Chapitre 1 : Une décision arbitraire, des connexions manquées, des cœurs déchirés
Partie 6
Il avait été empoisonné.
Il y avait deux raisons pour lesquelles le successeur de l’Acier Noir n’avait pas remarqué la quantité minuscule de produit dans la boisson.
D’abord, il était déjà préoccupé par les inquiétudes concernant sa supérieure. Quand il avait rencontré une saveur étrange, le poison n’était pas la première chose qui lui avait traversé l’esprit.
Et la seconde était parce qu’il ne croyait pas qu’Alice puisse tenter quelque chose d’aussi méprisable. Il lui faisait confiance.
Cependant, Iska avait mal évalué la situation.
Car ce n’était pas Alice qui avait comploté pour empoisonner le jus, mais sa domestique, Rin.
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« Iska ? Iska, qu’est-ce qui te prend !? »
Le jeune garçon s’était effondré sur le banc, immobile.
Ses yeux étaient fermés, et il n’avait même pas tressailli. Même du point de vue d’Alice, son comportement était manifestement étrange.
… Quoi ?
… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
Il n’avait pas répondu même quand elle l’avait secoué.
Comme il laissait échapper des respirations superficielles, il ne pouvait pas être mort. Mais comment pourrait-il être normal que le plus grand épéiste de l’Empire s’effondre soudainement ?
« Lady Alice, je m’excuse… » Rin avait parlé comme si elle était abasourdie, les yeux papillonnants de peur.
« Quoi ? »
« … Je l’ai empoisonné. J’ai mis un sédatif dans son verre. »
« Tu as fait quoi !? »
Ce n’était pas quelque chose qu’Alice avait ordonné. Pourquoi Rin aurait-elle fait ça volontairement ? Si elles étaient ailleurs, Alice l’aurait réprimandée pour avoir dépassé les bornes, mais elle s’était empêchée de le faire en public.
« Ce n’est pas ce que tu penses, Lady Alice… ! » Rin secoua vigoureusement la tête.
OK, donc elle a mélangé du poison dans le jus, ce qu’elle vient d’avouer. Pourquoi a-t-elle toujours l’air si déconcertée ?
« Explique-toi. »
« Je pensais qu’il ne boirait jamais quelque chose empoisonné de manière si évidente. Je veux dire, j’ai utilisé quelque chose qui était un peu acide — ce qu’il a remarqué. »
« Est-ce du jus de pomme ? L’odeur est différente. »
Maintenant que Rin l’a mentionné, Alice se souvient qu’Iska avait fait un commentaire à ce sujet, même si cela lui était complètement sorti de la tête à ce moment-là.
« En premier lieu, je ne pensais pas qu’il boirait volontiers quelque chose que j’avais offert. »
« … Alors, pourquoi l’empoisonner ? »
« Pour le convaincre que la Souveraineté a essayé de l’empoisonner, je pensais que ce serait une raison suffisante. » Rin avait baissé son regard vers le garçon qui gisait dans un tas de déchets. « Je ne te cacherai rien d’autre. Je me suis dit que ce bretteur comprendrait que tu es une force avec laquelle il faut compter s’il pensait que nous avons essayé de l’empoisonner. Et cela le ferait réfléchir avant de discuter avec toi ou de te retrouver dans la ville neutre. »
« Quoi !? Rin, tu… ! »
« Tout ce que je voulais, c’était mettre fin à cette étrange relation. Lady Alice, tu pourrais devenir la reine de notre pays un jour. »
« … »
« Tu ne peux pas perdre de temps avec un simple soldat impérial. Pendant que tu voyages à l’extérieur du pays, ceux qui visent le conclave sont déjà en train de constituer leurs forces. »
Alice n’avait rien à répondre à cela.
Son accompagnatrice avait dit la vérité irréfutable à celle qui briguait le trône. La lutte interne au sein de la Souveraineté était à ce point acharnée.
Même au sein de la Maison de Lou, qui partageait la lignée de la reine actuelle, Alice devait faire face à sa sœur aînée, Elletear, à sa sœur cadette, Sisbell, en plus de deux autres lignées…
« La planète est remplie de rage. »
« Elle veut que nous utilisions le pouvoir astral pour détruire l’Empire. La reine actuelle est trop douce dans sa politique. »
Il y avait le Seigneur Masqué de la Maison de Zoa.
Et aussi la Maison d’Hydra, bien qu’ils n’aient pas agi de façon perceptible.
Pour devenir reine, elle devait devenir la représentante des trois sœurs Lou et ensuite gagner au conclave contre les maisons Zoa et Hydra.
« Je n’aurais jamais pensé qu’il tomberait dans le panneau…, » même si c’est elle qui avait tendu le piège, Rin regarda le garçon endormi, choquée. « De plus, ça commence à me taper sur les nerfs qu’il dorme comme un bébé. »
« Oui. Il s’est endormi rapidement. C’est presque palpable à quel point il est confiant qu’il va s’en sortir… »
Le garçon était couché sur le côté, sur le banc.
Était-ce parce que le sédatif était fort ? Ou était-ce un signe de son orgueil démesuré ?
La vue de son sommeil paisible suffisait à atténuer l’irritation d’Alice et de Rin. Elles se demandaient presque s’il ne faisait pas semblant de dormir.
« … C’était une erreur de calcul de ma part. Si j’avais su que ce serait le cas, j’aurais utilisé quelque chose de mortel. »
« Rin. » Alice avait prévenu son assistante pour avoir dit l’impensable.
… Argh, sérieusement !
… Du point de vue d’Iska, on croira que c’est moi qui l’ai empoisonné.
Heureusement, c’était juste un sédatif. Mais comment allait-elle s’excuser auprès de lui quand il se réveillerait ? Est-ce qu’il lui pardonnerait ?
« Lady Alice, tu n’as pas besoin de te préoccuper de cela. »
« Non, Rin, ce n’est pas le problème. Je… »
Elle le savait, même sans que Rin le dise à voix haute.
« Depuis que nous nous sommes rencontrés dans la ville neutre, quelque chose de bizarre s’est accumulé dans ma poitrine… »
« … Je sais que ce sentiment fait de moi une princesse ratée. Je suis venue ici avec l’intention de mettre fin à tout ça. »
Alice ressentait des sentiments particuliers pour lui. Elle était prête à le reconnaître — même si elle n’arrivait pas à mettre le doigt sur ses émotions, qui la tenaillaient depuis leur première rencontre dans la ville neutre.
Tout le temps qu’elle avait passé au palais royal, même lorsqu’elle prenait ses repas ou se préparait à se coucher le soir, la voix et la silhouette d’Iska ne quittaient jamais son esprit. Alice savait que tant qu’elle avait l’intention de continuer à être une princesse, cette brume ne lui rendait pas service. Elle devait régler les choses avec lui afin d’en finir avec tout cela.
Et pourtant…
« Argh, sérieusement ? Comment as-tu pu me faire ça, Rin ? Comment puis-je laisser les choses se terminer comme ça !? »
« Il ne reste qu’une seule chose à faire. »
« Quoi ? »
« Nous l’emmenons avec nous. » Rin avait soulevé son corps. Bien sûr, porter un homme plus grand était un jeu d’enfant pour elle. Mais il y avait un autre problème à portée de main.
« Qu… Qu’est-ce que tu penses que tu es en train de faire !? Attends, Rin. On l’emmène ? … Mais où !? »
« À la Souveraineté. Un ancien disciple saint fera un prisonnier de valeur. »
Alice avait finalement compris ce que cela signifiait quand les gens disaient qu’ils doutaient de leurs oreilles.
S’il est vrai qu’ils avaient empoisonné Iska dans une ville neutre… tenter de l’enlever semblait être une toute autre affaire.
« Personne ne fera attention à nous. Nous prenons juste soin d’un ami après qu’il ait passé un bon moment et se soit épuisé. Personne n’y réfléchira à deux fois. »
Tant qu’ils ne se faisaient pas prendre, il n’y a pas de problème. S’il n’y avait pas de témoins dans la ville neutre, la Souveraineté n’aurait pas l’air d’être impliquée dans cette affaire. Alice avait certainement compris le processus de pensée de Rin.
Cependant, elle ne pouvait pas ignorer cela en tant que princesse de la Souveraineté.
« Es-tu sérieuse ? Tu ne peux pas ! La ville neutre ne nous pardonnera pas d’avoir fait ça ! »
« Mais c’est déjà fait. » Rin avait commencé à marcher avec Iska à ses côtés.
« Ce n’est pas vrai. Si on l’emmène à la Souveraineté… »
Il y aurait la torture, puis l’emprisonnement à vie.
Il ne serait même pas étrange de penser qu’un ancien Disciple Saint soit considéré comme trop dangereux pour être gardé en captivité et qu’il soit exécuté.
… Non. Je ne peux pas le permettre.
… Je n’accepterai pas que notre relation se termine ainsi !
« Rin, on ne peut pas faire ça. C’est un ordre ! Nous ne pouvons pas l’emmener à la Souveraineté, et surtout pas à l’État central ! Réfléchis-y. Si Iska se déchaîne, ce sera une catastrophe. Le palais royal sera juste là. »
L’esprit d’Alice tournait en rond alors qu’elle pensait désespérément à des raisons de ne pas coopérer.
« Si Iska se déchaîne là-bas, ce sera un désastre. N’est-ce pas ? »
« … Compris. » Rin s’arrêta dans son élan, le garçon toujours dans ses bras. « Dans ce cas, nous nous rendrons dans le treizième État, Alcatroz — une nation de la Souveraineté qui est le plus proche de cet endroit. »
« Alcatroz ? »
« Oui. C’est le meilleur endroit pour le surveiller. »
Qu’est-ce que Rin voulait dire exactement ?
En tant que princesse, Alice avait immédiatement compris ce que son accompagnatrice avait à l’esprit.
Mais est-ce que ça allait ? L’incertitude l’envahissait. Était-ce vraiment la meilleure idée d’emmener Iska loin de cet endroit ?
… J’ai encore du temps. Je dois tenir bon.
… Tant qu’il n’y a pas de témoins ayant vu la Souveraineté prendre un soldat impérial au piège, je peux encore arranger les choses.
Elle attendrait qu’Iska soit réveillé et s’excuserait — pour effacer totalement ce qui s’est passé.
Mais les calculs d’Alice s’étaient effondrés quelques instants plus tard…
« … Iska ? »
Elle avait reconnu cette voix adorable et avait entendu le bruit sourd d’un sac à provisions heurtant le sol.
« — !? » Alice s’était retournée pour trouver une soldate impériale qui était en train de se promener de la fontaine vers leur banc ombragé.
C’était la capitaine Mismis.
Il y a un témoin.
En un instant, Alice s’était préparée à traverser un pont sans retour. Après avoir vu Iska dans les bras de Rin, Mismis avait dû immédiatement comprendre la situation.
Un soldat impérial, trompé par une princesse souveraine. A-t-il été… empoisonné ?
Même s’ils le laissaient derrière eux, la rumeur se répandrait que la Souveraineté avait commis un crime dans une ville neutre — rien de moins était impensable maintenant qu’il y avait un témoin.
« Quoi — ? Iska — »
« Ne faites pas de scène ! » aboya-t-elle, sévèrement mais assez doucement pour que sa voix ne porte pas à travers la place. À cause de l’intensité de l’ordre, le pied de Mismis se figea sur place, l’empêchant d’avancer plus loin.
… Ce n’est pas ce que tu crois. Je ne voulais pas que ça arrive.
… Mais parce que tu es là, je ne peux plus faire marche arrière.
Bien sûr, Alice n’avait laissé aucune de ces émotions atteindre son visage. Avec Mismis en face d’elle, elle ne pouvait pas se permettre de montrer la moindre faiblesse en tant que princesse.
« Ce bretteur est un ennemi de la Souveraineté, » Alice réussit à étouffer la capitaine hébétée, tout en se mordant l’intérieur de la joue. « Nous allons le prendre. »
« … »
« Nous nous dirigeons vers le treizième état de la Souveraineté, Alcatroz, avec lui comme prisonnier. Les conditions de sa libération seront discutées ultérieurement. Vous devez vous tenir prêts pour toute communication ultérieure. »
« … Je… » L’expression de Mismis s’était tendue.
Son subordonné avait été pris en otage sous ses yeux — et dans une ville neutre, pas moins. Leur pardonner ? Impossible. Alice le savait, à un degré presque douloureux.
« Je vous promets ceci. Sa vie est… »
« Bande de lâches ! »
Le barrage avait éclaté.
D’une voix étouffée, son visage juvénile, rouge et tuméfié, la petite capitaine avait crié.
« Qu’avez-vous fait à Iska ? Vous connaissiez les règles de cet endroit et vous avez quand même osé agir si effrontément. Est-ce comme ça que les sorcières font les choses !? »
« … Je n’ai aucune obligation de vous parler. »
Que pourrait offrir Alice comme explication, à part ses véritables intentions ?
La question qui restait était de savoir comment aller de l’avant. Elle devait réfléchir à la manière de traiter avec Iska maintenant qu’elle l’avait officiellement pris en otage. La peau d’Alice et de Rin se mit à avoir la chair de poule à cause de ce qui se passait.
« Redonnez-moi Iskaaaaaaa ! »
C’était une lueur de pouvoir astral.
Une lueur verte fluorescente s’échappait du bras gauche de la capitaine, qui criait à travers ses larmes. La lumière était si brillante que le tissu de sa veste ne pouvait la cacher, Alice et Rin avaient vu cette même lumière quelques jours auparavant… quand elles étaient dans le vortex.
Alice savait qu’Iska et le capitaine avaient plongé dans son ouverture.
… Le vortex s’est asséché.
… Le Seigneur Masqué a supposé que le pouvoir astral était retourné au cœur de la planète.
Mais il s’était trompé.
La lumière qui brillait sur le bras de cette capitaine disait clairement le contraire.
« Ce n’est pas possible… »
La lumière s’était intensifiée, signe d’une attaque astrale imminente.
C’est mauvais. Il n’y avait aucun doute que cette capitaine avait été dotée de ce pouvoir. Non pas qu’on puisse encore la qualifier de mage. Il n’y avait aucun moyen qu’elle sache comment le contrôler correctement.
Mais ses émotions en ébullition pouvaient encore provoquer l’explosion de son pouvoir astral latent.
« Ne bougez plus ! »
« — Gh. »
Alice parvint à glacer la cheville de la capitaine, la faisant tomber au sol, immobilisée. La glace allait fondre bien assez tôt, et tant que sa cheville gelée resterait enfouie entre les brins d’herbe, pas une âme dans la place ne remarquerait ce qui s’était passé.
« … J’ai fait ça par bonté d’âme, un cadeau de ma part pour vous, nouveau mage astral. »
Ce n’était pas une mesure défensive. Alice avait utilisé son pouvoir astral par souci pour Mismis.
« Je ne sais pas quel type de pouvoir astral vous avez, mais si vous avez accidentellement lancé une attaque, vous auriez enfreint les règles de la ville neutre. »
« … »
« Rin, allons-y. »
Alice tourna sur son talon, s’éloignant de la capitaine au sol, et reprit son chemin en se mordant la lèvre.