Chapitre 12 : Dulosis
Table des matières
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Chapitre 12 : Dulosis
Partie 1
« Eeeek, des monstres ! Sorcière ! Vous devriez tous brûler sur le bûcher ! »
Paris criait alors que je m’approchais de lui.
Quel spectacle pitoyable et pathétique ! Cela lui convenait. Il méritait le sort que j’allais lui réserver.
« Tais-toi maintenant. As-tu si envie de mourir ? », lui avais-je demandé. Les dards des Essaims Toxiques scintillaient dangereusement devant son visage.
« Qu’est-ce que vous voulez ? ! »
« Je veux être sûre que tu subiras le même sort que celui que tu as infligé à des innocents. »
Sentant ma volonté à travers le collectif, les Essaims Toxiques avaient ramassé Paris et commencèrent à l’entraîner.
« Lâchez-moi ! Lâchez-moi, je vous dis ! Avez-vous la moindre idée à qui vous avez affaire ? ! Je suis la main droite de Sa Sainteté, le Pape Benoît III ! »
Paris continua à crier alors qu’on l’emmenait.
Quel larbin !
Le bras droit du pape ? À quoi servait la main droite si elle ne faisait que tuer des gens ? Nous étions peut-être des monstres grotesques, mais cet homme avait ordonné la mort de ses propres proches. Et par-dessus tout, il avait assassiné Isabelle. Ce n’était pas quelque chose que nous étions sur le point d’oublier.
C’est de votre faute si Isabelle a dû souffrir une telle agonie.
☆☆☆**
« Vous tous ! Cet homme a brûlé les membres de votre famille, vos amis et vos proches sur le bûcher pour de fausses accusations ! Mais maintenant, il n’a plus ni pouvoir ni autorité ! Il n’est qu’un lâche impuissant ! Si vous voulez vous venger, allez-y ! », m’étais-je exclamée devant les citoyens de Saania.
En entendant ces mots, le visage de Paris pâlit.
« J’ai entendu dire qu’il est le chef du Département des Punitions… »
« Ma femme a été tuée à cause de lui ! »
Peu à peu, des malédictions haineuses surgirent du peuple de Saania alors qu’ils sortaient de leurs maisons et s’abattaient dans les rues. Chaque homme, femme et enfant fixait Paris avec un regard hostile, preuve de sa haine universelle.
« Maintenant, faites ce que vous voulez de lui ! », avais-je crié.
J’avais ensuite fait jeter Paris dans la foule.
« Tout est de votre faute ! C’est à cause de vous que la pauvre Maëlys a dû mourir ! Elle n’a fait que se soucier de ses parents, et vous l’avez punie avec une chose si terrible ! »
« Cet homme est le véritable hérétique ! Le Dieu de la Lumière est censé être un dieu miséricordieux, mais cet homme a exécuté tous ceux qu’il voulait ! Il n’y a pas une once de miséricorde en lui ! »
L’une des personnes présentes dans le public était Frederico, le propriétaire de la boulangerie qui servait autrefois des petits pains au sucre. Il lui en voulait encore pour Maëlys, qu’il considérait comme un membre de sa famille, qui avait été brûlée vive. Il y avait beaucoup d’autres personnes dans la foule qui avaient été témoins de la mort de leurs proches des mains de l’inquisition.
« Brûlez-le sur le bûcher ! Cet homme est un hérétique ! »
« Brûlez l’hérétique ! »
La foule entraîna Paris sur la place principale, où se trouvait le bûcher.
« Attendez ! Je ne l’ai pas fait ! Je n’ai fait que suivre les ordres ! Vraiment ! Ce n’était pas moi, vous devez me croire ! Je voulais seulement gagner la guerre ! », cria Paris.
Mais le peuple ignora ses paroles et l’attacha au bûcher.
« Brûlez-le ! Brûlez-le ! Brûlez-le ! »
Les masses chantaient et criaient alors que Frederico s’approchait de lui, torche à la main.
« Arrêtez ! S’il vous plaît, arrêtez ! Je vous en supplie ! »
Naturellement, les cris de Paris tombèrent dans l’oreille d’un sourd.
Frederico mit le feu au bûcher, qui fut bientôt enveloppé par les flammes.
« Aaaah ! AaaAAaaAhhh ! Aidez-moi, que quelqu’un me sauve ! »
Le corps de Paris brûla dans l’incendie. Ses vêtements avaient été rapidement rongés, et la peau en dessous fit pousser des cloques douloureuses qui grésillaient et éclataient. Il s’était débattu pour tenter de se libérer, mais il n’avait pas pu échapper aux flammes, et la fumée l’étouffait peu à peu.
« Mon Dieu… Ô, Dieu de la Lumière miséricordieux… Je t’en prie… sauve-moi… »
Puis, Paris Pamphilj rendit son dernier soupir.
« Il est mort ! »
« L’hérétique est mort ! »
Le peuple de Saania applaudi, se réjouissant de sa mort.
« Ils ressentent la même chose que moi », murmurai-je.
J’avais envisagé de tuer tous les citoyens de Saania après cela, mais j’avais décidé d’abandonner.
« Que ferons-nous maintenant, Votre Majesté ? », me demandèrent les essaims toxiques, en tournant leurs têtes instables sur le côté.
« Changement de plan. Nous prenons le contrôle de ce pays. », avais-je dit, en me tournant pour regarder la grande église du Royaume.
☆☆☆**
J’avais avancé au cœur de la cathédrale avec les Essaims Toxiques dans mon sillage. Les gardes avaient tous été chassés au préalable, ce qui m’avait permis d’entrer dans le bâtiment sans résistance. S’il restait quelqu’un pour nous combattre, je n’hésiterais pas à le tuer, mais j’avais essayé d’éviter les effusions de sang inutiles quand je le pouvais.
À ce moment-là, je me sentais miséricordieuse. Sandalphon avait dit que même dans des situations comme celle-ci, je ne devrais pas oublier mon cœur humain. Ainsi, j’avais fait de mon mieux pour respecter la promesse que je lui avais faite.
Enfin, j’avais atteint une salle tout au bout du bâtiment.
« Pardonnez mon intrusion », avais-je dit en entrant.
« Qu’est-ce que… !? Des monstres ! » s’écria un cardinal qui se recroquevilla à l’intérieur.
« Restez calme. Elle ne nous fera pas de mal », dit un autre avec calme.
Dans cette pièce, il y avait des cardinaux infectés par des Essaims Parasites et des cardinaux qui ne l’étaient pas. Il était naturel que les premiers soient si calmes.
« Permettez-moi de me présenter. Je suis Grevillea, Reine de l’ Arachnée. Je suis celle qui dirige les essaims qui vous ont tant tourmentés. Je crois que c’est notre première rencontre, mais je ne vous connais que trop bien, messieurs. »
Ayant utilisé les Essaims Parasites pour observer les cardinaux, je savais ce que chacun d’entre eux voulait.
« Je suis venue ici pour vous conseiller de vous rendre. Comme vous pouvez le voir, j’ai déjà abattu votre dernière ligne de défense. Metatron est mort, et il ne reste plus rien pour vous protéger de mon armée. Si vous vous rendez pacifiquement, nous vous permettrons de vivre comme nos vassaux. »
« Nous ne nous soumettrons pas aux monstres ! »
« Au fait, le cardinal Pamphilj vient juste d’être battu… »
J’avais vu l’espoir dans leurs yeux vaciller et s’éteindre.
« Si vous ne vous rendez pas volontairement, nous devrons détruire cette ville et celles qui l’entourent, en tuant tous les innocents. Il ne vous reste que quelques villes, mais ces gens sont toujours vos précieux citoyens. Allez-vous les laisser mourir ? »
S’ils choisissaient de résister, je transformerais tout leur peuple en boulettes de viande. J’avais agi avec un peu de pitié, mais je n’étais pas généreuse à ce point.
« Vous oseriez utiliser les gens de la ville comme levier ? »
« Mais leur vie est importante. Nous ne pouvons pas abandonner notre peuple… »
Les cardinaux infectés et non infectés discutèrent de mon ultimatum.
« Nous devons nous rendre. Nous n’avons plus les moyens de nous battre. L’Empire Nyrnal nous attaque depuis le sud, et il n’y a rien que nous puissions faire. », dit le pape Benoît III tout en soupirant de résignation.
« C’est sage. Puisque vous n’avez plus d’armée, se rendre est une bonne décision. », avais-je dit.
J’avais envisagé d’infecter le pape avec un Essaim Parasite, mais j’avais réalisé qu’il ne nous avait jamais donné cette chance. Pourtant, s’il était prêt à nous remettre le contrôle de son pays, il n’en aurait de toute façon pas besoin.
« Quelles sont vos conditions ? », demanda-t-il.
« Vous serez soumis à l’Arachnée. Vous nous obéirez sans objection. Tant que vous ferez cela, vous serez en droit d’adorer le Dieu de la Lumière, ou tout autre dieu que vous désirez. Nous voulons des vassaux obéissants qui ne résisteront pas. Si vous ne vous révoltez pas, et que vous nous fournissez ce dont nous avons besoin, nous vous permettrons de vous gouverner vous-mêmes. »
« Vous n’allez pas exiger qu’on vous donne des humains comme nourriture ou comme esclaves ? »
Il me jeta un regard suspicieux sous son front ridé.
« Tant que vous resterez obéissants, je peux vous garantir qu’aucun mal ne sera fait à votre peuple. Nous pouvons cependant vous demander du bétail. »
À vrai dire, la chair humaine était insuffisante. La viande du bétail élevé à la ferme était meilleure sous tous les aspects, y compris pour faire des boulettes de viande. En outre, en matière d’élevage, les humains n’étaient pas aussi faciles à gérer que les animaux de ferme.
« Si c’est tout ce que vous voulez, nous acceptons votre proposition. Faisons la paix, Mlle Grevillea. »
« Bien. Mais n’oubliez pas que nous vous surveillerons constamment. »
Si le Royaume Papal de Frantz venait à rompre ce traité de paix, les cardinaux infectés par les essaims parasites m’en informeraient immédiatement. Je n’étais pas particulièrement inquiète à ce sujet.
« Et puisque vous serez nos vassaux, nous promettons de vous protéger de l’Empire Nyrnal », avais-je ajouté.
« Pour cela, nous vous sommes reconnaissants. Ce pays tyrannique nous a subitement attaqués… Non, ils ont probablement attendu que la guerre nous affaiblisse suffisamment. Une nation aussi sournoise et méprisable… »
À l’heure actuelle, l’Empire de Nyrnal était notre ennemi commun. Au moment où ils avaient envahi notre territoire, ils avaient également déclaré la guerre au Royaume Papal.
« Alors nous allons conclure un cessez-le-feu. Prenons un jour ou deux pour rédiger un traité de paix que les deux parties trouveront satisfaisante. Nous ne voulons pas vous combattre plus longtemps. », avais-je dit.
La guerre était peut-être l’objectif de l’Essaim, mais ce n’était pas ce que je voulais. J’avais au moins l’intention de mettre un terme à tous ces combats après avoir détruit l’Empire de Nyrnal.
J’ai déjà fait assez de guerres, non ?
Ainsi, l’Arachnée entama des pourparlers de paix avec le Royaume Papal de Frantz. Le Royaume accepta d’enterrer la hache de guerre et jura de maintenir indéfiniment des relations amicales avec l’Arachnée. En outre, il avait été décidé que le Royaume accorderait à la faction de l’Arachnée toutes les fournitures dont elle aurait besoin en échange de l’aide militaire que l’Arachnée lui fournirait.
Enfin, l’Arachnée n’interférerait pas avec l’observance religieuse du Royaume. Frantz conservait le droit d’élire son propre pape et ne pouvait plus organiser d’autres inquisitions.
Le pape Benoît III et moi-même avions signé le document détaillant ces conditions, concluant ainsi la guerre entre l’Arachnée et le Royaume de Frantz. Il ne restait plus qu’à mener notre prochaine bataille contre l’Empire de Nyrnal, mais cela s’annonçait difficile.
Nyrnal avait déjà pris le contrôle de la plus grande partie de notre territoire à Maluk. Nous avions envoyé des Essaims Génocidaires et des Essaims Toxiques depuis nos bases d’opérations avancées à Schtraut, mais ils n’avaient pas fait grand-chose pour entraver l’avance de l’ennemi.
Il faudrait que je commence à m’occuper sérieusement de cette guerre le plus tôt possible. Je devais débloquer toutes les unités restantes et les envoyer affronter l’ennemi.
Ne t’habitue pas à ce que tout se passe comme tu le souhaites, Nyrnal.
Alors même que cette pensée provocante me traversait l’esprit, des problèmes couvaient ailleurs.
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« Oooh. Cette fille n’est pas mal du tout », dit Samael en regardant une carte détaillant l’équilibre des pouvoirs sur le continent.
Alors que l’Arachnée n’avait plus le contrôle sur les territoire de Maluk, le Royaume Papal de Frantz était désormais teinté dans sa couleur. La carte aux pieds de Samael était fonctionnellement la même que la carte du jeu.
« L’armée du grand empereur a arraché les terres de Maluk et un peu de Frantz… Quelle déception ! J’attendais un peu plus de l’héritier de Gregoire, héritier de l’héritage des dragons. Ces gars devraient vraiment secouer un peu plus les choses. Les feux de la guerre devraient se répandre sur tout le continent au moment où tout sombre dans le chaos. C’est pourquoi ils ont ces wyvernes, non ? Pourquoi les bêtes prennent-elles la fuite, ne devraient-elles enflammer le monde ? Sont-elles simplement là pour plaire aux masses avec leurs acrobaties ? C’est ridicule… »
Samael claqua des doigts et une chaise apparut de nulle part.
« Eh bien, il n’y a pas de quoi s’inquiéter », dit-elle.
Elle s’assit et croisa les jambes, les collants noirs qu’elle portait faisant un son doux au moment où elle le faisait.
« Dame Samael a tout prévu. Je sais comment provoquer un pandémonium. Je vais juste allumer un feu sous l’Empire de Nyrnal pour qu’il unifie le continent avec une vigueur renouvelée. Oui, oui, oui. Dame Samael a tout prévu. »
Elle lécha ses lèvres, qui étaient enduites d’un rouge à lèvres pâle.
« Je veillerai à ce que l’Empire apprenne ce qu’est la véritable panique. Et dans sa lutte frénétique, il pointera ses lames vers l’Arachnée. »
Samael gloussa fort, satisfaite d’elle-même.
« Nyrnal va courir à travers le continent, semant la mort et le désordre partout où il ira. C’est la guerre. C’est le comportement humain. C’est l’essence même de la monstruosité. Pourquoi hésiter quand il s’agit de dévoiler la vraie nature de ce monde ? »
Son expression changea. Toutes les traces de son plaisir disparurent, laissant place à un regard froid et cruel.
« Mais je dois admettre que les actions de Sandalphon ont été inquiétantes. Elle est irritante. Elle essaie vraiment de sauver _________, la reine de l’Arachnée. La retirer de mon merveilleux jeu est une chose que je ne peux pas permettre. Cette fille restera quoi qu’il arrive mon jouet. Je ne vais pas laisser Sandalphon l’avoir maintenant.
Continuons ce jeu. Ce jeu amusant, très amusant. Je me demande quel visage fera notre petite reine quand le monde sera couvert de cadavres et que le grotesque viendra régner sur ce monde. Sera-t-elle heureuse ? Déçue ? Terrifiée, peut-être ? Quoi qu’il en soit, j’attends cela avec impatience. C’est une personne avec laquelle ça vaut la peine de jouer. »
Samael se retourna alors dans son fauteuil.
« Maintenant, mes précieux spectateurs, c’est l’heure de l’événement principal. L’Arachnée et l’Empire Nyrnal, héritiers de la faction Grégoire, vont bientôt s’affronter. Regardez l’affaire en retenant votre souffle. Qui sortira vainqueur, l’Arachnée ou l’Empire ? »
Samael sauta alors de sa chaise et atterrit aussitôt sur un point précis de la carte.
« La bataille décisive aura lieu dans l’Union des Syndicats de l’Est, un pays corrompu que les hédonistes appellent leur maison. Cette nation courageuse et insensée a osé vivre sans plier un genou devant Nyrnal ou Frantz. Quelle faction sortira victorieuse ? »
Malgré les hostilités en cours, l’Union des Syndicats de l’Est avait conservé sa neutralité.
« L’Arachnée produit de nouvelles unités pour renforcer sa force, mais il en va de même pour l’Empire de Nyrnal. Eux aussi se cachent dans l’obscurité, utilisant l’héritage de la faction Grégoire pour augmenter leur armée de dragons. Bientôt, les wyvernes ne seront plus la seule chose à craindre. »
Quel genre de forces l’héritage de la faction Grégoire pourrait-il produire qui éclipserait même les redoutables wyvernes ?
« La guerre va continuer. Elle continuera ! Reprenons le jeu avec de nouvelles unités, de nouvelles tactiques, et de nouvelles victimes. Ahh, je peux déjà goûter à la béatitude qu’elle apportera ! », dit Samael avec joie.
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Partie 2
Elle rit à nouveau, puis ramassa la carte et partit. Les puissances en guerre étaient actuellement dans une impasse, et les frontières des nations ne montraient aucun signe de changement pour l’instant. Cependant, le nombre de victimes ne fera qu’augmenter à partir de maintenant. Des essaims vont mourir pour tenir les frontières, tout comme les soldats de Nyrnal qui tentent de percer.
Le sang coulera des deux côtés, lentement mais sûrement, la peinture cramoisie tachera la carte du continent.
Mais les choses se passeraient-elles vraiment comme Samaël le souhaitait ? La reine de l’Arachnée, du moins, n’avait pas l’intention de laisser cela se produire. L’Arachnée était à la fois le plus grand espoir du monde et son plus profond désespoir.
☆☆☆
Les réfugiés de Schtraut retournèrent progressivement dans leur pays d’origine, dans l’ancien duché.
« Ce groupe se rend dans le premier complexe résidentiel temporaire. Et celui-ci, hmm… »
Roland organisait et s’occupait du retour des réfugiés. Il travaillait avec l’espoir que leur patrie renaisse, négligeant même le sommeil. Avec l’aide de quelques Essaims, il avait déplacé les réfugiés dans des maisons vacantes et avait construit des résidences temporaires pour accueillir ceux dont les maisons avaient été incendiées.
« Nous sommes enfin chez nous ! »
« Ahh, ça fait du bien de remettre les pieds sur le sol du Duché ! »
Les réfugiés, c’est-à-dire les citoyens de Schtraut, avaient été soulagés. Ils allaient pouvoir repartir à zéro, et cela les rendait plus heureux que tout le reste. Pendant leur séjour dans le Royaume Papal, ils avaient constamment vécu sous la menace des inquisiteurs et craignaient d’être un jour qualifiés d’hérétiques.
Aujourd’hui, ils avaient quitté l’exiguïté des camps de réfugiés et pouvaient à nouveau vivre dans leur pays. Ils étaient enfin à l’aise.
« Avons-nous vraiment le droit de faire cela ? »
« Ils ne nous attaqueront pas ? »
La seule chose qui les rendait mal à l’aise était la présence des Essaims. En ce moment, les Essaims faisaient office de laquais de Roland et aidaient Schtraut dans ses efforts de reconstruction. Mais aux yeux des citoyens, ces créatures étaient la raison pour laquelle ils avaient été chassés de cette terre, et ils ne pouvaient pas pardonner cela si facilement.
Les parents avaient caché leurs enfants, tandis que les frères et sœurs plus âgés avaient caché leurs plus jeunes frères et soeurs en s’efforçant de garder leurs distances avec les Essaims.
« Je suppose que nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’ils nous fassent confiance en un jour », murmura Roland avec un soupçon de déception en les regardant.
Ce n’était pas vraiment une surprise. L’Essaim avait déjà dévasté Schtraut une fois auparavant, et même s’ils étaient maintenant des alliés, les citoyens ne pouvaient pas se résoudre à leur faire confiance tout de suite. Cette confiance devait être gagnée, petit à petit.
Et c’était ce que souhaitait la reine de l’Arachnée. Si elle empêchait l’Essaim de tuer des civils, elle garderait son cœur humain et respecterait la volonté des personnes qu’elle avait perdues. Ses actions étaient aussi un moyen de s’assurer que l’Essaim puisse survivre sans elle.
Après tout, elle n’était pas immortelle. Elle aussi allait finir par mourir, le combat avec le Séraphin Métatron l’avait rappelé avec tristesse. Si les choses s’étaient passées différemment, Metatron l’aurait tuée.
Que se serait-il passé après sa mort ? L’essaim serait laissé pour compte dans ce monde malveillant, et sans chef, ils étaient faibles. Ils seraient réduits à une horde d’insectes incapables de stratégie ou de tactique, et ils essaieraient avec force de conquérir le continent avec leur nombre, et ce sans aucun répit.
Aucune unité ne serait modernisée, aucun bâtiment ne serait déverrouillé. L’Essaim se contenterait de combattre sans relâche. Roland ne pouvait pas imaginer qu’ils obtiendraient la victoire dans cet état. Le seul destin qui les attendait serait l’extermination.
Pour empêcher cela, la reine les poussait à nouer des relations cordiales avec les citoyens de Schtraut. Si l’essaim avait des alliés capables de créer une technologie et d’exprimer des pensées indépendantes, ils pourraient devenir capables de continuer sans elle. Même si elle devait mourir avant la fin de la guerre, l’Essaim serait entouré d’êtres humains, afin qu’ils ne soient pas considérés comme de simples monstres.
Si l’Essaim pouvait vivre aux côtés de l’humanité, celui-ci ne se sentira pas menacée d’extinction. Ils deviendraient de véritables amis de l’humanité, et la société finirait par accepter, voire par accueillir leur présence. Dans ce cas, les gens ne ressentiraient pas le besoin de s’en débarrasser.
Mais cela prendrait du temps pour y parvenir.
« Très bien, qui est… »
Mais au moment où Roland s’apprêtait à transmettre une question au collectif…
« Aaaah ! »
Une mère portant son enfant d’environ trois ans trébucha en essayant de franchir le mur frontalier. Elle était devenue pâle lorsque le petit glissa de ses bras. Mais le garçon n’avait pas touché le sol. Un Essaim Éventreur s’était précipité et l’avait rattrapé juste à temps.
« Eeek ! »
La femme cria de peur, pensant probablement que son enfant était sur le point d’être mangé, et se prépara à l’arracher. Mais l’Éventreur n’avait pas essayé de manger le garçon. Il le tenait simplement vers elle, attendant patiemment qu’elle le prenne.
« Vous… Vous l’avez sauvé ? », demanda-t-elle avec prudence.
L’Éventreur ne dit rien et continua à attendre, les pattes avant tendues.
« Hum, merci. »
Perplexe, elle prit doucement l’enfant de l’Éventreur et entra dans Schtraut.
Après avoir vu cette chaîne d’événements, Roland soupira de soulagement.
« Peut-être que l’Essaim comprend mieux que moi la volonté de Sa Majesté. »
L’Essaim obéit à la conscience collective, avec la reine en son centre. Bien que la reine pensait qu’être absorbée par la conscience collective la mettrait sur la voie d’un massacre aveugle, il semblerait que ce ne fût pas tout à fait le cas.
Comme elle le souhaitait, l’Essaim apprenait la pitié. Ils ne cherchaient plus à triompher uniquement par le meurtre de masse, ils étaient maintenant capables de choisir d’accepter les autres et de faire preuve de pitié. Ils ne réduisaient pas simplement les gens à des boulettes de viande, mais ils avaient appris à tendre la main et à prêter main forte.
La coexistence avec l’humanité… Elle n’était peut-être pas entièrement impossible. L’Essaim avait coopéré avec les elfes de Baumfetter, alors peut-être pouvaient-ils aussi coopérer avec une autre nation. L’Éventreur qui avait sauvé cet enfant fit réellement paraître cette possibilité.
L’Arachnée montrait des signes de changement. Elle avait peut-être été classée comme une faction maléfique, mais elle renaissait peut-être en quelque chose de nouveau. Mais ce processus prendrait du temps. Les habitants du continent étaient encore bien trop hostiles à son égard, et l’existence de l’Essaim était trop menacée.
Et tant que ces menaces subsisteraient, l’Essaim choisira de continuer à se battre. Il lui faudrait parfois mettre de côté ces cœurs miséricordieux et teindre le monde de sang comme les machines meurtrières qu’ils étaient censés être à l’origine.
L’Empire de Nyrnal était une menace majeure pour l’Arachnée. Et tant que l’Arachnée chercherait la victoire, elle donnerait la priorité à cela plutôt qu’à la miséricorde. La bataille entre l’homme et le monstre — et entre les monstres — allait se poursuivre sans fin.
Il y avait néanmoins l’espoir que le monde envisagé par la reine de l’Arachnée puisse devenir une réalité. En outre, il y avait encore de l’espoir pour ceux qui avaient péri dans les nombreuses batailles qui avaient eu lieu jusqu’alors.
« Je le vois… ! Oh, c’est une fille ! »
Le premier cri d’un nouveau-né résonnait dans tout le duché de Schtraut. Sa mère, son père et leur sage-femme veillaient sur elle avec affection, bénissant sa nouvelle vie.
« Elle est adorable… Elle te ressemble », dit le père de l’enfant, en prenant l’enfant dans ses bras et en la berçant.
« C’est sûr. Comment devrions-nous l’appeler ? », demanda sa mère.
« Et si… Isabelle ? Ce n’est pas un mauvais nom, hein ? »
Il berça le bébé d’avant en arrière pour tenter d’étouffer ses pleurs.
« Oui… C’est un prénom merveilleux, chérie. Allons avec Isabelle. »
Aucun des deux n’avait connaissance de la chère amie de la reine d’Arachnée, la courageuse pirate qui avait été brûlée sur le bûcher. Ces deux-là avaient été piégés dans les camps de réfugiés à l’époque, ils n’avaient donc aucun moyen de voir ce qui se passait dans le monde extérieur.
Malgré cela, ils avaient choisi de nommer leur enfant Isabelle. Quel sens ce geste avait-il eu ? Qu’était-il arrivé à ceux qui sont morts dans ce monde ? Seules quelques personnes connaissaient la réponse.
☆☆☆
Un monde blanc s’étendait à perte de vue. Une fille seule se tenait là, également vêtue de blanc. Sa peau était d’albâtre et ses cheveux raides d’un blond cendré foncé, sans aucun ornement. Ses yeux de saphir étaient maintenant fermés, elle inclinait la tête vers le ciel blanc comme pour prier.
« Ma chère _________. Je crois que vous avez beaucoup souffert. Je suis désolée de dire que seule une douleur plus grande vous attend. Et pourtant, nous n’avons d’autre recours que de compter sur vous. Nous ne pouvons que mettre notre foi en vous et en votre immense force. »
Sa voix était pleine de regrets. Elle avait ouvert les yeux une fois de plus.
« Nous devons avoir confiance en vous si nous voulons sauver votre âme de ce monde fermé. Nous avons besoin que vous continuiez à aller de l’avant. Ensemble, nous allons détruire ce jeu vil que le diable a créé. »
Sandalphon savait où ce jeu se déroulait, et elle savait ce qui arrivait à ceux qui y mouraient. C’était pour cette raison qu’elle avait décidé de détruire le jeu. La créature malveillante qui avait dans un premier temps créé ce scénario cruel ne devait pas être pardonnée.
« La disparition d’une personne est terriblement triste, mais vous devez surmonter cette tristesse et aller de l’avant. Vous devez vaincre cette tristesse par tous les moyens nécessaire, que ce soit par la vengeance ou la prière. Si vous ne bougez pas, vous aurez pris le mauvais chemin et vous serez tombé dans les mains du diable. C’est inacceptable, il faut mettre fin à ce jeu. »
Les paroles de Sandalphon étaient comme une prière.
« Je sais qu’il est terriblement désagréable que je ne puisse rien faire d’autre que de veiller sur vous et de prier alors que vous vous battez bec et ongles pour survivre dans ce monde. Mais quand même, permettez-moi de faire ce souhait égoïste : Soyez victorieuse. Et je souhaite aussi que vous n’oubliiez pas votre cœur humain. »
Elle ferma alors les yeux.
« Au nom de notre Seigneur, je vous pardonne vos péchés. Puissiez-vous trouver le salut. Et s’il vous plaît, pardonnez-moi d’être si impuissante, et de ne pas pouvoir être votre guide. »
Pendant que cette histoire macabre se déroulait, des choses se déroulaient en coulisses. Dans l’ombre, une histoire plus grande et plus grandiose se préparait.
☆☆☆
Le Royaume Papal de Frantz était tombé, le monde entrait dans une nouvelle ère. Avec la défaite du Royaume, l’équilibre du pouvoir sur le continent s’était déplacé, déchiré entre l’Arachnée et l’Empire de Nyrnal. Maintenant que l’armée alliée avait été dissoute, les petits pays s’étaient mis à la recherche de la protection de Nyrnal. L’Empire, avec ses armées vastes et puissantes, n’était que trop heureux de rendre service.
Les lignes de front s’étendaient du Duché de Schtraut au Royaume Papal de Frantz, et les deux camps se regardaient de l’autre côté de la frontière. Malheureusement pour l’Empire, les chances de réussite d’une attaque sur les territoires du duché du côté de Maluk étaient extrêmement faibles. Il avait dans un premier temps été contraint de diviser considérablement ses forces afin d’occuper Maluk.
Cependant, la reine de l’Arachnée ne le savait pas. Ainsi, si Nyrnal devait faire un mouvement, ce ne serait pas vers l’ouest, mais vers l’est. Le champ de bataille suivant devait être l’État neutre pris en sandwich entre les deux grandes puissances : l’Union des Syndicat de l’Est.
Aujourd’hui encore, l’Union des Syndicats de l’Est ignorait les exigences de Nyrnal et ne montrait aucun signe de capitulation devant l’Arachnée. Les marchands savaient que les chances que leur terre devienne le prochain champ de bataille étaient élevées, mais ce n’était pas certain. L’Union des Syndicats de l’Est serait-elle vraiment le lieu du prochain conflit ?
La réponse à cette question dépendait du commandement de Grevillea, la chef de l’Arachnée, et de Maximillian, le chef de Nyrnal.
Ce jour-là, la ville de plaisance de Khalkha brillait à nouveau comme un paradis. Partout dans la ville, il y avait du vin de grande qualité, des jeux d’argent à gros enjeux, de belles femmes, des hommes costauds, des narcotiques et des bouffons cajoleurs. Khalkha offrait des plaisirs que l’on pouvait trouver ailleurs, mais en même temps, cette ville abritait des plaisirs que l’on ne pouvait trouver nulle part ailleurs.
Le Royaume Papal de Frantz l’avait dénoncée comme un repaire de péchés et d’immoralité, mais les habitants de Khalkha considéraient leur ville comme l’unique oasis de ce désert qu’était le monde. Néanmoins, que feraient-ils si leur utopie devenait un champ de bataille ? Les temps de paix seraient bientôt terminés et une ère de guerre commencerait.
L’Empire Nyrnal et l’Arachnée regardaient l’Union des Syndicats de l’Est comme des hyènes affamées. Les richesses de la nation et ses infrastructures menant au territoire de Nyrnal en faisaient une cible tentante. De plus, celui qui gagnera cette terre aura un avantage écrasant dans les batailles à venir.
Venez, chers spectateurs. Regardez la bataille à venir, et n’osez pas cligner des yeux. Une lutte désespérée jusqu’à la mort va bientôt commencer.