☆☆☆Chapitre 10 : Douleur partagée
Partie 2
« De quoi veux-tu parler, grand-père Herman ? »
Un jour, alors que la guerre avec l’Empire du Grand Tigre se profilait, Julius se rendit dans le domaine d’Herman, dans la région d’Amidonia.
Il y a quelques jours, il avait reçu un message disant : « J’aimerais que tu viennes chez moi sans prévenir Sa Majesté ou Roroa. Ce n’est pas une urgence, mais je te prie de venir dès que possible. »
Une fois arrivé au manoir, l’intendant le conduit au salon. Un autre homme, une véritable montagne de muscles ondulants, était également présent avec Herman.
Je l’ai déjà vu dans le château. C’est l’entraîneur personnel de Souma, Sire Owen, je crois.
Alors que Julius se faisait cette réflexion, Herman prit la parole.
« C’est gentil d’être venu, Julius. — Eh bien, installe-toi », dit-il en indiquant le canapé en face d’eux.
Bien qu’il se sente méfiant, Julius s’assit.
« Grand-père. Je suis très occupé en ce moment, mais as-tu besoin de quelque chose ? Avec la guerre sur le point d’éclater avec l’Empire du Grand Tigre, je ne suis pas disponible pour le moment… »
« Je le sais. J’ai quelque chose à te dire à propos de cette guerre. »
« Quoi donc ? »
Voyant la suspicion sur le visage de Julius, Herman et Owen le dévisagèrent tous deux avec bienveillance.
Puis, sans quitter Julius des yeux, Herman dit : « Julius. Tu es le stratège de Sa Majesté maintenant, n’est-ce pas ? »
« Hm… ? Je le suis. Qu’en est-il ? »
« Alors, comprends-tu la faiblesse de Sa Majesté ? »
Julius réfléchit aux paroles d’Herman. Lorsqu’on lui posa la question, Julius pensa que Souma en avait tellement qu’il était difficile d’y répondre. Mais Herman et Owen attendaient une réponse, alors Julius le fit.
« Si nous parlons de faiblesses… Il n’a aucune capacité martiale et il lui arrive d’élaborer des stratégies farfelues. Il doit alors laisser les détails à ses serviteurs. Il ne se distingue pas en tant que roi et ne parvient pas à répondre à ses reines. Il est si peu attaché à son autorité qu’il nous laisse, Halbert et moi, lui parler avec désinvolture. En matière de charisme personnel, il en a non seulement moins que Fuuga ou la reine Maria, mais il est également devancé par la cheffe Kuu, la reine Shabon et la reine Sill. »
« Une évaluation plutôt sévère. »
« Mais nous, ses subordonnés, sommes tout à fait capables de combler ces lacunes. La véritable valeur d’un souverain ne réside pas dans ses propres talents, mais dans la qualité et le nombre de personnes qui le servent. Sur ce point, Souma surpasse même Fuuga et la reine Maria. »
L’évaluation que Julius faisait de Souma était franche à ce moment-là.
En termes de capacités, Souma avait peut-être des idées étranges issues d’un autre monde, mais Julius estimait qu’il avait l’avantage sur lui en matière d’arts martiaux et de stratégie. Cependant, le règne de Souma semblait assuré, alors que le sien avait été de courte durée. Selon lui, la raison principale en était que, malgré les différences de puissance entre leurs pays respectifs et les situations dans lesquelles ils s’étaient retrouvés, Souma avait su recruter des subordonnés compétents, les évaluer et les mettre au travail.
Dans la Principauté d’Amidonia, Julius avait repoussé sa sœur compétente, Roroa, et son ami Colbert, ne s’entourant que de militaires, à l’image de son père, Gaius. Cela avait réduit son champ de vision et son règne s’était effondré peu de temps après qu’il ait hérité du titre de prince souverain.
Cependant, durant son séjour au royaume de Lastania, il bénéficia du soutien de Tia et de ses parents, le roi et la reine, ainsi que de la bienveillance de compagnons dignes de confiance tels que Jirukoma et Lauren. En se réconciliant avec Souma et Roroa, il parvint à protéger le pays de l’invasion de démons.
Tout ce que Julius avait appris à travers ses échecs et ses frustrations, Souma avait toujours su le faire. Julius pensait que c’était ce qui le qualifiait pour être roi.
Herman fit un signe de tête satisfait en entendant la réponse de Julius : « Je suis sûr que tu as raison. En tant que ton grand-père, je suis fier que tu en sois arrivé à cette conclusion. Mais c’est là que se trouve le piège dans lequel Sa Majesté tombe. »
« Que veux-tu dire par là ? »
« Sa Majesté est capable d’embaucher des subordonnés compétents et de leur faire confiance pour accomplir les tâches qu’il leur confie. En bref, c’est un homme qui apprécie ses subordonnés. Parfois, même trop. » Herman regarda directement Julius. « C’est la plus grande faiblesse de Sa Majesté. Il ne peut pas traiter ses subordonnés comme des pions. »
Julius hocha la tête. Il était aussi intelligent qu’Hakuya et savait donc où Herman voulait en venir, ainsi que la raison pour laquelle il avait été convoqué seul ici. En l’examinant à la lumière de la situation actuelle du pays, il avait trouvé la réponse.
« Sire Julius. Vous le comprenez aussi, n’est-ce pas ? » dit Owen, qui était resté silencieux jusqu’à présent. « Tous les détails ne nous sont pas encore parvenus, mais nous savons que Sa Majesté, le Premier ministre à la robe noire, la duchesse Walter et vous-même avez élaboré une stratégie de guerre contre l’Empire du Grand Tigre. Je sais que vous voulez faire tout ce qui est en votre pouvoir pour gagner du temps pour ce plan. »
Julius ne répondit pas.
« Maintenant, s’il s’agit de gagner du temps, il n’y a qu’une seule façon de procéder. Il faut faire en sorte que ses subordonnés se battent jusqu’à la mort et risquent leur vie pour gagner ce temps. »
« Oui, mais… Ce n’est pas ce que veut Souma ! »
« Je suis sûr que ce n’est pas le cas. Sa Majesté se soucie de ses subordonnés. Avec la haute estime que les gens lui portent, s’il disait : “Meurs pour le pays”, beaucoup le feraient, mais il n’est pas du genre à le dire. C’est un trait de caractère sympathique. Cependant, s’il n’arrive pas à gagner assez de temps et que l’affrontement avec l’Empire du Grand Tigre a lieu avant que son plan ne soit prêt, il pourrait en résulter des sacrifices encore plus importants. Et si c’est le cas, ce sont ses subordonnés qui en pâtiront. »
« Et donc… vous êtes tous les deux volontaires pour être des pions sacrificiels ? »
Julius secoua la tête. Il n’en était pas question.
« Vous savez que Souma ne le permettrait jamais », leur répondit-il.
« Bien sûr, nous n’avons pas l’intention d’obtenir une permission. Nous agirons en fonction de la situation que nous verrons devant nous. Les soldats et les subordonnés que nous amènerons ont été soigneusement choisis et se sont portés volontaires pour venir. »
Owen arborait un sourire sarcastique.
« Il y en a eu plus que je ne le pensais, vous savez. Cette bataille contre l’Empire du Grand Tigre… Ce sera un désastre si nous perdons, mais même si nous gagnons, beaucoup d’entre nous, les vieux soldats, n’auront plus aucune place pour briller. Avec la disparition de l’Empire du Grand Tigre, presque tous les pays du monde seront désormais nos alliés. Je suis certain que Sa Majesté a réfléchi à l’avenir du monde, mais nous n’avons plus ni l’endurance ni l’espérance de vie nécessaires pour la suivre. Quand on est aussi vieux que nous, il est difficile de changer de mode de vie. Alors, nous aimerions au moins jeter les bases de l’avenir des jeunes. »
« Mais… »
Julius chercha un contre-argument, mais ne réussit pas à le formuler. Il était le meilleur débatteur, mais ces deux-là ne raisonnaient pas de manière logique, ils étaient convaincus. Il n’arrivait pas à trouver ce qu’il pouvait dire pour les convaincre.
« Grand-père Herman. Tu vas rendre Roroa triste. Et Tia aussi. »
Julius avait lancé un appel banal aux sentiments de leur famille. Le visage habituellement sévère d’Herman se mit à sourire.
« Rien que de t’entendre dire ça, je peux partir sans aucun regret. »
« Ne sois pas bête ! Ça ne te dérange pas ? Faire pleurer tes petites-filles ? »
« Je te parle du fond du cœur. J’ai pu vous voir, toi et Roroa, les deux petits-enfants que ma fille m’a laissés, vous réconcilier et avancer ensemble. De plus, Roroa a donné naissance à Léon avec Sa Majesté, et tu as eu Tius avec Madame Tia. En tant que guerrier, je ne savais jamais quand je tomberais raide mort sur un champ de bataille, et pourtant j’ai vécu pour voir mes arrière-petits-enfants. Pourrait-il y avoir une vie plus satisfaisante que celle-ci ? »
« Sa Majesté est comme un petit-fils pour moi », dit Owen en éclatant de rire. « Parce que c’est moi qui ai formé ce faible pour en faire un homme. La première fois que je l’ai vu se battre contre des voyous, j’ai été submergé par l’émotion. Pour moi, tous les enfants de Sa Majesté sont mes arrière-petits-enfants. »
Owen fixa Julius du regard.
« Sire Julius, » poursuivit-il, « nous n’avons pas l’intention de sacrifier nos vies pour rien. Si le plan de Sa Majesté se déroule sans encombre, nous exécuterons tranquillement ses ordres. Cependant, si nous voyons qu’il y a du retard et qu’il faut gagner du temps, nous agirons de notre propre chef. Je tenais à ce que la duchesse Walter et vous le sachiez. »
« La duchesse Walter le sait ? »
Comme le mot n’était pas parvenu à Souma ou à Julius, Excel avait dû garder le silence, au cas où ce qu’ils suggéraient s’avérerait nécessaire. C’était à l’encontre de la volonté de Souma, mais c’est lui qui avait fait de ce pays un endroit où chacun travaillait à sa manière, de façon distincte de ce qu’il avait prévu, pour l’amélioration de la nation.
Même si Souma se mettait en colère plus tard, la capacité d’agir de sa propre initiative était la force de ce pays. Julius n’avait d’autre choix que de renoncer à les persuader et ses épaules s’affaissèrent.
« Voici deux lettres de ma part », dit Herman. « Si quelque chose devait arriver, donne-les à Sa Majesté et à Roroa. »
Owen lui tendit l’une des siennes : « La mienne est pour Sa Majesté. »
Un air peiné passa sur le visage de Julius, mais il finit par accepter les lettres et les mit dans sa poche. Il ne pouvait qu’espérer qu’il ne viendrait jamais le jour où il devrait les remettre à leurs destinataires.
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