Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 11 – Chapitre 1 – Partie 5

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Chapitre 1 : Acte 1

Partie 5

« Pendant si longtemps, j’ai pensé que tu n’avais qu’un pouvoir emprunté, aucune force propre, et que tu m’avais volé ma place de patriarche en trichant. »

« “Si tu n’avais pas ce smartphone ou quel que soit le nom qu’on lui donne, tu ne pourrais rien faire”. Je m’en souviens. Le fait est qu’à l’époque, c’était vrai pour moi. »

Deux ans plus tôt, juste avant d’attenter à la vie de Yuuto, Hveðrungr — dans ses derniers instants en tant que Loptr — lui avait craché ces mots haineux, et ils avaient été gravés dans son cœur comme une sorte de malédiction. Même maintenant, il ne pouvait les oublier.

À cette époque, Yuuto avait considéré les connaissances et les informations qu’il obtenait grâce à son smartphone comme s’il s’agissait de son propre savoir, de son propre pouvoir.

Bien sûr, ce n’était pas le cas. Yuuto aurait tout perdu s’il avait perdu le téléphone. Tout ce qui l’avait rendu utile, lui avait valu d’être apprécié, avait été séparé de lui, relié à lui par rien de plus que ce fil fin et fragile.

Yuuto frissonna à l’idée de ce qui aurait pu se passer si cette idée fausse avait continué à grandir en lui. En ce sens, les mots de Loptr avaient bien servi Yuuto, comme une admonestation et un contrôle de son ego qui avaient contribué à faire de lui la personne qu’il était maintenant.

Hveðrungr laissa échapper un petit rire d’autodérision et baissa les yeux sur la paume de ses mains.

« Héhé, je n’ai cependant pas le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet. Tous les pouvoirs et techniques que j’utilise ont été pris à d’autres, après tout. C’est peut-être pour cela qu’au fond de mon cœur, j’ai l’impression qu’aucun d’entre eux n’a jamais été vraiment le mien. »

« … Je suis surpris, je ne m’attendais pas à ce que tu aies ce genre de choses qui te pèsent. Tu as toujours eu l’air de déborder de confiance en toi. »

« C’est parce que je n’avais pas confiance en moi. J’étais toujours en train de faire semblant. »

« Je vois, c’était donc comme ça… Ou bien, peut-être que c’est comme ça, pour ce genre de choses. »

Le pouvoir de Hveðrungr était celui de l’imitation.

Il pouvait voler toutes les techniques des autres et les copier pour lui-même. C’était vrai même pour les capacités et les techniques que l’autre personne avait mis des mois ou des années à développer et à maîtriser.

Cependant, les gens n’avaient aucun lien personnel avec les choses qu’ils obtiennent sans aucun travail. C’est cet effort fourni, cette histoire personnelle, qui se traduit par une véritable confiance.

Yuuto avait appris cela grâce à ses expériences d’apprentissage du raffinage du fer.

Hveðrungr, par contre, pouvait simplement exécuter immédiatement toute nouvelle compétence, et donc il ne pouvait pas croire en lui-même, et seul le vide avait rempli son cœur.

« Je comprends maintenant la vérité. Ou plutôt, lors de mon dernier duel avec Skáviðr, j’ai été forcé de comprendre. J’avais concentré tant de haine sur toi à cause de mes propres sentiments d’infériorité. »

« Alors tu m’as détesté parce que nous étions semblables », déclara Yuuto.

« Exactement. La personne pour laquelle j’éprouvais vraiment une haine si amère, celle que je voulais vraiment tuer, n’était autre que moi-même, le faible moi qui n’avait rien à lui. Heh, c’est presque trop drôle, n’est-ce pas ? »

En psychologie, il existe une situation particulière dans laquelle une personne voit une qualité qu’elle n’aime pas chez elle représentée par une autre personne, et elle en vient à détester intensément cette autre personne à cause de cela.

Dans ces situations, ils peuvent être obsédés par le fait de dénoncer et d’attaquer l’autre pour ses défauts, tout en ignorant complètement les leurs.

Yuuto, dans le but d’améliorer ses compétences en tant que patriarche, avait étudié un peu de psychologie et savait que le terme technique pour ce phénomène était « projection ». En projetant ses propres défauts détestables sur une autre personne, on pouvait éviter de penser à son propre côté hideux et maintenir son sentiment de fierté personnelle.

En fait, Loptr avait gardé un sérieux complexe d’infériorité à son égard parce qu’il sentait qu’il n’avait pas de force propre, seulement celle qu’il empruntait aux autres. Et en regardant Yuuto, quelqu’un d’autre avec rien d’autre qu’une force empruntée, devenir patriarche à sa place, sa haine de cette faiblesse avait enflé au-delà de sa capacité à la réprimer, et avait explosé violemment.

« Tout était si simple une fois que je l’ai réalisé. Ce que je voulais vraiment n’était pas de devenir patriarche. Je voulais être reconnu comme meilleur que tout le monde et, ce faisant, prouver que j’avais une force qui m’était propre. Après tout, la personne reconnue comme la meilleure ne pouvait pas être un imposteur. »

Ici à Yggdrasil, le pouvoir était tout. Seuls les meilleurs, ceux qui avaient une vraie force, s’élevaient au-dessus des autres pour devenir patriarche.

En ce sens, la position de patriarche était pour lui l’objectif idéal à atteindre, car elle était l’expression facile à comprendre d’un véritable pouvoir.

« Trouver en moi quelque chose qui m’appartienne vraiment, quelque chose que je suis le seul à posséder. C’est ce que je veux vraiment. Je n’ai plus aucun intérêt pour toi. »

« Aucun intérêt, hein ? » murmura Yuuto.

Après toute la haine irrationnelle, l’obsession que cet homme avait montrée à son égard, tout cela avait été mis de côté si simplement.

C’était une autre chose chez cet homme que Yuuto avait du mal à comprendre, et cela ne faisait que renforcer son caractère anormal.

« Si c’est comme ça, alors je crois que je vais y aller. J’ai obtenu les réponses que je voulais. »

Yuuto s’était remis debout.

Il tourna le dos à Hveðrungr et se dirigea vers la sortie de la pièce.

« Je pense cependant que tu as déjà un talent propre qui est tout à fait étonnant. »

Yuuto avait murmuré ces derniers mots et avait descendu les escaliers.

Du point de vue de Yuuto, chez l’ennemi qu’était Hveðrungr pendant la guerre, la chose la plus terrifiante n’était pas sa capacité à copier des techniques. C’était la capacité sous-jacente qui rendait son imitation possible : son incroyable pouvoir d’observation.

C’était l’une des capacités les plus difficiles à former pour les commandants d’armée, mais aussi l’une des armes les plus puissantes à leur disposition.

Si Hveðrungr n’avait pas été aussi distrait par sa dépendance à l’égard des compétences des autres, s’il avait été capable de réaliser cette force fondamentale qui est la sienne et de la développer encore plus, peut-être que le vainqueur de leur dernière guerre aurait été différent.

Mais ça ne lui servirait à rien de l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre. Il ne serait pas capable d’accepter les résultats à moins de les découvrir par lui-même.

Alors que Yuuto sortait de la tour, Félicia avait couru vers lui. « Comment ça s’est passé ? » avait-elle demandé, avec de l’inquiétude dans la voix.

Yuuto leva les yeux vers le ciel étoilé.

« Je ne me sens pas bien de parler de ton frère de cette façon devant toi, mais c’est une personne horrible. »

D’abord et avant tout, Hveðrungr était complètement égocentrique.

Il ne s’intéressait qu’à lui-même, ou aux choses qui le concernaient. Et pour satisfaire ses intérêts égoïstes, il était prêt à tromper les autres, ou à les piétiner, sans ressentir le moindre sentiment de culpabilité pour ceux qu’il blessait.

Il était brutal et sans remords. « Bâtard sans cœur » serait certainement un surnom approprié.

Et c’est précisément la raison pour laquelle —

« J’ai besoin qu’il travaille sous mes ordres, » déclara Yuuto.

« Quoi !? Après l’avoir rencontré, tu dis encore des choses comme ça !? Si tu le libères, il pourrait très bien retourner immédiatement son épée contre toi ! »

« Je suis prêt à prendre ce risque. J’ai besoin de lui. »

À partir de maintenant, Yuuto allait essayer de suivre la voie de la conquête militaire. Il ne pouvait pas se permettre de toujours faire la « bonne » chose.

Cet homme, Hveðrungr, pouvait utiliser son sens de l’observation pour discerner la vulnérabilité d’un ennemi, imaginer des plans vicieux et rusés auxquels Yuuto n’aurait jamais pensé, et les exécuter sans hésitation ni remords.

Compte tenu de ce qui allait se passer, il était une ressource dont Yuuto avait absolument besoin de son côté.

« Je suis de retour ! »

« Bienvenue, Yuu-kun. Le dîner est prêt ! »

Cette journée pleine d’excitation, de chocs et d’agitation était enfin terminée, et alors que Yuuto retournait dans sa chambre, Mitsuki l’accueillait avec un sourire radieux.

Derrière elle, il pouvait voir du riz blanc, du saumon grillé au sel, de la soupe miso, des omelettes roulées à la Dashimaki… tous les éléments de base d’un pur repas traditionnel japonais préparé à la maison, alignés sur une table.

Yuuto avait senti une chaleur monter dans sa poitrine.

« Je rentre à la maison après une longue et dure journée de travail, et ma femme est là à m’attendre avec un sourire et un délicieux repas qu’elle a préparé pour moi. Je dois dire que je suis un homme chanceux. »

« Hee hee, oui, tu as de la chance, n’est-ce pas ! » La réponse de Mitsuki était vantarde, mais elle avait aussi l’air heureuse.

C’est pourquoi ça avait aussi fait un peu mal à Yuuto de l’entendre.

« Je suis désolé. Une femme merveilleuse et travailleuse comme toi ne méritait pas d’être laissée seule le jour de son mariage. »

Yuuto était assez ignorant lorsqu’il s’agissait du cœur des femmes, mais même lui comprenait que, pour une femme, une cérémonie de mariage était un événement extrêmement important.

Pour ce qui était censé être le plus beau jour de leur vie, il était totalement inexcusable que le marié passe toute la journée, en dehors de la cérémonie, occupé à travailler, laissant sa femme toute seule.

« Non, c’est bon, je comprends. Je veux dire, je ne connais pas vraiment les détails, mais il se passe quelque chose de vraiment sérieux en ce moment, non ? »

« Ouais. Honnêtement, ça me donne un vrai mal de tête, » dit Yuuto avec un soupir.

Pour l’instant, ses actions rapides avaient permis d’éviter toute confusion et tout désordre supplémentaires au niveau national, mais cela ne changeait rien au fait que le Clan de l’Acier était toujours en très mauvaise posture.

Et il était facile d’imaginer que les choses allaient rapidement empirer si le problème n’était pas réglé rapidement.

Yuuto avait besoin de faire quelque chose, et ça devait être rapide.

« Contre une alliance verticale, la parade la plus efficace serait de les briser avec une alliance horizontale, du moins selon la théorie…, » marmonna Yuuto.

« Verticale ? Horizontale ? » Mitsuki avait incliné sa tête sur le côté, perplexe.

« Ah, désolé pour ça, » dit Yuuto en riant un peu. « Ce n’est pas vraiment quelque chose dont on peut parler pendant notre nuit de noces. »

D’ordinaire, ils devraient passer la soirée à se chuchoter des mots doux à l’oreille, mais là, il abordait des sujets violents.

« Non, c’est bon. Je suis désolée de ne pas en savoir plus sur ce genre de choses. »

« Non, tu es très bien comme tu es. En fait, c’est quelque chose dont je suis heureux. »

Le temps passé par Yuuto avec Mitsuki était le seul moment où il pouvait se libérer de la pression écrasante de son rôle de Réginarque Suoh-Yuuto.

Lorsqu’il parlait avec elle, il pouvait oublier qu’il était le chef d’une nation et redevenir un jeune homme ordinaire du Japon. Il pouvait se détendre.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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