Chapitre 19 : Rassemblement
Partie 3
J’avais abattu mon poing sur ma paume quand cela m’était enfin venu. « C’est une manœuvre politique. Aucune d’entre elles ne veut que quelqu’un d’autre reçoive plus d’indemnités. »
En tant que membre de la haute société, je savais que leurs sourires n’étaient pas sincères. Elles faisaient toutes de leur mieux pour m’attirer dans leur coin et obtenir la meilleure récompense possible pour leur contribution. C’est pourquoi elles étaient si promptes à se chamailler.
J’ai compris cela assez rapidement. Je crois que je me suis vraiment habitué à être un aristocrate.
Luxon me jeta un regard inquiet. « Penses-tu vraiment que c’est tout ce que c’est ? »
« De toute façon, ne trouves-tu pas qu’il fait un peu froid dans cette pièce ? »
« Oui, c’est certainement le cas. »
Il faisait nettement plus froid que dans le couloir.
« Cela prend beaucoup plus de temps que je ne l’avais prévu », déclara Luxon. « Si nous continuons à ne pas réussir à résoudre ce problème, nous serons en retard à ton prochain rendez-vous. »
« J’ai compris. » Me retournant vers les femmes qui se chamaillaient, j’avais applaudi pour attirer leur attention. Les quatre s’étaient tournées vers moi. « Je comprends ce que vous voulez dire. Je veillerai personnellement à ce que vous soyez toutes dûment indemnisées. »
Mademoiselle Hertrude avait alors souri d’un air radieux. D’un point de vue objectif, sa taille et sa silhouette n’avaient pas vraiment changé depuis la dernière fois que je l’avais vue, mais elle avait un air plus mûr. C’était probablement un sous-produit de la maturation rapide qu’elle avait dû faire, en expérimentant les difficultés de la haute société en tant que représentante intérimaire de sa maison et de sa région. Elle n’avait pas eu d’autre choix que de grandir, et je compatissais avec elle.
« Sur ton nom, tu jures d’assumer la responsabilité de notre dédommagement ? » demanda Mlle Hertrude. « Pouvons-nous avoir cela par écrit ? »
« Si cela te satisfait, bien sûr. »
J’aurais adoré évoquer nos souvenirs ensemble pendant un moment, si nous avions eu le luxe d’avoir du temps, mais j’avais un emploi du temps serré. Aussi douces-amères qu’aient été ces brèves retrouvailles, je devais signer ce qu’ils voulaient et repartir.
Miss Clarisse fronça les sourcils. « Je suppose qu’il faudra s’en contenter. »
« Je m’excuse de te faire subir cela », dit Miss Deirdre en cachant à nouveau ses lèvres avec son éventail. « Mais je ne peux pas renoncer à une telle opportunité. »
Mlle Louise me regarda dans les yeux et sourit. « Grâce à toi, j’aurai un rapport des plus agréables à annoncer à mon père. »
Heureux d’avoir pu te rendre service.
Mlle Hertrude s’était rapidement attelée à la rédaction d’un contrat, en donnant des ordres aux trois autres femmes. Une fois qu’elles furent satisfaites des petits caractères, elle en résuma le contenu. « 'Moi, Léon, je jure par la présente de dédommager ces femmes avec tout ce qu’elles désirent'. »
La formulation du contrat lui-même était plus complexe, mais c’était là l’essentiel.
Satisfaite, mademoiselle Hertrude acquiesça. « C’est au moins mieux qu’un simple accord verbal. J’espère seulement que tu ne reviendras pas sur ta promesse plus tard. »
J’avais griffonné ma signature et lui avais adressé un sourire crispé. « Si peu de foi en moi. Voilà, l’acte est accompli. »
« Tout à fait. Alors je te verrai plus tard. »
Sur ce, notre petite discussion se termina.
☆☆☆
Lorsque nous étions arrivés dans l’antichambre, juste à l’extérieur de la salle d’audience, personne n’était là pour nous accueillir. Je m’étais assis sur un siège.
« Je crois qu’il était imprudent de signer un accord aussi vague », prévint Luxon, toujours aussi acariâtre. « Bien que je reconnaisse que les chances que ces femmes causent des problèmes importants à cause de ce contrat sont plutôt faibles. » Même s’il n’avait pas apprécié la façon dont j’avais résolu la situation, il n’était pas intervenu, il leur faisait suffisamment confiance pour supposer que les choses se passeraient bien.
« S’il semble que ça va finir par poser un problème, tu n’as qu’à t’en remettre à Creare », avais-je dit. « Elle s’en occupera. »
« Ne me dis pas que tu n’as pas l’intention d’honorer ce contrat. »
Fais confiance à Luxon pour lire dans mes pensées.
Oh, ne te méprends pas. Je me sentais coupable, mais j’avais eu une bonne raison de signer malhonnêtement. « Mes chances de revenir vivant de cette expérience sont minces, n’est-ce pas ? Je me sens mal de les induire en erreur, mais je pouvais difficilement gâcher le moment et dire : “Désolé, les filles, je risque de casser ma pipe sur ce champ de bataille”. »
La survie n’était en aucun cas garantie, et je n’avais tout simplement pas envie de transformer ces retrouvailles en un adieu doux-amer.
« Est-ce pour cela que tu as accepté leur demande si facilement ? »
J’avais haussé les épaules. « Je ne voulais pas qu’elles s’inquiètent. »
Même si je me sentais mal d’avoir manqué de transparence, le fait est que je ne reviendrais peut-être jamais à la maison. Si je ne le faisais pas, elles pourraient me maudire et me traiter de menteur autant qu’elles le voudraient. Au moins, je m’assurerais que Luxon leur donne de l’argent avant de partir. Avec un peu de chance, cela leur permettrait de me pardonner.
Alors que notre conversation s’essoufflait, la porte de l’antichambre s’ouvrit et Anjie fit irruption. « Léon ! »
Je m’étais levé de ma chaise. « Anjie. »
Elle portait ce qui ressemblait à une robe de mariée, bien qu’elle soit cramoisie. Ses cheveux étaient ramenés en arrière dans une jolie composition et une légère couche de maquillage mettait ses traits en valeur.
Anjie me regarda et ses yeux s’embuèrent. Elle se précipita vers moi, pressant son front contre ma poitrine. « J’étais convaincue que tu ne nous reviendrais pas », murmura-t-elle. « J’étais terrifiée à l’idée de ne plus jamais te revoir. »
« Je suis désolé. »
« Tu joues toujours avec mon cœur comme ça, encore et encore. Tu es vraiment la lie de l’humanité. »
« Tu as tout à fait le droit de me quitter, si tu veux », avais-je dit.
Elle leva les yeux vers moi, des larmes coulant sur ses joues alors même que ses lèvres se retroussaient en un sourire. « Même si tu détestes ça, je ne t’abandonnerai pas. Alors… ne m’abandonne pas non plus. »
La chaleur s’était accumulée derrière mes yeux. Ne voulant pas qu’Anjie me voie pleurer, j’avais jeté mes bras autour d’elle, l’attirant plus près. Je n’avais rien dit à voix haute, mais mes gestes traduisaient assez bien ce que je voulais dire.
« Je t’ai rassemblé autant d’alliés que possible, » dit-elle. « Des nobles, des chevaliers et des soldats Hohlfahrtiens. Ils sont tous dans la salle d’audience, attendant de t’entendre parler. »
« Je parie qu’ils n’attendent que de se plaindre. »
« Je n’en serais pas si sûre. Quoi qu’il en soit, j’ai fait des efforts plutôt extrêmes pour les faire venir ici. Ce sera un véritable fardeau pour toi, mais si tu le souhaites, il est encore temps de tout reprendre. »
Je ne pouvais pas faire ça. Je ne pouvais pas refuser et gâcher son travail acharné. Il n’y avait pas de retour en arrière possible. Quel que soit le poids du fardeau, c’était à moi de l’assumer. Je risquais de râler et de me plaindre tout le temps, mais — en supposant que je m’en sorte vivant — je l’accepterais.
« C’est très bien », avais-je répondu.
« Es-tu sûr ? Je sais que tu — ! »
« C’est bon », avais-je insisté. Je n’avais vraiment aucune réserve à l’idée de m’attaquer à ce projet, quel qu’il soit. Anjie était celle qui avait mis son sang, sa sueur et ses larmes dans l’organisation de cet événement. « Merci, Anjie. J’apprécie vraiment cela. »
« Si tu dois commencer à remercier les gens, n’oublie pas d’inclure Livia et Noëlle. Elles ont fait en sorte que la maison Fanoss et la République d’Alzer soient de notre côté. »
« Je ne manquerai pas de leur exprimer ma gratitude aussi », avais-je promis.
Nous étions restés enlacés jusqu’à ce que quelqu’un frappe à la porte. Anjie s’était éloignée. « C’est l’heure. Sors de là et fais ce que tu as à faire, Léon. »
J’avais commencé à me diriger vers la porte pour qu’elle ne voie pas les larmes dans mes yeux. « Je n’ai jamais aimé être devant une foule. Et j’ai du mal avec les mots, alors parler en public n’est pas vraiment mon fort », avais-je plaisanté, en essayant de me distraire de mes émotions. « Alors, ne ris pas, même si je me plante royalement, d’accord ? »
Elle s’esclaffa. « Si tu sais faire des blagues, je n’ai aucun doute sur le fait que tu t’en sortiras. »
« Dois-je te préparer un discours ? », proposa Luxon, qui n’avait jamais cessé d’être l’épine dans mon pied.
Je lui avais fait une grimace. « Aussi tenté que je sois, tu ferais mieux de ne pas le faire. »
« Pourquoi pas ? »
« Je veux que ce discours vienne de moi. »
Les hommes qui m’attendaient allaient se battre à mes côtés. Le moins que je puisse faire, c’est de répondre à leur loyauté avec sincérité.
☆☆☆
Lorsque j’étais arrivé dans la salle d’audience, elle était pleine à craquer. Le personnel du palais m’avait guidé jusqu’au trône, où je devais faire mon discours. Avant mon entrée, des voix avaient résonné à travers les portes, mais maintenant, le silence était tel qu’on aurait pu entendre une épingle tomber. C’était déconcertant.
Ce qui est encore plus étrange, c’est que ni Roland ni Mlle Mylène n’étaient sur leur trône. Au lieu de cela, ils se tenaient sur le côté. J’aperçus mon maître à leurs côtés, ce qui me rassura un peu. En observant la foule, j’avais vu la brigade des idiots, Loïc se tenant à proximité. Lelia et Monsieur Albergue étaient également présents. Les aristocrates Hohlfahrtiens avaient formé des rangs bien ordonnés en attendant que je prenne la parole.
Toute l’atmosphère était bizarre.
Mes yeux s’étaient alors posés sur le comte Mottley, dont les yeux étincelaient d’admiration en me regardant. Mon père était également présent, accroché à l’arrière et se tordant avec agitation, comme s’il était terrifié à l’idée que je puisse tout gâcher. Quelques garçons étaient venus en uniforme d’écolier. Daniel, Raymond et, à ma grande surprise, le reste de notre groupe — tous de pauvres barons de l’arrière-pays — étaient aussi dans la foule.
Je scrutais les visages des personnes présentes. « Quand j’ai entendu parler de cette petite réunion inaugurale, j’ai à moitié pensé que je me présenterais et qu’il n’y aurait personne. Pour être honnête, c’est un grand soulagement de voir que ce n’est pas le cas. »
C’était une plaisanterie légère, mais elle avait été accueillie par un silence. Pendant une seconde, je m’étais demandé si je ne m’étais pas déjà ridiculisé, mais les expressions de leur public étaient restées sérieuses. Ils étaient apparemment prêts à me laisser continuer, même après cette blague stupide de ma part.
« Je suppose que vous savez déjà tous ce qui nous amène ici », avais-je poursuivi. « Le Saint Empire magique de Vordenoit a déclaré la guerre au royaume de Hohlfahrt. Si nous restons silencieux, et ne faisons rien, je peux vous dire avec certitude qu’ils nous tueront tous. »
Il y avait certaines informations que je ne pouvais pas évoquer, mais la déclaration de guerre était de notoriété publique à ce stade. L’empire avait demandé notre reddition, mais il l’avait conditionnée avec un certain nombre de conditions humiliantes, ce qui, je m’en doute, avait laissé mes collègues nobles très indignés.
« L’empire est un ennemi puissant. Ils ont un atout dans leur manche, et ils sont prêts à l’utiliser pour nous anéantir. C’est pourquoi j’ai décidé de me dresser contre eux pour me battre. » J’avais fait une pause, fronçant les sourcils. « Pour être tout à fait honnête, je me serais bien fichu que tout ce royaume tombe en ruine. »
Des murmures avaient parcouru la salle d’audience, mais je les avais ignorés.
« Hohlfahrt m’a déçu à maintes reprises. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Si vous regardez dehors, vous pouvez voir une énorme flotte de navires de guerre. Et cette pièce est remplie de gens. Pour la première fois, je me surprends à penser que j’étais prêt trop tôt à abandonner ce pays. »
Je ne comptais plus le nombre de fois où j’avais pensé que Hohlfahrt était une cause perdue, et notre situation cette fois-ci était plus grave que jamais. C’était un miracle que tant de gens se soient rassemblés pour cela, cela n’aurait pas été possible sans Anjie, Livia et Noëlle. J’avais regardé ces filles, je voulais qu’elles sachent que je les avais remarquées. Marie se tenait près d’elles, vêtue d’une robe blanche et des reliques de la Sainte. Plusieurs membres du clergé du Temple l’entouraient. J’avais entendu dire que Marie les faisait tourner en bourrique, mais j’en doutais jusqu’à ce que je le voie moi-même.
« D’ordinaire, je m’occupe des choses en mettant un adversaire en pièces verbalement tout en le remettant à sa place par le biais d’une force écrasante. Mais, malheureusement, ce n’est pas possible cette fois-ci. Je suis sincère quand je dis que l’empire est fort. Il n’y a aucune chance que je puisse les combattre tout seul. Alors… » J’avais pris une grande inspiration et j’avais penché la tête en arrière, regardant le plafond avant de retourner mon regard vers les gens qui étaient suspendus à chacun de mes mots. « Je vous demande de m’apporter votre soutien. »
J’avais baissé la tête. Les nobles dans la foule avaient haleté d’incrédulité, des chuchotements avaient éclaté.
En gardant la tête basse, j’avais continué : « Je n’ai pas besoin que vous fassiez cela pour moi. Faites-le pour vous-mêmes — pour les gens que vous aimez et que vous souhaitez protéger. Mais, je vous en supplie, battez-vous à mes côtés. »
Ce n’était un secret pour personne que j’avais été arrogant dans le passé. Je doute qu’aucun des spectateurs n’ait jamais imaginé que je ferais une demande aussi humble, la tête baissée.
Le murmure se poursuit jusqu’à ce que la voix du comte Mottley retentisse dans la salle d’audience. « S’il vous plaît, levez la tête. Par la présente, je vous jure ma vie, mon seigneur. Je vous demande de l’utiliser comme bon vous semble ! »
Lorsque j’avais levé la tête comme il me le demandait, le comte s’était avancé et s’était agenouillé devant moi, la tête penchée.
« Ceux d’entre nous qui sont réunis ici sont prêts à faire ce qui est nécessaire », déclara Vince. « Ne prenez pas cette loyauté et ce dévouement à la légère. »
Après ces deux preuves de fidélité, le reste des nobles exprimèrent ouvertement les mêmes sentiments.
« Bon sang ! Eh bien, je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que vienne le jour où Lord Bartfort daignerait baisser la tête devant nous ! »
« C’est vraiment un événement unique dans une vie — si l’on a même la chance d’en être témoin une fois ! »
« Voir ça valait la peine de venir ici, c’est sûr ! »
Des blagues et des rires avaient retenti, j’avais regardé tout cela avec la bouche ouverte.
Mon maître avait dû trouver cela inconvenant, car il prit la parole. « Il semblerait que vous nous ayez mal compris, monsieur Léon, alors laissez-moi mettre les choses au clair. Nous devrions vous supplier de nous aider. »
« Maître ? » avais-je dit avec incrédulité.
Comme pour confirmer, la foule commença à s’agenouiller et à baisser la tête. Même ce salaud de Roland s’était avancé pour montrer son respect, posant un genou à terre et s’inclinant — chose impensable pour un monarque.
« Archiduc Léon Fou Bartfort, je parle au nom de toutes les personnes présentes en disant que nous serions humbles et honorés d’avoir votre soutien dans la bataille à venir. »
Il était difficile d’imaginer Roland parlant avec une telle sincérité, sans y injecter quelques plaisanteries ou insultes, mais ses paroles sonnaient juste. Chaque âme dans la pièce était à genoux, la tête penchée. Roland ne m’avait pas traité de sale gosse et n’avait pas exigé ma loyauté, ce qu’il avait déjà fait par le passé. Il avait même formulé ses paroles comme une demande, implorant mon aide, bien que j’aie été le premier à le faire. Roland exprimait le désir sincère de se battre à mes côtés, comme tous les autres hommes présents.
« Merci à vous tous. Je serais ravi de m’envoler sur le champ de bataille à vos côtés. »
C’était une guerre que nous devions gagner à tout prix.
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merci pour le chapitre