Gakusen Toshi Asterisk – Tome 6 – Chapitre 4

***

Chapitre 4 : Julis et l’orphelinat

***

Chapitre 4 : Julis et l’orphelinat

Partie 1

Le jour suivant, Jolbert avait convoqué les cinq étudiants au Palais Royal.

« Gustave Malraux ? »

« Hmm. Eh bien, on dirait bien. Selon la police, c’est le nom du criminel que vous avez rencontré hier soir. »

Ils étaient dans la même pièce que la veille, et l’apparence décontractée de Jolbert n’avait pratiquement pas changé. La seule différence est que Maria n’était pas avec lui. Il semblerait qu’une des maîtresses de son mari soit restée alitée, sous le choc de l’incident, et qu’elle soit allée lui rendre visite. Une relation vraiment inhabituelle, pensa Ayato.

La police leur avait posé un tas de questions la nuit précédente, mais peut-être en raison de leur statut d’invités royaux, ils avaient été traités poliment et relâchés bien plus tôt que prévu.

« Ils disent qu’il est recherché internationalement. Il semble qu’il avait l’habitude d’aller à Asterisk. Hum… C’était laquelle déjà ? L’école qu’il fréquentait ? » Jolbert avait croisé les bras, comme s’il avait oublié. Son propre palais royal avait été attaqué, mais il ne prenait pas cela très au sérieux, ni même, d’ailleurs, ne montrait beaucoup d’intérêt.

« L’Académie Allekant. Il est plutôt célèbre là-bas, » avait complété Claudia.

« Célèbre ? Tu veux dire, en gagnant une Festa ou quelque chose comme ça ? » demanda Ayato.

« Non. Gustave Malraux était classé, mais il n’a jamais participé à la Festa. Il était l’une des personnes impliquées dans l’incident du Crépuscule de Jade. »

« C’est ça ! Je me souviens ! C’est le Mage des Bêtes Primordiales, Echid Nix ! » Julis se leva de son siège, l’air effaré.

« Le Crépuscule de Jade… Tu veux dire l’incident des otages ? J’ai entendu dire que le commandant de la garde de la ville s’en est occupé tout seul…, » murmura Kirin.

« En effet. C’était le plus grand incident terroriste de l’histoire d’Asterisk, » Claudia avait acquiescé.

Ayato ne connaissait pas les détails, mais il en avait entendu parler une fois auparavant. C’était l’incident qui avait provoqué la création de la zone de redéveloppement.

« … Donc vous dites que cet homme moustachu était un terroriste ? »

« Non, la situation est un peu plus compliquée que cela. Le Crépuscule de Jade a été réalisé par soixante-dix-sept étudiants, dont certains étaient sympathisants aux objectifs du groupe, et environ un quart d’entre eux n’étaient intéressés que par le gain financier. Gustave Malraux était l’un d’entre eux, » expliqua Claudia en sortant son appareil mobile et en ouvrant plusieurs fenêtres aériennes.

Il s’agissait de tous les articles d’actualité liés à des incidents terroristes.

« Ce sont tous des incidents dans lesquels on pense qu’il a été impliqué. Un terroriste peut être quelqu’un qui veut atteindre une sorte d’objectif politique, mais le fait qu’il ait travaillé avec un certain nombre d’organisations terroristes, chacune avec des idéologies radicalement différentes, suggère qu’il n’a pas de telles motivations. »

« Donc, en fait, c’est une sorte de travail pour lui… Attendez une minute. Que voulez-vous dire, “après” le Crépuscule de Jade ? N’as-tu pas dit que le commandant Lindwall s’en était occupé ? »

Mais Claudia, arborant un froncement de sourcils regrettable, secoua la tête. « Les chefs du groupe et ses principaux membres ont été arrêtés, mais sept des personnes impliquées ont réussi à s’échapper. Gustave Malraux était l’un d’entre eux, c’est pourquoi il est si célèbre. »

« … Je vois. » Échapper à la capture d’Helga Lindwall ferait certainement connaître son nom.

« Mais il y a encore beaucoup de choses qui ne sont pas claires à propos du Crépuscule de Jade, » dit Julis, clairement mécontente. « Le rapport du commandant sur la façon dont l’incident a été résolu a été rendu public, mais les événements qui l’ont précédé, et la façon dont il a été traité par la suite, ont été étouffés par les IEF. C’est un peu un sujet tabou à Asterisk. »

« Alors… Si c’est un Dante, quel genre de capacités a-t-il ? » demanda Kirin en hésitant.

C’est, bien sûr, Claudia qui avait répondu. « À l’époque, on disait de Gustave Malraux qu’il n’avait pas son pareil en matière de transsubstantiation. Quant à ses capacités… eh bien, comme vous l’avez vu hier soir, il est spécialisé dans la création de bêtes magiques. »

« Mais cette chose n’était pas vraiment vivante, n’est-ce pas ? » demanda Ayato. Il était indéniable que la chimère s’était bien déplacée, mais ce n’était clairement pas une créature vivante.

« Bien sûr que non. Personne n’a réussi à créer la vie, et il y a même ceux qui soutiennent que c’est impossible à un niveau théorique. Vous pourriez probablement appeler cette chose hier soir un modèle biologique dans lequel les os, les muscles et les tissus étaient tous constitués de mana converti. »

« Nos capacités reposent sur l’imagerie. Si nous ne parvenons pas à l’imager correctement, la puissance de ce que nous produisons s’affaiblit — tandis que si nous parvenons à établir des images fermes dans notre esprit, le flux de mana, et leur puissance globale, augmente. Il n’y a pas de norme générale en la matière, mais si l’on veut incarner une substance physique plutôt qu’un phénomène, il est important de l’imager avec le plus de détails possible. Ce monstre avait l’air d’être vivant. Il devrait être impossible d’imager une telle chose, quelle que soit la puissance de ses capacités. » Julis, la seule d’entre eux à avoir ce genre de capacité, continua d’expliquer froidement. « Mais Gustave Malraux a apparemment rendu cela possible. À la fois par ses capacités naturelles et en y consacrant énormément de temps. »

« De temps ? »

« Ce ne sont pas ses mots, mais plusieurs des terroristes arrêtés ont apparemment dit qu’il passait plusieurs mois, parfois même plusieurs années, à créer une nouvelle bête. Et s’il y a passé autant de temps, il les a sans doute imagées jusque dans les moindres détails. »

Plusieurs années — c’était du dévouement, Ayato devait l’admettre.

« Même ainsi, en principe, il est impossible de convertir le mana de façon permanente, que ce soit en un phénomène ou en une substance. Enfin, peut-être pas impossible, je suppose, mais pour maintenir l’énorme corps de cette chose sur une longue période, il faudrait qu’il y déverse sans arrêt plus de mana. Ce qui est, bien sûr, impossible, quelle que soit l’importance de son prana. »

« Dans ce cas… ? »

« Il se serait probablement dissipé de lui-même en dix ou vingt minutes. »

« Cela semble assez utile pour les incidents terroristes, » avait convenu Ayato, impressionné. « Il n’y aurait pas besoin de le récupérer, après tout. »

Julis avait froncé les sourcils. « Je vois… C’est vraiment une autre façon de voir les choses, mon frère ! »

« Hmm ? Oh, désolé. Je me suis couché tard. »

Jolbert avait commencé à s’assoupir sur le canapé.

« Tu devrais être un peu plus inquiet ! Tu te rends compte que c’est le Palais Royal qui a été attaqué, n’est-ce pas ? »

« Je croyais que vous étiez la cible ? »

« Alors tu devrais t’inquiéter un peu plus pour ta petite sœur ! »

Jolbert avait ri. « Si je devais m’inquiéter de chaque problème dans lequel tu te mets, j’en mourrais. » Mais il y avait une chaleur fraternelle dans sa voix.

Ayato avait pensé que les deux ne s’entendaient pas vraiment, mais il semblait s’être trompé.

« Et d’abord, que fait la sécurité pour laisser passer quelqu’un comme ça en douce ? »

« Il ne faut pas leur en vouloir. Ce Gustave semble avoir eu une fausse identité à l’institut de recherche de Galaxy, et avoir utilisé une vraie carte d’identité pour entrer. Ils n’auraient donc rien pu faire pour l’arrêter. Et je ne peux rien y faire. »

« Une identité de fondation ? » Claudia avait froncé les sourcils.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Les identifiants des IEF ne sont donnés qu’aux personnes des sièges sociaux ou aux personnes des groupes sous le contrôle direct du siège social. Il n’aurait pas dû pouvoir en obtenir une si facilement… »

« Il a dit qu’il travaillait pour quelqu’un. Peut-être qu’il a le soutien d’une organisation… ? Mais alors, pourquoi se donner la peine de faire une telle demande… ? »

Après tout, il avait dit que quelqu’un serait contrarié si Ayato rejoignait l’équipe de Claudia.

Il aurait pu comprendre si l’homme leur avait dit de ne pas participer du tout au Gryps. En effet, ils étaient les vainqueurs du dernier Phoenix, et l’un des duos ayant atteint le top 4. Il était facile de comprendre pourquoi les équipes des autres écoles pouvaient les considérer comme un obstacle.

Mais Gustave leur avait dit de ne pas entrer dans l’équipe de Claudia. En d’autres termes, celui qui le soutenait ne pouvait pas se permettre de laisser son équipe devenir trop forte, mais se fichait de rejoindre celle d’un autre.

Cela voudrait dire…

« Ah, c’est vrai. La police veut vous affecter un garde pour chacun. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

« Je n’ai besoin de rien, » a dit Julis. « Mais si quelqu’un d’autre les veut, c’est bien. »

« … Mais n’est-ce pas la princesse qui a le plus besoin d’être protégée ? » fit remarquer Ayato avec ironie.

Julis grogna avec mépris. « S’ils ont assez de ressources pour me suivre partout où je vais, ils feraient bien mieux de les utiliser pour rechercher ce Gustave Malraux. Ils n’ont toujours pas trouvé le moindre signe de lui, n’est-ce pas ? »

« C’est ce que dit le rapport que j’ai reçu ce matin. Et c’est vrai que notre force n’est pas très importante, » dit Jolbert, comme si c’était le problème de quelqu’un d’autre.

Après quelques discussions, ils avaient décidé qu’ils n’avaient pas besoin d’une sécurité supplémentaire.

« Bien. Je vais leur faire savoir. De toute façon, vous êtes probablement plus fort que notre force de police. »

Si l’on ne tenait pas compte de leurs capacités d’organisation ou de leur aptitude à accomplir des tâches, et que l’on ne les comparait qu’en fonction de leur aptitude au combat, les étudiants d’Asterisk arriveraient certainement en tête. C’était l’une des caractéristiques des Genestellas — qu’ils étaient bien mieux adaptés au combat que les gens ordinaires.

Ou plutôt, les Genestellas qui vivaient dans des endroits comme Asterisk, où ils pouvaient s’engager activement dans le combat, avaient tendance à être beaucoup plus forts que les gens du monde extérieur. De plus, les restrictions sur l’utilisation des Luxs, des Orga-Luxs et des capacités de chacun étaient comparativement acceptables dans ces endroits, il était donc beaucoup plus facile pour eux d’acquérir une véritable expérience du combat. Même les diplômés n’étaient pas comparables : après avoir quitté la Cité académique et être retournées à leur vie paisible, leurs aptitudes au combat avaient tendance à baisser considérablement, même s’ils s’entraînaient tous les jours.

Le monde était loin d’être en paix, la guerre et le terrorisme étant encore courants, mais même ces derniers étaient contrôlés, au moins dans une certaine mesure, par les fondations d’entreprises intégrées, et les occupations sur le champ de bataille étaient donc extrêmement limitées. La police régulière et le personnel de sécurité, bien sûr, avaient leur propre type d’entraînement, mais les étudiants puissants, comme ceux de Première Page, les surpassaient.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de gens plus forts que les étudiants d’Asterisk. Ils n’étaient pas de taille à affronter les membres des unités d’opérations spéciales des IEF ou, d’ailleurs, les grandes sociétés militaires privées, et il y avait aussi des criminels de carrière comme Gustave Malraux qui avaient choisi de vivre leur vie dans le royaume de la violence.

« Si nous avions notre propre armée, nous pourrions peut-être faire quelque chose, mais il n’y a pas d’autre solution. »

« Lieseltania n’a pas d’armée ? » fit écho Ayato, pris par surprise.

Jolbert acquiesça. « En cas d’urgence, nous avons le droit d’emprunter quelques troupes aux fondations. À Solnage et Frauenlob, bien sûr. Les autres instituts de recherche ont sans doute leurs propres forces, mais elles ne bougeront pas avant que les étincelles ne commencent à voler. »

Les sociétés militaires privées et les divisions militaires qui appartenaient aux fondations d’entreprises intégrées étaient de loin supérieures aux capacités des États-nations existants. Mais malgré cela, les forces militaires étaient toujours indispensables pour maintenir la polarité nationale d’un pays.

« … C’est vraiment un état fantoche, » commenta Saya.

« Ne le dites pas si crûment, » déclara Jolbert, mais il semblait impressionné. « Nos invités d’honneur ont été attaqués, je dois donc prendre des mesures appropriées. Cependant, je m’assurerai qu’ils ne se mettent pas en travers de votre chemin. »

« Bien. Est-ce tout ? » dit Julis en se levant.

Jolbert avait tendu une main pour l’arrêter. « Attends un peu. Je t’ai dit hier que je voulais parler avec toi et Ayato, seuls. »

À ce moment-là, Julis avait jeté un coup d’œil à sa camarade de classe.

Elle hocha la tête comme pour dire qu’il n’y avait pas d’autre solution, et s’assit de nouveau sur le canapé.

***

Partie 2

« Alors qu’est-ce qui était si important pour que tu fasses partir les autres ? »

« Hmm, eh bien, il y a deux choses… Par laquelle devrais-je commencer, je me le demande… »

« … Ce n’est pas comme si c’était important. Vas-y. »

« Je vois. Alors je vais commencer par la plus facile. Amagiri, » — Jolbert, souriant, se tourna vers Ayato — « Voulez-vous épouser ma sœur ? »

« … »

Ayato s’était raidi, incapable pendant un moment de comprendre ce que Jolbert venait de demander.

Julis, à côté de lui, avait eu la même réaction, s’asseyant aussi rigide que la pierre, son visage devenant écarlate alors qu’elle se mettait à trembler.

« Qu-qu-qu’est-ce que tu dis, mon frère !? T-Tu dois plaisanter ! »

« Hmm, oui, bon, je ne dis pas que ça doit être tout de suite. Pour l’instant, vous pourriez simplement vous fiancer. » Jolbert s’était penché en avant, ne prêtant aucune attention à la voix tendue de sa sœur.

Ayato, reprenant enfin ses esprits, avait donné une réponse honnête, bien que troublée. « Je ne sais pas quoi dire, quand on me pose ce genre de question tout d’un coup… Vous avez peut-être mal compris, mais Julis et moi n’avons pas vraiment ce genre de relation… »

« Guh — ! C’est vrai ! Et pourquoi ne demandes-tu qu’à Ayato !? » Julis s’était emportée, mais son frère n’avait même pas jeté un regard vers elle.

« Oui, j’en ai entendu parler par Flora. J’ai été un peu surpris, pour être honnête. Mais c’est bon. Ce n’est pas vraiment un problème. »

« C’est un énorme problème ! »

À ce moment-là, Jolbert s’était finalement tourné vers Julis. « Je ne pense qu’à ce qui est le mieux pour toi, ma sœur. Comprends-tu ce qui va se passer à ce rythme ? »

« … Hmph. Ce ne sont pas tes affaires. »

Mais ses yeux étaient d’un sérieux mortel. Peut-être intimidée par cette expression, Julis s’était tue.

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda Ayato.

« Cela signifie qu’avec le temps, elle finira comme moi, » répondit Jolbert en s’enfonçant dans son fauteuil.

Ayato ne saisissait toujours pas le sens complet de cette déclaration.

« Ce qu’il dit, c’est que les IEF vont me choisir quelqu’un qui leur convient. »

« — !? » Il ne pouvait pas croire ce qu’il entendait. En d’autres termes, ils allaient la forcer à épouser quelqu’un.

« Je suis persuadé que je peux aimer n’importe qui, donc j’étais d’accord avec ça. Mais toi, Julis… tu es différente. »

« … »

Julis n’avait rien dit, mais son silence indiquait qu’il avait raison.

« C’est pourquoi tu dois choisir maintenant quelqu’un que tu aimes, avant qu’il ne soit trop tard. Tu as choisi Amagiri comme partenaire de combat, après tout, donc tu ne dois pas le détester, n’est-ce pas ? »

« B-Bien sûr, je ne le déteste pas…, » murmura-t-elle, avant de lever les yeux au ciel. « Ne me dis pas que c’est pour cela que tu as organisé ce défilé hier !? »

« J’ai pensé que ce serait une bonne façon de vous présenter tous les deux aux gens. »

Cela expliquait pourquoi Flora leur avait dit de s’asseoir l’un à côté de l’autre.

« M-Mais pourquoi si soudainement… ? Ce n’est pas comme si nous n’avions pas déjà parlé de ça avant. Et je les ai tous refusés ! »

« La situation a changé, Julis. Tu as gagné le Phoenix maintenant. »

« — ! »

Julis avait repris son souffle.

« Les fondations ne poussaient pas aussi fort avant, donc j’ai pu adoucir les choses, mais maintenant que tu as gagné ce tournoi, tu as beaucoup plus de valeur pour eux. Ils se bousculent tous pour t’utiliser à leur propre avantage. »

« C’est… »

« Mais si nous le faisons maintenant, je peux faire le premier pas. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter du statut social à notre époque, et d’ailleurs, il n’y a pas de statut plus élevé que celui de vainqueur du Phœnix, n’est-ce pas ? »

« Argh… » Julis avait détourné le regard en signe de frustration.

« Alors qu’en pensez-vous, Amagiri ? Ce pays n’est peut-être pas grand-chose comparé au Japon, mais vous savez, vous pourriez au moins vivre dans le confort. Ce n’est pas si mal, n’est-ce pas ? » dit Jolbert en souriant.

« … Je ne peux pas discuter de cela, É répondit Ayato après une courte pause, comme s’il devait se convaincre lui-même. “Je suis sûr que ce serait confortable… Mais je ne serais pas non plus libre de faire ce que je veux. N’est-ce pas ?”

« La liberté totale n’existe pas. Tout le monde est lié par des obligations à un degré ou à un autre. »

« Mais il devrait y avoir de la place pour que nous puissions choisir les obligations qui nous lient. C’est pour ça que Julis est venue à Asterisk, pour pouvoir faire ce choix. »

À ce moment-là, Julis avait levé les yeux vers lui, surpris.

« Le choix, hein… ? Il y a toutes sortes de gens dans le monde qui n’ont pas ce luxe, vous savez. »

« C’est peut-être le cas, mais… Je ne veux pas être les chaînes qui attachent Julis, » déclara Ayato sans ambages.

Jolbert, silencieux, le regarda franchement dans les yeux pendant un court instant, avant de lâcher une profonde inspiration. « Hmm… Vous êtes plus sérieux que je ne le pensais. Bien. Mettons cela de côté pour l’instant. » Il avait levé les mains comme pour dire qu’il avait abandonné. « Mais puis-je vous demander encore une chose ? »

« Quoi ? »

« Si Julis elle-même désire ces chaînes, seriez-vous alors d’accord ? »

« Quoi — !? F-Frère, qu’est-ce que tu… !? »

« Je… Il faudrait que j’y réfléchisse… »

En voyant les visages d’Ayato et de Julis devenir écarlates, Jolbert avait hoché la tête, satisfait. « Hmm, je vois. Donc il y a encore de l’espoir. »

« Si c’est tout, on va y aller ! Allez, Ayato ! » Julis se leva et, le visage rouge vif, se dirigea vers la porte.

« Attends une minute, Julis. J’ai dit qu’il y avait deux choses dont je voulais parler. »

Elle s’était arrêtée devant la porte. « … Je ne suis pas d’humeur pour un autre de tes jeux, » grogna-t-elle par-dessus son épaule avec un regard furieux.

« Oh, non, ce ne sera pas long. » Jolbert avait fait une pause avant de retrouver son habituel sourire frivole. « Julis, s’il te plaît, ne participe pas au Gryps. »

Brusquement, toute expression avait disparu de son visage. « Es-tu sérieux ? »

Sa voix froide et grave résonnait dans toute la pièce. C’était comme si la température elle-même avait instantanément baissé.

« Bien sûr que je le suis. »

« Alors, dis-moi pourquoi. »

« Tu as vu le défilé de la victoire, n’est-ce pas ? Tu es terriblement populaire parmi le peuple en ce moment, Julis. Si tu continues, je pourrais finir par perdre ma position, et cela me mettrait dans une situation difficile. Puis-je donc te demander de ne pas y participer ? »

« … Non, » elle avait quitté la pièce en claquant la porte derrière elle.

Ayato pouvait dire à quel point elle était en colère juste au son de ses pas qui s’éloignaient. « … Est-ce que ça va ? Elle est vraiment en colère, vous savez. »

« On dirait bien. Je me demande combien d’années se sont écoulées depuis la dernière fois où elle était aussi furieuse contre moi ? »

« … Je ferais mieux d’aller la chercher. » Il ne pouvait pas la laisser seule dans cet état d’esprit.

Mais Jolbert l’avait rappelé. « Ne vous inquiétez pas. Je sais où elle va. Je vous ferai savoir quand nous aurons fini, si vous voulez bien rester un peu plus longtemps. »

« … Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Eh bien, je pensais vous demander d’essayer de la convaincre… mais à en juger par cette expression, ce n’est probablement pas la peine, n’est-ce pas ? »

« … Non. » Ayato doutait que même lui puisse la convaincre de faire quoi que ce soit dans cet état d’esprit, et d’ailleurs, il n’avait aucune intention de le faire. Il avait déjà décidé d’être sa force.

« J’abandonne…, » grommelle Jolbert en se grattant la tête. Mais malgré ses paroles, il n’avait pas l’air d’être sur le point de le faire.

« Le pensiez-vous vraiment, quand vous avez demandé ça ? »

« Ne viens-je pas de le dire ? Bien sûr que je le pense. Je le demande du fond du cœur. Réfléchissez-y un instant. Que pensez-vous qu’il se passera si elle gagne ? »

« Eh bien… je suppose qu’elle serait encore plus populaire qu’elle ne l’est maintenant. »

« Exactement. Je vous le dis, les gens de ce pays ne sont rien d’autre que des égoïstes. Quand elle est née, ils disaient tous qu’avoir une Genestella comme princesse était terrifiant, voire dégoûtant. » Jolbert avait tordu ses lèvres autour de ces mots avec sarcasme. « Bref, je n’aime pas dire ça, mais je pourrais être relevé de mes fonctions. Je ne suis autorisé à m’asseoir sur le trône de ce pays que parce que je fais ce que les IEF attendent de moi, et que je ne m’occupe ni de politique ni de travail. »

C’était comme le vieux dicton : Plus le palanquin est léger, plus le fardeau est facile à porter.

« Ce serait un jeu d’enfant pour les fondations d’orchestrer un changement de direction. Et qui pensez-vous est le prochain sur la liste pour s’asseoir sur le trône ? »

Ayato avait finalement compris.

« … Julis est sérieuse et gentille. Elle ne se contentera pas de laisser les choses telles qu’elles sont. Elle va sans doute essayer de tout changer, d’aider tous ceux qui souffrent. Mais ce n’est pas possible, pas dans ce pays, contrôlé par les IEF. Elle ne le sait que trop bien. C’est pourquoi elle est allée à Asterisk en premier lieu. Elle souffre, elle aussi. »

Ayato était silencieux.

« Pour l’instant, du moins, je leur suis plus utile qu’elle. Ou peut-être devrais-je dire, Julis a moins de valeur pour eux que moi. Vous savez qu’elle est provocante, surtout quand il s’agit d’eux. Mais si les choses se gâtent, ils n’auront pas de mal à lui faire faire ce qu’ils veulent. Ils pourraient prendre le pays entier en otage. Alors si elle devenait plus précieuse pour eux que moi…, » Jolbert s’arrêta là et sourit tristement.

C’était exactement comme leur précédente conversation sur le mariage. Plus Julis essayait de faire ce qui était juste, plus sa position — d’un point de vue personnel, du moins — prenait une mauvaise tournure.

« Alors, laissez-moi vous le redemander, Amagiri. » Jolbert l’avait regardé droit dans les yeux. « N’y a-t-il rien que vous puissiez faire pour la convaincre ? »

« … Je crains que non. » Malgré tout cela, sa réponse était la même.

Il n’y avait rien qu’il puisse faire. Après tout, elle avait choisi cette voie elle-même, pleinement consciente de ses implications.

« Je vois… Je comprends. » Jolbert s’était adossé au canapé, levant les yeux au plafond avec un sourire forcé. « Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution. Je vais devoir continuer à jouer le rôle de l’imbécile inoffensif, » dit-il en fermant lentement les yeux.

« Jolbert… »

« Tout va bien. Malgré ce que l’on pourrait croire, j’apprécie ma position. Et je n’ai pas l’intention de la changer de sitôt. » Il avait ouvert un œil pour regarder Ayato. « Elle devrait être à l’orphelinat de l’autre côté du lac. Depuis qu’elle est enfant, elle s’y rendait dès qu’il se passait quelque chose. Je la laisse entre vos mains. »

Ayato s’était incliné profondément devant le roi en quittant la pièce, puis s’était empressé de suivre Julis.

***

Partie 3

Contrairement à la veille, le ciel était caché derrière une couche de nuages épais et plombés.

La neige volait d’en haut, disparaissant dans la brume blanche de son souffle.

« C’est sûrement ça… »

L’église se trouvait à une trentaine de minutes du Palais royal en voiture, perchée au sommet d’une colline à la périphérie d’un bidonville.

C’était un vieux bâtiment fait de briques et de bois, relié à une maison à deux étages. Il était beaucoup plus grand que ce qu’il avait imaginé d’après la description de Julis, mais on ne pouvait nier qu’il était assez usé. Un haut mur entourait le bâtiment, mais il s’était effondré par endroits et ne semblait plus servir à grand-chose.

Lorsqu’il était entré dans le parc, il avait pu entendre les voix des enfants qui jouaient derrière l’église. Il avait traversé la fine couche de neige et avait trouvé Julis engagée dans une bataille de boules de neige avec un groupe de jeunes.

« C’est Ayato Amagiri ! » avait crié l’un d’eux.

« C’est vraiment le cas ! »

« Wôw ! »

Les enfants avaient appelé l’un après l’autre, et Julis, portant un épais manteau noir, s’était retournée pour lui faire face.

« Tu es arrivé plus tôt que prévu. Il te l’a dit ? »

« Oui. »

Son ton et son expression étaient calmes, mais elle était clairement ennuyée.

« Toi aussi. Depuis combien de temps es-tu ici ? Je suis venu en voiture. »

Ayato était parti à la recherche de Julis rapidement après son départ. En partant, il avait immédiatement demandé à Flora d’organiser une voiture pour lui (elle avait été au milieu de quelque chose, et n’avait donc pas pu y aller aussi), et avait même pensé qu’il pourrait la rattraper en chemin.

« J’ai utilisé un chemin secret, un chemin que j’utilise depuis que je suis enfant. Tu ne pourras pas me rattraper en voiture. »

« … Je vois. »

Si une Genestella le voulait vraiment, il ne lui était pas impossible d’aller plus vite qu’une voiture qui roulait sur la route. D’autant plus s’ils connaissaient bien le chemin.

« Oh là là, je croyais qu’ils s’animaient. Alors tu es venue nous rendre visite, Julis. » Une sœur âgée avait lentement ouvert une fenêtre de l’église et les avait observés.

« Sœur Thérésa… Ah, oui. C’est… »

« C’est bon. Même nous avons regardé le tournoi. Bienvenue, Ayato Amagiri, » dit la sœur en souriant. « Je crains que nous n’ayons pas grand-chose à offrir, mais que diriez-vous d’un peu de thé ? »

« Ah, bien sûr. »

« Merveilleux. Alors, entrez, s’il vous plaît. »

Il entra dans l’église avec Julis et trouva immédiatement le passage menant à la maison attenante.

À l’intérieur, plusieurs autres sœurs étaient au travail, aidées par un certain nombre d’enfants un peu plus âgés que ceux qui jouaient dehors.

« Les vacances arrivent à grands pas, nous sommes donc tous occupés à nous préparer. »

« Oh… » Julis s’arrêta, observant la scène avec nostalgie, mais reprit rapidement ses esprits. « Je suis désolée, c’est exactement comme dans mes souvenirs. »

« Tu as aidé, toi aussi ? »

« Eh bien… un peu. Cependant, je ne pense pas avoir été d’une grande aide, » dit Julis avec une expression compliquée.

« C’est vrai. » Sœur Thérésa s’était approchée d’eux depuis l’autre côté de la pièce. « Quand elle est arrivée ici, elle ne pouvait vraiment rien faire par elle-même. Plutôt que d’aider, elle était plutôt sur le chemin de tout le monde. » Elle avait gloussé d’un air amusé.

« Arrêtez de me taquiner, Sœur Thérésa. » Julis sourit doucement.

« Je suis désolée. Mais de penser que ce genre d’enfant pourrait gagner le Phoenix… »

L’air entre elles, souriant joyeusement, avait frappé Ayato comme presque comme une mère et un enfant.

C’est seulement à ce moment-là qu’il avait réalisé que Sœur Thérésa était une Genestella.

Elle les avait conduits à l’arrière de la maison, dans ce qui ressemblait à une petite salle à manger. Là, elle les avait incités à s’asseoir à une longue table en bois avec des chaises de chaque côté.

« Laissez-moi vous souhaiter à nouveau la bienvenue, Ayato Amagiri. Mon nom est Thérésa. Je suis responsable de l’église et de l’orphelinat ici. »

Sœur Thérésa s’était assise en face d’eux, tandis qu’une nonne plus jeune leur apportait du thé. La nouvelle venue avait salué Ayato poliment, puis avait souri à Julis, qui était assise à côté de lui.

« Bienvenue. J’ai regardé le Phoenix. Tu as réussi ! »

« Bien sûr. » Julis avait ri.

« Regardez qui parle. Je me souviens de l’époque où tu ne faisais que pleurer sans arrêt ! »

La sœur devait avoir à peu près le même âge que son couple d’invités. Comme Thérésa, elle semblait être une Genestella. Elle avait donné un coup de coude à Julis, la taquinant sur un ton doux. Julis avait répondu de la même manière. Il était évident qu’elles étaient bonnes amies. Plusieurs autres sœurs du même âge s’étaient rassemblées autour d’elles.

Elle ressemble à n’importe quelle autre fille ordinaire…

Il se sentait étrangement heureux de voir Julis, habituellement sur les nerfs, prendre cet aspect nouveau et frais.

« … Je suis soulagée, » annonça soudain Thérésa, et on aurait dit qu’elle s’adressait à lui.

« Hein ? » Surpris, Ayato s’était tourné vers elle.

« Qu’elle ait choisi quelqu’un comme vous. »

« Non, je ne suis pas… »

« C’est bon. Je l’ai vu à la façon dont vous la regardiez. » Thérésa avait souri chaleureusement avant de se tourner vers les sœurs réunies et de taper dans ses mains. « Bon, bon, vous feriez mieux de vous remettre au travail si nous voulons être prêtes à temps pour l’Épiphanie. »

« Oui, » avaient dit les sœurs à l’unisson, en partant à contrecœur.

Une fois que les trois avaient été seuls, Thérésa s’était tournée vers Ayato avec une expression sérieuse.

« Maintenant, laissez-moi vous remercier une fois de plus. Je suis désolée que Flora vous ait causé tant de soucis. »

« Ah, non, ce n’était pas seulement moi…, » Ayato avait essayé d’écarter ses remerciements.

Julis l’avait regardé d’un air incrédule.

« Vous dites cela, mais d’après ce que j’ai entendu, s’il n’y avait pas eu chacun d’entre vous, il n’y aurait pas eu moyen de la sauver. Donc au moins, de la part de quelqu’un qui se soucie beaucoup d’elle, s’il vous plaît, en tant que représentant de votre groupe… »

« Bon… » Il ne pouvait pas discuter avec elle sur ce point.

« D’ailleurs, c’est en partie ma faute, » dit-elle en secouant la tête pour s’en vouloir. « Je n’aurais jamais dû la laisser partir seule. J’aurais dû envoyer une des sœurs avec elle, qu’elle le veuille ou non. »

« Certaines des sœurs semblent être des Genestellas. »

« Oui. Quatre, si vous m’incluez. Un peu plus si vous incluez les enfants. »

Quatre Genestellas du même âge travaillant au même endroit, tout à fait par hasard, c’était assez inhabituel. De plus, il pouvait voir à leur façon de se comporter qu’elles avaient reçu une sorte d’entraînement.

« Sœur Thérésa est comme mon professeur, en tant que Strega. »

« Wow. Vraiment ? »

« J’ai juste essayé de lui apprendre à se défendre. Elle apprend plus vite que je ne le pensais. Elle m’a surpassé maintenant. »

Les capacités de Julis étaient certainement très raffinées pour quelqu’un qui n’avait pas reçu d’entraînement formel.

Son timing et la façon dont elle attirait ses adversaires dans des pièges devaient être basés sur une sorte de théorie.

« Pardonnez-moi de demander, mais avez-vous participé à Asterisk ? »

« Pas du tout ! » Elle rit. « J’ai seulement appris un peu d’un Strega que j’ai connu il y a longtemps. J’essaie d’apprendre à tous les enfants comment se défendre, pas seulement aux Genestellas. Bien sûr, certains n’aiment pas se battre, alors tous ne veulent pas apprendre… » Elle parla avec nostalgie, mais Ayato remarqua qu’elle semblait regarder au loin derrière lui.

Il s’était retourné, mais il n’y avait rien d’important dans la pièce. La seule chose qui ressortait était un bâtiment confortable aux murs de verre de l’autre côté de la fenêtre.

« Est-ce que c’est… une serre ? »

« Oui. C’était l’endroit préféré d’une enfant qui vivait avec nous. C’était une enfant si douce… Elle n’aimait pas du tout se battre… »

« … »

À ce moment, Julis s’était levée, sa chaise avait raclé le sol bruyamment.

« Julis ? »

« … Désolé. J’ai besoin de prendre l’air, » avait-elle dit.

« Haah... » Thérésa la regarda quitter la pièce avec tristesse, et laissa échapper un long soupir. « Alors elle le prend toujours mal… »

 

+++

Quand Ayato était sorti, il avait trouvé Julis entourée d’enfants.

« Je suis désolée, tout le monde, mais je dois sortir pour un moment. S’il vous plaît, dites-le aux sœurs pour moi, » dit-elle doucement, en s’accroupissant au niveau de leurs yeux.

« Vous partez déjà, princesse ? »

« Mais vous venez d’arriver ! »

Les enfants avaient tous crié leur déception, mais Julis leur avait simplement adressé un faible sourire, en les tapotant sur la tête.

« Ne vous inquiétez pas, je ne serai pas longue. Allez aider les sœurs jusqu’à mon retour, d’accord ? On dirait qu’elles ont pris du retard dans les préparatifs de l’Épiphanie. »

Ils avaient toujours l’air déçus, mais ils étaient vite rentrés dans le bâtiment sans se plaindre davantage.

« Vas-tu bien ? » demanda Ayato.

« Allons faire un tour, » répondit-elle en relevant sa capuche et en se dirigeant vers l’un des interstices du mur.

En sortant de l’église, une rue morne bordée de maisons délabrées s’était ouverte autour d’eux. Cela ressemblait un peu à la zone de redéveloppement d’Asterisk, mais le paysage était très différent.

Les bâtiments de part et d’autre étaient si vieux qu’on aurait pu croire qu’ils allaient s’effondrer à tout moment, ou alors ils étaient si minables qu’ils ne ressemblaient guère plus qu’à des cabanes de montagne. Il y avait quelques bâtiments qui semblaient être des complexes d’appartements, mais les murs étaient pleins de fissures et couverts de graffitis. La route était jonchée d’ordures, et au milieu d’un terrain vague, plusieurs personnes, peut-être des résidents, étaient assises autour d’un feu. Ils fixaient les flammes sans bouger, les yeux ternes et apathiques, comme s’ils étaient privés de tout espoir.

La ville entière semblait étouffer sous une force invisible.

« … Je suis désolée, » dit finalement Julis, en prenant la parole. « Je ne me sens pas très bien aujourd’hui. »

« Ne t’inquiète pas, cela arrive aux meilleurs d’entre nous. »

Il ne savait pas quelle partie de la conversation de Thérésa l’avait contrariée, mais c’était manifestement quelque chose de très important pour elle.

« Si je ne peux même pas contrôler mes sentiments, il n’y a aucune chance que je puisse parler à mon frère… »

« Il s’inquiète pour toi. »

« … Je le sais, » dit-elle en se mordant la lèvre. « Je sais qu’il se soucie de moi par-dessus tout, et je sais que j’ai de la chance pour ça. » Sa voix donnait plutôt l’impression qu’elle se rappelait ces choses. « Mais quand même… Non, à cause de cela, je ne peux pas laisser les choses dans ce pays continuer comme elles le font. »

« Tu fais de ton mieux, on le voit tous. Et tu n’as plus à t’inquiéter pour l’orphelinat. »

Après avoir remporté le Phoenix, elle avait souhaité acheter cet orphelinat dans son pays d’origine et en assurer le financement pour l’avenir. Elle avait peut-être tendu la main à ses propres amis, mais cela ne changeait rien au fait que c’est quelque chose dont elle peut être fière.

« Mais en fin de compte, c’était juste comme aspergé de l’eau sur un sol desséché. C’est le système lui-même qui maintient ces gens à terre, qui fait que des endroits finissent comme ça, et qui fait que les enfants doivent compter sur les orphelinats. »

Un monde dominé par les IEF était un monde qui ne cessait de donner naissance à des désavantages économiques. Son essence même était la disparité. Bien sûr, le monde avait toujours été comme ça, depuis toujours, mais les fondations d’entreprises intégrées avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour l’exacerber.

« Je voulais libérer le peuple de cette malédiction, ne serait-ce que dans ce pays. Si ce n’est pas possible, je veux au moins lutter contre elle. »

« Alors… ce sera ton souhait après le Gryps ? »

Julis avait fait un léger signe de tête.

Elle n’avait jamais caché qu’elle visait le grand chelem. Ce n’était pas suffisant de gagner la Festa une fois.

« L’orphelinat était dans un très mauvais état financier. J’ai donc donné la priorité à son sauvetage avant toute autre chose. C’était mon premier objectif, et j’ai réussi à le faire…, » elle s’était tue. « Je sais que je suis égoïste, probablement parce que mon frère m’a toujours gâtée. Mais je… » La douleur s’était glissée dans sa voix. Ayato n’avait jamais vu ce côté d’elle avant.

« Julis…, » commença-t-il, mais les mots ne lui venaient pas.

Tout à coup, son regard s’était levé vers le haut. « — ! »

L’angoisse qui avait consumé son expression un instant plus tôt avait été remplacée par la surprise.

Tout son corps tremblait, ses yeux étaient écarquillés par le choc.

« Ne me dis pas… »

« Julis ? »

Elle semblait fixer une voiture qui venait de traverser à toute allure les rues du bidonville. Elle se déplaçait à une vitesse considérable, et avait disparu.

« … Non, ce n’est pas possible… »

Elle avait serré les dents, quelque chose de proche de la colère brûlant dans ses yeux.

« Julis ? Qu’est-ce que c’est ? »

« Je suis désolée, Ayato. Retourne à l’orphelinat. Il y a quelque chose que je dois faire, » avait-elle marmonné, avant de s’élancer à toute allure.

« Julis, attends ! Qu’est-ce qu’il y a ? »

Elle aurait pu lui dire de rentrer, mais il ne pouvait pas la laisser seule comme ça, alors il l’avait poursuivie.

Ils avaient rapidement quitté la périphérie de la ville, et s’étaient retrouvés entourés de neige et de forêt. Julis devait être en train de poursuivre la voiture qu’ils venaient de voir.

La route sinueuse semblait se diriger vers les montagnes. Il n’y avait pas d’autres voitures autour, donc ça ne pouvait pas être une route principale.

Comme il l’avait espéré, il était le coureur le plus rapide. « Julis ! » Il avait crié, sautant devant elle pour lui bloquer le passage.

« Dégage du chemin, Ayato ! Je suis pressée ! »

« Je le vois bien ! Mais je ne peux pas te laisser partir comme ça ! Je ne sais pas ce qui ne va pas, mais il ne faut pas se précipiter dans cet état d’esprit ! »

« C’est… ! » Elle se pencha en avant, en grognant contre lui, mais baissa rapidement les yeux. « Tu crois que je ne le sais pas ? Je t’en supplie, Ayato, laisse-moi partir ! »

Il ne pouvait pas refuser une demande aussi désespérée. « … D’accord. Mais je viens avec toi. »

« Bien. » Elle avait acquiescé et s’était élancée.

Après une courte distance, elle avait bifurqué de la route et s’était engouffrée dans la forêt sans aucune hésitation, comme si elle savait exactement où la voiture se dirigeait.

En avançant dans la forêt enneigée, ils avaient finalement trouvé la voiture, garée dans une clairière. Julis avait ralenti, Ayato avait suivi derrière elle.

Ce n’est qu’alors qu’il s’en était rendu compte : il y avait quelque chose d’étrange dans leur environnement. Les arbres étaient différents de ceux qu’ils avaient vus auparavant. En regardant attentivement, il avait remarqué qu’ils étaient rabougris et ratatinés, comme s’ils s’accrochaient à peine à la vie.

Plus ils avançaient, plus ça empirait, jusqu’à ce qu’ils s’amincissent en une large ouverture autour de la voiture. S’ils avaient pu la voir d’en haut, elle aurait pu ressembler à un trou béant au milieu de la forêt.

Julis ne montra aucun intérêt pour le véhicule, gardant plutôt son regard fixé sur un point devant elle. Au-delà de la voiture, une série d’empreintes de pas menait dans cette plaine de neige blanche et pure.

Ayato avait continué derrière elle, jusqu’à ce qu’il réalise que le sol sous eux était étrange.

Il s’était accroupi et avait balayé une partie de la neige, puis une odeur âcre lui avait assailli le nez.

Est-ce que le sol… pourrit… ?

La neige, qui tombait en volutes autour d’eux, semblait se renforcer.

Ça pourrait se transformer en blizzard à ce rythme.

En regardant au loin, il pouvait voir la silhouette de ce qui ressemblait à un bâtiment abandonné au milieu de la clairière.

Il semblait être en grande partie tombé, et il restait peu de choses pour discerner sa forme originale, mais il devait autrefois être assez grand.

Et devant elle se tenait une ombre solitaire.

Julis s’était arrêtée, avant d’appeler la silhouette :

« Ça fait longtemps, Orphelia. »

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire