Chapitre 35
Dans les appartements privés de Lunaria.
« Sérieusement, pour qui ces gens prennent Son Altesse ? »
Sous les yeux de Kurats et de Lunaria, Rosberg était enragé.
La faction de Felbell représentait la majorité de la cour royale, et elle commençait à pousser de plus en plus en faveur du mariage entre Lunaria et Hemidall.
La plupart des gens impliqués étaient du genre à vouloir la paix à tout prix, et ils n’avaient même pas hésité à penser aux risques qu’entraînerait le mariage.
C’était une force passive dont le seul souci était de ne pas provoquer la colère d’Heimdall, dans l’inquiétude que cela puisse mener à une guerre.
Cependant, leurs nombreuses voix devenaient de plus en plus fortes, au point que le roi lui-même ne puisse bientôt plus les ignorer.
Selon les circonstances, je devrais peut-être me marier avec la famille Asgard, non ?
Même Lunaria commençait à se sentir mal.
« Peu importe la manière dont vous y pensez, n’importe qui serait un meilleur choix qu’Asgard. C’est comme donner à manger à un loup. »
Avoir un lien de parenté avec les Asgards par le biais d’un mariage politique serait sans aucun doute désavantageux à moyen et à long terme.
Et bien que Christopher et Lunaria aient les mêmes idées sur le sujet, il y avait trop de gens qui ne pouvaient voir que ce qui se passerait dans un avenir proche.
« Sans parler du fait que les Asgards viennent d’envahir nos alliés ! Ce que nous devrions faire, c’est envoyer immédiatement des renforts en Lapland ! »
Naturellement, Rosberg et Cellvis, le secrétaire à la Guerre, avaient tous deux essayé de faire avancer les choses dans cette direction. Cependant, tous les nobles de la faction de Felbell, ainsi que le roi lui-même, avaient répondu défavorablement.
À l’heure actuelle, même Christopher avait des pensées contradictoires au sujet des décisions à prendre concernant cette guerre.
« Lapland a comme commandant cette Valkyrie Blanche-Neige. Il ne me semble pas qu’ils tomberaient si facilement... »
Néanmoins, n’importe qui pouvait dire que Lapland serait finalement vaincue par Asgard. La raison étant que la puissance nationale et les forces militaires des deux nations étaient beaucoup trop différentes.
Lunaria et Rosberg savaient tous deux que s’ils envoyaient de faibles renforts, ils seraient vaincus aux côtés des forces de Lapland.
Bref, pour intervenir dans cette guerre, Jormungand devrait se lancer dans une guerre totale contre Asgard.
« ... On est beaucoup plus éloigné de Lapland qu’Asgard. Y aller mettrait un fardeau énorme sur les chaînes d’approvisionnement logistiques du royaume. Pas étonnant que Sa Majesté hésite. »
Rosberg était déjà pleinement conscient de ce que Kurats indiquait.
Malgré tout, le moment était venu de se battre.
« Alors il ne nous reste plus qu’à gagner ! Si Lapland est capable de tenir le coup, nous réussirons aussi... »
Lapland était une nation qui se distinguait énormément parmi les petits pays du Nord. Ils dirigeaient même certains pays voisins, tels que Macbarn et Elthlead.
Si Lapland tombait, d’autres petits pays se rendraient naturellement aussi aux Asgards.
En même temps, après avoir abandonné Lapland, Jormungand perdrait la confiance de nombreuses nations.
En fin de compte, la différence de pouvoir entre le royaume et l’empire Asgard deviendrait encore plus grande, et cette situation ira en s’empirant à un rythme très rapide.
« Son Altesse doit naturellement être consciente de tout cela aussi. Pourtant, le coût d’un échec serait beaucoup trop élevé. »
Est-ce que c’est vraiment comme cela que ça se passe ?
Contrairement à ce que ses paroles pouvaient laisser croire, les pensées de Kurats donnaient l’impression qu’il commençait à peine à comprendre de ce que l’on parlait depuis tout à l’heure.
{Comprendre quelque chose d’aussi simple ne devrait pas te demander tant d’efforts ! C’est inacceptable !}
Comme d’habitude, Kurats ne jouait que le rôle d’un magnétophone, faisant entendre à travers sa bouche les paroles de Bernst.
« Vu les circonstances actuelles, je suppose que tu ne peux pas aller sur le champ de bataille et laisser Son Altesse Lunaria ici, Sire Rosberg. Dans cet état d’esprit, si on te le permet, combien de soldats vas-tu envoyer et qui en sera le commandant ? »
En réponse à la question censée de Kurats, Rosberg répondit par un froncement de sourcils et un gémissement.
« En prenant en compte les problèmes logistiques, je voudrais prendre une armée de 30 000 hommes... Quant à celui qui les commanderait... À part moi, je pense que quelqu’un comme Katil conviendrait. »
Parmi les différents généraux du royaume de Jormungand, le général Katil était réputé pour sa tactique solide et ses nerfs d’aciers.
Ceux qui pouvaient prendre des décisions calmes et réfléchies tout en défendant un territoire étranger étaient rares, et pourtant...
« Est-il assez bon tacticien pour rivaliser avec un adversaire comme l’armée d’Asgard ? »
« Je ne suis pas sûr qu’il le soit, de plus, le territoire de Lapland n’est pas adapté à une guerre de cavalerie. Cela étant, il serait difficile de trouver un général qui se débrouillerait mieux que lui à ce niveau... »
Lapland était un territoire fortement montagneux, ce n’était pas une région dans laquelle les tactiques de cavalerie, dont Jormungand était fier, pourraient être facilement mises en place.
En dehors de Katil, il était impossible de trouver un commandant dans le royaume qui pouvait gérer une grande armée et dont l’atout n’était pas lié à la cavalerie.
« C’est la raison pour laquelle Sa Majesté est inquiète. Ce serait quand même assez gênant s’il ne prenait pas une décision rapidement, n’est-ce pas ? »
Tout en disant cela, Kurats souriait de façon espiègle.
◆ ◆ ◆
Alors que Kurats et les autres allèrent rendre visite au roi, ils découvrirent que Christopher venait de terminer une réunion avec Albert.
Le territoire gouverné par le marquis de Strasbourg, Albert, avait une frontière commune avec Asgard, ce qui signifiait qu’il subirait toutes les pressions qu’impliquerait la perspective d’une guerre avec l’empire.
Il était donc très naturel pour lui de faire une demande d’amélioration des relations avec Asgard.
En remarquant Kurats, Albert lui murmura quelque chose avec un sourire cynique.
« Ne perds pas ton temps. Sa Majesté n’a aucune envie de déclencher une guerre. »
À en juger par l’expression triomphante d’Albert, il semblerait que Christopher soit actuellement plus enclin à éviter les conflits.
« Je vous suis reconnaissant pour ce conseil. »
{Ce qui ne veut pas dire que j’ai l’intention de l’écouter.}
Bernst trouvait amusant que, jusqu’à ce jour, Albert le regarde encore avec beaucoup de naïveté.
Il allait devoir lui apprendre qu’il y avait des gens dans ce monde dont le pouvoir ne pouvait être mesuré par quelqu’un de son maigre niveau.
D’un autre côté, personne dans ce monde ne pouvait imaginer la puissance d’une existence proche de celle d’un dieu comme le roi magique.
« D’abord Albert, maintenant vous. »
Sans essayer de cacher sa mauvaise humeur, Christopher baissa les yeux sur Kurats.
S’il n’avait pas été accompagné de la fille bien-aimée du roi, peut-être que Kurats aurait été renvoyé séance tenante.
Christopher manquait clairement de sommeil, et ses yeux bouffis étaient encore remplis d’angoisse, tout comme ils l’étaient au début de cette épreuve.
« Votre Majesté, je suppose que vous l’avez déjà entendu plusieurs fois ces derniers jours, mais je suis ici pour parler du mariage diplomatique de Son Altesse Lunaria. »
« Je vous en prie, Votre Majesté, refusez cette proposition ! »
Incapable de se taire, Rosberg interrompit bruyamment Kurats et se prosterna devant le roi.
Du point de vue de Christopher, cette exposition était épuisante.
Si se prosterner était suffisant pour faire rejeter la proposition, il l’aurait refusée dès le début.
Christopher ne pouvait s’empêcher d’être déçu qu’un guerrier de la trempe de Rosberg ne puisse réaliser une vérité politique aussi simple.
« Je comprends ce que vous ressentez tous. Je vous donnerai plus de détails à ce sujet plus tard. »
La réponse était tranchante.
Cette seule réponse avait suffi à Rosberg et Lunaria pour se rendre compte que Christopher était plus enclin à accepter la proposition d’Asgard.
« En gros, la seule question ici est de savoir si le royaume peut remporter la victoire contre Asgard ou non, n’est-ce pas ? »
En voyant Kurats dire soudainement cela tout en souriant, Christopher avait eu impulsivement envie de le tuer sur le champ.
Jour et nuit, ce problème était la seule pensée qui occupait l’esprit de Christopher.
S’il envoyait des renforts en Lapland et qu’il ouvrait les hostilités avec Asgard, Jormungand pourrait-il gagner ?
La réponse qu’il avait finalement trouvée était que rien n’était plus important que la protection de la nation.
La sécurité nationale étant devenue la priorité dans son esprit, il était absurde pour lui de devoir prendre la décision très risquée d’envoyer des renforts en Lapland.
Mais en même temps, il souhaiterait empêcher le mariage de Lunaria avec Heimdall. Il était cependant difficile d’ignorer complètement les intentions d’Albert et des autres nobles de la faction de Felbell.
Cela étant, Christopher faisait tout ce qui était en son pouvoir pour essayer de trouver un compromis entre les deux factions du royaume.
Il était naturel qu’il s’énerve quand Kurats parlait de cette situation avec un sourire de je-sais-tout.
« Envoyer des renforts sur le territoire montagneux de Lapland alourdirait la logistique du royaume. De plus, il n’y a pas d’autre commandant que Rosberg qui pourrait y remporter la victoire. C’est la manière dont je voyais la situation et je sais que j’ai raison depuis que Rosberg me l’a confirmé. »
« Je suis déjà bien conscient de tout cela sans que vous ayez à me le dire ! »
« Cependant, Votre Majesté, vous approuveriez la bataille si vous saviez que nous avons une vraie chance de gagner, n’est-ce pas ? Si oui, vous pouvez être en paix. Notre royaume de Jormungand gagnera. »
Kurats était tellement confiant en lui-même quand il déclara ceci au roi. Même Christopher s’était senti attiré par ces mots.
Il s’était dit que ce sage avait peut-être élaboré un plan auquel il n’avait même pas pensé.
« Et comment ferions-nous ? »
« S’il vous plaît, permettez-moi d’y aller, je vais certainement pouvoir sauver Lapland. »
Kurats avait été horrifié par ce qu’il venait de dire.
{Attendez... Quoi ?}
{Tais-toi, tu es trop bruyant. Nous parlons ici d’un seul corps d’armée insignifiant.}
{Qu’attends-tu de moi, que je me batte seul contre tout un régiment ?}
Kurats avait répété les paroles de Bernst au roi par réflexe, mais dans son esprit, il était très agité.
Bien qu’il n’ait pas peur de se battre contre 100 ou 200 soldats, Lapland était envahie par le quatrième régiment d’Asgard, un régiment comprenant au moins 40 000 hommes.
De plus, l’empire Asgard avait le plus puissant régiment de mages du continent.
« L’adversaire est l’empire Asgard, et pourtant vous dites que vous irez seul ? »
« C’est de la folie ! »
« K-Kurats, je suis contente que tu t’inquiètes pour moi, mais calme-toi un peu, d’accord ? »
Rosberg et Lunaria avaient tous les deux essayé d’arrêter Kurats, qui faisait une suggestion qui était complètement en dehors du domaine du bon sens.
Peu importe à quel point il était un puissant magicien, ils avaient toujours le sentiment que devoir gagner contre une armée entière était une trop grande responsabilité pour lui.
« Si j’y vais seul, même si quelqu’un enquête officiellement sur les raisons de ma présence là-bas ou quoi que ce soit du genre, vous pourrez facilement le justifier. Mais quand j’aurai réussi à repousser Asgard, serez-vous prêt à croire que notre pays puisse gagner dans une confrontation directe avec l’empire ? »
{Sérieusement !? T’es vraiment sérieux !? Je vais être banni du pays si je ne gagne pas !}
{Ça va aller, aie plus confiance en toi et en moi !}
Totalement inconscient du conflit qui opposait les Kurats à Bernst, Christopher sentit une vague de rires nourris s’emparer de lui en écoutant ces paroles absurdes et arrogantes.
« Ça ne vous prendrait-il pas trop de temps ? »
« Eh bien, je pense qu’un mois devrait me suffire. »
Cette fois, Christopher éclata de rire devant la réponse nonchalante de Kurats.
Il riait du fond du cœur, de toutes ses forces, comme s'il n’avait jamais ri de toute sa vie.
Tous les soucis qu’il avait eus dernièrement semblaient ridicules maintenant.
Il était jaloux de l’incroyable confiance que Kurats avait en lui et aspirait revenir à cette époque révolue où il se sentait tout aussi omnipotent.
Bien qu’il soit complètement insensé pour un individu de faire face à une armée, Christopher n’avait pas douté une seconde dans le fait que Kurats puisse réellement gagner.
« Soit, si vous parvenez à faire gagner la Laponie, alors je rejetterai fermement la demande en mariage, et j’affronterai Asgard franchement. Vous avez ma parole. »
« A-Attends ! Père, Kurats, avez-vous perdu la tête ? »
Lunaria avait commencé à paniquer quand Christopher avait approuvé la suggestion de Kurats.
C’était comme l’envoyer à la mort.
Même si Lunaria connaissait les pouvoirs anormaux de Kurats, cela n’avait pas changé son opinion sur le sujet.
« S’il te plaît, crois en moi. Je ne laisserai jamais ce démon pervers d’Asgard mettre la main sur toi, Votre Altesse. »
« J’apprécie tes sentiments, mais... »
Devant le regard fervent de Kurats, Lunaria détourna timidement son regard.
{C’est ta chance ! Si tu l’embrasses maintenant, elle va tomber amoureuse de toi sur le champ !}
{Il est impossible que je puisse faire ça !}
Sous la pression de Bernst, Kurats avait à peine réussi à saisir doucement la main de Lunaria.
Tandis qu’ils se tenaient fermement la main et se regardaient dans les yeux, Lunaria et Kurats se rapprochaient de plus en plus, comme deux aimants obéissant aux lois de la nature...
« QUE FAITES-VOUS EN PRÉSENCE DE SA MAJESTÉ ? »
Mais un autre accès de rage de la part de Rosberg était venu interrompre le moment.
« Je ne vous reconnais pas ! Je ne reconnaîtrai jamais qu’un homme inconnu comme vous puisse devenir le compagnon de Son Altesse ! »
« Eh bien, je n’en suis pas si sûr. S’il est vraiment capable de gagner contre les forces d’Asgard tout seul, pourquoi ne pas l’envisager ? »
« Mais, Votre Majesté... »
En regardant l’apparence misérable de Rosberg, qui baissa les épaules avec abattement, Christopher s’abandonna à nouveau au désir de rire qui s’était accumulé en lui.
Merci pour le chapitre.
Merci pour le chapitre😂 Mais il y a a sans doute une confusion dans la dénomination de la force impériale :
Lapland était envahie par le quatrième régiment d’Asgard, un régiment comprenant au moins 40 000 hommes.
Avec cet effectif, c’est plutôt un corps d’armée voir une armée tout court.
Merci pour ce chapitre et un petit qui décrit parfaitement la fin : »Che ».