Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 12 – Chapitre 3

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Chapitre 3 : Acte 3

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Chapitre 3 : Acte 3

Partie 1

À peu près au même moment où le Régiment de Cavalerie Indépendante décorait sa jeune histoire de sa première victoire, Yuuto arrivait à cheval à Gimlé, la capitale du Clan de l’Acier.

Il avait voyagé à toute vitesse jour et nuit, et avait atteint Gimlé juste avant ses soldats.

C’était au milieu de la nuit, et malgré le fait que le Réginarque qui régnait sur sept clans était rentré chez lui, il n’y avait personne pour l’accueillir. Les gardes à la porte de la ville avaient été choqués par son arrivée soudaine et inattendue.

Bien sûr, on pouvait dire que c’était normal, car Yuuto était arrivé avant les messagers qui annonceraient son retour.

Yuuto s’était tenu à son entraînement physique quotidien, mais la majorité de son temps était encore consacrée au travail de bureau.

Après s’être forcé à parcourir en un jour et demi une distance qui demanderait à l’infanterie sept jours de marche, il était complètement épuisé. Malgré cela, il utilisa sa volonté pour se maintenir conscient, et après qu’il soit descendu de cheval, Félicia et lui se précipitèrent dans le palais.

« S-Seigneur Réginarque !? »

« S’il vous plaît, attendez, mon seigneur. Mère est actuellement endormie… »

« C’est urgent, et on n’a pas le temps. Laissez-moi passer ! »

Yuuto n’avait pas eu le temps d’expliquer ou de répondre aux questions.

Il passa les gardes à la porte et entra dans la chambre.

« Linéa ! »

« Zzz… Zzz… »

Même lorsqu’il criait son nom, sa douce respiration était la seule réponse.

Chaque jour, elle se levait plus tôt que la plupart des gens pour commencer son travail, et se couchait plus tard que la plupart des gens chaque nuit. Il n’est que logique qu’elle soit une grande dormeuse.

Yuuto n’aurait rien voulu de plus que de la laisser se reposer en paix, mais il n’avait pas ce luxe pour le moment.

« Désolé, Linéa, il faut te réveiller. »

Il attrapa ses épaules et la secoua.

« Nn. Nn... »

« Es-tu réveillée maintenant ? »

« Hm… Héhé, Père… Oh, je t’aime tellement. »

« Bwuh ? »

Cette confession romantique était si abrupte qu’elle avait choqué Yuuto, et pendant un court instant, il oublia la raison pour laquelle il était si pressé.

Il sentit son visage rougir de chaleur.

Bien sûr, ce n’était pas comme si les sentiments de Linéa pour lui étaient une surprise. Son attirance pour lui était quelque chose qu’il ne comprenait que trop bien.

Mais le fait qu’elle murmurait cela alors qu’elle était à moitié endormie lui indiquait à quel point elle gardait ces sentiments dans son cœur, et c’était beaucoup à encaisser.

« Hmph… » À côté de lui, Félicia gonfla ses joues d’un air maussade. « Pour ta gouverne, Grand Frère, moi aussi je pense toujours à toi quand je dors ! »

Pourquoi agis-tu comme ça alors que c’est toi qui nous a piégés, Linéa et moi ? se dit Yuuto. Apparemment, elle avait ressenti le besoin d’être compétitive après avoir vu le visage de Yuuto devenir timidement rouge en réaction à Linéa.

« Nous n’avons pas le temps de discuter de ce genre de choses en ce moment ! Hé, Linéa, réveille-toi ! »

Incapable de supporter l’embarras, Yuuto s’était empressé de recommencer à secouer Linéa.

Enfin, cela avait semblé porter ses fruits, car Linéa avait lentement ouvert les yeux.

« Hn... Père… ? »

« Hey, désolé de te réveiller. Le truc c’est que — mmph !? »

Au moment où ses yeux avaient rencontré les siens, elle l’avait attiré dans une étreinte et avait couvert ses lèvres des siennes.

Et une fois qu’elle avait relâché ses lèvres, elle avait commencé à frotter sa joue contre la sienne.

« Héhé. Père… ♥ ! »

Apparemment, elle était encore à moitié endormie.

D’une certaine manière, c’était beaucoup plus dur à accepter que la confession.

Avec la douce sensation de son corps contre le sien… la façon dont elle communiquait ses sentiments d’adoration pour lui… il ne pouvait empêcher son corps de réagir.

« Hmph ! Eh bien, si tu veux frimer comme ça devant moi, alors je vais devoir me joindre à toi et te montrer que… »

« Ce n’est pas une compétition ! »

 

 

Malheureusement pour Yuuto, il était coincé dans une bataille perdue d’avance, qui avait continué pendant un certain temps jusqu’à ce que Linéa soit, enfin, complètement réveillée.

« P-Pardonne-moi, Père. J’étais tellement sûre que je rêvais encore, et… ! »

Linéa s’était prosternée devant Yuuto pour s’excuser.

Yuuto avait tendu une main pour l’arrêter. « Non, c’est — c’est bon. C’est moi qui suis fautif d’avoir fait irruption ici et de t’avoir réveillée au milieu de la nuit comme ça. Mais plus important encore, quelle est la situation de la guerre ? » Sa voix s’était faite plus pressante et il avait abordé le sujet pour lequel il était venu ici.

Il avait déjà perdu du temps à cause de ce qui venait de se passer. Il n’avait pas l’intention de perdre une seconde de plus pour quoi que ce soit d’autre.

Linéa avait un peu de mal à gérer les surprises, mais son esprit travaillait incroyablement vite. En un rien de temps, son expression était passée de celle d’une fille normale à celle d’une dirigeante nationale, la jeune femme qui dirigeait l’administration d’une nation puissante.

« Le château de Dauwe est tombé, » répondit-elle franchement.

« Quoi !? Attends, sérieusement !? C’est arrivé bien trop vite ! »

En entendant une nouvelle aussi horrible, même Yuuto n’avait pu s’empêcher d’exprimer un choc ouvert.

La campagne qu’il avait menée contre le Clan de la Foudre faisait partie d’un plan pour attirer ses ennemis, et la forteresse de Dauwe avait été la pierre angulaire de ce plan.

« Quels étaient les effectifs de l’ennemi, et quelles méthodes utilisaient-ils ? »

Les premières questions qui vinrent à l’esprit de Yuuto furent les mêmes que celles posées par le patriarche du Clan du Frêne, Douglas. Après tout, la réputation de forteresse solide et imprenable du château de Dauwe était quelque chose que Yuuto avait souvent entendu.

Juste avant d’organiser sa cérémonie de mariage, il s’y était secrètement rendu pour se faire une idée précise de la situation.

« Bien que j’aie du mal à le croire, le récit indique qu’elle a été capturée par la force uniquement, par un assaut frontal. »

« … Hmm. Mais même s’ils ont une énorme armée, ce n’était pas le genre de forteresse qu’ils auraient dû être capables de capturer si facilement. »

Le château de Dauwe avait été construit en tirant pleinement parti de la géographie du terrain sur lequel il se trouvait, de sorte que même une armée extrêmement importante n’aurait pas pu tirer parti de l’avantage que lui conférait son nombre.

Elle était si bien fortifiée que si Yuuto était chargé de la capturer sans l’utilisation du trébuchet, il jetterait honnêtement les bras en l’air et la qualifierait de cause perdue.

C’était exactement la raison pour laquelle il avait compté sur elle dans le cadre de son plan. Sachant que le groupe des forces du Clan Anti-Acier attaquant par l’est serait le plus important, il avait supposé que Dauwe serait capable de les maintenir en place pendant un bon moment.

Qu’elle tombe aux mains de l’ennemi en l’espace de quelques jours seulement était une chose qu’il n’aurait jamais envisagée en temps normal.

En d’autres termes, en regardant cette situation de l’autre côté, il y avait quelque chose d’inhabituel à l’œuvre ici.

« On dirait qu’ils ne vont pas être faciles à gérer après tout, hein ? … Qu’en est-il des forteresses dans d’autres régions ? »

La frontière Est n’était pas la seule zone attaquée.

Il avait appris que les territoires de l’ouest étaient attaqués par les restes de l’ancien Clan de la Panthère, ainsi que par l’armée du Clan du Sabot. Il voulait également en savoir plus à ce sujet.

« Le Clan du Blé semble lui aussi être dans une situation très difficile. Ils ont envoyé un message demandant de l’aide dès que possible. Pour l’instant, j’ai envoyé le commandant en second du Clan de la Corne, Haugspori, dans leur direction avec des renforts. »

« Je vois. C’était une bonne décision. » Yuuto avait acquiescé.

Haugspori était connu pour être un peu volage en termes de personnalité, et un playboy impénitent quand il s’agissait de femmes, mais il était peut-être le choix le plus approprié pour ce genre de cas.

L’objectif principal, à court terme, n’était pas de repousser l’ennemi, mais de lui résister.

Si l’on confiait le commandement des troupes à un homme au sang chaud, il risquerait d’être impatient de prendre l’avantage et de subir des pertes inutiles. En revanche, on pouvait compter sur Haugspori pour prendre des décisions réfléchies.

« Quant à Frère Ská, j’ai reçu un message de sa part qui disait : “Vous ne devez pas vous inquiéter pour le Clan de la Panthère. Envoyez des soldats dans d’autres régions qui en ont besoin.” »

« Héhé. En effet, ça lui ressemble. »

Après une série de renseignements qui ne parlaient que des difficultés auxquelles ils étaient confrontés, recevoir un message qui semblait si fiable avait naturellement fait sourire Yuuto.

Skáviðr était le patriarche de l’actuel Clan de la Panthère sous la domination du Clan de l’Acier, et bien que sa force et ses accomplissements en tant que guerrier soient nombreux, il était principalement connu dans toute la région de Bifröst comme quelqu’un qui excellait dans la guerre défensive.

Dans son service précédent en tant que général chargé de protéger la ville occidentale de Myrkviðr, il s’était également habitué à combattre la cavalerie armée. Si cet homme disait qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, alors il devrait pouvoir s’en remettre à lui et porter son attention ailleurs.

« Auquel cas, on finit par revenir au problème de l’Est. Hmm… » Yuuto fronça les sourcils.

La perte du château de Dauwe avait été un coup très douloureux — il n’y avait pas deux façons de le dire.

On disait que les Einherjars étaient aussi rares qu’un sur dix mille. Et en ce moment, juste sur le front de l’est, les armées des Clans de l’Épée, des Nuages, des Crocs, du Bouclir et de la Lance travaillaient toutes en tandem. Il n’était pas difficile d’imaginer qu’en plus du nombre combiné de leurs soldats normaux, ils avaient sûrement un nombre proportionnel de puissants Einherjars.

Il était probable que parmi eux se trouvait un Einherjar avec des pouvoirs que Yuuto ne connaissait pas, quelque chose d’équivalent à la force imparable que possédait Steinþórr.

Cependant, ils n’étaient pas les seuls à avoir un pouvoir qui défie l’ordinaire. Le Clan de l’Acier pouvait les égaler à cet égard.

« Je compte sur toi, mon frère. Il faut que tu tiennes le coup jusqu’à ce que j’y arrive. »

Du point de vue de Hveðrungr, le fait de découvrir qu’il était tombé dans la tromperie d’un ennemi avait signifié que sa première bataille en tant que commandant du régiment s’était terminée comme une expérience amère pour lui.

Cependant, du point de vue de l’armée des forces Anti-Acier, c’était à peu près la même chose.

Les cavaliers qui les avaient attaqués avaient fait fi de leurs rangs, puis avaient facilement brisé le piège qui leur avait été tendu, s’échappant complètement.

Le camp de l’armée avait subi des pertes de plusieurs centaines de personnes, contre seulement quelques dizaines pour l’ennemi. Quelle que soit la façon dont vous le regardez, c’était une défaite totale.

On pouvait également dire que la frustration liée aux événements de la bataille était beaucoup plus forte de ce côté-là.

« C’est complètement au-delà de ce que j’avais imaginé… »

C’était le matin suivant l’attaque, et Bára était accroupie pour examiner l’une des barricades calcinées, grommelant pour elle-même, déçue.

Ce genre de barrière était quelque chose que les chevaux n’auraient pas dû pouvoir franchir, mais l’ennemi avait utilisé une sorte d’arme inconnue pour faire sauter les barrières. C’était vraiment quelque chose qu’elle n’aurait pas pu imaginer.

Même si son stratagème avait fonctionné comme prévu et qu’elle avait d’abord piégé l’ennemi, ils l’avaient quand même retournée contre elle. C’était une première pour elle.

« Je comprends maintenant. C’est vraiment une sérieuse crise. »

Cependant, elle ne parlait pas de l’arme étrange, qui avait fait un bruit terrible comme le tonnerre et produit une force suffisante pour faire sauter ces poteaux.

Bien sûr, l’arme elle-même était en effet une menace en soi. Mais une fois qu’elle avait appris à son sujet, elle serait en mesure de le contrer.

La menace la plus terrifiante était le fait que l’ennemi créait régulièrement de nouvelles armes comme celle-ci.

« C’est vrai, Theeen. Si nous ne les écrasons pas rapidement, ils seront trop forts pour que nous puissions les gérer. »

Rien que cette fois-ci, il y avait eu la cavalerie armée qui s’était frayé un chemin à travers le champ de bataille, et l’étrange lame de fer qui avait brisé l’épée préférée d’Erna, et puis ces soi-disant « bombes de tonnerre », des armes à projectiles minuscules, mais destructrices. Chacune de ces armes suffisait à elle seule à faire basculer le cours d’une bataille.

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Partie 2

Est-ce que le Clan de l’Acier avait encore plus que cela à sa disposition ?

Tout comme Yuuto avait ressenti la menace de l’inconnu dans la puissance qui avait renversé le château de Dauwe, Bára avait ressenti une grande peur en pensant à ce que Yuuto pourrait avoir en réserve pour leurs futures batailles…

« Je suis désolée, Bára. Si seulement j’avais pu tuer leur général à l’époque… ! »

Erna s’était excusée abondamment, le visage froncé comme si sa colère contre elle-même la faisait terriblement souffrir.

Bára avait fait un signe de la main, rejetant les excuses. « Ne sois pas désolée pour ça. Ce n’est pas ta faute. Après tout, la personne que tu as combattue était aussi très forte, n’est-ce pas ? »

Erna n’était pas aussi brillante que Bára l’aurait souhaité, mais lorsqu’il s’agissait d’aptitude au combat, elle était, sans aucun doute, la plus compétente parmi les Demoiselles des Vagues.

La rune qu’Erna portait canalisait toute sa puissance divine — son ásmegin — dans ses jambes, de sorte que lorsqu’elle s’élançait pour attaquer, c’était comme un éclair dans le ciel. Il n’était pas facile d’esquiver un coup d’épée porté sur le fil par un jeu de jambes aussi rapide.

Bára était aussi une Einherjar, et certainement plus douée à l’épée qu’un soldat moyen, mais elle n’avait jamais réussi à bloquer une telle attaque d’Erna, pas même une seule fois.

Non seulement ce chef ennemi avait vu et bloqué l’attaque initiale d’Erna, mais il l’avait fait dès sa première rencontre avec elle. Ennemi ou pas, c’était digne d’éloges.

« En fait, à ce propos, il y a quelque chose de bizarre que j’ai remarqué. »

« Hmm ? »

« D’après ce que nous savions, le général commandant la cavalerie ennemie était censé être une femme aux cheveux argentés, et à la personnalité glaciale. Cependant, celui qui donnait réellement les ordres était un homme portant un étrange masque. Et les soldats à cheval portaient des vêtements faits de cuir souple et de fourrures… je pense qu’ils ressemblaient beaucoup à des nomades. »

« Un masque ? » demanda Bára avec méfiance, en penchant la tête sur le côté.

Si l’on parlait d’un homme masqué avec des nomades, le premier homme qui venait à l’esprit était l’ancien patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr — l’homme connu sous le nom de Grímnir, le Seigneur Masqué.

Cependant, elle avait entendu dire qu’il avait été capturé et emprisonné par le Clan de l’Acier lors de leur précédente campagne contre le Clan de la Panthère…

« Et pour commencer, les combattants à cheval du Clan de l’Acier, les Múspell, n’étaient censés compter qu’environ cinq cents hommes dans leurs rangs au maximum, mais les cavaliers qui nous ont attaqués cette fois-ci en comptaient certainement au moins deux mille. »

« Je pense que j’ai une idée de ce qui se passe avec ça. » Une troisième voix avait interrompu leur conversation.

C’était le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard.

« Ah, oui, cela me rappelle, Seigneur Gerhard, vous aviez l’air de connaître cet homme masqué… »

« C’est le cas. C’est l’ancien patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr. Il y a un peu plus d’un an, je l’ai rencontré en personne une fois, lorsque nous nous sommes retrouvés tous les deux pour jurer un pacte de non-agression. »

« Ohh, alors c’était lui. Je comprends maintenant. » Bára avait posé une main sur sa joue et avait laissé échapper un soupir.

Il semblerait que son mauvais pressentiment ait été juste. En bref, l’unité des forces spéciales Múspell du Clan de l’Acier, leurs plus puissants guerriers, étaient totalement distincts de ceux qui avaient attaqué la nuit précédente.

Cette bataille avait suffi à montrer à quel point les archers montés avaient un avantage écrasant au combat. Et maintenant, il était confirmé que l’ennemi avait cinq fois plus de cette cavalerie que les estimations initiales.

Et puis, bien sûr, il y avait cette arme que l’ennemi avait utilisée.

« Cela pourrait s’avérer être un vrai problème pour nous. »

Les mots de Bára ne tarderont pas à devenir réalité.

Et donc, le jour suivant…

« Ha ha ha ! Les lâches du Clan de l’Acier. Penser que vous allez me fuir sans même vous battre. Comme c’est pathétique. »

« Alors, vous êtes revenu. Vous n’avez pas appris votre leçon, n’est-ce pas ? Ne tournez pas la queue et ne me fuyez pas cette fois, d’accord ? »

« Merde, ils se sont encore échappés ! »

Erna avait craché les mots avec une frustration amère en frappant durement le sol.

L’impact était assez lourd pour envoyer des ondes de choc à travers le sol, comme si un ours géant se déchaînait. Les soldats dans la zone autour d’elle s’étaient tous tendus par réflexe.

« Erna, calme-toi, » déclara doucement Bára.

« Comment puis-je être calme à ce sujet !? » Erna avait hurlé furieusement en réponse.

Ce n’est pas comme si Bára ne comprenait pas ses sentiments.

Au cours de la journée d’hier et d’aujourd’hui, ce même groupe de cavalerie était venu les attaquer un certain nombre de fois, et à chaque fois, ils s’étaient enfuis.

De plus, hier, l’armée avait au moins réussi à leur infliger quelques dégâts, mais aujourd’hui, toutes les pertes s’étaient produites de ce seul côté. C’était un vrai désordre.

Et la raison en était singulière.

« Qu’ils aillent au diable, ces sales lâches ! Ils nous tirent des flèches de plus loin que nous ne pouvons riposter, et puis quand nous essayons de nous approcher d’eux, ils s’enfuient en nous tirant encore plus dessus. Je n’en peux plus ! »

« Et cette fois, j’étais si près de les attraper ! Maudits soient-ils… ! Je le jure, la prochaine fois, je les attraperai pour sûr et je les rembourserai pour tout ce qu’ils ont fait ! »

Erna avait frappé son poing serré dans la paume de son autre main, brûlant positivement de combativité.

Il semblerait qu’elle ait laissé ce feu lui monter à la tête.

Bára l’avait secouée d’un doigt.

« Comme je l’ai dit, tu dois te calmer. Erna, ne vois-tu pas que tu tombes dans le piège de l’ennemi ? »

« Huuh !? »

Erna s’était tournée vers Bára, l’air étonné.

Bára avait haussé les épaules. « En y pensant normalement, les gens qui courent à pied ne pourraient jamais rattraper les chevaux à pleine vitesse. Et ce, même si des gens les montent, n’est-ce pas ? »

« Euh… Oui, maintenant que tu le dis… » Erna avait l’air de s’en rendre compte seulement maintenant.

Le fait est qu’avec cette fille en particulier, rattraper son retard pourrait être possible, donc elle n’y avait pas pensé.

« Ils ralentissent, et vous laissent vous approcher dans un but précis. C’est pour qu’ils puissent tirer beaucoup de flèches, et aussi pour qu’ils puissent fatiguer nos soldats. »

Le moyen le plus efficace d’épuiser complètement quelqu’un était de l’amener à dépenser son énergie en efforts inutiles.

Si les cavaliers ennemis s’enfuyaient trop rapidement, les soldats de l’armée des Clans Anti-Acier ne les poursuivraient pas en premier lieu. Mais au lieu de cela, les soldats de l’armée avaient été trompés en ayant toujours l’impression qu’ils étaient sur le point de les rattraper, puis ils avaient été forcés de courir encore et encore à ce rythme, pour finalement échouer à vaincre un seul cavalier ennemi et rentrer au camp en titubant, complètement épuisés.

Si cela continuait ainsi pendant plusieurs jours, les troupes de l’armée Anti-Acier seraient épuisées dans leur corps et leur esprit, et rendues inutiles en tant que ressources du champ de bataille avant que le corps principal de l’armée du Clan de l’Acier n’arrive pour leur bataille décisive.

« Merde ! » Erna cria encore. « Dans ce cas, je devrais juste courir devant tout le monde et essayer d’empêcher l’ennemi de… »

Bára eut un sourire douloureux devant l’attitude et la vigueur d’Erna, mais la coupa. « Je sais à quel point tu es forte, mais tu serais trop en infériorité numérique pour survivre. »

Erna était l’un des piliers importants du Clan de l’Épée. Bára ne pouvait pas la laisser partir et mourir d’une mort aussi inutile et sans gloire.

« Mais à ce rythme, on va continuer à perdre des hommes et le moral à cause de leurs sales coups ! »

Bára croisa les bras et fronça les sourcils. « Hm, c’est vrai. Je me demande ce que nous devrions faire. C’est tendu. »

Sa façon de dire « tendu » donnait l’impression qu’elle n’était pas du tout troublée, mais elle réfléchissait en fait très sérieusement à cette question.

Même le simple fait d’approcher ces ennemis était incroyablement difficile. Même si Bára était connue dans toutes les nations de sa région comme une stratège de génie, franchement, elle ne voyait pas de solution.

Jusqu’à présent, le Clan de l’Épée avait été invincible sur le champ de bataille grâce à la carte maîtresse de Fagrahvél — la rune Gjallarhorn, l’Appel à la guerre, qui conférait aux soldats le pouvoir de vaincre n’importe quel ennemi, quelle que soit sa force.

Cependant, ce pouvoir s’avérerait futile contre ces adversaires particuliers.

Honnêtement, elle était encore frappée d’étonnement devant la nouveauté de se battre comme ils le faisaient.

La seule contre-stratégie dont elle pouvait être sûre était de construire des fossés et des talus en terre, ainsi que des barrières en bois pour empêcher les chevaux d’approcher.

Mais son camp était celui qui menait une invasion, renforcer leurs défenses et creuser ici allait totalement à l’encontre de cet objectif.

Et il faudrait bien plus qu’un jour et une nuit supplémentaires pour construire ce genre de défenses de toute façon, pendant lesquelles elle était sûre qu’ils seraient victimes d’autres attaques et sabotages.

Dans tous les cas, les hommes finiraient par s’épuiser, et l’armée du Clan de l’Acier arriverait alors. C’est quelque chose qu’elle ne pouvait pas laisser se produire.

« Ça me fait vraiment réaliser à quel point ça nous fait mal de ne pas avoir pu tuer cet homme la première nuit. »

À cause de cet échec, le général ennemi avait appris à se méfier d’elle et ne lançait plus d’attaques sans grande précaution.

Même si elle montrait délibérément une ouverture, ils ne mordraient sûrement pas à l’hameçon une nouvelle fois.

Ils n’allaient plus essayer d’infliger à son camp de lourds dégâts en une seule attaque. Au lieu de cela, ils allaient s’en tenir à leur infliger de modestes pertes à longue portée, encore et encore.

« Argh. Je suis désolée. »

« Ohh, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne te blâmais pas. »

« Mais quand même… »

« Hm, on dirait que quelque chose vous perturbe. »

Alors qu’elles ruminaient toutes les deux, une voix tout à fait ensoleillée et confiante les avait surpris.

Il appartenait à un homme un peu rondouillard avec une barbe plutôt impressionnante, portant des vêtements faits de fils de soie rares qui indiquaient qu’il s’agissait d’une personne de statut plutôt élevé.

« C’est vous… » commença Bára.

« Seigneur Alexis ! » Erna termina la phrase.

Le prêtre impérial, Alexis — un homme que toutes deux connaissaient bien, et l’homme dont elles se méfiaient le plus.

En apparence, c’était un goði, un prêtre qui servait également de représentant officiel de l’autorité du Þjóðann. Il voyageait en mission diplomatique auprès de nombreux clans différents, servant de médiateur pour leurs plus importants rituels du Serment du Calice.

Cependant, elles avaient découvert que, dans les coulisses, il était directement lié au patriarche du Clan de la Lance, Hárbarth.

Alexis accompagnait l’armée des Clans Anti-Acier dans sa campagne, servant d’« yeux » à Hárbarth ici.

« Pour quelle raison venez-vous nous voir ? »

« Hee hee, oh, j’aimerais que vous ne soyez pas si hostile avec moi. Après tout, je suis ici avec des informations que vous trouverez, je pense, tout à fait bienvenues à entendre. »

« Informatiooon ? » Bára avait rétréci ses yeux sur Alexis.

Cet homme était le fidèle serviteur de Hárbarth, l’homme qui se disputait le contrôle politique de l’empire dans les coulisses depuis un certain temps maintenant. Il était juste de suspecter qu’il y avait une arrière-pensée en jeu ici.

Alexis semblait reconnaître silencieusement cet aspect de la situation, conservant son sourire amical et laissant sa suspicion manifeste glisser sur lui plutôt que de protester.

« Oui, c’est exact. Le seigneur Hárbarth aimerait vous offrir sa coopération. »

***

Partie 3

« Vous êtes venu au mauvais endroit. Vous ne trouverez rien pour vous nourrir ici. »

Les remarques de Hveðrungr s’adressaient aux corbeaux qui trottaient dans l’herbe trempée de rosée à ses pieds.

Les corbeaux étaient des oiseaux charognards — des charognards qui se nourrissaient de la chair des morts — un spectacle familier sur les champs de bataille.

Attirés par l’odeur du sang, ils se rassemblaient sur les lieux des batailles, venant souvent de nulle part.

À cause de cela, ils étaient considérés comme des signes avant-coureurs de malheur et vus avec dégoût. Cependant, Hveðrungr ne trouvait rien à redire à ces créatures rusées et opportunistes.

Après tout, n’était-ce pas là les attributs considérés comme les plus essentiels chez les patriarches et les généraux ?

Il avait passé quelques instants à ruminer ces pensées, se disant qu’il voulait être connu et craint pour ces mêmes caractéristiques, tout comme les corbeaux.

Pendant qu’il le faisait, cependant, un éclaireur qu’il avait envoyé était arrivé au camp avancé du régiment, l’air plutôt mal en point.

« Père ! » avait-il crié. « Les troupes de l’Alliance des Clans Anti-Acier qui campaient autour du château de Dauwe se sont formées et ont commencé à marcher vers l’ouest ! »

« Alors, c’est le choix qu’ils ont fait… » Hveðrungr avait hoché la tête pensivement, en plaçant une main sur son menton. « Il semble qu’ils aient vraiment un esprit vif parmi eux. »

Hveðrungr avait calculé que, en réponse à la tactique de frappe et de fuite de sa cavalerie, son ennemi adopterait très probablement l’une des deux lignes de conduite suivantes.

Soit ils se fortifiaient au fil du temps afin d’être prêts à recevoir et à riposter aux attaques du régiment au maximum de leur force, soit ils avançaient, finissant par l’attirer, lui et ses cavaliers, en créant une situation où ils n’auraient d’autre choix que d’attaquer.

La première option aurait été la plus pratique des deux pour les besoins de Hveðrungr.

Son objectif n’était pas de vaincre et de repousser l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier, mais plutôt d’entraver leur progression, de les retenir dans cette zone le temps que l’armée principale du Clan de l’Acier arrive, en faisant de son mieux pour les épuiser pendant ce temps.

Si l’armée ennemie avait plutôt choisi de se retrancher ici et de se préparer à mieux contrer ses attaques, cela aurait été bien plus idéal.

Apprendre et ensuite prendre le plan d’action que l’ennemi souhaite le moins était un principe de base de la guerre. Dans ce sens, l’adversaire de Hveðrungr avait pris une excellente décision.

« Naturellement, ils doivent se diriger vers Vígríðr. »

Vígríðr était la capitale du clan du Frêne. Si l’on comptait les nombreux petits villages agricoles qui l’entouraient, des dizaines de milliers de personnes vivaient dans la région.

Le stratège ennemi avait probablement supposé que si l’Armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier devait attaquer à cet endroit, la cavalerie qui les avait jusqu’à présent tourmentés avec des attaques répétées en rafale serait au contraire obligée de les combattre sans avoir la possibilité de fuir.

Tout bien considéré, cette ligne de pensée était dans l’ensemble correcte.

Le système de clans de la société d’Yggdrasil avait été construit sur les liens formés par le Serment du Calice.

Un enfant subordonné prêtait un serment de loyauté absolue à un parent assermenté, et en échange, le parent jurait de fournir soutien et protection à ses enfants assermentés.

Si la capitale du clan du Frêne, Vígríðr, tombait aux mains de l’ennemi, le Clan de l’Acier n’aurait pas respecté son vœu de protéger son clan enfant subordonné, et aurait subi une grande atteinte à son honneur.

« Ça commence à devenir un mal de tête, » murmura Hveðrungr.

Il y avait trois jours de marche de Dauwe à Vígríðr, et même s’il continuait à utiliser la tactique du « hit-and-run » du régiment pour les ralentir, il ne pourrait probablement que doubler ce temps au maximum. En attendant, il faudrait encore attendre au moins vingt jours avant que l’armée principale du Clan de l’Acier n’arrive.

Ce sont également ces forces qui avaient capturé le célèbre château imprenable de Dauwe en une journée. Selon toute estimation normale, il n’y avait aucun moyen de les retenir assez longtemps.

« Pourtant, je suppose que je n’ai pas d’autre choix que de faire en sorte que ça arrive, d’une manière ou d’une autre… »

Hveðrungr avait ses propres raisons de vouloir empêcher la capture de Vígríðr.

Ce n’était pas par souci pour le peuple. Cet homme avait autrefois mis le feu à ses propres terres, brûlant les maisons de ses sujets pour retarder sa propre défaite — Il ne se souciait pas le moins du monde de ce qui arrivait à une région où il n’avait mis les pieds que quelques jours auparavant.

Cependant, pour l’instant, il voulait faire tout son possible pour ne rien laisser se produire qui puisse nuire à sa réputation dans les rangs du Clan de l’Acier.

Il n’allait pas prendre sa retraite et passer le reste de ses jours à vivre une vie modeste et tranquille. Il était encore jeune. Il voulait profiter de la liberté que lui procuraient son nouveau rang et son nouveau statut.

Il voulait aussi être témoin du chemin parcouru par l’homme qui l’avait vaincu et surpassé.

« Héhé… Tout ce que je peux faire maintenant, c’est donner tout ce que j’ai. »

Hveðrungr s’était levé, sa cape accrochant l’air alors qu’il se tournait.

Il lui restait encore du temps pour réfléchir à quelque chose, et il n’y avait aucun mal à ralentir les mouvements de l’Armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier autant que possible en attendant.

« Très bien, les gars ! Nous partons ! »

Lorsque Hveðrungr avait crié l’ordre, il avait monté son propre cheval et l’avait éperonné au galop. Le reste du Régiment de Cavalerie Indépendante suivait derrière lui.

Après une heure de trajet, ils avaient repéré l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier en marche.

… Et dès qu’ils l’avaient fait, le son aigu des gongs de guerre en bronze avait résonné dans cette direction. Il semblait qu’après les nombreuses attaques qu’ils avaient subies ces derniers jours, l’ennemi se méfiait suffisamment des attaques-surprises pour repérer l’arrivée du régiment.

Cependant, cela n’avait pas posé de problème majeur.

« Tirez des flèches ! »

À la suite de l’ordre de Hveðrungr, les cavaliers du régiment avaient tous décoché leurs flèches en même temps.

Le Clan de l’Acier leur avait fourni des arcs en composite, les mêmes nouveaux modèles que ceux utilisés par les forces spéciales de Múspell.

Les nouveaux arcs avaient une portée bien plus grande que les arcs ordinaires que ces hommes avaient utilisés jusqu’à présent. Par conséquent, ils pouvaient maintenant tirer leurs flèches en dehors de la portée des archers de l’ennemi. En d’autres termes, ils pouvaient mener une attaque complètement unilatérale.

La volée de flèches avait été lancée très haut dans le ciel, où elle avait tracé un grand et long arc de cercle, pour finalement s’abattre sur les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

« Hm !? » Hveðrungr grogne de surprise en regardant ce qui se passa ensuite.

Avec un bruit sourd et satisfaisant, la pluie de flèches s’était encastrée dans les boucliers en bois brandis par les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

Bien qu’elles soient en fer, les flèches n’avaient pas traversé complètement les boucliers. Il aurait fallu que les boucliers soient très épais pour que cela arrive.

« … C’est étrange. » Derrière son masque, les sourcils de Hveðrungr s’étaient froncés.

Jusqu’à la veille, les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier utilisaient des boucliers beaucoup plus fins — le genre bon marché, mais suffisant pour se défendre contre de simples flèches aux pointes de bois aiguisées ou des pointes de pierre.

Hveðrungr ne pensait pas qu’ils auraient pu distribuer des boucliers plus épais comme ceux-ci à toute leur armée de trente mille personnes en si peu de temps.

Cette armée combinée était composée d’escouades assemblées à partir des armées individuelles de plusieurs clans différents. En tenant compte de cela, il était difficile d’imaginer qu’ils portaient tous le même type d’équipement. Ainsi, il était tombé par hasard sur une formation armée de boucliers lourds cette fois-ci.

C’était une conclusion raisonnable qu’il pouvait faire, mais il avait soudainement un sentiment terrible à ce sujet.

… Et c’est là que c’est arrivé.

« Rrraaaaaaggghhh ! »

« Rrrooooooggghhh ! »

Des cris de guerre s’élevèrent derrière lui, sur ses flancs arrière gauche et droit.

« Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Les yeux écarquillés, Hveðrungr s’était retourné pour regarder derrière lui.

Pendant un court instant, il n’avait aucune idée de ce qui se passait.

Normalement, la réponse n’aurait pas dû nécessiter de réflexion. C’était évident.

Cependant, même pour quelqu’un d’aussi intelligent que Hveðrungr, il avait fallu quelques secondes à son esprit pour atteindre la vérité.

C’est parce qu’il pensait que ça ne pouvait pas lui arriver.

« Une embuscade ? »

Les deux grands groupes de soldats arboraient les bannières de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier. Le sol grondait bruyamment, et ils soulevaient de gros nuages de poussière en fonçant vers la formation du régiment.

« Inconcevable ! Comment est-ce possible ? »

S’ils lui avaient tendu une embuscade, cela signifiait qu’ils savaient exactement où dans leur formation il avait prévu d’attaquer.

S’il s’agissait d’une embuscade après une retraite feinte, dans laquelle ils l’avaient attiré pour qu’il les suive dans leur piège, cela aurait encore un certain sens.

De même si leurs éclaireurs l’avaient repéré longtemps à l’avance, ce qui leur aurait donné le temps de manœuvrer sur place.

Cependant, aucune de ces choses ne s’était produite ici.

Plutôt qu’une fausse retraite, l’ennemi avait effectué une marche normale, avançant dans une longue formation serpentine. Ils n’avaient aucun moyen de savoir à quel endroit de leur colonne de marche il allait frapper — sans parler du fait qu’il allait le faire de leur côté gauche ou droit.

Leurs éclaireurs l’avaient-ils repéré et suivi ?

Non, cela n’avait pas pu se produire.

L’incroyable rapidité et mobilité du régiment de cavalerie indépendant était l’un de ses traits caractéristiques.

Même s’il était repéré par des éclaireurs, le régiment pourrait atteindre la formation de l’armée ennemie avant que les éclaireurs ne puissent revenir à pied pour les signaler.

Même si Hveðrungr envisageait la possibilité que des éclaireurs aient réussi à les avertir de sa présence, cela ne leur aurait pas donné assez de temps pour préparer un piège aussi élaboré que celui-ci.

« Grrh, ça n’a aucun sens ! » grogna Hveðrungr. « Mais je suppose qu’il est inutile de s’attarder sur ce point pour le moment. »

Au moment où il parlait, l’embuscade ennemie avait déjà coupé la direction d’où venaient ses hommes — en d’autres termes, leur itinéraire de fuite. Ils étaient encerclés.

À ce rythme, ce ne serait qu’une question de temps avant qu’ils ne soient anéantis.

Il n’avait pas de temps à perdre à hésiter.

« À toutes les troupes, chargez en avant ! Nous allons les transpercer ! »

Hveðrungr avait dégainé la lame attachée à sa taille, et chevauchant pour mener sa formation de front, il avait plongé dans les forces ennemies de plein fouet.

Si la mort est certaine, alors je mourrai au moins avec courage.… Naturellement, une telle pensée héroïque et résignée ne pouvait être plus éloignée de l’esprit de Hveðrungr.

Il avait pris cette décision précisément parce qu’il voyait là sa seule chance de survie.

Son adversaire était une armée massive.

Tout comme il y avait dans ses rangs des commandants de première ligne dotés de véritables talents et compétences, il y en avait d’autres qui n’en avaient pas.

Yggdrasil était une société méritocratique centrée sur le règne du plus fort, aussi les nominations de personnes sans aucune compétence à des postes d’autorité étaient certainement peu fréquentes. Bien sûr, chaque personne avait ses propres points forts et points faibles.

Quelqu’un qui avait gravi les échelons grâce à son habileté au combat n’avait pas nécessairement la capacité de commander efficacement les autres.

Sans compter que cette armée avait été formée en combinant à la hâte les soldats de plusieurs clans différents.

Il y aurait des difficultés de communication et de coordination entre les équipes de différentes nations.

Les signes de ces faiblesses n’étaient visibles que dans des détails très subtils, comme de minuscules irrégularités dans les mouvements des soldats. Ces signes étaient des choses que n’importe quelle personne ordinaire pouvait manquer — que même une personne expérimentée et entraînée pouvait manquer — mais Hveðrungr était capable de les rechercher et de les repérer avec précision.

En effet, cela n’était possible que grâce aux incroyables pouvoirs de perception que Yuuto tenait en si haute estime.

Ses cavaliers avaient attaqué en utilisant la formation en pointe de flèche, concentrant toute leur énergie en un point étroit, et cela avait probablement fait pencher la balance.

Après une bataille acharnée, le régiment de cavalerie indépendant avait traversé les lignes ennemies jusqu’à l’autre côté et s’était ensuite échappé.

***

Partie 4

Une fois qu’ils n’étaient plus encerclés, ils pouvaient se déplacer comme ils le souhaitaient. Utilisant la mobilité offerte par leurs chevaux, ils avaient facilement distancé toute tentative de poursuite, et bien qu’ils aient subi quelques pertes, ils avaient réussi à se libérer d’un piège mortel.

Malheureusement, ce n’était que le début de la terreur qui allait les frapper, comme ils allaient bientôt l’apprendre.

« Pheew ! C’était horrible ! »

« Gah ! Chaque gorgée que j’essaie de prendre de ce kumis rend mes maudites blessures encore plus douloureuses. »

« Alors, arrête de le boire. »

« Ferme-la ! Crois-tu que je peux me passer d’un verre après tout ça ? »

Au plus profond de la forêt, au cœur de la nuit, les hommes du régiment de cavalerie indépendant étaient rassemblés autour de minuscules feux de camp, discutant et plaisantant de leur manière habituelle et turbulente.

Ils s’étaient parlé de manière assez grossière, mais dans la bonne humeur.

Après avoir échappé de justesse à la bataille ce matin-là, le régiment était retourné se cacher dans les forêts épaisses près du château de Dauwe, où il se reposait actuellement afin de se remettre de cette épreuve.

« Hé, n’oublie pas que tu dois aussi te battre demain. Ne te déchaîne pas trop ce soir. »

Celui qui avait jeté de l’eau froide sur leurs réjouissances était, bien sûr, leur commandant Hveðrungr.

« Héhé héhé, ne vous inquiétez pas, monsieur, nous savons. »

« Haha, ça ne compte même pas comme “boire” pour moi. »

« Et puis, voyons, quand il fait aussi froid, sans un petit verre ou deux pour réchauffer le sang, un type peut attraper un rhume et se retrouver encore plus mal en point pour se battre demain matin ! »

La saison des récoltes était passée, et l’automne était déjà bien avancé.

C’était déjà la période de l’année où le froid commençait à rendre difficile de dormir dehors la nuit, et pour ajouter à cela, ils campaient dans les hautes terres de l’est de Bifröst, où il faisait encore plus froid.

Ils ne pouvaient pas non plus faire de grands feux de joie, car ils risquaient de révéler leur position à l’ennemi. Ainsi, Hveðrungr avait décidé d’autoriser ses hommes à boire une petite quantité d’alcool pour les aider à faire face à la situation.

« Ils vous respectent beaucoup, c’est sûr, » avait remarqué un homme qui s’était approché de Hveðrungr.

Il s’agissait de Bömburr, le commandant adjoint des forces spéciales de Múspell, qui avait été désigné comme « chien de garde » pour le surveiller pendant cette mission.

Il n’avait rien d’extraordinaire en matière d’aptitude au combat, mais son rôle principal au sein des forces spéciales était de veiller à leur organisation et à leur coordination, et en tant que tel, il était doué pour prêter une attention particulière aux gens. On pouvait supposer que même Hveðrungr ne serait pas capable de comploter quoi que ce soit de traître sous son regard attentif.

Bien sûr, Hveðrungr n’avait pas l’intention de le faire. Du moins, pas maintenant, en tout cas.

« Pour parler franchement, Seigneur Hveðrungr, je m’étais un peu inquiété de savoir si les membres du régiment allaient suivre vos ordres, mais il semblerait que mon inquiétude était déplacée. »

« Hmph, » Hveðrungr avait renâclé dédaigneusement, et avait pris une gorgée de sa propre tasse.

Ce n’est pas comme si le doute de Bömburr était quelque chose qu’il ne pouvait pas comprendre.

Les soldats s’étaient battus avec leur vie en jeu. On ne s’attendrait pas à ce qu’ils suivent quelqu’un au combat qui n’avait pas la force de caractère nécessaire pour se montrer digne de les commander.

Hveðrungr avait toujours perdu bataille après bataille contre Yuuto : la bataille de Náströnd, la bataille de la rivière Körmt, puis les batailles lors de la campagne d’invasion finale du Clan de l’Acier contre eux. Au total, son camp avait subi un nombre assez important de blessés et de morts.

Cette fois-ci, l’ennemi l’avait également déstabilisé et il n’aurait pas été étrange que certains hommes commencent à ne plus vouloir suivre ses ordres.

« Haha ! Vous n’avez rien à craindre ! »

« C’est vrai. Nous savons exactement à quel point ce type est génial parce que nous avons combattu si longtemps à ses côtés. »

« Oui, il a conquis tout le Miðgarðr occidental en un an. Mec, c’était vraiment quelque chose d’autre. »

« Quant aux batailles contre le Clan de l’Acier… eh bien, il s’est juste retrouvé avec le pire ennemi possible. C’est la seule façon de le dire. »

« Oui, c’est vrai. Ils utilisaient ces murs faits de wagons, et ces boules de tonnerre explosives — personne ne pouvait gagner contre des trucs comme ça ! »

« Mais quand même, ce type a trouvé un tas de façons différentes de les contrer. Vous pouvez le croire ? »

« Il est vraiment incroyable. »

Les membres du régiment s’étaient relayés pour chanter les louanges de Hveðrungr.

Hveðrungr avait laissé échapper un petit rire ironique.

« Héhé, ça ne sert à rien, je peux dire exactement ce que vous pensez tous. Même si vous me flattez, je ne vous donnerai pas d’alcool supplémentaire. »

« Bon sang ! Vous n’êtes pas drôle, Père ! »

« Argh, voilà ce que j’obtiens pour vous avoir loué ! »

« Très bien, alors, si on ne suivait pas vos ordres à moins que vous nous donniez plus à boire ? »

« Oui, c’est une idée ! »

Et avec cela, l’atmosphère autour du camp du régiment était devenue encore plus bruyante.

Cette scène avait laissé Bömburr, ainsi que les autres membres de Múspell présents, complètement abasourdis.

Le Clan du Loup sous Yuuto avait été une nation de droit, et cela s’était poursuivi sous le nouveau règne du Clan de l’Acier. Le Clan de l’Acier était très dur en matière de discipline militaire, et cela était encore plus vrai pour la culture des forces spéciales de Múspell, en raison de la personnalité de son commandant, Sigrún.

De leur point de vue, l’idée que des soldats adoptent ce genre d’attitude avec leur commandant et l’ancien dirigeant de leur nation était absolument impardonnable.

« Ils, ah… c’est certainement une culture très informelle dans vos rangs. »

« Héhé, c’est parce que les hommes de Miðgarðr sont rudes et sauvages, et l’ » étiquette » est un concept étranger pour eux. »

« Ah, je vois… » Bömburr n’avait pu répondre que par un vague hochement de tête.

Apparemment, même le commandant adjoint des forces spéciales de Múspell avait été déconcerté par la différence de culture.

« Mais ils sont fidèles à leurs ordres », poursuit Hveðrungr. « Il n’y aura pas de… hm ? »

Hveðrungr s’interrompit lorsqu’il entendit un bruit inattendu : un grand groupe d’oiseaux qui s’envolaient tous en même temps. Il regarda le ciel nocturne d’un air soupçonneux.

D’ordinaire, il ne se serait pas permis de s’y attarder, revenant rapidement à la conversation.

Cependant, après l’incident de ce jour-là, il y avait un étrange malaise en lui, quelque chose qu’il ne pouvait pas expliquer.

Il y avait, bien sûr, quelques oiseaux qui se déplaçaient la nuit, mais pour la plupart, les oiseaux ne volaient que le jour.

« Hé, vous tous, préparez-vous à partir. Leki, Skola, allez regarder dans la direction d’où viennent ces oiseaux. »

« J’ai compris. »

« Aye-aye, monsieur. »

Les deux hommes à qui il avait donné les ordres avaient monté leurs chevaux et étaient partis dans la direction indiquée par Hveðrungr.

Les oiseaux étaient facilement effrayés par de petites perturbations et réagissaient les uns aux autres, de sorte que si l’un d’eux s’envole par surprise, toute la volée faisait de même. Les causes habituelles étaient un oiseau ou une bête prédatrice se déplaçant à proximité. Selon toute vraisemblance, c’était aussi le cas cette fois-ci.

Cependant, il n’y avait rien à perdre en choisissant d’être très prudent ici.

Ce choix avait déterminé le destin du régiment de cavalerie indépendant cette nuit-là.

Un petit moment s’était écoulé, et puis…

« Père ! C’est l’ennemi ! Ils viennent par ici, et ils sont nombreux ! »

Les hommes qu’il avait envoyés en éclaireurs étaient revenus en courant au camp en criant qu’une attaque était imminente.

« Rrrgh, merde ! » cracha Hveðrungr avec amertume. « Comment se fait-il qu’ils sachent où nous sommes !? »

Après avoir conduit ses hommes hors de l’embuscade ennemie et de la zone de combat, il s’était assuré que personne ne les poursuivait encore. En plus de cela, une fois que tous les soldats ennemis avaient été complètement hors de vue, il avait même pris la peine de changer l’itinéraire du régiment.

Tout comme ses ennemis avaient prédit l’heure et l’endroit de son attaque-surprise ce matin-là, cela aussi semblait complètement absurde.

« Quoi qu’il en soit, nous nous retirons, maintenant ! »

En criant cet ordre, Hveðrungr avait monté son propre destrier et l’avait éperonné pour qu’il s’élance.

Grâce à ses ordres antérieurs, les hommes du régiment étaient parfaitement préparés, et ils s’étaient rapidement mis en ligne derrière lui.

La valeur de ces premières actions ne pouvait être sous-estimée.

Si, par exemple, Hveðrungr avait ignoré le bruit des oiseaux, il aurait sans doute été directement touché par l’assaut surprise de son ennemi, et le régiment aurait subi de terribles pertes.

Cependant, les luttes du régiment ne s’arrêtaient pas là.

Chaque fois qu’ils essayaient de mener leurs attaques soudaines, l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier était prête et attendait avec des embuscades entièrement préparées qui semblaient faites sur mesure pour chaque situation.

Peu importe où ils essayaient de s’enfuir ensuite, l’ennemi découvrait facilement leur emplacement et lançait ses propres attaques-surprises.

« Quelle sorte de cerveau est derrière tout ça !? Comment quelqu’un peut-il voir à travers nous si clairement !? »

Au risque d’énoncer une évidence, Hveðrungr avait vécu à une époque de l’histoire antérieure à l’invention de choses comme les avions et les émetteurs-récepteurs. La recherche de personnes dépendait principalement de la main-d’œuvre.

Bien que le clan du Frêne soit une petite nation par rapport aux autres, c’était quand même une vaste zone à couvrir à pied.

Le fait que sa localisation et ses mouvements puissent être découverts à maintes reprises comme cela était impensable dans les limites du bon sens.

« Ce serait une chose pour les dieux qui peut nous regarder du haut des cieux, mais les humains sont des créatures qui marchent sur la terre. Comment des yeux humains pourraient-ils nous chercher de la sorte ? »

Hveðrungr avait senti un terrible frisson froid parcourir son échine.

Heh heh heh, il a une bonne intuition ! Mais je suis sûr que lui-même n’a aucune idée qu’il a donné la réponse à sa propre question.

Une petite silhouette regardait Hveðrungr du haut du ciel.

Déployant ses ailes, il avait audacieusement suivi l’homme dans sa fuite.

Si cette silhouette avait été humaine — non, si au moins il s’était agi de quelque chose qui le suivait sur terre — Hveðrungr, avec ses capacités de perception, aurait pu le remarquer.

Mais les plumes noires d’un corbeau le rendaient difficile à repérer dans le ciel de la nuit noire. Et en ce moment, l’homme était poursuivi par ses ennemis, il n’avait donc pas le temps de scruter le ciel à la recherche de bizarreries.

Et c’est pourquoi il n’avait pas pu le remarquer.

Cette petite créature l’avait toujours observé.

Il est vrai que vous êtes l’unité militaire la plus rapide d’Yggdrasil, plus rapide que quiconque dans le royaume, et de loin. Mais même ainsi, vous n’êtes pas assez rapides pour échapper à l’œil vigilant du Guetteur d’en haut.

Les yeux rouges du corbeau — les yeux de Hárbarth — trahissaient un subtil soupçon de joie, scintillant faiblement d’une lumière sinistre.

Tel était le pouvoir de Hárbarth : son esprit pouvait posséder et contrôler le corps d’autres créatures vivantes.

Cependant, ce pouvoir avait encore des limites. En général, il ne pouvait prendre le contrôle que de créatures de moindre importance, dépourvues d’une intelligence complexe ou d’une forte volonté.

Lorsqu’il s’agissait d’autres humains, c’était fondamentalement impossible, à moins qu’ils ne dorment ou ne soient inconscients, et même dans ce cas, à l’instant où la cible reprenait connaissance, son esprit était éjecté de force. Dans ce sens, son pouvoir était faible, imparfait.

Cependant, la valeur de tout outil résidait dans la manière dont on l’utilisait.

En se projetant dans de petites créatures comme les souris et les écureuils, il pouvait voir dans tous les coins et recoins du palais impérial. En se projetant dans les oiseaux, il pouvait surveiller ses ennemis à l’abri des regards depuis les cieux, comme il le faisait actuellement.

C’étaient les informations qu’il avait recueillies en utilisant son pouvoir de cette manière qui lui avaient permis d’accéder à son poste actuel.

Il avait dévoilé les secrets de ses ennemis politiques et les avait privés de leur soutien public, tout en faisant tomber des ennemis étrangers dans ses pièges et en ajoutant à ses réalisations militaires. Au cours des longues années, il avait accumulé et considérablement étendu son autorité.

Aujourd’hui, la grande capacité de Hárbarth à obtenir n’importe quelle information était connue de tous, de sorte qu’il ne restait pratiquement plus personne au cœur de l’empire qui ose dire du mal de lui.

Le Þjóðann Sigrdrífa et le patriarche du Clan de l’Epée Fagrahvél étaient peut-être les seules exceptions à cette règle. Bien sûr, même ces deux-là étaient maintenant ses pions, se déplaçant selon sa volonté.

Heh heh heh, quel spectacle c’était à voir ! Le pouvoir de Gjallarhorn, l’appel à la guerre, est en effet magnifique.

Il avait regardé la bataille se dérouler au château de Dauwe du début à la fin. La rune de Fagrahvél pouvait agir sur une armée entière en une seule fois, et en termes d’influence sur la dynamique d’une bataille à grande échelle, personne d’autre ne possédait un pouvoir comparable — à l’exception de Hárbarth lui-même, avec sa capacité à surveiller toutes les positions et tous les mouvements des troupes ennemies depuis le ciel.

L’un ou l’autre d’entre eux était déjà une menace terrible, et maintenant, ils avaient uni leurs forces.

De plus, ils pouvaient tirer le meilleur parti de leurs pouvoirs grâce à l’éventail de généraux compétents à la tête de leurs armées.

Les préparatifs avaient été sans faille.

Keh heh heh, tout est prêt. Enfin, le Ténébreux va rencontrer sa fin ici.

Le croassement d’un corbeau résonnait dans l’obscurité de la forêt, se répercutant avec force.

Pour les membres en fuite du régiment de cavalerie indépendant, c’était un son sinistre — comme le rire d’un présage de leur malheur.

***

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