Chapitre 1 : La première princesse
Partie 1
L’académie était si calme les week-ends et les jours fériés qu’elle constituait un endroit idéal pour se détendre et se relaxer. Les élèves de l’académie, assez jeunes, profitaient généralement de ce précieux temps libre pour inviter leurs amis à des sorties dans la capitale. Quelques-uns d’entre eux en profitaient pour avoir des rendez-vous galants.
N’ayant connu la vie universitaire que lorsqu’elle était un véritable enfer sur terre, je ne pouvais m’empêcher d’envier mes camarades de classe. Quelques-uns d’entre eux étaient horribles, bien sûr, mais pour la plupart, ils semblaient tous avoir une vie amoureuse saine.
Je baillai et m’étirai en marchant dans l’un des couloirs silencieux, Marie suivant le rythme à mes côtés. Bien qu’elle ait été ma sœur dans notre vie précédente, elle avait commencé son séjour dans ce monde en tant qu’être de pur chaos, ses actions ayant conduit Hohlfahrt au bord de la destruction. Son nom complet était aujourd’hui Marie Fou Lafan, mais beaucoup la connaissaient sous le nom de « la fausse Sainte ».
Marie trottinait souvent ainsi à mes côtés, ses jambes étant nettement plus courtes que les miennes. Cette fois-ci, elle portait des sacs remplis de cadeaux qu’elle avait achetés dans la capitale. Les coins de ses lèvres se retroussaient, signe de sa bonne humeur.
« J’attends avec impatience mon prochain goûter avec Erica. Honnêtement, j’aimerais en avoir un tous les jours, mais ça ferait trop d’histoires, alors on ne peut se voir que le week-end. »
La fausse Sainte passant du temps avec la première princesse du pays avait ouvert toute une boîte de Pandore. En réalité, Erica était la fille de Marie dans son ancienne vie, c’est-à-dire ma nièce. Des retrouvailles émouvantes pour Marie, qui avait pu revoir sa fille après leurs réincarnations. Naturellement, elle attendait avec impatience les week-ends, où elle pouvait assister aux goûters d’Erica et rattraper le temps perdu. Je pouvais voir à quel point cela lui tenait à cœur. Elle était venue jusqu’à ma chambre pour me réveiller et m’avait entraîné dans la capitale pour acheter des friandises pour l’occasion.
« Tu te rends compte que les gars répandent toutes sortes de rumeurs parce que tu viens dans ma chambre tous les matins pendant les week-ends, n’est-ce pas ? Pourquoi ne montres-tu pas un peu de considération pour les ennuis que tu me causes ? »
« Je n’ai pas le choix ! » argumenta Marie en agitant les bras. « Je ne peux pas rencontrer Erica si tu n’es pas avec moi. C’est toi le duc ici. Et de toute façon, la seule raison pour laquelle je te fais venir avec moi pour acheter des choses, c’est parce que tu insistes pour être l’hôte. »
Je n’avais pas trouvé ces week-ends de thé pour Erica particulièrement pesants, pas le moins du monde. Pour commencer, j’avais envie de bavarder avec ma nièce. Mais surtout, organiser des goûters était ma passion. Non, c’était ma raison de vivre. Donc, si je devais y assister de toute façon, je voulais en être l’hôte.
« C’est une évidence. On peut difficilement demander à Erica de le faire. Elle était peut-être ma nièce dans mon ancienne vie, mais dans celle-ci, c’est une princesse. »
Le royaume de Hohlfahrt est l’un des pays les plus importants du monde et, en tant que princesse, Erica devait répondre à certaines attentes.
« Uh-huh, » Marie réplique. « Sois honnête, tu veux juste t’adonner à ton petit hobby. »
« Évidemment, cela en fait partie. Je ne mentirai pas. Mais je me sentirais vraiment mal d’obliger Erica à se donner du mal. C’est ma nièce. »
« Euh ! Et je suis ta sœur, tu te souviens ? »
« Désolé, mais sur ma liste de priorités, elle est bien au-dessus de toi. »
« C’est quoi cette discrimination ? »
J’avais haussé les épaules. « C’est une évidence, vu ton comportement. Je pourrais dire la même chose de toi. Qu’est-ce qui te pousse à me tirer du lit le week-end pour aller faire du shopping ? Je suis censé être ton grand frère, non ? Tu n’as pas changé. »
C’était un euphémisme. Marie avait fait la même chose dans notre vie précédente : elle me donnait des ordres comme une servante les week-ends, puis mendiait de l’argent chaque fois qu’elle en avait besoin.
Alors que Luxon se tenait au-dessus de mon épaule droite, écoutant l’échange, il tourna son regard vers Marie. « Si les affirmations de mon maître sont vraies, Marie, il semble que tu n’aies pas mûri d’un poil depuis ta réincarnation. Si la croissance physique semble dépasser les capacités de ton corps sous-développé, je pense qu’il est tout à fait possible pour toi d’améliorer tes capacités mentales. As-tu envisagé d’adopter des comportements plus adultes ? »
La critique cinglante de Luxon laissa Marie incrédule. Elle ne resta pas longtemps sans voix. Le sang lui monta au visage et elle se mit en colère.
« Qu’entends-tu par là ? Qui a dit que mon corps ne se développerait pas davantage ? Il suffit d’attendre et de voir — je vais m’épanouir en une femme adulte parfaitement sensuelle ! »
« Il ne s’agit pas d’une opinion. L’évaluation s’appuie sur des données concrètes. »
« Quelles données, hein ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de ne pas se comporter comme un adulte ? Je suis désolée de te le dire, mais j’ai vécu beaucoup plus longtemps que mon frère. Sache qu’au fond de moi, je suis toujours la même femme adulte, droite et expérimentée, que j’étais dans ma vie précédente. » Marie gonfla sa poitrine complètement plate, ode ironique à la maturité qu’elle s’attribuait.
« Il est amusant de constater qu’une certaine personne qui prétend être une adulte totalement mature est la même qui a trompé cinq jeunes hommes et s’est retrouvée dans un monde de souffrance. »
« C’est de ta faute et tu le sais ! » me cria Marie, sa voix résonnant dans le couloir vide.
« Seulement parce que tu as pris de l’avance. »
« D’accord, je l’ai fait. Je l’admets ! Mais en quoi cela excuse-t-il le fait que tu aies tabassé cinq gars en duel ? Soyons honnêtes, tu étais juste jaloux de Julian et des autres pour leur physique, alors tu as voulu les blesser pour te sentir mieux ! »
Marie n’était pas ma sœur pour rien. Elle ne me connaissait que trop bien.
« Oui, tu l’as bien compris. Et alors ? » avais-je répondu.
Marie serra les poings et les dents.
Oui, j’avais raison. Elle n’avait vraiment pas mûri. En fait, en raison de son corps maigre, elle se sentait probablement encore plus jeune que dans notre vie précédente. Je ne sentais pas le sang-froid d’adulte que l’on attend de quelqu’un qui avait accumulé autant d’expérience qu’elle le prétend.
Luxon bougea son œil d’un côté à l’autre comme s’il secouait la tête. « Maître, dois-je te rappeler que tu as besoin d’une certaine maturation mentale ? »
Je suis presque sûr que nous avons déjà eu ce même échange. Mais contrairement à Marie, je n’étais pas particulièrement décidé à devenir adulte, et je l’avais fait savoir à Luxon. « Je suis un jeune garçon pur dans l’âme. Je ne jetterais jamais ce genre de choses. »
« Je suppose que ta capacité à te trouver des excuses semble s’être améliorée. »
« La preuve est faite — les adultes sont doués pour se trouver des excuses. »
« Je vois que le statut de ta maturité dépend de la commodité. »
Je lui souris. « S’adapter à sa situation est une compétence importante. »
Marie nous regardait continuer ce va-et-vient insignifiant. Elle serra ses sacs de courses dans ses bras et fronça les lèvres en faisant la moue. « Vous êtes vraiment comme deux gouttes d’eau. Surtout quand on voit à quel point vous vous exprimez merveilleusement bien, avec vos sarcasmes et tout le reste. »
Aucun d’entre nous n’avait aimé être mis dans le même sac que l’autre.
« Lui et moi ? » m’étais-je moqué. « Tu dois être folle. Je suis bien plus gentil que cet abruti. »
« Penses-tu que mon maître est semblable à moi-même ? Il semble que tu aies besoin d’un examen approfondi des yeux, sans parler d’un scanner cérébral. Dois-je te les faire passer ? »
Marie soupira lourdement. « Peu importe », dit-elle d’un ton sec. « Laissez tomber. »
☆☆☆
Il y a quelques années encore, les salons de thé de l’école étaient utilisés quotidiennement par les étudiants qui invitaient les étudiantes à leurs soirées, mais cette tendance s’était largement essoufflée. Aujourd’hui, la fréquentation avait considérablement diminué. L’école avait donc pris la décision de réduire le nombre de salles allouées à cette pratique. En tant qu’amateur de thé, je trouvais cela un peu tragique, mais j’aimais aussi organiser des fêtes dans ce nouveau calme. Il y avait eu beaucoup plus de bruit pendant ma première année à l’académie.
Pendant que j’étais occupé à choisir les chaises correspondant au thé que je servais, Marie et Erica avaient trouvé des sièges et discutaient joyeusement. Marie ressemblait à un enfant excité qui bavardait, tandis qu’Erica ressemblait davantage à un parent qui trouvait ce genre de bavardage attachant.
« Ce n’est pas vrai ! Ce magasin a fait faillite !? »
« Oui. Le propriétaire a dit qu’il prenait sa retraite. »
Le sujet de conversation dans lequel elles s’investissaient tant était notre vie d’avant. C’était la seule chose que Marie et Erica avaient en commun, et je ne pouvais donc pas m’immiscer dans la conversation. J’avais tout de même trouvé agréable de les écouter.
Je souriais probablement sans m’en rendre compte, car Luxon avait fait le commentaire suivant : « Ton état mental semble s’être stabilisé. Je crois que ces soirées thé du week-end sont devenues essentielles à ton bien-être. »
« Même si je suis au centre de toutes ces rumeurs maintenant ? Les gens disent que je poursuis à la fois Erica et Marie. »
La fréquence de nos goûters avait mis le feu aux poudres. J’étais un peu inquiet, mais Luxon ne semblait pas le moins du monde troublé.
« Ta réputation au sein du corps étudiant ne m’intéresse pas », avait-il déclaré.
« C’est le cas pour moi, tu sais ? »
« C’est une question de priorités. Plutôt que de gaspiller ton énergie avec les opinions de la populace, tu devrais te concentrer sur toi-même. »
« As-tu sérieusement qualifié le corps étudiant de “populace” ? »
Même si Luxon parlait de mes pairs avec un langage au mieux discourtois, c’était une amélioration par rapport à son vocabulaire précédent, plus venimeux. Dans le passé, il aurait dit quelque chose comme : « Ces nouveaux humains avec leur capacité à manipuler la magie — peut-être devraient-ils tous se dépêcher de mourir. » Ah, que de beaux souvenirs ! La nostalgie de tout cela me ramenait directement en arrière.
« En fait, tu as d’autres chats à fouetter. Tu n’as pas le luxe de perdre du temps à te préoccuper des réflexions de la racaille. »
« Oui, oui, je t’entends. »
Lorsque je préparais le thé et que je me dirigeais vers la table, j’avais été accueilli par le spectacle de Marie qui gesticulait frénétiquement en parlant à Erica. Erica souriait en écoutant tranquillement, répondant par un hochement de tête occasionnel. Erica nous avait dit qu’elle avait dépassé l’âge de soixante ans dans sa vie précédente, elle devait donc être assez mûre à l’intérieur. En tout cas, elle avait l’air terriblement terre-à-terre pour quelqu’un d’aussi jeune. Marie avait l’impression d’être l’enfant et non l’inverse.
« J’ai préparé un thé qui accompagnera parfaitement les collations que nous avons choisies — attendez, combien en avez-vous déjà mangé ? » Quand j’avais jeté un coup d’œil à la table, plus de la moitié des friandises avaient disparu.
Marie avait rapidement détourné les yeux. Comme si j’avais besoin d’une preuve supplémentaire qu’elle était la principale coupable.
« Tu es un vrai petit cochon, tu le sais ? » avais-je dit.
« Je ne peux pas m’en empêcher », répondit Marie, la voix maladivement douce.
Je soupirai. « Pourrais-tu essayer d’agir selon ton âge ? Même un an ou deux de plus ? Tu es trop vieille pour qu’on te chouchoute tout le temps. »
« La plupart des hommes aiment avoir l’occasion de s’occuper d’une femme, tu sais. »
« Tu es vraiment devenue une excuse tordue pour un adulte. Et si tu t’inspirais un peu de l’exemple d’Erica, hein ? »
Marie avait jeté un regard noir. « Pardonne-moi ! C’est moi qui l’ai élevée, tu te souviens ? »
« Je suppose que tu lui as donné un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Je suis content qu’elle ne soit pas comme toi. »
« Là, tu me fais vraiment chier, gros bêta ! »
Pendant que nous lancions nos salves de répliques cinglantes, Erica restait assise à côté de nous, les sourcils froncés. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour intervenir dans l’espoir de mettre un terme à notre foire d’empoigne verbale.
« Calmons-nous », dit-elle. « Ce serait vraiment dommage de laisser le thé refroidir. »
Marie et moi avions soufflé et détourné le regard en sirotant notre thé. Erica jeta un coup d’œil entre nous, troublée. Je m’attendais à ce qu’elle soupire d’exaspération, mais au lieu de cela, elle se mit à rire.
Qu’y a-t-il de si drôle dans cette histoire ? Je ne l’avais pas compris. « Pourquoi ris-tu ? »
Erica s’était immédiatement redressée et m’avait regardé droit dans les yeux. Son sourire était d’une clarté aveuglante. « Je trouve ça tellement amusant de voir à quel point vous vous amusez quand vous vous chamaillez. La façon dont vous êtes l’un avec l’autre est exactement comme mes grands-parents l’ont toujours dit. »
« Tes grands-parents ? » J’avais demandé avant de me rendre compte de la situation. « Oh, maman et papa ? »
Erica acquiesça. « Ils ont toujours parlé de toi. Ils disaient souvent que, si tu étais en vie, toi et maman vous vous disputeriez probablement encore, même à l’âge adulte. »
Quel genre de choses lui disaient-ils ?
« Je n’arrive pas à croire qu’ils disent des choses comme ça. Tu penses qu’ils t’auraient dit que, contrairement à ta mère, j’étais une personne super gentille. Ce genre de choses. Je veux dire, ce n’est pas ce qu’on fait normalement quand on parle des morts ? Essayer de les valoriser ? »
« Je crains de devoir compatir avec tes anciens parents », dit Luxon. « Porter un enfant comme toi aurait sûrement été une immense épreuve. »
« Hé, ne fais pas comme si j’étais un enfant démon indiscipliné. C’est Marie qui leur donnait des maux de tête, pas moi. »
Tous les regards se tournèrent vers Marie, qui buvait du thé pour faire passer toutes les sucreries qu’elle avait mangées. Dès qu’elle eut terminé, elle fit part de son mécontentement. « J’étais une bonne enfant la plupart du temps. C’est toi qui leur faisais vivre un enfer. Bien sûr, tu te comportais bien au quotidien, mais parfois tu étais le moteur d’un chaos total. Tu te souviens ? »
merci pour le chapitre