Chapitre 1 : Acte 1
Partie 4
Peu de temps après la fin de la réunion confidentielle de Yuuto avec Botvid. Sous la faible lueur d’une torche, Yuuto montait seul les escaliers sombres et lugubres de la tour.
Il avait demandé à Félicia de l’attendre dehors.
C’était la Tour Nari. Nichée dans un coin reculé de l’enceinte du palais de Gimlé, c’était une tour de prison réservée spécialement aux personnes de haut statut.
L’endroit était complètement silencieux, et les pas de Yuuto semblaient presque anormalement forts dans ce silence.
Pour l’instant, il n’y avait qu’un seul prisonnier détenu ici.
« Eh bien. Voilà un visage que je n’ai pas vu depuis longtemps. »
Lorsque Yuuto était arrivé au dernier étage, l’homme dans la cellule l’avait salué d’une voix joyeuse.
Un masque noir de jais cachait la moitié supérieure du visage de l’homme, ce qui conférait à son apparence un caractère distinctif et douteux.
Il s’appelait Hveðrungr, et il était l’ancien patriarche du Clan de la Panthère. Mais pour Yuuto, il était bien plus que cela…
« Et moi qui pensais que tu m’avais oublié depuis longtemps. »
« Ouais, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, Grand Frère. J’avais prévu de venir te rendre visite une fois que les choses se seraient un peu calmées, mais ça a fini par prendre pas mal de temps. »
… Il avait également été le grand frère de Yuuto, et les deux individus étaient liés depuis longtemps par un lien fatal.
Lorsque Yuuto l’avait rencontré pour la première fois, il s’appelait Loptr, et faisait partie du Clan du Loup. À cette époque, Yuuto venait tout juste d’arriver à Yggdrasil, incapable de parler la langue ou de subvenir à ses besoins. Alors que les autres habitants se moquaient de Yuuto en lui donnant le nom de « Sköll » — qui signifie « Dévoreur de bénédictions » — Loptr avait été différent. Avec sa jeune sœur biologique Félicia, Loptr s’était occupé de Yuuto, avait cru en lui et l’avait encouragé… Cependant, lorsqu’il avait perdu la position de patriarche au profit de Yuuto, Loptr avait perdu la raison dans une crise de jalousie et avait essayé de le tuer, puis avait fui le clan lorsque cette tentative avait échoué.
« En parlant de s’installer, j’ai appris que tu avais épousé ton amie d’enfance. Je suppose que je devrais dire “Félicitations”. »
« Oui, merci. »
« Et pourtant, j’ai entendu dire que tu as aussi pris Félicia dans ton lit ? »
La voix de Hveðrungr était glaciale, et il fixait Yuuto avec des yeux bridés.
Il avait dû l’apprendre directement de Félicia.
« C’est vrai, » répondit Yuuto sans ménagement. « Je suis désolé. Je sais que tu as dit que tu ne me pardonnerais jamais d’avoir d’autres relations si je me mettais avec elle. »
« Et n’ai-je pas dit que si tu faisais ça, je te tuerais ? »
« C’était si je la “faisais pleurer”, tu te souviens ? Jusqu’à présent, je ne l’ai pas fait. »
Bien sûr, Yuuto avait fait pleurer Félicia plusieurs fois, mais il avait décidé de ne pas en parler.
Hveðrungr semblait quelque peu insatisfait de la réponse de Yuuto. « Hmph. Tu as une bonne mémoire. Eh bien, elle semblerait elle-même satisfaite de l’arrangement, alors je suppose que je vais laisser tomber. De plus, même si je voulais te punir, je ne suis pas en mesure de le faire. »
Il avait tapé de la main contre les épais barreaux de bois qui séparaient l’espace entre eux deux.
En tant qu’Einherjar, il était fort, mais briser les barreaux de cette cellule à mains nues serait encore presque impossible sans la force monstrueuse que possède Steinþórr du Clan de la Foudre.
Dans cet état, il ne serait même pas capable de s’approcher de Yuuto, et encore moins de le tuer.
« Allons de l’avant, » dit Hveðrungr. « Dis-moi, qu’est-ce qui t’a finalement amené ici après tout ce temps ? »
Yuuto acquiesça. « Je voulais discuter de certaines choses avec toi », commença-t-il en s’asseyant sur le sol.
« Allez, maintenant, tu fais vraiment ça ? Un noble patriarche, assis de lui-même sur le sol nu et sale ? » demanda Hveðrungr d’un ton exaspéré.
« Hé, si on doit avoir une longue discussion, je ne vais pas m’épuiser à le faire debout. » Un sourire malicieux apparut sur le visage de Yuuto alors qu’il répondait.
Parler comme ça, se lancer des piques, c’était aussi quelque chose qu’ils avaient l’habitude de faire il y a deux ans.
Yuuto avait ressenti un peu de réconfort nostalgique. Cela lui faisait aussi un peu mal au cœur.
« Tu vas me demander pourquoi j’ai essayé de te tuer. Ai-je raison ? » demanda Hveðrungr, en essayant d’aller droit au but.
Cependant, Yuuto secoua sa tête.
« Non. Je n’en ai pas besoin, plus maintenant. Tu as passé toute ta vie à vouloir devenir patriarche, tu as tout risqué pour ça, pour que le petit frère dont tu t’occupais vienne te l’arracher sous le nez. Bien sûr que tu veux me tuer. » Yuuto laissa échapper un petit rire d’autodérision et affaissa ses épaules.
« Eh bien, tu es devenu plus philosophe à propos de ce genre de choses, n’est-ce pas ? »
« Je suis patriarche depuis deux ans, et j’ai vu tellement de gens courir après le pouvoir et l’autorité, s’y accrochant comme s’ils étaient possédés. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’apprendre à regarder les choses de façon moins personnelle. »
« C’est un peu insultant d’être mis dans le même sac que ces gens, mais je suppose que je ne peux pas discuter, n’est-ce pas ? » dit Hveðrungr en gloussant.
L’autorité, la promesse de pouvoir sur les autres, semble avoir un effet pervers sur les gens, comme si elle invoquait un démon dans leur cœur. Tuer pour obtenir ce pouvoir, même parmi ses proches en chair et en os, n’était pas vraiment un événement rare.
Yuuto n’allait pas demander « Pourquoi ? » à ce stade. Dans ce sens, il n’était plus un enfant.
« C’est du passé, ça n’a pas d’importance. En fait, je suis beaucoup plus en colère contre toi pour avoir brûlé des terres sur ton propre territoire du Clan de la Panthère. »
« Ah, oui, ça. » Hveðrungr avait hoché la tête, comme s’il était également prêt à répondre à cette question.
Sa voix ne trahissait aucune émotion, comme si le sujet le laissait totalement indifférent.
En d’autres termes, bien qu’il ait brûlé les terres sur lesquelles il régnait et infligé d’incroyables souffrances aux sujets qu’il était tenu de défendre, il ne ressentait pas la moindre culpabilité pour ce qu’il avait fait.
« Tu ne regrettes pas du tout d’avoir fait ça, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto, cherchant une confirmation.
« Vas-tu m’attaquer pour cela comme Félicia l’a fait ? Me traiter d’“atroce et d’inhumain” ? Me demander : “As-tu seulement une conscience humaine ?”, peut-être ? » Le ton de Hveðrungr était mélodramatique, et il lança à Yuuto un regard significatif en attendant une réponse.
Yuuto avait eu le sentiment qu’il était testé ici.
Il avait secoué la tête une fois de plus.
« Non, je n’ai pas l’intention de te condamner pour ça. En tant que stratégie de guerre, c’était extrêmement efficace. Le nettoyage et les séquelles ont été un enfer, et cela a porté un coup sérieux au Clan de l’Acier, tant sur le plan financier que sur celui de l’approvisionnement en nourriture. »
Lorsque Yuuto avait formulé ses plans de guerre initiaux, il avait pensé qu’après avoir subjugué le Clan de la Panthère à l’ouest, il pourrait faire demi-tour et vaincre également le Clan de la Foudre, s’occupant ainsi des deux plus grandes menaces pour son clan. Il avait prévu d’être rétabli et prêt à commencer à avancer vers le centre d’Ásgarðr avant la fin de l’été.
Au lieu de cela, la stratégie de la terre brûlée du clan de la Panthère avait fait en sorte que Yuuto ne puisse plus faire de mouvements militaires jusqu’à au moins après la récolte d’automne, causant un retard inévitable dans ses plans généraux.
Yuuto pouvait dire que le coup de Hveðrungr avait été terriblement efficace, avec des répercussions douloureuses et durables.
« Heh heh heh, bien sûr que ça l’était. Même en y repensant maintenant, à ce moment-là, dans les conditions qui étaient les miennes, il n’y avait pas de méthode plus efficace que j’aurais pu choisir. Si je regrette quelque chose, c’est de ne pas avoir persévéré dans cette voie. J’aurais dû continuer à brûler la terre pendant encore plus longtemps. »
Hveðrungr avait dit cela fermement et sans hésitation.
Il est apparu clairement dans ses mots et son ton qu’il ne regrettait rien.
« Je sais que j’ai dit que le passé n’avait plus d’importance, mais je me suis souvenu qu’il y avait une chose que je voulais demander à propos du passé, » dit Yuuto. « C’est à propos du fait que tu as tué Père. Est-ce que tu le regrettes ? »
Le « Père » dont parlait Yuuto était son père juré Fárbauti, le vieil homme qui avait été le patriarche du Clan du Loup avant lui. Fárbauti était mort après s’être jeté devant Yuuto pour le protéger de l’attaque à l’épée de Loptr.
Fárbauti avait aussi été le père juré de Loptr, et Loptr ne l’avait tué que par accident. Toute personne normale aurait été tourmentée par sa propre conscience coupable pour une telle chose.
« Hmm, on peut dire que oui. À l’époque, j’étais tellement en colère que j’ai perdu la tête et j’ai agi de manière impulsive. J’aurais dû prendre mon temps et faire les préparatifs nécessaires avant d’agir. Si j’avais fait ça, Père n’aurait pas non plus eu à mourir. »
Comme prévu, il y avait quelque chose d’effrayant dans la réponse de Hveðrungr.
En parlant avec lui comme ça, il avait toujours un air doux qui rappelait ses jours en tant que Loptr, mais derrière cela, il y avait un vide qui faisait froid dans le dos de Yuuto.
Ce que Hveðrungr regrettait, c’était seulement qu’il n’ait pas été capable d’atteindre ses objectifs, et qu’il n’ait pas obtenu ce qu’il voulait. Le sentiment de culpabilité pour ce qu’il avait fait, ou le chagrin d’avoir perdu son père juré… rien de tout cela n’était présent.
C’est donc à ça que ressemble un soi-disant « psychopathe », hein ? avait pensé Yuuto.
Ces personnes avaient soi-disant en commun d’être de beaux parleurs, d’être sociables, d’être charismatiques et charmantes, mais de manquer terriblement de compassion ou d’empathie envers les autres.
En outre, bien qu’ils aient tendance à être méticuleux et à planifier avec soin, ils peuvent parfois « craquer » et se montrer impulsifs.
Cette description correspondait parfaitement à cet homme.
Il y a deux ans, Yuuto ne l’avait pas vu tel qu’il était.
Bien sûr, contrairement à maintenant, à l’époque Loptr avait fait en sorte d’agir comme une personne normale. Pourtant, quand Yuuto y repensait, il avait l’impression de pouvoir maintenant voir les signes, les diverses allusions dans les paroles et les actions passées de l’homme.
À l’époque, cet aspect froid, rationnel et calculateur était apparu à Yuuto comme quelque chose d’adulte et de mature. Yuuto l’avait admiré pour ça.
Maintenant, il le voyait comme quelque chose d’effrayant. Et maintenant, même plus qu’il y a deux ans, il le voyait comme quelque chose d’incroyablement prometteur.
« Est-ce que tu veux toujours me tuer maintenant, en supposant que tu puisses le faire ? » demanda Yuuto, à la fois par curiosité et comme un test.
« Hm ? Non. Je ne m’attends pas à ce que tu me croies, mais je n’ai pas du tout envie de te tuer. » La réponse de Hveðrungr était directe et semblait naturelle.
Bien sûr, Yuuto n’avait pas l’intention de prendre ses paroles pour argent comptant, mais il sentait qu’il pouvait au moins leur accorder un certain niveau de confiance.
Il n’y avait plus aucune trace de l’intense dégoût qu’il avait ressenti lorsqu’ils avaient croisé leurs épées face à face à Náströnd.
Il n’avait pas non plus l’impression que Hveðrungr ne faisait que réprimer sa haine afin de se mettre dans les bonnes grâces de Yuuto.
En un mot, il ne semblait pas intéressé.
merci pour le chapitre