Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 1 – Chapitre 1

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Acte 1

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Acte 1

Partie 1

 « Ouaaaaaaissss !! » Les troupes autour de lui avaient hurlé un cri de guerre tonitruant.

Les vibrations de milliers de personnes piétinant avec leurs pieds semblaient se transmettre à travers les roues jusqu’à son corps, résonnant au cœur de son être. C’était comme si la terre elle-même tremblait.

Depuis la zone arrière du char, Yuuto avait continué à observer le champ de bataille. De grandes quantités de cadavres étaient dispersées tragiquement dans ces terres incultes balayées par la tempête de poussière. La majorité des corps étaient des dépouilles d’ennemis, mais le nombre d’alliés abattus n’était pas insignifiant.

Leurs armes désormais sans maître, baignées dans les rayons du soleil, miroitaient d’une couleur dorée.

Entre ce spectacle et l’odeur de sang qui flottait sur le champ de bataille, poussé par un vent sec, Yuuto ne pouvait pas réfréner un sentiment de nausée irrésistible. Même maintenant, il n’était toujours pas habitué à l’atmosphère du champ de bataille.

La principale amélioration par rapport à sa première campagne était qu’au moins là, il n’avait pas vomi.

« Il semble que la bataille soit plus ou moins décidée. Je ne devrais pas être surprise, Grand Frère, mais tes ordres étaient vraiment spectaculaires, » Félicia, la fille se tenant toujours à côté d’Yuuto en tant qu’assistante et préposée, lui avait offert son compliment dans un ton vif. « Contre un ennemi ayant un nombre de soldats plus important, avoir pu revendiquer une victoire si facilement... Il est difficile de te voir comme autre chose qu’un dieu de la guerre réincarné. »

Elle était d’une beauté impressionnante avec un sourire mature et chatoyant. De longs cheveux dorés qui tombaient jusqu’à sa taille traînaient doucement derrière elle dans le vent. Les vêtements fins et blancs qu’elle portait, exposant beaucoup de peau, semblaient très déplacés ici sur le champ de bataille.

« Ce n’est pas grand-chose, » sans fierté ni modestie, Yuuto avait répondu avec indifférence. En effet, pour lui, il n’y avait rien à se vanter à propos de tout ça.

Il avait tout simplement connu des informations pertinentes.

« Ceux qui étaient fantastiques étaient Alexandre le Grand et Oda Nobunaga, » déclara-t-il. « Je n’ai pas eu moi-même ces idées. »

« Hein !? Alex... ? » demanda Félicia.

Yuuto réagit à l’inclinaison de tête de Félicia avec une tentative de sourire ironique.

La tactique employée par Yuuto avait des milliers d’années dans son monde : la formation de bataille des phalanges de soldats citoyens Hoplite. Ils avaient combattu avec des lances incroyables de trois à quatre fois leur taille. Dans des affrontements au corps à corps, cette arme ridiculement longue serait inefficace en raison de l’incapacité de faire des mouvements serrés, ce qui n’en faisait rien de plus qu’un gros bâton inutile. Par conséquent, personne dans ce monde n’avait pris le temps de le considérer à sa juste valeur. Mais dans les batailles de grands groupes, elle était facilement devenue une arme vraiment mortelle.

Les longues lances pouvaient être utilisées afin de percer des ennemis depuis l’intérieur de formations soudées et sans failles, de sorte que les adversaires ne pourraient pas s’approcher de vous sans ajouter leurs corps à la pile de cadavres déjà existante. Il y avait un concept similaire dans l’histoire japonaise appelé le « mur de lances ».

Nous parlions là de la sarisse [1] d’Alexandre le Grand et la longue lance d’Oda Nobunaga. À l’époque moderne, les historiens les considéraient comme des tactiques qui avaient assuré la victoire aux souverains et aux héros suprêmes dans des périodes de temps révolues.

« Je ne suis rien de plus qu’un tricheur... Arg ! » Yuuto avait fini par avaler ses mots et il avait détourné son regard de Félicia. Le véhicule se balançait comme si une meule avait heurté une pierre et ses gros seins rebondissaient devant lui.

« Oh Mon Dieu ! Héhé ! » Félicia avait alors fait apparaître un sourire espiègle. Peut-être avait-elle remarqué ce qui lui était monté à la tête.

Yuuto réalisa soudainement que son visage avait rougi d’un rouge vif. Il avait constaté qu’il était extrêmement embarrassé.

Après tout, il s’agissait d’un champ de bataille. Ils n’avaient pas un instant à perdre pour de telles frivolités. Agité, Yuuto expulsa toutes ses pensées charnelles et replaça son esprit sur la bataille.

« Très bien, nous avons clairement ébranlé l’ennemi. C’est maintenant que nous devons en finir une bonne fois pour toutes. Levez le plus haut possible vos bannières, et que toutes les troupes... chargez ! » déclara-t-il.

Avec un mouvement puissant de sa main, Yuuto avait pris son manteau et avait donné son ordre.

Bwooooo ! Bwoooooo ! Les soldats qui gardaient le périmètre autour de lui avaient fait rugir les trompettes à l’unisson. Dans le même temps, un cri de guerre perçant les oreilles s’était amplifié dans la zone proche de lui.

Yuuto fit grimacer son visage en raison de l’explosion de bruit, puis, soudain, ses yeux trouvèrent un cadavre gisant sur le sol. Il s’agissait de traits qu’il reconnaissait. Ce n’était pas quelqu’un avec qui il aurait pu dire qu’il avait été proche, mais il pouvait se souvenir de quelques conversations qu’il avait eu avec ce soldat.

Sa mort avait été le résultat des ordres d’Yuuto, et de rien d’autre. Quelque chose d’amer se répandit dans le cœur d’Yuuto, et il ressentit une lourdeur, comme si une masse venait d’arriver sur son dos.

« Pourquoi suis-je en train de faire tout ça ? » Il ne le disait à personne en particulier, se contentant de marmonner.

Environ deux ans s’étaient écoulés depuis qu’il était venu ici, dans le monde d’Yggdrasil.

Les gens d’ici s’étaient battus sans fin sur des terres ayant des ressources limitées. Avec une épée ou une lance à la main, ils volèrent sans merci la vie des autres alors que des chars tirés par des chevaux couraient sur les champs de bataille ensanglantés.

Le fort saisissait tout tandis que les faibles étaient piétinés et opprimés.

Bien qu’il s’était retrouvé tout seul dans ce monde non civilisé où il ne parlait même pas la langue, il avait surmonté les hauts et les bas. Puis, à travers une série d’étranges circonstances, il avait gravi les échelons jusqu’à diriger ce clan, le Clan du Loup, en tant que patriarche.

Il était en mesure de commander le destin d’un autre homme avec un seul mot.

« Grand Frère, tu sais, tu as la mauvaise habitude de tout prendre sur toi, » soudainement, quelqu’un l’avait fermement enlacé par-derrière.

Il s’agissait bien entendu de Félicia. Cette chaleur apporta à Yuuto un confort et une assurance indescriptibles. Elle pouvait être effrontée et provocatrice à certains moments, mais Félicia était une fille qui était sensible aux subtilités du cœur humain. Naturellement, elle avait rapidement compris ses préoccupations.

Tel un chuchotement, une jolie mélodie chatouillait le lobe de son oreille. Mystérieusement, en entendant seulement cette mélodie, Yuuto avait l’impression que l’angoisse qui avait infiltré son cœur se dissipait.

Il s’agissait d’un galldr, un art secret qui combinait la magie avec la musique et, selon l’incantation, pouvait avoir une variété d’effets sur l’auditeur.

« C’est tout ce que je peux faire pour toi, » déclara Félicia.

« C’est plus que suffisant. Merci beaucoup, » exprimant sa gratitude sincère, Yuuto se libéra doucement de ses bras. Le battement de son cœur, sa chaleur et la douceur contre lui se combinaient avec les effets du galldr afin de le calmer, à l’exception de la partie qu’il ne pouvait maîtriser. Plus précisément, sa partie inférieure.

« Oh, Grand Frère, tu es si cruel ♡, » se mit-elle à rire.

« La bataille n’est pas encore finie, alors ne baisse pas ta garde..., » déclara Yuuto.

Fwoosh !

Soudain, une flèche avait volé droite sur Yuuto. Elle s’était arrêtée nette à moins de dix centimètres de son visage.

« En effet, il ne faudrait pas baisser notre garde, » quand Félicia ouvrit la main, la flèche qu’elle avait saisie dans les airs tomba sur le plancher du char.

Elle avait attrapé la flèche qui était venue en volant à grande vitesse sur Yuuto et l’avait protégé, avant même qu’il ne pût essayer de l’esquiver. Elle avait une formidable vision dynamique et des réflexes surhumains.

Whoosh, whoosh, whoosh!

Sans un moment de répit, de nombreuses flèches continuèrent à pleuvoir directement vers Yuuto.

« Oh mon Dieu ! » Félicia avait rapidement pris la corde enroulée autour de sa taille et, d’un claquement de son poignet, s’était mise à l’utiliser. Elle fit tournoyer la corde dans les airs tel un ruban de gymnastique rythmique, envoyant les flèches vers le sol les unes après les autres alors qu’elles venaient sur nous.

Cette corde était du genre assez primitif, elle était utilisée afin de lier les ennemis capturés, et était considérablement plus lourde qu’un ruban, mais Félicia l’avait manipulée sans un soupçon d’inconfort. Ses bras étaient plus minces que ceux d’Yuuto, mais elle possédait une terrible force.

« Merci Félicia, » dit-il. « Tes techniques à la corde sont tout aussi fluide que d'habitude. Tu es vraiment comme une reine guerrière. »

« Héhé. Mais n’es-tu pas considéré comme le roi ? Cela signifie-t-il que tu essayes de me le proposer ? » Félicia haussa les épaules avec espièglerie.

Il n’y avait pas un soupçon de peur ou de nervosité en elle. Comme on pourrait le deviner d’après le spectacle précédent, Yuuto, étant originaire du Japon moderne, ne serait pas un adversaire pour elle dans un combat. Elle était non seulement compétente quant aux techniques avec une corde, mais elle était également une habile artiste martiale avec les lames et les lances, et elle était considérée comme l’un des meilleurs soldats du Clan du Loup. En plus de cela, Yuuto s’était rendu compte que, depuis le début, elle n’avait pas une seule fois baissé la garde. À la place, elle avait fait semblant de jouer plus tôt avec lui afin d’essayer de l’empêcher de trop s’inquiéter.

Yuuto ne pouvait pas dénigrer quelqu’un comme elle, qui, bien que vivant côte à côte avec la mort, avait une attitude si détendue qu’elle pouvait se préoccuper des soucis de ceux qui l’entouraient. Il s’agissait d’un état d’esprit qu’il ne pouvait pas encore atteindre.

« Hm, cela semble venir de là-bas, » Félicia fixa son regard sur l’origine des flèches, et Yuuto vit ce qui ressemblait à la silhouette d’un homme sur une petite colline brandissant un arc.

Au moment où elle l’avait aperçu, il sembla avoir réalisé qu’il avait été découvert, et la silhouette dévala la colline avant de disparaître dans l’armée ennemie.

Yuuto regarda la colline d’où l’archer avait disparu, puis il marmonna. « Apparemment, il se trouvait à environ 100 mètres de distance. Même Nasu no Yoichi [2] serait étonné. »

« Le seul homme qui pourrait faire une telle prouesse, même dans un clan aussi grand que le Clan de la Corne, est Haugspori, le porteur du Ljósálfar. Je ne peux penser à personne d’autre. Il est véritablement un maître comme les rumeurs le disaient, » Félicia avait parlé avec un respect teinté de méfiance.

« Mais à toi, toute seule, tu as été capable de te défendre contre ces flèches, Félicia. Bon sang, cela démontre bien que toi, une Einherjar est bien surhumaine, » Yuuto avait fait un sourire sec.

Une différence majeure entre le monde d’Yuuto et ce monde était l’existence des Einherjars, le nom donné aux humains choisis par les dieux.

Ces personnes avaient des motifs mystérieux appelés runes situées quelque part sur leur corps, et ces runes accordaient à leur détenteur divers types de protection divine. Donc, si cette personne portait la rune de la Lumière des Elfes, Ljósálfar, cela lui accorderait ainsi un talent avec un arc et la capacité de lire les vents.

Les personnes qui portaient de tels pouvoirs extraordinaires étaient si rares qu’elles étaient censées être moins d’une personne sur dix mille, et donc, peu importe le clan, elles étaient nommées à d’importants postes.

Félicia, qui était l’adjudante d’Yuuto, était une Einherjar qui possédait la rune de Skirnir, le Serviteur sans Expression. Alors même qu’elle était jeune et une femme, elle était pourtant parmi les guerriers les plus importants du clan en raison de ce mystérieux pouvoir.

« Run est sauf... n’est-ce pas ? » demanda Yuuto. Un regard de détresse se glissa sur son visage alors qu’il pensait à une autre Einherjar du Clan du Loup, et il reporta son attention vers la ligne de front.

En raison de son ordre de charger, la bataille était devenue encore plus violente. En effet, ladite Einherjar devrait en ce moment se battre là-bas. Le côté ayant le net avantage était celui du Clan du Loup, dont Yuuto était responsable. Ces troupes dispersaient progressivement les forces ennemies et repoussaient la ligne de front. Pourtant, le champ de bataille était un endroit imprévisible. Même s’ils gagnaient, cela ne voulait pas dire que personne ne mourrait.

Tout comme ce soldat dont il ne connaissait même pas le nom.

« Tse Tse. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter de ça, » déclara Félicia. « Elle est notre Mánagarmr, tu sais ? Elle devrait être... »

« Sigrun du Clan du Loup a attrapé la souveraine du Clan de la Corne ! » La voix de Félicia avait été noyée par un cri victorieux en provenance des lignes de front.

Les soldats qui se trouvaient à proximité rayonnaient de fierté, plaçant leurs poings en l’air et rejoignant les autres soldats dans leurs cris de victoire.

De loin, Yuuto aperçut les soldats du Clan de la Corne qui fuyaient en masse. Il semblait même y avoir ceux qui avaient jeté leurs armes et s’étaient rendus.

Félicia laissa échapper un rire puis elle fit un clin d’œil à Yuuto. « Comme je m’y attendais. Il semble que Run ait pris le dessus pour nous ! »

« Faites place ! Père ! Poussez-vous de là ! Père... ! » Une voix digne qui était inappropriée pour un champ de bataille résonna telle une douce clochette. Un soldat à cheval se précipita dans la direction d’Yuuto. Ses longs cheveux argentés se balançaient derrière elle telle la queue d’un loup. Cette guerrière poussait sans ménagement les soldats hors de leurs formations de bataille alors qu’elle parcourait le chemin à vive allure.

D’autres voix, aussi mal ajustées aux circonstances, retentirent sur tout le champ de bataille, alors qu’elles semblaient enivrées.

« Oh, c’est Grande Sœur Sigrun ! »

« Charmante comme toujours ! »

Ce n’était pas comme si Yuuto lui-même n’avait pas compris leurs sentiments d’admiration. Même de loin, elle était une belle fille. Ses bras et ses jambes étaient longs et sveltes, et ses longs cheveux argentés traînaient derrière elle tandis qu’elle éperonnait son cheval, la faisant apparaître comme un personnage fantastique d’un mythe ancien.

Notes

  • 1 Sarisse : La sarisse ou sarissa est une longue lance de 6 m de long environ, allongée jusqu’à 7,6 m dès le premier quart du iiie siècle av. J.-C. Cette arme, mise au point sous le règne de Philip II au milieu du 6e siècle av. J.-C., est utilisée par les phalangites (ou sarissophores : « porteurs de sarisses ») macédoniens durant les conquêtes d’Alexandre le Grand et les guerres des diadoques. Elle reste en usage dans les armées des royaumes hellénistiques.
  • 2 Nasu no Yoichi : (那須与一) (env. 1169 — env. 1232) ou de son nom complet, Nasu no Suketaka Yoichi, était un samouraï de la fin de l’époque de Heian (794 – 1185) qui doit sa célébrité à un haut fait militaire de la guerre de Genpei relaté dans le Heike Monogatari.

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Partie 2

Les cris d’admiration continuèrent.

« Grande Sœur, encore une grande réussite pour vous ! »

« C’est notre Mánagarmr ! Les hommes du Clan de la Corne ne pourraient jamais vous résister ! »

« Vous vous trouvez sur mon chemin. Poussez-vous de là ! » Sigrun cracha brusquement ses mots en affichant un regard froid montrant bien qu’elle n’éprouvait aucune émotion pour les soldats qui la couvraient de flatteries et de louanges.

Les soldats s’étaient blottis les uns contre les autres avec un « Ahh ! » face à ce regard glacial.

Ces regards glaciaux n’avaient fait qu’augmenter en intensité au cours de ces deux dernières années, et même maintenant, elle était enveloppée par une atmosphère tranchante telle une lame qui donnait l’impression que le simple fait de l’approcher vous aurait coupé en morceaux.

Bien que sa carrure lui donnait l’apparence de quelque chose qui était si mignon qu’elle semblait à peine capable de tenir une épée, elle avait gagné le titre de Mánagarmr ou « Le Plus Fort Loup d’Argent » qui la désignait comme appartenant à l’élite de l’élite. Il s’agissait donc d’une personne qu’il était impossible à battre au corps à corps en raison de ses capacités martiales.

En regardant de plus près, on pouvait voir que les yeux des soldats montraient un mélange de respect et de peur.

« Ah ! » À l’instant où elle avait aperçu Yuuto, son expression s’était complètement adoucie. Elle avait ralenti son cheval afin d’arriver au trot et s’était approchée du char d’Yuuto, où elle était descendue doucement du dos de son cheval.

« Père, tu es sauf ! J’espère que tu n’as pas été blessé, » demanda Sigrun.

« Je ne me trouvais même pas sur la ligne de front, donc je ne pourrais pas me faire blesser, » Yuuto l’avait rassurée. « Run, c’est plutôt moi qui devrais te demander, es-tu blessée ? »

« Ne t’inquiète pas de ça. Grâce à la protection divine d’Angrboða, je suis complètement sauf. Il n’y a même pas une égratignure présente sur moi, » répondit Sigrun.

« Il s’agit de la chose la plus importante pour moi, » déclara Yuuto. « Et aussi, je suis fier de toi pour avoir réussi à capturer le chef du Clan de la Corne. Bon travail ! »

« Je suis indigne d’une telle louange, Père. Je suis humblement enchantée de ces compliments, » bien que son discours indiquait qu’elle utilisait un ton formel, un sourire large et joyeux s’était répandu sur le visage de Sigrun.

Dès qu’elle s’en rendit compte, Sigrun raidit son expression, mais elle était si heureuse d’être félicitée par Yuuto que les coins de sa bouche ne pouvaient s’empêcher de présenter ce sourire.

« Pff, Run, tu es en effet un fidèle toutou, » Félicia riait alors qu’elle disait ça.

« Pff ! » avant qu’il ait eu l’occasion de s’arrêter, Yuuto éclata aussi de rire face aux paroles de Félicia. Il s’agissait d’une pensée cruelle, mais Yuuto ne pouvait pas regarder Sigrun sans ne pas avoir le mot « assis » qui lui venait à l’esprit.

« Père ? Ai-je dit quelque chose d’étrange ? » Sigrun inclina la tête. Cette habitude rappelait celle d’un chien. Une fois qu’il en eut pris conscience, Yuuto réalisa qu’il ne la voyait pas autrement et cela le dérangea.

« N-Non, ce n’est rien. Ne t’inquiète pas à propos de ça, » comme il le disait tout en couvrant sa bouche et en détournant son regard, il n’était pas très convaincant. Mais bien sûr, il ne pouvait pas dire ce qu’il pensait vraiment.

Sachant que si cette conversation allait plus loin, il pourrait lui-même, laisser sortir ça, Yuuto avait décidé de les ramener sur le sujet initial.

« Ce qui est le plus important, c’est ta récompense, » déclara Yuuto. « Que désires-tu ? Ton accomplissement était important, alors je vais te donner ce que tu désires. »

« Vraiment ? N’importe quoi ? » demanda Sigrun.

« Tout ce que je peux te donner, » déclarai-je.

« D-D’accord ! A-Alors, veux-tu bien me caresser la tête ? » Sigrun regarda Yuuto, ses yeux pétillants débordant d’espoir, alors qu’en réalité, ce qu’elle avait demandé était si trivial.

Cet air distant et inaccessible qui l’avait entourée plus tôt était introuvable en ce moment et c’était ainsi chaque fois qu’elle se trouvait proche d’Yuuto. Maintenant, Yuuto ne pouvait vraiment pas s’empêcher de la voir comme un chien qui avait repéré son maître et attendait un festin.

« Euh, eh bien, juste demander quelque chose de si simple est un peu..., » Yuuto affichait une expression troublée, se grattant la joue.

Décerner des punitions et des récompenses était le travail le plus important du souverain. Le fait de permettre à celle qui avait capturé un général ennemi d’accepter une si maigre récompense était clairement un problème. Si la rumeur se rependait que cette glorieuse réussite avait été récompensée par une simple flatte sur la tête, alors il était fort à parier que personne ne voudrait servir sous les ordres d’Yuuto dans un avenir proche.

« Cette récompense signifierait pour moi quelque chose de plus grand que toute autre chose !! » Sigrun avait fermement protesté.

Il ne semblait pas qu’elle feignait d’être altruiste ou de faire preuve de considération quant à l’état financier du Clan du Loup. Il paraissait que c’était, du fond de son cœur, son souhait le plus sincère.

Souriant avec résignation, Yuuto plaça doucement sa main sur la tête de Sigrun. « Tu as vraiment fait du bon travail ! »

« Ai-je pu t’être utile, Père ? » demanda Sigrun qui le regardait du coin de l’œil.

« Oui, plus que tout autre, » déclara Yuuto. « Mm, donc je ne peux pas accepter que tu ne demandes que cela comme récompense. Hé, Félicia, tu choisiras plus tard quelque chose pour elle à ta propre discrétion... »

« Pffff! Hahaha ! Je vois bien ça, » Félicia éclata de rire. « Je peux voir cette queue qui remue dans un va-et-vient ! »

Il avait alors regardé par-dessus la jeune fille qui se tenait à ses genoux. À ce moment-là, il avait alors vu que la beauté aux cheveux dorés, qui agissait d’une manière indiquant qu’elle était complètement indifférente à ceux qui pourraient être en train de regarder, était accroupie et elle se tenait l’estomac. Ses épaules tremblaient et elle raclait même ses ongles le long de la paroi intérieure du chariot. Peu importe comment vous l’auriez regardée, elle riait trop, causant ainsi une énorme scène.

Yuuto avait déploré cela, car selon lui, si seulement Félicia n’avait pas eu de tels moments, elle serait une combinaison parfaite de beauté et de compétences. Mais maintenant, elle ne serait d’aucune utilité jusqu’à ce que ses crises de rire disparaissent.

« Hmm, qu’est-ce qui se passe, Félicia... ? » commença Sigrun.

« Laissez-la être ainsi. Dans la vie, il y a certaines choses qu’il vaut mieux garder en tant que mystère, » déclara Yuuto.

« Ah ! Je comprends ! Si tu le dis, Père, alors cela doit avoir un sens ! » déclara Sigrun.

« Non, vraiment, ce n’est pas un gros problème, » Yuuto avait baissé ses épaules d’un air découragé alors qu’il disait ça.

Félicia avait ses propres caprices, mais l’acceptation aveugle de Sigrun envers Yuuto et tout ce qu’il disait l’inquiétait également. Si l’on devait décrire Sigrun en termes simples, ce serait probablement une guerrière dévouée, et même fanatique. Même si elle avait un talent naturel et avait reçu le titre de Mánagarmr à un si jeune âge, elle semblait ignorante des affaires mondaines, sa vie ayant été exclusivement axée sur les compétences martiales.

C’était probablement pourquoi elle ouvrirait seulement son cœur à ceux qui avaient démontré une force et à ceux qu’elle respectait.

En fait, pendant environ les six premiers mois après qu’Yuuto soit venu dans ce monde, Sigrun l’avait traité comme les soldats présents autour de lui. Il ne valait pas mieux qu’un rocher sur le bord de la route pour elle. Malgré la façon stupéfiante dont ils s’étaient rencontrés, à l’époque elle n’avait même pas pris la peine de se souvenir de son nom.

Mais là, avec son genou à terre, cette même fille avait maintenant montré qu’elle reconnaissait Yuuto comme son maître et qu’elle avait hâte de le servir.

« Comme c’est ironique, » Yuuto murmura dans l’autodépréciation.

Au cours des deux années (oui, juste deux ans) qui avaient suivi l’arrivée d’Yuuto, tant de choses avaient changé dans une rapide succession d’événements plus ou moins dramatique. Cela avait affecté le monde autour de lui, et Yuuto lui-même.

Il avait une peau claire quand il était arrivé en ce monde, mais sa peau avait depuis longtemps été teintée par le soleil. Sa carrure élancée n’avait pas changé, mais ses muscles avaient été considérablement tonifiés. Il était également devenu un peu plus grand. Et, il avait également acquis une grande partie des compétences nécessaires afin de se débrouiller dans ce monde.

Yuuto avait survécu à de nombreuses batailles sanglantes. Il n’était plus un enfant errant perdu et effrayé à travers ce monde. Y compris les branches du clan, il tenait entre ses mains la vie et l’avenir de dizaines de milliers de membres du Clan du Loup, en tant que leur patriarche souverain.

« Oh, ce n’est pas le moment de se laisser prendre par le sentimentalisme, » déclara-t-il. « Run, qu’en est-il de la souveraine capturée du Clan de la Corne ? »

Sigrun, qui lui avait affiché un côté plus semblable à un chiot alors qu’elle était caressée par Yuuto, avait instantanément repris son attitude plus digne. Bien qu’Yuuto avait eu moins d’occasions de la voir ainsi de ses propres yeux ces jours-ci, cette image était celle qui venait à l’esprit de la plupart des membres du Clan du Loup quand vous mentionniez le nom de Sigrun.

« Mais... Père, comme je voulais d’abord m’assurer de ta sécurité, » déclara Sigrun. « Je l’ai laissée sous la garde de quelques soldats se trouvant à proximité. Elle devrait être dans un char en route vers ici au moment où nous parlons. »

« Je vois..., eh bien, je me demande ce que nous devrions faire avec elle, » pour aucune raison particulière, Yuuto regarda le ciel.

Le soleil couchant avait commencé à teindre d’une couleur cramoisie le ciel de l’ouest. Les cris des corbeaux attirés par tout ce sang étaient devenus forts et grinçants.

À ce moment-là, ces pensées étaient naturellement focalisées sur ce qu’il devrait faire avec la souveraine ennemie. Il jeta un coup d’œil à Félicia, qui avait finalement réussi à réprimer son fou rire.

« Est-ce qu’elle acceptera sérieusement mon Calice ? » lui demanda-t-il.

« C’est difficile à dire, » lui répondit-elle. « J’ai entendu dire que Lady Linéa, la souveraine du Clan de la Corne, est extrêmement fière. Elle peut préférer une mort honorable à une vie tachée de disgrâce. »

« Dans ce cas, la faire mourir de notre propre main serait problématique, » Yuuto poussa un soupir de frustration.

Dans le monde d’Yggdrasil, le souverain était considéré comme le « parent » de tous les membres du clan, et ceux-ci le servaient en ayant les rôles d’« enfants » ou de « frères et sœurs plus jeunes », organisant le clan dans une sorte de structure pseudo-familiale.

À travers le rituel du « Calice de l’Allégeance, » un souverain établissait avec leurs enfants et leurs frères et sœurs cadets un lien ferme semblable à une cérémonie traditionnellement tenue lors des mariages Shinto et des initiations Yakuza. Le souverain pourvoyait à ses enfants et à ses frères et sœurs plus jeunes ce qu’il leur fallait avec soin et affection, et en retour, ils montraient à leur souverain la déférence et le respect dû à un parent ou à un frère aîné. Ces relations pseudo-familiales nées du Calice avaient en elles bien plus d’importance que les relations familiales classiques.

En d’autres termes, si leur souverain était tué, les membres du Clan de la Corne ne pardonneraient probablement jamais au Clan du Loup, se perdraient dans la haine et chercheraient la vengeance en raison de leur parent tué.

***

Partie 3

« Le commandant en second de l’ennemi ne devait pas participer à cette bataille, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto à Félicia.

« C’est bien le cas. Apparemment, c’était en raison d’un ordre donné de rester à l’arrière afin de garder la capitale de leur clan, » répondit Félicia.

« J’ai rencontré une fois le commandant en second du Clan de la Corne alors que j’accompagnais ton prédécesseur, » Sigrun avait déclaré cela. « Je peux affirmer avec certitude que le commandant en second ne participait pas à cette bataille. »

Au milieu du chaos du champ de bataille, la propagation de la désinformation était chose fréquente. Mais avec Sigrun qui avait pris le commandement de la ligne de front, Yuuto pouvait faire confiance en ses paroles entre tous.

« Donc, une partie de la chaîne de commandement est encore intacte. Tout ceci est devenu plutôt problématique, » Yuuto se gratta la tête après avoir dit ça.

Alors que le commandant en second était traité plus comme le chef ou porte-parole des enfants et des frères et sœurs, il était toujours le numéro deux de la famille. Dans le cas où l’impensable événement devrait arriver au souverain, il était le suivant dans la ligne de succession.

Et dans la tradition du clan, ce successeur qui était choisi pour être le commandant en second non pas en raison de relations de sang, mais en vertu de sa force et de sa capacité. Le nouveau dirigeant serait sans doute également un adversaire redoutable.

« Si nous la tuons, cela deviendra un cas numéro quatorze des Trente-Six Stratagèmes [1] : “Faire revivre un corps mort”. Cela ne fera que renouveler le moral de leur armée. Dans ce cas, nous n’avons pas besoin de leur fournir une cause juste, » Yuuto avait pris son smartphone chéri de sa poche et avait maintenu le bouton d’alimentation afin d’allumer son téléphone.

Grâce à la batterie solaire miniature qu’Yuuto avait commencé à avoir en tout temps sur lui après avoir appris cette dure leçon de vie lors d’un violent tremblement de terre, il avait pu continuer à utiliser son smartphone pendant les deux années qui avaient suivi son arrivée dans ce nouveau monde.

Mais il s’agissait quand même d’une batterie miniature. Même s’il l’avait gardée au soleil toute la journée, il ne pouvait le maintenir allumé que pendant environ trente minutes d’un coup. C’était une quantité de temps si minuscule comparativement au temps qu’il passait dessus avant ça. Donc, il s’était promis de n’utiliser son téléphone que dans les moments où il en avait le plus besoin.

Après un certain temps, l’écran d’accueil était apparu, et il avait tapé sur l’icône « Bibliothèque ». Sur l’écran suivant était apparue la célèbre bannière « Fuurinkazan [2] » popularisée par Takeda Shingen, qui dénotait la version électronique du livre l’Art de la Guerre [3] de Sun Tzu, un classique chinois qui était encore fortement vénéré au 21e siècle. Il s’agissait de quelque chose qu’Yuuto avait téléchargé et qu’il avait commencé à lire après être devenu souverain, et il avait perdu le compte du nombre de fois où il l’avait relu.

« C’est... vraiment de la triche, » murmura-t-il. « Mon smartphone a tellement à offrir. »

Si Yuuto devait être placé dans les premières lignes, il ne serait pas de taille, et cela même face à un soldat novice. Il y avait tellement de choses dans ce monde dans lequel il était inexpérimenté, et il ne pouvait même pas lire et écrire correctement leur langue.

En toute honnêteté, le décrire avec le mot « inutile » serait un euphémisme.

Mais il y avait qu’une seule chose qu’Yuuto pouvait selon lui faire mieux que quiconque, et il s’agissait de la seule arme qu’il possédait : les connaissances du 21e siècle.

D’accord, il était encore qu’un étudiant et donc, les connaissances et les compétences qu’il possédait avaient leurs limites. Par exemple, s’il voulait construire ici un ordinateur à partir de zéro, cela lui serait totalement impossible.

Pourtant, dans ce monde où la civilisation n’avait pas encore prospéré, il y avait encore d’innombrables choses qu’il pouvait créer même sans compétences ou connaissances particulières.

Par exemple, dans cette bataille, ils avaient utilisé des armes dans le style des longues lances afin de vaincre leurs adversaires. S’il n’avait pas connu un certain jeu de stratégie historique populaire qu’il avait joué précédemment, il n’y avait aucun doute qu’Yuuto n’aurait jamais eu l’idée de faire construire ces longues lances et de les utiliser de cette manière.

Avec le recul, ces idées novatrices lui semblaient si évidentes, mais c’était frustrant dans le feu de l’action quand il essayait de trouver quelque chose d’utile pour le bien des autres. C’était comme l’Œuf de Colomb [4].

Normalement, de telles innovations appartenaient au domaine des génies ayant l’ingéniosité de briser les idées reçues, mais Yuuto utilisait à la place les connaissances du futur. Voilà pourquoi, pour lui, tout ce qu’il faisait était de relever tous les défis qui lui étaient présentés en trichant.

Il avait alors feuilleté de nombreuses pages jusqu’à ce qu’il en trouve une qui était pertinente. Il avait depuis longtemps mémorisé ce qui était écrit dessus.

« La meilleure chose à faire est de prendre le pays entier et intact, » il lisait à voix haute. « Le briser et le détruire n’est pas la bonne chose à faire. Il est donc préférable de capturer une armée entière que de la détruire. Par conséquent, combattre et vaincre lors de toutes vos batailles n’est pas l’excellence suprême, l’excellence suprême consiste à briser définitivement la résistance de l’ennemi sans avoir besoin de combattre. »

Pour le dire simplement, se battre et gagner n’était que la deuxième meilleure stratégie, forcer l’abandon total de l’ennemi était la meilleure stratégie. Yuuto fit un signe de tête, réfléchissant sur chaque mot alors qu’il suivait le texte avec ses doigts.

« Le nombre, » déclara-t-il. « Nous n’avons pas d’autre choix que de conclure un marché. »

En entendant ses mots, Sigrun et Félicia baissèrent la tête en signe de consentement.

Ce n’était pas comme si le Clan du Loup avait beaucoup de choix qui se présentait à lui. Ils avaient déjà saisi le tiers du domaine du Clan de la Corne. C’était plus que suffisant comme butin de guerre. Essayer de pénétrer plus profondément dans le territoire ennemi serait dangereux, et continuer avec cette situation de guerre trop longtemps épuiserait les ressources propres de leur pays.

Cela semblait être le bon moment. Cependant, le problème demeurait présent. « Quel type d’accord devrait-il proposer pour qu’il soit acceptable par les deux parties ? »

Les combats avaient commencé un mois plus tôt par l’invasion du Clan de la Corne ce qui fit que le Clan du Loup avait subi d’importantes pertes. Bien que le fait de tuer le souverain occasionnerait des problèmes bien spécifiques, le peuple d’Yuuto s’attendrait à un compromis important concédé par le Clan de la Corne après tous ces combats.

Yuuto croisa les bras et poussa un gémissement de frustration en considérant le problème. « Compte tenu de la situation, nous pourrions normalement leur faire échanger de la nourriture et des minéraux ou d’autres biens pour le retour de leur souverain, ou peut-être même leur faire céder du territoire. Mais si c’était possible, je préférerais qu’elle accepte mon Calice. »

Même si la nourriture ou le territoire du Clan de la Corne était pris, la racine du problème resterait toujours présente. Yuuto voulait que la guerre entre le Clan du Loup et le Clan de la Corne cesse définitivement. Il n’avait pas d’ambitions territoriales à proprement parler. Il n’avait qu’un seul fil conducteur en tant que souverain, et c’était de permettre aux membres du Clan du Loup de vivre en paix et dans l’abondance.

À cette fin, la coutume de ce monde impliquant le Calice était extrêmement pratique. Cela représentait quelque chose de tellement sacré et vénéré que le simple fait d’aller à l’encontre du Calice, même une fois, fût considéré comme le pire tabou. Le fait de briser ce vœu ferait automatiquement tomber en poussière toute confiance en cette personne.

On ne pouvait pas choisir les parents qui vous donneraient naissance comme on ne pouvait pas choisir les frères et sœurs avec lesquels nous allions être élevés. Mais avec le Calice, toutes personnes avaient le choix d’accepter ou non ce nouveau lien. Ainsi, le fait de trahir la personne que vous aviez choisi avec votre libre arbitre d’honorer en tant que parent avait toujours été considéré comme l’acte le plus méprisable possible en ce monde.

En d’autres termes, si le souverain ennemi acceptait son Calice, devenant ainsi un enfant ou un frère/sœur plus jeune, cela signifierait que le Clan de la Corne ne pourrait plus jamais s’opposer à Yuuto, et par extension, au Clan du Loup.

Paradoxalement, à cause de cela, un souverain ayant le devoir de protéger son propre clan ne se permettrait tout simplement pas d’accepter le Calice, car il finirait par être subordonné à un autre souverain. Ils ne pouvaient donc pas l’accepter.

« Dans ce cas, même s’il s’agit d’une sorte de tricherie, je suppose que nous aurons besoin de la même stratégie que nous avons utilisée avec le Clan de la Griffe ? » à ce moment-là, Yuuto repensa à ça, puis il se mit à rire avec moquerie de lui-même vis-à-vis des événements qu’il venait de se remémorer.

En toute honnêteté, il ne voulait pas le faire. Pourtant, il était le souverain et donc, sa position exigeait qu’il mette les besoins du clan au-dessus de ses propres besoins ou envies.

Les mots de Sun Tzu avaient commencé à se refaire entendre dans son esprit... ses propres besoins.

Il y a deux ans, alors qu’il avait été entraîné dans ce monde et qu’il avait erré en étant impuissant dans cette nouvelle contrée, le Clan du Loup, qui n’avait jamais été prospère, avait toujours pris soin d’Yuuto et l’avait nourri malgré sa faible valeur, et ainsi, il était venu lui-même à prendre soin d’eux.

Il s’était fait plusieurs amis comme Félicia et Sigrun, qui l’avaient suivie à travers les bons et les mauvais moments de la vie. Il voulait désormais les protéger d’une manière ou d’une autre. Il ne voulait pas voir mourir ses proches, ou les voir souffrir d’encore plus de chagrins.

Yuuto poussa un long soupir. Tant que cela signifiait que les pertes en vies humaines seraient ainsi diminuées, le fait d’endurer personnellement quelque chose de très désagréable était un prix qu’il serait plus que disposé à payer.

« D’accord, installez la tente. Préparez-vous à notre réunion, » déclara Yuuto.

Notes

  • 1 Trente-Six Stratagèmes : Les 36 stratagèmes (ou stratégies) est un traité chinois de stratégie qui décrit les ruses et les méthodes qui peuvent être utilisées pour l’emporter sur un adversaire. Le traité a probablement été écrit au cours de la dynastie Ming (1366 à 1610).
    Les stratagèmes sont applicables à une action militaire ou à un conflit de la vie quotidienne.
  • 2 Fuurinkazan : (風林火山), littéralement « Vent, forêt, feu et montagne », est l’étendard de guerre employé par Takeda Shingen, daimyo de la période Sengoku. Le texte inscrit sur l’étendard est une citation du chapitre 7 de L’Art de la guerre de Sun Tzu : « Déplace-toi aussi vite que le vent, reste aussi silencieux que la forêt, attaque aussi férocement que le feu, que ta défense soit invincible comme la montagne. »
  • 3 Art de la guerre : (en chinois : 孙子兵法, pinyin : sūn zǐ bīng fǎ, littéralement : « Stratégie militaire de maître Sun ») est le premier traité de stratégie militaire écrit au monde (vie siècle av. J.-C. – ve siècle av. J.-C.). Son auteur, Sun Tzu (孙子, sūn zi), y développe des thèses originales qui s’inspirent de la philosophie chinoise ancienne. C’est l’essence de la guerre psychologique illustrée notamment par la guerre d’Indochine, la guerre du Viêt Nam et la guerre sino-vietnamienne.
  • 4 Œuf de Colomb : L’expression « œuf de Colomb », utilisée pour qualifier une idée simple mais ingénieuse, provient d’une anecdote.
    Lors d’un repas en présence du navigateur Christophe Colomb, un invité aurait voulu minimiser l’importance de la découverte du Nouveau Monde en disant : « Il suffisait d’y penser. » Pour répondre à cette provocation, l’explorateur aurait proposé un défi à ses convives. Il leur aurait demandé de faire tenir debout un œuf dur dans sa coquille. Personne n’y aurait réussi, sauf Christophe Colomb, qui aurait écrasé simplement l’extrémité de l’œuf et se serait écrié : « Il suffisait d’y penser ! »

***

Partie 4

« Hé, ne poussez pas, » une jeune fille avait ainsi été conduite dans la tente. « Je peux parfaitement marcher par moi-même ! »

« Hein !? » Une exclamation fade provoquée par le choc glissa hors des lèvres d’Yuuto. Se frottant les tempes avec ses index, Yuuto afficha à Félicia, qui était assise à ses côtés, un air perplexe. « ... Cette gamine est-elle la matriarche souveraine ? »

Certes, les vêtements qu’elle portait étaient beaucoup plus élégants que ceux d’un soldat typique, et un cercle d’or brillait sur son front. Il ne semblait y avoir aucun doute qu’elle possédait un statut social élevé. Mais même s’il le savait, il ne pouvait pas s’empêcher d’être surpris en raison de son âge.

Assise à ses côtés, Félicia avait fait un signe de tête solennel. « Tout à fait. Elle est bien Lady Linéa, la matriarche souveraine du Clan de la Corne. »

« Mais elle est encore une enfant, » déclara Yuuto.

« Vous avez à peu près le même âge que moi, gamin ! » la souveraine du Clan de la Corne cria, mécontente des paroles impétueuses d’Yuuto.

Puis, retournant son regard vers elle, il vit qu’elle le regardait avec ses yeux remplis de rage.

Ses cheveux, coupés courts et nets autour de la nuque, lui donnaient une apparence de garçon, et elle était en fait une fille très mignonne. Elle avait probablement environ un an ou deux de moins qu’Yuuto. En voyant son petit corps ligoté avec toutes ces innombrables cordes, il se sentit un peu désolé pour elle.

Yuuto avait entendu dire que la souveraine actuelle du Clan de la Corne était une femme. Bien qu’elle soit une fille, elle avait surpassé tous les autres et avait pris le contrôle des guerriers sauvages et turbulents de son clan en devenant leur souveraine, une femme redoutée et vaillante appelée Hildisvíni, « la Dame Tigresse Cramoisie ». Mais la fille qui était devant lui, grognant et menaçant, lui donna moins l’impression d’une tigresse que d’un chat sauvage, voir même d’un chaton.

« Eh bien, je suppose que dans cet endroit, ce n’est pas si étrange, » déclara-t-il.

En vérité, un jeune homme comme Yuuto servait également de souverain au Clan du Loup, et même si Félicia et Sigrun étaient des filles encore adolescentes, elles étaient toutes les deux placées dans des positions respectées au sein du clan.

En Yggdrasil, la force était la seule chose qui importait. Si vous aviez de la force, être jeune ou femme n’était pas des choses pertinentes.

« De toute façon, je suppose que des présentations seraient appropriées. Je suis Yuuto, le souverain du Clan du Loup, » déclara-t-il.

« ... Hmm, » Linéa avait répliqué à la présentation d’Yuuto en détournant son regard et en se plantant fermement sur le sol.

Mais Yuuto pouvait voir à travers son rapide tremblement. Le fait d’agir de manière si courageuse était probablement une ruse afin de détourner l’attention de sa peur.

« Je ne me soucie pas de ces tentatives inutiles. Permettez-moi d’aller droit au but. Acceptez-vous de devenir l’une de mes subalternes... c’est à dire, l’une de mes enfants ? » demanda Yuuto, adoptant une attitude pleine d’arrogance.

« Je refuse ! » cria Linéa. « Pourquoi un membre des Cornes accepterait-il d’être soumis par l’un de vos Chiens ? Cessez ces absurdités ! »

Sans la moindre hésitation, Linéa avait carrément refusé sa proposition. Et le fait qu’elle les avait appelés des Chiens avait clairement montré qu’elle les considérait avec mépris.

« Certes, nous avons peut-être subi une défaite cette fois-ci ! » continua-t-elle. « Mais les prouesses nationales du puissant Clan de la Corne dépassent encore de loin celles de vos Chiens. Un tel miracle ne se reproduira jamais. Maintenant, si vous voulez me tuer, alors faites-le vite ! Mais votre tête sera la suivante à rouler. Alors, allez vous laver le cou avant d’aller attendre votre destin ! Hahaha ! »

« Hehe, hehe... n’êtes-vous pas celle qui devrait cesser de dire des bêtises ? » Félicia posa une main sur sa joue et affirma cela avec un long soupir, comme si elle déversait un seau d’eau glaciale sur Linéa à la hauteur de son amusement.

Son éclat de rire que Félicia avait eu plus tôt apparut à nouveau et le visage de Linéa s’empourpra d’un rouge cramoisi en un clin d’œil. « Comment ça, des bêtises !? »

« Je veux parler des absurdités que vous débitez chaque fois que vous ouvrez votre bouche. Il est possible que nous ayons autrefois semblé être comme des chiens pour vous. Mais par la main de notre frère aîné, nous avons ressuscité. Nous sommes désormais indomptables, de véritables Loups. Tant qu’il est aux commandes, un simple rassemblement de porc à l’esprit lent ne sera pas de taille face à nous, » un sourire s’étira sur les lèvres de Félicia, et son ton était poli, mais cela ne pouvait masquer le degré de dédain présent dans ses paroles. Vous ne pourriez pas trouver un meilleur exemple d’une insulte enveloppée dans une courtoisie superficielle.

« Quoi !? Ce gamin à l’air faible ne pourrait pas être si génial que ça ! » déclara Linéa.

*Bruit sourd* *Boom !*

Un important bruit retentit dans la tente. Sigrun, qui attendait silencieusement à côté d’Yuuto, avait fait claquer son poing sur le bureau en bois qui se trouvait devant eux, le fracassant de part en part en deux.

Ce n’était pas la force typique que l’on pourrait attendre d’une femme. Même parmi les hommes massifs, il y en avait peu qui pouvaient effectuer un tel exploit.

Un motif qui n’était pas là auparavant apparut sur l’épaule gauche de Sigrun et commença à émettre une faible lumière. Il s’agissait de la rune Hati, la Dévoreuse de Lune, qui avait accordé à son porteur ses traits de loups et sa force physique extraordinaire.

« Surveillez vos paroles ! Je ne pardonnerai à personne d’insulter le Père, » Sigrun s’énerva face à ces paroles et elle regarda de haut Linéa avec importante arrogance. Dans son expression et sa voix, il n’y avait même pas un indice de la douceur qu’elle utilisait lorsqu’elle interagissait avec Yuuto. Elle était froide comme de la glace, et tranchante comme une lame.

« Ah ! » Linéa avait automatiquement tressailli.

Sigrun avait été celle qui l’avait capturée. Même si Linéa avait sûrement été sous la protection de plusieurs soldats forts et robustes, le fait d’avoir eu un combat rapproché avec elle au cours de la dernière bataille avait sans aucun doute gravé une véritable peur de Sigrun dans la moelle même de ses os. Cette force terrifiante venait d’être exposée une fois de plus. Il n’y avait aucun doute que Linéa était terrifiée.

L’air toujours tendu, Sigrun avait effectué un grognement audible. « Tout comme le Père, vous êtes devenue une souveraine à un si jeune âge, mais peu importe comment vous le regardez, vous n’arrivez même à la cheville de sa grandeur. »

« Allons, allons, Run, » Félicia lui parla à ce moment-là. « Cette comparaison est en elle-même une insulte envers notre Grand Frère. »

« Hmm, » répondit Sigrun. « Je déteste quand je suis d’accord avec toi, Félicia, mais pour une fois, elle et moi voyons les choses de la même façon. »

« Arg ! Grr !! » Linéa semblait incapable de trouver ses mots.

« Mais..., mais, mon Dieu ! Elle gémit et elle grogne... Qui est donc le vrai chien ici ? » Félicia se moqua d’elle.

« C’est exact. Cela grogne et renifle comme le cochon que vous êtes. Cela vous convient vraiment, » avait convenu Sigrun.

Regardant les plaisanteries sans retenue entre les deux, Linéa hurla soudain de fureur. « Pourquoi, vous... ! Ne me regardez pas avec dédain ! »

L’expression effrayée de Linéa avait été instantanément remplacée par de la rage, elle se jeta sur Sigrun malgré ses liens. Les gardes qui l’avaient amenée ici lui avaient rapidement tenu les épaules baissées. Pourtant, ses grognements et son regard haineux percèrent Yuuto et les autres.

Elle était vraiment comme un chien enragé.

« Eh bien, maintenant... Il semble que les rumeurs à propos de votre fierté soient fondées, » déclara Yuuto dans un souffle, afin que Linéa ne l’entende pas.

Cette fierté était probablement une couverture de surface pour un manque de confiance intérieure. L’explosion de colère qu’elle avait eue plus tôt était le résultat de son incapacité à supporter d’être méprisée. Pourtant, cela ferait de cette situation le moment opportun.

« Vous deux, maîtrisez-vous, » ordonna Yuuto. Se redressant après avoir reposé son menton entre ses mains, il feignit un ton exaspéré. « Elle est encore, pour le meilleur ou pour le pire, la souveraine du Clan de la Corne. Faites donc attention avec vos mots grossiers. »

« Père ! » Les deux filles avaient immédiatement respecté l’ordre.

Yuuto savait qu’elles avaient agi comme il le leur avait demandé de faire, mais il ne pouvait pas supporter d’entendre plus longtemps tout cela. Il ne se voyait pas comme une grande figure de l’histoire. Il avait essayé de supporter le sentiment de nervosité et d’anxiété qui découlait toujours de leurs flatteries.

« Pardonnez-les pour leurs impolitesses, Lady Souveraine de la Corne, » déclara Yuuto à Linéa. « Je m’excuse que mes subordonnés aient manqué d’une manière ou d’une autre de l’apprentissage de la discipline. »

« ... Euh, eh bien, je suis également allée trop loin en vous appelant des chiens, » répondit Linéa. Son attitude s’était considérablement adoucie.

Depuis qu’il était devenu souverain, Yuuto avait lu de nombreux livres sur les techniques de négociation. Il avait estimé que de telles techniques étaient vitales pour quelqu’un au sommet.

L’une de ces techniques consistait à jouer la scène du « bon flic, mauvais flic ». Il s’agissait d’une tactique classique dans les procédures policières. Avec cette technique, un policier agressif utiliserait des insultes, des menaces et une manière grossière et oppressive pour contrarier la cible. Puis un second policier avec un comportement plus doux interviendrait, réprimandant le policier agressif, afin que la conversation se déroule mieux, et le bon flic gagnerait la bonne volonté et la sympathie de la cible.

Dans cette situation, Félicia et Sigrun jouaient le rôle des mauvais flics, tandis qu’Yuuto jouait le rôle du bon flic.

« Revenons sur le sujet, » déclara-t-il. « De quoi parlions-nous avant ça ? Oh, oui, du fait de devenir mon enfant. »

« ... Et je vous ai dit que je n’étais pas intéressée par l’offre, » Linéa avait encore une fois déclaré son refus, mais cette fois, il lui manquait sa férocité. C’était comme si elle le disait sans enthousiasme afin de tenter de se rassurer.

Les choses se passaient comme prévu, et Yuuto ne pouvait s’empêcher de se réjouir dans sa tête.

Sa conscience le grondait pour avoir escroqué, trompé et menacé une fille d’un âge si tendre, mais s’il ne pouvait pas mener ces négociations vers une fin appropriée, les combats se poursuivraient et les deux parties verraient encore plus d’effusions de sang. Yuuto n’avait d’autre choix que d’utiliser ces moyens pour éviter ce résultat.

Les fondations avaient été posées. Et ayant attendu que le moment soit enfin là, Yuuto pouvait maintenant faire ses véritables demandes.

« Hm... Eh bien, que diriez-vous de devenir ma petite sœur ? » demanda-t-il.

La matriarche souveraine du Clan de la Corne, Linéa, était aussi démoralisée qu’une personne pouvait être.

Peu importe combien de fois elle y avait réfléchi, elle n’avait pas pu trouver une explication satisfaisante quand à la façon dont ils s’étaient retrouvés dans cette situation.

Il y a trois ou quatre générations, le Clan du Loup prospérait, mais maintenant il était en ruines. Dans une telle situation, il était devenu un petit clan dont la puissance nationale était largement inférieure à celui du Clan de la Corne. Et jusqu’à tout récemment, il était dans une guerre avec un pays voisin, le Clan de la Griffe. Il n’était donc pas difficile d’imaginer qu’il continuerait à tomber dans le désarroi jusqu’à sa mort.

De plus, lorsque le nouveau souverain du Clan du Loup était arrivé au pouvoir il y a un an, elle avait entendu dire qu’il n’était qu’un jeune garçon de seize ans d’origine inconnue. Il aurait dû être facile de s’occuper de lui et à le vaincre...

Cela aurait dû être ainsi, c’était même le bon sens qui parlait...

Après avoir rassemblé près du double de soldats que leurs ennemis et alors qu’elle s’attendait à une bataille sans faille ainsi qu’à une victoire facile, elle avait à la place subi une défaite cruelle et écrasante... la fière commandante s’était maintenant résignée à son destin en tant que prisonnière.

La réalité à laquelle elle était maintenant confrontée était sombre : l’ennemi qu’elle avait méprisé comme de simples chiens voyait maintenant clairement son peuple, le Clan de la Corne, comme complètement indigne d’eux. Bien sûr, ce comportement était en partie juste de la vantardise, le Clan du Loup exagérant leur force face à une ennemie vaincue afin de faire avancer les négociations en leur faveur. Après tout, être le vainqueur avait ses avantages.

Pourtant, ce n’était que la moitié la vérité. Les regards de respect et d’adoration que les membres du Clan du Loup avaient faits envers Yuuto n’étaient pas normaux. Ils déversaient tous la dévotion due à un souverain extraordinaire sur ce garçon qui lui semblait faible de prime abord.

Cela comprenait également Sigrun le Mánagarmr et Félicia l’Alsviðr, alias « La Louve Sage », qui étaient toutes deux des guerrières dont les noms étaient connus même parmi le Clan de la Corne. Et plus que toute autre chose en ce moment, le fait que le Clan de la Corne ait subi une telle défaite écrasante était sûrement un aiguillon dans le flanc de Linéa.

Elle commençait à se demander si elle n’avait pas fait une grossière erreur de calcul. Si les choses continuaient comme ça, son propre clan pourrait être détruit.

« ... Une petite sœur ? » demanda lentement Linéa.

Alors qu’une telle concession lui étant présentée comme si Yuuto offrait un coup de main, même Linéa ne pouvait pas cette fois-ci la refuser catégoriquement.

Il était de notoriété publique dans ce monde que de devenir un enfant subordonné signifiait par principe l’obéissance absolue. Bien sûr, elle ne pouvait pas accepter ça.

Les frères cadets et sœurs cadettes devaient également respecter et obéir à leur frère aîné ou à leur sœur aînée, mais cela n’était pas aussi rigide qu’avec les enfants subordonnés. En tant qu’option, il y avait plus de raisons de ne pas au moins considérer avec attention cette proposition.

« C’est le seul et unique compromis que je suis disposé à vous offrir, » lui déclara Yuuto.

« Arg ! » Linéa laissa échapper un cri angoissé et sans paroles.

Il s’agissait d’une affaire qui nécessiterait une délibération minutieuse, mais elle n’avait pas de temps pour le faire. En premier lieu, réfléchir calmement à ces choses dans la situation actuelle serait presque impossible. Par conséquent, elle n’avait pas remarqué le piège.

Yuuto pourrait traiter cela comme une concession, mais il ne lui avait rien donné... il se contentait de retirer les demandes les plus fermes. Il s’agissait d’une tactique appelée la « Surévaluation ».

Il s’agissait d’une tactique de négociation utilisée dans les cas où l’on savait que les demandes correctes seraient refusées dès le départ, donc le négociateur commençait par émettre des exigences encore plus élevées, voire aberrantes, et ensuite, après que ces demandes avaient été refusées, il proposait des demandes plus réduites, qui était en vérité les demandes initiales qui avaient voulu être faites au départ.

En outre, à cause des effets de la tactique du « bon flic, mauvais flic » mentionnée ci-dessus, il avait planté la possibilité troublante que sa proposition soit peut-être plutôt gentille.

Linéa avait été complètement prise au piège par le plan d’Yuuto. « Argg, mais... »

Pourtant, il semblait que Linéa n’était pas encore prête à devenir la plus jeune sœur d’Yuuto. Apparemment, elle était encore en opposition face à l’idée de devenir obéissante à ces chiens de rang inférieur. Si elle devenait sans vergogne la petite sœur d’un « chien » et qu’elle retournait ensuite dans son pays, elle ne pourrait éviter les accusations selon lesquelles elle aurait vendu son propre peuple.

Le fait d’être vue de cette façon serait une insupportable humiliation. Elle avait probablement estimé que la mort serait vraiment une meilleure fin qu’un tel sort.

« J-Je refuse. Nous, du Clan de la Corne, nous refusons de nous placer en dessous de vous, du Clan du Loup..., » déclara Linéa.

« Je vois, » répondit-il. « Alors je suppose que je n’ai pas d’autres options à disposition. Nous allons avoir une deuxième Van sur les bras... »

« ... !? Alors, prévoyez-vous de brûler notre ville jusqu’au sol !? » s’exclama-t-elle.

Le commentaire d’Yuuto était si désinvolte, comme si cela semblait presque être une pensée d’après-coup, mais Linéa bouillait. Le souverain du Clan du Loup la regardait avec des yeux froids et inhumains, semblant complètement imperturbable par l’humeur menaçante de Linéa.

Van.

Le nom d’une ville qui avait autrefois fait partie du domaine du Clan de la Griffe.

Désormais, elle n’existait plus.

C’était parce que l’homme devant elle avait tout brûlé, y compris les femmes et les enfants, ne laissant pas un seul habitant en vie.

« Tout ceci, c’est seulement si vous n’acceptez pas mon Calice, » ajouta Yuuto. « Je n’ai pas l’intention de pardonner à quiconque se dresserait contre moi. »

« ... ! »

Sa déclaration franche et froide avait fait que le sang qui avait empourpré son visage avait complètement été drainé hors de là.

Quand Linéa avait levé ses troupes afin d’attaquer le Clan du Loup, l’une des raisons était son sentiment d’indignation vis-à-vis du Vánagandr... aussi appelé « La Tragédie de Van », et du souverain qui avait ordonné l’attaque. Elle ne pouvait pas accepter quelque chose, ou quelqu’un, qui soit si inhumain. La pensée de cette atrocité pesait de nouveau lourdement sur le cœur de Linéa.

Bien qu’elle portait le titre de « souveraine », elle était encore une jeune fille, et elle n’avait même pas quinze ans. C’était la première fois qu’elle comprenait vraiment depuis qu’elle était devenue souveraine la réalité quant au fait que ses décisions avaient un impact sur la vie de dizaines de milliers de personnes. Son corps n’arrêterait pas de trembler.

« Ça ne me dérange pas. Alors, qu’est-ce que cela va être ? » rajouta Yuuto. « Dépêchez-vous et décidez-vous. Mon offre ne restera pas longtemps sur la table des négociations. »

« Argg!! » elle s’était finalement exclamée. « Très bien. Je deviendrai votre petite sœur. Cependant, je ne deviendrais pas un enfant subordonné ! Simplement une petite sœur ! »

Au fin fond de sa tristesse écrasante, Linéa avait finalement accepté la proposition d’Yuuto.

***

Partie 5

« Ouffffffffffffffff ! »

Une fois que la réunion des patriarches souverains avait été ajournée et que Linéa était complètement hors de vue, l’épuisement s’était abattu d’un coup sur le corps d’Yuuto. Il s’agissait probablement du résultat d’avoir dû maintenir une telle tension pendant si longtemps.

Après ce si long soupir, son corps glissa hors de son siège jusqu’à arriver sur le sol.

« V-Vas-tu bien, Père !? Est-ce que quelque chose est arrivé à ton corps ? » Sigrun se précipita jusqu’à se mettre à genou devant Yuuto, sincèrement paniquée.

Pas l’ombre de la froideur ou de la dureté qu’elles avaient affichée face à Linéa était encore présente en elles. Réalisant cela, Yuuto ne pouvait pas s’empêcher d’afficher un sourire ironique.

Tous les membres du Clan du Loup acceptaient très mal de se faire appeler des chiens, mais la façon dont Sigrun agissait maintenant rendait impossible de ne pas penser à un chien qui gémissait d’inquiétude pour son maître. Bien sûr, il n’y avait aucune possibilité qu’il dise quelque chose d’aussi impoli, alors il avait simplement dit autre chose à la place.

« Je suis juste fatigué, » déclara-t-il. « Tu t’inquiètes toujours trop. Bien que je suppose que je sois faible et fragile selon les normes de ce monde. »

« N-Non, ce n’est pas..., » la voix de Sigrun avait diminué d’intensité et ses paroles s’évanouirent dans le silence.

Elle pense vraiment que je suis faible, pensa Yuuto en affichant un sourire ironique.

Mais il ne la blâmait pas du tout pour ça. Quand il était arrivé dans ce monde, la nourriture et l’eau n’étaient pas tout à fait convenables avec ce qu’il pouvait consommer à ce moment-là, et il avait régulièrement eu du mal à garder quoi que ce soit dans son estomac. Il soupçonnait que l’image restait même maintenant dans les souvenirs de Sigrun.

« Hehe ! Affalé sur le sol comme ça, personne ne croirait que tu étais le grand “Hróðvitnir” dont le nom est célèbre parmi nos pays voisins, » les yeux de Félicia se plissèrent en raison de son amusement.

Yuuto s’était glissé sur le sol, s’appuyant contre les pieds de la chaise pour se soutenir, que la dignité soit damnée.

« Ce n’est que de l’infamie, et non pas de la célébrité, » déclara-t-il en se redressant.

À la suite de l’incident survenu à Van, Yuuto avait acquis le surnom de Hróðvitnir, « l’Infâme Loup », ainsi que la réputation à travers le continent d’être un despote impardonnable et inhumain.

Il avait en vérité aidé à répandre cette réputation partout où il pouvait.

Tout comme avec Sun Tzu, Yuuto avait commencé à lire Le Prince de Machiavel après être devenu souverain afin d’acquérir des connaissances convenables à un dirigeant. Il y était dit que ceux qui seraient des dirigeants, tout en se comportant normalement avec bienveillance, devraient être insensibles ou carrément vicieux à certains moments. Il avait également écrit que, si l’on devait commettre de telles atrocités, elles devraient être faites tout à la fois, plutôt que petit à petit.

Cela ferait que les gens vous craignaient, leur retirant tous désirs de vous combattre, et finalement les incitaient à vous obéir.

Un exemple célèbre de ceci avait été l’atrocité par Masamune Date au château d’Odemori. Après avoir capturé le château, Masamune avait procédé au massacre de ses habitants. En entendant cela, son ennemi Sadatsuna Oouchi avait été absolument terrifié et s’était retiré au château d’Obama sans se battre. Après avoir atteint le château d’Obama, Masamune l’avait capturé sans avoir à verser la moindre goutte du sang de ses propres hommes. Plus tard, Sadatsuna Oouchi devint même soumis à Masamune.

En ce sens, on pourrait dire que l’idée du Vánagandr était née de cet événement.

« Je ne peux toujours pas l’accepter, » Sigrun avait déclaré cela avec indignation. « Le Père n’a jamais commis d’atrocité à Van. Il est une personne si bienveillante... »

« Je ne suis pas bienveillant, juste doux, » répondit Yuuto avec une expression douloureuse, marmonnant en secouant la tête d’un côté à l’autre.

La réalité n’était pas si simple. Tout comme être impartial et insensible pouvait vous permettre d’éviter des effusions de sang à certains moments, être trop amical pourrait en fait conduire un ennemi à vous prendre à la légère, et ainsi intensifier non seulement les combats et les effusions de sang à la suite de ça.

Il était vrai qu’Yuuto avait brûlé Van, mais en réalité, il avait secrètement déplacé ses habitants vers une ville du territoire du Clan du Loup avant de le faire. Et ainsi, la légende de ses atrocités était née.

On disait qu’il ne pouvait pas y avoir d’endiguement des rumeurs. Si la vérité se répandait et que les clans voisins voyaient le Clan du Loup comme faible, cela pourrait mener à des combats où beaucoup plus de sang du Clan du Loup serait versé que celui des habitants de Van qui avaient été épargnés. Pourtant, bien qu’il ait connu ce risque, Yuuto n’avait pas été capable de tuer ces personnes. Il ne pouvait pas aller aussi loin. Il ne pouvait pas être si insensible.

Il avait agi ainsi même si la réalité de ce monde, dans lequel la faiblesse et la douceur seraient remboursées par des effusions de sang, lui avait été clairement montrée à maintes reprises.

« ... Hein !? » s’exclama-t-il. Il fut soudain enlacé avec force.

Dans l’instant suivante, une sensation douce et chaude couvrit son visage.

Encore ? Dès qu’il avait réalisé qui c’était, Yuuto avait paniqué et avait essayé de se retirer.

« Je trouve ta générosité inestimable, Grand Frère, » déclara Félicia. « S’il te plaît, ne te blâme pas. »

La douce et tendre voix de Félicia lui enleva la force de résister. Il pouvait entendre son rythme cardiaque. C’était comme si son dégoût de soi qui avait meurtri son propre cœur avait été guéri.

« ... Félicia, merci, comme toujours, » déclara-t-il.

« Hehe ! Je n’ai rien fait qui nécessite que tu me remercies, » répondit-elle.

« Pourtant, j’apprécie, » déclara-t-il.

« Je-j’ai aussi beaucoup de respect pour toi, Père !! » déclara Sigrun.

« Ah, et merci aussi à toi, Run, » déclara-t-il.

« Super ! » Un sourire se répandit sur le visage de Sigrun comme une fleur en pleine fleuraison. Elle était vraiment folle de joie en entendant les mots simples d’Yuuto.

Yggdrasil n’était ni l’époque ni le lieu où Yuuto était né et avait grandi. Il y avait beaucoup d’aspects de la vie courante ici qui était incommodante pour lui, et le mal du pays soufflait régulièrement dans son cœur tel un vent glacial. Mais il avait aussi des personnes comme Félicia et Sigrun qui avaient pris soin de lui, et qui l’avaient aidé.

Un sourire apparut soudain sur les lèvres d’Yuuto. « Tout va bien. Allons-y et retournons à notre ville, Iárnviðr. »

***

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4 commentaires :

  1. merci pour le chapitre.

  2. Merci pour le chapitre, mais des parties dérangeante.

  3. Merci pour le chapitre.

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