Chapitre 12 : Négociations -la ligue océanique-
Partie 1
Le hall principal à bord de l’Albert II était décoré d’un grand tapis et il y avait certaines peintures qui recouvraient les murs. Il ressemblait à un restaurant coûteux. La seule chose qui manquait était les lustres. Comme c’était un cuirassé, donc sujet aux secousses, l’éclairage de la salle était entièrement réalisé avec des lampes.
Juna, Excel et moi étions là pour représenter le Royaume, assis à une longue table, face au roi dragon à neuf têtes Shana, un homme qui était probablement un de ses proches collaborateurs, et à sa fille, la princesse Shabon, qui représentaient l’Union de l’archipel. Au fait, bien que Shana et Shabon aient pu se retrouver ici sur le bateau, ils étaient tous deux figés, ne sachant que dire, lorsqu’ils s’étaient vus.
La fille n’avait pas compris la détermination de son père, et celui-ci avait essayé d’empêcher sa fille de s’impliquer, mais cela s’était retourné contre lui. Cela les avait amenés à se battre dans différents camps. Il y avait beaucoup de choses à déballer là-dessus.
« Père… » Shabon avait réussi à se forcer à parler dans cette situation embarrassante.
Cependant, Shana avait fait un signe de la main pour la faire taire, et avait secoué la tête.
« Je suis désolé… Il y a des choses que je dois te dire, et je suis sûr que tu as aussi beaucoup à dire. Cependant, pour le bien de la population, je veux donner pour l’instant la priorité aux discussions avec Sire Souma. Je te promets de t’accorder du temps plus tard. »
« … Oui. » Shabon avait accepté de reprendre plus tard, peut-être qu’elle comprenait ce que ressentait son père.
Je leur avais été reconnaissant de l’avoir également reporté. Je ne pouvais pas m’immiscer dans les affaires d’une nation étrangère, surtout quand il s’agissait après tout d’un père et de sa fille.
Derrière nous se trouvaient nos gardes du corps Aisha et Naden, tandis que Kishun était derrière le roi Shana. Il n’y avait pas d’hostilité ici, pas besoin de se préparer à une éventuelle violence, mais l’air dans la pièce était encore un peu chargé. Pour vous donner une analogie, c’était comme la tension dans l’air avant que quelqu’un ne fasse une présentation importante — même les verres devant nous étaient tous remplis d’eau, pas de vin.
« OK, commençons, » avais-je dit, et tout le monde avait hoché la tête.
Nous avions expliqué aux soldats à l’extérieur que c’était une rencontre amicale, mais nous discutions en fait de ce qui se passerait après la bataille. Même à la lumière des circonstances, nos flottes n’étaient qu’à un demi-pas d’aller au combat. Si quelqu’un s’était précipité pendant ma guerre de mots grotesque avec le roi Shana… J’avais peur de penser à ce qui aurait pu se passer.
Les gens étaient d’humeur amicale à la suite d’une bataille commune contre un ennemi commun, ayant transpiré ensemble pendant les travaux de nettoyage, et ayant mangé dans les mêmes pots, mais si nous avions tracé la mauvaise voie à partir d’ici, les choses pourraient redevenir tendues.
« Permettez-moi de commencer par vous demander comment vous voulez résoudre ce problème, Sire Shana. »
« Je vais assumer toute la responsabilité et donner tout le mérite à Shabon. »
Les yeux de Shabon s’élargirent. J’avais posé une question directe, et Shana m’avait donné une réponse franche.
« Père ? ! Qu’est-ce que tu… ? »
« Vous dites que vous assumerez la responsabilité d'avoir créé des tensions avec le Royaume et de nous amener au bord de la guerre, tandis que Madame Shabon s’attribue le mérite de notre front commun réussi contre Ooyamizuchi ? » avais-je demandé.
Shana acquiesça en silence. Donc, cela signifie essentiellement…
« En prenant vos responsabilités, voulez-vous donc abdiquer et faire en sorte que Madame Shabon assume le trône ? »
« Non ! Père ne devrait pas avoir à abdiquer ! Pas quand je n’ai rien pu accomplir ! » Shabon s’était couvert le visage avec ses mains.
« Ce n’est pas ça. C’était le plan depuis le début, » expliqua Shana d’une voix calme, en plaçant ses mains sur les épaules de Shabon. « Je voulais en finir sans que tu saches la moindre chose, mais tu as agi selon tes propres idées, pour le bien du pays, et tu as pris contact avec Sire Souma. Cela a permis à Sire Souma d’amener plus facilement la flotte du Royaume sur nos terres, ce qui nous a permis de combattre ensemble. Notre peuple aura désormais une attitude plus positive envers le Royaume que ce que mon propre scénario aurait produit. Je t’ai fait subir beaucoup de choses. »
« Père… » Shabon avait levé le visage, seulement pour voir Shana lui sourire.
Il est vrai que la raison initiale pour laquelle j’avais envoyé la flotte du Royaume allait être « de mettre à terre la flotte de l’Union de l’archipel pour avoir constamment défendu des navires de pêche illégaux ». Même si nous utilisions le droit de la mer pour nous forcer à faire front commun, cette justification allait laisser des traces de rancune. Mais parce que Shabon était venue me voir, nous avions pu réécrire le scénario pour dire que « le roi de Friedonia est venu à la demande de la princesse Shabon. »
Excel avait fermé son éventail pliable.
« Alors, qu’en est-il de notre scénario commun ? “Afin de sauver le peuple de l’archipel du Dragon à Neuf Têtes, la princesse Shabon a risqué sa vie pour supplier le roi Souma d’envoyer sa flotte. Inspiré par sa détermination, le roi Souma a accepté avec joie d’envoyer des troupes. Cependant, lorsque la flotte du Royaume arriva sur les îles de l’archipel, elle fut prise pour des envahisseurs. Ils ont failli combattre la flotte de l’Union de l’archipel, mais après un signal de détresse fortuit, les deux flottes ont suivi le droit de la mer et ont combattu ensemble pour éliminer Ooyamizuchi”… Je pense que cela devrait être à peu près juste. »
« Ouais… »
Si nous en faisions un conte qui glorifiait Shabon, le peuple l’accepterait plus facilement et cela aiderait à justifier son règne plus tard. Certains des soldats qui avaient pris part à l’opération pourraient penser qu’il y a quelque chose de louche dans cette histoire, mais bien que nous ayons altéré la chronologie, plus de la moitié de ce que nous leur raconterions était vrai. Comme cette version des faits n’humiliait pas l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, personne n’était susceptible de s’y opposer.
En voyant la rapidité avec laquelle Excel a donné une réponse satisfaisante, on peut vraiment voir qu’avec l’âge vient la sagesse.
« Sire, vous pensiez à quelque chose d’étrange à l’instant ? » demanda Excel.
« … Oubliez cette pensée. » J’avais détourné les yeux du sourire intense présent sur le visage d’Excel.
« Moi, monter sur le trône du Dragon à neuf têtes… ? Suis-je au moins qualifiée pour faire ça ? » demanda Shabon, en se tenant la tête.
Ayant été dans une situation similaire, cela m’avait fait mal de savoir comment elle se sentait.
« Madame Shabon, vous êtes venue dans le royaume pour arrêter Sire Shana et pour lutter contre Ooyamizuchi, n’est-ce pas ? N’étiez-vous pas prête à prendre l’archipel du Dragon à Neuf Têtes à sa place pour ce faire ? » demandai-je.
« J’étais prête à l’époque, mais… Je n’avais pas vu les vraies intentions de mon Père… »
« L’ancien roi m’a également cédé mon trône, je peux donc comprendre ce que vous ressentez. Même si cela vous semble être un fardeau, si vous ne continuez pas à marcher, les choses laissées par les gens avant vous seront toutes gâchées. Vous devez hériter de tout cela, et poursuivre le mouvement. »
« Hériter, et poursuivre… Alors, c’est ce que je dois faire, » Shabon leva son visage, semblant avoir trouvé sa résolution. Shana la regarda avec satisfaction.
Pour l’instant, au moins, nous avions une histoire commune que nous pouvions raconter. Il était maintenant temps de négocier.
« Le Royaume a alors collaboré avec votre pays pour combattre Ooyamizuchi. À l’exception des échantillons de recherche, les éléments d’Ooyamizuchi doivent être considérés comme la propriété de l’Union de l’archipel, et utilisés pour aider à la reconstruction. Cela donne l’impression que le Royaume gère une œuvre de bienfaisance ici. Je sais que l’on peut dire que si nous laissons Ooyamizuchi pourrir, cela causera aussi du tort à notre pays, mais nous avons eu des victimes. Je risque de donner l’impression que je nous ai mis la tête sous l’eau juste pour faire une bonne action. J’aimerais éviter cela. »
J’étais venu directement au sujet et je l’avais expliqué à Shabon qui avait affiché un regard empli de doutes.
« … Essayez-vous de dire quelque chose ? »
« Je dis que je veux une sorte de profit pour le Royaume. Si je peux montrer qu’il y avait une bonne raison d’aider l’Union de l’archipel, il sera plus facile de persuader les soldats et mon peuple, et en retour, cela aidera à construire des relations amicales entre nos deux pays. »
« Le profit, c’est ça ? Cependant, mon pays n’a pas une grande marge de manœuvre financière…, » déclara Shabon.
« Je ne demanderai pas d’argent, bien sûr, qui ne ferait que nuire dans cette situation à l’opinion des gens sur le Royaume. Au contraire, je veux que vous acceptiez certaines de nos demandes. Mais je crois que j’ai déjà abordé l’une d’entre elles avec vous, n’est-ce pas, Sire Shana ? »
Je l’avais regardé, et Shana avait fait un signe de tête.
« Vous vouliez formaliser le droit de la mer et former une alliance maritime basée sur celui-ci, n’est-ce pas ? » demanda Shana.
« C’est vrai, » avais-je dit en faisant un grand signe de tête. « Lorsque nous avons résolu cette affaire, nous avons évoqué le droit de la mer pour obliger les deux flottes à travailler ensemble. Mais à l’heure actuelle, ce que nous appelons le “droit de la mer” n’est qu’un contrat oral. Il peut sembler inébranlable aux hommes de la mer, mais pour tous les autres, il est facilement rompu. J’aimerais qu’il soit officialisé sous la forme d’un traité international. »
Le droit de la mer était simplement une coutume. Si quelqu’un ne se souciait pas de sa réputation, il pouvait facilement le briser. Je voulais en faire un traité formel entre le Royaume et l’Union des archipels afin d’éviter cela. Une fois que nous aurions conclu un tel accord, nous pourrions l’utiliser comme un précédent pour convaincre d’autres pays de le reconnaître en tant que droit international. Au moins, l’Empire et la République s’y associeraient.
« L’autre raison pour laquelle les deux flottes ont pu former un front commun est que vous et moi, les chefs des deux pays, étions présents. Comment cela se serait-il passé s’il n’y avait eu que nos commandants ? Ils auraient dû nous contacter pour confirmer ce qu’il fallait faire, et cela aurait pris encore plus de temps. Nous devons partir du principe que les navires des deux pays connaîtront des incidents dont nous ne serons pas informés, et je veux que des accords soient mis en place pour les gérer. »
« Je vois. Je comprends cela maintenant, mais qu’entendez-vous par “alliance maritime” ? »
Après que Shabon me l’ait demandé, j’avais serré les doigts et je m’étais penché un peu plus près.
Merci pour le chapitre.