l’infirmerie et fait un pas dans le hall, Luxon commença à me bourdonner dans l’oreille. « Maître, je pense que tu devrais te regarder objectivement avant de critiquer les autres. Une grande partie de ce que tu as dit à Erica s’applique tout aussi bien à toi. »
« C’est impoli d’écouter aux portes. »
« Je n’ai recours à des techniques aussi grossières qu’en raison de ton incapacité à me tenir au courant des informations pertinentes », me rappela-t-il consciencieusement.
J’avais reniflé. « Au moins, tu t’es améliorée pour trouver des excuses. »
Alors que j’avançais dans le couloir, il suivait le rythme, flottant à mon épaule. Sa lentille rouge se tourna pour étudier mon visage. « J’ai remarqué que tu n’as pas dit à Erica ce que tu as appris de Creare. »
« Elle n’a pas besoin de savoir tout cela. » Mes lèvres s’étaient amincies en une ligne plate. D’une voix à peine supérieure à un murmure, j’avais ajouté : « Elle serait hors d’elle si elle découvrait que son choix va entraîner la mort de tous ces gens. »
Elle serait hors d’elle, oui, et je ne pensais pas non plus qu’elle méritait un vrai blâme, elle ne pouvait pas savoir que cela arriverait. De plus, c’est moi qui avais proposé mon aide, dans l’espoir d’améliorer la santé de Mia. Si quelqu’un méritait d’être blâmé, c’était bien moi.
Ma frustration avait dû se lire sur mon visage, car Luxon m’interrompit avec inquiétude : « S’enfuir est la bonne décision. Tu n’as rien fait de mal. »
« Quoi, tu crois que je vais changer d’avis maintenant ? » m’étais-je moqué.
« Alors je suppose que cela ne te dérange pas si je continue à planifier notre départ de cette planète ? »
« Sachant ce que nous faisons maintenant, tu devras tenir compte du fait que nous prenons plus de gens. »
Si la mort attendait tous ceux qui restaient, le moins que je puisse faire était d’emmener ma famille et mes amis — même mes connaissances. Nous pourrions tous nous enfuir ensemble.
Quoi qu’il en soit, je me sentais coupable — même si je n’avais eu aucun moyen de connaître la vérité plus tôt. C’est probablement ce que Luxon avait senti, et la raison pour laquelle il avait refusé de laisser tomber.
« Tu as pris une sage décision », ajouta-t-il.
« Je doute que les personnes restées au pays me pardonnent un jour. »
« Ton départ permettra aux descendants de la vieille humanité de survivre. C’est bien plus pratique que de rester et de se soumettre à un anéantissement complet. »
« Oui, j’espère que tu as raison. »
L’insistance avec laquelle Luxon m’encourageait, répétant que c’était la bonne décision, n’avait fait que révéler son anxiété. Quoi — pensait-il que je m’accrocherais à une croyance naïve en la justice et que j’essaierais d’affronter Arcadia tout seul ? Ou pire que je me sentirais tellement coupable que je n’aurais d’autre choix que de me racheter en affrontant Arcadia ?
J’étais un adulte à part entière — et égoïste de surcroît. Je pouvais trouver toutes sortes de justifications à ma décision, mais nous allions fuir, et c’était tout.
Personne ne l’avait vu venir. Qui aurait pu s’attendre à ce qu’une guerre ancienne se poursuive à l’époque moderne ? Que la vieille humanité, privée de magie et empoisonnée par une atmosphère criblée d’essence démoniaque, ait survécu pendant tout ce temps ? Qu’ils l’aient fait en manipulant leurs propres gènes ?
C’était censé être un monde médiéval fantastique avec des épées et de la magie, pas de la science-fiction. Rien de tout cela n’était de ma faute. C’était la faute du jeu, qui avait une toile de fond aussi alambiquée.
« De toute façon, je veux amener ma famille, et il faudra que je les convainque. Rentrons à la maison pour l’instant », avais-je dit.
« L’Einhorn est tout à fait prêt à se mettre en route. Nous pouvons partir quand tu le souhaites. »
« Je vais attendre que la délégation de Vordenoit s’en aille. »
Finn et ses compatriotes retourneraient bientôt dans l’empire. Mes affaires pouvaient attendre que je les raccompagne.
☆☆☆
Le jour du départ de la délégation impériale, Mia et Finn s’étaient rendus au port pour monter à bord du navire ancré qui attendait de la ramener. Là, l’envoyé prit Finn à part, les sourcils froncés et un air mécontent sur le visage.
« Lord Hering, » dit-il d’un ton narquois. « Je n’aurais jamais imaginé que vous, parmi toutes les personnes, échoueriez à mener à bien un assassinat. J’ai cru comprendre que Bartfort et vous vous étiez terriblement rapprochés au cours de votre échange ici. J’espère que vous n’avez pas l’intention de trahir l’empire. »
Finn ne savait pas comment l’envoyé avait eu vent de son amitié avec Léon, mais il avait dû penser que cela aiderait Finn à trouver une ouverture et à assassiner l’archiduc. Comme Finn n’avait pas réussi à le faire, l’envoyé avait des soupçons.
« Tu as du culot de jeter le doute sur mon partenaire ! » s’écria Brave, les yeux injectés de sang sous l’effet d’une soudaine explosion de rage.
L’envoyé déglutit et recula. « N-Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je… J’ai simplement supposé que vous étiez à la hauteur d’une telle tâche, mon seigneur. Je pensais que vous le blesseriez au moins. »
Non seulement Léon était indemne, mais Finn n’avait pas la moindre égratignure. Pas étonnant que l’envoyé soit sceptique.
Finn soupira. « Son unité d’intelligence artificielle ne baisse jamais sa garde. En fait, s’approcher suffisamment pour le tuer ne serait pas une mince affaire. »
« Est-ce à cause de ça ? » L’envoyé jeta à Finn un regard peu convaincu.
« Qui se soucie de savoir s’il a réussi ? » intervint Lienhart, qui se prélassait sur une chaise voisine. « De toute façon, nous allons anéantir tout le royaume. Nous pourrons alors nous occuper de l’archiduc Bartfort. » Il marqua une pause et lança un regard glacial à Finn. « Mais j’avoue que je suis un peu déçu que vous ayez mal géré cette affaire, monsieur. »
« Je m’en fiche complètement », renifla Finn.
Il leur tourna le dos et regarda par la fenêtre. Dehors, le port grouillait de gens venus faire leurs adieux.
Ce faisant, Lienhart et l’envoyé se moquèrent d’eux. « Les pauvres, » dit Lienhart, « ils ne se doutent pas que nous allons revenir pour les tuer tous. »
« Partenaire, Léon est là », dit Brave, tandis que Finn regardait le port.
« Est-ce vraiment lui ? » Plaçant sa main sur Brave pour partager la vue supérieure du Core démoniaque, Finn repéra Léon en contrebas.
Luxon flottait aux côtés de Léon, comme toujours, projetant une image améliorée pour que Léon puisse voir Finn et Brave. Les lèvres de Léon étaient tendues, impénétrables.
« Pourquoi serait-il venu jusqu’ici ? » marmonna Finn. Tu ne devrais pas être là, à me raccompagner. Je… Après ce que j’ai fait, je ne mérite pas une telle démonstration d’amitié.
Après tout, Finn avait choisi Mia plutôt que Hohlfahrt. Aucun des habitants du royaume, et surtout pas Léon, n’avait de raison de lui témoigner une telle gentillesse.
« Es-tu sûr de toi, partenaire ? » demanda Brave. « Je sais que tu vas regretter de les avoir laissés partir. Il vaudrait mieux les éliminer ici et maintenant. »
« Il est trop tard pour cela. Ils ont levé leurs gardes. »
Cours, Léon. Je ne veux pas me battre contre toi.
+++
Partie 2
Luxon projeta une image améliorée pour que je puisse voir Finn et Brave quitter le port aux côtés du reste de la délégation de l’empire. Je les avais observés en train de nous regarder.
« Ça a l’air vraiment pratique, la façon dont les costumes démoniaques peuvent partager leur vision comme ça », avais-je fait remarquer avec un sourire niais, sachant très bien que Luxon détesterait l’entendre.
« Si c’est tout ce qu’il faut pour t’impressionner, je pourrais accomplir le même exploit avec quelques outils. Pourquoi ne remplacerais-je pas ton œil par un implant adéquat afin de mieux partager les données visuelles ? »
« Devenir cyborg, ça a l’air assez génial, mais je préfère un peu rester un humain à part entière. »
Le fait de faire des bêtises me donnait l’impression que nous étions revenus à notre routine quotidienne normale. Malheureusement, cela n’avait pas duré.
« Je pourrais faire exploser leur vaisseau avec mon canon principal et mettre fin à la menace qu’ils représentent une fois pour toutes », proposa Luxon.
« Si nous prévoyons de nous échapper, à quoi cela nous servira-t-il ? Tu ne feras que donner à l’empire une justification pour nous envahir. »
« Ils se moquent de la justification. Ils envahiront quoi qu’il en soit. »
Nous avions regardé le navire partir, sa coque disparaissant progressivement au loin. Le reste de la foule commença à se disperser.
« Ton grand frère est dans la capitale », déclara soudainement Luxon.
« Vraiment ? »
« Il est en train de visiter le domaine des Roseblade. Voudrais-tu le voir et lui expliquer la situation avant qu’il ne parte ? »
J’avais hoché la tête d’un air pensif. « Oui, je pense que ce serait une bonne idée. Faisons-le. »
Nicks n’avait pas parlé de visite. Une urgence quelconque avait-elle exigé sa présence ?
☆☆☆
Les Roseblade avaient leur propre territoire, mais ils conservaient également une résidence dans la capitale. Les derniers renseignements parvenaient toujours à la capitale avant de se répandre ailleurs, l’emplacement était donc avantageux à cet égard, et il y avait d’autres avantages à posséder un domaine ici. C’est pourquoi les Roseblade avaient pour voisins d’autres familles de l’aristocratie de Hohlfahrt.
Il était un peu plus de midi lorsque j’étais passé à leur manoir. Un serviteur m’avait utilement guidé jusqu’au salon, où j’avais eu la surprise de constater qu’en plus de Nicks, mes sœurs Jenna et Finley étaient également présentes.
Nicks était vêtu d’un costume pimpant, il m’avait accueilli avec bonne humeur. « Je ne m’attendais pas à ce que tu passes tout d’un coup ! Qu’est-ce qui t’amène ici ? »
« Oh, je viens d’apprendre que tu étais dans le quartier. »
« Quoi ? Alors tu es venu juste pour me voir ? » Il arqua un sourcil sceptique — à juste titre, étant donné mes antécédents en matière de problèmes. « Eh bien, tu arrives au bon moment. Il y a quelque chose que je veux te dire. » Nicks se tourna vers la porte. « Dorothea ? Tu peux entrer maintenant. »
Une servante s’approcha de la porte et l’ouvrit pour faire entrer ma belle-sœur, Dorothea Fou Bartfort. Dorothea entra dans la pièce, les mains serrant doucement son ventre gonflé de femme enceinte.
Elle me regarda et sourit. « C’est dommage. Nous avions prévu de garder la surprise pour un peu plus tard. »
Ma mâchoire se décrocha. « Ton estomac », commençai-je, incertain de ce que je voulais dire.
Elle gloussa. « Je suis enceinte, bien sûr. »
Nicks se dirigea vers sa femme souriante et l’entoura doucement de ses bras. « Tu étais le seul à ne pas t’en rendre compte, alors nous avons pensé à te surprendre », expliqua-t-il.
Dorothea était si avancée qu’elle aurait probablement déjà l’accouchement du bébé à la fin des vacances d’été.
Jenna me jeta un regard me jugeant. « Tu es vraiment un imbécile. Honnêtement, je suis à jamais stupéfaite que tu te sois élevé au rang d’archiduc. »
« Oui, » Finley était d’accord. « Je dois dire que tout le monde a compris depuis longtemps. »
Ignorant leur exaspération manifeste, Dorothea me fit signe d’aller vers elle. J’avais hésité avant de m’approcher bêtement.
« Veux-tu le sentir ? » demanda-t-elle en indiquant son ventre.
J’avais tressailli. « Quoi ? Non, je ne peux pas. C’est… Ça me semble inapproprié. »
Je n’avais pas refusé par manque d’intérêt. Mais le consensus général au Japon était qu’il n’était pas acceptable de toucher le ventre d’une femme enceinte si tu n’étais pas son mari.
Dorothea me fit un sourire gêné. « Crois-moi, si quelqu’un le faisait sans permission, je lui enlèverais le membre incriminé. Il s’agit d’une exception spéciale. En tout cas, cela signifie que notre famille s’agrandit. »
Le début de cette réponse avait quelque chose de… menaçant, mais j’étais trop préoccupé par sa dernière remarque pour m’y attarder. « Notre famille s’agrandit. » Ma poitrine se serra.
Avec beaucoup d’appréhension, j’avais tendu la main et l’avais appuyée sur le ventre gonflé de Dorothea. Il y eut une petite ondulation de mouvement sous le bout de mes doigts. « Wôw ! » Je sursautais, les yeux s’ouvrirent en grand.
Nicks et Dorothea avaient ri.
Jenna soupira d’un air rêveur en observant la scène. « J’espère être bientôt enceinte du bébé de Lord Oscar. Cela solidifierait mon avenir en tant que son épouse. »
« C’est une bien mauvaise raison de vouloir un enfant, » déclara Finley d’un ton tranchant. « Fais attention à ce qu’il ne t’abandonne pas avant. »
« Oh, tout ira bien. Lord Oscar est fou de moi ! »
Finley ricana. « Tu es vraiment ennuyeuse. »
J’avais laissé leur odieux badinage entrer par une oreille et sortir par l’autre, ma main toujours fermement plantée sur le ventre de Dorothea. Cette grossesse m’avai fait perdre la tête.
Le bébé ira-t-il bien, comme nous ? Ou bien aura-t-il les mêmes problèmes et symptômes qu’Erica ? Creare avait prévenu que l’état d’Erica deviendrait de plus en plus fréquent. Des tonnes de gènes allaient s’inverser pour s’adapter à ce qui était censé être une atmosphère moins toxique. Je m’étais rappelé que la solution la plus sûre pour le nouveau bébé et ses parents était de se joindre à moi pour fuir la planète.
« Pour te dire la vérité, » dit Nicks, interrompant mes pensées, « les Roseblades nous ont invités ici pour fêter le bébé. Dorothea est si avancée que j’étais inquiet à l’idée de l’emmener sur un dirigeable, mais nous avons pensé qu’elle serait plus à l’aise à la maison. »
Dorothea reposa sa tête sur l’épaule de son mari. « C’est incroyable le nombre de parents qui sont venus me voir. J’aurais peut-être mieux fait de rester chez les Bartfort. »
« Je n’aurais jamais imaginé que mes frères et sœurs débarqueraient comme ça. Je suis désolé. » Nicks lui caressa doucement les cheveux.
« Tout va bien. Tous ces visages familiers sont rassurants. »
« Quoi qu’il en soit, les Roseblades ont des tonnes de parents », ajouta Nicks. « J’ai été choqué. »
« Et ce ne sont que ceux qui s’entendent bien. En y pensant, je m’attends à ce que les amis de mon père passent bientôt avec des cadeaux pour le bébé. Ils m’ont toujours chouchouté quand j’étais plus jeune, alors j’ai hâte de les revoir. »
Le couple heureux discutait avec contentement de leur vie, inconscient de ce qui se passait dans ma tête.
Il n’était pas surprenant que les Roseblade aient de nombreux parents et connaissances. Mais si je suggérais de fuir la planète, combien d’entre eux Dorothea insisterait-elle pour emmener ?
J’avais retiré ma main du ventre de Dorothea, et Jenna n’avait pas perdu de temps pour se moquer de moi. « Je parie que tu le gâteras à mort et que tu seras beaucoup trop protecteur, que ce soit un garçon ou une fille. »
Finley acquiesça. « Oui. Il n’a aucune patience avec ses sœurs, mais je parie qu’il sera doux avec une nièce ou un neveu. Probablement même indulgent. D’une manière agaçante. »
Elles avaient ricané.
D’ordinaire, c’est à ce moment-là que j’aurais pu faire une remarque sarcastique, mais je n’en avais pas l’énergie. Tout ce que j’avais pu faire, c’est leur sourire.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Nicks avec inquiétude. « Tu n’es pas bien ? »
« Non, ça va. »
« Si tu es sûr de toi. Oh ! Nous aimerions te demander une faveur, en fait. Ça ne te dérange pas ? »
Aveuglé, j’avais secoué la tête d’un air engourdi.
« Il s’agit d’une tradition des Roseblade », expliqua Dorothea. « Emmener un nouveau-né à bord d’un impressionnant dirigeable est censé l’aider à grandir et à être digne de son nom de famille. Nous espérions que tu nous laisserais emprunter l’Einhorn pour l’occasion. »
« Vous voulez utiliser l’Einhorn ? » avais-je répliqué.
Nicks tapa ses mains l’une contre l’autre, puis les tendit vers moi, en suppliant. « S’il te plaît ! Je sais que notre bébé nous rendra fiers s’il peut monter sur un navire aussi célèbre que l’Einhorn ! Et j’aimerais vraiment lui montrer le ciel dégagé. »
Le ciel dégagé, hein ?
Alors que son mari décrivait ses rêves pour leur enfant, Dorothea rayonnait. « Je suppose que tu parles toujours de faire un voyage en famille avec le petit. »
Les joues de Nicks s’étaient colorées et il avait ri maladroitement.
Aucun des deux ne le savait, mais leur bonheur et leurs rêves étaient comme des couteaux dans ma poitrine, coupant de plus en plus profondément.
Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.