Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 9 – Chapitre 1

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Chapitre 1 : Acte 1

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Chapitre 1 : Acte 1

Partie 1

Jörgen, le second du Clan du Loup, poussa un cri de protestation affligé. « S’il vous plaît, arrêtez, Mère ! Une personne telle que vous n’a pas besoin de se déranger personnellement comme cela ! Si vous donniez des ordres à certains ouvriers, je suis sûr qu’ils vous aideraient de toutes les façons possibles… »

Il avait le vertige rien qu’en regardant la scène devant lui.

Cela se passait à Iárnviðr, la capitale du Clan du Loup, une nation qui était devenue assez puissante pour exercer un contrôle sur une grande partie de la partie occidentale d’Yggdrasil.

Dans le jardin arrière du palais, la jeune femme qui allait devenir l’unique épouse du chef de clan utilisait une petite faucille pour désherber elle-même le jardin.

C’était suffisant pour presque faire tomber Jörgen à ses pieds.

« Hein ? » demanda la jeune femme. « Mais est-ce que j’ai vraiment le droit de donner des ordres comme ça ? Tout le monde a déjà du travail à faire, alors les interrompre pour ça serait un peu… »

Sa réponse était incroyablement humble et passait complètement à côté du sujet. C’était comme si elle n’avait aucune conscience de son statut d’épouse du patriarche du clan.

« S’il vous plaît, ne vous inquiétez pas de ces choses, et sentez-vous libre de donner tous les ordres que vous voulez, » dit Jörgen faiblement.

« Hmm… Je ne sais pas. Je pense toujours que ce n’est pas une bonne chose. Si je commence à interrompre librement le travail des autres comme ça, juste parce que je suis la femme du patriarche, cela pourrait affecter leur capacité à accomplir leurs propres tâches. Si j’agissais de manière égoïste, cela finirait par nuire à la réputation de Yuu-kun. »

« … ! » Jörgen reprit son souffle, son étonnement étant encore plus grand qu’avant.

Ses remarques étaient quelque chose qu’il souhaitait pouvoir rejouer pour les épouses des autres capitaines de clan de haut rang, qui donnaient des ordres aux gens autour d’eux comme si c’était une évidence.

Jörgen avait supposé qu’elle n’avait pas conscience de son statut d’épouse du patriarche, mais c’était Jörgen lui-même qui s’était trompé.

« Je crois que c’est une merveilleuse façon de penser, » dit-il enfin. « Alors, que pensez-vous de ceci ? Je vais utiliser ma position de commandant en second pour faire une demande aux personnes actuellement inoccupées, et vous prêter temporairement leurs services. Qu’en pensez-vous ? »

Le second était chargé d’assumer toutes les responsabilités et l’autorité du chef de clan lorsque le patriarche ne pouvait être présent.

Si quelqu’un de sa position donnait un ordre officiel à ses soldats, cela maintenait la chaîne de commandement, et il n’y aurait aucun problème en termes d’interruption de leurs tâches.

« Hum, est-ce vraiment bien ? » La jeune femme avait encore l’air d’y réfléchir avec hésitation.

C’était incroyable de voir à quel point elle était modeste.

Jörgen ne put s’empêcher d’émettre un petit rire. « Il y a sûrement des gens qui trouveraient étrange et inadmissible que l’épouse du patriarche soit couverte de saleté et de sueur. Cela pourrait également affecter la dignité symbolique de Père. S’il vous plaît, je vous demande d’accéder à ma requête et de faire appel à mes hommes. »

Jörgen s’était dit qu’en reformulant sa demande en son nom propre, elle serait plus encline à accepter. C’était un calcul qui venait de sa grande expérience de la vie.

« Ah ! C’est bon, je comprends ! » dit Mitsuki avec soulagement. « Pour être honnête, ça m’aiderait vraiment. On dirait que ce travail était trop important pour qu’une fille le termine toute seule. »

« Oh, non, je devrais vous remercier d’avoir accepté d’accéder à ma demande. Au fait, qu’est-ce que… »

Bang-bang ! Ba-ba-ba-ba-bang !

La question de Jörgen fut coupée lorsque des bruits incroyablement forts éclatèrent, résonnant partout dans le palais.

Les bruits étaient si forts qu’ils avaient continué à résonner pendant des secondes.

D’une partie du palais s’élevait un panache de fumée noire.

« Qu’est-ce qui se passe ? » Jörgen avait crié.

+

C’était le début de l’été de l’année 205 du calendrier impérial d’Yggdrasil, et le Clan de la Corne et le Clan de la Panthère étaient en guerre. Les trois mille soldats du Clan de la Corne s’opposaient aux dix mille soldats du Clan de la Panthère, avec la rivière Körmt entre eux.

Après s’être regardé fixement pendant un certain temps, le Clan de la Panthère avait fait le premier pas.

Leur patriarche, Hveðrungr, avait personnellement pris trois mille cavaliers et les avait menés en tant qu’unité détachée, traversant la rivière à un endroit différent, puis il avait assailli les forces du Clan de la Corne depuis leur flanc.

C’était une attaque-surprise, mais elle n’avait pas réussi à vaincre les forces du Clan de la Corne, dont les préparatifs préalables leur avaient permis d’employer la défense du « mur de chariots ». Cependant, Hveðrungr n’était pas du genre à rester les bras croisés face à un si petit revers.

Il mena son unité détachée pour encercler la capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr, et ainsi couper la route d’approvisionnement de son ennemi, dans un plan visant à l’affamer.

Pendant ce temps, le Clan de la Corne, dont les réserves étaient coupées et la nourriture en voie d’épuisement, était à court d’options.

« … Et c’est ainsi que les choses se présentent. » Le commandant de l’armée du Clan de la Corne, Haugspori, termina son explication de la situation actuelle et s’inclina profondément. « Je suis vraiment désolé pour cette situation. »

Il était normalement un homme à l’attitude très informelle et désinvolte, allant même jusqu’à maintenir son attitude sarcastique avec son patriarche, Linéa. Mais à présent, il avait les sourcils froncés et son visage était assez sérieux et troublé.

Après tout, il ne serait pas exagéré de dire que ce conflit déterminerait le sort même du Clan de la Corne.

Et pourtant, il semblait qu’il n’y avait pas de bonne ligne de conduite à adopter. Avec cette pression qui lui pesait si lourdement, il n’avait pas le sang-froid nécessaire pour agir avec désinvolture.

« Non, tu t’es bien débrouillé pour leur tenir tête aussi longtemps sans craquer, » dit le jeune homme aux cheveux noirs assis en face de Haugspori. « Grâce à cela, j’ai réussi à arriver ici à temps. »

Et il laissa échapper un long soupir de soulagement.

C’était le patriarche du Clan du Loup, Suoh Yuuto.

Il était devenu patriarche à l’âge de quinze ans, et en seulement deux ans, il avait reconstruit le Clan du Loup alors qu’il était dans un état de quasi-destruction afin qu’il devienne l’une des nations les plus puissantes de tout Yggdrasil. Il était un homme rare et phénoménal, un grand héros.

Ces deux derniers mois, personne ne l’avait vu, et des rumeurs avaient circulé sur sa mort. Mais il était là, vivant et en chair et en os, et semblait en parfaite santé.

La mère jurée de Haugspori, Linéa, patriarche du Clan de la Corne, serait sûrement ravie d’entendre la nouvelle.

« Très bien, alors…, » Yuuto regarda l’homme droit dans les yeux. « Haugspori, désolé, mais, me laisserais-tu prendre le commandement de tes forces ? »

Selon la hiérarchie établie par le Serment du Calice, Haugspori était l’enfant juré de Linéa, qui était la petite sœur jurée de Yuuto. Yuuto serait donc comme son oncle.

Cela signifiait que Yuuto était quelqu’un au-dessus de lui dans le statut qu’il devait respecter, mais il était aussi d’un clan différent — la « famille », mais pas sa famille.

La seule personne à laquelle Haugspori avait réellement prêté serment d’allégeance était son patriarche Linéa, et elle lui avait personnellement confié le commandement de cette armée. Lui demander de simplement remettre ce commandement était déraisonnable, et il n’avait aucune raison valable d’obtempérer.

Pourtant…

« D’accord. » Haugspori avait accepté sans hésiter.

La survie même de son clan était en jeu, il n’était pas assez fou pour s’accrocher aux pensées quant à sa réputation ou pour sauver la face dans ce genre de crise.

Mais surtout, c’était une chance rare de voir de près cet homme incroyable diriger une armée — le commandant habile qui avait renversé les chances dans de nombreuses batailles où il avait été en infériorité numérique.

Ayant vécu sur le champ de bataille, c’était une occasion que Haugspori ne pouvait pas laisser passer.

« Alors, qu’est-ce que vous comptez faire ? » poursuit-il.

« Hm ? Oh, c’est vrai, » dit Yuuto. « Je devrais vous en parler, à toi et aux soldats, aussi… Félicia. »

« Oui, Grand Frère, qu’est-ce qu’il y a ? » L’adjudante de Yuuto, qui se tenait à proximité, répondit d’une voix pleine de révérence.

Haugspori avait eu de nombreuses liaisons avec d’innombrables belles femmes, il était le plus grand coureur de jupons du Clan de la Corne, de réputation et de son propre aveu. Pourtant, la vue de cette femme le prit tellement au dépourvu qu’il déglutit nerveusement. C’était une femme d’une beauté sensuelle et d’une séduction incomparable.

Et son regard vers Yuuto était rempli de passion et de chaleur — on pouvait dire en un coup d’œil à quel point elle ressentait quelque chose pour lui.

« Peux-tu m’apporter une des longues cordes avec les bâtons rouges attachés dessus qui se trouve dans nos bagages ? » demanda Yuuto.

« Oui, tout de suite ! » La voluptueuse femme répondit vivement et courut vers un de leurs chevaux, revenant avec l’objet en question. « Voilà, Grand Frère. »

« Hm, merci. »

« Tee hee ! ♥. » Elle répondit à ce simple mot de remerciement en gloussant bassement, l’air positivement ravi.

Félicia du Clan du Loup était une guerrière Einherjar maniant la rune Skírnir, le Serviteur sans expression. Elle était habile sur le champ de bataille et en dehors, et elle était même capable d’utiliser des sorts de magie seiðr. Ses talents étaient bien connus, même parmi les membres du Clan de la Corne.

Une femme aussi distinguée venait de recevoir un ordre qui conviendrait mieux à un simple serviteur. Pourtant, plutôt que d’avoir l’air mécontente, elle semblait positivement ravie d’obéir.

Avec ce simple échange, Haugspori avait pu constater à quel point ce Yuuto était un grand seigneur.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Haugspori en regardant la chaîne de bâtons rouges.

« Il s’agit de quelque chose que j’ai ramené de mon pays natal, mon arme secrète contre le Clan de la Panthère. Pour commencer, nous allons l’utiliser contre leurs forces sur la rive opposée de la rivière. Nous allons les anéantir. »

« Ah… ! » Haugspori sursauta et sentit un frisson lui parcourir l’échine en réponse à la déclaration calme, mais ferme de Yuuto. Il serra les dents pour les empêcher de claquer.

À première vue, il ressemble juste à un garçon faible, avait-il réfléchi.

Yuuto était grand et maigre, mais il n’avait pas l’air très fort.

Quelqu’un d’aussi expérimenté que Haugspori pouvait dire, rien qu’en regardant la démarche d’une personne, quel niveau de combat elle avait atteint. Même en étant généreux, ce jeune homme semblait seulement un peu plus fort qu’un novice.

Et pourtant…

J’ai tellement peur que ma bouche est sèche. Voilà donc l’aura de celui qu’on appelle le « Lion » ! Haugspori trouvait ce garçon, tellement plus jeune que lui, effrayant d’une manière insupportable.

Ce n’était pas non plus comme s’il y avait une quelconque intention hostile pointée sur lui directement. Tout ce que le jeune homme avait fait était de montrer pour ainsi dire un petit aperçu de ses « crocs », et c’était comme si la température ambiante avait baissé de deux ou trois degrés.

Haugspori avait rencontré le jeune homme une fois auparavant, au cours de l’hiver précédent, alors qu’il accompagnait Linéa. Comparé à cette époque, il semblait que l’aura qui l’entourait était beaucoup plus lourde, et aiguisée à un niveau bien plus tranchant.

En d’autres termes, il était encore en pleine croissance.

C’était une pensée plutôt effrayante.

***

Partie 2

« J’ai un rapport, madame. Les forces du Clan de la Corne qui campaient sur la rive opposée ont commencé à se retirer. »

« Il le fond donc maintenant. » Sigyn avait répondu aux nouvelles de sa vigie avec un sourire froid. « Oui, je me suis dit qu’il était temps qu’ils le fassent. »

Sigyn était l’épouse de l’actuel patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr. Elle était également leur précédent dirigeant, une femme patriarche qui avait réussi à tenir ensemble et à contrôler un clan d’hommes rudes et turbulents, ce qui était un témoignage de sa grandeur en tant que chef.

En raison de l’incident au cours duquel Yuuto avait été renvoyé dans sa patrie au-delà des cieux, sa relation conjugale avec Hveðrungr était devenue plutôt froide et morte. Cependant, sa capacité à diriger et le respect que lui portaient les membres du Clan de la Panthère étaient tels qu’elle avait reçu le commandement des sept mille hommes de l’armée principale du Clan de la Panthère.

« Je savais que c’était l’option qu’ils choisiraient, » avait-elle fait remarquer dans son souffle.

L’approvisionnement du Clan de la Corne depuis sa capitale étant coupé, tout ce qui les attendait s’ils restaient sur place était la mort par famine.

Dans cette situation, il y avait généralement deux voies à suivre pour obtenir plus de nourriture. La première consistait à chasser l’unité détachée des troupes du Clan de la Panthère qui encerclait leur capitale, leur permettant ainsi de se réapprovisionner sur place. La seconde était de réquisitionner de la nourriture et des fournitures dans les villages voisins.

S’ils avaient opté pour la seconde solution, ils n’auraient pas brisé leur formation, puisqu’ils auraient pu envoyer de petits groupes de soldats pour se procurer les marchandises. Le fait que toute leur force soit en mouvement signifiait qu’ils avaient choisi la première solution.

Leur patriarche était une femme qui tenait beaucoup à ses citoyens. Cette information était parvenue jusqu’aux oreilles de Sigyn.

Le commandant de l’armée du Clan de la Corne agissait probablement par respect pour cette position.

L’ennemi agissait exactement selon les prédictions de Sigyn et faisait exactement ce qu’elle voulait.

Sigyn se leva, ses longs cheveux argentés et soyeux se balançant, et cria l’ordre à ses troupes. « D’accord, c’est notre chance ! Nous allons traverser la rivière d’un seul coup ! »

La traversée d’un grand fleuve est l’une des situations les plus dangereuses sur le plan militaire.

Maintenant que les forces du Clan de la Corne s’étaient retirées, elle pouvait faire traverser la rivière à son armée et pénétrer sur leur territoire sans subir de pertes.

Il n’y avait aucun moyen pour elle de laisser passer cette chance.

Cependant, c’était parce qu’elle ne pouvait pas imaginer cela que sa pensée en ce moment était exactement ce que Yuuto voulait.

 

+

« Ahh, bonjour, bonjour, c’est Kristina. Père, tu m’entends ? » La voix de Kristina avait appelé.

« Ouais, fort et clair, » répondit Yuuto avec satisfaction. « Ça a l’air parfait. »

La voix de la fille jurée de Yuuto, Kristina, sortait d’un émetteur-récepteur de poche, ou « talkie-walkie », qu’il tenait à l’oreille.

C’était l’un des nombreux outils qu’il avait apportés lors de son retour à Yggdrasil depuis le monde moderne.

Naturellement, il avait acheté un grand stock de batteries pour ces appareils, ainsi que des chargeurs de batterie à énergie solaire.

Grâce à ces éléments, il lui était désormais possible de contacter des personnes sur une assez longue distance.

Par ailleurs, il s’agissait d’un modèle non fabriqué au Japon. Au Japon, il était strictement interdit par la loi aux gens ordinaires d’utiliser ces choses, mais il n’y avait aucune restriction de ce genre dans les lois que Yuuto avait établies pour sa propre nation.

« L’armée du Clan de la Panthère a commencé à traverser la rivière, » rapporta Kristina.

« Je vois. Continue à les surveiller de près. Contacte-moi à nouveau quand environ trois quarts d’entre eux auront traversé. »

« Compris. » La voix de Kristina avait été coupée par un son statique et désagréable.

« Haha… ce truc est bien trop pratique. » Ramenant le talkie-walkie de son oreille, Yuuto laissa échapper un rire sec.

Dans le monde d’Yggdrasil, les méthodes les plus courantes pour communiquer des informations sur le champ de bataille consistaient à envoyer un messager ou à faire sonner un gong ou un cor de guerre.

Un messager pouvait relayer les détails, mais il n’y avait aucun moyen de contourner le temps que cela prenait.

L’utilisation de signaux sonores pour communiquer était assez proche du temps réel en termes de vitesse, mais il y avait une forte limite au volume d’informations que vous pouviez envoyer, et celles-ci étaient également communiquées à l’ennemi.

Cependant, avec un outil comme cet émetteur-récepteur portable, il était désormais possible de donner des informations détaillées à quelqu’un de très éloigné, immédiatement, et de le faire secrètement.

Yuuto était jeune, mais il avait vécu sa part de batailles. Il savait à quel point cet outil lui donnait un avantage effrayant, et même en étant celui qui l’avait apporté ici, il se retrouvait à frissonner devant les implications.

« Quand même, je suis content. On dirait qu’on les a bien attirés dehors. » Yuuto avait poussé un soupir de soulagement.

Si, par hasard, l’ennemi n’avait pas commencé à bouger dans la journée, les choses seraient devenues beaucoup plus difficiles.

Yuuto savait qu’une fois que le Clan de la Panthère aurait appris son retour dans ce monde, et la retraite du Clan de la Foudre de Gimlé, ils seraient naturellement beaucoup plus prudents et méfiants.

Cependant, la méthode la plus rapide de transmission d’informations du Clan de la Panthère était un message remis en main propre par l’un de leurs soldats à cheval.

Ils n’avaient pas de système postal en place qu’ils pouvaient utiliser. Par conséquent, en tenant compte de la distance totale, les informations précieuses mettraient jusqu’à demain au plus tôt pour parvenir à leurs troupes.

En d’autres termes, la retraite actuelle donnait l’impression au Clan de la Panthère que le Clan de la Corne était à court d’options, jouant ainsi en plein dans leurs plans, mais cette ruse ne serait efficace qu’aujourd’hui.

Debout à proximité, Haugspori expira d’admiration et se mit à hocher la tête pensivement. « Ainsi, en agissant délibérément selon les plans de notre ennemi, nous pouvons à notre tour le faire réagir comme nous le prévoyons. C’est très instructif, monsieur. »

« Je ne fais que suivre des principes de base, c’est tout, » répondit Yuuto en regardant au loin en direction de la rivière Körmt.

En effet, du point de vue de Yuuto, sa stratégie était digne d’un manuel scolaire — tout droit sortie d’un manuel en fait. Il ne la considérait pas comme particulièrement étonnante ou intelligente.

Une ligne de Sun Tzu était : « Avec le gain, déplace-les, avec les hommes, attends-les. »

En langage plus moderne, cela signifiait qu’en faisant miroiter la perspective d’un gain ou d’un avantage clair, on pouvait inciter l’ennemi à agir, et qu’une fois qu’il avait bougé, il fallait être prêt et attendre avec des soldats pour l’attaquer.

En résumé, en éloignant délibérément ses forces de la rivière Körmt, Yuuto avait tendu un « appât » au Clan de la Panthère sous la forme d’avantages considérables : ils pouvaient maintenant traverser le grand fleuve sans subir de pertes, et ils pouvaient poursuivre les troupes du Clan de la Corne qui battaient en retraite et les attaquer par-derrière.

« Ok, ce qui reste c’est… Félicia, tu as fini de mettre les soldats en place, n’est-ce pas ? »

« Oui, Grand Frère, comme tu l’as ordonné. »

« Tout de même, ce choix de placement de troupes va-t-il vraiment bien aller ? » demande Haugspori, les sourcils profondément froncés. « On pourrait dire que ça laisse la formation principale avec un manque de protection inquiétant… oh, mais je ne veux pas dire que je doute de votre jugement, mon oncle. »

C’était une bataille où le destin du Clan de la Corne était en jeu. L’homme avait confiance en Yuuto, mais bien sûr, cela ne suffirait pas à effacer son appréhension.

« Tu peux être tranquille, » répondit fermement Yuuto. « “Beaucoup de calculs mènent à la victoire, et peu de calculs à la défaite”. Je ne commence pas un combat sans avoir un plan gagnant. »

Il semblait avoir une grande confiance en lui.

« Heehee, » Félicia gloussa.

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a, Félicia ? » Yuuto lui lança un regard suspicieux.

Félicia haussa légèrement les épaules et répondit : « Oh, c’est juste que… Je me disais que cela faisait si longtemps que je n’avais pas ressenti ce sentiment de sécurité. »

« Ohhh, je vois exactement ce que tu veux dire, Félicia, » déclara Sigrun en hochant la tête. « Rien que le fait que Père soit ici avec nous, c’est comme si nous ne pouvions pas perdre. »

Le visage de Félicia s’était transformé en un large sourire en entendant ses propres sentiments confirmés si exactement. « Oui, oui, exactement ! En revanche, lorsque Grand Frère a disparu à Gashina, j’ai eu l’impression que le sol s’était dérobé sous mes pieds… »

« En effet. Et maintenant, nous faisons face à une force de cavalerie deux fois plus nombreuse que nous, et pourtant, elle ne semble pas du tout être une menace. »

« Hé, allez, vous deux, c’est un peu trop complaisant, » objecta Yuuto. « Je n’ai rien de spécial ou d’extraordinaire, alors ne vous laissez pas emporter. Ne baissez pas votre garde ! »

Il fronça les sourcils en réprimandant vertement les deux filles.

C’était un moment charnière juste avant de lancer leur attaque, et elles manquaient bien trop de la tension nécessaire. Un seul instant d’inattention peut être fatal sur le champ de bataille. En tant que commandant, il devait le leur rappeler.

Ces deux-là étaient des combattantes chevronnées. Yuuto s’était dit qu’une remarque rapide suffirait et qu’elles se ressaisiraient tout de suite.

Cependant, elles avaient semblé ne pas comprendre le sens de sa remarque et elles avaient réagi à une autre partie de celle-ci.

« Non, grand frère, dire que tu n’as rien de spécial n’est tout simplement pas correct ! » s’écria Félicia. « Comme je te le dis toujours, tu es un homme d’une grandeur exceptionnelle. Ces deux derniers mois en ont été le rappel le plus douloureux. »

« Je déteste aller à l’encontre de tes paroles, Père, mais je dois être d’accord avec Félicia sur ce point. Je pense que toi, Père, tu es le seul dans tout le pays qui aurait pu faire reculer ce Steinþórr d’un simple geste, alors que je n’ai pas pu l’arrêter, même en le combattant avec tout ce que j’avais. »

« Ahh, oui… Je me souviens que mon corps tremblait lorsque cela s’est produit, » soupira Félicia.

« Le mien aussi, » répliqua Sigrun. « J’étais tellement émue de savoir que j’avais l’honneur d’appeler cet homme Père, que je me suis mise à genoux et j’ai baissé la tête. »

Les deux filles avaient fermé les yeux et semblaient être absorbées à rejouer dans leur esprit des scènes de l’événement.

Yuuto s’était souvenu trop tard que les deux femmes avaient cette mauvaise habitude de ne pouvoir s’arrêter de le féliciter une fois qu’elles avaient commencé.

Et il semblait que c’était deux fois plus grave que d’habitude aujourd’hui. Peut-être que leur envie de le féliciter s’était accumulée pendant qu’il était absent d’Yggdrasil depuis deux mois.

C’était quelque chose qu’il aurait pu traiter comme les bouffonneries habituelles si elles étaient de retour sur le territoire du Clan du Loup, mais elles étaient ici sur les terres d’un autre clan pour affaires. Ça commençait à devenir embarrassant.

« Hé. Vous deux…, » Yuuto avait voulu les arrêter avec plus de force, mais il avait été interrompu par Haugspori.

« Vous avez repoussé le Tigre Assoiffé de Combats, Dólgþrasir, d’un… seul geste… !? » Haugspori fixait Yuuto bouche bée, les yeux écarquillés par le choc, comme s’il venait de recevoir un coup de marteau sur la tête. Il tremblait.

« Non, ce n’était pas moi, c’était ce truc que j’ai utilisé appelé la “Forteresse vide”. Ce n’est pas comme si j’avais fait fuir cet idiot en le regardant fixement. »

« Cependant, cela signifie toujours que vous l’avez poussé à battre en retraite, n’est-ce pas ? »

« Hum, eh bien, je suppose que oui, » dit Yuuto. « Si je ne l’avais pas fait, je ne serais pas exactement là à t’aider en ce moment. »

« Vous avez affronté ce monstre et vous avez gagné trois fois maintenant. C’est un exploit plus qu’étonnant, assez pour parler de lui-même. Et on dirait que la troisième fois a été une victoire facile. »

« … Argh, ce serait juste une douleur d’essayer de mieux l’expliquer à ce stade. » Yuuto poussa un soupir de résignation.

***

Partie 3

La « stratégie de la forteresse vide » était un acte de tromperie psychologique de haut niveau, et la mettre en œuvre était loin d’être aussi facile que Haugspori le pensait clairement. Mais en ce moment, les forces du Clan de la Panthère avançaient sur leur position, et il n’y avait pas de temps à perdre à expliquer des choses qui n’avaient aucun rapport avec la bataille en cours.

Haugspori poursuit. « Et plus que tout, les célèbres “Mánagarmr” et “Gullviðrúlfr”, le Loup d’argent le plus fort et le Loup doré le plus sage, vous témoignent une admiration totale. Il semble que je n’ai rien à craindre après tout. Ha ha ha ! »

« Non, écoute, il faut vraiment que tu gardes la tête froide, » protesta Yuuto. « On est sur le point de se battre, là. »

Haugspori continua à rire bruyamment, et Yuuto s’affaissa, dépité. Il se demanda s’il ne valait pas mieux qu’il leur crie sérieusement dessus pour s’assurer qu’ils ont compris.

Alors qu’il était en train d’y penser, un signal statique avait été émis par le haut-parleur du talkie-walkie.

« Père, » annonça la voix de Kristina. « Je crois qu’il est temps. »

Quand il s’agit d’informations, la vitesse est primordiale. C’était d’autant plus vrai sur le champ de bataille.

Comme prévu, Kristina comprenait cela. Normalement, elle était du genre à aimer plaisanter un peu avant d’en venir au fait, mais dans des moments comme celui-ci, elle gardait tout brièvement.

« C’est bon ! » Yuuto ordonna alors. « À toutes les troupes, faites demi-tour ! Nous allons anéantir le Clan de la Panthère ! »

 

+

« Oh, par tous les dieux ! On dirait qu’ils ont déjà perdu tout bon sens, » murmura Sigyn pour elle-même avec un mélange de stupéfaction, de dédain et de pitié en apercevant l’ennemi qui réapparaissait devant elle.

Ses forces avaient déjà terminé leur traversée de la rivière Körmt.

Si l’ennemi avait voulu l’attaquer, il aurait dû le faire pendant que ses troupes étaient en train de traverser. S’ils avaient voulu s’éloigner d’elle, alors ils auraient dû continuer à fuir à toute vitesse.

L’attaquer après qu’elle ait traversé était le comble de la bêtise.

Peut-être qu’au cours de leur retraite, ils avaient reconsidéré la situation et décidé qu’ils ne pouvaient tout simplement pas lui permettre d’amener ses forces de leur côté de la rivière. C’était un exemple d’indécision, la marque d’un commandant stupide.

Haugspori, du Clan de la Corne, était connu même dans le Clan de la Panthère pour sa grande maîtrise de l’arc, et il avait gravi les échelons jusqu’au poste d’assistant du commandant en second alors qu’il n’avait qu’une trentaine d’années, il était donc censé être quelqu’un de remarquable. Apparemment, il ne fallait pas se fier aux ouï-dire.

Les gens révèlent leur vraie valeur plus clairement quand ils étaient acculés dans un coin. Plus que probablement, ce Haugspori avait été mentalement usé par les conditions difficiles qu’il avait endurées jusqu’à présent.

En fin de compte, c’était l’étendue de son courage.

« Hm… maintenant, que dois-je faire ? » Sigyn réfléchit un moment.

L’ennemi était peut-être confus, mais il disposait toujours de la puissante tactique de la forteresse de wagons. À en juger par les résultats passés, si elle devait les charger sans réfléchir, elle ne ferait que subir de plus grandes pertes.

« La chose la plus propice à faire ici est de se retirer et de rejoindre le groupe de Rungr, » avait-elle décidé.

Faire entrer sept mille cavaliers sains et saufs dans le territoire du Clan de la Corne était après tout déjà un excellent accomplissement.

Pour une armée d’infanterie normale, se retirer du champ de bataille avec l’ennemi juste devant elle était incroyablement dangereux, car cela signifiait une forte probabilité que l’ennemi attaque lors de la poursuite. Mais l’armée du Clan de la Panthère était composée, pour la plupart, de cavaliers expérimentés, dont la vitesse et la mobilité étaient les plus grandes de tout Yggdrasil.

De plus, ils pouvaient tirer en arrière avec leurs arcs, attaquer à distance tout en se repliant. Ils allaient sûrement s’échapper de la zone avec facilité.

« Dame Sigyn, des forces ennemies sont également repérées à gauche et à droite ! » Un messager l’avait appelée.

« Oh là là, je ne m’attendais pas à ça. » Contrairement à ses paroles, le ton de Sigyn était encore plein de confiance.

Elle avait déjà confirmé que l’ennemi avait moins de la moitié de ses effectifs au total. Ils étaient déjà moins nombreux, et ils avaient encore divisé leurs forces en trois groupes. C’était suffisant pour qu’elle s’interroge sur leur santé mentale.

Même leur plan d’embuscade avait échoué, puisqu’elle avait appris leur emplacement avant qu’ils n’aient eu la chance de lancer une attaque.

C’était une préparation complètement bâclée.

Sigyn concentra son regard sur le groupe d’ennemis sur la droite en parlant. « Nous allons commencer par écraser les groupes en embuscade un par un, puis… huuuh !? » Elle laissa échapper un cri de surprise.

Mais cela n’avait duré qu’une seconde.

L’expression de Sigyn était redevenue normale, puis elle avait confirmé l’état du groupe ennemi à sa gauche également.

Après quelques secondes, elle avait porté une main à sa bouche. « Pfft. Heheheh… Ahahahaha ! »

Assise sur son cheval, Sigyn avait éclaté de rire. C’était un spectacle tellement hilarant à ses yeux.

Les groupes ennemis de chaque côté d’elle utilisaient le mur de wagons, la défense de chaque groupe étant disposée vers l’avant en direction de ses troupes.

Il n’y avait probablement que cinq cents wagons au total, mais leurs chariots renforcés offraient une incroyable puissance défensive. Il était impossible de percer ces fortifications avec une attaque normale.

Il y avait des murs de wagons à la gauche et à la droite de Sigyn, derrière elle se trouvait la rivière Körmt, et devant elle se trouvait la force principale du Clan de la Corne — à première vue, il semblait que le Clan de la Panthère avait perdu toute chance de s’échapper.

Cependant…

« Alors comment allez-vous protéger votre force principale ? » dit Sigyn avec un sourire en coin.

L’ennemi avait divisé ses chariots pour renforcer les défenses des groupes détachés à sa gauche et à sa droite. Il n’y avait aucun doute que cela signifiait qu’ils avaient laissé leur force principale avec beaucoup moins de chariots pour les protéger.

S’ils n’étaient pas entièrement équipés pour se défendre contre la cavalerie, alors les deux mille misérables troupes d’infanterie ne feraient pas le poids face aux sept mille cavaliers du Clan de la Panthère.

De plus, la tactique de la forteresse de wagons consistait fondamentalement à tenir le terrain contre l’ennemi et à lui tirer dessus lorsqu’il attaquait.

En d’autres termes, même si le Clan de la Panthère était encerclé maintenant, il n’y avait aucune chance que les groupes à sa gauche et à sa droite se rapprochent pour attaquer. Cela nécessiterait après tout de sacrifier les défenses fournies par les chariots lorsqu’ils étaient verrouillés en place. Il n’y avait rien à craindre.

« On dirait qu’ils sont vraiment confus, » murmura Sigyn.

L’ennemi s’était tellement préoccupé d’essayer d’éliminer les moyens de fuite de son camp qu’il avait oublié le plus important : ils devaient être capables de la vaincre.

Peut-être s’étaient-ils convaincus d’avoir été choisis par les dieux pour être victorieux dans cette bataille. Si les dieux étaient de leur côté, alors bien sûr, ils ne pouvaient pas être vaincus.

Il est certain que la seule chose qui pourrait renverser la situation désespérée et sans espoir du Clan de la Corne en ce moment serait un miracle divin.

Cependant, en tant que praticienne de la magie seiðr, Sigyn pouvait être certaine d’une chose. Les dieux n’étaient pas assez gentils pour montrer une telle faveur aux humains.

Les miracles étaient un événement rare lié au bon vouloir des dieux. C’est pourquoi c’était des miracles.

Sigyn avança une main, et cria à ses guerriers. « À toutes les troupes, chargez ! Attaquez les troupes du Clan de la Corne sur notre front, et mettez-les en pièces ! »

Elle était pleine de confiance à ce moment-là, absolument sûre de sa victoire.

Bien sûr, elle n’avait aucun moyen à ce moment-là de connaître la vérité.

Au plus profond des rangs des commandants de l’armée du Clan de la Corne se cachait un jeune homme qui était semblable à un dieu de la guerre dans les esprits révérencieux de son peuple.

Lorsque la bataille commença, l’air était devenu bruyant avec le sifflement d’un volume massif de flèches coupant l’air, tirées par les troupes du Clan de la Corne.

Haugspori était, après tout, un maître archer. Il était logique qu’il ait rassemblé un certain nombre d’autres archers talentueux comme subordonnés dans son armée.

Les cavaliers du Clan de la Panthère étaient également d’excellents archers, mais les arcs de plus petite taille qu’ils utilisaient à cheval ne pouvaient pas atteindre l’ennemi à cette distance. En effet, s’ils y parvenaient, ce serait un exploit stupéfiant.

Cela dit, la masse de flèches perdait beaucoup de vitesse en traversant une si longue distance. Les combattants d’élite du Clan de la Panthère pouvaient utiliser leurs gantelets ou leurs épées courtes pour les dévier facilement.

En fait, tout ceci était en accord avec les prédictions de Sigyn. Il n’y avait pas eu de vraies pertes à proprement parler.

Ou plutôt, cela avait été le cas jusqu’à maintenant.

Bang ! Ba-bang ! Ba-ba-ba-ba-ba-ba-bang !!

Tout à coup, elle avait été entourée d’un bruit qu’elle n’avait jamais entendu auparavant, un son terrible qui lui faisait mal aux oreilles.

Ce n’était pas seulement du bruit.

Dans tous les rangs du Clan de la Panthère, il y avait des éclats de feu qui volaient dans tous les sens.

Les chevaux s’étaient mis à hennir, alors que les soldats du Clan de la Panthère se mettaient à crier.

« Aïe, ça brûle ! Qu’est-ce que c’est que ça !? Uwaah !!! »

« Wh-whoaaa, c-calme-toi ! Calme-toi, ma fille ! Eeek ! »

« Des serpents faits de feu !? Non, n’approchez pas, n’approchez pas ! Wôw ! Guaagh ! »

Ce qui ressemblait à des serpents rouge vif enroulés autour de flèches avait atterri parmi le Clan de la Panthère et avait commencé à cracher de la lumière, du feu et du bruit, s’agitant sauvagement et s’enroulant autour des jambes des chevaux.

Les chevaux sont, par nature, des créatures très facilement effrayées. Et, naturellement, ces choses terrifiantes qui crachaient du feu, de la lumière et du son étaient quelque chose qu’aucun des chevaux n’avait jamais rencontré auparavant.

Même les magnifiques chevaux élevés dans les vastes plaines de Miðgarðr, réputés pour leur courage supérieur à la moyenne, ne pouvaient s’empêcher d’être pris d’une panique frénétique.

Ils se cabraient, rejetant leurs cavaliers.

Pire encore, ils tentaient désespérément de fuir l’endroit, se heurtant les uns aux autres dans leur panique.

Ils avaient également percuté les soldats à pied, les envoyant voler.

Quelques dizaines de secondes seulement après le lancement des premières flèches, les troupes du Clan de la Panthère étaient plongées dans un état de pandémonium total.

Et ce n’était pas tout.

Alors que les serpents de feu semblaient commencer à se calmer, comme s’ils avaient été calculés pour ce moment, une deuxième vague de flèches avait atterri au milieu d’eux.

Bang ! Ba-bang ! Ba-ba-ba-ba-ba-ba-bang !!

Les bruits d’explosion, les éclairs de lumière et les éclats de feu recommencèrent sans remords, entraînant les soldats et les chevaux dans un nouveau chaos.

« Rrrraaaaaggghhh !!! » C’est alors que les troupes du Clan de la Corne poussèrent un énorme cri de guerre et chargèrent.

L’armée du Clan de la Panthère, chevaux et cavaliers confondus, était déjà frappée de peur face à cette étrange diablerie qu’ils n’avaient jamais rencontrée auparavant, et ils n’étaient pas en état de se battre.

Même s’ils voulaient fuir, les murs des wagons bloquaient les deux flancs, et la rivière Körmt était dans leur dos.

Réaliser qu’ils n’avaient nulle part où aller n’avait fait qu’attiser la peur dans le cœur des combattants du Clan de la Panthère.

« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se passe ? » L’assurance de Sigyn s’était évanouie, elle était pâle comme un fantôme et jetait des regards pressés dans tous les sens.

Elle était tellement perplexe devant la situation insondable qui se déroulait autour d’elle qu’elle avait oublié de continuer à donner des ordres à ses troupes.

Bien sûr, même si elle avait essayé de le faire, personne n’y aurait répondu.

Ce n’était plus une bataille entre deux armées.

Le massacre de l’armée du Clan de la Panthère avait commencé.

***

Partie 4

Le pétard : Type primitif de feu d’artifice fabriqué en enfermant un mélange incendiaire, tel que la poudre à canon, à l’intérieur d’un petit tube fait de bambou, de papier épais ou de matériaux similaires, qui peut ensuite être allumé à l’aide d’une mèche et exploser en produisant de la lumière et du son.

C’était l’un des objets que Yuuto avait ramené à Yggdrasil du monde moderne.

Au Japon, les pétards étaient des objets destinés à l’amusement et, s’ils pouvaient faire un peu de mal, ils n’avaient pas la force létale d’une arme.

Cependant, contrairement aux autres types de feux d’artifice, au lieu de créer une jolie explosion de couleurs vives, ils étaient destinés à faire un bruit incroyablement fort.

Pour être francs, ils ne serviraient à rien de plus qu’un bluff.

Cela étant dit, on peut toujours citer l’exemple historique japonais de la célèbre bataille de Nagashino : selon une théorie, la véritable cause de la victoire d’Oda Nobunaga n’était pas l’utilisation de tirs de volée à trois niveaux avec les fusils dont il disposait. La théorie était plutôt qu’au lieu des balles elles-mêmes, le son terrible produit par les fusils terrifia les chevaux de l’ennemi, ce qui fut la cause de leur défaite.

On raconte que lors des invasions mongoles au Japon, les samouraïs qui se défendaient et leurs chevaux avaient été terriblement surpris et effrayés par les armes à poudre utilisées par les Mongols.

Bien sûr, la première forme de poudre à canon avait été inventée au 9e siècle en Chine, donc selon les normes d’Yggdrasil, c’était encore quelque chose qui se trouvait dans plus de deux mille ans dans le futur.

Il n’y avait tout simplement aucune chance pour que ces gens aient eu une connaissance préalable des explosifs, et donc une grande quantité de pétards jetés au milieu d’eux provoquerait une confusion que même un général habile et charismatique ne pourrait pas apaiser.

Cela vaut doublement pour l’armée du Clan de la Panthère, composée uniquement de combattants à cheval.

« Sonnez tous les gongs de guerre, et continuez à frapper ! » Yuuto avait élevé la voix, aboyant des ordres en une succession rapide. « Dites à toutes les unités de crier encore plus fort ! Nous allons profiter de cet élan et les balayer tous en même temps ! »

Avec cinq cents soldats envoyés de chaque côté pour flanquer l’ennemi à gauche et à droite, la formation principale du Clan de la Corne comptait actuellement deux mille hommes.

L’armée du Clan de la Panthère devant eux comptait sept mille hommes, soit plus de trois fois leur force.

Pour l’instant, les forces du Clan de la Corne avaient un avantage écrasant, grâce à la peur et à la panique qui s’emparaient de leurs ennemis, mais elles seraient rapidement repoussées si les troupes du Clan de la Panthère reprenaient le contrôle d’elles-mêmes, grâce à cette différence de nombre.

Afin d’éviter cela, le Clan de la Corne devait mettre le plus de pression possible sur l’ennemi, en lui ôtant toute chance de reprendre son souffle et ses esprits.

Si cette question n’était pas réglée immédiatement, d’un seul coup, le Clan de la Corne n’aurait aucun moyen de remporter la victoire.

À l’âge de seize ans, Yuuto avait déjà vécu un grand nombre de batailles et était devenu un commandant vétéran. Il n’allait pas manquer un moment aussi critique.

« Uurrraaaaaaghhh !!! » Les troupes du Clan de la Corne poussèrent un rugissement encore plus fort et déchirèrent le Clan de la Panthère.

Du haut de son char, Yuuto pouvait voir les cadavres des soldats du Clan de la Panthère éparpillés sur le sol.

En regardant le visage des soldats morts, on pouvait deviner leur état d’esprit dans leurs derniers instants.

Aucun de ces visages n’était celui d’un guerrier. Chacun d’entre eux était figé dans une expression tordue de peur.

Ces visages avaient montré que, même si les soldats du Clan de la Panthère étaient une force compétente, considérée comme l’une des plus fortes de tout Yggdrasil, ils n’étaient rien de plus qu’une foule indisciplinée qui avait oublié comment utiliser ses armes et ses chevaux.

En revanche, le Clan de la Corne sous le commandement de Yuuto était une armée se déplaçant avec une seule volonté unie. Peu importe que cette force ennemie soit trois fois plus nombreuse que la leur ou dix fois plus nombreuse, elle n’était plus une menace pour eux.

Alors que les soldats du Clan de la Panthère couraient dans tous les sens pour tenter de fuir, ils étaient massacrés par le Clan de la Corne de manière totalement inégale. Cela avait continué pendant un certain temps.

Lorsqu’ils avaient compris que leur seule chance de survie était de jeter leurs armes et de lever leurs mains vides en signe de reddition, plus de la moitié d’entre eux étaient déjà morts.

« Bon, comment vais-je m’y prendre avec eux ? » murmura Yuuto pour lui-même. Posant son menton dans sa main, le coude sur le rebord du char, il poussa un gros soupir.

Il n’avait pas encore obtenu un compte rendu des chiffres exacts, mais il était évident que ses prisonniers capturés étaient plus nombreux que ses propres troupes. C’était un cas inhabituel pour lui, et il était un peu perplexe sur la meilleure façon de le gérer.

Il s’était assuré d’être sur ses gardes pour éviter qu’ils ne feignent de se rendre afin de lancer une attaque furtive. Mais, en regardant leurs visages pâles et leurs yeux sans vie, il était clair qu’ils n’étaient que des coquilles de leur ancien moi, vidés de toute volonté de se battre, et il avait donc décidé de les emmener en captivité.

Un petit groupe essayant de faire prisonniers un groupe beaucoup plus important, cela signifiait qu’il y avait de nombreuses chances pour que certains d’entre eux s’enfuient, mais personne n’avait tenté de s’échapper alors même qu’ils n’étaient pas attachés. Cela montrait à quel point les combattants du Clan de la Panthère étaient épuisés.

« Je préférerais certainement éviter de les tuer, mais…, » Yuuto s’interrompit, les sourcils profondément froncés.

Tous ces captifs étaient des combattants d’une incroyable habileté, des maîtres des techniques équestres qu’aucun autre clan d’Yggdrasil ne pouvait égaler, surpassant même les plus grands soldats du Clan du Loup, l’unité d’élite des forces spéciales de Múspell dirigée par Sigrun. S’il pouvait les mettre de son côté, ils seraient ses alliés les plus forts et les plus fiables.

Bien sûr, peu de gens pardonneraient à ceux qui avaient tiré l’épée contre leur patrie et leur peuple.

Même si certains d’entre eux acceptaient de se soumettre au clan de Yuuto, il ne pouvait pas être sûr qu’ils ne le trahiraient pas, et il avait donc peur d’intégrer un grand nombre d’entre eux dans ses forces de combat.

D’un autre côté, il n’était pas réaliste d’essayer de se déplacer avec un groupe de captifs plus nombreux que ses propres forces, et encore moins de tenter de combattre l’ennemi dans cet état.

Même maintenant, la capitale du clan de la Corne, Fólkvangr, était toujours encerclée par l’ennemi, et il devait s’y rendre au plus vite, il ne pouvait donc certainement pas se permettre de prendre son temps pour ramener d’abord les prisonniers sur le territoire du Clan du Loup.

Il fallait donc les tuer. Il n’était pas nécessaire de les tuer tous, mais suffisamment pour ramener leur nombre à un niveau qu’il pouvait raisonnablement gérer et contrôler. C’était un choix valable, dans un sens, car c’était une pratique qui avait lieu depuis des temps immémoriaux.

Plus que tout, il fallait tenir compte de la grave pénurie de nourriture. Les choses étaient déjà très tendues, et maintenant ils avaient deux fois plus de bouches à nourrir. Cela ne ferait qu’empirer les choses.

« Tch, il n’y a vraiment pas d’autre moyen ? » Yuuto fit claquer sa langue en signe de frustration, serrant les poings en regardant dehors avec une expression sinistre.

Lorsqu’il avait pris la décision de revenir dans ce monde, il s’était également résigné à être prêt à devenir aussi féroce et impitoyable qu’un démon s’il le fallait. Mais il ne s’attendait pas à devoir faire un tel choix si tôt après son retour.

« Suis-je mis à l’épreuve ? Par le destin, ou par quelque chose d’autre ? » Yuuto avait serré les dents si fort que ses molaires avaient commencé à lui faire mal.

S’il était le Yuuto d’avant son renvoi dans le monde moderne, il n’aurait jamais pu se permettre d’envisager l’option de tuer des prisonniers, des gens qui ne se défendaient pas.

Mais maintenant…

Maintenant qu’il connaissait la vérité sur Yggdrasil…

« Père, bonne nouvelle, bonne nouvelle ! » Une jeune voix joyeuse s’était soudain élevée, douce et déplacée sur un champ de bataille, détruisant en un instant la tension du moment.

« Hein !? » Surpris, Yuuto s’était retourné.

Un visage souriant, aussi lumineux qu’un tournesol, qui n’avait pas sa place sur un champ de bataille, était apparu. Il s’agissait d’une adorable jeune fille de douze ou treize ans, dont les cheveux étaient attachés en une queue de cheval sur le côté droit.

La fille s’appelait Albertina, et c’était la sœur jumelle de Kristina, la fille en mission de reconnaissance qui avait communiqué avec Yuuto sur l’émetteur-récepteur.

Albertina était une Einherjar avec la rune Hræsvelgr, la provocatrice des vents, et elle avait un talent naturel pour l’assassinat, mais en temps normal, elle était une petite fille innocente et insouciante.

« Quelle est la bonne nouvelle ? » Yuuto demanda, bien que dans son esprit, il supposait déjà qu’il s’agissait d’une chose insignifiante, comme le fait qu’elle avait trouvé certains de ses aliments préférés dans les fournitures prises aux troupes du Clan de la Panthère.

Il avait trouvé ses attentes contredites, dans le bon sens du terme.

« Mon père du Clan de la Griffe se dirige par ici avec mille cinq cents de ses soldats. On dirait qu’il sera en mesure de nous rejoindre demain. »

« Ah ! Sérieusement !? » Yuuto sursauta, et il avait saisi les épaules d’Albertina en l’interrogeant, la secouant d’avant en arrière avec excitation.

« Ouais, sérieusement. Sérieusement… Oooghh ! » Albertina répéta sa réponse à Yuuto, étourdie par les secousses de sa tête.

Yuuto réalisa qu’il avait dû perdre son sang-froid devant une si grande nouvelle en la secouant de toutes ses forces.

Il se reprocha de ne pas avoir été plus doux avec elle. Elle était physiquement adaptée pour se déplacer à grande vitesse, sa spécialité, mais à part cela, elle avait le corps d’une fille typique de son âge.

« Oh, mais pourquoi est-ce toi qui es ici, Al ? » demanda Félicia, en inclinant la tête sur le côté d’un air perplexe.

C’était presque toujours le rôle de Kristina d’apporter ce genre de rapports de renseignement à Yuuto.

« Kris est partie travailler en ce moment, alors je suis venue à sa place. »

« Ahh, d’accord, » répondit Yuuto en hochant la tête.

Kristina était au milieu d’une mission de reconnaissance — en d’autres termes, elle utilisait actuellement sa capacité à effacer sa présence, et il serait presque impossible pour quiconque de la trouver. Même les propres subordonnés-espions de Kristina auraient sûrement jugé plus facile d’aller chercher Albertina dans les rangs de l’armée du Clan de la Corne.

« Il est tout de même surprenant que Botvid ait envoyé des renforts aussi rapidement, » fit remarquer Sigrun.

Le patriarche du Clan de la Griffe, Botvid, était connu pour être un serpent rusé et astucieux, à tel point qu’on l’avait surnommé la Vipère de Bifröst.

Yuuto avait entendu des histoires de l’époque avant qu’il ne soit le patriarche du Clan du Loup, quand ils avaient goûté à beaucoup de souffrances provoquées par les mains de Botvid.

Yuuto avait supposé que le Botvid, prudent et calculateur, ne ferait pas un geste pour l’aider alors que le Clan du Loup semblait encore en situation de désavantage.

Il n’aurait jamais imaginé que cet homme lui viendrait en aide maintenant, avant même que la nouvelle ne lui parvienne de la grande victoire qui venait de se produire. C’était une heureuse erreur de calcul.

« C’est vrai, mais… si le Clan de la Griffe vient, alors les choses s’arrangeront. » Yuuto avait de nouveau serré les poings, mais cette fois, c’est avec un sentiment de triomphe.

S’il confiait aux troupes du Clan de la Griffe la mission d’escorter les prisonniers jusqu’au territoire du Clan du Loup, il pourrait emmener toute la force du Clan de la Corne avec lui pour aller libérer Fólkvangr.

***

Partie 5

Botvid était le même homme qui avait à l’origine trompé le précédent patriarche du Clan du Loup et volé une grande partie du territoire du Clan du Loup, et qui avait ensuite amadoué plusieurs des petits clans environnants pour qu’ils lui viennent en aide et se battent pour lui. En d’autres termes, il avait un don incroyable pour utiliser les autres à son avantage.

Il s’agissait d’un nombre énorme de prisonniers, et il y avait donc une chance assez raisonnable que des problèmes surviennent pendant leur transport. Ce serait une tâche difficile, mais il y avait peu d’hommes plus aptes à le faire.

Et, tout comme les mauvaises nouvelles arrivent rarement seules, il en allait de même pour les bonnes nouvelles.

« Mon oncle, nous avons trouvé quelqu’un de très important parmi les prisonniers ! » Haugspori, qui avait été chargé de sécuriser et de superviser les prisonniers, était revenu en courant aux côtés de Yuuto, très excité.

« Important ? » demanda Yuuto.

« Oui. C’est la femme du patriarche actuel du Clan de la Panthère, Hveðrungr, et aussi leur patriarche précédent : Sigyn. »

 

Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de regarder avec des yeux écarquillés la belle femme qui s’était présentée devant lui.

Dans l’esprit de Yuuto, lorsqu’il s’agissait de beauté, Sigrun et Félicia étaient les deux pinacles de toutes les personnes qu’il connaissait, mais cette femme était en fait à égalité avec elles.

Comme Félicia, la femme portait une tenue qui révélait beaucoup de peau et semblait assez provocante.

Peut-être que cela avait quelque chose à voir avec le fait qu’elles pratiquaient toutes les deux la magie seiðr.

Son corps était encore plus voluptueux que celui de Félicia, et ses bras étant étroitement liés derrière son dos, elle semblait encore plus érotique.

Haugspori et les différents capitaines du Clan de la Corne qui lui étaient subordonnés étaient également réunis dans la grande tente du pavillon.

Une vague de murmures et de mouvements se répandit parmi eux au moment où la femme fut amenée, et on pouvait voir que plusieurs des hommes rougissaient.

Cependant, cela n’avait rien à voir avec le regard écarquillé de Yuuto.

C’était beaucoup plus simple que ça : il connaissait son visage.

C’était la première fois qu’il la voyait en personne, mais il l’avait « vue » deux fois maintenant, dans les moments juste avant que le sort de Fimbulvetr l’affecte.

Elle ressemblait alors exactement à ce qu’elle est maintenant.

« Feh. Alors vous êtes vraiment revenu, n’est-ce pas ? » La belle femme, Sigyn, cracha les mots avec amertume en apercevant Yuuto.

Le ton de sa voix était beaucoup plus grossier que ce que l’on pouvait deviner à son apparence.

Étant donné qu’elle avait été le précédent patriarche du Clan de la Panthère, elle devait être une chef capable de contrôler les hommes sauvages et turbulents de son clan. Bien sûr, elle devrait être bien plus qu’un joli visage.

« Alors quel genre de tour avez-vous utilisé, hein ? » demanda-t-elle. « Après tout, il n’y a aucune chance que cette fille là-bas soit capable de briser mon sort. »

En disant cela, Sigyn avait jeté un coup d’œil à Félicia, qui se tenait aux côtés de Yuuto.

En fait, c’est exactement ce qu’elle disait : l’incantation de la Gleipnir de Félicia avait été facilement repoussée par le Fimbulvetr de Sigyn.

« J’ai reçu un peu d’aide d’un utilisateur de seiðr avec des runes jumelles, » déclara froidement Yuuto.

« … Quoi ? » La réponse avait laissé Sigyn temporairement abasourdie.

C’était naturel, bien sûr. Il n’y avait qu’une seule personne dans Yggdrasil connue pour avoir deux runes autres que Steinþórr, et c’était le Þjóðann, la Divine Impératrice.

L’idée qu’un personnage aussi prestigieux soit personnellement impliqué dans cette affaire était complètement hors de portée de Sigyn.

« Wôw, dire que vous aviez des relations comme ça, hein ? » dit-elle enfin. « Vous êtes un gars effrayant. Mais êtes-vous vraiment d’accord avec ça ? Vous êtes allé briser mon sort par la force brute. Je dirais que ça veut dire que vous ne pourrez probablement plus jamais retourner dans votre pays natal. »

« J’étais prêt à accepter cela, » répondit Yuuto sans aucune hésitation.

En effet, c’est une chose à laquelle il avait fait face lorsqu’il avait pris la décision de revenir dans ce monde. À ce stade, ce n’était plus quelque chose sur lequel son esprit avait besoin de s’attarder, même un peu.

« Oh, d’accord, » dit-elle. « Alors, qu’allez-vous faire de moi ? Allez-vous essayer de faire de moi un otage contre Rungr ? Désolée de vous l’apprendre, mais en ce moment, lui et moi sommes en froid. Je ne serai d’aucune utilité dans vos négociations. »

Sigyn avait lancé un regard perçant à Yuuto, puis avait émis un « Héhé » moqueur, se moquant de lui.

Yuuto la regarda fixement, avec son visage sans émotion et en clignant des yeux, comme s’il était perplexe. Il avait ensuite émis un petit éclat de rire.

« Qu’est-ce qui est si drôle, hein ? » avait-elle demandé.

« Ah, non, mes excuses. » Yuuto s’était empressé de réprimer son rire.

C’était exactement comme Sigyn l’avait dit. Elle était, après tout, le patriarche précédent, et à la fois l’épouse et le parent juré du Chalice actuel. Il était tout à fait naturel de considérer d’abord sa valeur potentielle en tant qu’otage.

Mais bien que cela puisse être naturel, du point de vue de Yuuto, cette pensée était complètement fausse.

Elle était capable de défaire la Gleipnir de Félicia, et cela faisait d’elle une carte maîtresse que Yuuto voulait avoir dans sa poche si le moment était venu. Et il serait donc complètement absurde d’envisager de l’utiliser comme monnaie d’échange, pour éventuellement la rendre au Clan de la Panthère.

Yuuto s’était retourné et avait donné un ordre. « Traitez cette femme avec soin et respect, et raccompagnez-la à Iárnviðr. Une attention et un respect appropriés sont nécessaires. »

 

« Qu… quoi !? Dis-le encore une fois ! » La voix de Hveðrungr s’élevait jusqu’à un cri sous l’effet de la surprise, et son corps tremblait.

Ce n’est pas qu’il n’avait pas entendu ce qui venait de lui être rapporté. Plutôt, le rapport semblait impossible, bien trop impossible pour être vrai, et son esprit essayait de le rejeter.

Cependant, la réalité est une maîtresse cruelle et insensible.

« Oui, monsieur, » déclara le soldat du Clan de la Panthère, nerveux. « La formation principale de sept mille hommes sous le commandement de Lady Sigyn a été attaquée par le Clan de la Corne avec des serpents de feu, et ils ont été anéantis, monsieur. »

« J’ai peur d’avoir bien entendu, après tout. Anéantis !? Que veux-tu dire par “anéantie” ? » Hveðrungr hurla de rage sur le soldat en face de lui.

Ce soldat du Clan de la Panthère recroquevillé avait l’air de s’être longuement battu, avec des blessures à peine soignées sur tout le corps, et on pourrait dire qu’il est cruel de l’interroger d’une manière aussi dure, mais dans cette situation particulière, on ne pouvait pas faire grand-chose pour éviter cela.

« Exactement ça, monsieur, anéanti, » dit-il en tremblant. « Moi y compris, je pense que moins de cent soldats ont réussi à s’échapper. »

« Rgh... ! Alors pourquoi les choses se sont-elles retrouvées dans un état aussi stupide !!? » pressa Hveðrungr.

Si son clan avait simplement perdu la bataille, ce serait au moins dans le domaine de la logique.

Une bataille de campagne est une question d’élan. Une fois que les choses penchent fortement en faveur d’un camp, le combat est essentiellement terminé, et le camp perdant se retire rapidement.

C’est grâce à cette pratique que, même en subissant une grande défaite, on ne perdait qu’environ vingt à trente pour cent de ses forces, et même si les pertes étaient beaucoup plus importantes que la moyenne, elles n’étaient toujours que de l’ordre de cinquante à soixante pour cent, au maximum.

Hveðrungr n’avait jamais entendu parler d’un camp perdant plus de quatre-vingt-dix pour cent de ses hommes en une seule bataille.

« L’ennemi a bloqué nos côtés gauche et droit avec ses “murs de wagons”, et a utilisé la rivière Körmt derrière nous pour couper notre retraite. Une fois que nous n’avions plus nulle part où fuir, ils nous lançaient ces serpents de feu, et nous ne pouvions même pas essayer de nous défendre à ce moment-là. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Que sont ces “serpents de feu” ? » Les cris de Hveðrungr étaient devenus plus aigus.

Il n’était pas un homme très patient pour commencer. Rien de ce qu’il avait entendu jusqu’à présent n’avait de sens, et cela l’avait rendu fou.

« C’était des sortes de bâtons attachés ensemble qui faisaient un bruit, une lumière et un feu terribles, monsieur. Ils se déplaçaient et se tordaient sur le sol comme des serpents, et les chevaux étaient si terrifiés que nous ne pouvions pas du tout les contrôler… »

« Grrrgh, ils avaient donc quelque chose comme ça avec eux… mais où l’ont-ils eu !!? »

« Hum, monsieur, à ce propos, c’est peut-être juste ma vision des choses, mais quand les troupes du Clan de la Corne nous ont chargés, j’ai vu un adolescent aux cheveux noirs parmi eux. »

« Quoi !? » Hveðrungr était resté sans voix. Mais en même temps, tout semblait avoir un sens.

Cette situation qui semblait défier toute logique du monde — c’était quelque chose qui ne pouvait jamais arriver, à moins qu’il ne soit impliqué.

Ces soi-disant serpents de feu étaient vraiment quelque chose que cet homme utiliserait.

« Pourquoi !? Jusqu’à quel point comptes-tu te mettre en travers de ma conquête, Yuuto !?? » s’écria Hveðrungr d’une voix imbibée de rancœur, et serra fortement les dents.

Yuuto était la némésis maudite de Hveðrungr, pour qui toute la haine de son cœur ne semblait pas encore suffisante. Hveðrungr avait longtemps désiré, par-dessus tout, avoir la chance de tordre le cou de Yuuto de ses propres mains.

En apprenant que Sigyn avait forcé Yuuto à retourner à son époque, Hveðrungr avait été furieux, et s’était même demandé s’il pouvait trouver un moyen de ramener le jeune homme dans ce monde.

Après avoir appris que c’était impossible, il avait abandonné et s’était résigné à un objectif secondaire : conquérir et régner sur toutes les terres des régions de Myrkviðr et Álfheimr.

Et il avait été si proche, vraiment à quelques pas de ce but, seulement pour se le faire arracher si complètement et totalement !

Pire encore, il ne pouvait pas accepter le fait que cela se soit passé hors de sa vue, sous le commandement de quelqu’un d’autre.

Non, il ne pouvait pas accepter que ce conflit ait déjà été décidé avant même qu’il ait eu la chance de combattre directement son ennemi.

« Que devons-nous faire maintenant, Père ? » Narfi, debout aux côtés de Hveðrungr, avait abordé la question d’un air inquiet.

Narfi était l’un des généraux vétérans du Clan de la Panthère, un Einherjar avec la rune Skinfaxi, la crinière brillante.

Le féroce guerrier général Váli avait été tué au combat, et maintenant que la situation de Sigyn était inconnue, Narfi était le seul conseiller proche de Hveðrungr.

« Maintenant qu’ils ont vaincu la division de Dame Sigyn, l’armée du Clan de la Corne va sûrement continuer sur sa lancée et presser l’attaque, » poursuivit l’homme. « Et s’ils possèdent une nouvelle arme aussi redoutable, alors j’ai le regret de dire que nos chances de victoire contre eux sont… »

« Tais-toi ! » Hveðrungr perdit son sang-froid et coupa Narfi d’un cri de colère. Pour l’instant, les paroles de son général de confiance ne faisaient que grincer à ses oreilles.

Il était resté là un moment, s’efforçant de réprimer sa colère, avec des respirations profondes, comme le halètement d’une bête sauvage agitée.

Enfin, il sembla retrouver un peu de sang-froid et répondit d’une voix tendue : « Je sais ! Bien sûr que je le sais ! »

Il serra son visage couvert d’un masque dans une main pendant qu’il parlait.

C’était une situation difficile à accepter pour lui, mais en ce moment, il ne pouvait pas se permettre de se perdre dans ses émotions.

« … Nous battons en retraite, » déclara enfin Hveðrungr.

C’était une décision amère à prendre, après être allé si loin contre le Clan de la Corne.

Cependant, comme Narfi l’avait dit, la nouvelle arme mystérieuse de l’ennemi était redoutable, lui ayant permis d’éradiquer une force de sept mille soldats du Clan de la Panthère.

La division détachée de Hveðrungr n’en avait que trois mille.

Il ne connaissait toujours pas les détails de cette arme « serpents de feu », et en plus de cela, l’ennemi avait toujours sa tactique du mur de wagons, une défense à toute épreuve contre une cavalerie comme la sienne.

Si Hveðrungr se perdait parfois dans ses émotions violentes à l’égard de Yuuto, au fond de lui, il était une personne calculatrice qui appréciait la logique solide.

Finalement, il n’était pas assez téméraire pour tenter sa chance dans une telle situation.

 

Pshht.

Alors que Yuuto se dirigeait avec ses forces vers Fólkvangr, l’émetteur-récepteur portatif à côté de lui avait soudainement émis un signal statique.

Il l’avait porté à son oreille. « Qu’y a-t-il, Kris ? Le Clan de la Panthère prépare-t-il quelque chose ? »

Yuuto avait chargé Kristina de poursuivre sa reconnaissance, cette fois dans la région de Fólkvangr.

Elle s’était un peu plainte, disant : « Tu ne devrais pas faire travailler une enfant si durement. » Mais se faufiler dans les rangs d’une armée de combattants d’élite à cheval n’était pas à la portée d’un espion ordinaire.

Elle était l’Einherjar de Veðrfölnir, le Silencieux des Vents, capable de se rendre pratiquement invisible. Il n’y avait personne de vivant mieux adapté à cette tâche qu’elle.

« Oui, Père, » répondit Kristina à travers l’émetteur-récepteur. « Les forces du Clan de la Panthère ont commencé à se déplacer vers le sud. Leur but est probablement de traverser la rivière Körmt et de se retirer dans le territoire du Clan de la Foudre. »

« Donc ils fuient. Eh bien, c’est ce à quoi je m’attendais. » Yuuto s’était appuyé sur le rebord du chariot.

Yuuto connaissait Hveðrungr — ou plutôt Loptr — comme un homme aux manières douces et aux propos aimables, mais qui était très rusé et calculateur en coulisses.

Il n’était tout simplement pas du genre à apprendre la terrible nouvelle de la perte d’une force entière, sept mille de ses hommes, et à se mettre lui-même et le reste de son armée en danger.

« Cela fait de cette victoire une victoire complète et incontestée pour nous, » dit Kristina. « Impressionnant comme toujours, Père. »

« Non, on n’a pas encore fini, » Yuuto avait répondu à l’éloge par un ferme démenti.

Jusqu’à présent, l’armée du Clan de la Panthère s’était targuée non seulement d’une mobilité supérieure dans son ensemble, mais aussi de sa capacité à utiliser sa technique fétiche, le Tir parthe, pour tuer ses poursuivants tout en se retirant en toute sécurité. Pour cette raison, Yuuto n’avait fait que les repousser chaque fois, se gardant bien de les poursuivre par la suite.

Peut-être y avait-il un autre facteur : au fond de lui, Yuuto voulait éviter de se battre contre le frère aîné qu’il respectait tant. Cependant, il ne pouvait plus se permettre le luxe de tels sentiments.

« Si on continue à les laisser nous attaquer quand ils veulent, ils vont nous épuiser, » dit Yuuto. « Cette fois, nous allons les combattre. »

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