Interlude : Faire des emplettes avec Mademoiselle l’Elfe
Partie 1
Il y avait un certain nombre de choses qui me dérangeait ces derniers temps. La plupart de ces choses concernaient Marie, la jeune elfe venue depuis une terre inconnue dans le Japon.
Les voitures qui descendent les routes, les regards curieux et la nourriture — et bien, je suppose que la nourriture était bonne, mais j’avais entendu dire qu’un environnement inconnu pouvait causer du stress. J’avais peur qu’elle s’épuise mentalement et qu’un jour, elle ne veuille plus jamais revenir.
Comme j’avais évidemment besoin d’aller travailler, je ne pouvais pas toujours être là pour veiller sur elle. Ça aurait été sympa qu’elle ait une amie, mais se mêler aux voisins viendrait plus tard.
« Et Marie est du genre à garder les choses à l’intérieur au lieu de se plaindre…, » m’étais-je murmuré alors que j’étais aux toilettes.
C’était probablement le plus gros problème. Je ne savais pas si c’était un truc d’elfe, mais elle pouvait parfois être trop sérieuse. Même si je lui demandais s’il y avait quelque chose qui la dérangeait, elle ne me le dirait probablement pas.
Ce n’était pas le seul problème. Il y avait environ une demi-journée de décalage horaire entre le Japon et le monde onirique. Le matin, il faisait nuit ici, donc une demi-journée passait chaque fois que nous allions nous coucher. Si je dormais à 19 h, il serait 7 h là-bas. Cela signifie que nous avions été actifs pendant 24 heures d’affilée. Mais nos mondes semblaient indépendants les uns des autres, parce que je me sentais complètement reposé au réveil.
J’avais quand même peur que ce mode de vie ne lui cause du stress. Cela ne m’avait pas du tout affecté, puisque j’avais vécu comme ça pendant les vingt dernières années et que j’aimais ça. Mais c’était une vie complètement nouvelle pour elle, et toutes ses connaissances préalables lui étaient refusées chaque jour qui passaient, à mesure qu’elle en apprenait davantage sur la civilisation moderne.
Pour cette raison, je n’avais pas pu m’empêcher de m’inquiéter de plus en plus. Je voulais la soutenir de toutes les manières possibles, bien sûr, il n’y avait rien que je voulais plus qu’elle puisse profiter de sa vie ici. Mais en même temps, cela m’avait fait prendre conscience d’une autre partie du problème.
« Hm, je suppose que tout se résume à vouloir qu’elle passe du temps avec moi. C’est peut-être la partie la plus problématique de tout ça, » murmurai-je.
Je m’étais levé et j’avais poussé le levier sur le côté des toilettes. L’eau tourbillonnait avec un bruit de chasse d’eau, et je soupirai en sortant des toilettes.
***
« Ce n’est pas comme si ça m’intéressait de jouer avec des poupées ou quoi que ce soit. J’ai grandi par rapport à ces choses-là depuis un bon moment déjà, » elle me l’avait soudain dit alors que nous allions faire du shopping.
Cela m’avait fait réfléchir, vu qu’elle disait cela alors qu’elle s’asseyait sur le trottoir en regardant une poupée. D’habitude, c’était une réplique que quelqu’un disait en passant avec un air de désintérêt.
C’était un dimanche ensoleillé, avec de longs nuages qui semblaient étirés par le vent. Nous étions dans un quartier commerçant bien peuplé, mais nous avions l’impression que l’endroit était devenu beaucoup plus calme qu’avant. Il y avait de nombreux quartiers résidentiels dans cette partie du quartier Koto, et le centre-ville avait une longue histoire, de sorte que les bâtiments y changeaient souvent. Un magasin avec ses volets fermés s’était transformé en immeuble d’appartements, et une épicerie y avait été construite pour les nouveaux clients potentiels de la région. Pour cette raison, la plupart des paysages de mon enfance avaient déjà changé.
Je restais là à me souvenir de ça pendant que Mademoiselle l’Elfe était fixée par la poupée destinée à attirer l’attention des gens qui passaient devant. Elle le regardait fixement de façon flagrante alors qu’elle continuait à se plaindre, accroupie juste en face d’elle, sans intention apparente de bouger.
C’était une journée venteuse pour un printemps, et elle semblait un peu froide pour sa tenue comprenant une chemise, une jupe et des chaussettes hautes. Mais quand j’avais jeté un coup d’œil pour voir ce qu’elle regardait, j’avais trouvé une poupée étonnamment mignonne qui attendait là.
« Le visage est un peu bizarre. Il boude un peu comme s’il était agacé, et ses yeux regardent sur le côté, » déclarai-je.
« Hmph. Ça t’a peut-être dupé, mais je ne me laisserai pas avoir si facilement. Celui-ci a fait quelque chose de mal. Je suis en vie depuis cent ans, donc je peux le dire rien qu’en regardant ses yeux, » déclara Marie.
J’étais un peu sceptique au sujet de son affirmation, mais j’avais quand même hoché la tête.
Il s’agissait d’un petit magasin où l’on exposait des marchandises diverses. Ils étaient loin d’être aussi bien approvisionnés que les grands magasins, mais il y avait une raison pour laquelle ils étaient capables de rester actifs.
Les gens n’avaient pas vraiment remarqué les enseignes des magasins lorsqu’ils passaient devant. Les magasins étaient sombres pour la plupart, et peu de gens avaient pris la peine de jeter un coup d’œil pour voir quelles sortes de marchandises étaient vendues.
Alors, comment avaient-ils attiré les clients ? Une méthode consistait à utiliser des odeurs appétissantes. Stimuler l’appétit était un moyen efficace de relâcher les cordons de la bourse. Cela avait été efficace dans plusieurs cas, et c’était généralement bon s’ils étaient capables d’arrêter Marie sur son trajet.
Dans le cas d’un magasin de marchandises diverses comme celui-ci, mettre un article intéressant et accrocheur à peu près à la hauteur des yeux était la meilleure solution. Cela leur permettait de contrôler légèrement la circulation et était apparemment un moyen efficace d’attraper les elfes sauvages dans la ville.
« Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Sache que je ne le touche que pour vérifier le matériel. Tu vois, c’est si moelleux et doux, je suis sûre qu’il donnerait chaud même par temps froid, » déclara Marie.
Elle avait parlé rapidement comme elle l’avait expliqué, mais j’avais eu l’impression qu’elle cherchait des excuses.
Tandis qu’elle écrasait l’estomac de la poupée, elle avait fait un bruit strident qui ressemblait à « Papyuuuu ! » Je n’avais pas remarqué au début, mais il semblait qu’il y avait une sorte de bouton sur son estomac qui, lorsqu’on appuyait dessus, le faisait couiner comme ça.
« Ahh ! Wha, whoa, whoaa, whoaaaa ! » La jeune fille s’était retournée et l’avait presque lâchée, mais elle avait réussi à l’attraper dans les airs.
J’avais laissé échapper un soupir de soulagement. J’avais applaudi avec étonnement face à sa réaction rapide, mais elle m’avait regardé avec ses yeux violets.
« As-tu entendu ça ? Cette petite se plaint aussi de toi. Il dit : “Kazuhiho le dormeur va geler dans son sommeil, tout seul par une nuit froide”, » déclara Marie.
Eh bien, je me sentais plutôt bien ces derniers temps grâce à toi. Et j’avais fini dans l’autre monde quand je m’étais endormi, alors le froid ne m’avait pas vraiment dérangé.
Bien que ces pensées m’aient traversé l’esprit, les mots qui étaient sortis de ma bouche étaient complètement différents.
« Es-tu sûre de toi ? J’ai cru entendre autre chose, » répliquai-je.
Je m’étais accroupi à côté d’elle. C’était déjà le printemps, mais c’était une journée venteuse. Quand j’avais touché son doigt en tenant la poupée, il faisait un peu froid. J’avais retourné la poupée pour faire face à Marie, puis j’avais commencé à parler d’une voix aiguë.
« Emmène-moi dormir avec toi, et tu devrais pouvoir dormir bien au chaud. Demande à Kazuhiho de m’emmener, » déclarai-je.
Les yeux de la jeune fille s’étaient élargis et ses joues semblaient légèrement rouges. Elle était déjà tombée dans le piège tendu par les propriétaires du magasin. Il n’avait pas fallu longtemps pour que les coins de ses lèvres se recourbent en un sourire.
Elle s’était raclé la gorge, puis avait regardé la poupée à ma place. « Je-Je suppose. Je doute que quelqu’un t’achète avec un visage pareil, alors je peux lui demander pour toi. Mais tu dois bien te tenir pendant que tu resteras dans notre chambre. Compris ? »
J’avais fait un signe de tête à la poupée, puis j’avais écarté l’elfe du chemin et je l’avais regardée fixement. Elle avait un peu tendu les lèvres et avait détourné les yeux, ce qui m’avait presque fait éclater de rire. Elle ne s’en rendait pas compte, mais le visage qu’elle faisait ressemblait exactement à celui de la poupée.
Je m’étais donc promené dans le quartier commerçant avec Marie pendant qu’elle continuait à jouer avec la poupée. Elle faisait toujours le même visage boudeur que la poupée, et j’avais du mal à les regarder ensemble.
Il me semblait que Marie aimait les personnages qui avaient un peu d’attitudes, ce que j’avais réalisé lorsque nous avons choisi des livres pour elle. Étonnamment, on aurait dit qu’elle ne s’en rendait même pas compte elle-même.
« Alors, ça te dérange d’aller avec moi pour choisir des vêtements ? » demandai-je.
« Mais je n’ai pas besoin de tant de tenues différentes. J’aime ces vêtements, et le pyjama me va si bien sur la peau. Je ne pense pas que je sortirai trop souvent, donc je serai d’accord avec peu de choses, » déclara Marie.
J’avais secoué la tête. Même si ça ne la dérangeait pas, je ne pourrais pas avoir une jeune fille comme elle vivant dans une seule tenue. Elle passait la plupart de son temps dans une robe dans l’autre monde, donc elle avait probablement l’habitude de faire avec ce qu’elle avait. Mais j’avais l’impression qu’elle s’intéressait aux vêtements. Il y avait beaucoup de jolis motifs au printemps, et je me souvenais qu’elle regardait les tissus aux couleurs vives exposés dans les vitrines des magasins.
« Pourquoi insistes-tu pour être si frugale, Marie ? Ça ne me dérange vraiment pas, » déclarai-je.
Elle m’avait regardé comme si la réponse était évidente. « Parce que j’ai réalisé que tu n’étais pas riche. J’ai eu la mauvaise impression quand j’ai vu la hauteur de ta chambre, mais je ne peux pas en demander trop si tes revenus sont si bas. »
Ah, donc c’était son raisonnement. Mais si c’était le cas… Mes yeux s’étaient dirigés vers la poupée, mais elle l’avait vite cachée derrière son dos.
Elle avait toujours aimé faire du shopping. Il semblait qu’elle était troublée par toutes les tentations qui l’entouraient, peu importe à quel point elle se retenait. Cela m’avait donné envie de résoudre son dilemme.
Oui, il valait mieux régler ces problèmes le plus tôt possible. Sinon, elle pourrait avoir la mauvaise habitude de tout garder pour elle.
« Je vois. Et si on allait apprendre, faire du shopping aujourd’hui ? » demandai-je.
Elle m’avait regardé d’un air interrogateur. « Apprendre… à faire du shopping ? »
J’avais hoché la tête. Le problème maintenant n’était pas d’être trop frugal, mais le fait qu’elle ne comprenait pas l’argent. Tant qu’elle vivra au Japon, il lui sera utile de savoir ce qui était nécessaire et ce qui ne l’était pas.
Nous étions arrivés au grand magasin, qui ressemblait plus à un lieu d’apprentissage qu’à un centre commercial à nos yeux.
Merci pour le chapitre!