Chapitre 12 : Les efforts de chacun
Partie 2
Apparemment, Hertrude avait abandonné ses vendettas personnelles au profit de l’intérêt supérieur de Fanoss.
« Se sacrifier est difficile, j’en suis sûre », ajouta-t-elle, « mais c’est aussi déchirant pour les personnes laissées derrière. Ne l’oubliez pas. »
Livia se pencha pour récupérer les moitiés brisées de la flûte enchantée. « Je sais. Mais je veux juste aider Monsieur Léon. Je n’ai jamais réussi à me débarrasser du sentiment que je ne suis pas assez bien pour lui. C’est toujours lui qui me protège. C’est pathétique que je n’ai pas été capable de lui rendre la pareille. » Ses yeux brillèrent de larmes.
Hertrude se détourna, ses cheveux d’ébène dansant dans l’air. Lorsqu’ils retombèrent bien droits, elle déclara : « On dit que vos relations avec l’empire sont de plus en plus fragiles. »
« Vous avez déjà rassemblé autant d’informations ? »
« Ce n’est qu’une rumeur. Mais si c’est lui que vous affrontez, il est logique que l’archiduc ait du pain sur la planche. » Après une petite pause, elle poursuivit : « Fanoss vous apportera tout le soutien possible. »
« Vous allez nous aider ? » demanda Livia, incrédule.
Hertrude se retourna, un doigt pointé dans sa direction. « Considérez ceci comme un prêt à rembourser. J’espère que vous êtes préparée à ce que cela vous coûtera cher. »
Livia avait bondi en avant, serrant la main d’Hertrude dans les deux siennes. « Bien sûr ! Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, vous n’avez qu’à le dire ! »
« Oh ? N’importe quoi, hm ? » Bien qu’elle n’ait rien demandé dans l’immédiat, un sourire intrigant s’étira sur le visage d’Hertrude.
☆☆☆
Anjie attendait dans le salon du manoir des Redgrave, dans la capitale, en sirotant gracieusement le thé que Cordélia avait versé.
« Cela fait un moment que je n’ai pas dégusté une tasse de ton thé », dit-elle en se penchant sur les coussins pelucheux du canapé.
Cordélia s’agita avec une certaine anxiété. « Mais qu’est-ce que vous faites ici ? » demanda-t-elle. « Je n’arrive pas à croire que vous ayez convoqué le maître et Lord Gilbert. »
« J’ai quelque chose à discuter avec eux. »
Les affaires d’Anjie étaient si urgentes qu’elle avait appelé son père et son frère aîné à la capitale. D’ordinaire, seul l’un d’entre eux y réside, l’autre restant dans sa région en tant qu’administrateur. Mais Anjie voulait qu’ils soient tous les deux présents pour cette affaire, bien qu’ils l’aient reniée.
Cordélia avait assisté Anjie en tant que femme de chambre personnelle jusqu’à cette récente séparation et connaissait suffisamment la famille Redgrave pour imaginer à quel point ils seraient furieux de cette visite inattendue. D’où son inquiétude.
« Ma dame, vous n’appartenez plus à la maison Redgrave », lui rappela Cordélia.
« C’est pour cela que je suis venue sous le nom de Léon, n’est-ce pas ? » Anjie savait que son père et son frère rejetteraient sa demande de rencontre, mais qu’ils n’auraient d’autre choix que d’honorer celle de Léon. En tant qu’archiduc, il les surclassait, et il était également plus puissant d’un point de vue militaire. Ils le rencontreraient simplement pour éviter d’attiser l’hostilité. Bien sûr, ils n’apprécieraient guère qu’Anjie les mette dans cette situation.
« Lorsque vous êtes arrivée et que vous les avez convoqués, le seigneur Gilbert était déjà là. Il sait que c’est vraiment vous qui les avez appelés, et il est extrêmement courroucé. »
« Indépendamment de ses sentiments, je dois leur parler à tous les deux », insista Anjie.
Leur discussion fut interrompue lorsque la porte du salon s’ouvrit avec beaucoup plus de force que nécessaire. Vince et Gilbert entrèrent à grands pas.
« La future femme de l’archiduc semble ignorer ce que signifie être reniée, » déclara Gilbert d’un ton tranchant, en jetant un coup d’œil à sa sœur. « Tu as du culot de te montrer ici. »
Anjie quitta son siège et fit une révérence polie. « Cela fait un moment que nous ne nous sommes pas vus, frère. Père. »
« Tu n’as pas le droit de m’appeler ainsi. Tu n’es plus mon enfant », ricana Vince. « Maintenant, qu’est-ce qui t’amène ici ? Je suis un homme très occupé. J’espère que c’est important. » Ses paroles semblaient relativement cordiales, mais elles étaient empreintes d’une colère passive-agressive — ce qui n’était pas surprenant, étant donné qu’Anjie l’avait si brusquement traîné jusqu’à la capitale.
Le dos d’Anjie se redressa. Elle garda la tête haute, comme si elle surpassait les deux hommes. « Annulons mon désaveu. »
Le nez de Gilbert se fronça, ses lèvres se tordirent de dégoût. « Après tout ce que Père et moi avons fait pour toi, tu fais une telle demande ? On dirait que tu as même oublié les bonnes manières. »
Le message tacite : Comment oses-tu nous parler avec autant d’arrogance, traîtresse ?
Anjie savait qu’il avait raison, mais elle ne pouvait pas reculer. Elle était venue pour une raison, même si elle ne s’attendait pas à ce qu’il change d’attitude.
Ignorant son frère, elle se tourna vers son père. « On s’assoit avant de continuer ? »
Vince sentit sa volonté de fer, et cela le fit s’enfoncer dans le canapé en face d’elle. Anjie prit place à son tour, mais Gilbert s’entêta à rester debout à côté de Vince, les yeux rivés sur elle. Cela brisait le cœur d’Anjie d’être traitée avec autant d’animosité.
« Alors ? » demanda Vince, interrompant ses pensées. « Qu’est-ce que tu es venue faire ici ? »
Anjie ferma les yeux, se fortifiant. Lorsqu’elle les rouvrit, sa voix résonna dans la pièce. « Je ferai de ton petit-fils un roi. »
Vince la regarda bouche bée.
Gilbert fut momentanément abasourdi, mais il se ressaisit plus vite que leur père. « Il est maintenant un peu tard pour faire de telles offres ! Ou bien ne sais-tu pas que cette même occasion nous a échappé ? Vous avez tous les deux — ! »
« Je suis en train de parler avec notre invitée », l’interrompit Vince. « Silence. »
« Père ? » Gilbert grimaça d’incrédulité avant d’acquiescer rapidement. « Très bien. »
Vince se pencha en avant, les coudes sur les genoux et les doigts repliés devant sa bouche. Il regarda fixement sa fille. « L’empire a déjà déclaré la guerre à Hohlfahrt, et la nouvelle se répandra bien assez tôt. Je suppose que ton offre a quelque chose à voir avec cela ? »
Anjie acquiesça. « En effet. » En fait, elle ne savait pas que la déclaration de guerre était déjà faite, mais elle n’avait pas laissé paraître sa surprise sur son visage.
Un côté de la bouche de Vince s’était transformé en un sourire ironique. « C’est ce que je pensais. L’empire a apparemment proposé de nous laisser partir si nous offrons la tête de l’archiduc. J’ai entendu dire qu’ils étaient assez autoritaires à ce sujet. »
« Nous avons besoin de l’aide de votre maison, duc Redgrave, » déclara Anjie. « Nous n’avons plus le temps. Si nous ne parvenons pas à rassembler ce royaume rapidement, certains idiots demanderont vraiment la mort de Léon. Si cela arrive, Léon nous abandonnera pour de bon. »
Connaissant Léon aussi bien qu’elle, Anjie savait qu’il ne perdrait pas son sang-froid et ne massacrerait pas ses compatriotes pour leur trahison. Néanmoins, il perdrait toute confiance en eux — Anjie, Noëlle et Livia comprises — ce qui le laisserait seul face à cette bataille. Elle ne pouvait pas permettre que cela se produise.
Gilbert lui lança un regard cinglant, comme s’il réitérait ce qu’il avait dit plus tôt, à savoir qu’il était un peu tard pour cette demande, mais il ne parla pas vraiment. De son côté, Vince étudia le visage de la jeune femme avant de répondre.
« Intéressant. L’empire est une telle menace que tu cherches à obtenir notre aide. » Le sourire qui s’étendit sur ses lèvres laissait entendre qu’il savait qu’il avait le dessus dans cette négociation. Bien qu’Anjie soit sa fille, il la traitait comme n’importe quel autre aristocrate. Pourtant, sa capacité à garder son propre masque sans faillir le fit glousser.
« Votre Grâce ? » dit Anjie, déconcertée par sa réaction.
« Appelle-moi “père” — et présente mes salutations au nouveau roi. »
Anjie fut stupéfaite. Elle s’était attendue à une bataille beaucoup plus difficile pour le persuader, mais il avait accepté son offre sans hésiter. Elle n’avait pas le temps de s’étonner, mais maintenant que l’affaire était réglée, elle devait passer à l’action.
« Merci », dit Anjie. « Permettez-moi de m’excuser. »
☆☆☆
Dès qu’Anjie quitta la pièce, Gilbert se tourna vers Vince. « Es-tu sûr de toi, père ? »
« Quoi ? » demanda Vince. « À propos de les soutenir ? »
« Je veux parler du fait de rentrer en guerre contre l’empire. Si nous offrons la tête de l’archiduc, nous évitons complètement le conflit avec l’empire. »
Vince soupira en regardant son fils.
Sa réaction choqua Gilbert. « Est-ce que je me trompe ? »
« Une fois que nous aurons perdu l’archiduc, penses-tu vraiment que l’empire nous laissera vivre ? Les informations qui nous parviennent indiquent qu’ils se préparent à une guerre totale. Si l’élite du royaume continue à se chamailler, ce n’est qu’une question de temps avant que Hohlfahrt ne soit réduit à une terre de cendre. »
Le visage de Gilbert rougit de honte. Sa colère face à l’audace d’Anjie l’avait empêché de voir la situation dans son ensemble. « Mes excuses », dit-il rapidement.
« Ce n’est pas la peine. » Vince fit un geste dédaigneux de la main. « De toute façon, Anjie est devenue une femme forte. J’ai du mal à croire que c’est la même fille qui perdait son sang-froid quand je lui lançais un simple regard. »
« En effet, » Gilbert était d’accord. « Si elle était née homme, je lui aurais volontiers cédé ma place d’héritier. » Ayant été confronté à ses propres défauts, il avait perdu un peu de son assurance habituelle.
Vince regarda son fils avec surprise.
Gilbert lui répondit en clignant des yeux. « Père ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Je suppose que tu ne l’as pas réalisé, n’est-ce pas ? » Vince soupira et secoua la tête, exaspéré.
« Hein ? »
« Disons qu’Anjie était née en tant qu’homme — elle aurait été ton égale, au mieux, voire aurait été légèrement inférieure. Sa féminité est la clé de sa détermination. C’est ce qui lui a permis de devenir aussi forte qu’elle l’a été. »
Gilbert fit la grimace. « Mais quand même », essaya-t-il d’argumenter.
« Tu comprendras lorsque tu auras un peu plus d’expérience de vie à ton actif. Quand les hommes disent que les femmes sont redoutables, ils le disent à juste titre. La visite d’Anjie aujourd’hui a été une bonne leçon pour toi. »
Il y eut une courte pause, pendant laquelle Gilbert laissa transparaître sur son visage sa vexation — produit de l’infériorité qu’il ressentait à la suite de la fermeté d’Anjie pendant sa visite. « Je ferai tout mon possible pour ne pas te décevoir », dit-il enfin.
Vince acquiesça. « En tout cas, je suppose que mon petit-fils sera roi après tout. Même si, pour être honnête, j’espérais te mettre sur le trône. » Son plus grand rêve avait été de prendre lui-même la couronne, puis de la transmettre à Gilbert à sa mort.
Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Gilbert. « Je te suis reconnaissant de dire une telle chose. »
Vince soupira à nouveau. « Un peu plus d’ambition, et tu serais vraiment le fils parfait. »
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merci pour le chapitre