Chapitre 3 : Je pensais t’avoir vue dans mon rêve, mais il s’est avéré que nous nous sommes rencontrés dans nos rêves et que nous n’avons pas pu faire face à la situation
Partie 2
Tout n’est-il pas possible dans un rêve… ? Les actions audacieuses où il aurait normalement été trop gêné pour essayer ne seraient-elles pas de bonne guerre ? Les sorciers n’étaient-ils pas tous des méchants égocentriques qui ne se souciaient pas des autres ?
Tout bien considéré, Zagan possédait au moins autant de désir charnel que la moyenne des hommes de son âge. Il s’était engagé dans une relation amoureuse avec cette adorable fille, il n’était donc pas question qu’il manque de désir de la toucher. Au contraire, il ne pensait qu’à Néphy 24 heures sur 24. Il était dans un rêve maintenant, alors il voulait essayer de la toucher partout… et de la serrer dans ses bras… et de frotter ses joues contre les siennes.
Ainsi, Zagan libéra ses propres désirs.
« … »
Il était resté immobile au sommet de l’herbe et avait soudain tendu le bras. Pas vers Néphy, mais à ses côtés.
« C’est… »
Il était probable que la plupart des gens qui verraient cela ne comprendraient pas le sens de cette phrase, mais Néphy hocha la tête comme si quelque chose lui était devenu clair.
Néphy va comprendre ! Je pense !
Si Barbatos était présent, il s’écrierait probablement. « Qui peut le dire, espèce d’idiot ? » Heureusement pour Zagan et Néphy, ils étaient les seuls dans le rêve. Quant à Néphy, elle s’était complètement raidie comme si une décision extraordinaire qu’elle devait prendre se rapprochait d’elle.
Oh, je suppose que c’est une demande trop déraisonnable, même pour un rêve…
Il ne pouvait plus la regarder dans les yeux et détourna le regard. Ayant peut-être interprété cela comme une pression de sa part pour qu’elle prenne une décision, Néphy se ressaisit et acquiesça. Elle s’était ensuite allongée à côté de lui. Elle posa ensuite son cou fin sur le bras que Zagan avait inexplicablement tendu.
C’était un soi-disant oreiller de bras.
Elle m’a offert un coussin pour mes genoux tout à l’heure, alors c’est normal ! C’était un remboursement, ou un remerciement, dans son esprit, du moins. Il n’osait pas faire quelque chose d’aussi audacieux dans la réalité, surtout que l’occasion de faire une telle offre ne s’était jamais présentée. Zagan dormait habituellement en position assise sur son trône. De plus, son cœur ne supporterait pas de faire quelque chose d’aussi éhonté que de se glisser dans le lit de Néphy au milieu de la nuit.
Hmph… Donc, même quelque chose comme ça est possible dans un rêve.
En fait, c’était quelque chose qu’il avait déjà réussi une fois. Cependant, le matin venu, ils s’étaient retrouvés totalement incapables de se regarder dans les yeux. Et voilà qu’il était capable de l’accomplir de manière si naturelle — naturelle à ses yeux, du moins — et d’y résister. Zagan admira ce fait en jetant un regard furtif à Néphy.
« Ah ! »
Néphy venait également de se retourner pour vérifier l’état de Zagan, rapprochant leurs regards.
« … H-Hehehehehe... » Il laissa échapper un rire faible, incapable de le supporter davantage. Voir un sourire aussi lâche sur son visage était assez rare. Si l’on ajoute à cela le fait qu’elle portait des vêtements différents de la normale, le pouls de Zagan doubla d’intensité.
« Maître… Zagan. »
« O-Oui !? Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Oh, rien. Je me suis juste sentie étrangement heureuse et j’ai soudain eu envie de dire ton nom… »
Sa surprenante et maigre cajolerie aurait pu faire s’arrêter momentanément le cœur de Zagan. C’est dire l’ampleur de l’impact qu’elle avait eu. Son corps tremblait, mais il était toujours un Archidémon. Il ouvrit donc résolument la bouche pour répondre.
« N-e-p-h-y. »
« Augh… »
Il essaya de l’appeler par son prénom en savourant chaque lettre. Maintenant, c’était au tour de Néphy de serrer sa poitrine et de se pencher en réponse.
Hnnngh ! Qu’est-ce que c’est que cet acte embarrassé !? Même moi, je me sens gêné maintenant !
Néphy était terrifiante de trouver cela si naturel, et infiniment attachant en plus. Tout ce qu’ils avaient fait, c’était de s’appeler par leurs prénoms, et pourtant, ils étaient tous deux battus sans pitié par cet acte.
Non ! Nous devons parler de quelque chose ou ce sera du gâchis !
Il était stimulé par la tension d’avoir consciemment créé cette situation.
« H-Hehehe ! Être dans un rêve est, comment dire… assez agréable ! Il n’y a personne pour nous gêner ! » s’écria Zagan d’une voix cassée.
« C-C’est vrai ! »
Néphy avait également cherché une occasion de distraire son esprit, ce qui expliquait pourquoi elle hochait exagérément la tête, les oreilles rouges jusqu’au bout.
« Mais… on dirait que tu es assez gentil avec cette fille, Maître Zagan, » murmura Néphy avec curiosité.
Il pouvait dire que c’était par pure curiosité. Cependant, ses sens aiguisés lui permirent d’entendre la moindre trace de jalousie dans sa voix. Zagan n’avait absolument pas l’intention de traiter cette fille de cette façon, et il s’était retrouvé plutôt embarrassé.
« Hein ? Ça ? Je n’essaie pas de la traiter différemment de mes autres subordonnés… »
« Ce n’est pas vrai… Comment dire… ? J’ai l’impression que tu la traites avec la moitié de la gentillesse que tu as envers moi ou Foll. »
« Est-ce que je la gâte tant que ça ? »
Zagan sentit sur lui un regard déçu qui semblait dire. « Vous êtes donc tous les deux conscients que vous êtes stupidement amoureux l’un de l’autre… » mais il n’en tint pas compte.
« Je veux dire, c’est une civile normale et tout. Je pensais juste qu’elle allait mourir accidentellement si je ne lui accordais pas un peu de considération. »
Il était également évident qu’elle était encore plus émotive que Chastille, il veillait donc à ne pas trop la stresser. Néphy ne semblait pas tout à fait convaincue par cette réponse. Elle gonfla ses joues et tapota le côté de Zagan avec son doigt à plusieurs reprises.
Stop ! C’est quoi cette attaque adorable ? Essaies-tu d’arrêter les battements de mon cœur ?
Il avait déjà fait face à un choc qui semblait capable de lui faire faire un arrêt cardiaque, alors il ne pourrait pas en supporter un deuxième. Il n’y avait rien d’aussi grave que la colère dans sa réaction, mais même ainsi, sa maigre jalousie, qui pouvait être mal interprétée comme un simple mécontentement, possédait une force inattendue et énorme derrière elle.
« C’est peut-être ton intention, Maître Zagan, mais dans ce cas, tu devrais être un peu plus gentil avec Selphy. »
« Oh, maintenant que tu le dis, c’est aussi une civile… »
Il ne savait pas vraiment quoi dire. Cette sirène avait un esprit si fort qu’il était sûr qu’elle ne mourrait pas juste parce qu’il la traitait un peu durement. La seule autre fille de leur groupe n’était pas vraiment une civile, mais Zagan la traitait également avec gentillesse. Dans son cas, il avait une bonne raison de le faire, vu qu’elle était la fille de Raphaël. C’était probablement la raison pour laquelle Néphy ne ressentait aucune envie à cet égard.
Maintenant qu’il y pense, il n’avait pas de raison de gâter autant cette fille. Lorsqu’il l’avait rencontrée pour la première fois, il avait apprécié le courage dont elle faisait preuve pour s’adresser vertement à un Archidémon. Mais dans ce cas, il aurait dû la traiter comme ses autres subordonnés. Il n’avait pas réfléchi à cette réalité auparavant, et maintenant qu’elle se présentait à lui, Zagan y avait réfléchi un moment avant de dire quoi que ce soit.
« Je sais que ça peut paraître bizarre… mais je n’ai pas eu l’impression que c’était la première fois que je la rencontrais. »
Il n’y avait pas pensée jusqu’à ce que Néphy le lui fasse remarquer, mais c’était ce qu’il ressentait lorsqu’il essayait de mettre des mots sur ses sentiments. Les yeux de Néphy s’écarquillèrent de surprise, peut-être parce que son explication était bien trop vague. Et à cause de cela, Zagan réalisa qu’il n’en avait pas dit assez, alors il décida de clarifier.
« Ummm... C’est un peu comme si je regardais un de mes frères de ruelle… »
« Oh, je vois… » Néphy hocha la tête, affichant enfin une explication qu’elle comprenait.
« Maintenant que j’y pense, tu as montré une réaction similaire à Lisette, n’est-ce pas ? »
Lisette était la petite orpheline que son amie d’enfance Stella avait recueillie. Zagan ne l’avait rencontrée qu’une seule fois, mais il s’était montré remarquablement gentil avec elle, sachant qu’elle était l’une de ses petites sœurs de rue.
« As-tu eu beaucoup de frères et sœurs comme elle ? » demanda Néphy avec curiosité.
« Eh bien, nous étions tous des morveux qui agissaient de manière hautaine malgré notre faiblesse. Mais nous savions que nous étions vraiment impuissants, alors même si nous nous battions entre nous, nous vivions au coude à coude. »
Il y avait, bien sûr, ceux qui avaient le cœur tendre ou de meilleures dispositions sociales, mais tous étaient des enfants qui vivaient de déchets après avoir été trahis et abandonnés par quelqu’un. C’est pourquoi, malgré leurs différences individuelles, ils avaient tous une méfiance envers ceux de l’extérieur.
Il n’y avait pas eu beaucoup d’enfants qui étaient restés aux côtés de Zagan à cause de sa personnalité, mais Marc et Stella avaient quand même trouvé leur place dans sa vie. En y repensant maintenant, il avait peut-être vu un peu de ses frères et sœurs des ruelles dans la façon dont cette fille avait tremblé tout en lui parlant avec force.
Après avoir réfléchi un moment, Zagan reporta son attention sur Néphy et il déclara. « Alors, tu t’inquiètes vraiment de ce genre de choses. Hum, que je sois gentil avec les autres filles, je veux dire. »
« Hyah ? » Néphy réalisa enfin ce qu’elle disait. Elle était rouge du bout des oreilles jusqu’aux joues. « Umm, je suis désolée. Je ne voulais pas… »
« Ce n’est pas mal du tout. J’aimerais que tu fasses ça de temps en temps. Umm, être jalouse, je veux dire… »
Néphy s’était couvert le visage, incapable d’en supporter davantage.
« Maître Zagan, tu es une brute…, » marmonna-t-elle. Mais malgré cela, elle jeta un coup d’œil entre les interstices de ses doigts et poursuivit timidement leur conversation. « Je viens juste d’y penser, mais peut-être l’as-tu déjà rencontrée. »
Zagan leva les yeux au ciel en réfléchissant à sa déclaration.
« … Est-ce à propos de mon père ? »
Le héros de Liucaon, le Roi aux yeux d’argent, était apparemment le père de Zagan. Il aurait pu rencontrer cette fille, puisqu’elle était née dans ce pays.
« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai simplement vécu dans les ordures de la rue, donc je n’ai pas moi-même de tels souvenirs… »
« Je vois… Je ne savais même pas ce qu’était une mère quand j’ai rencontré la mienne… »
« Oui. Même si j’avais rencontré mon père une fois, je ne pense pas que je le reconnaîtrais, » dit Zagan en hochant la tête.
Le ciel s’était soudain assombri, comme pour leur dire d’arrêter de se remémorer leur vie difficile, et des gouttes d’eau étaient tombées sur leur visage.
« … Hrm ? La pluie ? »
« Oh non, le linge —, » Néphy se redressa précipitamment, puis elle reprit ses esprits. « Oh, c’est vrai. C’est un rêve. »