Chapitre 2 : Compte à rebours pour la guerre des sœurs
Partie 1
« Nous avons franchi les frontières, ma dame. »
« Vous avez tous entendu ? Nous avons quitté les frontières d’Alsamira. Qui sait quels assassins sont à l’affût ? Soyez sur vos gardes. »
Un bus traversait le désert tentaculaire qui entourait l’État indépendant d’Alsamira. C’était un endroit sans loi, connu pour être le foyer d’une bête gigantesque, le basilic. Un territoire au-delà de la portée de l’œil humain.
Cependant, leur hypervigilance n’était pas dirigée vers la bête elle-même, mais plutôt vers les autres êtres humains.
« Faites attention au groupe de l’homme masqué. »
Sisbell avait l’air de faire une annonce dans la cabine en tant que membre d’équipage. Elle devait essayer de projeter sa voix puisqu’elle était assise avec les quatre membres de l’unité impériale.
« Je ne pense pas qu’il y aura beaucoup d’ennemis, mais j’imagine que ceux que nous rencontrerons seront des combattants d’élite. Ils ont l’intention de m’appréhender, et… »
« J’ai l’impression d’écouter un disque rayé. »
Allongé sur le siège en cuir, Jhin semblait s’ennuyer à mourir.
« Vous nous l’avez déjà dit il y a deux jours à notre hôtel. Et hier à votre hôtel. Une fois est plus que suffisant, et la troisième fois ne fait pas son charme. »
« C’est important ! Ça mérite d’être répété ! » rétorqua Sisbell en faisant une moue de frustration. « Hier encore, on se posait des questions les uns aux autres. Nous avons besoin de temps pour réviser ! »
« Ce sont des traîtres de la Souveraineté de Nebulis, qui espèrent renverser la reine et faire la guerre à l’Empire ou quelque chose comme ça. »
« O-Oui ! »
« Mais nous n’avons aucun moyen de vérifier la validité de cette affirmation. » Il semblait rejeter tout ce qu’elle disait. « Je veux dire, qui sait si vous n’êtes pas vous-même la traîtresse qui essayez de renverser la dirigeante actuelle ? Dans tous les cas, je n’ai pas envie d’en apprendre trop sur l’ennemi. Pour nous, votre reine est la chef de nos adversaires. »
« … »
« Si nous sommes négligents, le quartier général aura vent de tout ça. Je n’ai pas l’intention de prendre ce risque. »
« … Je suppose que vous ne le feriez pas. » La plus jeune princesse de Nebulis s’était mordu les lèvres.
« C’est juste, » murmura le vieux monsieur assis derrière le volant. « Nous avons fait ce marché pour un échange. Il n’est pas basé sur la confiance. Nous allons seulement vous dire ce qui est pertinent pour vous en tant que gardes. »
C’était Shuvalts. Le chaperon de la princesse.
C’était un homme âgé aux cheveux gris soignés, vêtu de son habituel costume noir mince, qui n’avait pas une seule ride. Perspicace serait le meilleur mot pour le décrire.
Il surveillait les poursuivants du Seigneur Masqué depuis son volant.
… Est-il le « Rin » de Sisbell ? J’ai entendu dire qu’il était son seul confident au palais.
Cependant, il n’était pas à la hauteur lorsqu’il s’agissait de se battre. Contrairement à Rin, le gardien d’Alice, le pouvoir astral de Shuvalts n’était pas adapté au combat.
« Ma dame, cet arrangement est transactionnel. Pas de place pour les émotions. »
« … Je le sais, Shuvalts. » Sisbell avait pris une profonde inspiration. « Bref, j’essaie juste de dire que je vous fais confiance pour éliminer les assassins. »
« Capitaine ? Es-tu d’accord avec ça ? »
« Hm ? Euh, t-totalement ! » La capitaine s’était redressée d’un bond. « Mais c’est la première et la dernière fois ! S’il vous plaît, ne continuez pas à interagir avec nous une fois que c’est terminé ! »
« Bien sûr. Mais je vais faire pleinement usage de ça. Nous ne sommes que des partenaires commerciaux au-delà des frontières. » Sisbell avait hoché la tête, apparemment satisfaite d’elle-même. Elle avait fait un tour tranquille du bus.
« Iska ? Sais-tu ce que cela signifie ? »
« Quoi ? »
« Tu es mon subordonné — à partir d’aujourd’hui ! »
La princesse sorcière s’était placée entre Mismis et Iska. Elle avait passé son bras autour de son biceps.
« Ça doit être ce qu’on appelle le “destin”. Prévue par les étoiles ! Je pense que nous aurons une bonne relation de travail. »
« … Hmm. »
« Contre vents et marées. Lorsque la voie à suivre devient difficile, nous affronterons les obstacles ensemble. »
« Hum, je pensais que j’étais ton garde. »
Depuis quand est-il devenu son subordonné ?
L’expression « partenaires commerciaux » ne signifie-t-elle pas qu’ils sont sur un pied d’égalité ?
« Ah, oui. Désolée. »
Elle avait dû faire ça exprès.
Le sourire malicieux de Sisbell laissait entendre qu’elle en savait plus qu’elle ne le laissait croire. De plus, il n’était pas sûr que ce soit son imagination, mais il semblait qu’elle trouvait toujours des excuses pour le toucher. En ce moment, avec son bras autour de lui, elle pressait sa poitrine contre lui à travers sa robe fine. Il n’y avait aucun doute sur la sensation de ses seins, bien qu’ils semblaient être plutôt petits.
Elle le regardait avec ses yeux implorants.
« Tu sais que tu es le bienvenu pour être mon subordonné à tout moment. »
« Arrêtez ça ! » objecta Mismis.
« Pas possible ! » Néné avait rugi.
Leurs protestations avaient résonné dans le bus.
« Qu’est-ce que cette sorcière raconte !? Iska est mon subordonné ! »
« Oh ? Mais n’êtes-vous pas une sorcière, Capitaine Mismis ? »
« Iska fait partie de mon cercle ! Vous ne pouvez pas me le voler comme ça ! »
« Je le suis aussi, techniquement. Je ne vois pas le problème. »
Toutes les trois s’étaient regardées fixement.
Sisbell avait été la première à se retirer. « … J’ai confiance en toi. Comme tu peux le constater, mon seul allié est Shuvalts. »
Personne n’avait émis d’objection.
Jhin avait proposé que l’Unité 907 ne mette pas son nez dans les affaires de Sisbell — que ce soit en rapport avec ses objectifs ou son statut. La capitaine Mismis avait accepté.
… Jhin l’a positionné comme quelque chose pour nous protéger d’être pris par le quartier général… mais cela signifie aussi que Sisbell peut continuer à cacher son identité.
La plus jeune princesse. Parmi les objectifs qu’Iska connaissait, elle en avait deux très élevés.
D’abord, pour protéger la vie de sa mère, la reine.
Ensuite, révéler les traîtres qui complotaient pour renverser la nation. Avec ses pouvoirs astraux, c’était possible, avec du temps.
Il était le seul à le savoir.
Mismis, Jhin et Néné avaient décidé de ne pas s’immiscer dans ses affaires.
… Jhin a fait le bon choix… Je veux dire, c’est la même raison pour laquelle ils ne savent rien de ma relation avec Alice.
Tout membre de l’Empire ayant des liens avec la Souveraineté encourait la peine capitale. Même Iska avait été condamné à la prison à vie, et il était un Saint Disciple aux compétences uniques. Le Siège n’avait aucune pitié pour les traîtres.
« Il fait toujours si chaud. » La princesse s’était éventée avec une paume ouverte. « Traverser le désert n’est pas facile. J’ai déjà eu assez de cette chaleur en venant ici. Si ma grande sœur, Alice, était là, il ferait plus frais. »
« Hm ? »
« Ah, rien ! » Sisbell avait glapi lorsque Jhin lui avait lancé un regard perçant. Il repérait tout.
« Iska, tu sembles terriblement calme. »
« Oui, je veux dire, la climatisation fonctionne, et… »
Pourquoi Sisbell s’accrochait-elle à lui si elle avait si chaud ? Tous les autres sièges étaient vides.
« … Pourquoi ne pas t’asseoir dans un endroit plus frais ? »
« Non. » Elle avait levé le nez, comme une gamine snob.
Maintenant qu’il y pense, Iska ne savait pas quel âge elle avait.
D’après les apparences, elle devait avoir un an ou deux de moins que Néné.
« Quel âge as-tu ? »
« J’ai seize ans. Dix-sept ans cette année. »
« … Oh ? Alors ça veut dire que j’ai un an de plus que toi. »
… J’ai l’impression de me souvenir… d’avoir eu cette conversation avec Alice.
La jeune sœur d’Alice était à côté de lui.
Elle avait le sang de la Fondatrice. Une Sang Pure. Une fille de la reine.
Elle était l’otage idéal pour les négociations de paix. Elle était le type de sorcière qu’Iska avait désespérément cherché sur les champs de bataille. Et elle était là, sans défense, se blottissant contre lui.
… Il ne serait pas étrange que je la retienne en tant que soldat impérial… Mais je ne peux pas. Nous avons besoin de cet adhésif pour Mismis.
Ils avaient négocié ce partenariat de travail.
C’est pourquoi il n’avait d’autre choix que de supporter cette attention. Il ne s’était pas attaché à elle ou quoi que ce soit.
Tout était bon à prendre une fois que cette affaire de garde serait terminée. Si jamais leurs chemins se croisaient sur un champ de bataille, il n’hésiterait pas à appréhender la même fille qu’il aidait à s’échapper.
C’était la même chose avec Alice. Dans les tranchées, il n’aurait d’autre choix que de la combattre.
« Sisbell, laisse-moi clarifier une chose. »
Iska avait regardé droit dans les yeux de la fille à côté de lui. Il devait couper tous les liens.
« Une fois que nous aurons fini de te protéger, toi et moi n’aurons plus rien à voir l’un avec l’autre. Si nous nous rencontrons sur le champ de bataille, nous serons ennemis. Tu comprends ça, n’est-ce pas ? »
« Bien sûr, pourquoi ? » Elle avait hoché la tête calmement, même si sa voix semblait joyeuse. « “Une fois que tu auras fini de me protéger”, hein ? Ça veut dire que tu es mon allié jusque là ! Je vois clair dans ton jeu ! »
« … »
Cela avait eu l’effet inverse.
Il essayait de mettre des limites. Mais elle avait trouvé la faille.
« C’est bon… Même si c’est juste pour cette courte période… »
« Sisbell ? »
« … Je te suis reconnaissante. Je suis contente que tu sois là. »
Il pouvait à peine l’entendre.
En fait, il doutait que quelqu’un d’autre — ni le capitaine Mismis, ni Néné, ni Jhin — puisse entendre cette déclaration douloureuse.
C’était presque inaudible, mais il pouvait dire à la façon dont ses épaules bougeaient contre les siennes alors qu’elle parlait, et avec émotion.
« Je vais tenir ma promesse. Si tu peux m’amener au palais, je te donnerai les adhésifs. S’il te plaît, protège-moi… »
« — »
Il était perdu. Il ne pouvait pas se battre. Il ne pouvait plus la pousser afin qu’elle ne s’accroche pas à lui. Pour la durée de son service, elle en avait le droit.
… Elle doit être si anxieuse… Et ce qu’elle a dit venait du cœur. Je le sais.
La capitaine Mismis et Néné avaient commencé à la regarder d’un air menaçant.
La lueur dans leurs yeux était si forte que cela l’avait même effrayée.
« Vous voyez, je ne peux pas dire non… » Iska avait essayé de protester d’une petite voix et avait soupiré.