Chapitre 4 : Glen
Partie 1
« Vite ! Nous devons immédiatement rejoindre le prince Manfred ! »
Strang saisit fermement les rênes de son cheval et appela ses subordonnés, qui chevauchaient derrière lui.
« Messire Strang ! Les chevaux sont à bout ! »
« Nous les échangerons contre de nouveau en cours de route ! Le temps est essentiel ! »
Strang était confiant quant à sa rencontre avec Wein et avait donc supposé qu’il serait en mesure de passer à l’action. Cependant, il avait été contraint de changer de stratégie lorsqu’il avait appris que Bardloche avait rassemblé ses forces.
Et dire qu’il a agi aussi vite… !
À contrecœur, Strang opta pour la poursuite de son objectif minimum. Il reporta la réunion et se précipita vers Manfred.
Dans quelle mesure la situation va-t-elle changer pendant le temps qu’il faut pour que j’arrive ?
Strang poussa sa monture à avancer tout en luttant contre l’irritation.
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« Il n’y a pas assez de chevaux, loin de là. Où pouvons-nous en trouver d’autres ? »
« Nous avons des relations, mais en ce qui concerne la qualité… »
« Ce n’est pas le moment de faire la fine bouche. Nous avons besoin de chiffres. »
« En parlant de ça, il ne faut pas oublier les fantassins. Rassemblez-en le plus grand nombre possible. »
Le gratin de Bardloche s’était réuni dans une salle de réunion pour débattre devant le deuxième prince. Ils étaient, pour le dire simplement tous impatient et excité. L’atmosphère morose provoquée par la faiblesse de leur faction avait plané sur eux pendant un certain temps, mais elle avait depuis disparu sans laisser de traces. Il fallait cependant s’y attendre, car les forces de Bardloche allaient bientôt entrer dans la bataille finale.
« … »
Le deuxième prince était assis tranquillement. Les échecs passés avaient ébréché sa fierté, mais son aura de dignité était restée intacte, lui conférant un air d’invincibilité.
« Prince Bardloche, nous nous sommes procuré en toute sécurité les objets que vous avez demandés. »
Une femme nommée Ibis s’approcha de lui depuis l’ombre. Elle était marchande de métiers, mais en vérité, elle travaillait pour Caldmellia, une puissante autorité au sein des Enseignements de Levetia.
« Quand arriveront-ils ? »
« Je crois que tout sera prêt lorsque nos soldats seront rassemblés. »
Le ton d’Ibis était poli, mais elle n’avait aucun respect pour Bardloche. Pour elle, le prince n’était qu’un pion. Bardloche le savait et s’en moquait.
« Cela n’a pas d’importance. Après tout, c’est toi qui as provoqué cette épreuve de force. »
Ce n’était pas la première fois que la faction de Bardloche travaillait avec la subordonnée de Caldmellia, il avait donc facilement accepté Ibis malgré ses mauvaises intentions.
« Je n’oserais pas commettre un acte aussi scandaleux », répondit-elle avec un sourire civil. « J’ai simplement proposé une stratégie qui donnerait à Votre Altesse les plus grandes chances de victoire. »
Ibis était apparue il y a plusieurs jours et avait proclamé : « C’est le moment opportun pour intervenir et régler les choses. »
D’après Ibis, la force militaire de Bardloche surpassait celle de toutes les autres factions. Le deuxième prince n’était à la traîne que parce que ses méthodes étaient trop chevaleresques.
« Vous êtes libre de mettre de côté l’approbation du peuple. Éliminez tous ceux qui se dressent sur votre chemin par la force armée, et une fois que Votre Altesse sera le seul choix pour être Empereur, ils se soumettront naturellement. Pendant que vous vous tenez ici, hésitant à dégainer votre épée, les autres joueurs utilisent ce temps à leur avantage », avait-elle dit.
Ce devait être une bataille rapide et décisive. La situation ne s’améliorerait pas, quelle que soit la durée des délibérations de Bardloche. Il allait donc passer à l’action, abattre Lowellmina dans la capitale, puis en finir avec Manfred immédiatement après. Ibis le soutiendrait à chaque étape, c’était le marché qu’elle lui avait proposé.
C’était une option excessivement violente, mais les principaux subalternes de Bardloche l’avaient acceptée avec étonnamment peu de résistance. Après l’échec de l’assassinat, ils se doutaient que leurs stratégies plus passives ne soient plus viables. Tout le monde savait qu’il fallait agir.
Le soutien de l’Occident, sous couvert d’aide marchande, était salvateur. Ses motivations pour aider la faction de Bardloche restaient un mystère complet, mais l’offre était sincère, et le prince ne voyait aucune raison de la remettre en question. Forts de cette nouvelle aide, les soldats de Bardloche se préparèrent pour le conflit final.
« D’après mes subordonnés, notre action soudaine a désarçonné les forces de la princesse Lowellmina et du prince Manfred. Nous avons la possibilité de frapper les premiers. »
« J’espère que vous avez raison. »
Bardloche était certain que saisir l’initiative était un facteur clé. Il allait la garder bien en main et faire basculer ses deux adversaires. Fléchir maintenant serait un gage d’échec.
Je sais que je suis désavantagé… mais la victoire sera quand même mienne !
La résolution remplit le prince de la tête aux pieds, alors qu’il attendait la prochaine bataille.
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La lignée familiale de Glen Markham était depuis longtemps connue pour ses prouesses militaires. Cela ne changeait rien au fait que lui et ses proches étaient encore des nobles de bas rang. Leurs exploits étaient minimes par rapport à l’ensemble de l’histoire. Néanmoins, les yeux de Glen avaient brillé lorsqu’il était enfant et que ses parents parlaient de leurs modestes victoires, et il était assez fier de sa lignée. Il était peut-être inévitable que Glen souhaite lui aussi prendre la lame. Il en avait les aptitudes et avait appris le véritable maniement de l’épée à l’académie militaire.
Mais ensuite, Glen s’était heurté à un mur.
Sa progression s’était arrêtée après avoir maîtrisé l’art. Aucun autre épéiste de l’académie ne pouvait s’entraîner contre lui, et sa motivation avait chuté.
Plus important encore, Glen avait plafonné parce que son entourage — ses parents, ses professeurs et ses amis — ils l’avaient laissé faire.
Il savait qu’il fallait faire quelque chose, sinon, il déclinerait lentement et tomberait plus profondément dans la complaisance. L’homme avait besoin d’un environnement plus strict.
C’est à ce moment-là que Glen avait rencontré Wein et les autres.
Leur arrogance scandaleuse l’avait ébranlé. L’esprit redoutable et rapide qui leur permettait de s’en tirer à bon compte. La force pure et simple. Glen n’avait jamais rencontré de telles personnes, et c’est Wein qui se distinguait le plus.
Il avait entendu des rumeurs au sujet d’un trio important, mais en les rencontrant, il s’était rendu compte qu’ils étaient plus nombreux qu’il n’y paraît. Ils constituaient exactement l’environnement que Glen espérait.
Pourtant, cela n’avait pas été sans problème. Glen avait prévu un avenir où sa nouvelle amitié ferait s’effondrer sa confiance et sa fierté intérieures. Néanmoins, il savait qu’il devait faire ce premier pas en avant.
« Puis-je vous parler un instant ? »
Se ressaisissant, le jeune Glen s’était approché des trois…
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« … Ouf ! »
Dans le présent, Glen Markham se tenait dans un coin des terrains militaires du domaine de Bardloche. À en juger par les muscles toniques du haut de son corps exposé et par son corps transpirant alors qu’il se rafraîchissait à l’air frais, l’homme n’était rien de moins qu’un robuste guerrier. De nombreux autres soldats s’entraînaient autour de lui, et l’air était animé par d’innombrables cris provenant de toutes les directions.
« Peut-on maintenant au moins les appeler de vrais soldats… ? » marmonna Glen en observant les troupes.
La faction de Bardloche avait élargi son armée en prévision de la bataille décisive. La qualité des nouveaux venus était variable, et la plupart d’entre eux étaient soit inexpérimentés, soit faibles. Il était donc du devoir des commandants comme Glen de les rendre plus capables avant le grand jour, même si ce n’était pas grand-chose. Le destin de Bardloche repose sur ses militaires. Négliger d’améliorer ces soldats verrait l’effort de guerre s’effondrer de l’intérieur. Bien que Glen se considère comme inexpérimenté, il ne pouvait pas refuser l’ordre de préparer les troupes.
Quelle pression cela exercera-t-il sur eux ?
Alors qu’un serviteur s’approchait, les pensées de Glen se tournèrent vers ses deux amis gênants.
« Capitaine Glen, vous avez un visiteur. »
« Un visiteur ? Pour moi ? »
« Oui, une personne nommée Lianne se trouve actuellement dans la salle de réception du manoir. »
« … ! »
Les joues de Glen rougirent, ce qui est exceptionnel. Incapable de se contenir, il se prépara à partir en courant, mais, se souvenant de son apparence, il changea de direction. Glen attrapa un seau dans un puits voisin, se versa de l’eau sur la tête et se dirigea vers la caserne sans prendre la peine de se sécher.
Il se précipita dans les quartiers privés des officiers, s’essuya avec un chiffon et sortit une tenue de soirée. Après avoir rapidement enfilé les vêtements, Glen s’examina dans un miroir pendant une seconde. Décidant que cela suffirait, il se dirigea vers le manoir situé à côté de la caserne.
Glen se plaça devant la porte de la salle de réception et prit une petite inspiration. Il frappa légèrement à la porte avant de l’ouvrir.
« Je suis désolé pour l’attente, Lianne ! »
« Messire Glen. »
Les traits délicats de cette femme étaient l’image même d’une jeune fille protégée, ou peut-être d’une poupée. Cependant, dès qu’elle posa les yeux sur Glen, elle s’illumina, ce qui la rendit indéniablement humaine.
« Tu ne m’as pas du tout fait attendre. Je m’excuse plutôt de m’être soudainement imposé à toi de la sorte. »
« Comment pourrais-je considérer la visite de ma fiancée comme un inconvénient ? »
La famille de Glen appartenait à la classe la plus basse de la noblesse de l’Empire, et les mariages arrangés étaient une stratégie politique courante au sein de l’aristocratie. Glen et Lianne en étaient un exemple typique. Les familles de Lianne et de Glen avaient décidé qu’ils se marieraient. Sans surprise, ce type d’union faisait souvent fi des sentiments romantiques, mais…
« Messire Glen, tes cheveux sont humides. »
« Ah, désolé. Je m’entraînais. »
Lianne sortit un mouchoir et tapota doucement les cheveux de Glen, qui ne demanda qu’à se laisser faire. Si l’on en croit l’expression du couple, ils ne s’opposaient pas le moins du monde à leurs fiançailles.
« Alors, Lianne, qu’est-ce qui t’amène ici aujourd’hui ? »
Le terrain d’entraînement militaire était purement une sphère masculine et n’avait pas sa place pour une dame comme Lianne. Cependant, Glen se réjouissait toujours de la visite de sa fiancée.
« En fait, j’ai entendu des rumeurs selon lesquelles il y aurait une bataille à grande échelle. »
Glen n’avait pas été surpris. Bien que l’affrontement prévu n’ait pas été annoncé au public, la faction de Bardloche rassemblait autant de soldats et de ressources que possible. Une chose pareille ne pouvait pas passer inaperçue. Toute personne dotée de la moindre intelligence pouvait déduire que quelque chose d’important était sur le point de se produire.
« Je suis désolé de ne pas t’avoir prévenu. Comme tu l’as appris, le prince Bardloche va faire sortir ses forces dans une bataille décisive contre le prince Manfred et la princesse Lowellmina. J’y participerai également. »
« C’est… » Lianne s’était interrompue. Elle était sans aucun doute au courant des problèmes auxquels était confrontée la faction de Bardloche. Un présage d’échec se profilait à la place de la victoire attendue.
« Le lieu n’a pas encore été déterminé, mais les terres entourant la capitale impériale deviendront probablement un champ de bataille. Tu devrais évacuer vers la campagne dès que possible. Cela m’aiderait à avoir l’esprit tranquille. »
Glen adressa à Lianne un rare sourire pour dissiper ses craintes du mieux qu’il peut. Sans surprise, sa tentative sembla être vaine.
« … Je m’excuse de t’avoir impliqué dans les circonstances de ma famille, Messire Glen, » marmonna Lianne d’un ton solennel.