Le Dilemme d’un Archidémon – Tome 11 – Chapitre 2

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Chapitre 2 : Le mal d’amour d’une fille est une calamité pour laquelle même un Archidémon ferait de l’hyperventilation

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Chapitre 2 : Le mal d’amour d’une fille est une calamité pour laquelle même un Archidémon ferait de l’hyperventilation

Partie 1

« Dans ce cas, j’hériterai du nom du Roi aux yeux d’argent, » déclara sans hésiter le garçon aux yeux d’argent.

Je ne pouvais pas le comprendre. Non, je ne pouvais pas le croire. Après avoir dit cela, il m’avait serrée dans ses bras avec une expression désolée.

« … À partir de maintenant, je suis sûr que tu vas traverser de nombreuses expériences douloureuses et amères durant le temps que tu passeras dans ce monde, Ashy. Et malheureusement, je ne pourrai pas rester à tes côtés dans ces moments-là. Alors… »

Le garçon sera mort avant moi. Il était possible pour lui de rejeter son humanité et de vivre éternellement comme un mort-vivant, mais il n’avait pas choisi cette voie. Même moi, je ne pouvais pas lui souhaiter une telle chose. Et bien que je comprenne cela, le garçon avait dit quelque chose de complètement inattendu. Je lui avais répondu d’une voix tremblante, lui demandant s’il comprenait vraiment le sens de ce qu’il disait.

« Hmm… C’est pourquoi je vais devenir le Roi aux yeux d’argent. Je n’ai pas besoin d’un nom sur ma pierre tombale. Tant que le monde parlera du Roi aux yeux d’argent, je serai là avec vous tous. C’est après tout la seule et unique chose que je peux laisser derrière moi pour vous. »

Ce garçon était un héros qui avait sauvé le monde. Même si c’était peu de temps comparé à moi, il aurait pu passer le reste de sa vie à se prélasser dans la gloire de ses accomplissements. Et pourtant, il avait dit qu’il voulait tout jeter et hériter du nom du Roi aux yeux d’argent.

« Préparons une histoire ensemble, Ashy. Une aventure dans laquelle tout le monde peut se plonger. Je veux dire, le Roi aux yeux d’argent est un héros de légende, non ? Oh, je sais ! Et si on chassait un méchant dragon ? Et puis, tu peux avoir le rôle de la princesse qui doit être sauvée. »

Le garçon parlait avec l’innocence d’un enfant. Je m’étais trouvée incapable de répondre tout de suite. Je savais que si j’essayais de dire quoi que ce soit, je ne serais plus capable de retenir mes larmes. C’est pourquoi j’avais fait de mon mieux pour sourire et lui dire qu’Orobas serait en colère s’il faisait d’un dragon le méchant.

« Oups. Fâcher Orobas, c’est un peu effrayant, hein ? OK, alors faisons d’Orobas mon compagnon qui a combattu à mes côtés. J’ai déjà combattu sur son dos, donc ce n’est pas vraiment un mensonge, non ? Quant au dragon maléfique… Oh, pourquoi pas Marbas ? »

Après cela, nous avions imaginé de nombreuses histoires. Nous étions tous deux encore jeunes, alors ce n’étaient que des histoires idiotes et banales. Néanmoins, ces histoires étaient imprégnées de nos vies.

« J’espère que tu pourras me pardonner de t’avoir tout mis sur le dos, » déclara le garçon quelque temps plus tard, en s’excusant jusqu’au bout.

J’avais secoué la tête, toujours aussi inchangée par le temps.

Je lui avais dit que j’avais reçu beaucoup d’amour.

Je lui avais dit qu’on m’avait laissé tellement de choses.

Et donc, je lui avais dit qu’il n’avait plus besoin de s’inquiéter.

Je ne savais pas si j’avais réussi à garder un sourire correct à ce moment-là. Mais malgré tout, le garçon avait touché ma joue et m’avait dit. « Prends soin de Zagan et de Lilith. »

Ce furent ses derniers mots.

◇◇◇

Alshiera s’était réveillée. Elle était à l’intérieur de la grotte sous le château de Zagan. C’était l’espace qu’elle avait emprunté pour entretenir ses chasseurs de séraphins et confectionner leurs munitions. Et comme elle monopolisait cet espace ces derniers temps, son propriétaire passait la plupart de son temps hors du château, au Palais de l’Archidémon.

« … Un autre rêve. »

Elle avait eu des rêves du passé assez souvent récemment. Alshiera toucha son abdomen. Il était encore humide d’un liquide sombre. La mort l’envahissait. Cependant, elle ne ressentait aucune peur. Au contraire, elle se rappelait simplement de nombreux souvenirs nostalgiques. Elle avait continué à exister dans ce monde en tant que morte-vivante pendant un millier d’années. Ainsi, dans un sens, le temps qu’elle avait passé dans ce monde ressemblait à une lanterne qui tournait très lentement.

« Si tu vis, tu vas sûrement… »

Il était aussi l’une des personnes qui avaient dit une telle chose à Alshiera. Et elle avait répondu à une telle demande avec une honnêteté insensée en « vivant » pendant mille ans. Il était temps pour elle de se reposer. Cependant… Alshiera avait fait un sourire doux-amer.

« Je suppose que ce n’était pas si mal. »

Pendant ces mille ans, Alshiera n’était en aucun cas seule. Elle gloussait en se remémorant son passé.

« Oui, tu as raison. Il en va de même pour toi, n’est-ce pas ? Azazel. »

J’ai aussi réussi à rencontrer cette fille une fois de plus… Alshiera réalisa qu’elle n’était pas du tout seule. Elle avait réussi à remplir sa promesse avec le Roi aux yeux d’argent. Elle avait choisi un endroit pour mourir. Tout ce qui restait à faire était de se préparer et de passer le temps qui lui restait à loisir.

Lors des dernières heures de temps libre dont elle disposait au cours de ses mille ans de vie, elle n’avait vraiment rien à faire. Elle avait passé tellement de temps dans ce monde qu’elle avait fait tout ce à quoi elle pouvait penser. Il ne lui restait plus qu’à s’asseoir dans le coin d’une pièce et à regarder distraitement sa famille s’amuser.

Peut-être que c’est tout ce qu’il y a dans les dernières années de la vie humaine…

Bien qu’elle ait toujours l’air d’une enfant, malheureusement.

Deux chasseurs de séraphins et des douilles vides reposaient sur la table en face d’elle. Les balles pour ces chasseurs de séraphins avaient été spécialement fabriquées. Alshiera était la seule capable de les créer. Et au maximum, elle pouvait en fabriquer dix par jour. Donc, en un mois, elle pouvait peut-être fabriquer un peu plus de 300 balles. Cependant, elle ne pouvait pas passer tous les jours assis là à fabriquer des munitions.

Ce jour-là, pendant Alshiere Imera, elle avait épuisé le peu de munitions qui restaient à Stern et Mond. Depuis, elle avait fabriqué des balles à partir de rien, ce qui lui avait permis de créer plus de mille balles.

Même lorsque son corps ne pourrait plus se maintenir, ces Chasseurs de séraphins resteraient derrière. Si quelqu’un les prenait en main, ils seraient sûrement utiles à Zagan.

« Juste un millier de tirs…, » marmonna Alshiera avec un soupir.

Combien de temps durerait une si petite réserve de balles dans la lutte contre Azazel ? Actuellement, Alshiera était celle qui possédait le plus de pouvoir au monde. Elle était tout à fait capable de massacrer les treize Archidémons, même dans son état de faiblesse. Et pourtant, ce n’était pas suffisant.

Elle ne pouvait que gagner un peu plus de temps. Même si elle n’arrêtait pas de dire que c’était son combat, elle n’avait pas d’autre choix que de le confier à Zagan en fin de compte. Peut-être était-ce simplement la limite de ce qu’une personne pouvait faire par elle-même.

De toute façon, Alshiera était la lie d’il y a mille ans, un mirage. Seuls ceux qui vivaient vraiment l’instant présent pouvaient faire le choix nécessaire, pas elle.

C’est terriblement irresponsable de ma part de ne rien leur dire malgré ça…

Alshiera laissa échapper un autre gloussement.

« Oui, oui, je sais. C’est comme tu le dis, Azazel. Mais c’est inévitable maintenant qu’Orobas est parti. »

À ce moment-là, des bruits de pas résonnèrent dans la grotte, alors que quelqu’un descendait l’escalier. Peu de temps après, une petite fille était apparue devant elle.

« Bienvenue à la maison, Alshiera. »

« Je suis rentrée, Foll. »

La relation d’Alshiera avec cette fille était plutôt compliquée. Lors de leur première rencontre, Foll l’avait méprisée. Pourtant, elle était la fille du bienfaiteur d’Alshiera, Orobas, ainsi que la fille adoptive du fils du Roi aux yeux d’argent, Zagan…

Ce sont tous des faits, mais il était difficile de dire qu’ils étaient suffisants pour décrire leur relation. Cependant, si elle devait choisir un seul mot pour la décrire…

Je suppose que ça fait de nous… des amies ?

Elle n’aurait jamais pensé qu’elle gagnerait une telle chose à son âge avancé. La vie est vraiment pleine de surprises.

« Tu es de retour tôt aujourd’hui. S’est-il passé quelque chose ? » demanda Foll.

C’était tard dans la nuit, à l’heure où l’on préparait le dîner. C’était aussi précisément l’heure à laquelle Néphy allait accueillir Zagan à son retour du Palais de l’Archidémon.

Et pourtant, elle est ici pour me voir, pas pour voir le Roi aux yeux d’argent. Ça doit vouloir dire qu’elle a quelque chose à dire qu’elle ne veut pas qu’ils entendent.

Normalement, Foll aurait dû être dehors à embrasser son père à cette heure. Mais ce jour-là, Alshiera était rentrée au château plus tôt que d’habitude. Elle rentrait souvent tard dans la nuit, puisqu’elle passait toute la journée à traîner autour de l’Église, mais pas cette fois.

Alshiera haussa les épaules et répondit. « J’ai poussé là où ça fait le plus mal en parlant à cette fille, alors je suis revenue en courant jusqu’ici. »

Foll hocha la tête comme si elle scrutait le véritable sens de ses paroles, puis conclut d’un ton ferme : « Veux-tu dire Nephteros ? »

« Teehee. Je me le demande… »

Ce n’était pas quelque chose qu’elle devait cacher, mais c’était devenu une habitude pour elle d’éluder les questions. Foll s’était probablement habituée à cette facette de la personnalité d’Alshiera. La petite fille apporta une chaise et elle assit à côté d’Alshiera.

« J’ai entendu le nom de mon père, » dit Foll.

« Oh, mon dieu, est-ce que ça a glissé de ma bouche ? » demanda Alshiera en mettant sa main sur ses lèvres. Bien que cela n’ait pas d’importance maintenant qu’elle avait été entendue. « En effet. Je me sentais juste un peu nostalgique. »

« Je veux que tu me parles de mon père. »

Même si elle appelait Zagan son père, Orobas était toujours le précieux père de Foll. Il était naturel pour elle de vouloir en savoir plus sur lui après avoir entendu son nom sortir des lèvres d’Alshiera, vu qu’elle connaissait le dragon sage.

« Je n’ai pas d’histoires aussi intéressantes que celles que vous espérez, sachez-le. »

« Je veux toujours les entendre. »

Foll était une fille très têtue.

Eh bien, je peux comprendre le désir du Roi aux yeux d’argent de répondre à une telle obstination… C’est pourquoi Alshiera avait décidé de répondre d’une manière inoffensive.

« Voyons voir… Chaque survivant d’il y a mille ans avait son propre rôle à remplir. »

« Est-ce à propos du fait que tu es une sorte de gardien ? »

« … Oh là, là. »

Elle n’était pas sûre que Foll ait compris toute seule ou que Zagan ait vu clair en elle. Alshiera ne croyait pas qu’elle l’avait laissé échapper par hasard, mais…

***

Partie 2

De toute façon, ils étaient sûrs d’arriver à la réponse tôt ou tard… Cela dit, ce n’était rien de plus que le passé pour Alshiera et Orobas. L’important était de savoir ce qu’ils choisiraient de faire une fois qu’ils auraient découvert la réponse.

Alshiera hocha légèrement la tête avant de poursuivre en disant. « Précisément. Je suis, pour ainsi dire, un gardien. Les mots que je prononce sont des contes de fées. Je suis un spectateur qui ne se mêle pas au monde actuel. »

Elle n’était même pas une actrice. Elle n’avait pas le droit de monter sur une grande scène. Bon, pour une spectatrice, elle avait l’impression de s’être impliquée assez fortement, mais cela restait dans les limites du permis. Pour le moins, elle n’avait rien fait pour orienter les actions de Zagan ou des personnes qui l’entouraient.

Après avoir réfléchi un moment, Alshiera était revenue à la question initiale de Foll et elle déclara. « Le rôle d’Orobas était celui d’un évangéliste. C’est lui qui était censé parler de ce qui s’est passé il y a mille ans. »

Mais il avait fini par mourir dans la bataille l’année dernière.

Nous ne pouvions pas nous permettre de gaspiller toute la puissance restante dans cette bataille… C’est pourquoi Marchosias, dont la puissance était déjà en déclin, et les Archanges qui avaient déjà dépassé l’âge d’or, étaient les seuls à participer. Les autres Archidémons et les jeunes Archanges qui avaient encore de la place pour se développer devaient être préservés.

Le Dragon Sage prit des mesures pour combler le manque de pouvoir, mais même lui ne put survivre au conflit. Avec la perte d’Orobas, il était incroyablement difficile pour les gens de cet âge de démêler la vérité sur ce qui s’était passé il y a mille ans. C’est pourquoi Alshiera devait répondre à contrecœur.

Foll leva les yeux vers Alshiera, qui faisait une expression de trouble, et elle lui demanda. « Alshiera. Es-tu… en colère contre mon père ? »

« Moi ? Pourquoi le serais-je… ? »

« Je veux dire, il était censé t’aider, non ? »

Alshiera commença à brosser la tête de la jeune fille plutôt innocente.

« Oh, je ne sais pas. Honnêtement, il m’a aidée plus que nécessaire au cours de ces mille ans. C’était vraiment un homme splendide. »

Si elle avait un regret, c’était de ne pas pouvoir lui rendre la pareille.

« Puis-je te demander… ce qu’était mon père pour toi ? »

C’était une question assez soudaine.

« C’est un peu difficile à expliquer… mais je suppose qu’il était un peu comme mon tuteur ? »

« Tuteur ? »

« Oui. À l’époque, il y avait beaucoup d’enfants sans parents vivants. Et il y avait tout autant d’enfants qui se battaient pour le plaisir d’une petite vengeance. Orobas était un professeur qui nous a montré à tous la bonne façon de se battre. C’était un parent qui nous a appris les moyens de survivre. »

« Oooh. Quoi d’autre ? » Foll poussa un soupir d’admiration et se pencha en avant, les yeux brillants.

« Eh bien, pour dire les choses simplement, il était strict. Quand je me battais comme si j’essayais de mourir, il se mettait en colère contre moi. Il n’avait pas l’intention de m’apprendre à me suicider, donc avec le recul, c’était parfaitement raisonnable. »

« Je ne peux même pas l’imaginer se mettre en colère. »

Peut-être qu’Orobas n’était rien de plus qu’un parent taciturne devant Foll.

« C’est vrai ? Dans mes souvenirs, il rugissait souvent d’une voix si forte que j’avais l’impression que mon cœur allait s’arrêter. Bien que, de nos jours, mon cœur se soit vraiment arrêté. »

C’était une blague cynique de vampire, mais Foll n’avait même pas gloussé. Peut-être qu’elle avait trouvé ça difficile à comprendre.

« C’était vraiment un grand inquiet bruyant. Je croyais sincèrement qu’il me détestait. Mais… »

« S’est-il passé quelque chose ? »

Voyant que Foll était si impatiente d’en savoir plus, Alshiera répondit d’un ton réticent. « … Lorsque je n’ai pas réussi à sauver un ami précieux, j’étais complètement perdue, car je ne savais même pas comment pleurer. Il s’est tenu à mes côtés et m’a dit que c’était bon maintenant, puisqu’il était là avec moi. Il a dit que c’était bon maintenant, alors je pouvais aller de l’avant et pleurer. Et puis, il m’a doucement effleuré la tête. »

Tout le monde vénérait Orobas comme le grand Dragon Sage. Mais pour Alshiera, il n’était rien d’autre qu’un vieil homme grincheux et gentil. À l’époque, elle n’aurait jamais imaginé qu’elle serait réconfortée par sa fille de la même manière mille ans plus tard.

« … Tout va bien. C’est bon maintenant. »

Deux mois s’étaient écoulés depuis que Foll l’avait enlacée en disant cela.

Alshiera esquissa un sourire et poursuivit. « Je suppose que ce n’est pas vraiment une histoire. »

« Ce n’est pas vrai. Je suis heureuse d’en savoir plus sur mon père. »

« … Tu es vraiment une bonne fille, » répondit Alshiera, en lui caressant la tête une fois de plus.

« Dans quel genre d’endroit as-tu vécu avec mon père ? » demanda timidement Foll.

« Oh, mon Dieu, vous n’êtes pas au courant ? »

Maintenant qu’Alshiera y pense, personne ne lui avait jamais posé la question, mais elle se disait que quelqu’un aurait déjà compris. Foll hocha la tête tandis qu’Alshiera la regardait comme si c’était quelque peu inattendu.

« Le Palais de l’Archidémon. Nous y avons vécu avec Marchosias il y a mille ans. »

Ce n’était rien de plus qu’une grotte au départ, mais ils avaient fait descendre des bâtiments de la surface pour la rendre habitable. Après tout, être sous terre était pratique pour se cacher des séraphins. C’était l’origine du Palais de l’Archidémon.

La chaise s’était brisée lorsque Foll s’était levée… ou plutôt, elle avait sauté sur ses pieds.

« Je veux aller le voir. »

« En ce moment ? C’est l’heure du dîner. »

« Mrrgh… »

Foll était l’une des aides qui préparaient les repas dans le château de Zagan. Alshiera était également responsable des tâches ménagères, elle pouvait donc au moins la remplacer, mais il était hors de question qu’elles partent toutes les deux à un tel moment.

Foll baissa les épaules d’un air abattu, l’air franchement déprimé.

« Et si nous y allions après le dîner ? » suggéra Alshiera avec un sourire.

« Je ne peux pas rester debout tard le soir. Zagan va se mettre en colère, » répondit Foll. Elle était une fille étrangement sérieuse lorsqu’il s’agissait de ces questions… bien qu’elle soit sorcière.

« Alors nous pouvons y aller demain. »

« Mmm ! »

« Est-ce tout ce que vous vouliez demander ? » demanda Alshiera avec un charmant sourire.

« Hein ? »

« N’avez-vous pas quelque chose à demander que vous vouliez cacher au Roi aux yeux d’argent et à Dame Néphy ? »

Foll avait probablement oublié après avoir entendu parler d’Orobas. Et donc, Alshiera avait décidé de lui offrir un gros cadeau, vu qu’elle était une si bonne fille. Cependant, elle l’avait regretté profondément l’instant d’après.

« … Oui, » dit Foll, se grattant la joue avec embarras avant de prendre la parole avec une expression très sérieuse sur le visage. « Je veux entendre parler de ta vie amoureuse. »

Ainsi, les nouvelles épreuves d’Alshiera avaient commencé.

◇◇◇

« Hnnngh ! C’était quoi cette accumulation explosive de puissance de l’amour !? »

Une sorcière fomorienne aux cornes tordues commença à faire du bruit. Kuroka et Shax se trouvaient actuellement dans la ville minière d’Orycheio, située à environ une journée de calèche à l’ouest de Kianoides. Elle était officiellement sous l’influence de l’Église, mais l’exploitation minière était plus rapide avec de la sorcellerie.

En conséquence, une ville remarquable était née où les sorciers et l’Église travaillaient ensemble. La grande majorité des mineurs étaient, en effet, des sorciers. Non seulement cela, mais il y avait aussi des magasins destinés aux sorciers, remplis de drogues, de golems, d’outils, et même de grimoires sans montrer un seul signe de tentative de dissimulation.

Après que Kuroka soit entrée dans un bar à l’aspect désolé dans cette ville minière, elle trouva la grand-mère troublée en train de crier et de faire des histoires à l’intérieur. En la voyant, Kuroka mit sa main sur son front, retenant un mal de tête.

« Hum, qu’est-ce que vous faites ici… ? » demanda-t-elle.

Gremory ne semblait pas l’entendre. La mamie était tombée à genoux d’un air découragé. Elle attirait beaucoup d’attention, alors Kuroka aurait aimé qu’elle arrête d’agir comme ça.

L’enchanteresse Gremory, contrairement à son comportement absurde, était la fidèle servante de l’Archidémon Zagan, placée à ses côtés comme sa main gauche. Elle avait normalement l’air d’une vieille mamie, mais actuellement, elle avait la forme d’une belle femme. Elle prenait cette forme quand elle était sérieuse, mais elle n’avait pas l’air sérieuse du tout.

Ne tenant pas compte du fait qu’elle dérangeait les autres clients en faisant du bruit au milieu du bar, Gremory se leva de manière instable. C’était comme si elle ne voyait pas du tout ce qui l’entourait, tant elle était consternée.

Lorsqu’elle était sous cette forme, elle était sans aucun doute d’une beauté extraordinaire — tant qu’elle gardait la bouche fermée — alors un sorcier à l’allure de hooligan, assis à une table voisine, tendit la main vers ses fesses.

« Gyah ! »

Le corps du pervers s’était effondré sur le sol avant que ses doigts ne puissent l’atteindre. C’était comme s’il avait été écrasé par une énorme main.

Est-ce la sorcellerie que Zagan a utilisée à l’époque contre cette chimère… ?

Zagan avait écrasé cette chimère grotesque que Bifrons avait envoyée en ville en faisant un léger geste de la main. Gremory avait reproduit cet exploit ici sans même faire le moindre geste. Elle avait simplement dirigé son regard vers l’homme.

Elle était un peu bizarre, mais c’était la crème de la crème en matière de sorcellerie. Même un non-sorcier comme Kuroka pouvait le dire facilement. Donc, n’importe quel sorcier serait capable de dire que cette mamie — enfin, cette belle femme — était bien au-delà de la norme.

« Ces cornes… Ce comportement foireux… Merde, c’est l’Enchanteresse Gremory. »

« Putain, qu’est-ce qu’elle fait là ? Son fief n’est-il pas à Kianoides ? »

« Ne faites pas de contact visuel. Vous ne savez pas ce qu’elle va vous faire ! »

« Nooon ! On va me prendre pour un pervers si on me voit si près d’elle ! »

Les clients environnants n’avaient pas vraiment montré d’admiration pour Gremory. C’était plutôt comme s’ils ne voulaient rien avoir à faire avec elle et prenaient leurs distances. La grand-mère déçue marmonnait toujours quelque chose pour elle-même.

« Ça vient de… Ce n’est pas possible… Le château de mon seigneur ? Ce pouvoir d’amour n’est pas le sien. La seule personne ici qui pourrait posséder un tel pouvoir d’amour… Ah ! Non ! Lady Alshiera !? »

« Lady Alshiera ? »

Kuroka avait réagi par inadvertance à la mention de ce nom. Sa voix semblait ramener Gremory à la raison. La grand-mère prit finalement un siège. Les autres clients de la table s’étaient alors enfuis en panique.

***

Partie 3

« Argh. Maintenant que j’y pense, cette fille est en fait un amas de fétiches. C’est impossible qu’elle n’ait pas d’histoires d’amour à elle ! J’aurais dû l’observer plus attentivement. Pourquoi est-ce que tout le monde bouillonne de pouvoir de l’amour alors que je ne suis pas là !? »

Elle n’avait pas du tout repris ses esprits. Kuroka laissa échapper un soupir.

Je me demande si M. Shax peut déjà revenir ici…

Kuroka et Shax étaient au milieu d’une enquête dans cette ville. Elle ne savait pas pourquoi cette mamie était venue. Kuroka obtenait des informations de l’Église, tandis que Shax obtenait des informations des sorciers. C’est pourquoi ils agissaient séparément l’un de l’autre.

Comme la situation dans le bar le laissait supposer, Orycheio était une ville où les sorciers pouvaient peser de tout leur poids. L’Église n’était rien de plus qu’une façade publique, il n’y avait donc pas beaucoup d’informations à glaner auprès d’eux. C’est pourquoi Kuroka avait déjà fini d’obtenir tout ce qu’elle pouvait.

Après être revenue au bar où ils avaient prévu de se retrouver, elle trouva cette mamie en train de faire des histoires. Elle ne voulait pas s’impliquer avec elle maintenant, alors Kuroka prit un siège au comptoir plus loin dans le bar.

« Je vais prendre un verre de lait, s’il vous plaît. »

« … Vous savez que c’est un bar, n’est-ce pas ? »

Apparemment, elle devait commander quelque chose d’alcoolisé.

Ce truc est si amer que je n’arriverai jamais à l’aimer… Elle ne connaissait même pas le nom des boissons. Le bar était essentiellement un point de rassemblement pour les ruffians, donc ils n’avaient rien qui ressemblait à un menu.

« Alors, donnez-moi quelque chose de facile à boire, » dit-elle sans autre choix.

Elle se demanda s’il y avait de l’alcool destiné aux débutants, mais le barman ne montra aucune hésitation lorsqu’il remplit une chope d’une sorte de liquide doré. La couleur ressemblait à de la bière, mais il n’y avait pas de bulles. Était-ce une sorte d’alcool distillé ? Kuroka ne possédait malheureusement pas les connaissances nécessaires pour le savoir à vue. Il avait ensuite sorti une grande cuillère et avait commencé à verser une bonne quantité de miel.

Je n’ai pas besoin d’autant de miel…

Elle voulait se plaindre d’être traitée comme une enfant, mais peut-être était-ce simplement le genre de boisson qu’il s’agissait. Kuroka décida de se taire et de laisser le barman mixer.

« … Voilà. Un vin de prune d’été. »

Kuroka approcha son visage de la chope qu’il avait posée devant elle. Elle prit une bouffée d’air et fut accueillie par un parfum particulier qui était à la fois doux et aigre.

Ah, j’ai l’impression d’avoir déjà senti cette odeur à la maison… peut-être ?

Elle ne pouvait pas identifier l’origine de cette odeur, mais elle avait de nombreux souvenirs d’avoir senti un tel arôme auparavant. C’était nostalgique, et les oreilles triangulaires au sommet de sa tête s’agitèrent. Elle ne savait rien de la qualité de l’alcool, mais elle aimait cette odeur. Et juste au moment où elle porta la chope à ses lèvres pour en goûter…

« Du brandy pour moi ! »

La crise de Gremory était apparemment terminée. Elle s’était assise à côté de Kuroka sans la moindre retenue.

« … Hum, avez-vous besoin de me demander quelque chose ? » Kuroka demanda cela.

« Keehee, quelle question stupide ! Il n’y a qu’une seule raison possible pour que je vienne ici, n’est-ce pas ? »

« De harcèlement ? »

« La mission de mon roi… »

Kuroka était quelque peu déconcertée par sa réponse étonnamment correcte.

Dans ce cas, vous devriez agir un peu plus sérieusement… Elle voyait cette femme de temps en temps au château de Zagan, mais Kuroka n’arrivait pas à s’y habituer. Chaque fois qu’elles se rencontraient, la mamie disait quelque chose ou autre sur le pouvoir de l’amour et faisait des histoires, comme elle l’avait fait il y a quelques instants. Il serait déraisonnable de demander à Kuroka de s’entendre avec elle.

Gremory lui fit un profond signe de tête. « Eh bien, je ne nie pas qu’un de mes objectifs soit exactement comme vous le dites ! »

« Pouvez-vous le nier ? »

Kuroka avait attendu qu’une chope soit posée devant Gremory avant de passer aux choses sérieuses.

« Alors, de quoi avez-vous besoin ? Monsieur Shax est toujours en ville si vous avez besoin de lui. »

« C’est ça. Sérieusement. Je pensais que cet homme avait du potentiel, mais il a laissé une chose aussi horrible se produire. Laisser une dame toute seule dans une ville comme celle-ci, c’est comme demander qu’elle soit enlevée, vous ne trouvez pas ? »

« C’est… ! » Kuroka haussa soudainement la voix d’un ton rude à cette déclaration inattendue. « Parce que… J’ai dit qu’il serait plus efficace de se séparer et de travailler séparément… »

« Quand bien même. Peu importe vos compétences, vous êtes une espèce rare dans une ville de sorciers. »

« Ah… »

Un sorcier n’accorderait même pas un regard à un tabaxi, mais Kuroka était une espèce rare appelée cait sith. Non seulement ça, mais elle était aussi une quatre-oreilles. Elle avait la protection de l’Église et de l’Archidémon Zagan, mais cela ne changeait rien au fait qu’elle était dans une position précaire.

Elle est peut-être venue pour me protéger ?

Le comportement excentrique de Gremory faisait en effet fuir tous ceux qui tentaient d’approcher Kuroka. Si cette mamie s’inquiétait réellement pour elle, alors elle ne pouvait pas se plaindre de ses bizarreries.

« J’admets que mon jugement était plutôt imprudent, mais ce n’est pas la faute de Monsieur Shax, » dit timidement Kuroka.

« Hmph. C’est ce que je me demande, » répondit Gremory en plissant les yeux d’irritation tout en fixant Kuroka. « Alors, essayez de me dire ce qu’il a fait durant ces trois derniers jours. »

« Il m’a un peu aidé. En venant ici, il a entre autres caché mes queues en utilisant sa robe. Et quand je tremblais de froid la nuit, il m’a donné son manteau. Et aussi… »

« Hm ! Hmmm ! Et ! ? Et ! ? »

Les yeux de Gremory brillaient d’un feu ardent tandis que du sang s’écoulait de son nez.

« Hum… »

« Hrm !? Oh là, là. Il semble que trop de pouvoir d’amour se soit accumulé ici. Pas besoin de s’inquiéter pour moi. Continuez à me parler de votre amour… Je veux dire, dites-m’en plus sur ce qu’il a fait ! »

« … »

 

 

Il semblerait qu’elle ait été bien menée en bateau. Kuroka lança un regard noir à Gremory. Mais la vieille mamie n’avait pas tenu compte de ses critiques et elle rapprocha son visage encore plus près.

« Alors ? Il vous a prêté son manteau ? Dites-moi en plus à ce sujet. »

« Il vient de me le prêter ! Il n’y avait rien de fâcheux… »

« Nay ! C’est important ! Se promène-t-il avec une cape de rechange ? Non ! Il n’en a pas ! Cela signifie qu’il vous a prêté la cape qu’il portait ! »

« Qu’est-ce qui ne va pas avec ça ? C’était un peu sale, mais ce n’était pas ça… »

« Hnnnngh ! Il l’a porté ! Je veux en savoir plus sur la façon dont vous avez agité les manches longues en disant “Hm, Monsieur Shax, c’est un peu grand”, ou “Ça sent comme vous”, et comment il a réagi ! »

« Pourquoi vous savez ça ? Vous regardiez !? » Kuroka hurla en se levant d’un bond.

Gremory était juste en train de faire des spéculations. Kuroka s’était alors soudainement rendu compte qu’elle attirait l’attention des autres clients en criant de la sorte. Ses joues avaient rougi alors que Gremory se rapprochait pour donner le coup de grâce.

« Hmm ? Alors, vous avez vraiment dit ça ? »

« Ahhhhhh ! »

Incapable d’en supporter davantage, Kuroka s’était effondrée, face contre le bar.

« Hum, ne vous méprenez pas. Je ne me moque pas de vous. Je voulais simplement donner des conseils sur le fait qu’une telle approche est un moyen valable d’accumuler intelligemment du pouvoir de l’amour qui fonctionnera même sur un crétin comme lui… »

Arrêtez ! N’agissez pas gentiment tout d’un coup !

Kuroka avait envie de pleurer en tremblant sur le bar lorsque la main de Gremory s’était posée sur son épaule.

« Laissez-moi juste dire ceci… Belle puissance de l’amour. Vous êtes magnifique. »

Je déteste vraiment les sorciers !

Alors même qu’elle maudissait Gremory dans son esprit, Kuroka n’avait plus d’énergie pour parler à voix haute. Juste à ce moment-là, Shax était finalement revenu. Il était grand et longiligne, mais la façon dont il se courbait le faisait paraître étrangement petit. Ses cheveux brun-roux étaient négligés et il avait une barbe assez importante, ce qui donnait à ce jeune homme une apparence peu attrayante.

« … Hé, c’est quoi toute cette agitation ? »

Kuroka n’avait pas eu l’énergie de lui répondre et était restée étalée sur le comptoir.

« Ce n’est rien, » répondit Gremory d’un air optimiste. « Je lui ai simplement demandé quels étaient vos progrès ces derniers jours. C’était vraiment un délice, c’est à peu près tout ce que j’ai à dire sur le sujet. »

« Essaie de ne pas trop t’en prendre à Kuroka, Gremory. Même si elle a une épée sur elle, elle reste une fille normale, tu sais ? »

« Hrk... Argh, » Kuroka gémit alors qu’un coup terrible frappait son cœur.

Alors s’il te plaît, essaie de me traiter comme une fille plus régulièrement… Mais, hein ? Je suppose qu’il me traitait comme une fille quand il m’a prêté son manteau, non ? Hein ?

Kuroka venait juste de le remarquer et elle sentit son visage devenir rouge vif. Elle était contente qu’il soit caché contre le bar.

« Ooh... Dame Kuroka, vos oreilles sont rouge vif. Est-ce que vous allez bien ? » demanda Gremory.

Elle n’allait pas du tout bien.

« Restons-en là…, » ajouta Shax. « Alors ? Qu’est-ce que tu fais ici ? C’est un peu extravagant pour un rapport normal. »

Exactement. Malgré son comportement, cette grand-mère était toujours la main gauche de l’Archidémon. Il fallait que ce soit une grosse affaire pour qu’elle agisse personnellement. Et pourtant, Gremory souriait comme si ce n’était pas le cas.

« C’est simple. Trois jours se sont écoulés depuis que vous êtes partis tous les deux. Mon souverain a supposé qu’il était temps pour vous de trouver quelque chose et d’avoir besoin d’aide, alors il m’a ordonné de venir. »

Kuroka et Shax étaient en train de traquer Shere Khan et Bifrons. Il leur avait fallu une journée entière pour arriver ici, si bien que leur enquête proprement dite durait depuis deux jours maintenant. Ce n’était pas beaucoup de temps, mais comme ils agissaient sous les ordres de l’alliance entre Chastille et Zagan, ils avaient réussi à recueillir des informations beaucoup plus rapidement que prévu. Orycheio étant une ville bâtie sur la collusion entre l’Église et les sorciers, c’était un facteur majeur derrière cela. Ils étaient capables de collecter de manière exhaustive des informations des deux côtés.

« … Notre patron est aussi terrifiant que d’habitude, hein ? » dit Shax en ébouriffant ses cheveux avec un soupir.

« Keehee, il vous estime beaucoup. Et si vous l’acceptiez avec gratitude ? »

« Aah, par terrifiant, je veux dire qu’il comprend parfaitement notre situation même s’il ne regarde pas. Pourquoi penses-tu qu’il t’a envoyé au lieu de ton pote Kimaris ? »

Gremory le regarda avec curiosité et répondit. « Vous avez raison. Kimaris aurait certainement été plus rapide en tant que messager. »

***

Partie 4

Kuroka commençait également à comprendre où Shax voulait en venir et s’était joint à la conversation en disant. « … Il était préférable de cacher nos identités jusqu’à ce que nous saisissions la piste. Mais les sorciers que l’on aiguillonne alors qu’ils pensent n’avoir rien fait de mal vont sûrement bientôt essayer de se débarrasser des étrangers. »

Lorsqu’elle travaillait pour le côté obscur de l’Église, elle avait utilisé une méthode similaire pour attirer ses cibles. En entendant cela, Shax avait effleuré la tête de Kuroka comme pour la féliciter. Sa main était grande et chaude, mais ses doigts étaient rugueux. Elle ne pouvait pas vraiment décrire ce qu’elle ressentait. C’était un peu comme si son agitation commençait à se calmer, un peu comme un chat que l’on bichonne.

« Auquel cas, le messager qui entrera en contact avec nous devra se démarquer autant que possible. L’Enchanteresse est connue pour être le serviteur de confiance de Zagan, et quiconque est assez bête pour ne pas le savoir et qui cherche la bagarre ne sera pas une gêne, » conclut Shax.

Cette mamie était en fait en train de faire des histoires avant même d’entrer en contact avec Kuroka. En d’autres termes, le fait que Kuroka coopérait avec quelqu’un directement lié à Zagan était mis sous les yeux de tous. Aucun sorcier dépensant son argent de poche dans un endroit comme celui-ci ne risquerait la colère de Zagan en l’attaquant.

Et pourtant, Gremory laissa échapper un soupir étonné. « Comment pouvez-vous être à la fois si vif et si bête ? »

« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? »

Tout en grommelant, Shax écarta Gremory et il s’assit entre elle et Kuroka. Il servait de mur pendant que Kuroka récupérait. Il prit ensuite la chope qui était posée devant elle.

« Aussi, ne lui fais pas boire ce truc. C’est trop tôt pour elle. »

« … Mrgh. »

Elle était traitée comme une enfant une fois de plus. Kuroka laissa échapper un gémissement dans une démonstration minimale de critique, mais cela ne semblait pas l’atteindre. Il était resté assis là avec un regard curieux.

Il était temps que les autres clients se lassent d’observer leur groupe. Le tumulte du bar était revenu à la normale. Voyant cela, Shax était allé droit au but.

« Si on ne peut pas suivre le mana, suivons la piste des marchandises. Le patron a vu juste. Quelqu’un a acheté une sélection de produits magiques en grande quantité au cours des trois derniers mois. »

Kuroka et Shax cherchaient à retrouver la trace de deux Archidémons. Il était apparemment impossible de les retrouver en utilisant la sorcellerie, d’autant plus que Bifrons avait déjà vécu quelque chose de terrible après avoir été tracé, donc il y avait encore plus de contre-mesures en place que d’habitude. C’est ainsi que l’impasse avait été maintenue pendant plusieurs mois. Zagan avait donc décidé de les traquer en utilisant d’autres moyens que la sorcellerie.

« La sorcellerie n’est pas capable de créer quelque chose à partir de rien. »

Bifrons et Shere Khan avaient dû stocker des catalyseurs et des outils destinés à une sorcellerie digne de deux Archidémons. Selon les circonstances, ils pouvaient même disposer d’installations de fabrication. Auquel cas, cela s’apparentait à un siège de plusieurs années. Cependant, bien que cela soit quelque peu contradictoire, il semblerait qu’ils ne pouvaient pas opérer pendant plusieurs mois continus sans contacter le monde extérieur.

La sorcellerie simple comme le renforcement physique et les attaques par conjuration pouvait être construite en utilisant uniquement du mana, mais la création de chimères et d’homoncules nécessitait des catalyseurs et des drogues. Le raffinage de ces produits à ses propres frais nécessitait non seulement une énorme quantité de mana, mais aussi des installations de la taille d’une ville. Le bon fonctionnement d’une telle opération nécessitait de la main-d’œuvre, et cette main d’œuvre avait également besoin de biens à préserver. Et ce, qu’il s’agisse de sorciers ou d’humains ordinaires. Tous les êtres vivants avaient besoin de nourriture et produisaient des déchets.

De plus, tous deux n’attendaient pas la fin de la tempête en retenant leur souffle. Ils se préparaient à agir… ou avaient déjà agi. Dans ce cas, ils étaient certainement ravitaillés de quelque part. C’est ce sur quoi Zagan se concentrait.

Et comme la conversation devenait sérieuse, Kuroka leva finalement les yeux. « Venant d’un Archidémon, c’est une idée terriblement éloignée des sorciers. »

« Aah, à propos de ça. Le patron a créé toute une entreprise juste pour acquérir ce tapioca, non ? C’est de là que lui vient l’idée. »

Quelle tête feraient Bifrons et Shere Khan s’ils apprenaient que leurs plans avaient été découverts à cause d’un désir de tapioca ? Même Kuroka avait ressenti un peu de sympathie pour eux.

« Il semble qu’ils achètent des marchandises de partout, mais tout est transporté en utilisant les routes de l’Église. Les petites expéditions seraient une chose, mais ils ne peuvent pas compter sur les routes commerciales publiques pour transporter autant de choses. »

C’était un peu le défaut des sorciers. Pour le meilleur ou pour le pire, ils avaient tendance à travailler dans un isolement complet. Il leur était donc difficile de nouer des relations de travail avec les autres. De plus, ils avaient tendance à cacher leur métier, ce qui ne leur permettait pas de travailler dans le domaine du commerce et de la négociation. Ainsi, la distribution de biens de première nécessité comme l’eau et la nourriture était dominée par l’Église. Même un Archidémon devait compter sur ces routes.

« Hmm. Qu’ont-ils obtenu ? » demanda Gremory, en plissant les yeux avec intérêt.

« Élixir. Il peut être utilisé comme médicament, mais son usage principal est le liquide de conservation pour les homoncules et autres. »

L’Élixir a été développé par un sorcier des temps anciens appelé Hohenheim. C’est lui qui avait créé le domaine de l’alchimie. On dit que les homoncules étaient aussi son invention. L’Église avait bien sûr enseigné aux autres qu’il était un démon sans cœur. Bizarrement, ils utilisaient encore son abominable drogue comme médicament.

La raison en était en fait plutôt ennuyeuse. Même la population connaissait les effets de l’élixir. Donc, peu importe combien l’Église essayait de restreindre sa distribution, la contrebande et la production illicite se répandaient… Non pas qu’il y ait une façon légale de le produire, puisqu’il devait être créé par des sorciers. Il était impossible de se débarrasser du flux de marchandises. C’est pourquoi ils avaient simplement décidé qu’il était préférable pour l’Église de le traiter comme une marchandise plutôt que d’essayer de gérer toute la contrebande.

« Un élixir ? Maintenant que vous le dites, il y avait ces homoncules ratés qui se promenaient pendant Alshiere Imera, » commenta Gremory.

La mère de Kuroka faisait partie de ces échecs.

J’ai décidé à l’époque que je continuerais à vivre avec le sourire. Malgré tout, l’image du dernier moment de sa mère ne disparaissait pas de son esprit. Kuroka avait inconsciemment serré ses bras lorsque Shax avait placé sa main sur la sienne sans rien dire… Elle avait l’impression de pouvoir se calmer un peu grâce à cela.

« L’élixir n’est pas une chose si rare que ça, » dit Gremory avec un gémissement. « Est-ce que le fait qu’ils l’achètent à plusieurs endroits signifie qu’ils ont prévu que nous essaierions de les traquer de cette manière ? »

« Pas nécessairement. Je pense que la raison principale est que personne n’a de stock assez important pour la quantité qu’ils veulent, » dit Shax alors que Gremory écarquillait les yeux.

« Ils en ont acheté autant ? »

« Oui. C’est suffisant pour qu’ils puissent fabriquer une dizaine de milliers d’homoncules s’ils en avaient envie. Eh bien, il serait assez difficile de préparer une installation pour en créer autant, même pour un Archidémon. »

« Dix mille ? »

Gremory était décontenancée. Cela dit, il n’était pas simple de créer et de manipuler dix mille homoncules. De plus, la production à une telle échelle était problématique, comme l’avait dit Shax. L’élixir était utilisé dans la création d’homoncules, mais il ne semblerait pas que ce soit leur but.

Shax joignit ses mains derrière sa tête et s’inclina dans son fauteuil. « Le patron a dit que Shere Khan a l’intention de se faire des ennemis d’encore plus d’Archidémons et de les combattre. Je ne pensais pas que ce serait le cas à l’époque, mais vu le nombre de choses qu’il rassemble, ça pourrait être vrai. »

Compte tenu de la situation actuelle de Shere Khan et de Bifrons, il était difficile de considérer cet approvisionnement massif de matériaux comme une sorte de distraction.

« Je ne pense pas qu’ils fabriquent des homoncules, mais je suis presque sûr qu’ils commencent à préparer une sorte d’armée, » ajouta Shax.

Un Archidémon qui lève une armée, c’est du jamais vu. Zagan était considéré comme anormal pour avoir quelques douzaines de subordonnés, donc il n’y avait aucun moyen pour l’Église de digérer l’idée d’un Archidémon rassemblant une armée de plusieurs milliers de personnes.

Gremory se mit à réfléchir pour rassembler toutes ces informations dans son esprit, puis dit. « Si c’est vrai, il se peut que Shere Khan et Bifrons ne soient pas les seuls à travailler ensemble. Ils ont besoin d’au moins un autre Archidémon avec suffisamment de mana pour utiliser… Oh, j’ai compris. »

Après avoir entendu cela, les trois avaient eu des maux de tête.

« C’est là qu’Andrealphus est intervenu, hein ? »

« J’en suis sûr. »

« Ce serait approprié de le croire. »

Un mois s’était écoulé depuis la disparition de l’Archidémon Andrealphus. Zagan en avait conclu qu’il avait été terrassé lorsqu’il était allé tuer Shere Khan.

Cet Archidémon terrifiant a perdu…

Kuroka elle-même avait vu Andrealphus exercer le pouvoir d’arrêter le temps et de libérer la véritable force de l’épée sacrée. La force qu’il dégageait était presque un crime. C’était la première fois qu’elle voyait Zagan affronter quelqu’un et finir par verser autant de sang. Qu’est-ce qui avait bien pu se passer pour que cet homme soit vaincu ?

Le silence s’abattit sur eux trois pendant un moment avant que Shax ne prenne la parole. « C’est comme ça, alors on devrait voir pour entraver la circulation des marchandises. »

« Rejeté. Votre mission est de trouver où se trouvent Shere Khan et Bifrons. »

« C’est ce que vous dites, mais on ne peut pas ignorer ça, non ? » ajouta Kuroka.

« N’est-ce pas pour cela que j’ai été envoyée ici ? » répondit Gremory avec étonnement.

« Oh. »

Jusqu’à quel point a-t-il anticipé cette situation… ?

Chaque fois que Zagan était au château… ou n’importe où dans Kianoides, il était toujours un homme agréable qui se souciait de Néphy. Mais il était vraiment terrifiant quand on en faisait un ennemi comme celui-ci.

Gremory se leva et dit. « Bon sang. Je pensais pouvoir rentrer au château avant la nuit, mais il semble que je vais avoir un peu de retard. »

Elle redressa ses épaules lorsque Kuroka la regarda d’un air maladroit et qu’elle marmonna. « … Hum, faites attention. »

« Keehee. Toi aussi, tu fais de ton mieux. J’attends d’entendre des histoires d’amour merveilleusement riches à mon retour. »

« Pensez-vous que quelque chose de ce genre va réellement se produire ? » répondit Kuroka d’une voix froide.

Même la grand-mère avait fait une expression grave à ce sujet avant de lancer un regard à Shax.

***

Partie 5

« Laissez-moi juste confirmer avant de partir. Comment gérez-vous vos chambres ici ? Je suis sûre que cela vous dépasse, mais partagez-vous une chambre avec Lady Kuroka ? »

« Laisse-moi tranquille. Le vieux Raphaël me tuerait si je le faisais. »

Le visage de Kuroka avait tressailli d’un coup.

Je comprends ça, mais « Laisse-moi tranquille », ça va trop loin, non ?

Il est vrai que son père adoptif, Raphaël, était un peu surprotecteur envers elle, mais on aurait dit qu’il détestait être aux côtés de Kuroka quand il le disait comme ça.

Gremory lui jeta un regard suspicieux. « Vraiment ? N’avez-vous pas prêté votre manteau à Lady Kuroka pour qu’elle puisse dormir ? »

« Euh, je veux dire, nous n’avons pas pu avoir d’auberge le premier jour, donc nous n’avions pas vraiment le choix, donc, eh bien… »

Et même s’il s’était effondré, Shax s’était ressaisi et avait dit. « Laisse-moi te dire ceci maintenant. Je ne suis pas tombé au point de porter la main sur une gamine comme Kuroka. »

Kuroka avait entendu quelque chose se briser dans sa tête.

« Mon Dieu ! Pourquoi me traites-tu toujours comme une enfant !? » cria Kuroka en frappant soudainement ses mains sur le comptoir et en se levant.

Elle n’allait pas le laisser dire qu’il n’avait pas du tout remarqué ses sentiments malgré sa gentillesse et sa protection. Même s’il l’avait à peine remarqué, cela ne faisait que dire des choses cruelles comme ça en prétendant qu’il ne le faisait pas. C’était impardonnable.

Elle n’avait pas vraiment envie de pleurer, mais les larmes avaient commencé à brouiller sa vision. Kuroka ressemblait à un désastre avant même qu’elle ne le sache. En voyant son visage comme ça, même Shax avait été surpris et avait perdu sa présence d’esprit.

« Attends. Tu te trompes. C’était juste une façon de parler… »

« V-Vous êtes un idiot ! Excusez-vous maintenant ! Je n’ai rien fait de mal ici, sachez-le ! » cria Gremory.

« Tu m’abandonnes !? »

Il avait rejeté comme une tumeur. Kuroka avait saisi violemment la chope que Shax lui avait prise. Une bonne quantité de liquide s’était répandue à cause de l’action trop brutale, mais elle s’en moquait.

« J’ai largement dépassé l’âge d’être traitée d’enfant ! Je peux aussi boire du vin ! »

« Ah, espèce d’idiote, c’est — ! »

« C’est mauvais ! »

Les deux sorciers inutiles avaient essayé de l’arrêter, mais Kuroka avait déjà les lèvres sur la chope. Environ la moitié de son contenu s’était renversé, et elle avait fini par tout engloutir d’un seul coup. Mais Kuroka avait oublié qu’elle était maudite par une terrible malchance.

Huh... ? Ça a un goût… bizarre…

C’était sucré à cause de la grande quantité de miel qu’il contenait. Mais la douceur différait de celle d’un bonbon. Le barman avait parlé de prunes, mais il n’y avait aucun goût de prune. Les adultes trouvaient-ils ce genre de choses savoureuses ? Elle ne pouvait pas vraiment dire quel goût ça avait, mais ce n’était pas si impressionnant.

« Tu vois… ? » La vision de Kuroka s’était déformée alors qu’elle essayait de parler. « Hwuh… ? »

Son esprit palpitait. Non, ce n’était pas seulement son esprit. Sa poitrine, son ventre, son corps tout entier était chaud. Ne pouvant plus se tenir debout, elle s’affaissa sur le sol tandis que Shax soutenait son dos en panique.

« Huuuh !? »

Au moment où il la toucha, un frisson avait parcouru son échine… Ou peut-être que « frisson » n’était pas la bonne expression. C’était intense. Comme un éclair. Et ça la démangeait un peu. Ça lui avait donné envie d’en avoir plus. C’était la première fois qu’elle ressentait ce genre de sensation.

« Qu’est-ce que tu fais ? Vomis-le ! »

« Pour quoi je… Mya... »

Kuroka n’était pas capable de vomir sur commande. Elle essaya de se plaindre, mais ses mots étaient sortis tout empêtrés.

Gremory se gratta la tête en ramassant la chope. « Quelle gaffe ! J’aurais dû l’avoir avant elle. »

« Non, ce n’est pas ta faute. J’aurais dû le lui expliquer correctement. »

Elle était à nouveau traitée comme une enfant, mais elle ne pouvait pas objecter après avoir fini comme ça. Elle était vraiment une enfant pour avoir été réduite à un tel état après une seule gorgée de vin. Et pourtant, les prochains mots de Shax étaient quelque peu différents de ce qu’elle attendait.

« Si tu veux essayer du vin, je t’apprendrai la prochaine fois. Mais ce truc est mauvais. »

« Mya... ? »

« Le vin de prune d’été est fait de vigne argentée. »

Kuroka n’avait pas compris ce qu’il disait.

Vin… argenté… ?

Kuroka savait au moins que c’était quelque chose que les chats aimaient. Il y avait de nombreuses façons de la préparer, comme l’essorer pour en faire une poudre ou la consommer telle quelle. Il était dit que les chats s’intoxiquaient au contact de cette substance. Les tabaxis et les cait siths n’étaient pas une exception. Maintenant qu’elle y pense, ils cultivaient cette plante dans sa ville natale. Mais c’était considéré comme un plaisir pour les adultes, donc les enfants n’avaient pas le droit de s’approcher des plantations de vigne argentée. Pour cette raison, elle n’en avait jamais eu.

« Uuh… Haaah… Haaah... »

La voix qui s’échappait de ses lèvres était si étrangement coquette que Kuroka n’arrivait pas à croire que c’était la sienne. Elle avait même du mal à s’asseoir maintenant, alors tout ce qu’elle pouvait faire était de s’accrocher à Shax. Son cœur battait comme un marteau. Chaque respiration brutale qu’elle prenait lui envoyait un picotement dans la tête.

Mais le plus gros problème était ses sous-vêtements. Elle ne pensait pas s’être mouillée, mais elle avait l’impression de ne plus pouvoir se tenir debout. Était-ce vraiment ce qu’ils appelaient une intoxication ? Elle leva les yeux, les larmes brouillant encore sa vision. Dans un virage inhabituel, elle pouvait voir Shax rouge vif et chancelant.

« U-U-U-Uh, c-c-c-calme-toi, Kurosuke. »

Et ne pouvant rester sans rien faire, Gremory s’avança et déclara. « Haaah... Vous devez garder votre bouche fermée. Écoutez-moi, Dame Kuroka. Calmez-vous et écoutez. »

Sur ce, elle approcha son visage de l’oreille humaine de Kuroka et chuchota. « Le vin de prune d’été a un goût légèrement curieux pour nous, mais chez les félins, il stimule l’excitation sexuelle. »

L’esprit de Kuroka commença à se vider.

Excitation… sexuelle… ? Ce qui veut dire, quoi ? C’est ça, cette sensation bizarre ?

Kuroka était restée dans un état de sidération alors que Gremory lui tapait l’épaule.

« Eh bien, comment dire ? Personne ne peut vous traiter comme une enfant maintenant, n’est-ce pas ? Keeheehee. »

« Qawsdrfgtyf !? »

Kuroka laissa échapper un cri inintelligible avant que Gremory ne pousse le dos de Shax.

« Et donc, adieu ! J’ai la mission que m’a confiée mon suzerain à accomplir, je vais donc m’excuser ici ! Relayez-moi un rapport détaillé plus tard ! »

« Arrête de jacasser ! Qu’est-ce qu’on va faire d’elle ? »

« … Nous avons des chambres au deuxième étage, » ajouta le barman.

Ce type de bar avait généralement également des chambres pour servir d’auberge. Kuroka savait au moins qu’ils étaient utilisés pour « ce genre » de situations. Gremory riait comme si elle trouvait cela infiniment amusant. Shax avait l’air complètement désemparé avec son visage rouge vif. Le barman grimaçait comme pour leur dire d’aller régler leur querelle d’amoureux ailleurs. Tout cela tournait en rond autour de Kuroka alors que sa vision s’obscurcissait progressivement.

Dieu ! Ce qui arrive, arrive !

Avec ça, Kuroka relâcha sa conscience.

 

◇◇◇

« Je veux entendre parler de ta vie amoureuse. »

Alshiera était confrontée à une épreuve, tout comme Kuroka. Ses pensées n’avaient pas encore rattrapé la réalité. Elle tourna la tête vers Foll, se demandant ce qu’était exactement une « vie amoureuse ».

Vie… Amoureuse… ? Est-ce une sorte de mode chez les jeunes de nos jours ?

Après avoir passé un millier d’années enfermées à Liucaon, elle se trouvait souvent déconnectée du vocabulaire moderne. Est-ce le cas de celui-ci ?

« Que voulez-vous dire exactement ? » demanda Alshiera, incapable d’arriver à une conclusion appropriée après y avoir réfléchi.

« Les histoires sur tes expériences de l’amour. Des informations sur les personnes dont tu es tombée amoureuse, en gros. »

« Ooh, je vois, » répondit Alshiera avec un hochement de tête. « Les histoires de mes romances… Hwah ? »

Elle laissa échapper un son qu’elle n’avait pas émis depuis quelques siècles. En réponse, Foll hocha la tête avec un regard plein d’espoir et elle déclara. « Mmm. Je veux tout savoir sur le genre de personnes que tu as aimées. »

« Heh... Hehehe… Il est impossible d’épouser un mort-vivant, vous savez ? De plus, vu mon apparence, vous pensez vraiment qu’un gentleman tenterait de me faire la cour ? »

Le corps d’un mort-vivant n’était qu’un cadavre. Il était froid au toucher et ne pouvait pas porter d’enfants. Ainsi, tout homme qui osait s’approcher d’elle alors qu’elle ne pouvait pas lui rendre une étreinte correcte et avait l’apparence d’une petite fille devait avoir des dispositions sexuelles assez tordues. En général, il suffisait de cette notion pour esquiver habilement cette question, mais Foll n’avait pas du tout l’intention de la laisser s’en tirer.

« Je sais que tu en avais un. »

« … Oh, oui, je suppose que vous le savez. »

Cette fille était la seule et unique personne qui avait découvert son secret.

Eh bien, je ne voulais pas répondre devant le Roi aux yeux d’argent, donc c’est bon…

Alshiera hésita un peu, mais elle finit par céder et elle adressa un sourire amer à Foll.

« Je vous assure que je n’ai jamais eu une telle relation après être devenue mort-vivant. »

Elle se donnait des airs, mais Foll ne montrait aucun signe d’être dissuadé par ce fait.

« Pourquoi ? Un sorcier pourrait vivre avec toi. »

En entendant une réponse aussi pure, Alshiera effleura la tête du petit dragon.

« Foll, les sorciers qui vous entourent sont tous assez anormaux. »

Les sorciers étaient, par nature, des êtres qui ne pensaient qu’à eux-mêmes. La plupart d’entre eux étaient incapables d’en aimer un autre. Cela dit, il n’était pas étrange qu’il y ait quelques excentriques en des milliers d’années. Certains avaient eu pitié d’elle, d’autres l’avaient vraiment aimée. Nier leur existence aurait été bien trop arrogant, même pour Alshiera.

« … Mais je suppose que vous avez raison, » dit-elle avec un hochement de tête nostalgique. « Il y en a eu, en effet, qui m’ont interpellée de cette manière. »

« Je veux entendre ces histoires. »

***

Partie 6

Foll ne croyait pas vraiment qu’Alshiera parlerait de son grand amour, mais entendre au moins quelque chose lui semblait bon. Alshiera avait l’impression de se faire mener en bateau, mais elle abandonna et décida de parler d’une seule de ces histoires.

« Voyons voir… Que diriez-vous de l’histoire d’un vaisseau fantôme ? »

« Vaisseau fantôme ? »

« Oui. Je suppose que cela fait quelques siècles maintenant. Il y a eu une fois un incident dans les eaux côtières de Liucaon où des marins disparaissaient sans aucun signe de conflit.

« Est-ce la faute d’un sorcier ? » demanda Foll avec curiosité.

« Teehee. Il ne faut pas se précipiter sur la conclusion. »

Alshiera posa son index sur les lèvres de Foll et fut frappée par une impression de déjà vu.

J’ai souvent parlé avec Lilith comme ça après qu’elle ait été laissée toute seule.

Cela s’était passé il y a quelques années seulement, donc pas assez longtemps pour qu’elle en soit vraiment nostalgique, mais c’était pourtant le cas. Alshiera rangea cette sentimentalité dans un coin de son cœur et continua son histoire bien plus ancienne.

« À l’époque, la fille de Neptunia avait également disparu et ils m’ont demandé de les aider à la retrouver. Je n’avais rien à faire et je m’ennuyais beaucoup, alors j’ai décidé de leur donner un coup de main. »

« Par Neptunia, tu veux dire les ancêtres de Selphy ? » demanda Foll en la regardant avec étonnement.

« Oui. Mais cette fille est devenue un peu bizarre, contrairement à eux. »

Bien que vivant dans un repaire de sorciers, elle ne parvenait pas à lire les humeurs des gens qui l’entouraient, et ce presque à chaque fois. Et pourtant, il y avait de rares moments où elle semblait étrangement enthousiaste.

Cette partie d’elle est juste comme lui.

Son apparence et sa personnalité étaient totalement différentes, mais elle avait toujours cette partie d’elle et sa chanson en commun avec ses ancêtres. En un sens, cette fille devait être surveillée avec le plus d’attention parmi ces trois amies d’enfance des trois familles royales. Cependant, cela n’avait rien à voir avec l’histoire actuelle.

Pour tenter de se remettre sur les rails, Alshiera s’était éclairci la gorge et avait poursuivi. « Nous ne pouvions pas abandonner la fille de Neptunia, alors j’ai fini par embarquer sur ce vaisseau fantôme. Et laissez-moi vous dire que je me suis donné beaucoup de mal pour essayer de le localiser… »

En écoutant son histoire, Foll remarqua un détail qui la troublait et elle demanda. « Les vampires sont-ils en sécurité sur l’océan ? »

« Pas la plupart, non. Et ça fait partie de l’histoire. »

Les vampires étaient des morts-vivants par excellence, mais ils avaient aussi de nombreuses faiblesses. D’abord, ils étaient faibles face à la lumière du soleil. Ceux qui n’étaient pas assez forts se transformaient instantanément en cendres sous cette lumière. Ils étaient également incapables de traverser des eaux courantes, ce qui signifie que l’océan était complètement hors de question.

« Je suis toujours classée comme un ancien vampire, donc je ne me transformerai pas en cendres ou autre. Pourtant, monter à bord d’un bateau me donne plutôt la nausée, » dit Alshiera. Le simple fait de s’en souvenir lui donnait mal à la tête.

En voyant cette réaction, Foll frappa ses mains l’une contre l’autre comme si quelque chose lui venait à l’esprit et elle déclara. « J’ai déjà entendu parler de ça. Certains humains se sentent malades sur l’océan parce que le bateau se balance. »

« Ne pourriez-vous pas le confondre avec le mal de mer ? »

« Ça me semble assez similaire. »

« … » Alshiera s’était tue, perdant confiance en ses mots après qu’on lui ait fait remarquer ce fait.

« Bon, en tout cas, j’ai réussi à trouver le bateau, mais après être montée à bord, j’ai perdu une bonne partie de ma force. »

Cela dit, elle avait encore assez de puissance pour anéantir le bateau, mais son attention en avait souffert. Elle avait eu beaucoup de mal à retrouver les personnes disparues, ce qui avait imposé un stress énorme à son esprit et à son corps. En fait, ses pas instables montraient dans quel état misérable elle se trouvait.

Je suis sûre qu’il me voyait aussi sous un tel jour…

Alshiera ne s’éloignait pas de manière active des autres. En mille ans, elle avait fait d’innombrables rencontres spéciales. Et parmi toutes ces rencontres, le visage de ce garçon restait encore très clair dans sa mémoire.

« C’est là que j’ai rencontré ce garçon. »

« Dans le bateau, veux-tu dire ? Était-ce un survivant ? »

Elle essayait probablement de se demander comment c’était possible. C’était une réaction naturelle, vraiment, alors Alshiera laissa échapper un petit rire.

« Il se trouve que c’était une nuit de tempête. C’est peut-être le vaisseau fantôme lui-même qui a provoqué la tempête, mais par malchance, j’ai trouvé un garçon qui avait été jeté de son vaisseau et qui dérivait dans la mer. »

« L’as-tu sauvé ? »

« Peut-être. Mais j’ai dû être une véritable nuisance de son point de vue. »

Foll cligna des yeux, confuse, en entendant ses paroles et elle déclara. « Mais tu l’as sauvé ? »

« Il a été repêché dans l’eau et a fini dans un vaisseau fantôme complètement dépourvu de passagers. Ne pensez-vous pas que dériver sur l’océan aurait été bien mieux ? »

Alshiera l’avait ramassé parce que l’abandonner ne lui aurait pas plu, mais après l’avoir fait, elle avait réfléchi au fait qu’il aurait été préférable de lui envoyer un canot de sauvetage. Foll ne semblait pas entièrement satisfaite de sa réponse, mais elle l’avait encouragée à continuer.

« Comment était-il ? »

« Il avait 15 ou 16 ans. Et je crois qu’il était soit au milieu d’un long voyage, soit une sorte de passager clandestin, à en juger par ses traits sales. Mais ses yeux bleus étaient adorables. Avec un peu plus de soins, il avait l’étoffe d’un bel homme. »

« Hmm. »

Malgré son intérêt pour les histoires d’amour, Foll ne semblait pas avoir d’intérêt particulier pour les garçons. Sa réaction semblait indifférente, comme si elle se demandait simplement ce que les filles de son âge pensaient de la question. Alshiera ne pouvait pas vraiment faire elle-même une telle conjecture, vu qu’elle n’avait pas elle-même traversé cette période.

Eh bien, je suis sûre que les choses deviendront plutôt chaotiques quand cette fille commencera à montrer de l’intérêt pour le sexe opposé.

Son père, ce vieil homme, et peut-être même sa grand-mère, seraient sûrement enragés. En ce qui concerne l’amour, il y avait même le problème de savoir si l’autre partie serait un humain ou un dragon. La plupart des gens supposaient que les dragons étaient déjà éteints, et que Foll était peut-être la dernière de son espèce. Alshiera avait de nombreuses opinions sur ce sujet en tant qu’amie, mais elle avait décidé de poursuivre son histoire actuelle.

« C’était bien de l’avoir sauvé et tout, mais j’avais encore un devoir à accomplir. Et donc, je suis partie à la recherche de l’équipage manquant du navire et j’ai simplement pris le garçon avec moi. »

« Était-il un humain normal ? »

« En effet. De son point de vue, il semblait plus âgé que moi. La façon dont il a fait de son mieux pour me servir d’escorte était plutôt adorable. »

« Mâle, mais mignon ? »

« Même les mâles ont leurs côtés mignons. »

« Je ne comprends pas. C’est mieux d’être associé à un compagnon fort. Est-ce que mignon n’est pas le contraire de fort ? » La réponse de Foll semblait beaucoup plus innocente que prévu, ce qui avait fait baisser les joues d’Alshiera.

« Teehee. Ce ne sont que les sensibilités d’un dragon. Dites-moi, est-ce que Dame Néphy a été attirée par la force du Roi aux yeux d’argent quand elle l’a choisi ? »

« … Probablement pas. »

Alshiera tapota la tête de l’honnête fille.

« Je suis heureuse que vous compreniez. Ce que l’on trouve de cher chez les autres diffère selon les individus. C’est pourquoi même la personne en question n’a aucune idée de ce qu’elle ressent lorsqu’elle est amoureuse. C’est comme ça, c’est tout. »

« … L’amour, ça a l’air vraiment compliqué, » dit Foll avec une grimace.

Alshiera secoua la tête comme pour lui dire que ce n’était pas du tout le cas et déclara. « Pas du tout. On pourrait dire que c’est l’un des concepts les plus simples au monde. »

« On ne dirait pas… »

« Non, c’est simple… et donc inflexible. Et parfois, ça peut devenir un pouvoir assez fort pour sauver ou détruire le monde. C’est la meilleure et la pire émotion que les gens possèdent. Tel est l’amour. »

Alshiera en avait été témoin par elle-même. Le monde détruit par l’amour. Le monde sauvé par l’amour. C’est pourquoi elle y croyait encore, même maintenant. Ceux qui pouvaient sauver le monde, qui pouvait le changer, étaient ceux qui vivaient dans le présent. C’était quelque chose que seuls ceux qui vivaient et aimaient pouvaient accomplir.

Foll s’était adossée à sa chaise, apparemment épuisée par la réflexion, et demanda. « … Alors, que s’est-il passé sur le vaisseau fantôme ? »

« Eh bien, le coupable était un autre vampire qui était devenu arrogant après avoir obtenu un objet particulier, » poursuivit Alshiera avec un soupir. « Le Roi Neptunia s’en est sûrement rendu compte. Il avait une si mauvaise personnalité. »

Aucun vampire ne s’était approché d’Alshiera. Malgré toute cette épreuve, la fin de l’incident avait été très rapide.

« As-tu sauvé l’ancêtre de Selphy ? »

« Les morts ne peuvent pas voler la vie des vivants sous mes yeux. »

Après avoir mis un terme à son histoire, Alshiera donna une dernière tape sur la tête de Foll.

« Vous en êtes encore au stade où vous êtes amoureux de l’amour. »

« Huh... ? Amoureux de l’amour ? Je ne comprends pas. »

« Vous le comprendrez sûrement un jour. »

Alshiera était certaine qu’un énorme tumulte aurait lieu quand elle le ferait… bien sûr, principalement à cause de ceux qui entourent Foll.

Après avoir nettoyé les chasseurs de séraphins qu’elle avait laissés sur la table, Alshiera se leva.

« Bon, c’est assez de bavardage pour aujourd’hui. N’est-ce pas l’heure du dîner ? »

« Mmm… »

Toutes deux avaient fini par se relâcher de leurs devoirs. Raphaël les gronderait si elles ne se rattrapaient pas en nettoyant après.

Foll regarda fixement Alshiera qui se leva elle-même et posa une dernière question. « La prochaine fois, me parleras-tu de ton grand amour ? »

Les yeux d’Alshiera s’écarquillèrent avant qu’elle fasse un sourire amer et ne réponde. « … C’est un peu difficile pour moi de parler de telles choses. »

C’était parce que c’était une histoire qui représentait une part bien trop importante de ses mille ans de vie. Et en voyant la réaction d’Alshiera, les yeux de Foll avaient brillé comme si elle était surprise, même si elle avait finalement vu ce qu’elle voulait depuis le début.

« Je vois… C’est la tête que font les gens quand ils sont amoureux. »

« Ah… ! »

« Oh, tu as rougi. »

Tel père, telle fille. Ces deux-là lui avaient fait du rentre-dedans autant qu’ils le voulaient. Alshiera avait eu une expression aigre avant de se rappeler la conclusion dont elle n’avait pas parlé à l’histoire qu’elle venait de raconter. Après cela, ils s’étaient séparés et ne s’étaient jamais revus, ce qui l’avait poussée à se demander comment le garçon avait vécu et était mort.

Je prie pour que tu aies eu une vie brillante.

Ainsi, Alshiera s’était remémoré les souvenirs du garçon dont elle ne connaissait même pas le nom, lors de sa vie il y a 500 ans.

***

Partie 7

Après le dîner, Zagan s’était assis sur son trône en se pinçant le front.

Cette formation me fait vraiment mal aux yeux…

Il s’était entraîné avec Kimaris pendant un mois entier. Il y avait les dommages physiques qu’il avait pris en se faisant frapper comme ce jour-là, mais la plus grande tension venait du fait qu’il essayait de poursuivre la Lame Noire avec ses yeux. Il avait l’impression que ses nerfs optiques étaient en lambeaux.

Pourtant, connaître une faiblesse et la laisser faire est l’action d’un idiot.

La défaite de Zagan serait synonyme de la fin d’un avenir paisible pour sa famille. Il devait vaincre sa faiblesse et devenir plus fort pour les protéger.

« Tu sembles fatigué, mon seigneur, » lui déclara son majordome, Raphaël.

« Ce n’est rien de grave… Ai-je vraiment l’air si fatigué ? »

« Hmm. Tu n’en as pas l’air, puisque tu es habituellement comme ça, mais ce geste est celui que les humains utilisent lorsqu’ils sont fatigués. »

« … Je vois. Je vais faire attention. »

Zagan avait utilisé la sorcellerie pour soigner sa fatigue, mais il n’avait pas fait assez attention à ses manières. Il semblait que son esprit n’avait pas suivi le rythme de ses intentions.

Néphy va me gronder si elle découvre ce que je fais.

Il serait absurde que la personne qui lui avait dit de se reposer soit elle-même fatiguée. Zagan se rappela de bien dormir cette nuit-là, puis jeta un regard vers Raphaël.

« Alors, de quoi as-tu besoin ? »

Raphaël n’était pas du genre à passer sans raison. Dans une rare démonstration, son expression s’était assombrie. N’importe qui à l’extérieur du château aurait sûrement confondu son visage avec celui d’une rage intense.

« Hmm. À propos de ça… »

Au moment où Raphaël commença à répondre, un coup retentit à la porte de la salle du trône.

Je ne sais pas qui c’est, mais je vais lui demander de garder ses questions pour plus tard.

Mais avant que Zagan ne puisse élever la voix, Raphaël s’était mis sur le côté pour ouvrir le passage. On dirait qu’il était d’accord pour attendre.

« Entrez, » dit Zagan.

Orias était entrée dans la salle du trône. Un autre rare visiteur était venu le voir si tard dans la nuit.

« … Je vous ai surpris à un mauvais moment ? » avait-elle demandé.

« Non, c’est bon. »

Orias semblait également quelque peu hésitante, puisqu’elle jeta un regard nerveux à Raphaël. Son problème semblait être quelque chose à discuter en privé, mais elle ne voulait pas demander à Raphaël de partir après qu’il ait mis de côté ses propres affaires pour elle. Et alors qu’elle réfléchissait à ce qu’elle devait faire, un essaim de chauves-souris était entré dans la salle du trône.

« … Alshiera ? »

« Oh là là, je devrais peut-être revenir plus tard ? »

Les chauves-souris se rassemblèrent et prirent la forme d’une fille. Ses talons s’étaient posés sur le sol avec une tape alors que le vampire lui faisait une révérence sans vergogne. Elle serra ensuite dans ses bras sa poupée en peluche à l’allure effrayante et leva les yeux vers l’arrière du trône.

« Bien que, il semble que je ne sois pas la seule nuisance indésirable ici. »

Son regard était fixé sur l’ombre frétillante du trône.

« … Tch. Je ne voulais pas écouter aux portes ou quoi que ce soit. En fait, qui diable viendrait ici de son plein gré ? »

Comme Zagan s’y attendait, Barbatos sortit de l’ombre en rampant. Il avait des cheveux noirs longs et négligés, des poches profondes sous les yeux et une myriade d’amulettes accrochées à son cou. Il semblait qu’il avait également des affaires à voir avec Zagan, ou un rapport à faire. Et juste à ce moment, des pas lourds entrèrent dans la pièce.

« Oh ? Il semble que tout le monde se soit déjà rassemblé. »

Kimaris avait été le dernier à faire son entrée. Il était entré dans la salle du trône, puis avait désigné la porte derrière lui.

« Dois-je la fermer ? »

« … Euh, attendez, quoi ? Vous voulez dire que tout le monde est là pour la même chose ? » demanda Barbatos.

Orias haussa les épaules et répondit. « Hmm. C’est ce qu’il semblerait. »

Zagan s’adossa à son trône et croisa négligemment les jambes. Il regarda ensuite les personnes présentes dans sa salle de trône une par une. L’ancien Archange et actuel majordome du château, Raphaël. L’un des Archidémons et la mère de Néphy, la haute elfe Orias. Le maître des chasseurs de séraphins et la plus forte des vampires, Alshiera. L’ancien candidat Archidémon et le seul et unique sorcier capable d’échanger des coups avec Zagan, Barbatos, le Purgatoire. Un autre ancien candidat Archidémon et le bras droit de Zagan, Kimaris, la Lame Noire.

Mis à part Néphy et Foll, c’était un rassemblement des cinq plus grandes figures du camp de Zagan. Alors, que s’était-il passé pour qu’ils se réunissent tous avec un mauvais teint ? Zagan poussa sa méfiance à son paroxysme en les interrogeant.

« Je vous écoute. Que s’est-il passé ? »

Les cinq individus avaient échangé des regards, vérifiant le comportement des uns et des autres, avant qu’Orias n’en vienne aux faits.

« Alors, excusez-moi, mais je vais commencer. J’avais quelque chose à te dire en dehors de cette affaire. Zagan, j’ai été sous ta garde pendant un bon moment, donc je pense qu’il est temps pour moi de partir. »

Ces mots avaient fait écarquiller les yeux de Zagan. Orias était, bien sûr, une invitée, pas sa subordonnée. Elle avait aussi son statut d’Archidémon. Elle devait avoir ses propres circonstances, mais Zagan ne s’attendait pas du tout à ce qu’elle dise ça.

« C’est plutôt soudain. Y a-t-il un problème ? »

« Il n’y a pas vraiment de problème, pour ainsi dire…, » Orias hésita à en dire plus. Il semblait qu’il était difficile d’en parler ici.

Zagan y réfléchit un peu avant de répondre. « Tu es la mère de Néphy. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu considères ce château comme le tien, et pour ta gouverne, j’ai l’intention de te donner un coup de main en cas de problème. »

Orias la regarda avec étonnement. Elle afficha ensuite un sourire un peu amer, secoua la tête et dit. « Ce n’est pas ça. J’ai été bien traitée par les gens de ce château. Il n’y a pas non plus de problèmes. »

« Alors, pourquoi ? Je pensais que les choses allaient bien avec tes filles. »

« Oui, c’est la raison, » dit Orias avec un soupir.

« Que veux-tu dire ? »

Orias plaça sa main sur sa poitrine et s’exprima comme si elle était lestée par de longues années d’angoisse.

« Mes deux filles et ma petite-fille sont bien trop mignonnes. Je ne pense pas que mon cœur puisse tenir plus longtemps. »

Sa confession choquante avait mis la salle du trône en émoi. Que disait cette Archidémon ? De la sueur coulait même sur le front de Barbatos, comme s’il n’avait pas compris le sens de ses paroles.

Zagan mit sa main gauche sur son visage en signe de grande tristesse tandis qu’il lançait sa main droite, pointant Orias avec vigueur. Il déclara alors avec toute la majesté d’un Archidémon… « J’ai compris ! »

« Tu comprends… ? »

Malheureusement pour Barbatos, il était le seul à rester perplexe. Raphaël hochait profondément la tête, Alshiera les regardait d’un air compatissant, et même Kimaris plissait les yeux comme pour dire que c’était inévitable.

Zagan comprenait si bien les sentiments d’Orias qu’il en était blessé, mais cela ne signifiait pas qu’il allait la laisser partir en paix. Il secoua la tête pour se calmer avant de reprendre la parole.

« Cependant, tu dois rester calme, Orias. Je peux compatir profondément à tes sentiments, mais essaie d’y réfléchir. Disons que tu pars pour de telles raisons. Que penseraient Néphy, Foll et Nephteros après avoir été abandonnées ? Elles se sentiraient toutes responsables et se demanderaient si elles n’ont pas fait quelque chose de mal. »

« Argh… C’est… vrai. Ce serait problématique. »

« … Hé. Est-ce que c’est quelque chose dont deux Archidémons devraient discuter sérieusement ? » grommela Barbatos. Cependant, personne ne lui avait prêté attention.

Orias leva les yeux au plafond avec chagrin et demanda, « Zagan. Tu continues à vivre alors que tu es continuellement assailli par de tels chocs au cœur, n’est-ce pas ? »

« Oui. Mais n’aie pas peur. Ces palpitations viennent de la joie. Le bonheur et la douleur se mélangent simplement dans ta tête. Ta famille n’est pas quelque chose que tu dois abandonner simplement à cause de ce sentiment. »

« … Tu es vraiment fort. »

« Si je le suis, alors c’est grâce à Néphy. En tant que tel, tu pourrais dire que c’est aussi grâce à toi, » déclara Zagan, alors que ses mots étaient remplis de respect.

À ce moment-là, Barbatos commença à se curer le nez, comme s’il voulait savoir si cela allait durer encore longtemps.

« Je vois… Tu as raison, » dit Orias en secouant la tête, cédant. « Je vais essayer de tenir le coup encore un peu. Pardonne-moi de t’avoir fait écouter une plainte aussi futile. »

« Ne t’inquiète pas. J’ai eu la même expérience. »

Maintenant que les Archidémons avaient confirmé leur relation, Barbatos était allé droit au but.

« Vous avez déjà terminé… ? J’aimerais que mes affaires soient déjà réglées. »

« Parle. »

Barbatos avait quelque chose de suffisamment important à discuter pour se donner la peine de venir jusqu’ici.

Eh bien, je peux plus ou moins deviner de quoi il s’agit.

Après avoir été encouragé, Barbatos avait tourné un regard quelque peu furieux vers Alshiera.

« C’est cette vampire là-bas. C’est vraiment pénible de la voir rôder autour de l’Église tous les jours, tu comprends ? »

Alshiera avait serré sa poupée en peluche dans ses bras pour cacher sa bouche, avait gloussé de joie et avait demandé. « Teehee, je ne pense pas que ce soit quelque chose qui puisse déranger un sorcier, n’est-ce pas ? »

« Non, tu es une vraie plaie. Je veux dire… tu diriges ta soif de sang vers cette femme elfe tout le temps, n’est-ce pas ? »

La salle s’était tue à ce moment-là. Barbatos s’ébouriffa alors les cheveux avant de poursuivre. « À cause de ça, la pleurnicheuse est sur les nerfs 24 heures sur 24. Tu vois, elle se retrouve encore plus mal en point après s’être braquée si longtemps. Et à ton avis, qui doit la soutenir dans tout ça ? »

***

Partie 8

Zagan ne s’était pas du tout soucié de ce dernier problème.

« Se vante-t-il de sa vie amoureuse… ? » demanda Alshiera dubitative, agacée par la critique qu’il lui adressait.

« H-HUUUUH !? Qu’est-ce que tu veux dire, vie amoureuse !? »

« Hein ? Eh bien… » Alshiera s’interrompit à ce moment-là et jeta un coup d’œil à Zagan pour lui demander de l’aide. Il détourna son regard d’une manière troublée.

« Oh, eh bien, hum, comment dire… ? Garde ce genre de discussion entre toi et Chastille. »

« Zagan, qu’est-ce que tu racontes !? Je ne vais pas sortir avec la pleurnicharde  ! Ce n’est pas de ça que je parle ! »

« … Es-tu conscient que tu fais la même tête que ce salaud de Shax ? » dit Raphaël, son bras artificiel laissant échapper un craquement.

« Je ne suis pas aussi idiot que ce connard ! »

Shax était en fait une cause perdue, puisque même Raphaël le considérait comme un idiot. L’angoisse de Kuroka lui était venue à l’esprit. Et, debout à côté de Barbatos alors qu’il fulminait, Kimaris s’était couvert le visage, incapable de continuer à regarder.

« C’est une bonne chose que Mlle Gremory soit en voyage d’affaires. »

« Kimaris, je croyais que tu étais mon allié !? »

« C’est bon. Je suis votre allié. Je ne le dirai pas à Mlle Gremory. »

« Ce n’est pas ce que je veux dire ! »

Honnêtement, Zagan compatissait avec lui pour avoir été manipulé de la sorte, mais le tumulte aurait été bien plus grand si Gremory était là. Ceci dit, il y a une chose que Barbatos avait mentionnée et qu’il ne pouvait pas prendre à la légère.

« Parle-moi de ça plus en détail, » coupa Orias.

« Pourquoi tu participes à ces conneries ? »

« … Non, je veux dire ce que tu as dit sur ma fille. »

Barbatos s’était tu à cause de la maladresse de tout cela. Son regard creux, qui semblait vouloir faire un trou dans le sol, donnait l’impression qu’il ne demandait qu’à être tué. Même Zagan avait pitié de lui après avoir reçu un tel traitement pour avoir dit quelque chose d’un peu sérieux. Pourtant, Orias ne pouvait pas laisser passer ça comme une blague.

« Eh bien, je suppose que c’est mieux de le demander directement à la personne en question. »

Avec cela, elle avait tourné ses yeux azur vers Alshiera. Il s’agissait d’une affaire mettant en jeu la vie de sa fille. Il n’était pas nécessaire de dire qu’une quantité écrasante de mana avait surgi tandis qu’elle gardait un regard aiguisé sur la vampire.

« Argh… »

La pression était telle que Barbatos et Kimaris, qui ne la regardaient même pas directement dans les yeux, reculèrent. En voyant qu’ils étaient réduits à un tel état, les plus faibles d’entre eux seraient probablement morts sur place. Et avec une telle animosité dirigée vers elle, Alshiera se contenta d’incliner la tête comme si elle appréciait une brise fraîche.

« Oh, mon Dieu, comme c’est effrayant. Cette frêle petite vampire va mourir de peur parce qu’un Archidémon pointe une telle hostilité sur elle. »

« … Je n’aime pas ce genre de plaisanteries. »

Le sol sous les pieds d’Alshiera s’était effondré. Et pourtant, sa robe sombre n’avait pas laissé apparaître un seul mouvement, montrant à quel point elle était une existence anormale, bien que, au rythme où ils allaient, la salle du trône entière allait s’effondrer.

« Toutes les deux, restez-en là. »

Le mana d’Orias avait été repoussé avec un léger claquement. Et au même moment, Alshiera trébucha d’un pas. Zagan avait rempli ses mots de mana et les avait projetés contre les deux femmes. Puis, il avait lancé un regard noir à Alshiera.

« Alshiera, ne peux-tu pas avoir une conversation normale sans recourir à de telles provocations sans valeur ? »

« Teehee. Vous comprenez mal les choses, mon Roi aux yeux d’argent. C’était juste une petite blague… »

« Tu sais que ça ne ressemble pas du tout à une blague, n’est-ce pas ? Tu devrais éviter ça. »

« Quoi — !? »

Elle avait vraiment eu l’air de comprendre quand il avait dit cela avec un air complètement sérieux sur le visage. Alshiera s’était retrouvée à court de mots.

« Et toi, Orias. Elle ne va pas faire quelque chose comme tuer Nephteros, alors détends-toi. »

« … Sur quelle base peux-tu faire cette affirmation ? »

Sa question semblait évidente. Zagan acquiesça et répondit. « Premièrement, si elle reste aux côtés de Nephteros, c’est pour en finir avec Azazel. »

« Mon Roi aux yeux d’argent, pourriez-vous, s’il vous plaît, ne pas prononcer ce nom de manière aussi frivole ? »

« … Tu es si têtue. »

« Ceci est une demande. »

Zagan soupira en l’entendant s’exprimer de manière inhabituellement sérieuse pour une fois.

« Eh bien, peu importe. En bref, son but est d’achever quelque chose qui pourrait posséder Nephteros. Elle ne vise pas Nephteros elle-même. »

« Je ne crois pas que ce soit une raison suffisante pour supposer qu’elle ne tuera pas Nephteros dans le processus, n’est-ce pas ? »

« Elle ne peut pas tuer… Plutôt, elle ne peut pas la tuer. Elle a apparemment fait le vœu de ne pas porter la main sur les vivants. »

Jusqu’à présent, Alshiera n’avait tué que les ombres que Shere Khan avait placées sur elle et « Aristella ». Les ombres étaient déjà mortes, tandis qu’Aristella était déjà dans un état tel qu’on ne pouvait pas dire qu’elle était vivante.

Alshiera se gratta la tête avec une grimace. Il semble qu’il ait mis le doigt sur le problème. Orias était quelque peu persuadé par sa réaction, son attitude s’était donc adoucie dans une certaine mesure.

« Quoi qu’il en soit, il est vrai que cette fille essaie d’en finir avec son ennemi. Et franchement, je ne crois pas qu’il y ait une garantie qu’elle ne finisse pas par choisir de tuer Nephteros afin d’accomplir ce but. »

« Je te dis qu’elle ne le fera pas. Elle avait le pouvoir de la tuer facilement, mais elle ne l’a pas fait. Au lieu de cela, elle l’a sauvée, perdant son pouvoir dans le processus et se retrouvant coincée ici juste pour la protéger. »

Ce fait était resté dans l’esprit de Zagan pendant un bon moment. Qui était celui contre qui Nephteros s’était battue, qui était le coupable qui avait rendu Foll folle furieuse dans la cité sous-marine d’Atlastia ? Nephteros avait dit qu’elle avait l’impression que c’était Alshiera, et c’était précisément le cas.

La seule différence entre sa perception et la réalité était qu’Alshiera n’avait pas attaqué Foll. C’était Nephteros elle-même. Cependant, sa conscience à ce moment-là était probablement floue. Elle avait vu la réalité de l’attaque de Foll et avait vu Alshiera lui faire face. Ainsi, elle avait reconnu la situation comme étant Alshiera attaquant Foll.

« Si elle devait la tuer après ça, elle serait bien plus encline à rejeter sa honte et à chercher de l’aide. »

Alshiera ne put s’empêcher de regarder Zagan d’un air réprobateur lorsqu’il commença à énoncer les uns après les autres des faits qu’il n’aurait pas dû connaître.

« … Est-ce Foll qui vous a dit ça ? »

« Hmm, tu l’as dit à Foll ? Je suis simplement arrivé à cette conclusion en raison des preuves circonstancielles. »

À en juger par sa réaction, il comprenait maintenant pourquoi Foll avait ouvert son cœur à Alshiera plus rapidement que tous les autres.

Les yeux d’Orias s’étaient élargis comme s’ils avaient été frappés par un impact soudain, et elle avait demandé. « Est-ce que cette blessure est celle que tu as reçue parce que tu as sauvé Nephteros ? »

« Oh là là, je ne suis pas effrontée au point de rejeter mes propres erreurs sur les autres. »

Elle ne l’avait pas nié. Après avoir réalisé cela, Orias avait profondément baissé la tête.

« J’ai dirigé des soupçons inappropriés vers la bienfaitrice de ma fille. Veux-tu me pardonner ? »

« … Ce n’est pas quelque chose dont vous devez vous inquiéter. »

En voyant que les deux femmes s’étaient réconciliées, Zagan s’était senti secrètement soulagé. Il ne l’avait pas dit à Orias, mais il y avait, en fait, une situation où Alshiera tuerait Nephteros. Il y avait eu un précédent avec « Aristella », qui avait dépassé le stade du sauvetage. Et il y avait une probabilité non nulle que le cas de Nephteros devienne aussi grave.

De plus, même si ça n’arrive pas, il ne reste peut-être plus beaucoup de temps à Nephteros.

Et celle à qui on avait confié la responsabilité de la protéger, c’était Chastille. Cette fille allait sans aucun doute protéger Nephteros. Elle était capable de repousser au moins un tir des chasseurs de séraphins, ce qui ne permettait de gagner qu’un seul instant supplémentaire, mais c’était suffisant pour que Zagan arrive. Après tout, Barbatos restait toujours dans l’ombre de Chastille, prêt à l’appeler au pied levé.

En tout cas, la pièce avait finalement réussi à se calmer.

Mais ce n’est pas le vrai problème, n’est-ce pas ?

Alors, qu’est-ce qui avait réuni ces cinq personnes ici ? Zagan attendit que quelqu’un prenne la parole tandis que les cinq se taisaient et s’observaient mutuellement. Même Raphaël semblait tendu. Après un petit moment, cependant, le majordome fut le premier à parler.

« Hmm. J’étais le premier à arriver, donc je vais parler. »

« Je t’écoute. Que s’est-il passé ? »

Raphaël avait tranquillement remis de l’ordre dans sa respiration, puis avait tourné son regard vers Zagan.

« Monseigneur. S’il te plaît, reste calme et écoute-moi. »

Zagan ne s’attendait pas à ce qu’il fasse une telle demande. Ses yeux s’écarquillèrent alors qu’il levait sa garde et hochait la tête.

« Foll a commencé à s’intéresser à l’amour, » déclara Raphaël.

Zagan doutait de ses oreilles, mais toutes les personnes réunies dans la salle du trône, d’Orias à Alshiera, en passant par Kimaris et même Barbatos, avaient acquiescé avec des expressions plutôt graves sur leurs visages. Il était donc clair qu’il n’avait pas mal entendu Raphaël. Les accoudoirs du trône avaient éclaté comme du bois sec sous l’emprise de Zagan.

« Qu-Qu-Qu-Quoi !? »

La salle du trône… non, le château tout entier gronda. La barrière qui avait réussi à contenir le face-à-face entre Zagan et Orias, deux Archidémons, n’avait pas résisté à sa rage, et un cri avait résonné dans les couloirs.

« Selon les normes humaines, Foll a dix ans ! Veux-tu dire qu’un valet sans scrupules essaie de la courtiser ? Amène-le-moi tout de suite ! Je vais le réduire en chair à saucisse ! »

Barbatos avait l’air perplexe en se demandant comment il avait pu faire craquer Zagan de la sorte, puis il lui fit un signe de tête.

« Je ne sais pas s’il y a vraiment un homme impliqué, mais c’est vrai. Je pense que c’était vers midi ? Elle est passée à l’Église pour voir la pleurnicharde et lui poser des questions sur sa vie amoureuse. À cause de ça, elle a été bloquée en mode travail pendant tout ce temps. »

Zagan avait facilement imaginé son état désastreux.

***

Partie 9

« À son retour, elle m’a également demandé où en était ma romance avec Mlle Gremory. J’ai fini par lui raconter la même histoire qu’à vous, » ajouta Kimaris en guise de confirmation.

« Mon cas s’est produit juste avant midi. Je ne savais pas comment répondre et j’ai fini par arriver en retard à mon poste en cuisine, » expliqua Orias.

La vie amoureuse d’Orias aurait-elle été principalement composée des histoires avec le père de Néphy ? Zagan se sentait lui-même un peu intéressé par cette question, mais il réalisa que ce n’était ni le moment ni l’endroit pour être indiscret.

Et finalement, Alshiera laissa échapper un soupir et dit. « En d’autres termes, elle est allée interroger toutes les personnes de son entourage qui semblaient être tombées amoureuses à un moment donné. »

« L’amour ? Toi ? »

L’idée même avait choqué Zagan au plus haut point. Et naturellement, sa réaction avait mis en colère Alshiera.

« J’ai été humaine une fois, vous savez ? J’ai au moins eu une expérience amoureuse. »

« Je ne peux pas l’imaginer… »

« Je vous ferais savoir que c’était extrêmement passionné, » répondit la vampire avec un ricanement suspicieux.

Zagan la regarda d’un air dubitatif et lui demanda. « Alors, tu en as parlé à Foll ? »

« Hein!? Non, c’est un peu… » Alshiera murmura en rougissant et en s’éloignant du sujet. Quel genre d’amour avait-elle pu éprouver pour qu’elle soit réduite à un état aussi pathétique après avoir été interrogée à ce sujet ?

En mettant ça de côté, Zagan s’était couvert le visage avec ses deux mains et avait parlé, disant. « Impossible… Est-ce que ça veut dire que Foll est déjà tombée amoureuse de quelqu’un ? »

Quel ravageur s’était-il attaché à sa fille ? Les seuls qui auraient pu lui parler étaient ses subordonnés… ou peut-être un citoyen de Kianoides. Si c’était quelqu’un comme les trois idiots, les tuer ne serait pas suffisant.

En tout cas, il ressentait le besoin de localiser cet homme et de le tuer. Non, ce n’était même pas la peine de chercher. Il devait simplement effacer tous les parasites qui avaient montré des traces de vouloir s’approcher de Foll, les supprimer entièrement de la surface du monde. Peu importe qu’ils soient sorciers ou non. Ceux qui s’étaient mêlés à elle n’avaient qu’à accepter leur sort et abandonner. Cela semblait être un travail simple, pour autant que Zagan y mette toutes ses forces, ce qui était précisément le problème.

Je ne pardonnerai jamais à un débauché qui s’approche de ma fille, mais je ne peux pas supporter l’idée qu’elle me déteste pour les avoir tués !

Hélas, même s’il était enragé, il était capable de comprendre calmement le résultat probable d’une mesure aussi radicale. Que devait-il faire ? Pourquoi devait-il goûter à une telle angoisse ? Il se lamentait sur son grand malheur du plus profond de son cœur.

Alshiera refusa d’en rester là et de continuer à regarder, alors elle dit. « Hum, mon Roi aux yeux d’argent ? Ce n’est probablement pas si grave, juste pour que vous le sachiez. »

« Comment exactement n’est-ce pas un problème sérieux!? J’ai l’impression que je viens d’apprendre que la fin du monde aura lieu même si je tue Shere Khan ! »

« N’avez-vous pas Lady Néphy ? »

« Ma fiancée et ma fille sont différentes ! »

Partager une vie heureuse avec Néphy était la priorité numéro un de Zagan, alors que les questions concernant sa fille ne pouvaient être expliquées par la logique. Zagan libéra son mana avec agitation, comme s’il voulait faire tomber le château, tandis que Raphaël, Orias et Alshiera hochaient toute la tête comme s’il avait raison.

« Monsieur Zagan ! S’il vous plaît, calmez-vous ! Elle veut dire que la petite dame n’a pas forcément un partenaire particulier en tête ! »

« … V-Vraiment ? Je ne serai pas content si tu essaies simplement de me réconforter. »

« C’est la première fois que je vous vois si agité… »

Zagan réalisa que Kimaris avait raison. C’était la première fois qu’il rencontrait un problème auquel il ne pouvait absolument rien faire, ce qui le frustrait au plus haut point.

« Hah, c’est une façon de faire une crise pour quelque chose de stupide, » dit Barbatos avec un grognement.

« … Tu débiteras la même chose dans les dix prochaines années. »

« H-Huuuh!? Je n’ai même pas encore essayé d’avoir des enfants ! »

Zagan voulait demander avec qui exactement il avait imaginé avoir des enfants, mais il n’avait pas le sang-froid nécessaire pour le faire. Il réalisa qu’un étrange sifflement s’était échappé de sa bouche. Il faisait de l’hyperventilation. Zagan avait alors dû utiliser la sorcellerie pour calmer son pouls. Et après avoir finalement calmé son esprit en faisant cela, il leva la tête.

« Alors, que voulez-vous dire quand vous dites que Foll n’a pas encore trouvé de partenaire ? »

« Essentiellement, elle n’est pas tombée amoureuse, mais elle s’est plutôt intéressée à la façon dont vous êtes amoureux, » répondit Alshiera.

« Qu’est-ce que tu… ? »

« Foll a été témoin de la façon dont vous et Dame Néphy vous réjouissez des choses les plus triviales plus que quiconque. Je pense qu’elle souhaite probablement savoir si d’autres amoureux sont comme ça, et pourquoi ils ont de tels sentiments, » Alshiera s’était arrêtée là et elle avait pincé ses sourcils en se rappelant quelque chose. « J’ai eu l’impression qu’elle m’observait plutôt que de prendre en compte ce que j’avais à dire… »

« … Oh, mmm… C’est, eh bien, désolé. »

Elle avait probablement vécu quelque chose de plutôt embarrassant. Foll avait certainement vu Zagan asseoir Néphy sur ses genoux et lui frotter les joues plus de vingt fois. Il aurait été étonnant qu’elle ne montre aucun intérêt après tout cela.

« Maintenant que vous le dites…, » Raphaël parla en hochant la tête. « Elle a réagi de manière assez incompréhensible à mon histoire. Honnêtement, je n’étais pas sûr qu’elle y trouvait un quelconque intérêt. »

« … Oh ? Qu’est-ce que tu lui as dit ? »

« Une vieille histoire d’il y a une vingtaine d’années. Nos circonstances différaient et nous étions assez éloignés en âge. Il n’en est rien sorti d’intéressant, mais j’ai gardé des sentiments que l’on pourrait plus ou moins appeler ça de l’amour. »

Hein ? Sérieusement ? J’ai envie d’en entendre plus… Ces mots étaient montés jusqu’à sa gorge, mais Zagan avait réussi à les ravaler. Poser des questions à ce sujet ne l’aurait pas rendu différent de Gremory. Cela l’aurait rendu encore plus mauvais qu’il ne l’était déjà en tant qu’humain.

Une fois qu’il s’était calmé, cependant, sa curiosité avait été piquée. Ainsi, Zagan avait feint de garder son calme et avait décidé de demander quand même.

« Umm, ça te dérange si je demande qui c’était ? »

Après une courte pause, Raphaël avait répondu sèchement. « Une femme nommée Himika. »

Zagan s’était rendu compte de quelque chose en entendant ce nom, qui provenait clairement de Liucaon.

Hein ? Attends, quand il l’appelle sa fille, est-ce qu’il le pense vraiment littéralement… ? Zagan secoua la tête pour chasser ces pensées et se calmer.

« Alors, permettez-moi de confirmer une fois de plus. Foll voulait simplement entendre des histoires d’amour. Elle n’a pas encore trouvé de partenaire, n’est-ce pas ? »

Certains étaient sûrs d’eux et d’autres n’étaient qu’à moitié convaincus, mais tous acquiesçaient. Zagan se sentit soulagé du fond du cœur en voyant cela, alors il sourit.

« Je suis content de ne pas avoir à tuer tous mes subordonnés et les gens de la ville. »

Il avait presque atteint un point de non-retour où il n’avait pas d’autre choix que de le faire, même s’il savait qu’il le regretterait plus tard.

« … C’est une bonne chose que nous ayons réussi à vous arrêter, Sire Zagan. »

Kimaris avait l’air plutôt exaspéré, mais Zagan n’avait pas le loisir de s’y intéresser.

« Mais dans ce cas, pourquoi a-t-elle demandé à la pleurnicharde ? » demanda Barbatos avec un grognement peu convaincu. « Ça ne colle pas. »

N’est-ce pas parce que vous êtes les plus amusants de la bande ? Zagan n’était pas le seul à avoir une telle pensée. En fait, toutes les personnes présentes avaient pointé des regards amers sur Barbatos, mais il ne semblait pas s’en rendre compte.

« Pourquoi penses-tu que Foll a demandé conseil à Chastille ? » demanda Zagan, juste pour être sûr.

« Hein ? Euh, je suppose que c’est parce que c’est difficile de demander à une bande de sorciers, non ? » répondit-il comme si c’était parfaitement évident.

Tout le monde avait regardé Barbatos d’un air dubitatif. En tout cas, à part lui, tous s’étaient rassemblés par souci pour Foll, ce qui était une bonne chose.

Zagan s’adossa à son siège. Le trône était en train de s’effondrer, mais il ne s’en souciait pas vraiment pour l’instant.

« Je suppose que le seul choix, pour l’instant, est de prier pour qu’il n’y ait rien de plus… »

« Le fait qu’elle ne trouve jamais personne ne serait-il pas une source d’inquiétude ? » fit remarquer Alshiera sans ménagement.

« … »

Zagan se recroquevilla une fois de plus et porta ses mains à sa tête.

Si le monde est rempli d’imbéciles incapables de comprendre le charme de ma mignonne fille, alors il n’a aucune raison d’exister… Non ! Mais…

ainsi, Zagan avait commencé à envisager sérieusement de détruire le monde.

« Ah oui, » Barbatos les interrompit soudainement, « Pourquoi cette gamine ne commence-t-elle à s’intéresser à cette merde que maintenant ? Ne devrait-elle pas être déjà habituée à Zagan et à cette elfe ? »

« Maintenant que tu le dis… »

C’était un détail étonnamment perspicace venant de Barbatos. Quelque chose avait-il provoqué ce changement ?

Kimaris grimaça alors qu’une idée désagréable lui vient à l’esprit. Une seconde plus tard, il répondit. « … Maintenant que j’y pense, Mlle Gremory n’est pas là aujourd’hui, n’est-ce pas ? »

« Oui. Je l’ai envoyée chez Kuroka et Shax après le petit-déjeuner. »

« … Ce qui veut dire que Foll est venue à moi juste après, » dit Orias, sans vraiment vouloir l’admettre.

L’air de la salle du trône était devenu lourd.

« … »

Encore cette fichue mamie !

Les plans de Zagan et Néphy pour flirter pendant l’absence de Gremory avaient été complètement déjoués et elle avait fait agir Foll d’une manière inutile pour les embêter.

Orias avait gravement incliné la tête.

« Je dois vraiment m’excuser pour ma stupide disciple… »

« Non, c’est la personnalité de Mlle Gremory depuis que je la connais. Je ne crois pas que ce soit votre faute, Mlle Oria, » s’était excusé Kimaris.

« Oui, j’aurais aussi dû moi-même lui donner un avertissement. Désolé, » ajouta Zagan.

Il semblerait que toutes les personnes impliquées avec Gremory se sentent un peu responsables. Ils avaient maintenant tous baissé la tête l’un vers l’autre.

« Je suis vraiment désolée pour tous les soucis que je vous ai causés, » dit Orias à Kimaris.

« J’ai l’habitude maintenant, alors ne soyez pas…, » la voix fatiguée de Kimaris laissait entrevoir son infinie tristesse.

Et c’est ainsi que le rideau était tombé sur la première assemblée de la famille Zagan. C’était tous les sujets de la journée. Tout le monde retourna à ses occupations, le laissant seul dans sa salle du trône. Il répara son trône brisé, puis poussa un nouveau soupir.

Je suis fatigué. Juste… fatigué.

Combien de fois s’était-il énervé en si peu de temps ? Il s’était réveillé plutôt heureux, mais des événements sans rapport avec son entraînement l’avaient étrangement fatigué.

Je veux un autre oreiller de genoux de Néphy, comme cette fois-là… Et alors que de telles illusions lui venaient à l’esprit, Zagan céda à la somnolence.

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