Chapitre 9 : La chute du royaume
Table des matières
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Chapitre 9 : La chute du royaume
Partie 1
L’Arachnée traversa la rivière Aryl au nord et au sud en utilisant la même méthode, laissant le royaume de Maluk sans plus de défenses majeures. Il y avait encore quelques forteresses entre nous et la capitale, mais elles ne dureraient pas longtemps. Chacune des forteresses était isolée, formant une sorte de cercle protecteur autour de la Siglia.
« Une autre en moins », dis-je en abattant une autre forteresse.
L’air était épaissi par l’odeur du sang. Mes Essaims Éventreurs emportaient tous les cadavres, qui allaient bientôt être transformés en boulettes de viande et ensuite stockés ou placés dans des fours à fertilisation.
Voir les restes des soldats — vêtements, armures et autres — réduits en boulettes de viande aurait dû me dégoûter ou m’effrayer au plus haut point. La puanteur de la mort et les bruits de claquement du liquide visqueux qui s’écoulait ensemble auraient suffi à faire vomir n’importe qui.
Mais j’étais là, à regarder tout cela en grignotant un sandwich.
Je les avais faits en utilisant des ingrédients que les soldats avaient laissés dans la forteresse. Je les avais garnis de jambon et de fromage. Dernièrement, je n’avais pu trouver que du pain sec et du pain dur, alors manger des sandwichs mous et chauds remplis de fromage était un vrai régal. J’avais savouré chaque bouchée en regardant les essaims Travailleurs faire leurs boulettes de viande.
« Hé, Sérignan. »
« Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Sérignan, qui se tenait à mes côtés, attira mon attention.
« Veux-tu un sandwich ? »
« Non. Je ne pourrais pas espérer manger la nourriture de Votre Majesté », dit-elle en jetant un coup d’œil furtif à mon repas.
Les chevaliers aiment donc aussi les sandwichs grillés. Quelle mignonne petite histoire !
« Tu peux en prendre un. J’en ai fait trop. »
« Vous m’honorez, Votre Majesté ! »
Sérignan s’était jeté sur les sandwichs comme un chiot à qui on aurait jeté un os, en les avalant avec enthousiasme.
L’Essaim, dont Sérignan faisait partie, n’avait pas particulièrement besoin de manger. Il n’y avait pas de frais d’entretien pour les unités, peu importe le nombre. Même si je faisais des sandwichs délicieux, Sérignan n’avait pas besoin de les manger.
Mais je supposais que même l’Essaim voulait parfois manger pour le plaisir. Grâce à la conscience collective, ils avaient pu goûter les sandwichs par procuration grâce à Sérignan et moi. Cela dit, les Essaims étaient nés de la viande séchée et crue et avaient mangé de la chair humaine… il était douteux qu’ils trouvent un sandwich grillé en tout point savoureux.
« Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté. Nous sommes honorés de goûter aux mêmes saveurs que vous », avait lancé un Essaim Éventreur.
Apparemment, même mon doute s’était répandu au sein du collectif.
« Très bien. Cela me convient. »
Pour l’instant, ils n’avaient soulevé aucune objection à mes actions. Ils avaient fait ce que j’avais ordonné, acceptant mes raisons sans discussion. Il était clair qu’il n’y avait pas de conflit dans la conscience collective.
Est-ce que je devenais plus semblable à l’Essaim, ou est-ce que l’essaim était influencé par moi ? Je n’avais pas pu le dire.
Mais pour l’instant, nous avions une guerre à gagner.
« Les unités du nord et du sud sont en position. »
En mangeant mon sandwich, j’avais confirmé par le biais du collectif que les autres unités étaient prêtes à attaquer Siglia. La résistance du Royaume sur les autres fronts avait été faible, et tous les civils avaient été tués. Tous les habitants des zones rurales et urbaines avaient été massacrés et transformés en boulettes de viande, laissant leurs villes ensanglantées et vides.
Je menais encore cette guerre comme si elle faisait partie d’un jeu. Le jeu dictait que tant que l’ennemi avait des unités restantes, je ne pouvais pas revendiquer la victoire. Je m’étais tenue à ces règles et j’avais exterminé tout le monde dans le Royaume de Maluk. L’essaim piétinait les villages, les villes et les forteresses, sauvagement et sans avertissement. Personne n’avait été autorisé à vivre.
Les gens de ce monde ne pouvaient pas espérer égaler la vitesse des Essaims Éventreurs. Le temps que les villageois, les citadins ou les soldats remarquent l’approche des essaims, ils étaient déjà fichus. Les faux et les crocs étaient rapides, prêts à les moissonner comme les récoltes qu’ils étaient.
Mes Essaims n’avaient pas fait de prisonniers. Ils avaient attaqué par vagues, en conquérant chaque colonie et chaque structure sur leur chemin. Les jeunes, les personnes âgées, les blessés et les malades, tous avaient été réduits en morceaux pour être placés dans nos fours et nos stocks.
Même moi, j’avais dû remettre en question ma capacité à faire des choix aussi froids et difficiles. Après tout, nous étions en train de tuer des êtres humains. Mes camarades dans ce monde étaient l’Essaim, mais biologiquement parlant, j’étais humaine. Pourtant, j’avais rejeté l’idée de vivre parmi les humains, me rangeant plutôt du côté de l’Essaim pour massacrer mes semblables.
Était-ce la bonne chose à faire ? Probablement.
J’avais juré à l’Essaim que j’apporterais la victoire qu’ils désiraient et j’avais l’intention de tenir cette promesse. Même si cela signifiait se retourner contre ma propre espèce. J’avais tué beaucoup d’humains dans le jeu, c’est à peu près la même chose. Oui, c’était juste un peu plus réaliste, c’est tout.
« Êtes-vous anxieuse, Votre Majesté ? », demanda Sérignan.
De toute évidence, elle avait senti mon conflit intérieur.
« Non, je ne suis pas anxieuse, Sérignan. Je les déteste, c’est tout. Je déteste le royaume de Maluk pour avoir envoyé les chevaliers qui ont tué Linnet. Plus que ça, je les déteste pour avoir fait obstacle à votre victoire. »
J’avais mis le dernier morceau du sandwich grillé dans ma bouche et je m’étais levée.
« Allez, Sérignan. Allons-y. On est à un pas du triomphe. Une fois que ce sera fait, on pourra décider de la suite. Si d’autres pays nous embêtent, on les éradiquera aussi. »
Nous avions renversé les quatre forteresses restantes, ne laissant aucun survivant. Très vite, nous nous étions retrouvés devant Siglia.
J’avais mis en place une nouvelle base d’opérations avancée juste à l’extérieur de la capitale et j’avais utilisé l’or que nous avions obtenu par le pillage pour débloquer de nouvelles armes de siège. J’avais dirigé mes nouveaux canons Charognard — la version améliorée des trébuchets en os — vers Siglia.
Le canon Charognard lança de la chair en décomposition. Il empoisonna toutes les unités se trouvant dans la zone d’impact, et provoqua la dégradation des structures et des installations à proximité. Bien que sa puissance de feu soit faible, ces effets secondaires étaient désagréables. C’était l’une de mes armes préférées. Quant à sa conception, elle ressemblait plutôt à un insecte et était ornée de chair en décomposition. Comme la plupart des constructions d’Arachnée, la chose était assez grotesque.
Une fois que les Essaims Travailleurs avaient fini d’installer douze canons Charognards, il était temps de commencer notre assaut. Il était clair que les citoyens de Siglia n’étaient pas prêts à évacuer. Les réfugiés se précipitaient probablement dans la capitale, pensant qu’ils seraient en sécurité dans ses murs.
En observant la ville devant nous, je m’étais dit ceci :
On dirait que nous aurons beaucoup de viande dans un futur proche.
☆☆☆**
« La fin des temps est proche ! Ces murs seront brisés par la légion de monstres ! Une grande ruine va s’abattre sur le monde ! Prier le Dieu de la Lumière est inutile, car même Lui ne peut pas se mettre en travers du chemin de ces monstres de l’enfer ! »
Sur la place centrale de Siglia, un ecclésiastique d’âge moyen prononçait un discours ardent. Il était l’un des rares à avoir miraculeusement échappé à la ruée de l’Éventreur, il connaissait donc la véritable terreur de l’Arachnée. Il avait décidé que leur apparition était un signe de la fin des temps.
L’invasion de l’Arachnée avait été si intense qu’elle avait sapé un ecclésiastique de sa propre foi.
« Tais-toi, vieil excentrique ! Tu n’as pas la permission de tenir une assemblée ici ! Part ! »
Les cavaliers arrivèrent pour mettre fin aux divagations de l’homme et briser la foule qui s’était formée autour de lui.
« Hé ! Nous ne sommes envahis que parce que vous, soldats, êtes trop faibles pour les repousser ! Si vous voulez vous plaindre, faites-le après avoir tué ces monstres ! »
Les roturiers jetèrent des ordures et lancèrent des insultes aux soldats.
« Comme c’est terrifiant… Que va-t-on devenir ? » chuchota une jeune mère d’une vingtaine d’années.
Elle s’appelait Ludmila. Elle était en train de faire des courses avec ses fils de cinq et sept ans. En voyant les soldats se confronter avec les habitants, elle avait été prise de peur. L’atmosphère paisible habituelle de Siglia avait été entachée d’anxiété et de terreur.
« Maman, on dit que des monstres arrivent. »
« Vont-ils nous manger ? »
Ses enfants regardèrent leur mère qui les éloigna de la dispute sur la place.
« Ça va aller. La ville a de grands murs, pas vrais ? Ils ne les franchiront pas aussi facilement. Les monstres devront juste abandonner et aller ailleurs. »
« Alors nous sommes en sécurité ! »
« Oui ! Je n’ai pas peur des monstres ! »
Cela dit, Ludmila ramena ses enfants à la maison.
☆☆☆**
Pendant ce temps, le palais était rempli d’une atmosphère oppressante. L’invasion de l’Arachnée ne pouvait tout simplement pas être arrêtée. Ils avaient conquis les montagnes de Loess, traversé la rivière Aryl et renversé de multiples forteresses menant à la capitale. Très vite, Siglia n’aura plus que des murs pour la protéger.
« Que devons-nous faire ? »
Le roi Ivan II se retrouva à nouveau dans un conseil difficile avec le Premier ministre Slava et Omari, le ministre de la Défense.
« Nous n’avons pas d’autre choix que de résister à leur siège. Nos greniers ont deux ans de provisions. Nous pouvons les utiliser pour endurer l’assaut et attendre que l’ennemi parte. », déclara Omari, l’expression étant sévère.
« Savons-nous au moins quand leur attaque se terminera ? L’ennemi pourrait encercler Siglia aussi longtemps qu’il le faudra. Ce n’est pas une armée humaine, mais une armée de monstres. On ne peut pas supposer qu’ils battront en retraite pour des raisons économiques. Ils pourraient nous chasser comme des animaux sauvages, en attendant une ouverture. », dit Slava.
« Ne pouvons-nous pas demander de l’aide à nos pays voisins ? Le duché de Frantz ou de Schtraut pourrait nous venir en aide », déclara le roi.
« Nous avons déjà demandé leur aide, mais il faudra quatre mois pour que les renforts du duché de Frantz s’organisent et encore plus pour nous atteindre. Il est peu probable qu’ils arrivent à temps. »
Le Royaume Papal de Frantz avait répondu à l’appel aux armes du Royaume de Maluk, mais il leur faudra des mois pour préparer leur armée, et quelques mois de plus pour atteindre la capitale du Royaume. Dans l’ensemble, les événements avaient pris une tournure désespérée.
« Horrible… C’est absolument horrible ! », hurla le roi Ivan II.
« Il ne reste plus qu’un ordre de chevaliers capable d’invoquer un ange, et ils sont notre dernier atout majeur. Mais une question demeure : où allons-nous engager l’ennemi ? Ils pourraient nous envahir de n’importe quel côté. »
Le roi avait compris que sa capitale était complètement entourée d’insectes et qu’ils pouvaient frapper de n’importe quelle direction.
« Alors… devrions-nous utiliser le Joyau ? Avec sa puissance, nous pourrions retourner la situation en notre faveur. »
« Le Joyau ? Vous savez ce qu’est devenu le premier roi de Maluk quand il l’a utilisé », grogna le roi tout en regardant Omari.
« Oui, Sire, je suis conscient… Mais notre situation actuelle est désastreuse. Nous n’avons pas d’autre choix que de l’utiliser. Si l’utilisation du Joyau sauve des centaines de milliers de vies, alors le sacrifice en vaut la peine. »
« Mmm… C’est vrai, mais est-il vraiment impossible de les repousser avec notre armée ? Les murs ne tiendront-ils pas jusqu’à l’arrivée des renforts du Royaume Papal ? »
« Si vous voulez bien m’excuser, je ne pense pas que ce soit possible. Ces monstres ont franchi tous les obstacles sur leur chemin jusqu’ici. Je doute que les murs puissent les arrêter. »
« Je vois. Alors quand les murs tomberont, je libérerai le pouvoir du Joyau. Je ne peux que prier pour qu’il sauve notre peuple », dit le roi avec détermination.
« Nous respectons votre décision, Sire », dit Omari.
Lui et Slava inclinèrent la tête en signe de révérence.
***
Partie 2
« Alors, faites-moi savoir si la situation change. Je serai dans la salle du trésor. »
Sur ce, le roi Ivan II se leva et quitta le conseil de guerre.
Les autres hommes avaient continué à développer leur stratégie même après le départ du roi. Certains généraux s’étaient joints à eux, essayant de trouver des moyens de garder les murs de Siglia intacts. Ils discutèrent de la distribution des rations et de l’existence éventuelle de couloirs de fuite dans le pire des cas.
Malgré leur diligence dans la planification, les hommes étaient bien conscients que retenir le siège et essayer de s’échapper étaient des choix imprudents. À l’heure actuelle, Maluk n’avait aucun soutien de ses voisins, et sa propre armée avait été fortement réduite.
« Je n’arrive pas à croire que nous ayons eu recours au Joyau. »
Son expression sombre, le roi Ivan II marchait sur le chemin menant au coffre au trésor.
« Père ? Que se passe-t-il ? »
« Oh, bonjour, ma chérie. Je me demandais simplement ce que je devais faire pour le bien de notre royaume. »
« Tu considères toujours le bien-être du Royaume en premier lieu, Père. C’est vraiment admirable », dit Elizabeta tout en regardant son père avec respect dans les yeux.
« Elizabeta, c’est… c’est peut-être la dernière fois que nous parlons. Je vais bientôt partir au combat. »
« Non ! Le Seigneur Stefan est tombé au combat, et maintenant, dois-je aussi te perdre ? Quel que soit ton devoir, quelqu’un d’autre peut sûrement prendre ta place ! Tu es le roi de ce pays, Père ! Tu ne peux pas te mettre en danger ! »
La nouvelle que Stefan, le fiancé d’Elizabeta, était mort dans la bataille de la rivière Aryl avait déjà atteint le château. En l’apprenant, Elizabeta fut frappée par le chagrin, puis elle lutta pour rester optimiste, s’accrochant désespérément à la vie. Mais maintenant, son propre père partait à la guerre. Le risque qu’il meure était élevé, et elle était désespérée à cette idée.
« C’est précisément parce que je suis roi que je dois faire cela. Mais même si je décède, tu dois rester forte, Elizabeta. La princesse de Maluk doit continuer à vivre avec fierté et dignité. Je suis sûr qu’une fois que je serai partie, tu mèneras ce royaume à la prospérité. »
« Père… »
Elizabeta essuya ses larmes.
« Oui, je comprends. Je suis la deuxième princesse du grand royaume de Maluk. Aussi difficile que cela puisse être, je reconstruirai ce royaume une fois que tu nous auras débarrassés de ces horribles monstres. Mais tu dois aussi tenir à ta vie, mon père. »
« Oui, je le ferai. »
Le roi Ivan II avait omis le fait que l’attention et la prudence ne changeraient pas grand-chose à la situation actuelle. Il n’était pas nécessaire de lui dire cela.
« Va te cacher dans un endroit sûr, mon amour. La cave devrait faire l’affaire. Cache-toi là et attends que les monstres partent. »
« Oui, mon père. »
Elizabeta fit un signe de tête et s’enfuit.
« Pardonnez mon interruption, Votre Majesté. Mais est-il vrai que les elfes ont convoqué ces monstres ? J’ai entendu dire que les elfes ont offert des sacrifices pour les faire venir d’un autre monde. Les gens disent que les elfes les contrôlent. », dit l’un des gardes royaux.
« Ce sont des rumeurs stupides et sans fondement. Les elfes n’ont pas un tel pouvoir. S’ils en avaient un, ils l’auraient utilisé bien plus tôt. Pour commencer, il est impossible pour ces hérétiques miteux et longtemps craints de contrôler de tels monstres. Plus important encore, gardez Elizabeta en sécurité. », s’écria Ivan II.
« Oui, Votre Majesté. Je la protégerai de ma vie ! »
Cela dit, d’où viennent ces monstres ? pensa le roi.
Il ne fait aucun doute qu’ils sont apparus dans la forêt elfique, mais pourraient-ils vraiment cacher un tel nombre de monstres parmi les arbres et les broussailles ? Peut-être que ces monstres sont vraiment un produit de la magie noire des elfes. L’Église de la Sainte Lumière ne nie pas l’existence des démons, mais contrairement à nos anges, ces créatures semblent bien plus sinistres et étranges.
« Les elfes doivent être la source de cette catastrophe. Sans eux, rien de tout cela ne serait arrivé. Ces ignobles barbares… »
Si les elfes n’avaient pas existé dans la forêt, le roi n’aurait jamais eu besoin d’y envoyer des forces. Les Chevaliers de Saint-Augustin n’auraient pas été vaincus. Les monstres n’auraient pas jailli de la forêt, comme les guêpes d’un nid de crécelles.
Aux yeux du roi, tout était de la faute des elfes. Ils refusaient de reconnaître le Dieu de la Lumière et se tournaient vers leurs dieux des bois, leur offrant des sacrifices et qui sait quoi encore. Ils étaient la source de tous ces ennuis. Il y crut jusqu’au bout.
Pendant que le roi ruminait les malheurs de sa nation, les ecclésiastiques priaient le Dieu de la Lumière à l’extérieur du château, l’implorant de bannir leurs envahisseurs inattendus. Ils priaient pour que leurs murs soient solides comme de l’acier et éloignent les monstres.
Certains ecclésiastiques avaient affirmé qu’il s’agissait là d’un jugement du Dieu de la Lumière, d’une punition pour la vie cupide et lascive que menait le peuple. Il n’était pas trop tard pour brûler ses biens, disaient-ils, et mener une vie modeste en subsistant avec du pain et de l’eau. Ils marchaient comme s’ils avaient été frappés par la folie, nus jusqu’à la taille, exposant leur corps à l’air froid en prêchant une pauvreté honorable.
Mais quoi qu’ils puissent faire, leurs prières et leur foi étaient dénuées de sens. À l’extérieur des murs de Siglia, 100 000 Essaims Éventreurs se préparaient à attaquer, mettant en place les canons Charognards qui feraient tomber les remparts. Avec un seul ordre, la reine de l’Arachnée pouvait rayer Siglia de la carte.
Et pourtant, le peuple priait. Pour leur propre bien-être. Pour la sécurité de leurs familles. Pour la survie de leurs amis. Pour que leur pays puisse surmonter cela. Pour que l’humanité reste après la catastrophe.
Ceux qui s’accrochaient à la foi s’étaient précipités vers la cathédrale, demandant à l’archevêque de leur préparer une place pour prier. Neuf cercles de prière avaient déjà été organisés ce jour-là, mais les gens suppliaient de prier davantage. Ils chantaient leurs prières à tue-tête, espérant qu’elles atteindraient le ciel. C’était si fort que leurs voix résonnaient à l’extérieur de la ville.
« Ils prient. »
La reine de l’Arachnée était assise sur un point de vue qui dominait Siglia de loin.
« Un geste insignifiant. Aucune prière ne changera ce qui est à venir », déclara Sérignan.
« C’est vrai. Si la prière pouvait arranger les choses, ils n’auraient pas besoin de l’armée. Mais la prière n’améliorera pas la situation. Ils se contentent de se satisfaire eux-mêmes. Ils peuvent chanter leurs mantras jusqu’à ce que leurs gorges s’assèchent, mais personne ne viendra les sauver. »
La reine se leva.
« Sérignan, il est temps d’attaquer. Faites tomber la ville de Siglia. »
« À vos ordres, Votre Majesté. »
À cinq heures précises du matin, l’Arachnée commença sa marche sur Siglia.
☆☆☆**
Nos Canons Charognards annoncèrent le début de la bataille. Ils lançaient des projectiles faits de chair pourrie, qui frappèrent les murs les uns après les autres.
« Ugh, agh… Quelle est cette substance ? »
« Aah ! C’est du gaz toxique ! »
Pour résumer, les Canons Charognards avaient pour effets secondaires d’empoisonner les ennemis environnants et de causer des dommages continuels aux structures voisines. Les murs furent rendus cassants et commencèrent à s’effondrer progressivement. Alors que les projectiles continuaient à tomber, les soldats sur les remparts succombaient au poison, tandis que les murs eux-mêmes s’effondraient et s’émiettaient.
« À vos postes! Nous devons les protéger ! L’ennemi arrive ! »
« Pourquoi n’y a-t-il pas de balistes sur les murs !? C’est la seule chose que nous ayons qui arrête ces insectes ! »
L’esprit brouillé par le poison, les hommes du Royaume aboyaient des ordres mal assortis. Les soldats s’étaient déplacés pour protéger les murs, mais les Canons Charognards les avaient tenus à distance. Peu à peu, les soldats avaient été pris de toux et avaient vomi du sang. Ils s’étaient écroulés un par un.
« Le Canon Charognard est très facile à utiliser », me suis-je dit, en regardant froidement le chaos.
« Il faut un certain temps pour faire tomber les murs, mais il réduit les forces ennemies en attendant. Grâce à cela, nous aurons beaucoup plus de facilité une fois que nous aurons franchi les murs et que nous serons à l’intérieur. »
Tout se passait comme prévu. Les Canons Charognards réduisaient le nombre de soldats ennemis et les murs s’effondraient progressivement. Il y avait même des trébuchets à os supplémentaires qui tiraient aussi, ce qui permettait d’abattre les murs un peu plus rapidement.
« Les murs devraient s’effondrer en une minute. Première formation, préparez-vous à attaquer. Deuxième et troisième formations, préparez-vous à charger après la première. Mettez l’accent sur le mur est. Pendant que vous concentrez l’essentiel de l’attaque sur l’est, envoyez quelques troupes dans d’autres zones pour créer des diversions. Sérignan, tu viens avec moi sur le mur est. »
« Votre Majesté, c’est beaucoup trop dangereux ! La guerre de siège peut être chaotique et féroce ! »
Grâce à mes années d’expérience, je pouvais dire quand un bâtiment était sur le point de s’effondrer, même sans jeter un coup d’œil à sa barre de vie. Cela supposait bien sûr que les structures de ce monde se comportaient comme dans le jeu. Pourtant, le fait de voir à quel point les murs étaient endommagés me donnait une idée générale du moment où ils allaient s’effondrer. Sérignan, cependant, essayait de m’empêcher d’aller sur le champ de bataille.
« J’y vais, Sérignan. C’est ma guerre, et je la mènerai à bien même si je suis inutile au combat. »
Oui, j’ai besoin de tout voir. Le royaume de Maluk est en train de mourir, et je dois surveiller chaque instant jusqu’au dernier.
« Très bien. Je vous protégerai de toutes mes forces, Votre Majesté », dit Sérignan, le poing sur la poitrine, dans un élan d’enthousiasme.
« Merci, Sérignan. Tu es un chevalier si fiable. Maintenant, allons-y. »
Une minute plus tard, les murs est, sud et nord s’effondrèrent d’un seul coup. Des vagues d’Éventreurs se précipitèrent, tandis que des Essaims Fouilleurs sortaient du sol et avalaient les gens vivants. Le chaos explosa autour des murs brisés.
« À l’aide ! Aidez-moi ! »
Tous les malheureux soldats qui restèrent près des murs étaient dévorés par les Essaims. Les insectes déchiraient tout ce qu’ils voyaient, ne laissant que des cadavres sur leur passage.
C’était d’une violence inimaginable et un massacre total.
L’Essaim s’était répandu dans la rue principale et inonda les ruelles. Ils mangèrent les soldats qui se cachaient entre les bâtiments et déchiquetaient les civils qui s’abritaient dans leurs maisons. Les sens aiguisés de l’Essaim repéraient les gens qui se cachaient dans leurs caves, qui avaient été rapidement déchiquetés par leurs crocs et leurs faux. Ils n’avaient nulle part où s’enfuir.
Aucune pitié. Pas de pardon. Pas de pitié.
« Maman, les monstres sont là ? »
« Nous serons en sécurité tant que nous serons ici, alors chut. Restez tranquille, d’accord ? »
Ludmila et ses fils se cachaient dans une cave. Alors qu’ils se chuchotaient, le sinistre sabordage des Essaims Éventreurs rampant au-dessus et autour d’eux atteignit leurs oreilles. Ses enfants frissonnaient de peur.
Le père des garçons faisait partie de la garnison orientale et n’était jamais revenu. Ludmila les embrassa, et tous retenaient leur souffle. Les Essaims continuèrent à les contourner, et le bruit fit accélérer leur pouls.
« S’il vous plaît… Partez… »
Ludmila pria le Dieu de la Lumière, les esprits de ses grands-parents, tous ceux qui pouvaient entendre son appel.
Mais la réalité était indifférente à son sort.
Dans un violent élan d’ironie, les Essaims Éventreurs arrachèrent la porte, la percèrent avec leurs faux et découvrirent Ludmila et ses enfants.
« Aaaaahhh ! »
« Maman… ! MAMAN ! »
Ludmila et ses enfants avaient été déchirés, leurs boyaux éclaboussant toute la cave. Ce n’était qu’une fois leurs membres coupés et leur crâne enfoncé que leurs corps tombèrent par terre. Ludmila, tout comme son mari, était devenue de la nourriture pour l’Essaim.
***
Partie 3
Les Essaims Éventreurs pouvaient capter toutes les odeurs dans une maison, même celles de la cave et du grenier. Personne ne pouvait échapper à leurs griffes. Peu importe où l’on se cachait, l’Essaim les trouvait, prêt à délivrer une mort impartiale et absolue.
« Je dois admettre que c’est assez terrible », dis-je doucement, debout devant la maison.
« Les humains ne méritent aucune pitié, Votre Majesté. Surtout pas nos ennemis. »
« Je suis d’accord. La pitié n’aidera personne ici. Nous ne croyons qu’en la violence. Charmant, n’est-ce pas ? Allons, continuons à avancer. Cela n’aurait pas pu se terminer autrement. »
J’avais laissé la maison de Ludmila derrière moi et je commençais à marcher sur la route de l’Est.
Je vais peut-être démolir leur château et me faire couronner ? En voilà une idée.
☆☆☆**
Sérignan et moi nous étions installés plus loin dans la ville, entourés par un océan d’Essaims Éventreurs. Malgré la densité de la foule, aucun des Essaims Éventreurs ne m’avait touchée. Ils avaient prudemment évité de se mettre sur mon chemin alors que je marchais. Je savais qu’ils pouvaient m’assommer assez facilement s’ils ne faisaient pas attention, j’avais donc apprécié leur considération.
« Les forces défensives de l’ennemi sont réparties entre le nord et le sud. Je pense que nous devons passer par le centre pour pouvoir les flanquer tous les deux. Si nous faisons cela, l’ennemi sera mis en déroute en un rien de temps. Il nous suffira alors de forcer l’entrée du château, où nous tuerons le roi et tous les autres personnages clés à l’intérieur. »
Et alors, le royaume de Maluk sera complètement effacé de la face de ce monde.
« Arrêtez, au nom du Dieu de la Lumière ! »
Alors que j’imaginais les conséquences, nous avions rencontré un groupe de troupes ennemies. Je pensais que nous avions nettoyé la plupart d’entre eux lors de l’attaque initiale, mais apparemment certains d’entre eux avaient été positionnés loin des murs.
« Vous ne nous arrêterez pas ici. Nous continuerons à marcher jusqu’à ce que chacun d’entre vous soit mort. »
« N’es-tu pas une humaine toi aussi ? ! »
En me voyant au milieu de la grande grappe d’Essaims, le chef apparent du groupe m’avait regardée d’un air soupçonneux. Il devait se demander pourquoi une jeune fille humaine travaillait aux côtés de ces ennemis de l’humanité.
« Humaine ? Pas moi. Je ne suis qu’un monstre, avec un cœur monstrueux… J’ai mis mon humanité de côté il y a longtemps. On pourrait même dire que je suis le pire ennemi de l’humanité. Je suis celle que vous devez vaincre si vous voulez gagner, notre invasion ne s’arrêtera pas tant que vous ne l’aurez pas fait. Non… Même si vous me tuez, notre conquête continuera. Nos corps trembleront sans cesse avec la faim de dévorer votre monde. Montez à bord de vos navires et essayez de partir si vous voulez, nous vous traquerons toujours et nous vous achèverons jusqu’au dernier. »
C’est vrai, je n’étais plus humaine. J’étais la reine de l’Arachnée, le fléau qui frappait l’humanité. Ma conscience avait été entraînée dans les profondeurs rampantes de l’Essaim collectif, alors que la dernière lumière de mon humanité commençait à disparaître.
Curieusement, l’inverse se produisait également. La conscience de l’Essaim se mêlait à la mienne, si bien qu’ils pensaient maintenant à autre chose qu’à envahir et à se multiplier. Si cela n’avait pas été le cas, ils auraient attaqué sans discernement les elfes dont j’avais tant pitié.
« Je vois. Donc tu es la meneuse. Alors tout ce que nous avons à faire, c’est de te faire tomber ! Serviteur du Dieu de la Lumière qui réside dans les cieux, je te supplie de descendre devant nous, Haristel le Grand ! »
Alors que le commandant terminait son chant, la lumière s’était répandue du ciel. Un énorme chien était sorti du faisceau lumineux. Il était trois à quatre fois plus gros qu’un Essaim Éventreur. Il était certainement assez gros pour m’avaler tout entier.
« Fils de l’homme. Une énorme crise vous est-elle tombée dessus ? »
La voix de l’énorme chien était solennelle et régulière.
« Oui, Haristel. Ces bêtes maléfiques sont venues détruire notre royaume. Prêtez-nous votre force, je vous en prie ! » implorait l’homme qui était capitaine des Chevaliers de Saint-Erzébet.
« Alors, dès que des problèmes surgissent, vous vous rabattez sur vos anges, hein ? Vous n’avez donc rien d’autre comme tour dans votre sac. »
« Continue de parler, idiote. Vous, les barbares qui rejetez le Dieu de la Lumière, ne méritez rien de plus que d’être frappés par notre ange ! Allez-vous-en, vilains ! »
« Eh bien, bon sang. Nous traiter de blasphémateurs barbares n’est vraiment pas nécessaire, n’est-ce pas ? Il n’est pas nécessaire de tâtonner pour trouver des raisons, nous sommes des barbares jusqu’au bout des ongles. Des sauvages de bonne foi, du genre à tuer et à piller et tout ça. Que nous adorions votre dieu ou non n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est que notre instinct nous pousse à voler, à tuer et à nous multiplier. »
Je ne savais rien de ce Dieu de la Lumière, mais de toute façon je ne voudrais probablement pas l’adorer.
« Prépare-toi, infidèle. Se moquer de notre Dieu est un grave péché. »
« Oh, nous serons aussi dérisoires que nous le voulons. Non pas que je connaisse assez ce Dieu de la Lumière pour parler de lui. Mais il me semble que vous adorez quelqu’un qui prend son pied en punissant les faibles et en appelant cela de la justice. Pathétique. »
« La pénitence pour ton péché est la mort, infâme. »
« Fais-le, Sérignan », dis-je alors qu’Haristel se préparait à bondir.
« Laissez-moi faire, Votre Majesté. »
Sérignan s’était avancée. Avec son épée sainte corrompue à la main, elle se tenait debout devant Haristel.
« Prépare-toi ! »
« Haaah ! »
Alors qu’Haristel bondissait sur elle, Sérignan tira un fil de sa queue et s’en servit pour se propulser au-dessus des toits. Haristel, dans sa course-poursuite, escalada un bâtiment, sautant immédiatement sur le toit en enfonçant ses crocs dans le mur.
« Ne fuis pas, vilain monstre ! »
« Continue d’aboyer, cabot. Je n’ai fait que bouger pour éviter d’impliquer Sa Majesté dans cette bataille. »
Sérignan souriait.
« Tes griffes ne sont-elles là que pour faire joli ? Si ce n’est pas le cas, prouve-le. En retour, je prouverai ma valeur en te tuant ! »
Sérignan tourna son épée dans la direction d’Haristel.
« Imbécile ! Un simple insecte ne peut pas espérer triompher d’un ange ! »
« Oh ? Mais j’en ai déjà tué deux de ton espèce ! »
Haristel se précipita et Sérignan courut à sa rencontre. Les crocs du chien se heurtèrent à la lame noire du chevalier.
« Ngh ! »
Sérignan tressaillit lorsque les crocs d’Haristel lui firent une entaille à la joue droite.
« Cela ne sera pas suffisant pour m’arrêter ! »
Sérignan planta alors son épée dans le flanc d’Haristel.
« Sois maudite ! C’est une épée sainte corrompue ! »
Ce n’était qu’alors qu’Haristel réalisa qu’il était confronté à la lame d’un paladin tombé en disgrâce — une épée sainte corrompue, optimale pour tuer un ange.
Tu en as mis du temps, pensai-je sèchement.
« Prépare-toi, cabot, car je vais te couper la tête ! »
« Ne me regarde pas de haut, insecte ! »
Le combat entre Sérignan et Haristel s’intensifia.
« Ungh ! Je savais bien qu’un animal comme toi mettrait… tant de poids dans ces coups ! »
« Est-ce là l’étendue de ton pouvoir, insecte ? ! »
Haristel attaqua Sérignan avec ses crocs et ses griffes avec une vitesse effrayante, de sorte que le chevalier ne pouvait répondre qu’avec des blocages désespérés. Les attaques du chien de chasse étant à la fois lourdes et rapides, Sérignan était progressivement repoussée.
« Vise les yeux, Sérignan ! Enlève-lui sa vue et son odorat, et tu pourras t’occuper du reste à partir de là. », lui criais-je d’en bas.
« Compris, Votre Majesté ! »
Sérignan para l’attaque suivante et visa le visage de Haristel comme je l’avais ordonnée. Elle s’était attaquée aux yeux et au nez, encore et encore, dans un élan persistant de frappes. En l’observant, j’avais senti qu’elle était encore plus bestiale que le chien contre lequel elle se battait.
« Je compte sur toi. Tu es la seule personne en qui je peux avoir confiance pour aller jusqu’au bout », lui avais-je dit.
« Oui, Votre Majesté ! Laissez-moi faire ! »
J’avais inondé la conscience collective de ma foi en ses capacités… et le combat commença à pencher en faveur de Sérignan. Mon chevalier reprit pied comme s’il récoltait les fruits d’un sort.
« Haaaaah ! »
« Guh ! Maudite sois-tu ! »
Haristel n’avait probablement pas compris ce qui se passait. Pourquoi Sérignan, qui était au bord de la défaite il y a un instant, prenait-elle soudainement l’avantage ? Pourquoi était-elle pleine de combativité, capable de contrer ses coups avec une vigueur renouvelée ? Qu’est-ce qui l’avait poussée à se battre si désespérément ?
La réponse était simple : Sérignan était un chevalier, mon épée et mon bouclier. Tant que j’avais confiance en elle, elle répondrait toujours à ma conviction. Cette relation était quelque chose qu’Haristel ne pouvait tout simplement pas comprendre.
Déviant chacune de ces attaques, Sérignan passa à l’offensive. Elle se glissa entre ses coups et ses claquements et s’attaqua puissamment à la bête sacrée.
« GaAAaAah ! »
L’épée corrompue transperça l’œil droit d’Haristel. Celui-ci tituba, puis se retira sur un autre toit, endolori.
« Malédiction, malédiction, mille malédictions sur toi ! Comment oses-tu ! »
Haristel hurlait en saignant, son dernier œil fixant Sérignan avec plus de férocité qu’auparavant.
« Sérignan, fais attention quand tu achèves un animal blessé. Il s’accroche d’autant plus à la vie qu’il est aux portes de la mort. »
« Oui, Votre Majesté ! »
Sérignan méritait des éloges pour être arrivée jusqu’ici, mais elle ne pouvait pas se permettre d’être négligente. Les animaux avaient un instinct de survie très développé, et ils étaient censés être les plus dangereux lorsqu’ils étaient acculés.
Bien sûr, cela n’aurait peut-être pas été le cas pour un ange. Mais pour les bêtes, la pulsion instinctive de survie inondait leur corps d’adrénaline, accélérait leurs battements de cœur et les poussait à s’accrocher à la vie de toutes leurs forces. Quoi qu’il en coûte, ils devaient vivre, même s’il fallait pour cela se battre avec des crocs ou des griffes ou tout autre moyen d’empêcher leur mort prématurée. Il en était sûrement de même pour cette bête se faisant passer pour un ange.
« Les méchants ne méritent aucune pitié ! Je vais te déchirer membre par membre ! »
En effet, les mouvements de Haristel étaient beaucoup plus rapides maintenant qu’il était en danger. Sérignan sera-t-elle capable de le vaincre ?
« Le seul qui sera déchiré ici, c’est toi, cabot ! »
Oui, elle le pourrait. Et elle le fit.
« Aaaagh... »
Sérignan se glissa dans l’angle mort de Haristel — son œil droit écrasé — et frappa de son épée l’épais cou de la bête, la transperçant de part en part. Son cou n’étant attaché que par un mince lambeau de chair, Haristel glissa du bâtiment et tomba sur le sol. Et comme ses prédécesseurs, il s’était dissous en particules de lumière et disparu.
« Ce n’est pas possible ! Haristel le Grand… a été vaincu !? »
« Non ! Pas notre ange ! »
***
Partie 4
Apparemment, les chevaliers avaient fondé de grandes espérances dans leur chien. Après tout, c’était l’ange gardien des chevaliers qui protégeait la capitale. Avec leur ange vaincu, ils ne pouvaient plus rien faire. Ils avaient perdu tout espoir.
« Tuez, tuez, tuez-les tous. Abattez-les, et quand ils tomberont, coupez-les en tranches et faites des boulettes de viande ! », avais-je chanté, comme dans une chanson.
« Que tous saluent la reine. »
Les Essaims étaient entrés en même temps.
« Au secours ! Au secours ! »
« Battez-vous ! S’ils nous franchissent, tout le monde dans la ville mourra ! »
Certains chevaliers avaient fui dans la peur, tandis que d’autres avaient résisté à la terreur de la mort avec leurs armes prêtes à l’emploi. Alors même que les Essaims Éventreurs leur arrachaient les membres, leur écrasaient la tête et les déchiraient dans leurs entrailles, ils s’étaient courageusement défendus. Ils les avaient tailladés avec leurs lames, sachant que cela ne servirait à rien.
Et en effet, tout cela fut vain.
« C’est fini. »
Tout ce qui restait des Chevaliers de Saint-Erzébet était un tas de restes épouvantable. Ils n’avaient réussi à abattre que deux ou trois Essaims Éventreurs.
« Allons-nous continuer, Votre Majesté ? » me demanda l’un des Essaims Éventreurs par l’intermédiaire du collectif.
« Bien sûr. En avant. Aujourd’hui, nous revêtons Siglia d’une couche de mort. Gloire à l’Arachnée. »
« Marchez, marchez pour Sa Majesté. »
« Marchez, marchez pour Sa Majesté. »
Comme je le pensais, les Essaims Éventreurs avaient tout envahi.
☆☆☆**
Infraction, violation et rapt, c’était notre façon de faire.
L’Éventreur et moi avions piétiné tous ceux qui se trouvaient sur notre chemin. Une fois arrivés au centre de la capitale, nous avions envahi une cathédrale pleine de citoyens terrifiés et les avions tous tués. Chacun d’entre eux était devenu un ingrédient de nos boulettes de viande. Parmi les victimes, il y avait des femmes enceintes et des enfants en pleurs, mais mes Essaims les avaient quand même tous massacrés.
C’est bien, avais-je pensé. Tout cela est nécessaire.
Notre ennemi devait être anéanti pour assurer notre victoire. J’agissais simplement en accord avec les règles du jeu, et il n’y avait rien de mal à cela. Le jeu aurait peut-être été un peu plus réaliste maintenant, mais les règles étaient restées les mêmes : anéantir jusqu’au dernier ennemi afin de gagner. Si j’avais décidé d’épargner ne serait-ce qu’un enfant, il était possible qu’il me poursuive pour se venger de nombreuses années plus tard.
« En avant, mes Essaims. Tuez tous ceux que vous trouverez. »
Dès que les Essaims Éventreurs s’étaient faufilés derrière les troupes du nord et du sud, le sort des soldats avait été scellé. Les éliminer fut un jeu d’enfant. Les essaims les prirent au piège dans une attaque en tenaille et s’en débarrassèrent ensuite avec habileté.
Les balistes et l’infanterie lourde représentaient une certaine menace, mais ces derniers étaient peu nombreux. Seuls deux ou trois Essaims Éventreurs furent perdus dans la bataille. Les Essaims Éventreurs avaient maintenant appris à combattre ces soldats, ce qui leur permettait de les achever avec moins de pertes.
Tous saluèrent la conscience collective, je suppose.
Il suffisait qu’un seul Essaim étudie le style de combat de l’ennemi, et cette connaissance circulait instantanément parmi les autres. Maintenant que les Essaims Éventreurs adoptaient de nouvelles méthodes pour faire face à ces adversaires, ils n’étaient pas de taille face à nous.
Ainsi, nous avions mis fin aux troupes du nord et du sud de Maluk — sans merci, sans pitié, ni même avec une once de sympathie. Avec leur mort, la ville de Siglia était à nous. Il ne restait plus que le château. Une fois que nous aurions fait tomber le roi, le royaume de Maluk sera complètement éradiqué.
« Cependant, il semblerait que la capture du château ne sera pas facile. »
Le château de Siglia avait été construit au sommet d’une falaise s’étendant comme une aile de la ville. Cette structure avait été conçue de telle sorte que même si la ville elle-même tombait, le château resterait debout. C’était une forteresse réservée aux seuls détenteurs du pouvoir.
« Comment allons-nous le conquérir ? Il semblerait que les nobles se soient barricadés à l’intérieur du château. », demanda Sérignan.
« Nous y allons à l’ancienne. Au moins, il n’y a plus de murs à abattre. Préparez-vous, Essaims Éventreurs, nous allons prendre d’assaut le château. »
J’avais donné mes ordres par le biais de la conscience collective. D’innombrables Essaims Éventreurs se tenaient sur le chemin qui menait au château.
« En avant ! À l’attaque, à l’attaque, à l’attaque ! Piétinez tout ce qui se trouve sur votre chemin. »
Avec cela, mon armée d’Éventreurs chargea le château ennemi. Bientôt, nous recueillerions les têtes du roi, de la princesse et des nobles. Ces racailles de haute naissance seraient toutes réduites en boulettes de viande.
Mais, étonnamment, quelqu’un s’était vite mis en travers de notre chemin.
☆☆☆**
« Votre Majesté, nos murs sont tombés. »
« Les portes de l’est, du nord et du sud ont été détruites. Siglia est maintenant sous le contrôle des monstres. »
Le roi avait peu de temps pour digérer les sombres rapports. Tout contact avec les portes avait été perdu, et leur grande capitale était devenue un repaire de monstres. De plus, tous leurs soldats étaient tombés, ce qui signifiait qu’il n’y avait plus de boucliers pour les protéger.
« Votre Majesté, l’ennemi va également venir s’emparer de ce château. Nous avons fermé les portes, mais je ne doute pas qu’ils les forceront à s’ouvrir et à percer », dit Slava, l’air sinistre.
« Nous n’avons plus beaucoup de temps. Vous devez prendre une décision, Seigneur. Allez-vous utiliser le Joyau ? Ou bien allez-vous céder et nous livrer à l’abattage ? », ajouta Omari.
Le roi Ivan II se leva et regarda ceux dans la pièce. Ce ne fut qu’après avoir confirmé l’absence d’Elizabeta qu’il fixa son regard sur les hommes qui se trouvaient devant lui. Le premier prince était mort pendant le conflit dans les montagnes de Lœss, tandis que le second était tombé à la rivière Aryl. La première princesse était depuis longtemps mariée au duché de Schtraut, ce qui ne laissait qu’Elizabeta, qui n’avait pas sa place au conseil de guerre.
« Je vais le faire. Je vais utiliser le Joyau et repousser ces monstres. », déclara le roi, la voix pleine de détermination.
« Êtes-vous sûr, Votre Majesté ? Une fois que vous l’aurez utilisé, il n’y aura pas de retour en arrière. », demanda doucement l’un de ses généraux.
« Nous n’avons pas le choix, étant donné la situation. Y a-t-il un autre moyen de sauver Siglia, de sauver ce château ? Nos soldats, nos chevaliers… ils sont tous morts. Le Joyau est notre seul espoir. »
En effet, ils n’avaient pas d’autre moyen. Il ne restait qu’un millier d’hommes dans le château, tous les autres avaient été tués. Les dizaines de milliers de soldats et l’ordre des chevaliers avaient été vaincus par cette horde d’insectes.
Dans l’état actuel des choses, comment pourraient-ils sauver Siglia, réduite à un tas de cadavres escaladés par des monstres ?
« Le Joyau est déjà préparé. »
Le roi brandit une pierre précieuse de couleur ambre, de la taille de son poing.
« Une fois que j’aurais passé la porte d’entrée, fermez-la immédiatement derrière moi. Comme nous le savons tous, ceux qui utilisent le Joyau perdent le sens de la raison. »
« Selon vos désirs, Votre Majesté. »
« Je respecte beaucoup votre décision, Seigneur. »
Omari offrit à son monarque un profond salut.
« Faites d’Elizabeta la reine après mon décès. Compris ? »
« Compris, Votre Majesté. Son Altesse Elizabeta sera la prochaine reine de Maluk. »
Les généraux présents dans la pièce le regardaient avec des yeux solennels.
« Maintenant, je dois partir. Si ces monstres ont un cœur, je vais sûrement tous les effrayer. »
Ivan II se dirigea vers l’entrée du château.
« Je leur montrerai que le royaume de Maluk ne sera pas détruit si facilement. Attendez, monstres… »
☆☆☆**
Je regardais les portes du château s’ouvrir.
« Sont-ils en train de penser à la reddition ? » avais-je demandé. Il n’y avait pas de forces ennemies en vue.
« Vous n’accepterez pas leur reddition, n’est-ce pas, Votre Majesté ? »
« Bien sûr que non, Sérignan. Pas après avoir fait tout ce chemin. Le règlement ne le permet pas. »
D’après ce que j’avais compris, le jeu ne permettait pas la reddition ni les pactes de paix. Soit vous vous battiez jusqu’à ce que vous détruisiez l’ennemi, soit vous perdiez au milieu de la partie, auquel cas votre faction serait anéantie. Dans ce monde, qui ne permettait pas la déchéance, je n’avais absolument pas l’intention d’accepter la reddition.
Les laisser en vie à ce stade leur donnerait la possibilité de me mordre plus tard. C’était pourquoi je m’en étais tenue à tuer tout le monde jusqu’à présent. J’avais assassiné le tailleur, que je connaissais. J’avais tué des femmes, des enfants et des personnes âgées. Rien n’était plus sacré. Tout ce que j’avais, c’était une soif de victoire. Je ne pouvais pas dire si cela venait de moi ou de l’Essaim, mais je ne pouvais pas nier cette faim.
« Sérignan, fais attention. L’ennemi pourrait avoir une sorte d’atout caché dans sa manche. »
« Compris, Votre Majesté. »
Si ce n’était pas une reddition, alors l’ennemi envoyait quelque chose de l’intérieur du château. Je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait être, mais il s’agissait probablement d’une menace considérable.
« Votre Majesté, faites attention ! Quelque chose de dangereux arrive ! »
Une rangée d’Essaims Éventreurs s’était alignée devant moi, formant un mur vivant. Je leur étais reconnaissante de m’avoir protégée.
« Montrez-vous ! » Sérignan appela notre ennemi inconnu, s’approchant de la porte avec son épée tirée.
« Vous êtes donc les envahisseurs… Ceux qui ont pénétré et violé notre royaume. »
Celui qui était apparu devant Sérignan était un homme âgé. À en juger par ses vêtements, il était de haute noblesse, voire de la royauté. Peu importe qui il était, on ne se donnera pas la peine de le laisser vivre.
« Oui, c’est nous. Vous avez attaqué le village des elfes, et vous avez tué l’un de mes amis. En représailles, et pour nourrir notre désir de souiller le monde de nos ténèbres, nous avons envahi votre pays jusqu’au bout, massacrant tous ceux qui se sont mis en travers de notre chemin. », disais-je.
« C’est tout… ? Est-ce la raison pour laquelle vous avez massacré des milliers de nos gens, souillé notre terre sainte, et êtes venus détruire notre château ? »
« C’est ça. Tout cela est né de nos instincts et de notre besoin de vengeance. Nous n’avons pas besoin d’autres raisons. »
Nous étions l’Arachnée, une faction d’insectes malfaisante. Nous tuions, nous nous multiplions, nous nous expandions. Ces pulsions étaient ancrées dans la conscience collective. Elles me poussaient à l’action, tout comme ma promesse personnelle de mener l’Essaim à la victoire.
« Vous, créatures viles, êtes une insulte au Dieu de la Lumière. Vous n’étiez pas censés naître dans ce monde. Vous n’auriez jamais dû exister. Votre présence ici a conduit d’innombrables personnes au désespoir… Vous n’êtes que des signes avant-coureurs de la ruine et du malheur. »
« Appelez-nous comme vous voulez. Nous continuerons à obéir à nos instincts. Si nous sommes attaqués, nous riposterons, de manière approfondie et avec une soif de sang inébranlable. Nous tuons et nous nous multiplions, c’est ce qui fait de nous l’Arachnée. Je suis fière d’être aux commandes. »
La riposte à une attaque était naturelle, tout comme le fait de se battre après avoir été provoqué. Je ne faisais qu’énoncer une évidence. Si l’Essaim agissait uniquement en fonction de sa nature, il n’aurait pas besoin de raisons pour justifier son attaque contre le monde.
« Continuez à jacasser avec vos bêtises. Je vais vous achever ici même… par le pouvoir de notre Joyau de l’Évolution ! »
Comme si les paroles de l’homme avaient déclenché une grande pierre d’ambre dans sa main, elle s’était mise à briller. En quelques instants, ses muscles avaient rapidement gonflé de plusieurs dizaines de fois leur taille normale. De gros poils noirs sortaient de ses pores et recouvraient son corps de la tête aux pieds.
J’avais d’abord été surprise par cette transformation, mais j’étais rapidement revenue à la raison et je m’étais concentrée sur ce qu’il fallait faire, c’est-à-dire éliminer l’obstacle qui se dressait devant nous.
« Sérignan, garde ce truc coincé ! Essaims Éventreurs, couvrez-la ! Allez ! »
« Oui, Votre Majesté ! »
Sérignan s’avança pour maîtriser l’homme qui attaquait tout autour de lui dans une rage folle. Des Essaims Éventreurs s’étaient jetés sur lui des deux côtés. J’avais supposé que tant que nous l’attaquions de trois directions, même si c’était un monstre inconnu, il n’aurait pas pu tous les repousser. Cependant…
« RaaAaAAAagh ! »
L’homme berserk rugit et balaya les Essaims Éventreurs qui s’approchaient. Leurs faux s’étaient logés dans son bras et leurs crocs coupèrent sa chair, mais il continua à riposter comme s’il ne sentait rien de tout cela.
Mes Essaims Éventreurs, qui jusqu’à présent n’avaient été vaincus que par des claymores, des hallebardes ou des balistes, étaient en train de se faire détruire. Leurs membres étaient arrachés, leurs crocs cassés, et certains d’entre eux étaient même déchirés en deux. Ils tombaient sur le sol en masse.
« C’est juste… Comment allons-nous gérer ça !? »
Sérignan ne savait pas comment s’y prendre avec le berserker qui était devant nous, esquivant ses poings frénétiques alors qu’elle se creusait la tête pour trouver une solution. Les anges avaient été puissants, mais cet homme était encore plus dangereux.
***
Partie 5
« Sérignan, que les Essaims Éventreurs attaquent en groupes coordonnés. Dès qu’il sera concentré sur les Essaims Éventreurs, rapproche-toi de lui et frappe avec ton épée. Il a peut-être grandi, mais il n’a toujours que deux bras. Si des vagues d’Éventreurs l’attaquent des deux côtés pour occuper ses bras, cela devrait te donner une ouverture. »
Je savais que mes instructions étaient un peu difficiles. Même si l’ennemi était occupé, cela ne garantissait pas nécessairement une ouverture que Sérignan pouvait exploiter.
« Je vais le faire ! »
Des Essaims Éventreurs s’étaient jetés sur lui en groupes, lui bloquant ses bras. Au même moment, Sérignan le chargea de face, en brandissant son épée sainte corrompue.
Cependant, son attaque n’avait pas porté ses fruits.
« Ugh... ! »
Il donna un coup de pied dans l’estomac de Sérignan, l’envoyant voler sur le côté. Sérignan s’était efforcée de corriger sa posture avant qu’elle ne puisse à nouveau tenir tête à notre ennemi. La regarder était douloureux.
« Sérignan, ça va ? ! »
J’avais pleuré.
« Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté ! Je peux encore me battre ! »
Sérignan s’était jetée sur lui une seconde fois, mais elle avait été repoussée une fois de plus. J’avais essayé d’utiliser les cordes des Essaims pour lier l’homme et l’empêcher de bouger, mais il les avait arrachées facilement. Cela n’avait servi à rien.
Il doit y avoir un moyen de gagner. Une méthode qui donnera à Sérignan une chance de réussir ses attaques. Quelque chose que je peux utiliser en plus des essaims d’éventreurs. Comment allons-nous battre cet homme ? Y a-t-il encore une carte dans ma main que je n’ai pas utilisée ? Quelque chose qui sauvera Sérignan ?
Puis j’avais compris.
« Oh, c’est vrai. J’ai encore une chose à faire ! Sérignan ! Prépare-toi à attaquer à nouveau dans cinq secondes ! Essaims Éventreurs, vous attaquez en même temps ! »
« Compris ! »
J’avais joué la carte qui me permettrait de sortir de cette impasse.
« Essaims Fouilleurs ! »
Une fraction de seconde plus tard, les Essaims Fouilleurs jaillirent du sol. Ils saisirent les jambes de l’homme avec leurs crocs aiguisés, le rendant immobile.
C’est vrai, les Essaims Fouilleurs. Je les ai amenés à cette bataille. Il ne peut pas bouger, et les Essaims Éventreurs l’attaquent par-derrière. C’est notre chance de frapper.
« Haaaah ! »
Sérignan s’était élancée en avant et avait frappé de son épée sur la tête de l’homme avec toute sa puissance. La lame lui trancha la nuque, lui coupant la tête et répandant du sang frais dans l’air. Le corps de l’homme se convulsa, il semblait qu’il allait tomber à terre…
Sauf qu’il ne l’avait pas fait.
Même sans sa tête, l’homme repoussa les attaques des Essaims Éventreurs et il saisit Sérignan entre ses deux bras géants. Elle se tordait et essayait de le secouer, mais sa prise était comme du fer.
« Éventreur, pique-lui les bras ! » avais-je ordonné. Nous devions sauver Sérignan.
L’Éventreur s’était approché et avait injecté son venin paralysant dans la chair de l’homme. Sa prise sur Sérignan s’était relâchée, et Sérignan avait été libérée.
« Gah... Urk ! »
Sérignan toussa et se mit debout en titubant.
Elle souffrait, mais elle devait encore se battre.
« Sérignan, achève-le ! »
« Oui, Votre Majesté ! »
Malgré les dégâts qu’elle avait subis, ses mouvements étaient rapides. Elle visa et enfonça son épée dans le cœur de l’ennemi. Cette fois, l’homme tomba à genoux et s’effondra, puis retourna à sa taille d’origine. Nous avions finalement été victorieux.
« Sérignan, ça va ? »
Je m’étais précipitée à ses côtés.
« Oui, je vais bien, Votre Majesté. »
Elle avait l’air au bord des larmes.
« Je m’excuse de vous avoir inquiétée. »
« Oh, ne pleure pas. Tu as gagné. Tu es un merveilleux chevalier, et ton talent est inégalé. Tu as gagné cette bataille pour moi. »
« Pardonnez-moi… Penser que je vous ai causé de la détresse me fait sentir complètement misérable. »
Avec cela, notre bataille pour le château s’était terminée. Il ne restait plus qu’à achever les gens qui se réfugiaient à l’intérieur. Ils nous avaient causé tant de problèmes que nous devions les rembourser en nature.
☆☆☆**
Alors que les Essaims Travailleurs emportaient le corps de l’homme, j’avais ramassé la gemme d’ambre qu’il avait laissée derrière lui.
« Qu’est-ce que c’est ? » avais-je demandé en la regardant.
« Je ne sais pas, mais cela semble dangereux », dit Sérignan avec prudence.
J’ai l’impression d’avoir déjà vu cette chose quelque part.
Je ne pouvais pas me rappeler ni quand ni où, mais je m’en étais à tous les coups souvenue. Mon souvenir était flou et juste hors de portée.
« Bon, peu importe. On peut juste le demander aux gens du château. »
Je l’avais ramassée au moment où les Essaims Éventreurs forçaient la porte.
« Ils sont là ! L’ennemi s’introduit dans le château ! »
« Quoi ? ! Mais Sa Majesté a entrepris de les vaincre ! »
Les soldats à l’intérieur du château avaient complètement perdu leur combativité.
Lâches.
« Sérignan, Essaims Éventreurs et Essaims Fouilleurs… Balayez le château. Oh, et encore un ordre : trouvez plusieurs personnes de haut rang social, et amenez-les-moi vivants. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
« Mais tuez tous les autres. Il est inutile de les laisser en vie. »
J’avais besoin de quelqu’un qui connaisse cet étrange joyau. Des soldats normaux n’auraient aucune valeur pour cela. Ils n’étaient bons qu’à une chose, et c’était de devenir des boulettes de viande.
L’Essaim s’était déplacé selon mes ordres, mettant en pièces les soldats, les serviteurs et les chambellans. Chaque pièce du château était tachée des couleurs de l’abattage. Le sang s’accumulait sur les sols, les restes en lambeaux des morts flottaient à la surface. La puanteur de la mort et des viscères pendait lourdement dans l’air.
« À l’aide ! Sauvez-moi ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! »
Les cris d’une femme de chambre résonnaient dans les salles en pierre.
Naturellement, les Essaims Éventreurs ne tardèrent pas à la rattraper, ils la poignardèrent à l’arrière de la tête et lui déchirèrent le ventre. Un soldat qui s’était échappé et qui avait été capturé par les Essaims Éventreurs fut décapité et entaillé à plusieurs reprises.
« Les choses vont-elles bien ? » me suis-je demandé à voix haute.
Le château était étonnamment grand, mais j’avais déployé d’innombrables Essaims Éventreurs à l’intérieur. Ils avaient fouillé les caves, les chambres d’hôtes et le bureau du roi, flairant les survivants comme des chiens de chasse tenaces. Les soldats avaient été éliminés, les serviteurs du château tués. Des montagnes de cadavres s’empilèrent dans le bâtiment, et seuls quelques rares survivants survécurent.
Oui, il y eut des survivants, comme je l’avais demandé. Mes Essaims Éventreurs les avaient rassemblés, les avaient attachés avec des ficelles et les avaient traînés devant moi. C’était tous des gens de haut niveau social, vêtus de vêtements coûteux. Au total, ils étaient une vingtaine, hommes et femmes.
« Alors, qui est le plus haut noble parmi vous ? »
En entendant ma question, tous les regards s’étaient tournés vers une seule fille, puis s’étaient détournés en toute hâte.
Idiots.
« Toi, là, ma fille. Sais-tu ce que c’est ? »
J’avais présenté le bijou devant elle.
Elle fit un petit signe de tête terrifié.
« Dis-moi ce que c’est. »
« C’est le joyau de l’évolution. C’est un trésor royal. On dit que le Dieu de la Lumière l’a donné à l’humanité pour nous accorder un grand pouvoir. Quiconque reçoit du pouvoir du Joyau le garde jusqu’à sa mort. Attendez… »
Soudainement, elle eut l’air horrifiée.
« Non… Père aurait-il pu l’utiliser ? ! »
Oh, c’était donc le roi. Je m’en doutais bien. Mais entendre qu’il m’accordait un pouvoir me semblait étrange. Le roi n’avait pas l’air d’être d’un haut rang, mais plutôt d’être devenu fou. Bien sûr, il était plus fort, mais cela faisait de lui un monstre déchaîné.
Puis j’avais compris.
Le soi-disant Joyau de l’évolution était à l’origine un objet que la faction du bien Marianne pouvait produire, appelé « La Larme de Dieu ». Elle accordait une protection divine à toutes les unités qui la détenaient, en les renforçaient temporairement. Dans le jeu, les unités de Marianne étaient composées de fanatiques, de paladins et d’anges… C’était peut-être pour cela qu’elle ne les rendait pas fous ? Mais quand les humains normaux l’utilisaient, elle les transformait en bêtes furieuses.
Mais pour commencer, si ce n’était pas le monde du jeu, que faisait cet objet ici ? M’étais-je trompée, étions-nous vraiment dans le monde du jeu ? Il y avait trop de choses que je ne savais pas et je n’avais pas de réponses dans l’état actuel des choses. Je ne pouvais que me creuser la tête en examinant les faits.
« Qu’avez-vous fait à Père !? » s’écria la fille.
« S’il n’est pas là, c’est qu’il est mort. Bien que je ne sache pas qui est ton père. »
Je me sentais trop fatiguée pour supporter ses pleurnicheries.
« Non… », murmura-t-elle, des larmes coulant sur ses joues.
Je trouvais mignon le fait que Sérignan pleure, mais voir cette jolie adolescente s’effondrer ne m’avait pas du tout arraché le cœur. J’avais simplement trouvé ses sanglots grinçants. J’avais brièvement pensé à ordonner à l’un des Essaims Éventreurs de lui couper la tête, puis j’avais reconsidéré la question.
Je ne pensais pas que nos actes avaient été assez cruels pour satisfaire notre besoin de vengeance. Il n’y avait pas eu assez de tragédie pour appeler ça une guerre. Nous n’avions pas gagné assez pour appeler cela une invasion. Ne devrions-nous pas en faire plus ?
Et puis une idée m’était venue à l’esprit.
« Un Essaim Parasite. »
J’avais sorti un Essaim Parasite de ma poche et je l’avais tenu devant moi.
Nos nobles captifs crièrent à cause de son apparence grotesque.
« À partir de maintenant, vous serez mes jouets. »
« Attendez ! Je ferai tout ce que vous voudrez, donc gurk ! »
J’avais ordonné à Sérignan de tenir la tête d’un homme pendant que je poussais l’Essaim Parasite dans sa bouche.
« Aaaah, aah, gah, aah... ! »
L’Essaim Parasite s’était glissé dans la gorge de l’homme, se fixant et étendant ses tentacules vers son cerveau. L’homme s’était tortillé à plusieurs reprises et poussa quelques gémissements bizarres avant que ses yeux ne deviennent creux, m’informant que l’essaim parasite avait réussi à prendre le dessus.
« Tu es la prochaine. »
« Ne le fais pas ! Père, sauve-moi ! Aide-moi ! »
Ugh, quelle fille bruyante !
Sérignan cloua la tête de la fille au sol et garda la bouche ouverte pendant que je la forçais à avaler l’Essaim Parasite. Le petit insecte s’était enfoncé dans sa gorge fine avant de s’accrocher à sa chair.
« Aah… guh, Père.. Aaah... »
Le regard de la jeune fille s’était éteint, la prise de contrôle était complète. Vous voyez ? Avant, elle était une vraie nuisance, mais maintenant, c’est une petite chose douce, calme et obéissante.
« Infectez aussi les autres avec des Essaims Parasites. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
J’avais laissé le reste du travail à Sérignan. J’avais traversé seule le château maintenant vide. Il y avait encore des mares de sang ici et là, mais aucun cadavre en vue.
On dit que les Japonais et les Allemands sont des travailleurs diligents, mais même eux ne tiennent pas la chandelle contre l’Essaim. Mes Essaims exécutent mes ordres avec rapidité et efficacité, c’est pourquoi je les aime tant.
« Alors, c’est la salle du trône, hein ? »
J’avais trouvé un endroit dans le château où il y avait le moins de traces d’effusion de sang : la salle du trône. Elle avait été conçue autour d’un trône en or avec un tapis rouge qui menait vers lui. Le propriétaire de cette pièce était mort à l’extérieur des portes du château, il y avait donc peu de sang versé ici. Et d’ailleurs, le sang n’était pas vraiment visible sur le tapis rouge.
Je marchais tranquillement vers le trône et m’étais assise sur le siège élevé orné d’or et de pierres précieuses.
« La reine de l’Arachnée… »
L’Arachnée était une faction maléfique qui utilisait l’Essaim pour dévorer tout sur son passage. L’essaim souhaitait la victoire et la prospérité. À cet égard, il n’était guère différent de l’humanité. Après tout, les humains souhaitaient les mêmes choses. Ils avaient donc inventé toutes sortes de slogans et de causes plus importantes pour justifier leurs guerres et leurs effusions de sang. La puanteur du sang qui pesait sur l’Essaim était un peu plus épaisse, c’est tout. Ce n’était pas si différent des autres, non ?
Non… C’était faux.
L’Essaim souhaitait couvrir le monde entier avec ses semblables. Le mot « compromis » n’existait pas dans leur dictionnaire. Les humains, par contre, pouvaient faire des compromis, négocier et avancer pour éviter leur propre mort.
Comme les papillons de nuit attirés par les flammes, l’Essaim cherchait activement à anéantir ses ennemis, même si cela pouvait entraîner leur propre destruction. Leur désir de se propager et de conquérir le monde les avait poussés à aller de l’avant. C’était leur instinct le plus fondamental, le souhait qui bouillonnait au fond de leur cœur, faisant écho dans la conscience collective.
***
Partie 6
Vous êtes vraiment des monstres. Mais cela ne me dérange pas.
S’ils souhaitaient une telle victoire, je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour la leur donner. Même s’ils voulaient conquérir tous les coins de ce monde, je m’y soumettrais. J’avais juré de les conduire à la victoire, et je tiendrais cette promesse, quel que soit le nombre de vies qu’il en coûterait.
Mais j’avais fait cela uniquement parce que je ne voulais pas qu’ils me tuent. En fin de compte, j’étais une lâche. Si je ne trouvais pas toutes ces excuses, j’aurais eu peur de moi-même pour avoir ordonné tous ces massacres.
« Votre Majesté. »
Alors que je réfléchissais à tout cela depuis le haut du trône, Sérignan était entrée dans la salle. Elle s’inclina devant moi et les vingt nobles que nous avions asservis entrèrent après elle. Ils suivaient Sérignan les yeux creux, titubant de façon instable en marchant.
C’était comme des zombies. Ils finiront par pouvoir marcher normalement, mais comme les Essaims Parasites venaient à peine d’être plantés, ils ne fonctionnaient pas encore efficacement. Il faudra que je garde cela à l’esprit la prochaine fois que je les utiliserai. Si nos ennemis pouvaient dire ce qui était arrivé aux victimes des Essaims Parasites, l’unité serait réduite à néant.
« Sérignan, les préparatifs sont-ils terminés ? »
« Oui, ils ont tous reçu des Essaims Parasites. Ils sont entièrement sous votre contrôle, Votre Majesté. »
Les nobles s’étaient mis à genoux en signe de fidélité.
« Bon travail, Sérignan. »
Pendant que nous parlions, les essaims qui avaient terminé leur tâche commencèrent à se rassembler dans la salle du trône. Il n’y avait plus d’autres humains vivants dans le château… non, dans tout Siglia. Cette ville avait abrité des centaines de milliers de personnes, et chacune d’entre elles, à l’exception de nos animaux domestiques, avait été éradiquée. C’était d’une certaine manière vraiment émouvant.
« Bravo, mes Essaims. »
« Nous sommes honorés, Votre Majesté. »
En réponse à mes éloges, ils adoptèrent une posture d’obéissance.
« Très bien, mes amis. Nos ennemis détestables ont été vaincus. Le royaume de Maluk a été effacé de la surface du monde. Ce fut une victoire impeccable. Mais la bataille ne s’arrête pas là. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous enivrer de nos triomphes et de nous reposer sur nos lauriers maintenant. Quel est notre prochain objectif ? »
« Étendre notre contrôle encore plus loin. Unifier le monde sous la domination de l’Arachnée », déclara Sérignan.
« C’est cela. Mais le moment n’est pas encore venu. Nous devons d’abord prendre le contrôle de ce qui était autrefois le royaume de Maluk. Nous avons besoin de temps pour développer cette terre. Mes amis, vous devez construire des centres de pouvoir. Vous devez construire des fours de fertilisation, des dépôts de chair, et des fours de fertilisation massifs. Vous devez construire des dépôts de chair aériens. »
Les 4 X me disaient que je devais développer la terre que j’avais volée à mes ennemis. Je devais utiliser ce que j’avais déjà développé pour construire ce qui me manquait, et nous devions réparer ce qui avait été détruit. Développer sa faction de cette façon était le vrai plaisir du jeu.
Je ne pouvais pas cultiver grand-chose puisque j’avais abattu tous les humains, mais la ruée des Éventreurs n’avait pas consommé tout le bétail. Nous pouvions les élever pour créer un environnement propice à la production de nouvelles unités. De plus, nous aurions besoin d’argent pour débloquer de nouvelles structures. D’après ce que j’avais entendu, il y avait une mine d’or dans le nord, nous pourrions donc envoyer les Essaims Travailleurs pour l’exploiter.
Ouf.
Normalement, il serait plus rapide de piller et de voler l’ennemi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à prendre avant de passer à autre chose. Mais pour l’instant, nous ne voulions pas provoquer inutilement nos ennemis ou en créer de nouveaux, et je ne pensais pas que nous avions assez de ressources pour lutter contre le reste du monde avec ce que nous avions pris au Royaume de Maluk.
Commencer des guerres sans réfléchir, sans savoir quelle est l’importance des forces ennemies par rapport aux nôtres, serait insensé et nous conduirait à la défaite. Je n’avais aucune envie d’être une imbécile, j’avais donc choisi de nous concentrer sur le développement pour le moment.
« Nous devrons décider de notre politique intérieure. C’est peut-être ennuyeux, mais je vous en prie, faites-le, c’est absolument nécessaire. Nous ne pouvons pas non plus négliger de renforcer les défenses de nos frontières. Le royaume de Maluk n’était pas notre seul ennemi. Il y en a d’autres dehors, et ils pourraient venir prendre cette terre. »
Au moins, nous savions que le duché de Schtraut était au nord, l’empire de Nyrnal au sud et le duché de Frantz à l’est. Ces pays étaient principalement composés d’humains, et ils ne réagiraient probablement pas favorablement à l’émergence d’une nation Essaim. Au pire, ils pourraient s’unir tous les trois pour nous attaquer.
« Protégez notre territoire sacré. Notre empire va s’épanouir, non pas avec du sang, mais avec notre sueur et nos efforts. C’est le devoir de tous les Essaims, et cela nous servira de point d’ancrage pour la domination du monde. Vous ne devez pas le négliger, quoi qu’il arrive. »
Mon discours était tout à fait inapproprié pour l’Essaim. Un discours approprié pour eux mettrait l’accent sur le vol, le meurtre, le pillage et la multiplication. Après tout, ils n’avaient besoin de rien d’autre. Mais d’innombrables matchs en ligne m’avaient appris que ce n’était pas toujours suffisant pour gagner. Il fallait parfois prendre du recul et gérer ses affaires internes, prendre le temps de débloquer les unités et les structures de niveau supérieur, et constituer son armée. Sinon, nous aurions à faire face à des batailles presque unilatérales et à une défaite éventuelle.
« Comprenez-moi bien. C’est ce qu’il y a de mieux pour nous à long terme. »
Je ne leur demandais pas en tant que reine, mais en tant que joueuse.
« Tout se fera comme vous le souhaitez, Votre Majesté. Vous n’avez qu’à nous commander, et nous obéirons », dit Sérignan alors qu’elle et le reste de l’essaim s’inclinaient pour acquiescer.
« Que tous saluent la reine. »
« Saluez tous la reine. »
Leur révérence était forte et bruyante.
« Merci à tous. Je vous mènerai tous à la victoire, je vous le promets. »
Maintenant plus que jamais, je sentais que l’essaim m’était très précieux.
☆☆☆**
Sous le château du royaume de Maluk se trouvait une chambre forte. Les trésors qui s’y trouvaient avaient été envoyés par leur allié, le Royaume Papal de Frantz, et il servait d’espace pour les baptêmes des paladins. En se rinçant dans l’eau bénite qui jaillissait d’un socle de marbre lisse, ils pouvaient obtenir la capacité d’invoquer des anges.
Cependant, tous ceux qui étaient baptisés dans ces eaux ne développaient pas la capacité d’invoquer des anges. Certaines personnes restaient inchangées, tandis que d’autres saignaient soudainement par tous les orifices et tombaient mortes au milieu de la cérémonie. Il semblerait que seule une poignée de paladins choisis avaient eu la capacité d’invoquer des anges. Seuls ces quelques élus pouvaient obtenir ce pouvoir surnaturel.
Si la reine de l’Arachnée avait vu ce piédestal de baptême, elle aurait sûrement fait une autre grande découverte. C’était un autre objet du jeu que possédait Marianne, tout comme la « Larme de Dieu ». Le nom officiel de cet artefact était la « fontaine sacrée des élus ».
Son utilisation permettait à Marianne de sacrifier les points de vie d’une unité non spirituelle, ou plutôt humaine, en échange de l’invocation d’un ange. La Marianne pouvait utiliser ses unités fanatiques, qui n’étaient bonnes qu’à se déchaîner dans les bases ennemies, ou ses paladins, des unités de cavalerie qui juraient fidélité à leur dieu. En sacrifiant l’un ou l’autre, elle pouvait invoquer un ange en retour.
Mais ce n’était qu’une probabilité, il n’y avait aucune garantie. Si l’invocation échouait, l’unité serait perdue et la faction n’aurait rien pour elle. De plus, les unités ayant un faible nombre de points de vie étaient plus susceptibles de mourir pendant l’invocation, ce qui pouvait également la faire échouer. Mais alors que les apparences des anges étaient aléatoires, les anges eux-mêmes étaient universellement forts, et ils pouvaient résister aux attaques de la plupart des unités tout en ripostant en toute impunité. C’était pourquoi il valait la peine de tenter l’invocation.
« Complètement et totalement inutile », quelqu’un s’était moqué du Trésor.
La voix venait d’une fille aux cheveux noirs et aux yeux cramoisis. Elle portait une robe noire d’inspiration rococo, avec une touche gothique et chargée de dentelle et de froufrous. La jeune fille regardait fixement la fontaine sacrée, se tortillant les doigts dans l’eau.
« Je pensais qu’ils finiraient par secouer un peu le jeu, mais ils n’ont pas fait grand-chose. Il reste si peu d’héritages, mais tous ceux qui les utilisent sont des pantins. Et ils appellent ça un jeu de réflexion ? Bon sang. »
Elle s’était appuyée sur le piédestal.
« Combien de temps va-t-elle jouer, je me le demande ? Jusqu’où peut-elle monter dans ce monde rempli de malice ? Combien de temps restera-t-elle dans ce jeu impitoyable joué dans les profondeurs du purgatoire ? Eh bien, si elle le découvre, peu importe. Elle se doutera probablement qu’il se passe quelque chose quand elle verra l’Empire de Nyrnal. Mais si je veux rendre ce jeu plus passionnant, il va falloir que ces choses se fassent. Alors, allons-y. »
L’emprise de la fille sur le piédestal se resserra légèrement, et l’instant d’après, la Fontaine sacrée des élus s’écroula sur le sol. Le peu d’eau bénite qui restait s’infiltra dans le sol, et l’objet fut rendu inutilisable. Dans son état actuel, on n’aurait pas pu deviner à quoi elle servait autrefois.
« Ce jeu est super amusant… et j’ai enfin trouvé quelqu’un avec qui jouer ! Je vais continuer à la laisser m’amuser. Jouer contre des filles comme elle est toujours un plaisir, après tout. N’est-ce pas ? »
La jeune fille riait et dansait dans la chambre souterraine avec des pas légers et aériens.
« Un jeu, un jeu, un jeu amusant, amusant ! Le travail et aucun jeu font de moi une fille ennuyeuse. Alors, jouons, n’est-ce pas, Mlle la Reine de l’Arachnée ? »
Pendant que la fille parlait, toutes les choses cachées dans le trésor s’effondraient en poussière. La Fournaise de Mysticisme, capable de convertir la foi et de produire des anges. L’outil du rite du baptême, capable de transformer les hommes en êtres saints. La fournaise à mysticisme massif, capable d’invoquer des anges géants.
Chacun d’entre eux avait été détruit par les mains de la jeune fille. À première vue, aucun d’entre eux n’avait jamais été utilisé, mais avec un simple toucher, ils s’étaient tous effondrés.
Elle ne savait pas pourquoi le royaume de Maluk n’avait jamais utilisé aucun de ces dispositifs. En fait, ils ne savaient probablement pas comment les faire fonctionner. Si c’était le cas, ils les auraient utilisés pour invoquer des anges et faire face aux attaques de l’Arachnée. Leur ignorance leur avait fait commettre une erreur fatale.
La jeune fille fredonnait avec bonheur en détruisant les objets de Marianne, en tournoyant sur place.
« Alors, le décor est planté pour notre drama à base de massacre de sang froid sans aucune pitié. Asseyez-vous et profitez-en, tout le monde. C’est un monde où les dieux existent peut-être, mais ils ne tendent jamais la main pour le salut. Aah, dansons tous ici sous une paix trompeuse comme les pécheurs que nous sommes. Car on nous a accordé ce paradis artificiel que les faux prophètes chantent. »
La jeune fille gloussa et se fondit dans l’ombre. Tout ce qui restait dans la pièce était les décombres qui avaient été jadis un ensemble d’objets sacrés.
Un seul Essaim Éventreur descendit dans la chambre souterraine et découvrit l’entrée du trésor. Il regarda dans la pièce, et bien qu’il ait détecté des traces de quelque chose qui s’y trouvait, il n’avait pas pu dire quoi. Ni lui ni le collectif n’avaient connaissance des objets que la jeune fille avait détruits quelques instants auparavant.
« Votre Majesté, j’ai découvert une pièce dans le sous-sol, mais il semblerait qu’il ait déjà été saccagé par une tierce personne. Que dois-je faire ? »
« Hmm. Ça ne ressemble à rien d’autre qu’à de la camelote. S’il n’y a personne, retournez simplement à l’arrière. Notre travail est terminé ici. Il ne nous reste plus qu’à rentrer à la base. Nous devons rendre cet endroit vivable pour nous, et le faire aussi savoir aux elfes. »
« Compris, Votre Majesté. Vos souhaits sont mes ordres. »
L’Essaim Éventreur conclut son rapport et repartit comme il était venu, rejoignant finalement les rangs de l’Arachnée en laissant les ruines de Siglia derrière eux. Si la reine avait découvert ces héritages de Marianne, peut-être la situation aurait-elle tourné autrement.
Cependant, la reine ne connaissait pas encore les règles de ce jeu. De plus, elle ignorait encore la raison d’être de ce monde. Ce n’est qu’une fois qu’elle l’aura découvert que la vraie guerre commencera…