Chapitre 1 : Faire des emplettes avec Mme l’Elfe
Partie 2
J’avais placé mes bras sur la clôture brune et j’avais regardé le paysage environnant. Le ciel avait encore des vestiges de ses couleurs du matin, et il allait bientôt se transformer en un beau bleu. La rivière qui coulait devant moi était illuminée par le soleil de printemps, teignant les rangées d’arbres avec des cerisiers récemment tombés en fleurs. Le son de la rivière qui coulait différait en quelque sorte de celui de son homologue dans le monde onirique. C’était probablement parce qu’ils avaient été construits avec du béton ici, et qu’il n’y avait pas des rochers pour que l’eau puisse les atteindre. J’avais toujours adoré la nature débridée du monde fantastique, et j’avais vraiment aimé profiter du paysage pendant que je passais mon temps à pêcher. Quant à la jeune fille, elle s’était changée avec une robe d’une seule pièce à lacets pour sortir et elle était accroupie pour une raison quelconque. En regardant de plus près, j’avais réalisé qu’il y avait un chat avec des rayures tigrées qui se tortillaient sur le sol. Les tresses de la fille vacillaient en même temps, et le chat tendait ses deux pattes vers elles.
« Oh, mon Dieu, regarde-toi. Ton ventre est si rond. Ça doit être plein de nourriture savoureuse, hein ? Je t’envie ! »
Le chat ronronnait de façon audible pendant qu’il continuait à se tortiller, comme s’il était sur le point de rire à haute voix. Ils continuèrent ainsi pendant un certain temps, mais le chat sembla satisfait au bout d’un certain temps et se leva, puis se mit à miauler comme pour la remercier. Marie fit signe d’au revoir, puis ils s’étaient séparés pour profiter de leurs jours de congé respectifs. Et ainsi, le chat était retourné à sa promenade. La fille s’était approchée de moi, n’essayant même pas de cacher son sourire comme si elle disait, « Si adorable ». J’avais tendu la main, qu’elle avait légèrement serrée, et j’avais commencé à marcher le long du lit de la rivière avec l’elfe qui ronronnait.
« On dirait que tu t’entends bien avec ce chat. Et au fait, ta coupe de cheveux te va bien, » déclarai-je.
« Hehe, merci. Je n’ai jamais vraiment fait trop attention à mes cheveux, mais tout le monde a une coiffure différente dans ce pays. J’ai pensé que j’allais aussi essayer de changer les choses. » Elle agitait ses deux tresses quand elle l’avait dit. Ses longues oreilles d’elfe caractéristiques étaient actuellement cachées avec l’objet magique que Wridra nous avait donné. Grâce à cela, Marie avait pu profiter de la mode en essayant différentes coiffures. « Je vais devoir remercier Wridra. Je suis un peu surprise, cependant. J’ai pensé qu’elle voudrait venir au Japon avec nous. »
« Elle a dit qu’elle voulait observer le camp ce soir. Ils devaient expliquer le plan de descente dans le donjon à la réunion de nuit, » répondis-je.
Elle avait fait un bruit sans engagement, et elle semblait avoir encore quelques doutes en penchant la tête. Je sentais que son instinct était juste. Wridra ne l’avait pas dit tout de suite, mais elle avait probablement décidé de ne pas venir ici par courtoisie pour nous. Je me souvenais encore très bien du profil latéral de son visage la nuit précédente. Son expression m’avait dit qu’elle voulait venir jouer avec nous, mais qu’elle avait abandonné l’idée à contrecœur. En y repensant, c’était peut-être une femme de cœur. Mais vu qu’elle m’avait tué immédiatement après notre première rencontre, je ne pouvais donc pas en dire grand-chose.
« En parlant de ça, j’ai été surpris quand tu as choisi Travail d’Équipe pour tes compétences secondaires, » Marie cligna des yeux en réponse. Ce jour-là, le bâton créé avec l’écaille de la Magi-Drake et Neko lui avait conféré une compétence secondaire, qui était différente des compétences primaires. Marie avait ainsi acquis un créneau de compétence supplémentaire, et elle avait choisi Travail d’Équipe sans hésitation.
« Bien sûr que oui. Je suis un sorcier spirituel, et quand je me suis battue à tes côtés une fois, il est devenu douloureusement évident que je devrais apprendre à mieux utiliser la magie spirituelle, » déclara-t-elle.
« Cette fois-là ? Oh, quand on a combattu ces bandits. Maintenant que tu le dis, tu faisais de la magie avec ces esprits. » Elle contrôlait plusieurs esprits à l’époque pour coincer un monstre dont on estimait qu’il se situait autour du niveau 100. Je me doutais que personne d’autre ne pouvait faire ça.
« Il va falloir qu’on pense à mieux se coordonner à partir de maintenant, n’est-ce pas ? Pour ce faire, nous devrons oublier les méthodes conventionnelles et tirer le meilleur parti de notre avantage d’avoir une sorcière spirituelle dans l’équipe. Plus précisément, non pas avec une magie destructrice qui a une zone d’effet élevée, mais avec des sorts qui nous permettront de manœuvrer plus efficacement, » déclara Marie.
« Hmm… Je ne vois pas où tu veux en venir, mais coordonner avec toi semble amusant. Tu as beaucoup plus d’options disponibles que la plupart, » déclarai-je.
Marie avait fièrement gonflé sa poitrine. Marie avait, en fait, plus de deux fois plus d’options dans une situation donnée que d’autres sorciers. Pour être plus précis, je faisais référence au large éventail de sorts offensifs et de magie spirituelle qu’elle pouvait utiliser lorsque la situation l’exigeait. Je me doutais qu’elle serait capable de faire preuve de beaucoup de prouesses tant qu’elle aurait eu le temps de se préparer.
« Mais nous avancerons constamment dans le donjon, donc nous n’aurons peut-être pas le temps de nous préparer pour la plupart. Comme dans un hall fermé par une porte. Je devrais peut-être gagner du temps dans de tels cas, » déclarai-je.
« Oh, j’y pensais aussi. Tu es doué pour manœuvrer sans subir de dégâts, alors je pense que nous formons une bonne équipe, » déclara Marie.
J’avais hâte d’y être. Ce sentiment m’avait rappelé ce que je ressentais quand je jouais à des jeux. Personnaliser les compétences et se spécialiser afin d’éliminer efficacement les ennemis. Même si j’avais échoué au début, il n’y avait rien de mieux que de surmonter l’obstacle en s’adaptant et en s’améliorant avec le temps. Je perdais le sommeil — ou plutôt, j’étais déjà endormi, et je me retrouvais complètement absorbé par le processus. Et contrairement aux études avec un test de contrôle, les résultats allaient arriver immédiatement. La jeune fille semblait partager mon sentiment, ses yeux scintillaient comme des pierres précieuses.
« Ahhhh, je ne peux pas attendre ! Et avec Wridra avec nous, il n’y a aucun risque de perdre. Cela signifie que nous pouvons expérimenter avec des essais et des erreurs autant que nous le voulons ! » On s’était regardés et on avait ricané malicieusement.
« Comme tu es méchante, Mlle l’Elfe, » déclarai-je.
« Oh, mais je ne suis rien comparée à toi. Tu es bien pire, vu que ton visage a l’air inoffensif, » répliqua Marie.
Avec ça, elle avait cogné son postérieur contre moi sur le côté. Pendant que nous continuions à déconner, les portes automatiques du supermarché local s’ouvrirent.
La jeune fille avait regardé des carottes dans un sac d’épicerie d’un air critique en disant. « Hmm… » Elle l’avait retournée pour regarder le prix et l’avait remuée un peu plus. À en juger par l’expression de son visage, il semblait qu’elle n’était pas seulement intriguée par le sac transparent qui l’entourait. Devant elle, il y avait une photo d’agriculteurs, avec la légende. « Ceci a été cultivé par nous. » En dessous, il y avait des détails sur la façon dont ils exploitaient une ferme dans la ville. Je l’avais traduit pour elle en elfique, et elle avait fait un autre bruit pesant.
Il y avait une raison pour laquelle nous étions au supermarché ce matin-là. C’était mon jour de congé, alors je voulais le passer en loisirs. Je lui avais demandé si elle voulait cuisiner avec moi, et elle m’avait immédiatement répondu. « Bien sûr ! » Elle m’avait souvent posé des questions sur des recettes dans le passé, alors j’avais pensé qu’elle s’intéressait à la cuisine, mais elle semblait plus enthousiaste que je ne le pensais. J’avais donc décidé qu’elle devait commencer par essayer quelque chose de simple.
« OK, j’ai décidé. Aujourd’hui, je vais cuisiner cette carotte cultivée par ce Sato. Maintenant, pour choisir des pommes de terre, » annonça Marie.
Les carottes étaient entrées dans le panier avec la photo des fermiers souriants en arrière-plan. Il n’y avait pas encore beaucoup de monde, mais beaucoup de regards étaient tournés vers la jeune elfe avec son air mystique qui l’entourait. Je pouvais voir plusieurs employés à l’arrière en train de dire. « As-tu vu cette jolie fille ? » J’avais souri et je n’avais pas vraiment trouvé que c’était une cause d’inquiétude. Bien qu’ils aient jeté un coup d’œil nonchalamment, ils n’étaient jamais venus nous déranger. Cela m’avait fait réaliser à quel point les Japonais étaient réservés, ou plutôt supposés, dévoués au service. Pendant que j’y réfléchissais, Marie se retourna pour me regarder.
« Kazuhiho, est-ce qu’on a eu tous les légumes dont on a besoin ? » demanda Marie.
« Ouais, maintenant on a juste besoin de la viande et du roux. » Elle avait répondu par un « OK », puis avait saisi le chariot et avait continué à travers le magasin bien éclairé. Ses yeux regardaient autour d’elle, la musique jouant dans tout le magasin et toutes les enseignes vives tapissant les allées. J’avais continué à la suivre, sans me préoccuper quand elle s’arrêtait de temps en temps pour regarder quelque chose qui l’intéressait. Marie fixa un sac plein de « hanpen [1] » blanc avec une expression perplexe quand elle demanda,
« Alors, à propos de ce truc au curry. Qu’est-ce qu’il y a de différent avec celui que tu as fait avant ? »
« Eh bien, celui-là était avec du curry traditionnel, et celui-ci est plus de style japonais. Il a été raffiné pour qu’il soit bon marché, facile et savoureux. » Marie inclina la tête, faisant un bruit sans engagement. Elle ne connaissait pas la différence entre le curry traditionnel et le curry japonais. En fait, je me demandais pourquoi le Japon était si obsédé par le raffinement et l’amélioration de tout. Il va de soi que les aliments avaient meilleur goût que l’original et, dans certains cas, ils finissent par être importés dans l’autre sens. C’était comme les fruits à teneur en sucre ridiculement élevée, par exemple. « En parlant de raffinage, le bœuf est un bon exemple. Ça s’appelle le wagyu, et c’est tellement délicieux que j’ai entendu dire qu’il gagne beaucoup de popularité à l’étranger. »
« Wa-gyu... » Elle prononça maladroitement le terme peu familier, et ses yeux pourpres pâles se tournèrent lentement vers les étagères. C’était la section de la viande, qui était pleine de paquets de wagyus. N’importe qui pouvait dire d’un coup d’œil que le wagyu était à un niveau différent de celui des autres biftecks marbrés.
« Il a l’air délicieux… Ah, c’est cher ! » s’exclama Marie.
« Oui, malheureusement, le prix correspond à la saveur. Hein, je suppose que tu as déjà acquis un sens des finances. » Je lui avais dit que je lui ferais plaisir un jour spécial, mais ses tresses tremblaient d’un côté à l’autre quand elle me regardait.
« N-Non, merci… Je ne pense pas que je pourrais apprécier le goût en paix. Alors, quelle viande utilise-t-on pour le curry ? » demanda Marie.
« On va le faire mijoter pendant un moment, de toute façon, alors on peut avoir quelque chose de bon marché. Prenons cette viande hachée pour aujourd’hui. » J’en avais montré un autre, et elle avait poussé un soupir de soulagement. Maintenant que j’y pense, elle et moi avions le même sens des finances, j’avais supposé qu’elle avait la sensibilité d’un roturier comme moi. Il nous fallait juste du curry roux et des ingrédients pour notre bento.
Notes
- 1Le hanpen (半片) est un pâté de poisson très léger consommé au Japon, apparenté au surimi. Constitué de chair de poisson écrasée et d’amidon d’igname, il se présente sous la forme de triangles blancs à la texture moelleuse, presque spongieuse, et au goût doux.