Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 4 – Chapitre 5 – Partie 2

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Acte 5

Partie 2

« Grand Frère, l’ennemi se retire ! » s’exclama Félicia avec enthousiasme.

« Oh ? On dirait qu’ils n’ont pas pu nous lâcher un tir cette fois-ci non plus, » dit Yuuto avec sarcasme, le coin de sa bouche se dressant en un sourire.

Comme toujours, la retraite du Clan de la Panthère fut rapide et coordonnée, mais les tirs de volée de trois rangs avaient bien réduit leur nombre.

Les cadavres des soldats tombés au champ d’honneur du Clan de la Panthère et leurs chevaux avaient permis de donner toutes les indications que le Clan du Loup avait réussi un exploit remarquable dans cette série de batailles. D’après les chiffres de leur première bataille, ils auraient pu éliminer environ la moitié des soldats de la bande de guerres de l’ennemi.

Il semblait que même les guerriers d’élite de la cavalerie du Clan de la Panthère ne pouvaient pas se défendre complètement contre une telle rafale de carreaux d’arbalète.

Yuuto n’avait pas réussi à vaincre le commandant ennemi, mais le fait de leur infliger autant de pertes les empêcherait d’être trop désireux de mener des raids simples pour le moment. Cela devrait donner à ses propres soldats une pause suffisante pour se détendre et dormir un peu.

« Pourtant, je suppose qu’en premier lieu, il n’y avait aucune chance que nous perdions contre leur seule unité d’avant-garde, » murmurait Yuuto.

Il savait que la vraie force de l’armée du Clan de la Panthère n’était pas dans ce genre de raid avec seulement quelques centaines d’hommes, même s’ils étaient des combattants d’élite. Le corps principal de leur armée était ailleurs.

L’unité qu’ils combattaient n’avait pour but que de les affaiblir.

Il venait de recevoir un rapport de Kristina, qu’il avait envoyée en avant, selon lequel les forces ennemies s’amassaient à Myrkviðr.

Ils étaient environ trois milles.

Et à en juger par le talent incroyable de l’unité d’avant-garde, on pouvait imaginer que ces trois mille hommes seraient assez forts pour mettre facilement à terre sa propre cavalerie des forces spéciales, l’Unité Múspell.

Yuuto avait tant lutté, pendant des jours, contre une force d’attaque de quelques centaines seulement. Ils étaient beaucoup moins nombreux que les forces du Clan du Loup, mais assez forts pour exiger toute leur attention.

Cela étant, il avait eu la chance que ses troupes soient capables d’utiliser des tirs de volée de trois rangs en combat réel maintenant, avant que le conflit principal ne commence.

Avec cela, il avait enfin acquis une tactique utile à utiliser contre la cavalerie.

 

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« … Voici le blé, l’orge, le sel et le vinaigre, et voici les munitions pour les arbalètes. » Ginnar désigna une par une la cargaison sur différents wagons tirés par des chevaux, en vérifiant chacun d’eux par rapport à une liste qu’il avait sur papier.

C’était un ravitaillement pour l’armée de Yuuto.

De toute évidence, les soldats ne pourraient pas survivre sans un approvisionnement suffisant en nourriture.

Ce qui était particulièrement frappant à la lumière de la dernière bataille, cependant, c’était qu’ils ne pouvaient pas se battre sans un nombre suffisant de flèches.

Et plus ils se battaient, plus ils épuisaient ces réserves.

Yuuto demandait à Ginnar et à d’autres commerçants de son réseau d’acheter des marchandises dans les villes voisines pour qu’ils puissent le ravitailler périodiquement.

La logistique militaire était le terme utilisé pour décrire la discipline et la compréhension des divers types de soutien du service de combat dont une armée avait besoin pour se maintenir en fonction.

L’importance accordée à la logistique militaire au XXIe siècle pourrait se résumer par une citation populaire de l’époque moderne. « Les amateurs en guerre parlent de stratégie. Les anciens combattants parlent de logistique. »

« Merci, Ginnar, » dit Yuuto. « Je commençais à m’inquiéter un peu, puisque nous avons abandonné beaucoup de nos rations à Sylgr, j’ai vraiment de la chance d’avoir un enfant aussi capable que toi. »

« Père ! Devez-vous vraiment continuer à faire ça, même dans un moment pareil ? » protesta Gunnar.

Yuuto avait ri. « Non, je suis aussi sérieux que possible cette fois-ci. »

Même si Yuuto avait suffisamment ri pour donner l’impression qu’il plaisantait, en vérité, il s’était vraiment senti profondément soulagé et reconnaissant.

Le Clan du Loup avait repris la ville de Sylgr en peu de temps, mais le Clan de la Panthère l’avait déjà privée de ravitaillement, y compris jusqu’au dernier morceau de nourriture, et les citoyens n’avaient même rien eu pour les amener au lendemain.

Il y avait bien sûr beaucoup de gens qui avaient été tués, ou kidnappés pour être utilisés ou vendus comme esclaves, mais il restait encore près de dix mille survivants dans la ville et ses environs.

Dans Yggdrasil, un membre de la population vivant dans un territoire ou un fief particulier était appelé « konr ». C’était un mot signifiant « descendant ».

Suivant la logique du système formé par le calice d’allégeance et les clans, les citoyens de son pays étaient en effet les descendants d’un patriarche, les enfants au bas de l’arbre généalogique.

Ce n’était pas tout à fait aussi idéaliste que le concept de « toute l’humanité comme des frères ». Mais Yuuto ne pouvait pas simplement fermer les yeux face à la souffrance des enfants d’un clan sous sa protection. De son point de vue de chef d’un clan fondé sur les liens familiaux, ils appartenaient à sa famille élargie.

« Pourtant, vous êtes vraiment un homme bon, Père, » dit Gunnar. « C’est un peu nai — euh, non, je veux dire, c’est juste un peu cra — ahhh, non… »

« Ha ha ha, ouais, ouais, ouais, je sais, je suis vraiment trop doux, » déclara Yuuto en riant d’un rire autodérisoire.

Dans son désir d’étudier, il avait lu des chroniques de guerre et des romans de ce genre, et c’était à peu près un point commun que l’importance de la logistique figurait dans chacun d’entre eux.

En ce qui concerne les événements du monde réel, l’importance d’une armée capable de produire et de se procurer ses propres approvisionnements de manière indépendante n’était apparue qu’à des époques ultérieures, après que les canons et les armes à feu se soient généralisés.

C’était parce que les armées individuelles ne pouvaient utiliser que des munitions qui correspondaient aux spécifications de leur propre équipement. La distribution correcte des munitions était désormais plus vitale que l’approvisionnement en vivres.

En ce qui concerne la nourriture en temps de guerre, la meilleure méthode était de se la procurer sur le théâtre de guerre plutôt que de stocker et de transporter des quantités incroyablement importantes de vivres. C’était une tactique qui était apparue dans les travaux écrits sur la stratégie militaire dès Sun Tzu, et c’était un élément fondamental de la logistique depuis les temps anciens jusqu’à juste avant l’ère moderne.

Se ravitailler sur le théâtre de guerre, c’est-à-dire soit par réquisition, soit par pillage. C’était également le cas à Yggdrasil.

Ce n’est qu’après le développement des chemins de fer motorisés et de l’automobile qu’il était devenu possible de transporter une quantité suffisante de vivre aux troupes en guerre.

Avec un petit rire à ses dépens, Yuuto haussa les épaules. « Même ainsi, si je ne peux pas jouer le rôle du héros ici, même si ce n’est qu’une imitation bon marché, alors à quoi bon utiliser toutes ces tricheries, non ? »

En vérité, le transport de grandes quantités de nourriture depuis Iárnviðr avait été un cauchemar.

Traditionnellement, la composition d’une armée à cette époque dépassait 90 % des troupes de combat, mais le corps de transport du Clan du Loup représentait plus de 20 % de son armée.

De plus, le corps de transport n’était pas armé pour le combat, de sorte que les pertes ou les vols qu’il subissait auraient un impact sur l’armée dans son ensemble. C’était potentiellement une faiblesse critique dans son armée.

C’était le territoire du Clan de la Corne, donc si le pillage était hors de question, il y avait encore des réquisitions. Avec une démonstration de leur menace en tant que puissance militaire, ils pourraient forcer la population locale à leur vendre des fournitures à un prix très bon marché, ce qui serait à la fois beaucoup moins risqué et beaucoup moins un fardeau pour son armée.

Dans une situation d’urgence comme celle-ci, il serait insensé d’accepter de plein gré de payer le prix normal des biens et services, et encore plus fou de payer plus que cela pour répondre à la demande.

Cependant, à notre époque, il n’y avait pas vraiment beaucoup de marge de manœuvre en ce qui concerne les magasins d’alimentation. Yuuto demandait aux gens de se séparer de la nourriture qu’ils avaient accumulée pendant la saison des récoltes en préparation de l’hiver, donc payer un prix juste pour cela semblait la chose naturelle et juste à faire.

Utiliser son pouvoir pour acheter leurs provisions au rabais aurait été la même chose que de leur dire de mourir de faim.

« Ginnar, la seule raison pour laquelle les choses fonctionnent pour nous comme ça, c’est en raison de gens comme mon second, comme Linéa, et comme toi, » déclara Yuuto. « Vous avez donc vraiment mes remerciements. »

Le mot « logistique » tenait ses racines dans le mot grec « logistikós », signifiant soit « actions avec une base en calcul rationnel », soit « doué en calcul ».

Acheter des fournitures au hasard et les transporter ne servirait à rien. Les taux de consommation étaient différents pour chaque article, de même que leurs prix. Il fallait être capable de calculer et d’estimer ce qui devait être transporté, en quelle quantité et jusqu’où.

Il était également important de choisir des itinéraires qui se heurteraient à moins de raids ennemis et de choisir de bons endroits pour effectuer les ravitaillements.

Et à cet égard, le Clan du Loup était doté d’un talent incroyable.

« Ha ha ha, » ria Ginnar. « Je pense que tante Linéa y est beaucoup plus impliquée que quelqu’un comme moi. J’ai fait un arrêt à Sylgr avant de venir ici, et c’était incroyable. De la distribution des fournitures à l’attribution du travail, en passant par d’innombrables autres choses, elle était incroyablement bien préparée à ce travail pendant la période de rétablissement. Cela ne fait que deux jours qu’elle a été libérée, et elle fonctionne déjà comme une ville normale. »

« Wôw… Comme toujours, cette fille est tellement plus douée que les autres quand il s’agit de ces trucs, » Yuuto se remémora le visage de sa chère petite sœur qui lui fit ses adieux à Sylgr il y a trois jours, et se trouva en train de pousser un profond soupir qui pouvait être pris pour de l’admiration ou de l’exaspération.

Si Sylgr avait recommencé à fonctionner comme une ville, cela signifiait aussi qu’elle avait été récupérée comme base et point de ravitaillement.

Tant que Linéa était là pour commander et contrôler le service et le support, le Clan du Loup n’avait pas à se soucier de sa logistique.

« Oh, mais même tante Linéa ne pouvait pas faire quelque chose à partir de rien, » dit Ginnar. « En fin de compte, c’est l’argent qui fait tourner le monde, après tout. Vous n’avez pas besoin d’être modeste, Père. Tout cela a été possible grâce à votre collecte d’une si grande quantité d’argent. »

« Et c’est quelque chose que je n’aurais pas non plus pu faire moi-même. Nous devons remercier Ingrid pour cela, » déclara Yuuto.

Il y avait maintenant les articles en verre, le papier, le pain sans grains et toutes sortes d’autres produits spéciaux sur le marché. Et grâce à cet afflux d’échanges commerciaux, le Clan du Loup disposait désormais de grandes quantités d’argent, utilisable comme moyen de paiement partout dans Yggdrasil.

C’était grâce à cette abondance de pouvoir économique que le Clan du Loup pouvait maintenant se permettre d’envoyer son armée en campagne militaire sans avoir à le réquisitionner ou à le voler aux habitants.

Yuuto avait exprimé ses sentiments à haute voix. « C’est grâce à tout le monde que je peux mettre de côté tous mes autres soucis et me concentrer sur la victoire. »

Il était conscient de sa propre ignorance. Il connaissait les limites de son pouvoir et de ses capacités. Ainsi, sans fausse bravade ni orgueil hautain, il pouvait respecter et compter sur ceux qui, autour de lui, pouvaient faire ce qu’il ne pouvait pas faire, et il comprenait combien il était important de le faire.

« Montrez-leur par l’exemple, instruisez-les, faites-les faire, puis félicitez-les, sinon les gens ne feront rien. Communiquez, prêtez l’oreille, reconnaissez-les et confiez-leur des responsabilités, sinon les gens ne progresseront pas. Veillez sur eux, avec de la gratitude dans votre cœur, et placez votre confiance en eux, sinon les gens ne s’épanouiront pas. »

C’était les célèbres paroles d’Isoroku Yamamamoto, amiral et commandant de la marine impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Yuuto ne connaissait pas cette citation, mais sans s’en rendre compte, il les avait mises en pratique.

Et c’est ainsi que les plans et les desseins abstraits de Yuuto, en vertu de la sagesse et de la force de ses nombreux alliés, avaient finalement pu prendre forme en tant que « sagesse vivante », et affecter le monde.

Et, ironiquement, celui qui lui avait fait réaliser et reconnaître ses propres défauts était maintenant l’homme qu’il devait combattre.

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Un commentaire :

  1. amateur_d_aeroplanes

    Merci pour le chapitre 🙂

    Juste un s en trop dans le 11e paragraphe :

    Ils étaient environ trois milles.

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