Wortenia Senki – Tome 2

Table des matières

***

Prologue

Partie 1

Un homme seul marchait dans le quartier des plaisirs des quartiers nord de la capitale impériale, vêtu d’une capuche et d’un manteau. Il se mêlait à l’obscurité de la nuit, essayant d’éviter l’attention. Les cris des ivrognes et les voix coquettes des serveuses résonnaient de loin dans ses oreilles. Il se précipita vers sa destination, l’odeur désagréable d’alcool mélangée à la fumée envahissant ses narines.

Il avait déjà remis son rapport à son supérieur officiel, l’Empereur, mais il était sur le point de le remettre à son autre supérieur en coulisses.

Tandis que Shardina livrait le récit de ce qui était arrivé à l’Empereur, Saitou s’était simplement agenouillé avec une expression grave, mais ce supérieur plus sombre lui demandait de faire une explication plus détaillée de ce qui était arrivé.

L’Organisation. Un tel rassemblement de personnes existait sur cette Terre, et ses membres l’appelaient simplement ainsi. Un endroit où ceux qui avaient été arrachés à leur monde natal et jetés dans celui-ci pouvaient s’y rassembler. Et, en même temps, où résidaient ceux qui brûlaient d’une haine et d’un dégoût sans fin.

« Hehe... Quelle question délicate ! »

Imaginant le visage de son supérieur, un soupir de plomb s’échappa des lèvres de Saitou.

Le supérieur de Saitou dans les coulisses, Akitake Sudou, n’était pas du tout le genre d’homme qui ne tenait pas compte des circonstances et n’avait pas la personnalité qui le rendait difficile à vivre avec. En fait, étant donné que c’était Sudou qui avait accordé à Saitou une place dans l’Organisation, l’homme était effectivement le sauveur de sa vie. Si l’on regardait au-delà du fait qu’il était un peu cynique et qu’il prenait un peu de plaisir à taquiner les autres, Sudou était un employeur idéal.

Mais on ne pouvait pas dire que c’était une personne douce.

Si l’on considérait l’incident récent du point de vue de Saitou en tant que vice-capitaine des Chevaliers Succube, toute cette affaire était loin d’être un échec. Certes, le fait que Ryoma Mikoshiba leur ait glissé entre les doigts après qu’il ait été brièvement à leur portée était un coup de malchance, mais les chances de l’attraper étaient déjà minces, et Shardina avait dû assumer toute la responsabilité de l’affaire comme capitaine.

En fait, après l’audience, l’Empereur avait personnellement donné quelques mots d’encouragement à Saitou. Il avait plus que rempli son rôle de vice-capitaine des Chevaliers Succube qui soutenaient l’empire, et comme bras droit de Shardina.

Mais du point de vue de son rôle en tant que membre de l’Organisation, la perspective était un peu plus mitigée. Une partie de la mission confiée à Saitou consistait à promouvoir la position politique de Shardina.

Après avoir reçu la permission d’entrer, Saitou ouvrit la porte et fut accueillie par un Sudou assis sur le canapé de la chambre, savourant un repas et une bouteille de vin assis sur la table.

« J’ai entendu dire que les choses ont été assez mouvementées pour toi. Tu as travaillé dur, n’est-ce pas ? »

Après avoir été accueillie de façon taquine et superficielle, l’expression de Saitou s’était raidie. Il y avait beaucoup de choses qu’il voulait dire, mais peu importe à quel point l’homme assis devant lui était méchant et tordu, il restait toujours son supérieur.

Saitou s’était déplacée pour s’asseoir sur le canapé d’en face sans demander la permission, conscient de l’impolitesse de la situation. Telle était sa manière de protester en silence. En regardant Saitou s’exprimer avec amusement, Sudou versa du vin dans le verre devant lui.

« Mon Dieu, c’est vraiment surprenant… D’après ton expression, je suppose que l’évasion de M. Mikoshiba face à la princesse Shardina n’était pas le résultat que tu espérais. Et là, je suis convaincu que tu lui avais confié un poste… »

Le regard de Sudou prit soudain une acuité qui semblait pouvoir couper à travers tout, et Saitou sentit un frisson glisser le long de sa colonne vertébrale.

« Insinues-tu que j’ai laissé mes sentiments se mêler à ma responsabilité ? »

Saitou avait failli se lever, les mots qu’il craignait d’entendre atteignirent profondément ses oreilles.

Si Sudou répondait par l’affirmative à cette question, cela signifierait une condamnation à mort pour Saitou. L’Organisation était fondamentalement intolérante à l’égard des échecs, et si ses actions étaient perçues comme une tentative délibérée d’entraver la mission, elles se traduiraient par une exécution immédiate. C’était une forme évidente d’autodéfense pour une organisation illégale.

L’Organisation avait ordonné à Saitou d’aider Shardina, ou plus exactement de l’aider à gagner en mérite et à accroître son influence auprès de la Cour. À cet égard, cette tournure des événements avait été un coup particulièrement douloureux pour l’Organisation.

Certes, l’Empereur avait couvert sa fille bien-aimée Shardina et lui avait donné une chance de conquérir Xarooda, mais il n’y avait pas moyen d’éviter le fait que certains nobles continueraient probablement à douter de ses capacités. L’influence de Shardina avait été quelque peu réduite, et c’était une vérité irréfutable.

Cependant, il avait gagné la confiance absolue de Shardina de plusieurs façons : le fait qu’il avait pu rapidement mettre en place le blocus à la frontière et conduire Ryoma Mikoshiba dans la forêt comme elle l’avait prévu, le fait qu’il lui avait conseillé de tuer Ryoma à sa capture malgré sa compréhension des souhaits de l’Empereur, et surtout, le fait de se jeter sur Shardina pour la protéger lorsque le vent généré par le sort magique balaya le camp.

Si l’Organisation devait tuer Saitou maintenant, il lui faudrait envoyer quelqu’un d’autre sous Shardina, mais cela prendra un temps considérable au remplaçant hypothétique pour établir le degré de confiance que Saitou avait gagné. Par conséquent, ce n’était pas rentable pour eux de tuer Saitou maintenant.

Mais tout cela dépendait de la compréhension de l’Organisation sur le fait que Saitou avait mise tout en œuvre pour capturer Ryoma Mikoshiba. Saitou était à la fois un agent et un espion de l’Organisation, et en tant que tel, laisser ses émotions personnelles influencer sa mission était impardonnable.

En fin de compte, la question était de savoir si l’Organisation reconnaissait que cette chaîne d’événements avait échappé au contrôle de Saitou. Et cela dépendait de l’opinion de Sudou. Il était donc tout naturel qu’il pâlisse en entendant les paroles de Sudou.

Mais l’expression prudente de Saitou n’avait fait que faire rire agréablement Sudou, sans le moindre éclat du regard aigu qu’il avait eu auparavant.

« Eh bien, peut-être que je t’ai un peu trop menacé… Allons, pas la peine d’être si nerveux. Si j’avais sérieusement l’intention de me débarrasser de toi, tu aurais fait tes adieux à ce corps mortel il y a longtemps. »

Leurs regards restèrent bloqués l’un dans l’autre pendant un moment unique et interminable.

« Oui… Je suppose que c’est vrai. », dit Saitou, manifestement convaincue.

Soupirant lourdement, il s’assit de nouveau sur le canapé.

Quel homme terrifiant... Il sait tout de la situation avant même que je ne lui en parle.

Il réalisa que les paroles de Sudou étaient prononcées en plaisantant, mais cela signifiait aussi que son pouvoir et son influence s’étendaient loin et profondément dans l’Empire. Oui, assez profond pour connaître même les détails les plus infimes d’une des réunions de l’Empereur.

La gorge de Saitou était sèche à cause du suspense, et il ressentait un besoin inné d’étancher sa soif. Il prit le verre posé devant lui et le bu d’un trait, la saveur aigre du vin rouge, affiné et mûri par des années de stockage, lui remplit la bouche. Il aurait aimé s’attarder un peu plus longtemps sur son goût, mais pour l’instant ce n’était rien de plus qu’un liquide effaçant la sécheresse de sa gorge.

Voyant le visage de Saitou se contorsionner en avalant le vin, le sourire de Sudou s’approfondit en lui tendant un verre d’eau.

« Bien qu’il soit certain que l’influence de la princesse Shardina a pris un coup à la suite des événements récents, sa confiance en toi a tout de même augmenté. Le meurtre du magicien de la cour, Gaius Valkland, n’était pas quelque chose que nous avions prévu, mais il n’a que légèrement devancé le calendrier… Aussi malheureux que cela puisse être pour ceux qui ont voulu tuer Gaius eux-mêmes. »

« Ce qui veut dire ? »

« Eh bien, je ne trouve pas grand-chose à redire dans ton jugement lors de cet incident, Saitou, et j’ai l’intention de le dire dans notre réunion prévue dans deux semaines… Oh, oui, vu que je me suis donné la peine de préparer ce repas, n’hésite pas à te servir. »

Soulagé par ces mots, Saitou se pencha vers la vaisselle qui se trouvait devant lui.

« Mais penser qu’il y a un homme qui pourrait en prendre quelqu’un comme toi par surprise… Ce Mikoshiba est très impressionnant, vu sa jeunesse. »

« Oui… Bien que je ne dirais pas qu’il est fort, je dirais plutôt qu’il est terrifiant. »

« Terrifiant ? »

Sentant le regard scrutateur de Sudou sur lui, Saitou arrêta de bouger la cuillère dans sa main.

« Oui. Pour être honnête, je trouve son impitoyabilité et sa capacité d’adaptation plutôt effrayantes. »

Si tout se résumait à la force et à l’agilité des bras, Saitou dépasserait sûrement Ryoma Mikoshiba. Ayant vécu dans ce monde pendant près de huit ans et ayant livré d’innombrables batailles, Saitou avait développé l’une des compétences uniques au monde, la magie martiale, lui permettant de montrer une force dépassant ce que les muscles humains pouvaient normalement produire. Si Saitou et Ryoma s’affrontaient, Saitou serait, objectivement parlant, sans doute le plus fort des deux.

« Mais dans une bataille à mort… Eh bien, je suis passé à travers beaucoup d’entre elles dans le passé. J’ai confiance que je ne perdrai pas contre un morveux, mais il… »

Ce qui rendait Ryoma Mikoshiba si effrayant n’était pas sa force physique ou ses compétences transcendantes en arts martiaux, mais plutôt la façon dont sa méthode de pensée n’était pas liée au bon sens et à quel point il pouvait être impitoyable contre son ennemi.

C’était une force que Saitou recherchait, une force qui lui avait manqué dans sa jeunesse.

« Je vois… la force de son cœur. »

Sudou avait l’air d’avoir remarqué tout ce qu’il y avait sur le visage de Saitou.

« Mais si c’est le cas, son talent est d’autant plus remarquable. Dire que son potentiel est de mauvais augure doit vraiment signifier que les gens l’aiment. »

« Ce qui veut dire ? »

En regardant le visage sceptique et interrogateur de Saitou, Sudou sourit comme un farceur espiègle.

« Tu lui as toi-même parlé, Saitou. Quel âge dirais-tu que notre jeune M. Mikoshiba a? »

Face à cette question inattendue, Saitou répondit exactement se qu’il pensait.

« Hum, voyons… Eh bien, je suppose qu’il a le même âge que moi, ou un peu plus jeune peut-être? »

« Hmm, hmm. Alors, dans la mi-vingtaine environ… Oui, je vois, je vois. »

C’était une évaluation raisonnable. Si quelqu’un d’autre avait posé la question, Sudou et Saitou auraient répondu de la même manière. Bien sûr, ils ne connaissaient pas la réponse à l’avance…

« Apparemment, il a seize ans. »

Les paroles de Sudou résonnèrent fortement dans les oreilles de Saitou, mais il ne comprit pas très bien. Ou peut-être serait-il plus approprié de dire qu’il ne voulait pas les croire.

« Quoi? »

Regardant le visage de Saitou, Sudou inclina le verre dans sa main. Il ressentait probablement la même chose que Saitou au fond de lui.

« Je parle de l’âge de M. Mikoshiba, bien sûr. »

« Ce n’est pas possible… Tu es sûr que c’est vrai? »

« J’ai eu la confirmation grâce aux documents qu’il a soumis lors de son inscription à la guilde de la capitale. Il n’y a pas de doute. »

Saitou se tut alors.

***

Partie 2

Seize ans? Je suppose que je pourrais croire si tu me disais que c’était un adolescent qui avait juste l’air un peu plus âgé… Mais seize ans? Non, attends. Lors de notre rencontre, il a mentionné qu’il était lycéen…

Il était certainement possible pour une personne de simuler son âge, son visage et son impression. Le maquillage et la tenue vestimentaire pouvaient grandement influencer leur âge. Selon les circonstances, un jeune de 16 ans pouvait être amené à paraître âgé de 30 ans et inversement.

La situation était si agitée à ce moment-là que cela lui avait échappé, surtout après avoir dû gérer les séquelles de l’incident et être retourné dans la capitale, mais ces mots cadraient avec ce dont Saitou se souvenait maintenant.

« Maintenant que j’y pense, il a dit quelque chose à ce sujet… Mais si c’est vrai… C’est vraiment un monstre. » dit Saitou, verbalisant la terreur qui surgit dans son cœur.

Si c’est vrai, quel genre de vie menait-il au Japon ? Cela ne peut pas être attribué uniquement à sa personnalité ou à son talent… C’est comme s’il avait toujours été prêt pour le moment où il serait convoqué.

Comparé à la façon dont Saitou était au lycée, Ryoma Mikoshiba était une personne beaucoup trop inhabituelle.

Un long, long silence tomba sur la pièce. Saitou fixa attentivement Sudou, qui s’assit silencieusement, profondément en pensée.

« Très bien… Vu ce qui s’est passé, il y a matière à réflexion, mais au bout du compte, nous devrons adopter une approche attentiste avec M. Mikoshiba. »

« Explique-toi ? »

« Eh bien, jouer inutilement avec lui pourrait très bien mal finir. J’aurais envisagé de le faire éliminer par les chiens de chasse si la situation le permettait, mais compte tenu de la crainte qu’il t’ait inspiré, j’informerai l’Organisation qu’il ne faut pas l’approcher sans réfléchir… Tes paroles m’ont forcé à reconsidérer un peu les choses. »

Les chiens de chasse… Les troupes d’élite de l’Organisation. Il avait même envisagé d’envoyer ces monstres qui surpassaient le Rang S…

Le niveau de force était presque trop élevé, si l’on considérait que tout cela avait pour but de tuer un garçon convoqué. Sudou avait fait semblant d’avoir du sang-froid, mais il semblerait que l’Organisation considérait cette question comme d’une importance vitale.

Eh bien, étant donné l’état d’avancement du plan, il est logique qu’ils veuillent éliminer tout facteur incertain… Mais aller aussi loin ?

D’après les paroles de Sudou, le plan semblait avoir changé.

« Quoi qu’il en soit, maintenant qu’il s’est échappé de l’empire, la première chose qu’il fera sera de chercher une méthode pour retourner dans notre monde. »

Saitou hocha la tête silencieusement en entendant Sudou. Retourner chez eux, sur Terre, était le plus grand rêve de tous les membres de l’Organisation. Mais ils l’appelaient un rêve parce qu’ils savaient que cela ne pourrait jamais arriver… C’était une vérité dont Saitou et Sudou n’étaient que trop amèrement conscients.

« Le désespoir va bientôt s’abattre sur notre M. Mikoshiba, et une fois que cela se produira, il viendra à la croisée des chemins. Nous pourrons décider de la façon de le traiter, selon le choix qu’il fera. Après tout, je n’ai aucun désir de contrarier inutilement un jeune homme aussi prometteur. »

« Envisages-tu de le recruter ? »

« C’est difficile à le dire à ce stade. Je suppose que tout dépend de notre bon M. Mikoshiba… »

Sudou répondit à la question de son subordonné avec un sourire suffisant avant de changer de sujet.

« Eh bien, laissant notre jeune ami de côté, discutons de ce qui nous attend, d’accord ? »

« On s’éloigne de la capitale ? »

« Oui, comme tu l’as supposé. Sa Majesté l’Empereur lui-même nous a ordonné d’accélérer le travail que Gaius faisait dans les coulisses, l’invasion du royaume de Xarooda. »

« Alors tu es en train d’enfoncer un pieu dans le royaume de Rhoadseria… » dit Saitou, son expression changeant à ces mots.

« Oui, et en tant que tel, je serai absent de la capitale pour un moment. J’ai hâte de travailler sur place pour une fois. » dit Sudou, qui éleva la voix en riant joyeusement.

Trois voyageurs traversèrent le désert de Dosh, sali par ses sables jaunes, chauds et tourbillonnants. Ils se trouvaient actuellement dans le Royaume d’Helnesgoula, royaume souverain du nord du continent occidental. Le désert de Dosh se trouvait en son centre. C’était une terre de sables et de vents couvrant un dixième de la superficie du pays. Cependant, elle était loin d’être une terre stérile où la végétation ne poussait pas, grâce à ses innombrables oasis et à la rivière Avul qui coupait la chaîne de montagnes du sud et se jetait dans la mer.

Les terres autour de ces oasis et de la rivière permettaient, au moins, de faire prospérer les cultures et l’élevage. De plus, en essayant de la contourner, le voyage ne faisait qu’augmenter le nombre de jours inutiles, et une route commerciale avait été construite à travers le désert. Les villes étaient construites autour des oasis qui parsèment les terres pour le bien des marchands, qui s’épanouissaient comme des points de relais pour le commerce.

Pourtant, ce n’était pas du tout une terre sûre. Les manteaux que portaient les trois voyageurs indiquaient clairement que leur voyage n’était pas facile.

« Elle devrait être juste après cette dune. »

Laura montra du doigt la dune qui dominait devant eux, tout en protégeant ses yeux de la lumière du soleil.

Au-delà de cette dune était une oasis, et la ville construite autour d’elle était leur destination. La ville de Mireish, un centre local de commerce et d’échanges.

Utilisant le commerce par la rivière Avul, Mireish, qui avait des liens profonds avec les villes situées à l’embouchure de la rivière, se vantait d’avoir une taille importante, même à l’intérieur du royaume d’Helnesgoula. Les gens se rassemblaient naturellement là où les marchandises se rassemblaient, et là où les gens se rassemblaient, l’information était abondante.

« Sera-t-elle vraiment là ? Cette femme… »

 

En retirant la cagoule qui protégeait ses yeux du sable qui soufflait, un homme viril parcourut le ciel qui s’étendait sur le désert. Ses yeux étaient remplis d’une lumière tragique, portée par un désespoir profond mélangé à une lueur d’espoir.

Il s’appelait Ryoma Mikoshiba.

C’était un jeune homme malheureux, arraché de sa vie ordinaire au Japon par le magicien de la cour Gaius Valkland de l’Empire d’O’ltormea, et appelé dans cet autre monde empli de chaos.

« Je vais t’épargner du temps et aller droit au but. Aussi triste que je cela puisse paraître, te renvoyer dans ton ancien monde est fondamentalement impossible. »

La pièce sombre était pleine de tomes recouverts de reliures jaunâtres. C’était l’image même de la chambre d’un érudit. Ryoma se tenait devant le bureau, car il n’y avait pas de place pour s’asseoir avec la quantité de livres qu’il y avait dans la pièce. Il regardait le propriétaire de la pièce avec un regard accroché et suppliant, tandis qu’elle réduisait sans merci ses attentes.

La maîtresse de cette pièce remplie d’air moisi et humide était une femme vêtue de la tête aux pieds de lin. Elle avait l’air d’avoir une trentaine ou une quarantaine d’années, et son apparence ne semblait pas remarquable dans l’ensemble. Il en allait de même pour sa tenue vestimentaire, qui était le genre de tenue unie que portaient les roturiers. Si l’on devait souligner quelque chose de remarquable à son sujet, c’était que ses cheveux noirs et lisses étaient un peu voyants.

Elle avait l’air d’être une personne ordinaire, du genre que l’on pouvait rencontrer n’importe où. Mais la vraie valeur de cette femme résidait dans quelque chose qu’on ne pouvait pas juger d’après son apparence miteuse. Sa vraie valeur résidait dans son intellect, dans ses vastes connaissances qui en ont fait l’une des plus compétentes du continent en matière de magie. C’était ce qui décida de sa valeur, et c’était la raison pour laquelle Ryoma traversa un désert périlleux pour arriver à Mireish. Rencontrer Annamaria, la femme connue sous le nom de « la Recluse de Mireish », afin de trouver le chemin du retour…

« Veux-tu dire que c’est impossible avec les techniques actuelles ? »

Un soupçon de moquerie scintilla dans les yeux de Ryoma.

Dans les deux mois qui avaient suivi sa fuite devant Shardina, Ryoma était allé dans toutes les directions, à la recherche de magiciens célèbres. Les paroles d’Annamaria étaient les mêmes que celles prononcées par les nombreux magiciens à qui il avait parlé jusqu’à maintenant.

Elle aussi me dit la même chose… Merde.

Ryoma claqua la langue, agacé par ses efforts qui étaient tous vains. Mais ce que la femme dit ensuite dépassa les attentes de Ryoma.

« Non, ce n’est pas parce que je n’ai aucune technique pour renvoyer quelqu’un. C’est parce qu’une technique pour renvoyer quelqu’un ne peut tout simplement pas être produite. »

« Quoi ?! »

Ces paroles inattendues firent apparaître de la colère sur le visage de Ryoma.

C’était un visage colérique que les sœurs Malfist n’avaient pas vu sur le visage de Ryoma pendant les deux mois où elles avaient voyagé avec lui. Pendant deux mois, tous les trois avaient ignoré tous les travaux liés à la guilde, voyageant à la recherche de magiciens qui pourraient avoir un moyen de le renvoyer sur sa Terre.

Bien sûr, après avoir tué Gaius et avoir été chassé de l’empire d’O’ltormea, Ryoma ne pouvait visiter aucun magicien dans la sphère d’influence de l’empire, alors il les mit de côté… Ils allaient d’un endroit à l’autre, mais tous ceux qu’il visitait lui donnaient toujours la même réponse.

Revenir dans son monde était impossible.

Mais ils avaient aussi dit que la technique n’avait tout simplement pas encore été mise au point. Ce qui poussa Ryoma à leur demander : « Pouvez-vous développer cette technique ? » Mais leur réponse était unanime. « C’est impossible pour moi. »

Très peu de magiciens étaient capables d’utiliser cette technique pour convoquer quelqu’un d’un autre monde, qui était un art gardé secret. Son existence était peut-être bien connue, mais très peu d’entre eux pouvaient réellement utiliser cette technique, et Ryoma leur demandait de faire de la rétro-ingénierie et d’en former une toute nouvelle. N’importe qui hésiterait naturellement.

Il avait entendu cette même réponse répétée tellement de fois qu’il ne pouvait plus les compter. Certains de ceux qu’il avait interrogés nommèrent quelques personnes qui pourraient être capables de créer une nouvelle technique, et l’une d’entre elles était la femme devant lui, Annamaria.

S’il n’existait pas de technique pour le ramener chez lui, il suffisait de le faire. C’était ce que Ryoma pensait tout simplement. Et il savait que c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Il s’attendait à ce que le processus prenne des années et nécessite de vastes ressources. Mais si la technique ne pouvait tout simplement pas être produite, ce serait complètement différent.

Son évasion des griffes de Shardina et ses déplacements d’un endroit à l’autre, échappant à ses poursuivants, n’auraient servi à rien. Il était naturel que Ryoma perde son sang-froid.

« Calme-toi, toi-même. Se mettre en colère ne changera pas cette réponse. »

Même face à la colère de Ryoma, Annamaria n’avait pas changé son expression. Apparemment, elle avait déjà été fonctionnaire dans un pays et avait dû quitter son poste pour s’opposer à un ministre au sujet des politiques nationales. Ryoma pourrait être d’accord avec ces rumeurs qui étaient plausibles.

Même avant que la pression menaçante du corps massif de Ryoma ne se dissipe, son expression ne bougeait pas. Elle avait un cran qu’on n’attendait pas d’une femme. Réalisant que la menacer ne l’aiderait pas ici, Ryoma changea de ton. Mettre en colère Annamaria ne lui servirait à rien. Il avait besoin de rassembler toutes les informations qui pourraient l’aider à rentrer chez lui.

« Je m’excuse d’avoir perdu mon sang-froid… Je vais bien. Peux-tu m’expliquer pourquoi il m’est impossible d’y retourner ? »

Supprimant la haine et la colère qui couvait dans son cœur, Ryoma trouva la présence d’esprit de prononcer ces mots. Crier ici ne changerait rien aux faits. S’il devait faire un seul pas en avant, il devait rester calme, ne pas s’enflammer de colère.

Peut-être s’était-il trop serré les dents, parce que le goût de la rouille s’était répandu dans sa bouche.

***

Partie 3

« La raison est assez claire… Mais avant de l’expliquer, je dois confirmer quelque chose. Que comprenez-vous sur le fonctionnement de la magie ? »

« Comment fonctionne la magie… ? »

La question d’Annamaria fit resurgir dans son esprit ce que les sœurs Malfist lui avaient appris sur la magie. La magie était un terme général pour désigner les techniques qui utilisaient le prana, l’énergie vitale fondamentale que possédaient tous les êtres vivants de ce monde. Et selon son utilisation, la magie peut être divisée en trois grandes catégories.

La première utilisait le prana personnel pour renforcer son corps, c’était la magie martiale. Cette technique ne nécessitait aucune incantation et était utilisée pour augmenter les capacités physiques, ce qui la rendait extrêmement menaçante lorsqu’elle était utilisée en combat rapproché. Son plus grand défaut était que l’étendue de son influence se terminait par le renforcement de son corps. Elle ne faisait qu’augmenter ce dont le corps humain était capable au départ. En d’autres termes, cela pourrait augmenter votre force musculaire et votre endurance, mais ne vous permettrait pas d’allumer des flammes ou quoi que ce soit de ce genre.

La seconde était plus proche de ce que les romans de fantasy décrivaient comme de la magie, de la magie incantatoire. Cela permettait à l’utilisateur d’emprunter temporairement un peu du pouvoir des dieux, démons et esprits existants en échange de leur prana. Il fallait réciter des incantations, mais cela permettait de déclencher des flammes, des boules de feu électrique. Cela permettait d’utiliser toutes sortes de pouvoirs et de phénomènes que les humains ne seraient normalement pas capables d’exposer. Au fond, la magie incantatoire était une méthode permettant aux humains de réaliser ce qui était normalement impossible.

Et quant à son plus grand défaut, c’était certainement l’exigence de l’incantation elle-même. Il était possible de raccourcir et d’omettre des parties de l’incantation en fonction de l’habileté du lanceur, mais un combat à la vie à la mort ne permettait tout simplement pas de réciter un sort à la fois. En tant que tels, les magiciens à incantations ne montrèrent leur valeur que lorsqu’il y avait suffisamment de distance avec leurs ennemis.

De plus, puisqu’ils demandaient l’aide d’autres personnes, c’est-à-dire des dieux et des démons, ils auraient besoin d’une technique magique composée de connaissances sur celui dont ils empruntaient le pouvoir. Cependant, ces arts n’étaient tenus secrets que par ceux qui occupaient des postes de pouvoir dans les différents pays, et comme le taux d’analphabétisme dans ce monde était exceptionnellement élevé, très peu de gens avaient la liberté de choisir d’apprendre en lisant des livres.

En d’autres termes, par rapport à la thaumaturgie martiale, la magie incantatoire avait un coût de fonctionnement beaucoup plus élevé sur le champ de bataille. C’était pour cette raison que parmi les nombreux magiciens, très peu avaient eu recours à la magie incantatoire.

Le dernier type était la magie d’équipement. Il s’agissait d’insérer de la magie dans un outil qui n’avait pas son propre prana, comme une épée ou une lance, ce qui lui permettait d’avoir un effet prédéterminé lorsqu’il était enveloppé du prana de l’utilisateur et, ce faisant, de donner un effet sur le matériau.

Si cela n’exigeait pas d’incantations, cela exigeait en revanche que le modèle magique soit gravé par un artisan averti et ne pouvait avoir qu’un seul effet. Mais comme l’utilisateur lui-même n’avait pas besoin d’être celui qui faisait la gravure, le nombre d’armes n’était pas limité.

Bien sûr, en fonction de la qualité et du matériel, les armes magiques pouvaient être extrêmement coûteuses, cela voulait dire que c’était effectivement quelque chose que l’on pouvait acquérir moyennant une grosse somme d’argent.

Chaque système avait ses avantages et ses inconvénients, et le système que l’on choisissait d’utiliser dépendait de l’environnement dans lequel l’on se trouvait et des compétences que l’on possédait.

L’explication de Ryoma fit apparaître un sourire sur le visage d’Annamaria.

« Correct. Vous connaissez donc les bases… Alors, permettez-moi de te le demander. De quel système de magie se sert-on pour invoquer quelqu’un d’un autre monde ? »

« Elle avait le sourire d’une prof qui testait un mauvais élève », chuchota Ryoma, comme si elle crachait la réponse avec dégoût.

« La magie incantatoire… »

« Exactement. »

Annamaria hocha la tête en souriant.

« Et le plus grand obstacle pour renvoyer quelqu’un dans un autre monde est de déterminer à quel dieu vous allez offrir votre prana ? »

« Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? Je suis ici, dans ce monde. La magie de ce monde est ce qui m’a fait venir ici ! »

La voix de Ryoma devint de plus en plus rude.

« Alors, dis juste au dieu qu’ils ont utilisé pour m’invoquer qu’il doit me faire retourner à l’endroit d’où je viens ! »

Son visage, habituellement serein et calme, était inhabituellement plein de panique et d’agacement. Et c’était évident, d’une certaine façon. Cela faisait maintenant deux mois que Ryoma avait été convoqué dans ce monde. Sa patience était à son comble.

« Oui, quitter ce monde est possible. » dit Annamaria, qui ne changea pas du tout son expression.

« Alors ! »

Ryoma essaya de se faire couper la parole, mais les mots suivants qu’Annamaria prononça l’enverraient dans le désespoir.

« Mais vous serez chassés d’ici et vous errerez dans l’espace-temps pour l’éternité. »

« Quoi… ? »

Dès qu’elles entendirent ces mots, un frisson traversa les épaules des sœurs Malfist. Annamaria, cependant, continua à parler sans sourciller, alors même que Ryoma jetait sa colère verbale et son regard ardent dans sa direction.

« Et errer dans l’espace-temps… signifierait effectivement la mort, ou même un destin pire que ça. »

« Ne me raconte pas de conneries ! »

À ce moment-là, quelque chose qui avait été comprimé à l’intérieur de Ryoma depuis qu’il avait été convoqué dans ce monde s’écroula à grands cris.

Le son puissant d’un coup résonnait dans la pièce. Le poing serré de Ryoma s’était enfoncé dans la table en bois, provoquant d’innombrables fissures qui la traversaient. La table semblait plutôt précieuse, mais Ryoma s’en fichait pour l’instant. Son poing se serait sûrement jeté sur le visage d’Annamaria, s’il n’y avait pas autre chose pour déchaîner sa colère.

« Maître Ryoma ! »

« Votre main ! »

Les sœurs Malfist, qui se tenaient à ses côtés, crièrent. Elles étaient en état de choc.

Il avait probablement écorché la peau. Comme il avait frappé avec son poing sans retenue, du sang rougeâtre coula sur le sol.

« Maître Ryoma, votre main ! Sara, un chiffon propre ! »

« Allez vous faire foutre ! Ne vous mettez pas en travers de mon chemin ! »

Faisant fuir les sœurs qui s’étaient précipitées pour soigner sa blessure, Ryoma ignora son hémorragie et jeta un regard furieux sur Annamaria.

« Hé. Je te défie de répéter ça. »

Il grogna d’une voix douce, ce qui ressemblait presque à un grondement des profondeurs de la terre.

Une haine froide et sombre brûlait dans les yeux de Ryoma, et sa voix était imprégnée d’une intention meurtrière flagrante. Ni les notions de respect pour ses aînés ni les regards inquiets des sœurs Malfist n’avaient de sens pour Ryoma en ce moment.

Les émotions qu’il avait retenues jusqu’à présent ébranlèrent tout l’être de Ryoma. L’homme qui se tenait là, les yeux injectés de sang, semblait n’être rien de moins qu’un démon sauvage et frénétique.

« Menacez-moi tant que vous le voudrez, ça ne changera rien à la conclusion. Il n’y a pas de retour possible dans votre monde, c’est-à-dire, Rearth. »

« Rearth ? »

« Oui, votre monde originel. Nous l’appelons Reverse Earth, Rearth pour faire court. De l’autre côté de ce monde où nous vivons, la Terre. »

Annamaria parla sans montrer une once d’hésitation, ce qui permit à Ryoma de retrouver un peu de sang-froid. Aucune colère ne changerait les faits, ce qui signifiait qu’il était de la plus haute importance d’écouter les paroles d’Annamaria en ce moment.

Je dois rester calme. Ce dont j’ai besoin maintenant, c’est d’informations.

Annamaria n’était aucunement coupable, et Ryoma l’avait parfaitement compris. Mais son cœur grondait encore de colère et de haine devant la façon dont ses paroles impitoyables brisaient l’espoir dans son cœur. Ryoma s’était donc concentré sur les raisons qui l’avaient maintenue en vie. Il répéta dans sa tête à maintes reprises que s’il voulait survivre, il avait besoin des informations d’Annamaria.

Alors ils appellent ce monde la Terre, et le monde d’où je viens se nomme Rearth… Eh bien, je suppose que c’est logique. C’est ainsi que les gens dans ce monde l’appellent…

C’était aussi arrivé souvent dans son ancienne réalité. Le soleil brillait de la même façon sur tous les pays du monde, mais le Japon se nommait encore le pays du soleil levant. Le monde était rond, ce qui signifiait que peu importe où vous étiez, vous ne pourriez jamais être au milieu. Cela n’avait pas empêché la Chine de s’appeler l’Empire du Milieu.

S’il y avait deux côtés du monde, il serait logique que les gens nomment le monde dans lequel ils vivent le « vrai » côté et l’autre côté « l’inverse ».

« Bien sûr, il n’y a pas de vrai et d’inverse, du moins pas physiquement. »

Annamaria continua, constatant que la colère avait diminué dans l’expression de Ryoma.

« Mais les seuls mondes que nous avions découverts et qui étaient habités par les humains étaient le nôtre et le vôtre, les gens du passé les avaient nommés ainsi. »

« Je n’en ai rien à foutre de savoir quel côté est vrai et quel côté est l’inverse. Pourquoi ne puis-je pas rentrer chez moi ? »

« Pour une raison simple. Pour invoquer quelqu’un de cette terre à la nôtre, il faut offrir son prana à un dieu résidant sur terre. C’est parce qu’une barrière dans ce monde empêche quiconque d’y empiéter de l’extérieur. La même barrière est placée autour de Rearth. », répondit Annamaria en haussant légèrement les épaules.

« Attendez une seconde… Laissons de côté cette histoire de barrière une seconde. En fait, j’ai été convoqué ici. Pourquoi ne pouvons-nous pas prier le Dieu qui m’a laissé entrer dans ce monde ? »

Rationnellement parlant, toute entrée peut servir de sortie.

« Non. Le fait qu’une personne puisse franchir une barrière est lié à l’approbation des dieux qui gouvernent chaque monde. Cela signifie qu’après avoir quitté la Terre, vous aurez besoin de l’approbation du dieu qui a érigé la barrière autour de Rearth pour entrer. »

Ryoma essaya d’organiser les mots d’Annamaria d’une manière plus compréhensible.

Je peux donc partir, mais si je veux entrer, il faut que je sois approuvé… C’est comme quand la porte d’une chambre d’hôtel se ferme toute seule et vous laisse coincé dehors.

Les systèmes de verrouillage automatique étaient courants dans les hôtels. Sortir de l’intérieur était assez facile, mais une fois que la porte se fermait, elle se verrouillait automatiquement, et il n’y avait pas de retour possible sans la clé. Imaginer que les mondes étaient comme des chambres d’hôtel et que le tissu de l’espace-temps était le couloir le rendait plus facile à comprendre.

Donc la clé de la pièce est le nom du Dieu dans mon monde… C’est délicat.

Les deux grandes différences, cependant, étaient que dans ce cas, vous ne pouviez pas téléphoner à la réception pour qu’ils déverrouillent la porte pour vous, et il n’y avait aucune garantie qu’il puisse survivre en errant dans l’espace-temps.

« Je peux passer la barrière du côté de la Terre, mais le problème est de passer la barrière de Rearth. Je risque de me perdre dans le tissu de l’espace-temps, mourant ainsi… »

« Oui, on peut le résumer ainsi. », dit Annamaria avec la même expression immuable.

« Malheureusement, personne n’en est jamais revenu, alors on ne sait pas ce qui vous arrivera. Mais votre façon de le dire est juste. »

« Et si je découvrais le nom du dieu qui a érigé la barrière autour de Rearth ? »

Alors même que Ryoma continuait à réfuter les paroles d’Annamaria, il essayait de prédire sa prochaine réponse dans son esprit.

***

Partie 4

Il ne savait pas depuis combien de temps les gens de cette Terre convoquaient des gens de Rearth, mais cela ne faisait certainement pas que depuis dix ou vingt ans. Un siècle ou deux semblait également inadéquat.

Ce qui signifie que, pendant des siècles, peut-être même des millénaires, les gens avaient été convoqués de force de son monde à celui-ci, tous pour être des pions pratiques dans une guerre. Mais que se passerait-il si certains de ceux qui avaient été convoqués s’échappaient comme Ryoma et essayaient de retrouver le chemin du retour ? Au moins, Ryoma doutait d’avoir été la première personne convoquée à tenter de rentrer chez lui.

Annamaria plaça un livre délavé qu’elle avait récupéré de la bibliothèque sur le dessus de la table craquelée.

« C’est un registre des gens de l’autre monde qui ont essayé de retourner dans votre ancien monde. »

Ouvrant le livre, qui était assez épais pour passer pour un dictionnaire, elle poursuivit.

« L’élaboration d’une technique magique pour vous renvoyer n’est pas compliquée en soi, mais cela ne suffira pas à vous ramener dans votre monde. »

Ouvrant le tome à une certaine page, Annamaria le posa devant Ryoma.

« Les noms des dieux de votre monde sont enregistrés ici. Pour le dire autrement, tous les noms écrits ici sont ceux qui ont été utilisés pour le sort, mais n’ont jamais abouti. »

« Tu dis donc que tant que je n’ai pas le nom d’un dieu qui n’est pas mentionné ici… »

« Oui, retourner dans votre monde sera impossible. »

L’avertissement glacial d’Annamaria transperça le cœur de Ryoma. Ryoma prit le livre comme s’il l’avait volé et le laissa sous son bras. Il s’était ensuite rendu dans un magasin général pour acheter de l’encre et des parchemins et s’était enfermé dans sa chambre à l’auberge.

« Tsukuyomi, Susanoo, Amaterasu… Yahvé, Jéhovah… Indra, Agni, l’armée des dix-milles Avalokiteshvara… »

C’était tous les noms de Dieux transmis depuis l’antiquité. Tous les noms célèbres que quelqu’un avait entendus à un moment ou à un autre, mais le livre contenait aussi les noms de dieux inconnus qui avaient été enterrés dans le sable de l’histoire et du temps.

Le nom d’Odin suivait celui de Poséidon. Les noms avaient été listés sans aucune trace d’ordre ou de régularité. Les prédécesseurs de Ryoma avaient effectivement exploré toutes les pistes. Ils écrivaient n’importe quel nom auquel ils pouvaient penser, sans tenir compte de la religion ou de l’appartenance ethnique.

« Bordel de merde ! Comme si j’allais abandonner. Je vais rentrer chez moi, même si c’est la dernière chose que je dois faire. »

Ces émotions avaient poussé Ryoma à aller de l’avant. Il s’était répété que, tant qu’il prenait tous les avantages qu’il pouvait, même si la probabilité de succès était faible, elle n’était pas nulle. Comme s’il essayait de se leurrer pour y croire…

Les sœurs se tenaient dans le couloir menant à la chambre de Ryoma. Depuis leur retour de chez Annamaria, l’expression de Ryoma était très sombre et il ne répondait à aucune des paroles des sœurs Malfist.

« Ça fait cinq heures… » dit Sara

Laura acquiesça d’un signe de tête silencieux.

La nuit approchait déjà, c’était le moment où la plupart des gens s’embarqueraient dans le monde des rêves.

« Maître Ryoma… »

Les sœurs Malfist connaissaient très bien les sentiments de Ryoma. S’imaginer à sa place les fit frissonner. Mais elles n’avaient pas pu sauver Ryoma de ça. La seule chose qu’elles pouvaient faire était d’attendre devant sa chambre, soucieuse de son bien-être.

À un moment donné, la lumière du soleil matinal commença à se répandre à travers les fenêtres. C’était le lever du soleil. En jetant un coup d’œil, les sœurs avaient renforcé leur détermination et frappèrent à la porte. Dans leurs mains se trouvait un plateau avec un repas de fin de soirée qu’elles avaient spécialement demandé à l’aubergiste de leur préparer.

Ryoma n’avait pas quitté sa chambre une seule fois de la tombée de la nuit à l’aube. Il avait ignoré la suggestion des jumelles d’aller dîner, et le repas de fin de soirée qu’elles lui avaient offert. La seule chose qu’elles entendaient à travers la porte, c’était le léger bruit qu’il faisait en feuilletant les pages du livre qu’il avait emprunté à Annamaria.

Les visages des sœurs montraient des signes d’épuisement. Elles étaient restées debout toute la nuit, pourtant elles ne pensaient qu’à la santé de Ryoma. Celui-ci continuait à feuilleter le livre comme un homme possédé.

Elles avaient frappé un peu plus fort cette fois. Les sœurs n’avaient pas l’intention d’entraver ses recherches, mais elles ne pouvaient pas l’abandonner alors qu’il n’avait pas pris de nourriture ou de boisson depuis la nuit précédente.

« Maître Ryoma… ? »

Laura parla timidement à travers la porte, mais aucune réponse ne vint de Ryoma, et le seul son qu’elle pouvait entendre était le léger mouvement du papier. Et finalement, même ce son avait cessé.

« Sara… »

« Oui… Il semble qu’il ne nous reste plus qu’une option, Laura. »

En échangeant un regard, les sœurs Malfist posèrent le plateau sur le sol et firent face à la porte en bois. Les deux filles avaient pris de grandes respirations et s’étaient accroupies.

L’instant d’après, leurs jambes, renforcées par la magie martiale, s’écrasèrent contre la porte en bois avec un bruit sourd comme celui d’un gros marteau, l’arrachant de ses charnières.

« Maître Ryoma ! »

Appelant le nom de Ryoma, les filles se précipitèrent dans la pièce gouvernée par l’obscurité.

Malgré la lumière du soleil qui s’infiltrait par les fenêtres, l’air de la pièce était terriblement sombre et froid. Et la source en était, sans aucun doute, l’homme assis au fond de la pièce.

« Maître Ryoma… ? »

La question effrayante de Sara s’était envolée dans l’air lugubre.

Mais sans même se soucier du fait que les sœurs Malfist se frayaient un chemin dans sa chambre, Ryoma avait simplement regardé le livre placé sur la table. Il l’avait lu un nombre incalculable de fois. Les pages étaient partiellement déchirées et le papier était humide de sueur. Des morceaux de parchemin jonchaient la table et le sol autour de celle-ci, remplis de noms barrés.

Non de Dieu… Il a noté les noms de tous les dieux qu’il connaît et les a comparés à ceux du livre…

Laura pouvait dire d’un coup d’œil qu’il y avait des dizaines de pages qui traînaient.

« Laura… »

Sara pointa du doigt deux morceaux de parchemin couchés sur le sol. Les noms avaient été griffonnés sur l’un d’eux en lignes denses, et ils avaient tous été barrés. L’autre avait les mêmes lignes dans le même ordre.

« Il… » chuchota Sara.

Laura hocha la tête à son affirmation.

Ryoma avait dressé la liste de tous les dieux qu’il connaissait et vérifia par rapport au livre, en biffant tous ceux qui étaient mentionnés. Et après les avoir tous rayés, il avait recommencé, en s’assurant qu’il n’y avait pas d’erreurs, en s’assurant qu’il n’oubliait pas ou ne remarquait rien. Il l’avait répété à maintes reprises… À la recherche d’un espoir qui n’était pas là.

« … Rien… »

Un petit murmure échappa aux lèvres de Ryoma.

« Maître Ryoma ? »

« Je… Je ne peux pas rentrer chez moi… »

Cette fois, les sœurs l’entendirent clairement.

« Je ne peux pas rentrer chez moi… Je ne peux pas rentrer chez moi… Je ne peux pas rentrer chez moi… »

Les mots quittant la bouche de Ryoma devinrent de plus en plus forts.

Son corps s’était rempli de force et ses muscles s’étaient tendus, et l’obscurité dans la pièce s’était épaissie en conséquence. La rage et la haine remplissaient son expression… À côté d’un désespoir sans fond.

Ce n’était pas la colère qui visait une personne en particulier, mais la colère contre ce monde lui-même. Sa colère s’était transformée en flammes noires brûlantes, et sa haine en une lame de glace aiguisée.

Cela ne faisait même pas deux mois qu’il avait été convoqué dans ce monde, et les sentiments qu’il avait réfrénés pendant tout ce temps avaient maintenant écrasé les chaînes de sa raison et du bon sens qui les avaient liés jusqu’alors.

« Laura ! »

« Oui ! »

Les sœurs Malfist avaient senti que quelque chose n’allait pas du tout depuis le moment où elles avaient fait irruption dans la pièce. Leur image de Ryoma était celle d’une personne calme, au cœur froid et pourtant gentil. Mais le Ryoma qui se tenait devant leurs yeux dégageait une sensation qui semblait terriblement fragile et instable, et en même temps terriblement inquiétante et effrayante.

Elles s’échangeaient des hochements de tête sans dire un mot et berçaient doucement la tête de Ryoma dans leurs bras, la pressant contre leur poitrine. C’était comme si elles apaisaient un bébé, encourageaient un enfant en pleurs.

« Tout ira bien, Maître Ryoma. Nous sommes à vos côtés. Nous serons toujours là pour vous… »

Combien de temps s’était-il écoulé depuis ? L’atmosphère sombre et oppressante qui avait renversé la pièce s’était dissipée, ne laissant entrer que la douce lumière du soleil du matin.

La tête bercée entre les seins des sœurs, une respiration paisible et rythmée émergea d’entre les lèvres de Ryoma alors qu’il s’endormait.

« Laura, allons le mettre au lit, » déclara Sara en le regardant de haut.

« Oui… Tiens-le de ce côté-là. Portons-le. »

Transportant le corps de Ryoma de cent kilos, les deux sœurs avaient réussi à mettre Ryoma au lit.

« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

Le regard de Sara se tourna vers la porte cassée.

Elles n’avaient peut-être pas d’autre choix, mais un coup de pied de deux personnes, renforcé par une magie martiale, avait fait sauter la porte et l’avait brisé en morceaux. L’auberge ne leur pardonnerait pas facilement d’avoir laissé des traces de destruction aussi visibles.

« Il n’a pas dormi de la nuit dernière, donc je ne crois pas qu’il se réveillera avant le coucher du soleil… » dit Laura avec hésitation, regardant Ryoma alors qu’il dormait sur le lit.

« Jusqu’à ce qu’il se réveille, expliquons les circonstances au sujet de la porte et payons-la généreusement en guise de réparation. »

« Maître Ryoma… J’avais si peur… » dit Sara en chuchotant, une légère peur vacillant dans ses yeux.

« Oui… Mais ça n’a pas d’importance. Nous devons la vie à Maître Ryoma, donc nous lui appartenons. Nous n’avons qu’à le servir. »

Si on lui demandait honnêtement, Laura était elle aussi effrayée par l’expression que Ryoma avait montrée. C’était la folie d’un homme assailli par le désespoir, le genre qui faisait peur à toute personne qui le voyait. Mais c’était une raison de plus pour qu’elles ne l’abandonnent pas.

Mais ces sentiments résultaient-ils simplement du fait qu’il les avait sauvés des mains maléfiques des bandits, ou de la preuve d’une affection plus profonde ? Les sœurs n’avaient pas encore pu le discerner.

« Oui, tu as raison, Laura… »

Sara hocha la tête aux paroles de sa sœur, jetant son regard sur leur maître, se reposant sur le lit.

Avec de doux sourires sur leurs visages, elles avaient prié pour son bien-être, alors qu’il s’endormait paisiblement…

Quel est cet endroit... Où suis-je ?

La conscience de Ryoma était submergée dans l’obscurité profonde. Froid et noir, cela menaçait de lui geler le cœur. Ryoma flottait simplement à travers ce vide sombre.

***

Partie 5

C’est… C’est vrai ! J’étais dans ma chambre à l’auberge, en train de chercher quelque chose…

La conscience de Ryoma devenait de plus en plus claire.

« C’est le fond de ton cœur. »

Une voix artificielle, sans émotion, résonnait dans les oreilles de Ryoma.

Les profondeurs de mon cœur… ? C’est dans ma conscience ?

« Correct. » Répondit la voix.

Mais je ne parle pas ici.

« C’est le fond de ton cœur, les mots n’ont pas de sens ici. »

Mais tu parles.

« Non. C’est simplement ainsi que tu le perçois. »

Qui es-tu ?

« Moi ? Je suis celui qui est le plus proche de toi, qui te comprend mieux que quiconque. »

Qu’est-ce que c’est que ça ?

« Pour l’instant, ça fera l’affaire… Un jour, tu trouveras la réponse par toi-même. »

La voix demanda alors à Ryoma : « Que désires-tu ? »

Je veux… rentrer chez moi. Après un moment de réflexion, Ryoma déclara son souhait le plus profond, le plus ardent. Je veux revoir Asuka et grand-père. Je veux retrouver mon ancienne vie.

Honnêtement, la vie de Ryoma n’était pas la plus bénie qu’on puisse souhaiter. Il était né avec une volonté et un corps forts, mais cela avait submergé les autres, qui évitaient ainsi sa présence. Le fait d’être plus fort que les autres faisait craindre Ryoma, l’excluant ainsi du reste du groupe.

Mais il avait une famille qui l’aimait et le soutenait. Un grand-père qui, malgré sa langue vicieuse, l’avait élevé à la place des parents qu’il n’avait jamais eus. Une cousine qui était son amie d’enfance, qui se mêlait toujours de ses affaires comme une sœur curieuse.

Certes, certaines personnes avaient essayé de l’exclure, mais d’un autre côté, il y avait ceux qui l’aimaient et le chérissaient.

« Mais ce vœu ne peut être exaucé. Tu l’as vu par toi-même. »

La voix réduisit impitoyablement le souhait de Ryoma.

Je ne peux pas y retourner ? Je ne revivrai plus jamais cette vie ?

« Pas de retour dans ton monde ? Les chances ne sont pas tout à fait nulles, mais tu devras te résoudre à faire une quantité terrifiante de sacrifices, et la seule façon de réussir consiste à t’accrocher à la chance. Et tu sais ceci. Il ne reste plus qu’à savoir si tu es prêt à faire ces sacrifices ou si tu vas abandonner. »

Quelle? Que veux-tu dire? Qu’est-ce que tu dis?

Alors même qu’il comprenait la vérité derrière les paroles de la voix, Ryoma prétendait de tout son esprit qu’il n’avait aucune idée de ce que cela signifiait.

« Tu sais et tu comprends parfaitement tout… Tu ne veux tout simplement pas prendre réception de cette réponse. »

La voix avait froidement rejeté le mensonge de Ryoma.

Si cette voix froide et impitoyable était vraiment une manifestation du cœur de Ryoma, alors il était raisonnable qu’elle puisse voir à travers lui. Il pouvait tourner ses mensonges aussi bien qu’il le souhaitait, il ne pouvait pas se tromper lui-même…

« Si tu lâches ta colère, il sera facile de réduire ce monde en poussière. Tu as été jeté sur cette Terre contre ta volonté pour mener une guerre qui n’a rien à voir avec toi. C’est la faute à qui ? »

C’est… la faute de ce vieux merdeux et de son empire.

Le visage de Gaius apparu dans l’esprit de Ryoma alors qu’il répondait à la question. La source de tout cela était ce vieil homme, qui avait convoqué Ryoma dans ce monde déchiré par la guerre pour l’utiliser comme un pion dans son conflit.

« Faux. »

La voix a nié sa réponse.

« Le problème réside dans la structure fondamentale de ce monde. C’est un monde déformé, bâti sur le principe de profiter de vous, qui avez été convoqués dans ce monde. »

Monde déformé… ?

« C’est vrai, c’est un monde qui présuppose que l’un pille l’autre ! Brise ce monde. Tue. Ravage. Reprends ce qu’on t’a pris. Tu as le privilège, non, le droit de le faire ! »

J’ai… le droit ?

C’était une séduction si douce et gratifiante.

Ainsi chuchota la voix, essayant de débloquer les désirs qui avaient été tenus en bride pendant des années au sein de Ryoma.

Je…

 

Les émotions qu’il avait emmagasinées s’étaient transformées en vagues violentes et déferlantes. Il n’y avait pas de raison claire à cela. Soudainement, un Ryoma en colère ne pouvait pas tout à fait attribuer une raison qui faisait que son cœur s’enflammait.

La colère était simplement la colère, et la haine était simplement la haine. Les particularités du pourquoi et du comment avaient disparu, et tout sens de la morale ou de l’éthique avait disparu. La colère et la haine débordaient du cœur de Ryoma. C’était fondamentalement différent de la façon dont, lorsqu’il avait été convoqué sur cette terre inexplicable, le sens moral de Ryoma avait disparu momentanément lorsqu’il avait dû se défendre de cette situation d’urgence.

Si la situation devait perdurer, l’homme connu sous le nom de Ryoma Mikoshiba perdrait son cœur et deviendrait un démon poussé en avant par la haine et la colère.

Mais au moment où Ryoma était sur le point de céder à la séduction de la voix impitoyable, les voix des sœurs résonnaient à travers ce monde de son inconscient.

« Tout ira bien, Maître Ryoma. Nous sommes à vos côtés. Nous serons toujours là pour vous… »

C’était des mots chaleureux, doux, remplis de tranquillité. Et lorsqu’il entendit ces mots, Ryoma perdit à nouveau conscience et disparut de ce monde obscur.

« Hmph. Alors tu y es retourné sans te lâcher… Qu’il en soit ainsi. Tu feras le choix un jour, que tu le veuilles ou non. Veux-tu me dompter, ou seras-tu consumé par moi… ? C’est quelque chose que toi seul pourras décider… Car je suis toi-même. »

Ryoma parti, la voix froide et inhumaine résonna seule dans l’obscurité.

Quand Ryoma se réveilla sur son lit, le soleil s’était déjà couché, et le rideau de la nuit était suspendu au-dessus de la vue à l’extérieur de la fenêtre.

« Mm… Ah… Attends, c’est quoi ce trou ? »

Après s’être étiré, un grand bâillement échappa à la bouche de Ryoma.

Il s’était senti vraiment rafraîchi, mais comme pour briser son agréable réveil, la première chose que Ryoma vit en regardant la pièce fut la vue pitoyable de la porte explosée. Elle avait été impitoyablement écrasée, et la lumière s’était déversée du couloir exposé.

Ensuite, il avait pensé à son poste actuel. La dernière chose dont il se souvenait, c’était d’être assis à la table en train de lire, mais maintenant il était allongé dans son lit. Ses bagages, qui se trouvaient dans la chambre auparavant, étaient également manquants, ce qui constituait un autre sujet de préoccupation.

Le sac contenant mon argent est toujours sur moi, ce n’est donc pas grand-chose, mais…

Confirmant le poids du sac qu’il cachait à l’intérieur de ses vêtements, et qu’un portefeuille improvisé était encore là, Ryoma inclina la tête en regardant la pièce. On aurait dit qu’elle avait été saccagée par des voleurs.

Eh bien, je suppose que je pourrai demander aux jumelles plus tard… Mais à part ça, j’ai vraiment faim.

Il avait fini par jeûner toute la journée d’hier, il était donc naturel que Ryoma ait faim. Et comme s’il écoutait le signal de son estomac grincheux, l’odeur alléchante de la nourriture jaillissait de la porte manquante. On aurait dit qu’on servait de la nourriture dans le réfectoire du rez-de-chaussée.

Entre le trou se trouvant à l’endroit où se trouvait la porte et le fait qu’il était au lit, même s’il ne se souvenait pas comment il s’y était rendu, il y avait beaucoup de questions auxquelles il devait répondre. Mais aucune d’elles n’avait triomphé des protestations de son estomac vide.

Tapotant ses cheveux ébouriffés et ajustant sa tenue, Ryoma était descendu.

« Oh ! Tu es enfin réveillé ! »

L’aubergiste éleva la voix quand il remarqua Ryoma s’approcher.

Il était apparemment en train de s’occuper de son grand livre d’affaires.

« Oh. Bonjour. »

Ryoma n’avait pas vraiment fait attention à lui depuis son arrivée, mais l’aubergiste l’avait accueilli avec le sourire.

« Les filles qui sont venues avec toi ont payé les frais de réparation de la chambre, donc tu n’as pas à t’inquiéter pour ça. »

Les paroles désinvoltes de l’aubergiste avaient rendu l’expression de Ryoma perplexe. Ayant dormi jusqu’à présent, il n’avait aucune idée de la situation dans laquelle il se trouvait maintenant.

« Oh, je vois. Tu dormais depuis le début. Tu peux demander les détails aux filles. Elles l’ont fait pour toi, tu sais. »

« Oui… » répondit vaguement Ryoma.

« Nous avons déjà été remboursés pour les dommages, alors ne t’en fais pas. Tu déménageras dans une nouvelle chambre ce soir. Ces deux-là ont déjà déplacé tes bagages là-bas. »

Il serait dans une autre chambre, semble-t-il. Ryoma ne pouvait guère s’y opposer, car il ne lui serait jamais venu à l’idée de dormir dans une chambre sans porte et sans intimité.

« D’accord. »

« Oh, c’est vrai ! Tu n’as rien mangé hier, pas vrai… Ma femme a fait du ragoût, alors apporte-le dans ta chambre. »

Cela dit, l’aubergiste appela sa femme, qui se tenait debout dans la cuisine de l’auberge.

« Hé, ce garçon est réveillé, peux-tu lui préparer quelque chose à manger ? »

Presque aussitôt ces mots prononcés, la patronne ronde et âgée sortie de la cuisine avec un plateau à la main.

« Bien sûr que oui ! Pas besoin de crier, j’ai tout préparé ! »

Apparemment, elle avait entendu Ryoma et l’aubergiste parler et avait tout préparé.

« Voici ! Prends-le et va dans ta chambre. »

Elle avait vigoureusement sorti le plateau pour que Ryoma le prenne. L’odeur d’un ragoût bien calibré aiguisa son appétit. Il y avait aussi un panier rempli de pain, dont l’arôme indiquait qu’il avait été fraîchement cuit.

Pourtant, Ryoma avait été frappé par le doute. Le plateau contenait de la nourriture pour trois personnes. Le ragoût, qui avait été versé dans une grande assiette, n’était certainement pas seulement pour Ryoma. Et même s’ils pensaient que la faim de Ryoma le pousserait à prendre des portions supplémentaires, elles ne seraient pas versées dans d’autres assiettes, un petit pot aurait suffi. Alors pourquoi y avait-il trois assiettes sur le plateau ?

Comme le montrait sa confusion sur son visage, Ryoma sentit un léger impact sur le tibia de sa jambe droite.

« C’est la part des filles ! », dit la propriétaire avec les sourcils sillonnés, alors que les 190 centimètres et les 100 kilos de Ryoma soient pris de surprise par coup de pied aux tibias.

« As-tu la moindre idée à quel point ces filles étaient inquiètes pour toi ? Hein ?! Espèce de gros lombric ! »

Apparemment, elle n’avait pas aimé le regard de Ryoma. La propriétaire continua d’expliquer la situation à Ryoma, qui semblait toujours inconscient.

« Je ne sais pas ce que tu lisais là-dedans, mais tu es revenu les yeux injectés de sang et tu t’es enfermé dans ta chambre sans manger… Maintenant, si tu ne veux pas manger, c’est à toi de voir ! Mais ces filles ont dit qu’elles ne pouvaient pas manger si tu ne manges pas, et elles ont eu faim tout le temps ! »

« Hein ? Elles n’ont pas mangé ? »

Ryoma était devenu pâle dès qu’il l’avait entendue dire ça.

Il ne s’attendait pas à ce qu’elles s’abstiennent toutes les deux de manger.

« C’est exact. Je le jure, vous êtes tous pareils… Écoute-moi bien ! Ces filles devraient se réveiller tout de suite ! Apporte ça dans ta chambre et mange avec elles ! »

En poussant un lourd soupir, la propriétaire se dirigea vers la cuisine avec les épaules affaissées, exaspérée.

« Ça prouve que tu n’es pas seul, tu vois ? Je ne sais pas ce qui te ronge, fiston, mais en t’y attardant, tu perdras d’autres choses qui te tiennent à cœur. »

Tapotant Ryoma sur l’épaule pendant qu’il se tenait immobile, l’aubergiste se remit au travail sur son livre d’affaires.

C’était un avertissement de la part de ceux qui avaient plus d’âge et de sagesse à un jeune homme qui était sur le point de s’égarer. Les paroles de l’aubergiste furent prononcées avec désinvolture, mais elles s’enfoncèrent profondément et fortement dans le cœur de Ryoma.

Je…

Les mots que ces deux personnes lui avaient laissés tournèrent en spirale dans son esprit. Tout ce qui l’intéressait, c’était de retourner dans son monde, et c’était son seul but en voyageant. Mais il s’était rendu compte à quel point Laura et Sara l’avaient soutenu depuis le jour de leur rencontre.

Je n’ai pensé à personne d’autre…

Cette pensée était une barrière autour du cœur de Ryoma. Ce monde n’était rien d’autre que de la souffrance pour Ryoma, et il ne pourrait jamais en arriver à l’aimer, vu qu’il y avait été jeté dedans contre sa volonté. Au contraire, Ryoma détestait ce monde.

Mais même dans ce monde qu’il détestait, il y avait des gens qui le soutenaient. Rétrospectivement, même dans la capitale d’O’ltormea, il avait rencontré le propriétaire du restaurant de la ruelle et les commis de la guilde, qui lui avaient appris des choses qu’il devait savoir pour survivre dans ce monde quand il en avait le plus besoin.

Tels étaient les liens entre les gens. En fin de compte, une personne ne pouvait pas survivre toute seule. Détester ce monde autant qu’il le pourrait était un fait qui ne changerait jamais.

Quel que soit le dieu qui gouvernait le destin, il avait dû être un bâtard cruel, capricieux et mal dans sa peau avec un goût pour l’ironie. D’un côté, il avait dépouillé Ryoma de la famille qu’il aimait et en qui il avait confiance, mais il lui avait accordé deux filles irremplaçables, en les personnes des sœurs Malfist.

Ryoma frappa avec hésitation à la porte de la chambre des sœurs.

« Oui, un instant… » dit la voix sereine de Laura derrière la porte.

« C’est moi. Puis-je entrer ? »

« Ah ! J’arrive tout de suite ! »

Réalisant que leur invité était Ryoma, Sara ouvrit la porte en toute hâte.

Ryoma entra dans la pièce lentement et prudemment, afin de ne pas renverser le contenu du plateau.

« Quelque chose ne va pas ? »

Sara regarda le visage de Ryoma d’un air perplexe.

Laura, qui était assise sur un lit à l’arrière de la chambre, avait la même expression.

« Rien de majeur… J’ai juste pensé que ce serait bien si on pouvait manger ensemble. »

Voyant Ryoma poser le plateau sur la table avec un sourire gêné, les sœurs se mirent à sourire.

Le repas que Ryoma avait pris ce jour-là avec les jumelles Malfist n’était nullement luxueux, mais pour lui, c’était le repas le plus chaud et le plus savoureux qu’il avait eu depuis son arrivée au monde.

***

Chapitre 1 : Assaillant

Partie 1

Trois personnages se déplaçaient dans la forêt sombre, essayant d’étouffer leurs pas au fur et à mesure qu’ils avançaient. Il s’agissait de la zone forestière qui s’étendait au nord de Pherzaad, la plus grande ville commerciale du continent occidental. Cet endroit était loin de la route principale, à plusieurs jours du village le plus proche.

Je n’aurais jamais pensé que les techniques que grand-père m’a enseignées seraient utiles ici…

Se frayant un chemin à travers les arbres tout en essayant de cacher sa présence du mieux qu’il le pouvait, cette pensée traversa l’esprit de Ryoma quand il sentit la présence des sœurs Malfist dans son dos.

Les arts martiaux japonais anciens étaient un ensemble complet et systématique de techniques développées pour assurer la survie des soldats sur le champ de bataille, et ne se limitaient pas simplement aux méthodes pour tuer l’ennemi. Ils enseignaient aussi comment atténuer sa présence et sentir la présence des autres, ce qui était impératif pour le scoutisme, comment nager en portant une armure et un casque, quelles herbes indigènes pouvaient être utilisées en médecine et autres techniques nécessaires à la survie.

À l’époque, je n’arrêtais pas de me demander quand j’allais mettre ces compétences à profit. C’était plutôt ironique… Des compétences qui étaient inutiles au Japon sont devenues tellement plus significatives une fois que j’ai été convoqué ici.

Quand les gens entendaient les mots « anciens arts martiaux japonais », les premières choses qui venaient à l’esprit étaient le jujitsu et le kendo, et ces associations n’étaient techniquement pas incorrectes. La plupart des courants d’arts martiaux qui avaient persisté depuis l’époque des États guerriers jusqu’à l’ère moderne s’étaient systématisés et finirent par devenir spécialisés et raffinés pour un monde pacifique.

Par conséquent, le jiu-jitsu et l’art du sabre avaient été sublimés respectivement en judo et en kendo, éliminant ce qui était jugé inutile dans le processus. Il y avait beaucoup de techniques qui, bien qu’écrites dans le manuel, n’étaient pas pratiquées par la plupart des gens.

Mais même à cette époque, le grand-père de Ryoma Mikoshiba lui avait enseigné toutes les traditions familiales transmises depuis l’Antiquité, sans en oublier une seule, et parmi elles, il y avait des compétences qu’on ne pouvait pas, ou plutôt ne pouvait pas, mettre à profit à l’ère moderne.

Cette méthode de marche que Ryoma avait transmise aux jumelles Malfist était une de ces techniques qui avait été perdue à travers les âges. Marcher en étouffant le bruit de ses pas était une technique évidente pour ceux qui passaient leur vie dans la forêt et qui vivaient de la chasse. Ne pas le faire entraînerait non seulement l’évasion de proies, mais mettrait aussi sa vie en danger.

Cela dit, à l’ère moderne, où la plupart des gens vivaient en ville, cette technique n’était probablement utilisée que par les Matagi, la petite population de chasseurs autochtones qui vivaient dans la région de Tohoku, ou par ceux qui suivaient une formation spéciale de guérilla dans l’armée.

Quoi qu’il en soit, ces techniques de survie en forêt avaient été jugées inutiles dans la vie moderne. La nature, cependant, était différente. Elles étaient peut-être inutiles au Japon, l’un des pays les plus développés du monde de Ryoma, mais elles étaient immensément utiles sur cette Terre, qui avait de nombreuses régions qui n’étaient ni développées ni impactées par l’homme.

Ces compétences étaient inutiles pour la vie au Japon, mais ici dans ce monde, elles lui servaient de bouée de sauvetage, et Ryoma n’avait pas pu s’empêcher de prendre un air d’autodérision devant l’ironie de tout cela.

Debout en tête, Ryoma s’arrêta soudainement et leva la main droite.

C’est devant nous… Comme toujours, j’agirai comme appât et attirerai son attention. Vous deux, vous chercherez une opportunité pour lui tomber dessus… Allez !

Sans se retourner, Ryoma fit signe en silence aux sœurs Malfist, puis s’accroupit et sortit un chakram d’un de ses sacs en cuir. Suivant son signal, les présences des sœurs disparurent derrière lui.

C’était leur tactique pour obtenir une victoire certaine, une tactique qu’ils avaient déjà pratiquée et qu’ils avaient déjà réussie un nombre incalculable de fois. Au bout de la ligne de mire de Ryoma, une seule mante religieuse rôdait. Elle avait un corps mince et vert et deux faux massives à la place des mains. Mais une chose la distinguait du type de mante religieuse que Ryoma avait l’habitude de voir, sa forme massive mesurait cent quarante centimètres de haut.

Une mante géante.

Infamement connu sous le nom de Bouchère des Bois, c’était un type de monstre redouté même par les aventuriers chevronnés. Dans l’ancien monde de Ryoma, les mantes religieuses ne dépassaient jamais une douzaine de centimètres, mais celle qui se tenait devant lui semblait maintenant se moquer ouvertement de l’idée du bon sens.

Ryoma ne pouvait voir que son dos de là où il se tenait, mais la grande mante semblait actuellement occupée à manger. La moitié inférieure coupée d’un loup gisait à ses pieds.

En pliant son corps comme un arc, Ryoma lança le chakram, qui traversa le vent et s’envola vers la mante religieuse. Malgré des yeux composés capables de voir dans toutes les directions, elle n’était toujours pas capable de capter la vue d’un chakram qui volait dans l’air dans cette forêt épaisse.

L’instant d’après, le chakram s’enfonça profondément dans le dos sans défense de la grande mante. Il ne savait pas si cette chose pouvait ressentir de la douleur, mais la grande mante se retourna sans même émettre un gémissement d’agonie, jetant la carcasse qu’elle portait dans ses pattes avant, et faisant face à Ryoma, ses ailes s’étendant pour intimider celui qui lui faisait obstacle pendant son repas.

Ses yeux semblaient inorganiques et froids, des yeux sans émotion, en forme de perles de verre, comme ceux d’un insecte. Mais Ryoma pouvait dire qu’elle était furieuse d’avoir été attaquée et blessée par surprise.

C’est vrai. Garde les yeux fixés sur moi, mon grand ! Ton ennemi est juste là.

Tenant ses pattes avant devant son visage comme un boxeur, la grande mante s’approcha tout en resserrant sa défense, à la recherche d’une ouverture.

Sa bouche aiguisée était teinte en rouge avec du sang de loup, et ses deux faux en forme de scie brillaient dans l’attente du sang d’une nouvelle proie.

Le prendre par l’avant est impossible…

Ryoma jeta deux autres chakrams avec l’intention de la garder sous contrôle, mais la mante les détourna avec ses pattes avant. C’était vraiment des armes menaçantes, capables de déchirer des proies en morceaux, et pourtant les chakrams forgés de fer n’avaient aucun effet.

Ryoma avait silencieusement dégainé son épée, la tenant sous son côté droit tout en cachant la lame derrière son dos.

Une position de flanc.

C’était une position qui permettait de s’adapter ad hoc en observant les mouvements de l’adversaire. Et Ryoma n’avait pas détourné son regard de la mante pendant un instant. Parce que s’il détournait les yeux ne serait-ce qu’une seconde, la grande mante couvrirait d’un seul bond les dix mètres qui les séparaient et l’attaquerait. Les animaux et les insectes se ruaient sur leurs ennemis dès qu’ils voyaient une ouverture.

Bon garçon… Reste concentré sur moi !

Leurs regards ne restèrent connectés qu’une dizaine de secondes. Toujours sur le flanc, Ryoma avait parcouru la distance d’un bond et la mante avait balancé ses pattes avant comme si elle relevait le défi. Voltigeant de ses ailes, son corps vert s’éleva dans les airs.

Une masse violente s’écrasa sur le corps de Ryoma. Ses muscles tempérés gonflèrent, s’opposant à l’armature massive de la grande mante. Son visage était rougi par l’effort et sa respiration s’était arrêtée dans sa gorge. La mante n’arrêtait pas de presser vers le bas, dans l’intention d’écraser Ryoma.

L’épée et les faux s’étaient verrouillées et poussèrent l’une contre l’autre. Si Ryoma devait relâcher ses forces ne serait-ce qu’un instant, il serait immédiatement projeté contre le sol. Étant instinctivement conscientes de cela, les pensées de la grande mante étaient entièrement fixées sur l’achèvement de la proie sous ses yeux. Et cela rendrait insignifiante la large portée de ses yeux composés.

Sa conscience était entièrement concentrée sur Ryoma, ne sachant pas que cela ne ferait qu’accélérer son voyage vers la tombe, la grande mante s’approcha lentement du visage de Ryoma, ouvrant ses mâchoires pointues en même temps.

« Maintenant ! »

Avec le cri de Ryoma en guise de signal, les sœurs Malfist sautèrent des buissons, leurs lames sifflant dans les airs alors qu’elles descendaient en piqué sur la mante.

Le prana des sœurs Malfist coulait vers leur premier chakra, le chakra Kundalini1 situé dans le périnée, remplissant leur corps d’une force surhumaine. Leurs lames étaient dirigées vers les quatre pattes postérieures supportant le buste massif de la grande mante.

Même cette créature, qui se vantait de sa vitalité et de son agilité, n’aurait pas pu bloquer une attaque-surprise des deux côtés, et les frappes des sœurs, renforcées par une magie martiale, avaient creusé dans ses articulations et les avaient sectionnées.

« Sara, continue de lui couper les autres jambes. Laura, vise son torse ! »

Coupant les pattes avant de la mante, qui s’était effondrée parce qu’elle avait perdu la capacité de supporter son propre poids, Ryoma recommanda la prudence. C’est au moment où l’on avait le plus confiance en sa victoire qu’on était le plus vulnérable.

Ryoma était déterminé à en finir avec la vie de l’ennemi. Certains pouvaient qualifié cela de lâcheté anormale, mais Ryoma savait instinctivement que ceux qui n’en avaient pas ne pourraient jamais survivre dans ce monde.

« Tuons-la d’un seul coup ! », cria Ryoma, voyant les jambes coupées de la mante se contracter sur le sol au bord de son champ de vision.

« Ces enfoirés tenaces ont la mauvaise habitude de ne pas rester morts quand ils le devraient ! »

Quel que soit le monde, les insectes avaient la plus grande vitalité de tous les êtres vivants. Même avec leurs têtes envoyées en l’air, ils étaient capables de se battre continuellement jusqu’à ce que leurs signes vitaux soient complètement disparus.

Cela dit, il faudrait qu’il arrive quelque chose de vraiment inattendu pour renverser la victoire de Ryoma. Même avec une épée plongée dans son corps, la mante aurait riposté sans relâche, mais ayant perdu ses membres en forme de faux qui lui servaient d’arme principale, elle avait perdu ses moyens de riposter.

Il était temps d’en finir. Ryoma plongea son épée dans la tête de la mante, aggravant sa blessure. Au début, la mante se débattait désespérément, mais ses mouvements s’émoussèrent peu à peu jusqu’à ce que son grand corps devienne complètement immobile.

Quel sentiment ! Je n’avais jamais pu goûter à ça dans ma vie paisible au Japon… Mais…

Un échange de vies. Ryoma regarda les restes de la mante, un sourire sauvage sur ses lèvres. Il s’était senti si vivant, comme s’il était en train de se prélasser dans la lueur d’un moment exaltant. C’était la preuve que Ryoma Mikoshiba s’adaptait à ce monde.

Mais d’un autre côté, Ryoma avait l’impression qu’il y avait une partie de son cœur qui ne voulait tout simplement pas partir.

Qu’est-ce que je vais faire à partir de maintenant ?

Le plaisir et le néant étaient dos à dos. Avec ces deux émotions contradictoires dans le cœur, Ryoma commença à démembrer habilement sa proie.

Après avoir quitté Mireish, Ryoma et son groupe s’étaient dirigés vers le royaume de Myest, où Pherzaad, le plus grand port de commerce du continent occidental, attendait.

Selon le livre qu’ils avaient emprunté à Annamaria, Ryoma avait appris que la possibilité qu’il avait de retourner au Japon était essentiellement proche de zéro. Il avait donc décidé d’abandonner l’idée de trouver un moyen de revenir chez lui, il se concentra plutôt sur sa survie dans ce monde.

Aucun pleur ne changerait la situation, et une fois qu’il s’en était rendu compte, le cœur de Ryoma avait subi un grand changement. Ce changement avait été profondément influencé par la grande dévotion et l’affection des sœurs Malfist pour Ryoma.

Pourtant, s’il vivait dans ce monde, il aurait besoin d’un but ou d’un objectif. S’il était un héros appelé à sauver le monde, les choses seraient plus simples et son objectif serait rendu évident assez tôt. Mais en l’état, Ryoma n’avait aucune raison d’en parler.

Bien sûr, même si l’environnement dans lequel il vivait avant d’être appelé sur cette Terre était un peu inhabituel, il avait une vie de lycéen assez normale, et il avait naturellement des rêves et des aspirations comme tout le monde.

Mais ces aspirations se limitaient au cadre de vie au Japon, et dans cette Terre, inférieure au Japon en termes de développement culturel et sociétal, ce n’était que des rêves irréalisables.

S’il devait penser à un seul but, ce serait de se venger de l’empire d’O’ltormea, qui l’avait convoqué sur cette Terre. Mais il avait déjà tué celui qui l’avait convoqué directement, Gaius, et n’avait pas le pouvoir de se venger du pays lui-même. Et même si, sur le plan individuel, il tuait l’empereur, il ne tuerait pas le système qui faisait fonctionner cet empire.

Notes

 

***

Partie 2

Il rassembla donc ses forces pour le jour où il serait capable de se venger. Il n’avait pas abandonné son rêve de retourner au Japon, mais vivre pour rien d’autre que la vengeance lui semblait trop stérile. Si la vengeance était la seule raison pour laquelle on vivait, on finirait par se transformer en rien d’autre qu’un démon.

C’est ainsi que Ryoma parcourut le continent, gagnant de l’argent en répondant aux demandes de la guilde. Il pensait qu’en voyant de ses propres yeux de nombreux endroits et en acquérant de l’expérience, il trouverait et gagnerait quelque chose.

Bien sûr, il y avait d’autres options qu’il pouvait prendre. Dans le compte bancaire de Ryoma dormait une somme d’argent qu’une personne ordinaire dans ce monde ne serait pas en mesure de gagner dans une vie. Cela dit, Ryoma n’avait pas l’intention de récupérer l’argent qu’il avait gagné auprès du marchand d’esclaves Azoth. C’était une grosse fortune, assez pour qu’il passe le reste de sa vie sans avoir à travailler.

Même dans un monde avec autant de guerre et de conflits, le pouvoir de l’argent était resté aussi puissant que jamais. L’argent n’avait peut-être pas été en mesure de tout acheter, mais il avait permis de forcer les volontés dans la plupart des domaines. S’il l’avait souhaité, s’installer dans une ville sûre et vivre une vie confortable et extravagante était parfaitement possible.

Mais ça ne donnerait aucun sens à sa vie. Ryoma avait une envie au fond de son cœur… Un but à atteindre dans ce monde…

La ville commerciale était entourée de murs solides. Dans l’est de la ville se trouvait le plus grand port du continent occidental, où circulaient non seulement des marchandises en provenance de tout le continent, mais aussi des marchandises importées des continents oriental et central.

Les gens se promenaient dans les rues, qui étaient bordées des deux côtés de bâtiments en pierre. La ville commerçante de Pherzaad était une ville vivante et animée.

« Allons d’abord au magasin d’occasion. »

« S’arrêter à la guilde pour valider nos demandes serait plus efficace. »

Le trio marchait dans la rue principale, leurs grands sacs sur leurs épaules. Ils étaient remplis de crocs, de griffes, de peau, de chair et de fluides corporels de monstres, qui étaient utiles pour produire des aliments, des médicaments, des armes et des outils.

Dans de nombreux domaines, les nations développées du monde de Ryoma étaient beaucoup plus avancées et plus riches que ce monde, mais cette Terre n’était pas inférieure au monde de Ryoma en tous points. L’existence de monstres, qui n’étaient que des produits de la fantaisie et de l’imagination dans le monde de Ryoma, était un facteur majeur à cet égard. Les nombreux objets que l’on pouvait produire à partir de leur corps produisaient parfois des effets beaucoup plus avancés que tout ce que Ryoma n’avait jamais vu. Si les monstres étaient des ravageurs qui menaçaient la vie des gens, ils étaient aussi une ressource irremplaçable et unique au monde.

« Laura… Le temps imparti pour nos demandes de guilde ne se finit pas demain. On ne peut pas se débarrasser de la marchandise récoltée, déjeuner une fois qu’on s’est allégé et le faire ensuite? »

Ils avaient pris soin de choisir des choses qui ne seraient pas trop encombrantes, mais qui rapporteraient quand même un prix décent. Cependant, étant donné la quantité, chaque sac pesait un peu plus de quarante kilogrammes. Les fluides corporels de la grande mante étaient particulièrement précieux et devraient être traités rapidement par un expert, faute de quoi leur qualité pourrait se dégrader.

Parmi les matériaux que l’on pouvait récolter dans la forêt près de Pherzaad, les grands fluides corporels de la mante, qui servaient d’ingrédient clé pour une médecine extrêmement efficace contre les blessures externes, étaient parmi les plus précieux, et étaient constamment dans un état où l’offre ne suffisait pas à la demande. En tant que tel, il s’était vendu pour une jolie somme.

De plus, la demande de la guilde de cueillette d’herbes médicinales qu’ils avaient reçue n’était pas une tâche qui se finissait aujourd’hui, mais il était plus sage de le signaler le plus tôt possible. On ne savait pas quand quelque chose d’inhabituel pouvait arriver.

« Vraiment ? J’ai pensé qu’il valait mieux le signaler maintenant, plutôt que de l’oublier et de paniquer plus tard. De cette façon, nous pourrions nous détendre à l’auberge sans avoir à nous inquiéter de rien… Qu’en dis-tu, Maître Ryoma ? »

Les regards des sœurs Malfist se fixaient sur le dos de Ryoma, qui marchait à l’avant. En ce qui les concernait, les deux choix étaient discutables. Ce qui importait, c’était l’opinion de leur maître. Pourtant, chacun de leurs regards était rempli d’expectatives, elles espéraient que Ryoma choisirait sa propre suggestion plutôt que celle de l’autre.

« Eh bien, voyons voir… J’aimerais bien pour une fois me détendre à l’auberge, mais oublier de signaler nos quêtes ne serait pas une bonne chose… On pourrait se séparer, finir le travail et retourner à l’auberge pour prendre un bain. Je préfère ne pas chercher d’endroit où manger quand je sens comme ça. »

Les sœurs se réjouirent des paroles de Ryoma. Après plusieurs jours de chasse, leurs sacs étaient pleins de matériel qu’ils avaient tiré de la forêt. Se promener en ville avec ces sacs était épuisant, et après avoir passé des jours dans la nature sauvage, ils n’avaient naturellement eu aucune chance de se baigner. Le mieux qu’ils pouvaient faire était de s’essuyer avec un chiffon mouillé. C’était, bien sûr, plus un problème pour les sœurs, étant donné que c’était de jeunes femmes, mais c’était malheureusement une partie inévitable de la vie de mercenaire et d’aventurière.

Ryoma se rendit compte de toutes ces circonstances après avoir voyagé avec elles pendant plusieurs mois. Et le fait de voir leur maître leur montrer de la considération désinvolte fit sourire les sœurs Malfist de bonheur.

« Donne-moi ton sac, Laura. Tu vas signaler nos demandes à la guilde. Sara et moi allons nous débarrasser de ces trucs. »

« Comme tu le veux. »

L’expression de Laura était un peu déçue, mais elle réalisa que la suggestion de Ryoma était la plus efficace.

Ne pas être avec Maître Ryoma est une honte, mais… Je suppose que c’est pour le mieux.

Et voyant les choses sous un autre angle, il lui avait permis de s’en sortir seul parce qu’il lui faisait plus confiance qu’à sa petite sœur.

« Dans ce cas, pendant que je ferai rapport de nos demandes, je vérifierai aussi les demandes prometteuses que nous pourrions entreprendre. »

« Oui, fais donc ça. Peut-être qu’on pourra décider quels boulots prendre après le déjeuner. »

Avant de quitter Mireish, tous les trois s’étaient inscrits dans la guilde comme membres d’une escouade. Cela avait permis à chacun d’entre eux d’accepter et de signaler les demandes au nom de toute l’équipe, ce qui avait permis d’économiser beaucoup de temps et d’efforts.

« Dans ce cas, je vous verrai tous les deux plus tard. »

Laura inclina légèrement la tête et disparut en direction de la guilde.

« Très bien. Allons donc encaisser tout ça. »

Ryoma poussa Sara vers l’avant et partit avec deux sacs sur les épaules.

« C’est vrai, donc ça fait dix brins d’herbe de clair de lune. Donnez-moi un moment, s’il vous plaît. »

« Merci. »

La réceptionniste de la guilde confirma le contenu du petit sac que Laura mit sur la table, puis sourit.

« Super ! On en manquait, alors c’est d’une grande aide. En fait, c’est devenu un peu problématique, puisque la plupart des gens évitent la forêt du Nord récemment. Même les aventuriers de niveau intermédiaire hésitent à y aller. »

L’herbe de clair de lune était une herbe médicinale cruciale pour le perfectionnement de la médecine, mais elle était difficile à conserver pendant longtemps et ne pouvait être cultivée artificiellement. Pour cette raison, il faudrait la cueillir périodiquement dans des endroits où elle poussait naturellement.

Elle avait des pétales bleu clair très caractéristiques, ce qui la rendait facile à identifier même pour un amateur, donc il n’était pas nécessaire d’être apothicaire pour les cueillir. Cependant, elles ne poussaient que dans les forêts, donc la seule façon de les ramasser était d’engager des aventuriers ou des mercenaires, car toute personne inexpérimentée errant dans la forêt ne servirait évidemment que de proie pour les monstres.

Non, même un aventurier de niveau intermédiaire pourrait se retrouver en difficulté. Les forêts étant le royaume des monstres de type insecte, qui étaient parmi les monstres les plus redoutables. Le potentiel de combat d’un monstre de type insecte, qui ne ressentait aucune douleur et contre-attaquait sans relâche, ne devait pas être sous-estimé.

De plus, les insectes avaient tendance à vivre en grands groupes. Étant donné que la taille de chaque individu était différente de celle du monde de Ryoma, ils n’étaient pas composés de dizaines de milliers d’individus, mais ils s’étaient tout de même révélés être une menace très menaçante.

Les zones proches de la route n’étaient pas aussi dangereuses grâce à la protection des piliers de la barrière, mais plus les piliers allaient profondément, plus ils avançaient vers des territoires où l’homme était l’espèce la plus faible. Les profondeurs de la forêt étaient tout simplement aussi dangereuses.

En fait, même Pherzaad, la plus grande ville commerciale du royaume de Myest, manquait de gens capables de remplir cette demande, il était difficile de trouver ceux qui étaient capables de l’accepter, même pour la guilde.

« Vraiment ? »

Laura avait incliné la tête vers la réceptionniste.

« Je n’ai pas eu l’impression que c’était si dangereux. »

Il y avait certainement un danger, ce qui était évident étant donné que de nombreux monstres, dont la grande mante, rôdaient à l’affût. Mais d’un autre côté, ils n’avaient jamais rencontré de monstres contre lesquels ils étaient sûrs qu’ils ne seraient pas capables de le battre.

Même la grande mante, détestée par beaucoup d’aventuriers avec sa vitalité d’insecte terrifiante et ses deux faux tranchantes, était certainement une menace, mais pendant cette seule visite dans la forêt, Ryoma et son groupe en avaient vaincu au moins dix.

« Cela montre à quel point vous êtes tous doués, Mlle Laura. L’herbe de clair de lune ne pousse que dans les profondeurs de la forêt, donc vos compétences en reconnaissance doivent être impressionnantes… Oh, voici votre récompense. N’oubliez pas de vérifier. »

Alors que la réceptionniste remettait à Laura sa carte et le sac contenant leur paiement, elle la regardait avec inquiétude. Apparemment, elle pensait que Laura et son groupe avaient ramassé l’herbe en évitant de se battre contre les monstres.

Certes, Laura était encore une novice en termes de grade, elle ne pouvait donc pas s’imaginer battre une grande mante, contre laquelle même des guerriers chevronnés se battaient. Et Ryoma prit tout le matériel qu’ils ramassèrent des monstres de la forêt du nord pour le convertir en argent dans l’épicerie générale, car ils n’acceptaient aucune quête de livraison de la guilde.

« Merci. »

Laura hocha la tête après avoir vérifié le contenu du sac.

« Tout semble en ordre. »

« Mais ne forcez pas trop. Votre groupe n’est encore qu’un groupe de débutants, et il y a beaucoup de demandes plus faciles que vous pourriez prendre, donc je pense que ce serait mieux si vous vous concentriez sur l’augmentation de votre rang pour le moment. »

« Oui, je consulterai les autres sur l’élévation de notre rang… Mais ce sera tout pour aujourd’hui. Je reviendrai. »

Répondant à l’inquiétude innocente de la réceptionniste par une réponse vague, Laura prit le sac contenant leur récompense et tourna son regard vers le panneau de demande. Elle avait cherché autour d’elle toutes les demandes qui lui semblaient utiles, mais c’était tout ce que Ryoma ne pouvait pas faire.

Cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait aucune demande qu’ils pouvaient accepter, bien sûr, mais il s’agissait toutes de tâches fastidieuses ou rébarbatives qui ne valaient pas leur salaire.

Je pense qu’élever notre rang pourrait être une bonne idée à ce stade…

Laura elle-même pensait qu’élever leur rang ne serait pas du tout mauvais, mais Ryoma semblait montrer peu d’intérêt à élever son rang. Il n’avait rien dit de tel directement, mais elle s’en était rendu compte naturellement en voyant quelles demandes il acceptait.

C’est comme s’il ne voulait pas se faire un nom…

C’était effectivement le cas. Il avait accepté la demande de cueillette de l’herbe de clair de lune, mais aucune demande d’assujettissement pour les monstres en chemin dans ou hors de la forêt. Bien sûr, le bas rang de Ryoma signifiait qu’il ne pouvait pas accepter beaucoup de demandes d’assujettissement, mais il y en avait certaines qu’il pouvait accepter. Malgré cela, la seule demande qu’il avait reçue était celle de livrer de l’herbe de clair de lune.

C’était une façon manifestement inefficace de prendre les demandes, et franchement, Ryoma pouvait augmenter son rang quand il le voulait. Même sans avoir encore eu accès à la magie, Ryoma avait assez de force et de prévoyance tactique pour vaincre une grande mante.

***

Partie 3

Mais quand même, pour des raisons sans rapport avec leur force réelle, ils étaient encore tous les trois à un niveau novice.

Peut-être qu’il a quelque chose en tête… Ou peut-être s’inquiète-t-il encore des poursuivants de l’empire d’O’ltormea ?

Un petit doute germa dans le cœur de Laura au sujet de Ryoma, mais il disparut presque immédiatement. Pour Laura, la vie de son maître avait la priorité sur tout.

« Oh. De l’herbe de clair de lune, je vois. Merci beaucoup. »

Alors que Laura se retournait pour retourner à l’auberge, un homme qui était assis sur une table derrière la réception et qui s’occupait de quelques papiers l’appela.

Il semblait avoir la trentaine, et ses cheveux dorés étaient soigneusement peignés, ce qui lui donnait un aspect raffiné. À en juger par ses vêtements bien ajustés, il semblait qu’il avait une sorte de haut rang dans la guilde.

« Laura Malfist, c’est ça ? »

L’homme le lui demanda sur un ton serein.

« En partenariat avec Ryoma Mikoshiba et Sara Malfist. Je ne me trompe pas, n’est-ce pas ? »

« C’est exact… Qui êtes-vous ? »

Ils avaient déjà utilisé la guilde de Pherzaad à quelques reprises et elle connaissait le visage des employés, mais elle n’avait jamais parlé à cette personne auparavant. Tout ce dont elle se souvenait, c’était qu’elle le voyait assis à son bureau, travaillant à travers une montagne de paperasse.

« Mes excuses. Je m’appelle Wallace Heinkel, le chef de guilde de cette ville. Puis-je avoir un peu de votre temps ? »

Comme l’homme appelé Wallace apparut soudainement devant elle et prétendait être le chef de la guilde, Laura ne put que hocher la tête.

Une dizaine de minutes plus tard, Wallace monta à son bureau au deuxième étage de la guilde.

« Qu’en pensez-vous ? »

En regardant par la fenêtre, Wallace parla à l’homme qui se tenait à côté de lui.

« Je pense que la fille correspond à tous les critères que vous cherchiez. »

Les deux regardaient Laura marcher vers l’auberge comme des marchands en train d’évaluer une marchandise.

« Oui… Ses cheveux argentés attirent l’attention et son âge est à peu près le même. Mais je suis curieux. Comment l’avez-vous fait accepter ? »

Celui qui avait répondu à la question de Wallace était un jeune homme aux cheveux noirs, qui était attaché à l’arrière de sa tête. Son corps était mince, mais tonique à la suite d’un dur entraînement, la lueur dans ses yeux donnait une froide impression à tous ceux qui posaient les yeux sur lui. Il avait l’air d’avoir une trentaine d’années.

Il était vêtu d’une armure épaisse qui lui donnait l’apparence d’un chevalier, et la conception élaborée de son épée montrait clairement qu’il était en fait un chevalier de grande classe. Son visage, cependant, ne donnait pas l’impression que cette personne se battait honnêtement et loyalement. Au contraire, il avait l’air d’être du genre à faire des intrigues dans l’ombre.

« Ses camarades sont encore des novices de bas rang. Disons qu’ils ne comprennent pas les règles de la guilde. »

Wallace répondit à la question de l’homme avec un ton clair, se tapotant sur la poitrine.

Il n’y avait que dix ans qu’il avait hérité de la place de son père comme chef de guilde, et à en juger par son expérience, il ne croyait pas que Laura et son groupe avaient une bonne connaissance des règlements de la guilde, et même s’ils les lisaient attentivement, il était convaincu que sa position comme chef de guilde serait suffisante pour la convaincre.

« Alors vous l’avez piégée pour qu’elle accepte… Compris. Alors je vous laisse vous en occuper. Si personne d’autre qu’elle ne correspond, nous n’avons pas le loisir de choisir. »

« Je m’occupe de tout. Ne vous inquiétez pas, je travaillerai en fonction de la somme qui m’a été versée. »

Au moment où il l’avait dit, le visage de Wallace se teinta d’avidité. C’était une expression qu’il ne voulait pas que les autres voient.

« Oui, je compte sur vous. Laissez-moi vous donner un avertissement, par précaution. »

Le regard froid de l’homme aux cheveux noirs poignarda Wallace comme un pieu.

« Ne tâtonnez pas. Le duc n’est pas tolérant envers ceux qui échouent. Si vous tenez à votre vie et à celle de votre famille, faites ce que l’on vous ordonnera. »

Le fait qu’il ait mêlé la famille de l’autre homme dans sa menace remettait en question l’humanité de l’homme aux cheveux noirs. C’était le genre de menace que la mafia ou les yakuza faisaient.

« Croyez-vous vraiment que j’échouerais dans un boulot aussi simple ? Je ne peux pas m’empêcher d’avoir l’impression qu’on me regarde de haut. »

Wallace secoua la tête, comme s’il s’était vexé.

S’il était du genre à se dérober à ce genre de menace, il n’aurait pas duré comme chef de guilde.

« Alors tout va bien, tant que vous ne trahissez pas nos attentes. Les préparatifs sont déjà terminés de mon côté, et le reste dépend de vos efforts. Vous vous souvenez de l’arrangement, pas vrai ? »

« Bien sûr. J’aurai juste besoin d’un peu plus de temps. »

« Très bien. Je vais rentrer dans mon pays, maintenant. »

L’homme aux cheveux noirs interrompit la conversation de lui-même, comme pour dire que ses affaires avec Wallace étaient terminées, et ouvrit la porte pour partir. Wallace vit son dos disparaître, tout en gardant la tête baissée respectueusement jusqu’à ce qu’il parte.

Corruption.

Quelle somme faudrait-il payer pour que le chef de la guilde, qui, du moins en apparence, se prétendait totalement neutre, soit à la hauteur de leurs besoins ? L’attitude de Wallace, en dépit de sa position de chef de guilde et du fait qu’il était l’une des personnes les plus influentes à Pherzaad avaient eu des implications inquiétantes quant à la quantité d’argent qui était distribuée.

Cela dit, l’argent pouvait bien acheter une subordination superficielle, mais pas le cœur honnête d’un autre. C’était une vérité qui ne changeait pas, même dans ce monde.

« Idiot… Lancer de telles menaces quand tu n’es qu’un chien de traître. »

Le regard toujours fixé au sol, de petits mots de mépris s’échappèrent des lèvres de Wallace.

« Mais qu’il en soit ainsi. Je ferai le travail pour le prix qu’on m’a donné. »

« Une demande obligatoire ? », demanda Ryoma à Laura, mordant dans la viande qu’il avait prise avec sa fourchette.

Il était un peu plus d’une heure de l’après-midi, et comme l’heure habituelle du déjeuner était dépassée, la salle à manger que Ryoma et son groupe occupaient était assez vide.

« Oui. C’est effectivement le cas. »

Laura hocha la tête.

Elles utilisaient de l’huile parfumée dans leurs cheveux lorsqu’elles se baignaient dans l’auberge. Un parfum fleuri jaillissait des corps des sœurs Malfist.

« Une demande obligatoire, hein… Un système dans lequel le maître de la guilde ou des officiers supérieurs spécifient un aventurier ou un mercenaire spécifique, et les obligent à remplir une demande de force… Je pense que c’est comme ça que ça se passe. »

Ryoma continuait à parler, s’efforçant de se rappeler le contenu du livret qu’il avait lu une fois auparavant.

« Mais c’est réservé aux mercenaires et aux aventuriers de haut rang. Du moins, c’est ce que dit le livret. Es-tu sûre que ce Wallace est le chef de la guilde, et que c’est lui qui nous a dit de venir à la guilde demain ? »

Laura acquiesça silencieusement à la question de Ryoma. Elle ne connaissait pas bien les détails elle-même. Ce qu’elle savait, c’est qu’au moment de partir pour l’auberge, un homme nommé Wallace Heinkel s’était approché d’elle en prétendant être le chef de guilde, et lui demanda de s’assurer qu’ils viendraient tous les trois à la guilde le lendemain matin.

« Mais c’est étrange que le chef de guilde nous appelle. La guilde connaît notre rang. », dit Sarah, tout en posant un doigt sur son menton et en inclinant la tête.

« Il a dit qu’il m’expliquerait tout, y compris ce qui compte, demain. »

Les deux regards étaient fixés sur Ryoma. Honnêtement, Laura n’était pas contente d’avoir à accepter ça. En ce qui la concernait, elle leur avait simplement dit ce qu’on lui avait demandé de dire, et cela se voyait dans son comportement. Sara était aussi peu enthousiaste que sa sœur.

Les demandes obligatoires sont des demandes que ne peuvent pas être refusées et ne sont généralement présentées qu’en cas d’urgence. Si le cas n’est pas une urgence, il peut attendre qu’une personne plus appropriée soit disponible. S’ils avaient besoin de quelqu’un en particulier pour le travail, cela signifiait que, quelle que soit la tâche à accomplir, elle était si ennuyeuse ou dangereuse que personne ne la prenait pas de son plein gré.

Même si Ryoma acceptait la demande de Wallace, il était peu probable qu’elle aboutisse à un résultat satisfaisant pour eux. Ryoma n’avait pas l’intention de sous-estimer son pouvoir, mais une confiance excessive l’amènerait à sa perte.

« Nous ferions mieux de refuser cette demande… En supposant qu’on le puisse. »

C’était les sentiments honnêtes de Ryoma. Il ne cherchait pas à obtenir de l’argent, alors il n’était pas obligé d’accepter n’importe quelle demande qu’il trouvait. Il n’était pas nécessaire d’accepter des demandes qui ne seraient pas payantes et, surtout, il y avait quelque chose qui clochait dans tout cela.

D’un autre côté, Ryoma avait eu le sentiment que refuser la demande n’était pas une option. Voyant le regard de Ryoma, Laura poussa un soupir et prit la parole.

« Je voulais vraiment la refuser… Mais apparemment, si nous n’acceptons pas, nos enregistrements de guilde pourraient être révoqués… »

« Alors il t’a menacée. »

« Il n’a rien dit de flagrant, mais ce qu’il a dit signifiait à peu près la même chose. »

En entendant les paroles de Laura, Ryoma fit une grimace et leva les yeux en l’air. Dans son esprit, il avait pesé le pour et le contre de la situation.

Pour commencer, je n’aime pas le fait qu’il ait menacé Laura. Et la partie sur la révocation de nos enregistrements, un chef de guilde peut-il vraiment exercer son autorité aussi facilement ? Il a certainement ce genre d’autorité, mais il ne devrait pas pouvoir les révoquer unilatéralement comme ça.

En ce qui concerne les sentiments individuels de Ryoma à ce sujet, ça avait l’air horrible. Ryoma ne détestait rien de plus que les gens hauts gradés qui jetaient le travail sur le dos des autres.

Et il avait des doutes sur la validité de la menace elle-même. Même si c’était le chef de la guilde, Ryoma n’était pas certain qu’il avait l’autorité d’effacer leurs enregistrements comme ça. Mais d’un autre côté, la partie de lui qui voulait rester du bon côté avait donné une autre réponse.

Mais il y a toujours la possibilité qu’il ne bluffe pas… Je n’ai rien d’autre pour prouver mon identité dans ce monde que ceci. L’argent que j’ai reçu d’Azoth est toujours intact, et j’ai gagné beaucoup d’argent en chassant. Si j’utilise cet argent, je pourrai peut-être m’acheter un statut de citoyen… Non, je ne connais personne d’assez influent, donc ça ne marchera pas… Même si je quitte la guilde tôt ou tard, il y a toujours une certaine valeur à garder mon poste d’aventurier. Je suppose que je vais devoir fermer les yeux sur le fait qu’il nous force afin de rester dans la guilde, hein ?

Finalement, tout se résumait à savoir si Ryoma pensait aux gains potentiels et acceptait la proposition de Wallace, ou s’il croyait en son intuition que tout ceci semblait louche et suspect, tout en sachant ce que cela impliquerait. Et c’était à Ryoma seul qu’il appartenait de faire ce choix, car les sœurs Malfist se conformeraient à son choix, peu importe lequel c’était.

Après y avoir réfléchi longuement, Ryoma avait finalement décidé de parler.

« Allons-y au moins demain… On peut l’écouter, et si c’est une demande trop importante, on peut reconsidérer les choses. »

Devant la décision de Ryoma, les sœurs hochèrent la tête sans dire un mot.

***

Partie 4

Le lendemain, Ryoma et les sœurs entrèrent dans la guilde de Pherzaad, équipées d’un nouvel équipement. C’était juste avant midi. Ils s’étaient approchés d’un jeune commis et, après les avoir informés de leur affaire, il les avait immédiatement fait entrer et leur avait demandé de se rendre au deuxième étage, où se trouvait le bureau du chef de guilde.

« Wôw, on dirait que beaucoup d’argent a été investi dans cette pièce… »

Un petit murmure échappa aux lèvres de Ryoma.

La table en ébène sans tache et ornée d’ornements était placée près de la fenêtre. Elle avait évidemment été fabriquée par un artisan, c’était un juste équilibre entre l’utile et l’art. La moquette posée sur le sol donnait une impression tout aussi raffinée.

La salle était également pleine d’objets qui donnaient l’impression prononcée d’une autre culture, probablement importée d’autres continents. Même l’étagère, remplie comme elle l’était de livres, avait été fabriquée par un artisan qualifié et avait le genre de qualité que même un amateur reconnaîtrait. Même le canapé en cuir destiné aux visiteurs était recouvert d’une magnifique housse de dentelle tissée de soie.

Un coup d’œil au bureau vide donna à Ryoma l’illusion qu’il venait d’entrer dans le domaine d’un grand noble ou d’un multimillionnaire. Avec le pouvoir d’un homme qui avait atteint le poste de chef de guilde mis à nu devant lui, Ryoma ne put que claquer la langue.

« Je m’excuse pour l’attente. Asseyez-vous sur le canapé là-bas. »

Tandis que le groupe de Ryoma se tenait immobile à l’entrée de la salle, ils pouvaient entendre la voix détendue d’un homme qui leur parlait, accompagnée par le bruit de l’ouverture de la porte.

« Merci d’être venu aujourd’hui. »

Voyant Ryoma et les sœurs s’asseoir sur le canapé, Wallace commença par saluer poliment sa tête.

Le chef de guilde d’une grande ville inclinait la tête devant des aventuriers de bas niveau. Ce n’était pas une scène qui devrait normalement avoir lieu.

Ce type…

À en juger par l’attitude de Wallace, le cœur de Ryoma s’était par prudence endurci. À première vue, son attitude semblait être le summum de la courtoisie intelligente, et quiconque regarderait cette scène sans aucun contexte considérerait sûrement Wallace comme une personne intègre.

Cependant, si l’attitude de Wallace à l’heure actuelle était sincère, pourquoi a-t-il laissé entendre à Laura qu’il pourrait faire révoquer leurs inscriptions ?

« Pas du tout. J’ai entendu dire que vous aviez une demande pour nous ? » demanda Ryoma, gardant ses vrais sentiments cachés.

« En fait, je ne sais pas trop comment répondre à une demande venant directement du chef de guilde. »

Choisissant ses mots avec soin afin de ne pas s’engager trop tôt, Ryoma s’interrogea sur ses intentions.

« Oui, c’est vrai. Il y a une question qui me pose un peu problème… J’apprécierais votre coopération pour résoudre cette affaire. »

C’est ce qu’avait dit Wallace, il commença ensuite son explication…

Des flèches tirées de derrière eux glissèrent dans le vent. Ryoma tenait la porte du carrosse qu’il avait arrachée de ses charnières au-dessus de sa tête comme un bouclier. La sensation des flèches perçant le bois résonnait à travers la porte et dans ses mains.

« Je m’en fous si ça tue les chevaux, ne perds pas de vitesse ! »

La route était assez bien entretenue, mais comme le châssis du chariot n’avait pas de système de suspension, il tremblait et vibrait violemment. Ryoma maintenait désespérément sa posture, protégeant le corps de Sarah du déluge de flèches qui s’envolaient.

Mais bien sûr, une seule porte ne pouvait pas bloquer d’innombrables flèches. Une flèche frôla le lobe gauche de l’oreille gauche de Ryoma et frappa le chariot. Des gouttes de sang rouge coulèrent sur le plancher. Ryoma s’essuya le visage, agacé.

« Maître Ryoma ! »

« C’est bon ! Tais-toi et concentre-toi sur les chevaux ! »

En criant après Sara, qui éleva la voix à la vue de son lobe d’oreille saignant, Ryoma se concentra à nouveau sur le blocage de la pluie de flèches.

Il n’avait aucune expérience de l’équitation ou de la conduite d’un carrosse, et Sara, qui était maintenant assise à la place du conducteur, était donc la bouée de sauvetage de Ryoma. Le fait qu’elle tenait les rênes était leur seul moyen de survie à l’heure actuelle. Bien que ces paroles aient été prononcées parce qu’elle s’inquiétait sincèrement pour lui, elles n’avaient pour l’instant aucun sens pour lui. On n’avait pas besoin d’une imagination trop active pour imaginer le destin qui les attendrait si cette voiture en fuite perdait le contrôle.

Le carrosse, tiré par quatre chevaux, était teinté en noir. Il était aussi actuellement percé d’innombrables flèches comme un coussin à épingles. Si Ryoma n’avait besoin que de protéger sa propre personne, il aurait pu facilement se réfugier à l’intérieur du compartiment en bois couvert, mais la situation ne le permettait pas. La trajectoire des flèches par-derrière avait pris une courbe parabolique au-dessus du compartiment et prenait la direction du siège du conducteur. Comme Ryoma ne savait pas comment gérer les chevaux, tout ce qu’il pouvait faire était de protéger Sara.

« Putain de merde ! Ils sont toujours après nous ! »

Ryoma cracha amèrement, regardant le nuage de poussière derrière eux.

Combien de temps s’était écoulé depuis que ce jeu mortel avait débuté ? Si ceux qui les poursuivaient étaient des bandits qui étaient là pour l’argent, ils auraient poursuivi les chariots qu’ils avaient attaqués dans l’embuscade, et s’ils essayaient simplement de les faire taire pour cacher le fait que le raid s’était produit, ils poursuivraient Ryoma de façon très persistante. Ils avaient presque eu l’impression que cette attaque avait pour but de tuer Ryoma…

« Maître Ryoma, je pense que c’est vraiment… »

Le regard de Sara semblait convaincu.

Ryoma hocha seulement la tête sans dire un mot. C’était une bonne chose qu’ils aient envisagé cette possibilité et planifié en conséquence.

« Ce fils de pute de Wallace nous a tirés dessus… Mais ce n’est pas le moment de s’attarder là-dessus… »

Étouffant la colère qui jaillissait dans son cœur, Ryoma gardait les yeux fixés devant lui.

« Sara ! On devrait être près de l’endroit où Laura se cache. Ne manque pas le signal, quoi qu’il arrive ! »

« Oui ! »

Sara s’accrocha aux rênes des chevaux en furie, les fouettant pour aller de l’avant.

Bloquant désespérément la pluie de flèches avec son bouclier en bois, la conversation qu’ils avaient eue dans le camp ce soir-là, il y a sept jours, lui avait traversé l’esprit.

Ce jour-là, une caravane commerciale était partie de Pherzaad pour se rendre directement à Pireas, la capitale du royaume de Rhoadseria.

Rhoadseria se trouvait entre Xarooda, le royaume connu comme la terre de fer qui était protégée par des montagnes escarpées, et Myest, qui comprenait plusieurs des plus grands ports maritimes du continent, dont Pherzaad. La plus grande partie du pays était constituée de plaines, et la rivière Thèbes la bénissait d’une eau abondante qui permettait une vaste agriculture. Cette agriculture était l’industrie principale du pays, ce qui en faisait l’un des pays les plus riches du continent occidental, juste derrière Myest et ses ports.

Le contenu de la demande obligatoire adressée à Ryoma et à son groupe par Wallace était l’escorte et la protection d’une caravane commerciale se dirigeant vers l’un des trois grands pays orientaux, Rhoadseria. Ryoma avait accepté à contrecœur la demande après avoir entendu dire qu’ils seraient rejoints par des mercenaires qui s’étaient joints à eux pour de l’argent. Mais il y avait beaucoup d’aspects anormaux dans ce travail dès le début.

Pour commencer, ils étaient rassemblés comme gardes pour la caravane, mais la voiture dans laquelle Ryoma et son groupe devaient dormir était un carrosse décoré avec une verrière. C’était un véhicule magnifique qui était assez convenable pour transporter la royauté et la noblesse, et pas du tout quelque chose que les aventuriers et les mercenaires utiliseraient.

Le point de suspicion suivant était que, alors qu’il s’agissait soi-disant d’une caravane commerciale, tous les chariots étaient complètement vides. Si certains d’entre eux étaient vides pour servir de leurres, ce serait compréhensible, mais tout cela n’avait guère de sens. Puisqu’il devait quitter un grand port de commerce comme Pherzaad, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait beaucoup de marchandises en stock, et compte tenu de l’efficacité des marchands, il y avait peu de chances qu’ils sortent pour faire du commerce les mains vides.

Mais ces marchands étaient aussi très suspicieux. Ils avaient tous un corps très bien construit et raffiné, et leurs mains étaient parsemées de solides callosités. On n’aurait pas les mains comme ça sans tenir une épée tous les jours. Il était naturel que Ryoma se sente interrogateur après avoir salué le chef de la caravane avec une poignée de main. Certes, la vie sur cette Terre n’était pas aussi sûre que celle du Japon, mais ils semblaient beaucoup trop compétents pour utiliser des armes uniquement pour se défendre.

Je pense que ce serait une bonne idée de s’assurer que nous ayons des garanties avant que cela ne nous explose pas à la figure… De tous les gens qu’ils ont rassemblés, cette rouquine a l’air d’être la plus compréhensive.

L’image de l’un des mercenaires, que son groupe considérait comme son patron et sa sœur aînée, était apparue dans l’esprit de Ryoma.

Le premier jour de leur voyage terminé, les mercenaires qui avaient accepté le travail de protection de la caravane s’étaient assis en cercle autour du feu, discutant de choses. Le sujet principal était, bien sûr, ce qu’ils allaient faire à propos de cette caravane suspecte à l’avenir.

« J’ai été assez sceptique à ce sujet, moi-même… » dit Lione, le chef du groupe du Lion cramoisi, en secouant lentement la tête.

« Sinon, je n’ai jamais vu de caravane comme ça. »

C’était une mercenaire expérimentée, elle mesurait plus de 180 centimètres de haut et avait une peau brune et bronzée. Contrastant avec ses muscles souples et félins, elle avait aussi un buste proéminent, qui déclarait fièrement son statut de femme. Ses cheveux roux lui tombèrent au niveau des épaules et complimentaient ses yeux dorés, qui brûlaient d’une forte volonté. Dans l’ensemble, c’était une femme séduisante qui dégageait le charme d’une femme mature.

« Nous sommes dans le mercenariat depuis longtemps, mais c’est la première fois qu’on entend parler d’un truc comme ça. »

C’est ce qu’avait dit Boltz, un homme qui avait l’air d’avoir une trentaine d’années et qui avait les cheveux courts et noirs en brosse. Il servait comme officier d’état-major de Lione.

Son visage avait l’air plutôt dur, mais sa caractéristique la plus distinctive était son bras gauche manquant. Apparemment, il l’avait perdu lors d’une bataille précédente, mais d’après l’impression que Ryoma avait eue lors de leur première rencontre, il semblait avoir une personnalité assez simple.

« Nous avons déjà assuré la sécurité de caravanes, mais… »

Boltz avait servi comme mercenaire pendant encore plus longtemps que Lione, et s’il n’avait jamais rencontré ce genre de travail auparavant, c’était certainement suspect.

« Et qu’en penses-tu ? »

Lione se tourna vers Ryoma, qui l’écoutait tranquillement jusqu’à maintenant.

« Moi ? Je regrette honnêtement d’avoir accepté cette demande… », répondit Ryoma honnêtement.

Quelque chose s’était fait sentir dès le début, et apparemment, son intuition était correcte. Rétrospectivement, il aurait dû aller de l’avant avec son instinct et refuser, même si cela signifiait qu’ils seraient rayés de la liste des aventuriers. Ce regret se reflétait dans l’amertume mêlée à ses paroles.

Lione et Boltz hochèrent la tête à la réponse de Ryoma.

« On a pris ce boulot parce qu’il était bien payé, mais on dirait que c’est un fiasco… »

« Oui, on dirait qu’on s’est fourré notre nez dans quelque chose de louche. »

Ces deux-là, qui avaient été mercenaires pendant de nombreuses années, avaient dit que leur intuition les avertissait que quelque chose ne tournait pas rond. Mais il semblerait qu’il y avait des gens ici qui ne partageait pas ce sentiment.

« Mais sœurette, on a pris cette mission à la guilde. Ne crois-tu pas que cela te démange trop ? »

Un mercenaire exprima son objection suite aux paroles de Lione.

En entendant parler ce mercenaire, dont il ne connaissait pas le nom, l’expression de Ryoma se remplit de mépris.

Je suis surpris que ce type ait survécu si longtemps…

Cette Terre était un endroit où la mort était beaucoup plus fréquente que dans l’ancien monde de Ryoma. Lione semblait penser la même chose que Ryoma.

« As-tu des pierres pour cerveau ? Je suis surpris que tu puisses agir comme un mercenaire quand tu es si inconscient du danger. »

L’homme devint rouge quand Lione le regarda avec des yeux froids et méprisants tout en secouant la tête.

« Quoi… ! » a-t-il crié.

« Même toi, tu ne peux pas me parler comme ça, sœurette ! »

***

Partie 5

Même s’il n’avait aucun sens du danger, il avait apparemment assez la tête sur les épaules pour se rendre compte quand on se moquait de lui. Lione secoua la tête avec pitié devant le tempérament de l’homme, et les lèvres de Boltz se contorsionnèrent avec dédain.

« Tu es de rang B, n’est-ce pas ? Et bien sûr, tu as la force qui te permet de soutenir ce rang. Mais quand il s’agit de juger, ce garçon là-bas t’a battu. »

Les paroles de Lione incitèrent tous les mercenaires présents à tourner leur regard dans la direction de Ryoma.

« C’est peut-être moi qui t’ai appelé, mais c’est ce garçon qui a parlé le premier. »

Une secousse déferla sur les mercenaires.

« Hehe ! Recevoir des instructions d’un gamin comme ça ? Je suppose que c’est trop en demander pour Lione du Lion cramoisi ! »

L’homme cria, le visage rouge.

« Ce gamin est un novice ! Je ne sais pas à quoi pense le chef de guilde, pour envoyer un amateur comme lui pour s’occuper de la sécurité ! Qui se soucie de ce qu’un gosse sans expérience a à dire !? »

C’est vrai, Ryoma était la plus jeune personne présente. Il avait seize ans, mais son visage mature lui donnait l’air d’avoir une vingtaine d’années. Pourtant, tout le monde autour de lui était au moins dans la trentaine. Si son rang de guilde correspondait au leur, les choses seraient différentes, mais Ryoma était incontestablement encore un débutant, il était de rang E, et pour couronner le tout, puisqu’il n’avait pas encore gagné aucune magie, il était toujours au niveau 0.

C’était logique pour le mercenaire d’ouvrir la bouche devant Lione après qu’elle l’ait humilié, mais Lione n’allait pas non plus l’amener à ouvrir la bouche en s’asseyant. Pour les mercenaires, rien n’était plus important que la force et l’honneur. Quiconque reculerait devant quelqu’un qui le traiterait comme un imbécile ne survivrait pas en tant que mercenaire à l’avenir.

« Aaaah!? As-tu oublié à qui tu parles ici… ? »

Sa voix était calme.

Mais Ryoma ne pouvait voir cela que comme le calme avant la tempête, et apparemment les autres mercenaires ressentaient la même chose, car tous les applaudissements qui suivaient lorsqu’il avait couvert sa bouche plus tôt étaient morts. Un long silence s’était abattu sur l’endroit.

« Très bien. Je comprends ce que vous ressentez tous. »

Boltz, qui avait pensé que le moment était venu de rompre le silence, apaisa l’air tendu.

Aucun d’entre eux ne voulait vraiment contrarier le capitaine du Lion cramoisi, qui détenait le plus de pouvoir dans le groupe.

« Nous ne gagnerons rien de concret dans cette conversation de toute façon, alors que diriez-vous d’en arrêter là pour aujourd’hui ? »

Acceptant la suggestion de Boltz, les mercenaires s’étaient levés précipitamment. Lione n’avait pas non plus l’intention de se disputer avec eux plus longtemps, elle les regardait simplement battre en retraite.

« Eh bien, c’est vraiment une situation merdique… », murmura Lione.

Boltz et Ryoma acquiescèrent tous les deux à ses paroles.

Ils ne pouvaient pas faire grand-chose contre les mercenaires lourdauds, mais laisser leurs camarades mourir pour ça n’était pas non plus acceptable.

« On dirait qu’on a une jolie petite galerie de crétins rassemblés ici… » dit Boltz en soupirant.

Malgré le calme qu’il semblait avoir en surface, il semblerait que cet homme avait un certain mécontentement face à leur attitude

« Pas la peine de se vanter. »

Lione hocha la tête en entendant ses paroles.

« Si on ne pense pas à une contre-mesure au cas où les choses tournent mal, on aura des ennuis. »

Elle jeta alors un regard pénétrant dans la direction de Ryoma.

« Quels sont tes projets maintenant, mon garçon ? As-tu une idée brillante ? »

« Pour l’instant, je ne pense pas que nous puissions faire grand-chose d’autre que de nous concentrer sur notre travail. On ne peut pas rejeter la demande juste parce que les choses sont un peu suspectes. »

C’était une demande officielle qu’ils avaient acceptée de la guilde, et s’ils la rejetaient sans raison valable, la guilde leur imposerait de lourdes peines. Le sentiment que cette demande semblait suspecte ne serait pas considéré comme un motif valable pour démissionner d’une demande officielle.

« Oui, c’est logique. Mais garçon… S’il y a vraiment un piège dans cette demande, qu’est-ce que tu crois que ça pourrait être ? »

« Peut-être, nous utiliser comme appât pour attirer quelque chose ou quelqu’un. Dans ce cas, nous devrions probablement mettre en place un plan de retrait. »

Il n’avait aucune base pour cette théorie, mais le fait qu’ils soient là pour servir d’appât pour attirer les bandits semblait correspondre à tout ce qu’ils savaient. Ryoma répondit aux paroles de Lione par un profond soupir.

Ryoma savait très bien qu’il y avait quelque chose qui clochait dans cette demande. Mais tout ce qu’il pouvait faire, c’était d’obtenir le soutien de Lione et de faire un plan de secours comme assurance au cas où les choses tournent mal.

Quatre jours s’étaient écoulés depuis la rencontre avec les mercenaires, et ils n’avaient pas rencontré un seul problème pendant leur voyage. Pas un seul invité indésirable, bandit ou monstre, n’était descendu sur eux.

C’était vraiment un voyage sûr et paisible. Et bien sûr, s’il ne se passait rien, ce serait en soi une bonne chose. Il y eut quelques petits affrontements entre Ryoma et les autres mercenaires qui ne faisaient pas partie du groupe du Lion Cramoisi de Lione, mais ce n’étaient que des broutilles.

Mais Ryoma était convaincu. Les moments les plus calmes étaient ceux qui annonçaient l’arrivée d’une tempête…

Et l’après-midi du septième jour après leur départ de Pherzaad, la prémonition de Ryoma s’avéra exacte.

Une pluie de flèches tomba sur eux.

Cela s’était passé alors qu’ils traversèrent une forêt près de la frontière de Rhoadseria. Des flèches avaient soudainement été tirées depuis les arbres des deux côtés de la route.

« C’est quoi ce bordel !? »

« Embuscade ! »

« Qu’est-ce que vous faites !? Protégez les chevaux ! »

Tandis que les soldats élevaient la voix, paniqués, l’un des marchands sortit pour les gronder.

« Calmez-vous ! Ne cassez pas la formation ! »

Des avertissements quittèrent les lèvres des mercenaires qui montaient la garde autour des voitures. Il y avait dix voitures au total dans la caravane, les marchands étant assis aux sièges du conducteur. Les mercenaires les gardaient en montant à cheval à leurs côtés.

Même les mercenaires expérimentés étaient surpris d’être attaqués par surprise, mais Ryoma regardait les marchands avec méfiance, car ils semblaient donner des ordres calmement malgré le chaos qui les entourait.

« Tout le monde, calmez-vous ! Cachez-vous des flèches ! Utilisez des planches, des manteaux, tout ce que vous pouvez trouver ! Couvrez vos têtes et bloquez les flèches aussi longtemps que possible ! »

Leurs ordres étaient parfaits et précis. Mais, soumis à un tel barrage de flèches, une telle façon d’ordonner les autres était probablement idéale.

« Maître Ryoma ! »

« Oui. On dirait que ça se passe maintenant. Tout le monde, écoutez ! »

Contrairement aux autres mercenaires, la voix de Ryoma ne tremblait pas de surprise.

« Comme nous en avions convenu tout à l’heure, la protection des chevaux est une priorité absolue ! Ne vous occupez de rien d’autre. »

Ryoma avait déjà prédit que quelqu’un pourrait attaquer la caravane, mais il y avait encore des questions en suspens. À savoir, qui, quand et pourquoi ils avaient attaqué.

« Tu es prête, Sara ? Tout se joue maintenant. »

« Oui, je sais. Mais Laura… »

Ryoma hocha la tête silencieusement en entendant Sara. Ils avaient vérifié la carte à l’avance et avaient noté que cet endroit serait l’endroit le plus propice à une embuscade, alors ils avaient déjà mis en place des contre-mesures face à cette attaque hypothétique. Il ne restait plus qu’à mettre ce plan en œuvre.

« Ça va bien se passer. Nous pouvons faire confiance aux mercenaires que Lione a placés avec elle… »

Ryoma balança la lance dans sa main, abattant les flèches qui arrivaient.

« Le reste dépendra du temps qu’on pourra les garder à nos trousses… Merde, je savais que ça finirait comme ça ! »

La voiture sur laquelle Ryoma et Sara montaient recevait beaucoup plus de tirs de flèches que les autres. Pour preuve, il n’avait fallu que peu de temps pour que la voiture de Ryoma soit recouverte de flèches au point qu’elle ressemblait plus à un coussin à épingles. L’intention des agresseurs était donc claire.

« Maître Ryoma ! Prends ça ! »

Elle avait enlevé une partie du chariot pour servir de bouclier.

Ryoma claqua la langue, prenant la porte en bois qu’elle lui avait donnée pour protéger le siège du conducteur de l’agitation des flèches.

Je savais qu’il y avait quelque chose de louche, mais ils sont après nous. Ce qui veut dire que Wallace a mis ça en place… La question est de savoir qui l’a poussé à le faire…

Le candidat le plus évident était l’empire d’O’ltormea. Cela faisait plusieurs mois qu’il s’était débarrassé de la poursuite de la princesse Shardina, il ne serait donc pas surprenant qu’elle ait déjà agi de cette manière. Cependant, Ryoma décida d’arrêter de penser pour l’instant.

Suis-je stupide ou quoi… ? Je dois maintenant me concentrer sur le fait de rester en vie. Je peux laisser l’enquête pour plus tard.

Ce qui importait, c’était de survivre à cette situation…

Le déluge de flèches s’était finalement arrêté. En termes de temps, cela n’allait durer probablement que quelques dizaines de secondes, mais pour Ryoma, c’était comme si cela allait durer une éternité.

Sept mercenaires avaient été touchés et tués par la pluie de flèches. Une cinquantaine de mercenaires avaient été engagés pour garder la caravane, et environ un septième d’entre eux étaient mort dans la première vague. De plus, la plupart des chevaux attachés aux voitures avaient péri dans l’attaque. Les seuls chevaux indemnes étaient ceux de la voiture de Ryoma et ceux des mercenaires.

Ryoma jeta un regard rapide autour de lui. Sa voiture était juste au centre de la caravane, ce qui signifiait qu’il n’y avait nulle part où aller ni devant ni derrière.

« Sara, avance le carrosse ! »

Sur l’ordre de Ryoma, Sara serra les rênes et regarda la route en face.

« Je ne peux pas. Les autres chariots bloquent la route. »

La ligne avait quitté sa formation à cause de l’attaque. La route aurait dû être assez large pour s’adapter à la largeur du carrosse, mais les choses étaient différentes avec ces chariots qui bloquaient le passage. Le positionnement était étrange, presque comme si tout avait été mis en place pour piéger Ryoma.

Entendant la réponse de Sarah, Ryoma claqua sa langue et jeta son regard derrière eux. La route était aussi bloquée là-bas aussi.

« Garçon ! »

Lione s’approcha de lui et les membres de son groupe le suivirent.

Comme ils l’avaient un peu prédit, le groupe de Lione n’avait subi aucune perte. Ils s’en étaient tous sortis avec des blessures mineures. Les mercenaires qui étaient morts sont ceux qui n’avaient pas pris les paroles de Ryoma au sérieux.

Tout d’un coup, des cris de guerre éclatèrent par-derrière.

« Les voilà qui arrivent… »

Les flèches étaient destinées à les clouer tandis qu’un autre groupe descendait en piqué pour les attaquer. Une tactique sûre et fiable qui restait fidèle à l’essentiel. S’ils n’avaient pas vu venir l’attaque, Ryoma et son groupe auraient certainement été tués à ce moment-là. Le raid était aussi méticuleusement planifié.

« Garçon ! » s’exclama Lione avec irritation en entendant Ryoma marmonner pour lui-même.

« Lione… Tiens-t’en au plan. »

Il lança un regard aussi aiguisé qu’une lame sur elle.

Il ne restait plus une trace de son visage habituel et agréable. Lione hocha la tête, comme submergée par les paroles inébranlables de Ryoma. Ils s’étaient déjà mis d’accord sur ce qu’il fallait faire si leur chemin de fuite était coupé.

« Je sais. On va faire sauter les chariots devant nous afin d’ouvrir un chemin ! »

Ignorant les protestations des mercenaires autour d’elle, Lione ordonna à l’un des membres de son groupe d’avancer et de détruire leur obstacle.

« Sœur… Tu es sérieuse ? Vas-tu vraiment abandonner les marchands ? »

Tandis que son subordonné la regardait d’un air effrayé et accroché, Lione lui répondit avec des yeux froids.

« Arrête de jacasser et fais-le ! Si tu n’aimes pas mes ordres, tu peux rester ici et mourir, crois-tu que je n’ai que ça à faire ! »

« Ah… Sœur… »

« Je ne te dis pas de me croire ! Mais si tu veux vivre, fais ce que je te dis ! »

Lione avait fait taire les autres mercenaires avec ses cris.

***

Partie 6

Ils se tenaient là, leur éthique se débattant avec leurs instincts de survie. Finalement, certains d’entre eux se retournèrent silencieusement et coururent vers les chariots, mais ne tardèrent pas à faire demi-tour et à crier.

« Sœurette, les marchands sont toujours dans la voiture, et les mercenaires ne s’en éloignent pas non plus ! Qu’est-ce qu’on fait ? »

Apparemment, la balance penchait en faveur de leur instinct de survie, semblait-il, mais ils hésitaient encore à faire sauter les chariots avec les marchands encore à l’intérieur. Selon le plan de Ryoma, les marchands auraient abandonné le champ de bataille dès le début du raid.

Qu’est-ce que c’est que ça ? Les marchands ne sont-ils pas de mèche avec les agresseurs… ? Attendez, non. S’ils sont alliés, ils n’ont aucune raison de fuir…

Lione dirigea un regard vers celui qui semblait lui demander : « Et maintenant ? »

N’ayant pas le temps de tout expliquer à une bande de crétins, Ryoma n’avait qu’un seul choix à faire. Il regarda Lione en réponse et hocha la tête, ses yeux se durcirent avec une détermination inébranlable.

« Oubliez-les ! Détruisez-les avec les chariots ! »

« Oui, madame ! »

Les mercenaires qui obéissaient aux paroles de Lione hochèrent la tête, le visage plein d’effroi, et coururent jusqu’à sa position.

Quelques dizaines de secondes plus tard, une explosion secoua l’air. Les voitures et les chariots furent enveloppés de flammes et emportés par le vent avec les mercenaires qui les entouraient. Des cris et des malédictions remplissaient la forêt.

« Sœurette, la route est ouverte ! »

« Bien ! Ne vous retournez pas si vous voulez survivre ! »

Tout en donnant des ordres à ses hommes, Lione se tourna vers Ryoma.

« Tout s’est passé comme tu l’avais prévu jusqu’ici, n’est-ce pas, mon garçon ? »

« Je n’ai considéré que les possibilités. Avez-vous terminé les préparatifs pour la suite ? »

Les yeux de Ryoma brûlèrent avec une froide intention meurtrière. Leur vie dépendait du succès de ce plan.

« Oui. Tout est prêt de notre côté, » répondit Lione avec un regard accablé dans les yeux.

« Tout ce qu’il reste à faire, c’est d’espérer que ta petite demoiselle et Boltz ont bien géré leur côté des choses. »

« Cela devra être le cas. J’ai déjà expliqué le plan à Laura. Elle est intelligente, donc je ne la vois pas tout foutre en l’air. »

La confiance de Ryoma pour Laura était absolue.

« Pour le reste… C’est à nous de décider. »

« Compris. Assure-toi aussi de sortir vivant d’ici ! »

« Oui, prends soin de toi aussi, Lione. »

Avec Lione en tête, le groupe du Lion cramoisi s’élança à cheval. Ils avaient un rôle essentiel à jouer dans l’avenir.

« Maître Ryoma, ils arrivent ! »

Avant que Ryoma ne s’en rende compte, le bruit des épées qui s’entrechoquaient lui parvint aux oreilles de partout. Tous les mercenaires, à l’exception des membres du Lion cramoisi qui étaient partis en tête, étaient probablement éliminés par les attaquants.

« Allons-y ! »

Sara fit un signe de tête suite aux mots de Ryoma et mit les chevaux au galop. La vue qui s’offrait à Ryoma alors qu’ils se précipitaient vers l’avant était celle d’une route vide. Le groupe de Lione n’avait qu’à avancer jusqu’à atteindre leur objectif, mais Ryoma avait servi d’appât et n’avait pas les moyens de le faire.

Il s’agissait d’un carrosse à quatre chevaux, mais même à l’époque, elle n’avait pas tant de vitesse que ça. Bien sûr, il était possible de se débarrasser du carrosse et de fuir à cheval, mais Ryoma avait choisi de ne pas le faire.

Le véritable objectif de Ryoma était de maintenir une distance de sécurité avec ses ennemis sans les perdre et de les conduire à un certain endroit.

Le vent frappa le visage de Ryoma. Défendre le corps de Sara contre les flèches qui tombaient d’en haut sur elle était assez difficile. Quelques flèches avaient déjà traversé ses défenses et percé le siège du conducteur, plusieurs stries rouges de sang traînaient le long du corps de Sara et s’infiltraient dans ses vêtements. Ryoma saignait aussi abondamment depuis que son lobe d’oreille avait été entaillé par une flèche plus tôt, et le sang l’avait peint en rouge de son cou à sa poitrine.

« Sommes-nous arrivés ? » demanda Ryoma en bloquant les flèches. De la panique pouvait s’entendre dans sa voix.

« Nous devrions presque y être… Ah, c’est ça ! Je peux le voir ! »

Debout le long de la longue route qui les attendait et qui semblait s’étirer sans fin, quelque chose voltigeait dans leur champ de vision. Sara voyait clairement un drapeau noir avec le symbole d’un lion rouge qui battait dans le vent.

« Bien ! On devrait y arriver si c’est si près… »

Ryoma soupira, soulagé, et tourna son regard vers Sara.

« Prête !? C’est maintenant où jamais ! »

Jusqu’à présent, tout n’avait été fait que pour cet instant. C’est pourquoi ils avaient conduit leurs ennemis ici au lieu d’essayer de se débarrasser d’eux.

« Je sais, » dit Sara.

Elle utilisa les rênes pour ralentir graduellement le galop des chevaux.

Les silhouettes de quelques hommes à cheval émergeaient du nuage de poussière derrière eux.

« C’est bien… Comme ça, par exemple. Baisse encore un peu ta vitesse… Et quand ils ralentiront aussi… Oui, bien. »

Ryoma aperçut les hommes qui bandaient les cordes de leur arc.

« Maintenant ! Fais leeeeeeee ! »

Au moment où la voiture de Ryoma passa devant une lance coincée dans la route, Ryoma s’agrippa à la lance et la brandit vers le haut, vers le ciel.

« « « Chère mère Terre, obéis à la volonté de tes enfants et déchaîne ta rage ! Les mèches de tes cheveux sont comme des lances qui percent toute la création ! Bambou de pierre ! » » »

Alors que Ryoma criait, l’incantation de Laura résonnait dans la forêt, accompagnée de plusieurs autres voix, et, conformément à leur chant, un cercle massif apparut sous les pieds de leurs poursuivants. L’instant d’après, le bruit de la chair en train d’être transpercée remplit la zone. Et avec cela, le bruit des sabots des chevaux qui cliquaient contre le sol derrière eux cessa soudainement.

Ryoma descendit du carrosse et se dirigea vers les piliers de pierre qui avaient poussé derrière eux, avec Sara qui le suivait naturellement. Ces lances de terre étaient sorties du sol vers le ciel. L’odeur crue et rouillée du sang se mêlait au vent qui soufflait vers eux.

« On dirait que ça a marché. »

« Oui… »

Ryoma hocha la tête peu après les mots de Sara.

« Mais ne baisse pas la garde. Certains d’entre eux auraient dû survivre. »

Ryoma ne pensait pas que son stratagème aurait échoué. Au contraire, le timing n’aurait pas pu être plus parfait. Mais en même temps, il était trop tôt pour se reposer sur ses lauriers. Le manque de prudence était l’ennemi le plus mortel.

Suivant les traces de Ryoma, Lione, Boltz et les autres membres du Lion cramoisi sortirent de la forêt, avec Laura en tête. Ils s’approchèrent tous des lances de pierre au centre de la route avec la plus grande prudence.

« Assurez-vous que personne ne s’est échappé du rayon d’action du sort ! »

Sous les ordres de Lione, le groupe se sépara en deux et commença ses recherches.

« Hé… Certains d’entre eux se sont enfuis. Il y a des traces de sang qui mènent dans les bois. »

Les mercenaires avaient vu les assaillants boiter avec des gémissements de douleur et d’agonie, un regard quelque peu froid dans les yeux. Ils avaient peu de pitié pour les ennemis qui les avaient attaqués.

« Ça ne te dérange pas si on les achève, non ? »

Ryoma hocha la tête sans répondre à la question de Boltz. Confirmant son approbation, Boltz fit un signal en brossant sa main droite dans l’air, et les membres qui le virent disparurent dans les bois sans dire un mot.

« Mon garçon, qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? »

« Quoi ? »

L’expression de Ryoma se remplit de surprise devant la façon qu’avait Boltz de l’appeler.

« Mon garçon ? »

« Heheh. » Boltz se gratta la joue maladroitement.

« Considère cela comme une expression de respect. »

Apparemment, voir le plan de Ryoma réussir changea l’image que Boltz avait de lui, et ainsi l’appeler « garçon » était la façon que Boltz avait de montrer son respect. Réalisant cela, Ryoma avait simplement souri ironiquement et resta silencieux.

« Mais vraiment, mon garçon, que fait-on maintenant ? » demanda Lione, ayant fini de donner des ordres.

Elle n’avait pas l’intention de changer la façon dont elle l’appelait, semble-t-il, mais Ryoma n’était pas contre les deux.

« Pour l’instant, nous devrions rassembler des informations. On dirait qu’il y a un bon nombre de survivants, donc on devrait avoir un moyen de le faire. »

Ryoma regarda autour de lui comme pour confirmer qu’il y avait des survivants. Un sourire cruel se figea sur son visage. C’était si glacial qu’il fit frissonner des guerriers vétérans comme Lione et Boltz.

La vue de cette expression incita Sara et Laura à prier Dieu par inadvertance. Elles pourraient probablement imaginer à quel point la mort de ces idiots qui avaient osé mettre leur maître en danger serait horrible…

Le corps attaché et tiré par une corde, Mikhail Vanash avait été traîné jusqu’à l’endroit où il serait jugé pour ses actes. Les bandages enroulés autour de son corps étaient tachés de sang.

Les blessures de Mikhail étaient assez graves. Il n’avait pas de blessures mortelles ni d’os fracturés, mais les lances de terre l’avaient transpercé et s’étaient enfoncées dans le corps. Mais grâce à l’armure épaisse dont il était revêtu et au fait qu’il était éloigné de l’épicentre du sort alors qu’il menait la charge, il n’avait pas été compté parmi les cadavres.

Pourtant, s’il avait été simplement laissé sur les rochers et privé de tout soin nécessaire, il aurait probablement connu le même sort.

Pourquoi m’ont-ils sauvé ? La question avait touché le cœur de Mikhail.

Devant Mikhail se tenait une grande femme rousse, un homme d’âge moyen sans bras gauche, un homme monstrueux qui semblait avoir une vingtaine d’années et deux filles qui l’attendaient dans son dos, comme si elles étaient ses ombres.

Le cœur de Mikhail s’était mis à battre. Et tout ceci parce que la fille devant lui était la cible de ce raid.

Cela faisait trois heures que Mikhail et son groupe d’assaillants étaient tombés dans le piège de Ryoma. De tous ceux qui avaient été blessés par les lances de pierre, seule une poignée d’entre eux, dont Mikhail, avaient survécu. La majorité d’entre eux avaient péri à cause de la magie liée libérée par Boltz et ses hommes, et ceux qui avaient survécu et s’étaient échappés dans la forêt n’avaient pas pu se libérer de la poursuite vengeresse des membres du Lion cramoisi.

Les seuls survivants étaient les hommes aimés de la déesse du destin. Mais si l’on considérait l’état dans lequel ils se trouvaient, on pouvait se demander si leur sort était vraiment chanceux. Le traitement minimal qu’on leur avait administré n’avait fait qu’arrêter leur hémorragie, après quoi ils avaient été bâillonnés, ligotés et jetés dans un chariot.

Le chariot avait ensuite été transporté dans un endroit plus sûr, après quoi ils avaient été sortis un par un. À ce moment-là, il n’y avait pas eu de question quant à la raison pour laquelle ils avaient été pris. Puis il était temps pour le commandant de l’attaque, Mikhail, de faire face aux conséquences.

« Tu es Mikhail Vanash, le commandant du raid, exact ? »

Mikhail ne pouvait que hocher la tête face au grand jeune homme qui se tenait devant lui. Sa voix n’était pas coercitive et surtout, son ton était calme et poli. Être du côté des gagnants et avoir un ton de voix calme et poli était vraiment quelque chose de troublant. Il aurait été bien moins terrifié s’il avait été interrogé tout en se faisant crier dessus par quelqu’un au visage rougi et en colère à la place.

« J’ai entendu la plupart de l’histoire de tes subordonnés. On dirait que c’est une série de conséquences malheureuses pour nos deux camps qui nous ont mis dans cette situation. »

Mikhail se tut, mais il sentait que quelque chose n’allait pas avec les paroles du jeune homme. Pendant l’entraînement des chevaliers, on apprenait comment se comporter lorsqu’on était capturé par un ennemi, et le fait de ne pas donner d’informations à l’ennemi était une règle absolue en temps de guerre.

« Tu n’as vraiment pas à être si nerveux. Nous n’avons pas l’intention de te faire quoi que ce soit, pour l’instant. »

Les paroles du jeune homme ressemblaient au murmure séduisant du Diable aux oreilles de Mikhaïl.

« Pourquoi ne veux-tu pas me tuer ? »

Une question dégoulinant de haine s’échappa des lèvres de Mikhail.

« Parce que nous n’avons pas besoin de te tuer pour l’instant. »

Le jeune homme haussa les épaules, souriant comme s’il parlait de quelque chose de banal.

Mais ses paroles impliquaient que s’il le jugeait nécessaire, ils le tueraient.

« Mais ça s’applique à nous deux maintenant, n’est-ce pas ? »

Mikhail n’avait pas pu trouver une occasion de s’opposer aux paroles du jeune homme. Lui-même n’aimait pas tuer. S’il y avait une chose qu’il n’aimait pas faire, même si c’était son travail de soldat, c’était de tuer quelqu’un. Mais en tant que membre de la garde royale du royaume de Rhoadseria, sa main répandrait du sang si la maison royale en bénéficiait. Cet incident n’était vraiment pas en accord avec sa fierté de chevalier, mais c’était un acte inévitable qu’il devait commettre s’il voulait empêcher la faction des nobles de réaliser leurs ambitions.

Le jeune homme sourit paisiblement, comme s’il lisait le cœur de Mikhail, puis continua à parler.

« Loin de moi l’idée d’assumer tes motifs, mais je te garantit que nous ne sommes pas tes ennemis. »

« De quoi parles-tu... »

Ces mots avaient fait planer un doute sur l’expression de Mikhail.

« N’êtes-vous pas de la faction des nobles ? »

« Tu vois ? Ça. C’est exactement ça. »

Le sourire de Ryoma s’élargit de manière significative.

***

Partie 7

« C’est là que se trouve ton malentendu. Permets-moi de confirmer quelques points pour l’instant, Mikhail. Nous pouvons répondre à tous tes doutes qui subsisteront après ça. »

Le jeune homme marcha derrière Mikhail et posa un doigt sur la nuque.

« … Qu’est-ce que tu fais ? »

Le visage de Mikhail était déformé par la peur refoulée.

« Pas grand-chose, juste un peu de charme. Cela ne te fera pas de mal, tu peux donc te détendre… Cette gentille fille va te poser quelques questions, alors réponds-y le plus simplement possible. »

Le jeune homme lui adressa un sourire agréable et fit signe à une fille blonde. Celle-ci hocha la tête et s’approcha de Mikhail.

« Maintenant, permets-moi de te poser quelques questions. Tu es affilié à la garde royale du royaume de Rhoadseria, exact ? »

Mikhaïl détourna son visage d’elle en silence en entendant cette question. Il n’avait aucune intention de confirmer ou de nier quoi que ce soit.

« Le motif de ton attaque contre la caravane était-il lié à la dispute successorale sur le trône rhoadsérien ? »

Silence.

« As-tu comploté ce raid pour défendre la princesse ? »

Silence.

« Es-tu affilié à la faction des chevaliers, es-tu actuellement opposé à la faction des nobles ? »

Silence.

« La faction des nobles a-t-elle tenté d’interrompre la succession de la première princesse après le décès du roi de Rhoadseria ? »

Silence.

« La faction des nobles essaie-t-elle d’utiliser l’existence de la volonté de feu le roi pour soutenir une enfant illégitime comme princesse et héritière du trône ? »

Silence.

Mikhail avait tenu sa langue face à la série de questions que la fille blonde lui avait posées. Aucune n’avait été niée ni confirmée par ses lèvres.

Bordel de merde… Ces traîtres… Qu’est-ce qu’ils veulent dire, en disant ce qui est évident comme ça… ?

Alors que la colère montait dans son cœur et le faisait frissonner de rage, Mikhaïl envoya un regard haineux dans la direction du jeune homme.

« Qu’est-ce qu’on va faire de lui maintenant ? » demanda la fille blonde au jeune homme.

L’expression sur le visage de la jeune fille disait qu’elle en avait déjà assez du silence insistant de Mikhail.

« On dirait qu’il n’est pas trop pressé de nous répondre en ce moment. Je suppose que je ne peux pas lui en vouloir… »

Mais contrairement à la perplexité de la jeune fille, le visage du jeune homme ne semblait pas particulièrement dérangé.

« Laura, avance. »

Se conformant aux paroles du jeune homme, Laura s’avança, ses cheveux argentés et scintillants se balançaient. La blonde posa sa dernière question.

 

 

« Ma dernière question, alors. C’est elle que vous tentiez de tuer ? »

Le cœur de Mikhail battait rapidement et sauvagement. Les doigts de Ryoma avaient incontestablement détecté son pouls s’accélérant à cette question.

« En plein dans le mille… » chuchota Ryoma tout en retirant ses doigts du cou de Mikhail.

C’était donc l’intrigue que Wallace Heinkel, de la guilde de Pherzaad, avait préparée, et la raison de ce raid.

La vérité n’avait pas nécessairement besoin d’être exprimée en mots, un silence insistant comme celui de Mikhaïl pourrait en dire tout autant. Plus il essayait d’étouffer son expression, plus ceux qui l’entouraient étaient capables de lire dans ses sentiments. Et cela ne se limitait pas seulement à Ryoma, mais aussi à Lione et aux autres qui veillaient sur la scène.

« Je vois… Ce bâtard visqueux de Wallace… Il nous a utilisés comme appât, il l’a fait… »

Des mots souillés de vitriol glissèrent des lèvres de Lione.

Grâce aux prédictions de Ryoma, le groupe de mercenaires du Lion cramoisi n’avait pas eu de victimes, mais de nombreuses personnes avaient été blessées lors du raid. Bien que la plupart des blessures n’avaient pas été graves, ces observations n’avaient été possibles qu’avec le recul. Ils n’avaient subi que peu de dommages parce qu’ils avaient été préparés. Si Ryoma n’avait pas été là pour faire sa prédiction, ou si Lione ne l’avait pas prise au sérieux…

Tout cela était hypothétique, bien sûr, mais il n’y aurait pas été surprenant si ce raid avait fait de grandes victimes du côté du Lion cramoisi.

À en juger par les circonstances de la façon dont le groupe de Ryoma avait obtenu leur demande et l’attitude de Mikhail, il était clair que le chef de guilde Wallace était impliqué d’une manière ou d’une autre dans le raid. Il s’agissait d’une trahison de la part de la guilde, qui s’était présentée comme neutre. Et cette trahison avait fait monter la haine dans le cœur de Lione, en proportion égale à la confiance qu’elle lui accordait autrefois.

« Je pense qu’on peut dire que ce fils de pute de Wallace nous a dupés, » dit Ryoma en faisant signe qui fit que monde sauf à Mikhail avait hoché la tête.

« Cependant, la prochaine question est de savoir ce qui vient après. Qu’est-ce qu’on fait… ? »

« Et si on faisait un rapport à une guilde d’une autre ville ? »

Boltz répondit au murmure de Ryoma par un ton hésitant.

« Non, je pense que c’est une mauvaise idée. Ce tas de merde nous a fait un sacré coup, mais on n’a pas de preuves. Si on va rapporter ça à un autre chef de guilde et qu’ils demandent des preuves, on n’aura rien pour le prouver. »

Ryoma acquiesça d’un signe de tête, en accord avec l’objection de Lione. Ils avaient peut-être été piégés, mais ils n’avaient pas pu le prouver. Même si une personne était jugée pour de fausses accusations, on obtiendra toujours le même verdict : la perte du procès. Ce qui importait au tribunal, ce n’était pas la vérité ou même la justice, tout dépendait de la capacité du juge à obtenir le verdict qu’il souhaitait.

Et le plus grand problème de Ryoma résidait dans son incapacité à prouver leur innocence. Sans aucune preuve physique, toute tentative d’inculpation de Wallace se terminerait par un simulacre de mutisme. Dans le pire des cas, il les accuserait de fausses accusations.

Boltz lui-même ne semblait pas considérer sa proposition comme réaliste, et ne semblait pas être tout à fait confiant en elle. Un air oppressant leur tombait dessus, comme s’ils tâtonnaient dans un brouillard qui obscurcissait leur vue dans toutes les directions, où s’ils faisaient un faux pas, ils finiraient morts.

C’était pour cette raison que tout le monde doutait de ses oreilles lorsque Ryoma prononça ce qui semblait être des paroles optimistes.

« Eh bien… Il y a un moyen de s’en sortir. »

« Es-tu sérieux !? »

Lione regarda Ryoma avec un regard accrocheur tout en souriant doucement.

Bien qu’elle ait vraiment souhaité une issue, une partie de son cœur doutait naturellement que quelque chose d’aussi commode puisse être vrai. Boltz, qui se tenait à ses côtés, semblait ressentir la même chose. Mais même avec leurs regards inquiets qui s’accrochaient à lui, le visage de Ryoma restait calme.

« Oui. Je veux dire, nous venons de mettre la main sur un pion utile, » dit Ryoma en souriant tout en jetant un regard significatif dans la direction de Mikhail.

« Qu’est-ce que vous dites !? »

En entendant les paroles de Ryoma, Mikhail rompit son silence et éleva la voix.

Si l’on considérait le fait qu’il ne fallait donner aucune information à ses ennemis, c’était une mauvaise décision, mais ces règles n’avaient aucun sens pour Mikhail en ce moment. Si seulement il avait tué la fille aux cheveux argentés devant lui, cette Laura, tout se serait bien passé. C’était du moins la vérité absolue pour ceux qui appartenaient à la faction des chevaliers.

Deux mois s’étaient écoulés depuis le décès du roi de Rhoadseria, et ce rapport était parvenu aux oreilles de la première princesse Lupis, qui s’efforçait d’hériter du trône. Ce rapport était venu comme un éclair du jour au lendemain pour la faction des chevaliers. Une fille qui était prétendument héritière du sang du roi Pharst II de Rhoadseria était apparue dans leur pays voisin, Myest.

Il n’était pas du tout un cas inhabituel d’avoir des enfants illégitimes. Plus la classe dirigeante devenait forte, plus son sang devenait précieux, ce qui paraissait peut-être naturel quand sa lignée était ce qui déciderait de la légitimité de son pouvoir. En tant que tels, les dirigeants avaient produit beaucoup d’enfants, afin d’éviter que leur lignée sanguine ne s’éteigne. Ils avaient beaucoup d’épouses et de concubines, et parfois même violaient les filles de roturiers sur un coup de tête.

Et le résultat de tels actes était des enfants illégitimes. Dans ce cas, l’existence d’un enfant illégitime n’aurait pas été une telle surprise en soi. Mais le moment de sa découverte était bien trop mal choisi. Le fait que l’on annonçait son existence que maintenant, quand l’ancien roi était décédé et que le trône était resté vide, et qu’en plus on prétendait qu’elle était l’héritière légitime du trône de Rhoadseria…

Lorsque le rapport était arrivé dans la capitale, tout le monde l’avait simplement rejeté comme « impossible » et « absurde », et ne s’en était pas soucié. Mais alors qu’ils pensaient que les rumeurs allaient disparaître, elles commencèrent à se répandre dans le royaume comme une traînée de poudre en un clin d’œil. Et peu de temps après, les rumeurs avaient commencé à prendre une tournure plus réaliste.

Le duc Gelhart, chef de la faction des nobles, annonça à tous Rhoadseria qu’il soutiendrait cette enfant illégitime en tant qu’héritière, et avait montré au public un testament supposé laissé par le défunt roi… Au début, tout le monde dans le royaume soupçonnait un faux. Le moment était tout simplement trop propice.

Mais malgré le manque d’authenticité de ce testament, elle avait soutenu le droit au trône de l’enfant illégitime et avait divisé le royaume de Rhoadseria en deux. La princesse Lupis occupait en même temps le poste de commandant de la garde royale et, à ce titre, entretenait des relations étroites avec la faction des chevaliers. En raison de cela, et de son manque d’implication dans les affaires politiques, elle avait peu de liens avec la faction des nobles.

Ainsi, le duc Gelhart, chef de la faction des nobles, déclara son soutien à l’héritière illégitime, transformant l’équilibre politique de Rhoadseria d’un état d’opposition de 30 % à la faction des chevaliers, 40 % à la faction des nobles et 30 % à la faction neutre.

Fondamentalement, la faction des chevaliers était un groupe d’hommes militaires, un groupe puissant avec beaucoup de prouesses martiales, mais inadaptées à la politique. Ils luttaient pour amener la faction neutre à leurs côtés. De l’autre côté du spectre, la faction des nobles n’avait pas la puissance militaire des chevaliers, mais était de loin supérieure à eux en termes d’expérience politique. Ils faisaient des efforts pour amener la faction neutre de leur côté, et en effet, beaucoup des nobles neutres avaient effectivement changé de camp.

Tandis que la faction des chevaliers se trouvait dans cette situation difficile, de bonnes nouvelles arrivèrent, annonçant que l’héritière illégitime s’était déplacée de Myest aux frontières de Rhoadseria.

Ayant appris cela, la faction des chevaliers se moqua de l’imprudence des nobles. Permettre la fuite de telles informations importantes concernant le transfert de leur précieuse bannière était la preuve que la faction des nobles avait plusieurs factions en son sein… Si la jeune fille devait être éliminée avant d’atteindre Rhoadseria, tout reviendrait à la normale, la faction neutre des nobles revenant à leur position antérieure.

Et même s’il était vrai que cette information était transmise de toute urgence et que devoir faire assaut dans un pays voisin signifiait qu’ils devaient se débrouiller avec des effectifs limités, Mikhail ne pouvait laisser passer cette occasion en or. Même si cela signifiait ignorer les souhaits de sa Dame, qui était opposée à l’assassinat…

Mais contrairement à la détermination de Mikhail, tous les regards de ceux qui l’entouraient étaient des regards de pitié et de moquerie.

***

Partie 8

« Je ne sais pas si je peux être beaucoup plus clair, mon ami… »

Tandis que Ryoma le dévisageait comme un professeur qui se plaindrait d’un mauvais élève, tous les autres présents hochèrent la tête en silence.

Ils avaient déjà vu ce qui se passait et ne faisaient que vérifier leurs réponses à ce stade.

« Eh bien, disons les choses ainsi : tu as évidemment été dupé par la faction des nobles. »

Même si Ryoma l’avait expliqué de la manière la plus succincte possible, l’esprit de Mikhail refusa de l’accepter.

« C’est… absurde ! Vous ne me tromperez pas ! »

« Dis que c’est absurde tant que tu le veux, mais… »

Ryoma haussa les épaules, Mikhail refusant de l’écouter.

« Eh bien, calme-toi pour l’instant. Revoyons les choses une dernière fois, du début à la fin. »

Pendant qu’il parlait, Laura se tenait devant Mikhail.

« Commençons par mettre une chose au clair. Ce n’est pas la fille que tu cherches. »

« Vous mentez ! »

Le cri sanglant de Mikhaïl résonna dans les bois.

Si Ryoma avait raison, le but de ce raid était nul et non avenu. Il aurait mené cette contre-attaque et sacrifié ses hommes pour rien. Ce sentiment stimula le cœur de Mikhail.

« Pour commencer, pensais-tu que Laura était la fille illégitime du roi Rhoadseria à cause de ses cheveux argentés ? »

« C’est vrai ! C’est une adolescente aux cheveux argentés ! », affirma Mikhaïl d’une voix râpeuse, alors qu’il effaçait la faible suspicion dans son cœur.

« Laura est une adolescente aux cheveux argentés, mais… OK, laisse-moi te demander ça à la place. Ce sont les seuls attributs physiques pour identifier la fille illégitime ? »

La question de Ryoma fit réfléchir Mikhail.

Les cheveux argentés sont rares sur ce continent, et elle a aussi le bon âge.

« C’est vrai ! C’est la seule preuve dont j’ai besoin ! »

L’attribut visuel le plus frappant des membres de la royauté de Rhoadseria était leurs beaux cheveux argentés. Bien sûr, cela ne signifiait pas que tous ceux qui avaient les cheveux argentés devaient appartenir à la lignée royale de Rhoadseria, mais tous ceux qui en faisaient parti avaient bien cette couleur de cheveux. C’était ce qui avait permis à Mikhail de continuer.

« … Je suis désolé, mais tu es plutôt stupide… »

Ryoma répondit à Mikhail avec une expression perplexe. « Je suis sûr qu’il y a plein d’adolescentes aux cheveux argentés sur ce continent. »

« Si quelqu’un est l’imbécile ici, c’est vous ! Nous ne cherchons pas n’importe quelle fille aux cheveux argentés, mais une qui tente de voyager de Pherzaad à Rhoadseria à cette époque de l’année ! Pensez-vous honnêtement qu’une fille qui remplirait toutes les autres exigences se trouverait ici, en ce moment !? »

Le visage de Mikhaïl était couvert d’un sourire.

C’est ça ! Une fille aux cheveux argentés ne se trouverait pas dans cet endroit à cette époque par pure coïncidence ! Je ne sais pas où cet homme veut en venir, mais je ne me laisserai pas berner !

L’information qui l’avait conduit à ce raid avait été fournie par l’un de ses collègues de la faction des chevaliers. Bien sûr, Mikhaïl savait que tous les membres de la faction des chevaliers n’étaient pas nécessairement de son côté, mais ils étaient tous unis dans leur antagonisme envers la faction des nobles. Même si ce n’était pas le cas, ils ne penseraient pas que Mikhail, qui malgré un certain manque de prudence, et qui recevait encore une éducation de chevalier de haut rang, aurait si facilement recours à l’assassinat.

« C’est vrai, cette probabilité est extrêmement faible. », dit Ryoma, regardant avec pitié le regard convaincu de Mikhail.

« Non, pour être honnête, c’est probablement plus proche de zéro. Et si une de ces filles passait par ici délibérément ? »

« Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? »

Incapable de comprendre le sens des mots de Ryoma, l’expression de Mikhail était remplie de doutes.

« Ce que je veux dire par là, c’est qu’un groupe de personnes qui n’ont rien à voir avec ça, c’est-à-dire nous, avons été envoyées de Pherzaad à Rhoadseria sur une demande arbitraire, et cette information a été divulguée intentionnellement à la faction des chevaliers. Et bien sûr, être désavantagé signifie que la faction des chevaliers devrait sauter sur l’occasion de sortir de l’impasse pendant qu’ils introduisaient en toute sécurité le véritable enfant illégitime dans le pays. Qu’en dis-tu ? Je ne pense pas que ce soit si dur que ça de t’embrouiller la tête. Au contraire, je me demanderais si les gens qui t’ont donné cette information ne sont pas de mèche avec la faction des nobles. »

Pendant que Ryoma parlait, l’expression fière et exaltée de Mikhail se figea progressivement.

« Ça ne peut pas être… »

Tandis que ces mots sortaient de ses lèvres, Ryoma secoua la tête et continua à parler.

« Si tu me le demandes, quelqu’un de la faction des chevaliers ayant ce genre d’aperçu de ce que fait la faction des nobles est assez suspect. »

Tout le monde s’était étonné de ces mots.

« Cette fille illégitime est un atout irremplaçable pour la faction des nobles. S’ils pouvaient la faire entrer clandestinement dans le pays, ils prendraient tous les moyens à leur disposition pour tout planifier méticuleusement et feraient preuve de toute la prudence possible pour s’assurer que l’information ne fuit pas. Et pourtant, il y a quand même eu une fuite dans la faction des chevaliers. »

Ryoma arrêta alors de parler et regarda autour de lui tout le monde présent, comme s’ils s’assuraient qu’ils comprenaient ce qu’il voulait dire.

« Alors ils l’ont fait exprès ? C’est ça, mon garçon ? », demanda Lione, et Ryoma répondit d’un signe de tête silencieux.

« Effectivement, si tu y réfléchis raisonnablement, c’est à ça que cela se résume. De plus, il semblerait que la faction des nobles a mis Wallace dans leur poche et l’a poussé à engager des mercenaires. À savoir, une fille mercenaire aux cheveux argentés alors qu’elle est encore dans son adolescence. »

« Et c’est… c’est moi. », dit Laura.

Ryoma acquiesça à ses mots.

« Mais Wallace est un chef de guilde. Agirait-il vraiment d’une manière si risquée ? », demanda Sara avec hésitation.

La guilde prônait la neutralité. S’ils n’avaient pas la confiance absolue de leurs clients et des mercenaires, ils ne seraient pas en mesure de gérer les demandes comme ils le faisaient. De ce point de vue, les actions de Wallace étaient extrêmement inappropriées. Il avait rassemblé des gens sous prétexte de garder une caravane, et avait l’intention de les utiliser comme appâts sans leur consentement.

Le risque que Wallace ne s’en rende pas compte n’était pas nul, et Laura avait mentionné cette possibilité. Mais Ryoma secoua la tête dans le déni.

« Non, les chances que Wallace ne soit pas lié à ça sont minces. Après tout, nous avons dû accepter ce travail à cause d’une demande obligatoire. »

Ryoma tourna alors la conversation vers Lione, qui se tenait à côté de lui.

« Laisse-moi te demander aussi, Lione. Les demandes obligatoires ne sont-elles pas réservées aux aventuriers de haut rang... Plus précisément, les personnes ayant un rang égal ou supérieur à B ? Et ça ne s’applique qu’aux demandes très urgentes, si je ne me trompe pas ? »

« Oui, c’est écrit dans le protocole de la guilde. »

Lione fit un léger signe de tête à la question de Ryoma.

« Par conséquent, il n’y avait aucune raison de nous forcer à faire cette demande. Selon toute vraisemblance… Il cherchait une mercenaire aux cheveux argentés, adolescente, et n’a trouvé que Laura. Il comptait alors sur notre inexpérience et il nous a fait croire que c’était une demande obligatoire afin de nous forcer à l’accepter. Il fallait que l’on meure dans le raid des chevaliers, et c’est tout. Au cas où nous aurions survécu, nous ne soupçonnerions pas les marchands de la caravane, ou plutôt, les soldats de la faction des nobles déguisés en marchands, qui allaient nous achever. Il n’y aura donc aucun témoin. »

En écoutant l’explication de Ryoma, l’image de l’incident avait été reconstituée dans l’esprit de tous. Les chariots de la caravane étaient tous vides parce qu’ils savaient qu’une attaque se préparait. Les callosités sur les mains des marchands et leur physique tonique étaient dues au fait que c’était des chevaliers et soldats déguisés. Seul le groupe de Ryoma avait obtenu un carrosse à auvent, afin de faire croire à Mikhail et à ses hommes que l’enfant illégitime se trouvait là-dedans. Et la formation avait été mise en place de façon à bloquer le chemin de Ryoma une fois qu’ils allaient être attaqués, pour s’assurer qu’ils seraient tués.

Tous ces facteurs apparemment contre nature s’étaient réunis pour former une seule conclusion.

« Impossible… C’est beaucoup trop… » Des mots de regret échappèrent aux lèvres de Mikhail lorsqu’il entendit le raisonnement de Ryoma.

« Mais ça voudrait dire qu’il nous a dupés… Non… Mais, dans ce cas… »

La personne dont parlait Mikhail était probablement la personne de la faction des chevaliers qui lui avait fourni les informations sur la faction des nobles. Alors que Mikhail était assis là, dévasté, Ryoma lui fit une proposition.

« Inutile de se lamenter autant. »

Mikhail leva la tête impuissant, son regard était interrogateur.

« Nous avons tous été piégés par la faction des nobles, donc c’est aussi maintenant un peu notre problème. »

C’était évident. Cette demande était censée être une escorte pour une caravane, et aussi fausse soit-elle, elle existait toujours dans les dossiers de la guilde. Ryoma avait attaqué les voitures des marchands, même si c’était le seul moyen de s’en sortir vivant, et avait fui l’attaque, laissant les marchands derrière lui.

Si l’on regardait la situation au niveau de la surface, Ryoma et son groupe étaient des lâches méprisables qui avaient abandonné leurs fonctions de garde et avaient tué les marchands pour s’échapper. Pire encore, si Wallace prétendait que le raid était une attaque de bandits, il serait très facile de donner l’impression qu’ils avaient été soudoyés pour vendre leurs employeurs.

Et le pire, c’est qu’ils n’avaient aucun moyen d’empêcher Wallace de le faire. Après tout, tout ce que Ryoma avait dit était une conjecture basée sur des preuves circonstancielles. Même s’ils utilisaient Mikhail comme témoin, il n’y avait aucune chance qu’il témoigne honnêtement, car tout cet incident était une tache sur l’honneur de la faction des chevaliers.

Et au final, c’était le chef de guilde, Wallace, qui déciderait de ce qui était réellement arrivé. Il va sans dire que dire à la personne qui les avait dupés qu’il les avait piégés ne les sortirait pas de ce pétrin.

De plus, dépendre des autres chefs de guilde alors qu’ils n’avaient aucune preuve à l’appui de leurs affirmations n’était pas une bonne main à jouer. Pherzaad était le plus grand port de commerce de Myest, et puisqu’il avait été nommé chef de guilde de cette ville, le pouvoir de Wallace au sein de la guilde était probablement considérable. Qui serait résolu à poursuivre la vérité contre cet homme lorsque celui-ci était placé dans une position aussi inférieure ? Et qui aurait pu dire si une telle personne pouvait même être convaincue d’aider Ryoma ?

« Alors, qu’en dis-tu, Mikhail ? Veux-tu coopérer avec nous ? »

Les paroles de Ryoma n’avaient incité aucun de ses compagnons à changer d’expression. Parce qu’ils s’étaient tous rendu compte qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de s’accrocher à cette dernière lueur d’espoir qu’était la sagesse de Ryoma…

Ce jour-là allait changer le destin du royaume de Rhoadseria.

***

Chapitre 2 : Complots enchevêtrés

Partie 1

« Voyez ! Devant vous se dresse la capitale du royaume de Rhoadseria, Pireas ! »

Réveillé par les paroles de Mikhail, Ryoma frotta ses yeux endormis et jeta son regard en avant. Il s’était méfié d’une attaque possible ces derniers jours et n’avait pas beaucoup dormi.

« Whoa. Voilà donc la capitale… C’est assez grand. »

Il y avait encore une certaine distance à parcourir avant qu’ils n’y arrivent, mais les flèches du château royal étaient visibles depuis l’extérieur des plaines. Le château se dressait au centre, et la ville était formée par des remparts qui la divisaient en quartiers. Les alentours avaient de longues étendues de champs de blé, et les gens marchaient de façon ordonnée le long de la route pavée en pierre qui menait à la capitale. Voyant que les paniers sur leur dos étaient pleins de légumes, ils pensèrent que c’était probablement des fermiers qui vivaient à proximité et qui allaient vendre leurs récoltes sur le marché de la capitale.

Je vois… Vous ne pouvez donc pas cultiver à l’intérieur des remparts… Pourtant, j’avais l’impression que cela ressemblait à l’Europe médiévale, mais c’était vraiment un tout autre monde. S’accrocher à des idées préconçues pourrait me coûter la vie…

Les cultures que les villes consommaient étaient produites dans les terres agricoles environnantes. Des villes avaient été créées pour distribuer ces biens et les entreposer en cas d’urgence. À cet égard, la situation n’était pas différente de ce qu’avait en tête Ryoma. Mais d’un autre côté, l’échelle et l’étendue de cette ville étaient plus grandes que n’importe quelle ville d’Europe médiévale ne pourrait jamais espérer atteindre.

C’était une ville massive, située au centre de la plaine. C’était difficile à dire de loin, mais c’était suffisamment grand pour que Ryoma ne soit pas surpris d’apprendre qu’elle soutenait une population d’environ un million de personnes.

« Naturellement ! C’est la capitale de Rhoadseria, l’un des pays les plus puissants du continent ! Tout d’abord, dans l’ancien temps de notre grand pays… »

Voyant à quel point l’explication de Mikhail était teintée de supériorité, Ryoma avait souri ironiquement. Il tourna ensuite son regard vers la ville fortifiée qui commençait à prendre forme clairement devant eux.

Passant à travers les bidonvilles disséminés à l’extérieur de la porte, ils traversèrent le mur extérieur pour entrer dans la ville. Mikhail soupira et chuchota : « C’est une bonne chose que nous soyons arrivés ici en un seul morceau. Je m’attendais à une attaque de la faction des nobles… »

La région au-delà de cette zone était strictement régie par la loi rhoadsérienne. Il y avait une grande différence entre le degré d’application de la loi à l’intérieur et à l’extérieur des murs. La mobilisation des troupes nécessitait l’approbation du palais, et tout groupe de personnes armées qui se déplaçaient courait le risque d’être interrogé par les gardes. Il était très improbable qu’ils soient violemment attaqués.

« Eh bien, en toute honnêteté, j’ai pensé que cette possibilité était faible… »

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »

Mikhail jeta un regard scrutateur sur Ryoma.

« Ils se sont donné la peine de simuler cette demande pour organiser le raid. De leur point de vue, tout est probablement déjà prêt. »

Préparer une contre-mesure après avoir confirmé la situation n’était pas une mince affaire, même dans la société de l’information développée du Japon. Et ce monde n’avait pas la technologie de communication et d’information que le Japon avait, alors il n’était pas rare que des jours passent avant que la personne qui a mis en place ce piège réalise ce qui s’était passé. Si les responsables de ce complot étaient prudents, ils penseraient probablement qu’ils étaient revenus à la case départ.

Mais ce n’était pas fondé uniquement sur l’instinct de Ryoma. C’était pourquoi il avait sacrifié son temps de sommeil pour rester vigilant. Cependant, il semblerait que Mikhail n’appréciait pas les mots de Ryoma.

« Aussi modestes que puissent être les traîtres de la faction noble, pensez-vous qu’ils ont si facilement ignoré les ordres de leur maître… ? »

Il était en fait tellement mécontent que son ton était assez vif et vicieux.

Cela ne faisait même pas une semaine que l’attaque s’était déroulée, mais Ryoma maîtrisait assez bien la personnalité militariste de Mikhail. Il semblerait avoir beaucoup de mépris pour les concepts de fuite et de reddition et avait une aversion radicale à l’idée de réagir à un échec ou à une crise en se retirant et en réévaluant la situation.

Il était du genre à ne jamais abandonner un combat avant de l’avoir gagné. Dire qu’il avait une grande force de volonté, c’était lui donner une tournure positive, mais sa personnalité était tout simplement trop directe et trop simple d’esprit.

Personnellement, je n’aime pas ça chez lui… Mais il n’est pas fait pour son travail. C’est le genre de gars que je ne voudrais jamais voir entrer dans les marchés financiers et les salles de jeux.

« Eh bien, cela dépend de ce que les responsables hiérarchiques pensent. », dit Ryoma tout en lui adressant une expression sobre.

« Ils ont probablement compris comment leur complot avait échoué. Ils ont donc dû décider de rester prudents et de se retirer pour réévaluer les choses. »

« Dans de tels moments, un guerrier exceptionnel n’est-il pas là pour que sa force soit utilisée pour vaincre l’adversité et donner sa vie au nom des objectifs de son seigneur? », déclara Mikhail.

Mais Ryoma ne pouvait pas se résoudre à louer la fierté et la conviction de Mikhail. En tant que chevalier célibataire, la façon de penser de Mikhail serait peut-être saluée comme vaillante et courageuse, mais ne pas savoir quand battre en retraite était un défaut majeur pour un commandant. Et, malheureusement pour lui, Mikhail n’était pas un chevalier de bas rang.

« Tout le monde ne s’accroche pas à l’honneur chevaleresque comme toi, Mikhail. »

« Avez-vous l’intention d’insulter l’honneur chevaleresque !? »

Mikhail rencontra le ton exaspéré de Ryoma avec un visage rougi par l’indignité.

« Cette question sonne plutôt creux, venant de l’homme qui a tourné le dos à l’honneur chevaleresque pour mettre en scène un assassinat. »

La réponse de Ryoma rendit le visage de Mikhail déformé par la frustration. C’était la dernière chose qu’il voulait entendre.

« Rrgggh... C’était… Je n’avais pas d’autre alternative… »

Il bégayait ses excuses, impuissant.

C’était la preuve que même lui ne pouvait pas justifier l’assassinat comme moyen d’arriver à ses fins. Il devait souhaiter que le sol l’engloutisse à cet instant. Comme s’il fuyait la conversation, Mikhail se dirigea vers le chariot où gisaient les blessés. Son cœur était déchiré entre son orgueil et le bien-être de son royaume.

« Heh. De toute façon, à quoi bon se lamenter sans cesse ? En plus, je ne pense pas que l’assassinat soit la mauvaise façon de faire les choses, » dit Ryoma en soupirant, regardant le dos de Mikhail alors qu’il commençait à s’occuper des blessés avec Laura.

« Pas une mauvaise façon, dis-tu ? »

Sara, tenant les rênes sur le siège du conducteur, inclina la tête d’un air interrogateur pour défendre Mikhail.

Sa surprise avait été causée par plusieurs jours d’écoute des conversations entre son maître et Mikhail, elle avait réalisé que leur vision du monde ne correspondait pas.

« Hein ? Eh bien, oui… Il n’y a rien de mal à choisir de faire un assassinat en soi. »

Ryoma répondit à la question innocente de Sara avec un sourire amer.

« Selon la situation, je pourrais aussi décider de le faire. »

En effet, si l’on utilisait son bon sens, l’assassinat était une chose terrible. Mais si la mort d’une seule personne pouvait conduire à prévenir la mort d’un grand nombre de personnes et à mettre fin à la discorde et aux conflits, Ryoma ne pensait pas que c’était une option qu’il fallait facilement discréditer. En termes de bien et de mal, l’assassinat relevait certainement du mal, Ryoma n’avait pas remis cela en question. Mais ce qui importait maintenant était une question de nécessité.

« En fin de compte, l’assassinat n’est qu’un moyen pour arriver à ses fins. Atteindre cet objectif et ce qui compte vraiment… »

Dans cet exemple, l’objectif de la faction des chevaliers était d’empêcher la faction des nobles d’élever l’enfant illégitime au rang de reine de Rhoadseria. Donc, si l’on devait ignorer le bien et le mal, en termes d’efficacité, assassiner ladite princesse signifierait beaucoup moins de pertes pour Rhoadseria, contrairement à une guerre ouverte entre les deux factions. En effet, quelle que soit la faction vainqueur, si le pays tombait en guerre civile, les seuls à souffrir seraient les citoyens et les agriculteurs. L’ordre public se détériorerait et la productivité du pays diminuerait.

Donc, à cet égard, assassiner la princesse n’était peut-être pas une idée louable en apparence, mais ce n’était pas une mauvaise idée en soi. Au moins, c’était préférable à cet homme d’État responsable du pays qui exerçait une pression inutile sur les citoyens en raison de son attachement à la justice ou à ses idéaux.

Mais cela dépendait de l’obtention d’informations précises et détaillées. Et c’était ce qui avait amené Ryoma à penser que la faction des chevaliers était des imbéciles.

Le fait qu’ils avaient planifié et exécuté un complot d’assassinat sans soupçonner ni scruter les informations qu’ils avaient reçues, pour aucune raison autre que celle qui leur avait été livrée, n’était que trop imprudent. S’ils échouaient, leur cible pourrait très bien se rendre compte du fait qu’un attentat contre sa vie était commis comme une raison d’employer la violence en retour, ce qui leur donnait un prétexte justifié pour riposter. Ryoma doutait qu’ils pensent aussi loin.

« Eh bien, si Mikhail et ses subordonnés en sont la preuve, la faction des chevaliers est entièrement composée de têtes de mule, mais je suppose que je ne peux rien faire à ce sujet… »

« Qu’est-ce qu’une tête de mule ? » Sara inclina sa tête de manière interrogatrice vers l’épithète que Ryoma avait murmurée.

Elle n’avait probablement jamais entendu ce terme avant.

« Oh, c’est une personne qui n’a que des muscles et pas de cervelle. Quelqu’un de très fort, mais qui ne réfléchit pas avant d’agir », dit Ryoma tout en haussant les épaules.

« Je vois. Alors ça fait d’eux des têtes de mule. »

Sara fit un signe de tête profond, apparemment convaincue.

Ils n’avaient pas passé autant de temps ensemble, mais la façon dont il parlait semblait piquer son intérêt. Et en effet, Mikhail et ses subordonnés survivants étaient tous impulsifs, ou peut-être irréfléchis. Ils n’étaient finalement pas du tout du genre à réfléchir.

« Mais je suis surpris que ces têtes de mule aient accepté ta proposition. »

« Eh bien, oui. Mikhail est peut-être un crétin, mais ce n’est pas un idiot. Il a compris une fois que j’ai expliqué mon raisonnement. »

Ce jour-là, la proposition de Ryoma avait ébranlé le cœur de Mikhail. Et c’était tout à fait naturel, n’importe qui aurait des soupçons si une personne qu’il venait d’essayer de tuer lui demandait soudainement sa coopération. Surtout après que le plan de Ryoma avait entraîné la mort beaucoup de ses hommes.

Mikhail dirigeait une cinquantaine de soldats de la capitale pour commettre l’assassinat. Il n’y avait plus que cinq personnes qui s’accrochaient encore à la vie dans le chariot en ce moment. Ce qui faisait un total de six survivants, dont Mikhail. Donc, naturellement, leur haine pour Ryoma Mikoshiba était très forte. C’était peut-être un résultat qu’ils s’étaient infligé en tant qu’assaillants dans cette attaque, mais tant de leurs camarades avaient été tués par la contre-attaque de Ryoma…

Mikhail avait quand même accepté la proposition de Ryoma. Ou plutôt, il avait été forcé de le faire, quelle que soit sa volonté. Refuser l’offre ne lui aurait pas laissé d’autres options. Il n’avait pas réussi à assassiner la princesse illégitime et avait perdu la plupart de ses hommes. Juste en termes de renforcement de leur force militaire, la faction des chevaliers n’avait rien à perdre en obtenant la coopération de Ryoma et des mercenaires.

De plus, l’inspection des cadavres des marchands avait démontré que les soupçons de Ryoma étaient exacts. Quelques visages familiers appartenant à la faction des nobles se trouvèrent mêlés aux cadavres, ce qui montrait bien que cette attaque avait été montée par quelqu’un de la faction des nobles.

***

Partie 2

Pourtant, même si Mikhail était convaincu, cela ne signifiait pas que ses subordonnés acceptaient ce partenariat facilement. Enveloppés comme ils l’étaient de cordes, ils ignoraient le sang qui humidifiait leurs bandages et dégainèrent leurs épées, fixant Ryoma d’un regard vigilant. Finalement, ils n’avaient accepté les choses qu’après que Mikhail les avait convaincus, mais ils brûlèrent quand même de haine contre Ryoma. C’était aussi ce qui ressortait des regards méprisants qu’ils portaient sur Laura, même lorsqu’elle remplaçait leurs bandages.

« Eh bien, le sort de Laura était assez puissant. Impossible de contourner ça… »

Ryoma secoua la tête en regardant Mikhail soigner les blessés.

« En plus, Boltz et son groupe s’étaient aussi beaucoup investis. »

« Oui, ce sont vraiment des mercenaires expérimentés. Ils ont pu se coordonner avec Laura sans aucune entraînement conjoint. »

Lorsque plusieurs personnes incantaient la même magie incantatoire, sa puissance pouvait monter en flèche et avoir des effets encore plus importants. Bien que le timing devait être absolument précis. Tout se résumait au fait que Boltz et les autres mages étaient capables de travailler avec Laura.

« Quand j’en ai entendu parler pour la première fois, je n’étais pas sûr que ça marcherait. »

« Heureusement pour nous que cela l’a fait. »

« Oui. Après tout, nous ne pouvions pas nous permettre d’anéantir l’ennemi, mais en y repensant, leur demander de réduire considérablement leur nombre et rien d’autre était un peu fou… Le groupe de Boltz s’en est quand même bien sorti. »

Comme Ryoma avait besoin de certains des ennemis pour survivre afin de pouvoir maîtriser la situation, les tuer tous ne marcherait pas. Leurs champs d’action étaient limités. Honnêtement, ordonner de les tuer tous sans pitié aurait été plus simple…

« Oh ! Tu m’as appelé, mon garçon ? »

Entendant son nom, Boltz tira son cheval près de la calèche.

« Non, je disais juste que tu as vraiment fait du bon boulot là-bas, et qu’on ne s’en serait pas sortis si tu n’avais pas été là. »

« Je suis content de t’entendre dire ça, mon garçon ! »

Boltz répondit aux louanges de Ryoma avec un sourire fier.

« Mais c’est grâce à toi qu’on s’en est sortis vivants, tu sais ? On a juste lancé un peu de magie, c’est incomparable. »

Cela dit, Boltz avait jovialement éloigné son cheval de la calèche. Il était probablement un peu agité par les paroles de Ryoma, et lorsqu’il s’était rendu compte qu’on ne l’appelait pas, il était retourné à son poste.

« Mais qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? », demanda soudainement Laura de derrière Ryoma.

« Whoa, d’où viens-tu ? Et les soldats blessés ? »

La question de Ryoma avait rendu l’expression de Laura amère.

« C’est bon, Mikhail a dit qu’il s’occuperait d’eux. Il est préférable de les laisser entre ses mains que dans les miennes… »

Elle s’était occupée des blessés par bonne volonté, mais les chevaliers survivants semblaient s’opposer à sa présence. Ils pensaient autrefois qu’elle était à l’origine de tous leurs problèmes. Il leur faudrait du temps pour changer leurs attitudes. Ses paroles tout à l’heure insinuaient trop directement qu’il valait mieux que ce soit Mikhail qui le fasse, et non une ennemie comme elle.

Au moment où Ryoma entendit son explication, il ouvrit ses lèvres et claqua brusquement sa langue. Diriger une quelconque rancune contre Ryoma et son groupe était terriblement malavisé dès le départ. C’était eux qui avaient été manipulés par des informations erronées et qui avaient tenté de tuer Ryoma et son groupe, qui étaient complètement étrangers à leur querelle. Même s’ils manifestaient de la colère à l’égard des amis que Ryoma avait tués dans sa contre-attaque, cela ne serait que du ressentiment injustifié.

Malgré le fait qu’il n’aurait pas été étrange pour les hommes de Ryoma de tous les tuer, ils n’avaient pas dit un seul mot de remerciement alors même que leurs blessures étaient traitées. Ils ne semblaient certainement pas comprendre leur position dans tout cela. Pour le dire simplement, il serait impossible pour les deux groupes de coopérer un jour ou l’autre.

« Eh bien, peu importe. Quel est leur état en ce moment ? »

Même s’il était toujours amer face à l’attitude des attaquants survivants, Ryoma changea de sujet. Un nombre important de membres du groupe du lion cramoisi avaient également été blessés lors du premier raid, et leur état de santé pourrait avoir une grande influence sur ce qu’ils feront à l’avenir. Avoir des nouvelles d’eux était une priorité absolue pour Ryoma.

« Eh bien, la majorité d’entre eux s’en sont sorti qu’avec des éraflures et des coupures, mais entre les quelques blessés graves et les mercenaires, nous avions assez de nostrum stockés pour soigner tout le monde, ils devraient tous se rétablir d’ici quelques jours. Tes blessures étaient en fait les plus graves d’entre elles. »

Eh bien, elle les avait qualifiées de graves, mais ces saignements abondants étaient probablement dus à toutes ces coupures et égratignures qu’il avait subies durant cette grêle de flèches. En réalité, grâce à une bonne dose de nostrum, toutes ses blessures étaient déjà cicatrisées, et il ne restait plus qu’à faire fonctionner sa magie pour faire disparaître les cicatrices.

Quand il s’agissait de traiter les plaies visibles, c’était beaucoup plus facile et plus simple sur ce monde que sur celle de Ryoma.

« Tant mieux, alors… »

Entendant l’explication de Sara, les lèvres de Ryoma se courbèrent en un sourire.

« Au pire, on devra peut-être se battre au moins une fois. »

Les mots de Ryoma avaient rendu les visages des jumelles tendues.

« Veux-tu dire que le public avec la princesse ne se comportera peut-être pas bien ? », demanda Laura.

« Eh bien, c’est une possibilité. »

Ryoma hocha la tête doucement.

Honnêtement, cette offre était un pari risqué pour Ryoma. Que la faction des chevaliers ou la faction des nobles ait gagné le conflit à venir ne le concernait pas, et normalement, il ne mettrait pas le bout de son nez dans une lutte de pouvoir aussi irritante. Mais comme il avait été involontairement entraîné dans ce conflit politique, il ne pouvait pas se permettre de ne pas prendre parti pour l’un d’eux.

Et s’il avait choisi de ne pas le faire ? Dans ce cas, Wallace accuserait Ryoma, lui imputant toute la responsabilité, et il y avait même la possibilité que la guilde envoie des assassins en représailles. La probabilité de cette option semblait très élevée, et le groupe de Ryoma n’aurait absolument aucun moyen de s’y opposer.

Ils seraient probablement en mesure de repousser une ou deux tentatives d’assassinat, mais même s’ils continuaient d’échapper à chaque assassinat individuel, ils n’auraient pas de solution réelle. Tant que le pouvoir de la guilde en tant qu’organisation sur le continent demeurerait, ou qu’ils ne s’enfuiraient pas vers un endroit où sa main ne pourrait les atteindre, ils ne connaîtraient jamais la paix.

En fin de compte, l’aspect le plus troublant de toute cette mascarade, c’était que la seule personne qui déciderait s’il avait raison où s’il avait tort dans cette situation était le chef de guilde Wallace lui-même, qui avait conçu toutes ces choses. Le coupable avait aussi la position du juge, et peu importe la preuve que le groupe de Ryoma présenterait ou le témoignage qu’il donnerait, cela n’aurait pas d’importance.

Alors, peut-être devrait-il demander l’aide du chef de guilde d’une autre ville ? C’était aussi un problème en soi. Ryoma, étant un mercenaire sans nom, n’aurait simplement pas pu le faire, mais même le groupe de Lione, qui avait gagné un peu de renom par eux-mêmes comme groupe de mercenaires qualifiés, serait-il vraiment en mesure de voir leur parole prise au sérieux quand ils seront confrontés à Wallace ? Pire encore, puisque l’affaire portait sur une lutte de pouvoir d’un pays, il était clair que les chefs de guilde des autres villes ne voudraient pas être impliqués dans cette affaire.

Le sentiment de camaraderie envers un autre chef de guilde et la force d’un pays étaient tous deux présents dans les coulisses de cette affaire. Personne, à l’exception d’une personne extrêmement vertueuse, ou d’une personne qui tenait beaucoup à faire tomber Wallace, ne serait prêt à rejeter leur politique d’autodéfense dans de telles circonstances.

Donc, dans cette situation où ils n’avaient pas d’autres alliés, si Ryoma et son groupe se plaignaient à un autre chef de guilde, celui-ci croira simplement qu’ils cherchaient des excuses pour avoir échoué leur mission, ce qui était le plus grand piège tendu contre eux. En fin de compte, être dans la vérité ne suffisait pas, il leur fallait le pouvoir de faire reconnaître aux autres qu’ils étaient dans le vrai.

En d’autres termes, pour survivre, Ryoma et son groupe avaient besoin de parler à un chef de guilde autre que Wallace, tout en ayant l’appui d’une personne ayant du pouvoir. Et pour que leurs demandes soient jugées équitablement, il faudrait que ce soit quelqu’un de plus puissant que Wallace.

Et si quelqu’un possédait le pouvoir et l’autorité pour les aider en ce moment, c’était la faction des chevaliers. La faction des nobles les avait déjà contrariés, donc cette possibilité était exclue, et bien que cela aurait pu être différent s’ils avaient été des membres influents d’un autre pays, la faction neutre ne verrait aucun mérite à aider Ryoma. Ce qui signifiait que seule la faction des chevaliers pourrait offrir son aide à Ryoma une fois les combats terminés.

Le seul moyen réaliste dont disposait Ryoma pour se sortir de cette situation était d’obtenir le soutien du royaume de Rhoadseria en tant que nation, en échange de son aide dans la lutte pour le pouvoir contre la faction des nobles. La guilde pouvait avoir des filiales à travers le continent, mais elle ne serait toujours pas en mesure de défier directement un pays entier.

Cependant, ce n’était que la situation de Ryoma. La faction des chevaliers n’avait aucune raison claire d’apporter son soutien à Ryoma. Au contraire, il était même responsable de la mort de certains de leurs hommes. Une personne sentimentale ne prêterait pas l’oreille aux excuses de Ryoma, et le décapiterait sur le champ.

D’où la raison de ce pari : une personne aussi rationnelle, émotionnellement inébranlable, existait-elle là-bas ? Et cette personne verra-t-elle la valeur de l’utilisation de Ryoma ?

Après avoir traversé mur après mur, leur voiture avait finalement atteint le pont-levis menant au château.

« C’est vrai… Maintenant, tout dépend de ma capacité à parler. » Murmura Ryoma avec une anticipation tendue alors qu’ils passaient sous une porte massive du château situé le long de la route menant au palais, son regard se tournant vers le toit aiguisé du château.

À partir de ce moment, Ryoma allait mettre sa vie en jeu pour la troisième fois depuis son arrivée dans ce monde. La force de sa volonté brûlait dans ses yeux.

« La Première Princesse du Royaume de Rhoadseria, Dame Lupis, fait son entrée ! Tous ceux qui sont devant elle, agenouillez-vous ! »

Une femme aux cheveux noirs entra dans la salle d’audience, qui avait un tapis rouge disposé en travers, et annonça l’entrée de la princesse.

Voyant Mikhail s’agenouiller et baisser la tête, Ryoma imita ses actions et s’agenouilla sur le tapis rouge. Après tout, c’était un Japonais, une nation qui avait presque aboli le concept de royauté. Le Japon avait la plus vieille maison impériale du monde, et bien qu’ils n’étaient pas coupés du monde entier, un lycéen moyen n’aurait pas le droit de les rencontrer.

Les connaissances de Ryoma en matière d’étiquette se limitaient à ceci : rester immobile et incliner la tête. Il n’avait donc aucun moyen de savoir quelle attitude était attendue d’une personne qui rencontrait la royauté dans ce monde. Tout ce qu’il avait pu faire, c’était d’imiter les actions de Mikhail avec une expression de doute sur son visage, dans une incarnation spectaculaire de l’expression « à Rome, faites comme les Romains. »

Cela dit, Lione, qui avait reçu l’autorisation de rencontrer la princesse avec eux, n’était également que capable de suivre maladroitement l’exemple de Mikhail, ce qui signifiait probablement que la majorité des gens étaient tout aussi ignorants que Ryoma sur la manière de se comporter devant la royauté. Par contre, les jumelles Malfist s’étaient comportées avec élégance et dignité. Elles étaient peut-être esclaves jusqu’à tout récemment, mais elles étaient néanmoins les descendantes d’une lignée de chevaliers de haut rang qui occupaient des postes importants dans leur pays. On leur avait probablement enseigné strictement ces formes d’étiquette depuis qu’elles étaient enfants.

J’aurais dû leur demander de m’apprendre ces choses à l’avance…

Dans cet état d’esprit, Ryoma attendait simplement l’entrée de la princesse.

Un air solennel était suspendu au-dessus de la salle d’audience. Cette pièce dans laquelle Mikhail les conduisit avait beaucoup de profondeur et de longueur. Un tapis rouge s’étendait de l’entrée jusqu’au trône, et des deux côtés se tenait des gardes armés avec des expressions menaçantes sur leurs visages. Ils étaient une vingtaine. Ils n’avaient pas l’intention de faire du mal à la princesse, mais c’était dangereux pour le camp de Ryoma, car ils n’étaient que quatre.

***

Partie 3

Je suppose qu’il n’y a pas grand-chose que nous aurions pu faire à ce sujet. Je suis content qu’ils nous aient laissés rencontrer la princesse… Bien qu’une audience privée avec elle aurait été mieux…

Après être entrés dans le château, Ryoma et les autres passèrent, ou plutôt, furent enfermés dans une pièce pendant plusieurs heures. Cette pièce leur avait été attribuée sur ordre de Mikhail. Mais il fallait s’attendre à ce que ce traitement soit administré. Même si Mikhail pouvait garantir leur identité, en ce qui concerne les habitants du palais de Rhoadseria, Ryoma était un étranger suspect d’origine inconnue.

Mais bien que Ryoma ne savait pas exactement quel genre de rapport Mikhail avait donné, quand il s’était présenté dans la pièce, ils étaient à nouveau enfermés, et on les avait amenés directement à une audience avec la princesse. Sur la base des informations qu’il avait fournie, on conduirait le groupe non pas à une audience avec la reine, mais dans un autre endroit où ils auraient eu leur tête coupée. Mais les chances semblaient être en leur faveur. À défaut d’autre chose, Ryoma aurait au moins une chance de parler.

Après quelques instants accroupi, Ryoma entendit le bruit d’une porte de l’autre côté de la salle du trône qui s’ouvrait, suivi de l’écho des pas de plusieurs personnes.

Il s’agissait de la princesse Lupis et son entourage, selon toute vraisemblance. Le groupe de Ryoma attendait qu’elle parle, toujours à genoux.

« Levez la tête. »

La voix d’une femme digne résonna dans la pièce.

Tandis que Ryoma levait respectueusement la tête, son regard rencontra celui d’une jeune femme vêtue de vêtements de nobles. Ses cheveux étaient d’une teinte argentée éblouissante, tout comme ceux de Laura. Pour ce qui était de l’âge, elle avait l’air d’avoir une vingtaine d’années.

C’était Lupis Rhoadserians, candidate pour devenir la future souveraine de ce royaume.

Ne s’asseyant pas sur son trône, Lupis regarda simplement Mikhail, qui restait à genoux et ne levait pas sa tête.

« Mikhail Vanash, vice-capitaine de la garde royale. Debout. »

Alors qu’elle prononçait le nom de Mikhail, l’expression de Lupis était empreinte de sévérité et de calme. Mais en même temps, Ryoma sentait chez elle beaucoup d’immaturité. C’était dû soit à son âge, soit à son manque d’expérience.

Vice-capitaine ? Je pensais que ce type était un gros bonnet, mais il a atteint un niveau assez élevé dans le royaume, pas vrai ? Pas étonnant qu’il ait réussi à nous obtenir si facilement une audience avec la princesse… Mais cela dit, il est plutôt impulsif. Et il a mené lui-même la tentative d’assassinat… Soit la faction des chevaliers est vraiment en sous-effectif, soit ils choisissent simplement les gens en fonction de leur lignée et non de leurs capacités ? Je suppose qu’au bout du compte, la question est de savoir s’il est rentable ou non.

Réalisant que Mikhail avait une position plus forte qu’il ne l’avait d’abord soupçonné, Ryoma n’avait pas pu s’empêcher de remercier Dieu. Ses prouesses martiales individuelles mises à part, Ryoma avait reconnu l’extrême inaptitude de Mikhail en tant que commandant en raison de sa nature impulsive, et n’aurait pas deviné qu’il occupait la position aussi influente de vice-capitaine de la garde royale.

Mais à l’inverse, le fait que quelqu’un d’aussi impétueux que Mikhail ait atteint un rang aussi élevé dans ce royaume était inquiétant à sa propre manière. Afin d’obtenir plus de points à prendre en compte, Ryoma se tut et écouta les mots de Lupis.

« J’ai déjà entendu parler de votre rapport par Meltina. Je peux seulement dire que j’ai été très déçue d’apprendre que vous n’avez pas rempli votre mission. Votre échec cette fois-ci a coûté la vie à de nombreux chevaliers prometteurs… Tous ceux qui ont donné leur vie au nom du maintien de l’ordre de ce royaume. Et pourtant, vous vous tenez devant moi, en tant que commandant et survivant… En tant que princesse de ce pays, je n’aurais pas d’autre choix que d’ordonner votre mort. »

Les réprimandes apparentes de Lupis avaient fortement refroidi l’atmosphère dans la salle d’audience. Mais ensuite, Lupis adoucit son expression froide et raide.

« Cependant, vous êtes un chevalier extrêmement valeureux, loyal à la famille royale, et ce royaume ne peut supporter de perdre un chevalier tel que vous maintenant, alors qu’il est au bord de la crise. C’est pourquoi, compte tenu de cela, de vos réalisations passées et du fait que cette mission est le résultat d’une tromperie sournoise de la faction des nobles, j’ai décidé de reporter l’exécution de votre peine jusqu’au jour où nous aurons conclu ce conflit avec la faction des nobles. Et je vous permets de vous absoudre de votre crime avec vos actes dans les batailles à venir. »

Une agitation avait couru à travers la salle d’audience. Sa décision était probablement inattendue, car le visage de Mikhail était en état de choc.

« Votre Altesse. En êtes-vous sur ? », dit la femme aux cheveux noirs qui était entrée dans la pièce avant que Lupis ne parle.

« Je n’ai aucun scrupule à ce sujet. Je ne peux pas faire quelque chose d’aussi stupide que de condamner à mort un chevalier aussi loyal et compétent lorsqu’une guerre civile s’annonce. Je lui ai peut-être accordé un sursis d’exécution, mais je ne l’ai pas déclaré innocent. »

Les paroles de Lupis résonnant dans la salle d’audience, le murmure dans la salle s’était peu à peu atténué.

« Je vous donne ma parole que je répondrai à vos attentes, Princesse Lupis ! »

Mikhail inclina la tête profondément, montrant la plus profonde gratitude qu’il pouvait envers la gentillesse de la princesse.

Je vois… Elle apprécie donc son utilité. Leur faction est déjà affaiblie, donc elle ne veut pas affaiblir davantage sa position… En plus, elle n’a fait que donner un sursis à son exécution, et ne l’a pas jugé innocent. Si Mikhail n’obtient pas assez de succès pour racheter sa propre vie, il est fini… Ouais. Pas mal. Pas mal. Je pensais qu’elle était juste inexpérimentée, mais elle prend certainement en considération les sentiments et les positions des autres pendant qu’elle les gère… Je ne suis pas sûr que Mikhail soit un chevalier aussi doué.

Bien qu’il avait eu de légers doutes quant à son évaluation des compétences de Mikhail, son jugement était beaucoup plus sûr qu’il l’avait prévu. Si tout ce qu’elle voulait, c’était épargner la vie de Mikhail, les familles endeuillées de ceux qui étaient morts sous son commandement pendant le raid contre Ryoma ne resteraient pas sans rien faire.

Pourtant, pousser tout le blâme sur le commandant présent sur le terrain alors que ce stratagème avait trompé l’ensemble des échelons supérieurs de la faction des chevaliers n’aurait pas été juste non plus. À cet égard, le compromis consistant à lui permettre de compenser sa punition en obtenant du mérite grâce à ses réalisations dans l’avenir immédiat peut être considéré comme une décision qui contribue à maintenir cet équilibre politique délicat.

Pas mal… Je suppose qu’on m’a donné un meilleur coup de main que je ne le pensais… Si elle est vraiment ce qu’elle semble être, elle devrait être capable de comprendre la validité et les avantages de mon plan… Mais il reste un problème…

Ryoma avait examiné avec prudence les réactions des gens autour d’eux lorsque la princesse Lupis annonça sa clémence à l’égard de Mikhail et remarqua quelque chose, plusieurs des personnes présentes dans la salle du public se frottaient le visage avec frustration et inimitié. Ce n’était pas une expression flagrante, bien sûr, et ils n’avaient même pas claqué la langue. Mais pendant un bref instant, ils avaient réellement montré ce qu’ils pensaient vraiment.

On dirait que cela ne se résume pas à un conflit entre les factions chevaleresques, nobles et neutres…

Mis à part le fait que Mikhail était assez habile pour gagner la colère de quelqu’un, le problème ici était qu’il y avait des gens dans sa propre faction qui se réjouissaient de la perspective de sa mort, alors que normalement on ne voudrait pas qu’un de leurs alliés meure. S’ils souhaitaient qu’un camarade vienne à mourir, alors…

Est-ce juste une lutte de pouvoir au sein de la faction ? Se pourrait-il que tous les membres de la faction des chevaliers ne soient pas loyaux envers la princesse Lupis ? Eh bien, je suppose que ça expliquerait tout, mais… Dans ce cas, c’est aussi une autre raison pour laquelle je peux me ranger du côté de Lupis.

Bien qu’il ait été heureux de voir que les évènements jouaient en sa faveur, Ryoma s’était abstenu de le montrer sur son visage. Être prétentieux en ce moment, à un moment mal adapté, pourrait nuire à ses chances.

Calme-toi… Je ne suis pas encore tiré d’affaire. La bataille ne fait que commencer. Je dois d’abord persuader la princesse et cette femme… Si par erreur j’éveille leurs soupçons, elles pourraient me faire exécuter sur le champ…

Ryoma jeta un regard pénétrant sur la femme qui se tenait à côté de la princesse. C’était une femme de grande taille, aux cheveux longs, attachés, lisses et noirs. Elle se tenait aux côtés de la princesse, semblant lui servir de bouclier, et était vêtue d’une lourde armure de fer avec deux épées gainées à la taille. Elle semblait très habile à s’en servir. Elle semblait aussi avoir la profonde confiance de la princesse, qui n’avait pas montré un seul signe de mécontentement à l’égard du fait que cette femme avait remis en question son jugement.

« Ainsi, l’affaire de Mikhail est réglée. Passons maintenant au sujet principal. »

Lupis tourna son regard vers le groupe de quatre de Ryoma.

« Je vois. Bien sûr, vous êtes une adolescente aux cheveux argentés… »

La princesse Lupis avait d’abord essayé de dissiper la plus grande source de doute.

« Est-il vrai que vous n’êtes pas une fille du roi Pharst II ? »

« Oui. Je m’appelle Laura. Laura Malfist. Et cette fille est ma sœur, Sara. »

Sara hocha la tête silencieusement en entendant les mots de Laura.

Elles étaient très similaires au niveau de leurs traits.

« Je vois… La ressemblance entre vous deux est frappante. La couleur de cheveux mise à part, on pourrait dire que vous êtes chacune le portrait craché de l’autre… »

Les paroles de Lupis avaient fait en sorte que tous les regards se tournèrent vers les sœurs Malfist. En effet, étant jumelles, leurs visages et leurs physiques étaient pratiquement identiques à l’exception de la couleur de leurs cheveux. Il était bien visible que les deux étaient liés par le sang.

« Votre Altesse… Nous n’avons reçu aucune information selon laquelle la fille illégitime aurait eu des frères et sœurs. »

La femme aux cheveux noirs chuchota à l’oreille de la princesse Lupis.

« Ce nom de famille, Malfist, m’est familier… N’appartient-il pas à une famille de chevaliers du continent central ? »

« Oui, en effet. C’était une lignée de chevaliers qui servaient le royaume du Quift, qui a été détruit par le royaume de Shadora il y a quelques années… La couleur de leur peau et la forme de leur visage ressemblent à celles des habitants du continent central. »

Leurs regards étaient fixés sur les sœurs, et après quelques secondes, elle les quitta des yeux.

« Je vois… Vous êtes différente de la fille illégitime dont on nous a parlé, » chuchota la princesse Lupis d’une voix résignée.

Sa déception était compréhensible. Si Laura était la fille du roi Pharst, la tuer enlèverait l’épine qui allait plonger Rhoadseria dans la tourmente. De plus, le fait que la fille illégitime ait été déplacée dans le pays à ce moment-là, dans la mesure où Laura était utilisée comme appât pour la cacher, signifiait que l’antagonisme entre la faction des chevaliers et celle des nobles allait se transformer inévitablement en un conflit.

***

Partie 4

Que la situation dégénère en conflit armé ou qu’une solution politique soit possible, cette question entraînerait un déclin considérable du pouvoir national de Rhoadseria. C’était, naturellement, une question qui pesait lourdement sur Lupis, qui était une prétendante au trône du pays.

« Dans ce cas, nous ne pouvons vous tenir responsable d’avoir combattu les chevaliers de notre royaume… » chuchota la princesse Lupis, plissant ses beaux sourcils bien entretenus.

Ils avaient dansé au son de fausses informations et avaient lancé une attaque contre de parfaits inconnus. Si l’on considérait ceux qui étaient en faute ici, il n’était guère juste de juger le camp de Ryoma pour les avoir tués. Elle devrait, à tout le moins, donner l’impression d’être magnanime en surface.

« Je suis humilié. Merci pour vos paroles généreuses, Votre Altesse, » dit Ryoma.

Il inclina la tête et fit une révérence.

En réalité, les membres du groupe de Ryoma étaient des victimes qui s’étaient impliquées contre leur gré et qui auraient pu s’indigner dans cette situation. Mais compte tenu de la différence de classe qui séparait un roturier et un membre de la royauté, et en tenant compte des relations futures, le fait d’être inutilement dominateur n’était pas une option.

Exiger que justice soit faite dans le respect de ses droits ne rapportait pas toujours le plus grand profit possible. Non, dans une société hiérarchisée et dans un monde sans aucune conception des droits de l’homme, les faibles qui réclamaient le respect de leurs droits finissaient par avoir la tête sur un piquet sans cérémonie.

« Vous n’avez pas besoin d’être aussi formel. »

Lupis sourit doucement en voyant l’attitude de Ryoma.

« Nous vous avons causé beaucoup de problèmes… Y a-t-il quelque chose que vous souhaitez ? »

Ses paroles étaient beaucoup plus magnanimes qu’on ne le croirait habituellement. Elle devait en effet être une personne amicale et gentille dans l’âme.

Ryoma fit semblant de réfléchir un instant aux paroles de Lupis. Il avait déjà tout décidé à l’avance, mais il avait déclaré que cela donnerait le change.

« Ce n’est pas vraiment un souhait en soi… Mais j’aimerais demander votre aide. »

Ryoma s’exprima avec un ton désolé.

« Vous parlez de l’offre dont vous avez discuté avec Mikhail? »

« Oui, exactement. »

L’expression de la princesse Lupis avait pris une tournure embarrassée aux mots de Ryoma. Étant donné sa position, elle aurait sûrement préféré ne plus s’impliquer avec Ryoma. Si possible, elle leur aurait simplement donné de l’argent et les aurait renvoyés immédiatement, car, en ce qui concerne les chevaliers qui avaient vu leurs amis tués par Ryoma, Ryoma était littéralement un ennemi.

« C’est une question sur laquelle je ne peux pas me prononcer en ce moment même… Vous comprenez sûrement pourquoi. »

Le regard approfondi de Lupis était fixé sur le visage de Ryoma.

Lupis demandait essentiellement à Ryoma s’il réalisait que, même si cela ne la dérangeait pas personnellement de s’unir à lui, l’acte causerait des troubles dans son camp et qu’elle ne pouvait pas se permettre de voir la faction des chevaliers s’effondrer sur elle-même avec la menace imminente d’un conflit contre la faction des nobles.

« Bien sûr, je suis bien conscient de votre position, Votre Altesse. »

Les yeux de Ryoma s’illuminèrent de volonté pure, se concentrant carrément sur les yeux de Lupis.

« Mais avec tout le respect que je vous dois, si vous choisissez de maintenir le statu quo, vous ne serez certainement jamais assise sur le trône. »

Il n’avait même pas le droit de douter de lui-même. Ryoma s’apprêtait maintenant à se battre.

« « « « Insolent imbécile ! Quelle position as-tu pour parler de la sorte, voyou !? » » » »

Et comme prévu, le public présent dans la salle s’était mis à hurler de colère.

Ces réactions étaient évidentes, étant donné qu’il avait fait cette provocation intentionnellement, mais la princesse et la femme à ses côtés n’avaient pas changé leurs expressions. Celui qui éleva la voix était un homme qui se tenait un pas sous le trône.

« Votre Altesse ! Ce voyou irrespectueux doit être exécuté sur le champ ! »

Un homme bien bâti, qui avait jeté un regard menaçant sur le fait que Mikhail avait été épargné par la princesse, lui adressa un regard suppliant, et ceux qui l’entouraient élevaient des voix unanimes en faveur d’elle. Leur orgueil ne supportait probablement pas d’être blessé par un roturier arrogant d’origine inconnue.

« Attendez, Général Albrecht. Ne devrions-nous pas d’abord entendre ce que Son Altesse a à dire ici ? »

« Qu’est-ce que tu dis, Meltina !? As-tu l’intention de prendre cette insulte et de ne rien dire ? Qu’est-il arrivé à ton honneur de chevalier Rhoadserien !? »

Je vois, c’est donc Meltina. L’assistante la plus proche de la princesse.

Ryoma inclina prudemment les oreilles, prêtant attention à la dispute entre Meltina et le général Albrecht.

« Attendez un instant. Cet homme ne nous a pas insultés spécifiquement ! Il a simplement donné son point de vue personnel sur la question ! Son ton était peut-être trop aiguisé pour être respectueux, en effet, mais l’exécuter serait beaucoup trop pénible. Cela ternirait la réputation de Sa Majesté. »

« Es-tu une imbécile ? L’homme a clairement dit que nous allions perdre ! Comment appellerais-tu ses mots si ce n’est pas une insulte aux chevaliers de Rhoadseria !? Si quelque chose pouvait ternir le nom de Sa Majesté, ce serait de laisser cet homme partir la vie sauve ! »

Les paroles de Meltina étaient raisonnables, mais ne servaient pas à apaiser les émotions des autres. C’était surtout dans des endroits comme ceux-ci que les émotions avaient tendance à être fortes et à obscurcir le meilleur jugement des gens qui s’accrochaient obstinément à leur honneur. Le général Albrecht en était un bel exemple.

Finalement, ce fut la princesse Lupis, qui s’était tue depuis que Ryoma avait dit ce qu’il avait à dire, qui mit fin à cette querelle inutile.

« Arrêtez tout de suite. Nous sommes en présence d’invités ! »

Le ton calme, mais clair de la princesse Lupis fit taire tout le monde. Ces invités étaient sans aucun doute Ryoma et ses camarades. Qu’elle les considérât ou non comme des invités, les paroles de Lupis leur avaient été suffisamment puissantes pour calmer tout le monde.

Réalisant peut-être à quel point cette chamaillerie leur donnait un air ridicule, surtout devant un homme qui venait d’être jugé humble et grossier, Meltina et le général Albrecht avait gardé la tête haute en silence.

« Pardonnez ce spectacle honteux… Moi aussi, je souhaite triompher de la faction des nobles en perdant le moins d’hommes possible. C’est la seule façon de défendre le peuple de notre pays… Peux-tu le faire ? »

Lupis avait finalement posé à Ryoma la question qu’il attendait avec impatience.

« Bien sûr. Je promets d’être à la hauteur de vos attentes, quoi qu’il arrive. »

Tandis qu’il disait cela, Ryoma inclina respectueusement la tête devant la princesse.

Son audience avec la princesse Lupis derrière lui, Ryoma avait été conduit seul dans une pièce au fond du château. Alors qu’un chambellan marchait devant lui, Ryoma se souvint de l’expression de haine dans les yeux du général alors qu’il partait.

On dirait qu’il me déteste. Je suppose que c’est logique. Je ne suis après tout qu’un roturier sortant de nulle part…

Il y avait certaines choses qu’il regrettait, si l’on se rappelait comment c’était déroulé l’audience. Il aurait souhaité rejoindre la faction des chevaliers d’une manière à ne pas déclencher tant de conflits. Cela dit, le regretter maintenant ne lui permettait pas de revenir en arrière.

Je suppose qu’avoir piqué l’intérêt de la princesse devrait être ma plus grande réussite ici…

En fait, Ryoma n’avait pas encore dit un mot à propos de sa volonté à rejoindre officiellement la faction des chevaliers. Ce qui était évident, étant donné qu’il n’avait aucune réussite à montrer. Il devra faire valoir ses mérites dans son prochain dialogue avec la princesse.

La bataille de Ryoma n’était pas encore terminée. Au contraire, le moment crucial était juste devant lui.

Le chambellan le conduisit devant ce qui était apparemment l’une des pièces personnelles utilisées par la princesse. Les rayons cramoisis de la lumière du crépuscule avaient peint la pièce en rouge à travers les rideaux de dentelle blanche.

« Merci d’avoir attendu. »

Peu après s’être assise sur le canapé, la princesse Lupis entra dans la chambre, accompagnée de Meltina.

« Non, je vous suis juste reconnaissante d’avoir accepté d’écouter ma requête déraisonnable, Votre Altesse. » dit Ryoma tout en se levant et inclinant profondément la tête.

Ils avaient décidé de discuter du reste en privé, parce que ce ne serait pas pratique dans la salle d’audience. C’était vrai pour Ryoma et la princesse, et les deux personnes avaient donc déplacé leur conversation dans cette pièce, où les yeux indiscrets ne les atteindraient pas. Ryoma était le seul appelé, pour des raisons de sécurité.

« Eh bien, vous n’avez pas besoin d’être si raide. Meltina et moi seules sommes ici, alors mettez-vous à l’aise. »

Il semblerait que la personnalité de Lupis ne soit pas très stricte.

« Oui. Dans ce cas, veuillez m’excuser. »

Après avoir vu la princesse Lupis et Meltina s’asseoir, Ryoma s’assit de nouveau sur le canapé.

« Commençons donc notre discussion. »

Meltina regarda les yeux de la princesse Lupis comme confirmation et se mit à parler.

« Je suppose que vous l’avez déjà remarqué, mais notre infériorité militaire est telle que peu importe le nombre de soldats qu’on nous donnera, ce ne sera probablement pas suffisant. »

Meltina alla droit au but, cela signifiait donc qu’ils n’étaient pas opposés à ce que Ryoma rejoigne la faction des chevaliers. Mais elle jeta ensuite un coup d’œil sur Ryoma qui lui fit comprendre qu’elle allait couper les choses ici.

« Cependant… »

« Vous ne pouvez pas ignorer les plaintes des familles et des amis des gens qu’on a tués ? »

Meltina hocha la tête en entendant les mots de Ryoma.

« Oui, c’est logique… Alors, quelles sont vos conditions ? »

« Que vous nous apportez assez de mérite pour compenser ça. »

Meltina répondit succinctement à la question de Ryoma.

Cependant, ce qu’elle avait dit pouvait avoir de nombreuses implications. Le but de Meltina était de s’assurer que Ryoma était une personne assez puissante pour tenir sa promesse.

« Je vois… donc vous voulez que je montre que j’ai plus de valeur que la simple puissance militaire. »

Lupis acquiesça profondément.

« Je suis sûre que vous le savez, mais si tout ce que nous voulions, c’était du pur potentiel de guerre, nous engagerions des mercenaires indépendants pour défendre notre cause. »

Il était vrai qu’il serait plus simple d’embaucher des mercenaires non apparentés qui n’avaient aucun enjeu dans le conflit auprès de la guilde que d’essayer de compenser une relation déjà aigrie. Cependant, Ryoma avait répondu sans la moindre hésitation.

« Dans ce cas, je pense que vous verrez que je suis une bien meilleure affaire, Votre Altesse. »

« Et pourquoi ça ? »

Meltina considérait les paroles confiantes de Ryoma avec un regard douteux.

« Parce que je vous apporterai la victoire. »

Entendant les paroles de Ryoma, un rire s’échappa des lèvres de la princesse Lupis.

« Vous êtes assez confiant, n’est-ce pas ? »

 

 

« Vous m’humiliez, Votre Altesse. Mais je ne mens pas. », dit Ryoma en inclinant respectueusement la tête.

Son attitude puait la courtoisie hypocrite, mais d’une manière ou d’une autre, Ryoma semblait terriblement convaincant.

« Nous ne pouvons pas vous croire en vous basant uniquement sur des mots. »

« Bien sûr que non, Votre Altesse. »

C’était évident. Si une prétendante au trône était du genre à le croire en se basant uniquement sur ce qu’il avait dit, Ryoma se considérerait comme étant dans de graves difficultés.

« Pouvez-vous alors le prouver ? »

Le ton de la princesse Lupis était paisible, mais ses yeux brûlaient avec l’intention meurtrière d’un animal sauvage.

Ryoma entendit dire que les nobles bavardaient souvent sur sa tendance à être trop gentille avec les roturiers, mais il semblerait qu’il y avait plus qu’une simple bonté naïve chez cette femme.

« Bien sûr… J’aimerais vous le prouver, mais je dois d’abord confirmer certaines choses, si ça ne vous dérange pas ? »

Jusqu’à présent, tout s’était déroulé comme prévu, mais c’était une tout autre histoire à partir de maintenant. Il avait eu l’impression que quelque chose n’allait pas dans la salle d’audience, et qu’elle avait compris quel était maintenant l’objectif principal pour Ryoma.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Avez-vous menti à son Altesse ? »

Avec une froide hostilité dans les yeux, Meltina prit les épées à sa taille.

Elle essaierait probablement de l’abattre là où il se tenait s’il donnait la mauvaise réponse.

« Vous ne pouvez pas vous attendre à ce que je trouve une mesure pour résoudre la situation si je n’ai pas une bonne idée de ce qui se passe, n’est-ce pas ? Ou plutôt… Il y a quelques points que j’ai trouvés suspects dans la salle d’audience. La situation semblait assez différente de ce que Mikhail m’a dit plus tôt. J’espérais que vous pourriez m’expliquer les circonstances directement, Votre Altesse. »

L’explication de Ryoma poussa Meltina à poser un regard interrogateur à la princesse Lupis.

« Pouvez-vous expliquer ce qui vous a semblé suspect ? » demanda Lupis à Ryoma, en essayant de garder son sang-froid.

Elle ne voulait surtout pas montrer qu’elle était agitée dans un moment pareil. Mais à en juger par le mouvement agité de ses yeux, Ryoma s’était rendu compte que ses sentiments de suspicion n’étaient pas seulement dans sa tête.

« D’après ce que Mikhail m’a dit, c’est vous qui dirigez la faction des chevaliers, mais ce n’est pas si simple. »

Un frisson les avait parcourues toutes les deux lors quand Ryoma commença son explication.

« Pourquoi dites-vous ça ? » demanda Lupis en retour, essayant le plus possible de faire semblant d’être calme.

« Ce qui m’a le plus dérangé, c’est que lorsque vous avez pardonné la vie de Mikhail, les gens juste en dessous de vous ont fait des expressions plutôt amères. C’était juste l’espace d’un instant, mais je viens d’en avoir la certitude quand j’ai vu votre visage. »

Un lourd silence était tombé dans la pièce.

***

Partie 5

« Je vois… Dans ce cas, que pensez-vous qu’il se passe réellement? »

La princesse Lupis avait finalement rompu le silence.

« Il ne fait aucun doute que la faction des chevaliers est unie sous votre bannière, mais ils ne sont pas tous directement sous votre commandement. Si je devais me hasarder à deviner, ce général qui se disputait avec Meltina est le centre d’une autre faction… Ou peut-être que c’est l’inverse. Ce qui signifierait que la faction des chevaliers est centrée autour de lui, et vous n’êtes qu’une figure de proue symbolique ? Bien sûr, il y a aussi la possibilité qu’ils détestent tous Mikhail. »

Un autre long silence tomba sur la pièce. Les expressions sur les visages des deux femmes montrèrent clairement que leurs cœurs étaient en proie à des tensions en réponse aux paroles de Ryoma.

On dirait que je suis sur la bonne voie… Ce qui veut dire que je dois changer d’attitude. Non, je devrais d’abord écouter l’objectif de la princesse…

« L’avez-vous réalisé pendant l’audience de tout à l’heure ? »

« Oui. »

« Je vois…, » dit Lupis après un autre long silence.

Ryoma hochant la tête aux paroles qui suivaient.

« Je suppose que vous êtes vraiment une bonne affaire… »

« Votre Altesse… »

La voix de Meltina était pleine de regrets et de tristesse.

« C’est bon… S’il a vu tout cela si facilement, ça ne sert à rien d’essayer de faire passer les choses au second plan, n’est-ce pas ? » dit la princesse Lupis.

Celle-ci tourna son regard vers Ryoma.

« C’est comme vous l’avez dit… Je ne suis rien de plus qu’une figure de proue nominale pour eux. Le contrôle de ce pays est actuellement partagé entre le duc Gelhart, qui dirige la faction des nobles, et le général Hodram Albrecht, qui a la faction des chevaliers sous son contrôle. »

Un membre de la royauté qui n’avait pas de pouvoir réel. L’expression de Lupis devint sombre, comme si elle était tourmentée par sa situation humiliante.

« Je vois. Est-ce le général Albrecht qui s’est disputé avec Meltina ? »

« Correct. »

Même si elle le réprimandait, il avait une attitude qui ne se souciait pas de la façon dont les autres le voyaient. C’était de toute évidence une personne arrogante.

« Je crois que je comprends… Pouvez-vous nous expliquer la situation pour l’instant ? Je ne peux pas vraiment réfléchir à un moyen de changer les choses sans une vision claire de la carte politique. »

« Oui, bien sûr… » Lupis semblait être devenue pensive face aux paroles de Ryoma, puis elle s’était mise à parler.

« Je vais commencer par expliquer ce qu’est la faction des chevaliers. »

L’explication de Lupis prit une trentaine de minutes, et Meltina y ajouta quelques faits ici et là.

« Je vois pourquoi vous êtes pessimiste. La situation est plutôt mauvaise. »

C’était les paroles que Ryoma avait dites après avoir entendu l’explication de Lupis dans son intégralité.

« Même si la faction des chevaliers gagne ce conflit, il n’y aura que le pire avenir possible devant vous. »

Alors que le général Albrecht détiendrait tout le pouvoir réel, Lupis deviendrait superflue dès que le conflit avec la faction des nobles serait terminé. Le fait qu’on lui ait enlevé sa liberté et qu’on l’ait forcée à être enfermée était, ironiquement, une des moins terribles conséquences pour elle. Si Albrecht était le genre de personne à ne pas s’inquiéter de se voir imposer la stigmatisation de la trahison, il pourrait simplement réclamer le trône une fois que la faction des nobles en aurait fini. Non, il n’aurait même pas à usurper le trône, car il pourrait simplement garder Lupis sous son contrôle en tant que dirigeant fantoche.

En d’autres termes, il y avait deux conditions nécessaires pour que la princesse Lupis survive à cette lutte. Tout d’abord, ils devaient remporter la victoire sur la faction des nobles. L’autre condition était d’accroître l’influence de sa propre équipe, celle de la faction de la princesse, en mobilisant ses forces au point qu’elles pourraient résister à la tyrannie d’Albrecht.

La réalisation de l’un ou l’autre de ces objectifs serait un défi, mais s’ils n’atteignaient pas les deux, le sort de Lupis serait scellé. Et Lupis et Meltina le savaient bien.

Et moi qui trouvais que ça se passait un peu trop bien. Penser qu’un tiers seulement de la faction des chevaliers a juré fidélité à la princesse…

La faction de la princesse était comme des rats coincés, d’où leur intérêt à entendre ce que Ryoma, qui arrivait de nulle part, avait à dire. Ils s’agrippaient à n’importe quoi, tout cela pour survivre.

« Je veux faire de la princesse le vrai chef de ce pays ! Pouvez-vous faire en sorte que ça arrive ? »

« Meltina… Merci… »

Lupis remercia Meltina pour ses paroles ardentes et fidèles.

C’était la preuve qu’elles partageaient une relation de confiance qui allait au-delà de la simple relation maître servante.

« Très bien… Alors, laissez-moi revoir les conditions. D’abord, nous devons nous assurer que la princesse devienne la souveraine de Rhoadseria. Et nous devons aussi nous assurer qu’elle ne soit plus une marionnette entre les mains de la faction des chevaliers. Est-ce que j’ai bien compris la situation ? »

Les deux femmes hochèrent vigoureusement la tête.

« Dans ce cas, je pense que je peux arranger ça. Que vous teniez le trône longtemps après l’avoir conquis dépend de vos capacités, mais si je dois juste vous aider à retrouver votre vrai pouvoir, je peux y arriver. »

En fait, il était assez confiant. Il pouvait faire gagner Lupis.

« Vraiment ? »

« Oui. »

Les yeux du duo s’étaient remplis de bonheur et de doutes lors de la proclamation de Ryoma.

« Comment comptez-vous vous y prendre ? »

Meltina se pencha vers l’avant, comme si elle se renforçait.

« En amenant la faction neutre de notre côté. », répondit Ryoma.

Cependant, dès qu’elles avaient entendu sa réponse, leurs deux expressions s’étaient remplies de déception.

« Hmph… J’ai été stupide de croire un homme comme vous », chuchota Meltina, comme s’il avait juste essayé de lui mettre la puce à l’oreille.

« Oh ? N’aimez-vous pas mon idée ? »

« Bien sûr que non ! J’aurais pris l’initiative de le faire depuis longtemps maintenant si c’était possible ! »

« Oh, vraiment ? » demanda Ryoma avec un sourire sur les lèvres.

« C’est vrai ! N’importe qui aurait l’idée d’avoir la faction neutre à nos côtés pour améliorer notre position ! »

Ou plutôt, il n’y avait pratiquement pas d’autre moyen, si ce n’est de demander de l’aide aux pays voisins en échange des terres de Rhoadseria. Et il va sans dire que cela signifierait la destruction finale de Rhoadseria. S’ils voulaient que la princesse Lupis prenne en charge le pays tout en conservant son indépendance, ils devraient incorporer les forces internes du pays dans leur faction.

De plus, il était beaucoup plus réaliste de s’en prendre à la faction neutre, qui ne faisait que regarder sur la ligne de touche, que de s’attendre à diviser la faction des nobles qui s’opposait à eux ou la puissante faction des chevaliers.

« Je vois, alors vous avez essayé… Et personne ne vous a pris au sérieux. »

« Pourquoi, vous… ! »

Elle pensait probablement qu’il se moquait d’elle, parce qu’elle avait dégainé l’une de ses épées et l’avait pointée vers la gorge de Ryoma.

« Ne me regardez pas de haut ! »

Oui, c’est logique… Si elle se comporte comme ça à chaque petite raillerie…

Il avait supposé que Meltina avait une personnalité qui s’emportait assez rapidement d’après la façon dont elle s’est exprimée dans la salle d’audience, et il s’est avéré qu’il avait raison. Elle avait peut-être un beau visage, mais son tempérament était plein d’entrain. À cet égard, elle ressemblait un peu à Mikhail.

Sa loyauté envers la princesse est forte, mais… J’aurais aimé que Lupis trouve des gens plus brillants pour l’aider…

Cette pensée refit surface dans l’esprit de Ryoma, même si l’épée restait pointée sur sa gorge. Il comprit pourquoi la faction neutre avait rejeté son invitation.

« Arrête ! »

« Mais, Votre Altesse ! »

« Meltina ! Calme-toi ! »

Entendant la réprimande de la princesse Lupis, Meltina rengaina son épée, mais avec amertume.

« Tout bien considéré, je comprends pourquoi Meltina était bouleversée », dit la Princesse Lupis.

De la colère se fit entendre dans sa voix.

« Êtes-vous en train de dire que vous seriez capable d’amener la faction neutre de notre côté, même si elle ne le pouvait pas ? »

Bien qu’elle ait fait preuve d’une magnanimité royale, elle n’avait pas avalé les paroles de Ryoma sans aucune preuve, et elle était visiblement très ennuyée.

« Je suis sûr à 80 % que je le peux. »

Ryoma répondit à son regard avec un sourire amer.

« Mais avant ça, j’aimerais demander à Meltina de faire quelque chose. Cela vous dérangerait-il ? »

Meltina et la princesse Lupis échangèrent des regards suite à la question de Ryoma, puis hochèrent la tête en silence.

« Tu en as mis du temps. Ça s’est-il bien passé ? », demanda Sara.

Le soleil s’était couché sous l’horizon il y a quelques heures, et le rideau de la nuit se drapait dans le ciel. L’heure du dîner était dépassée depuis longtemps et la plupart des habitants du château étaient déjà dans leur lit. Malgré cela, les sœurs Malfist accueillirent Ryoma avec le sourire.

« Oui. Je suis surpris de voir que vous êtes encore éveillées à cette heure-ci. »

« Naturellement. Nous ne pourrions jamais dormir sans savoir que notre maître est revenu ! » dit Laura, Sara acquiesçant d’un signe de tête.

« Je n’aime pas le fait que vous soyez les seules encore éveillées… »

Il tourna son regard dans la pièce, où Lione était allongée, les jambes sur la table, tenant une bouteille d’alcool dans une main et envoyant un regard insatisfait sur son chemin.

« Que fais-tu ici, Lione ? »

« Oh, épargne-moi cette merde, espèce d’abruti ! J’ai été sur des charbons ardents tout ce temps à cause de ta petite conversation avec la princesse. »

Lione grogna, vidant le reste du contenu de la bouteille en une seule gorgée.

« Pour être honnête, ça ne me semble pas être une manière de dire ça. »

La vue des bouteilles de vin vides qui jonchaient la table ne l’avait pas non plus convaincue. Il ne savait pas quand elle avait commencé à boire, mais il y avait plus d’une douzaine de bouteilles.

« Soeurette croit en toi, mon garçon. »

Boltz, qui avait probablement bu avec Lione, gloussa en riant, le visage rougi.

« Tu parles trop, Boltz ! » cria Lione, avant que le sourire ne disparaisse de ses lèvres et qu’elle ne se tourne vers Ryoma.

« Alors, comment ça s’est passé ? Tout se passe-t-il comme prévu ? »

Elle avait apparemment dessoûlé depuis un moment, ce qui signifiait apparemment qu’elle buvait d’une manière responsable. L’expression de Boltz était aussi d’un grand sérieux. Des années de travail en tant que mercenaire leur avaient probablement inculqué des instincts de survie suffisamment profonds pour que ces instincts restent lucides, quelle que soit la quantité d’alcool qu’ils consommaient.

« J’ai pensé vous donner les détails demain, mais c’est encore mieux si vous êtes là maintenant. Sara, Laura, asseyez-vous là. »

« Euh… Et pour le dîner ? »

Les sœurs s’étaient habituées à superviser toutes les affaires de Ryoma. La salle à manger du palais était maintenant fermée, mais elles se tenaient prêtes à préparer quelque chose si leur maître leur disait qu’il avait faim.

« Ah, ça peut attendre plus tard. Je m’en contenterai pour l’instant. »

Ryoma s’était bourré les joues avec le bœuf séché que Lione grignotait pendant qu’elle buvait, et leur avait fait signe de s’asseoir.

« Comme tu veux. »

Après avoir confirmé que tout le monde était assis, Ryoma commença à expliquer ce qu’il avait appris lors de son audience avec la princesse.

« Quoi !? La position de la princesse était si inférieure !? »

Lione n’avait pas pu s’empêcher de hausser la voix face au rapport de Ryoma.

Boltz et les sœurs Malfist se taisaient, mais leurs expressions étaient remplies de tristesse.

« Ouaip… Qu’est-ce que tu vas faire ? »

Ryoma haussa les épaules avec un sourire amer.

***

Partie 6

« Mais la faction des chevaliers est entraînée dans une querelle entre ceux qui sont loyaux envers la princesse et ceux qui sont loyaux envers le général… ça complique certainement les choses. »

Boltz, avec son expérience de la vie, pourrait facilement voir le problème.

« Eh bien, c’est comme ça que sont les gens au sommet, n’est-ce pas ? »

Lione répondit aux paroles de Boltz avec un commentaire clairvoyant.

Que ce soit la Terre de Ryoma ou celle-ci, les roturiers semblaient voir les gens au pouvoir de la même façon.

« Mais dans cette situation, peuvent-ils nous aider, non ? »

La question de Boltz fit mouche. Ils pouvaient se mettre à genoux et mendier autant qu’ils le voulaient, Lupis ne voudrait pas les aider sans rien en retour. Avec son propre dos contre le mur, elle n’avait pas le loisir d’aider quelqu’un qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant sans rien à y gagner.

« Eh bien, pas avec les circonstances actuelles telles qu’elles sont. Quoi qu’il en soit, si la faction de la princesse ne peut pas écraser le général Albrecht après avoir géré la faction des nobles, c’est fini pour elle. Mais même si la princesse le comprend, elle n’a pas l’air capable d’améliorer sa position politique. »

« Alors qu’est-ce qu’on fait ? Va-t-on voir le général Albrecht à la place ? »

« Non. J’ai vu le général lui-même dans la salle d’audience cet après-midi, et il a l’air d’avoir ses propres problèmes. Je ne pense pas que le fait de jeter notre sort avec lui donnerait quoi que ce soit. »

Honnêtement, jusqu’à ce qu’il ait vu les choses se dérouler dans la salle d’audience, Ryoma n’envisageait pas l’idée d’aider la princesse Lupis à tout prix. S’il avait été possible de prendre le parti du général Albrecht, il n’aurait pas insisté pour aider inutilement les plus faibles.

Mais en voyant le général Albrecht pendant l’audience, la façon dont il parlait, la façon dont il regardait Ryoma et son groupe, Ryoma pouvait facilement l’imaginer se moquer de leur demande et les ignorer. Au pire, il enverrait même des soldats pour les tuer, pour les empêcher de se mettre en travers de son chemin.

Certes, Albrecht était le plus fort ici, mais comme il ne voulait pas les aider, il ne valait rien pour Ryoma. Au cours de sa vie au Japon, Ryoma avait vu beaucoup de gens qui regardaient les autres comme Albrecht les regardait, des monstres égoïstes qui ne se souciaient que de se régaler de leurs propres gains et profits. Toute promesse qu’Albrecht pourrait faire n’aurait aucun sens, puisqu’il ne l’aurait jamais tenue.

« Donc notre seul choix est de demander à la princesse Lupis de se fortifier, hein… »

Boltz évalua la situation avec les prouesses d’un mercenaire au cœur froid, d’autant plus que ses paroles manquaient d’optimisme.

« Mais tout n’est pas si mal. Au minimum, si nous soutenons la faction de la princesse, nous pouvons compter sur eux pour nous soutenir. »

Les pactes et les promesses faits à une période d’infériorité, où les chances de victoire étaient minces, avaient un fort pouvoir contraignant. De plus, Ryoma s’était rendu compte, après leur brève rencontre, que la princesse Lupis n’était pas du genre à manquer à une promesse.

« Mais peut-on vraiment diviser la faction neutre ? »

« Oui. J’ai demandé plus tôt à Meltina comment elle avait géré les négociations la dernière fois. Si j’y vais, je pourrai les convaincre. »

Tout le monde regarda Ryoma avec stupéfaction quand il répondit au sourire de Lione avec son propre sourire confiant. Ils n’avaient aucune idée de ce qui le rendait si certain de cela.

« Je vous l’expliquerai quand j’aurai réussi les négociations, mais pour l’instant, je me suis arrangé pour que le groupe de Lione soit intégré dans la chaîne de commandement directe de la princesse. Vous vous occuperez surtout de tâche de gardes du corps et de l’entraînement, mais… »

Ryoma coupa ses paroles et tourna un regard inquiet dans la direction de Lione.

« Quoi... Il y a un problème ? »

« Non, mais… Lione, combien y a-t-il de personnes dans le groupe du Lion cramoisi ? »

« Si tu veux parler des gars qui savent se battre, 22, y compris nous », Boltz intervint dans la conversation.

« L’un d’eux a été touché par une flèche pendant le raid, donc une fois guéri, on sera vingt-trois. »

« Ce ne sera pas suffisant… Lione, peux-tu rassembler 70 ou 80 mercenaires de plus sans passer par la guilde ? »

« Eh bien… Il y a quelques groupes avec lesquels nous sommes amis, donc je pourrais améliorer ces chiffres… »

Les mots de Ryoma avaient probablement été une surprise, car la réponse de Lione était quelque peu évasive.

« Mais comme nous ne le ferons pas par l’intermédiaire de la guilde, nous paierons plus que le prix habituel du marché. As-tu l’argent pour ça ? »

« De combien parle-t-on ? »

« Ça dépend de la durée de l’embauche… Si vous voulez 70 à 80 personnes au même niveau que nous, ce sera… Au moins trois cents… Non, 500 ors. »

« D’accord. Je dirai à Laura de retirer ce montant demain, alors va chercher ces mercenaires pour nous. »

« Euh… Entendu. Si tu as l’argent, ça devrait aller. Laisse-moi faire. »

Même si elle avait été surprise par le fait que Ryoma ait accepté cette somme si facilement, elle avait cogné le poing contre sa poitrine dans un geste rassurant.

« D’accord, donc la vraie affaire commencera à partir de demain. Tout dépendra de ce qu’on va faire à partir de maintenant ! »

Tout le monde dans la salle hocha la tête en entendant les mots de Ryoma. Ils comprenaient qu’ils ne pouvaient pas se permettre de perdre dans la tourmente à venir s’ils devaient surmonter cette situation.

« Je m’excuse de vous déranger alors que vous avez sans doute beaucoup de choses à faire. Merci du fond du cœur pour votre patience, comte Bergstone. » dit Ryoma tout en inclinant la tête profondément vers l’homme assis devant lui.

« Je suis Ryoma Mikoshiba, un émissaire envoyé par Son Altesse, la Princesse Lupis. Enchanté de faire votre connaissance. »

Ils se trouvaient dans une parcelle de terrain située à environ deux jours en calèche au nord de la capitale, Pireas, dans un manoir appartenant à l’un des nobles de la faction neutre. Le soleil était à son zénith et, en temps normal, c’était le moment idéal pour déjeuner. En d’autres termes, ce n’était pas le moment le plus approprié pour visiter un domaine noble.

« Oh, non, je ne pourrais pas traiter les émissaires de Sa Majesté trop grossièrement, n’est-ce pas ? D’autant plus que vous avez l’assistante assermentée de Sa Majesté, Lady Meltina, avec vous. »

Le comte Bergstone conclut ses paroles par un rire hautain qui résonnait dans toute la pièce et leur faisait signe de s’asseoir.

Le comte Alan Bergstone avait 43 ans cette année. Tout en possédant une richesse et un territoire dignes de son titre, il était considéré comme un noble de classe moyenne parmi l’aristocratie rhoadsérienne.

« Alors ? Que me vaut la visite des émissaires de Sa Majesté ? »

Inutile de dire que ce n’était pas une question honnête. Les émissaires de la faction de la princesse visitaient le comte Bergstone, un noble appartenant à la faction neutre, au milieu d’un climat politique très fragile dans le royaume de Rhoadseria. Tous ceux qui avaient l’esprit vif se rendraient compte de la raison de cette visite.

« C’est vrai. Commençons alors par le but de notre mission. »

Les paroles de Ryoma firent plisser le sillon frontal du comte Bergstone. Le fait est que Meltina lui avait déjà demandé de l’aide il y a un mois, et sa réponse à l’époque était évidemment un « non ». En voyant que la princesse lui avait envoyé des émissaires à nouveau, il était en fait très exaspéré, car il s’attendait à ce que cette conversation soit une répétition de la précédente.

Mais les paroles inattendues de Ryoma prirent Bergstone par surprise.

« Une mission, dites-vous ? »

Quelle est la signification de tout cela... Et qui est cet homme ? Je ne me souviens pas que quelqu’un comme lui ait été dans l’une ou l’autre des factions…

Bergstone était perplexe, car il était sûr que Meltina dirigerait les négociations. Pourquoi confierait-elle la question cruciale de la demande de coopération officielle à un homme inconnu, sans nom ? Obligé de mener depuis des années un mode de vie malheureux, solitaire et reclus, Bergstone s’était enorgueilli de posséder un sens aigu de la carte politique du palais comme une antenne à l’écoute. En tant que tel, ne pas connaître le nom ou la face de cet émissaire aurait dû être impossible.

Mais le comte Alan Bergstone étouffa ces doutes, incitant Ryoma à continuer avec un sourire doux.

« Oui. C’est le cœur lourd que je dois vous informer que Sa Majesté la princesse est très attristée. »

« Oh ? Qu’est-ce qui pèse sur son bon cœur ? »

L’expression de Bergstone n’avait montré aucune trace d’hésitation face aux mots de Ryoma.

« C’est qu’elle voie le destin s’approcher de la maison noble rhoadsérienne de Bergstone, bien sûr. »

Bergstone dut avaler désespérément le blasphème qui s’était précipité jusqu’à sa gorge au son des mots presque insolents de Ryoma. Il s’attendait naturellement à entendre, comme c’était le cas lorsque Meltina avait tenté de le convaincre, de rentrer dans la lutte entre la faction des nobles et celle des chevaliers. Mais pour une raison ou une autre, le sujet avait changé pour le sort de sa maison, et comme le chagrin de la princesse avait été évoqué comme préface de l’affaire, cela avait dû être une affaire sinistre pour sa famille.

Puisqu’il l’avait traité comme n’importe qui d’autre lui aurait demandé de l’aide, il était naturel que le comte Bergstone soit vaincu par le désir de crier maintenant au scandale. La faction de la princesse, affaiblie comme elle l’était, était-elle en mesure de s’inquiéter pour le bien-être des autres ?

Malgré cela, les nombreuses années de noblesse du comte Bergstone lui avaient donné la force de sourire comme si de rien n’était.

« Oh ? Le destin de ma maison, dites-vous ? C’est très honorable… Son Altesse s’inquiète du sort d’une maison noble aussi mineure que la nôtre, même si elle est en proie elle-même à autant de problèmes. C’est le comble de l’honneur. Pourriez-vous transmettre à Son Altesse ma profonde gratitude pour sa gentillesse ? »

Sa réponse était presque parfaite. Il avait maintenu sa dignité aristocratique, et tout en étant reconnaissant à la princesse en surface, il s’était moqué d’elle à mots couverts. Il disait implicitement : « Êtes-vous vraiment en mesure de vous inquiéter pour nous ? »

Hmm, jusqu’à présent, tout se passe conformément aux informations que j’ai reçues.

Ryoma fut soulagé d’entendre le dard sarcastique dans la réponse du comte Bergstone, parce qu’il pensait que ce dont la princesse Lupis avait besoin en ce moment était quelqu’un capable de faire tourner des intrigues et qui serviraient de cerveau à sa faction. Elle ne manquait pas de puissance militaire uniquement. La politique, l’économie, la diplomatie, la culture, tout cela lui manquait.

Je suppose que c’est parce que tous les assistants de la princesse Lupis sont de la classe des chevaliers… C’est logique, ce ne sont que des crétins.

Et en effet, ce qu’on attendait d’un chevalier, c’était des prouesses martiales et la loyauté envers la couronne, pour servir de bouclier dans la défense du royaume et de la maison royale. Ryoma avait bien compris qu’une nature militariste avait son utilité.

Le problème, c’est qu’ils persistaient tellement dans cette nature qu’ils avaient tendance à agir imprudemment ou à mépriser les évaluations pragmatiques de la situation. Leur loyauté était ferme et absolue, un peu comme l’idée de dévouement désintéressé, en voie de disparition, mais toujours présente dans le Japon moderne.

Bien sûr, cette ligne de pensée n’était pas imparfaite en soi, les chevaliers devaient avoir honneur et fierté. Mais d’un point de vue organisationnel, un groupe constitué uniquement de ce type de personnes aurait pu constituer une organisation extrêmement facile à contrôler, mais également extrêmement incomplète et imparfaite.

C’est pour cette raison que, parmi tous les candidats à amener à la faction de la princesse, le comte Bergstone avait été le premier à attirer l’attention de Ryoma. Cet homme d’âge mûr, qui avait jadis un pouvoir politique important, avait toutefois suscité la colère du duc Gelhart et du défunt roi Pharst II en faisant preuve d’une courtoisie hypocrite et d’une superbe hauteur. Il avait été mis à l’écart du palais une fois que son principal soutien, son beau-père, décéda. Il avait été contraint à mener une vie de reclus…

« Vous êtes trop modeste, comte Bergstone. Vous avez un grand territoire, qui peut se vanter d’avoir une population impressionnante. D’après ce que j’en sais, vous êtes capable d’enrôler un millier d’hommes ? Pour moi, ça ne ressemble pas à une petite maison noble. »

Comparé au duc Gelhart, qui se classait au premier rang des nobles, le pouvoir militaire du comte était certainement insignifiant. Mais il n’y avait pas beaucoup de nobles à Rhoadseria capable d’enrôler mille hommes, et si le comte Bergstone était considéré comme un noble mineur, environ quatre-vingts pour cent des nobles de tout Rhoadseria tomberaient dans la même catégorie.

« Oh, vous tenez ma maison en plus haute estime qu’elle ne l’exige, monsieur l’émissaire. Votre querelle avec la faction des nobles vous a peut-être rendu incapable de porter un jugement sûr ? Ahahaha. »

Ses paroles étaient pleines de moqueries. Elles avaient peut-être été dites d’une voix calme et d’une amabilité feinte, mais c’était proche d’une insulte pure et simple.

***

Partie 7

« Non, pas du tout. Je crois que mon jugement est tout à fait sain. Pour preuve, d’après ce que j’ai entendu, le duc Gelhart a déjà montré un grand intérêt pour vous. Ou peut-être faites-vous déjà partie de la faction des nobles maintenant ? »

Soudain, l’expression sereine de Ryoma s’était inversée en un instant, prenant le comte Bergstone par surprise.

« Quoi… ? C’est… assez ennuyeux. Je vous demanderais de vous abstenir de faire honneur à une rumeur aussi infondée. »

Le comte Bergstone, cachant à tort la surprise qu’il avait sur son visage, sourit à nouveau à l’amiable.

« Oh, réellement !? Eh bien ! Je suis sûr que Son Altesse sera soulagée d’entendre ça. Elle avait été attristée d’apprendre qu’un noble de votre calibre pourrait être exploité par la faction des nobles jusqu’à ce qu’il ne soit plus d’aucune utilité, et qu’ils n’en tirent plus aucun profit. »

« Quoi ? »

Les paroles de Ryoma firent pâlir le comte Bergstone.

« Qu’est-ce que ça veut dire !? »

À ce moment-là, il ne restait plus rien de l’homme calme et recueilli dont il avait joué le rôle il y a encore quelques instants. L’implication de Ryoma qu’il pourrait être utilisé par la faction des nobles jusqu’à ce qu’ils n’aient plus besoin de lui était une chose qu’il ne pouvait ignorer.

« Bonté divine, pourquoi être si caractériel ? Je pensais que ce n’était qu’une rumeur sans fondement. »

Entendant les moqueries de Ryoma, le comte se posa de nouveau sur sa chaise et souleva une grande respiration en secouant la tête.

« Hmph… Assez, cela ne sert à rien de nous pousser les uns les autres plus loin dans nos motivations… »

Le comte Bergstone parla avec un ton quelque peu résigné.

« Vous savez déjà que je fais partie de la faction des nobles, n’est-ce pas ? »

« Oui. »

Ryoma parlait comme s’il le savait depuis le début, mais Meltina, qui écoutait à côté de lui, luttait pour cacher à quel point elle était choquée.

Impossible! Que se passe-t-il? Le comte Bergstone s’est tourné vers la faction des nobles!? Depuis quand… ? Est-ce que les nobles ont déjà agi au moment de ma visite? Non, plus important encore, depuis combien de temps cet homme est-il au courant? Le savait-il déjà au moment où on lui accordait une audience avec Son Altesse… ? Bon sang, ce n’est pas bon… Je dois rester fidèle à mon devoir pour le moment. Dire quoi que ce soit d’inutile maintenant ne ferait que compliquer les choses pour lui…

D’innombrables pensées tournoyaient dans l’esprit de Meltina, mais elle étouffait désespérément ses doutes, concluant qu’il serait sage de surveiller la conversation de manière stoïque.

Il était cependant naturel que Meltina soit confuse. Ryoma ne lui avait rien dit à l’avance. Son rôle était de présenter Ryoma, un nouveau venu, comme membre de la faction de la princesse. Ça et rien d’autre.

La conversation s’était poursuivie sans tenir compte de sa confusion.

« Je ne sais pas comment ces informations ont été divulguées, mais j’ai pris ma décision et je n’ai pas l’intention de la changer. »

Le comte Bergstone jeta un regard noir et provocant à Ryoma.

Maintenant qu’il était clair qu’il faisait partie de la faction de la noblesse, il ne ferait plus semblant de se joindre à la faction de la princesse, qui était maintenant son ennemi. Ryoma haussa les épaules.

« Et bien, ça ne me dérange pas particulièrement. Je n’ai aucune intention d’être une charge pour vous. »

Les lèvres de Ryoma se transformèrent en un sourire.

« Quoi!? Alors pourquoi êtes-vous venu ici!? »

Le comte Bergstone était devenu rouge face à la réponse trop inattendue de Ryoma.

« Que vous faites partie de la faction des nobles n’est pas un problème pour nous. Le seul qui risque de perdre, c’est vous, comte Bergstone. »

Les mots de Ryoma incitèrent le comte à réfléchir.

« Que voulez-vous dire… ? »

Le comte Bergstone parvint finalement à poser cette question.

« Qu’est-ce que vous racontez ? Je risque de perdre ici? »

Aussi suspect que fût le subterfuge ennemi, l’idée qu’il était le perdant de cet arrangement le préoccupait.

« Oh, vous n’étiez pas au courant… ? Je vois. Je suppose qu’il serait pitoyable de vous laisser dans l’ignorance, alors je vais vous expliquer un peu les choses. »

Alors que Ryoma commençait à expliquer les choses avec la même légèreté que s’ils conversaient autour d’un thé, Meltina et le comte Bergstone devinrent progressivement de plus en plus pâles.

« Sous quelle condition vous ont-ils persuadé de rejoindre la faction des nobles, comte Bergstone? »

Bergstone répondit à la question de Ryoma avec une expression aigre. Il s’était probablement rendu compte que le bluff ne rapporterait pas grand-chose à ce stade.

« On m’a promis qu’une fois que la princesse Radine, l’héritière soutenue par la faction des nobles, monterait sur le trône, on me donnerait plus de terres et je recevrais le poste de ministre des Finances. »

« Ce sont des conditions très favorables. »

Comme Ryoma répondait d’une manière presque moqueuse, Meltina déglutit nerveusement.

Le ministère des Finances ? La faction des nobles n’essaie même pas de cacher la façon dont ils se servent de leur pouvoir. Mais de penser que c’est cette position qui l’a poussé à se joindre à eux…

Pour Meltina, qui croyait ardemment que les nobles et les chevaliers allaient rester fidèles à la couronne, c’était un acte détestable et sans vergogne. Elle devait empêcher sa main d’aller par réflexe vers l’épée qu’elle portait à la taille.

« Bien sûr ! La faction de la princesse peut-elle me faire une offre qui corresponde à ces conditions !? »

Ryoma avait dû s’efforcer de cacher ses moqueries face au ton éhonté du comte Bergstone. Le fait qu’il croyait innocemment que la faction des nobles remplirait leur part du marché était ridicule aux yeux de Ryoma. Certes, il s’agissait de conditions très favorables, mais elles n’avaient aucune valeur si ces promesses n’étaient pas tenues.

« Mis à part le fait que la princesse Lupis puisse vous offrir les mêmes conditions, que vous a-t-on demandé de faire en retour ? »

Cette question fit taire le comte. Il avait exposé le fait qu’il faisait partie de la faction des nobles puisqu’il était guidé par l’implication qu’il allait perdre en prenant cette décision, mais exposer les plans de la faction des nobles à la faction de la princesse était déraisonnable.

Ryoma, cependant, avait tout prédit sans même que le comte n’ait à répondre. Même si ce n’était pas évident pour Bergstone, qui était motivé par la cupidité, Ryoma, qui n’avait aucun intérêt en la matière, comprenait les choses clairement.

« Ils vous ont demandé d’empêcher les nobles de la faction neutre d’interférer, et de ne pas mobiliser vos troupes. Qu’en dites-vous ? C’est à peu près ça, n’est-ce pas ? »

« Quoi !? »

Ce seul mot de surprise échappa des lèvres du comte.

« La faction des nobles n’aurait sûrement rien d’autre à vous demander. »

Réalisant que son hypothèse était fondée sur l’argent, Ryoma fit un sourire malicieux dans sa tête.

« Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? »

« Ne pensez-vous pas que la proposition d’agrandir votre territoire et de vous donner le poste de ministre des Finances est un peu exagérée, étant donné le travail que vous allez faire ? »

Ces paroles firent réfléchir le comte Bergstone. Il est vrai que ces conditions lui étaient exceptionnellement favorables. Faire appel à la faction neutre et ne pas déplacer ses troupes étaient deux actions qui ne lui coûteraient pratiquement rien. Au pire, il n’avait rien à perdre sauf la sueur de son front en allant convaincre ses nobles voisins de ne pas s’en mêler.

« De toute façon, ils ont exagéré l’offre à ce point parce qu’ils n’avaient pas l’intention de tenir cette promesse. »

Les mots glacés de Ryoma firent perdre toute la couleur au visage du comte Bergstone.

« I, impossible… Ce n’est pas possible… »

Mais bien qu’il prétendait ne pas y croire, l’anxiété avait germé dans son cœur.

« Ce ne sont pas des promesses réalistes pour commencer. Augmenter vos terres et faire de vous le ministre des Finances. Après tout, vous appartenez maintenant à la faction des nobles. »

Le problème résidait exactement dans ce que les chevaliers et les nobles avaient fait sur cette Terre. Les nobles étaient un rassemblement de gens à qui le royaume avait donné un territoire et qui étaient reconnus comme ayant un certain degré d’autonomie.

Un chevalier, en revanche, était essentiellement une étiquette appliquée à tous ceux qui défendaient la royauté et les nobles, qui avait la capacité de manier la magie et qui était payée par leurs employeurs. Alors que c’était une classe qui obéissait à la noblesse, les chevaliers se voyaient rarement attribuer des terres. Cet honneur n’était décerné qu’à une poignée des plus excellents chevaliers de niveau supérieur.

Bien entendu, les chevaliers constituaient le pilier central de la puissance militaire du pays, et la plupart de leurs positions tournaient autour de l’armée. Les chevaliers et les nobles pouvaient occuper des postes spéciaux, mais fondamentalement, seuls les nobles se voyaient attribuer des postes liés aux affaires intérieures, tandis que les chevaliers recevaient des postes liés à la défense.

Et c’était là que résidait le plus gros problème.

S’ils devaient vaincre la faction des chevaliers, qui étaient responsables des opérations militaires, y aurait-il encore des sièges dans le nouveau gouvernement hypothétique pour un rôle qui aurait à voir avec les affaires intérieures ?

La réponse était non.

Bien sûr, le ministre des Finances actuel risquait de mourir dans le conflit, mais il n’y avait aucun moyen de le savoir pour le moment. Et même si cela se produisait, la probabilité que le comte Bergstone soit celui qui prendrait cette position était pratiquement nulle. Ils nommeraient simplement quelqu’un qui appartenait à la faction de la noblesse.

Si une personne en particulier aidait une faction à passer d’une position d’infériorité à la victoire, ce type de promotion exceptionnelle aurait pu être possible. Mais dans ce conflit particulier, la faction des nobles avait déjà un avantage écrasant sur la faction des chevaliers. Et si quelqu’un décidait de les rejoindre plus tard, comme s’il pariait sur un cheval gagnant, serait-il choisi au détriment de ceux qui l’avaient soutenue depuis le début du conflit. Si tel était le cas, les membres qui faisaient partie de la faction des nobles seraient très mécontents.

Il en allait de même pour l’augmentation des territoires du comte. Étant donné que les chevaliers n’avaient pratiquement aucun territoire à offrir. Si le duc Gelhart cédait des territoires, ils devraient être ceux qui étaient sous le contrôle de la famille royale.

S’il devait affaiblir la maison royale et usurper le trône à un moment donné, il serait possible de donner ces terres. Mais si la faction des nobles l’emportait, le duc Gelhart deviendrait l’homme le plus influent du pays et, mettant de côté ses ambitions envers le trône, il ne céderait jamais les terres de la famille royale à un ancien noble neutre qui s’était joint à lui si tard dans la lutte de pouvoir.

Non, il n’aurait pas de terre à donner à un noble qui était entré si tard dans le conflit et n’avait rien apporté. Si Gelhart devait donner des territoires, il le donnerait à des gens dignes de confiance qui l’avaient servi pendant de nombreuses années. Et s’il faisait autrement, sa faction s’effondrerait sur elle-même, puisque les nobles qui la composaient n’offraient pas non plus leur loyauté sans récompense.

Comme Ryoma l’avait expliqué lui-même, le visage du comte Bergstone avait perdu toute couleur.

« Alors, j’ai été un imbécile durant tout ce temps… »

Des mots d’autodérision quittèrent ses lèvres.

Si la faction des nobles envisageait vraiment de faire du comte Bergstone leur allié, ils ne lui auraient pas donné une tâche aussi simple. Ils lui feraient naturellement gagner la récompense qu’il souhaiterait après la guerre en accomplissant un devoir à sa mesure.

Ils lui avaient probablement dit de ne pas déplacer ses soldats pour qu’il ne commette aucune sorte d’exploit militaire par simple coïncidence. S’il n’allait jamais sur le champ de bataille, il n’obtiendrait naturellement aucune gloire que les autres reconnaîtraient. C’était probablement intentionnel.

Même un enfant pourrait comprendre cette logique s’il s’arrêtait et examinait les choses attentivement, mais le comte Bergstone n’y avait pas pensé avant que Ryoma en parle.

Ils m’ont manipulé à cause de ma cupidité…

Le comte Bergstone se rendit compte qu’il avait été poussé par ses propres désirs insensés, et n’avait pas jugé les choses avec soin.

« Je vois que vous êtes enfin convaincu. »

Ryoma hocha la tête avec satisfaction, lisant les émotions du comte Bergstone dans son expression.

En fait, Meltina, qui était assise à côté d’eux, s’était facilement rendu compte de tout ce que Ryoma avait expliqué, et n’avait rien à ajouter.

« Que dois-je faire ? » demanda le comte Bergstone à Ryoma.

Son expression était pleine d’effroi et d’inquiétude.

« Eh bien, voyons voir. Vous pouvez déjà voir où vous finirez en vous accrochant à la faction des nobles, et vous tourner vers la faction des chevaliers signifierait simplement que le général Albrecht vous jettera une fois qu’il en aurait fini avec vous, non ? Et cela dit, vous ne pouvez plus redevenir neutre… »

Les paroles de Ryoma étaient denses et implicites. Après un moment de réflexion, le comte Bergstone fit une suggestion.

« Mais si je devais aider Son Altesse… »

***

Partie 8

Il avait pris du retard, mais il demandait essentiellement comment la princesse Lupis le traiterait s’il se joignait à elle.

« Eh bien, voyons voir. Je pense que devenir ministre des Finances pourrait être une bonne offre pour vous, mais… »

Les paroles de Ryoma firent que les yeux du comte Bergstone s’assombrirent de déception. Quand on lui avait promis cette position, il était resté très attaché à cette idée. Les mots suivants de Ryoma, cependant, lui avaient redonné de la vigueur au visage.

« Si la princesse Lupis gagne cette guerre, la plus grosse partie de la faction de la noblesse sera probablement purgée au cours du processus… Ce qui signifiera naturellement que certains postes s’ouvriront. Et cela lui permettra aussi d’offrir certains territoires, auquel cas… vous comprenez ce dont je parle, non ? »

Le poison séduisant qui sortait des lèvres de Ryoma attaqua le cœur du comte Bergstone. En d’autres termes, si la faction de la princesse gagnait, la faction des nobles serait grandement diminuée, libérant les postes existants qui seraient remplis par ceux qui coopéraient avec elle. Et comme la princesse servait encore de symbole à la faction des chevaliers, du moins aux yeux du public, se joindre à elle à ce moment-là lui permettrait d’acquérir une position très forte dans sa faction.

De plus, comme l’ennemi était les nobles, les vaincre permettrait à la faction de la princesse de confisquer leurs terres, et le comte Bergstone serait autorisé à participer au partage du butin.

Ce n’est pas une mauvaise offre… C’est bien mieux que d’être utilisé et jeté comme un pion par la faction des nobles, et il pourrait leur faire payer de l’avoir humilié comme ça. Mais… tout ça en supposant que la princesse Lupis l’emporte sur la faction des nobles. Si elle ne peut pas, toute cette discussion serait… Dans ce cas, le fait d’être utilisé par la faction des nobles pourrait en fait être moins nocif.

Le cœur du comte Bergstone était déchiré entre l’avidité et l’instinct de survie.

« Seigneur Mikoshiba… Je suis désolé, mais j’aurai besoin de temps pour y réfléchir. »

« C’est assez raisonnable. Mais de combien de temps aurez-vous besoin ? Nous sommes nous-mêmes très pressés par le temps, donc nous ne sommes pas en mesure d’attendre des jours. »

Ryoma ne pensait pas que le comte Bergstone accepterait d’aider la princesse Lupis ici et maintenant. Du point de vue du comte, il s’agissait d’une décision majeure qui allait influencer le cours de sa vie. S’il avait accepté immédiatement, Ryoma ne lui ferait pas confiance.

Mais à l’inverse, il n’aurait pas supporté le fait qu’il mette trop de temps à se décider, car il devait aller tenter de persuader d’autres nobles neutres.

« J’aimerais que vous me donniez cette nuit pour réfléchir… Je vous donnerai ma réponse demain matin. Alors voulez-vous passer la nuit ici dans mon manoir ? »

« Très bien, alors. J’attendrai avec impatience que vous preniez une sage décision. »

Ryoma prit la main tendue du comte Bergstone et la serra fermement avec un sourire.

Meltina les regarda tous les deux en silence, saisie par une peur inexplicable envers Ryoma Mikoshiba.

« Oh, qu’est-ce que je vais faire… ? »

Après avoir reporté sa décision à demain, le comte Bergstone s’était enfermé dans son bureau, faisant les cent pas et se posant cette question encore et encore.

« Cet homme… Ce qu’il a dit est probablement vrai… Pourquoi ne l’avais-je pas réalisé quand la faction des nobles avait fait son offre… ? »

C’était sa plus grande lamentation. En y repensant, c’était une décision stupide, et aucun regret ne serait suffisant. Sa seule explication était que dix années de vie solitaire avaient émoussé son intellect autrefois aiguisé.

S’il était resté dans la faction neutre, il n’aurait eu aucun lien avec le conflit, quel que soit le camp qui l’aurait emporté. Rester neutre n’aurait peut-être pas augmenté le territoire de qui que ce soit ou permis son retour dans les affaires du palais, mais cela lui aurait permis de conserver le style de vie qu’il avait déjà. Mais il avait été égaré par de douces tentations et il s’était engagé du côté de la faction des nobles, ce qui lui laissait deux choix.

Voici ces choix : rester du côté de la faction des nobles sachant très bien qu’il servirait de pion, ou parier sur un retournement de situation et rejoindre la faction des chevaliers. Le retour à la neutralité serait impossible maintenant. S’il le faisait, une fois les combats terminés, le vainqueur lui infligerait de sévères sanctions.

Mais même s’il connaissait sa position, le comte Bergstone n’arrivait pas à prendre une décision. Et la plus grande raison était que les personnes qui avaient porté cette nouvelle à son attention étaient des émissaires de la faction de la princesse.

Bien qu’il ait été contraint de vivre dans l’isolement, le comte Bergstone avait gardé l’oreille ouverte sur les relations politiques du royaume en prévision du jour où il retrouverait une activité politique. Il savait donc que la princesse Lupis n’était pour l’instant qu’une figure de proue politique pour les chevaliers, et que le véritable pouvoir était entre les mains du général Albrecht.

« Cet homme est venu avec Dame Meltina… ce qui signifie qu’il est directement lié à la princesse Lupis. Ce qui veut dire que je ne suis pas invité dans la faction des chevaliers, mais dans celle de la princesse. »

La princesse Lupis resterait-elle une marionnette entre les mains du général Albrecht ? Quelle que soit sa décision, une fois la guerre avec la faction des nobles terminée, il y avait une chance qu’un autre combat éclate entre les factions des chevaliers et de la princesse. C’est ainsi qu’il avait été invité non seulement dans la faction la plus faible de cette guerre, mais aussi dans la faction la plus faible de celle-ci. Il était naturel que le comte Bergstone soit hésitant.

« Si je les soutiens, je devrai être prêt à tout perdre… »

Il faudrait qu’il soit résolu à mettre de côté son nom de famille, les richesses qu’il a accumulées au fil des ans et les territoires qu’il a accumulés jusqu’à ce jour.

« Le problème est de savoir si Son Altesse peut gagner… »

En fin de compte, tous les problèmes se résumaient à cette question. La faction de la princesse pourrait-elle gagner ? La loyauté du comte Bergstone envers la couronne n’était nullement faible, mais sa loyauté n’était pas si grande qu’il mettrait sa famille en danger. Il ne dirait pas que l’honneur et la loyauté sont dénués de sens, mais un homme ne peut pas vivre que de ces choses.

« Avant ça, je ne pensais pas que la faction de la princesse avait une chance de gagner… »

La méthode de Meltina pour amener les gens à leurs côtés était résolument simple : revendiquer la légitimité de la princesse Lupis en tant qu’héritière et faire appel à leur loyauté. Et même si c’était certainement des choses importantes, ce ne serait tout de même pas suffisant pour toucher le cœur des nobles de la faction neutre.

Et pourquoi donc ? Parce que quiconque accorderait une telle importance à sa loyauté au trône ou à la légitimité de la princesse n’aurait pas choisi de faire partie de la faction neutre pour commencer. Quiconque s’en soucierait serait venu offrir sa loyauté à la princesse Lupis bien avant que Meltina n’entre en scène pour les convaincre.

Ce que le comte Bergstone voulait savoir, c’était comment la princesse Lupis rembourserait sa loyauté, s’il décidait de l’aider. C’est ce qui comptait. Aider la princesse était une bonne chose, mais la mobilisation des troupes nécessitait du matériel et des rations, et tous les soldats qui avaient accompli des exploits impressionnants devaient recevoir les honneurs qui leur étaient dus. Même dans une société hiérarchique, les simples mots « bon travail » ne suffiraient pas.

Mais Meltina ne comprenait pas cela. Tout ce qu’elle avait fait, c’était de parler encore et encore de loyauté envers la princesse, comme un disque rayé. Il était impossible de faire bouger un noble qui n’avait pas une grande loyauté avec cela.

C’était pourquoi le comte Bergstone avait tourné le dos à la princesse. Si sa plus proche collaboratrice, Meltina, était incapable d’un tel niveau d’intelligence, il n’avait d’autre choix que de juger qu’aucune des personnes de son côté ne soit assez exceptionnelle.

En fin de compte, une faction n’était forte que dans la mesure de ses membres, et ce qui allait décider de la victoire, c’est quel camp avait le meilleur effectif.

Le comte Bergstone avait donc tourné le dos à la princesse Lupis et avait accepté avec joie l’invitation de la faction des nobles. N’importe qui aurait voulu se battre, s’il savait qu’il pourrait gagner, d’autant plus lorsqu’on lui offrait la récompense tentante d’étendre son territoire et de gagner du pouvoir.

Mais après la conversation d’aujourd’hui, le comte Bergstone ne savait plus quoi faire. Tout était dû à cet émissaire de la faction de la princesse qui était arrivé aujourd’hui, Ryoma Mikoshiba…

« Je ne sais pas qui est cet homme, mais… Il est intelligent. Peut-être un peu trop… »

Ryoma Mikoshiba. L’homme mystérieux qui était apparu dans la faction de la princesse. Faction qu’il avait cru dépourvue de tout individu sage et avant-gardiste.

Je ne l’ai rencontré qu’aujourd’hui, mais je peux dire avec une certaine confiance que son jugement et sa capacité à évaluer la situation sont assez fiables.

En peu de temps, il avait laissé une forte impression sur le cœur du comte Bergstone. Ses manières étaient bonnes et justes en termes de diplomatie, il avait déjà fait preuve de prouesses impressionnantes.

Ce qui signifiait que les nouvelles de la faction de la princesse pourraient bien s’être améliorées. La faction des nobles avait probablement tenté de séduire d’autres nobles neutres de la même manière qu’ils l’avaient tenté, mais après avoir entendu les paroles de cet homme, personne ne serait assez fou pour accepter leur offre. En d’autres termes, la possibilité de recruter les autres nobles neutres était certainement là.

Oui, avec Ryoma Mikoshiba à leurs côtés, la faction de la princesse allait prendre de l’ampleur, et il était parfaitement possible pour la princesse Lupis de devenir souveraine du royaume de Rhoadseria. Ainsi, le comte Bergstone était en conflit.

« Aaah... Que dois-je faire… ? »

Soudainement, quelqu’un frappa à la porte de son bureau. L’esprit du comte Bergstone, qui avait couru dans les méandres de pensées et de considérations, était immédiatement revenu à la surface.

« Monsieur ? »

La voix d’une de ses servantes amena son esprit conflictuel dans la réalité.

« Le dîner est prêt, et les invités sont déjà assis à la table. »

En regardant par la fenêtre, il s’aperçut que le soleil était déjà couché et qu’un voile d’obscurité couvrait la vue extérieure. Sa rencontre avec Ryoma s’était terminée un peu après une heure de l’après-midi, ce qui signifiait que le comte Bergstone avait passé cinq à six heures à se vautrer dans son bureau.

« Ah, oui… J’arrive tout de suite. »

Le comte Bergstone donna cette réponse succincte avant de corriger son apparence et de partir pour la salle à manger.

Après le dîner, la femme du comte Bergstone, la comtesse Bergstone, entra dans le bureau de son mari après qu’il se soit enfermé à nouveau.

« Oh, c’est toi… Je ne faisais que réfléchir. »

Le comte Bergstone sourit pour masquer sa fatigue et pressa sa femme à s’asseoir sur le canapé.

« Que fais-tu ici si tard le soir ? »

« Tu agissais bizarrement pendant le dîner, alors j’étais juste… S’est-il passé quelque chose ? »

Le poulet rôti qu’ils avaient servi pendant le dîner était le plat le plus prisé de la cuisine de Bergstone, mais contrairement à ses manières habituelles de faire bombance, le comte n’y avait guère touché. De son point de vue, ce n’était pas le moment de prendre un repas.

« Non… Tout va bien. Il n’y a rien dont tu devrais te préoccuper. »

Tout en serrant les épaules de sa femme, il essaya de l’apaiser avec un doux sourire.

Cependant, après avoir été mariée avec lui pendant autant d’années, elle pouvait facilement voir à travers l’ombre sombre qui planait sur le cœur de son mari.

« Non ! Ce n’est pas vrai. Nous sommes mariés depuis douze ans… Comment ne pas dire que quelque chose ne va pas chez toi !? »

***

Partie 9

La comtesse s’inquiétait pour lui du fond du cœur. Ils avaient été liés par ce qu’on appelait communément un mariage politique, mais la comtesse aimait profondément son mari, qui devait avoir quarante-trois ans cette année, et le comte Bergstone aimait sa femme tout aussi profondément en retour.

« Est-ce à cause des invités qui sont arrivés aujourd’hui ? »

Le comte allait bien ce matin-là, mais il s’était soudainement enfermé dans son bureau tout l’après-midi. Il serait tout à fait naturel de soupçonner qu’ils en soient la cause.

« Est-ce que… ça a quelque chose à voir avec le palais ? »

Remarquant le changement d’expression de son mari à sa question précédente, la comtesse s’avança.

En tant qu’épouse légitime d’un noble, elle n’était pas à l’abri des luttes de pouvoir à l’intérieur du pays, puisque les choix de son mari pouvaient décider du sort de la maison entière. Et c’était d’autant plus vrai lorsque ces luttes portaient sur le sort du pays dans son ensemble.

« Ma chère… »

Voyant l’attitude de son mari, la comtesse en était devenue convaincue.

« Ne sommes-nous pas mari et femme… ? Je ne pourrais peut-être pas t’aider, mais si je pouvais porter au moins une partie du fardeau, pourrais-tu me dire quel est le problème ? »

Le comte Bergstone ne pouvait s’empêcher d’être touché par les paroles sincères de sa femme. Peut-être qu’il voulait vraiment le dire à quelqu’un… peut-être qu’il était vraiment en conflit.

« Je ne connais peut-être rien en politique… »

Après que le comte Bergstone eut fait part de ses inquiétudes, la comtesse commença à lui donner une vision hésitante, mais claire de la question.

« Mais si tu soutiens sérieusement maintenant Son Altesse quand elle est la plus faible, je doute qu’elle te maltraite. »

Bien qu’elle prétende ne pas être bien informée sur la question, son opinion ne faisait pas honte à son rang dans la maison Bergstone. Mais même si ses paroles le rendaient heureux, le comte Bergstone secoua lentement la tête.

« Je le sais, bien sûr. Mais ce n’est pas le problème. La question est de savoir si Son Altesse peut gagner, même avec mon aide ! »

La comtesse le savait assez bien, cela allait sans dire. La faction de la princesse était la plus inférieure de toutes, et manquait de ressources humaines. C’était pourquoi le comte Bergstone gagnerait tant en cas de victoire. Mais c’était seulement s’ils gagnaient… S’ils perdaient, il perdrait tout. C’était cette peur qui avait lié et paralysé le cœur du comte.

Mais l’instant d’après, la comtesse déclara quelque chose qui lui ébranla le cœur.

« Alors, très cher… Ne devrais-tu pas la mener à la victoire ? »

Ces mots étaient trop imprévisibles pour le comte Bergstone. Et tandis que son mari se tenait là, gelé par la surprise, la comtesse commença à dire ce que son cœur croyait sincèrement.

« Tu es un homme talentueux. Depuis que je t’ai épousé, je n’ai jamais douté de tes talents… Je crois vraiment que tu es un homme digne d’assumer le destin du royaume de Rhoadseria. Et c’est pourquoi je ne veux pas te voir hésiter ! Reprends la confiance que tu avais avant ! Comme tu l’étais il y a douze ans, tu ne te serais jamais laissé chanceler ici ! Oui. Comme tu étais… »

Une colère qui s’était accumulée pendant de nombreuses années fit frissonner la comtesse.

« Comme j’étais… »

Regardant sa femme fixement, les larmes aux yeux, l’image de son ancien moi, débordant de confiance, fit surface dans l’esprit du comte Bergstone. Il y a douze ans, alors qu’il était encore dans la trentaine, il était l’un des personnages les plus influents de Rhoadseria. Un jeune homme politique d’une sagesse sans bornes, engagé avec assurance dans le commerce intérieur et même choisi pour être l’un des bureaucrates du palais.

Mais l’arrogance précédait la ruine. Et celui qui avait mis la vie du comte Bergstone, qui semblait se dérouler sans heurts, sur cette voie était son plus grand commanditaire et le père de sa femme, l’ancien premier ministre du royaume de Rhoadseria, le marquis Ernest. Celui-ci perdit dans une lutte politique contre le Seigneur Gelhart. En conséquence, ses territoires avaient été confisqués et sa famille avait été conduite au bord de l’extinction. La majorité de ses parents de sang avaient été exilés de Rhoadseria.

Les seuls vestiges de la lignée du marquis Ernest étaient la femme du comte Bergstone, qui s’était mariée dans sa famille, et sa sœur, qui s’était mariée avec un autre noble. Et avant qu’il ne s’en rende compte, le comte Bergstone fut expulsé du centre du pouvoir.

Ce n’était pas une question de talents du comte. Le simple fait qu’il ait épousé la fille d’un ancien adversaire politique l’avait mis dans les mauvaises grâces du Seigneur Gelhart. De plus, sa confiance en ses propres talents lui avait valu l’aversion du défunt roi Pharst II.

Il ne restait plus personne pour lui tendre la main. Finalement, après la perte de son beau-père qui lui servait de bailleur de fonds, et après que le roi le fuyait comme un néophyte stupide et pompeux, le comte Bergstone fut expulsé du palais et contraint de vivre une vie recluse sur son territoire.

Au cours des douze années qui avaient suivi, le comte Bergstone n’avait agi que pour protéger désespérément ses terres. Son entrée dans la faction neutre était simplement due au fait qu’il attendait que la tempête qui s’annonçait le dépasse. Il avait à cœur de se défendre. Et peu à peu, ça l’avait défait.

« Je n’aurais pas hésité là-dessus avant… »

Le visage du comte Bergstone était plein de vie.

Comme la comtesse l’avait dit, il y a douze ans, le comte Bergstone aurait pris le pari sans hésiter et aurait eu totalement confiance en ses capacités. Il n’était peut-être pas aussi talentueux qu’il le croyait, mais une chose est sûre, s’il ne le croyait pas, il resterait un perdant qui aurait perdu avant même que la bataille ne commence.

Qu’aurais-je fait dans cette position il y a douze ans ? Aurais-je même attendu que Meltina s’implique ? Non… Je ne le crois pas. J’aurais proposé mes services à la faction de la princesse et j’aurais aidé la princesse Lupis. On ne sait pas si la princesse peut gagner ? C’est absurde. Si je ne sais pas, je dois simplement m’assurer qu’elle gagne avec mon aide !

Les paroles de sa femme avaient effacé la rouille du cœur de l’homme qui n’avait été préoccupé que par sa défense pendant douze longues années. Et à ce moment-là, la flamme de l’ambition qui brûlait autrefois dans son cœur de jeune homme s’était ravivée.

« Si je me range du côté de la princesse Lupis, une grande gloire ou une défaite amère t’attendra. Et bien sûr, tu partageras mon destin… Es-tu toujours satisfaite de cette décision ? »

Bergstone le demanda à l’épouse qui l’avait accompagné toutes ces années une dernière fois. À ce moment-là, tout cela allait de soi, mais c’était quand même un geste d’affection envers sa femme.

« Oui. Même si ce chemin mène à la potence, je marcherai à tes côtés ! »

Et une fois qu’ils l’avaient décidé, le comte n’hésiterait plus. Il n’essaierait pas de juger s’il pouvait gagner ou non, parce qu’il avait déjà décidé d’utiliser tout son pouvoir pour aider à faire de la princesse Lupis la vraie chef du royaume de Rhoadseria.

« Je vais rencontrer Elnan tout de suite. Aide-moi à me préparer à partir. »

« Tout de suite ? » demanda la comtesse, perplexe.

Il avait déjà attendu douze ans, et il était un peu trop tard pour partir.

« Oui. Je vais reporter ma réponse au Seigneur Mikoshiba à demain, mais donner mon accord demain serait trop ennuyeux. »

Le comte Elnan Zeleph était un autre noble de la faction neutre noble dont les terres partageaient une frontière avec le comte Bergstone, c’était aussi l’homme qui avait épousé la sœur de la comtesse.

Le seul à mériter que je passe de la faction des nobles à la faction de la princesse serait le Seigneur Mikoshiba… Mais si j’attire Elnan dans la faction de la princesse, le mérite me reviendra. Et Elnan est mon beau-frère… C’est probablement le seul homme en qui je peux encore avoir confiance.

Ayant décidé de se ranger du côté de la faction de la princesse, son esprit regagna la finesse qu’il avait autrefois eue dans sa jeunesse. S’il changeait simplement de camp pour la faction de la princesse, le mérite en reviendrait entièrement à Ryoma Mikoshiba. Personne n’aurait tenu le comte Bergstone en haute estime pour avoir changé de camp.

Mais que se passerait-il s’il amenait un autre noble dans son camp au moment où il se joindrait à eux ? Tout le mérite reviendra au comte Bergstone. Donc s’il devait consolider sa position dans la faction de la princesse, il ne pouvait pas se permettre d’échouer.

« Fais tout tout ce que tu peux pour garder le Seigneur Mikoshiba ici ! Compris !? Ne les laisse pas partir avant mon retour ! »

« Oui, très cher. Fais attention en route ! »

Voyant le visage de son mari retrouver l’éclat des années passées, la comtesse inclina profondément la tête.

« Qu’est-ce que ça veut dire !? »

Le duc Furio Gelhart, Premier ministre du royaume de Rhoadseria et chef de la faction des nobles, frappa involontairement du poing sur la table en ébène de son bureau. Son équipe était censée avoir un avantage absolu sur ses adversaires, mais au cours des derniers jours, il avait reçu des rapports troublants les uns après les autres.

« Eh bien… »

« Eh bien, quoi ? Viens-en au fait. »

Craignant le mécontentement de son maître, l’aide de Gelhart hésita à parler, ce qui ne fit qu’attiser la colère du duc. C’était un homme de cinquante-six ans, le bon âge dans la vie d’un politicien. Les cheveux de Gelhart étaient d’une teinte blonde soigneusement peignée et striée de gris. La moustache soigneusement taillée sur ses lèvres impliquait sa nature névrosée. Il avait l’air à première vue d’un homme raffiné, mais l’expression enragée qu’il portait actuellement sur son visage effaçait toute trace de cet élégant visage.

Mais sa colère n’était pas due à un accès de folie. En fait, son assistant était tout aussi confus devant cette avalanche de nouvelles inattendues et troublantes. La seule chose dont ils étaient certains, c’était que les membres de la faction neutre avec laquelle ils avaient signé des accords secrets s’étaient tournés les uns après les autres vers l’ennemi au cours de la semaine dernière. Et alors qu’ils étaient pour la plupart des nobles de classe moyenne, ils avaient tous des terres lucratives sous leur contrôle.

Bien sûr, aussi lucratives soient-elles, leurs terres ne pouvaient pas égaler les siennes, ou celles des autres nobles qui formaient le noyau dur de la faction des nobles. Même le plus fort et le plus grand des nobles de classe moyenne, le comte Bergstone, ne pouvait enrôler qu’un millier de soldats et quelques douzaines de chevaliers. Peut-être pouvait-il ajouter des mercenaires au mélange. Quoi qu’il en soit, son armée ne pourrait compter qu’un millier d’hommes.

Mais même si un noble seul ne pouvait pas renverser le cours de la guerre, cela pourrait être problématique si ces nobles consolidaient leurs forces. Il y avait une parabole sur la façon dont, pendant la période des États en guerre du Japon, un conquérant du nom de Motonari Mori régna sur la région de Chugoku, et enseigna à son fils la légende des trois flèches. Bien qu’il soit douteux que cette histoire puisse vraiment être attribuée à Motonari, c’était une anecdote qui soulignait l’importance de l’unité.

Cette parabole n’avait qu’un seul sens : aussi petites soient-elles, elles pouvaient devenir une armée puissante si elles s’unissaient.

Bien sûr, étant un habitant de cette Terre, Gelhart n’aurait pas pu entendre parler de ce précepte Rearthien avant, mais il en avait compris le sens par lui-même, grâce à de nombreuses années d’expérience. C’est pour cette raison que le duc Gelhart avait fait preuve d’une grâce inhabituelle dans un complot contre les nobles neutres les plus influents. L’appât qu’il leur avait offert était la perspective d’étendre leurs territoires et de leur garantir des positions au sein du gouvernement une fois les combats terminés.

Le résultat avait été que les nombreux nobles qui étaient mécontents de la façon dont il les avait traités pendant longtemps s’étaient tournés vers lui avec une facilité presque comique. En fin de compte, la faction neutre n’était qu’un rassemblement de nobles qui avaient été chassés du centre du pouvoir, et qui étaient déconnectés de l’évolution des temps. S’ils en avaient la chance, ils se jetteraient à ses côtés, leurs yeux s’enflammeraient de cupidité, et manipuler de tels imbéciles pour atteindre ses fins était une affaire simple pour l’homme qui tenait la politique du Royaume de Rhoadseria sous son pouce.

***

Partie 10

Du moins, c’était le cas jusqu’à récemment, jusqu’à ce que les vents commencèrent soudainement à changer de direction. De plus, ceux qui avaient changé de camp étaient des membres influents de la faction neutre, à qui l’on avait offert des conditions très favorables.

Quelqu’un manipule les choses dans les coulisses… Et c’est quelqu’un de brillant.

Le sens de l’odorat politique bien cultivé du duc Gelhart comprit rapidement qu’il s’agissait d’un complot tramé par un ennemi invisible. Les conditions qu’il exigeait des nobles neutres étaient qu’ils ne mobilisent pas leurs troupes, et qu’ils soutiennent la princesse, c’était tout. Le risque qu’ils encouraient était minime, alors que le mérite qu’ils allaient gagner était assez grand. C’était ainsi que les nobles neutres, forcés de mener leurs journées dans le malheur et l’obscurité, affluèrent à ses côtés.

Il va sans dire que, dès le départ, le duc Gelhart n’avait pas l’intention de tenir ces promesses, et il ne les voyait pas comme des membres de la faction des nobles ou de ses alliés. Il ne voulait tout simplement pas qu’ils fassent des mouvements inutiles qui plongeraient la guerre civile dans le chaos.

En outre, si Gelhart devait calculer le nombre de territoires qu’il devrait abandonner s’il respectait sa part du marché, il s’avérerait qu’il devrait donner la moitié des territoires du royaume. De plus, ces accords n’avaient aucun pouvoir contraignant, ils étaient tous faits dans le secret, et comme aucun contrat n’était rédigé, la loi ne leur conférait aucun pouvoir.

Par conséquent, le facteur décisif serait la force armée, et le Duc Gelhart était le plus puissant. Une fois que les nobles réaliseront qu’ils avaient été dupés, il serait trop dangereux pour eux de recourir à des mesures énergiques. Tout le monde, sauf ceux qui manquaient le plus de prudence, céderait simplement à la situation, se tairait et ne ferait rien, aussi mécontents qu’ils puissent être. C’était un raisonnement que même un enfant pouvait comprendre, si l’on faisait abstraction de sa cupidité et si l’on y réfléchissait calmement.

L’intrigue du duc Gelhart était sans défaut, et pourtant tout venait d’être basculé.

Ils ont dû suivre l’avis de quelqu’un d’assez intelligent… Sûrement.

Un claquement de langue échappa aux lèvres du duc Gelhart.

« Nous ne savons que deux choses avec certitude. Les nobles qui nous ont promis leur aide jurent allégeance à la faction de la princesse les uns après les autres, et… »

L’aide de camp continua de faire son rapport. Il savait que ce qu’il allait dire ferait exploser de colère son maître qui contrairement à son apparence, avait un caractère étonnamment colérique. Mais en même temps, ses nombreuses années d’expérience lui avaient appris que se taire conduirait au même résultat.

C’est ainsi qu’il s’était préparé pour les réprimandes à venir et qu’il avait rempli son rôle.

« Certains des nobles qui se sont retournés contre nous font preuve d’une fermeté inhabituelle… »

« Qu’entends-tu par “fermeté inhabituelle”… ? » demanda le duc Gelhart, ayant l’impression qu’on se moquait de lui ici.

« Augmentent-ils les défenses de leurs territoires ? »

Aussi irritant que cela puisse paraître, à la fin, il ne prit pas au sérieux la résistance des faibles. Mais ce que son assistant dit ensuite fit changer la couleur du visage du duc Gelhart.

« Ils rassemblent leurs forces et marchent vers le château… »

« Quoi !? »

Le duc ne pouvait pas cacher sa surprise.

Ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait négliger. Honnêtement, le duc Gelhart n’avait pas été particulièrement dérangé par les nobles neutres qui avaient retourné leurs vestes. Mais ces nobles de la faction neutre mobilisant les soldats de leurs territoires et les stationnant dans la capitale avaient radicalement changé la situation.

Une faction les avait envahies. Bien que cela puisse sembler une perte importante de puissance militaire, ce n’était pas vraiment le cas, puisque tous ceux qui s’étaient joints à eux à ce stade du jeu étaient des opportunistes qui craignaient simplement de voir le mal leur arriver. C’était des parasites qui acceptaient volontiers l’appât qu’on leur offrait, mais qui ne voulaient pas contribuer à la faction qui les nourrissait gracieusement.

Donc dans ce cas, même s’ils portaient la bannière de la faction de la princesse, ils ne seraient absolument pas coopératifs, n’offrant aucune aide militaire ou financière à la faction. Ou du moins, c’était ainsi qu’ils avaient agi jusqu’à maintenant…

C’était la raison pour laquelle le duc Gelhart n’avait pas demandé beaucoup de coopération aux seigneurs de la faction neutre lorsqu’il les avait rapprochés, décidant que tout irait bien s’il s’assurait qu’ils ne se retourneraient pas contre lui. Il savait que demander quelque chose de plus serait inutile.

D’où la raison pour laquelle ce rapport fit paniquer le duc Gelhart autant qu’il le pouvait. Il pensait qu’ils ne feraient tout simplement que coopérer avec la faction de la princesse pour la forme et rien d’autre, en attendant que la tempête de la guerre civile passe.

« Que veux-tu dire… ? Ont-ils juré de leur allégeance à la faction de la princesse en ayant sincèrement l’envie de l’aider? Qui ferait ça pour commencer… ? »

« Le comte Bergstone et le comte Zeleph sont les principaux dirigeants, ils dirigent leurs forces et les armées de petites nobles dans le château. »

C’était peut-être ce qu’il méritait pour les avoir traités comme des insectes qu’il pouvait écraser à tout moment. La rage bouillonnait dans le cœur du duc Gelhart, comme une poix noire et adhésive.

« Grrr… Maudit soit ce comte Bergstone! Que va-t-il donc obtenir en me gênant ainsi!? J’aurais dû l’éliminer bien plus tôt… »

Mais l’instant suivant, le duc Gelhart réalisa qu’il était sur le point de passer à côté d’un point vital, à en juger par sa confusion.

« Attends, as-tu dit la faction de la princesse ? Ils ont rejoint la faction de la princesse, et non celle des chevaliers ? »

Le duc Gelhart avait insisté sur ce point, ce qui avait incité son assistant à hocher la tête avec une expression endurcie.

« Oui. J’en doutais moi-même, mais j’ai fait de multiples efforts pour vérifier, et… Ils ont à coup sûr rejoint la faction de la princesse, pas celle des chevaliers. »

Ces deux choses pouvaient sembler identiques à première vue, mais en réalité, la différence était palpable. La faction des chevaliers avait certainement la princesse Lupis comme étendard, cependant, ils la soutenaient seulement parce qu’en plus d’être la princesse, elle avait servi comme capitaine de la garde royale pendant les dernières années. Il n’y avait pas d’autre raison pour que le général Albrecht la soutienne.

Les seuls qui jurèrent fidélité à la princesse furent, à part les chevaliers de rang inférieur, le vice-capitaine de la garde royale, Mikhail, et un petit nombre d’autres. La majorité des chevaliers de la classe moyenne, ceux qui commandaient les unités, avaient été pris dans la faction d’Albrecht, et le rassemblement de tant de chevaliers avait donné à la faction une influence considérable.

La princesse Lupis n’était qu’une figure de proue pour la faction des chevaliers.

Mais que se passerait-il maintenant que les nobles, aussi peu nombreux soient-ils, offraient leur soutien à la princesse ? Ils disposaient de soldats à la mesure de leur territoire et des ressources financières nécessaires pour engager des mercenaires.

Si les comtes Bergstone et Zeleph amenaient tous leurs nobles voisins aux côtés de la princesse Lupis, elle compterait près de quatre mille soldats. Bien sûr, ce n’était même pas un sixième des forces du duc Gelhart, chef de la faction des nobles.

Le duc Gelhart avait rassemblé une armée de 2 500 hommes grâce à sa fortune personnelle et, s’il devait enrôler les paysans de ses vastes territoires, son armée représenterait à elle seule 25 000 hommes. L’ajout des soldats et mercenaires des factions nobles à ce groupe porterait ce nombre à 65 000 hommes.

Pendant ce temps, le général Albrecht commandait les six ordres de chevaliers de Rhoadseria, qui comptaient 15 000 soldats. Même si l’on excluait les forces qui ne pourraient pas quitter la défense nationale, il pourrait tout de même mobiliser entre 8 000 et 10 000 hommes.

Les forces que la princesse Lupis avait rassemblées à ce stade comptaient probablement 15 000 hommes, quand elles seront réunies avec les troupes de la faction neutre, mais puisque les forces d’Albrecht comprenaient également des chevaliers capables d’utiliser la magie, il possédait toujours l’avantage.

La partie la plus troublante, cependant, était que les nobles étaient passés à la faction de la princesse. Le duc Gelhart prit congé de son aide et s’enfonça profondément dans son fauteuil, méditant sur ces choses d’une manière détendue.

La princesse Lupis… cherche-t-elle à reprendre le contrôle du pays à Albrecht?

Cette pensée fit surface dans l’esprit de Duke Gelhart. C’était la seule conclusion à laquelle il pouvait arriver, à en juger par les actes des comtes Bergstone et Zeleph. Mais il avait été obligé de rejeter cette idée.

Pas impossible. La princesse Lupis ne pourrait jamais gérer ça…

Le duc Gelhart doutait des capacités de la princesse. Elle avait actuellement vingt ans et possédait une personnalité aimable, dépourvue de l’arrogance que l’on trouvait couramment chez les membres de la famille royale. Sa gentillesse, qui plaçait la vie des gens au premier plan, ainsi que sa beauté, lui avait valu une confiance immense de la part des roturiers.

Elle avait également été capitaine de la garde royale pendant cinq ans, sans qu’elle n’ait commis la moindre erreur, de sorte qu’on ne pouvait pas dire qu’elle était impuissante… Du moins, du point de vue du commandement militaire.

Mais c’était peut-être naturel, car la princesse Lupis n’avait aucune expérience politique. Quels que soient ses talents et son tempérament, elle ne devrait pas être capable de gérer habilement quelque chose qu’elle n’avait pas l’habitude de faire.

Si l’un de ses associés était sage, les choses auraient pu être différentes, mais elle avait peu de partisans qui valaient la peine d’être mentionnés, principalement le vice-capitaine de la garde royale, Mikhail Vanash, et son aide personnelle Meltina Lecta. Et le duc Gelhart était assez confiant que, mettant de côté leurs prouesses martiales, ils n’étaient pas très honorés par leur sagesse. Aussi expérimentés qu’ils puissent être, ils n’avaient pas été d’une grande aide pour gérer le royaume.

En d’autres termes, la princesse Lupis était totalement incapable de régner seule sur le royaume de Rhoadseria.

Si la princesse Lupis contrôlait complètement le domaine militaire ou politique, les choses auraient pu être différentes… Je suppose que c’est la raison pour laquelle Albrecht l’a soutenue, pour renforcer son influence et son autorité.

Le duc Gelhart pouvait facilement comprendre la façon de penser du général Albrecht, puisqu’il s’agissait du même type d’individu.

Albrecht abandonnera probablement la princesse d’ici trois ans… Après ça, il la ferait probablement tuer ou emprisonner secrètement. Sinon, il pourrait l’avoir comme maîtresse, vu sa beauté.

Le duc Gelhart lui-même n’était pas obsédé par le trône. Il se voyait probablement comme un homme qui préférait la substance à la gloire. Comparé à lui, le général Albrecht avait une soif de substance et de gloire. Pour l’instant, il se contentait de la substance, mais il était évident qu’il voudrait un jour atteindre la gloire. La gloire d’être le roi de Rhoadseria…

Eh bien, si je gagne, elle sera mise à mort, donc le destin sera le même pour la princesse Lupis, peu importe d’où le vent souffle…

Ayant gagné la princesse Radine comme nouvelle bannière pour unir ce royaume, le duc Gelhart ne voyait dans la princesse Lupis qu’un obstacle. Avoir deux héritiers du trône servirait simplement de déclencheur pour déclencher de futurs conflits.

Cela dit, le duc Gelhart avait ses propres doutes quant à l’authenticité de la princesse Radine en tant qu’héritière. Certes, elle avait les cheveux argentés du défunt roi, sa physionomie était assez semblable à la sienne, et elle portait sa volonté et son tempérament, de sorte qu’on ne pouvait pas facilement supposer que c’était une impostrice.

Mais en tant que tacticien déterminé à gagner ce conflit, le duc Gelhart n’avait pas pu s’empêcher de penser qu’il y avait quelque chose de délibéré dans la situation politique actuelle de Rhoadseria. L’ancien roi meurt, et au moment où son héritier est sur le point de prendre le trône, un enfant illégitime était découvert. Le moment où tout cela s’était produit était tout simplement trop suspect.

***

Partie 11

Et pourtant, Gelhart soutenait la princesse Radine parce qu’il avait absolument besoin d’un héritier de la lignée royale comme étendard s’il voulait s’opposer au général Albrecht. S’il s’opposait à la faction des chevaliers alors qu’ils soutenaient la princesse Lupis sans une icône similaire, il serait simplement qualifié de traître. Et si cela devait arriver, même ses camarades de la faction des nobles pourraient lui tourner le dos.

Gelhart lui-même pensait que c’était insensé, mais avoir une plus grande cause était absolument essentiel en temps de guerre. Même une cause fausse et fabriquée de toutes pièces…

Qu’il en soit ainsi. Même une fausse princesse deviendra une vraie princesse, tant que je la reconnais comme telle… Et si elle s’avère être fausse, je pourrai m’en débarrasser plus tard.

Avec cette pensée en tête, le duc Gelhart sourit. Maintenant qu’il avait une princesse comme cause de guerre, tout se résumait à la puissance militaire, et la faction des nobles avait la supériorité numérique. Ce fait ne serait pas renversé par la faction de la princesse qui accueillerait quelques nobles neutres.

La question est de savoir ce qui a poussé la faction de la princesse à agir tout d’un coup… Mikhail et Meltina ne sont pas si ingénieux. Qui est à l’origine de ce changement ?

Son avantage restait fort, de sorte qu’il pouvait l’ignorer, mais les machinations soudaines de la faction de la princesse n’étaient pas une évolution qu’il considérait comme favorable.

« Eh toi ! Viens ici tout de suite ! »

Après avoir rassemblé ses pensées, Gelhart appela son assistant se trouvant dans la pièce voisine.

« Vous avez appelé, milord ? »

« Oui. Les mouvements de la faction de la princesse m’inquiètent. »

« Devrions-nous envoyer des espions ? »

« Oui. L’argent n’est pas un problème ici, j’ai besoin que tu engages les gens les plus qualifiés que tu puisses trouver. »

L’assistant n’avait pas pu cacher sa surprise. Il savait très bien que son maître n’était pas du tout une personne extravagante avec l’argent.

« Et ensuite, qu’ils découvrent si la faction de la princesse a gagné une sorte de nouveau et sage conseiller… Si une telle personne existe, qu’elle soit tuée immédiatement ! »

Ce n’était pas une décision naïve de la part du duc Gelhart, qui avait remporté de nombreux conflits dans le passé. Il avait réussi à s’en sortir en étouffant les obstacles potentiels dans l’œuf et en prenant possession de l’autorité.

« Comme vous le voulez. »

L’assistant inclina la tête respectueusement et quitta à nouveau la pièce.

« Quiconque se met sur mon chemin, quoi qu’il arrive, sera écrasé sous mon pied ! »

Le duc Gelhart était résolu à utiliser n’importe quel moyen pour gagner, et gagner le doux fruit du pouvoir sur ce pays…

Un demi-mois s’était écoulé depuis que l’assistant du duc Gelhart avait ordonné l’enquête. C’était un après-midi. Un homme et une femme regardèrent Ryoma dans le dos depuis une ruelle, alors qu’il marchait dans les rues de la capitale Pireas.

« C’est donc notre cible actuelle, non… ? »

« Oui, c’est un mercenaire novice. Il ne peut pas encore utiliser la magie. Ce n’est pas vraiment un défi pour toi. »

Pour éviter les yeux des autres, les deux personnes portaient des robes et des cagoules pour se couvrir le visage, mais à en juger par leur voix, c’était une jeune femme et un homme d’âge moyen.

« Je m’interroge là-dessus. »

La femme dirigea un regard suspect sur l’homme.

« Vu la façon dont il se comporte, il n’a pas l’air d’un aventurier typique. »

« Doutes-tu de mes recherches ? »

L’homme semblait furieux de voir qu’on doutait de son travail.

« Il ne peut vraiment pas utiliser la magie, et c’est un débutant de rang E. Vérifies à la guilde toi-même si tu ne me crois pas. »

« Pour ton âge tu es rempli de talent, mais j’ai confiance en mon expertise, tu sais ? Pourtant, tu es le successeur du chef. Si tu n’es pas satisfait de mes méthodes, pourquoi ne pas dire au chef de demander à quelqu’un d’autre de s’en occuper pour toi ? »

Il était probablement très fier de son travail, son œil se rétrécissait en une fente et brillait d’une lumière froide.

« Je m’excuse. Je ne voulais pas dire ça comme ça, et je suis désolée si mes mots t’ont offensé. »

La femme inclina la tête sérieusement.

Un silence s’était installé entre les deux pendant un moment.

« Non, je suis désolé… J’en ai trop dit moi-même. »

L’homme murmura des paroles d’excuses silencieuses, sentant probablement que son attitude était immature.

« Ne te laisse pas déranger par cela. Et surtout, qu’en est-il de ces deux-là avec lui ? »

Le regard de la femme se fixa sur Sara et Laura, qui marchaient à côté de Ryoma.

« Ce sont d’anciennes esclaves. De toute évidence, elles le suivent partout où il va. Mais elles ont toutes les deux été entraînées comme esclaves de guerre, donc elles sont assez capables. Fais gaffe à elles si tu prévois de l’éliminer. »

« Compris. Merci. »

« Très bien, tu peux me laisser l’itinéraire. Tu devras te faufiler dès que les préparatifs seront terminés, alors repose-toi à l’auberge pour l’instant. »

Laissant ces mots dans son sillage, l’homme disparu dans l’allée.

« Ryoma Mikoshiba, hein… »

Après avoir été laissée seule, la femme murmura une fois de plus le nom de Ryoma avant de disparaître dans la foule.

Les rouages de l’histoire du continent occidental se déplaçaient à nouveau, le jeune homme nommé Ryoma Mikoshiba en était le pivot. Le ciel était clair et sans nuages.

Dans le château du duc Gelhart, situé au cœur de la citadelle d’Héraklion.

Sous le clair de lune bleu pâle, une fille se trouvait debout sur le balcon du château et elle leva les yeux vers le ciel nocturne, appuyée contre la barrière de sécurité. Quelles pensées avaient rempli ses yeux d’une telle douleur?

Saisissant la broche d’or suspendue dans la vallée de ses seins abondants, la jeune fille dit la seule question qui pesait sur son cœur.

« Qui… suis-je ? »

Ce doute était né ce jour-là, et même des mois plus tard, elle n’avait pas encore trouvé la réponse.

Non, il y avait déjà une réponse. La sensation froide et métallique de la couronne sur sa tête disait tout ce qu’il y avait à dire. Mais le cœur de la fille ne pouvait pas accepter cette réponse si facilement.

Cette tiare incrustée de pierres précieuses, reposant entre ses serrures en argent soigneusement peignées. Cette splendeur éblouissante était un privilège spécial que personne, à part cette fille et Lupis Rhoadserians, n’avait le droit de porter sur elles dans ce royaume de Rhoadseria.

Je suis de la royauté… ? Ce pays est… La reine de Rhoadseria… ?

Chaque fois que cette pensée lui traversait l’esprit, un frisson se précipitait sur sa colonne vertébrale.

Elle ne pouvait pas nier qu’elle avait une fois admiré et rêvé d’être une princesse, comme d’ailleurs la plupart des filles. Elle ne connaissait pas le visage de son père et avait été privée de sa mère avant même de pouvoir se souvenir d’elle-même. Ainsi, la seule chose qu’une orpheline esseulée pouvait posséder dans ce monde, c’était la liberté de rêver.

Elle rêvait d’être héritière d’une famille aisée. Elle rêvait que son père inconnu vivait encore quelque part et viendrait la chercher un jour. Elle rêvait qu’elle mangerait de luxueux repas à sa guise et porterait des robes de soie.

Alors qu’elle travaillait comme domestique dans le manoir d’un gouverneur d’un petit village agricole à la périphérie du royaume de Myest, le seul plaisir qu’elle eut fut de rêver.

Jusqu’à ce jour-là. Le jour où ces rêves cessèrent d’être de beaux fantasmes pour devenir réalité.

« Est-ce vraiment le bon chemin ? »

Cette seule petite question résonnait si fort dans ses oreilles.

Non. Ce n’est pas… À ce rythme, ce royaume entrera en guerre. Tout ça dans le but de faire de moi leur reine.

Beaucoup de sang serait versé et beaucoup de vies seraient perdues, tout cela pour son bien. Et elle n’était pas assez rêveuse pour ne pas réaliser la gravité de tout ça.

Honnêtement, elle croyait vraiment qu’il valait mieux qu’elle disparaisse tout simplement sans laisser de trace. C’était mieux pour elle et pour le royaume de Rhoadseria.

Je veux m’enfuir… Mais cet homme ne me le permettra plus.

Hélas, contrairement à ce désir de fuir, elle réalisa mieux que quiconque qu’elle avait dépassé le point de non-retour.

Oui, depuis ce jour-là. Depuis le moment où cet homme lui avait rendu visite et lui avait parlé, il n’y avait qu’un seul chemin sur lequel elle pouvait marcher. Lorsque le duc Gelhart, chef de la faction des nobles, devint son bailleur de fonds, elle avait perdu la liberté de partir.

Pas pour l’instant. Si elle essayait d’abdiquer de cette position, la responsabilité d’avoir semé les graines de la discorde dans le royaume lui incomberait entièrement.

Elle était née et avait grandi en tant que roturière, et elle savait à quel point les gens au pouvoir étaient plus égoïstes et indifférents qu’elle ne l’aurait jamais cru. Et de son point de vue, le duc Gelhart était le modèle le plus typique du noble.

Cet homme ne reculera devant rien pour se protéger et protéger le nom de sa famille…

Si les circonstances se retournaient contre lui, le duc Gelhart lui imposerait toute la responsabilité sans qu’il pense une seconde à la protéger. Et s’il le faisait, elle n’aurait aucun soutien et aucun moyen de lui résister.

Et il va sans dire que la punition pour s’être fait passer pour un membre de la famille royale était la mort.

Je suppose que c’est inutile… Le coup le plus sage à faire maintenant, semble-t-il, est de passer son tour.

Cependant, bien que son esprit l’ait parfaitement compris, son cœur n’était pas convaincu.

Cette fille s’appelait Radine Rhoadserians. C’était l’une des deux seules héritières du royaume de Rhoadseria.

Alors que les pressions de l’anxiété et du devoir l’atténuaient, Radine cherchait désespérément un moyen sur lequel elle pourrait s’efforcer… un moyen qui lui permettrait de survivre.

***

Chapitre 3 : La déesse blanche de la guerre

Partie 1

« J’attends beaucoup de votre loyauté et de vos efforts dans les jours à venir. »

La voix de la princesse Lupis résonnait clairement dans la salle d’audience, et les cinq hommes debout devant le trône inclinèrent la tête à l’unisson.

Habituellement, ces hommes ne venaient que pour des visites de courtoisie et insistaient pour rester dans l’expectative, mais l’occasion était différente. Ils étaient tous venus à la tête de centaines de soldats enrôlés sur leurs territoires et avec tous les biens qu’ils pouvaient transporter. Plus que tout, le fait qu’ils aient amené leur famille avec eux démontrait qu’ils étaient sérieux lorsqu’il était question de la guerre à venir.

Les nobles de la faction neutre se rassemblaient sous la bannière de la princesse Lupis. C’était un spectacle qui avait vraiment inspiré beaucoup de gens. On voyait une nouvelle aube se lever sur le royaume de Rhoadseria.

Dans une pièce du château, trois hommes étaient assis, bavardant agréablement pendant que le chaud soleil de l’après-midi affluait dans la pièce. Deux d’entre eux étaient vêtus de vêtements de soie extravagants qui indiquaient clairement qu’ils étaient nobles, mais l’autre était un jeune homme volumineux vêtu de noir. Aussi soigné et propre qu’il fût, on pouvait facilement dire qu’il n’était pas un noble.

Dans cette société hiérarchique de ce monde, et en particulier dans Rhoadseria, où le statut social était strictement appliqué, un roturier aurait rarement le droit de partager un siège avec des aristocrates. Mais il était non seulement là, mais ce jeune homme avait même pris l’initiative dans la conversation.

« Tout semble bien se passer pour l’instant. »

Bien que ses paroles n’aient pas été impolies, son ton n’était certainement pas celui qu’un roturier devait avoir lorsqu’il s’adressait aux nobles. Et malgré cela, les deux nobles ne semblaient pas bouleversés ou fâchés par ses paroles. Ils hochaient simplement la tête, et avaient des visages souriants.

« Oui, j’ai réussi à convaincre trois autres nobles de venir à nos côtés dès aujourd’hui. Comment ça s’est passé pour toi, Elnan ? »

« J’en ai convaincu quatre jusqu’ici. »

Le comte Zeleph répondit à la question du comte Bergstone en faisant tourner sa moustache.

« Et il y en a trois autres qui ont juste besoin d’un autre petit coup de pouce avant de se tourner vers nous. »

Le comte Bergstone répondit à ces paroles avec un sourire ironique et un signe de la tête.

« Je suppose que tu as gagné ce pari… »

« Oui, c’est ce qu’il semble. »

« Compris. Je ferai verser pour toi le vin le plus précieux de mon domaine. »

« J’ai hâte d’y être. Je viendrai chercher ma femme quand nous le pourrons, je suis sûr qu’elle a hâte de revoir sa sœur. », dit le comte Zeleph en souriant.

Cet homme qui parlait au comte Bergstone avec une approche un peu facile, grâce à des années de liens filiaux, était le comte Elnan Zeleph. Il était dans la trentaine tardive, avec un ventre déjà proéminent qui commençait déjà à augmenter au fil du temps. C’était l’image même d’un noble d’âge mûr. Si l’on imaginait son apparence, on pourrait dire qu’il ressemblait davantage à un bonhomme de neige portant une perruque blonde.

Mais contrairement à son apparence morose, c’était en fait un esprit fort. Si le comte Bergstone devait être comparé à une lame tranchante, le comte Zeleph était une lourde hachette.

Comme le comte Bergstone, feu le marquis Ernest avait reconnu ses talents et lui avait offert la main de l’une de ses filles en mariage. Après le renversement du marquis, il avait dû subir la colère du duc Gelhart, l’obligeant à vivre tranquillement dans son territoire pendant des années. Mais une rancune contre le duc qui l’avait contrarié toutes ces années devait probablement brûler avec force dans son cœur.

Avec le comte Bergstone, il avait rendu visite à des nobles neutres avec lesquels il avait de l’amitié, et en avait rassemblé un bon nombre sous la bannière de la princesse au cours du mois dernier.

« Je savais que vous seriez fiables, mais je ne pensais pas que nous verrions nos efforts porter leurs fruits si tôt. »

Bergstone et Zeleph répondirent aux paroles de Ryoma en échangeant un regard et en souriant, comme pour dire que c’était un résultat évident.

Cela ne faisait pas un mois que le comte Bergstone avait juré fidélité à la princesse Lupis. Même s’ils n’avaient fait que raviver les rancunes contre la faction des nobles qui couvaient déjà sous la surface, la performance des comtes avait donné des résultats impressionnants, de l’avis de Ryoma. Mais de leur point de vue, il fallait s’y attendre.

« C’est uniquement parce que vous nous avez fait confiance, Sire Mikoshiba… Si nous étions accablés par des limitations inutiles, même nous ne pourrions pas trop bouger. »

« Elnan dit la vérité… En fin de compte, même l’épée la plus raffinée et la mieux forgée serait aussi insignifiante qu’une montagne de lames rouillées si elle n’est pas utilisée. »

Ryoma écouta leurs paroles avec silence et en ayant un sourire ironique. Se qualifier de lames raffinées… Ryoma avait l’impression qu’ils avaient une confiance exagérée en lui, mais comme ils avaient réussi le grand exploit d’amener les nobles de la faction neutre dans les rangs de la faction de la princesse, Ryoma ne pouvait pas trop se plaindre.

Et en plus, leur perception n’était pas fausse. Quelle que soit la quantité de pouvoir dont on disposait, cela ne signifierait rien à moins qu’on ne lui donne une chance d’être utilisé à bon escient. Certaines puissances ne pouvaient s’épanouir que dans un monde déchiré par la guerre. Et certaines personnes ne peuvent pas montrer leur valeur en temps de paix. Cao Cao, héros de la romance des Trois Royaumes, avait déjà été décrit comme « un ministre compétent en temps de paix et un héros sans scrupules en temps de chaos », mais tout le monde ne pouvait pas prospérer en temps de paix comme en temps de guerre. Ryoma Mikoshiba en était un exemple, jusqu’à ce qu’il soit appelé dans ce monde, il n’avait été qu’un lycéen ordinaire.

« Eh bien, regarde juste pour l’instant. De plus en plus de nobles vont jurer leur fidélité à la princesse Lupis. »

« Elnan a raison. »

Le comte Bergstone hocha la tête, renforçant les paroles du comte Zeleph.

« Beaucoup de nobles de la faction neutre sont rancuniers envers la faction des nobles. S’ils apprennent l’escroquerie du duc Gelhart, ils ne resteront pas les bras croisés et alignés sur la faction des nobles. »

Les nobles de la faction neutre avaient de fortes rancunes parce qu’ils avaient été éloignés du centre du pouvoir pendant de nombreuses années. Par conséquent, quand ils se rendirent compte qu’ils pourraient être ceux qui prendraient le pouvoir politique dans le royaume de Rhoadseria une fois la faction des nobles purgée, ils s’étaient précipités dans la capitale avec un sérieux auquel on ne s’attendait normalement pas pour prêter allégeance à la Princesse Lupis.

Rancune et profit. Ces deux émotions pousseraient les nobles de la faction neutre à se précipiter aux côtés de la princesse Lupis.

« Sur un autre sujet, il semblerait qu’on ait beaucoup de mal à faire amener la faction des chevaliers de notre côté. »

Le comte Bergstone changea de sujet, car la conversation précédente n’avait que trop duré.

« Oui, je suis bien au courant. »

Ryoma répondit par un soupir, tandis que Bergstone envoyait un regard indiscret dans sa direction.

Alors que l’intégration des nobles se déroulait bien, les tentatives pour convaincre les chevaliers de changer de camp avaient, franchement, mal tourné.

« C’est un problème… Nous devons éviter la division de la faction des chevaliers si l’on veut que la princesse Lupis puisse garder le contrôle du pays une fois que nous aurons renversé le général Albrecht. Maintenir la défense du pays avec les forces que nous avons actuellement est impossible. Votre performance semble être un peu juste, Seigneur Mikoshiba. »

En contournant du doigt sa moustache bien entretenue, le comte Zeleph accusa Ryoma de négligence.

« Je suis entièrement d’accord avec Elnan. Si nous ne transformons pas les chevaliers en allié, nous ne pourrons pas garder le trône, même si nous nous débarrassons du général Albrecht. »

Ils étaient parfaitement synchronisés, presque admirablement. Il semblerait que ces deux-là avaient une idée de la situation avant la réunion. Ryoma ne pouvait accepter leur réprimande qu’avec un signe de tête silencieux. Même sans que cela ait été signalé, Ryoma réfléchissait frénétiquement à ce problème.

Quelques problèmes devaient être résolus pour que Lupis Rhoadserians puisse gouverner le royaume, en nom et en pratique, et l’un d’entre eux était de reprendre le contrôle des chevaliers du général Albrecht.

Les chevaliers étaient des guerriers capables de manier la magie. Ils servaient des nobles ou des membres particuliers de la famille royale. Pour que vous puissiez le comprendre plus facilement, on pourrait dire que les chevaliers étaient des employés permanents, alors que les mercenaires étaient des temporaires. Le potentiel de combat que leur avait conféré la magie leur avait permis de devenir la colonne vertébrale de la force armée. Les chevaliers étaient la plus forte organisation armée de Rhoadseria et, s’ils ne pouvaient pas devenir des alliés, le trône de la princesse Lupis serait aussi fragile qu’un château de cartes.

Cela va sans dire, cependant…

C’était un âge tumultueux, et on pourrait dire que la règle de survie du plus fort régnait sur ce monde. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, de nombreuses personnes montraient leurs crocs avec avidité dans l’intention de s’emparer de morceaux de terres, et protéger le pays de ces loups affamés ne serait pas une tâche facile.

La puissance militaire était nécessaire pour attaquer d’autres pays, mais elle était également nécessaire pour défendre son propre pays, et cela était vrai même s’ils évitaient les hostilités par des négociations. Un pays ayant une armée faible serait désavantagé à la table des négociations.

Je ne peux pas assumer la responsabilité de la façon dont Lupis dirigera ce pays après la guerre… Mais je ne peux pas prétendre que ce n’est pas un problème. Ce ne serait pas juste.

S’ils ne voulaient pas être pointilleux sur les moyens avec lesquels ils allaient remporter leur victoire, Ryoma pourrait créer autant de projets que nécessaire. S’il poussait les choses à l’extrême, il serait prêt à massacrer les chevaliers si c’était la solution la plus facile. Mais une fois que l’on envisageait l’avenir de Rhoadseria sur le long terme, la gamme des options disponibles était devenue beaucoup plus étroite.

« Donc, ces deux-là ne pourraient pas le supporter… Bien que je suppose que tout cela corresponde à nos attentes. »

Bergstone poussa un soupir insatisfait.

« Je ne m’attendais pas à grand-chose d’eux pour commencer… »

Cela ne servait à rien de demander de qui ils parlaient à l’heure qu’il est. Réalisant l’intention dans le regard du comte Bergstone, Ryoma haussa les épaules et secoua la tête.

Il ne pouvait pas traiter Meltina et Mikhail d’idiots. Ils étaient nés dans des familles de chevaliers de haut rang et avaient reçu une éducation appropriée. Mais leur fierté et leur conviction d’être chevaliers étaient trop fortes, et ils étaient presque étonnamment mauvais quand il s’agissait d’écouter l’autre partie, les prenant même parfois de haut. Leurs convictions entravaient leur capacité à prendre en compte et à respecter les positions des autres.

« Mais nous ne pouvons pas laisser les choses telles qu’elles sont. Je crois que je n’ai pas besoin d’en expliquer la raison, Seigneur Mikoshiba. »

Le comte Bergstone fixa le visage de Ryoma avec un soupçon de reproche dans ses yeux.

***

Partie 2

« C’est exactement comme vous l’avez dit, comte. Mais y a-t-il quelqu’un d’autre que ces deux-là qui puisse diviser les forces de la faction des chevaliers ? Ils n’écoutent même pas ce que la faction des nobles a à dire. »

Les paroles de Ryoma incitèrent le comte Bergstone à se taire dans l’expectative. Comme l’avait fait remarquer Ryoma, les chevaliers considéraient les nobles clairement comme des ennemis. Et comme les nobles pensaient exactement la même chose des chevaliers, c’était devenu un grand facteur de restriction dans des moments comme celui-ci.

Même si Bergstone venait personnellement pour tenter de les convaincre, la plupart des chevaliers refuseraient très probablement par sentimentalisme. Au pire, ils pourraient même ne pas se présenter aux négociations. À cet égard, malgré leur manque d’aptitude à la négociation et à la persuasion, Meltina et Mikhail avaient au moins de meilleures chances de ne pas se voir refuser l’entrée.

Après un long silence, le comte Bergstone ouvrit les lèvres pour parler.

« Je vois… Oui, je comprends ce que vous essayez de dire, Seigneur Mikoshiba. Je ne vois personne de plus approprié que ces deux-là… »

Il savait très bien que cette tâche dépassait les capacités de Meltina et de Mikhail, mais il avait besoin de quelqu’un de digne de confiance pour mener les négociations avec la faction des chevaliers, de préférence une personne ayant un certain degré de popularité.

Tous deux étaient extrêmement loyaux envers la princesse Lupis et avaient leurs propres réalisations respectives en tant que vice-capitaines de la garde royale et comme l’une des épéistes les plus prometteuses du pays. Plus importants encore, ils étaient descendants de familles de chevaliers qui avaient servi depuis la fondation du royaume.

Capacités, confiance et gloire. Personne d’autre qu’eux ne remplissait ces conditions préalables dans la faction de la princesse, qui était déjà désavantagée par le nombre. Il n’y avait personne d’autre à choisir, et Ryoma ne pouvait utiliser efficacement que les effectifs dont il disposait.

« Mais quand on considère l’état d’après-guerre, laisser à ces deux-là le soin de s’occuper de ça me préoccupe un peu… »

Ils hochèrent la tête en silence en entendant le comte Zeleph. En termes de compétences individuelles, Meltina et Mikhail avaient certainement ce qu’il fallait, mais un commandant de soldats ne pouvait pas nécessairement diriger d’autres généraux. Du point de vue de Ryoma, il doutait même de leur capacité à commander des soldats normaux.

« C’est mauvais… À ce rythme, au moment où nous renverrons le général Albrecht, les pays voisins tourneront leur regard vers nous. »

Le comte Bergstone secoua la tête en soupirant.

« Xarooda et Myest sont une chose, mais Tarja au sud-est particulièrement dangereux. Nos escarmouches avec eux à la frontière sud ont été incessantes. »

« Elnan… si je me souviens bien, la femme du général Albrecht est la fille d’un noble tarjien influent. »

Le comte Zeleph examina les paroles du comte Bergstone et hocha la tête.

« Oui, si je me souviens bien, c’était sous les ordres de l’ancien roi. »

Les mariages politiques étaient souvent célébrés entre membres de familles royales de pays différents. Mais dans les cas où ils n’étaient pas majeurs, où le couple était trop incompatible ou s’il n’y avait pas de célibataire à offrir, quelqu’un d’une autre lignée influente était envoyé comme représentant à la place.

« Dans ce cas, nous devrions considérer le fait que le général Albrecht puisse mourir. Dans le pire des cas Tarja pourrait ouvrir des hostilités contre nous… » continua Bergstone, soupirant à nouveau fortement.

La situation semblait s’aggraver au fur et à mesure que l’on y pensait, et le temps passait.

« Peut-être devrions-nous simplement considérer que ces deux-là ne sont peut-être pas faits pour servir comme généraux. Bien sûr, il y a toujours une chance qu’ils puissent jouer leur rôle, mais cela prendrait du temps… Et c’est quelque chose qui nous manque. »

« Mais n’y a-t-il personne d’autre à qui nous pouvons confier ce rôle ? Est-ce que l’un de vous a une idée ? »

Les paroles de Ryoma poussèrent le duc Bergstone au silence. La conversation était repartie à zéro. C’était comme une boucle de moebius, un labyrinthe sans issue.

Les ambitions du général Albrecht constituaient un obstacle de taille qu’il fallait lever pour faire de la princesse Lupis la souveraine de Rhoadseria. Mais s’ils se débarrassaient d’Albrecht, ils seraient attaqués par les pays voisins s’ils n’avaient pas quelqu’un qui pourrait prendre sa place et unir les chevaliers.

Mais il était évident pour eux que Meltina et Mikhail, les aides les plus dignes de confiance de Lupis, étaient inaptes à diriger. Même s’ils avaient le potentiel pour le faire, ils n’auraient réussi à retirer l’opposition de la faction des chevaliers qu’environ après un mois d’efforts.

Un profond silence tomba sur la pièce. Mais finalement, le comte Zeleph l’avait cassé.

« Je crois que je connais peut-être une personne qui pourrait convenir… »

Ryoma et le comte Bergstone échangèrent leurs regards. Il semblait que Bergstone manquait lui-même d’idées.

« Qui ça pourrait être, Elnan ? »

Le comte Bergstone tourna les yeux vers le comte Zeleph, la tête penchée.

« Vous n’êtes pas au courant, beau-frère ? »

Le comte Zeleph répondit à l’expression douteuse du comte Bergstone par un murmure. « Lady Helena Steiner. »

« Elnan... Vous êtes sérieux ? Elle est… »

La voix du comte Bergstone fut inondée de surprise, c’était sûrement le dernier nom qu’il s’attendait à entendre.

La femme assise sur le canapé, sirotant élégamment une tasse de thé, semblait avoir une cinquantaine ou une soixantaine d’années. Ses cheveux ondulés, d’une nuance dorée avec de petites taches blanches, avaient probablement été très beaux dans sa jeunesse. Ses vêtements étaient faits de soie élégante et bien faite, mais ils n’étaient pas du tout voyants.

Elle avait l’air d’être une roturière légèrement aisée. Du moins, c’était l’impression que Ryoma avait eue de la femme assise devant lui.

Elle s’appelait Helena Steiner. C’était celle qui avait servi comme Général du Royaume de Rhoadseria une douzaine d’années auparavant. C’était le prédécesseur d’Hodram Albrecht.

 

 

Alors, comment puis-je en parler… ?

Ryoma fixa ses yeux sur le visage d’Helena, tandis qu’elle lui souriait calmement.

« Je… Je dois vous remercier d’être venu nous rencontrer aujourd’hui ! »

Meltina réussit à bégayer, s’inclinant devant elle à plusieurs reprises tout en trébuchant sur ses paroles.

Elle devait être très excitée, car son salut était loin d’être digne. Son visage était très rouge et ses épaules étaient raides comme une planche à cause de la tension.

« Dame Helena… C’est vraiment un grand honneur d’être honoré de votre présence aujourd’hui. »

Mikhail avait suivi son exemple, inclinant la tête respectueusement devant Helena, assise sur le canapé.

Heureusement, Mikhail n’avait pas trébuché sur ses paroles. Il parla plutôt avec un ton courtois, dépourvu de toute trace de son orgueil habituel.

Je suppose qu’ils n’auront pas le loisir de se mettre le sujet principal sur la table s’ils sont aussi nerveux…

Tandis qu’il portait sa tasse de thé sur ses lèvres, Ryoma regarda les deux avec un regard frais, car ils agissaient de façon tout à fait inhabituelle. Cela dit, on ne pouvait pas leur reprocher d’être nerveux, car Helena Steiner était littéralement une légende vivante dans le royaume de Rhoadseria.

Dans la semaine qui s’était écoulée depuis que le comte Zeleph avait mentionné son nom, Ryoma avait recherché des informations concernant Helena Steiner. Bien que cela n’avait pas exigé beaucoup d’efforts de sa part, car on ne se tromperait pas s’ils prétendaient qu’un citoyen qui n’avait pas entendu parler d’elle n’existait pas dans le Royaume de Rhoadseria. N’importe quel enfant dans la rue pouvait raconter ses exploits.

Les récits d’Helena, qui avait gravi les échelons jusqu’au grade de général malgré son passé de roturière, étaient aussi nombreux que connus. Son plus grand exploit héroïque fut la bataille des plaines de Notis.

Il y a trente ans, l’Empire d’O’ltormea commença une invasion du royaume de Xarooda, soutenu par son importante puissance nationale et stimulé par son ambition d’unir le continent occidental. Avec seulement un tiers du territoire de son ennemi, et avec l’Empire qui tenait le centre du continent, Xarooda n’avait d’autre choix que de demander l’aide de ses voisins pour repousser l’invasion.

Rhoadseria choisit d’accepter cette demande. Il envoya quatre ordres de chevaliers, soit dix mille troupes d’élite au total pour venir à leur aide. Et le général qui dirigea cette force était Helena Steiner. Aux côtés du Général Vereness du royaume de Xarooda, ils s’installèrent dans les plaines de Noctis, en pariant sur une contre-attaque nocturne contre les forces O’ltormea, repoussant ainsi l’invasion.

Le commandant O’ltormea tomba lors du raid, Xarooda ne tomba finalement pas sous le contrôle d’O’ltormea. Ce faisant, Helena était perçue comme une héroïne patriotique.

« Heh heh… Il n’y a pas besoin d’être aussi nerveux. Prenez du thé et calmez-vous, et pour l’amour de Dieu, Mikhail, asseyez-vous. »

Helena offrit une tasse de thé à Meltina et pressa Mikhail, qui était resté debout, de s’asseoir sur le canapé.

« Oui ! Je vous demande humblement pardon ! »

Comme on le lui demandait, Meltina remua son thé et, l’instant d’après, se pencha vers l’avant pour porter la tasse sur ses lèvres.

Mais comme le thé était encore fumant et qu’elle essayait de le boire sans se soucier de la température, elle avait failli se brûler les lèvres dessus.

« Eh bien, ne nous occupons pas d’elle pour le moment… Lady Helena, merci d’être venue nous rencontrer aujourd’hui. »

Ryoma fit avancer la conversation, ignorant consciemment Meltina, qui pleurait maintenant à cause de son erreur passée.

« J’ai été assez surprise quand j’ai reçu votre lettre l’autre jour. Cela fait après tout plus de dix ans que j’ai pris ma retraite en tant que chevalier… »

« Je vous remercie encore une fois d’avoir prêté l’oreille à notre demande scandaleuse d’audience. »

Ryoma avait de nouveau exprimé sa gratitude.

« Eh bien, bien que retraitée, je ne pouvais pas m’empêcher de venir et de respecter une lettre de Son Altesse, la princesse Lupis elle-même », déclara Helena, un sourire léger se répandant sur ses lèvres.

« Oui, en effet. Si vous le dites, ça valait alors le coup d’avoir fait que la princesse vous écrive une lettre personnellement. »

Les paroles de Ryoma firent que Helena l’observe avec méfiance. Alors, il « avait » fait écrire une lettre à la princesse d’un pays, hein…

« Maintenant que j’y pense, je ne crois pas connaître votre nom », dit Helena. Ryoma semblait avoir piqué son intérêt.

« Oh, mes excuses. Je m’appelle Ryoma Mikoshiba. »

« Non… »

Le visage d’Helena se remplit de surprise.

« Je vois. Vous… ne m’avez pas vraiment donné l’impression d’être un tacticien. »

C’était une réaction naturelle, l’imposante musculature de Ryoma lui donnait définitive l’apparence d’un homme costaud. À cause de cela, la première impression que l’on aurait serait que c’était le type qui résoudrait les problèmes avec ses poings, plutôt que sa tête.

« Êtes-vous au courant pour moi ? »

Ryoma inclina la tête devant sa réaction surprise.

« Eh bien, bien sûr que je le sais. Je suis peut-être à la retraite, mais j’aime profondément ce pays. Je suis au courant de la plupart des problèmes qui se posent à Rhoadseria. Même dix ans plus tard, à ce jour, il y a encore des gens qui se souviennent de moi… Et ils me rapportent souvent de tels événements. »

Un coup d’œil sur le visage d’Helena fit comprendre à Ryoma qu’elle restait en contact avec des gens de la faction des chevaliers.

Je vois… Je suppose que c’est approprié venant d’un ancien général comme vous. Cela nous évite d’avoir à tout expliquer… C’est une véritable aubaine.

***

Partie 3

Dans l’état actuel des choses, la faction des chevaliers n’avait pas une loyauté absolue envers la famille royale, mais c’était surtout parce que le général Albrecht était assis à la tête du mouvement, regardant le trône avec avidité. Les chevaliers étaient normalement ceux qui juraient fidélité au royaume et au trône et servaient de frein aux ambitions indépendantes des nobles.

Bien qu’ils se soient conformés au général Albrecht pour des raisons liées à leur position et à leurs moyens de subsistance, il pourrait y avoir plus de chevaliers avec des doutes dans le cœur que Ryoma l’avait imaginé, et Helena avait été le réceptacle de leurs préoccupations.

« Je vois. C’est un honneur pour moi que la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria connaisse mon nom. »

« Non… Vous vous souvenez de ces vieilles histoires. »

Le visage d’Helena s’était déformé, dissimulant à peine l’ennui dans son expression.

« Je n’ai pas été appelée par ce titre depuis des siècles… »

« Vous n’appréciez pas ce titre ? »

« C’est du passé pour moi maintenant… Au fait, puis-je savoir pourquoi vous m’avez convoqué ici ? »

Apparemment, d’après la façon dont elle avait changé de sujet, Helena préférait ne pas en parler.

« Je vais aller droit au but. Nous voulons que vous nous prêtiez votre force à la princesse Lupis et que vous repreniez la place du général de ce pays. »

L’expression d’Helena s’était raidie. Elle ne s’attendait probablement pas à ce que Ryoma soit aussi direct.

« Non… Comme vous le dites, vous allez droit au but. »

Helena se tut un instant, mais ses lèvres se mirent à sourire.

« Mais cela rend certainement les choses faciles à comprendre. J’admire les garçons comme vous. »

Vu son ton et son regard, elle semblait apprécier Ryoma.

« Pourquoi ces remerciements ? Alors, quelle est votre réponse ? » répondit Ryoma tout en fixant son regard.

« Oh, je vais devoir déduire quelques points pour celle-là. Je suis peut-être vieille, mais je suis toujours une femme. Un homme qui essaie de convaincre une femme d’obéir à ses ordres ne doit jamais insister pour obtenir une réponse comme celle-ci. »

Ryoma sourit ironiquement et inclina la tête en s’excusant devant l’expression taquine d’Helena.

« Oh, désolé pour ça. Oui, vous presser comme ça va à l’encontre des bonnes manières… Pourtant, perdre du temps est un luxe que l’on ne peut pas se permettre. »

Ryoma fixa alors un regard aiguisé sur le visage souriant d’Helena, et la pression silencieuse dans ses yeux la fit reculer pendant une seconde.

« Mon discours sur les bonnes manières et l’étiquette était une plaisanterie, bien sûr… »

Helena commença sa réplique après avoir repris ses repères.

« Mais je pense qu’on ne peut pas attendre de moi que je réponde sans rencontrer Son Altesse en personne d’abord. Pas vrai ? »

Mais les mots suivants de Ryoma avaient remis l’initiative entre ses mains, tout simplement parce qu’ils étaient tout à fait inattendus.

« Oh, donc vous souhaitez rencontrer Son Altesse, Lady Helena… ? Je vais donc être honnête. Franchement, on n’a pas de temps à perdre là-dessus. »

« Quoi !? »

La déclaration de Ryoma était allée bien au-delà de l’impolitesse. On aurait dit que Lupis Rhoadserians n’était qu’une marionnette. Helena, Meltina et Mikhail s’exclamèrent tous en même temps.

« Imbécile ! Avez-vous l’intention d’insulter Son Altesse ? »

Meltina se leva de son siège en colère, mais Ryoma la regarda d’un air froid.

Son regard intense semblait dire froidement : « Tais-toi ou je te tue là où tu te tiens », et ses yeux ne transmettaient que trop clairement ce message à tous ceux qui faisaient face à cet éclat.

Clouée au sol par le regard menaçant de Ryoma, Meltina s’enfonça de nouveau dans son siège.

« Mes excuses… Elle n’arrive pas à s’habituer aux négociations mettant sa vie en jeu… »

Ryoma rendit son regard à Helena après s’être assuré que Meltina se soit calmée.

« Je suis surprise… Vous avez un très bon état d’esprit pour quelqu’un d’aussi jeune. »

« Merci beaucoup. Mais notre survie est en jeu ici. »

Helena prit une grande respiration et son expression s’inversa complètement. Le regard qu’elle portait sur Ryoma montrait clairement qu’elle ne lui pardonnerait pas un seul mensonge.

« Alors ? Pourquoi est-ce impossible pour moi de rencontrer la princesse Lupis ? »

Ryoma rencontra son regard de face avec un haussement d’épaules.

« Si rencontrer la princesse Lupis est tout ce qu’il vous aurait fallu pour que vous rejoigniez sa faction, vous auriez déjà approché le château de votre propre gré… Ai-je tort ? »

Cette femme était à la retraite depuis dix ans et on lui demandait maintenant de retourner au service. Les conditions de sa coopération devaient être extraordinaires, et Helena n’en voyait pas l’utilité en termes d’argent ou de notoriété. Ayant atteint le grade de général, elle n’avait probablement pas eu de problèmes financiers, et il n’y avait pas eu d’offre qu’on puisse lui faire qui est supérieure à sa réputation actuelle de héros national.

Et la loyauté envers la maison royale n’était pas non plus une option. Cette femme était passée du rang de roturière à celui de général. Si cela avait pu la convaincre, elle aurait déjà choisi le camp de la princesse Lupis ou de la princesse Radine.

Mais elle ne l’avait pas fait. Elle avait caché sa position jusqu’à présent, comme pour dire qu’elle ne pouvait pas juger quel côté avait le plus de légitimité. Peut-être qu’elle s’en fichait dès le départ.

« Je vois. Votre raisonnement est assez solide… Mais la question mérite d’être posée. Si vous en savez autant, pourquoi me rendre visite ? »

« Parce que nous avons besoin de votre aide à tout prix », dit Ryoma en soupirant face à ses paroles.

« Oh ? Insinuez-vous que vous allez me forcer à coopérer contre ma volonté ? Je ne peux m’empêcher de conclure que vous me traitez avec condescendance. », l’expression d’Helena s’était assombrie.

Si ni le gain ni le raisonnement ne l’influençaient, le recours à la force le ferait peut-être. Le visage d’Helena était déformé par le mépris.

« Je m’attendais à ce que la princesse Lupis ait un tacticien à ses côtés, mais je vous ai jugé trop favorablement. »

« Épargnez-moi vos mauvaises blagues. »

Ryoma secoua la tête devant le regard déçu d’Helena.

« L’idée de faire quelque chose d’aussi grossier ne m’a jamais traversé l’esprit. »

« Alors, qu’aviez-vous l’intention de faire ? »

Ryoma avait répondu à sa question avec le sourire.

« L’argent et la gloire ne vous toucheront pas. Mais vous avez accepté la lettre de la princesse Lupis et êtes venue nous rencontrer ici au château. Cela signifie qu’il y a place à la négociation, pas vraie… ? Vous avez probablement quelque chose que vous voulez. Quelque chose que vous ne pouvez pas réaliser seule… Ai-je tort ? »

Ryoma contrôlait parfaitement l’atmosphère de la pièce. Étonnement, personne n’osait parler.

« C’est vrai… Je vois. »

Helena avait fini par chuchoter. : « Tu es un malin. »

Ce murmure avait confirmé que la conjecture de Ryoma était correcte.

« Alors, pourquoi ne me dites-vous pas ce que je souhaite… ? Selon votre réponse… »

Helena regarda Ryoma avec des flammes noires dans les yeux.

« Très bien, alors. Je prêterai ma force à la princesse Lupis. »

« Compris… Honnêtement, j’ai une idée de ce que vous aimeriez. »

Meltina et Mikhail avaient réagi avec surprise à ce que Ryoma dit, mais l’expression d’Helena donnait l’impression qu’elle en attendait autant.

« Comme il se doit… Il n’y a aucun espoir pour vous si on ne peut pas s’attendre à ce que vous compreniez autant. »

« Quoi qu’il en soit, je n’ai pas encore de preuve. »

« Hmph… Il est difficile de dire si vous êtes prudent ou juste un lâche… »

Alors qu’elle posait une main sur son menton, faisant semblant d’être enfouie dans ses pensées, Helena fixa son regard sur Ryoma, comme si elle essayait de voir dans les profondeurs de son cœur…

Si son cœur trahissait ne serait-ce qu’un soupçon de peur ou d’hésitation, elle ne lui pardonnerait jamais, mais Ryoma rencontra le regard d’Helena avec calme. Tout ça pour qu’elle reconnaisse sa valeur…

« Mais je suppose que si nous mettons votre ingéniosité à l’épreuve, ce genre de prudence est un mal nécessaire… Très bien. Je vous accorde un peu de temps pour réfléchir, et vous aurez alors votre réponse. »

Helena avait vu la volonté dans les yeux de Ryoma, et cela l’avait incitée à parier dessus. Parier sa propre vie…

Ce garçon… Est-il ce que j’attendais… ? La dernière pièce du puzzle que j’attends depuis plus de dix ans… ?

Cela faisait plus d’une décennie qu’elle avait pris sa retraite en tant que chevalier, mais elle ne l’avait pas fait de son propre gré. Elle avait été forcée de prendre sa retraite par cet homme…

Par Hodram Albrecht et ses plans.

La déesse blanche de la guerre de Rhoadseria ? Un titre si pompeux… Comme c’est risible… Quelle déesse de la guerre ne protégerait-elle même pas sa propre famille… ?

Les lèvres d’Helena se tordaient de mépris. Oui, on l’avait vraiment appelée déesse de la guerre. Ce nom était bien sûr répandu dans Rhoadseria, mais il était même chanté par les pays voisins. Helena avait été célébrée par tous.

Mais Helena ne savait pas. Elle ne savait pas que la lame de l’assassin rampait dans son ombre, sa pointe était fixée contre sa famille. Elle ne savait pas que plus son nom gagnait en gloire, plus elle gagnait la colère des autres.

Si ce garçon peut voir à travers mon souhait… S’il a autant de prévoyance et de sagesse… Alors mon souhait… Mon vœu pourrait encore être exaucé !

L’attente et l’anxiété se mêlaient dans ses yeux. L’attente qu’elle puisse voir son souhait exaucé, et l’anxiété que le moment n’était pas encore venus.

Ryoma pouvait sentir l’agitation dans le cœur d’Helena. Elle attendait beaucoup de lui, et c’était lui qui dirigeait cette discussion. Restait à savoir s’il pouvait y répondre ou non.

Ryoma fit correspondre les informations qu’il avait trouvées sur elle et ce qu’il avait appris. Et grâce à leur signification, il pourrait reconstituer son hypothèse.

Elle veut probablement se venger d’Hodram Albrecht…

Malgré les dix années qu’elle avait passées à la retraite, la volonté et la vigueur dans le corps d’Helena étaient toujours celles d’un commandant actif, et elle avait toujours une certaine influence sur les chevaliers. Ryoma pensait que le motif le plus probable de ses actes était la vengeance. À cela s’ajoutait son expression lorsqu’il l’appelait la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, Ryoma voyait clairement le mépris qu’elle avait pour son propre titre.

Mais… Je n’ai aucune preuve.

La raison pour laquelle elle avait pris sa retraite en tant que générale de Rhoadseria et s’était évanouie dans l’obscurité était restée inconnue. Quiconque connaissait les circonstances de l’époque était borné et refusait d’en dire un mot.

Je suppose que je vais devoir parier dessus…

Ryoma fit preuve de détermination. Son hypothèse n’était que conjecture et rien de plus, et peu importe le nombre de théories qu’il empilait les unes sur les autres, les preuves n’apparaîtraient pas toutes seules. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de faire confiance à la réponse qu’il avait recueillie en reconstituant ce qu’il avait étudié jusqu’alors avec ses impressions de cette réunion.

« Voulez-vous… vous venger d’Hodram Albrecht ? »

« Et pourquoi voudrais-je ça ? »

Helena donna sa réponse avec un sourire sombre.

« Je l’ai senti quand on s’est rencontrés. Vous n’êtes pas à la retraite en tant que chevalier. Vous n’avez pas négligé votre entraînement, et vous êtes toujours au courant de ce qui se passe dans la faction des chevaliers. Mais en pratique, vous avez pris votre retraite il y a plus d’une décennie… Ce qui veut dire que vous n’avez pas pris votre retraite de votre plein gré. Et après votre retraite, le général Albrecht a pris votre poste. Je l’ai rencontré moi-même l’autre jour, et il m’a tout de suite semblé être une personne convaincue de son propre privilège. J’espère que vous ne le prenez pas mal, mais… Lady Helena, vous êtes née roturière. Vous ne venez pas de la maison de nobles ou de chevaliers, mais d’une famille de roturiers. Et d’après ce que j’ai compris, Albrecht ne vous reconnaîtrait jamais. »

Ryoma s’arrêta pour respirer et dirigea un regard compatissant sur Helena. L’expression douloureuse sur son visage lui disait que son hypothèse était correcte.

***

Partie 4

« Après avoir entendu parler de vous, j’ai regardé qui vous étiez, mais je n’ai presque rien trouvé sur ce qui s’est passé pendant la période de votre retraite. Selon toute vraisemblance, quelqu’un a supprimé l’information pour qu’elle ne soit pas connue. Dans ce cas, la personne la plus suspecte est le général qui a pris votre poste, Albrecht. »

Le silence était tombé sur la pièce. Meltina et Mikhail étaient devenus subitement silencieux par ce que Ryoma venait de dire. Leur foi en la Déesse Blanche de la Guerre de Rhoadseria était trop grande pour qu’ils avalent facilement cette histoire.

« Oui, si vous pouviez rassembler autant… Vous êtes vraiment un homme intelligent. »

Sa voix était remplie d’agonie. Elle semblait résonner des profondeurs de la terre.

La haine qu’elle n’arrêtait pas de garder en elle s’échappait enfin.

« Je veux la tête d’Hodram Albrecht sur une pique… Cet homme… a tué mon mari et ma fille… »

Il y a une dizaine d’années, Helena Steiner était général de Rhoadseria. Elle était passée de roturière à chevalier, et de chevalier à général… Ses talents et ses réalisations inhabituelles l’avaient propulsée aux plus hauts échelons de l’armée, et elle était admirée de tous dans le royaume.

Mais il y avait quelqu’un qui méprisait son passé de roturière. Et ce qui avait commencé par des soupçons de ressentiment s’était épaissi en proportion directe avec son succès. Tout comme la lumière intense projette une ombre sombre… Cet homme s’appelait Hodram Albrecht.

Hodram était doté d’un physique exceptionnel et talentueux avec les prouesses martiales attendues d’un chevalier. Il était né fils aîné de la maison Albrecht, qui avait produit de beaux chevaliers pendant des générations, et on lui avait promis le rôle de chef de famille. Hodram était l’image même du chevalier idéal, mais il ne lui manquait que d’une seule chose : la retenue.

Bien qu’il soit supérieur à la plupart des gens, Hodram n’avait jamais été satisfait. Il avait atteint le sommet de ce qu’un chevalier pouvait espérer accomplir, dirigeant un ordre de chevaliers, mais il en désirait davantage.

Oui, il voulait la plus haute position possible dans l’armée rhoadérienne. Le grade de général.

Celui qui contrôlait tous les ordres des chevaliers du royaume, à l’exception des deux qui se consacraient à la défense du monarque, les Gardes Royaux. Cependant, selon la situation, le roi pourrait même accorder le commandement général sur les gardes royaux et, à cet égard, le général pourrait être considéré comme détenant le pouvoir absolu sur les armées rhoadériens.

Traditionnellement, un général était finalement nommé par le roi, mais pour obtenir le poste, il fallait aussi être désigné par l’ancien général au moment de sa retraite. Après tout, c’était une position qui consolidait le pouvoir des armées d’un pays. Il est évident qu’il faudrait les réalisations et les compétences nécessaires pour occuper ce poste. Les candidats avaient été sélectionnés en fonction de leur caractère, de leur idéologie et même de leurs lignées, avec l’approbation finale du roi.

Mais ce qui importait le plus, c’était la popularité et l’influence que la personne avait sur ceux qui l’entouraient. La question de la confiance que les chevaliers accordaient à ce candidat était de la plus haute importance.

Lorsque le général Helena se retira, Hodram mit en place de nombreux plans et stratagèmes pour rehausser son rang parmi les chevaliers. Corruption, menaces et promesses de promotion. Dans les coulisses, son complot ne connaissait aucune limite dans ses efforts pour arriver à ses fins.

Et pourtant, Helena avait été choisie comme successeur. Sa nature sociable lui avait valu le titre de déesse blanche de la guerre de Rhoadseria. Le peuple salua son attitude juste et impartiale comme l’image même de ce qu’un chevalier rhoadsérien devrait aspirer à être. Il était naturel que le général à la retraite la nomme comme son successeur.

Mais Hodram n’abandonna pas facilement. Son ego démesuré et sa notion d’être une personne supérieure ne pouvait pas tolérer l’idée qu’une roturière comme Helena soit au-dessus de lui. Il mit au point de nombreux plans pour la faire tomber de cette position. Qu’il s’agisse d’assassinat ou de preuves de corruption fabriquées de toutes pièces, il avait essayé toutes les idées imaginables pour qu’Helena se soumette.

Helena coupa à travers tous ces plans, avec l’aide de ses collègues et amis parmi les chevaliers. Mais au fur et à mesure qu’Hodram perdait son sang-froid, les crocs de sa malice atteignirent finalement Helena.

Ce jour-là, Helena était rentrée chez elle après une campagne de deux mois pour réprimer une révolte déclenchée par un petit gouverneur d’un territoire à la périphérie du pays. Mais quand elle ouvrit la porte de sa maison, personne n’était venu la saluer. Bien qu’elle avait été une roturière, Helena était toujours responsable de l’armée du pays, et afin de maintenir les apparences diplomatiques, elle avait reçu un manoir respectable avec plusieurs domestiques.

Mais le plus étrange, c’est qu’on ne voyait pas sa fille bien-aimée de dix ans, qui courait toujours la saluer. Suspicieuse, Helena s’installa dans le salon, où sa famille se trouvait habituellement. Et quand elle ouvrit la porte…

« La première chose que j’ai vue était la tête de mon mari… »

Ce qu’elle avait vu, c’était une pièce éclaboussée de cramoisi et la tête fraîchement coupée de son mari reposant sur la table. Il avait probablement été tué après avoir été sauvagement torturé, parce que son expression était une expression d’agonisante.

L’esprit d’Helena n’acceptait pas la réalité de ce qu’elle voyait, semblait-il, parce qu’elle ne se souvenait que de s’être réveillée sur un lit dans la maison de son assistant quelques jours plus tard. Être général n’était pas du tout un rôle facile, et un commandant sur le champ de bataille avait une montagne de travail à faire. Même sans guerre à mener, un général veillait sur les résultats de l’entraînement des chevaliers et gardait une attention méfiante sur les mouvements des pays voisins.

Ainsi, au jour où elle avait pu se reposer de la campagne, c’était le jour même où elle était retournée à son manoir. Le lendemain, elle aurait besoin dû rédiger et travailler sur une montagne de documents. Heureusement, alors qu’elle n’était pas allée au quartier général pendant des jours, son assistant avait eu des soupçons et visita sa maison.

Quand son assistant la découvrit, Helena était accroupi dans le salon de son manoir, serrant la tête de son mari contre sa poitrine. Au milieu de l’odeur de sang rouillé et de la puanteur de cette tête en décomposition, elle était assise, les yeux complètement vides.

Son aide avait emmené Helena, qui avait perdu la raison, chez lui, et il amena ses collègues pour inspecter sa maison. C’était une scène de crime, mais laisser les gardes s’en occuper était trop dangereux. D’après ce que l’aide avait vu, il soupçonnait qu’il ne s’agissait pas d’une attaque hasardeuse de brigand.

Il avait été rapidement prouvé qu’il avait raison.

« Ils… ont laissé une lettre derrière eux. Disant qu’ils avaient ma fille. Ils m’avaient demandé de me retirer de mes fonctions de chevalier. »

La frustration avait dû être exaspérante. Chaque mot qui sortait des lèvres d’Helena était empreint d’une rancune toxique.

« Je… J’ai travaillé si dur pour atteindre le grade de général malgré le fait d’être née roturière… Pouvez-vous l’imaginer ? Les sacrifices que j’ai dû faire pour atteindre ce rang. Après tout, les chevaliers sont essentiellement des hommes… »

Il s’agissait moins d’une question de sexisme que d’une question d’aptitude. En termes de force musculaire, les hommes avaient un avantage sur les femmes, même si la magie pouvait aider à l’atténuer. Il va sans dire que le baptême d’Helena dans une société dominée par les hommes avait été douloureux. Mais elle avait utilisé sa féminité à son maximum, faisant preuve d’une force qui surpassait celle des hommes.

Non pas sur le plan de la valeur individuelle, mais sur la force d’un groupe. Lorsque les chevaliers se retrouvaient sur le champ de bataille, ils savouraient l’esthétique des batailles en tête-à-tête et détestaient combattre un seul ennemi dans un groupe. Mais si l’orgueil chevaleresque avait une sonorité douce, elle était inefficace. C’était ainsi qu’Helena proposa aux chevaliers de se battre en formation.

Même ceux qui étaient obsédés par leur fierté et qui s’y opposaient au début furent peu à peu influencés par le charisme d’Helena et ses exploits sur le champ de bataille, et en vinrent à apprécier ses idées. Et c’était une victoire qu’Helena avait remportée par ses efforts.

« Pouvez-vous imaginer devoir jeter tout ça ? »

Ryoma secoua la tête devant sa question. Il pouvait l’imaginer, mais il n’était pas assez effronté pour le dire à haute voix. Seul quelqu’un dans la même position pouvait vraiment comprendre.

« Mais quand même, si c’était pour elle, je rejetterais mon titre de général… Si ça pouvait ramener ma fille… »

C’était la fille dont elle avait eu la chance d’avoir reçu à l’âge de quarante ans. Helena ne pouvait se marier qu’après l’âge de trente ans, en raison de son travail de chevalier, et avait presque abandonné l’idée d’avoir un enfant.

Contrairement au Japon moderne, les techniques médicales sur cette Terre n’étaient pas très évoluées et la naissance à un âge avancé frisait l’impossible. Alors, quand elle avait appris qu’elle avait conçu, Helena avait été enchantée.

« J’ai donc ignoré les paroles de mes amis et collègues et j’ai pris ma retraite en tant que chevalier… Rétrospectivement, je peux reconnaître que cette décision était naïve, mais je n’avais pas d’autre choix… »

« Et ils ne l’ont jamais rendue, n’est-ce pas… »

Helena acquiesça silencieusement à l’affirmation de Ryoma.

« J’ai demandé à mes amis et collègues de garder cette affaire secrète, afin de ne plus attirer l’attention du coupable. Heureusement que ça n’avait pas été signalé aux gardes… Mais un mois s’était écoulé, puis deux mois, et elle ne m’avait pas été rendue… Et pendant ce temps, cet homme avait pris le siège de général. »

Si la victime avait caché les détails de l’affaire elle-même, il était évident qu’elle ne serait pas connue du public.

« Comment a-t-il fait ça ? Hodram n’aurait-il pas besoin de la recommandation du général sortant pour revendiquer le titre ? », demanda Ryoma.

Du moins, il en aurait besoin à titre officiel. Mais Helena secoua la tête.

« Fondamentalement, il… Mais parfois un ancien général peut mourir sans avoir la chance de nommer un successeur, et dans ces cas-là, il serait soumis au vote des chevaliers… »

Attristée par l’inquiétude pour sa fille, Helena ne pouvait pas remplir ses fonctions, et la nomination d’un successeur était la chose la plus éloignée de son esprit. Et c’était à cette époque que les intrigues d’Hodram montrèrent leur effet.

L’aide d’Helena et ses amis s’y étaient opposés, mais ils avaient rapidement été réduits au silence. La lignée d’Hodram avait travaillé en sa faveur dès le début, l’élevant au rang de général de Rhoadseria.

« Cinq ans passèrent alors que j’attendais le retour de ma fille… J’avais déjà abandonné à ce moment-là… Même si je voulais venger la mort de mon mari, je devais savoir qui était responsable, et je ne pouvais pas la chercher sans indices… Vivre n’était que douleur. »

C’était compréhensible. Un enfant était le trésor d’un parent… Non, c’était la vie des parents eux-mêmes.

« Vous ne soupçonniez pas le général Hodram ? »

« J’avais mes soupçons, mais… »

« Aucune preuve ? »

Helena hocha la tête en silence.

À l’époque, de nombreux pays voyaient Helena comme une nuisance. Peu de monarques resteraient les bras croisés et laisseraient un autre pays renforcer ses forces militaires sans entrave. Cela s’appliquait même pour Xarooda, qu’ils avaient aidé à repousser O’ltormea dans le passé, et à leur voisin Myest.

« Peut-être avez-vous entendu comment, il y a cinq ans, un marchand d’esclaves opérant secrètement dans le pays a été exécuté ? »

Helena posa soudainement une question à Meltina, qui était stupéfaite.

« Hein ? Oui… ! Mais je ne connais pas tous les détails… »

La traite des personnes n’était généralement pas illégale sur cette Terre, mais n’était permise que pour les prisonniers de guerre d’autres pays et ceux qui avaient des dettes qu’ils ne pouvaient rembourser. À tout le moins, aucun pays ne tolérait que ses citoyens soient arrachés à la rue et vendus.

Mais on pouvait trouver un imbécile n’importe où, n’importe quand, et il y en avait qui faisaient leurs affaires ouvertement, même s’ils auraient fermé les yeux s’ils avaient agi avec modération. Le marchand d’esclaves décapité il y a cinq ans en était un.

***

Partie 5

« Cet homme achetait et vendait n’importe qui, tant qu’il en tirerait un profit. Et même des gens de la capitale s’il pouvait mettre la main dessus… Et c’est ce qui l’a conduit à sa mort. »

L’enlèvement d’un parent lié par le sang à un noble éminent, qui avait des relations avec la famille royale, avait coûté la vie au commerçant.

Il semblerait que sa confiance effrontée venait du fait qu’il avait soudoyé un individu affilié aux gardes royaux, mais s’en prendre à un noble encore plus influent l’avait mené à une fin plutôt prévisible.

« Ce sont les chevaliers qui l’ont arrêté. Il avait une milice privée assez importante, voyez-vous… C’est probablement pour ça que les gardes ne pouvaient pas le toucher. »

« Et est-ce comme ça que vous avez compris ce qui est arrivé à votre fille ? »

« Oui… Il y avait beaucoup de rumeurs autour de cet homme, alors les chevaliers l’ont soumis à beaucoup de tortures afin d’obtenir des informations de sa part. »

Elle répondit calmement à la réponse de Ryoma, mais il y avait beaucoup de mélancolie dans son ton.

« Et finalement, la torture lui a desserré la langue, et il a parlé de l’assassinat de ma famille… »

En vérité, le marchand avait joué le rôle de médiateur pour trouver un assassin pour faire le travail, mais en ce qui concernait Helena, il était quand même coupable.

« Le chevalier chargé de sa torture était un de mes anciens subordonnés, et grâce à cela, j’ai pu le rencontrer face à face. »

Elle avait fait semblant d’être simple, mais c’était un acte imprudent. Cela n’aurait pas été aussi inquiétant si Helena avait toujours été général, mais cela faisait cinq ans qu’elle avait pris sa retraite à ce moment-là. En dépit de son poste antérieur, elle était une simple civile à l’époque, donc rencontrer un criminel était du jamais vu…

« Je vois… C’est comme ça que vous avez découvert qu’Hodram était derrière tout ça… »

« Oui. »

Ce petit mot disait tout ce qu’il y avait à dire.

« Alors, pourquoi avoir attendu si longtemps ? »

« C’est simple… cette histoire n’a jamais été rendue publique. Et même si elle était exposée, elle serait effacée, et nous serions ensuite assassinés. Depuis que j’ai pris ma retraite, l’influence d’Hodram n’a fait que croître. Le témoignage du marchand d’esclaves ne suffirait pas à le faire tomber… »

Le silence remplissait la pièce. Aucun d’entre eux n’avait imaginé que la rancune était si profonde. Mikhail et Meltina étaient à court de mots.

« C’est donc ce qui s’est passé… »

Les mots de Ryoma étaient lourds aussi.

Il avait eu ses soupçons, mais le ressentiment était trop profond.

Eh bien, ce n’est pas bon… Ça pourrait être pire que de laisser Meltina s’occuper de la faction des chevaliers.

Une rancune peut être un puissant facteur de motivation pour émouvoir les gens, mais ceux qui en étaient trop emplis finiraient par se détruire. Et alors qu’Helena était libre de s’autodétruire, Ryoma ne voulait pas se laisser entraîner là-dedans.

« C’est très bien. Ce n’est pas à vous de vous en inquiéter… »

Helena devina l’inquiétude de Ryoma d’après l’expression de son visage.

« Ce que je veux, c’est Hodram et sa famille. Rien de plus. »

C’était ainsi qu’elle avait mis son désir en mots.

D’accord… Elle comprend donc nos doutes… Ses capacités et sa sensibilité sont toutes vérifiées, c’est sûr… Et je suppose que nous devrons serrer les dents pour le reste.

Le fait est qu’Helena était la seule personne dont ils avaient besoin pour ce travail. Personne ne pouvait égaler ses capacités et ses réalisations. Ils n’auraient plus qu’à réaliser son souhait et à lui remettre Hodram et sa famille.

La vengeance était perçue comme un mal aux yeux de la loi, et cela était vrai même dans les lois de ce monde. Mais Helena le savait assez bien, d’où la raison pour laquelle elle l’avait planifié depuis de nombreuses années. Pour se donner l’occasion de se venger.

Helena avait fait connaître son prix. Restait à savoir si Ryoma pouvait le payer.

Je suppose que je n’ai pas d’autres options ici… Je me sens mal pour la famille du général Albrecht, tout bien considéré, mais… Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution.

Il ne voyait là qu’une horrible tragédie de vengeance, mais Ryoma avait facilement tourné le dos à Hodram Albrecht et à sa famille. Le fait était que personne d’autre qu’Helena n’était digne de ce rôle. Ryoma n’avait aucun désir de condamner sa volonté de vengeance ou de vérifier si c’était juste. Il n’y avait qu’une seule question ici : laquelle des voies lui serait la plus utile ?

Je me contenterai peut-être de cela… Mais le problème est de savoir si la princesse Lupis serait…

Ryoma pourrait fermer les yeux, mais la princesse Lupis devrait aussi l’approuver. Cela faisait environ un mois depuis qu’il avait rencontré la princesse Lupis, ce qui lui laissait amplement le temps de se faire une idée de son caractère et de sa sensibilité.

Pour le meilleur ou pour le pire, elle poursuivait trop d’idéaux… Quelqu’un comme elle approuverait-elle une vengeance contre Hodram en compensation… ? Jamais… Mais qu’est-ce que je fais ? Si je la refuse ici, Helena ira directement se joindre chez les nobles…

S’il en parlait à la princesse Lupis, elle insisterait sans aucun doute pour que la question soit réglée par la loi, mais cela ne résoudra pas la rancune d’Helena. Son principe directeur était la vengeance. Certes, elle était loyale au trône de Rhoadseria, mais son ressentiment était plus fort que cela.

Si la faction des nobles s’approchait d’elle en premier et acceptait son prix, elle prendrait leur parti sans hésiter. Le plus important pour elle était de tuer Hodram de ses propres mains… Ou pire, selon toute probabilité.

Pas le choix… Je vais devoir en supporter le poids…

Ryoma se prépara. Il devrait accepter sa demande de vengeance sans consulter la princesse.

« Très bien… nous acceptons votre demande. »

« Quoi!? », s’exclamèrent Meltina et Mikhail, mais Ryoma les fit taire d’un regard.

Les négociations avaient le moyen de changer. S’ils demandaient du temps pour consulter la princesse, les intérêts d’Helena faibliraient. Ils devaient prendre leur décision ici.

« Êtes-vous sûr? Ne devriez-vous pas vérifier auprès de Son Altesse en premier? », demanda Helena avec conviction.

« Oui. Elle m’a confié le traitement de ces affaires et j’excède peut-être mon autorité… Mais je vais m’en occuper. Vous pouvez être sereine. »

Helena écouta ses mots puis le regarda fixement dans ses yeux. Elle ne lui pardonnerait pas s’ils trahissaient même un bout de mensonge. Mais après l’avoir observé pendant un moment interminable, l’expression d’Helena s’assouplit.

« Très bien. Je vais vous faire confiance, Seigneur Mikoshiba. »

Elle fit référence à Ryoma avec un titre respectueux pour démontrer sa confiance.

« Merci beaucoup, Lady Helena. »

« Alors, que dois-je faire pour aller de l’avant? Aider à diviser la faction des chevaliers? »

Ryoma réfléchit un instant à sa question.

« Je suppose que la grande question est de savoir combien de personnes sont mécontentes du général Albrecht. »

La réponse à cela pourrait changer les choses de manière significative. Bien sûr, étant donné sa personnalité hautaine, il était probable que peu de gens respectaient le général Albrecht du fond de leur cœur, mais cela ne voulait pas nécessairement dire qu’ils le détestaient.

Les inquiétudes de Ryoma s’avéreraient sans fondement.

« Eh bien, je crois qu’environ deux tiers d’entre eux sont mécontents de lui… au point d’être prêt à tuer pour ça. »

« Deux tiers !? »

Il n’avait pas pu retenir sa surprise à son évaluation.

Hodram n’aurait pas pu rester le chef de la faction tout ce temps si la majorité de ses membres étaient mécontents de lui.

« Il ne peut pas y en avoir autant, n’est-ce pas ? »

Helena répondit à sa question avec le sourire.

« Oui, je suppose que dans des circonstances normales, il n’aurait pas pu… Mais il y est parvenu. Il l’a fait en demandant aux chevaliers de s’observer mutuellement. »

« Que voulez-vous dire par là ? »

« En termes simples, il les encourageait à l’informer de leurs mouvements respectifs. »

Il y avait des pays dans le monde de Ryoma qui utilisaient aussi cette tactique. La sphère communiste l’utilisait largement avant l’effondrement de l’Union soviétique, et il y avait encore des gouvernements qui comptaient sur elle pour maintenir leur pouvoir.

En termes simples, il s’agissait d’un système qui encourageait la trahison parmi les gens. En échange du signalement de toute dissidence de la part d’un collègue ou d’un membre de la famille, ils seraient récompensés par un mouvement ascendant dans leur entreprise ou leur société, ou par des récompenses monétaires.

Il avait tendance à semer la méfiance. Naturellement, tout le monde avait tendance à se plaindre de ne pas aimer sa vie actuelle. D’une manière ou d’une autre, il n’y avait probablement pas une personne en vie qui n’était pas mécontente de son train de vie.

Mais que se passerait-il si quelqu’un entendait cette plainte et que celui-ci allait le dénoncer afin d’être tué ? On garderait son cœur fermé à ses collègues et amis, et même à sa propre famille.

« Je vois… Dans ce cas, il serait facile de les faire changer de camp. »

Aussi ferme que soit ce système, son principal défaut résidait dans sa fragilité, même une seule personne ayant le courage de résister le ferait s’effondrer. L’appeler à la fois ferme et fragile était peut-être une expression étrange, mais elle était pertinente.

Le problème principal était que les gens avaient du mal à faire preuve de ce courage au départ. Tout le monde était anxieux, mais personne n’osait parler, car cela mettait sa vie en jeu. C’était ce qui rendait le système solide.

Mais que se passerait-il si une personne partageait ses angoisses avec une autre ? Bien sûr, il faudrait choisir à qui on le dirait avec sagesse, mais il était fort probable qu’ils partageraient ces angoisses avec quelqu’un un jour ou l’autre. Ce faisant, ils s’agiteraient davantage, ce qui provoquerait le débordement de leur mécontentement et leur ferait atteindre le point de rupture. Et une fois qu’ils en seraient arrivés là, personne ne pourrait les arrêter. L’anxiété refoulée éclaterait d’un seul coup, comme la lave d’un volcan en activité.

La personne la plus apte à lancer la première étincelle dans ce baril de poudre était assise juste devant lui. Le héros admiré de Rhoadseria serait l’appât, ce qui ferait sûrement jaillir les flammes du mépris.

Meltina et Mikhail, aussi lents soient-ils, ne comprenaient pas bien les implications, mais Ryoma pouvait facilement l’envisager.

« Très bien. Je vous en laisse l’exécution. À une condition… assurez-vous de nous tenir au courant de la situation. »

« Oui, vous pouvez compter sur moi à cet égard. Aussi vieille que je sois, je suis toujours un ancien général. »

Helena acquiesça de la tête, pour répondre à la confiance que Ryoma lui accordait.

« Puis-je vous demander une seule chose ? » demanda Ryoma à Helena alors qu’elle se levait et se préparait à partir.

« Mon Dieu, n’êtes-vous pas tout d’un coup réservée. Qu’est-ce que c’est ? »

Il savait que ce serait délicat, mais il ne pouvait s’empêcher de le demander.

« Votre fille… »

Helena se tut à la demande de Ryoma. Il semblerait que c’était un sujet sur lequel elle ne voulait pas parler. Ryoma regretta immédiatement son manque de réflexion.

« Ma fille… a été violée et ravagée cruellement peu après son enlèvement, et a été poussée à la folie… Puisqu’elle n’était pas à vendre… ce marchand d’esclaves l’a tuée. »

« Je suis vraiment désolé. Je n’aurais pas dû demander. »

Ryoma ne pouvait que baisser la tête devant les mots qu’Helena crachait.

Il s’en doutait déjà, mais entendre ces paroles de la bouche du parent endeuillé était extrêmement pénible.

Je suis une telle idiote… J’aurais mieux fait de ne rien lui demander…

Il l’avait demandé par pure curiosité, mais il aurait été tout de même mieux de ne pas l’avoir dit.

« C’est bon… Ne vous inquiétez pas pour ça. Mais… c’est pour ça que je ne peux pas laisser tomber… Quoi qu’il arrive ! »

Ryoma ne pouvait que rester immobile, sans mot dire. En quittant la pièce, Helena pouvait clairement voir les flammes de la haine tourbillonner violemment dans sa foulée.

***

Chapitre 4 : Montre ta force

Partie 1

Le soleil était suspendu à son zénith. Une femme seule haussa la voix au milieu du tumulte des hommes qui buvaient en plein milieu de la journée.

« Par ici, Gran ! »

Ils se trouvaient dans la ville fortifiée de Pireas, la capitale de Rhoadseria. Dans un bidonville situé à une extrémité de la ville se trouvait un petit pub du quartier. Lione inclina son verre de vin vers un homme qui regardait dans le bar depuis la porte d’entrée.

Gran était un homme d’une trentaine d’années ayant la quarantaine, qui mesurait plus de 190 cm de haut. Il avait un physique ferme et bien bâti. Le gilet sans manches qu’il portait montrait le haut de ses bras, qui étaient aussi épais que des bûches.

Il tourna le visage dans la direction de Lione et fit un petit signe de tête. Ses cheveux bruns et brûlés par le soleil avaient été coupés court, et une barbe épaisse lui plâtrait le visage, donnant l’impression que cet homme n’était pas vraiment un membre respectable de la société. L’armure de cuir qu’il portait était renforcée de métal par endroits, et il avait une hache de guerre massive dans le dos, l’un de ces deux objets ne pouvait que lui donner l’apparence d’un brigand ou d’un bandit.

Mais à vrai dire, sa tenue vestimentaire n’était pas le problème ici. Son corps fourmillait simplement de la vigueur d’un homme qui avait vécu d’innombrables batailles. Un homme qui gagnait sa vie en se battant. Tout homme ordinaire qui fixait ses yeux sur Gran détournait maladroitement les yeux et s’échappait.

Ceci dit, toute personne dans ce pub tournerait simplement son regard dans la direction de Gran et pour ne plus s’y intéresser l’instant suivant, afin de revenir à leurs affaires. Parce qu’ils savaient tous que Gran travaillait dans le même secteur d’activité qu’eux. Le nom de ce magasin était le Salon Forestier Verdoyant, l’un des pubs les plus appréciés et fréquentés par les mercenaires de Pireas.

« Une bière pour cette table, là-bas, jeune fille. »

Laissant sa commande à une serveuse de passage, Gran se dirigea vers Lione pour prendre le siège en face du sien

« Ça fait un moment. Comment la vie t’a-t-elle traité ? »

« Ta tasse est toujours aussi sale. Et aucune des serveuses ne voudra te toucher avec un bâton, avec ta tenue minable. »

« Je vois que tu n’as pas changé non plus. Hein, Lion cramoisi ? »

Souriant avec ironie devant son attitude lâche et la quantité surprenante de bouteilles d’alcool vides jonchant sa table, Gran avait pris place devant elle.

 

 

Le lion cramoisi n’était pas seulement le nom du groupe que Lione dirigeait, mais aussi son propre surnom. La vue d’elle se précipitant sur le champ de bataille avec des cheveux ébouriffés et cramoisis évoquait vraiment l’image d’une lionne. Tous les mercenaires qui la connaissaient étaient envoûtés par cette vue.

« Mais toi, tu m’appelles pour que je vienne ? Ce qui arrive une fois tout les 36 du mois. »

Prenant une gorgée de la bouteille de bière qui avait été apportée à la table, Gran jeta un coup d’œil dans la direction de Lione.

Gran était à la tête de la Brigade du Vent du Nord, un groupe de mercenaires de même niveau que le Lion Cramoisi. Ils s’étaient souvent rencontrés sur le champ de bataille au fil des ans, mais il n’avait jamais été invité comme ça auparavant.

« J’ai fini par me lancer dans une sale affaire, et j’essaie de rassembler des mercenaires compétents et dignes de confiance pour m’aider. Et comme tu étais libre, j’ai pensé que c’était le bon moment pour demander. »

« Sale affaire ? »

Gran baissa la tête devant le sourire amer de Lione.

L’idée qu’un mercenaire se faisait d’une « mauvaise affaire » serait généralement de trahir une demande qui lui a été faite, mais n’importe qui dans le milieu qui en valait la peine savait qu’il devait respecter le contrat et se soucier de ses relations. Il doutait que cette rousse, dont il reconnaissait la supériorité dans ce métier, puisse faire une telle chose.

« As-tu trahi ton client ? »

« Ouais, quelque chose comme ça. »

Lione descendit le vin tiède de son verre et le claqua sur la table.

« Alors, va en parler avec la guilde, pas avec moi. Je ne pense pas pouvoir t’aider avec ça. »

Une guilde. En termes modernes, elle pourrait être équivalente à un syndicat de travailleurs. Il y avait, en fait, beaucoup de sortes de guildes dans ce monde, y compris la guilde des marchands et la guilde industrielle, mais quand on disait ce mot sur cette Terre, cela signifiait généralement la guilde des aventuriers et des mercenaires. C’est l’association qui envoyait ceux qui travaillent dans ce domaine dans des zones de combat et des zones de danger diverses.

Le rôle de la Guilde était de s’occuper de la bonne distribution des demandes et d’agir comme médiateur en cas de désaccord avec le client. La suggestion de Gran était que si Lione se disputait avec son client, le premier endroit où elle devrait aller pour obtenir de l’aide était la guilde.

« Eh bien, c’est un peu la merde qui s’est mise en branle dans ce cas. Je ne peux pas vraiment compter sur la guilde ici. »

« Je te connais pourtant, tu es plus prudente que ça. »

L’expression de Gran se déforma.

« Ne me dis pas que tu as pris ce travail directement du client sans passer par la guilde ? »

Toutes les demandes faites par l’intermédiaire de la Guilde avaient été traitées après confirmation de la situation financière du client et du contenu de la demande, et en échange, la Guilde percevait des frais d’intermédiaire pour toutes les demandes qu’elle avait traitées.

Bien sûr, c’était une dépense nécessaire, la guilde étant une si grosse organisation. Mais ceux qui travaillaient en mettant leur vie en jeu étaient loin d’être heureux de voir une partie de leur récompense leur être retirée. Étiez-vous censé donner la priorité à votre propre sécurité, ou sur le montant de votre rémunération ? Certains préfèrent cette dernière voie et choisissent d’accepter les demandes sans passer par la guilde.

Toutefois, ce genre de demandes comportait son lot d’embûches. Pouvoir marchander la récompense était une bonne chose, mais il y avait des cas où le client refusait de payer et où des gens vraiment vicieux essayaient d’éliminer les personnes qu’ils avaient embauchées pour éviter de futurs ennuis. Ainsi, à moins qu’il n’y ait une grande confiance entre eux et le client, aucun mercenaire ayant un peu de jugeote n’accepterait facilement une mission sans passer par la guilde.

Grâce à l’organisation massive connue sous le nom de guilde, qui s’étendait sur le continent occidental, les mercenaires pouvaient risquer leur vie sur le champ de bataille sans craindre d’être traités comme des pions jetables…

« Non, ce n’est rien de tout ça. La demande elle-même était légitime, et nous l’avons prise à la guilde. »

Sentant quelque chose dans ses paroles, Gran fronça ses sourcils.

« D’accord, je comprends. On dirait que c’est un peu plus compliqué que je ne le pensais… Dis-moi tout. Je vais prendre un autre verre en moi, et je t’écouterais. »

Sentant qu’une longue conversation l’attendait, Gran braqua sa tasse vide pour appeler une serveuse.

Après avoir entendu l’histoire de Lione, Gran croisa les bras et fixa le plafond, le visage sans expression.

« Voilà, c’est ça le marché, Gran. Je veux que toi et ta Brigade du Vent du Nord nous prêtiez vos forces. »

Lione ayant dit ce qu’elle avait à dire, le silence s’était installé entre eux pendant un long moment. Celui-ci ayant finalement été rompu par un profond soupir de Gran.

« Lion cramoisi. En supposant que tout ce que tu viens de me dire est vrai… L’affaire du chef de guilde est déjà assez désagréable, et en plus, tu veux te mêler dans la guerre civile de Rhoadseria… Ce champ de bataille est bien différent de ceux dans lesquels nous travaillons. Même pour toi, avec ton nom et ta réputation, cela va beaucoup plus loin que ce qu’un mercenaire peut gérer. Si j’étais toi, je me tirerais du continent occidental avant que la guilde n’envoie quelqu’un pour t’achever. »

Bien que Lione était une vieille amie, son histoire était trop problématique. La guilde s’était toujours présentée comme neutre, mais tant qu’elle était dirigée par des gens, les relations et les faveurs existaient toujours. Une organisation vraiment neutre ne pouvait pas exister. Un enfant ignorant n’était peut-être pas capable de le comprendre, mais Gran le savait très bien. C’est tout simplement ainsi que le monde fonctionnait.

Gran s’était servi lui-même de ses relations amicales avec un chef de guilde pour décrocher de bons emplois ou rejeter des emplois qu’il ne pensait pas en valoir la peine. Mais d’un autre côté, il n’avait jamais entendu parler d’un chef de guilde qui aurait piégé quelqu’un d’une manière aussi flagrante.

Si les affirmations de Lione étaient vraies, le chef de guilde de Pherzaad prévoyait d’utiliser Lione et son groupe comme des pions jetables. C’était à un tout autre niveau que l’obtention d’un dédommagement un peu moins élevé pour une mission que ce qui avait été promis. Cela avait remis en question les principes fondamentaux de la Guilde.

Bien sûr, Gran ne faisait pas assez confiance à la guilde pour croire que c’était tout à fait impossible, mais il ne pouvait pas avaler l’histoire de Lione aussi facilement. Et la plus grande raison pour laquelle il était si peu engagé, c’est que, même si elle s’était fait un nom, l’affaire semblait beaucoup trop importante pour qu’un simple mercenaire, sans influence ni pouvoir sur la société, s’en mêle. Il avait peut-être une réputation personnelle et une confiance en ses capacités, mais ils ne l’aideraient pas beaucoup dans cette situation.

Lione et Gran étaient des mercenaires de rang A, et leur rang au sein de la guilde était aussi très élevé. Ils avaient mérité des surnoms, étaient reconnus par leurs compagnons mercenaires, et les groupes qu’ils dirigeaient étaient des rassemblements d’anciens combattants expérimentés. Si un pays les recrutait dans un ordre de chevalerie, ils avaient les compétences nécessaires pour devenir bientôt des commandants d’escadrons ou de compagnies.

Mais tout bien considéré, Gran trouvait que l’offre de Lione était beaucoup trop dangereuse. Surtout quand il s’agissait de s’opposer à une grande organisation comme la guilde…

« Tu n’as pas tort. Normalement, je n’accepterais pas quelque chose d’aussi dangereux, quel qu’en soit le prix. C’est ennuyeux d’avoir la guilde à ses fesses, et comme tu l’as dit, s’enfuir sur un autre continent est une option. Mais cette fois, l’histoire est un peu différente. »

Reprenant ce que Lione insinuait, Grand sillonnait son front.

« Ne me dis pas que ce gamin t’a convaincue de monter à bord ? »

Il avait l’air assez intelligent d’après ce que lui avait dit Lione, et Gran pensait qu’il y avait du vrai dans ses capacités. Mais même si Lione se portait garante de lui, du point de vue de Gran, c’était un gamin suspect qui était sorti de nulle part, et son rang E à la guilde n’aidait pas. Il ne pouvait pas faire confiance à un arriviste avec peu d’expérience au combat.

« On te paiera bien. »

Lione sourit à Grand avec un seul œil ouvert.

« Ne sois pas stupide… L’argent n’est pas le problème ici. »

« Qu’est-ce que c’est ? Un mercenaire me dit qu’il s’en fout de l’argent ? »

Gran secoua la tête. La somme offerte était certainement séduisante, mais cela ne voulait pas dire qu’il était prêt à plonger dans les flammes pour l’obtenir.

« Ce qui compte pour un mercenaire, c’est de savoir s’il peut faire confiance à son client, et si son client peut gagner la guerre… Comparé à cela, notre paiement n’a guère d’importance. Je ne devrais pas avoir besoin de te le dire, n’est-ce pas ? »

***

Partie 2

Les mercenaires risquaient leur vie pour de l’argent, et c’est pour cette raison qu’ils attachaient de l’importance à ce que leur client soit fiable et capable de gagner. Un simple soldat de base se soucierait peut-être du salaire qu’il touchait, mais les choses étaient différentes pour Gran, qui dirigeait un groupe de mercenaires qui fonctionnait comme un ordre de chevalerie. Il était responsable de la vie de ses subordonnés. Peu importe le montant de la récompense, elle serait réduite à néant s’ils ne pouvaient pas gagner.

Dans la plupart des cas, lorsqu’un camp perdait la guerre, seul l’employeur se faisait couper la tête, et les mercenaires n’avaient plus que les maigres dépôts qu’on leur avait donnés à l’avance, et dans le pire des cas ils pourraient se retrouver traqués comme des restes de l’armée vaincue. Se faire appâter par la promesse d’une grosse récompense représentait un risque.

Il était donc logique que Gran hésite. Mais du point de vue de Lione, en tant que celle qui présentait l’offre, il semblerait que Gran pensait que son jugement n’était pas digne de confiance.

« Quoi, tu dis que tu n’as pas confiance en mon jugement ? »

Le regard de Lione s’affûta.

« Ce n’est pas ce que je dis, mais… Le rang de ce garçon est bas, et il ne peut même pas utiliser la magie, pas vraie ? »

Gran se défendit désespérément, submergée par le regard éblouissant de Lione.

« Il n’a pas mis les pieds sur le champ de bataille une seule fois. Me dire de risquer ma peau pour un amateur, c’est de la folie. Ils font tout dans le secret pour le moment, mais tu pourrais faire de toute la guilde ton ennemi. »

« J’admets que ce garçon est un novice quand il s’agit de sa vie d’aventurier et de mercenaire. »

« Et tu me dis de me battre sous ses ordres… ? Ou bien est-ce toi qui tires les ficelles dans les coulisses ? Ça changerait les choses si tu étais… »

La guerre représentait le travail pour un mercenaire, d’où la prudence dont ils faisaient preuve lorsqu’il s’agissait de prendre ces décisions.

« Crois-tu qu’on n’a aucune chance de gagner ? »

« Désolé, Lion cramoisi. »

Gran croisa les bras et acquiesça profondément à sa question.

« Demande d’un vieil ami ou pas, je ne peux pas accepter de t’aider avec celui-ci. »

Il ne s’agissait pas seulement de la vie de Gran. Cela influencerait la vie et la mort des membres de sa brigade. Il ne pouvait pas changer d’avis, même pour un vieil ami.

Mais après avoir entendu la réponse de Gran, Lione sourit tout simplement.

« Eh bien, n’est-ce pas dommage ? De toute façon, je savais que tu ne te déciderais pas ici et maintenant. »

Même après le refus cruel de Gran, elle n’avait pas l’air de lui en vouloir. Mais l’instant d’après, l’expression de Lione prit une acuité jamais vue jusqu’alors.

« Mais tu sais, Gran… Tu as deux grosses dettes que tu me dois en ce moment. Ça n’a pas pu t’échapper, n’est-ce pas ? »

Gran grimaça à ces mots. Les mercenaires se battant sur le champ de bataille contractaient ce genre de dettes presque quotidiennement. Et il n’y avait aucune échappatoire possible dans le remboursement de ce genre de dette. Si l’on oubliait la faveur d’un autre mercenaire dans le passé, personne n’irait les aider la prochaine fois qu’ils seront dans le besoin. Et une fois cette confiance perdue, elle ne se retrouverait plus jamais sur le champ de bataille. Peu importe leur force, sans l’aide de leurs camarades, ils ne survivraient pas au combat et, au pire, ils pourraient même se faire poignarder dans le dos s’ils ne faisaient pas attention.

« Essayes-tu de nous faire tuer ? »

Le corps de Gran était plein d’intentions meurtrières.

De son point de vue, qu’il soit allé de l’avant ou qu’il ait essayé de faire demi-tour, le seul chemin qui s’offrait à lui était un chemin à sens unique vers l’enfer. Entre mettre son cou dans l’agitation intérieure d’un royaume et défier un chef de guilde, trancher la gorge de Lione alors qu’elle était juste là devant lui semblait être une alternative beaucoup plus facile.

Comme s’il ignorait le tumulte fiévreux du pub, l’air autour de ces deux-là gela comme de la glace. La main de Gran avait saisi le manche de la hache de guerre sur son dos.

« Héhé, je ne ferais pas ça. Tu connais assez bien mon talent, n’est-ce pas ? En plus, essaie de faire travailler un petit peu ce muscle qui te sert de cerveau et imagine ce qui se passerait si tu te mettais à agiter ta hache ici. »

À un moment donné, la main de Lione s’était agrippée à la poignée du poignard attaché à sa taille. La hache avait certes une puissance impressionnante, mais elle était trop longue et trop lourde. Dans une situation où ils étaient tous les deux à portée l’un de l’autre, sa longue portée le désavantagerait.

Dès qu’il attrapa sa hache sans se soucier de l’endroit où il se trouvait et que Lione attrapa sa dague, Gran avait perdu. Aussi habitué qu’il était à cette arme, ses actions étaient trop téméraires. Il ne pouvait que maudire amèrement sa propre décision.

Le regard de Lione le poignardant, Gran enleva amèrement sa main du manche de la hache. Mais cela ne voulait pas dire qu’il avait accepté les choses. Il regarda Lione d’un air méprisant alors qu’elle descendait agréablement un autre verre.

Hehe… On dirait que ça l’a vraiment énervé. Je suppose que je vais devoir être indulgente avec lui.

La façon dont Gran la regarda comme si elle avait abattu ses parents faisait partie du plan que Lione avait concocté avec Ryoma plus tôt.

« Eh bien, je ne suis pas là pour ton sang ou quoi que ce soit d’autre. Je suis un autre chef de brigade mercenaire, comme toi. Je ne vais pas utiliser cette dette pour te forcer à entrer dans ma guerre. »

Les paroles séduisantes de Lione firent que Gran inclina la tête avec confusion.

« Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ? »

Étant donné le déroulement de la conversation, il était tout à fait naturel, compte tenu de la façon dont la conversation s’était déroulée jusque-là, de supposer qu’elle avait soulevé la question de la dette pour cette raison. Et en effet, c’était parce que Gran avait supposé qu’il était prêt à prendre sa vie.

« Tout ce que je veux, c’est que tu écoutes ce garçon. Tu pourras décider si tu nous aides après l’avoir rencontré… Qu’est-ce que tu en dis ? Ça effacera l’une de tes dettes. »

Gran examina gravement sa proposition, car elle l’avait pratiquement supplié de lui donner une réponse. C’était vraiment une offre tentante.

« Tout ce que j’ai à faire, c’est de le rencontrer ? C’est tout ? »

« Ouais… Rencontre le garçon, et si tu penses toujours que nous n’avons aucune chance et que tu refuses, j’abandonnerai discrètement. »

L’offre ne semblait pas avoir d’inconvénients pour Gran. Avoir une de ses dettes effacées juste après avoir rencontré quelqu’un était une offre assez facile.

« Très bien. Je vais le rencontrer et écouter ce qu’il a à dire. »

Finalement, Gran n’avait pas eu d’autre choix que d’accepter sa proposition. Une fois leur conversation terminée, Grand se dirigea vers la sortie du pub et Lione surveilla son dos en partant.

Désolé, Gran… Je ne voulais pas avoir à faire ça. Mais nous n’avons pas le loisir de choisir nos moyens pour le moment. Eh bien, je vais effacer cette autre dette que tu me dois pour cela, alors contente-toi de cela.

Combien de fois ces mots avaient-ils traversé l’esprit de Lione ces derniers jours ? Depuis le moment où Lione avait appelé Gran ici jusqu’à ce pub, il n’avait pas eu le choix, pas plus que les autres mercenaires qu’elle avait appelés.

Vu les circonstances dans lesquelles Lione et son groupe se trouvaient, il était évident que même les autres mercenaires et amis hésiteraient à les aider. Ils n’avaient donc qu’un seul moyen à leur disposition : les forcer à se joindre volontairement aux combats.

Lione avait tenu cette réunion clandestine avec Gran dans ce pub. Normalement, une réunion secrète aurait lieu dans un lieu plus approprié, mais Lione avait délibérément choisi le Salon Forestier Verdoyant, où les yeux de leurs compagnons mercenaires étaient rassemblés, afin que cela parvienne aux oreilles du maître de guilde de Pherzaad. Ou plutôt, le principal problème ici n’était pas de savoir si cette information parviendra à Wallace à Pherzaad. Les gens qui voulaient suivre les mouvements de Ryoma et Lione avaient peut-être été envoyés de Pherzaad, mais ce qui importait le plus, c’était que Gran se sente soumis à des pressions du fait que Wallace pourrait les poursuivre.

Maintenant qu’il avait entendu la vérité à ce sujet de la part de Lione, il n’était plus possible que Wallace épargne Gran. Et une fois que Gran et ses hommes seraient amenés à ressentir cela, ils seraient contraints de se ranger du côté de Lione. Ils ne pouvaient pas ignorer le fait que leur vie était en danger et Gran seul n’avait pas le pouvoir de faire face à cette menace.

La question était de savoir comment endiguer leur colère une fois qu’ils auraient réalisé qu’ils avaient été piégés.

Je ne peux pas être trop prudente avec toi, hein, mon garçon. Jusqu’à présent, tout s’est passé comme tu l’avais dit… Mais c’est à toi de convaincre Gran.

Lione ne doutait pas de Ryoma quand il s’agissait de débrouillardise. Mais les mercenaires avaient une grosse tête et ne faisaient pas confiance à un commandant qui ne se tenait pas en première ligne et ne maniait pas une lame. Aucune somme d’argent et aucun complot ne peut réellement gagner la loyauté. Et s’il n’arrivait pas à calmer la colère de Gran une fois qu’il se serait rendu compte qu’on les avait eus, ils n’iraient jamais sur le champ de bataille.

J’ai tout organisé comme tu me l’as demandé. Montre-moi ce que tu sais faire, mon garçon…

Avec un mauvais sourire sur son visage, Lione prit un autre verre.

« Arand ! Alors le lion cramoisi t’a aussi convaincu de venir, n’est-ce pas ? »

En apercevant un vieil ami dans un endroit si inattendu, Gran éleva la voix en criant.

« Ooh, Gran… Ce lion cramoisi… Alors elle t’a aussi attiré ici. »

Arand, quarante ans, se gratta sa tête bien rasée et déforma son visage rougi et enivré.

« J’ai entendu dire qu’elle rackettait tous ses vieux amis. Je suppose qu’elle est déterminée à se mêler dans cette guerre civile… »

Ces mots avaient permis à Gran de connaître les sentiments d’Arand à ce sujet.

« C’est naturel, vu leur position… »

Les deux mercenaires avaient regardé autour d’eux. Il s’agissait d’un terrain de manœuvre aménagé à la périphérie de Pireas. Les chevaliers en armure brillante utiliseraient normalement cet endroit pour l’entraînement, mais il était actuellement occupé par des gens sales qui ressemblaient plus à des ruffians et des brigands. Il y avait environ 400 personnes.

Leurs armements étaient, pour le dire gentiment distinctif. La longueur uniforme de leurs épées et de leurs lances était une chose, mais certains d’entre eux portaient des masses, des haches de guerre, des épées à doubles tranchants ou des bâtons métalliques. Il en était de même pour leurs choix d’armure, cuir et métal. Certains d’entre eux portaient un kimono monocouche composé d’écailles fixées avec des chaînes.

Leur équipement était très varié, ce qui montrait clairement qu’il n’y avait pas d’uniformité dans ce groupe. Et les cicatrices et les entailles gravées dans leurs armes témoignaient de la profondeur de leur expérience. Il s’agissait d’un groupe de gens distinctifs et uniques, à la différence de tous les soldats ordinaires.

« Il faut que je félicite le Lion Cramoisi. »

Non seulement en termes de ses relations, mais aussi en termes de compétences.

« Eh bien, la moitié du temps, elle utilise les connexions de Boltz… »

Gran grogna pour montrer son accord.

***

Partie 3

« C’est quand même impressionnant, la manière dont elle a rassemblé autant de mercenaires si vite sans passer par la guilde. Et elle n’a pas appelé n’importe qui. Ils ont tous une réputation pour les soutenir, et il y a encore beaucoup de gens qui sont encore indécis… Je suppose qu’ils n’appellent pas Lione le Lion cramoisi pour rien. »

Arand scanna l’endroit en haussant les épaules, ce qui ressemblait à de l’exaspération.

« Ouais… Tu as mis dans le mille, Gran. »

Il acquiesça de la tête, confirmant l’affirmation de son ami.

Gran avait le même rang de guilde que Lione, mais il n’aurait pas réussi à appeler autant de troupes, même s’il avait l’argent pour les payer mieux que le prix courant. Cette femme, de dix ans plus jeune que Gran, possédait quelque chose qui attirait les gens à ses côtés.

« Tu l’as rencontré, n’est-ce pas ? Que penses-tu de lui, Gran ? »

Beaucoup d’hommes durs considéraient Lione comme une sœur à cause de cette qualité, et Lione avait reconnu ce jeune homme : Ryoma Mikoshiba. La principale raison pour laquelle ils s’étaient rassemblés ici, c’est parce qu’ils attendaient beaucoup de ce jeune garçon à l’allure mûre qu’ils avaient rencontré quelques jours auparavant.

« Il est vif, comme le dit le Lion cramoisi. Pour être honnête, j’ai pensé lui écraser le crâne la première fois qu’on a parlé, mais je ne nierai pas qu’il a un moyen de t’attirer. Le gamin n’a pas le moindre charme, mais il est malin. En plus, si on laisse ce bâtard de Wallace, les étincelles pourraient bien finir par nous tomber dessus l’un de ces jours. »

Le visage du garçon qu’il avait rencontré il y a quelques jours avait refait surface dans l’esprit de Gran. Il avait des traits simples et sociables, mais c’était juste à la surface. Ryoma Mikoshiba possédait une perspicacité qu’on ne soupçonnerait jamais en jugeant sur son apparence. Gran le savait assez bien parce qu’il s’était fait avoir pendant sa conversation avec Lione. Il était tombé dans le panneau et s’était fait avoir.

Quand Ryoma avait exposé la raison pour laquelle Lione l’avait appelé au pub ce jour-là, Gran était sur le point de le tuer sur le champ, mais se plaindre maintenant ne changerait rien au passé. Dès que Lione l’avait appelé et qu’il s’était approché d’elle, tout était déjà gravé dans la pierre. Aussi aguerri soit-il, aucun mercenaire n’avait pu échapper à la présence d’un représentant de la guilde qui était fourré dans tous les coins du continent pour les surveiller.

Après avoir rencontré Lione, Gran utilisa ses propres relations en tant que mercenaire chevronné pour recueillir des informations du mieux qu’il le pouvait. Ce qu’il avait appris, c’est qu’il n’y avait aucune trace de l’échec d’une demande du groupe de Lione.

Au contraire, non seulement ils n’avaient échoué à aucune demande, mais il n’y avait aucune trace qu’ils aient accepté une telle demande de Pherzaad. Cela avait été confirmé par une personne travaillant dans la guilde de Pireas et qui lui devait une grosse somme d’argent. Les autres mercenaires avaient probablement réussi à obtenir les mêmes informations, bien que par des voies différentes.

« Alors tu en es arrivée à la même conclusion, hein, mamie ? »

« Ouais. À moins que Lione n’ait pas tout inventé à propos de la demande. »

« Ce qui veut dire… »

Arand le regarda d’un air significatif, ce à quoi Gran hocha la tête.

« Oui. Tôt ou tard, ce fils de pute de Wallace va faire taire tous ceux qui sont au courant de cet incident… Sinon, la nouvelle que le groupe de Lione a trahi passerait dans toutes les branches. »

« Le fait qu’il ne l’ait pas fait signifie-t-il qu’il est toujours en train d’examiner la situation ? »

« C’est probablement à peu près ça, oui. »

Gran cracha amèrement sa réponse.

Toutes les demandes acceptées par l’entremise de la Guilde étaient habituellement consignées en détail, on savait même qui avait accepté la demande de qui, pour quel montant et où cela s’était produit. C’était là une information cruciale pour diviser les aventuriers et les mercenaires en deux. Et bien que Gran ne pouvait normalement pas consulter les dossiers des autres, il était toujours en mesure de le faire, grâce à l’employé qu’il avait à sa disposition.

S’il ne pouvait pas trouver un tel dossier, cela signifierait l’une des deux choses suivantes. Soit le groupe de Lione avait trompé tout le monde en prétendant prendre une demande qui n’existait pas, soit quelqu’un avec assez de pouvoir pour contourner les règles de la guilde avait retiré la demande de ses dossiers.

Mais Lione n’avait aucune raison de tromper Gran et les autres mercenaires, et même si elle le faisait, elle trouverait un alibi plus crédible. Ce qui ne laissait qu’une seule réponse à la question. Et il n’y avait pas beaucoup de gens capables de cacher l’existence d’une requête prise par la guilde.

Il n’y avait aucune trace de preuve pour cela, mais le candidat le plus probable était le chef de guilde de la guilde de Pherzaad, Wallace Heinkel.

« Alors tout se passe exactement comme ce gamin l’avait prédit, hein ? »

« Oui. C’est un morveux insolent, mais je vois ce que le Lion cramoisi a vu en lui. »

« Je suppose que le reste dépend de la capacité du gamin à éliminer Branzo… Tu en as parlé au lion cramoisi, Gran ? »

Le regard d’Arand était fixé sur le dos d’un homme debout au centre d’un groupe de personnes formant un cercle. C’était un homme de grande taille, vêtu d’une armure de cuir renforcé à quelques endroits par des plaques de métal. Un tatouage noir en forme d’araignée avait été gravé sur le haut de son bras exposé, en forme de rondins.

Lione, qui se tenait à proximité, était assez grande pour une femme, mais par rapport à elle, la différence n’était que trop évidente.

« Oui, j’en ai parlé pendant qu’elle recueillait des informations. »

« L’araignée noire… Je ne sais pas qui l’a engagé, mais un salaud comme lui est un bon assassin. Tu crois que c’était Wallace ? »

Arand devait détester beaucoup Branzo, parce qu’il crachait au sol en regardant le tatouage noir sur son bras.

Branzo l’araignée noire. C’était un homme tristement célèbre parmi les mercenaires. C’était un homme qui accepterait n’importe quel travail pourvu qu’il soit bien payé.

« Non, ce n’était définitivement pas Wallace. Pherzaad est assez loin, donc même un chef de guilde aurait du mal à gérer les choses directement… Mais il finira probablement par agir tôt ou tard. »

« C’était donc quelqu’un à Rhoadseria… »

« Oui, probablement, » répondit Gran en hochant la tête et en faisant tournoyer sa barbe.

« La bande la plus suspecte est la faction des nobles qui s’opposent à la princesse. »

« Je suppose que c’est mieux que de ne pas savoir quand ils pourraient être attaqués, mais affronter un assassin de front n’est pas normal non plus. Et je ne vois pas un gamin amateur sans expérience sur le champ de bataille battre Branzo… C’est peut-être une merde dégoûtante, mais l’araignée noire a assez de talent pour confirmer ce nom… Pourquoi as-tu suggéré ça, Gran ? »

« Tu me demandes ça maintenant ? »

Gran secoua la tête devant le ton accusateur d’Arand.

« Ce n’est pas ce que je veux dire. Oui, s’il bat Branzo, cela va faire tourner la tête à tout le monde. Plus personne ne traitera plus ce morveux comme un gamin s’il prouvait ainsi sa force. Mais… »

Arand s’arrêta.

« C’est vrai… Il l’a su dès le début, et le fait qu’il ait suivi mon idée est la preuve qu’il pense qu’il a une chance. »

« Tu crois qu’il peut gagner ? »

« Qui sait ? Je ne peux pas le dire sans voir le combat se dérouler. » Gran haussa les épaules, montrant un sourire amusé.

Ryoma Mikoshiba était dans sa tente, couché sur une couverture de laine, lisant tranquillement un livre. Le livre était brun, décoloré par l’exposition au soleil et avait l’odeur de moisi caractéristique des vieux livres, ce qui rendait la longue histoire du livre qui avait survécu visible à l’œil nu.

« Maître Ryoma… C’est presque l’heure. »

Le doux murmure de Laura lui chatouilla l’oreille, arrachant Ryoma à sa lecture et le ramenant à la réalité.

 

 

« Ah, c’est déjà l’heure… »

Ryoma souleva son corps des cuisses de Laura, qui lui avaient servi d’oreiller, et fit un long étirement. Le bruit de ses os grinçant remplissait la pièce.

Le livre entre les mains de Ryoma n’avait pas été produit selon les méthodes habituelles de cette époque. C’était une sorte de livre beaucoup plus ancien, fait en ayant cousu les pages avec de la ficelle. Il serait peut-être plus approprié d’appeler cela un tome plutôt qu’un livre. Il n’avait pas été écrit avec de l’encre normale, mais plutôt avec de l’encre de pieuvre noire, et n’était certainement pas quelque chose de fait sur cette Terre.

Les questions et réponses entre l’empereur Taizong de Tang et Li Weigong

Il était considéré comme l’un des sept classiques militaires de la Chine, avec le Wuzi. Ce livre, écrit sous la dynastie Tang, décrit le dialogue entre un tacticien et un général. Il fut rapidement reconnu parmi les plus grands de l’histoire chinoise. Ce livre était l’un des plus faciles à lire parmi les sept classiques.

Cela dit, même dans le monde de Ryoma, il n’y en avait pas beaucoup qui pouvaient lire ce tome. Il avait peut-être été imprimé en bloc, mais il n’avait pas été écrit en caractères standard. En plus, c’était en chinois. Quiconque ne se spécialisant pas en littérature chinoise classique dans leurs études supérieures ne serait pas en mesure de la lire.

Et il était sur une autre Terre. Ce n’était même pas le monde de Ryoma. Naturellement, il était resté invendu pendant des années dans le magasin d’un marchand qui vendait de vieux livres jusqu’à ce que Ryoma le trouve.

« Désolé de t’avoir utilisée comme oreiller. »

Ryoma se leva, mettant un signet à l’endroit où il s’était arrêté.

« C’est très bien. Si mes genoux te conviennent, tu peux les utiliser quand tu voudras. »

Ryoma mit doucement ses doigts à travers les mèches d’argent de Laura en remerciement.

« Tu étais absorbé par ta lecture… Mais es-tu sûr que tu n’aurais pas dû bouger un peu plus ton corps ? »

Sara, qui se tenait également à proximité, le lui demanda avec inquiétude en lui tendant un verre d’eau.

Ryoma avait lu de nombreux livres traduits en japonais, mais lire un livre en chinois était une première pour lui. Il le devait à ce monde.

Je suppose que c’est la même logique que de pouvoir lire le langage de ce monde… Je pourrais probablement faire des choses assez intéressantes si je me sers de ça… Mais je suppose que je devrais finir ce petit boulot d’abord.

Une mesure spéciale concernant la langue lui avait probablement été appliquée lorsqu’il avait été convoqué dans ce monde. Et même si c’était certainement une question intéressante, Ryoma avait choisi de se concentrer sur la bataille à venir.

« Oui, pas de problème. »

Ryoma engloutit l’eau que Sara avait refroidie avec sa magie. La tête remplie du texte qu’il lisait, l’eau fraîche lui servit de répit rafraîchissant. Remettant le verre vide à Sara, Ryoma ferma les yeux et tourna les épaules.

Rien ne sortait de l’ordinaire. Le grand-père de Ryoma lui avait fait comprendre l’importance de toujours se conduire comme s’il était sur le champ de bataille, et donc Ryoma n’avait pas besoin de choisir le lieu et le moment d’une bataille. Ne pas être capable de bloquer les attaques-surprises et les actes répréhensibles était un destin bien pire. Ryoma avait été éduqué de cette façon dès son plus jeune âge, et c’était une façon de penser que le sport n’aurait jamais pu lui donner.

Puisqu’il était toujours prêt pour le vrai combat, ne pas pouvoir se défendre sans s’échauffer au préalable n’était tout simplement pas une option. Après tout, un ennemi qui se tenait en embuscade ne vous laisserait pas simplement une minute pour faire quelques accroupissements…

« Les préparatifs devraient être prêts, grâce à Lione. Il ne reste plus qu’à se montrer à tous ces gens… »

Fondamentalement parlant, les gens n’étaient pas différents des animaux, les faibles s’inclinaient devant les forts. Mais Ryoma savait très bien par expérience que lorsqu’il s’agissait d’humains, montrer sa force d’une mauvaise manière pouvait provoquer l’effet contraire.

L’important était la question de savoir comment les gens autour de lui percevaient la cible qu’il combattait. Tant qu’il y tenait, Ryoma obtiendrait le résultat qu’il voulait.

Peu importe si c’est un étranger venant d’un autre monde, ou si j’ai affaire à un humain de ce monde. Il n’y a rien que je n’aie jamais vécu avant.

Ryoma avait obtenu des informations sur Branzo par Lione. De sa personnalité à sa façon de penser, sa perception du bien et du mal, et même son style de combat… Le vainqueur était déjà décidé. Et peu de choses étaient aussi satisfaisantes que de battre les arrogants.

Les lèvres de Ryoma s’enroulèrent, comme si un souvenir d’enfance refaisait surface dans ses pensées. Contrairement au Japon, il n’aurait pas besoin de se retenir cette fois-ci.

J’ai des frissons… Est-ce de la peur ? Ou est-ce que je commence vraiment à aimer tuer… ?

Plutôt qu’un frisson d’excitation, ce qui remplissait le cœur de Ryoma était un délice doux et satisfaisant. Avant même de s’en rendre compte, Ryoma s’était habitué à la vie sur cette Terre. Il ne s’en était pas encore rendu compte.

« Mais… »

« Ça va aller. »

Ryoma posa une main sur l’épaule de Sara, alors qu’elle se tenait à côté de lui avec une expression anxieuse.

« Je vais faire vite. Honnêtement, j’avais vraiment besoin de cet exercice en ce moment, donc il ne pouvait pas tomber à un meilleur moment. Oh, mais garde ça pour moi, d’accord ? »

Ryoma lui tendit le livre entre ses mains, sans la moindre trace d’anxiété ou d’hésitation dans ses yeux. Seule une volonté de fer pouvait être vue en lui.

« Bonne chance. »

Les belles jumelles inclinèrent la tête devant les paroles de Ryoma, prononcées sur le même ton que d’habitude, suivant son grand et fiable dos quand il partit.

« Eh bien, tu as pris ton temps pour venir. »

Branzo cracha de façon menaçante tandis que Ryoma se leva devant lui avec un sourire calme.

« Tu te pointes avec deux femmes qui te servent, hein ? Quelqu’un s’en est sorti. »

En effet, après avoir attendu sous un soleil de plomb, Branzo aurait voulu faire une remarque sarcastique ou deux. Lione, qui se tenait à proximité, secoua la tête avec un sourire ironique. Apparemment, il s’était mis en colère contre elle jusqu’à l’arrivée de Ryoma.

« Il nous reste encore un peu de temps… N’est-ce pas ? »

Mais Ryoma affronta calmement le regard colérique de Branzo, se tournant pour regarder Laura, qui se tenait derrière lui.

« Oui. On s’est mis d’accord pour se retrouver à midi, et il reste encore du temps. »

Comme pour confirmer ses paroles, la cloche qui sonnait à midi retentit de derrière les murs.

« C’est ça, il est midi pile-poil. Commençons, d’accord ? Je suis sûr que nous avons tous les deux des endroits où aller et nos propres affaires à régler. »

Ryoma enleva son manteau et le remit à Laura, qui l’attendait.

***

Partie 4

Bien sûr, Ryoma n’était pas en retard au rendez-vous, donc il n’avait pas besoin de s’excuser, mais Branzo ne pouvait le voir que comme un gosse qui ne connaissait pas sa place. Il avait l’air assez inoffensif et parlait poliment, mais tout dans son comportement irritait Branzo.

« Je vois ce que tout le monde voulait dire maintenant, » chuchota Branzo en regardant la forme tonique de Ryoma.

« Tu es plutôt bien fait pour un gosse, et tu as les couilles de le prouver. Je comprends pourquoi tu surestimes ta propre force. »

Les abdominaux bien définis de Ryoma seraient probablement aussi durs qu’une plaque de métal s’il les fléchissait. Sa poitrine était large et ses mains étaient aussi épaisses que des bûches, avec de la graisse recouvrant ses muscles d’acier. C’était vraiment, le corps d’un guerrier, assez pour susciter l’admiration des mercenaires environnants.

Mais Branzo, d’un autre côté, était sûr de sa supériorité. De tous les points de vue, que ce soit la taille, le poids ou le physique, Ryoma n’était pas son égal. Le pouvoir d’une personne était la somme de sa force musculaire, et son physique dictait la limite supérieure de ce pouvoir. Et à tous ces égards, Ryoma manquait par rapport à Branzo.

« Eh bien, le physique et les muscles ne sont pas tout. »

Ryoma ricana de façon significative.

Ryoma insinua que Branzo était un idiot qui n’était bon que pour ses prouesses musculaires, et la lumière moqueuse dans ses yeux indiquait clairement qu’il n’avait pas du tout peur de son adversaire.

L’attitude indomptable de Ryoma avait amplifié la rage dans les yeux froids de Branzo, comme ceux d’un reptile. Sa hauteur imposante de deux cent vingt-cinq centimètres, ainsi que ses muscles dégageaient l’aura menaçante qu’un géant blindé pourrait produire.

Son regard meurtrier à lui seul pourrait faire pleurer les femmes et les enfants. Mais Ryoma ne fit qu’incliner légèrement la tête et lui tourna le dos sans un mot.

« Tu as vraiment des couilles, je te l’accorde. Au moins, tu n’as pas l’air d’un débutant… Très bien. Je me suis dit que je t’accorderais une mort sans douleur, par respect pour un autre mercenaire… Mais on s’en fout. Avec ce genre d’attitude, je t’arracherai les membres comme un insecte. »

Chuchotant ces mots d’une voix rauque, Branzo jeta un regard meurtrier sur Lione.

« Lion cramoisi… Tu connais le marché. Pas d’interférence. »

« N’est-ce pas un petit peu trop tard pour en parler, petit malin ? C’est de toi qu’on parle. Et ce n’est pas comme si tu n’avais pas pris tes propres mesures, hein ? »

Il avait répondu à sa question avec un sourire qui montrait clairement qu’elle avait raison.

« Bien sûr que non. Je ne suis pas assez bête pour croire quelqu’un sur parole sans aucune garantie. »

« C’est plutôt froid de ta part. » dit Lione, apparemment offensée.

« Si tu ne me fais pas confiance à ce point, pourquoi t’es venu pour ça ? »

« Même moi, je ne peux pas mettre la main sur quelqu’un qui se cache dans le château. Et je suis assez occupé. Mon boulot, c’est de tuer un gamin débutant, et je ne veux plus perdre de temps. »

Il semblerait que Lione ait cru ses paroles. Le talent de Branzo n’était pas du tout mauvais, mais il avait un corps massif qui n’était pas fait pour se faufiler dans un château et assassiner une cible. Cela signifiait qu’il devait attendre que sa proie finisse par sortir de son trou, mais cela prendrait du temps. Elle ne savait pas combien ce travail lui apporterait, mais cela avait du sens. Compte tenu de sa personnalité, il accepterait cette offre si elle mettait fin aux choses rapidement.

« Je te comprends… L’idée de Gran a dû être une aubaine pour toi, hein… »

« Plus ou moins… Mais merde, quel gosse stupide ! Dire qu’il est venu me voir pour se faire tuer. »

Lione fixa froidement Branzo en souriant d’un sourire indomptable.

« Êtes-vous prêts tous les deux ? »

Ryoma et Branzo hochèrent la tête en silence suite à la question de Lione.

La distance entre les deux guerriers se regardant l’un l’autre était d’environ dix mètres.

J’apprendrai à ce petit con comment il faut me parler…

Branzo baissa la taille et regarda Ryoma de haut en bas. Le fait qu’il ne lui ait même pas demandé d’enlever l’armure de cuir qu’il portait sur son corps massif ne faisait que l’ennuyer davantage.

Cela ne voulait cependant pas dire qu’il avait l’intention d’enlever sa propre armure. Cela l’aurait ennuyé jusqu’à la fin, mais il ne voulait pas laisser de côté un avantage.

Regarde-moi ce farceur. Il a l’intention de me combattre en restant immobile… ? Quel amateur inexpérimenté ! Ce pauvre idiot ne sait même pas se battre, et il m’a quand même défié.

Branzo se moqua de Ryoma, qui se tenait immobile, les bras pendus. Il ne pouvait voir Ryoma que comme un agneau pitoyable. Dans ce monde où il y avait peu de restrictions sur le port d’armes, les gens ne se battaient presque jamais à mains nues. Il y avait peu de maintien de l’ordre, et même à l’intérieur des villes, l’ordre public était faible. En plus de cela, il y avait des formes de vie puissantes appelées monstres errants. Dans ce monde, les conflits étaient monnaie courante, et même les roturiers portaient un poignard pour se défendre.

En d’autres termes, il y avait peu d’occasions de se battre à mains nues. Il n’y avait pas de loi ou de règlement sur le port d’armes, donc c’était probablement évident. Et dans ce monde, c’était sur le champ de bataille que l’on se battait le plus les mains vides.

Bien sûr, aucun imbécile ne s’aventurerait sur le champ de bataille sans arme, mais à part un très faible pourcentage, n’importe quelle arme, aussi chère et bien fabriquée soit-elle, finira par être usée. Les armes blanches étaient entaillées et ébréchées lorsqu’elles coupaient à travers leur ennemi, et le sang versé ternissait progressivement la lame.

De plus, au milieu des combats en mêlée, il n’était pas rare que les armes soient déviées et qu’elles tombent des mains de quelqu’un. Dans des moments comme celui-ci, le dernier recours d’une personne était son corps entraîné. Branzo lui-même avait tué plusieurs personnes sur le champ de bataille de ses propres mains.

« Très bien, alors. Commencez ! »

La voix de Lione résonna dans le champ de manœuvre.

À ce moment-là, Branzo fonça vers l’avant comme s’il glissait sur la terre, couvrant la distance entre les deux individus en un instant.

Gémis comme le crétin que tu es. Voilà ce que cela coûte pour m’avoir offensé.

Avec un sourire cruel sur les lèvres, son corps de près de deux cents kilos voyageait à la vitesse d’un boxeur léger. Ce phénomène était physiquement impossible. Il avait clairement renforcé son corps avec une magie martiale.

Mais Ryoma n’avait même pas plissé un front. Son cœur était resté figé avec une détermination inébranlable.

« Crève, petit morveux de merde ! »

Criant avec une voix remplie de meurtre et de haine, Branzo leva le poing droit, avec l’intention de le cogner contre le visage de Ryoma. C’était coup de poing capable de pulvériser un rocher solide.

Les mercenaires environnants retenaient leur souffle. Si le coup de poing touchait, le visage de Ryoma serait écrasé comme une grenade.

Mais ce qui s’était passé ensuite avait dépassé leurs attentes.

Ryoma avait parfaitement perçu la trajectoire du poing. Certes, la magie martiale l’avait renforcé pour aller au-delà de leurs limites normales, mais elle n’avait rien fait pour changer la structure fondamentale du corps humain. Les articulations de l’ennemi ne pouvaient pas aller plus loin que d’habitude, et les points faibles naturels de son corps ne disparaissaient pas.

La magie pouvait agir pour renforcer les capacités physiques, mais tant que l’adversaire avait décalé le timing, il était parfaitement possible d’éviter le coup.

Se déplaçant conformément au mouvement de l’épaule de Branzo, Ryoma avança sa jambe gauche, manœuvrant son corps vers le flanc de son adversaire. La pression du vent était équivalente à celle d’un camion d’une tonne qui le contournait au fur et à mesure qu’il avançait.

La force de ce coup de poing était effectivement écrasante. Mais tout comme une voiture rapide ne pouvait pas freiner à l’improviste, plus le poing brandi était empli de force, plus il serait difficile pour Branzo de maintenir sa posture si son attaque était évitée.

Maintenant !

Ryoma avait saisi le poignet droit de Branzo alors qu’il s’éloignait en titubant, le tirant vers sa poitrine, puis il bougea son propre corps vers la droite, verrouillant les articulations du poignet en tirant son corps vers l’arrière.

C’était le même mouvement qui avait fait tomber son grand-père un nombre incalculable de fois, un mouvement que son grand-père lui avait imposé à maintes reprises. C’était une technique qu’il n’avait utilisée que lors de ses entraînements quotidiens, mais elle fonctionnait parfaitement sur un adversaire comme Branzo.

Du point de vue de Ryoma, c’était juste un amateur qui se vantait constamment de sa force. Certes, il était un mercenaire vétéran qui avait tué beaucoup de ses ennemis à mains nues et qui avait l’habileté pour y parvenir.

Mais ce n’était pas un champ de bataille. Il s’agissait d’un match en tête-à-tête où vous n’auriez pas à vous soucier de votre environnement comme vous le feriez sur le champ de bataille chaotique, de sorte que le style de combat dans cette situation serait naturellement différent pour les deux camps.

« Quoi !? »

« Impossible, il est si énorme… ! »

C’était une manœuvre semblable à celle d’un sumiotoshi en judo, bien qu’aucun individu ici présent ne puisse le savoir. De leur point de vue, ce que Ryoma venait de réaliser était effectivement magique.

Et c’était encore plus logique que Ryoma ait choisi d’employer une technique de projection plutôt qu’un coup.

Les mercenaires qui veillaient sur la bataille élevèrent la voix, en état de choc. La forme massive de Branzo vola, et l’arrière de sa tête s’écrasa contre le sol alors qu’il était projeté au sol. Normalement, pendant l’entraînement, Ryoma tirait simplement par le bras et soulevait l’adversaire au-dessus de sa tête, mais le vrai combat exigeait une mesure différente.

Le coup porté à sa tête par le jet impitoyable contre le sol fit tomber Branzo dans un état d’inconscience, ses yeux étaient éteints et flous. Son corps entraîné et son poids de près de 200 kilogrammes avaient empêché ses os du cou de se briser, mais aucun entraînement ne protégerait le cerveau d’un tel coup. Branzo était étendu sur le sol.

C’est fini.

Ryoma s’avança sans un mot, se jetant impitoyablement sur le cou de Branzo pour porter le coup de grâce. Ryoma sentit une étrange sensation sous son pied. Peu importait la puissance du corps de Branzo, le coup de pied de Ryoma, soutenu par un poids de plus de cent kilogrammes, appuyait sur son cou, un des points faibles du corps humain.

Avec non seulement sa trachée, mais aussi ses vertèbres cervicales écrasées, son corps s’asphyxia une fois avant de sombrer dans l’immobilité éternelle.

Le silence était tombé sur le champ de manœuvre. Personne n’avait dit un mot. Le combat n’avait pris qu’un instant. À peine une dizaine de secondes s’étaient écoulées depuis que Lione leur avait donné le signal de départ.

Finalement, après avoir confirmé que Branzo était mort, Ryoma leva tranquillement sa main droite vers le ciel.

« « « Ooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooooh ! » » »

Après avoir vu la victoire de Ryoma, les mercenaires avaient poussé un retentissant cri de joie qui ressemblait davantage à un cri de guerre.

Je suppose que tout s’est passé selon ton plan… Lione sourit amèrement, regardant Ryoma répondre aux applaudissements des mercenaires avec un sourire.

Il avait écrasé une présence qu’ils craignaient et détestaient universellement sous les yeux de tout le monde. C’était un stratagème astucieux, employé dans tous les lieux et à toutes les époques. Mais peu de méthodes étaient aussi efficaces pour acheter la confiance des autres. Et en plus de cela, la proie sacrifiée ici était un individu envoyé pour réclamer sa vie. La suggestion de Gran était une brillante manière de faire d’une pierre deux coups.

Le seul doute était de savoir si Ryoma pouvait gagner, mais cette crainte s’était avérée être sans fondement.

Tu es un gamin effrayant. Je ne pensais pas que tu cachais des crocs aussi aiguisés…

Elle avait été informée de ce qui allait se passer, mais Lione n’avait jamais imaginé une victoire aussi écrasante. Et c’était naturel qu’elle ne le fût pas. En fait, Ryoma aurait perdu contre Branzo s’ils s’étaient rencontrés sur un champ de bataille. Seul Ryoma pouvait accepter cette tournure des événements comme si c’était la conclusion évidente.

« Ils ne font rien pour le moment… Mais je suppose qu’après avoir vu ça, ils n’auraient pas d’autre choix que de se retourner et de s’enfuir avec la queue entre les jambes… », chuchota Lione, regardant avec anxiété la foule en délire.

Même Lione, populaire parmi les mercenaires, ne croyait pas à une promesse sans garantie. Même si Ryoma et Lione n’avaient pas l’intention de commettre un acte criminel, Branzo aurait bien pu tenter d’en tirer quelque chose. Il était peut-être sûr de gagner contre Ryoma, mais n’importe quel imbécile qui ne prenait pas en compte de tels risques ne pouvait pas agir en tant que mercenaire.

Selon toute vraisemblance, certains des mercenaires présents étaient liés à Branzo, et le meneur qui l’avait engagé pour tuer Ryoma…

« Maintenant, personne ne le verra comme un amateur débutant. Tout se déroule comme prévu. »

Les lèvres de Lione se contorsionnèrent silencieusement aux paroles prononcées derrière son dos.

Elle avait parfaitement compris le sens des mots de Gran. Mais elle avait simplement répondu sans se retourner.

« Je n’ai pas le choix. Il ne reste plus qu’à entendre la réponse de vos hommes. »

« Une réponse, hein… N’est-ce pas juste une formalité à ce stade ? »

Gran haussa les épaules en plaisantant, et tout le monde autour de lui ria à haute voix.

Aucune des personnes ici présentes ne serait capable de vaincre Branzo l’Araignée Noire tout seul au combat. Les capacités de Ryoma Mikoshiba étaient évidentes pour tous.

Mais les lèvres de Lione avaient pris un sale air.

« Mais je n’ai pas besoin de t’entendre le dire haut et fort. »

Il semblerait qu’elle lui en voulait encore d’avoir douté de son jugement au pub.

« Très bien, très bien. »

Gran secoua la tête et dit en soupirant.

« Nous avions tort. Ton jugement était sain… »

C’était la preuve finale que Ryoma avait réussi à convaincre Gran et les autres mercenaires.

« Alors ? Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

Lione, qui était apparue à côté de Ryoma à un moment donné, chuchota ces mots à son oreille.

« Nous gagnerons la guerre, bien sûr. Et nous ferons de Lupis le chef de ce pays. Je vais devoir faire travailler tout le monde ici de toutes sortes de façons pour y arriver. »

La réponse de Ryoma mit une lueur vive dans les yeux de Lione. Elle avait compris le sens de ses mots.

« Toutes sortes de façons… Je vois. C’est pour ça que tu as rassemblé autant de gens. »

« Oui, quelque chose comme ça. Il y a encore quelques points sur lesquels je ne sais pas trop comment utiliser tout le monde, mais je n’ai pas l’intention d’abandonner qui que ce soit avec une perte. Peu importe la façon dont les jetons tombent… Tu me comprends? »

Tandis que Ryoma rencontrait les applaudissements excités des mercenaires, un sourire froid s’étendit sur ses lèvres.

***

Épilogue

Alors que le soleil du soir commençait à s’enfoncer dans le ciel à l’Ouest, un vieil homme aux cheveux blancs attachés derrière la tête se tenait sur sa pelouse résidentielle et poursuivait son entraînement quotidien, épée de bois à la main.

Mais ses mouvements étaient tout sauf ordinaires. Son regard aiguisé perçut un ennemi invisible, et chacun de ses mouvements était rempli de véritable intention meurtrière alors qu’ils traversaient l’air. Sa position dépassait de loin celle d’un homme qui s’était perfectionné physiquement grâce aux arts martiaux comme passe-temps. Et il ne s’entraînait pas non plus par légitime défense.

Cet entraînement avait pour seul but de tuer son ennemi.

« Grand-père… »

En entendant cette voix l’appeler par-derrière, Kouichiro Mikoshiba arrêta ses mouvements. Son bras était plus épais qu’on ne l’imaginait, et alors qu’il ne mesurait que 175 centimètres, ses épaules étaient larges et sa poitrine épaisse. C’était probablement le fruit d’un entraînement quotidien avec une épée en bois.

« Asuka… C’est déjà l’heure, n’est-ce pas ? »

Tenant son épée de bois contre la véranda, Kouichiro essuya la sueur de son visage avec un sourire.

Son kendo gi bleu marine était humide et taché d’une grande quantité de sueur, devenant même blanc à cause de concentrations de sel à certains endroits.

« Oui, le dîner est presque prêt… »

« C’est vrai… Merci encore, comme toujours. Salue ta mère de ma part. »

En retirant son tablier rose préféré, dont la caricature d’un chat était imprimée dessus, Asuka hocha la tête aux mots de Kouichiro et lui posa ensuite une question avec hésitation.

« Dis-moi, grand-père… As-tu pensé à ce que j’avais demandé l’autre jour ? »

Kouichiro se gratta maladroitement la joue à sa question.

« Que j’emménage avec toi ? J’apprécie l’offre, jeune fille, mais je vais devoir refuser. »

« Mais pourquoi !? Maman dit que tu es toujours le bienvenu… Et en plus, même grand-mère… »

Kouichiro écouta l’exclamation d’Asuka avec un sourire inexplicablement ironique. Il savait qu’il n’avait pas fait cette offre pour espérer obtenir sa fortune, ce qu’on ne pouvait pas dire pour d’autres hyènes de la famille. Son fils et sa femme étant partis, les seuls qui l’avaient vraiment soutenu pendant qu’il élevait son petit-fils biologique, Ryoma, étaient sa sœur et la famille de sa fille.

Mais c’était parce qu’il savait que leur offre était sincère que Kouichiro ne pouvait accepter la proposition d’Asuka.

« Je suis désolé… »

Il avait une raison claire de ne pas vivre avec eux, mais ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait partager avec cette gentille fille. S’il le faisait, elle et sa famille pourraient très bien se retrouver prises dans un tourbillon de catastrophes. Kouichiro avait dû rejeter son offre précisément parce qu’il la tenait tellement à cœur.

« Grand-père, je suis… J’ai peur. », dit Asuka en chuchotant d’effroi, sa tête tombant avec une ombre suspendue au-dessus de son expression normalement inébranlable.

« Peur de quoi ? », demanda doucement Kouichiro à Asuka, bien qu’il ait déjà partiellement connu la réponse à sa propre question.

« Que tu pourrais disparaître tout d’un coup, comme Ryoma l’a fait... »

Cela faisait près de six mois que Ryoma Mikoshiba avait disparu sans laisser de trace dans son école secondaire. Ce fut une disparition soudaine en plein jour, dans une école publique parfaitement normale. Mais la police n’avait rien pu faire, car aucun lien avec un incident de quelque nature que ce soit n’avait pu être établi.

Il y avait peu de chances qu’il ait pu être enlevé par quelqu’un de l’extérieur de l’école à l’heure du déjeuner dans les locaux fermés de l’école, surtout qu’on parlait d’un jeune homme monstrueux de plus de 190 centimètres de haut et pesant plus de 100 kg. Il était donc peut-être naturel qu’en apprenant sa disparition, la police avait conclu que même s’il y avait une chance qu’il ait commis un crime, il était peu probable qu’il en soit été victime.

Chaque année, de nombreuses personnes disparaissent pour diverses raisons. Les circonstances étaient nombreuses, allant du stress à l’intimidation, en passant par les relations interpersonnelles et les problèmes financiers, mais 100 000 personnes chaque année étaient simplement signalées à la police comme ayant « disparu ». Aux yeux de la police, tant qu’une affaire ne pouvait pas être liée à un incident quelconque, elle devait supposer que la personne disparue s’était simplement enfuie et préférerait honnêtement se laver les mains de l’affaire.

Bien sûr, s’il s’agissait d’un jeune garçon ou d’une jeune fille, ils auraient traité la situation différemment, mais comme la personne disparue en question était un lycéen zélé, la possibilité d’enlèvement était faible, par conséquent, la question n’était pas prioritaire.

« Je suis désolé… »

Kouichiro répéta une fois de plus sa réponse.

Voir Asuka, une fille qu’il considérait comme sa petite-fille, l’avait réduit à ne murmurer que des mots d’excuse.

Et c’était parce que Kouichiro savait où Ryoma Mikoshiba avait disparu.

Mais s’il le disait à haute voix, personne ne le croirait… Prétendre qu’il a été convoqué dans un autre monde ne changerait rien. Après tout, on ne connaissait pas de méthode pour passer de ce monde, c’est-à-dire de la Terre, à l’autre monde, nommé Rearth, par soi-même. Prétendre qu’il s’agissait d’un enlèvement extraterrestre serait plus crédible que ça.

Un sourire doux apparu sur les lèvres de Kouichiro. Le petit-fils qu’il avait élevé avec amour, formé aux techniques anachroniques et en qui il avait placé un cœur de guerrier… Il avait toujours prié pour que le jour où il aurait besoin de ces compétences pour se défendre et survivre ne vienne jamais. Mais maintenant, il allait sûrement s’en servir.

Tout est de ma faute… Pardonne-moi, Ryoma. Non seulement ta mère et ton père, mais même toi, leur enfant, devais en payer le prix.

Bien qu’il ait compris qu’il était à l’origine de cette tragédie, Kouichiro n’avait pas d’autre choix que de garder le silence…

***

Illustrations

Fin du tome 2

***

Bonus 1 : La femme vénérée comme déesse de la guerre

Helena Steiner. La générale était vénérée comme un héros de guerre et la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria. Mais bien qu’elle ait atteint cette noble position au plus fort de la défense nationale, Helena vivait dans un village en bordure de forêt, à une courte distance de la capitale Pireas.

Bien sûr, comme elle avait été générale, sa maison n’était ni petite ni modeste. Mais si l’on demandait à quelqu’un si elle convenait à une personne de son rang, il y avait de fortes chances que quelqu’un baisse la tête en signe d’appréhension.

Alors qu’un pâle clair de lune illuminait les arbres environnants, Helena se coucha, une fois de plus, tourmentée.

Combien de fois avait-elle fait ce rêve ?

« Mère, ça fait mal… Pourquoi… ? Pourquoi est-ce que cela m’arrive à moi ? »

Devant les yeux d’Helena, il y avait le visage de sa fille bien-aimée, perdue depuis longtemps. Ses yeux vides, privés de la lumière de la volonté. Sa robe était brutalement déchirée, les marques de la violation sauvage qu’elle avait endurée étaient visibles sur sa chair. La vue déchirait le cœur d’Helena.

« Attends, tout ira bien. Je te promets, je vais te sauver ! »

Helena s’écria dans son rêve, son expression se contorsionnant sauvagement alors qu’elle se précipitait désespérément aux côtés de sa fille. Mais sa main tendue ne faisait que tâtonner dans l’air.

Helena n’avait jamais vu la fin de sa fille. Même le cadavre de la fille ne lui fut jamais rendu. Aux yeux du marchand d’esclaves qui l’avait enlevée, le cadavre d’une fille n’était rien d’autre qu’un déchet sans valeur à vendre.

Ainsi, l’image de sa fille qui apparaissait dans ses rêves était le fruit de son imagination, reconstituée à partir des informations qu’Helena avait obtenues en torturant le marchand d’esclaves. Et l’image de la fille s’était fondue dans l’air, disparaissant. Et à sa place apparut son mari, portant sa tête coupée sous le bras.

Son expression était remplie de haine et d’agonie. On était trop loin du doux sourire que le mari qu’elle aimait avait toujours eu.

« Je suis désolé… Je suis tellement désolé… »

Tout ce qu’Helena pouvait faire face à son bien-aimé était de s’excuser. Il avait travaillé comme fonctionnaire de classe moyenne au château royal. Tous ceux qui l’avaient connu mirent en avant son comportement doux. Il n’était pas très apprécié pour ses réalisations, et sa lignée n’était pas remarquable. Il faisait simplement partie des centaines, voire des milliers de fonctionnaires qui travaillaient dans le pays.

Il ne pouvait y avoir qu’une seule raison justifiant le fait qu’il se soit fait assassiner. Et c’était le fait qu’il avait épousé Helena. Ainsi donc, Helena s’était excusée à maintes reprises, suppliant les fantômes dans ses rêves de lui pardonner.

« C’est le matin… »

Eclairée par la douce lumière du soleil qui filtrait par la fenêtre, Helena se leva lentement de son lit, ses cheveux s’accrochant à la sueur froide présente sur son front. C’était un matin comme les autres dans son manoir. Le soleil du matin brillait à l’extérieur, mais le cœur d’Helena était recouvert d’une épaisse obscurité qui semblait presque contraster avec le monde extérieur.

« Ugh… Je me suis encore griffé… »

Elle avait probablement serré les doigts par inadvertance alors qu’elle était tourmentée par son cauchemar, car plusieurs de ses ongles étaient cassés, formant des taches rouges sur les draps. Helena prit une cloche qui était placée à côté de son lit et la fit sonner.

« Bonjour, madame. »

« Oui, bonjour. Je suis désolée, mais pourriez-vous m’apporter la boîte à pharmacie ? »

En donnant des instructions à la bonne qui fut convoquée par la sonnerie de la cloche, Helena ferma alors lentement les yeux.

Rien n’a changé… Tout ce que je veux, c’est la justice. Mais pour combien de temps ? Combien de temps devrai-je attendre pour que la chance se présente ?

Elle voulait apporter la destruction à la source de tous ses ennuis, Albrecht Hodram et sa famille. C’était le seul souhait d’Helena. Pour y parvenir, elle gardait ses ténèbres cachées pendant qu’elle affûtait ses griffes et ses crocs en prévision, croyant qu’une chance se présenterait un jour.

La richesse, la gloire, et même sa loyauté indéfectible envers le royaume de Rhoadseria n’avaient plus aucune valeur pour Helena. Une émotion à la limite de l’obsession régnait dans son cœur.

Sa vie était pleine de tristesse et de regret. Mais ce jour-là, plus de dix ans après cette atrocité, les rouages du destin tranquille d’Helena se mirent lentement à tourner à nouveau…

« Pardonnez-moi. »

La femme de ménage à qui elle avait demandé de rapporter la boîte à pharmacie ouvrit la porte en frappant.

« Oui, merci… Oh, qu’est-ce que c’est ? »

Alors qu’elle prenait la boîte à pharmacie des mains de la bonne, le regard d’Helena tomba sur une lettre qu’elle tenait.

« Oui, elle a été livrée ici en urgence ce matin. », dit la bonne en remettant la lettre.

« Je vois, merci. Vous pouvez partir maintenant. »

Dès qu’elle vit l’emblème gravé dans le sceau de cire de la lettre, l’expression d’Helena changea légèrement. Elle demanda alors à la bonne de partir. L’emblème d’une couronne et d’une rose — la marque de la famille royale de Rhoadseria. Et Helena n’était pas si détachée que cela pour ne pas en saisir le sens.

Qu’est-ce que cela… ? Pourquoi recevrais-je une lettre de la famille royale maintenant, après tout ce temps… ?

Tout le monde avait considéré Helena comme une personne finie. En fait, depuis qu’elle avait pris sa retraite de son poste de générale, il y a une dizaine d’années, elle n’avait jamais reçu de lettre de la famille royale ou d’un autre haut fonctionnaire.

Le vent commence-t-il à tourner ?

L’intuition d’Helena, en tant que soldat ayant survécu à de nombreux champs de bataille, fit ressortir quelque chose. Prenant un couteau dans ses mains tremblantes, Helena brisa le sceau de cire de la lettre.

***

Bonus 2 : La femme reconnue comme l’épée de la princesse

C’était le début d’un certain après-midi, dans la capitale du royaume de Rhoadseria, Pireas.

Dans la zone d’entraînement du grand château qui dominait la ville se trouvait une jeune femme aux cheveux noirs, balançant une lame de fer ressemblant à un katana.

Elle s’appelait Meltina Lecter. C’était l’enfant d’une famille de chevaliers au service de la Rhoadseria depuis longtemps, elle était chargée de la sécurité de la princesse Lupis. Une femme reconnue comme l’épée de la princesse.

Le bruit de sa respiration rugueuse remplissait la zone d’entraînement. Depuis combien de temps tenait-elle cette épée de fer ? Alors qu’elle se tenait là, vêtue d’une armure métallique, quelque chose comme un ruisseau blanc s’éleva de son corps.

Pourquoi... Pourquoi est-ce arrivé ? Les Dieux pensent-ils vraiment que c’est la justice que notre pays mérite ?

Elle s’était posé cette question à maintes reprises, mais chaque fois, elle n’arrivait pas à y répondre. La seule chose qu’elle gagnait en se posant cette question était que cela l’attirait une fois de plus dans le labyrinthe de ses propres pensées et que cela générait des vagues dans son cœur.

Je souhaite guider ce pays sur la bonne voie. Cela et rien d’autre…

Cette émotion remplit de puissance l’emprise de Meltina sur son épée.

Le royaume de Rhoadseria était l’un des trois pays qui constituaient les régions orientales du continent occidental. Et il était vrai qu’en termes de territoire, il ne pouvait pas rivaliser avec les grands pays comme O’ltormea ou Helnesgoula. Mais son histoire était ancienne et longue, et elle avait su tirer parti de l’eau abondante et des vastes plaines de ses territoires grâce à l’agriculture, ce qui lui avait permis de devenir le premier pays exportateur de denrées alimentaires.

Cependant, l’autorité du roi s’affaiblissait de plus en plus tandis que celle des aristocrates se renforçait. Feu le roi Pharst II fit des efforts pour changer cela, mais il n’avait pas vécu assez longtemps pour voir son désir se réaliser.

Le visage du roi mort fit surface dans l’esprit de Meltina. Il n’avait jamais été un guerrier ni un conquérant ambitieux. C’était un roi qui chérissait l’harmonie, s’efforçait de faire régner la paix et prêtait toujours l’oreille à la voix de son peuple. C’était un souverain qui, malgré la nature guerrière de ce monde, s’accrochait à la bonne foi et ne cherchait pas à étendre ses territoires.

Était-il un grand roi qui souhaitait la restauration du royaume de Rhoadseria ? Ou était-il un souverain insensé qui a semé les graines de la discorde dans son pays ?

Il ne fait guère de doute qu’en tant qu’individu, c’était un homme d’une disposition merveilleuse. Mais si l’on regardait les choses sous un autre angle, c’était cette même nature qui avait renforcé la position du duc Gelhart, chef de la faction des nobles. Même Meltina, qui était bien consciente de son détachement des subtilités de la politique et de la stratégie, pensait que le pouvoir du duc aurait dû être maintenu sous contrôle.

Mais d’un autre côté, il était compréhensible que dans l’état actuel où la garde royale, qui se dressait comme l’épée du roi, se trouvait principalement sous le fer de lance du général Hodram Albrecht, il était tout à fait naturel qu’il soit impossible de résister à la domination du roi. Et donc, jusqu’à ses derniers instants, le roi ne pouvait qu’observer le conflit entre les deux factions de l’extérieur de la boucle.

En fin de compte, mon seul choix est de me renforcer…

Après la mort de Pharst II, Lupis restait la seule successeur au trône jusqu’à ce que l’enfant illégitime apparaisse. Franchement, Meltina ne pouvait pas discerner si c’était vrai ou faux. Sous prétexte d’écouter les voix de son peuple, Pharst II quitta la capitale pendant quelques semaines par an, et c’était un homme adulte attiré par les femmes.

Mis à part l’endroit où il avait rencontré la femme qui allait devenir la mère de cet enfant illégitime potentiel, la possibilité n’était pas nulle.

Mais là n’est pas la question. Le problème est qu’elle a revendiqué le trône…

Un enfant illégitime qui prenait le trône n’était pas si rare. Parfois, il servait même de carte de jeu diplomatique, on ne pouvait donc pas facilement ignorer cette option. En temps normal, un enfant illégitime vivant dans le luxe au château royal ne posait aucun problème.

Mais tout changeait lorsqu’il déclarait leur revendication au trône avec la volonté du défunt roi, et avec en plus le soutien de la faction des nobles.

L’enfant illégitime a le duc Gelhart derrière lui, mais la princesse Lupis n’a que moi… Une femme qui n’est bonne qu’à brandir une épée…

Le souvenir de la scène qui s’était déroulée l’autre jour, lorsqu’elle était allée demander aux membres influents de la faction neutre de prêter leur concours à la princesse Lupis, rempli son cœur de colère et de frustration. Pour devenir véritablement la souveraine de la Rhoadseria, Lupis avait besoin de soutien. Meltina avait agi en fonction de cette conviction, mais le résultat avait été terrible.

Nous pourrions ne pas être assez bons…

Elle voulait pouvoir prétendre que la justice était de son côté et dire que ce qui était erroné était une erreur. Les paroles de Meltina découlaient de cette croyance, mais le comte Bergstone les ignorait trop facilement. Il ne l’avait pas insultée ni raillée, mais le comte Bergstone avait certainement trouvé ses croyances risibles. Comme pour dire qu’elles n’avaient absolument aucune valeur. Meltina avait bien sûr réalisé à quel point ses paroles étaient banales, mais elle n’avait pas d’autre choix.

Son épée sonna d’une voix stridente alors que les rafales résultant de ses balancements faisaient trembler les murs de la zone d’entraînement. C’était le fruit d’un entraînement intense et d’une magie martiale. Une lame capable d’égaler celle de Mikhail Vanash, salué comme le plus grand sabreur de Rhoadseria.

Quelqu’un… peu importe qui ? S’il vous plaît, changez juste cette situation.

Meltina décida de consacrer son épée au royaume de Rhoadseria, et continua depuis à perfectionner ses compétences. Parce qu’elle avait réalisé qu’elle ne pouvait rien faire de plus.

Et en quelques jours, le tournant que Meltina souhaitait était enfin arrivé.

***

Bonus 3 : La femme connue sous le nom de Lion Cramoisie

Parmi les trois pays assurant la sécurité de l’extrémité orientale du continent occidental, le Royaume de Myest s’enorgueillissait de ses prouesses économiques exceptionnelles et de posséder la plus grande marine. Dans les ruelles de Pherzaad, la ville qui fonctionnait comme le cœur battant de l’économie du pays, se trouvait un pub sale fréquenté par des mercenaires.

« Ouf, ça tombe bien. »

Buvant une bière glacée d’un seul trait, la femme posa vigoureusement son verre sur la table. Le liquide doré qui s’échappait de ses lèvres s’écoulait jusqu’à son abondant décolleté. Avec sa beauté naturelle et la couleur marron clair de sa peau, il était clair qu’elle menait une vie active, ce qui lui donnait une apparence douce et sensuelle.

Et avec les yeux de tous les hommes de l’établissement fixés sur elle, la femme présenta sans un mot la tasse vide au propriétaire du pub, lui signalant en silence de se dépêcher d’apporter la suivante.

« Je vois que tu peux tenir l’alcool aussi bien que jamais, Lion cramoisi. »

Sur ces mots, un mercenaire solitaire plaça devant elle l’un des verres qu’il portait à deux mains et s’assit en face d’elle sans lui demander la permission.

« Oh, c’est toi. »

Jetant un seul regard à l’homme, la femme prit le verre se trouvant devant elle sans dire un mot de plus. L’homme était peut-être une mauvaise nouvelle, mais une bière restait une bière.

Plus de liquide s’écoulait de ses lèvres et sur sa peau et ses vêtements, accentuant ses seins bien formés. Le regard de l’homme était naturellement attiré par ces deux collines. Sentant les yeux de l’homme sur elle, la femme se moqua une fois.

« Quoi ? N’es-tu pas trop vieux pour vouloir boire au téton d’une femme ? Arrête de les regarder comme ça. »

Son ton pouvait se résumer à l’ostentation, preuve de sa forte personnalité. Mais malgré cela, elle n’avait pas vraiment voulu chasser l’homme. Si elle voyait vraiment l’homme comme une nuisance, elle aurait donné des coups de poing dans sa direction, pas des mots et des regards, ou peut-être aurait-elle simplement eu recours à l’épée gainée à sa taille.

Après tout, son habileté était bien supérieure à celle de l’homme. Et pas seulement lui, parmi tous les hommes présents dans ce pub, on pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de personnes capables de l’égaler.

Mais cet homme, qui avait maintenu son attitude malgré le fait qu’il en était pleinement conscient, devait être très courageux.

« Tu es d’une humeur massacrante. J’ai entendu dire que tu as pris des emplois au royaume du sud récemment, quelque chose s’y est-il passé ? »

Il avait probablement raison quelque part, car elle claqua sa langue en signe d’agacement à ses mots.

« Quelqu’un ne t’a pas dit que tu étais un homme méchant ? Arrête de dire des trucs qui gâchent l’alcool… Rien que de penser à cette tête de cochon, ça m’énerve. »

Les derniers mots qu’elle murmura contenaient une plainte à son employeur. En voyant sa réaction, l’homme ne pouvait pas retenir un sourire.

« Ai-je dit quelque chose de drôle pour te faire sourire comme ça ? Hein ? »

« Je me disais juste que ce n’est pas souvent que je t’entends te plaindre du travail. »

Ces mots firent apparaître une expression amère sur le visage de la femme, à laquelle elle répondit en brandissant sa tasse fraîchement vidée.

« Propriétaire, donne-moi plus de la même chose ! Et presto ! »

« Très bien, vois-tu… j’ai cherché à gagner un peu d’argent par d’autres moyens que la guerre, du moins pendant un certain temps. »

« Je vois, c’est pourquoi tu es venu à Myest… Si tu cherches du travail à l’est du continent, la capitale des différents royaumes serait les meilleurs endroits pour chercher. »

L’homme, qui avait écouté les griefs de la femme jusqu’à présent, enfonça une fourchette dans une pomme de terre frite qu’ils devaient grignoter en buvant et l’enfonça dans sa bouche en poussant un profond soupir.

« Merde, c’est comme s’il n’y avait pas un seul employeur décent. Pourquoi seuls les bons à rien ont le droit de faire leur part du travail ? »

« C’est juste la vie dans ce monde pourri, tu sais. La grande majorité des gens sont de la racaille. »

Le fait était que la plupart des nobles et des autres personnes au pouvoir étaient hautaines et fières. Le fait qu’ils dépensaient de l’argent pour embaucher des gens était lourd, mais leurs exigences devenaient de plus en plus déraisonnables. La guilde s’était rapidement renforcée au cours des dernières années, mais les gens voyaient toujours les mercenaires comme des pions jetables.

« N’as-tu pas des relations avec un noble que pourraient t’utiliser pour te faire quelques faveurs ? »

Avec une expression triste qui mélangeait admiration et résignation, l’homme secoua lentement la tête.

« Ce sera difficile… Surtout pour un groupe comme le tien. »

Trouver un propriétaire pour lequel cela valait la peine de travailler. Cela voudrait dire que les mercenaires seraient traités comme des chevaliers. C’était sans aucun doute ce que toute personne travaillant comme mercenaire souhaiterait, mais en même temps, c’était une aspiration qui avait le moins de chance de se réaliser.

Après tout, c’était un monde en guerre.

Et si cela permettait aux mercenaires, qui se battaient pour gagner leur vie, de trouver plus facilement du travail, c’était aussi un monde qui offrait des chances à ceux qui n’avaient que de modestes moyens de gravir les échelons. Mais d’un autre côté, les capacités de chacun ne leur permettaient pas de grimper aussi haut qu’ils le souhaitaient.

Les personnes compétentes se méfiaient de leur entourage et avaient une façon de faire obstacle à la réussite des autres. Beaucoup n’hésitaient pas à saboter les efforts de ceux qui étaient plus compétents qu’eux. Et le maître d’une personne pouvait aussi être un facteur problématique. Il y avait des milliers de maisons nobles de différentes classes et de différents rangs sur le continent occidental, mais peu d’entre elles choisissaient les bonnes personnes pour travailler pour elles sans tenir compte de leur lignée.

C’était la preuve que le genre de sagas que les ménestrels chantaient pour faire sortir les héros de l’obscurité était trop difficile à réaliser. La femme grognonne devant lui se tenait tête et épaules au-dessus des autres en termes de compétences, suffisamment pour que, si elle était née dans la maison d’un chevalier de haut rang, elle ait pu devenir une générale à présent.

Et c’était pour cela qu’elle…

Il avait de la pitié pour cette femme bien enracinée dans son cœur. Les compétences de la femme à la tête de l’entreprise, qui méritait le surnom de « Lion cramoisi » parmi les mercenaires, étaient au-delà de ce qu’un noble normal pouvait contrôler. De leur point de vue, son attitude et sa personnalité semblaient également trop effrontées, ce qui formait un grand fossé entre eux.

« Je me suis dit que j’allais oublier toutes ces conneries aujourd’hui. Je vais te tenir compagnie. »

La femme sourit à ses mots et lui jeta un regard vers le haut.

« Ooh ? Tu crois que tu peux me faire boire, hein ? »

« Arrête d’être stupide. Quel genre de fou tenterait une chose aussi folle que ça… Tu es comme un baril sans fond. »

En échangeant des sourires, les deux firent claquer leurs tasses ensemble.

À l’époque, la femme n’était pas encore consciente du grand tournant que son destin allait prendre. Elle s’appelait Lione. La femme connue sous le nom de Lion cramoisi.

***

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