Le manuel du prince génial pour sortir une nation de l’endettement – Tome 11 – Chapitre 6

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Chapitre 6 : Lowellmina

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Chapitre 6 : Lowellmina

Partie 1

L’ancienne capitale de Nalthia était une terre sacrée pour l’Empire. À l’exception de la zone située le long des rives du lac Veijyu, où les transports maritimes étaient nombreux, c’était normalement une ville solennelle et tranquille. Cependant, elle était actuellement plongée dans une tempête d’anarchie.

« Tenez vos positions ! L’armée de Bardloche se rapproche ! »

Les unités défensives se bousculaient tandis que des cris retentissent dans toutes les directions. Si l’interminable cliquetis métallique des soldats équipés d’armures s’était transformé en cliquetis de pièces de monnaie, la somme ensevelirait la ville sous les richesses. Au milieu de tout cela, une jeune femme courait de droite à gauche, vérifiant la progression des fortifications. C’était Ninym.

« Notre défense méridionale va bien, et le front occidental est presque prêt. L’est a pris un peu de retard. Je vérifierai à nouveau leurs statuts plus tard… Pour l’instant, je dois me rendre au point de ravitaillement. »

Un homme s’était précipité sur Ninym pendant qu’elle marmonnait toute seule.

« Vous voilà, Lady Ninym. »

« Oh, capitaine Raklum », répondit Ninym en l’apercevant. « Avons-nous établi une chaîne de commandement défensive ? »

Raklum secoua la tête. « Les deux camps sont toujours en train de se disputer. Les gardes déjà stationnés ici et les soldats qui servent Demetrio ne parviennent pas à se mettre d’accord. Et nous ne sommes pas assez nombreux pour nous en mêler… »

« Je suppose qu’il faut s’y attendre… Je vais parler au prince Wein et au prince Demetrio pour voir s’ils peuvent intervenir. »

« Ce serait très apprécié. Même si les deux camps ont été pris au dépourvu, je frémis à l’idée de ce qui pourrait se produire si nous allions au combat sans leadership approprié. »

« Je suis d’accord. Nous devons être prêts à tout… Qu’en est-il de l’issue de secours ? »

Raklum fit un signe de tête ferme à Ninym. « Un rameur et un bateau attendent dans un entrepôt au nord. Si nécessaire, utilisez-les pour mettre le prince en sécurité. Nous vous ferons gagner suffisamment de temps. »

« J’espère que nous n’en arriverons pas là. »

« Cela dépendra de l’autre partie », répondit Raklum avant d’adopter une expression quelque peu optimiste. « L’approche de Son Altesse ne manque jamais d’étonner. Je n’aurais jamais imaginé que nous serions mêlés à quelque chose comme ça quand nous sommes partis de Natra. »

« Oui, je ne m’attendais pas non plus à ce que nous intervenions de cette manière », répondit Ninym avec une légère exaspération. « Et si nous sommes surpris, je ne peux qu’imaginer leur étonnement… »

 

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« Nos éclaireurs sont de retour. Comme nous le soupçonnions, il ne fait aucun doute que le prince Demetrio et ses hommes ont occupé Nalthia… ! »

« Ngh... »

De retour à son camp principal, Bardloche, sentant quelque chose d’étrange à propos de Nalthia, s’était temporairement arrêté à la périphérie de la ville et avait envoyé des soldats pour enquêter. Leurs conclusions confirmèrent que la bannière qui ornait les remparts de Nalthia était indubitablement authentique.

« … De quelle main-d’œuvre dispose Demetrio ? »

« Nous avons reçu plusieurs témoignages verbaux selon lesquels entre trois et cinq mille soldats sont entrés dans la ville », répondit un subordonné.

« Il ne serait pas étonnant de trouver des traces fraîches d’hommes et de chevaux dans les environs », répondit un autre.

On estimait à cinq mille le nombre de soldats.

Bardloche avait eu l’impression que les défenses de Nalthia étaient insuffisantes, ce qui en faisait une mauvaise surprise. Sa victoire était toujours assurée, mais cette protection supplémentaire signifiait que ce ne serait pas si facile.

« Votre Altesse, quelles que soient les motivations du prince Demetrio, il n’est manifestement qu’un obstacle ! Nous devrions immédiatement prendre d’assaut Nalthia ! »

« … »

Son subordonné avait raison, il ne leur restait que très peu d’options. Cependant, Bardloche savait aussi que de telles actions représentaient un risque immense. Suffisamment pour que toute leur armée soit anéantie si les choses tournaient mal.

Que dois-je faire ?

Bardloche s’enfonça un peu plus dans la consternation, mais il ne fut pas au bout de ses peines.

« Hum, il y a un autre rapport. »

« Quoi ? Vous voulez dire qu’il y a plus… !? »

« Oui. Notre enquête est toujours en cours, mais d’après ce que nous avons entendu… »

 

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« Demetrio et le prince Wein sont à Nalthia… !? »

Manfred n’avait pas pu réprimer une exclamation rauque après avoir entendu la nouvelle de la bouche d’un subordonné.

« Oui. Il semblerait qu’ils travaillent ensemble… »

La nouvelle de l’occupation de Nalthia par la milice du premier prince était parvenue aux oreilles de Manfred comme à celles de Bardloche. Pire encore, Wein avait été repéré dans la ville. En temps normal, le troisième prince gardait le contrôle de ses émotions, mais même lui n’avait pas réussi à contenir sa surprise face à cette évolution.

« Strang, qu’est-ce qui se passe !? »

« J’avais entendu dire que le prince Demetrio s’était retiré à la campagne, et je doute que ses actions ici soient spontanées. Ainsi, il ne peut y avoir qu’une seule réponse. »

Wein avait forcé Demetrio à sortir de son isolement, Strang en était certain. Malgré le plan méticuleux que Strang avait mis en place, Wein avait choisi de rester et d’interférer. Cet homme était totalement excentrique, mais Strang ne perdrait pas non plus sur ce point.

Cependant, cela signifiait que le véritable défi serait de traiter avec Wein et Demetrio.

Qu’est-ce qu’ils cherchent… ? Et comment justifient-ils l’occupation de Nalthia ?

Alors que l’esprit de Strang s’emballait, un messager arriva en courant.

« Pardonnez-moi ! Un envoyé du prince Demetrio vient d’arriver ! »

« Un envoyé ? Pour quoi faire ? »

« Oui, eh bien… »

 

+++

« “Notre allié et voisin, le prince héritier Wein, et Ernesto, le chef de la Levetia orientale doivent se rencontrer à Nalthia. Naturellement, l’Empire devrait offrir son soutien en tant qu’hôte. Je n’arrive pas à croire que vous insistiez tous les deux pour faire traîner cette guerre inutile. J’avais déjà renoncé à jouer votre jeu, mais j’ai choisi de revenir pour que cette conférence ait lieu. De rien, mes frères idiots.” » Demetrio s’arrêta et sourit. « Mes messagers devraient être en train de livrer ces mêmes mots à ces imbéciles en ce moment même. »

« Les deux camps vont sûrement avoir un choc », répondit Wein avec un regard rusé.

Les deux hommes s’étaient rencontrés dans une salle privée d’un manoir de Nalthia. Ni l’un ni l’autre ne commandait l’armée, ils étaient donc libres de se détendre un peu pendant que les généraux et les soldats préparaient les défenses.

« Je suis encore surpris que tu m’aies ramené, tu sais. »

« Je savais que j’avais trouvé le pion idéal pour ce travail. Et puis, n’étais-tu pas en train de tuer le temps à la campagne ? »

La rencontre avec Ernesto devait avoir lieu à Nalthia.

Wein avait conclu que c’était la seule façon pour lui d’intercéder. Strang avait mis en place diverses mesures de protection pour tenir Wein à l’écart, mais il n’avait pas interféré une seule fois avec le projet du prince de se rendre dans l’Empire pour s’entretenir avec Ernesto. On ne sait pas si c’est parce qu’il aurait été trop difficile de s’en mêler ou parce que Strang ne voulait pas irriter davantage Wein. Quoi qu’il en soit, Wein avait l’intention de profiter au maximum de cette conférence pour faire avancer ses projets.

Les princes vont essayer de prendre Nalthia. Je devrais discuter avec la Levetia orientale et le Premier ministre Keskinel et établir la ville comme notre point de rencontre, avait raisonné Wein avant de rencontrer le prince Demetrio.

La Levetia orientale avait été assez facile à convaincre. Un profond fossé s’était creusé entre la religion et la faction de Bardloche après que la première eut vilipendé la seconde. La Levetia orientale préférait Lowellmina ou Manfred à Bardloche. Wein avait imaginé qu’Ernesto accepterait volontiers une rencontre à Nalthia si cela signifiait se mettre en travers du chemin du deuxième prince.

Cependant, Wein avait compris que la Levetia orientale n’avait pas grand-chose à offrir en termes de soutien tangible.

Sa délégation actuelle était maigre, et la Levetia orientale ne pouvait pas mobiliser une force immense. Bardloche ou Manfred pourraient prendre d’assaut la ville pour écourter la conférence.

C’est ainsi que Wein avait incité Demetrio à sortir de son isolement. Le premier prince avait déjà subi une défaite politique, mais il avait toujours les faveurs des conservateurs de l’Empire. Si Demetrio organisait cette rencontre, Wein pourrait solliciter l’aide de ses partisans. À cette fin, il avait contacté le prince déchu et lui avait fait part de sa demande.

« Hmph. J’ai peut-être été vaincu, mais tu fais encore preuve d’une grande insolence en osant traiter un prince de l’Empire comme un pion », se moqua Demetrio. Il n’avait cependant pas l’air trop contrarié. « Alors très bien. Cela me fera très plaisir de faire rougir de fureur mes stupides frères. Il est tout de même dommage que je ne puisse pas en être le témoin direct. »

« L’imagination est tout ce dont tu as besoin. Si tu en es témoin direct, tes côtés risquent de se fendre. »

« Ha-ha-ha ! Bien vu ! »

Demetrio éclata de rire, et Wein lui jeta un regard en coin alors qu’il réfléchissait.

Je suis un peu surpris que Keskinel ait accepté si facilement.

N’importe qui d’autre aurait exigé que Wein annule l’événement. Après tout, il s’agissait d’un banquet avec un invité d’honneur étranger en pleine zone de guerre.

Bien sûr, Wein avait prévu un deuxième plan plus énergique au cas où le premier n’aboutirait pas. Pourtant, les principaux acteurs avaient accepté sa proposition presque immédiatement. C’était presque déstabilisant.

J’ai toujours su que Keskinel était un homme rusé… mais il semblerait que les choses soient sur le point de devenir beaucoup plus intéressantes.

 

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Bien que la bataille finale entre les frères et sœurs impériaux se profilait, cela n’excusait pas la longue liste de tâches quotidiennes qui réclamaient de l’attention. Keskinel continua de superviser son travail de bureau en tant que Premier ministre tout en se préparant aux rapports qui afflueront au cours de la bataille à venir.

« … Êtes-vous sûr de cela, Monsieur le Premier Ministre ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demande Keskinel sans quitter son travail des yeux. L’assistant se chargea d’apporter des précisions.

« Je fais référence à cette rencontre entre le prince Wein et sa grâce Ernesto. Pourquoi voudraient-ils la tenir à Nalthia, maintenant plus que jamais ? Et avec le prince Demetrio jouant le rôle d’hôte, rien de moins. »

« Je ne vois pas où est le problème », répondit Keskinel, rejetant l’inquiétude de son subordonné. « La réunion entre le prince Wein et Sa Grâce a été programmée à l’avance. Au contraire, nous devrions réexaminer notre inaptitude si une simple visite d’un invité étranger estimé nous ébranle à ce point. »

« O-oui, mais… »

« De plus, c’est Nalthia qui servira de lieu de réunion. C’est le symbole de l’autorité de l’Empire, et l’autre partie doit faire preuve du respect qui lui est dû. J’aurais préféré superviser la réunion moi-même, mais le prince Wein a déjà désigné le prince Demetrio. Les deux partagent des liens étroits, et si le Premier Prince a accepté, alors je n’ai pas d’objection. »

La réponse de Keskinel était logique. Normalement, personne n’aurait sourcillé si Demetrio avait supervisé une rencontre entre Wein et Ernesto à Nalthia. Bien sûr, on ne pouvait pas dire qu’il s’agissait d’une situation « normale ».

« Monsieur le premier ministre, monsieur, Nalthia est littéralement une zone de guerre ! » s’exclama le subordonné.

« Les enfants impériaux ne font qu’obéir à leurs caprices », répondit Keskinel sans ambages. « L’Empire n’est pas lié et doit continuer à travailler comme une unité cohésive. Les dissensions ont affaibli notre royaume et terni notre autorité. Cette décision n’entachera en rien ma neutralité interne. »

La déclaration de Keskinel avait fait taire l’autre homme. Le Premier ministre impérial esquissa un petit sourire.

« Bien sûr, cela ne veut pas dire que mon choix n’aura aucun effet sur la lutte pour la succession. Je ne sais pas comment chaque royal profitera de cette rare opportunité, mais la force naît de l’adversité. »

« Votre Excellence… »

« Ne t’inquiète pas, nous avons encore du temps avant la naissance d’un nouvel empereur glorieux. »

***

Partie 2

« Grahh… ! »

Bardloche grogna devant la vieille capitale. Demetrio s’était emparé de la ville et insistait sur le fait qu’il n’était là que pour une réunion. Il avait même affirmé que le renforcement de la sécurité avait pour but de s’assurer que tout se passe sans problème malgré l’environnement instable. Il avait également insisté sur le fait qu’il n’avait aucune motivation politique.

Ne te moque pas de moi, idiot. Bardloche avait maudit mille fois son aîné. C’était clairement destiné à contrecarrer son avancée sur Nalthia, quelle que soit l’interprétation qu’en faisait Demetrio.

Pourtant, il y avait une chose que Bardloche n’arrivait pas à comprendre. Une enquête approfondie avait révélé qu’une majorité des forces de Nalthia était composée de conservateurs initialement fidèles à Demetrio. Cependant, ils auraient dû s’allier à Lowellmina après sa défaite.

Il était possible que la bannière de Demetrio, accrochée aux remparts, fasse en réalité partie de l’armée de Lowellmina. Cependant, Bardloche avait également entendu dire que les conservateurs et Lowellmina étaient en désaccord. Il était probable qu’ils l’aient abandonnée et qu’ils soient retournés auprès de Demetrio. La princesse était l’ennemie de Bardloche, sans aucun doute, mais le premier prince pourrait être ouvert à un front uni.

Cela dit, l’autre camp n’avait donné aucune indication de mouvement. Demetrio attendait-il la bonne occasion ou pensait-il qu’une alliance avec Bardloche n’avait aucune valeur ?

Le deuxième prince souhaitait charger et pilonner tous ses adversaires sans distinction, mais ce n’était pas une option.

Keskinel a approuvé cette rencontre à Nalthia. Les forces de Demetrio restent sur la défensive. Si je m’énerve maintenant et que je jette Nalthia dans le feu de l’action, mon armée tombera !

Depuis que la faction de Bardloche avait pris contact avec l’Ouest, la Levetia orientale l’avait considérée comme une ennemie acharnée. Bardloche était de connivence avec l’Ouest, mais seuls ses conseillers les plus fidèles étaient au courant de cette information. Le prince avait assuré à tous les autres qu’il s’agissait de calomnies politiques sans fondement concoctées par Manfred. Cela avait permis aux soldats de Bardloche de se ranger du côté de la justice et de garder le moral. Cependant, si Bardloche ordonnait une attaque contre le symbole de l’autorité de l’Empire et que la vérité sur ses transactions était révélée, la confiance de ses troupes s’effondrerait.

Si Manfred ou Lowellmina avait occupé Nalthia, Bardloche aurait encore eu une raison de frapper. Mais Demetrio, qui avait déjà abandonné la lutte pour le trône, avait insisté sur le fait que sa seule intention était d’organiser une réunion. Bien qu’exaspérant, Bardloche n’avait aucune excuse légitime pour intervenir. Il avait besoin d’une manœuvre politique, mais ce genre de tactique n’était pas dans les cordes de sa faction.

Mais même si je laisse Nalthia tranquille et que je me dirige vers la capitale, j’aurai toujours la menace des armées de Demetrio et de Manfred sur mes talons ! Manfred pourrait entrer directement dans Nalthia et annoncer sa cérémonie de purification à tout l’Empire ! Et s’il le fait, je suis foutu !

Bardloche ne pouvait ni attaquer Nalthia ni la laisser tranquille. L’attitude du prince, qui était de faire ou de mourir, vacillait. Il fut frappé par l’incertitude, et cette hésitation scella son destin.

« J’ai un rapport ! Des troupes ont été aperçues au sud ! Elles portent le drapeau de la princesse Lowellmina ! »

La princesse, qui s’était préparée à la bataille dans la capitale, s’était soudainement élancée.

 

+++

Lowellmina était au courant du plan depuis que Fyshe était revenue avec une lettre de Wein.

« … Quoi ? » avait-elle soufflé. Il était difficile de croire qu’il essaierait d’attirer Demetrio. Mais la princesse était tout aussi redoutable, elle s’était vite ressaisie et avait passé en revue le plan de Wein.

Ce n’est pas… tout à fait impossible.

Il y avait quatre facteurs décisifs.

La première était de savoir s’ils parviendraient à convaincre Demetrio. Cependant, il ne faisait aucun doute que Wein y parviendrait. Lowellmina savait que ces deux-là partageaient un lien étrange qui n’était pas tout à fait de l’amitié, peut-être en raison de leur précédente collaboration. Si quelqu’un pouvait convaincre Demetrio, c’était bien Wein.

Le suivant était Keskinel. Lowellmina et Wein avaient eu besoin de l’autorisation du Premier ministre pour organiser une réunion à Nalthia. Lowellmina ne s’était toutefois pas inquiétée à ce sujet. Keskinel avait un système de valeurs particulier, et comme le projet de réunion avait toujours été sur la table, il avait toutes les raisons de l’approuver. Et si le Premier ministre donnait sa bénédiction, il ne faisait aucun doute que le troisième facteur, la Levetia orientale, ferait de même. Après tout, c’est eux qui avaient demandé que la rencontre ait lieu dans l’Empire. La conférence avait failli être annulée à cause du récent chaos, mais l’Église y participerait tant que les autres parties montreraient qu’elles peuvent tenir bon.

Bien sûr, il n’y aurait pas de réunion réelle dans une zone de guerre. Wein ne faisait qu’emprunter la crédibilité de tout le monde.

Le dernier obstacle était le plus important : les troupes qui protégeaient Nalthia.

Lowellmina ayant été occupée à rassembler ses propres forces, elle ne pouvait pas en affecter ailleurs. De plus, cette tâche, du moins en apparence, était destinée à protéger ceux qui tenaient la réunion la plus importante et simultanément la plus insouciante de l’Empire. La majorité des soldats de Lowellmina étaient des volontaires indignés qui se lamentaient sur l’avenir de l’Empire. Elle ne pouvait pas les envoyer.

Ensuite, les conservateurs de la faction de Lowellmina avaient attiré l’attention de Wein. Ils appartenaient à l’origine à la faction de Demetrio, il était donc logique de penser qu’ils seraient désireux de retourner auprès de leur ancien maître.

Pourtant, ce ne sera pas facile, avait pensé Lowellmina.

Les conservateurs étaient paresseux et avaient déjà ignoré sa propre demande de troupes. Demetrio était leur ancien maître, de plus il n’y avait rien à gagner à revenir vers lui. Si leur commandant actuel ne pouvait pas les contrôler, quel espoir avait le précédent ?

Peu après que Lowellmina ait eu cette notion, les conservateurs s’étaient précipités vers Nalthia.

« Hein ? »

Lowellmina était furieuse.

« V-Votre Altesse, calmez-vous s’il vous plaît. »

« Je n’ai pas perdu mon calme. Je ne peux simplement pas m’empêcher de me demander pourquoi ils sont soudainement dociles alors que tout le monde a trouvé des excuses et n’a pas voulu écouter un seul mot de ce que j’ai dit avant, mais je t’assure que je suis parfaitement calme. »

Après que Fyshe ait consolé Lowellmina et que celle-ci ait retrouvé son calme, elle s’était remise à théoriser sur le fonctionnement du plan de Wein.

« Prépare une lettre, Fyshe. Il y a quelque chose que je veux que tu remettes en secret. »

« Oui, tout de suite. »

Lowellmina était arrivée à sa conclusion.

« Il est temps de faire mes débuts. Cette victoire sera la mienne. »

 

+++

L’armée de Lowellmina comptait environ huit mille soldats. La majorité d’entre eux étaient des volontaires qui admiraient la princesse, décriaient les princes comme des bons à rien et nourrissaient un sentiment d’indignation vertueuse à l’égard de l’Occident. Moins de la moitié d’entre eux avaient reçu une formation officielle. On pourrait facilement les qualifier de troupes faiblardes qui possédaient le strict minimum de discipline ou de compétence.

Cependant, leur volonté était inégalée. Personne, du plus petit soldat au vétéran d’élite, ne doutait de leur cause, et Lowellmina prenait directement le commandement. Tous étaient déterminés à démontrer leur valeur à la princesse rayonnante.

L’armée de Bardloche comptait dix mille hommes au total, chaque soldat était un vétéran endurci qui comprenait parfaitement l’art de la guerre. Ils étaient prêts à dépasser l’ennemi dans une confrontation directe. Cependant, leur moral était au plus bas. Les troupes de Bardloche avaient été qualifiées de traîtres, et l’occupation soudaine de Nalthia les empêchait d’agir. Entre-temps, les forces de Lowellmina étaient apparues devant celles de Bardloche, tandis que celles de Demetrio prenaient la capitale par-derrière.

De plus, la milice de Manfred, forte d’environ dix mille hommes, avait gardé ses distances en entrant dans la bataille entre Bardloche et les unités de Lowellmina. Au lieu de lancer une attaque immédiate sur Bardloche, elle avait soigneusement bouclé ses voies de sortie. Le moral et l’expertise tactique des forces de Manfred étaient palpables.

Malgré toute leur ruse, les soldats du troisième prince avaient été rassemblés par des chefs provinciaux. Chacun se battait pour sa propre maison, et leur niveau de discipline dépendait de l’ampleur du combat.

« Alors, qui régnera en vainqueur ? » marmonna Wein en considérant le chaos qui menaçait d’éclater à l’extérieur de la ville.

Demetrio lui lança un regard interrogateur. « Même toi, tu ne sais pas ? »

« Plusieurs facteurs invisibles sont à l’œuvre ici. »

« Hmm… Eh bien, tant que tout se passe comme nous en avons discuté, cela me suffit », déclara le premier prince. « Prince Wein, es-tu certain que cela permettra de combler le fossé entre les conservateurs et Lowellmina ? »

« Oui, tu peux être rassuré sur ce point. »

Comment puis-je sortir Demetrio de son isolement et le ramener sur la scène mondiale ?

Wein avait lutté contre ce problème dans l’espoir d’occuper Nalthia. Demetrio s’était retiré discrètement de la querelle pour être empereur. Même si Wein avait essayé d’attirer le premier prince avec de l’argent ou une autre chance d’accéder au trône, il y avait de fortes chances que cela ne fasse que le dissuader et que tout s’arrête net. Wein s’était alors concentré sur les tensions entre Lowellmina et les conservateurs.

Ils sont en désaccord depuis le début. Les conservateurs n’accepteront pas une impératrice. Leur groupe s’effondrerait si l’un d’entre eux le faisait.

Tel était le dilemme des conservateurs. Comme son nom l’indique, l’organisation honore l’histoire et la tradition. Accepter facilement le règne d’un précurseur comme Lowellmina porterait atteinte à cette réputation. Pourtant, ses membres n’étaient pas insensibles à la réalité. Les conservateurs s’étaient déjà révoltés contre Bardloche et Manfred et avaient compris qu’il était bien trop tard pour rejoindre l’un ou l’autre. Leur meilleure option était de soutenir Lowellmina en tant qu’impératrice tout en protégeant leurs intérêts.

Ainsi, les conservateurs avaient continué à chercher un compromis, un moyen de servir Lowellmina tout en restant fidèles à leurs convictions, ne serait-ce que par le strict minimum.

C’est alors qu’était venue la proposition de retour de Demetrio.

« Les conservateurs sont vaillamment venus assister leur ancien maître, le prince Demetrio. Émue par ce geste non autorisé, mais touchant, Lowellmina va magnanimement leur pardonner et gagner ainsi leur respect. Ainsi, les deux parties pourront enfin avoir une véritable relation de travail. »

Servir Lowellmina présentait peu d’inconvénients, et elle pouvait supporter les conservateurs même après cette petite trahison.

« Je vois…, » déclara Demetrio doucement. « Je ne pouvais vraiment rien faire pour eux. Si cela permet de mettre fin au problème, ça me va très bien. »

Les conservateurs avaient soutenu la candidature de Demetrio au poste d’empereur, mais ses lacunes leur avaient coûté un bel avenir. Le prince avait sans doute encore des doutes à ce sujet, mais il avait ravalé sa fierté, accepté l’offre de Wein et était revenu sous les feux de la rampe.

« Une fois que tout cela sera terminé, je vivrai librement avec ma femme et mon enfant. »

Les épaules de Wein avaient tressailli. « … Tu as un enfant ? »

Demetrio hocha timidement la tête. « Oui. J’ai renvoyé toutes mes concubines quand je me suis isolé, mais l’une d’entre elles a insisté pour me rejoindre. Ensuite… eh bien, nous avons eu un enfant ensemble. »

« … Hmm, oui, je vois. »

« J’avais l’intention de tout laisser à une nourrice, mais mon petit est tout simplement trop mignon pour pouvoir le décrier. Ma femme me reproche de m’occuper de lui. »

« Hmm ! Oui ! Je vois ! »

 

 

« Qu’est-ce qui ne va pas, Prince Wein ? Tu sembles agité. »

« Non, ça va. Ce n’est pas comme si je me disais : “Regarde ce bâtard chanceux qui mène une vie tranquille avec sa bien-aimée”, alors ne fait pas attention à moi ! » Wein avait grommelé comme le pauvre perdant qu’il était.

« Votre Altesse ! »

Un messager agité se précipita.

« Les soldats à l’extérieur sont en mouvement ! »

« Le moment est donc enfin venu. »

Demetrio fit un signe de tête solennel, et Wein répondit au rapport par une question.

« Qui a fait le premier pas ? »

« Bardloche ! » répondit l’homme.

***

Partie 3

Bardloche et son armée étaient en difficulté, et c’est peu dire. Ils étaient bloqués dans un blocage politique et auraient dû se lancer dans la bataille comme si leur vie en dépendait. Malheureusement, ils étaient encerclés par Manfred, Lowellmina et Demetrio. Ce fait pésait lourdement sur chaque soldat, et tous tombèrent dans un découragement muet. Paradoxalement, on pourrait dire qu’un tel sang-froid face à l’adversité était la preuve de leur discipline. Ils se serreraient les coudes et se battraient, quelles que soient les circonstances.

« … »

Bardloche, qui aurait dû être à la tête de ses troupes, n’avait pas pu s’empêcher de tomber dans un gouffre de désespoir.

« Votre Altesse… »

Même ses principaux commandants n’avaient aucune idée de ce qu’il fallait dire alors que le temps continuait de s’écouler. Ils avaient encore une chance de s’échapper. S’ils ne se préoccupent pas des pertes potentielles, Bardloche et ses troupes pouvaient franchir les lignes de Lowellmina ou de Manfred.

Mais que se passera-t-il ensuite ?

Bardloche était devenu un ennemi de l’Empire pratiquement du jour au lendemain. Seul un miracle pourrait le sauver. S’échapper ne ferait que garantir qu’il serait capturé et exécuté plus tard. Une fois qu’il avait compris l’inévitabilité qui l’attendait, il était difficile d’espérer autre chose qu’une fuite immédiate.

Et toute chance de victoire ici était —

« Prince Bardloche ! »

Une voix ostensiblement forte attira l’attention de tout le monde.

« J’ai un plan ! »

La voix appartenait à Glen. Le seul phare brillant dans ce camp autrement lugubre se tenait fermement debout alors que tous les regards se tournaient vers lui.

« Un plan ? » répéta Bardloche en levant lentement les yeux. « As-tu vu ce blocus ? Qu’est-ce qu’on peut bien faire maintenant ? »

« Avec tout le respect que je vous dois, prince Bardloche, vous devriez peut-être regarder de plus près. »

Des chuchotements s’échangèrent autour des deux hommes. Le comportement de Glen était le comble de l’insolence, mais Bardloche était plus perplexe que contrarié.

« … Que vois-tu ? »

« Trois armées complètement immobiles tout autour de nous », répondit Glen.

Une étrange sensation s’était progressivement emparée de Bardloche et de tous ceux qui se trouvaient à portée de voix. Les trois forces ennemies n’avaient pas encore attaqué. Ils avaient simplement encerclé le camp de Bardloche et échangé des regards.

« Selon toute vraisemblance, les troupes de Demetrio à Nalthia constituent la menace la plus faible. Nous ne connaissons pas leurs motivations politiques, mais toute offense de leur part sera rapidement écrasée. Demetrio en est conscient, c’est pourquoi la ville est restée inactive. Il est peut-être plus prudent de les laisser en paix », expliqua Glen. « Les deux autres meneurs, le prince Manfred et la princesse Lowellmina comprennent que la défaite de Votre Altesse est leur clé pour accéder au trône. Cependant, vous n’avez qu’une seule tête, et le conflit entre vos deux rivaux est inévitable. Même si l’un d’eux parvient à prendre votre tête, l’autre refusera de le reconnaître. Dès que l’un ou l’autre nous vaincra, cela déclenchera un affrontement décisif entre les prétendants restants. »

« Ce qui signifie que… »

« Oui, c’est comme vous l’avez déduit, Votre Altesse. Il est absolument vital que les deux camps conservent leurs forces et atténuent les dégâts jusqu’au conflit final. C’est la raison de cette impasse. Chaque armée a l’intention de forcer l’autre à nous épuiser pour pouvoir remporter la bataille à venir. »

Lowellmina et Manfred voulaient tous deux que l’autre engage le combat avec Bardloche pour pouvoir s’emparer de sa tête à la dernière seconde. C’est pourquoi Manfred n’avait pas attaqué par-derrière et c’était la raison pour laquelle Lowellmina avait conduit ses soldats sur le champ de bataille au lieu de se cacher dans la capitale. À présent, les deux individus s’observaient attentivement. Leur tactique pour l’affrontement final était déjà en place.

« Hmph. Alors je ne suis que la première partie !? »

Le sourire de Bardloche était empreint de colère et d’autodérision. Une telle négativité était dangereuse en temps de guerre, mais Glen sentait qu’elle rajeunissait son maître.

« Je comprends votre frustration. Cependant, il s’agit d’une excellente opportunité, Votre Altesse. »

« Vraiment ? »

« Si les deux parties refusent d’agir, nous pouvons attaquer unilatéralement Manfred ou Lowellmina. » Glen marqua une pause. « Si nous mobilisons toute notre armée, ils répondront en nature. Cependant, je peux dire que quelques petites unités ne suffiront pas à mettre fin à l’impasse. Par conséquent, après avoir mis nos unités principales sur la défensive, nous enverrons nos meilleurs soldats attaquer le camp de Lowellmina et capturer la princesse. C’est ce que je suggère si nous voulons pouvoir revenir en rampant du bord de la mort. »

La foule s’agita, offrant des commentaires comme « C’est imprudent » et « Il n’y a aucune chance que ça marche ». Cependant, Glen resta sur ses positions et regarda directement Bardloche.

« … Pourquoi Lowellmina ? » demanda le prince.

« C’est dû à la nature de son armée. La plupart sont des soldats ordinaires, et nos meilleurs guerriers ont une chance décente de briser ses défenses. Les troupes de la princesse l’idolâtrent et se battront impitoyablement jusqu’à la mort si elle est tuée. À l’inverse, nous pouvons prendre la princesse Lowellmina en otage et demander à ses troupes de se disperser en échange de son retour sain et sauf. En agissant ainsi, les forces de la princesse Lowellmina seraient impuissantes face à l’assemblée des chefs de province de Manfred. »

Lowellmina elle-même n’avait aucune compétence en tant que commandante militaire. Quelqu’un comme elle confiait généralement les combats à ses subordonnés et attendait des nouvelles de la capitale impériale en cas de victoire.

Et pourtant, Lowellmina commandait une armée entière. Cela faisait des merveilles pour le moral des soldats, mais cela signifiait qu’ils perdraient cette inspiration sans elle. Les troupes de Lowellmina étaient émotionnellement dépendantes d’elle, et ce point constituait le cœur de la stratégie de Glen.

Que le prince Bardloche soit d’accord ou non, c’est une tout autre histoire…

Il était scandaleux que le capitaine d’une seule unité conseille son maître, et Glen n’aurait jamais d’autre chance si le prince rejetait sa proposition ici. Cela signifierait également la défaite de Bardloche.

« Tu t’appelles Glen, c’est ça ? » demanda simplement Bardloche.

Bien que surpris de découvrir que le prince se souvenait de son nom, Glen inclina respectueusement la tête.

« Nous allons suivre ton plan. Prends tes soldats et capture Lowellmina. »

 

 

« Compris ! »

Glen avait rassemblé sa volonté.

 

+++

« Passons à l’offensive », suggéra Strang.

De retour au camp de Manfred, le prince et ses commandants délibèrent sur cette proposition.

« N’avions-nous pas l’intention d’attendre et de laisser Lowellmina et Bardloche s’épuiser l’un l’autre ? » demanda Manfred.

Glen avait correctement deviné leur stratégie, et tout le monde avait remis en question la proposition de Strang de changer de tactique. Ce dernier avait offert une explication pour apaiser leurs inquiétudes.

« Lowellmina a opté pour une méthode similaire, nous mettant dans cette impasse. À ce rythme, l’armée de Bardloche risque de se rétablir. »

« Nous les entourons, nous avons donc un avantage majeur. »

« Malgré tout, nous ne devons pas sous-estimer notre ennemi. Les soldats de Bardloche sont puissants, et il est possible qu’ils puissent nous affronter, Lowellmina et nous, s’ils retrouvent le moral. Nous devons aiguillonner son armée à l’avance et les épuiser de corps et d’esprit. »

« Mais cela ne va-t-il pas nous nuire et handicaper nos forces dans la bataille ultérieure ? » demanda Manfred avec scepticisme.

« Il n’y a pas lieu de s’inquiéter », répondit Strang. « Vaincre Bardloche privera Lowellmina de sa prétention au trône. Elle a tout intérêt à nous laisser le combattre et à attendre la dernière minute pour intervenir et éliminer le deuxième prince, mais le groupe de Lowellmina manque de patience et d’un œil vif et stratégique. Si nous attaquons, ses forces se précipiteront immédiatement à leur tour. »

Strang avait ensuite expliqué que les soldats de Manfred chercheraient une ouverture pour éliminer le deuxième prince pendant que Bardloche et Lowellmina seraient occupés à se fatiguer l’un et l’autre.

« Très bien, je m’en remets à toi », déclara Manfred.

« Compris. »

Strang fit une profonde révérence.

 

+++

« Princesse Lowellmina, les deux ennemis ont commencé à bouger. »

La tente bien protégée de la princesse trônait au cœur même de son campement, le long des plaines.

« Manfred est à l’offensive tandis que Bardloche se concentre sur la défense », poursuit le messager.

« Et nous ? »

« Le quartier général nous a ordonné de rester sur la défensive, mais des escarmouches ont éclaté sur une partie des lignes de front, et elles s’étendent progressivement. »

« Je vois… J’espérais attendre plus longtemps jusqu’à ce que nous repérions un moment opportun, mais je suppose qu’on ne peut rien y faire. Nous sommes une milice hétéroclite, après tout. »

Malgré cet aveu, Lowellmina ne s’attendait pas à ce que la patience de ses soldats soit mise à rude épreuve. L’autodiscipline était difficile à maintenir lorsqu’il s’agit d’un combat mortel. Les forces de Lowellmina ne tarderaient pas à succomber et à lancer une attaque de grande envergure contre Bardloche. Un certain binoclard intriguant souriait dans son esprit.

« Il y a une autre chose que je dois vous signaler. Une petite unité du camp de Bardloche se dirige apparemment dans cette direction. Dois-je demander au quartier général de rester en alerte et de renforcer notre sécurité ? »

« Non, je vais leur laisser le soin de régler la situation. Mon avis ne ferait qu’inviter à un chaos inutile. »

Lowellmina était la commandante suprême, mais les généraux de sa faction prenaient toutes les décisions de combat. Leur principale place forte se trouvait à une courte distance de sa tente. C’est parce que Lowellmina n’avait pas les compétences nécessaires pour commander une armée. Cependant, la princesse n’était pas indifférente à ce genre de choses, et elle avait donc choisi de rester à proximité.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas exagéré de dire que la politique et la guerre modernes sont strictement limitées au domaine des hommes. Malgré le sens politique de Lowellmina, mettre son nez dans les affaires militaires déclencherait une vague de protestations, même dans le meilleur des cas. Lorsqu’il s’agissait d’atteindre ses objectifs, Lowellmina était comme un ouragan, mais elle préférait ne pas provoquer de conflits inutiles. Elle refusait de plier l’armée à sa volonté, et tant que personne d’autre ne s’en souciait, elle se contentait de la laisser tranquille.

Les chefs de l’armée de Lowellmina étaient loin d’être de premier ordre — de telles personnes servaient d’autres factions — mais on pouvait leur faire confiance pour gérer le commandement jusqu’à ce que son plan soit achevé.

« Cette petite unité est très probablement à ma recherche. Nous ne pourrons pas fonctionner si je suis capturée. »

Le commandant en chef est généralement la colonne vertébrale d’une armée, mais la force de Lowellmina est différente. La princesse était bien plus vitale pour ses soldats que n’importe quel général.

« Dans ce cas, Votre Altesse, je suggère de renforcer notre garde. »

« Nous nous en sortirons, » répondit-elle avec désinvolture. « Je sais bien que l’ennemi ne reculera devant rien pour prendre d’assaut ce camp. Nous utiliserons nos vastes défenses, le terrain difficile et les pièges pour doubler et tripler notre sécurité. Bardloche pourrait envoyer la moitié de ses hommes, nous prouverions quand même que nous ne nous laisserons pas vaincre si facilement. »

« Eh bien, alors… »

« Je ne sais pas comment sont nos assaillants, mais leur mission se soldera par un échec. Au moins, nous devrions leur souhaiter la paix dans l’au-delà. »

Lowellmina semblait être l’image même du calme. Pourtant, à peine avait-elle fait sa déclaration qu’un tumulte éclata à l’extérieur de la tente.

« Qu’est-ce que c’est ? Je vais aller voir. »

Fyshe était partie enquêter et était revenue quelques secondes plus tard. Son expression était sombre.

« Votre Altesse ! L’ennemi a ouvert une brèche dans notre ligne de défense ! »

Le sourire de Lowellmina se figea.

***

Partie 4

« Avancez ! Et continuez d’avancer ! Vous vous noierez dans une mer d’ennemis si vous vous arrêtez ! »

Glen cria à ses guerriers alors qu’il traversait le champ de bataille à cheval. Il avait été chargé de mener une attaque brutale et se trouvait maintenant au cœur du camp de Lowellmina avec seulement quelques-uns de ses meilleurs hommes. Des vagues d’ennemis surgissaient de toutes parts pour arrêter leur charge.

« Hors de mon chemin ! »

Cependant, Glen repoussa chaque tentative et sa bravoure enhardit les soldats qui le suivaient. Écartant les lames et les flèches hostiles, Glen chevaucha en tête du peloton comme une force de la nature que rien n’arrêtait.

Mais il ne s’était pas contenté de plonger en avant.

« Nous changeons de direction ! Tournez à gauche ! »

« Mais l’ennemi est plus étalé tout droit ! »

« C’est un piège. Nous serons écrasés si nous allons dans cette direction ».

Glen dirigea sa monture vers la gauche, comme il l’avait dit. Ses partisans n’avaient pas tardé à faire de même. En regardant en arrière, ils repérèrent une embuscade qui avait été dissimulée depuis leur position précédente.

« Quoi… !? »

« Le capitaine a vu clair dans leur piège ! »

Les subordonnés de Glen chantaient ses louanges, mais cela ne lui apportait aucune joie. Échouer à accomplir quelque chose comme cela signifiait qu’il n’égalerait jamais ses amis.

En fin de compte, je n’ai rien fait d’autre que d’apprendre à manier une épée.

Né dans une famille de militaires et élevé comme un soldat depuis l’enfance, Glen s’était poussé sans relâche. Il ne se considérait pas comme particulièrement doué, mais Glen était fier de son éthique de travail malgré ces lacunes. En vérité, il éprouvait un sentiment secret de supériorité par rapport aux nombreux camarades qu’il avait laissés dans la poussière.

Puis Wein et les autres étaient arrivés et avaient brisé cette confiance.

Glen avait compris que Wein, Ninym, Strang et Lowellmina étaient tous ses égaux, quelles que soient leurs différences. Non, leur génie le surpassait. Cette vérité menaçait de le submerger chaque fois qu’ils étaient ensemble.

Cependant, cela avait fait naître un désir chez Glen.

Il ne voulait pas perdre.

Il avait la volonté de gagner, de réussir. Il voulait se tenir aux côtés des autres. Il voulait être leur ami et leur égal. Glen pensait que ce sentiment avait favorisé sa croissance. En effet, sa maîtrise de l’épée avait progressé à pas de géant après les avoir rencontrés.

Néanmoins, l’écart subsistait.

Le savoir, la débrouillardise, l’éloquence, l’habileté, le courage. Ses amis avaient affiné leurs arsenaux individuels et avaient combiné divers ensembles de compétences pour produire des résultats étonnants.

Glen, lui, avait des compétences militaires et rien de plus. Comparé aux autres, qui observaient chaque situation à grands traits et réagissaient en conséquence, quelle était la valeur d’un soldat qui ne pouvait s’avancer qu’à bout de bras ? Alors que Glen regardait tout le monde s’épanouir, il s’accrochait à ces émotions brûlantes et envisagea brièvement d’abandonner l’épée pour trouver une autre vocation. Peut-être qu’un peu d’introspection lui permettrait de découvrir un talent caché qui l’aiderait à rattraper son retard.

Cependant, Glen se regarda bien en face et conclut que, oui, l’épée était tout ce qu’il avait. Il décida donc d’en tirer le meilleur parti. Il n’avait pas un esprit politique aiguisé et ne pouvait pas concevoir des tactiques de combat ingénieuses. Une fois que Glen l’eut accepté, il continua à perfectionner les aptitudes au combat que ses amis lui vantaient. Même si la lame était son seul talent, il prouverait qu’elle pouvait prendre la tête d’un dragon.

« Capitaine ! Je le vois ! C’est leur quartier général ! »

Avant que son subordonné ne dise quoi que ce soit, Glen avait un aperçu du cœur du camp de Lowellmina au-delà des lignes ennemies.

Lowa… !

Il prit immédiatement note des positions et des mouvements de ses ennemis, ainsi que de l’emplacement des tentes.

Celui qui se trouve au centre doit être leur base d’opérations. Les commandants doivent être à l’intérieur. Pourtant, leur formation est…

Le regard de Glen se porta sur une tente située sur le côté, au moment où un groupe de cavaliers émergea de l’arrière.

 

+++

« Votre Altesse, avec tout le respect que je vous dois, je dois insister pour que nous battions en retraite… ! » s’exclama le commandant, qui faisait office de véritable chef de l’armée de Lowellmina.

Une fois qu’elle avait appris qu’il venait, Lowellmina avait compris la gravité de la situation.

« Cette petite incursion ennemie nous atteindra-t-elle ? »

Lowellmina regretta immédiatement sa question insensible.

« Non, bien sûr que non. Aussi puissants que soient nos ennemis, nous avons juré de vous protéger, Votre Altesse, et nous ne les laisserons pas poser un seul doigt sur vous. »

Un commandant ne pouvait pas donner d’autres réponses à la princesse impériale.

« Cependant, vous devez vous attendre à l’inattendu sur le champ de bataille. Il est toujours sage de se préparer à cette chance sur un million, non, sur cent millions ! »

Lowellmina avait senti un danger lorsque le commandant avait tenu bon sur un point qu’il aurait normalement concédé. Elle avait détecté quelque chose dans l’air tout à l’heure, comme l’avait peut-être fait aussi le commandant. Se défendre était une chose, mais s’échapper en était une autre. Alors que l’adversaire de Lowellmina se rapprochait dangereusement, son esprit se mit à fonctionner à la vitesse de l’éclair.

Je ne serai un fardeau que sur le champ de bataille…

Elle acceptait ce fait indéniable. Pourtant, cela ne signifiait pas que Lowellmina était totalement inutile. Glen commandait probablement le groupe qui la poursuivait. Elle pouvait deviner qu’il était à l’origine de cette attaque inexplicable. Elle n’avait donc aucun moyen de renverser la vapeur.

Que peut-on faire d’autre ?

« … Fyshe. »

« Oui ! »

« Nous allons traverser un pont très incertain. »

 

+++

Glen garda son épée prête lorsque la cavalerie se précipita, mais il se figea rapidement. Son hésitation est due à deux facteurs : premièrement, les cavaliers fonçaient droit sur lui au lieu de s’enfuir. Et deuxièmement, Lowellmina chevauchait en première ligne.

« Lo — »

Glen n’était pas le seul à être surpris. Ses hommes étaient également stupéfaits. La vue de cette jeune femme sans défense sur le terrain ne pouvait être qualifiée que de bizarre. Et elle souriait.

Leur hésitation n’avait pas échappé à Lowellmina.

« Tu as l’air confus, Glen. »

Il n’y avait pas eu d’erreur quant à la voix qui s’était fait entendre devant lui.

Lowellmina et plusieurs autres avaient dépassé en trombe l’unité de Glen, mais au lieu de fuir pour se mettre à l’abri, ils avaient plongé directement dans la zone de guerre tumultueuse.

« Quoi — ! »

Les yeux de Glen s’écarquillèrent sous le choc, mais Lowa et lui se comprirent immédiatement.

Lowa est la clé du moral de ses soldats ! Elle ne peut pas quitter le champ de bataille si elle espère gagner !

Glen doit me capturer pour arrêter mon armée !

Battre en retraite, c’est renoncer à la protection de ses gardes ! Je dois capturer Lowa, ce sera donc à mon avantage !

Je m’échapperai donc en chargeant vers l’avant plutôt que vers l’arrière et je me protégerai dans le chaos !

Si Lowa est mortellement touchée par une flèche ou si elle mourait, l’ennemi deviendra fou furieux et attaquera notre armée ! Même si sa mort est due à un tir ami !

C’était un problème d’un genre nouveau. Glen avait maintenant la tâche peu enviable d’essayer d’arracher Lowellmina à son cheval et de s’enfuir au milieu d’une bataille de métal qui s’entrechoquait et de flèches qui volaient.

« Ngh... ! »

Glen regarda par-dessus son épaule. Coïncidence ou destin, Lowellmina s’était retournée exactement au même moment. Leurs yeux s’étaient croisés et elle avait souri.

« Fais de ton mieux, Glen ! Si je meurs ici, nous sommes tous les deux perdants ! »

« Tu utiliserais ta propre vie comme bouclier de dernière minute, Lowa !? »

 

+++

Lowellmina ne savait plus où donner de la tête. Elle n’avait aucune expérience de l’équitation en dehors des carrosses et ne s’était manifestement jamais élancée sur un champ de bataille.

« Votre Altesse ! S’il vous plaît, tenez les rênes quoi qu’il arrive ! » lui rappela un garde.

« Je sais, mais que se passera-t-il si je ne le fais pas ? »

« Vous allez tomber ! »

« Et si je tombe !? »

« Vous allez mourir ! »

Le cri de Lowellmina avait été noyé par les sabots qui battaient la terre.

Je retire tout ce que j’ai dit ! C’était une idée terrible ! La pire !

Quoi qu’il en soit, elle n’avait plus le choix. Les tremblements du sol remontèrent le long du destrier de Lowellmina avant de la traverser, et elle retint une vague de nausée pour éviter de tomber.

Une démonstration de force ne m’aidera pas à gagner contre cet ennemi. Je vais mettre en évidence mes faiblesses !

Si elle avait pris une calèche, l’unité de Glen aurait pris pour cible les chevaux et les cochers pour l’arrêter. De même, si Lowellmina avait affronté l’ennemi avec des armes et une armure, il aurait interprété cela comme une agression et l’aurait attaqué sans pitié.

Mais qu’en est-il maintenant ? Lowellmina était une jeune femme désarmée qui s’accrochait désespérément à un cheval. Elle tomberait raide morte s’ils prenaient l’animal pour cible, et la menacer avec des lames serait le comble de l’impudeur. Les fiers soldats de Bardloche ne savaient sans doute pas comment s’y prendre avec elle.

L’avancée constante de Glen va leur coûter beaucoup d’énergie ! Je peux profiter de ma position de « frêle femelle » pour les épuiser et gagner du temps… !

L’évaluation de Lowellmina était correcte. La majorité des soldats de Glen n’avaient aucune idée de la façon d’arrêter la princesse et restaient figés. Ils finiraient par devoir affronter les troupes de Lowellmina et, dans leur désir d’en faire un combat rapide, ils s’épuiseraient. Cela émousserait évidemment leurs mouvements, et les forces de Glen seraient dépassées. Lowellmina en était certaine.

Malheureusement, elle avait commis une seule erreur — quelque chose de visible, mais qui n’avait pas été vu.

« Impossible… »

La force guerrière de Glen avait repoussé les gardes et il avait rattrapé Lowellmina en un instant.

 

+++

« Lowa ! Passe-moi les rênes ! » hurla Glen en plaçant son cheval à côté de celui de la princesse.

« Quoi !? Non, espèce de gros con ! »

Pour Lowellmina, les rênes étaient une bouée de sauvetage. Elle serait obligée de s’arrêter si elle les confiait à Glen. En fait, c’était plutôt comme si elle ne pouvait pas les lâcher. Elle tomberait si elle essayait de le faire.

« C’est toi l’idiote ! Regarde où tu vas ! »

Lowellmina leva les yeux à temps pour voir un rocher géant s’approcher rapidement.

« Gyaaah ! »

Lowellmina cria, et Glen lui arracha les rênes pour faire tourner le cheval. Il esquiva le rocher au dernier moment avant de ralentir docilement. Malheureusement, Lowellmina n’était pas immunisée contre les lois de l’inertie. Elle avait à peine compris ce qui l’avait frappée qu’elle avait glissé du dos de l’animal.

« Gwah ! »

Lowa poussa un glapissement pitoyable alors que ses fesses frappaient douloureusement le sol.

« Aïe… Bon sang ! »

« Vas-tu bien ? »

« Mon popotin vient de mourir ! »

« Je prends ça pour un “oui”. » Glen descendit de sa monture et se plaça à côté de Lowa. « Bon, je vais demander juste pour être sûr. As-tu d’autres tours dans ton sac ? »

« … Non », répondit-elle avec lassitude.

Utilisez ma propre vie comme bouclier, foncez à travers le champ de bataille et écrasez l’unité de Glen.

C’était le plan de Lowellmina, mais il avait été déjoué si facilement.

« Quoi qu’il en soit, que vas-tu faire, Glen ? Je reconnais que tout ne s’est pas déroulé comme prévu, mais j’ai pu me rendre assez loin sur le champ de bataille. Veux-tu m’emporter sur tes épaules ? »

Les soldats de Lowellmina qui se trouvaient à proximité se déployaient en éventail. Ils n’avaient pas encore remarqué la situation, mais si plusieurs d’entre eux apercevaient Glen et Lowellmina ou si elle appelait à l’aide, ils accourraient tous. Les poursuivants qui avaient vu ce qui s’était passé ne tarderaient pas à les rattraper.

« Ils resteront calmes si je te porte. Je couperai à travers jusqu’à ce que j’atteigne mes camarades. »

« Ma foi, c’est exactement le genre de réponse que j’attendais d’une tête de mule. Utiliser une fille comme bouclier humain ? C’est vraiment déplorable. »

« C’est toi qui parles. »

« J’ai simplement utilisé ce qui était déjà à moi, donc ça ne compte pas. »

Un tel argument de cour d’école était en contradiction avec la bataille qui se déroulait autour d’eux, mais Glen et Lowellmina ne le trouvaient pas étrange.

« Je vais te donner un coup de main, alors assieds-toi derrière moi. Je nous attacherai ensemble avec une corde pour que tu ne tombes pas. »

« J’ai donc été réduit à l’état de bagage… Très bien. Je vais t’obliger », répondit Lowellmina d’un ton hautain en touchant tranquillement le cheval de Glen. « Oh, mais voyage avec prudence. Notre course-poursuite m’a rendu malade. »

« Je garderai cela à l’esprit. Cependant, j’avoue que je suis un peu surpris que tu ne te battes pas plus. »

« Si je le faisais, tu me ferais taire d’un coup de poing dans l’estomac. Je préfère éviter ce genre de désagrément. » Lowellmina avait raison, bien sûr. « D’ailleurs, je t’ai déjà dit que je n’avais plus le choix. »

« Retires-tu cette déclaration ? »

« Non, c’est la vérité. Cependant… » Lowellmina sourit. « Je n’ai jamais dit que je ne faisais pas un geste à l’avance. »

La colonne vertébrale de Glen fut secouée. Une alarme signalait des problèmes dans le camp de Bardloche, au loin derrière lui.

***

Partie 5

Le conflit entre Bardloche et Manfred atteignait son paroxysme. Les forces de Manfred lancèrent un assaut de grande envergure, comme si elles se moquaient de l’impasse attendue. Ne se laissant pas faire, l’armée de Bardloche lança une contre-attaque. Les pertes s’accumulaient de part et d’autre, et la probabilité croissante d’une escarmouche longue et difficile pesait lourdement sur chaque commandant. Les hommes de Manfred en particulier, une assemblée de soldats provinciaux inexpérimentés pliaient sous la pression inimaginable.

« Prince Manfred ! Notre front ne peut plus tenir longtemps ! »

« Nous avons des demandes de renforts de tous les côtés ! »

« Nous devrions nous retirer de cette mêlée pour l’instant et nous regrouper ! »

Un flot de rapports épouvantables était arrivé successivement, et les chefs angoissés avaient donné leurs conseils. Manfred ne put que grimacer.

« Nous ne pouvons pas relâcher notre emprise maintenant », répondit calmement Strang à côté du prince. « La bataille est en notre faveur. Si nous battons en retraite, les troupes ennemies se rendront compte que nous sommes en difficulté. Elles retrouveront le moral, et nos chances de victoire diminueront encore. »

Strang avait raison. La faction de Bardloche était bien plus compétente que celle de Manfred. Pourtant, la combinaison d’un moral bas et de la menace posée par l’armée de Lowellmina derrière celle de Demetrio à Nalthia ainsi que celle de Manfred signifiait que le deuxième prince perdait lentement du terrain. Les commandants sentaient qu’ils seraient bientôt submergés.

« Mais ce combat n’est qu’un prélude, Strang. Il nous reste encore celui avec Lowellmina après. »

Comme l’avait dit Manfred, ils ne pouvaient pas se permettre de dépenser toutes leurs forces et leurs ressources sur Bardloche. Le troisième prince espérait éviter toute perte supplémentaire si possible.

« Je comprends votre inquiétude, Votre Altesse. Cependant, il n’y a rien à craindre. Cette bataille sera terminée en trois étapes supplémentaires. »

Cette annonce audacieuse avait ébranlé Manfred et ses commandants.

« Je sais que nous avons poussé fort ces derniers temps, mais c’est une énorme revendication. »

« N’exagérez-vous pas un peu ? »

« Je suis d’accord. Nous ne sommes pas encore prêts à prendre la tête de Bardloche. »

Strang n’était pas le moins du monde découragé par leur malaise.

« Ce n’est pas une exagération. Je dis la vérité », déclara-t-il avec assurance. « S’il vous plaît, voyez par vous-mêmes. Tout est déjà en marche. »

 

+++

Le commandant suprême Bardloche se tenait aux côtés de ses hommes, affrontant les troupes de Manfred en première ligne.

« Ne flanchez pas ! Ils se briseront si nous les faisons reculer ici ! Tuez vos ennemis là où ils se tiennent, et ne cédez pas d’un pouce ! »

Attendre et observer dans le feu de l’action n’était pas une option. Avec un cri puissant, Bardloche leva son épée et mena ses hommes à travers les lignes de front.

Bon sang, ne me pousse pas comme ça quand je suis déjà à terre… !

Bardloche savait que son adversaire préparait quelque chose, mais il n’aurait jamais imaginé que son frère irait jusqu’au bout. Il voulait reprendre son souffle, mais il n’y avait pas une seconde à perdre. L’armée de Manfred avait subi de lourdes pertes, mais ne semblait pas ébranlée. La détermination des soldats à l’éliminer était aussi dure que l’acier.

Si Manfred continue comme ça, il sera désavantagé face à Lowellmina… C’est comme s’il s’en fichait !

Sur l’autre ligne de front, le conflit entre les guerriers de Bardloche et ceux de Lowellmina faisait rage. Cependant, cela n’avait rien à voir avec l’affrontement contre Manfred. Bardloche avait consacré toutes ses ressources à ce dernier — il devait se demander ce qu’en pensaient les gens de Manfred.

Cependant, Bardloche avait rapidement chassé ces pensées. Il devait s’occuper du concours immédiat, tout le reste pouvait attendre.

« Votre Altesse ! L’unité mobile envoyée pour infiltrer l’armée de Lowellmina a atteint son fief ! » rapporta son subordonné.

Bardloche serra le poing. La capture de Lowellmina laisserait ses soldats désemparés. Après cela, il pourrait se concentrer sur le combat contre Manfred et récupérer.

Il faut juste tenir jusqu’au retour de l’unité mobile !

Comme il le pensait, le vent tourna vite.

« Votre Altesse ! L’ennemi est… ! » appela un subordonné.

Bardloche leva la tête pour découvrir plusieurs escouades hostiles qui perçaient ses défenses pour créer des brèches. Il tenta d’ordonner à ses soldats d’appeler des renforts à l’arrière, mais l’ennemi s’engouffra rapidement dans la brèche avant qu’il n’en ait eu l’occasion.

« Ngh ! »

Malgré la force d’élite de Bardloche, les hommes de Manfred étaient loin d’être battus et ils lançaient une offensive vicieuse. La fatigue de sa propre armée mise à part, il ne faisait aucun doute que cet ennemi était impressionnant. Cela posait certainement un problème, mais Bardloche s’était rendu compte d’une chose.

Ils s’essoufflent !

Manfred n’avait pas beaucoup de soldats expérimentés, la décision de les mobiliser signifiait donc qu’il se lançait dans une aventure.

Si nous pouvons nous occuper de ces gars, le reste de l’armée de Manfred sera une cible facile ! Cela nous donnera aussi l’occasion de reprendre notre souffle !

Quel est donc le meilleur moyen d’y parvenir ? La grande expérience de Bardloche en matière de combat le conduisit rapidement à la réponse.

« Repliez-vous ! L’ennemi peut vous talonner, mais ignorez-le ! Nous allons nous relier à nos unités de l’arrière ! »

Si les guerriers de Bardloche s’opposaient à un assaut ici, ils risquaient fort d’être débordés. Leur meilleure chance était de battre en retraite et de converger avec les renforts en attente avant de terrasser l’ennemi, même si cela laissait leurs dos exposés.

Les soldats avaient suivi l’ordre de Bardloche et avaient rapidement fait demi-tour. Ceux qui faisaient maintenant office d’arrière-gardes furent lentement engloutis, mais tout le monde continua sans faiblir. En un rien de temps, une immense légion d’alliés apparut.

Très bien, maintenant nous pouvons —

Avant que Bardloche n’ait pu finir de penser — traiter avec eux, il fut interrompu par un spectacle étrange. Les camarades qui l’attendaient semblaient agités.

À peine s’était-il demandé ce qui se passait qu’un groupe s’était détaché des autres.

« L’armée de Lowellmina… !? »

Bardloche resta bouche bée pendant que les meilleurs guerriers de la princesse attaquaient.

 

+++

« … La faction de Lowellmina a capturé Bardloche ? »

La nouvelle suscita un puissant émoi dans le camp de Manfred.

« Oui ! Nos meilleurs hommes ont acculé le prince Bardloche alors qu’il tentait de fuir, mais l’une des unités de Lowellmina a frappé dans la direction opposée pour créer une attaque en tenaille… »

La faction de Manfred utilisait les forces qui lui restaient pour acculer Bardloche au pied du mur, mais elle perdit le deuxième prince après avoir échoué à repousser la milice de la princesse.

« Qu’est-ce qui se passe… !? »

« Maintenant, la princesse Lowellmina a l’avantage ! »

Malgré des pertes croissantes, la faction de Manfred était passée à l’offensive pour vaincre Bardloche. Aujourd’hui, ces efforts n’avaient rien donné et tout le monde était raisonnablement tendu.

« Tout le monde, ne vous inquiétez pas. » Strang, le maître d’œuvre de ce plan, tenta de calmer Manfred et ses commandants. « Tout se déroule comme je l’avais prévu. »

Tous les regards se tournèrent vers lui.

« Strang, es-tu en train de dire que cela fait partie de ta stratégie ? » demanda Manfred avec une méfiance évidente.

« Oui, l’étape suivante permettra de tout résoudre. »

L’assurance de Strang était plus qu’une façade audacieuse, c’est pourquoi sa réponse semblait inexplicable. Comment Strang avait-il l’intention d’organiser une reprise en une seule fois ?

Pendant que les dirigeants réunis contemplèrent cela…

… Manfred s’était rendu compte de quelque chose.

 

 

« Gardes ! »

« Il est trop tard. »

Strang claqua des doigts et des soldats se précipitèrent dans la tente.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

L’un après l’autre, Manfred et ses principaux responsables furent ligotés. Seul Strang fut épargné. Ce que cela signifiait était évident.

« Strang ! Traître ! »

« Il est un peu trop tard pour cela, prince Manfred. »

Strang avait souri devant le rugissement indigné de son ancien maître.

 

+++

« Ne sois pas ridicule. Lui, est devenu un traître !? »

Glen n’en croyait pas ses oreilles lorsque Lowellmina lui expliqua son plan.

« Oh là là ! Je ne pensais pas que tu tenais Strang en si haute estime », taquina Lowellmina.

L’expression de Glen devint aigre. « Ne te moque pas de moi. Strang est peut-être du genre à écarter les gens de sa vie quand c’est nécessaire, mais il est rationnel et possède un grand sens du devoir. De plus, rester avec Manfred est le seul moyen d’obtenir l’autonomie de sa région natale. »

Glen sursauta soudainement, et Lowellmina lui sourit.

« Ouaip, maintenant tu l’as. »

« Tu sais qu’il y a des conservateurs qui soutiennent Lowellmina, n’est-ce pas ? »

 

+++

Pourquoi ? Pourquoi cela se produit-il ?

Strang continua tandis que l’esprit de Manfred s’était rempli de questions.

« Leurs agissements ont entaché l’autorité de la princesse, qui a finalement mis les pieds dans le plat. Cela inclut la façon dont les conservateurs traitent les provinces non conformistes. »

Strang récupéra dans sa poche de poitrine une lettre portant la signature de Lowellmina. Il s’agissait d’une missive secrète de la princesse elle-même.

« C’est — »

« Je me suis aligné sur toi parce que tu étais le seul à envisager l’autonomie de mes terres natales de Wespail. Cependant, je ne peux pas savoir si ce n’était que des paroles en l’air. »

Strang avait suivi Manfred et mis sa confiance dans le prince pour le bien de son foyer. Il n’y avait pas d’autre choix. Une fois que Strang aurait aidé à installer Manfred sur le trône, il espérait menacer ou convaincre le nouvel empereur d’honorer cette promesse. Il s’attendait même à ce que ce soit sa prochaine bataille. Malheureusement, cet objectif avait été complètement détourné par le plan bizarre de Wein pour attirer Demetrio.

« Cependant, j’ai toujours un sens de l’honneur, et je ne veux pas perdre face à Lowa. Il y a aussi une chance que sa parole ne soit pas non plus fiable. J’avais donc l’intention de rester avec toi jusqu’à la fin, mais… » Strang baissa les yeux sur la lettre qu’il tenait et soupira. « Je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait vent de ça… »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Manfred, désemparé.

Strang secoua la tête. « Cela n’a plus rien à voir avec Votre Altesse. » Après s’être détourné, il jeta un dernier coup d’épée impitoyable par-dessus son épaule. « Le prince Bardloche sera remis à la faction de Lowellmina comme prévu, et la tienne subira d’énormes pertes. C’est fini, prince Manfred. »

Cette proclamation glaciale et indifférente fit mal à l’estomac de Manfred.

 

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« Alors, qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? » demanda Lowellmina à Glen après avoir tout expliqué. « C’est l’occasion pour toi de m’utiliser comme bouclier et de récupérer Bardloche. »

Elle avait l’air enjouée, mais son expression était sévère. Même si Lowellmina n’était pas versée dans la théorie du combat, elle savait que Glen avait la force militaire nécessaire pour aller jusqu’à de telles extrémités. Cependant, il défia ses attentes en soupirant.

« Même si je fais le voyage, tu mourras en cours de route. Si cela arrivait, la faction de Bardloche serait vraiment fichue. »

« “Faire le voyage”… » Lowellmina avait frémi en jetant un regard en coin.

Glen jeta un coup d’œil au loin. « Il semblerait que j’ai échoué. »

Il ne pouvait même pas prétendre qu’il n’avait fait qu’un pas en avant. C’était plutôt deux ou trois. Peut-être que les choses auraient été différentes s’il avait affiné ses compétences, ou peut-être qu’elles avaient déjà atteint leur apogée. Quelle que soit la vérité, c’était fini.

« Tu m’as eu. J’ai perdu », concéda Glen en rengainant sa lame. « Je vais me rendre, alors s’il te plaît, soit indulgente avec mes guerriers. »

« Oui ! » s’exclama Lowellmina. « Très bien, il n’y a pas de temps à perdre. Sautons sur l’occasion et commençons le nettoyage d’après-bataille ! Je retourne à mon camp, Glen ! Oh, et s’il te plaît, ne meurs pas de ta propre épée ! Tu es mon pion maintenant, après tout ! »

« C’est peut-être vrai, mais ne m’appelle pas comme ça. »

Le fait de voir sa vieille amie agir comme d’habitude soulageait Glen d’un poids. Il prépara son cheval.

 

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« Je vois. La princesse Lowellmina est donc sortie victorieuse de l’épreuve. »

Dans une pièce à l’intérieur de leur manoir de Nalthia, la nouvelle de la conclusion de la bataille était parvenue à Wein et Demetrio.

« Je n’arrive pas à croire qu’elle se soit réellement hissée au sommet. »

Demetrio parlait de Lowellmina avec à la fois du mépris et de l’admiration. Ses paroles reflétaient sa position d’ancien adversaire politique et de personne qui comprenait les défis qu’elle avait surmontés.

« Il ne faut pas sous-estimer les petites sœurs, prince Demetrio. Moi aussi, j’ai été surpris par les récents progrès de ma propre fratrie. »

« Vraiment ? Eh bien, peut-être que Natra produira aussi une femme monarque ? »

« Ce serait certainement quelque chose », dit Wein en haussant les épaules, tandis que Demetrio se moque. « Que vas-tu faire maintenant, prince Demetrio ? »

« Puisque j’ai fait tout ce chemin jusqu’à Nalthia, je pense que je vais demander une audience à notre nouvelle estimée impératrice. Et toi ? »

« Je rencontrerai l’honorable chef de la Levetia orientale comme prévu. Ensuite, je suivrai ton exemple et rendrai visite à la princesse Lowellmina. »

« Bonne idée. L’empire va se réorganiser sous le règne de Lowellmina. Démarque-toi en tant que bienfaiteur tant que tu le peux encore, ou tu seras laissé dans la poussière. »

Même si les conflits civils sont résolus, il faudra du temps pour que la situation dans l’Empire s’apaise. L’accession de Lowellmina au rang d’impératrice risquait même de provoquer un nouveau chaos. Malgré la solidité de ses relations avec l’Empire, Natra ne pouvait pas baisser la garde en tant qu’alliée et voisine.

Ceci étant dit…

« Nous pouvons faire la fête juste pour aujourd’hui, n’est-ce pas ? » déclara Wein en se versant du vin pour lui et Demetrio. Les deux lèvent leurs verres.

« À la naissance de la première impératrice de l’histoire. »

« Aux futures difficultés de ma sœur idiote. »

Le couple porta tranquillement un toast aux réalisations exceptionnelles de la jeune fille.

 

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