Chapitre 3 : Les femmes de chaque pays
Partie 1
C’était un bel après-midi d’hiver, avec un ciel dégagé et un soleil chaud. Alors que Souma et les bureaucrates souffraient encore d’une charge de travail homicide, trois des reines prenaient le thé dans un coin de la cour. Ou si l’on veut plus précis, l’une de ses reines et deux futures reines.
« Veux-tu une autre tasse, Aisha ? »
« Oh ! Hum, merci. »
Maria versa elle-même le thé, et Aisha l’accepta humblement.
En ce qui concerne leur future hiérarchie, Aisha serait mieux classée, mais elle pâlissait devant la grâce et la dignité qu’exsude l’ancienne dirigeante d’une grande nation comme Maria.
Maria avait souri, se tournant maintenant vers sa collègue future reine.
« Et toi, Yuriga ? »
« Ah ! Je n’ai pas fini ma tasse actuelle, alors je vais passer mon tour… Merci », Yuriga déclina poliment, alors qu’elle semblait incroyablement tendue.
Les trois reines présentes étaient la deuxième reine primaire Aisha, la future quatrième reine primaire Yuriga, et la future troisième reine secondaire Maria. Voulant servir le thé elle-même, Maria avait demandé aux servantes de se retirer, de sorte qu’il n’y avait vraiment que les reines dans la zone.
En s’asseyant, Maria adressa à Yuriga un sourire serein. « J’avais envie d’avoir une bonne et longue discussion avec toi parce que nous allons nous marier avec Sire Souma en même temps. »
« C’est vrai… Je vois », répondit Yuriga, le visage crispé. Intérieurement, elle transpirait à grosses gouttes. Je préférerais vraiment ne pas…
Yuriga était la jeune sœur de Fuuga Haan, l’homme qui avait après tout fait s’effondrer l’empire de Maria. L’impératrice déchue et la sœur de l’homme qui l’avait fait tomber — leur relation pouvait facilement devenir antagoniste. Pourtant, elles étaient toutes les deux sur le point d’épouser le même homme. Yuriga n’avait jamais entendu parler de deux individus partageant un destin aussi étrange, pas même dans tous les livres qu’elle avait lus auparavant.
Est-ce là mon lot dans la vie en tant que sœur d’un héros ? se lamenta Yuriga.
Mais il n’y avait pas que Maria. Il y avait trop d’autres personnes proches d’elle, comme Ichiha et Sami, dont les relations avec Yuriga avaient été compliquées par les actions de son frère. S’il y avait un dieu, Yuriga aurait voulu lui faire comprendre à quel point c’était injuste.
« Yuriga, » Maria l’appela par son prénom.
« O-Oui ! » Yuriga balbutia, reprenant ses esprits.
« Hee hee, tu n’as pas besoin d’être aussi tendue », déclara Maria en gloussant. Le sourire qu’elle arborait ne faisait rien pour apaiser l’anxiété de Yuriga.
« Non, me dire cela ne va pas rendre les choses plus faciles… »
« Je ne vais pas te manger ou de te faire mal. Écoute, si j’essayais de te faire du mal, Aisha m’en empêcherait. N’est-ce pas ? »
« Hein !? Est-ce pour ça que je suis là !? » C’est au tour d’Aisha de réagir avec des yeux écarquillés en raison de la surprise.
« Hee hee, je plaisantais », déclara Maria avec un clin d’œil et en tirant la langue.
Cet échange avait permis à Aisha et à Yuriga de réaliser que, quelle que soit leur position dans la hiérarchie, elles ne feraient jamais le poids face à Maria. Le charme et l’assurance avec lesquels elle les taquinait étaient du même niveau que ceux de la vénérable Excel.
Maria se redressa, puis inclina la tête devant Yuriga.
« Yuriga… Je te remercie. »
« Hein !? » La soudaineté de la chose fit paniquer Yuriga. « Wôw, quoi !? Levez la tête ! »
« Non, j’estime que je dois te remercier comme il se doit. » Maria leva le visage et regarda Yuriga dans les yeux. « On m’a dit que tu avais aidé à mettre en place le plan que j’avais élaboré, et que Souma avait accepté. »
« Je ne l’ai pas fait pour vous, Madame Maria…, » répondit Yuriga en détournant la tête d’un air pétulant. « Je l’ai fait seulement parce que je pensais que cela aiderait aussi mon frère. C’est tout. »
Yuriga n’avait pas empêché le royaume de Friedonia d’intervenir dans la guerre entre l’Empire et le royaume du Grand Tigre. Et ce, même si du point de vue du Royaume du Grand Tigre, les fiançailles entre Souma et Yuriga étaient un outil pour le tenir à l’écart du conflit. Yuriga avait même été mise au courant du plan avant que Hakuya ne trouve sa résolution et accepté de coopérer.
« Le plan de mon frère était de vous faire capituler et de prendre le pays, ses habitants et la bureaucratie pour lui tout seul. Mais vous n’aviez pas l’intention de vous rendre », expliqua Yuriga, toujours en détournant le regard. « Même s’il avait pris tout l’Empire, il était clair qu’il ne pourrait pas le maintenir et que le pays s’effondrerait s’il se faisait des ennemis de vos partisans. Cela étant, il valait mieux qu’il prenne une partie des terres et une partie des bureaucrates, ce qui lui donnait une victoire certaine tout en lui permettant de se réconcilier avec vous. En clair, c’était un chemin plus rapide vers son rêve de conquérir le domaine du Seigneur-Démon. »
« Wôw, tu as vraiment bien réfléchi », dit Aisha, complètement impressionnée. Malgré ses prouesses martiales inégalées, elle n’avait aucun sens de la politique.
Cependant, cet éloge sincère, né de ce manque de sens, était embarrassant pour Yuriga.
Se raclant bruyamment la gorge, elle dit : « Cela vous montre que Tomoe et Ichiha ne sont pas les seuls élèves de Monsieur Hakuya. »
« Oh, bien sûr. »
« Mon travail consistait à raconter tout cela à mon frère après la guerre et à faire baisser son hostilité à l’égard de ce pays et de Sire Souma. S’il entre en conflit avec ce pays, les deux parties en pâtiront grandement, alors je m’assure qu’il le sache. »
« Merveilleux. Je vois que tu as la tête sur les épaules », déclara Maria en tapant dans ses mains et en souriant. « Tu comprends les idéaux de ton frère, mais tu peux quand même faire des choix ancrés dans la réalité. Tu me rappelles ma petite sœur Jeanne. Sire Fuuga a de la chance de t’avoir. »
« Vous me donnez trop de crédit. »
« Ce n’est pas du tout vrai. Je veux être amie avec toi parce que tu es comme ça. Même si tu peux ressentir un certain sentiment de culpabilité à mon égard. »
« N-Non… Pas vraiment… »
« Comme je l’ai déjà dit, je te suis reconnaissante et je ne suis pas rancunière. Si nous ne pouvions pas être amies parce que tu te sens coupable de ce qui s’est passé, ce serait vraiment dommage. » Maria se leva de son siège et se pencha pour prendre la main de Yuriga. « Nous allons être une famille, alors j’aimerais construire un lien de sœur avec toi. »
« Argh… »
Yuriga était intimidée par la vitesse à laquelle Maria essayait de se rapprocher d’elle. Elle jeta un coup d’œil à Aisha pour lui demander de l’aide. Mais Aisha s’était contentée de grignoter des douceurs au thé et de secouer la tête.
« Je ne pense pas qu’elle ait des arrière-pensées », dit Aisha après avoir avalé. « Elle ressemble beaucoup à Madame Juna, alors il vaut mieux la laisser faire ce qu’elle veut. Il ne se passera rien de mal. »
« Euh, ce n’est pas ce que je voulais entendre… »
« Écoute, Jeanne m’a quittée, et je viens aussi de renvoyer Trill à la maison. J’ai besoin d’une petite sœur attentionnée pour faire attention à moi », dit Maria en pressant une main sur sa joue avec un soupir.
Yuriga se serra la tête. « Je n’ai jamais eu qu’un grand frère. Est-ce à ça que ressemblent les grandes sœurs !? »
« Je suis moi-même fille unique, alors je ne saurais dire », dit Aisha avec un amusement ironique en attrapant un autre biscuit. « Mais quand je suis en compagnie de Madame Roroa, Madame Naden et Madame Tomoe, j’ai envie de les chouchouter comme des petites sœurs. »
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« Comme des petites sœurs… Une famille, hein ? » Yuriga prit un air pensif.
Maria pencha la tête sur le côté. « Y a-t-il un problème ? »
« Compte tenu de ma situation, j’ai arrangé mon mariage avec Souma pour pouvoir faire le plus possible ce que je veux faire. Je ne pense pas que ce soit un mauvais choix, mais… après avoir été si calculatrice pour l’épouser, je me demande si je peux être une bonne épouse. Vous savez, Sire Souma et sa famille sont très soudés, et on dirait que vous vous comprenez bien, Madame Maria. »
« Yuriga… »
Il semblerait que Yuriga ait attrapé le blues du mariage avant le mariage.
« Sire Souma est gentil. Il me gronde quand je fais une erreur, et s’excuse même après. Il m’a préparé un en-cas tard dans la nuit plus souvent que je ne me souvienne, et je crois que je l’aime bien. Mais en même temps, il ressemble plus à un gentil ami de mon frère… Je l’épouse pour ma propre commodité, et je me demande si c’est vraiment bien ainsi… »
« Je pense que… tu te sens comme ça parce que tu tiens à lui, tu sais ? » Maria sourit en tendant la main et en tapotant la tête de Yuriga. « Tu as une situation un peu particulière, mais il t’a dit que même une fois mariée, tu seras libre de faire ce que tu veux pendant un certain temps, n’est-ce pas ? Si tu devais changer d’avis à un moment donné, je suis sûr que Sire Souma l’accepterait. Je pense que tu devrais prendre ton temps et ne pas te précipiter pour donner une réponse. »
« Ha ha, elle a raison, tu sais ? », acquiesça Aisha en riant. « Nous avons toutes eu nos propres circonstances lorsque nous avons épousé Sire Souma. On m’a dit que Madame Naden avait demandé un jour si l’amour qui commence par être arrangé par quelqu’un d’autre n’est pas un véritable amour. Cela va peut-être te surprendre, mais un certain nombre de choses peuvent finir par approfondir une relation. Je ne pense pas que tu doives t’inquiéter autant. »
« Madame Maria, Madame Aisha… »
Les écouter toutes les deux avait légèrement atténué l’inquiétude de Yuriga.
Maria se mit à rire. « Mais je vais d’abord flirter avec Sire Souma. »
« Euh, flirter… ? »
« Plus rien ne me retient maintenant, alors je vais faire ce que je veux ! En amour et au travail ! Il est temps pour moi de reprendre toutes ces années de ma jeunesse que j’ai passées à soutenir l’Empire ! »
Alors que Maria serra le poing et fit ce discours passionné, Yuriga sentit s’effondrer son image d’impératrice déchue d’un pays détruit. Même si son pays est divisé et qu’elle est loin de ses anciennes terres, Maria était toujours elle-même et brillait de tous ses feux. En la regardant, les inquiétudes de Yuriga lui paraissaient insignifiantes.
« Ha ha… Est-ce bien ainsi ? » dit Yuriga avec un léger rire.
« Eh bien, si tu n’es pas à l’aise avec le fait d’être une épouse… Nous avons ce qu’il te faut », dit Aisha nonchalamment en savourant son thé.
Maria et Yuriga penchèrent la tête sur le côté. Aisha regarda autour d’elle pour s’assurer que personne ne la regarde avant de leur faire signe d’approcher. Elles s’exécutèrent et se penchèrent de façon à ce que leurs visages soient proches du sien.
Aisha se couvrit la bouche d’une main et murmura : « Nous, les reines, recevons toutes… des leçons spéciales… »
Ce qu’elle expliqua ensuite fit rougir les deux autres. Et elles avaient toutes les deux convenu qu’elles participeraient certainement la prochaine fois.
Troisième stage de formation au mariage, date non prévue…
merci pour le chapitre