Chapitre 15 : Un contre cinq
Table des matières
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Chapitre 15 : Un contre cinq
Partie 1
Au moment où Anjie arriva au palais royal, une voix de femme retentit derrière elle. Il s’agissait de Clarisse Fia Atlee, la fille du comte Atlee. Pendant un certain temps, Anjie et elle avaient été assez proches. Elles avaient fréquenté l’académie ensemble, mais Clarisse avait depuis obtenu son diplôme.
Clarisse s’engagea à grandes enjambées dans le couloir pour réduire la distance qui les séparait. « Cela fait un moment, Anjelica, » dit-elle chaleureusement. « On dirait que tu as rassemblé pas mal d’alliés. Ai-je raison de supposer que tu as fait tout ce chemin pour initier un coup d’État ? »
C’était évidemment une suggestion qu’elle trahissait, mais Anjie ne l’avait pas laissée l’atteindre. Elle jeta un coup d’œil à Clarisse, puis elle reprit sa marche vers sa destination initiale.
« J’ai une réunion avec Sa Majesté. Si tu n’as rien à faire ici, je te conseille de rentrer chez toi », dit sèchement Anjie. « La situation ici, au palais, ne peut que devenir chaotique. »
« Hélas, je travaille ici ces jours-ci. Je donne un coup de main à mon père. »
Anjie fronça les sourcils. « À un moment pareil ? As-tu les idées claires ? »
« Qui peut le dire ? Mais oublions tout cela. Léon va-t-il bien ? » demanda Clarisse, ses mots étant empreints d’un sens caché.
Suspicieuse, Anjie plissa les yeux. « Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« N’y vois rien de spécial. De toute façon, la reine doit t’attendre. » Sur ce, Clarisse prit congé.
Lorsqu’Anjie arriva au bureau de la reine, les gardes qui se tenaient à l’extérieur s’inclinèrent poliment, puis ouvrirent les portes pour lui permettre d’entrer. Comme Clarisse l’avait dit, la reine l’attendait vraiment.
« Pardonnez l’intrusion », déclara Anjie en entrant.
Mylène était assise à son bureau et parcourait des piles de documents. Sa main se figea à l’entrée d’Anjie, et elle laissa échapper un souffle avant de sourire. Ses gardes fermèrent après ça la porte pour leur donner de l’intimité.
« Tu as été terriblement occupée », dit la reine. « As-tu finalement décidé que tu souhaitais après tout prendre le pays ? » Elle ne tournait pas autour du pot.
« Oui », répondit Anjie en toute honnêteté. « C’est pour cela que je suis venue. »
« Tu as des nerfs d’acier pour venir ici sans être protégée. » Mylène gloussa, mais son rire s’estompa rapidement, remplacé par une expression plus sobre. « Je suppose que tu as entendu les demandes de l’empire. »
« Ils veulent la tête de Léon. »
« Ils veulent aussi que Hohlfahrt devienne un État vassal. Ils ont tellement d’exigences détaillées, c’est plutôt ennuyeux. »
« Alors avez-vous l’intention de résister ? »
« Nous ne pouvons pas », répondit Mylène avec calme. « Hohlfahrt a épuisé ses armées et ses ressources. Si nous allions au combat maintenant, nous tomberions bien trop vite. Certains sont même partisans de sacrifier Léon à l’empire pour sauver leur peau. »
« Je demanderai une liste de ces individus à une date ultérieure. »
Mylène regarda Anjie d’un air pensif. « Tu te comportes déjà comme la consort du roi. Non, pas une consort — une reine qui gouverne de son propre chef. As-tu l’intention de monter sur le trône ? De régner à la place de Léon, étant donné qu’il n’est pas le chef le plus fiable ? »
Anjie afficha un sourire contrariant. « Si c’est ce que Léon souhaite que je fasse, je le ferai. Aussi indépendante et têtue que je puisse paraître, je préfère un rôle de soutien. Et je ne voudrais pas faire quelque chose qui rendrait Léon malheureux. »
Mylène ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais elle se ravisa et secoua la tête. « Je suis en train de dresser une liste de ceux qui prônent le sacrifice de Léon en ce moment même. Je veillerai à ce que tu l’obtiennes plus tard. »
« Je vous remercie. » Cette question réglée, Anjie poursuit : « Nous allons demander au roi Roland d’abdiquer. »
« Alors c’est ça ton plan ? » demanda Mylène sans sourciller. « Vas-tu exécuter toute la famille royale, pour faire de nous un exemple ? »
« Ne plaisantez pas avec ça. Nous prévoyons une transition pacifique du pouvoir. Nous garantirons à la fois la sécurité du roi Roland et celle du reste de la famille royale. »
Mylène rétrécit les yeux, mécontente. « Alors tu n’es pas assez impitoyable. Si tu épargnes la famille du roi, tu ne demandes qu’à avoir des ennuis plus tard. Certains aristocrates se rallieront à nous en tant qu’étendard, revendiquant l’indépendance vis-à-vis d’Hohlfahrt. »
Anjie l’avait anticipé, mais cette perspective ne la dérangeait pas. « S’ils pensent qu’ils peuvent se battre contre Léon et survivre, alors ils sont les bienvenus pour essayer. »
Mylène lui lança un regard à la fois envieux et fier — la fierté d’un parent dont la fille s’était imposée. Après tout, c’est Mylène qui s’était occupée d’Anjie lorsque la jeune fille était venue au palais pour apprendre les bonnes manières et le décorum.
« Je suis heureuse de voir que tu as mûri et que tu es devenue une jeune femme forte. Il semble que j’ai eu raison de te choisir comme mon successeur. D’accord, les choses n’ont pas tout à fait fonctionné comme je l’avais prévu. »
Anjie était destinée à être la future reine du royaume suite à ses fiançailles avec Julian. C’est pourquoi Mylène s’était donné tant de mal pour l’élever. Mylène n’avait pas prévu que Julian gâcherait tout. C’est une chose qu’elle regrettait.
« Si j’ai autant grandi, c’est grâce à Léon », dit Anjie. « Malgré tout, je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi, Votre Majesté. » Elle baissa la tête.
« Il est trop tôt pour que tu me remercies. Tu as un adversaire bien plus redoutable à affronter. Sa Majesté t’attend dans la salle du trône. »
« Il m’attend ? » demanda Anjie, incrédule.
On commençait à croire que lui et Mylène avaient anticipé son arrivée — et ce que cela impliquerait.
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Lorsque j’avais quitté la grotte, Daniel et Raymond se précipitèrent vers moi.
« Léon, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi n’es-tu pas allé à l’école ? »
« C’est vrai, ça ne te ressemble pas de disparaître sans rien dire. Et maintenant, l’empire nous souffle dans le cou, prêt à la guerre. Nous sommes perdus sans toi. »
Je les avais longuement regardés. « Est-ce vous qui avez amené ces crétins ? »
Daniel refusa de croiser mon regard. « Eh bien, oui. Ils ont demandé à emprunter un dirigeable. Quand ils ont dit qu’ils allaient te trouver, nous avons accepté. » Il fit un geste de la main dans l’air, écartant ma question comme une réponse essentielle. « De toute façon, tu vas vraiment les affronter en duel ! »
Je jetai un coup d’œil vers la grotte, d’où venaient d’émerger les cinq types en question. « Ta supposition est aussi bonne que la mienne », avais-je sifflé. « Vous devriez tous les deux vous dépêcher de rentrer, ou vous serez pris dans les tirs croisés. »
Mes amis, inquiets, avaient fait ce que je leur avais conseillé, disparaissant dans les arbres voisins.
Une fois qu’ils furent partis, je m’étais retourné pour faire face à Luxon. « Il n’a toujours pas cessé de pleuvoir. Tes petites prévisions météorologiques étaient de vraies conneries. »
« Il ne s’est pratiquement pas écoulé de temps depuis cette prévision. Le taux de précipitations actuel correspond bien à mes calculs. »
Il avait toujours une excuse.
Debout sous la pluie battante, la brigade des idiots s’aligna devant moi.
« Vous n’avez rien appris depuis que nous nous sommes affrontés en première année », m’étais-je moqué. « Je n’arrive pas à croire que vous vouliez vous battre contre moi en armure. Vous êtes en état de mort cérébrale ou quoi ? »
À leur demande, les conditions de notre duel étaient les mêmes que la première fois, lorsque j’avais proposé de les combattre en l’honneur d’Anjie.
« Si nous gagnons, nous te ramenons à la capitale », dit Julian, une pointe de tristesse dans les yeux.
Il était hors de question que je perde.
« Et si je gagne », avais-je dit, « vous retournez tous à la capitale et à vos habituelles pitreries ridicules avec Marie. Vous n’avez pas à vous inquiéter. Je veillerai à ce que vous ayez beaucoup d’argent. Pour l’instant, vous pouvez vous amuser à votre guise. »
Julian rit. « Ça me paraît bien. Qu’on gagne ou qu’on perde, on y gagne quand même. » Il avait une sorte de ton de diable en disant cela. Malgré la pluie qui s’abattait sur nous, il avait l’air d’un beau prince.
Si j’avais été quelqu’un d’autre, j’aurais été vert de jalousie. Mais comme Julian et moi étions — enfin, pas vraiment des amis, mais quelque chose de plus que des connaissances, je suppose — ma jalousie était moins intense. Et c’était en fait une partie de ce qui nous unissait.
« Je vais frapper ton visage dégoûtant pour qu’il devienne méconnaissable et tuméfié. » lui avais-je dit en ricanant. « Luxon, fais sortir Arroganz. »
Même si je n’en voulais pas vraiment à Julian, mes paroles ressemblaient exactement aux répliques d’un méchant chétif et insignifiant.
« Très bien, » dit Luxon.
L’Arroganz était lentement descendu du ciel et il s’était posé derrière moi. Il avait atterri dans la boue, sa forme plus massive que jamais. Luxon n’avait cessé d’améliorer sa conception, en pensant à notre bataille imminente contre l’Arcadia.
J’avais lancé mon poing en arrière, en faisant passer mon pouce par-dessus mon épaule. « Ce n’est pas l’Arroganz que vous vous souvenez. Je vous ai pulvérisés en première année, n’est-ce pas ? J’espère que vous ne vous attendez pas à un combat aussi facile. » J’avais choisi mes mots avec soin, versant du sel dans de vieilles blessures.
« Non. Nous t’avons vu te battre de nombreuses fois », dit Chris en retirant ses lunettes. « C’est bien que tu aies continué à développer ta force. »
Sa bravade m’avait énervé. Les choses seraient tellement plus faciles s’ils abandonnaient.
« Eh bien, où sont vos armures ? J’espère bien que vous ne m’avez pas provoqué en duel sans les avoir préparées. » Connaissant la brigade des idiots, ce ne serait pas le moins du monde surprenant.
Puis, à mon grand choc, des armures avaient atterri derrière eux — toutes étrangement familières.
Éberlué, je m’étais retourné pour faire face à Luxon. « As-tu amené leurs armures ici ? »
« Je leur ai également apporté des ajustements. »
« Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? »
« C’est toi qui as accepté leur défi », me rappela consciencieusement Luxon. « Ils ne possèdent pas d’armures à eux, alors j’ai fourni des armures pour que les choses soient équitables. »
Quel était le but de tout cela ? Ils n’avaient toujours aucune chance de me battre. Luxon avait amélioré les performances d’Arroganz jusqu’à la limite de ses possibilités, en mettant tout en œuvre. Nous nous attendions à affronter des chevaliers démoniaques compétents, alors Arroganz devait être aussi puissant que possible. Les améliorations avaient rendu son pilotage encore plus difficile, mais grâce à mon entraînement supplémentaire et aux stimulants de performance, je me débrouillais. Il aurait cependant été impossible de voler sans eux.
Mes yeux avaient suivi Julian et le reste de la brigade d’idiots alors qu’ils grimpaient dans leurs armures. Il s’agissait des armures que Luxon avait préparées pour eux il y a quelque temps. Les gars avaient l’habitude de les piloter et l’avaient fait à de nombreuses reprises pour me soutenir au combat.
« Nous apprécions que tu nous les prêtes », dit Jilk en me souriant. Il ferma l’écoutille du cockpit, et son armure verte agenouillée se hissa sur ses pieds.
Le reste de la brigade des idiots avait suivi le mouvement, attendant que je fasse de même.
« Ne vas-tu pas te mettre en tenue ? » demanda Julian avec impatience.
Je serrais les poings. Mon agacement grandissait. « Je ferai en sorte que tu le regrettes. »
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Partie 2
Une fois bien installé dans le cockpit d’Arroganz, j’avais refermé l’écoutille d’un coup sec. Les écrans devant moi s’étaient mis en marche, me donnant une vue directe sur le paysage environnant. L’averse avait ramolli le sol, et comme nous étions dans une forêt, les broussailles et les fourrés denses rendaient le terrain difficile à parcourir.
Luxon avait pris sa position habituelle, planant au niveau de mon épaule droite.
« Pourquoi les aides-tu ? » demandai-je avec irritation. « Tu savais que je voulais les empêcher de s’impliquer. Ou bien as-tu oublié ? »
« Je n’ai pas oublié. »
« Alors qu’est-ce qui se passe ? »
« Je crois que ta préoccupation la plus immédiate devrait être Julian et ses amis. Ils attendent. »
J’avais soupiré et je m’étais concentré sur les écrans devant moi. Les cinq idiots étaient alignés dans leurs armures. Ce spectacle me rappela notre duel de première année. Ma nostalgie n’était pas seulement due à la similitude des couleurs de leurs armures, Luxon avait aussi conçu les armures des garçons pour qu’elles ressemblent à leurs armures d’origine. Celles-ci ressemblaient essentiellement à des modèles améliorés, et en effet, leurs performances étaient bien supérieures. On ne peut pas en dire autant des compétences de leurs pilotes.
« Très bien, par qui veux-tu que je commence ? » demandai-je, impatient d’identifier ma première victime.
Brad et Chris ricanèrent.
« Hein ? Quand avons-nous dit que nous te combattions un par un ? » railla Brad.
Nous communiquions à l’aide de nos micros embarqués. Pendant que mes adversaires parlaient, leurs armures imitaient les gestes des pilotes, secouant la tête d’un côté à l’autre.
« Quoi ? » Mon front s’était plissé.
« Ce sera du cinq contre un ! » beugla Chris. Sa déclaration plutôt pathétique fit s’évaporer la tension qui régnait dans l’air.
« Sérieusement ? N’avez-vous aucune fierté ? » J’espérais que le fait de les frapper là où ça fait mal les convaincrait de renégocier les termes du duel.
Greg me montra du doigt. « Je suis prêt à l’admettre — tu es fort ! Suffisamment fort pour que je ne trouve pas cela un tant soit peu injuste ! »
Mon nez se plissa, ma lèvre supérieure s’enflamma de dégoût. « Cette logique est plutôt foireuse, bande de cons. »
« C’est étrange que tu dises une chose pareille », murmura Jilk avec une surprise feinte. « Surtout si l’on considère que tu nous as dit un jour que nous aurions dû nous en prendre à toi tous ensemble. Tu te souviens ? »
« Quoi — c’est pour ça que tu appuies sur l’avantage du nombre ? »
« Nous faisons ce qu’il faut pour remporter la victoire », répondit Julian d’un ton posé, peu enclin à plaisanter avec ses camarades. « Une fois que tout sera terminé, tu rentreras avec nous. Ça, je te le promets. »
Toute autre discussion serait inutile. Tous les autres brandissaient déjà leurs armes, alors je m’étais emparé des manettes de commande d’Arroganz.
« Venez essayer de me battre, bande de crétins ! »
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La sueur tapissait le front de Julian, quelques perles dégoulinent sur son front alors qu’il se tenait devant le nouvel Arroganz amélioré. La colère de Léon imprègnait l’air et la tension semblait s’infiltrer dans l’armure de Julian.
« Tu ferais mieux de nous attaquer comme si tu étais sérieux », prévint Julian. « Tu te trompes lourdement si tu crois que nous tournons en rond depuis que nous nous sommes affrontés ! »
En vérité, Julian était terrifié. Il savait qu’Arroganz était une bête sans pareille. Comment pouvait-il ne pas s’en rendre compte, alors qu’il avait été aux premières loges de tant de batailles de Léon ?
Levant son bouclier, il avança. Derrière lui, Jilk s’envola.
« Je vais le coincer d’en haut ! » hurla Jilk. « Vous en profitez tous pour — »
Il fut interrompu lorsque le conteneur arrière de l’Arroganz libéra un barrage de missiles. Grâce à leur technologie de détection de chaleur, ils filèrent vers Jilk qui tenta d’esquiver.
Léon ricana. « Ils ne sont pas mortels — mais s’ils frappent, tu es dans le pétrin ! Tiens. Il y en a d’autres là d’où ça vient ! »
En quelques secondes seulement, il déjoua la stratégie de Jilk.
Greg et Chris se déplacèrent ensuite, tentant une manœuvre de flanc de part et d’autre de Léon. Greg attaqua avec un coup de lance, tandis que les épées jumelles de Chris s’étaient écrasées sur Léon depuis le haut, prêtes à le couper en deux.
Julian pensait que l’attaque coordonnée laissait peu de place à une riposte appropriée, aussi redoutable que soit Arroganz. Léon lui prouva le contraire, en levant les bras, Arroganz dévia facilement les deux coups.
« Les défenses renforcées de cette armure sont une vraie plaie ! » s’insurgea Greg.
« Cela signifie que notre seul choix est de poursuivre l’assaut ! » hurla Chris. « Ne lui donne pas l’occasion de riposter ! »
« Compris ! »
Ils lancèrent une rafale d’attaques de part et d’autre de Leon. Bien que le blindage d’Arroganz ait annulé tout effet, l’offensive avait fourni une distraction qui avait permis à Brad de se faufiler derrière Léon.
« Nous n’aurions jamais pensé te battre facilement, Léon », dit Julian, puis il acquiesça, faisant signe à son allié. « Maintenant, Brad ! »
À l’ordre de Julian, Brad libéra les lances montées dans son dos. Elles voguèrent dans les airs et lancèrent des rayons laser sur Arroganz. Le revêtement de l’armure blindée était devenu brûlant partout où il avait été touché, mais Luxon avait réduit la puissance des lasers pour la durée du duel, ce qui avait empêché que la frappe ne cause des dommages durables.
Greg et Chris s’étaient repliés pour éviter d’être touchés par des tirs amis.
« Même Arroganz ne peut pas résister à un bombardement de tous les côtés, hein ? » railla Brad. « Tu aurais dû clarifier les termes du duel avant qu’on ne te tombe dessus tous en même temps, Léon ! »
« Pensez-vous vraiment que vous êtes plus puissant qu’Arroganz !? », grogna Léon. Cette fois, il tira une vague de drones armés de petits fusils. Ils prirent rapidement en chasse les lances à longue portée de Brad.
Libéré des tirs concentrés venant de tous les côtés, Arroganz chargea en avant et percuta Julian.
« Guh ! » s’étouffa Julian.
Il réussit par miracle à s’arc-bouter, mais même ainsi, Léon le dominait et le repoussait. Les pieds de Julian traînaient dans la boue tandis que Léon fauchait les arbres, se créant ainsi un chemin, et plongeait dans la forêt tandis que Julian servait essentiellement de bouclier de viande.
« Est-ce ça ? » ricana Léon. « Penses-tu vraiment pouvoir me battre alors que c’est tout ce que tu as ? »
Le tempérament de Julian s’enflamma. « Nous avons juré de ne plus jamais choisir un combat que nous ne pourrions pas gagner. C’est ce que tu nous as appris, Léon ! » Son armure d’ivoire se chargea de puissance, tentant de résister à Arroganz.
« C’est sans intérêt. Tu ne peux pas battre Arroganz. »
« Peut-être que je ne pourrais pas le faire en tête-à-tête — mais je ne me battrai pas seul contre toi ! »
Des tirs de fusil pleuvaient sur l’armure de Léon depuis le haut. Les balles du fusil avaient été échangées contre des billes de peinture, elles poivraient en vert le conteneur arrière d’Arroganz. Un coup d’œil en haut révélait que le tireur était Jilk, qui avait réussi à stabiliser le fusil dans ses mains et à viser alors même qu’il était bombardé par les drones de Léon.
« Tu as baissé ta garde, Léon » dit Jilk.
À peine avait-il dit cela que les drones l’entourèrent, le noyant dans le feu.
À l’intérieur de chacun de leurs cockpits, une voix robotique retentit. « L’armure de Jilk a subi d’importants dommages et est désormais inapte au combat. Les fonctionnalités ont été immédiatement suspendues. »
L’armure de Jilk descendit lentement vers le sol. Ses commandes s’étaient verrouillées, le rendant complètement immobile.
« Ça va, Jilk ? » Julian l’appela au micro.
Malgré sa bravade précédente, Jilk répondit sombrement. « Mes excuses. J’ai visé sa tête, mais à cause des dégâts que j’ai subis, une seule main était opérationnelle. Cela m’a empêché de viser. »
« C’est très bien. Tu as été d’une grande aide. »
Jilk ne pouvait plus participer à leur combat, mais il avait détruit l’une des ressources de Léon.
« Je purge le conteneur arrière d’Arroganz », annonça Luxon, au grand désarroi de Léon. « Il n’est plus fonctionnel. »
« Ce n’est pas possible qu’il ait tout détruit ! » protesta Léon.
« C’est faux, » rétorqua Luxon. « Cette attaque directe a rendu le contenu du conteneur irrécupérable. S’il s’agissait d’une vraie bataille, je l’aurais quand même purgé. »
« Merde ! »
Confiant dans le fait que Léon était distrait, Julian capitalisa sur l’occasion pour bondir en arrière, brandissant à nouveau son arme. « Bien. Maintenant, tu ne peux plus utiliser aucun de tes jouets. »
Manipulant les commandes de son armure, Julian activa ses canons d’épaule et tira sur Arroganz. Bien que Luxon ait assuré qu’il avait diminué la puissance des canons, l’explosion qui s’ensuivit fut puissante. Elle aurait dissuadé toute personne ordinaire de poursuivre son assaut, mais Julian n’était pas un individu ordinaire — et son adversaire non plus.
« Désolé, mais je ne vais pas laisser passer cette chance ! »
Il savait que les dégâts qu’il causerait ne détruiraient pas Arroganz. Et en effet, bien que le spectacle de feu ait été impressionnant, il n’avait pas été très efficace. Arroganz s’en était sorti indemne, malgré la fumée noire laissée dans le sillage de l’explosion.
Julian continua de tirer avec ses canons en une succession rapide. Des détonations assourdissantes déchiraient l’air. Au milieu du feu et des flammes, les yeux rouges d’Arroganz brillaient d’une lueur inquiétante.
« Même ça ne suffira pas, hein ? » dit Julian en serrant les dents.
Luxon n’avait pas déclaré qu’Arroganz avait subi trop de dommages pour continuer à fonctionner. Il avait dû déterminer que les attaques de Julian n’avaient pas pénétré le blindage de l’armure.
Arroganz avait alors jailli du nuage de fumée. Sa main droite se dirigea vers Julian, qui leva son bouclier juste à temps pour le bloquer. Sentant le danger imminent, il jeta le bouclier de côté et recula d’un bond. Quelques secondes plus tard, Arroganz jeta le bouclier et s’accroupit, puis se propulsa dans le ciel.
Le cri guttural de Léon perça les oreilles de son adversaire. « Ne vous emballez pas, bande de faibles idiots ! »
De la sueur coula sur la joue de Julian. « C’est encore du quatre contre un, Léon. Ce n’est pas encore fini ! »
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Partie 3
Ces crétins sont experts dans l’art de m’énerver. Qu’est-ce qu’ils ont contre moi ? Je leur ai dit que je m’occuperais de tout, en leur nom, alors pourquoi ne peuvent-ils pas rester tranquilles et se tenir sur la ligne de touche ?
Une fois qu’Arroganz avait perdu son conteneur arrière, les seules armes qui lui restaient étaient ses poings. Alors que je filais dans les airs, les lances restantes de Brad — trois seulement — se précipitèrent sur moi.
« J’en ai marre de ces choses », avais-je marmonné. « Ils sont comme un essaim de mouches agaçantes. »
Pendant que j’étais occupé à traquer les lances, Greg et Chris montèrent à mon altitude. Julian n’avait pas tardé à suivre, mais les deux autres lancèrent une attaque en premier, me chargeant sans se soucier des tirs amis.
« Tu ne penses pas sérieusement que tu peux te permettre des distractions ici, n’est-ce pas ? Parce que si tu ne fais pas attention, je vais te mettre à terre ! » déclara Greg en effectuant une série rapide de coups avec sa lance.
« Nous ne laisserons pas le sacrifice de Jilk être vain ! » ajouta Chris en me tranchant avec ses deux lames.
Ni l’un ni l’autre n’avaient lâché prise, si bien que je n’avais eu d’autre choix que de faire des manœuvres défensives. Cela donna à Julian l’occasion de se joindre à la mêlée. Contrairement à Chris, il ne maniait qu’une seule épée dans sa main droite. Une fois qu’il m’avait atteint, les autres lui firent de la place pour qu’il puisse frapper.
« Qu’est-ce qu’il y a, Léon ? » railla le prince. « Je croyais que tu avais dit qu’il serait facile de nous abattre. Le seul que tu as éliminé jusqu’à présent, c’est Jilk ! »
Tandis que ces trois-là me maintenaient bloqué, Brad restait à distance, manipulant toujours ses lances tout en visant avec un fusil. « Plus question de fuir, » ajouta-t-il. « Nous profitons de cet élan pour revendiquer la victoire ! »
J’étais complètement encerclé, acculé dans ce qui semblait être une situation désespérée. Mais je n’allais pas me soumettre, encore moins me rendre.
« Ne m’oblige pas à me répéter, Brad », avais-je ricané. « Vous n’êtes qu’une bande de perdants, et c’est tout ce que vous serez jamais. » Tout en gardant les yeux rivés sur le champ de bataille, je faisais des mouvements subtils et minutieux avec les commandes d’Arroganz, ajustant le poids de mon pied sur la pédale d’accélération pour réguler ma vitesse par des incréments de plus en plus minuscules.
En étendant son bras, Arroganz s’était accroché à l’armure de Chris et je le fis pivoter. J’avais envoyé son armure en direction de celle de Greg.
« Gaaah ! » s’écria Chris.
« Chris ! » grogna Greg, la voix tendue par la frustration alors qu’il essayait de se concentrer. « Dépêche-toi ! Corrige le cap ! »
Trop tard. À la seconde où ils se heurtèrent, j’avais attrapé les deux avant qu’ils ne puissent s’échapper.
« Vous êtes finis », avais-je grogné. « Impact ! »
Malgré mon ordre, Arroganz n’avait pas exécuté l’attaque nommée. Luxon s’était empressé d’intervenir en tant qu’arbitre, puisque nous étions en duel. « Greg, Chris, vos armures ont subi trop de dégâts pour rester en l’air. Initialisation de la descente. »
« Prenez plaisir à manger de la terre ensemble ! »
Brad leva son fusil et visa. « De toute façon, j’ai juste besoin de te toucher. »
Il tira, mais contrairement à Jilk, il ne visait pas si bien qu’il pouvait atteindre une cible avec précision à une telle distance. De plus, sans ce lourd conteneur arrière, l’Arroganz était beaucoup plus mobile. Sa charge importante m’avait considérablement ralenti au début du duel, maintenant que j’étais sans restriction, il était bien plus facile à manœuvrer.
En esquivant les tirs qui arrivaient, j’avais foncé vers Brad. Julian était sur mes talons, mais il avait déjà dépensé ses canons d’épaule, ce qui le privait d’armes à longue portée.
« Fuis, Brad ! », cria-t-il.
Naïf comme il l’était, Brad ignora l’ordre, convaincu qu’ils pourraient renverser la vapeur si seulement il réussissait un coup.
« Je vais l’abattre ! » répondit Brad. « Nous avons promis de le ramener à la maison, après tout. » Il s’élança dans les airs pour m’éviter, tout en tirant, mais ses mouvements n’étaient pas aussi fluides que ceux de Jilk.
Le coin de mes lèvres se transforma en un sourire de travers. « Tu aurais dû t’enfuir quand tu en avais l’occasion, Brad ! »
Arroganz rattrapa l’armure de Brad et lui saisit rapidement ses deux bras. J’avais alors appuyé sur la gâchette de mon manche — la méthode habituelle pour libérer Impact — en renonçant à la théâtralité de donner l’ordre à haute voix.
« L’armure de Brad n’est plus apte au combat », annonça Luxon.
« Bon sang ! » maugrée Brad en grinçant des dents de frustration. « J’étais si près du but. »
« Cinq contre un, et c’est vraiment tout ce que vous pouvez accomplir ? » crachai-je depuis la sécurité de mon cockpit. Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule à Julian, qui brandissait son épée à deux mains. « On dirait qu’il ne reste plus que toi, princelette ! »
Julian éjecta ses canons d’épaule, avec leur poids en moins, sa mobilité grimpa aussi. « Peu importe les chances, je n’ai pas l’intention de perdre ! »
« Reprends-toi et regarde la réalité en face. Luxon a bricolé vos armures à la volée. Elles n’ont rien à envier à une armure entièrement personnalisée comme Arroganz », dis-je en essayant de le raisonner. « Ne sois pas stupide. Tu ne peux pas surmonter une telle différence par la seule force de ta volonté. »
En termes de puissance et de fonction, l’Arroganz était un monde par rapport aux armures que pilotait la brigade d’idiots. Il les surpassait de loin. Bien sûr, la brigade des idiots avait l’avantage du nombre, mais Arroganz était encore assez fort pour les dominer.
J’avais donné un coup de poing. Julian s’était empressé de le bloquer avec son épée. Des fissures parcoururent la lame sous l’impact, veinant l’acier et la rendant inutilisable.
« Maintenant, rends-toi », avais-je dit. « Ou bien vas-tu t’appuyer sur ton statut et m’ordonner de le faire ? Vas-y. J’aimerais bien t’entendre me dire d’admettre ma défaite ! »
Même en disant cela, je savais qu’il ne fallait pas penser qu’il ferait vraiment quelque chose comme ça.
« Cela me rappelle des souvenirs de notre premier match », déclara Julian.
« Hein ? »
« Aucun d’entre nous n’a jamais rêvé de perdre. »
J’avais ricané. « C’est exactement pour ça que tu t’es fait humilier devant cette foule immense. Et tu n’as pas du tout mûri depuis. »
J’avais enfoncé mon poing dans la tête de l’armure de Julian, l’envoyant plonger vers le sol en contrebas.
« Guh !? »
Luxon n’avait pas déclaré l’armure de Julian inapte au combat, alors je l’avais poursuivi et j’avais atterri gracieusement à ses côtés. Il fallut tout ce que Julian et son armure abîmés avaient pour se lever et me faire face.
Ce combat était comme terminé.
« Abandonne », ai-je dit. « Tu ne peux pas me battre. Ni maintenant, ni jamais. Rentre chez toi et attends avec Marie que cette guerre soit terminée. »
« Arrête tes conneries ! » grogna Julian en perdant son sang-froid. « Tu n’arrêtes pas de parler — te crois-tu vraiment si important que ça ? »
C’est mon assurance qui l’a énervé, hein ? Si Julian était tellement énervé qu’il avait perdu son sang-froid, c’était en ce qui me concerne une victoire pour moi.
« Franchement. As-tu oublié que je suis un archiduc ? Autrement dit, j’ai un rang bien plus élevé qu’un petit prince qui ne montera jamais sur le trône ! » Je levais mes bras, soulignant ma certitude absolue quant à l’issue du duel.
« Non, je ne parle pas de statut », déclara froidement Julian. « Tu as l’intention de combattre l’empire tout seul, n’est-ce pas ? »
« C’est exact. Toi et tes amis idiots ne feriez que vous mettre en travers de mon chemin. »
« J’admets volontiers que nous ne sommes pas les alliés les plus solides. Mais Léon… nous voulons t’aider. »
C’est ridicule.
« En partie parce que Marie nous l’a demandé. Mais nous avons aussi le désir sincère de te soutenir. »
Cela me donne envie de vomir.
« Tu n’as pas à endosser tout cela toi-même. Nous nous battrons à tes côtés — pour toi. »
Vous m’énervez sérieusement.
Le temps que je réalise ce qui se passait, je fonçais vers Julian, le bras en arrière. Je l’avais frappé avec toute la force dont j’étais capable, l’envoyant voler. Son dos s’était écrasé contre un arbre et son armure s’était affaissée sur le sol, les jambes étalées devant elle.
« Qu’allez-vous faire exactement pour moi ? Essayez de prétendre que vous pouvez m’aider quand vous m’aurez réellement battu. En l’état, vous ne servez à rien — rien de plus qu’un autre obstacle. Tout ce que vous faites, bande de crétins, c’est me causer des ennuis. »
Je passais mon temps très limité et extrêmement précieux à satisfaire leur petite demande de duel. Chaque minute — chaque seconde — était précieuse. Pourquoi ne pouvaient-ils pas me laisser tranquille ?
Julian se traîna jusqu’à ses pieds et tituba vers moi. « Marie est venue à nous en sanglotant, en se prosternant — tout ça pour toi. »
Je l’avais regardé fixement, abasourdi. J’essayais de rejeter ses paroles, les pleurs de Marie n’étaient pas mon problème. Pourtant, ma poitrine se serra douloureusement. Pourquoi ?
« Et alors ? » avais-je crié. « Je suis sûr qu’elle est juste terrifiée à l’idée de perdre sa tirelire. »
« Marie pleurait pour toi », insista Julian. « Je ne laisserai personne jeter le doute sur elle à cet égard. Pas même toi, Léon. »
Au cours de notre va-et-vient, il avait réduit la distance entre nous.
« Ah. Allez-vous vous battre au nom de votre bien-aimée ? Ça doit vous faire du bien, à vous les crétins, qui jouez toujours les héros de contes de fées ! Dépêchez-vous de jeter l’éponge — comme ça votre jolie petite Marie pourra vous consoler d’être de tels perdants ! »
J’avais lancé mon poing sur lui, mais j’avais perdu l’équilibre. C’était comme si quelque chose retenait mes jambes. Déconcerté, j’avais jeté un coup d’œil vers le bas pour voir les armures de Greg et de Chris au sol, chacune accrochée à l’une des jambes d’Arroganz.
Ah oui, j’ai oublié. Luxon n’a jamais dit qu’ils étaient hors du duel.
Serrant la mâchoire, j’y avais enfoncé mes poings. « Pathétique ! Vous pensez sérieusement que vous pouvez battre Arroganz avec un travail d’équipe ? Ne soyez pas des imbéciles ! »
Peu importe la façon dont je l’avais battu, Greg avait refusé de lâcher prise. « Je commence à en avoir assez de t’entendre parler d’’Arroganz’ par-ci, d’’Arroganz’ par-là. Ça suffit ! » siffla-t-il. « Sois honnête. La vraie raison pour laquelle tu parles de ton méca, c’est parce que tu sais que tu es en train de perdre, n’est-ce pas ? »
Le monde était devenu rouge et la rage m’avait envahi. Je savais qu’il avait raison — je le savais mieux que quiconque, en fait.
« N’as-tu rien à dire pour ta défense ? » exigea Chris en jetant son épée aux pieds de Julian. « On dirait que tu as vu juste, Greg. Tu as certainement plus de facilité à manier les mots ces derniers temps. Moi qui ai du mal à m’exprimer, je t’envie. »
« Ha ! Je vais prendre ça comme un compliment. »
Ils m’avaient ignoré, ricanant joyeusement entre eux. Mais tout cela était inutile.
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Partie 4
« Est-ce tout ce que vous avez à dire ? » J’avais finalement craqué, je les avais saisis et j’avais déclenché Impact — une onde de choc qui les avait rendus tous les deux inconscients. Je les avais soulevés en l’air et les avais jetés hors du chemin.
Julian ramassa l’épée que Chris lui avait lancée et la tint en l’air.
« Il n’a pas tort », avais-je admis, avec un léger haussement d’épaules qu’ils ne pouvaient pas voir. « Je ne suis pas fort. Les plus forts sont Luxon et Arroganz. Mais en quoi cela est-il important ? Vous êtes à terre, et c’est moi qui suis debout — celui qui sera victorieux. »
J’allais gagner ce duel, mais cela ne m’apportait aucune joie. J’en connaissais la raison exacte — c’était que ces crétins avaient eu l’audace de me défier. Julian prétendait qu’ils voulaient me ramener à Marie, mais je sentais qu’ils se préoccupaient aussi de mon bien-être.
J’étais si irrité parce que leurs paroles avaient touché un point sensible. Si je n’avais pas récupéré Luxon, Livia aurait pu créer un monde paisible, sans tout ce désordre. Ce n’était qu’une possibilité, bien sûr. Pourtant, j’avais l’intuition que quel que soit le monde qu’elle aurait créé, il aurait eu un avenir bien meilleur que le nôtre.
Non seulement je n’étais pas digne d’elle, mais je n’étais même pas digne de Luxon. J’étais resté là, figé.
Julian rit. « Ce duel n’est même pas encore terminé, et tu jubiles déjà. Tu es pourtant inhabituellement sombre. Normalement, tu aurais décuplé les moqueries de Greg. »
« Tais-toi. »
« Je n’avais jamais réalisé que le fait d’être incapable de nous vaincre sans ton armure te rongeait. Maintenant, je sais qu’il ne faut pas s’embêter avec les armures et qu’il faut plutôt te défier dans une bagarre ordinaire. C’est toi qui ramperas sur le sol alors, Léon. »
« Tais-toi », avais-je répété, plus intensément.
« As-tu déjà obéi à un adversaire qui te demandait de te taire ? N’est-ce pas plutôt ton style de discerner où l’ennemi est le plus vulnérable et de vraiment tordre le couteau dans la plaie ? Briser leur esprit pour qu’ils tombent à genoux et ne se relèvent plus jamais ? C’est le Léon que je connais. »
« Pour qui diable fais-tu cela !? Franchement ! » J’avais bondi en avant, ma main traversant l’air en direction de Julian. Avant que mes doigts n’attrapent leur cible, des missiles avaient fusé dans toutes les directions. Trop tard, je m’étais rendu compte qu’il s’agissait de liens — des fils qui enserraient étroitement Arroganz. Mon Armure perdit pied sur la boue instable qui se trouvait en dessous, et je perdis l’équilibre, claquant au sol. « Qu’est-ce que c’était que ça ? »
Un examen de mon environnement révéla que le reste de la brigade d’idiots utilisait des fusils à harpon contre moi. Ils étaient sortis de leurs cockpits, abandonnant la sécurité de leurs armures pour continuer la bataille. Ayant si souvent combattu à mes côtés, ils auraient dû savoir que c’était horriblement dangereux. Pour en arriver là, ils devaient être prêts à tout pour me battre.
Malheureusement pour eux, cela enfreignait les règles.
« Des tricheurs », avais-je sifflé en me tournant vers Luxon. « Tu vois ça ? Disqualification, j’ai raison ? »
« Non », répondit-il.
« Hein !? »
« Il n’y avait pas de règle explicite interdisant de quitter son Armure pour se battre en chair et en os. Par conséquent, le duel se poursuit. »
Tu te moques de moi. Soudain, tout s’expliquait. « Je trouvais bizarre que tu prennes leur parti. Tu m’as trahi, n’est-ce pas ? Tu leur as donné mon emplacement. »
« Crois-tu honnêtement qu’il soit judicieux de perdre du temps à m’interroger alors que tu devrais te concentrer sur tes adversaires ? »
J’avais tourné la tête d’un coup sec. À ce moment précis, Julian abattit son épée sur moi. L’impact ébranla Arroganz.
« Dans une vraie bataille, ce coup aurait provoqué des dégâts considérables que même Arroganz n’aurait pas pu éviter », m’avait prévenu Luxon. « Je vais donc ajuster la performance d’Arroganz pour en refléter les conséquences. »
Bien sûr, les commandes d’Arroganz avaient perdu de leur sensibilité, et sa puissance avait également diminué.
« Quoi qu’il en soit. Je ne vais quand même pas perdre. » Je m’étais tendu contre les fils, les faisant claquer. Mon poing s’élança dans l’air. Comme avant, Julian para avec sa lame, qui avait volé en éclats et s’était brisée. Il ne lui restait plus que ses mains nues.
Il donna un coup sur Arroganz, faisant trembler mon cockpit. J’avais laissé échapper un grognement de surprise.
« Nous avons passé un nombre incalculable d’heures à nous entraîner pour pouvoir te battre, » dit Julian en serrant les dents. « Bien plus que tu n’en as mis pour nous affronter ! »
J’étais honnêtement impressionné par la mesure dans laquelle leur travail d’équipe supérieur avait compensé ma force. Pourtant…
« Tu devrais passer ton temps à faire quelque chose de valable, crétin ! » avais-je crié.
« Pour moi, cela en valait largement la peine ! »
Notre combat s’était transformé en pugilat, les poings de nos armures se balançant. La puissance réduite d’Arroganz rendait difficile la fin rapide du duel, mais l’armure de Julian était bien amochée et son état s’aggravait à chaque instant. Pourtant, il ne voulait pas tomber.
« J’en ai tellement marre de vous entendre vous plaindre et pleurer ! Qu’est-ce qui vous rend si malheureux, hein !? » J’avais coincé le pied de son armure avec Arroganz.
« Quoi !? Nous détestons tout cela, si tu veux le savoir ! Tu nous regardes de haut, tu es suffisant, comme si tu savais tout — nous détestons tout ça ! » Son poing se heurta au revêtement d’Arroganz, qui était assez résistant pour briser la main de son armure.
J’avais reniflé. « Eh bien, tu ne sais rien du tout. » J’avais saisi sa main droite et j’avais essayé de l’arracher. Mais Arroganz étant si affaibli, je ne pouvais tout au plus qu’essayer d’étirer et de faire craquer les articulations. « Et c’est très bien », avais-je ajouté. « Vous n’avez pas besoin de le faire. » Avec mes deux mains, j’avais commencé à déchirer son armure.
« Je vais tout finir », avais-je craché. « Tout ce que vous voulez, c’est vivre heureux avec Marie, n’est-ce pas ? » J’avais serré mes mains l’une contre l’autre et je les avais levées au-dessus de ma tête, puis je les avais balancées contre l’armure de Julian. « Fermez vos gueules, reculez et laissez-moi vous protéger ! »
Je m’occupe de tout. C’est simple et agréable, n’est-ce pas ?
Au moment où l’armure de Julian s’était effondrée sur le sol, j’étais essoufflé et à bout de souffle.
« L’armure de Julian a cessé de fonctionner, » annonça Luxon.
« Alors j’ai gagné. »
« Non, » corrigea Luxon. « C’est un match nul. »
Je l’ai regardé d’un air narquois. « Qu’est-ce que tu as dit ? »
« Une attaque a été faite avant que je ne déclare Arroganz vainqueur. Elle doit être prise en compte. Par conséquent, ce duel est un match nul », conclut Luxon d’un ton détaché.
À la seconde où je pensais avoir remporté la victoire, une bille de peinture verte avait éclaboussé l’écoutille du cockpit d’Arroganz.
J’avais serré les poings. « Tu dois plaisanter ! »
Malheureusement, en raison du jugement officiel de Luxon, Arroganz avait cessé de fonctionner et était devenu immobile. J’avais fait craquer la trappe et j’avais dégringolé à l’extérieur.
En plissant les yeux, j’avais repéré ce qui avait été ma perte : la brigade des idiots s’était ralliée autour de l’armure tombée de Jilk, où ils avaient travaillé ensemble pour viser et appuyer sur la gâchette du fusil qu’elle portait. Qu’est-ce qui ne va pas chez eux ? Quel est l’intérêt d’en arriver à de telles extrémités ? Au terme de leurs efforts épuisants, ils s’étaient effondrés sur leurs fesses, épuisés. Leurs visages grimaçants s’étaient tournés vers moi.
« Bande de perdants », avais-je soufflé.
Pourquoi voulaient-ils à tout prix me battre ? Qu’est-ce qui les a poussés à mettre leur nez là-dedans ? Était-ce à cause de Marie ? Si c’est le cas, ils auraient dû rester avec elle.
J’étais resté immobile alors que la pluie se déversait autour de moi. Julian sortit du cockpit de son armure et se dirigea vers moi en piétinant, ses bottes s’écrasant dans la boue.
« Veux-tu toujours faire ça, Léon ? »
« Maintenant, tu parles ma langue, princelet. J’ai toujours voulu frapper cette gueule écœurante qui est la tienne, noire et bleue. » Je m’étais jeté sur lui et j’avais enfoncé mon poing dans sa joue. Il avait reculé instinctivement et m’avait asséné un coup net sur le visage.
« Comme c’est pratique », dit-il entre les dents serrées. « J’avais hâte de te casser la figure moi aussi ! »
« Espèce de monstre de la nature stupide et heureux de sa brochette ! »
« Quelles louanges ! »
La fois suivante où je lui avais donné un coup de poing, il m’avait instantanément attrapé les cheveux et avait remonté son genou, me frappant en plein dans le ventre. L’entraînement et les drogues m’avaient donné une longueur d’avance, mais Julian s’était obstiné à me suivre. Cela n’aurait peut-être pas dû me surprendre, car gagner toute cette force en si peu de temps avait fait payer un lourd tribut à mon corps. Pourtant, c’était frustrant. Je ne pouvais pas le battre, même en trichant ?
J’avais essayé de me baisser pour le plaquer, mais j’avais perdu pied dans la boue et j’avais fini par m’accrocher à sa taille.
« C’est quoi ton problème, au fait ? Est-ce vraiment si amusant de me mettre des bâtons dans les roues tout le temps !? »
Julian n’avait pas répondu, il concentra ses forces pour me lancer en arrière, m’envoyant rouler dans la boue. Avant que je ne m’arrête complètement, il se jeta sur moi, à califourchon sur ma taille. J’avais levé les bras pour protéger ma tête juste à temps lorsque ses poings s’étaient abattus.
« Qui a dit que tout cela était amusant ? » rétorqua-t-il. « Nous sommes tout simplement furieux contre toi ! »
« Ah oui ? Tu ne dis rien. Je suppose que tu me détestes vraiment. »
« Non ! » s’était-il écrié, à ma grande surprise. « Tout ce que nous voulons, c’est que tu dépendes de nous. »
Le barrage interminable de coups de poing prit fin, et lorsque j’avais prudemment baissé les bras, j’avais vu des larmes couler sur ses joues. Elles se mélangèrent aux tonnes de pluie qui continuaient à se déverser sur nous, dégoulinant contre mon visage.
« Nous ne faisons pas cela parce que Marie nous l’a demandé », poursuit Julian. « Pourquoi ne nous as-tu pas demandé de l’aide ? Nous t’avons aidé un nombre incalculable de fois par le passé. »
Pourquoi pleurait-il ? Pour une raison étrange, la vue de ses larmes apaisait ma colère. Avant que je ne puisse réfléchir à sa question, une réponse glissa sur mes lèvres. « Parce que je ne voulais pas vous entraîner là-dedans. »
« Fais-le ! Entraîne-nous ! Tu l’as toujours fait avant. Tu ne peux pas t’empêcher de nous enfoncer jusqu’aux genoux dans tous les méfaits que tu prépares. Ne commence pas à dire des bêtises comme ça maintenant. Il est un peu trop tard. »
Les amis de Julian — Jilk, Greg, Chris et Brad — s’étaient approchés. Mais ils n’avaient pas essayé de sauter dans l’eau. Ils s’étaient contentés de nous regarder, les larmes aux yeux. Au bout de quelques instants, Jilk leva les yeux au ciel. Greg se pinça l’arête du nez, comme s’il pouvait faire refluer les larmes. La main de Chris glissa sur ses lunettes, cachant son visage. Brad se contenta de renifler, la morve coulant le long de sa lèvre supérieure tandis que son nez rougissait.
Je secouai lentement la tête. « Oh, s’il vous plaît. Je sais que vous me détestez. Rejoindre un combat dans lequel vous pourriez perdre vos vies… Ce serait trop demander. N’est-ce pas ? »
J’étais sûr que, même si j’avais demandé, ils auraient refusé.
Non, ce n’était pas tout à fait vrai. Pour être honnête, je ne voulais pas les impliquer. Je voulais qu’ils restent avec Marie.
Julian m’attrapa par le col. « Nous te considérons comme un ami », déclara-t-il. « Un ami précieux et irremplaçable. C’est ce que tu es pour moi, en tout cas — que tu me détestes ou non. Alors, s’il te plaît, compte sur nous. Je t’en supplie. »
À un moment donné de notre confrontation, la pluie s’arrêta. À travers l’épaisse couverture nuageuse au-dessus, des rayons de soleil se déversèrent sur nous.
Le bulletin météo de Luxon était tout à fait exact, ai-je pensé distraitement, me détendant enfin suffisamment pour laisser mes pensées vagabonder dans un endroit insignifiant.
Jamais je n’avais rêvé qu’un jour viendrait où ces types me demanderaient de les laisser m’aider. Ça m’a fait du bien, en fait.
Le duel avait été un véritable gâchis, même si mon cœur était plus léger à la suite de celui-ci. C’était vraiment un duel à six contre un, étant donné la partialité évidente de Luxon. Mon corps était meurtri, et les nouvelles ecchymoses sur mon visage et mon corps me piquaient désagréablement. C’était une situation plutôt merdique, pour être franc.
Néanmoins, j’avais accepté l’issue du duel — si on peut vraiment l’appeler ainsi.
« Vous pouvez vous considérer comme les vainqueurs », avais-je dit. « J’ai perdu. »
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