Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 11 – Chapitre 2 – Partie 3

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Chapitre 2 : Acte 2

Partie 3

« Si c’est quelque chose dont tu ne peux même pas discuter avec Grande Sœur Mitsuki, ta propre épouse, alors je sais que ce doit être quelque chose de terrible en effet, mais s’il te plaît, ne porte pas seul un si lourd fardeau. Même si je ne suis pas en mesure de te le prendre, je te demande humblement de le partager avec moi. »

« Grand Frère, je te demande la même chose. Tu sembles si incroyablement tendu ces derniers temps, et je suis terriblement inquiète pour toi. »

« … D’après ce que tu viens de dire, je suppose que cela signifie que Mitsuki l’a aussi déjà remarqué ? » demanda Yuuto, avec du malaise sur son visage. Linéa et Félicia hochèrent gravement la tête.

Yuuto prit une profonde inspiration et laissa échapper un long et lourd soupir. « On dirait que j’ai aussi un long chemin à parcourir. J’essayais de ne pas lui donner plus de raisons d’avoir peur alors qu’elle est encore en plein milieu de sa grossesse. »

Linéa avait dégluti nerveusement. En d’autres termes, le sujet que Yuuto gardait pour lui était suffisamment choquant ou terrifiant pour être dangereux pour la grossesse de Mitsuki.

« Dis-moi, Père, » demanda-t-elle encore. « Que s’est-il passé ? »

« … » Yuuto était resté silencieux.

On aurait dit qu’il était toujours en train de se demander s’il devait vraiment leur dire ou non.

Il était rare de voir Yuuto, quelqu’un de si habile à prendre des décisions, incapable de se décider aussi longtemps.

À ce rythme, il ne semblait pas que Linéa obtiendrait une réponse. Elle jeta un coup d’œil à Félicia.

« Tante Félicia, pouvez-vous quitter la pièce ? »

« Euh… » Félicia s’arrêta un instant, échangea un regard avec Linéa, puis hocha la tête et répondit : « Bien sûr, je comprends. » Elle voulait sûrement connaître la vérité, mais sa décision avait été rapide.

« Je suis désolée, » dit Linéa.

« … Non, tout va bien. Je laisse Grand Frère entre vos mains. » Félicia avait fait une petite révérence et avait quitté le bureau.

Après l’avoir regardée partir et avoir attendu que la porte se referme derrière elle, Linéa s’était tournée vers Yuuto, posant solennellement une main sur sa poitrine.

« Père, je suis la commandante en second du Clan de l’Acier. Bien qu’il me répugne à imaginer que l’impensable t’arrive, dans un tel cas, je suis tenue de te succéder en tant que Réginarque, d’hériter et de perpétuer ta volonté et tes principes. Bien sûr, je comprends que j’ai encore des lacunes à bien des égards… »

« Non, ce n’est pas vrai à…, » Yuuto tenta d’intervenir et d’argumenter cette dernière partie, mais Linéa le coupa à nouveau avant même qu’il ne puisse terminer.

« Mais quand même ! Se préparer au pire est l’un des devoirs les plus importants d’un patriarche. Même s’il s’agit de quelque chose dont on ne peut parler avec personne d’autre, plus le problème est grave, plus j’ai le droit, l’obligation même, de le savoir ! »

Linéa avait dit tout cela sans pause, ses yeux brillaient de la lumière de sa ferme résolution et regardaient fixement dans ceux de Yuuto.

Quoi qu’il en soit, c’était quelque chose qui avait réussi à bouleverser Yuuto au point de l’impatienter alors que même un ordre d’assujettissement impérial ne l’avait pas effrayé ou brisé son sang-froid. C’était quelque chose qui l’inquiétait suffisamment pour qu’il le cache.

C’était sûrement quelque chose d’assez terrible pour faire pâlir en comparaison l’ordre d’asservissement.

Malgré tout, Linéa ne pouvait pas reculer maintenant.

Mitsuki avait dit à Linéa qu’elle lui confierait la tâche d’aider Yuuto dans son rôle de Réginarque. C’était une raison de plus pour qu’elle ne le laisse pas s’occuper seul de cette affaire.

« … Ouais. C’est vrai. Tu as raison, bien sûr. Je devrais au moins quand même te le dire. Je dois le faire, juste au cas où. »

« Ah ! Alors… !? » Linéa se pencha en avant avec empressement, incitant Yuuto à répondre par un léger sourire.

« Oui, je vais te le dire. Mais ne me blâme pas ensuite si tu regrettes que je te l’aie dit maintenant. »

« Non… ça ne peut pas être… Comment… !? »

Linéa ne pouvait que hurler d’incrédulité.

Le récit de Yuuto sur le destin futur de son monde était tout simplement trop absurde.

Elle ressentait cela malgré le fait qu’elle avait une foi totale en Yuuto, une foi aveugle qui était presque de nature religieuse.

D’un autre côté, elle savait pertinemment que Yuuto n’était pas le genre de personne à mentir sur une telle chose.

Elle comprenait maintenant pourquoi il avait eu tant de mal à décider s’il devait ou non lui en parler.

Ce n’était certainement pas quelque chose qu’il pouvait rendre public.

Si l’information se répandait, une anxiété insondable se répandrait dans la population. Dans le pire des cas, les gens désespérés pourraient se livrer à une violence aveugle.

« Yggdrasil va sombrer dans l’océan !? » répéta Linéa, toujours incrédule.

« C’est exact. Pas aujourd’hui, bien sûr, mais dans un avenir assez proche, ce sera absolument le cas. »

« Père, ce n’est pas que je doute de tes paroles, mais… »

« Ne t’inquiète pas, je ne m’attends pas non plus à ce que tu me croies tout de suite. Mais dans le monde d’où je viens, c’est quelque chose qui a déjà été confirmé comme étant arrivé. »

Yuuto grimaça, comme si cela lui faisait mal de dire cette dernière partie.

Son expression n’avait pas donné à Linéa l’impression qu’il mentait.

« … Tu as mentionné que le monde d’où tu viens existait plusieurs milliers d’années dans le futur de notre monde, n’est-ce pas ? »

Yuuto avait hoché la tête. « C’est vrai. Et dans mon monde, ou bien je suppose que je devrais dire, dans l’ère d’où je viens, cette terre d’Yggdrasil n’existe plus. »

Linéa ne déclara rien, et pendant un instant, la pièce fut maintenue dans un silence lourd, oppressant.

Pour Linéa, cette terre dans laquelle elle avait grandi était quelque chose de constant et d’éternel, quelque chose qui avait toujours été là depuis bien avant sa naissance. Elle avait toujours vu la terre s’étendre à l’infini, aussi loin qu’elle pouvait voir, jusqu’aux horizons — non, même au-delà.

Et tout cela était censé couler dans l’océan, sans laisser la moindre trace derrière soi ?

C’était une idée aussi absurde que le soleil se levant à l’ouest et se couchant à l’est.

Pourtant, si Yuuto déclarait cette affirmation avec autant de confiance, c’est qu’il avait suffisamment de preuves pour s’en convaincre.

« … Alors, qu’est-ce qu’on est censé faire ? » demanda faiblement Linéa.

Les gens étaient impuissants face à la force imparable d’une catastrophe naturelle.

S’ils savaient à l’avance que ce cataclysme allait se produire, ils n’avaient pas d’autre choix que d’essayer d’évacuer, mais si tout Yggdrasil lui-même était condamné à sombrer, où pouvaient-ils fuir ?

« Pour l’instant, j’ai demandé à Ingrid de fabriquer un prototype de voilier. Je les produirai en masse, et nous les utiliserons pour fuir Yggdrasil. J’ai l’intention d’emmener tous nos citoyens, et de nous déplacer sur un autre continent. »

« Un autre… continent ? » répéta Linéa, abasourdie. « Une telle chose existe !? »

Il y a des continents à part Yggdrasil.

Jusqu’à présent, c’était quelque chose qu’elle n’aurait jamais pensé.

Cependant, ce n’était pas particulièrement inhabituel pour quelqu’un vivant à son époque.

À la même époque, dans l’ancienne Mésopotamie, Sargon d’Akkad se donnait le titre de « roi de l’univers ». Quant aux Européens, jusqu’à l’ère des découvertes maritimes, leur concept du monde entier ne s’étendait qu’aux parties adjacentes des continents eurasien et africain, ce qui signifie que leur monde n’avait qu’une seule masse continentale contiguë. Les continents américain et australien n’existaient pas pour eux.

Ainsi, l’hypothèse de Linéa selon laquelle Yggdrasil était la seule masse terrestre existante dans le monde n’était pas déraisonnable.

« Ça existe, » dit Yuuto. « Plusieurs même. L’Europe devrait être de l’autre côté de la mer, à l’est d’Yggdrasil, et le continent américain à l’ouest. »

« Attends juste un moment, s’il te plaît ! » cria Linéa avec confusion, sa voix devenant presque stridente.

L’idée qu’Yggdrasil s’enfonce dans l’océan était déjà assez bouleversante en soi, mais le fait qu’il existe d’autres masses terrestres au-delà des mers extérieures suffisait à perturber son concept de la structure du monde lui-même.

Son esprit ne pouvait tout simplement pas suivre.

Elle avait pris une série de longues et profondes respirations. Après une dizaine d’entre elles, elle avait enfin senti qu’elle se calmait.

« Si je suis honnête, Père, il y a plusieurs parties que je ne comprends pas vraiment, mais je comprends au moins pourquoi cela a dû te donner un sentiment de désespoir, et pourquoi tu ne pouvais pas le dire à la Grande Sœur Mitsuki. »

« Haha, je suis désolé de m’être déchargé sur toi, mais je dois dire que j’ai l’impression que le fait de t’en parler m’a enlevé un peu de poids sur mes épaules. »

« Non, je suis contente que tu me l’aies dit », dit Linéa, sans hésiter. « Il est vrai que la seule pensée que cette terre va sombrer dans la mer me terrifie. Mais c’est toujours bien mieux pour moi que de te laisser souffrir seul avec cette connaissance. Je ne suis peut-être pas capable de t’enlever ce fardeau, mais laisse-moi au moins faire tout ce que je peux pour te le rendre plus léger. »

« … Merci. » Yuuto prit une longue et profonde inspiration, puis s’affala contre le dossier de sa chaise.

C’était comme si le soulagement soudain qu’il ressentait avait également libéré toutes les forces de son corps.

Si rien n’était fait, des centaines de milliers de vies humaines seraient perdues sous les vagues de la mer. Même si Yuuto était le plus grand héros et le plus grand dirigeant que cette génération ait jamais vu, c’était encore une trop lourde responsabilité pour lui d’essayer de la porter tout seul.

« Pourtant, ce projet de transporter tout notre peuple vers cette autre masse terrestre à travers la mer… quelle entreprise vraiment énorme ! »

Il était assez facile de mettre le concept en mots, mais la tâche elle-même serait difficile à exécuter à un point où cela semblait au-delà du réel.

Le Clan de l’Acier à lui seul avait une population de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Les transplanter tous nécessiterait un nombre énorme de vaisseaux, même si l’on utilisait plusieurs voyages pour essayer de réduire le nombre de vaisseaux à construire.

Ils auraient également besoin de suffisamment de réserves alimentaires pour assurer temporairement la survie de toutes ces personnes à leur destination.

Rien que le fait de faire les calculs de base dans sa tête donnait le tournis à Linéa.

« Géographiquement parlant, allons-nous nous diriger vers l’ouest, vers cette masse continentale “Amérique”, alors ? » demanda-t-elle.

Le Clan de l’Acier avait déjà sécurisé les terres les plus à l’ouest de la région d’Álfheimr, y compris plusieurs ports le long de la côte ouest.

En revanche, pour atteindre la côte maritime orientale, il faudrait traverser les régions de Bifröst et d’Ásgarðr, puis éventuellement la région orientale de Jötunheimr.

En y pensant sous cet angle, il semblerait que l’Amérique était le seul choix possible.

« Non, » dit Yuuto. « Cela peut être notre dernier recours, mais pour l’instant, j’ai l’intention de partir en Europe ». On aurait dit qu’il partait d’une logique complètement différente.

« Puis-je demander la raison ? »

« C’est quelque chose que je compte tester et confirmer à un moment donné, mais Yggdrasil est probablement assez proche de l’Europe. Dans le Timée de Platon, il écrit qu’il y avait à la fois du commerce et des guerres entre les peuples de l’Atlantide et de l’Europe. »

« Hum, c’est quoi cette “Atlantide” ? »

« C’est un nom qui fait référence au Saint Empire d’Ásgarðr. Dans votre langue, le nom Ásgarðr signifie “le pays des dieux”, non ? »

Linéa acquiesça. « Oui, c’est exact. »

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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