Chapitre 58 : Le donjon caché
***
Chapitre 58 : Le donjon caché
Partie 1
[Point de vue de Shanteya]
Après notre séparation avec le Maître, nous avions été guidés vers la zone d’attente pour les combattants. Là, nous avions attendu patiemment notre tour pour entrer sur le ring et nous avions tenu parole sur la façon dont nous devions gagner ou perdre.
Ayuseya avait été la première à y aller et avait perdu contre son troisième adversaire. De notre point de vue, ce n’était pas une bataille équitable. La draconienne était assez forte, et ses adversaires avaient à peine la puissance d’un aventurier de rang Maître. Elle était en fait troublée après sa première victoire parce qu’elle n’avait pas l’intention de gagner si vite, mais l’homme lui avait murmuré quelque chose de sale. La gifle n’était même pas à 5 % de sa pleine puissance, mais c’était plus que suffisant pour l’envoyer dans le mur. Lors de sa victoire suivante, c’était arrivé encore une fois, mais cette fois-ci, c’était juste qu’elle était incapable de contrôler pleinement ses capacités.
Quand il avait été temps de perdre, elle avait fait de son mieux pour ne pas résister à l’attaque de l’ennemi, mais elle se défendait inconsciemment, la rendant pratiquement immunisée contre ses coups. Quant à sa vitesse, cet homme était lent, vraiment très lent.
Puis vint mon tour. Après avoir pratiqué comment contrôler ma puissance sur les monstres ainsi que dans mes routines quotidiennes en tant que femme de chambre dans l’Académie Fellyore, j’étais plutôt habituée à contrôler l’énorme coup de pouce que j’avais reçu du Maître. Je savais comment perdre une bataille sans éveiller les soupçons. Quand j’y avais vu l’opportunité, je m’étais laissée frapper et envoyée hors du ring.
Nanya n’avait aucune intention de perdre. Elle était un peu ennuyée par le marchand, mais la raison principale était probablement sa fierté. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre devant un faible comme Groatak. Elle jouait simplement avec lui comme un adulte le ferait avec un enfant. Au milieu de la bataille, l’ancien aventurier savait déjà qu’il n’affrontait pas quelqu’un qu’il pouvait vaincre. Lorsque le Maître donna le signal, la démone ne montra aucune pitié envers lui, mais elle s’abstint de lui arracher les bras et de le frapper avec eux sans raison.
Le pari avait été gagné, et nous avions quitté le Colisée. Le maître accepta d’aller chercher les esclaves un autre jour, mais pour l’instant, il ne voulait que son argent. Deroak avait vidé tous ses coffres pour lui remettre 458 goldiettes, mais il lui en manquait beaucoup. Il avait avoué avoir fait le pari sans avoir la capacité de payer. Il y avait aussi la question de savoir quoi faire de son stock actuel d’enfants.
En ce qui concerne cette dernière partie, le Maître proposa le marché suivant : il ne lui prendrait que 200 goldiettes, mais dans un document écrit, le marchand promettrait de libérer tous les enfants et de les prendre sous sa garde jusqu’à ce qu’ils soient assez grands pour se débrouiller seuls. Cela pouvait se faire soit à l’âge de 18 ou 20 ans. Il promettait également d’utiliser les 420 goldiettes restants qu’il possédait pour leur offrir tout ce dont ils avaient besoin : vêtements, nourriture, abri et même de l’aide pour leurs futurs emplois. La promesse avait été écrite en deux exemplaires, dont l’un avait été tenu par le Maître lui-même, l’autre était resté avec Deroak.
Ensuite, nous avions quitté le magasin et étions sortis manger, car nous étions dans la dernière heure pendant laquelle Tannaor servait encore de la nourriture. Notre journée s’était terminée par une promenade dans la ville à la recherche de la bibliothèque. Nous l’avions trouvée, mais elle était fermée à cette heure, donc nous n’avions pas d’autre choix que de retourner à notre auberge et de revenir le lendemain.
Cette nuit-là, nous avions dormi tous ensemble dans les bras du Maître. Ses baisers étaient tendres et doux, mais il n’était pas allé plus loin avec Nanya ou Ayuseya. La draconienne était plus affirmée qu’avant, et elle fut la première à sauter dans les bras du Maître.
Pendant que nous dormions, j’avais senti un mouvement soudain et je m’étais réveillée pour voir le Maître se lever du lit. Il faisait encore nuit dehors, et je ne sentais pas la présence d’un ennemi.
« Maître ? Il y a un problème ? » demandai-je en me frottant les yeux.
Ayuseya lâcha un bâillement et se réveilla aussi. Les seules qui dormaient encore étaient Nanya et Tamara, la première utilisant cette dernière comme oreiller corporel.
« Il n’y a rien, je sors juste faire une petite promenade. Vous pouvez retourner vous coucher, » répondit-il d’une voix calme.
Quelque chose ne tournait pas rond chez lui, alors j’avais regardé la draconienne pour voir si elle ressentait la même chose, mais elle avait haussé les épaules et était retournée au lit.
C’est peut-être mon imagination..., avais-je pensé, puis je m’étais allongée.
Le maître quitta la pièce et referma la porte avec son sort de Télékinésie. Il y a longtemps qu’il ne l’avait pas utilisé. En fait, il n’avait presque pas utilisé de sort après être devenu humanoïde.
Pendant les minutes qui avaient suivi, mon esprit n’arrêtait pas d’essayer de trouver quelque chose qui n’allait pas chez lui, mais je n’avais rien trouvé.
Peut-être qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez moi ? pensai-je en me recroquevillant sur le côté du lit.
☆☆☆
[Point de vue d’Illsyore]
Je m’étais réveillé sur un sol froid en regardant un plafond de marbre gris.
Que se passe-t-il ? C’était la première chose à laquelle j’avais pensé après avoir ouvert les yeux.
Je me souvenais clairement de m’être endormi avec Ayuseya et Nanya et de m’être presque fait étrangler par leur affection. Alors la chose que j’étais censé ressentir en ce moment, c’était les seins réconfortants de mes femmes et non un sol froid, dur et de pierres. Il se passait quelque chose de vraiment étrange par ici, et j’avais l’impression de ne pas rêver.
En levant les mains en l’air, j’avais regardé mes doigts et je les avais fléchis plusieurs fois. Il n’y avait rien qui sortait de l’ordinaire pour autant que je sache, alors je m’étais levé et j’avais commencé à regarder autour de moi. Il s’agissait d’un long couloir sans aucune sorte de lumière du soleil ou de décoration. Cela semblait terriblement familier, tel un donjon, mais cela ne pouvait pas être vrai... Il n’y avait pas de donjons dans la zone proche d’Elora, pour autant que je le sache.
Heureusement, mes yeux étaient bien meilleurs que ceux des humains normaux et les cristaux de mon corps permettaient une lueur verdâtre si je concentrais du mana en eux. Dans n’importe quelle autre situation, la lueur ne serait pas remarquée, car elle n’était pas nécessaire, mais je devais l’utiliser pour voir dans l’obscurité totale. D’une certaine façon, j’étais ma propre lampe de poche.
Au début, j’avais pensé à agrandir mon Territoire de Donjon, mais si j’étais dans un donjon, et qu’il était plus fort que moi, alors je finirais par être immobilisé à la suite du choc d’avoir vu mon territoire brisé. Une situation inverse signifierait que je ne serais pas en mesure d’obtenir des informations sur la façon dont je m’étais retrouvé ici et où exactement se trouvait « ici ».
L’endroit était plutôt propre, il n’y avait pas de poussière là, donc cela avait été construit récemment ou une armée de bonnes avait nettoyé cet endroit régulièrement. Cela pourrait aussi être enchanté.
En pensant à cette dernière option, je m’étais approché du mur et j’avais posé ma main sur sa surface pour voir s’il y avait un flux de magie dedans. Dès que je l’avais fait, j’avais sursauté en état de choc.
Je n’arrivais pas à y croire... cet endroit... ce couloir... ce couloir...
« C’est moi qui l’ai construit ? Mon mana est dans cet endroit ? COMMENT !? » avais-je dit en ressentant de la surprise.
Une chose était certaine, je n’avais pas bu QUE deux chopes d’hydromel. Cette boisson contenait de l’alcool, mais pas au point de me faire oublier que j’avais construit un couloir au milieu de nulle part.
En secouant la tête, j’avais essayé de ressentir à nouveau l’énergie, mais il n’y avait pas eu de changement. Le flux de mana des enchantements placés sur ce mur résonnait parfaitement avec celui à l’intérieur de mon corps. Ceci avait été construit par moi ou avec mon mana.
Peut-être que je devrais étendre un peu mon Territoire de Donjon..., avais-je pensé et avec une déglutition, je l’avais libéré.
Il n’y avait pas d’autre donjon autour de moi, alors j’avais continué à l’étirer petit à petit, lentement, jusqu’à ce qu’il touche soudainement un autre territoire. Je m’étais arrêté et je l’avais retiré par réflexe.
« Il y a un autre Donjon ici ? » avais-je dit. Puis j’avais regardé sur ma gauche, d’où j’avais senti la présence étrangère.
Je n’avais fait qu’effleurer son territoire, donc il n’y avait pas eu de bataille entre nous, mais c’était suffisant pour que je puisse dire qu’il était beaucoup plus faible que moi.
Souhaitant voir jusqu’où ce donjon s’étendait et à quelle profondeur j’étais sous terre, j’avais fermé les yeux et je m’étais envolé hors de mon corps sous ma forme fantomatique. Mon premier objectif était de voir s’il y avait des dangers autour de moi, comme des monstres ou des pièges, dont je devais me débarrasser. Je volais aux deux extrémités du couloir, mais je n’avais rien trouvé, pas même un caillou, et encore moins un dédale ou un monstre, seulement une paire d’escaliers menant à l’étage suivant. Cet endroit était probablement en cours de construction.
De là, j’avais volé en ligne droite, passant directement à travers les étages afin d’atteindre la surface aussi vite que je le pouvais. Le voyage avait pris environ une minute, mais quand j’étais sorti, je m’étais retrouvé au milieu de la forêt autour d’Elora, mais j’étais à une vingtaine de minutes environ en course à vitesse maximum pour en sortir. Pour être franc, la capitale ressemblait à un point à l’horizon. J’étais surpris de l’avoir vu de si loin.
J’étais retourné au donjon et j’avais regardé autour de moi pendant un moment. L’endroit n’avait aucun de mes pièges habituels avec les lasers, les aimants, les décharges électriques, ou d’autres trucs comme ça. Il restait avec des versions à pointes et à ressorts typiques, mais les étages du donjon étaient plutôt complexes et abritaient un grand nombre de monstres puissants. La différence entre les étages que j’avais construits à l’Académie Fellyore et celui-ci était la quantité de monstres puissants. Au 30e étage, j’avais déjà rencontré des monstres au-dessus du niveau 100, portant des armures et des armes enchantées. Dans l’ensemble, c’était un donjon destiné à un groupe de Divins. S’ils avaient ici les pièges que j’avais placés dans mon donjon à Shoraya, alors ce serait automatiquement un donjon destiné aux Suprêmes.
En poursuivant, j’avais remarqué qu’il était assez décent et décoré de toutes sortes de petites statues, de piédestaux, de sculptures murales et d’autres choses du genre. Les monstres se déplaçaient aussi en groupes organisés, mais ils étaient tous convoqués, et il n’y avait pas de nids pour eux. Cela signifiait qu’une fois tuer ou leurs cercles détruits, ils disparaissaient pour de bon.
Ce que j’avais été surprit en le découvrant, c’était qu’à tous les 10 étages, il y avait une pièce spéciale où il n’y avait pas de monstres ou de pièges, et les murs étaient enchantés d’un sort repoussant qui les protégeait des dangers sur cet étage. De tous les points de vue, c’était l’endroit idéal pour les aventuriers, quelque chose que je n’aurais jamais construit en un milliard d’années.
Pourquoi devrais-je le faire ?
Si le but d’un donjon était de pousser les aventuriers à leurs limites et de les consommer, il était normal et naturel de les tuer aussi vite que possible.
Mais s’ils avaient trop peur d’avancer, ils n’atteindraient pas les points où je pourrais les piéger et les vider de leur mana. De temps en temps, les chambres sécurisées étaient donc une bonne chose.
Je n’étais pas resté trop longtemps à regarder la salle sûre. Elle était pratiquement vide, alors j’étais retourné à mon corps et avec mon Territoire de Donjon s’étendant à quelques mètres autour de moi, j’avais commencé à faire mon chemin vers le noyau installé dans cet endroit.
Tout, des pièges aux monstres, n’avait servi à rien contre moi. J’avais bien trop dominé cet endroit, mais je me sentais réticent à le détruire, alors j’avais avancé prudemment, essayant d’éviter de déclencher quoi que ce soit de dangereux sur mon chemin. Il m’avait fallu environ une demi-heure pour que nos territoires se touchent. J’avais immédiatement retiré le mien parce que je ne voulais pas le détruire.
« Eh bien, voyons voir maintenant..., » avais-je dit en regardant autour de moi.
Il me restait encore un peu de temps avant d’atteindre le donjon, alors j’avais procédé avec prudence, surtout parce que je ne voulais pas détruire les pièges et les monstres ici. C’était étrange de marcher comme ça, seul, dans un donjon rempli de mon mana, mais en même temps j’avais l’impression que rien ici n’était assez puissant pour m’égratigner.
Bien sûr, je m’inquiétais du fait que j’avais construit ce donjon d’une façon ou d’une autre, mais il était hors de question de rester là et d’attendre que mes femmes viennent à mon secours. Celui qui pouvait répondre à mes questions n’était autre que le Noyau du Donjon.
Ce qui est certain, c’est que les Ténèbres sont derrière tout ça..., avais-je pensé qu’après avoir pris un tour.
J’avais sauté par-dessus un piège à piques et j’avais continué à marcher lentement, en me collant près du mur. Ma réflexion était revenue à la dernière fois que j’avais parlé avec les esprits piégés à l’intérieur de mon Esprit Intérieur. Au cours des années que j’y avais passées, j’avais appris qu’on ne pouvait faire confiance à aucun d’eux. Leurs souvenirs contenaient des pièces d’un très grand casse-tête, mais leurs connaissances étaient fragmentées. Même le Primordial était identique, mais en même temps, je savais que s’ils le voulaient, ils pourraient affecter mon corps. Le fait que les Ténèbres ne pouvaient pas prendre le contrôle de mon corps était probablement un mensonge, ce qui m’inquiétait le plus. Fondamentalement, je ne pouvais pas me faire confiance pour garder le contrôle de ma forme physique dans un moment de danger. Le fait que j’étais actuellement dans cet étrange donjon était la première et la plus grande preuve que j’avais de cette théorie.
Alors que je suivais le mur, j’avais soudain rencontré en un face-à-face avec un Roi-Minotaure recouvert d’une armure de plaques d’acier. J’avais dégluti, et il m’avait regardé fixement. Pendant un moment, j’avais cru qu’une bataille était inévitable et que je finirais certainement par tuer le monstre, mais quelque chose d’inattendu était arrivé. Le Roi Minotaure était passé devant moi sans se soucier de rien.
Je l’avais regardé pendant un long moment.
Qu’est-ce qui vient de se passer ? Pourquoi n’ai-je pas été attaqué ? avais-je pensé.
Si je devais le deviner, alors je dirais que le monstre m’avait peut-être reconnu comme son invocateur. L’autre option était qu’il comprenait que j’étais beaucoup plus fort que lui. Quoi qu’il en soit, j’étais libre de marcher jusqu’au Noyau du Donjon en paix.
La pièce elle-même était simple à première vue, mais en y regardant de plus près, on pouvait voir d’innombrables runes et symboles gravés sur les murs. Ils représentaient tous des mots d’une langue que je ne connaissais pas. Soit ça, soit un mauvais peintre avait tenté sa chance ici.
Peu importe à quel point je fixais les murs, je n’allais rien apprendre d’eux, alors j’avais tourné ma vue vers le minuscule cristal blanc de la taille d’un poing au milieu de la pièce.
Le noyau du donjon..., avais-je pensé.
« Es-tu mon père ? » murmura la voix d’un enfant.
J’avais été paralysé.
« Peu importe combien j’ai bu hier soir, je suis presque sûr que je n’étais pas ivre à ce point ! » avais-je répondu.
« Ne l’es-tu pas ? » demanda l’enfant.
Il n’était pas nécessaire de chercher un enfant dans cette pièce, celui qui parlait était clairement le noyau en cristal.
« Non, Luke, je suis presque sûr que je ne suis pas ton père, » j’avais hoché la tête.
« Luke ? Je ne m’appelle pas Luke, je... Je n’ai pas de nom. Mais le mana de cet endroit est à toi, n’est-ce pas ? » demanda-t-il d’une voix basse qui montrait son insécurité et sa peur.
« Hein ? Eh bien, je n’ai non plus aucune idée de pourquoi c’est comme ça... Euh, de toute façon, quel âge as-tu ? » lui avais-je demandé.
« Je viens de naître..., » répondit-il.
« Hein ? » Je l’avais regardé dans les yeux.
« Je suis un Donjon Demi-Dieu... La valeur de mon niveau n’est que de 1, » m’avait-il dit.
« Un donjon Demi-Dieu de niveau 1... Eh bien, c’est intéressant. Et tu dis que tu n’as pas de nom, n’est-ce pas ? » avais-je demandé pour confirmer ce fait.
Le fait qu’il venait de naître et qu’il parlait normalement ne me dérangeait pas tant que ça. En fait, juste parce qu’il était un donjon, je m’attendais à ce qu’il puisse communiquer dans au moins une langue. En fait, c’était la partie bizarre de tout ça parce que j’avais la réincarnation comme excuse pour savoir certaines choses, mais qu’en est-il de ce donjon ?
« Oui... Peux-tu me donner un nom ? » demanda-t-il.
Euh... Qu’est-ce que je suis censé faire maintenant ? En me grattant la joue droite et en lui montrant un sourire gênant.
« Ne veux-tu pas le faire ? » sa voix était si triste que cela m’avait brisé le cœur.
« Non ! Non ! Non ! Je réfléchis... Je réfléchis, c’est tout... Donc Luke est hors de question. Certainement pas Tête de Godet. Poltergeist ? Non, Thon ? Qu’est-ce qui ne va pas avec mon choix de noms !? » je m’étais gratté la tête avec les deux mains.
« Thon a l’air sympa..., » déclara l’enfant.
« NONNNN ! Hors de question ! » j’avais immédiatement refusé la proposition.
« ... » il n’avait pas répondu, et j’avais continué à y réfléchir.
Quelques minutes plus tard, après avoir fait des cercles dans la pièce et après avoir épuisé presque toutes les lettres de l’alphabet, je lui avais dit un nom possible.
« Et Deusur ? » lui avais-je demandé.
« Deusur... Deusur... J’aime ça ! » répondit-il.
Si j’avais pu le voir, j’étais sûr qu’il souriait vivement.
***
Partie 2
« Dites-moi, Deusur, sais-tu comment tu es né ? » lui demandai-je.
« Ne le sais-tu pas ? » demanda Deusur.
« Non... cette info est un peu... floue pour moi. Hahaha... ha..., » avais-je ri assez maladroitement.
« Je suis né avec des informations de base copiées de la base de données de mon père, et je sais que les salles de noyaux comme celle-ci, qui sont construites par d’autres donjons, deviennent un berceau pour les donjons nouveau-nés. Lorsque nous sommes complètement formés, nous sommes téléportés du ventre de notre mère dans une de ces pièces et commençons notre nouvelle vie, » explique-t-il.
« Donc... tu me dis que dans chaque endroit où j’ai construit une salle de noyaux qui a été laissé loin de mon Territoire de Donjon, ce qui je présume est la condition, un nouveau Donjon peut naître ? » j’avais été un peu choqué par cette information.
« Oui, » répondit-il.
En d’autres termes, toutes les salles de noyaux que j’avais construites dans le royaume de Shoraya s’étaient peut-être retrouvées avec un nouveau Noyau de Donjon et qu’ils avaient infesté la région de monstres frayés et de dédales. J’avais peut-être involontairement créé un problème majeur pour les humains qui y vivaient, mais en même temps, cela signifiait que la pièce que j’avais construite dans le désert était dans la même situation.
J’avais dégluti.
« Qu’en est-il des donjons dont le noyau a été détruit ? » lui avais-je demandé.
« Si la pièce est toujours là, intacte, dans les deux semaines, un nouveau noyau apparaîtra, qui absorbera les restes de l’ancien donjon ainsi que les monstres morts. Il peut recevoir un petit coup de pouce, mais il lui faudra un certain temps avant d’obtenir le pouvoir de l’ancien résident, » expliqua le petit noyau.
« Argh..., » j’avais baissé la tête.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Deusur avec curiosité.
« Rien ! Je me demandais juste si c’est une bonne ou une mauvaise chose..., » avais-je répondu.
« Pourquoi est-ce mauvais ? Les donjons n’ont-ils pas le droit de naître ? » C’était une assez bonne question, mais en même temps une question déroutante pour moi.
Techniquement parlant, j’étais né comme un humain qui s’était réincarné dans le corps construit par Tuberculus puis reconstruit à l’aide d’un sort farfelu. En d’autres termes, je n’étais pas né naturellement dans ce monde, donc je n’avais aucune idée de la manière dont les donjons étaient nés.
« Bien sûr qu’ils ont le droit de naître, c’est leur attitude envers les autres espèces qui m’inquiète..., » avais-je répondu.
« Attitude ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda-t-il innocemment.
« Eh bien... par exemple, comment vois-tu... les humains ? » lui avais-je demandé.
« Je ne sais pas ce que sont les humains, » une réponse inattendue m’était venue.
« OK, et les démons ? » demandai-je.
« Ça ne me dit rien..., » répondit-il.
« Les nains ? El’doraw ? Elfe ? Nekatars ? » demandai-je.
« Je ne les connais pas... Je sais seulement comment je suis né, quelques sorts et ce dont j’ai besoin pour survivre. Je ne connais même pas d’autre langue que la langue des donjons, » m’avait-il dit.
« Je vois... attends, quoi ? Langue des donjons ? » J’avais cligné des yeux, surpris.
« Celui qui est écrit sur les murs et que nous utilisons pour parler en ce moment. » C’était seulement à ce moment-là que j’avais réalisé que je ne parlais pas le Shorayan, l’anglais, le roumain ou toute autre langue dont j’avais entendu parler.
Cependant, c’était étrange. Celui-ci me semblait plus familier et plus facile à comprendre que les précédents. Curieux, mais en même temps un peu choqué, je m’étais dirigé vers le mur de droite. Après avoir regardé les symboles dessus pendant un certain temps, j’avais pointé du doigt un étrange caractère qui ressemblait à une chaise avec une barre traversée par une barre.
« C’est la syllabe “Ne”, non ? » lui avais-je demandé.
« Oui, » répondit-il.
« Et c’est... “Ro” ? » demandai-je.
« Oui, » répondit-il.
« N.S.A.T.T. Ke. » J’avais commencé à les pointer l’un après l’autre.
« Oui, tu as raison à leur sujet. Tu agis un peu bizarrement. C’est comme si c’était la première fois que tu le voyais, » m’avait-il dit.
« C’est..., » avais-je répondu.
« Bizarre... D’après les informations de mon père, je pensais que tous les donjons étaient nés avec les informations de base que je possède..., » m’avait-il dit.
Cette langue était littéralement nouvelle pour moi, mais en même temps, j’avais l’impression que cela faisait partie intégrante de moi, ce qui était bizarre.
Est-ce un effet secondaire d’être un Donjon ? m’étais-je demandé.
« Peut-être pas tous... Sais-tu qui est ton père ? » avais-je demandé. Mais je m’étais souvenu de comment il m’avait salué.
« Non, » déclara-t-il.
« Oui, j’ai oublié... Désolé. Mais tu as dit que tu sais ces choses de ton père, pourquoi es-tu sûr que ça vient de ton père et pas de ta mère ? » demandai-je.
« Je ne sais pas... C’est... Je le sais, c’est tout. C’est de la même façon que je sais que tu es un donjon et non un humain ou quoi que ce soit d’autre..., » répondit-il.
En d’autres termes, c’était une sorte d’instinct, mais ses derniers mots m’avaient fait ressentir une petite douleur intérieure. Je savais que je n’étais plus un être humain, mais me faire dire cela par un cristal flottant me faisait un peu mal.
« Eh bien... Qu’as-tu appris de ton père sur la façon de survivre ? » lui avais-je demandé.
« Quand des êtres en armure et armés d’épées entrent dans mon donjon, je suis censé les tuer et absorber leur mana. C’est la meilleure façon de grandir rapidement, mais en même temps de me protéger, » il m’avait révélé quelque chose de très intéressant.
Si tous les enfants du donjon étaient comme lui, il était possible qu’ils ne soient pas nés méchants, mais plutôt qu’ils le soient devenus après que des aventuriers soient venus les attaquer encore et encore. La peur et le manque de compréhension les amèneraient naturellement à prendre une position haineuse envers tout aventurier.
Les donjons étaient des êtres vivants nés de parents qui avaient été forcés de grandir sans leur amour et leur attention... Cela en soi me faisait pitié, mais ceux qui finissaient par avoir ce genre de comportement violent envers les humains et toute autre espèce intelligente finissaient naturellement par devenir une cible, un ennemi qu’il fallait détruire.
Attends... est-ce que ça veut dire qu’on peut penser que les donjons sont bons ? La relation entre les aventuriers et les donjons peut-elle être pacifique plutôt que violente ? En regardant ce jeune enfant devant moi, j’avais réfléchi.
« Deusur, quelle est la première chose que tu sais que tu dois faire quand tu rencontres un aventurier ? » lui avais-je demandé.
« Je le tue et j’absorbe son mana ou je me fais tuer, » expliqua-t-il calmement.
Typique pour un donjon..., avais-je pensé.
« Et si... Et s’il n’est pas là pour te tuer ? » demandai-je.
J’avais ainsi essayé quelque chose.
« Je ne comprends pas... Ne sont-ils pas tous là pour me tuer ? » demanda-t-il.
« Non..., » j’avais secoué la tête.
« Comment le sais-tu ? » me demanda-t-il.
« C’est dur... très dur à expliquer. Tout comme toi, ils croient que tu veux les tuer, et donc, vous avez tous les deux des émotions, » déclarai-je.
« S’ils sont comme moi, alors... pourquoi veulent-ils me faire du mal ? » demanda-t-il.
« Parce qu’ils ne savent pas... ou qu’ils le savent et sont mauvais, » avais-je répondu.
« Mauvais ? » le mot était probablement un peu étrange pour lui.
« À l’extérieur de ces murs, il y a une ville humaine. À l’intérieur, beaucoup d’humains vivent et certains d’entre eux ne sont pas aussi mauvais que les autres. Par cupidité ou par haine, certains voudront te détruire. Ces individus, tu es libre de vaincre et... de les tuer, mais il y a aussi ceux qui n’ont pas cette intention et qui souhaitent simplement devenir plus forts ici ou ramasser des matériaux pour leur artisanat. » J’avais commencé à m’expliquer du mieux que je le pouvais.
Il y avait peut-être une meilleure façon de dire ces choses, mais pour le moment, c’étaient les seuls mots qui me venaient à l’esprit.
« Comment puis-je les distinguer ? » demanda-t-il.
« Regarde comment ils se comportent, et non pas à quoi ils ressemblent. Euh, alors que tu grandiras et que tu gagneras de l’expérience, tu dois interagir avec eux et plus tu le feras et mieux tu le sauras. Il y aura des moments où ils te poignarderont dans le dos, d’autres moments où tu seras celui qui se trompera à leur sujet, mais si tu as de la patience et que tu continues à croire qu’il y a des individus là-bas avec l’intention d’être amicaux envers toi, pas haineux et craintifs envers toi, ou avec des intentions mauvaises et cupides envers toi, alors tu les trouveras certainement. Tu as juste besoin d’avoir confiance en toi sur le fait que tu finiras par les rencontrer. » Je l’avais expliqué d’une voix calme et douce.
« Je ne crois pas comprendre... Je sais seulement que je dois me protéger d’eux, » répondit-il au bout d’un moment.
Il était certain qu’il pouvait le faire, et comme son père n’avait jamais partagé ce genre d’information avec lui, il était naturel pour lui de ne pas croire immédiatement qu’il pourrait être un peu mal. En y pensant, même moi, je serais sceptique si un étranger me disait toutes ces choses à l’improviste. J’avais peut-être mal abordé cette question ?
« La seule chose que je peux dire, c’est que tu le sauras avec le temps. Tu as juste besoin de vivre ta vie et d’expérimenter de nouvelles choses... La seule chose que je peux faire pour t’aider est de te donner un petit coup de pouce de mana, ça te plairait ? » lui avais-je demandé.
« Oui, » répondit-il.
Avec son approbation, j’avais posé ma main sur son minuscule corps de cristal. À ce moment-là, j’avais réalisé à quel point il était petit et fragile. Si je serrais ma main trop fort, il craquerait et mourrait. Il n’y avait même pas une couche d’armure magique sur lui. Même un caillou jeté par un enfant pourrait lui faire du mal. C’était vraiment difficile pour moi de croire que quelque chose d’aussi petit et fragile que lui puisse un jour devenir une existence puissante capable de menacer les aventuriers expérimentés.
J’avais donc commencé à verser du mana en lui, le laissant couler à un rythme régulier, mais ce n’était pas plus que je ne puisse facilement régénérer. Après les premières secondes, le Corps de Cristal s’était un peu agrandi. Puis, à mesure que j’insufflais plus d’énergie dans son corps, il grandissait en taille et devenait de plus en plus fort à chaque instant qui passait.
Je lui avais probablement donné environ 60 000 points de mana quand j’avais senti qu’il était temps d’arrêter. Son corps était maintenant un gros cristal d’un demi-mètre de rayon. Son territoire s’était étendu au-delà de cette pièce et avait probablement atteint le bord même de ce donjon. Il avait probablement aussi gagné bon nombre de niveaux.
« Je me sens étonnant... Je te remercie, » dit Deusur au bout d’un moment.
En souriant, j’avais caressé son corps de cristal et je lui avais dit : « Fais attention à la façon dont tu utilises cette énergie. »
« Je le ferai ! » répondit-il joyeusement.
« Quant aux aventuriers et à tous ceux qui visitent ton donjon, je ne sais pas... mets-les à l’épreuve ou alors, demande-leur directement ? Tu trouveras un moyen, mais oui... si tu penses qu’ils représentent un danger pour toi, ne les laisses pas s’approcher de cette salle, et protège-toi, d’accord ? » lui avais-je dit.
« Je le ferai ! » déclara-t-il.
« Alors... Je suppose que je devrais aussi y aller..., » déclarai-je.
« Y aller ? » Il avait été surpris par mes paroles.
« Oui, » j’avais hoché la tête.
« Pourquoi ? » Son ton de voix était vraiment triste.
« J’ai des personnes qui m’attendent, mes amies et ma famille. Je suis aussi en voyage, et je n’ai aucune idée d’où cela va me mener... Je ne te reverrai peut-être jamais, ou peut-être que je le ferai. Qui sait ? » J’avais souri avec douceur.
« Je n’aime pas ça..., » déclara-t-il d’une voix basse.
« Je sais, mais même si je suis loin de toi, je serai toujours ton ami. Si tu deviens un bon donjon, je pourrais entendre parler de toi et venir te voir. Peut-être que si tu deviens assez fort pour avoir ton propre corps, tu viendras me voir ? » avais-je ri.
« Comment vais-je te trouver ? » demanda-t-il en étant un peu perplexe.
« Tu chercheras mon académie, une Académie de Magie dirigée par le donjon Divin du nom d’Illsyore. Si je réussis dans ma quête, tu entendras parler de moi, sinon..., » j’avais baissé les yeux en pensant à la possibilité d’être consumé par Les Ténèbres. « Si ce n’est pas le cas, ne me cherche pas et essaye de trouver ton propre bonheur dans la vie, » j’avais souri doucement et je lui avais tapoté à nouveau sur le cristal.
« Et si je ne deviens pas un bon donjon ? » demanda-t-il alors que je me levais et que je m’approchais de la porte.
« Alors, les humains te conquerront... et tu ne me reverras plus jamais. Tu seras comme tous les autres donjons qui ne veulent que détruire plutôt que d’apprendre à aider et à coexister, même si cela peut être difficile pour eux au début, » avais-je répondu avec un sourire amer.
Même moi, je n’en étais pas encore là, alors peut-être que demander ça à un enfant comme Deusur, c’était un peu... trop ?
« Mais tu me promets d’être toujours mon ami ? » me demanda-t-il.
J’avais baissé les yeux un instant, puis j’avais réfléchi à quelque chose. Le laser dans ma paume gauche avait tiré à un endroit vide dans le mur et avait gravé les mots suivants : « Illsyore este prietenul lui Deusur. » Dans la langue qui n’existait pas dans ce monde. En dessous, j’avais écrit la traduction en Shorayan : « Illsyore est l’ami de Deusur ».
« Je l’ai écrit en Shorayan, là où je suis né dans ce monde, les mots suivants : Illsyore est l’ami de Deusur, » je m’étais retourné et je lui avais fait un sourire.
« Merci... mon ami, » à ce moment-là, j’avais senti une réaction étrange dans le mana de son Territoire de Donjon.
Tout sentiment d’hostilité et d’angoisse en était complètement évacué, du moins envers moi. C’était incroyable, et c’était quelque chose que je ne savais pas possible.
« Prends soin de toi, Deusur, mon ami, » avais-je dit et ensuite, j’étais sorti de ce donjon.
Aucun monstre ne m’avait attaqué, et aucun piège n’avait été activé lorsque j’avais appuyé sur leur déclencheur, comme c’était arrivé à Nanya quand elle était entrée pour la première fois dans mon donjon en tant que ma femme. La seule différence était que je n’avais aucun contrôle sur eux, mais je savais simplement que je n’étais pas en danger.
Une fois sorti du donjon, j’avais couru aussi vite que j’avais pu jusqu’à Elora et j’avais prié les Dieux pour que mes femmes ne soient pas d’humeur à me gronder à l’idée de revenir tard dans l’après-midi.