Chapitre 4 : Julis et l’orphelinat
Partie 1
Le jour suivant, Jolbert avait convoqué les cinq étudiants au Palais Royal.
« Gustave Malraux ? »
« Hmm. Eh bien, on dirait bien. Selon la police, c’est le nom du criminel que vous avez rencontré hier soir. »
Ils étaient dans la même pièce que la veille, et l’apparence décontractée de Jolbert n’avait pratiquement pas changé. La seule différence est que Maria n’était pas avec lui. Il semblerait qu’une des maîtresses de son mari soit restée alitée, sous le choc de l’incident, et qu’elle soit allée lui rendre visite. Une relation vraiment inhabituelle, pensa Ayato.
La police leur avait posé un tas de questions la nuit précédente, mais peut-être en raison de leur statut d’invités royaux, ils avaient été traités poliment et relâchés bien plus tôt que prévu.
« Ils disent qu’il est recherché internationalement. Il semble qu’il avait l’habitude d’aller à Asterisk. Hum… C’était laquelle déjà ? L’école qu’il fréquentait ? » Jolbert avait croisé les bras, comme s’il avait oublié. Son propre palais royal avait été attaqué, mais il ne prenait pas cela très au sérieux, ni même, d’ailleurs, ne montrait beaucoup d’intérêt.
« L’Académie Allekant. Il est plutôt célèbre là-bas, » avait complété Claudia.
« Célèbre ? Tu veux dire, en gagnant une Festa ou quelque chose comme ça ? » demanda Ayato.
« Non. Gustave Malraux était classé, mais il n’a jamais participé à la Festa. Il était l’une des personnes impliquées dans l’incident du Crépuscule de Jade. »
« C’est ça ! Je me souviens ! C’est le Mage des Bêtes Primordiales, Echid Nix ! » Julis se leva de son siège, l’air effaré.
« Le Crépuscule de Jade… Tu veux dire l’incident des otages ? J’ai entendu dire que le commandant de la garde de la ville s’en est occupé tout seul…, » murmura Kirin.
« En effet. C’était le plus grand incident terroriste de l’histoire d’Asterisk, » Claudia avait acquiescé.
Ayato ne connaissait pas les détails, mais il en avait entendu parler une fois auparavant. C’était l’incident qui avait provoqué la création de la zone de redéveloppement.
« … Donc vous dites que cet homme moustachu était un terroriste ? »
« Non, la situation est un peu plus compliquée que cela. Le Crépuscule de Jade a été réalisé par soixante-dix-sept étudiants, dont certains étaient sympathisants aux objectifs du groupe, et environ un quart d’entre eux n’étaient intéressés que par le gain financier. Gustave Malraux était l’un d’entre eux, » expliqua Claudia en sortant son appareil mobile et en ouvrant plusieurs fenêtres aériennes.
Il s’agissait de tous les articles d’actualité liés à des incidents terroristes.
« Ce sont tous des incidents dans lesquels on pense qu’il a été impliqué. Un terroriste peut être quelqu’un qui veut atteindre une sorte d’objectif politique, mais le fait qu’il ait travaillé avec un certain nombre d’organisations terroristes, chacune avec des idéologies radicalement différentes, suggère qu’il n’a pas de telles motivations. »
« Donc, en fait, c’est une sorte de travail pour lui… Attendez une minute. Que voulez-vous dire, “après” le Crépuscule de Jade ? N’as-tu pas dit que le commandant Lindwall s’en était occupé ? »
Mais Claudia, arborant un froncement de sourcils regrettable, secoua la tête. « Les chefs du groupe et ses principaux membres ont été arrêtés, mais sept des personnes impliquées ont réussi à s’échapper. Gustave Malraux était l’un d’entre eux, c’est pourquoi il est si célèbre. »
« … Je vois. » Échapper à la capture d’Helga Lindwall ferait certainement connaître son nom.
« Mais il y a encore beaucoup de choses qui ne sont pas claires à propos du Crépuscule de Jade, » dit Julis, clairement mécontente. « Le rapport du commandant sur la façon dont l’incident a été résolu a été rendu public, mais les événements qui l’ont précédé, et la façon dont il a été traité par la suite, ont été étouffés par les IEF. C’est un peu un sujet tabou à Asterisk. »
« Alors… Si c’est un Dante, quel genre de capacités a-t-il ? » demanda Kirin en hésitant.
C’est, bien sûr, Claudia qui avait répondu. « À l’époque, on disait de Gustave Malraux qu’il n’avait pas son pareil en matière de transsubstantiation. Quant à ses capacités… eh bien, comme vous l’avez vu hier soir, il est spécialisé dans la création de bêtes magiques. »
« Mais cette chose n’était pas vraiment vivante, n’est-ce pas ? » demanda Ayato. Il était indéniable que la chimère s’était bien déplacée, mais ce n’était clairement pas une créature vivante.
« Bien sûr que non. Personne n’a réussi à créer la vie, et il y a même ceux qui soutiennent que c’est impossible à un niveau théorique. Vous pourriez probablement appeler cette chose hier soir un modèle biologique dans lequel les os, les muscles et les tissus étaient tous constitués de mana converti. »
« Nos capacités reposent sur l’imagerie. Si nous ne parvenons pas à l’imager correctement, la puissance de ce que nous produisons s’affaiblit — tandis que si nous parvenons à établir des images fermes dans notre esprit, le flux de mana, et leur puissance globale, augmente. Il n’y a pas de norme générale en la matière, mais si l’on veut incarner une substance physique plutôt qu’un phénomène, il est important de l’imager avec le plus de détails possible. Ce monstre avait l’air d’être vivant. Il devrait être impossible d’imager une telle chose, quelle que soit la puissance de ses capacités. » Julis, la seule d’entre eux à avoir ce genre de capacité, continua d’expliquer froidement. « Mais Gustave Malraux a apparemment rendu cela possible. À la fois par ses capacités naturelles et en y consacrant énormément de temps. »
« De temps ? »
« Ce ne sont pas ses mots, mais plusieurs des terroristes arrêtés ont apparemment dit qu’il passait plusieurs mois, parfois même plusieurs années, à créer une nouvelle bête. Et s’il y a passé autant de temps, il les a sans doute imagées jusque dans les moindres détails. »
Plusieurs années — c’était du dévouement, Ayato devait l’admettre.
« Même ainsi, en principe, il est impossible de convertir le mana de façon permanente, que ce soit en un phénomène ou en une substance. Enfin, peut-être pas impossible, je suppose, mais pour maintenir l’énorme corps de cette chose sur une longue période, il faudrait qu’il y déverse sans arrêt plus de mana. Ce qui est, bien sûr, impossible, quelle que soit l’importance de son prana. »
« Dans ce cas… ? »
« Il se serait probablement dissipé de lui-même en dix ou vingt minutes. »
« Cela semble assez utile pour les incidents terroristes, » avait convenu Ayato, impressionné. « Il n’y aurait pas besoin de le récupérer, après tout. »
Julis avait froncé les sourcils. « Je vois… C’est vraiment une autre façon de voir les choses, mon frère ! »
« Hmm ? Oh, désolé. Je me suis couché tard. »
Jolbert avait commencé à s’assoupir sur le canapé.
« Tu devrais être un peu plus inquiet ! Tu te rends compte que c’est le Palais Royal qui a été attaqué, n’est-ce pas ? »
« Je croyais que vous étiez la cible ? »
« Alors tu devrais t’inquiéter un peu plus pour ta petite sœur ! »
Jolbert avait ri. « Si je devais m’inquiéter de chaque problème dans lequel tu te mets, j’en mourrais. » Mais il y avait une chaleur fraternelle dans sa voix.
Ayato avait pensé que les deux ne s’entendaient pas vraiment, mais il semblait s’être trompé.
« Et d’abord, que fait la sécurité pour laisser passer quelqu’un comme ça en douce ? »
« Il ne faut pas leur en vouloir. Ce Gustave semble avoir eu une fausse identité à l’institut de recherche de Galaxy, et avoir utilisé une vraie carte d’identité pour entrer. Ils n’auraient donc rien pu faire pour l’arrêter. Et je ne peux rien y faire. »
« Une identité de fondation ? » Claudia avait froncé les sourcils.
« Qu’est-ce que c’est ? »
« Les identifiants des IEF ne sont donnés qu’aux personnes des sièges sociaux ou aux personnes des groupes sous le contrôle direct du siège social. Il n’aurait pas dû pouvoir en obtenir une si facilement… »
« Il a dit qu’il travaillait pour quelqu’un. Peut-être qu’il a le soutien d’une organisation… ? Mais alors, pourquoi se donner la peine de faire une telle demande… ? »
Après tout, il avait dit que quelqu’un serait contrarié si Ayato rejoignait l’équipe de Claudia.
Il aurait pu comprendre si l’homme leur avait dit de ne pas participer du tout au Gryps. En effet, ils étaient les vainqueurs du dernier Phoenix, et l’un des duos ayant atteint le top 4. Il était facile de comprendre pourquoi les équipes des autres écoles pouvaient les considérer comme un obstacle.
Mais Gustave leur avait dit de ne pas entrer dans l’équipe de Claudia. En d’autres termes, celui qui le soutenait ne pouvait pas se permettre de laisser son équipe devenir trop forte, mais se fichait de rejoindre celle d’un autre.
Cela voudrait dire…
« Ah, c’est vrai. La police veut vous affecter un garde pour chacun. Qu’est-ce que vous en pensez ? »
« Je n’ai besoin de rien, » a dit Julis. « Mais si quelqu’un d’autre les veut, c’est bien. »
« … Mais n’est-ce pas la princesse qui a le plus besoin d’être protégée ? » fit remarquer Ayato avec ironie.
Julis grogna avec mépris. « S’ils ont assez de ressources pour me suivre partout où je vais, ils feraient bien mieux de les utiliser pour rechercher ce Gustave Malraux. Ils n’ont toujours pas trouvé le moindre signe de lui, n’est-ce pas ? »
« C’est ce que dit le rapport que j’ai reçu ce matin. Et c’est vrai que notre force n’est pas très importante, » dit Jolbert, comme si c’était le problème de quelqu’un d’autre.
Après quelques discussions, ils avaient décidé qu’ils n’avaient pas besoin d’une sécurité supplémentaire.
« Bien. Je vais leur faire savoir. De toute façon, vous êtes probablement plus fort que notre force de police. »
Si l’on ne tenait pas compte de leurs capacités d’organisation ou de leur aptitude à accomplir des tâches, et que l’on ne les comparait qu’en fonction de leur aptitude au combat, les étudiants d’Asterisk arriveraient certainement en tête. C’était l’une des caractéristiques des Genestellas — qu’ils étaient bien mieux adaptés au combat que les gens ordinaires.
Ou plutôt, les Genestellas qui vivaient dans des endroits comme Asterisk, où ils pouvaient s’engager activement dans le combat, avaient tendance à être beaucoup plus forts que les gens du monde extérieur. De plus, les restrictions sur l’utilisation des Luxs, des Orga-Luxs et des capacités de chacun étaient comparativement acceptables dans ces endroits, il était donc beaucoup plus facile pour eux d’acquérir une véritable expérience du combat. Même les diplômés n’étaient pas comparables : après avoir quitté la Cité académique et être retournées à leur vie paisible, leurs aptitudes au combat avaient tendance à baisser considérablement, même s’ils s’entraînaient tous les jours.
Le monde était loin d’être en paix, la guerre et le terrorisme étant encore courants, mais même ces derniers étaient contrôlés, au moins dans une certaine mesure, par les fondations d’entreprises intégrées, et les occupations sur le champ de bataille étaient donc extrêmement limitées. La police régulière et le personnel de sécurité, bien sûr, avaient leur propre type d’entraînement, mais les étudiants puissants, comme ceux de Première Page, les surpassaient.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de gens plus forts que les étudiants d’Asterisk. Ils n’étaient pas de taille à affronter les membres des unités d’opérations spéciales des IEF ou, d’ailleurs, les grandes sociétés militaires privées, et il y avait aussi des criminels de carrière comme Gustave Malraux qui avaient choisi de vivre leur vie dans le royaume de la violence.
« Si nous avions notre propre armée, nous pourrions peut-être faire quelque chose, mais il n’y a pas d’autre solution. »
« Lieseltania n’a pas d’armée ? » fit écho Ayato, pris par surprise.
Jolbert acquiesça. « En cas d’urgence, nous avons le droit d’emprunter quelques troupes aux fondations. À Solnage et Frauenlob, bien sûr. Les autres instituts de recherche ont sans doute leurs propres forces, mais elles ne bougeront pas avant que les étincelles ne commencent à voler. »
Les sociétés militaires privées et les divisions militaires qui appartenaient aux fondations d’entreprises intégrées étaient de loin supérieures aux capacités des États-nations existants. Mais malgré cela, les forces militaires étaient toujours indispensables pour maintenir la polarité nationale d’un pays.
« … C’est vraiment un état fantoche, » commenta Saya.
« Ne le dites pas si crûment, » déclara Jolbert, mais il semblait impressionné. « Nos invités d’honneur ont été attaqués, je dois donc prendre des mesures appropriées. Cependant, je m’assurerai qu’ils ne se mettent pas en travers de votre chemin. »
« Bien. Est-ce tout ? » dit Julis en se levant.
Jolbert avait tendu une main pour l’arrêter. « Attends un peu. Je t’ai dit hier que je voulais parler avec toi et Ayato, seuls. »
À ce moment-là, Julis avait jeté un coup d’œil à sa camarade de classe.
Elle hocha la tête comme pour dire qu’il n’y avait pas d’autre solution, et s’assit de nouveau sur le canapé.
merci pour le chapitre