Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure
Table des matières
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 1
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 2
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 3
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 4
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 5
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 6
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 7
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 8
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 9
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 10
- Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure – Partie 11
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Chapitre 2 : Quand les pleurnichards attirent, tout le monde a la vie dure
Partie 1
« Mon nom est Asura ! Asura, le Bras Hex ! Le Héros de l’Ouest, Asura ! Gravez-le dans votre esprit ! »
C’est ce que le garçon avait annoncé en se révélant à moi. Je ne l’avais jamais vu auparavant. C’était un humain aux cheveux écarlates et aux yeux cramoisis, ce qui signifiait qu’il était un grigori. Ils étaient assez courants dans l’équipe de Salomon. C’était un peuple plutôt tragique qui était utilisé comme des outils par les séraphins.
Dans ce monde, où tous les gens sauf les séraphins étaient indésirables, l’attention des séraphins ne faisait pas des grigoris un symbole d’envie. Ils étaient des outils jetables. Les séraphins les tuaient sans rime ni raison particulière. Ils étaient juste des jouets avec lesquels on pouvait jouer.
Nés sous la direction des séraphins, ils n’avaient même pas le choix de s’enfuir comme toutes les autres races le pouvaient. Ceux qui avaient survécu aussi longtemps se voyaient, sans exception, accorder la vie au prix d’une autre. En ce sens, on aurait pu dire qu’ils étaient la race que les séraphins détestaient le plus.
Le jeune grigori se tenait dans une position imposante, bloquant mon chemin et me regardant avec des yeux pleins d’espoir. Après plusieurs secondes à rester là dans un état de confusion, j’avais réalisé qu’il était apparemment en train de se présenter à moi.
J’avais eu beaucoup de mal à me souvenir des noms et des visages. Je veux dire, même si j’essayais de me souvenir, tout le monde disparaissait assez rapidement. Ainsi, j’avais fait de mon mieux pour détourner les yeux et passer devant lui. Je portais toujours Murdock. Il était lourd, et je devais aller l’entretenir, donc j’étais plutôt occupée.
« Hé, attendez ! Pourquoi m’ignorez-vous !? »
Il s’était accroché à moi, les yeux pleins de larmes. La plupart des gens comprenaient quand je les ignorais et n’essayaient pas de me parler, alors sa réaction était plutôt inattendue. En regardant de plus près, j’avais remarqué qu’il avait l’air d’avoir quatorze ou quinze ans. Peut-être ce comportement était-il logique pour un enfant. J’avais arrêté de marcher et je m’étais retournée avec un air extrêmement mécontent bien visible. Le garçon m’avait regardée fixement pendant un moment, puis il s’était remis debout avec vigueur et avait gonflé sa poitrine.
« Héhé. Vous êtes l’as dans le coin, hein ? Eh bien, je suis l’homme qui a massacré les séraphins à l’ouest. Entendons-nous comme des camarades-chefs ! »
Je lui avais fait un signe de tête accompagné d’un soupir de compréhension. Les nouveaux arrivants se montraient ici de temps en temps. Ils avaient tendance à dire des choses inexplicables lorsqu’ils étaient poussés par l’euphorie de savoir qu’ils allaient combattre des séraphins, alors son acte ne m’avait pas surprise le moins du monde.
Cela dit, j’étais encore moi-même une enfant. Je n’avais aucune raison de vivre, si ce n’est un désir brûlant de vengeance. Je n’étais pas une personne remarquable au point de le mépriser pour son excitation. Je lui avais donc accordé la courtoisie minimale d’un léger signe de tête — ce dont Orobas et Salomon ne s’étaient jamais débarrassés — et j’avais tourné les talons.
« Hé ! Dites-moi au moins votre nom ! »
Je n’avais pas pu lui répondre sur le champ. Cependant, ce n’était pas parce que je le trouvais gênant. Je ne me souvenais tout simplement pas de mon nom. Salomon et mon grand frère m’appelaient Ashy, mais ce n’était qu’un surnom. J’avais un nom propre, mais pour une raison inconnue, je ne m’en souvenais pas.
Pourtant, ça ne faisait pas une grande différence. Si quelqu’un avait besoin de moi, il pouvait simplement dire « Hé » ou « Vous êtes là ». De toute façon, tout le monde allait finir par mourir en combattant les séraphins. Si nous devions enterrer chacun des défunts et graver leurs noms sur des pierres tombales, ils rempliraient probablement le continent entier.
Je n’étais pas sûre de la façon dont le garçon avait interprété ma réaction. Tout ce que je savais, c’est qu’il y afficha soudainement un regard d’extrême tristesse. Il avait probablement pensé que je l’ignorais. J’étais habituée à ce que les gens pensent de cette façon. J’étais consciente du peu de cas que je faisais de la coopération. Et pourtant, le garçon avait baissé la tête comme s’il avait commis une erreur irrémédiable.
« Désolé…, » dit-il, puis il en rit avec un regard troublé. « Alors, que dites-vous de ça ? Quand je reviendrai vivant après la prochaine sortie, vous me direz votre nom. Ça ira ? »
Le garçon m’avait quittée sans même attendre ma réponse. Après cela, il était revenu de la bataille suivante tout comme il l’avait déclaré si fièrement. J’avais fini par devoir compter sur Orobas pour pouvoir me souvenir de mon propre nom. Ce garçon avait ensuite pris l’habitude de m’imposer des exigences arbitraires chaque fois qu’il se battait contre les séraphins.
Quand je reviendrai, prends un repas avec moi.
Quand je reviendrai, dis-moi ce que tu aimes.
Quand je reviendrai, laisse-moi t’entendre chanter.
Quand je reviendrai… Quand je reviendrai…
Au début, j’avais trouvé l’ensemble désagréable, mais finalement, je m’y étais habitué et tout sentiment de mécontentement avait disparu depuis. Le garçon était certainement fort. Un grigori se vantait d’être très fort par nature. Ses blessures guérissaient rapidement, et par-dessus tout, un seul coup de son bras briserait la barrière d’un séraphin avec la même facilité que les chasseurs de séraphins.
Il était, en fait, bien plus fort que moi, vu que je ne pouvais tirer sur mes cibles qu’à une distance sûre. Il semblait qu’il n’allait pas disparaître de ma vie. Tout comme Salomon et mon frère, il semblerait qu’il allait continuer à se battre avec nous. Quand j’avais commencé à y croire, nous avions fini par nous battre contre l’un des hauts séraphins.
Le Haut Séraphin Camael.
En général, les séraphins avaient une paire d’ailes faites de lumière qui jaillissait de leur dos. On les appelait les ailes hex. Elles étaient aussi la véritable nature de la barrière d’un séraphin. Deux ailes leur donnaient déjà des pouvoirs proches de ceux des dieux, mais les hauts séraphins avaient six ailes.
Chaque aile hex supplémentaire multipliait apparemment grandement leurs pouvoirs, bien plus que le simple double par aile. Avec six exemplaires, un haut séraphin était à un niveau bien supérieur à celui de trois séraphins ordinaires à deux ailes.
Mon rôle était de détruire au moins trois des ailes du haut séraphin avant que Camael n’anéantisse l’avant-garde. Cela allait certainement conduire à de nombreux sacrifices. L’avant-garde était soutenue par ce garçon, par Asura.
Malgré tout, ils étaient sûrs de pouvoir tenir trente secondes. Pourtant, c’était très peu de temps pour briser trois ailes. Si je ratais ne serait-ce qu’un seul tir, tout le monde était sûr de mourir. De plus, le séraphin n’allait évidemment pas rester immobile et m’offrir le tir parfait.
Quand la bataille commença, j’avais désespérément aligné mes viseurs et pressé la détente. Il n’y avait aucun intérêt à survivre. J’avais toujours rêvé de me battre, de lutter, de laisser ne serait-ce qu’une marque de griffe sur un séraphin, puis de mourir. Mais à ce moment-là, je savais que je ne pouvais pas mourir. Je savais que je ne pouvais pas mourir avant d’avoir rempli mon rôle. Au moins, Asura et ses guerriers mettaient leur vie en jeu, croyant de tout cœur que je briserais ces ailes.
J’avais abattu une aile, et profitant de l’agitation du séraphin, j’avais aligné pour un deuxième tir et j’avais tiré. Avec deux ailes en moins, même le haut séraphin avait dû commencer à faire des manœuvres d’évitement. Lorsqu’un séraphin se concentrait entièrement sur l’esquive, ses mouvements dépassaient de loin la perception humaine. Il était impossible de faire face à cela à courte distance, c’est pourquoi nous devions les traiter par des tirs de précision à longue distance.
Le haut Séraphin avait abattu mes camarades les uns après les autres. La sueur avait commencé à tremper mes paumes alors que je saisissais mon chasseur de séraphins. Mon doigt tremblait sur la gâchette. Cependant, je m’étais débarrassée de ma panique en prenant une profonde inspiration.
C’est bon. Je peux le faire, je m’étais rassurée. Le haut séraphin était rapide, mais il n’avait pas complètement disparu. Je devais simplement prédire la trajectoire de ma cible.
J’avais tiré un troisième coup. Une troisième aile avait volé en éclats. Vingt secondes s’étaient écoulées. Cependant, après avoir tiré trois fois du même endroit, j’avais attiré l’attention du haut séraphin. Une seule attaque d’un séraphin pouvait facilement anéantir un petit village. C’était le cas pour un séraphin doté de deux ailes hex, alors un haut séraphin doté de trois paires d’ailes pouvait déclencher une dévastation d’une tout autre ampleur. Je n’avais aucun espoir de me mettre en sécurité.
Les trois ailes restantes sur le dos du haut séraphin rayonnaient de lumière alors qu’il tenait en l’air une lance luminescente. Il y avait 1000 mètres entre nous. Le chasseur de séraphins avait une vitesse initiale de 853 mètres par seconde, ce qui signifie qu’il fallait un peu plus d’une seconde pour qu’une balle atteigne ma cible. En revanche, cette lance de lumière effaçait sa cible à l’instant même où elle était libérée.
Je serais anéantie avant que ma balle ne frappe. Je ne pouvais pas intercepter l’attaque ou l’éviter.
Dans ce cas, je vais juste tirer !
Je ne pouvais pas être sauvée, mais le séraphin ne pouvait pas non plus esquiver en attaquant. Je m’étais retrouvée surprise par mon sang-froid en prenant une inspiration. Mon doigt trembla. J’avais la quatrième aile en ligne de mire. Le marteau s’était abattu sur la gâchette, libérant une balle de la bouche du canon.
Une pensée soudaine m’était venue à l’esprit.
Qu’a dit Asura cette fois-ci ? Quand je reviendrai — .
J’avais regardé dans mon viseur la lance de lumière s’étendre, quand soudain…
« Je ne vous laisserai pas tuer Ashy ! »
J’avais eu l’impression de voir un garçon plonger devant la lumière. Et puis, je m’étais évanouie. Quand je m’étais réveillée plus tard, je m’étais retrouvée dans un lit dans le château d’Orobas. Le dragon, qui avait pris la forme d’un vieil homme, était assis à mes côtés. Il avait apparemment pris soin de moi.
J’avais essayé de m’asseoir, ce qui avait provoqué des vagues de douleur dans tout mon corps. J’avais plus de vingt os fracturés, dont trois de mes côtes, le haut de mon bras, ma clavicule, mon fémur et mon tibia. De plus, mon corps entier était couvert de brûlures à haut degré. Et pourtant, j’étais en vie.
Orobas m’avait fait un bref résumé de ce qui s’était passé depuis que je m’étais effondrée. Trois jours avaient passé. Le haut séraphin Camael avait été vaincu. Nous avions gagné.
Il m’avait dit que le canon de Murdock était cassé. Et ensuite, il m’avait dit qu’Asura n’était pas revenu.
À ce moment-là, le bras d’Asura avait réussi à dévier très légèrement la lance du séraphin. C’est pourquoi j’avais à peine réussi à survivre.
Qu’est-ce que ce garçon voulait que je fasse à son retour, cette fois ?
Quand je reviendrai…
Quand je reviendrai, montre-moi ton sourire.
Une douleur qui n’avait rien à voir avec mes os cassés avait envahi mon cœur. Mon esprit était tombé dans le désordre, et avant que je ne le sache, des larmes chaudes avaient coulé sur mes joues. Le vieux dragon n’avait rien dit et était resté près de moi.
J’avais toujours souhaité la mort, mais finalement, il était aussi mort avant moi. Il avait été un autre de ces irresponsables. Cependant, étant donné que mon cœur était dans un état tel que je n’avais même pas pris la peine de me souvenir de mon propre nom, me rappeler comment pleurer m’avait vraiment sauvée.
C’est l’un des précieux souvenirs qui m’avaient soutenue au cours des années de ma longue vie à venir.
***
Partie 2
« Alshiera, tu m’écoutes ? » demande Foll, ramenant Alshiera de son voyage dans ses souvenirs.
« Oh, désolée pour ça. Je me souviens de beaucoup de choses depuis que je suis ici. »
Elles se trouvaient dans le hall d’entrée du Palais de l’Archidémon, où résidait auparavant le golem fait à partir d’un démon. Néphy et Lilith étaient également avec elles. En levant les yeux, Alshiera vit d’énormes statues de pierre qui dominaient le hall comme par le passé. Il s’agissait de golems capables de tirer le Phosphore des Cieux qui avaient été modifiés exclusivement pour l’usage de Gremory.
Raphaël était resté au château. Il fallait apparemment ruser un peu pour empêcher Zagan de découvrir ce qu’ils préparaient, et le majordome avait aussi des tâches ménagères à accomplir. Toutes les personnes chargées de telles tâches ne pouvaient pas quitter le château en même temps.
Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis qu’Alshiera avait été enlevée dans la cuisine. Pendant ce temps, elle leur avait expliqué comment on fêtait les anniversaires — ou, en tout cas, Lilith l’avait fait, en grande partie — mais il n’était toujours pas certain qu’elles aient vraiment compris.
Ils sont vraiment des enfants adorables.
Ils étaient tous si courageux, si purs, si sincères qu’Alshiera voulait les protéger, même s’ils n’étaient pas Zagan. Elle avait commencé à sentir qu’elle ne voulait plus se séparer d’eux. Le temps qui lui restait touchait déjà à sa fin, mais…
Comme c’est disgracieux de ma part.
Il y a mille ans, ils s’étaient aussi battus en croyant qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps. Alshiera s’était débarrassée de son sentimentalisme alors que Foll lui lançait un regard perplexe.
« De quoi t’es-tu souvenue ? » avait-elle demandé.
« Rien, vraiment. Je me rappelle juste quelques souvenirs d’un vieil ami. »
Les subordonnés de Zagan se trouvaient également au Palais de l’Archidémon. Sur la quarantaine de personnes qui travaillaient sous ses ordres, environ trente pour cent servaient au château, soixante pour cent au palais de l’Archidémon, et les dix pour cent restants étaient envoyés à l’Église et dans diverses autres missions. Shax faisait partie de ces derniers dix pour cent.
En d’autres termes, le hall d’entrée était traversé par des sorciers à tout moment, alors Alshiera ouvrit l’une de ses portes et poursuivit son chemin à l’intérieur. Un long couloir s’étendait devant elle avec de nombreuses portes le long de ses murs. Elles servaient principalement de chambres d’hôtes à l’ère moderne, mais il y a mille ans, elles étaient des salles de maladie, des entrepôts et des salles d’attente pour les chasseurs de séraphins, entre autres choses. Elle marcha dans le couloir avec les trois autres filles derrière elle. Après avoir passé trois, puis quatre portes, elle s’arrêta à la cinquième.
« Cette pièce fera l’affaire. »
Les murs qui l’entouraient étaient épais, ce qui gardait le son à l’intérieur, c’était donc l’endroit parfait pour parler en secret. Il ne restait rien du passé ici, mais c’était autrefois la salle des malades dans laquelle Alshiera avait passé du temps. Elle avait procédé à l’ouverture de la porte sans même frapper.
« H-Hein ? Quoi ? »
Un sorcier masqué à la carrure imposante était déjà à l’intérieur. Il semblait être en train de travailler sur quelque chose, vu qu’il ne portait pas sa robe, exposant le haut de son corps musclé. Il avait le dos tourné, un marteau à la main, et au moment où il avait vu Alshiera entrer, son œil unique avait tourné en rond dans la confusion.
« Hum, Dame Alshiera ? » dit Néphy, déconcertée. « Il semble qu’elle soit déjà occupée, alors ne devrions-nous pas chercher une autre chambre… ? »
Néphy jeta un coup d’œil à l’intérieur, rencontrant le regard du sorcier déconcerté.
« Hum, vous êtes le Seigneur Naberius… n’est-ce pas ? » demanda-t-elle. « Je suis désolée pour cette intrusion soudaine. »
Elle ne s’était jamais présentée correctement à lui, aussi Néphy lui avait fait une élégante révérence en même temps que ces mots.
« O-Oh, vous êtes… Néphy ? La fiancée de Zagan ? » demanda-t-il en retour.
Ses oreilles pointues étaient devenues rouges en entendant cela.
« Oh… Hum… Oui… Mais nous n’en sommes encore qu’au stade des rendez-vous, alors… »
Bien qu’ils soient collés l’un à l’autre jour et nuit, elle se sentait apparemment toujours gênée lorsque les autres lui faisaient remarquer à quel point ils étaient proches. Les habitants du château ne regardaient ces deux-là que de loin, donc personne ne le lui disait jamais en face. Dans un sens, sa nature timide lorsqu’elle y était confrontée était parfaitement naturelle.
Néphy rougit, affichant une expression à la fois heureuse et embarrassée. En revanche, Alshiera pouvait voir que Naberius était devenu mortellement pâle sous son masque. Jetant l’outil dans sa main, il se précipita vers Alshiera, l’attrapa par le bras et l’entraîna dans la pièce.
« A-Aha ha ha ha. Je vais emprunter cette fille pour un moment, d’accord ? » dit-il, puis il claqua la porte sans attendre de réponse. Cette pièce avait été attribuée à Naberius pour en faire son atelier. Il avait été chargé de réparer les chasseurs de séraphins d’Alshiera et d’exécuter une commande de Zagan.
En regardant de plus près, Alshiera put voir un chasseur de séraphins placé sur une table dans la pièce. La chaise sur laquelle Naberius était assis se trouvait devant un marteau et une enclume, ainsi qu’un four à haut rendement qui pouvait être contrôlé par le mana. Elle ne pouvait pas voir exactement ce sur quoi il travaillait, peut-être parce qu’il était en train d’être nettoyé avec des produits chimiques.
Même avec son masque, elle pouvait voir que Naberius affichait une expression effroyable alors qu’il se rapprochait d’elle.
« Es-tu folle !? » Il avait crié. « Qu’est-ce qui te prend d’amener cette fille ici !? »
Il avait secoué ses épaules d’avant en arrière. Un homme musclé secouait une petite fille qui tenait dans ses bras une poupée en peluche, ce qui ne donnait pas vraiment une image des plus jolies. En tout cas, Zagan avait demandé à Naberius de préparer le cadeau de Néphy en secret. Ce serait gênant pour Néphy de le voir le faire. Alshiera le savait, bien sûr. Elle savait aussi qu’il serait là. Cependant, elle se contenta de lever les yeux au plafond, feignant l’ignorance.
« Je voulais que quelqu’un partage le malheur déraisonnable qui m’est soudainement tombé dessus, » avait-elle avoué sans vergogne.
« Comme si ça m’intéressait ! » Naberius hurla, la saisissant par le col, les larmes aux yeux. « N’est-ce pas toi qui as provoqué cette situation à cause de tes bêtises habituelles ? Pourquoi dois-tu m’entraîner dans ta chute !? »
« Parle pour toi. Tout ceci n’est-il pas le résultat de tes méfaits habituels ? »
Les choses étaient devenues un peu floues à cause de l’intervention de Zagan, mais Alshiera n’avait pas pardonné à l’homme d’avoir mis Lilith en danger. En fait, Lilith était déjà techniquement impliquée, mais il avait quand même essayé de l’encourager sans le savoir.
Quoi qu’il en soit, Naberius savait qu’Alshiera était toujours en colère contre lui. Si la demande de Zagan était révélée, Naberius n’aurait plus la protection d’Alshiera, et Zagan deviendrait son ennemi. Il n’y aurait aucun moyen pour lui de survivre.
Pourtant, ce n’est pas Alshiera qui avait proposé de parler en secret au Palais de l’Archidémon, alors Naberius ne pouvait que se résigner face à sa malchance.
« Rien en toi, à part ton visage, ta voix et ta personnalité, n’est mignon du tout ! » cracha-t-il en grinçant des dents.
« Tu me fais un compliment ou tu me dénigres ? » avait-elle répondu avec étonnement.
« Dame Alshiera ? » Une voix réservée avait appelé de l’autre côté de la porte. « Ne serait-il pas préférable pour nous d’aller dans une autre pièce… ? »
« C’est bon, » répondit Alshiera. « Cet homme est simplement timide. Ne vous inquiétez pas, il vous conseillera gentiment sur le cadeau à choisir. »
« Noooooonnnn ! » Le cri silencieux de Naberius était de la musique aux oreilles d’Alshiera. Il semblait avoir abandonné, alors elle alla ouvrir la porte. En un claquement de doigts, tous les outils de la pièce disparurent grâce à la sorcellerie avant que quiconque ne puisse les voir.
« Hum, est-ce que ça va vraiment… ? » demande timidement Néphy.
Ayant tout juste réussi à tout cacher, Naberius posa sa main sur son masque et se retourna en riant. Son esprit incompréhensible lui permettait apparemment de retrouver rapidement son sang-froid, si bien que personne ne remettait en cause ses agissements.
« Vous êtes plutôt poli, n’est-ce pas ? Contrairement à une certaine vampire. J’étais en plein travail, donc c’est un peu le bazar, mais ne vous occupez pas de moi et entrez. »
« Alors, veuillez nous excuser…, » marmonna Néphy et elle se pencha légèrement en arrière, dépassé par le comportement de Naberius, avant de faire un pas dans la pièce.
« Puis-je aussi entrer ? » demande Foll, tout en jetant un coup d’œil dans la pièce.
« Foll. Tu es la fille du roi aux yeux d’argent, ce qui signifie que tu es pratiquement le maître de ce château. Il n’y a aucune pièce dans laquelle tu ne peux pas entrer librement, » lui répondit Alshiera.
« Vraiment ? »
« Je suis surpris que tu aies le culot d’endoctriner aussi calmement la fille polie d’autrui avec de telles inepties. Qu’est-il arrivé au fait que tu n’aies pas le droit de te mêler des allées et venues des vivants ? »
Alshiera avait cru entendre quelqu’un se plaindre, mais ce n’était probablement que son imagination. Foll lui avait fait un rapide signe de tête, puis était entrée dans la pièce. Enfin, Lilith avait timidement regardé à l’intérieur.
« Oh… Hum, vous êtes la personne qui m’a aidée à me sauver cette fois-là… n’est-ce pas ? Euh, je ne vous ai pas encore remercié correctement pour ça. Donc, eh bien, merci. Mon nom est Lilith. »
Maintenant qu’Alshiera y pense, Lilith et Naberius s’étaient rencontrés, mais n’avaient jamais eu l’occasion de se parler, et encore moins de se présenter correctement. Lilith lui avait fait une révérence, et pour une raison inconnue, Naberius avait poussé sa main contre son masque — probablement là où se trouvait le coin de son œil — et avait baissé sa tête.
« Euh, allez-vous bien ? » lui avait demandé Lilith.
« C’est bon. Ne vous inquiétez pas… Mon cœur était simplement secoué par le fait qu’il y a une fille qui peut montrer une gratitude appropriée ici… »
Alshiera ferma la porte, isolant tout bruit de l’extérieur. C’était une pièce spacieuse, qui correspondait à son ancienne utilisation comme chambre de malade. Elle avait à peu près autant d’espace que le hall d’entrée. La moitié de la pièce était tapissée de lits en ruine, tandis que l’autre moitié était devenue l’atelier de Naberius, où toutes sortes d’outils étaient mis de côté.
Alshiera se dirigea vers le lit le plus proche de l’atelier, sortit un mouchoir de sa poupée en peluche bien-aimée, le plaça sur le lit et prit place. Tous les autres avaient fait de même et avaient également commencé à s’asseoir.
Naberius s’était appuyé contre le mur en face d’Alshiera. Foll avait pris place sur la chaise à sa droite. Il n’y avait pas de chaise sur la gauche, Lilith s’était donc assise sur le lit voisin. Néphy avait hésité avant de décider de prendre place sur le même lit qu’Alshiera, juste à côté d’elle. Ainsi, ils avaient tous formé un cercle improvisé.
À ce moment-là, un grondement avait jailli de l’estomac de Foll.
« Oh là là. As-tu faim, Foll ? » demanda Alshiera.
« Non, mais quelque chose sent vraiment bon ici. »
« Une odeur… ? »
Les yeux ambrés de Foll étincelaient alors qu’elle fixait Naberius.
Oh, elle a mentionné le fait d’être traitée avec des spectateurs pour son anniversaire…
Un beholder adulte était bien au-delà de la portée d’un jeune dragon, mais l’âge accentuait en fait leur vaste mana et leur viande savoureuse. Foll n’était pas n’importe quel jeune dragon, elle avait une puissance équivalente à celle d’un Archidémon, ce qui lui donnait plus qu’assez de force pour défier le plus fort des spectateurs. Vu sa croissance à un si jeune âge, elle dépasserait probablement le sage dragon Orobas lorsqu’elle serait adulte.
***
Partie 3
« Je préfère que vous ne me regardiez pas avec les yeux d’un prédateur…, » grommela Naberius, l’œil tremblant derrière son masque.
« Ne sois pas si avare. Allez, pourquoi ne pas lui offrir un de tes bras ? » suggéra Alshiera.
« Je suis déjà en déficit ici. Pourquoi dois-je couper des morceaux de mon propre corps en plus de cela ? »
Rien qu’en regardant le visage agacé de Naberius — ou, en fait, son masque —, Alshiera se sentait satisfaite.
« C’est dommage que nous n’ayons pas pu inviter Nephteros, mais pouvons-nous commencer ? » dit Néphy, reprenant les choses en main maintenant que tout le monde était assis.
« Zagan se dirigeait vers l’Église. Ça aurait été dangereux d’essayer de le lui faire savoir, » dit Foll.
Les filles avaient essayé de se rendre à l’Église avant d’arriver au Palais de l’Archidémon, mais Zagan s’y était également rendu. Le risque de le croiser était assez élevé, elles avaient donc renoncé à contacter Nephteros et étaient allées directement à leur destination.
J’aurais toujours pu la contacter avec des chauves-souris…
Pourtant, Alshiera n’avait aucune obligation de coopérer à ce point. Plus important encore, Zagan était allé voir Nephteros à cause du problème dont elle était accablée. C’était un sujet lourd. Alshiera le savait, ayant passé le dernier mois collé aux côtés de Nephteros, mais elle n’avait pas non plus de solution.
Compte tenu de la situation, ils ne pouvaient pas appeler Nephteros si effrontément juste pour célébrer l’anniversaire de Zagan. Cependant, ces filles n’avaient pas besoin d’être au courant de cette situation pour le moment. Foll fut la seule à jeter un regard curieux à Alshiera, mais elle pensa qu’il valait mieux ne pas aborder le sujet et garda le silence.
« Alors, est-ce qu’on fête les anniversaires en organisant une fête comme pour Alshiere Imera ? » demanda Néphy en se tournant vers Lilith.
À la mention soudaine du nom de son propre anniversaire, Alshiera laissa échapper un gémissement. Naberius lui jeta un regard curieux, puis sembla réaliser ce qui la tracassait, un regard de joie apparaissant sur son visage en réponse.
Il avait ramené ses deux mains devant sa poitrine et avait déclaré sans vergogne : « Vous avez raison. Alshiere Imera est un rituel pour célébrer la plus sainte des vierges qui est vénérée par l’Église. Même s’ils sont aux antipodes, ce n’est pas une mauvaise idée d’imiter une telle célébration pour l’anniversaire d’un Archidémon. »
Alshiera avait serré les dents tout en gardant un sourire agréable. C’était apparemment sa forme mesquine de vengeance pour son récent comportement. Ses dents grinçaient sous la pression, presque susceptibles de se briser. Et comme rien ne laissait présager cette animosité en coulisse, Néphy releva la tête comme si elle se souvenait de quelque chose.
« Alshiere Imera… Maintenant que j’y pense, nous avons trouvé une inscription dans la salle du trésor de la ville sainte qui pourrait y être liée d’une certaine manière. »
« Hein… ? » Alshiera marmonna, complètement abasourdie par cette remarque inattendue.
« Que disait-elle ? » Naberius demanda, se penchant en avant avec un grand intérêt. « Tout ce qui se rapporte à Alshiere Imera pourrait être une référence pour une fête d’anniversaire, non ? »
« Non, imiter un événement religieux pour l’anniversaire d’un Archidémon ne serait-il pas un choix discutable ? » protesta froidement Alshiera. Cependant, Néphy ne lui avait pas prêté attention.
Néphy savait qu’Alshiere Imera était le même jour que l’anniversaire d’Alshiera, mais elle ne savait pas que c’était une véritable célébration de celui-ci. Il semblerait que ce soit une erreur de calcul de la part de la vampire. Néphy avait mis son doigt sur ses lèvres en essayant de se souvenir de l’inscription.
« Euhhh, je crois que c’était “S’il vous plaît, sauvez l’infiniment pitoyable. Si vous êtes l’un d’eux qui manie les treize épées et emblèmes, nous vous céderons le chemin.” »
Le visage d’Alshiera brûlait d’embarras. Elle voulait se transformer en brume et disparaître complètement de Kianoides.
Qu’est-ce que tu graveras dans ta salle du trésor, mon stupide frère !?
« Hmmm. Héhé, héhé. C’est une sacrée inscription, » dit Naberius en se grattant le menton d’un air entendu.
Tout ce qu’Alshiera put faire en guise de protestation fut de diriger sa soif de sang vers lui, laissant entendre qu’elle le tuerait s’il disait quoi que ce soit d’inutile. Cependant, c’était un gaspillage total d’efforts avec cet Archidémon.
« Le treizième…, » marmonna Naberius sur un ton étonnamment sérieux.
Néphy avait bien dit : treize. Les sourcils d’Alshiera s’étaient levés à la mention de ce mot.
« Ceci » a été corrigé dans la génération de Naberius, si je me souviens bien…
Il avait fini par découvrir quelque chose d’inutile, il semblerait.
« Ha ha ha. Quelle histoire amusante, » dit-il avec un hochement de tête satisfait. « En guise de remerciement… Oh, vous êtes en train de décider du cadeau de Zagan, n’est-ce pas ? Je vous aiderai à préparer n’importe quoi, tant que c’est dans mes cordes. »
« Vraiment ? Merci beaucoup, Lord Naberius, » répondit Néphy.
« Ne vous en faites pas. On devrait s’entraider dans les moments difficiles, non ? »
Il fallut à Alshiera tout ce qu’elle avait pour empêcher sa main droite de dégainer son chasseur de séraphin et de le diriger vers le regard détestable du sorcier, qui perçait à travers son masque. Ayant remarqué la rage brûlante derrière son sourire, Lilith poussa un cri discret et se leva d’un bond.
« Quelque chose ne va pas, Lilith ? » demanda Néphy en hochant la tête.
« Ce n’est rien, » répond Lilith en secouant vigoureusement la tête avant de lever un doigt pour changer de sujet. « Plus important, vous vouliez vous décider pour un cadeau, non ? Y a-t-il quelque chose en particulier que vous voulez lui offrir ? »
« Un cadeau… Eh bien, la pipe kiseru que je lui ai offerte la dernière fois a semblé beaucoup lui plaire. »
« Oh, vous voulez dire celle qu’il tire quand il est de bonne humeur ? Oui, il a vraiment l’air d’aimer ça. »
Il ne fumait pas beaucoup devant les autres, mais il avait clairement pris goût à ce cadeau.
Eh bien, je suis sûre qu’il sera ravi de tout ce que Lady Néphy lui donnera… Alshiera sourit à cette pensée.
« Naberius, que peux-tu faire ? » demande Foll.
« Oh, c’est vrai. Je peux fabriquer à peu près n’importe quoi en métal, que ce soit de petits bijoux comme une bague ou de plus gros objets comme des épées… ou même des machineries magiques comme les chasseurs de séraphins. »
Il lança à Alshiera un regard perçant, auquel elle avait répondu par un sourire de jeune fille.
Je devrais vraiment le tuer ici. La température de la pièce avait chuté à cette pensée, laissant Lilith tremblante et au bord des larmes.
Foll avait hoché la tête, sans vraiment montrer de signes d’attention à l’état de panique de Lilith, et avait dit : « Un bijou ou une arme ? Lequel serait le mieux ? »
« Hm… »
Les trois filles gémirent à l’unisson. Elles souhaitaient probablement choisir quelque chose de mémorable comme cadeau d’anniversaire, mais Zagan étant un Archidémon, il continuerait sûrement à se jeter dans la bataille. Elles devaient donc envisager de lui offrir quelque chose de plus pratique pour l’aider à préserver sa vie. Quoi qu’il en soit, le plus grand forgeron du monde se tenait devant elles.
Alshiera les regardait tandis qu’elles réfléchissaient au problème, mais ses pensées étaient entièrement ailleurs.
Son épouse, sa fille, et… Son attention se portait sur Lilith, mais elle ne la regardait pas directement. À l’exception de Naberius, quel destin aurait pu réunir ainsi ceux qui étaient si étroitement liés à Zagan ? Même sans aucun lien de sang, ils étaient sa famille.
Je me demande si le Roi aux yeux d’argent se souvient bien…
Il ne s’était même pas souvenu du visage d’Alshiera. Ce qui signifie, selon toute vraisemblance, qu’il ne se souvenait de rien. Mais quand même, même si c’était juste son propre désir égoïste…
Je veux qu’il se souvienne de Lilith…
Zagan n’était pas responsable de tout ça. Il était la plus grande victime, en fait. Le fait qu’il soit encore en vie était quelque chose dont on pouvait être éternellement reconnaissant.
Mais quand même, le Roi aux yeux d’argent m’a confié ces deux-là.
Et pourtant, Alshiera n’avait pas été capable de répondre à ses attentes. La vie qu’elle avait cru complètement épuisée s’était prolongée une fois de plus, aussi des désirs inutiles commençaient-ils à se former en elle. C’était la véritable raison pour laquelle elle avait été si absorbée par ses souvenirs ces derniers temps. En fait, il était nécessaire qu’elle annonce aussi aux autres l’anniversaire de Zagan. Alors qu’elle se torturait l’esprit à ce sujet, Lilith lui lança un regard perplexe.
« U-Um, Ma D — Je veux dire, Alshiera ? »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
Elle ne s’était clairement pas encore habituée à appeler Alshiera par son prénom.
« Ai-je déjà rencontré Son Altesse quelque part ? » avait-elle demandé.
Les yeux d’Alshiera s’étaient élargis sous le choc. Elle n’aurait jamais pensé que Lilith serait celle qui demanderait une telle chose. La vampire était déconcertée par la question, mais elle avait simplement secoué la tête comme si ce n’était pas grave.
« Tee hee hee. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tu ne l’as pas rencontré. »
« Vraiment… ? »
Alshiera esquivait la question, mais elle ne mentait pas. Lilith pouvait probablement discerner ce fait. Même si elle n’avait pas l’air satisfaite de la réponse, elle avait lentement reculé. Naberius avait également regardé Alshiera avec curiosité.
Il semble que lorsque je m’abandonne au fil des événements, je finisse par donner trop d’informations inutiles. Ça n’arrivera pas.
Cela allait à l’encontre de ses principes de ne pas interférer dans leur vie, mais Alshiera avait décidé de corriger le cours de la conversation sans faire plier la volonté des filles.
« Voyons voir… » dit-elle. « Le Roi aux yeux d’argent n’aimerait-il pas quelque chose qu’il pourrait apporter lors d’un rendez-vous avec Lady Néphy ? »
« C’est… certainement vrai…, » dit Néphy, le bout de ses oreilles devenant légèrement rouges.
C’était suffisant pour que les filles arrivent à la bonne réponse.
« Je vois, » dit Lilith avec un hochement de tête. « Pourquoi ne pas lui trouver un étui pour la pipe kiseru ? »
« Quelle excellente idée ! Dans ce cas, j’aimerais essayer de le bénir avec du mysticisme, » s’exclame Néphy.
« C’est immédiatement devenu un trésor légendaire… »
Les filles semblaient excitées maintenant. Les choses allaient dans la bonne direction. Alshiera laissa échapper un soupir de soulagement quand elle remarqua que Foll la fixait.
« Alshiera. Que voulais-tu faire ? » demanda-t-elle.
Le vampire était resté bouche bée devant cette question inattendue.
« Que veux-tu dire ? »
« Tu voulais faire quelque chose pour Zagan, non ? Eh bien, nous n’avons pas encore entendu quoi. »
Foll était vraiment une petite fille intelligente. Elle en avait parlé même si Alshiera l’avait elle-même oublié. C’était la raison pour laquelle elles avaient toutes quitté le château pour le Palais de l’Archidémon. Avant qu’elle ne le sache, Néphy et Lilith se concentraient sur elle. Quant à Naberius, elle préférait qu’il ne la regarde pas.
Bien qu’elle ait hésité un moment, Alshiera avait haussé les épaules et s’était résignée, disant : « Ce n’est pas quelque chose de particulièrement important. J’ai juste… »
Elle ne pouvait pas trouver les bons mots. Elle le savait mieux que quiconque, mais Alshiera murmura comme si elle se souvenait d’un rêve : « Je veux juste le serrer dans mes bras… et lui dire félicitations. C’est tout. »
Cependant, l’expérience avait prouvé que le fait de vouloir l’enlacer ne ressemblait à rien d’autre qu’à une tentative d’attaque aux yeux de Zagan. De plus, même si elle demandait une telle chose, Zagan détesterait sûrement ça. Elle pouvait facilement l’entendre dire « Mais qu’est-ce que tu prépares ? » Et pourtant, au moment où elle commençait à se moquer d’elle-même, Néphy lui prit la main.
***
Partie 4
« S’il vous plaît, dites-lui, Lady Alshiera. »
« Cela ne fera qu’attirer les soupçons. Il n’y a aucune raison de faire ça le jour de son anniversaire. »
C’était le karma, en un sens. Alshiera avait souri amèrement.
« C’est Maître Zagan qui en décidera, » dit Néphy en secouant la tête de manière rassurante. « De plus, il n’a jamais vu quelqu’un fêter son anniversaire auparavant. Si vous connaissez un tant soit peu son passé, alors présentez-lui vos félicitations. »
Son épouse était toujours aussi têtue et autoritaire quand il s’agissait de Zagan. Alshiera releva soudainement la tête, voyant que Foll et Lilith hochaient également la tête avec elle.
« Eh bien… Je vais au moins faire l’effort, » murmura Alshiera.
« S’il vous plaît, faites-le. C’est une promesse, » dit Néphy.
Elle était vraiment sans pitié. Après avoir confirmé qu’Alshiera avait cédé, Lilith s’était tournée vers Naberius.
« L’idée est donc de fabriquer quelque chose pour y stocker le kiseru. Est-ce que vous savez quelque chose à ce sujet ? Aucun d’entre nous n’a jamais fumé. »
« Je connais bien ça. Il y a beaucoup de cas différents, alors je vais vous faire des plans. J’ai eu l’occasion d’entendre toutes sortes de choses amusantes aujourd’hui, alors je vous suis redevable. »
Alshiera commençait à penser sérieusement à mettre fin à l’affaire d’aujourd’hui avec ceci… quand Naberius s’était soudainement rappelé quelque chose.
« Maintenant que j’y pense, » dit-il, « je ne vous ai pas parlé de ça, n’est-ce pas, Lilith ? Comment ça se passe avec Furcas ? »
Le visage de Lilith s’était splendidement raidi face à la manifestation d’une toute nouvelle calamité.
◇
À peu près au même moment où une calamité s’abattait sur Lilith au Palais de l’Archidémon, Zagan se promenait dans les rues de Kianoides.
Argh ! Qu’est-ce que je dois faire pour le cadeau de Néphy !?
Elle était sûre d’être heureuse de tout ce qu’il lui offrirait, mais c’est exactement ce qui rendait les choses extrêmement difficiles. Naberius était déjà en train de fabriquer une bague que Zagan devait offrir à Néphy. C’était une bague de mariage, ce qui était une nécessité entre un mari et une femme normaux. Cependant, cela et son anniversaire étaient des choses totalement différentes.
En ce qui concerne les choses que Néphy a déjà aimées… Je suppose qu’il y a ces gants que je lui ai donnés, non ?
Elle avait été plutôt enchantée par le cadeau qu’il lui avait offert pour Alshiere Imera. Elle était même allée jusqu’à les porter et les frotter contre sa joue quand elle dormait. Le simple fait d’essayer d’imaginer une telle chose était susceptible de faire exploser le cœur de Zagan. Pourtant, c’était un peu un problème qu’elle les chérisse trop et ne les utilise pas régulièrement.
Dans ce cas, pourquoi pas un ruban ?
Néphy avait toujours ses beaux cheveux blancs attachés avec un ruban rouge. S’il lui en offrait un, elle pourrait l’utiliser tous les jours, et elle le porterait certainement.
Mais un ruban est-il un cadeau convenable pour un homme ?
Zagan n’avait pas les connaissances nécessaires pour le discerner. Il aurait peut-être mieux fait de s’en remettre honnêtement à Manuela ou à d’autres, mais dans ces moments-là, il préférait essayer de réfléchir par lui-même. De nouveaux vêtements étaient une autre option, mais quand il s’agissait de vêtements, il préférait les choisir avec Néphy, ce qui rendait impossible d’éviter d’impliquer Manuela.
Alors que de telles pensées traversaient son esprit, Zagan arriva à l’Église.
Il faut donc que je fasse quelque chose pour que je puisse fêter l’anniversaire de Néphy sans réserve.
C’était un problème qui devait être prioritaire par rapport à l’élimination de Shere Khan. Et juste au moment où il levait la main pour frapper à la porte…
« Hein ? Zagan ? »
« Hrm ? Chastille ? »
La porte s’était ouverte toute seule de l’intérieur, révélant un visage familier. Chastille — aux cheveux et aux yeux écarlates — arborait une expression digne. Elle était apparemment en mode travail. Quand il s’agissait de sa vie privée, elle se transformait toujours en épave, mais il n’en allait pas de même au travail. Elle ne portait pas les vêtements d’un évêque, mais était plutôt vêtue d’une Armure Sacrée.
« À en juger par ton apparence… s’est-il passé quelque chose ? » demanda Zagan avec une grimace.
Cette fille ne portait pas seulement le titre de « Vierge de l’épée sacrée », mais était également la responsable de cette église. Elle se consacrait habituellement aux tâches de bureau, elle ne montait pas souvent au front. Il devait y avoir une urgence pour qu’elle prenne son épée.
Chastille secoua la tête d’un air inquiet avant de répondre : « Non, ce n’est pas encore très grave. Nous avons juste reçu de nombreux rapports faisant état de l’apparition d’un individu suspect à la périphérie de la ville. Vu les circonstances actuelles, je suis un peu inquiète, alors j’aimerais aller voir de mes propres yeux. »
« En périphérie, hein ? »
Kianoides était sous l’autorité de l’Église, mais était aussi le domaine de Zagan. De multiples barrières qui réagissaient à toute intrusion de sorciers protégeaient la ville. Cependant, cela ne s’appliquait qu’à l’intérieur de la ville. Ils ne pouvaient rien détecter à la périphérie.
Cela veut-il dire que quelqu’un qui connaît l’emplacement exact du bord de ma barrière se faufile pour un repérage ?
Au minimum, il fallait les compétences d’un candidat Archidémon pour y parvenir. L’intuition de Zagan était probablement la même que celle de Chastille.
« Penses-tu que c’est un des subordonnés de Shere Khan ? » lui demande-t-elle pour être sûre.
« Ce serait l’hypothèse logique… »
« Tu dis ça comme si tu avais une autre idée. »
Quand il s’agissait de travailler, cette fille était vraiment très compétente.
Zagan acquiesça d’un air irrité, puis dit : « Il est grand temps que Bifrons prenne des mesures indépendantes. Nous devrions envisager le pire scénario si c’est ce qui se passe, cependant, ce salaud va sûrement pousser les choses un peu plus loin que ça. »
« Es-tu venu ici pour me dire ça ? » demande-t-elle avec une grimace. Elle en avait déjà fait l’expérience par elle-même.
« Oh… Non, je suis venu pour discuter d’un autre sujet, » répondit Zagan d’un air las. « J’aimerais voir Nephteros… »
Il n’était pas venu en ville aujourd’hui pour choisir un cadeau. Son but était de voir Nephteros.
« Nephteros ? Elle devrait encore être dans mon bureau, » déclara Chastille d’un air confus. « Est-ce urgent ? Elle a dit qu’elle allait se rendre à ton château dans l’après-midi. »
Nephteros se rendait régulièrement au château pour prendre des leçons de mysticisme céleste auprès d’Orias. Cependant, le sujet qu’il souhaitait aborder serait difficile dans cette situation. Il était certain qu’elle détesterait l’idée que Néphy les entende, et Zagan voulait résoudre ce problème avant son anniversaire. Il pensait que Chastille devait aussi être au courant, mais elle partait en patrouille. La secouer trop pourrait faire s’écrouler son mode de travail, aussi décida-t-il de ne pas l’impliquer.
« Uhhh, oh c’est bon… En fait, j’ai appris la date de l’anniversaire de Néphy et Nephteros. »
« Hein ? Leur anniversaire ? » marmonna Chastille, l’air complètement confus. Mais elle avait ensuite pressé sa main sur son front en comprenant et elle avait dit : « Veux-tu dire que tu ne le savais pas jusqu’à maintenant ? »
« Je ne savais même pas que les anniversaires étaient censés être célébrés…, » murmura Zagan sur la défensive.
L’ombre aux pieds de Chastille avait tremblé. D’après le malaise que Zagan pouvait sentir en son sein, il semblait que le maître de cette ombre ne le savait pas non plus… ou l’avait complètement oublié. Zagan avait même l’impression d’entendre l’ombre ondulante dire : « Je t’en supplie, demande à la pleurnicharde quand est son anniversaire. »
Demande-lui toi-même, bon sang…
Cela dit, il était clair comme le jour que cet homme se moquerait de Zagan pour avoir fait tout un plat de l’anniversaire de Néphy. S’il partageait la même préoccupation, cela permettrait de contrôler ce genre de comportement, dans une certaine mesure.
« Maintenant que j’y pense, quand es-tu née ? » demanda Zagan, ne voyant aucun autre recours.
« Hein ? Je ne m’attendais pas à ce que tu t’en soucies. »
« J’ai une raison de t’en parler maintenant. Cela rendra les choses plus faciles par la suite. »
Chastille pencha la tête en signe de perplexité, mais répondit quand même : « Je suis née le dix-neuf d’Arnaki. »
« Hmm ? C’est assez proche de l’anniversaire de Néphy. Comme c’est pratique. »
La façon dont l’ombre aux pieds de Chastille se tortillait de désespoir était toujours aussi agréable.
« C’est vrai ? Quand est l’anniversaire de Néphy ? »
« Apparemment, le vingt-quatre… Ne le dis à personne, d’accord ? Je veux lui faire la surprise. »
« Vous êtes toujours les mêmes, tous les deux. D’accord. Promis, » dit Chastille… avant de s’interrompre et de demander : « Alors, c’est quand exactement ton anniversaire ? »
« Est-ce que j’ai l’air de savoir ? »
« Désolée, je n’aurais pas dû demander. »
Elle détourna rapidement son regard, comprenant tout de suite l’essentiel de la situation. Puis, elle se souvint soudainement de quelque chose, se retourna vers Zagan, et demanda, « Alors, est-ce que tu sais quand est l’anniversaire de Barbatos ? »
« Penses-tu vraiment que je connais des informations aussi inutiles ? »
« Il n’est pas vraiment sans valeur, n’est-ce pas ? Même lui a le droit d’être félicité pour son anniversaire. »
L’ombre avait sauté sur la balle perdue inattendue.
« Je vois…, » murmura Zagan, les bras croisés. « Alors il faut vraiment féliciter quelqu’un pour son anniversaire. »
Les yeux de Chastille s’ouvrirent en grand. Une seconde plus tard, elle adressa à Zagan un doux sourire et lui dit : « Ce serait bien si nous pouvions trouver la date de ton anniversaire un jour. Je suis sûre que Néphy et tous les autres voudront le fêter avec toi. »
« Tu as peut-être raison… »
Cependant, cela ne pouvait se produire que si quelqu’un connaissait la date exacte. Zagan sourit amèrement, sans savoir que les autres paniquaient déjà sur ce qu’ils allaient faire pour son anniversaire.
« Bon, il faut que je me remette au travail, » dit Chastille. « Je vais demander à quelqu’un d’appeler Nephteros pour toi… Torres, as-tu un moment ? »
Elle avait appelé quelqu’un à l’intérieur de l’Église, et l’un des trois idiots s’était approché. C’était le lancier. Il s’éloigna pour aller chercher Nephteros, et Chastille poursuivit son chemin. Quelques minutes plus tard, Nephteros était sortie de l’Église.
Ses traits étaient extrêmement similaires à ceux de Néphy. Elle avait des oreilles pointues comme une elfe, et ses cheveux étaient argentés. Par contre, contrairement à Néphy, ses yeux étaient dorés et sa peau était foncée. Elle s’était installée dans l’Église, mais n’en faisait pas vraiment partie, elle restait donc habillée comme un sorcier. Cette femme était maintenant considérée comme la petite sœur de Néphy, mais était en fait son clone.
« C’est inhabituel pour toi d’avoir des affaires avec moi, Grand Frère. Est-ce que quelque chose est arrivé ? »
« Oui…, » dit Zagan en accompagnant sa belle-sœur jusqu’à la place devant l’Église et en la faisant asseoir sur un banc. « Il y a quelque chose d’important que je dois te dire. C’est peut-être un peu dur à entendre pour toi, mais… »
Nephteros se raidit. Cependant, comme il s’en était peut-être déjà rendu compte, il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour se préparer.
« D’accord… Laisse-moi écouter. Qu’est-ce qui arrive à mon corps ? » avait-elle demandé.
Zagan prit une profonde inspiration, puis il déclara d’une voix claire : « Nephteros. Tu vas mourir dans quelques mois. »
Tel était le problème sur lequel Zagan s’était creusé la tête, au point qu’il avait dû mettre en veilleuse les préparatifs pour la célébration de l’anniversaire de Néphy.
***
Partie 5
Sans aucun moyen de connaître l’angoisse que ressentait Zagan, Lilith se retrouvait dans un tout autre dilemme au sein du Palais de l’Archidémon. Néphy et Foll ne semblaient pas non plus désintéressées par la question de Naberius. Elles ne croisaient pas son regard, mais écoutaient très clairement avec attention.
Le silence régnait. Lilith avait, bien sûr, le droit de garder cela pour elle, mais son cœur n’était pas capable de résister à la pression de la mariée et de la fille d’un Archidémon, d’un autre Archidémon et du vampire qui servait de protecteur à sa maison.
Oui, même Alshiera, qui avait feint le désintérêt, était en fait très intéressée par la question. Elle n’aurait jamais cru que ce garçon deviendrait un Archidémon. Honnêtement, elle avait été très surprise lorsqu’elle avait retrouvé Furcas à l’intérieur de la barrière. Leurs chemins s’étaient croisés il y a cinq cents ans, et voilà qu’il réapparaissait devant elle avec l’Emblème de l’Archidémon en sa possession. Alshiera se sentait quelque peu déprimée qu’il ne se souvienne pas d’elle. Même si des êtres de longue vie comme les sorciers pouvaient être vus partout, retrouver quelqu’un après plusieurs siècles était un événement rare.
Et maintenant, ce garçon essayait de séduire son petit fauve. Il n’y avait aucune chance qu’elle soit désintéressée. Une telle pression de ses pairs pourrait anéantir les cœurs les plus fragiles, mais Lilith s’était efforcée de prononcer ses mots entre deux respirations irrégulières.
« Ummm... Uhhh… Je n’ai pas… répondu… encore… »
« Oh là là. N’est-il pas à votre goût ? » demanda Naberius, l’œil écarquillé alors qu’il agissait sans vergogne comme si cela le surprenait.
« Non, ce n’est pas…, » marmonne Lilith, tout en se tripotant les doigts.
« Détestes-tu les sorciers ? » demanda Foll en se penchant en avant sur son siège.
« N-Non ! Les gens du château sont tous des sorciers, et ils sont beaucoup plus gentils que ce que j’ai entendu. Je n’ai pas ce genre de préjugés… »
Eh bien, le seigneur dudit château passait chaque jour à se demander comment il pouvait s’entendre avec Néphy alors qu’il avait déclaré qu’elle était son épouse. Être témoin d’une telle chose au quotidien ferait que même le plus blasé des sorciers se souviendrait de son humanité.
« Alors, est-ce son âge ? » demanda Néphy. « Hum, j’ai entendu dire que Lord Furcas est bien plus âgé qu’il n’y paraît. »
« Hein ? Est-il si vieux que ça ? » demanda Lilith.
« Oh ! Non ! S’il te plaît, oublie que j’ai dit quelque chose. »
« Quoi ? »
Cela avait encore plus troublé Lilith. Néphy se couvrit la bouche de ses deux mains et détourna le regard. Elle était plutôt mauvaise pour garder des secrets, alors il fallait s’y attendre. De toute façon, qu’est-ce que Lilith trouvait d’inadéquat chez lui ? Elle n’avait pas l’air de pouvoir supporter d’autres questions.
« Hmm ! Je veux dire…, » Lilith murmura avant que quelqu’un d’autre puisse dire quelque chose. « Je ne sais pas vraiment quoi faire… quand il me dit si soudainement qu’il m’aime… »
Cette jeune fille innocente aux joues rouges était en fait une succube qui rassemblait sa vitalité en montrant aux autres des rêves obscènes. Elle était aussi la princesse de tous les succubes qui se vantait d’avoir la plus grande force parmi son peuple.
Eh bien, je me sentirais mal si on continuait à pousser le sujet.
Maintenant qu’elle avait vu quelque chose d’aussi beau, Alshiera avait décidé qu’il était temps pour elle de faire de la médiation. Cependant, avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, Lilith avait continué tranquillement.
« Et puis… Je ne suis pas celle qu’il aime vraiment. »
Alshiera se renfrogna, incapable de lire les véritables intentions derrière ces mots. Il était pratiquement impossible que Furcas soit amoureux de quelqu’un d’autre dans son état actuel.
« Dame Alshiera, » chuchota Néphy en se penchant vers son oreille. « Lilith a vu ce rêve sur le bateau. »
Alshiera avait cligné des yeux plusieurs fois en signe de confusion, incapable de comprendre ce que cela signifiait, puis elle avait trouvé la solution.
S’accroche-t-il encore à ce cauchemar d’il y a 500 ans avec tant de zèle ?
À l’époque, un certain incident avait réuni Alshiera et Furcas. Ils avaient agi ensemble à l’époque, mais ne s’étaient jamais retrouvés. Elle se souvenait de lui de temps en temps, se demandant seulement quel genre de vie il avait menée après cela, mais n’avait jamais essayé de le rechercher. Elle avait déjà juré de ne pas se mêler aux vivants, et le temps qu’ils avaient passé dans ce monde en tant que vampire et humain était bien trop différent, de toute façon. Mais pour Furcas, c’était une autre histoire. Le fait qu’ils aient vu ce rêve signifiait que c’était son tout dernier souvenir. En d’autres termes, il avait autant de poids dans sa vie. Alshiera se leva de son siège et se plaça devant Lilith, appuyant ses paumes sur ses joues.
« Lilith, tu te trompes, » dit-elle. « Tu es la seule personne dans le cœur de Furcas en ce moment. C’est bien trop triste pour toi d’en douter. »
Cependant, Lilith secoua la tête, puis regarda droit dans les yeux dorés d’Alshiera et dit. « Tu n’as pas vu ce que j’ai fait… Il a passé sa vie entière à te courir après. »
« Oh, j’ai compris maintenant, » ajouta Naberius en hochant la tête. « Je suppose que cela te dérangerait, n’est-ce pas ? »
« Peux-tu éviter de faire comme si tu savais tout ? » répondit Alshiera en jetant un regard à l’Archidémon.
« Oh là là. Tu es peut-être la seule à l’ignorer, » dit-il d’un ton taquin avant de poursuivre comme s’il chantait une chanson. « Le Chat des Vallées. Le plus grand maître au monde du saut dans l’espace. Il n’y avait aucune terre que l’Archidémon ne pouvait fouler. Et le dernier défi qu’il a relevé était de franchir la barrière autour du monde. Cependant, à la toute fin, il a été victime des affres du désespoir. »
« Le désespoir… ? » répéta Alshiera.
« Oui. Il se désespérait de ne pas avoir trouvé ce qu’il cherchait, alors qu’il avait déjà parcouru le monde entier. Et pour commencer, il se désespérait de voir qu’il avait oublié ce qu’il cherchait. Bien qu’honnêtement, je n’ai jamais pensé que ce serait toi. »
Furcas avait cherché Alshiera jusqu’à ce que tous ses souvenirs et émotions aient volé en éclats. Ces mots avaient poignardé le cœur d’Alshiera.
« Je vois… Alors c’est moi qui l’ai tué, hein ? »
Si j’étais restée à ses côtés jusqu’à la fin, rien de tout cela ne serait arrivé.
Elle avait l’intention de ne pas se mêler aux vivants, mais avait fini par le traiter bien plus brutalement qu’elle ne pouvait l’imaginer. Elle avait maintenant un péché de plus à porter avant de disparaître, mais c’était aussi exactement pourquoi il devait en être ainsi.
Alshiera avait saisi la main de Lilith et avait dit : « Dans ce cas, maintenant qu’il a enfin trouvé un nouvel amour, j’aimerais que tu lui répondes correctement. »
« Es-tu vraiment d’accord avec ça, Alshiera ? » demanda Lilith.
« Je n’ai jamais eu l’intention de l’accepter… »
Quand ils s’étaient séparés sur ce bateau, elle savait qu’il l’avait appelée. Mais Alshiera n’avait pas fait demi-tour. En conséquence, Furcas avait tout perdu. Son passé ne pouvait être changé. Mais son avenir était différent.
« Tu peux le rejeter. Tu peux l’accepter. Dans tous les cas, j’aimerais que tu lui donnes une réponse appropriée. »
Repousser sur des enfants ce qu’elle n’avait pas fait semblait extrêmement égoïste et irresponsable de sa part, mais ce garçon était enfin capable de regarder l’avenir maintenant. Le prix à payer pour cela était la perte de tous ses souvenirs, ce qui était un fardeau bien trop lourd, mais au moins il était enfin libre. Quoi qu’il en soit, Zagan s’était chargé de veiller sur lui. Tant que Furcas ne le trahirait pas, Zagan ne l’abandonnerait jamais.
« Un nouvel amour…, » murmura Lilith.
« Oui. Les gens tombent amoureux. Il y a des fois où ça ne peut pas se réaliser, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas le droit de trouver un nouvel amour, non ? »
C’est ce qu’elle disait, mais Alshiera trouvait cela très peu cohérent avec sa propre expérience. Bien qu’elle ait vécu mille ans, elle n’aurait jamais oublié son seul et unique amour. Était-il vraiment possible d’en trouver un autre ? Dans son esprit, l’amour était une chose ponctuelle. Une fois était plus que suffisante. Mais c’était aussi exactement pour cela qu’elle voulait affirmer le garçon qui avait trouvé son prochain amour.
« D’accord. Je vais y réfléchir, » dit finalement Lilith avec un hochement de tête.
« Merci. »
Alshiera était sûre que cela causerait beaucoup d’inquiétude à Lilith. Néanmoins, la façon dont la succube avait acquiescé fermement à sa demande était tellement belle.
◇
Le soir venu, après avoir quitté l’Église, Zagan était resté à Kianoides et s’était rendu dans une taverne. Il était rare de le voir seul, avec une telle expression, broyant du noir en silence, ce qui fit réaliser aux habitants de la ville, pour la première fois depuis longtemps, que cet homme était un Archidémon. Par conséquent, personne n’avait essayé de lui parler.
Zagan avait tout raconté à Nephteros. Il avait essayé de ne pas la choquer autant qu’il le pouvait, mais il y a tout juste un an, il n’avait même pas compris le concept d’être prévenant. Il n’était pas certain que ses intentions aient été bien comprises.
« Nephteros. Tu vas mourir dans quelques mois. »
Elle en avait apparemment déjà une vague idée, puisqu’elle n’avait pas semblé terriblement secouée par la nouvelle elle-même. Cependant, elle n’avait pas approuvé le plan de Zagan pour résoudre le problème. On ne pouvait pas faire grand-chose à ce sujet. Zagan était un Archidémon, un roi parmi les sorciers. Toute résolution qu’il avait à proposer impliquait la sorcellerie. Étant né de la sorcellerie, il était très difficile pour elle d’accepter une telle chose.
Nephteros est ma belle-sœur. Je dois la sauver…
De telles pensées animaient Zagan, mais la maintenir en vie par un moyen qu’elle ne souhaitait pas ne pouvait pas être appelé la sauver. Cela reviendrait à lui imposer ses propres croyances, ce que Zagan méprisait le plus au monde.
Il y avait aussi, bien sûr, l’idée qu’elle pourrait un jour être sauvée, à condition de survivre. Mais selon Zagan, une telle opinion n’était qu’une façon de faire face aux temps difficiles. Ce n’était pas une justification pour prolonger la vie de quelqu’un en le forçant à prendre des médicaments qu’il ne voulait pas. C’est pour cela qu’il restait agonisant devant ce problème.
Je n’ai aucun moyen de la sauver.
Comment pouvait-il fêter l’anniversaire de Néphy dans de telles circonstances ? Il laissa intact le verre qu’on lui avait apporté, complètement plongé dans ses propres peines, quand un idiot prit place en face de l’Archidémon sans demander son avis.
« Dégage, Barbatos. Je suis de mauvaise humeur. »
Assis devant lui, un jeune homme avait le même visage malsain que d’habitude renforcé par de larges poches sous les yeux qui donnaient l’impression qu’il n’avait pas dormi depuis plusieurs jours. De nombreuses amulettes pendaient à son cou, sa robe était usée et ses cheveux étaient négligés. C’était l’un des anciens candidats Archidémon et l’ami indésirable de Zagan, Barbatos.
Zagan ne parvint pas à cacher l’irritation dans sa voix alors qu’une fissure se créait sur le verre devant lui. Il n’exerçait pas une pression suffisante pour tuer les personnes au cœur fragile, mais il les rendrait probablement inconscientes. La serveuse, qui attendait l’occasion de prendre sa commande, sursauta, mais ne s’effondra pas. Maintenant qu’il la regardait, il réalisait que c’était la même fille qui s’était évanouie lorsqu’il avait rencontré Raphaël pour la première fois.
La colère de Zagan pouvait être considérée comme une attaque, mais son ami sinistre n’avait même pas bronché, prenant le verre brisé en main. La glace à l’intérieur avait complètement fondu. Barbatos engloutit son contenu d’un trait, puis abattit le verre devant Zagan, le réduisant en miettes.
« Comme si j’en avais quelque chose à foutre de ton humeur, » dit Barbatos.
« Veux-tu que je tue — !? »
Cette fois, Zagan avait parlé avec une intention de tuer claire, mais c’est Barbatos qui l’avait attrapé par le col, faisant basculer la table. Le silence dominait la taverne.
***
Partie 6
« C’est quoi ce grognement ? Veux-tu te battre ? Alors, fais-le comme si tu en avais vraiment quelque chose à foutre ! » hurla Barbatos, puis cracha de rage. « Qu’est-ce qui te prend d’avoir l’air si déprimé !? Tu es furieux que l’elfe ait rejeté ton idée stupide !? »
Zagan semblait déconcerté par les mots étonnamment directs qui sortaient de la bouche de cet homme. C’était le sorcier connu sous le nom du Purgatoire, capable d’apparaître n’importe où à travers les ombres. Il avait, bien sûr, entendu la conversation de Zagan avec Nephteros.
« Alors peux-tu la sauver ? » demanda Zagan en grinçant des dents.
« Ha ! Pourquoi diable dois-je sauver cette femme hautaine ? C’est ce que tu veux, pas moi. »
Il avait un point de vue parfaitement raisonnable. Zagan était celui qui souhaitait sauver Nephteros alors que même la personne en question ne le souhaitait pas. Il avait perdu la raison de demander de l’aide à cet homme.
« Je t’en supplie, mec… C’est toi qui m’as mis le feu aux poudres et tout, » continua Barbatos en affaissant ses épaules. Il y avait un ton de supplication dans sa voix, comme si sa colère d’avant n’était qu’un mensonge. « Je ne sais même pas si on peut fêter son anniversaire ou non, et toi, tu te morfonds comme si ça n’avait aucune importance ! »
La tension dans la taverne s’était dispersée en un instant. Les clients retournèrent à leurs places, recommençant à commander de la nourriture et des boissons et à avoir des conversations amicales. La crainte qu’ils avaient pour l’Archidémon s’était réduite à des regards fades veillant sur un jeune homme en pleine croissance. Il y avait quelque chose dans tout cela qui ne plaisait pas à Zagan, mais il n’avait pas l’intention de les effrayer, alors il se contenta d’endurer avant de se tourner vers Barbatos.
Ah, alors ce type est venu chercher des conseils pour l’anniversaire de Chastille…
Après avoir autant attisé les flammes, il était logique que cela l’énerve de voir Zagan agir comme s’il ne se souciait pas du tout des célébrations d’anniversaire. En fait, en voyant le visage affligé de Barbatos, il était clair qu’il ne pensait qu’à Chastille. Il ne se souciait pas le moins du monde de Nephteros. Quel terrible être humain !
Mais je suppose que je suis dans le même bateau.
Zagan essayait seulement de sauver Nephteros pour pouvoir profiter pleinement de l’anniversaire de Néphy. Bien sûr, il n’avait pas l’intention d’abandonner Nephteros, mais Néphy était tout de même plus importante pour lui. Ces deux hommes étaient les pires sorciers, le comble de l’égoïsme, mais du coup, ils étaient d’accord pour dire qu’il fallait sauver Nephteros.
Zagan laissa échapper un petit soupir, faisant tournoyer son doigt dans l’air pour faire de la sorcellerie. La table renversée et le verre brisé reprirent leur place comme si le temps avait été remonté. Heureusement, le verre était toujours vide, il n’y avait donc pas besoin de s’inquiéter de l’élimination de son contenu. Après cela, il appela la serveuse.
« Brandy. »
« De la bière. Et aussi de la viande et du fromage fumés, » ajouta Barbatos.
« Tu vas payer toi-même pour ça… »
Et au moment où ils s’étaient assis à nouveau à la table…
« Tee hee. Et je voudrais du vin. »
Zagan et Barbatos se retournèrent pour faire face à la voix douce et familière. Avant qu’ils ne s’en rendent compte, une jeune fille qui n’avait pas l’air à sa place dans une taverne avait pris place avec eux. Elle plaça une autre chaise à côté d’elle, où elle y plaça son effrayante poupée en peluche. Elle était apparemment beaucoup plus lourde qu’elle n’en avait l’air. La chaise, et même le sol en dessous, craqua sous la pression.
« Que diable fais-tu ici ? » demanda Zagan.
Après avoir découvert son passé pitoyable et avoir su qu’il n’avait pas pu la sauver pendant ce cauchemar, il avait ressenti un certain soulagement lorsqu’elle avait été sauvée par quelqu’un d’autre. Cependant, il ne pouvait toujours pas deviner ce qui se passait dans son esprit et il n’était pas doué pour interagir avec elle. De plus, ce vampire était pire que Zagan pour lire l’humeur. Dans une situation aussi grave — grave pour les gens d’ici, du moins —, il ne voulait pas la voir.
Alshiera haussa les épaules, feignant l’ignorance, avant de dire sombrement : « Je suis également bien consciente des circonstances de Dame Nephteros. »
Après être resté à ses côtés pendant un mois, il était normal qu’Alshiera ait remarqué cette irrégularité. Cependant, Zagan était resté sur ses gardes. Il serait problématique que les choses se compliquent encore plus.
« Je ne sais toujours pas pourquoi Nephteros pèse si lourd dans ton esprit, » avait-il dit.
Cette fille ne bougeait que lorsqu’il s’agissait des descendants directs du Roi aux yeux d’argent ou d’Azazel. Nephteros était plus étroitement liée à Azazel, donc elle était en fait quelqu’un qu’Alshiera aurait souhaité voir mort.
Et pourtant, Alshiera avait répondu avec un murmure de pitié, en disant : « Même moi, je ne peux m’empêcher de sympathiser avec une fille aussi pure et franche. »
Zagan était sur le point de rétorquer quelque chose, mais bizarrement, il n’avait pas l’impression qu’elle mentait. Remarquant son regard perplexe, Alshiera développa un peu plus.
« En fait, j’avais l’intention de ne rester qu’un simple spectateur, mais la situation a un peu changé. »
Il ne pouvait qu’imaginer les turbulences à venir lorsque cette vampire serait impliquée.
« Très bien alors, » dit Zagan avec un grognement, restant prudent avec elle. « Maintenant que tu es là, je vais te demander de m’aider. »
C’est à ce moment-là que ces trois personnes, qui avaient vécu des vies totalement étrangères à l’acte de célébrer des anniversaires, avaient formé une alliance pour sauver Nephteros dans le but précis de célébrer l’anniversaire des autres. Quoi qu’il en soit, Zagan était complètement désemparé, il était donc prêt à recevoir tous les conseils.
Alors que leur conversation atteignait ce point, leur commande était arrivée.
« Excusez-moi… ? C’est du jus de raisin, » dit Alshiera à la serveuse.
« Oui. Et si tu essayais le vin quand tu seras grande ? »
Alshiera gonfla ses joues alors que la serveuse la traitait négligemment comme une enfant. Lui jetant un regard en coin alors que la serveuse la consolait d’une tape sur la tête, Zagan vida le contenu de son verre d’un trait, puis passa aux choses sérieuses.
« Alors ? Vous avez au moins quelques informations utiles après avoir pris la peine de venir ici, non ? »
« Ha ! Quel genre de conneries pratiques espères-tu ? Je ne peux rien faire contre la durée de vie d’un homoncule, » dit Barbatos en buvant une bonne gorgée de sa chope. Pourtant, il regarda Zagan droit dans les yeux. Cet homme ne considérait pas la vie humaine comme autre chose que des mauvaises herbes au bord de la route, mais il continua très sérieusement. « Au moins, je vais te donner un coup de main. La pleurnicheuse va commencer à faire un tas d’efforts inutiles si elle apprend que l’elfe va mourir. Elle ira jusqu’à tout foutre en l’air pour ça, puis finira toute déprimée comme une idiote de ne pas avoir pu la sauver. »
Un Chevalier Angélique n’avait aucun moyen de sauver un homoncule. Chastille le savait sûrement, mais elle essayerait quand même imprudemment de faire quelque chose. Barbatos prit une nouvelle gorgée de son verre, le vida et fit claquer la chope sur la table avec un bruit sourd.
« J’en ai marre de voir son visage comme ça. »
C’était une raison étonnante pour lui de prêter main-forte à Zagan. Aveugle à ses propres lacunes à cet égard, Zagan lança un regard exaspéré à son ami lorsqu’Alshiera posa une question.
« La sorcellerie est en dehors de mon domaine d’expertise, mais… Je pensais que l’extension de la durée de vie était la spécialité des sorciers. »
Les yeux de Zagan et Barbatos s’écarquillèrent devant cette déclaration totalement inattendue. Apparemment, même un vampire millénaire ne sait pas tout.
« Devons-nous commencer par là… ? » dit Zagan. « Peu importe. Je vais te l’expliquer. Nephteros est le clone de Néphy. En d’autres termes, c’est un homoncule. »
Alshiera semblait avoir compris cela. Elle avait fait un signe de tête sans poser d’autres questions.
« Cependant, les homoncules ont une vie courte par nature. Au plus, ils ne vivent que quelques années. S’ils tiennent le coup, peut-être dix. Il existe diverses théories sur la raison pour laquelle leur durée de vie est si courte, mais je les laisse de côté pour l’instant. »
Chez les sorciers, les êtres vivants étaient considérés comme étant composés de sphères minuscules appelées cellules. Un homoncule prenait ces cellules, les divisait et les multipliait pour créer une forme humaine. Cette multiplication causait des dommages à un niveau qui ne pouvait pas être observé par la sorcellerie. Ou peut-être y avait-il une limite au nombre de fois que ces cellules pouvaient être divisées. Quoi qu’il en soit, le corps d’un homoncule s’autodétruisait toujours au bout d’une décennie.
« Permets-moi d’en venir directement à la conclusion, » poursuit Zagan. « Il est possible de prolonger leur vie avec la sorcellerie, mais le mieux que nous pouvons faire est de l’aider à atteindre la limite des dix ans. »
Zagan le savait très bien. Il n’avait pas que la sorcellerie à sa disposition. Il avait la mystique des elfes supérieurs, la sorcellerie des dragons, et même tous les trésors sacrés de Liucaon. Avec quelques années de plus, il pourrait probablement trouver un moyen de prolonger sa vie.
Mais la détérioration du corps de Nephteros va beaucoup plus vite que je ne l’avais imaginé.
Azazel était la cause probable. De retour dans la cité sous-marine, et lorsqu’elle était entrée en contact avec Aristella, Azazel avait empiété sur le corps de Nephteros. En comptant le Seigneur-Démon de la Boue à Suflaghida, cela faisait trois fois. Cela avait fatalement raccourci la vie déjà brève qu’elle avait en tant qu’homoncule.
« Sérieusement… C’est quoi le problème de cette femme avec ta solution ? » grommela Barbatos, mécontent.
« Y a-t-il un moyen de la sauver ? » demanda Alshiera, les yeux écarquillés par la surprise.
« Eh bien, oui. Il n’y a aucune raison de jeter un homoncule en fin de vie, sauf si c’est un échec total, donc il y a une façon spéciale de les gérer. »
Alshiera avait l’air complètement perdue, ce qui fit que Zagan compléta son explication.
« Normalement, un homoncule n’est qu’un appareil destiné à ne rien faire d’autre qu’obéir aux ordres de son créateur. Nephteros est une exception parmi les exceptions. Néanmoins, les homoncules ordinaires accumulent des connaissances et de l’expérience, il est donc beaucoup moins efficace de donner des ordres à un homoncule tout neuf. »
Un homoncule n’était qu’un outil pour un sorcier, mais il s’agissait tout de même de créations extrêmement précieuses qui devaient être manipulées avec soin. Même le Grand Archidémon Andrealphus avait conservé un homoncule de lui-même pendant plusieurs siècles. Compte tenu de la quantité de travail nécessaire à leur création et à leur culture, seuls un énorme idiot ou un fou autodestructeur en jetteraient un.
Nephteros est la petite sœur de Néphy avant tout.
Zagan n’avait jamais vu la fille comme un outil. Il la voyait comme un individu. Néanmoins, son corps était, en fait, celui d’un homoncule. Il devait le reconnaître correctement pour trouver une solution.
La création d’homoncules avait commencé il y a des siècles. Les sorciers avaient manifestement passé une grande partie de ce temps à développer davantage la technologie. Il était impossible de prolonger leur durée de vie, mais il y avait des moyens de les maintenir en vie.
« Ainsi, lorsque l’espérance de vie d’un homoncule s’épuise, il change de corps, » conclut Barbatos.
Si le réceptacle devait se briser, il leur suffisait de le remplacer. En créant un nouvel homoncule, il était possible de transplanter l’esprit de l’original. C’était la méthode actuelle utilisée par les sorciers pour maintenir leurs homoncules.
***
Partie 7
« Je savais déjà qu’elle ne l’accepterait pas…, » dit Zagan en secouant la tête.
« Pourquoi cela ? » demande Alshiera.
« Nephteros a été créée par l’Archidémon Bifrons, » répondit Zagan. « Bien que je ne pense pas qu’il y ait des gens honnêtes parmi les sorciers, ce connard est le pire de tous ceux que je connais. »
Barbatos s’était gratté la tête, réalisant la réponse avec un soupir.
« Qu’a fait Bifrons ? » demanda Alshiera.
Zagan laissa échapper un lourd soupir, puis dit : « Tous les essais ratés de Bifrons ont été transformés en chimères à moitié pour le plaisir, puis jetés. »
Lorsque Nephteros avait fui son maître en découvrant ses origines, Bifrons avait envoyé ces monstres à sa poursuite. Sans Chastille, Nephteros aurait péri de leur main. Zagan aurait pu la protéger, mais il doutait qu’elle soit capable de sourire comme elle le fait maintenant s’il l’avait fait. Il pensait que Nephteros avait réussi à surmonter cet incident, mais il était hors de question qu’elle accepte d’échanger son corps contre un autre homoncule.
Alshiera avait porté sa main à sa bouche comme pour retenir une envie de vomir, puis elle avait dit : « J’ai vu beaucoup de choses sans valeur après avoir erré dans ce monde pendant un millier d’années, mais c’est parmi les pires que j’ai jamais entendu. »
Son ton semblait impliquer qu’elle irait immédiatement achever Bifrons s’il ne comptait pas parmi les vivants.
« Il n’est pas réaliste de penser que nous pourrons trouver une solution dans le mois qui nous reste, alors que d’autres ont passé des siècles à faire des recherches sur le sujet, » marmonna Zagan en essayant de mettre de l’ordre dans ses idées.
« Oui, je me disais la même chose, » convient Barbatos.
S’ils ne parvenaient pas à sauver Nephteros en un mois, ils n’auraient pas le temps de se préparer pour l’anniversaire de Néphy. Comme l’anniversaire de Chastille était aussi à cette époque, Barbatos poussa un profond gémissement.
« Nous n’avons pas autant de temps…, » dit Alshiera en secouant la tête.
« Quoi ? »
« Une semaine… Non, j’ai besoin de le résoudre en quelques jours, si possible. »
Impossible était le premier mot qui lui était venu à l’esprit, mais Zagan savait pourquoi cette fille était si pressée.
« Je vois… Toi aussi… »
Zagan jeta un regard plein de pitié vers le bas. Pendant le cauchemar de l’autre jour, Zagan avait découvert le secret d’Alshiera. Il avait vu sa véritable forme, qui avait été utilisée comme sacrifice humain pour maintenir ce temple. Son corps, qui semblait se situer entre la pierre et le plomb, avait continué à soutenir le monde entier dans cet espace terrifiant et froid pendant mille ans. Cependant, malgré tout cela, son corps était toujours vivant. Même si la vie d’Alshiera devait prendre fin ici, elle ne serait probablement jamais libérée de son rôle de clé de voûte de la barrière pour l’éternité. La destruction du temple aurait dû faire disparaître l’Alshiera devant eux, mais le pouvoir de Lilith avait réussi à maintenir son existence… Cependant, il n’avait pas restauré son espérance de vie perdue.
Ce qui signifie que la dernière chose qu’elle veut faire est de sauver Nephteros.
C’était probablement la dernière fois qu’elle pouvait disparaître. Il n’y avait plus de résurrection possible, même si elle était du Clan de la Nuit. Cet espace froid deviendrait son tout pour l’éternité. C’était une vampire irritante, mais il voulait au moins exaucer son dernier souhait.
« Hein ? Non, ce n’est pas vraiment… »
Alshiera avait essayé de dire quelque chose dans la panique, mais ne pouvait pas le nier.
« Ce qui signifie que nous devons sauver Nephteros dans les prochains jours, » dit Zagan en se tournant vers Barbatos.
« Ha… Quelle emmerdeuse ! »
Même s’il grommelait, Barbatos avait probablement compris ce qui se passait, il n’avait donc pas objecté. Alshiera fit une expression maladroite, se sentant encore plus coupable qu’avant, mais c’était à peu près comme d’habitude avec cette fille. Zagan fit preuve d’une grande considération en faisant semblant de ne pas le remarquer.
« Dans ce cas, le moyen avec lequel nous le faisons est encore plus problématique que jamais. Au pire, nous pourrions même envisager de la rendre non-morte comme toi. »
Il existait une méthode pour transformer un sorcier en vampire. Zagan n’avait jamais entendu parler d’un homoncule qui le deviendrait, mais c’était possible pour n’importe quelle race, apparemment, alors ça valait le coup d’essayer.
« Morts-vivants… Oh, peut-être…, » murmura Alshiera.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Parle simplement. Je suis prêt à accepter n’importe quelle information à ce stade. »
Alshiera avait montré des signes d’hésitation, mais avait hoché la tête après une brève pause et avait dit : « Je pourrais avoir une idée. Cependant, il y a deux désavantages désespérés qui l’accompagnent… »
« Arrête de traîner les pieds. C’est toi qui es pressée ici, hein ? » dit Barbatos.
Alshiera le regarda d’un air contrarié, mais répondit quand même : « Vous en avez été témoin vous-même, mon Roi aux yeux d’argent. Mon vrai corps, je veux dire. En utilisant cela, il pourrait être possible d’accorder un nouveau corps à Lady Nephteros. Un corps qui ne soit pas un homoncule, bien sûr. »
« Vraiment ? »
« Cependant, il y a quelques obstacles majeurs sur notre chemin, » dit Alshiera en levant un doigt. « D’abord, même moi, je ne sais pas comment libérer mon corps de cet endroit. »
« Tu ne le sais pas ? »
« Eh bien… nous n’avons jamais vraiment eu le temps de considérer ce qui viendrait après. »
Alshiera était devenue un sacrifice humain il y a mille ans. Zagan ne pouvait même pas imaginer ce qui s’était passé à l’époque pour nécessiter un tel acte.
Pourtant, si c’est tout, il y a de l’espoir.
L’analyse de la sorcellerie était le domaine d’expertise de Zagan. Il avait même touché son corps directement auparavant, donc il savait que ce n’était pas impossible. Cependant, Alshiera avait ensuite levé un autre doigt.
« Le second est le plus gros problème de tous, » poursuit-elle, se retenant un moment avant de se résoudre à le dire. « Si mon corps est libéré, la barrière s’effondrera. »
Oh, en d’autres termes, ce sera la fin du monde…
Zagan s’était pris la tête dans les mains à cette idée. La destruction de la barrière d’Alshiera entraînerait l’invasion d’Azazel. Le monde n’avait aucune chance de tenir trois jours dans cette situation. Même si tous les Archidémons et Archanges travaillaient ensemble, ils ne pourraient pas gagner de temps. L’anniversaire de Néphy disparaîtrait complètement. C’était une chose que Zagan ne pouvait pas contrecarrer pour le moment.
« Hein ? Je ne comprends pas vraiment, mais ça ne veut-il pas dire que c’est impossible ? » dit Barbatos en faisant claquer sa langue. « Merde, tu es inutile. »
« J’ai simplement parlé parce qu’on m’a demandé de fournir toutes les informations dont je disposais… »
En fait, compte tenu de la façon dont cette fille balayait habituellement toutes les questions qu’on lui pose, elle se montrait étonnamment coopérative.
Un nouveau corps… J’ai déjà entendu ça quelque part…
Une pensée soudaine était venue à Zagan. Il sentait que les points commençaient à se connecter. Quel était l’objectif de Shere Khan au départ ? Refaire Azazel et ramener les morts…
« Mon roi aux yeux d’argent. »
La voix d’Alshiera fit s’arrêter les pensées de Zagan. Il secoua la tête pour faire le vide dans son esprit. Il était dangereux d’accorder plus d’attention à Azazel. Maintenant qu’il comprenait ce qu’il était, même si ce n’était qu’un peu, se rapprocher de la vérité pourrait le réveiller.
« Ce n’est rien… Ne t’en fais pas, » avait-il dit.
Dans tous les cas, les informations d’Alshiera avaient permis de trouver un moyen de sauver Nephteros, mais ce n’était pas quelque chose qui pouvait être accompli en quelques jours seulement. Il était dans une impasse.
Zagan croisa les bras et leva les yeux au plafond. Il semblait y avoir eu un déversement à l’étage supérieur, provoquant la propagation de la moisissure entre les fissures du bois. Si cette planche n’était pas entièrement remplacée, l’érosion risquait de se propager davantage. Considérant le désagrément qu’il leur avait causé plus tôt, Zagan leva un doigt et le fit tourner. Il incinéra complètement la moisissure, ainsi que la partie endommagée du bois, puis scella l’espace avec du mana matérialisé. C’était la même sorcellerie qu’il avait utilisée pour réparer la statue d’Alshiera l’autre jour. Il avait fait tout cela dans un état d’hébétude avant d’arriver à une réalisation soudaine.
Ne puis-je pas utiliser ça pour refaire le corps de Nephteros au niveau cellulaire ?
Recréer une personne en utilisant uniquement du mana nécessiterait le mana de centaines de sorciers moyens. Cette idée était ridicule, mais Zagan avait quelque chose qui pouvait être considéré comme un fourneau de mana pur… à savoir, le sceau de l’Archidémon. En l’utilisant, c’était possible. Néanmoins, il serait extrêmement difficile d’amener une telle technique à un niveau pratique en quelques jours.
Ce n’était pas impossible, mais ce n’était pas non plus réaliste. Cela valait la peine de l’essayer, mais il ne pouvait pas dire qu’une telle méthode serait capable de sauver Nephteros à elle seule, surtout avec seulement quelques jours pour la développer. Au mieux, il fallait la considérer comme une option secondaire. Il devait vraiment préparer un autre plan en parallèle.
Alors qu’ils continuaient tous les trois à ne pas trouver de bonnes idées, Barbatos laissa échapper un gémissement et dit : « Je suppose que la seule solution est de changer de réceptacle ? Il est plus réaliste de penser à un moyen d’obtenir l’accord de cette femme plutôt que de trouver une solution bizarre qui pourrait ne pas fonctionner. »
C’était un argument étonnamment solide venant de cet homme. Créer un nouveau corps pour elle était une affaire simple. Si Zagan rappelait Gremory ou Shax, ils pourraient facilement créer un homoncule et baser ses cellules sur Néphy en utilisant une mèche de ses cheveux. Cela ne prendrait même pas trois jours.
« Nous sommes en train de nous tourmenter parce que nous ne pouvons pas faire ça, » dit Zagan en secouant la tête avec étonnement.
« Ça ne sert à rien de râler et de se plaindre, hein ? Qu’est-ce qu’elle a, de toute façon ? Pourquoi rejette-t-elle un moyen de survie ? Elle est suicidaire ou quoi ? »
Alshiera grimaça à ses paroles, mais cela n’avait pas vraiment de rapport avec le problème actuel.
« Elle ne veut pas mourir, » dit Zagan en secouant la tête une fois de plus. « Mais elle ne veut pas non plus vivre si cela signifie créer un autre homoncule. »
« Haaah… Quel beau problème ! Je suis jaloux. »
Il semblait être temps de donner à cet homme un bon coup de poing au visage. Zagan serra le poing quand Alshiera leva soudainement la main, faisant une sorte de révélation.
« Oh là là, c’est une idée formidable, » avait-elle dit.
« De quoi parles-tu ? »
« Je parle de convaincre Lady Nephteros. »
Zagan grimaça. Il ne pensait pas que le vampire était aussi stupide que Barbatos, donc elle devait avoir quelque chose sur lequel se baser pour affirmer cela.
Alshiera plaça sa main sur sa poitrine, puis déclara avec confiance : « En bref, nous devons simplement lui donner envie de vivre au point qu’elle ne se soucie pas des moyens, n’est-ce pas ? »
« Y a-t-il un moyen de faire ça ? » demanda Zagan.
« Mon Dieu, je n’aurais jamais pensé que vous seriez celui qui demanderait cela, mon Roi aux yeux d’argent. Ce n’est qu’une simple question, vraiment. »
Zagan avait hoché la tête en entendant cela, ce à quoi Alshiera avait fièrement répondu : « Il faut juste qu’elle tombe amoureuse. »
***
Partie 8
« Mais qu’est-ce que tu dis !? » Zagan et Barbatos s’exclamèrent tous les deux avec des regards sérieux et soupirèrent à l’unisson.
« Alshiera… Je suis sérieux là, » ajouta Zagan.
« Haaah… Pourquoi les femmes sont-elles toutes roses et marguerites là-haut ? Même la pleurnicharde peut faire les choses correctement quand elle essaie, tu sais ? »
« C’est vrai. Néphy ne ferait jamais de blagues quand quelque chose me préoccupe sérieusement. »
« Pourriez-vous, messieurs, essayer de dire cela une fois de plus en mettant vos mains sur votre poitrine ? » demanda Alshiera, tout à fait étonnée.
Les deux hommes avaient détourné leurs regards.
« Pourtant… N’est-ce pas un peu excentrique d’essayer de guider les pensées de quelqu’un en utilisant l’amour ? »
« Ce n’est pas tout à fait vrai. Dame Nephteros est dans le même cas que Foll il n’y a pas si longtemps. Elle a un intérêt pour l’amour. De plus, il y a déjà un gentilhomme qui est parfait pour elle. »
La rage et le désespoir dominaient l’esprit de Zagan à l’idée que sa fille tombe amoureuse d’un homme. Mis à part cela, cependant, il comprenait où Alshiera voulait en venir.
« Tu veux dire, Richard. »
C’était le nom du chevalier angélique qui avait été assigné comme garde de Nephteros. C’était un homme honnête dans l’âme. Même Zagan n’avait pas à se plaindre de son caractère. S’il devait reprocher quelque chose à Richard, ce serait qu’il aurait préféré qu’il obtienne la force d’un Archange moyen afin de ne pas lui causer de soucis inutiles.
Néanmoins, Zagan secoua la tête et expliqua : « Elle n’a pas du tout remarqué ses approches galantes jusqu’à présent. Penses-tu vraiment que quelque chose peut être fait à ce sujet en quelques jours ? »
« Tee hee hee. Maintenant que vous lui avez dévoilé la vérité, mon Roi aux yeux d’argent, je crois que ce sera possible. »
« Que veux-tu dire ? »
« Eh bien, il suffit de regarder et de voir, » répondit Alshiera avec un sourire suspicieux, refusant de dire un autre mot sur la question.
Cependant, aussi réticent qu’il soit, ce plan semblait être le plus susceptible de réussir, et Zagan n’avait d’autre choix que de s’y rallier.
◇
À peu près au même moment, Lilith s’était retrouvée à errer sans but autour de Kianoides. Naberius avait fini par se charger de préparer les cadeaux de chacun pour Zagan. Elles lui avaient simplement dit ce qu’elles voulaient offrir, ce qui était apparemment suffisant pour lui. Lilith s’était demandé pourquoi un Archidémon était si généreux, mais il en avait ri, disant qu’il avait déjà reçu un paiement plus que suffisant.
Tout ce qui restait à faire était de préparer la fête dans le dos de Zagan. Heureusement, ils avaient plus qu’assez de temps pour le faire. Lilith n’avait rien d’autre à faire en ville. Il aurait été préférable qu’elle retourne directement au château, mais elle savait que si elle le faisait, elle finirait par voir Furcas.
Elle avait promis de faire face à la confession de Furcas, mais elle se sentait toujours très mal à l’aise en sa présence, ce qui l’empêchait de tenir une conversation correcte. C’est pourquoi, même après le retour des autres au château, elle se promenait en ville à pas lourds.
Il faut que je revienne vite et que je donne un coup de main en cuisine… Je m’inquiète aussi pour Selphy…
Son amie d’enfance s’était comportée de manière plutôt étrange ce matin-là. Lilith se souvenait avoir déjà vu cette expression sur Selphy. C’était le même visage qu’elle avait fait juste avant de s’enfuir d’Atlastia sans en informer personne. Si Lilith avait bien compris l’état d’esprit de Selphy à ce moment-là, elle ne se serait peut-être pas enfuie. Selphy avait, bien sûr, ses propres problèmes à régler à l’époque, mais malgré cela, Lilith regrettait sans cesse de ne pas avoir pu être là pour son amie d’enfance. Cette fois, elle devait lui parler.
« Je dois donner une réponse à Furcas, alors pourquoi Selphy est-elle la seule chose qui me préoccupe !? »
Peut-être que c’était juste une question de flux, considérant que les deux problèmes avaient surgi en même temps. Quoi qu’il en soit, Lilith se sentait sans motivation. Sans destination réelle en tête, elle avait continué à marcher dans les rues et avait laissé échapper un lourd soupir.
« Haaah… Sérieusement, qu’est-ce que je dois faire ? »
Lilith leva la tête lorsqu’elle entendit quelqu’un d’autre dire exactement les mêmes mots qu’elle à l’unisson. Un chevalier angélique aux cheveux et aux yeux écarlates se tenait devant elle. La jeune fille semblait avoir un ou deux ans de plus que Lilith. Sa splendide armure était un peu sale, peut-être parce qu’elle avait participé à une bataille en dehors de la ville. Lilith avait vu cette fille plusieurs fois au château de Zagan. La fille retourna le regard surpris de Lilith avec gentillesse.
« Oh ? Vous êtes… hum, le chevalier angélique qui s’arrête au château de temps en temps… ? »
« Chastille. Et vous êtes la succube qui loge chez Zagan, c’est ça ? »
« Mhm. Je suis Lilith. »
En y repensant, bien qu’elles se voyaient assez souvent, elles n’avaient jamais eu l’occasion de se parler. Après s’être présentée, Lilith avait ressenti un étrange sentiment de parenté avec elle. La même chose semblait s’appliquer à la femme Chevalier Angélique. Elle avait regardé Lilith avec un regard affectueux comme si elle avait trouvé sa sœur perdue depuis longtemps. Peut-être que les pleurnichards s’attiraient mutuellement ? Quoi qu’il en soit, elles étaient destinées à se croiser. Et c’est ainsi que les choses s’étaient passées.
Le Chevalier Angélique, Chastille, s’était éclairci la gorge, puis elle avait dit : « Hum, si vous le souhaitez, pourrions-nous parler un peu ? Seulement si vous avez le temps, bien sûr. »
« Oh ! Merci. C’est génial. J’espérais moi-même justement parler à quelqu’un… du moins, je le pense. »
Chastille s’était dirigée vers une boutique voisine, suivie de près par Lilith. Il s’agissait d’une sorte de salon de thé qui servait des repas simples comme des sandwichs. Les boissons étaient leur principale activité, à en juger par la grande variété de boissons exposées. À l’intérieur, il y avait même une montagne de desserts qu’il semblait impossible pour une seule personne de finir. La boutique était plutôt bondée de clients, alors elles avaient pris place autour d’une petite table. Bizarrement, elles avaient toutes deux commandé une tisane.
« Oh, vous buvez aussi de la camomille, Mlle Chevalier Angélique ? »
« Appelez-moi Chastille. Je n’ai jamais eu de goût que pour le thé noir, mais une bonne amie qui s’inquiète de mon anxiété m’a recommandé ce thé, et je n’en bois plus depuis. J’ai l’impression que ça apaise vraiment mon âme. »
« N’est-ce pas ? Je dors très bien quand j’en prends avant de me coucher. L’arôme est tout à fait merveilleux. »
Les deux femmes s’étaient souri l’une à l’autre en trouvant immédiatement un intérêt commun. La camomille était plutôt connue pour être utilisée pour se détendre et récupérer de l’anxiété, et les pleurnichards vivaient sur une accumulation d’anxiété, donc leur affinité pour elle était parfaitement logique. Lilith ne connaissait pas de tels effets, mais elle avait relevé le visage à la mention d’une bonne amie.
« Vous voulez dire Mlle Néphy ? » demanda Lilith. « C’est elle qui me l’a recommandé. »
« Oh… Non, je suis cependant sûre que nous l’avons eu toutes les deux de la même personne. Manuela m’en a parlé. Elle travaille dans un magasin de vêtements. »
Lilith s’était raidie à l’évocation de ce nom, puis elle avait demandé. « Voulez-vous parler de la femme-oiseau qui vient jouer au château de temps en temps… ? »
Manuela était une non-sorcière, tout comme Lilith et Selphy. De plus, bien qu’elle soit une étrangère complète, elle entrait hardiment dans le château comme bon lui semblait. Elle était un vrai mystère.
« Êtes-vous une autre de ses victimes… ? » demanda Chastille.
« Non, je ne le suis pas. Elle semble cependant être très attirée par mon amie d’enfance Kuroka… »
Chaque fois qu’elles se rencontraient, Kuroka hurlait parce qu’elle était obligée de mettre tous ces vêtements bizarres. Néphy était étrangement habituée à cela aussi, elle n’était jamais vraiment intervenue. Cela dit, elle mettait un terme à la situation quand elle trouvait que Manuela s’amusait trop. Par ailleurs, lorsque le sorcier Shax voyait les vêtements que l’on faisait porter à Kuroka, il avait l’air terriblement secoué, et le majordome Raphaël lui courait après.
« Ce n’est pas une mauvaise personne, » dit Chastille en se couvrant le visage comme si elle voyait tout cela clairement. « J’ai entendu dire que Néphy et l’un des membres de notre Église sont cependant souvent des victimes de ses manigances. »
Apparemment, Chastille n’avait pas non plus encore été victime d’elle. À en juger par la façon dont Manuela avait été la première à recommander la camomille à Chastille, peut-être la femme-oiseau avait-elle une considération particulière pour les pleurnichards.
Non pas que nous soyons des pleurnichards.
Lilith avait essayé de se convaincre de ce fait. Quoi qu’il en soit, elle avait l’impression de s’être complètement ouverte à Chastille en si peu de temps. Il semble que cela aille aussi dans les deux sens.
« Laissons Manuela de côté pour l’instant, » dit Chastille avec une expression douce. « Vous avez l’air bien déprimée. S’est-il passé quelque chose au château ? »
C’est la première fois qu’elles se parlaient vraiment, et pourtant Chastille s’inquiétait pour elle. Voyant Lilith la regarder avec étonnement, elle continua à expliquer lentement les choses sur un ton prévenant.
« Ce n’est pas que je n’ai pas confiance en Zagan, mais vous n’êtes pas un sorcier, et vous vivez dans un château qui en est rempli. Je suis sûre qu’il y a des choses dont vous ne pouvez pas discuter avec eux, non ? Si vous voulez, je peux vous prêter une oreille. »
Quelle personne sage et généreuse !
Chastille avait sûrement ses propres soucis, mais elle avait quand même compris l’angoisse de Lilith d’un seul regard et lui avait gentiment tendu la main. Les coins des yeux de Lilith étaient devenus chauds.
« Ce n’est pas vraiment le cas, » répondit Lilith en essayant de faire semblant de cacher ses larmes. « On dirait aussi que quelque chose vous inquiète, Chastille. Je ne sais pas quels sont les problèmes auxquels les gens de l’Église doivent faire face, mais je pense que je comprends un peu la lourdeur des responsabilités d’un Archange. »
Lilith était membre d’une des trois grandes familles royales de Liucaon. Elle était la première princesse des Hypnoels. Elle avait fait de gros efforts dans ses fonctions royales pour éviter la crise d’extinction de son peuple et des autres espèces rares de Liucaon. Négocier avec un Archidémon toute seule avait été l’un de ces devoirs, en fait. De ce fait, elle comprenait très bien les difficultés des personnes haut placées. Pour une raison inconnue, Chastille porta la main à sa poitrine et chancela à ces mots.
« Est-ce que ça va ? » demanda Lilith.
« Oui, je vais bien. Euh, c’est juste qu’il y a si peu de personnes qui me voient sous un tel jour… »
Lilith s’était émerveillée de ce fait. Elles étaient toutes deux encore adolescentes et portaient un lourd fardeau que la plupart des gens normaux ne connaîtraient jamais, et pourtant personne autour d’elles ne s’en rendait compte. Lilith se pencha sur la table et saisit la main de Chastille.
« Je pense que vous êtes une personne merveilleuse, » dit Lilith. « Je ne peux peut-être pas faire grand-chose, mais j’aimerais que vous me parliez de tout ce qui vous préoccupe. »
« M-Merci beaucoup ! »
Des larmes de joie brouillèrent les yeux de Chastille, comme si elle avait trouvé son âme sœur. C’est alors que Lilith réalisa qu’elle n’avait pas encore répondu à sa première question alors qu’elle venait de confirmer leur amitié.
***
Partie 9
« Hum… Je suppose que vous ne pouvez pas vraiment considérer mon problème comme quelque chose qui mérite d’être angoissé… Récemment, un nouveau résident a emménagé dans le château. »
« Hmm. Un sorcier ? » demanda Chastille.
« Euh, je me le demande ? Il était apparemment un sorcier avant, mais il ne s’en souvient plus maintenant. Je ne pense pas que vous puissiez vraiment l’appeler un sorcier désormais. »
Mais il faisait toujours partie des Archidémons. Pour Lilith, les Archidémons étaient comme Zagan et Marchosias, des sorciers qui possédaient un pouvoir et une majesté énormes. Orias semblait être une Archidémon gentille, mais dès qu’elle cessait de sourire, elle était aussi capable de déchaîner une telle pression qu’il était impossible de la regarder dans les yeux. Lilith ne pouvait pas du tout imaginer Furcas faire la même chose.
« Cette personne a-t-elle causé des problèmes ? » demanda Chastille.
« Je suppose qu’on peut appeler ça des ennuis…, » Lilith avait fait une pause, puis elle avait pris une profonde inspiration avant de continuer. « Il m’a avoué ses sentiments… et je ne sais pas quoi faire. »
Les yeux de Chastille s’ouvrirent en grand. Puis elle hocha la tête comme si elle avait bien compris et dit : « Je vois… C’est pour cela que vous êtes troublée. »
« Je suis sûre qu’il est sérieux, mais j’ai fini par découvrir qu’il était amoureux de quelqu’un d’autre avant de perdre ses souvenirs…, » marmonna Lilith. Quand elle l’avait dit à haute voix, la poitrine de Lilith avait soudainement souffert. « La personne qu’il aimait est une de mes précieuses amies. Elle est vraiment maladroite, et on dirait qu’elle essaie de me le cacher, mais elle a vécu des expériences horribles, et pourtant elle continue à faire de son mieux… »
Lilith ne pouvait même pas imaginer combien il était difficile de vivre dans un pays sans sorciers pendant mille ans. Pourtant, elle savait qu’il devait être douloureux de se séparer immédiatement de tous ceux qu’elle rencontrait. Il aurait dû être possible pour Alshiera d’obtenir un peu de bonheur pour elle-même.
« Hak, gak, hnnngh… »
Pour une raison inconnue, Chastille avait serré sa main sur sa poitrine et avait eu une quinte de toux comme si Lilith avait parlé d’elle.
« Y a-t-il un problème, Chastille ? »
« Non, ce n’est rien. Rien du tout… Continuez, s’il vous plaît. »
À en juger par la sueur froide qui coulait sur le front de Chastille, cela ne semblait pas être rien, mais Chastille refusait obstinément d’en dire plus sur le sujet. Lilith s’était demandé si elle pouvait se permettre de ne pas appeler un médecin, mais elle avait décidé de continuer comme demandé.
« Je ne peux pas m’empêcher de me demander si les sentiments qu’il a pour moi maintenant ne devraient pas être dirigés vers elle… Elle dit que ce n’est pas le cas, mais j’ai l’impression de lui arracher quelque chose qu’elle aurait dû accepter… »
« Ce n’est pas vrai ! » cria Chastille avec conviction, en attrapant les épaules de Lilith. « Si cet homme est vraiment tombé amoureux de vous pour remplacer votre amie, alors c’est la lie de la terre. »
Lilith pouvait voir que Chastille savait que ce n’était pas le cas. Chastille continua en regardant Lilith dans les yeux.
« Mais s’il ne l’a pas fait, alors cela signifie qu’il est tombé amoureux de vous après avoir résolu correctement ses sentiments, » dit-elle. Des larmes avaient même perlé dans ses yeux lorsqu’elle avait déclaré : « Je suis sûre que ses sentiments pour vous sont bien plus grands que ceux qu’il a éprouvés pour votre amie ! »
Lilith était complètement submergée par sa passion. La réponse de Chastille semblait provenir de ses propres expériences.
« Avez-vous aussi vécu quelque chose de similaire ? » demanda Lilith.
Cela avait ramené Chastille à la raison. Son visage était devenu rouge vif, du menton jusqu’à la pointe des oreilles.
« Augh… Non, hum, je suis, hum… »
Il semblait que les femmes plus âgées étaient vraiment plus expérimentées en matière d’amour. Lilith avait accepté ses paroles avec une facilité inattendue.
« Je vois… Je n’y ai jamais pensé de cette façon, » murmura Lilith.
« M-Hmm ! Je suis… monsieur c’est le caté ! »
Chastille s’était mordu la langue en paniquant. On aurait dit qu’elle ne savait même pas ce qu’elle disait. Pourtant, Lilith pensait que ces grands sentiments étaient vraiment destinés à Alshiera. N’était-ce pas sale de les lui arracher ? Plus elle pensait à affronter Furcas, plus elle se sentait coupable, non seulement envers Alshiera, mais aussi envers Furcas. C’était comme si elle le trompait. Mais peut-être que Lilith s’en était convaincue uniquement pour se faciliter la tâche.
« Je ne pense pas pouvoir lui donner une réponse tout de suite, » répondit Lilith après une longue pause. « Alors d’abord, je vais essayer d’en apprendre plus sur lui. »
L’expression de Chastille s’était détendue avec soulagement. Cependant, elle était toujours rouge vif et avait les larmes aux yeux.
« Je pense que c’est une bonne idée, » dit-elle. « Je veux dire, qui sait, vous pourriez finir par tomber amoureuse de quelqu’un d’autre. »
« Quelqu’un d’autre… ? »
Pour une raison inconnue, l’amie d’enfance insouciante de Lilith lui était soudainement venue à l’esprit.
À quoi je pense ? On est toutes les deux des filles.
Elle s’était immédiatement débarrassée de ces pensées.
« Hum, merci de m’avoir écoutée. Vous avez donc vraiment une telle expérience, Chastille ? »
« Hein ? Non, hum, pas vraiment, mais peut-être juste un peu, donc… »
Le visage de Chastille semblait prêt à s’enflammer à tout moment. Elle secoua la tête, puis déplaça son regard vers le bas.
« Bon, vous vous êtes ouverte à moi sur un sujet difficile à aborder, alors je devrais aussi vous parler du mien…, » dit-elle.
« Vous n’avez pas besoin de le faire ! Je voulais juste que quelqu’un m’écoute ! Vous ne devriez pas vous forcer à me le dire ! »
Lilith était déjà très reconnaissante. Cependant, Chastille secoua la tête une fois de plus et commença à parler avec une expression fugace de tristesse.
« Hum… Il y a une fille nommée Foll qui vit avec Zagan, non ? »
« Hein ? Oui. C’est une bonne fille. »
Lilith était restée abasourdie à la mention d’un nom inattendu. Foll était la fille de l’Archidémon Zagan, et pourtant elle travaillait toujours dans la cuisine avec elle. Elle avait également pris part au groupe d’aujourd’hui et semblait s’amuser beaucoup. Honnêtement, il était difficile de croire qu’elle était en fait une sorcière, et encore moins une dragonne. Elle se comportait comme n’importe quel autre enfant normal. Lilith ne pouvait pas imaginer que Foll puisse causer des problèmes à quelqu’un d’autre. S’était-il passé quelque chose avec Chastille ? Lilith pencha la tête alors que Chastille se tripotait les doigts et en vint timidement au fait.
« Elle m’a rendu visite l’autre jour…, » dit-elle, puis elle s’arrêta. De toute évidence, les mots suivants étaient restés bloqués dans sa gorge, mais le chevalier angélique avait fini par se couvrir le visage et avait poursuivi : « Elle m’a posé des questions sur l’amour ! »
Les yeux de Lilith s’étaient ouverts à la nouvelle choquante. Puis, elle avait demandé, « Les choses ne vont-elles pas devenir vraiment sérieuses si Son Altesse entend parler de ça… ? »
« M-mmm. Je le pense aussi, donc je ne lui ai pas dit. »
En vérité, Zagan avait déjà entendu parler de l’affaire, et cela s’était transformé en une réunion de famille des forces les plus puissantes de son camp, mais ces filles n’avaient aucun moyen de le savoir.
Chastille avait réussi à se calmer un peu après s’être ouverte. Elle avait finalement baissé les mains de son visage avant de poursuivre : « Elle m’a demandé toutes sortes de choses embarrassantes, mais on peut les laisser de côté. Je suis sûre qu’elle tombera amoureuse un jour, alors ce comportement n’est qu’une preuve de sa croissance. »
Si c’était tout, alors on pourrait certainement en rire comme de la curiosité précoce d’un enfant. Mais l’Archidémon pourrait en faire une telle histoire que ce serait la fin du monde. En tout cas, qu’est-ce qui inquiétait Chastille ?
« Hum, jusqu’à il y a peu de temps, il y avait quelqu’un que j’aimais, » poursuit Chastille. « Cependant, lorsque je l’ai rencontré, il avait déjà une amoureuse, donc je ne pouvais pas être avec lui. Mais il avait traversé des moments si difficiles que je voulais être là pour qu’il puisse compter sur moi. »
Lilith avait hoché la tête en entendant cette histoire étrangement familière.
Non pas que je pense qu’il y ait quelqu’un ici qui ait eu la vie aussi dure qu’Alshiera… Ainsi se convainquait Lilith, incapable d’identifier son roi, Néphy, ou même elle-même.
« Eh bien, à la fin, il ne s’est jamais retourné vers moi. Il ne m’a même pas remarqué, en fait. Je ne voulais pas non plus me mettre en travers de leur chemin, donc je pensais avoir réglé ces sentiments en moi… Je pensais l’avoir fait, mais… »
Le sourire de Chastille n’était pas vraiment lumineux, mais il n’était pas non plus obscurci. Comme elle l’avait dit, elle avait déjà pris une décision claire à ce sujet. Lilith ne connaissait pas encore très bien l’amour, elle ne pouvait donc pas vraiment imaginer la douleur d’un amour non partagé.
Ce qui signifie que Furcas a longtemps souffert après avoir rencontré Alshiera…
Elle ne compatissait pas vraiment avec lui, mais cette pensée lui faisait mal au cœur.
Après cela, le visage de Chastille était redevenu rouge, elle avait renvoyé son regard vers le bas et avait dit : « Bon, ça suffit comme ça… Hum, quand Foll est venue m’interroger sur l’amour, le visage de quelqu’un d’autre m’est venu à l’esprit… »
Lilith était restée bouche bée devant cette remarque inattendue. Pendant Alshiere Imera, elle s’était évanouie après avoir bu. Pendant les vacances sur l’île inhabitée, elle avait été avec Selphy. Ainsi, à ces deux occasions, elle n’avait pas vu Chastille passer du temps avec Barbatos.
« Quel genre de personne est-il ? » demanda Lilith en se penchant sur la table.
« Hein ? Hum, même si vous me le demandez… je pense… qu’il n’est… pas vraiment un gentleman. Il se moque toujours de moi et me traite de pleurnicharde… et me traite comme une amazone. Aussi, je pense qu’il fait probablement de mauvaises choses quand je ne regarde pas ? Hmm. C’est le pire. »
Lilith avait l’impression qu’il était le genre d’homme qu’un Chevalier Angélique ne devrait pas fréquenter, ou qu’il devrait arrêter, mais elle avait sagement gardé cette pensée pour elle.
Le fait de le dire à haute voix avait semblé irriter Chastille. Sa voix s’était faite plus rauque dans la dernière partie de sa déclaration. Et pourtant, pensant peut-être être allée trop loin, elle s’était mise à marmonner.
« Mais… parfois, c’est une bonne personne. Seulement parfois, cependant. Oh, et il m’a aussi donné une jolie décoration de cheveux. »
Maintenant qu’elle l’avait mentionné, Lilith avait remarqué que Chastille avait une jolie épingle à papillon qui ornait ses cheveux. Elle avait l’air d’être faite en or véritable plutôt qu’en bronze, ce qui montrait que c’est un cadeau qui avait été sérieusement considéré.
« De plus, il me protège toujours. C’était apparemment la demande de Zagan au départ, mais maintenant, il me sauvera probablement en ignorant complètement ce fait. Je veux dire, il m’a même aidée pour des choses sans rapport avec cette demande… »
Lilith avait finalement compris pourquoi Foll était allée poser des questions à cette fille.
J’ai compris ! C’est ce que ça veut dire de se vanter de sa vie amoureuse !
Maintenant qu’elle y réfléchissait, il était tacitement entendu parmi les gens du château que Zagan et Néphy étaient destinés à être regardés de loin, donc il n’y avait pas beaucoup d’occasions de les interroger directement sur leur vie amoureuse. Elle était sûre que les deux parleraient longuement si on le leur demandait, mais cela provoquerait une overdose de sucre.
***
Partie 10
Sur ce point, il y a des choses que Chastille n’avait pas pu cacher alors qu’elle jouait honnêtement son amour. C’est formidable pour qui s’intéresse à l’amour. Mais dans ce cas, qu’est-ce qui la troublait ? Lilith attendit patiemment ses prochains mots.
« Et pourtant…, » commença Chastille avec une expression troublée. « Il ne s’est pas du tout montré aujourd’hui. Il ne me répond pas même quand je l’appelle… Ce n’est pas que je me sens seule… alors pourquoi je me sens comme ça… ? » dit Chastille avant de se taire. Une seconde plus tard, elle serra le poing contre sa poitrine, puis parla comme si elle était à bout de souffle : « Je ne suis pas vraiment la personne la plus prévenante, alors je ne peux pas m’empêcher de me demander si je n’ai pas fait quelque chose pour le mettre en colère. Et dès que je commence à penser ça, je m’inquiète vraiment, et ça commence à faire mal… Je ne veux pas qu’il me déteste… Je ne veux pas qu’il me quitte… Je commence à ressentir toutes ces choses égoïstes… »
On aurait dit qu’elle était au bord des larmes. Cette affaire semblait la troubler grandement, mais une certaine question vint à l’esprit de Lilith.
« Est-ce bizarre d’être égoïste… ? » avait-elle demandé.
« Je veux dire, l’amour n’est pas une chose pour laquelle on est censé demander une compensation, n’est-ce pas ? » dit Chastille comme si elle avait commis un grave péché.
Oh, je comprends maintenant. C’est ce qui la bloque.
Chastille parlait d’amour sans contrepartie. C’était, bien sûr, noble, mais Lilith pensait que c’était différent du véritable amour.
« Je ne fais qu’emprunter les mots de mon amie ici, mais…, » déclara Lilith. « Le désir et l’affection sont des choses différentes. »
« Désir et affection… ? »
« Oui. L’affection est quelque chose que l’on donne à l’autre, comme une mère à son enfant, » expliqua Lilith. C’était clairement ce dont Chastille avait parlé. « Mais le désir est différent. Vous voulez en savoir plus sur lui, l’avoir avec vous. C’est pourquoi vous pleurez et souriez avec ferveur pour lui. »
Lilith ne pouvait pas imaginer cette vampire si amoureuse comme ça, mais c’est ainsi qu’Alshiera lui avait décrit l’amour.
« Quand ces deux émotions se rejoignent, c’est l’amour. Vous ne pouvez pas en avoir qu’une émotion. Il faut que ce soit les deux. »
Ce n’était qu’une connaissance de seconde main d’Alshiera. Ça ne vient pas de la propre expérience de Lilith ou autre.
Pourtant, j’ai l’impression que je devais lui dire.
« Ce n’est que lorsqu’on a les deux que c’est de l’amour…, » marmonna Chastille. Elle n’était pas sûre d’avoir bien compris.
Lilith s’était soudainement souvenue de ce que Chastille avait dit plus tôt.
Je suis sûre que ses sentiments pour vous sont bien plus grands que ceux qu’il a éprouvés pour votre amie !
Peut-être ces mots reflétaient-ils en fait la propre expérience de Chastille. En tout cas, il est clair qu’elle s’inquiétait de la grandeur de ses sentiments. Chastille abaissa ses épaules, trouvant ce concept plutôt difficile à accepter.
« Mais je ne sais même pas vraiment si je l’aime…, » dit le chevalier angélique, ressemblant à l’exemple type d’une jeune fille amoureuse. « Et par-dessus tout… » poursuivit-elle avec un soupir, « tomber amoureuse de quelqu’un alors que j’étais amoureuse d’un autre assez récemment me fait passer pour une fille frivole, n’est-ce pas ? »
« Ce n’est pas vrai ! » Lilith avait crié par réflexe. « Il n’y a aucune règle qui dit qu’on ne peut pas trouver un nouvel amour quand le premier n’a pas fleuri. N’est-ce pas merveilleux de pouvoir passer à autre chose ? » dit-elle en prenant les deux mains de Chastille dans les siennes. « La personne que je connais a erré pour toujours, incapable de passer à son prochain amour. Il a même oublié qui il cherchait. Mon amie ne veut pas l’admettre, mais je pense qu’elle a toujours été amoureuse de quelqu’un qu’elle ne pourra plus jamais revoir. »
Peut-être était-ce une chose merveilleuse d’aimer une seule personne pendant si longtemps. C’était la relation que Zagan avait avec Néphy, après tout.
« Je ne sais toujours pas grand-chose de l’amour, » poursuit Lilith, « mais je pense que lorsqu’un tel amour n’est pas partagé, c’est vraiment douloureux. Alors n’est-ce pas incroyable de surmonter ça et de tomber amoureux de quelqu’un d’autre ? »
Cette pensée semblait risible de la part d’une fille qui ne connaissait rien à l’amour. Cependant, après avoir vu Alshiera et Furcas, c’est ce qu’elle croyait vraiment. Elle était sûre que tomber amoureuse demandait une grande dose de courage. À ce moment-là, des larmes avaient commencé à couler des yeux de Chastille.
« H-Huh ? Euh, je suis vraiment désolée…, » dit Lilith.
« V-Vous n’avez rien fait. Je ne pensais pas… que quelqu’un le dirait comme ça… »
Je suis sûre que ça a été dur pour elle…
Chastille avait dû s’en inquiéter toute seule. Ses larmes de soulagement étaient si belles.
« Cela fait longtemps que vous vous inquiétez pour ça, n’est-ce pas ? » demanda Lilith.
Est-ce que cela suffit à dissiper une partie des angoisses de Chastille ? Alors que Lilith s’interrogeait sur ce point, Chastille s’essuya les yeux et secoua la tête.
« Non, pas vraiment, » dit-elle.
« Vous ne l’avez pas fait ? »
Alors, de quoi s’agit-il ? Lilith était restée abasourdie.
« Euh, le sujet des anniversaires a été abordé aujourd’hui, » marmonna Chastille maladroitement. « Il m’a offert cette parure de cheveux, et quand j’y ai pensé, j’ai réalisé que je ne lui ai jamais rien donné en retour… »
« Oh. Alors, voulez-vous lui offrir un cadeau d’anniversaire ? »
Chastille hocha timidement la tête, puis répondit : « Mais je ne sais pas quand est son anniversaire… Je ne pense pas qu’il me le dira si je le lui le demande, et vu son ami, il est possible qu’il ne sache même pas lui-même quand c’est. »
En fait, cela rendait dangereux le fait d’essayer de l’interroger directement sur le sujet.
« La meilleure personne à qui demander ne savait même pas que les anniversaires étaient censés être fêtés, » poursuit Chastille. « Honnêtement, je ne sais pas du tout ce que je dois faire. »
« Je… je vois… »
En toute honnêteté, rien de tout cela ne semblait sérieux selon Lilith comparé au choc de l’amour non partagé de Chastille et de son nouvel amour, mais la succube hocha quand même la tête. Elle se souvint alors que Foll avait choisi le jour où Zagan et Néphy l’avaient adoptée comme son propre anniversaire et eut une idée.
« Umm, si vous ne connaissez pas son anniversaire, alors peut-être que vous n’avez pas vraiment besoin de vous pencher sur la question trop profondément ? »
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda Chastille.
« Et si vous lui offriez plutôt un cadeau pour commémorer une sorte d’anniversaire entre vous deux ? Je suis sûre que ça lui ferait plaisir. »
« N-Notre anniversaire !? » s’écria Chastille, dont les cheveux noués sur le côté se relevèrent d’un bond sous le choc. Peu après, elle hocha la tête en signe de compréhension, encore toute rouge, et elle déclara : « Je vois. C’est logique. Mais qu’est-ce que je devrais choisir comme anniversaire… ? »
« Et le jour où vous vous êtes rencontrés ? »
« Le jour où nous nous sommes rencontrés…, » marmonna Chastille, un nuage soudain assombrissant son expression.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? »
« Je viens de me rappeler qu’il m’a enlevée lors de notre première rencontre… »
« Pourquoi êtes-vous tombée amoureuse de lui ? »
« Je ne sais toujours pas si je suis amoureuse de lui ! »
Vous ne pouvez même pas dire ça avec un visage sérieux…
Eh bien, c’était un sujet plutôt délicat à aborder, il semblait donc préférable de la laisser tranquille. Lilith décida de simplement veiller sur elle. Elle esquissa un sourire et regarda l’entrée de la boutique, réalisant que le soleil s’était couché avant même qu’elle ne le sache.
« Oh non ! J’ai complètement zappé la préparation du dîner ! » s’exclama Lilith.
« Désolée d’avoir fini par vous garder ici si longtemps. »
« Ce n’est pas de votre faute. Vous avez aussi écouté mes inquiétudes, après tout. »
« Mais il est si tard maintenant… Je vais au moins vous accompagner au château. Personne par ici n’est assez fou pour porter la main sur vous, mais dernièrement, il y a eu ces incidents avec Shere Khan, alors ça pourrait être dangereux. »
Avec ça, elle ne pouvait pas refuser. Et juste au moment où Lilith était sur le point d’accepter…
« Ne sois pas stupide, pleurnicharde. Les heures de bureau sont terminées. Penses-tu vraiment que tu ne vas pas te planter d’une manière ou d’une autre ? »
Lilith n’avait aucune idée d’où il venait, mais un sorcier au teint pâle avait soudainement ébouriffé les cheveux de Chastille. Lilith l’avait déjà vu plusieurs fois au château de Zagan et à Liucaon.
« B-B-Barbatos !? Où étais-tu toute la journée ? Tu n’as pas voulu me répondre quand j’ai appelé ! » hurla Chastille.
« Qu’est-ce qui se passe ? Ne m’appelle pas pour une patrouille stupide. Réserve ça pour quand les choses deviennent incontrôlables. »
« Donc, tu savais que j’étais en patrouille ! »
« Haaah… Arrête de jacasser. »
Elle ne pensait pas que c’était possible, mais était-ce l’homme dont Chastille avait parlé ? Lilith était restée bouche bée lorsque le sorcier s’était tourné vers elle d’un air fatigué.
« Uhhh… C’est quoi ton nom déjà ? Eh bien, peu importe. Ce connard de Zagan dit que tu devrais retourner au château. Je ne suis pas un homme à tout faire, bon sang… Je vais t’y envoyer, alors vas-y. »
Il allait apparemment utiliser la sorcellerie pour la renvoyer.
« Euh, merci… »
Après avoir exprimé honnêtement sa gratitude, Lilith avait remarqué quelque chose. Les oreilles du sorcier étaient rouges. Chastille semblait aussi l’avoir remarqué à cause du regard de Lilith, ce qui fit se raidir son visage avec une crampe.
« Hum… Barbatos ? » dit-elle.
« Quoi ? »
« Tu nous écoutais ? »
« Huuuh ? Ce n’est pas comme si je pouvais tout entendre à travers l’ombre ! Je n’ai pas envie d’écouter aux portes ! »
« V-Vraiment !? N’as-tu rien entendu !? »
C’est précisément ce que quelqu’un dirait après avoir tout écouté depuis le début, mais Chastille ne l’avait pas interprété ainsi, ce qui est parfaitement logique. Après tout, les gens croyaient ce qu’ils voulaient croire. Chastille cherchait désespérément à se calmer, alors elle acceptait n’importe quelle explication, même si elle semblait farfelue.
« O-Oh ouais…, » marmonna Barbatos en regardant au loin. « Je suis né le 15 de Kavouras. »
Il était aussi clairement secoué au plus profond de lui-même. Il y aurait eu des façons bien plus décontractées d’aborder ce sujet, étant donné le temps dont il disposait, mais c’était pourtant sorti de façon tout à fait anormale. Et malheureusement, cela avait suffi à faire revenir Chastille de sa fuite de la réalité.
« Hum, donc tu as vraiment tout entendu ? » avait-elle demandé.
Il ne pouvait pas trouver d’excuse maintenant. Le sorcier détourna son regard et garda le silence.
L’instant d’après, Chastille s’était évanouie.
« P-Pleurnicharde !? »
Lilith ne pouvait plus les regarder. Le sorcier paniqua et prit Chastille dans ses bras, mais ses yeux s’étaient déjà retournés et elle ne montrait aucun signe de retour à elle.
« H-Hey ! Qu-Qu’est-ce que tu veux que je fasse à propos de ça !? »
Oh, alors il est au moins humain, hein ? se dit Lilith en voyant le sorcier agité. Remarquant son regard, il s’était retourné pour la regarder.
« E-Eep !? » Lilith avait crié et s’était redressée par réflexe. Pour une raison inconnue, le sorcier regardait autour de lui avec agitation. Tout le monde dans la boutique évitait son regard, ne voulant pas être impliqué.
« Uhhh… Tu n’as rien vu, compris ? » murmura-t-il à Lilith.
« E-Euh… »
Voyant qu’elle hésitait, le sorcier posa quelque chose sur la table. Il s’agissait d’une dague avec un emblème délicatement sculpté sur elle qui semblait assez petite pour que même Lilith puisse l’utiliser.
« Je te l’accorde, alors fait comme si tu n’avais jamais vu ça. C’est compris ? »
« Euh, d’accord. »
***
Partie 11
Lilith n’avait pas osé demander ce que c’était, alors elle l’avait simplement accepté sans réfléchir. Sur ce, le sorcier se souvint de la raison pour laquelle il était venu ici et il se mit en route pour accomplir sa tâche.
« Je vais aller la jeter dans l’Église, alors donne-moi une seconde, » avait-il dit, puis il se leva et il eut l’air soudainement soulagé. « Oh, je suppose que ce n’est pas nécessaire. Quelqu’un d’autre est là pour t’aider. »
En entendant cela, Lilith avait regardé par la fenêtre et avait repéré un garçon bien trop familier.
« Oh, est-ce le bon moment ? » demanda Furcas, le sourire aux lèvres, comme s’il n’avait aucun souci au monde. « J’ai remarqué que tu étais sortie tard, alors je suis venu te chercher ! »
J’ai aussi besoin d’affronter correctement mes problèmes… Avec cette pensée à l’esprit, Lilith avait réalisé que ses épreuves étaient loin d’être terminées.
◇
Lilith et Furcas avaient pris une calèche pour rentrer au château. Néphy et Foll allaient souvent faire des courses, tandis que Chastille et Manuela faisaient de fréquents voyages depuis la ville, de sorte qu’il y avait une bonne demande de calèches entre Kianoides et le château de Zagan. C’est pourquoi Zagan avait loué une calèche exclusive pour leur usage. Cependant, il n’y avait qu’une seule voiture affectée à cette tâche, donc une fois arrivée au château, elle ne pouvait plus être utilisée jusqu’à ce qu’elle fasse le voyage de retour.
Un certain temps s’était apparemment écoulé pendant que Lilith et Chastille discutaient. La calèche mettait deux heures pour faire un aller simple, ou une heure si elle se dépêchait. Malgré cela, il était déjà de retour en ville pour que Lilith puisse l’utiliser pour aller au château.
L’intérieur de la voiture était assez grand pour accueillir six personnes, mais les seuls passagers étaient Lilith et Furcas. Lilith n’avait pas eu le courage de s’asseoir à côté de lui, ils étaient donc assis l’un en face de l’autre.
Uhhh, je devrais dire quelque chose…
Le silence avait dominé la voiture. Lilith avait décidé de faire face à ce garçon, qui était au moins assez inquiet à son sujet pour venir du château si tard dans la nuit juste pour la récupérer. Ainsi, elle savait qu’elle devait considérer son affection avec un cœur sincère. En vérité, Kimaris les surveillait à une courte distance, mais aucun des deux n’avait le moyen de le savoir.
En tout cas, Lilith ne savait pas de quoi parler. Elle était en train de gémir sur le problème quand soudain, Furcas avait engagé la conversation de son côté.
« Hé, Lilith ? Qu’est-ce que tu as dans la main ? »
« Hein ? Oh, ça ? Le serviteur de Son Altesse… je crois ? Il me l’a donné…, » marmonna Lilith avant de s’interrompre et de marquer une pause. C’était quelque chose comme un pot-de-vin, donc elle ne pouvait pas vraiment se plonger dans les détails. « Je suppose que c’est quelque chose comme une monnaie d’échange. »
« Hein ? Une monnaie d’échange pour ce transport ? »
Zagan payait une redevance mensuelle pour ce transport exclusif, il n’y avait donc pas besoin de payer quoi que ce soit.
« Puis-je jeter un coup d’œil ? » demanda Furcas, encore un peu choqué par sa réponse.
« Euh… Bien sûr, vas-y. »
Lilith avait remis l’épée courte. Il l’avait dégainée à mi-chemin, puis il avait sifflé d’admiration.
« C’est incroyable ! Il y a une sorcellerie follement complexe gravée dessus. Je suppose qu’il coupe l’espace lui-même ? Je suis sûr que ce serait difficile à faire, même pour Zagan… Je parie quand même qu’il peut le faire ! »
« T’es-tu souvenu de ta sorcellerie ? » demanda Lilith en s’étonnant de son analyse si spécifique.
« Hein ? » Furcas pencha la tête, ne semblant pas se rendre compte de ce qu’il venait de dire. « Ah oui, qu’est-ce que je dis ? Je n’ai jamais vu ce circuit avant. »
Malgré la perte de ses souvenirs, il était toujours un Archidémon. Il avait pu se souvenir de ses talents de sorcier alors qu’il étudiait avec Zagan.
« Hmm. Attends ! Est-ce vraiment si génial que ça ? » demanda Lilith.
« Ouais, plus qu’incroyable. Tu pourrais probablement le vendre pour le prix d’un petit château. »
« Un château !? Pourquoi a-t-il remis quelque chose comme ça… ? » murmura Lilith. Elle remettait maintenant en question son choix de l’appeler monnaie d’échange.
« Je veux dire, oui, ça coûte cher, mais la sorcellerie est la partie la plus étonnante, » répondit Furcas. « En théorie, je suis sûr qu’elle peut couper tout ce qui existe. »
« V-Vraiment… ? »
Lilith avait vu ce sorcier aux côtés de Zagan à de nombreuses occasions. Il avait toujours l’air d’être durement traité, se faisant frapper au visage par l’Archidémon à peu près chaque fois. Et donc, c’était une évidence qu’il était parmi les plus grands sorciers du monde.
Ce vieil homme que Kuroka aime est apparemment aussi assez étonnant.
Le sorcier nommé Shax était terriblement mauvais pour lire l’humeur. Kuroka s’en plaignait toujours lorsqu’elle visitait le château. Cependant, il possédait apparemment des talents si exceptionnels que Zagan le gardait à portée de main malgré ses défauts.
Dans tous les cas, Lilith se concentra sur l’épée courte.
« Est-ce que je peux vraiment accepter ça ? » avait-elle demandé.
« Tu l’as reçu du serviteur de Zagan, n’est-ce pas ? Ça veut dire que c’est pour ta protection. Je pense que tu devrais le garder ! »
« Eh bien, dans ce cas… »
Il s’agissait en fait d’un pot-de-vin, et apparemment d’une somme énorme. Peut-être que c’était juste à quel point il voulait garder le secret. Eh bien, un Archange amoureux d’un sorcier devait rester secret, donc Lilith n’allait pas laisser passer ça, de toute façon. De plus, elle pouvait même sentir des sentiments similaires venant du sorcier, ce qui signifiait qu’ils étaient prêts. Elle espérait vraiment que l’amour de Chastille serait réciproque cette fois-ci.
Furcas rendit l’épée courte à Lilith, qui la plaça sur ses genoux. Elle décida de préparer une sorte de ceinture d’épée afin de pouvoir la transporter avec elle.
« Pourtant, je connais à peine les techniques d’autodéfense…, » avait-elle marmonné.
« Hmm. Tu connais un peu d’autodéfense ? »
« J’ai appris un peu de Kuroka… Oh, tu ne l’as pas encore rencontrée. Mon amie d’enfance m’a montré quelques exemples… c’est tout. Ne t’attends pas à ce que je devienne un chevalier angélique. »
C’est à ce moment-là que Lilith avait réalisé qu’elle était capable d’entretenir une conversation avec lui de manière assez naturelle. Une fois que les choses avaient commencé, c’est comme si sa tension avait fondu.
« Maintenant que j’y pense, qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? » demanda-t-elle, essayant d’entamer une discussion de son côté.
« Moi ? Eh bien, j’ai étudié la sorcellerie et les légendes de Liucaon ! »
« Liucaon ? Pourquoi ? »
« Zagan est appelé le Roi aux yeux d’argent, non ? Je veux savoir quelle signification il y a derrière ça ! »
Lilith avait hoché la tête en signe de compréhension.
Ce type est vraiment attaché à lui…
Non pas qu’il y ait quelque chose de mal à ça, bien sûr. Elle trouvait simplement cela mystérieux.
« D’ailleurs… » Furcas avait fait une pause avant de continuer, « J’ai entendu dire que Liucaon est ta ville natale, alors je voulais en savoir plus. »
Lilith s’était penchée en arrière devant la franchise inattendue de son affection. Elle pouvait dire que son visage devenait plus chaud.
« E-Euh, as-tu trouvé des légendes intéressantes ? » demanda-t-elle, essayant de s’éloigner du sujet.
« C’est sûr ! Le combat contre le dragon noir Marbas était super cool ! »
« N’est-ce pas ? C’est l’une de mes préférées parmi les légendes du Roi aux yeux d’argent. J’ai souvent harcelé Alshiera pour qu’elle me la raconte quand j’étais petite. »
Après avoir dit cela, Lilith s’était couvert la bouche à la mention imprudente du nom d’Alshiera, mais Furcas n’y avait pas prêté attention. Ses yeux pétillaient d’intérêt.
« Vraiment !? Peut-être que nous avons en fait beaucoup de choses en commun ! »
« P-Peut-être…, » répondit Lilith avec des sentiments mitigés dans son cœur.
« De plus, les histoires d’Asura étaient vraiment cool. »
« Un des héros qui a servi le Roi aux yeux d’argent, non ? Il est mort en tuant un monstre pour protéger une seule fille. »
« Ouais ! Celui-là ! Aussi, les histoires du Clairvoyant Bato ! »
« Le stratège qui était connu comme le bras droit du Roi aux yeux d’argent. Dans ses derniers instants, il a fait croire qu’une armée de dix mille hommes était assiégée, alors qu’en fait il était tout seul, ce qui a permis au Roi aux yeux d’argent de s’échapper. »
Lilith avait lu les légendes du Roi aux yeux d’argent des centaines de fois. Elle ajoutait de temps en temps des remarques fières lorsque Furcas évoquait les choses. Il semblait également apprécier cela et lui souriait amicalement.
« Ils sont tous les deux si cool ! » s’exclame-t-il. « C’est comme ça qu’un homme est censé vivre ! »
« Espèce d’idiot. Rien de bon ne vient en mourant, tu comprends ? »
De temps en temps, Lilith considérait comment presque toutes les légendes des héros de Liucaon se terminaient par leur mort. Et elle se demandait souvent si Alshiera avait été présente dans ces moments. Bien sûr, Lilith ne croyait pas que les légendes s’étaient déroulées exactement comme elles étaient racontées. Néanmoins, il était assez probable qu’elles étaient toutes basées sur des événements du passé. Si c’est le cas, quel genre de sentiments Alshiera avait-elle éprouvés après avoir été abandonnée par tout le monde ? L’expression de Lilith s’était assombrie involontairement à cette pensée quand soudain, Furcas lui avait serré la main.
« Je ne vais pas mourir ! Je ne vais certainement pas te laisser derrière, alors ne t’inquiète pas ! » cria-t-il en se rapprochant rapidement d’elle.
« E-Eep ! P-Proche ! Trop près ! »
« Oh ! D-Désolé… »
Furcas avait repris ses esprits et avait fait un bond en arrière. Le silence s’était à nouveau installé dans la voiture. Il était clair qu’ils étaient tous les deux rouges.
Qu’est-ce que je fais ? Mon cœur bat la chamade…
Il était un peu tard pour s’en rendre compte, mais c’était quelque peu imprudent de la part de Lilith de monter dans un carrosse toute seule avec un homme qui s’était déjà confessé à elle. Par chance, la calèche était arrivée au château l’instant d’après. Ils avaient passé la porte et s’étaient arrêtés devant l’entrée.
« Hé, Lilith. Bienvenue à la maison. »
Quand les portes s’étaient ouvertes, ils avaient trouvé Selphy qui les attendait.
« Selphy ! »
L’amie d’enfance de Lilith s’était comportée bizarrement ce matin-là, mais maintenant son sourire était plus éclatant que jamais. Lilith avait sauté en bas de la voiture, une vivacité soudaine dans sa voix. Elle avait ensuite repris ses esprits et avait fait la moue sur le côté, les bras croisés.
« H-Hmph. D’après ce que je vois, tu te sens mieux maintenant. Non pas que je m’inquiétais que tu aies l’air dans les vapes le matin ! »
« Oooh, tu t’inquiétais pour moi ? »
« J’ai dit que je ne m’inquiétais pas — Waaah !? »
Selphy avait soudainement fait un gros câlin à Lilith.
« Désolée de t’avoir inquiétée, » dit Selphy. « J’avais juste, genre, un petit quelque chose en tête. »
Elle était même allée jusqu’à frotter sa joue contre celle de Lilith.
« Hein !? Qu’est-ce qui ne va pas, Selphy !? Tu sembles un peu plus proche que d’habitude ou un peu plus collante, je veux dire, hum… ! »
« Hmm… Juste un peu plus longtemps. Je me suis sentie très seule sans toi aujourd’hui, alors j’ai besoin de me réapprovisionner en Lilith. »
Lilith ne savait plus quoi faire lorsque Selphy la serrait dans ses bras comme une poupée en peluche.
Si ça continue, ma tête va exploser !
Le cœur de Lilith battait comme un marteau, sa vision se troublait et son esprit était vide. C’était si bon d’être serrée dans les bras de son amie d’enfance, et elle sentait bon — elle pouvait même voir que le cœur de Selphy battait aussi avec force — mais dans tous les cas, l’esprit de Lilith ne pouvait pas suivre.
« Hum, uhhh… Pourrais-tu me laisser partir maintenant… ? » supplia Lilith, rassemblant le peu de volonté qu’il lui restait.
« Mrgh… Oh bien… Oh, tu vas bien, Lilith ? »
Selphy lui avait donné une dernière pression, puis avait finalement laissé Lilith partir. Mais les genoux de Lilith avaient cédé et elle s’était effondrée sur le sol. Voyant cela, Furcas afficha un sourire étonné et crispé.
« Vous êtes vraiment proches toutes les deux, » avait-il dit.
« C’est vrai ! Nous sommes, comme, des amies d’enfance et tout, » répondit Selphy en riant. Elle avait le même sourire insouciant que d’habitude. Ou du moins, c’était censé être le même, mais Lilith avait l’impression qu’il y avait une énorme férocité derrière son sourire maintenant, à la limite de la soif de sang.
« La mienne ! As-tu compris ? » déclara Selphy.
« Hein ? Qu’est-ce que… ? » demande Furcas avec étonnement.
« La mienne ! »
Ce garçon, qui portait le titre d’Archidémon, ne pouvait que reculer devant le sourire d’une fille qui ne possédait soi-disant aucun pouvoir.
Émouvant.