Le Monde dans un Jeu Vidéo Otome est difficile pour la Populace – Tome 10 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : La première princesse

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Chapitre 1 : La première princesse

Partie 1

L’académie était si calme les week-ends et les jours fériés qu’elle constituait un endroit idéal pour se détendre et se relaxer. Les élèves de l’académie, assez jeunes, profitaient généralement de ce précieux temps libre pour inviter leurs amis à des sorties dans la capitale. Quelques-uns d’entre eux en profitaient pour avoir des rendez-vous galants.

N’ayant connu la vie universitaire que lorsqu’elle était un véritable enfer sur terre, je ne pouvais m’empêcher d’envier mes camarades de classe. Quelques-uns d’entre eux étaient horribles, bien sûr, mais pour la plupart, ils semblaient tous avoir une vie amoureuse saine.

Je baillai et m’étirai en marchant dans l’un des couloirs silencieux, Marie suivant le rythme à mes côtés. Bien qu’elle ait été ma sœur dans notre vie précédente, elle avait commencé son séjour dans ce monde en tant qu’être de pur chaos, ses actions ayant conduit Hohlfahrt au bord de la destruction. Son nom complet était aujourd’hui Marie Fou Lafan, mais beaucoup la connaissaient sous le nom de « la fausse Sainte ».

Marie trottinait souvent ainsi à mes côtés, ses jambes étant nettement plus courtes que les miennes. Cette fois-ci, elle portait des sacs remplis de cadeaux qu’elle avait achetés dans la capitale. Les coins de ses lèvres se retroussaient, signe de sa bonne humeur.

« J’attends avec impatience mon prochain goûter avec Erica. Honnêtement, j’aimerais en avoir un tous les jours, mais ça ferait trop d’histoires, alors on ne peut se voir que le week-end. »

La fausse Sainte passant du temps avec la première princesse du pays avait ouvert toute une boîte de Pandore. En réalité, Erica était la fille de Marie dans son ancienne vie, c’est-à-dire ma nièce. Des retrouvailles émouvantes pour Marie, qui avait pu revoir sa fille après leurs réincarnations. Naturellement, elle attendait avec impatience les week-ends, où elle pouvait assister aux goûters d’Erica et rattraper le temps perdu. Je pouvais voir à quel point cela lui tenait à cœur. Elle était venue jusqu’à ma chambre pour me réveiller et m’avait entraîné dans la capitale pour acheter des friandises pour l’occasion.

« Tu te rends compte que les gars répandent toutes sortes de rumeurs parce que tu viens dans ma chambre tous les matins pendant les week-ends, n’est-ce pas ? Pourquoi ne montres-tu pas un peu de considération pour les ennuis que tu me causes ? »

« Je n’ai pas le choix ! » argumenta Marie en agitant les bras. « Je ne peux pas rencontrer Erica si tu n’es pas avec moi. C’est toi le duc ici. Et de toute façon, la seule raison pour laquelle je te fais venir avec moi pour acheter des choses, c’est parce que tu insistes pour être l’hôte. »

Je n’avais pas trouvé ces week-ends de thé pour Erica particulièrement pesants, pas le moins du monde. Pour commencer, j’avais envie de bavarder avec ma nièce. Mais surtout, organiser des goûters était ma passion. Non, c’était ma raison de vivre. Donc, si je devais y assister de toute façon, je voulais en être l’hôte.

« C’est une évidence. On peut difficilement demander à Erica de le faire. Elle était peut-être ma nièce dans mon ancienne vie, mais dans celle-ci, c’est une princesse. »

Le royaume de Hohlfahrt est l’un des pays les plus importants du monde et, en tant que princesse, Erica devait répondre à certaines attentes.

« Uh-huh, » Marie réplique. « Sois honnête, tu veux juste t’adonner à ton petit hobby. »

« Évidemment, cela en fait partie. Je ne mentirai pas. Mais je me sentirais vraiment mal d’obliger Erica à se donner du mal. C’est ma nièce. »

« Euh ! Et je suis ta sœur, tu te souviens ? »

« Désolé, mais sur ma liste de priorités, elle est bien au-dessus de toi. »

« C’est quoi cette discrimination ? »

J’avais haussé les épaules. « C’est une évidence, vu ton comportement. Je pourrais dire la même chose de toi. Qu’est-ce qui te pousse à me tirer du lit le week-end pour aller faire du shopping ? Je suis censé être ton grand frère, non ? Tu n’as pas changé. »

C’était un euphémisme. Marie avait fait la même chose dans notre vie précédente : elle me donnait des ordres comme une servante les week-ends, puis mendiait de l’argent chaque fois qu’elle en avait besoin.

Alors que Luxon se tenait au-dessus de mon épaule droite, écoutant l’échange, il tourna son regard vers Marie. « Si les affirmations de mon maître sont vraies, Marie, il semble que tu n’aies pas mûri d’un poil depuis ta réincarnation. Si la croissance physique semble dépasser les capacités de ton corps sous-développé, je pense qu’il est tout à fait possible pour toi d’améliorer tes capacités mentales. As-tu envisagé d’adopter des comportements plus adultes ? »

La critique cinglante de Luxon laissa Marie incrédule. Elle ne resta pas longtemps sans voix. Le sang lui monta au visage et elle se mit en colère.

« Qu’entends-tu par là ? Qui a dit que mon corps ne se développerait pas davantage ? Il suffit d’attendre et de voir — je vais m’épanouir en une femme adulte parfaitement sensuelle ! »

« Il ne s’agit pas d’une opinion. L’évaluation s’appuie sur des données concrètes. »

« Quelles données, hein ? Et qu’est-ce que c’est que cette histoire de ne pas se comporter comme un adulte ? Je suis désolée de te le dire, mais j’ai vécu beaucoup plus longtemps que mon frère. Sache qu’au fond de moi, je suis toujours la même femme adulte, droite et expérimentée, que j’étais dans ma vie précédente. » Marie gonfla sa poitrine complètement plate, ode ironique à la maturité qu’elle s’attribuait.

« Il est amusant de constater qu’une certaine personne qui prétend être une adulte totalement mature est la même qui a trompé cinq jeunes hommes et s’est retrouvée dans un monde de souffrance. »

« C’est de ta faute et tu le sais ! » me cria Marie, sa voix résonnant dans le couloir vide.

« Seulement parce que tu as pris de l’avance. »

« D’accord, je l’ai fait. Je l’admets ! Mais en quoi cela excuse-t-il le fait que tu aies tabassé cinq gars en duel ? Soyons honnêtes, tu étais juste jaloux de Julian et des autres pour leur physique, alors tu as voulu les blesser pour te sentir mieux ! »

Marie n’était pas ma sœur pour rien. Elle ne me connaissait que trop bien.

« Oui, tu l’as bien compris. Et alors ? » avais-je répondu.

Marie serra les poings et les dents.

Oui, j’avais raison. Elle n’avait vraiment pas mûri. En fait, en raison de son corps maigre, elle se sentait probablement encore plus jeune que dans notre vie précédente. Je ne sentais pas le sang-froid d’adulte que l’on attend de quelqu’un qui avait accumulé autant d’expérience qu’elle le prétend.

Luxon bougea son œil d’un côté à l’autre comme s’il secouait la tête. « Maître, dois-je te rappeler que tu as besoin d’une certaine maturation mentale ? »

Je suis presque sûr que nous avons déjà eu ce même échange. Mais contrairement à Marie, je n’étais pas particulièrement décidé à devenir adulte, et je l’avais fait savoir à Luxon. « Je suis un jeune garçon pur dans l’âme. Je ne jetterais jamais ce genre de choses. »

« Je suppose que ta capacité à te trouver des excuses semble s’être améliorée. »

« La preuve est faite — les adultes sont doués pour se trouver des excuses. »

« Je vois que le statut de ta maturité dépend de la commodité. »

Je lui souris. « S’adapter à sa situation est une compétence importante. »

Marie nous regardait continuer ce va-et-vient insignifiant. Elle serra ses sacs de courses dans ses bras et fronça les lèvres en faisant la moue. « Vous êtes vraiment comme deux gouttes d’eau. Surtout quand on voit à quel point vous vous exprimez merveilleusement bien, avec vos sarcasmes et tout le reste. »

Aucun d’entre nous n’avait aimé être mis dans le même sac que l’autre.

« Lui et moi ? » m’étais-je moqué. « Tu dois être folle. Je suis bien plus gentil que cet abruti. »

« Penses-tu que mon maître est semblable à moi-même ? Il semble que tu aies besoin d’un examen approfondi des yeux, sans parler d’un scanner cérébral. Dois-je te les faire passer ? »

Marie soupira lourdement. « Peu importe », dit-elle d’un ton sec. « Laissez tomber. »

 

☆☆☆

 

Il y a quelques années encore, les salons de thé de l’école étaient utilisés quotidiennement par les étudiants qui invitaient les étudiantes à leurs soirées, mais cette tendance s’était largement essoufflée. Aujourd’hui, la fréquentation avait considérablement diminué. L’école avait donc pris la décision de réduire le nombre de salles allouées à cette pratique. En tant qu’amateur de thé, je trouvais cela un peu tragique, mais j’aimais aussi organiser des fêtes dans ce nouveau calme. Il y avait eu beaucoup plus de bruit pendant ma première année à l’académie.

Pendant que j’étais occupé à choisir les chaises correspondant au thé que je servais, Marie et Erica avaient trouvé des sièges et discutaient joyeusement. Marie ressemblait à un enfant excité qui bavardait, tandis qu’Erica ressemblait davantage à un parent qui trouvait ce genre de bavardage attachant.

« Ce n’est pas vrai ! Ce magasin a fait faillite !? »

« Oui. Le propriétaire a dit qu’il prenait sa retraite. »

Le sujet de conversation dans lequel elles s’investissaient tant était notre vie d’avant. C’était la seule chose que Marie et Erica avaient en commun, et je ne pouvais donc pas m’immiscer dans la conversation. J’avais tout de même trouvé agréable de les écouter.

Je souriais probablement sans m’en rendre compte, car Luxon avait fait le commentaire suivant : « Ton état mental semble s’être stabilisé. Je crois que ces soirées thé du week-end sont devenues essentielles à ton bien-être. »

« Même si je suis au centre de toutes ces rumeurs maintenant ? Les gens disent que je poursuis à la fois Erica et Marie. »

La fréquence de nos goûters avait mis le feu aux poudres. J’étais un peu inquiet, mais Luxon ne semblait pas le moins du monde troublé.

« Ta réputation au sein du corps étudiant ne m’intéresse pas », avait-il déclaré.

« C’est le cas pour moi, tu sais ? »

« C’est une question de priorités. Plutôt que de gaspiller ton énergie avec les opinions de la populace, tu devrais te concentrer sur toi-même. »

« As-tu sérieusement qualifié le corps étudiant de “populace” ? »

Même si Luxon parlait de mes pairs avec un langage au mieux discourtois, c’était une amélioration par rapport à son vocabulaire précédent, plus venimeux. Dans le passé, il aurait dit quelque chose comme : « Ces nouveaux humains avec leur capacité à manipuler la magie — peut-être devraient-ils tous se dépêcher de mourir. » Ah, que de beaux souvenirs ! La nostalgie de tout cela me ramenait directement en arrière.

« En fait, tu as d’autres chats à fouetter. Tu n’as pas le luxe de perdre du temps à te préoccuper des réflexions de la racaille. »

« Oui, oui, je t’entends. »

Lorsque je préparais le thé et que je me dirigeais vers la table, j’avais été accueilli par le spectacle de Marie qui gesticulait frénétiquement en parlant à Erica. Erica souriait en écoutant tranquillement, répondant par un hochement de tête occasionnel. Erica nous avait dit qu’elle avait dépassé l’âge de soixante ans dans sa vie précédente, elle devait donc être assez mûre à l’intérieur. En tout cas, elle avait l’air terriblement terre-à-terre pour quelqu’un d’aussi jeune. Marie avait l’impression d’être l’enfant et non l’inverse.

« J’ai préparé un thé qui accompagnera parfaitement les collations que nous avons choisies — attendez, combien en avez-vous déjà mangé ? » Quand j’avais jeté un coup d’œil à la table, plus de la moitié des friandises avaient disparu.

Marie avait rapidement détourné les yeux. Comme si j’avais besoin d’une preuve supplémentaire qu’elle était la principale coupable.

« Tu es un vrai petit cochon, tu le sais ? » avais-je dit.

« Je ne peux pas m’en empêcher », répondit Marie, la voix maladivement douce.

Je soupirai. « Pourrais-tu essayer d’agir selon ton âge ? Même un an ou deux de plus ? Tu es trop vieille pour qu’on te chouchoute tout le temps. »

« La plupart des hommes aiment avoir l’occasion de s’occuper d’une femme, tu sais. »

« Tu es vraiment devenue une excuse tordue pour un adulte. Et si tu t’inspirais un peu de l’exemple d’Erica, hein ? »

Marie avait jeté un regard noir. « Pardonne-moi ! C’est moi qui l’ai élevée, tu te souviens ? »

« Je suppose que tu lui as donné un bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Je suis content qu’elle ne soit pas comme toi. »

« Là, tu me fais vraiment chier, gros bêta ! »

Pendant que nous lancions nos salves de répliques cinglantes, Erica restait assise à côté de nous, les sourcils froncés. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour intervenir dans l’espoir de mettre un terme à notre foire d’empoigne verbale.

« Calmons-nous », dit-elle. « Ce serait vraiment dommage de laisser le thé refroidir. »

Marie et moi avions soufflé et détourné le regard en sirotant notre thé. Erica jeta un coup d’œil entre nous, troublée. Je m’attendais à ce qu’elle soupire d’exaspération, mais au lieu de cela, elle se mit à rire.

 

 

Qu’y a-t-il de si drôle dans cette histoire ? Je ne l’avais pas compris. « Pourquoi ris-tu ? »

Erica s’était immédiatement redressée et m’avait regardé droit dans les yeux. Son sourire était d’une clarté aveuglante. « Je trouve ça tellement amusant de voir à quel point vous vous amusez quand vous vous chamaillez. La façon dont vous êtes l’un avec l’autre est exactement comme mes grands-parents l’ont toujours dit. »

« Tes grands-parents ? » J’avais demandé avant de me rendre compte de la situation. « Oh, maman et papa ? »

Erica acquiesça. « Ils ont toujours parlé de toi. Ils disaient souvent que, si tu étais en vie, toi et maman vous vous disputeriez probablement encore, même à l’âge adulte. »

Quel genre de choses lui disaient-ils ?

« Je n’arrive pas à croire qu’ils disent des choses comme ça. Tu penses qu’ils t’auraient dit que, contrairement à ta mère, j’étais une personne super gentille. Ce genre de choses. Je veux dire, ce n’est pas ce qu’on fait normalement quand on parle des morts ? Essayer de les valoriser ? »

« Je crains de devoir compatir avec tes anciens parents », dit Luxon. « Porter un enfant comme toi aurait sûrement été une immense épreuve. »

« Hé, ne fais pas comme si j’étais un enfant démon indiscipliné. C’est Marie qui leur donnait des maux de tête, pas moi. »

Tous les regards se tournèrent vers Marie, qui buvait du thé pour faire passer toutes les sucreries qu’elle avait mangées. Dès qu’elle eut terminé, elle fit part de son mécontentement. « J’étais une bonne enfant la plupart du temps. C’est toi qui leur faisais vivre un enfer. Bien sûr, tu te comportais bien au quotidien, mais parfois tu étais le moteur d’un chaos total. Tu te souviens ? »

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Partie 2

« S’il te plaît, j’étais un ange comparé à toi. »

« Jamais ! Même pas un peu ! »

Il semblait que nous étions dans une impasse en ce qui concerne les souvenirs de notre passé commun. Mais je savais que ma version était la bonne. Marie se souvenait certainement de choses erronées. Néanmoins, j’avais gardé pour moi tout autre commentaire et j’avais bu une nouvelle gorgée de thé.

« Cela mis à part, » dis-je, « comment cela a-t-il fini pour eux ? »

Ma question était certes vague, mais Erica avait compris ce à quoi je faisais référence : le décès de mes parents.

Elle sourit tristement, baissant le regard. « J’étais avec eux quand ils sont morts. Ils ont dit qu’ils allaient dans l’au-delà pour gronder “ces deux abrutis”, comme ils disaient. »

Ces deux abrutis, hein… ? Il s’agissait sans doute de Marie et moi. Nous avions fait ce qu’aucun enfant ne devrait jamais faire à ses parents : mourir avant eux. Mais ce n’est pas comme si j’avais volontairement quitté la vie ou quoi que ce soit d’autre. Alors qu’est-ce qu’ils voulaient dire en allant nous gronder, hein ?

S’ils avaient un mot à nous dire, j’aurais espéré qu’ils nous promettent de nous revoir de l’autre côté ou quelque chose comme ça. D’un autre côté, le pinaillage était plus leur style.

« C’est vraiment méchant de leur part de dire qu’ils veulent nous engueuler. D’autant plus que la seule qui aurait dû les énerver, c’est Marie. » J’avais gloussé.

Marie fronça le nez et les sourcils. « Pourquoi moi ? S’ils devaient en vouloir à quelqu’un, ce serait évidemment à toi. Rester debout toute la nuit à jouer à un jeu vidéo, pour mourir en tombant dans les escaliers… C’est une façon assez pathétique de mourir, tu ne trouves pas ? »

« C’est toi qui m’as imposé ce jeu ! », avais-je lancé en pointant un doigt dans sa direction.

Marie renifla. « C’est de ta faute si tu ne prends pas mieux soin de toi. »

« Pourquoi, petite...

Je voulais continuer, mais elle n’avait pas tort. Même moi, je me rendais compte que j’avais fait un mauvais choix en passant autant de nuits blanches d’affilée. Et comme je n’avais pas les coudées franches, je m’étais contenté de siroter tranquillement mon thé en regardant le plafond.

Après une longue pause, j’avais fini par dire : « Nous avons des parents cruels, qui nous disent qu’ils vont venir nous engueuler au lieu de nous dire qu’ils nous reverront bientôt. »

Mais s’ils parvenaient à se réincarner dans ce monde, je mourrais probablement de rire.

« Cela ne me dérangerait pas qu’ils soient en colère, même s’ils nous criaient dessus », dit Marie en baissant les yeux. « J’aimerais juste pouvoir les revoir. »

Nous avions tous les deux fait du tort à nos parents, en plus de tous les problèmes que nous avions causés à Erica.

« Merci d’avoir été là pour eux », lui avais-je dit. « J’étais inquiet, car Marie et moi avons échoué. Mais le fait de savoir que tu étais là me soulage beaucoup. »

Cela avait effacé une grande inquiétude qui pesait sur moi. Mon cœur s’en était trouvé allégé.

« Étais-tu vraiment inquiet ? » demanda Luxon, comme s’il avait du mal à le croire. « J’étais persuadé que tu avais pratiquement oublié tes parents. »

« Je suis humain, tu sais ? Bien sûr que je voulais savoir ce qu’il était advenu de mes parents après ma mort. Je suis parfaitement conscient du fardeau que je leur ai imposé. C’était encore plus évident quand Marie est apparue soudainement et que j’ai découvert qu’elle était aussi morte avant eux. »

J’avais du mal à croire qu’elle et moi avions autant foiré. C’est pourquoi j’étais si reconnaissant à Erica.

« Merci, vraiment », lui avais-je dit. « Je te jure que je te rembourserai d’une manière ou d’une autre. Si jamais tu as des problèmes, tu n’as qu’à le dire et je serai là pour toi. »

Erica sourit maladroitement. “Tu n’as vraiment pas besoin de t’inquiéter. Ce sont mes grands-parents. Ils m’ont élevée avec une telle gentillesse, alors il n’y a pas besoin de parler de « remboursement », mon oncle.”

Troublé et ne sachant que répondre, je m’étais gratté la tête en silence. J’étais touché par la beauté de la femme qu’était devenue ma nièce.

Luxon murmura : « Maître, c’est une véritable épreuve de croire que tu es biologiquement lié à Erica dans ta vie antérieure. »

Marie gonfla fièrement sa poitrine (faut-il le rappeler : inexistante). « Elle est formidable, n’est-ce pas ? Ma fierté et ma joie. »

« Oh ? » demanda Luxon. « Je pensais que tes parents l’avaient élevée. C’est ce qu’il m’a semblé. »

« Eh bien, oui, mais quand même. »

« Ce qui, si je ne me trompe pas, signifierait que tout le mérite leur revient. »

« Oui, d’accord ! Peut-être que tout le mérite leur revient, mais j’ai le droit d’être au moins un peu fière, n’est-ce pas ? C’est ma fille ! »

« Hélas, elle est actuellement l’enfant de quelqu’un d’autre. Quel malheur pour toi. »

« Est-ce que tu as une sorte de rancune contre moi ? », s’emporta Marie.

Je ricanai en regardant Luxon s’en prendre à elle. Mais à la limite de mon champ de vision, j’avais aperçu Erica qui souriait d’un air triste.

 

☆☆☆

 

Lorsqu’Anjie regagna sa chambre dans le dortoir des filles après sa visite au domaine des Redgrave, Livia vient directement la voir. Anjie remarqua la tache d’encre qui maculait l’auriculaire droit de Livia et réalisa qu’elle était en train d’étudier. « Désolée », dit-elle en souriant faiblement. « Il semble que je t’ai interrompue. »

Livia lui sourit. « Tu ne m’interromps jamais. C’est ta chambre, après tout. Bienvenue, Anjie. »

« Merci. »

Au moins, le sourire de Livia apporta un peu de réconfort à Anjie. Mais cela ne dura pas longtemps, car l’expression de Livia s’assombrit rapidement. Elle pouvait sans doute deviner la nature de la conversation au domaine des Redgrave, vu l’air abattu d’Anjie. De même, Livia pouvait voir que la conversation n’avait pas tourné à l’avantage d’Anjie, ce qui ne l’empêchait pas de poser la question.

« Alors, comment ça s’est passé ? »

Le sourire forcé d’Anjie disparut et elle avoua honnêtement : « Mon frère m’a réprimandée. Il a laissé entendre que je ne répondais pas aux attentes. »

« Mon Dieu… »

« Il semblerait que mon père et mon frère n’apprécient pas l’attention que Léon porte à la princesse Erica. »

L’expression de Livia se durcit à la mention de la princesse. Anjie et elle savaient pertinemment que Léon organisait chaque semaine des goûters pour la princesse. Elles savaient aussi qu’il n’y avait pas de sentiments romantiques en jeu, mais la situation était loin d’être idéale. Les élèves avides de ragots murmuraient déjà que Léon avait l’intention d’abandonner Anjie pour la princesse. Cela ne pouvait qu’être frustrant pour Livia.

« Je vais aller parler à Monsieur Léon. »

« Livia ? » déclara Anjie avec surprise.

« Ces goûters hebdomadaires avec Son Altesse sont assez étranges. Pourquoi continue-t-il à les organiser dans l’état actuel des choses ? » La colère de Livia était palpable.

« C’est bon », insista Anjie. « Laisse-le faire ce qu’il veut. »

« Mais — . »

« Il a sans doute ses propres raisons, non ? D’ailleurs, je lui en ai parlé plusieurs fois, et tout ce qu’il a fait, c’est de m’envoyer balader. » Anjie sourit amèrement.

Livia baissa le regard. « Comment pourrais-je me taire quand tu souffres ainsi ? » Elle comprenait qu’Anjie faisait ce qu’elle pouvait pour protéger Léon des manipulations des Redgrave. On pouvait même se demander si Léon se rendait compte qu’elle était son bouclier. Le plus exaspérant pour Livia était que tout le pays s’était mis à tourner autour de Léon, mais qu’il restait totalement inconscient de ça.

« Tu es vraiment gentille », dit Anjie en entourant Livia de ses bras. Les filles pressèrent leurs fronts l’un contre l’autre et Livia glissa ses bras autour de la taille d’Anjie.

« N’est-ce pas difficile pour toi ? » demande Livia.

« Je pense que oui », dit Anjie, la voix remplie de tristesse. « À ce rythme, je risque d’être reniée. Si cela arrive, je serai une fille ordinaire comme les autres. La valeur que j’avais disparaîtra. Quand cela arrivera… Je perdrai Léon. »

Oui, c’était grâce à Anjie que Léon avait atteint le rang de duc, mais à présent, c’étaient ses propres prouesses au combat qui lui valaient tant d’attention et de respect. À l’heure actuelle, il était parfaitement qualifié pour conserver son titre, même sans ses liens avec Anjie. Si elle le quittait, rien ne changerait dans sa vie.

Anjie resserra ses bras autour de Livia et son souffle se coupa. « Livia, est-ce que je vais encore être abandonnée ? »

« Non, bien sûr. Je ne le permettrai jamais ! »

« Mais au train où vont les choses… Je vais vraiment tout perdre. »

Si Anjie était chassée de sa propre maison, toute l’influence dont elle jouissait disparaîtrait avec elle. Elle était convaincue que si cela devait se produire, elle ne vaudrait plus rien.

« Je déteste ça », murmura-t-elle. « Je ne veux pas être jetée, pas encore une fois. »

L’esprit d’Anjie était revenu au jour où Julian avait annulé leurs fiançailles. Elle s’accrocha à Livia, pleurant comme une enfant.

 

☆☆☆

 

Dans l’une des salles du palais, un couple marié se disputait vivement. Pas n’importe quel couple marié : le roi, Roland Rapha Hohlfahrt, et la reine, Mylène Rapha Hohlfahrt. Tout autour d’eux, des meubles étaient renversés et éparpillés, laissant un désordre total. Leur chamaillerie vicieuse avait pris des allures de tempête.

« Assez de tes bêtises ! » s’écria Mylène à l’adresse de son mari. « Ne t’ai-je pas expliqué à plusieurs reprises que c’était la meilleure solution ? »

Roland ne voulait rien entendre. “En quoi est-ce la « meilleure solution » ? Nous avons déjà convenu de fiancer Erica à l’un des fils du marquis Frazer ! Tu as toi-même insisté sur ce point ! Et maintenant, tu vas annuler cet accord et la marier à ce gamin tordu ? Comment pourrais-je rester les bras croisés pendant que tu conspires pour envoyer notre chère Erica à cette ordure pourrie et malfaisante ?” Consumé par la fureur, Roland perdit tout sens de la raison et frappa du pied l’une des tables, se cognant le tibia par la même occasion. Il se retourna en hurlant. « Yooooowch ! »

Mylène fixa froidement son mari. « Alors, dis-moi, à part marier Erica à Lé — ahem, le Duc Bartfort — comment penses-tu que nous pourrons maintenir le royaume à flot ? »

« Tu sais très bien que si je trouvais quelque chose, nous ne serions pas en train de nous disputer ! »

« Alors si tu n’as pas de meilleures suggestions, tais-toi. »

Leur différend avait été déclenché par Mylène qui avait déclaré qu’elle allait marier Erica à Léon. À l’origine, Erica avait été promise à un fils du marquis Frazer, dont le territoire bordait le Saint Royaume de Rachel.

Le pays d’origine de Mylène, le Royaume Uni de Lepart, était profondément impliqué dans tout cela. Comme Hohlfahrt, il était voisin de Rachel. La guerre entre Lepart et Rachel s’était poursuivie jusqu’à aujourd’hui, et lorsque Lepart avait forgé une alliance avec Hohlfahrt, ils avaient eu Mylène pour sceller l’accord. Pour sauver sa patrie, Mylène avait offert sa propre fille au marquis Frazer dans l’espoir de renforcer la volonté de sa maison d’agir en cas de besoin.

C’était le plan, du moins, jusqu’à ce que Léon, qui avait, en grande partie par son propre mérite, grimpé jusqu’au rang de duc. De plus, il avait résolu la dernière crise du royaume en un temps record. Mylène n’avait plus besoin de la maison Frazer pour sauver sa patrie, elle souhaitait maintenant s’attirer les faveurs de quelqu’un d’autre.

Les Frazer seraient totalement humiliés si la famille royale annulait les fiançailles qu’elle avait demandées en premier lieu. Cependant, bien que consciente des répercussions, Mylène voulait le pouvoir de Léon. Roland, quant à lui, s’opposait farouchement à cette proposition.

« J’ai du mal à supporter l’idée que mon adorable Erica se marie, mais avec ce morveux ? Je prendrais un petit Frazer plutôt que lui, n’importe quand ! »

« As-tu l’intention de voir ce royaume détruit à cause de ta petite rancune ? »

La position de Mylène était parfaitement raisonnée, c’est pourquoi Roland savait qu’il n’avait aucune raison de s’y opposer — si ce n’est de ressasser son propre dégoût pour l’union. « Et je te le dis, elle ne fera que souffrir si elle se met avec cet abruti ! »

« Tel est le devoir d’une personne issue de la famille royale. »

« Qu’est-ce que tu es, une sorte de démon ? C’est de ta fille qu’il s’agit ! »

« C’est parce qu' elle est ma fille que je prie avec tant de ferveur pour son bonheur, quel que soit l’homme qu’elle épouse. Que cet homme soit le duc Bartfort n’a aucune importance. » L’expression de Mylène était restée sèche, voire illisible. Mais pendant une fraction de seconde, son masque s’effaça, révélant l’amertume qui s’y cachait.

Roland avait saisi la brève fissure dans sa façade et s’y accrocha. « Alors, pourquoi ne pas l’épouser toi-même ? »

« Ne sois pas absurde. Quoi qu’il en soit, je présenterai cette proposition de fiançailles à l’avance. Je ne peux pas permettre aux Redgrave de s’approprier son pouvoir. »

Pour Mylène, la maison Redgrave était désormais l’ennemie de la couronne, et Roland était d’accord sur ce point. Cependant…

« Anjelica ne restera pas sans rien faire si tu essayes de marier Erica à ce morveux. Si tu le fais, ce sera la deuxième fois que la famille royale crachera sur ses sentiments. »

Entendre cela fit sans doute mal au cœur à Mylène, qui connaissait Anjie depuis son enfance. Mylène baissa le regard un instant, le visage pincé par le chagrin, mais lorsqu’elle releva le menton, toute trace d’émotion avait disparu. « Le destin de ce pays dépasse de loin les sentiments de chacun. »

« Menteuse. Tu as hésité tout à l’heure, n’est-ce pas ? Tu as positivement adoré cette fille. »

Il y eut une courte pause avant que Mylène ne réponde : « Si c’était vrai, cela ne changerait rien à ma décision. »

Estimant que tout autre discours était une perte de temps, Mylène tourna le dos à Roland et s’éclipsa par la porte.

Roland le regarda, vautré sur le sol, et soupira lourdement. « Ce morveux est encore tout mouillé derrière les oreilles, et pourtant il parvient à ensorceler les femmes. C’est vraiment la lie de l’humanité. »

Une déclaration hypocrite, compte tenu de la propre infidélité de Roland, mais il n’était pas prêt à réfléchir à ses propres erreurs.

Son expression devint solennelle. « Si la proposition de Mylène est acceptée, ce sera sans doute la meilleure chose qui soit arrivée à ce royaume depuis une éternité. Les aristocrates viendront immédiatement faire du lèche-bottes, j’en suis sûr. Mais je ne peux pas supporter l’idée que ma précieuse Erica épouse cette saloperie. »

Lorsque Roland avait décidé de déshériter Julian, il avait accepté cette décision comme la conséquence naturelle des mauvais choix de Julian. Pour Erica, c’était une toute autre histoire. Il aimait beaucoup sa fille.

« Aaaah ! » cria Roland en se débattant à nouveau sur le sol. « Je ne peux pas supporter l’idée que mon bébé se marie ! »

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Claramiel

Bonjour, Alors que dire sur moi, Je suis Clarisse.

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