Acte 5
Partie 3
« Hmph, tu t’es tant vanté, mais à la fin ça n’a pas été grand-chose, n’est-ce pas, Váli ? » Hveðrungr fixa froidement son subordonné tremblant, qui était venu le rejoindre alors qu’il voyageait avec la force principale de l’armée du Clan de la Panthère.
Váli avait la réputation d’être le plus grand guerrier du Clan de la Panthère, mais maintenant il était dans un triste état, et son corps était couvert de blessures occasionnées par des flèches.
Et c’était sans parler du fait qu’il avait aussi perdu la moitié des combattants d’élite qu’il avait sous ses ordres.
En repensant à la façon dont il s’était vanté d’avoir pu écraser toutes les forces restantes du Clan du Sabot avec sa propre petite bande de guerres, ce résultat n’était rien de moins que pathétique.
« Les rapports à leur sujet étaient tous faux, Père ! » protesta Váli. « Ils… ils ont pu tirer rapidement avec des arbalètes ! N’était-on pas censés pouvoir tirer cinq tirs pour chacun des leurs !? »
« … Hm. Donne-moi plus de détails, » déclara Hveðrungr.
« Eh bien, je ne pouvais pas vraiment voir tout ça très bien, mais on aurait dit qu’ils l’avaient installé de façon à ce que le gars à l’avant tire, tandis que deux gars derrière lui préparaient une arbalète pour le tir suivant, pour qu’ils puissent charger et tirer plus rapidement… »
Váli était le plus grand archer à cheval du Clan de la Panthère, et ses yeux étaient aussi les plus aiguisés. Même au milieu de la bataille — non, surtout au milieu de la bataille — ses yeux étaient capables de repérer et de suivre les mouvements de son ennemi à distance.
« Oho, je vois, » déclara Hveðrungr. « C’est donc son jeu. Bon travail. Tu peux te retirer maintenant. »
« S’il vous plaît, attendez, Père ! Je peux encore me battre ! S’il vous plaît, donnez-moi une chance de me racheter pour cette humiliation et de me venger ! Je vous en supplie ! » déclara Váli.
« Hm ? Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que je vais te laisser faire ça. » Hveðrungr descendit agilement de son cheval et frappa une main sur l’épaule de Váli. « Tu as fait ton travail, comme je te l’ai ordonné. Je récompense correctement mes loyaux subordonnés pour leur travail, et même s’ils échouent, je leur donne une seconde chance. Alors, Váli, je peux m’attendre à ce que ton service fidèle continue, n’est-ce pas ? »
« Oui, Père ! Je vous remercie ! Merci infiniment ! » En entendant des paroles si généreuses de son patriarche, Váli leva la tête inclinée pour montrer un visage étouffé par les larmes.
Hveðrungr avait souri et hocha la tête fermement en réponse, et saisit l’épaule de Váli de plus près.
Et alors que l’aura de méchanceté nichée dans ses yeux semblait soudain émaner vers l’extérieur, cela avait écrasé Váli en raison d’une pression invisible.
« Et si tu désobéis à mes ordres… si tu me trahis… tu sais ce qui va se passer, non ? » demanda Hveðrungr.
« Oui, Père… Je l’ai déjà pris à cœur, » déclara Váli.
« Bien, alors. J’attends avec impatience tes performances lors de la prochaine mission. » Hveðrungr hocha de nouveau la tête, satisfait du tremblement terrifiant qu’il pouvait ressentir de l’épaule de Váli. Il se leva et monta sur son fidèle coursier.
Il avait eu tout le temps pour se reposer. L’ennemi devrait être assez proche maintenant, alors il devait se dépêcher.
« Heehee ! On dirait que tu as fini par domestiquer Váli, » fit remarquer Sigyn depuis sa position au sommet d’un cheval à côté de lui.
Hveðrungr s’était moqué. « Oui, et maintenant l’imbécile n’agira plus tout seul ou ne reviendra plus en arrière. C’était un bon remède pour lui. »
Sigyn avait souri à son mari et elle ajouta. « Et j’étais là, si inquiète que tu puisses le faire exécuter sur le champ, après tout ce qui s’est passé. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? Je suis un homme généreux envers les gens qui suivent mes ordres et montrent leur loyauté. Et l’homme a fait du bon travail pour moi. Il n’y a aucune raison de le punir, » alors que Hveðrungr disait ça, un sourire malicieux s’était répandu sur son visage.
Il savait depuis le début qu’un imbécile aussi simple d’esprit que Váli ne s’avérerait pas être un adversaire redoutable pour son ennemi juré. Ce gosse excellait dans les plans rusés et lâches, tout comme celui qui avait poussé Hveðrungr dans cet exil.
Hveðrungr avait prédit que Yuuto trouverait une sorte de contre-mesure contre sa cavalerie.
Si Hveðrungr avait simplement permis à son avant-garde de faire une retraite propre, presque indemne, l’ennemi serait sûrement resté sur ses gardes. Mais, en faisant perdre à Váli certains de ses hommes et en subissant un certain degré de défaite avant de s’enfuir, il pouvait maintenant renforcer la confiance de l’ennemi dans sa victoire contre le Clan de la Panthère. Cela les inciterait certainement, de bonnes humeurs, à venir reprendre Myrkviðr.
Oh oui, Váli avait bien fait son travail.
« Selon le rapport de Narfi, le Clan du Loup compterait environ huit mille soldats, non ? » demanda Hveðrungr.
« C’est exact, » confirma Sigyn avec désinvolture. « On dirait qu’ils ont passé l’année dernière à s’agrandir à un bon rythme. Il est peut-être encore jeune, mais il semble que ce garçon soit un leader compétent. »
Les clans nomades de Miðgarðr croyaient fermement à l’importance de la capacité par-dessus tout.
Comme c’était le cas avec l’actuel patriarche du Clan de la Panthère Hveðrungr, même quand il s’agissait de gens de l’extérieur, ils n’avaient aucun scrupule à voir quelqu’un digne d’une place à leur tête.
C’était une différence entre eux et le Clan du Loup : si ce dernier maintenait une méritocratie qui valorisait la force et la compétence, il permettait aussi l’existence de personnes comme Bruno et son groupe d’anciens, qui refusaient d’échanger le Serment du Calice avec le patriarche Yuuto, mais qui avaient toujours un certain statut.
C’était un point de fierté pour le Clan de la Panthère et pour Sigyn de reconnaître et de respecter même l’ennemi qu’ils combattaient.
« Hmph. En fin de compte, il ne s’agit que d’un pouvoir emprunté. Lui-même n’a rien de spécial, » la voix de Hveðrungr était faible et douce, mais il y avait une tension de haine qui semblait se trouver violemment dans le sous-entendu.
Sigyn n’avait jamais demandé à Hveðrungr ce qui lui était arrivé dans le passé. Une bonne femme sait qu’il ne faut pas fouiller dans le passé d’un homme, se dit-elle. Mais elle pouvait sentir la haine et la rage terrifiantes qui semblaient se répandre dans les yeux derrière ce masque. À en juger par cette réaction, il ne faisait aucun doute qu’il partageait un destin tordu avec le jeune patriarche du Clan du Loup.
« Kh-heheheheheh, viens me voir, Yuuto. Cette fois, c’est moi qui te tendrai un piège, » ses lèvres de Hveðrungr s’étaient tordues en un sourire sombre, ravies par ce qu’il anticipait.
D’après Váli, les forces du Clan du Loup devraient bientôt entrer dans la région, une région connue sous le nom de Náströnd.
Les mauvaises pulsions commencèrent à se répandre en lui.
Un peu plus, juste un peu plus.
Il connaissait très bien Yuuto. Les valeurs du garçon étaient un peu différentes de celles d’Yggdrasil, mais en y repensant maintenant, il avait aussi un état d’esprit propre à une personne résidant à l’étranger.
« Nous avons aussi plus de soldats. Mon armée ne peut pas perdre, » déclara Hveðrungr avec un ricanement confiant.
Si l’on excluait les anciens citoyens du Clan du Sabot qu’il avait réduits en esclavage, la population totale du Clan de la Panthère était inférieure à cinquante mille personnes. Il n’était pas si différent du Clan du Loup dans sa période la plus faible.
Cependant, lorsqu’un pays agricole était entré en guerre, au moins un dixième de sa population en âge de combattre ou plus devait rester à la maison pour entretenir ses fermes et son industrie. En revanche, pour les nations nomades comme le Clan de la Panthère, à l’exclusion des bébés, des personnes âgées et des esclaves, chaque homme du clan était un soldat participant.
De plus, la plupart des soldats enrôlés dans les armées d’une nation agricole n’avaient aucune formation militaire sérieuse, tandis que tous les hommes du Clan de la Panthère passaient leurs journées à chasser le gibier et à affûter leurs compétences à l’arc.
Et au cours de l’année écoulée, la pratique des étriers avait également permis à chaque membre du clan de se battre à cheval à l’aide d’armes.
La raison pour laquelle Hveðrungr n’avait stationné que trois mille soldats pour garder Myrkviðr était aussi pour mettre en scène une ruse — pour tenter son ennemi avec une force de nombre inférieur et leur faire baisser leur garde.
Et pour couronner le tout, la cavalerie du Clan de la Panthère possédait une autre arme toute-puissante en plus de son tir à l’arc à cheval mortel.
Hveðrungr ne voyait plus la moindre chance de défaite.
« Viens, Yuuto. Cette terre de Náströnd sera ta tombe. »
Náströnd.
Copier coller sur le dernier nom propre, il n’est pas vraiment réjouissant :
Dans la mythologie nordique, Náströnd (« rive des cadavres ») est la partie septentrionale de Hel, le royaume des morts. Il est dit que le serpent Nídhögg y suce le sang des corps des morts, et particulièrement des parjures (le parjure est le pêché capital dans cette religion). La halle de Náströnd aurait des murs faits de serpents et leur venin coulerait à flots de sorte que les condamnés marcheraient dans un fleuve de venin.