Chapitre 2 : Les deux faces de la mémoire vivante
Partie 3
Wein lui fit face. « Je comprends le souhait de la princesse Lowellmina de régler les choses pacifiquement, en tant que régent d’une nation alliée et en tant qu’être humain raisonnable. Mais je n’ai que très peu d’informations sur la princesse et sa faction. Cela m’a fait réfléchir : Peut-être que la princesse Lowellmina ne fait que nous dire ce que nous voulons entendre, tout en ayant l’intention de provoquer davantage de chaos dans l’Empire. »
« Son Altesse ne ferait jamais… ! » Fyshe avait failli se lever d’un bond, mais Wein avait levé une main pour l’arrêter.
« Bien sûr, je veux croire que la princesse Lowellmina veut la paix. Mais l’histoire montre d’innombrables exemples de “souverains bienveillants” qui sont devenus des tyrans avec le temps, non ? »
« D’accord, mais… »
Lowellmina demandait à Wein d’investir en elle parce qu’il croyait en elle. Wein répondait qu’il ne pouvait pas le faire, car il ne la croyait pas. Ils étaient dans une impasse.
Bien sûr, Wein n’avait pas prévu d’arrêter les négociations. Cela faisait partie de sa stratégie de refuser à ce stade pour voir comment elle réagirait.
Fyshe s’attendait à ce que Wein essaie de la secouer, aussi avait-elle fait mine de bien réfléchir avant de parler, comme si elle prenait une grande décision.
« Si tel est le cas, permettez-moi de faire une humble proposition. »
« J’écoute. »
« — Voulez-vous venir voir la princesse dans la capitale impériale ? »
« Hm ? » murmura Wein.
Fyshe continua. « Je comprends vos inquiétudes, Prince régent. Je ne pense pas pouvoir vous persuader de croire la princesse, quoi que je dise ici. C’est pourquoi, à mon humble avis, vous devriez voir et entendre Son Altesse par vous-même. »
« Hm… Je suppose qu’une conversation avec elle serait le moyen le plus rapide de dissiper mes doutes. » Wein acquiesça avant de lui adresser un sourire. « Et le reste du monde interprétera cette rencontre comme la preuve que je prends le parti de Lowellmina… C’est ce que vous cherchez, Lady Blundell ? »
« Qui peut le dire ? Je ne peux pas parler pour le reste du monde. » Fyshe arborait un sourire effronté.
Wein l’observait et semblait s’amuser de la situation. « Si ça ne vous dérange pas, je pense que je vais rendre visite à la princesse Lowellmina dans la capitale. »
« Ah… ! » Un sourire se dessina sur le visage de Fyshe. « Son Altesse sera heureuse de votre visite, Prince régent. Je vais me rendre tout de suite dans ma patrie. »
« Je vais commencer à préparer le départ dès que nous aurons reçu une réponse… Il semble que nous allons nous rencontrer avec le sourire, comme la dernière fois, Lady Blundell. »
« En tant que citoyenne de l’Empire, je suis honorée de pouvoir contribuer à favoriser une nouvelle amitié entre nos nations, Prince régent. »
Wein et Fyshe s’étaient serré la main, le sourire aux lèvres. C’est à ce moment que ça avait été décidé que le prince du Royaume de Natra irait à l’Empire.
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« Es-tu sûr que tu es d’accord avec ça ? » Ninym demanda à Wein dans son bureau après leur rencontre avec Fyshe. « Tu l’as dit toi-même, Wein. Si nous allons là-bas pour la rencontrer, nous ne ferons pas que montrer notre soutien. Nous aurons l’air de rejoindre la faction d’Iowa. »
« Je ne suis pas d’accord avec ça, mais je n’avais pas le choix, » dit Wein en haussant les épaules. « Ce serait idéal si nous pouvions faire en sorte que le prochain empereur nous doive une grande faveur, afin que nous puissions former une alliance avec lui. »
Ce serait vraiment nul si Wein prenait le parti de la mauvaise personne avant que cette décision ne soit prise. Le pari le plus sûr serait d’intervenir après qu’un nouvel empereur soit déjà sur le trône.
« Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples, » commenta Ninym.
« Exact. La princesse impériale ne veut pas devoir de faveurs aux autres nations. Plus encore, elle détesterait tenir ses promesses lorsqu’elle sera impératrice. »
C’était assez évident dans les lettres des jeunes princes. Ils voulaient régler les problèmes internes sans intervention externe. Il n’y avait pas une seule nation qui ne fonctionnait pas de cette manière.
« La chute de Demetrio est une évidence à ce stade, » déclara Wein, « et je m’attends à ce que la bataille pour le trône passe à la vitesse supérieure. Je ne pense pas qu’il y aura beaucoup d’occasions pour Natra d’intervenir avant que le nouvel empereur ne prenne le trône, quel que soit le vainqueur. »
« C’est pourquoi tu as choisi Lowa. »
Demetrio était hors de l’équation. Bardloche et Manfred rejetaient toute interférence extérieure. Ce processus d’élimination le laissait avec Lowellmina.
« Et tu es d’accord pour soutenir Lowa comme impératrice ? »
« Je pourrais toujours faire semblant de la soutenir, trouver ses faiblesses, et changer d’équipe pour rejoindre les jeunes princes. »
« Tu es un véritable escroc. »
« S’il te plaît, appelle-moi “intelligent”. »
« Malin et sournois. »
« Beaucoup mieux ! »
« Est-ce que c’est… ? » Ninym avait l’air épuisée.
Wein l’avait ignorée. « Je sais que ma visite dans la capitale impériale sera interprétée comme une adhésion de Natra à la cause de Lowa. Je ne sais vraiment pas ce qui se passe dans l’Empire en ce moment. Je veux dire, cela fait des années que je n’y suis pas allé. Je choisirai qui vraiment soutenir après l’avoir moi-même vérifié. »
« Tu vas donc profiter de ce voyage pour enquêter sur l’Empire et ses factions. »
« Je ne peux pas dire à quel point je pourrai fouiner. » Wein croisa les bras avec un sourire en coin. « Après tout, Natra s’est fait une bonne réputation depuis que je suis régent. L’Empire va être prudent. Nous devons être aussi discrets que possible, même sur le chemin. »
« Et c’est de Lowa que nous parlons. Je suppose qu’elle a déjà préparé un piège pour toi. »
Wein acquiesça. Lowellmina était ingénieuse et ambitieuse. C’était une bonne amie à lui, mais cela ne signifiait pas qu’elle ferait preuve de réserve ou de pitié.
Je ne sais toujours pas pourquoi la réunion était si bizarre. Le véritable objectif de Lowa doit se cacher derrière ma visite à la capitale. Quelle amie agaçante j’ai là, pensa Wein. La princesse devait penser la même chose.
« Peu importe. » Wein avait relâché la tension dans ses épaules. « S’il y a un piège, je vais juste le mâcher. Heureusement, la vraie bataille commence une fois que Demetrio sera viré de la course. Nous avons le temps. »
« D’accord, mais si le Prince Demetrio gagne ? »
« Ce n’est même pas la peine d’y penser, » dit Wein, balayant les mots de prudence de Ninym. « Les seules personnes dans son équipe sont des limaces qui ont raté leur chance de quitter le navire et des idiots qui n’ont aucune idée de ce qui se passe. Ils peuvent renforcer leur nombre, mais aucun d’entre eux n’a le cerveau pour se sortir du trou dans lequel ils sont. Même si plus d’individus rejoignaient sa faction, ils ne feraient jamais de retour. Et s’ils y parviennent, je mangerai une pomme de terre avec mon nez. »
« Oh, quel retour en arrière ! »
« De toute façon, c’est impossible. »
Wein devait se concentrer sur la bataille qui suivrait la disparition de Demetrio. Comment pouvait-il agir de manière à obtenir le meilleur résultat pour lui-même ? Contrairement à Demetrio, les trois candidats restants et leurs factions ne pouvaient pas être écartés. Ce ne serait pas une bataille facile.
« — Peu importe ce qu’ils nous réservent, la victoire sera mienne, » déclara Wein. « Bardloche, Manfred, Lowellmina. Je devrais les surveiller de près tous les trois pendant que nous regardons Demetrio descendre en flammes. »
Wein s’était fendu d’un sourire entendu, confiant dans son bon jugement.
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— Et maintenant, revenons au présent.
« Je ne pense pas que nous aurions imaginé une seconde d’atterrir dans le camp du prince aîné lorsque nous sommes partis pour la capitale impériale. »
« Pourquoi cela se produit-il toujours ? » Wein avait crié — aussi fort qu’il est humainement possible — en se tenant la tête.
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La délégation du Prince Wein avait rencontré l’armée de Demetrio. La nouvelle s’était répandue dans tous les camps comme une traînée de poudre.
« Vous vous moquez de moi ? Natra est du côté de Demetrio !? »
Le chef de la faction militante, le prince Bardloche, avait bondi de sa chaise en apprenant la nouvelle.
« Êtes-vous sûr qu’il n’y a pas eu une erreur !? Je comprendrais si c’était Lowellmina, mais Demetrio !? »
« J’ai vérifié plusieurs fois, mais c’est vrai. Le prince Wein a rejoint le prince Demetrio à Bellida. »
Cela venait de son fidèle subordonné. Bardloche devait l’accepter, même si cela semblait impossible.
Il gémit. « Hrm... Si nous parlons du prince de Natra… Je ne pense pas qu’il s’amuserait à rejoindre Demetrio sur un coup de tête. »
« Oui. J’imagine que c’est une manœuvre politique. Que devons-nous faire, Votre Altesse ? »
Bardloche avait agonisé un moment avant de parler. « … Nous allons poursuivre nos plans. Mais surveillez de près l’armée de Demetrio. »
« Compris. »
Bardloche regarda du coin de l’œil son subordonné partir pour exécuter ces ordres.
Le prince se murmura à lui-même : « À quoi pense cet homme !? »
« À quoi pense-t-il au juste ? » se demanda le prince Manfred à voix haute, en gémissant de frustration.
Bien qu’il soit le plus jeune fils, il était soutenu par de grandes quantités d’argent, ce qui lui donnait suffisamment d’élan pour se battre à armes égales avec les autres princes.
« C’est un stratège. Je savais qu’il préparait quelque chose quand Bardloche et moi lui avons demandé de ne pas s’impliquer trop. Mais je ne comprends pas. C’est un tel pari de rejoindre Demetrio. » Manfred avait regardé à côté de lui. « Qu’est-ce que tu en penses, Strang ? »
Il posa les yeux sur un jeune homme qui avait l’air d’un officier, debout à côté de lui. Il s’appelait Strang, et il était à la fois le confident de Manfred et l’ami de Wein.
« Je suis d’accord, Votre Altesse. Une alliance avec le prince Demetrio apportera de sérieux défis. Mais s’ils surmontent ces difficultés, le lien entre le prince Demetrio et le prince Wein sera incassable. »
« Donc ce risque apporte un rendement élevé. Veux-tu dire qu’il fait cela parce qu’il est sûr de gagner ? »
« Oui. Le Prince Wein n’est pas un fan des jeux d’argent. Un étranger pourrait penser qu’il fait un pari téméraire, mais celui-ci doit être calculé. Il a une façon d’assurer son succès dans les moindres détails. » Après avoir dit cela, Strang avait haussé les épaules. « Mais le prince Wein a toujours été victime d’un étrange coup de chance. Il a pu être contraint de travailler avec le prince Demetrio en raison de circonstances imprévues. »
« Des circonstances imprévues ? Comme quoi ? »
« Mes excuses. C’est tout ce que je sais. »
« Hmph… » Manfred avait réfléchi, et finalement il avait semblé se débarrasser de quelque chose. « Eh bien, ça n’a pas d’importance. Après tout, Natra s’est ouvertement mis à dos Bardloche et moi. S’il doit en être ainsi, nous n’avons pas d’autre choix que de le faire tomber. »
merci pour le chapitre