Le manuel du prince génial pour sortir une nation de l’endettement – Tome 10 – Chapitre 6 – Partie 1

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Chapitre 6 : Un test d’habileté

Partie 1

« Ouf, c’est tout ce qu’il y a à dire. Fiiiiinalement. »

Wein leva les yeux de sa paperasse, posa sa plume et s’étira. Le prince était toujours dans son bureau au palais de Willeron.

« J’ai moins de travail ces jours-ci, mais ça prend vraiment une éternité sans Ninym », grommela-t-il.

Les vassaux de Wein avaient pris en charge un bon pourcentage de ses tâches, mais il n’avait pas pu profiter de son temps libre depuis qu’il avait envoyé Ninym à Falanya.

… Si tout s’est bien passé, Ninym devrait être avec Falanya en ce moment même.

Les pensées de Wein se tournèrent vers son assistante de confiance.

Connaissant Ninym, elle trouverait Falanya sans problème. La vraie question était de savoir comment Falanya réagirait à sa lettre.

Quoi qu’il en soit, c’est l’occasion rêvée de mesurer l’évolution de Falanya.

Sera-t-elle piétinée par les épreuves qui l’attendent ou les surmontera-t-elle ?

Si Falanya remporte la victoire, alors…

Wein s’enfonça dans ses pensées, seul dans son bureau.

Le tout en arborant un sourire féroce.

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Pour aller droit au but, le temps supplémentaire accordé à Delunio ne l’avait pas aidé le moins du monde.

Le groupe de Yuan en fuite était introuvable et Tolcheila refusait de changer de position. Le messager chargé d’arrêter l’armée n’arrivera pas non plus à temps.

Tout cela ne signifiait qu’une chose : Delunio avait perdu.

Bon sang de bonsoir. Je n’arrive pas à y croire… !

Mullein serra les dents. En dehors des gardes, il y avait trois autres personnes dans la salle de conférence du palais : Le roi Lawrence, la princesse Tolcheila et Caldmellia, la directrice du Bureau des Évangiles.

« Alors, reprenons notre conversation. »

Caldmellia avait été la première à rompre le silence.

« Nous, ceux suivant les Enseignements de la Levetia, ne reconnaissons pas la Levetia orientale comme une dénomination appropriée. Nous dénonçons publiquement ses adeptes comme étant des hérétiques. Naturellement, cela signifie qu’aucun individu, organisation ou pays affilié ne sera toléré. Delunio s’est associé à la Levetia orientale et a utilisé l’héritage légitime de la princesse Tolcheila comme prétexte pour envahir le royaume de Soljest. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur un tel comportement… Êtes-vous d’accord, princesse Tolcheila ? »

Tolcheila acquiesça d’un air peiné. « Dès que j’ai appris la mutinerie de mon frère, j’ai tenté de rentrer chez moi, mais j’ai été enfermée dans mon manoir. J’ose dire qu’il a menacé de m’y piéger. »

« Princesse Tolcheila… ! » Mullein ne put contenir sa rage, et Tolcheila se recroquevilla comme une enfant.

« Oh, comme c’est effrayant. Une jeune fille innocente comme moi ne pourrait se plier à une telle contrainte. Vous comprenez, n’est-ce pas, Lady Caldmellia ? »

« Oui, bien sûr. »

Les deux femmes ne cachaient plus leur complicité et discutaient aimablement. Elles ne tarderaient sans doute pas à discuter de la meilleure façon de démanteler Delunio.

Est-ce vraiment le cas ?

Mullein n’avait pas eu d’autre choix que de l’accepter. Il avait été battu. Cela ne signifiait pas pour autant la fin. L’échec lui avait appris jusqu’où il était prêt à descendre pour survivre.

J’espérais que Lawrence ne serait pas présent…

Mullein regarda le roi silencieux. Lawrence était enfermé dans sa chambre depuis l’incident dans la salle d’audience, mais il avait entendu parler de cette réunion et avait exigé d’y assister. Caldmellia demanda également la présence de Lawrence, ne laissant pas le choix à un Mullein réticent.

Il n’y a rien à faire. Ne m’en veux pas, Lawrence.

Mullein se détourna de sa marionnette pour faire face à Caldmellia et Tolcheila. « Je comprends vos griefs. » Il marqua une pause. « De plus, j’admets tout. Notre nation est en effet de connivence avec la Levetia orientale. »

Les yeux de Tolcheila et de Caldmellia s’étaient immédiatement rétrécis. Elles avaient prévu d’attaquer Delunio après que Mullein ait présenté ses excuses. Elles ne s’attendaient pas à ce qu’il accepte d’emblée leurs accusations.

« Vous êtes soudain devenu très noble. Avez-vous changé d’avis ? »

« En tant que pieux disciple de la Levetia, je ne souhaite qu’être honnête, princesse Tolcheila. »

« Quelle confiance ! » Tolcheila se moqua de lui. « Vous admettez avoir conspiré avec la Levetia orientale et vous osez vous dire fidèle ? Peut-être souhaitez-vous tester la bienveillance de Dieu ? Vous reconnaissez certainement que vous avez franchi une limite. »

« Mettre à l’épreuve la bienveillance de Dieu ? Je parle avec mon cœur. Aucune affirmation n’est contradictoire avec l’autre », avait affirmé Mullein.

Tolcheila le regarda d’un air interrogateur.

« … Ah, je vois. C’est donc comme ça », fit remarquer Caldmellia avec un petit sourire. Elle avait d’abord compris l’intention du Premier ministre.

« L’affiliation de Delunio à la Levetia orientale n’était ni la volonté du peuple ni la mienne. Tout a été ordonné par le roi Lawrence lui-même ! » déclara Mullein.

Les gardes présents dans la salle de conférence s’agitèrent — une réaction attendue. Après tout, Mullein venait d’accuser ouvertement le roi.

Très bien, tout commence ici !

C’est Mullein qui avait pris le contrôle de la Delunio après la chute de Sirgis. C’est également lui qui avait décidé de contacter la Levetia orientale. Lawrence n’avait rien fait du tout. Accuser le roi de ces crimes était un mensonge éhonté.

Et alors ?

« Qui sommes-nous, vassaux, pour aller à l’encontre de la parole du roi ? Mais votre arrivée nous a permis de mettre enfin un terme à son règne de tyrannie ! Les prières sincères du peuple, moi y compris, ont été exaucées ! »

C’était un exemple parfait de rejet de la responsabilité que les futurs historiens critiqueront unanimement. Mullein avait déposé la tête du roi sur un plateau d’argent dans un geste immonde pour sauver sa peau.

Mais est-ce si mal que cela ? La vie de Mullein était la seule qui comptait, il était donc naturel d’abandonner son seigneur et son pays. Le patriotisme et la loyauté n’étaient rien d’autre que des sentiments stupides vantés par des idiots.

Lawrence, je prendrai ta vie et je survivrai… !

Comment le roi avait-il réagi à cette contrariété ?

Son visage s’était-il vidé de ses couleurs ? Était-il visiblement livide ? Lawrence n’avait probablement pas compris ce qui se passait et avait probablement eu une expression vide.

Avec dérision, délectation et une légère curiosité, Mullein jeta un coup d’œil au roi-marionnette.

« … Tout était donc vrai. »

La réponse n’était rien de tout cela. L’air calme de Lawrence avait ébranlé Mullein. Il pensait que les gardes allaient devoir maîtriser un roi furieux, mais cela n’était pas nécessaire. Lawrence regarda Mullein dans les yeux, mais il semblait regarder au-delà.

« Alors même cela doit être vrai…, » murmura le roi.

Alors que Mullein réfléchissait à ce que cela signifiait, la porte de la salle de conférence s’ouvrit. Un messager entra en courant.

« Pardonnez-moi ! Nous venons de recevoir un premier rapport du champ de bataille ! »

Le champ de bataille. La guerre entre Soljest et Delunio.

« Hmph. Il n’y a plus d’intérêt, mais continuez. »

Tolcheila avait gagné au moment où la bataille entre les deux nations était devenue une réalité.

L’échec de Kabra était plus commode pour elle, mais elle était tout à fait sûre de pouvoir le maîtriser, dans la victoire comme dans la défaite.

« Allez-y. Qu’en est-il de l’armée de Soljest ? » demanda-t-elle.

Le messager hésita, mais répondit : « Bien, nous avons reçu des nouvelles de la déroute de l’armée de Soljest. »

« Je vois. Delunio est donc le vainqueur. »

C’était une conclusion assez raisonnable. Tolcheila se demandait si son frère était mort ou capturé…

« Non, les généraux de Delunio ont également été capturés, et ils sont en train de battre en retraite. »

Tout le monde dans la salle de conférence s’était figé.

« De quoi parlez-vous ? » demanda Tolcheila.

Les deux armées s’étaient affrontées, mais toutes deux avaient été forcées de fuir au lieu de voir l’une d’entre elles sortir vainqueur de l’affrontement. Tolcheila avait réfléchi à cette absurdité et avait découvert une possibilité.

« — Ne me dites pas que Natra est intervenue !? »

Natra était le dernier membre de la triple alliance. En tant que pays lié à Delunio et Soljest, elle aurait dû rester spectatrice. Avait-elle renoncé à la non-ingérence ?

Comment l’armée de Natra est-elle arrivée si vite ? Non, je suis certaine que le prince Wein pourrait y arriver. Mais si les deux camps ont été contraints de fuir, cela signifie-t-il que Natra a feint la neutralité ? Une position de non-engagement aurait aussi pu permettre à Natra d’attendre une opportunité ! Caldmellia et moi allons devoir préparer une contre-attaque…

Comme on pouvait s’y attendre, Tolcheila avait réagi à cet événement imprévu à la vitesse de l’éclair. Son sens tactique aigu était un véritable atout. Malheureusement, la vérité, cette fois-ci, dépassa tout ce qu’elle aurait pu imaginer.

« Non, ce n’était pas l’armée de Natra. »

Le messager parla comme s’il n’arrivait pas à y croire lui-même.

« Les vainqueurs étaient commandés par le roi Gruyère. »

« — Qu’est-ce que vous dites ? »

Une onde de choc traversa la salle de conférence.

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« Les forces de Delunio et de Soljest combinées n’atteignaient pas trente mille hommes. »

Une tente se trouvait à la frontière entre Delunio et Soljest. Peu de temps après la bataille, les deux armées avaient disparu.

« Nous, en revanche, nous étions un peu moins de trois mille. C’est dix fois moins. »

L’une des personnes présentes dans la tente était un homme d’une taille imposante. C’était le roi Gruyère, l’ancien roi de Soljest.

« Ah, quelle bataille exaltante ! »

« Ridicule… Ce n’est pas possible…, » gémit Kabra, l’usurpateur déchu qui gisait ligoté devant son père. Le commandant de Delunio était attaché à côté de lui.

« Ne désespère pas, mon fils. Tu as remarqué mon embuscade, après tout, et ta contre-attaque était un effort courageux. Mais la bataille était déjà une mêlée, et tu es arrivé trop tard », expliqua joyeusement Gruyère.

Kabra lança à son parent un regard furieux. « Comment, père ? »

« Comment quoi ? »

« Tu étais censé être enfermé ! Même si tu as réussi à t’échapper, où as-tu trouvé ces soldats ? Les troupes de Soljest suivent mes ordres ! »

« Ah, ça. J’ai un ami très spécial, vois-tu. »

Le regard de Gruyère se porta sur les deux personnages à côté de lui.

L’un d’eux était un Flahm aux cheveux blancs et aux yeux cramoisis — le serviteur de Falanya, Nanaki.

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« En d’autres termes, vous êtes ici pour me mettre en sécurité. »

Peu avant que Delunio et Soljest n’ouvrent le feu, Gruyère s’adressa à son invité inattendu alors qu’il était confiné dans une villa isolée.

« Manifestement, la petite sœur du prince Wein a l’œil vif. »

Nanaki était venu auprès de Gruyère sur ordre de Falanya pour sécuriser le roi.

La princesse Tolcheila envisage de se battre sous prétexte de récupérer un trône qui lui a été injustement volé, mais elle n’est pas la seule à pouvoir utiliser cette logique. Le roi Gruyère ayant été évincé, il y a de fortes chances qu’il veuille lui aussi récupérer son trône.

C’est ce que pensait Falanya. Elle proposerait à Gruyère de l’aider à récupérer sa couronne, ce qui en ferait un allié. C’était un moyen de parvenir à ses fins, bien sûr. L’objectif premier de Falanya était d’empêcher Tolcheila d’impliquer Delunio dans ses projets.

Malheureusement, la réaction de Gruyère à sa proposition n’aurait pas pu être plus terne.

« Franchement, je passe mon tour », avait-il déclaré. « C’est l’affrontement tant attendu entre mes deux enfants et, en tant que parent, je veux voir le résultat. Si je m’enfuis maintenant, je ne ferai que regarder pendant que vous m’emmènerez, n’est-ce pas ? Que je sois ici ou là ne change pas grand-chose, et me déplacer me semble pénible. »

Gruyère prit une bouchée du fruit qu’il tenait dans sa main et tapa sur son ventre monstrueux. Il ne s’agissait pas d’un quelconque stratagème de négociation, il était vraiment paresseux à ce point.

Nanaki était resté parfaitement calme, se rappelant les ordres de Falanya.

J’ai entendu dire que le roi Gruyère peut être difficile à satisfaire, donc une offre d’échapper à l’assignation à résidence pourrait ne pas suffire. Dans ce cas…

« Au lieu d’être emmenés, pourquoi ne pas participer à la fête ? » proposa Nanaki.

Gruyère haussa les sourcils.

« Nous avons trois mille soldats qui vous obéiront. Testez si vos enfants peuvent les battre. »

« Ensemble, les armées de Soljest et de Delunio dépassent les vingt mille hommes. Suggérez-vous que je les affronte avec une maigre force de trois mille hommes ? »

« Alors vous ne pouvez pas le faire ? »

« Ne me faites pas rire », répondit Gruyère alors que son corps mégalithique rayonnait d’une aura invisible d’une puissance écrasante. « D’accord, je me suis beaucoup ennuyé ces derniers temps. J’aurais bien besoin d’un petit rire. »

« Alors, allons-y. Préparez-vous », déclara brusquement Nanaki à l’ancien roi.

Les épaules de Gruyère tremblèrent de joie, mais il avait une dernière question à poser. « Je voulais vous demander où vous avez trouvé trois mille soldats ? »

« De Marden, » répondit Nanaki. « Zenovia a ordonné aux troupes de suivre vos ordres. »

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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