Chapitre 11 : Pour toi
Partie 2
La main d’Anjie s’était tendue vers le dos fuyant de Léon. Elle essuya rapidement ses larmes et se concentra sur son expression. Il était temps de passer aux choses sérieuses.
« Léon m’a donné la permission », dit-elle, plus à elle-même qu’à n’importe qui d’autre. « Maintenant, je dois me préparer à ce qui va suivre. »
Reprends-toi, Anjelica Rapha Redgrave, se dit-elle. Léon est un héros, et tu es bien décidée à te tenir à ses côtés, n’est-ce pas ? Alors ce n’est pas le moment de pleurer. Pleurer ne résoudra pas tes problèmes. C’est une perte de temps. Quelle que soit la solitude ou la tristesse dans laquelle tu te sens, tu dois passer à l’action. Maintenant, mets-toi à l’œuvre !
Après ce discours d’encouragement, Anjie s’était retournée pour faire face à Livia et Noëlle. Pour leur bien, elle se tenait droite, la tête haute, afin de paraître forte — bien que ses yeux soient encore rouges et gonflés.
« Livia, Noëlle, je serai très occupée dans un avenir proche. Je veux faire tout ce que je peux pour aider Léon. »
Noëlle acquiesça. « Il y a aussi quelque chose que je dois faire. Pour l’instant, je retourne au domaine des Bartfort. »
« Viens-tu avec moi, Livia ? » demanda Anjie.
Livia secoua négativement la tête. Lorsqu’elle releva le menton, le chagrin d’amour dans ses yeux avait disparu, et ils brillaient d’une force intérieure. « Je dois moi aussi faire quelque chose. »
« Très bien. Alors c’est réglé. À bientôt les filles. »
Anjie, Livia et Noëlle partirent dans des directions différentes, toutes trois décidées à aider Léon à leur manière.
☆☆☆
Marie se frayait un chemin dans la forêt épaisse et luxuriante d’une île flottante.
« Le voilà ! » s’était-elle écriée. Dieu merci. On dirait que Grand Frère n’est pas encore venu ici.
En poussant à travers les broussailles, elle découvrit enfin l’extérieur en pierre d’un énorme manoir à l’abandon. Le domaine, autrefois impressionnant, était tombé en ruine après avoir perdu ses résidents et ses gardes.
Carla trébucha derrière Marie, ses jambes tremblant de façon incontrôlable à cause de l’épuisement croissant. « Attends s’il te plaît, Lady Marie », souffla-t-elle.
Un jeune elfe nommé Kyle offrit son épaule à Carla pour la soutenir. Il avait déjà été le serviteur personnel de Marie, mais il était actuellement employé chez les Bartfort, où il travaillait aux côtés de sa mère, Yumeria. Par pure coïncidence, il avait accompagné Nicks à la capitale, ce qui lui avait permis de faire cette course avec Marie.
« Qu’y a-t-il de si spécial dans cet endroit, pour que tu aies dû emprunter le dirigeable du Seigneur Nicks pour venir ici ? » demanda Kyle. « Il doit s’agir d’une sorte de trésor, mais ce n’est pas vraiment le moment le plus approprié pour venir chasser ici. » L’elfe était toujours aussi impertinent, mais son commentaire sec était considérablement plus doux qu’il ne l’avait été. Ses paroles étaient simplement éclairées, elles ne dissimulaient aucune pique. Même son ton s’était adouci.
Marie laissa tomber ses bagages, soulevant le fusil qu’elle avait apporté. « Je vous le jure, ça ne pouvait pas attendre. Il y a quelque chose ici qu’il faut que je prenne pour Léon. »
Kyle aida Carla à s’asseoir, puis il essuya la sueur sur son visage. « Tu n’arrêtes pas de le dire, mais était-ce vraiment si important que tu aies dû sécher les cours ? Des rumeurs circulent sur nos relations précaires avec l’Empire. J’ai entendu dire que les choses avaient l’air de se dégrader rapidement. »
Marie le regarda par-dessus son épaule, bouche bée. « Qui a dit ça exactement ? »
« Le comte Roseblade, au Seigneur Nicks. Il dit qu’après le retour des étudiants d’échange à Vordenoit, l’attitude de l’empire a pris un tournant soudain. »
Cela n’avait fait que renforcer la détermination de Marie à récupérer l’objet.
« Désolée, vous deux, mais dès que vous aurez eu une seconde, on va chercher », leur dit-elle. Le temps est perdu. Je dois me dépêcher d’apporter cet objet à mon frère.
Carla était tellement épuisée qu’elle n’avait pas l’air de pouvoir bouger, mais les ordres de Marie l’avaient ranimée. « Je ne te laisserai pas tomber ! Mais, hum, s’il te plaît… ne peut-on pas se reposer un peu plus longtemps cette fois ? »
Kyle se détourna de Carla, toujours effondrée sur le sol, pour se tourner vers Marie. « C’est étrange de voir ce manoir ici, au milieu de nulle part. »
Marie acquiesça. « C’était autrefois la retraite secrète d’un alchimiste que les gens considéraient comme un sage. Dans sa vieillesse, il s’est retiré de la société pour se plonger dans la recherche. C’est alors qu’il a fait construire ce domaine sur une île déserte. »
Dans les termes du jeu, il s’agissait techniquement d’un donjon, et les joueurs pouvaient l’explorer dans les premières étapes du jeu. Marie l’avait visité tout le temps et s’en souvenait avec une clarté parfaite.
« Tu sais énormément de choses sur cet endroit », dit Kyle, visiblement impressionné.
Marie haussa les épaules. « Je pense que oui. Je doute qu’il reste beaucoup des recherches de cet alchimiste à l’heure qu’il est, mais ce n’est pas la question. Tout ce dont j’ai besoin ici, c’est de cet objet unique. »
« Qu’est-ce qu’un “objet unique” ? Un morceau d’or ou un truc comme ça ? » demanda Kyle, supposant d’emblée que Marie ne pouvait être intéressée que par la valeur monétaire de l’objet.
« Non. » Elle secoua la tête. « Une potion de force. »
C’est tout ce que je peux faire. Mais au moins, je peux encore être utile, n’est-ce pas, Grand Frère ? Cette potion était après tout incroyablement puissante dans le jeu. Après l’avoir bue, même un personnage avec un niveau très inférieur aux prérequis était assez puissant pour affronter un boss coriace. Bien que la potion soit à usage unique, elle s’était avérée utile à de nombreuses reprises au cours des parties de Marie, malgré le fait qu’elle n’ait jamais réussi à terminer un seul itinéraire dans le premier jeu. Si c’est moi qui mets toute cette pression sur mon frère, il faut que je m’y mette aussi.
Alors que les souvenirs de leur vie passée tourbillonnent dans l’esprit de Marie, ses sourcils se nouèrent et son visage se pinça. Je ne serai pas un poids mort cette fois. Je ne peux pas continuer à le retenir.
☆☆☆
« Alors ? N’est-ce pas incroyable !? »
« Oui. Tellement incroyable », déclara Creare avec un enthousiasme feint. « Tu t’es vraiment surpassée cette fois, Rie. »
Une fois que Marie eut récupéré la potion de force, elle se rendit au laboratoire de recherche de la Licorne pour la remettre à Creare. L’IA faisait mine d’être impressionnée par Marie pour s’être procuré la fiole, mais une pointe d’agacement transparaît dans sa voix.
« Grand Frère revient vraiment, n’est-ce pas ? »
« Oui. Il a mis la main sur les objets qu’il cherchait plus vite que prévu, alors il sera là pour un moment », dit Creare. « Moment fâcheusement pratique, puisque ça coïncide avec ta visite. Je n’aurais jamais imaginé que, de toutes les choses que tu aurais pu apporter, tu te pointerais avec ça. » Sa voix électronique était empreinte de mélancolie, mais Marie était trop excitée à l’idée d’aider Léon pour s’en rendre compte.
« Cette potion est d’une force folle, tu sais », dit-elle à Creare. « Les buffs du jeu étaient si bons que même les statistiques d’un faible grimpaient en flèche. »
« C’est logique. J’ai fait une brève analyse, et c’est vraiment un truc puissant. Trop puissant, en fait. Je suis en quelque sorte sous le choc. »
Alors qu’elles bavardaient, la porte du laboratoire s’ouvrit et Léon entra. Luxon lui emboîtait le pas et jeta un coup d’œil à la table où se trouvait la potion de force. L’attention de Léon se porta d’abord sur Marie, mais il vit aussi la fiole.
« Je n’aurais jamais imaginé que tu me trouves ça », dit-il en l’attrapant. Il avait l’air sincèrement heureux.
Marie joignit ses mains et sourit. « Tu vois ? Même moi, je peux être utile ! N’est-ce pas ? »
« Oui — c’est une aide précieuse ! Et d’ailleurs, où l’as-tu trouvé ? » demanda Léon en remettant la fiole sur la table.
« Un donjon pas très loin d’ici », expliqua Marie avec enthousiasme. « Enfin, je dis “donjon”, mais c’est plutôt une île flottante déserte. Je me suis dit que tant que tu avais ça, tu ne perdrais pas contre l’Arcadia, n’est-ce pas ? » Elle voulait désespérément croire que sa trouvaille était la clé de la survie de son frère.
Léon sourit et lui ébouriffa les cheveux. « Je ne m’attendais pas à ce que tu t’en sortes comme ça. Ça va certainement augmenter nos chances de victoire. »
Les cheveux de Marie étaient en désordre maintenant, mais elle était ravie de voir Léon dans un meilleur état d’esprit. « Hé ! Sois un peu plus doux, tu veux bien ? De toute façon, Grand Frère, je — »
« Quoi ? Si tu as besoin de plus d’argent, tu n’as qu’à donner un montant à Creare, et elle s’occupera de ça. »
« Hein ? Non ! » s’emporta Marie, dont le visage s’assombrit. Il y avait encore plus d’écorchures et d’entailles sur les mains de Léon, indiquant le danger auquel il s’était exposé ces derniers temps. « Tu dois arrêter de te surmener. Je sais que je t’en ai trop demandé, et je m’en veux sincèrement. » Elle baissa son regard.
« Jouer les gentilles et les bienveillantes ne te va pas du tout, » taquina Léon. « Mais j’apprécie cela, vraiment. Ça allège le fardeau. Alors je suis sincère quand je te dis de veiller à toucher ton argent de poche. »
Marie aurait aimé rester plus longtemps, mais son frère semblait trop occupé pour lui accorder plus de temps.
« Creare, » dit-il, « Prépare cette potion pour qu’elle puisse être utilisée. Je suppose que tu comprends ce que je veux dire ? »
« J’adapterai sa concentration en fonction de ta physiologie, en veillant à ce que même une petite quantité soit suffisamment puissante », répondit Creare avec une note d’exaspération. « Mais tu n’auras droit qu’à trois doses, compris ? Et tu auras besoin de quelque chose pour contrer les effets avant même la troisième dose. »
« C’est très bien. Mais j’ai un emploi du temps serré, alors il faut que j’y aille. Marie, retourne à l’académie. Tiens compagnie à ces cinq idiots et ne t’attire pas d’ennuis. »
« O-Okay. »
Léon quitta le laboratoire, mais étonnamment, Luxon s’attarda après son départ. La raison en était apparue clairement lorsque son regard se posa sur Marie.
« Cette “assistance” n’était absolument pas nécessaire », s’était-il emporté. « Cela dépasse l’entendement que tu t’impliques après que je t’ai expressément déconseillé de le faire. »
Courroucée, Marie gonfla ses joues et se détourna. « Tu te comportes comme un vrai crétin, tu ne trouves pas ? Je t’ai aidée. »
« Le maître était déjà au courant de l’existence de cette potion. En fait, ses informations nous ont permis de la localiser. »
Les sourcils de Marie étaient montés jusqu’à la racine de ses cheveux. « Hein ? Mais il a dit qu’il ne le trouvait pas. »
« As-tu une idée de ce qu’est vraiment cette potion ? »
Le cœur de Marie s’était effondré. Une affreuse couche de sueur moite perla sur son front tandis que la peur s’installait, et elle réalisa qu’elle venait peut-être de faire quelque chose d’irréversible — du moins, si l’on se fie au ton et à l’attitude de Luxon.
Luxon jeta un coup d’œil à Creare, qui était intervenu en son nom. « Rie, tu avais raison. Cette potion est super puissante. Elle transformera n’importe qui en surhomme. »
« Exactement. C’est pour ça que je l’ai récupérée pour lui ! » Marie avait tout mis en œuvre pour récupérer la potion pour Léon. Tout ce qu’elle avait voulu, c’était se rendre utile.
« Oui, mais tu penses vraiment que consommer une potion aussi puissante n’a pas d’effets secondaires ? C’est comme un stéroïde gonflé à bloc. Dans sa forme la plus pure, elle tuera une personne avant même que ses effets ne se dissipent. »
En échange d’un pouvoir sans entrave, la potion pourrait réclamer la vie de l’utilisateur.
« Non, » dit Marie en tremblant. « Tous les personnages qui l’ont utilisé dans le jeu allaient bien ! »
« Peut-être, mais le fait est que tu nous as apporté un stéroïde concentré. Je vais le diluer pour que le Maître puisse l’utiliser, mais s’il prend trois doses, ça va le tuer. Même avec des médicaments pour supprimer les effets. »
Les larmes coulèrent sur les joues de Marie. Ses genoux lâchèrent et elle s’effondra sur le sol.
La lentille rouge de Luxon brilla, et son ton était d’une colère inhabituelle. « Je savais que si nous nous procurions cette potion, le Maître n’hésiterait pas à l’utiliser. Étant donné son état d’esprit précaire, j’ai jugé plus sage de laisser la potion hors de sa portée. »
« Mais c’est ce que voulait le Maître, non ? » interrompit Creare, en essayant de jouer les médiateurs. « Rie ne pouvait pas connaître les conséquences. La blâmer ne servira à rien. »
« Peux-tu l’affaiblir ? » demanda Luxon.
« Cela irait à l’encontre des ordres du maître. Désolé, mais ceux-ci sont toujours ma priorité. »
Il y eut une brève pause avant que Luxon n’appuie sur la question : « Combien de doses son corps peut-il supporter ? »
« Comme je l’ai dit, trois le tueront. Honnêtement, deux, ça va être assez dangereux. »
L’échange avait fait s’étouffer Marie dans un sanglot. « Je… Tout ce que je voulais, c’était… c’était d’aider Grand Frère ! » Au lieu de cela, ses bonnes intentions l’avaient poussé encore plus près de la mort.
Marie s’était mise en boule sur le sol en pleurant, rongée par le regret d’avoir commis une erreur qu’elle ne pourrait jamais effacer.
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