Une vie en prison est facile pour une Vilaine – Tome 1

Table des matières

    Partie 1 : La demoiselle bouge

    Partie 2 : Une nouvelle vie excitante

    Partie 3 : Devenons proactives

    Partie 4 : Bonjour gamine

    Partie 5 : Les souvenirs d’un frère et d’une sœur

    ***

    Partie 1 : La demoiselle bouge

    Chapitre 1 : La jeune demoiselle est envoyée en prison

    Jusqu’à ce moment, les invités de la famille royale avaient profité d’une soirée animée. Cependant, tous les participants se turent rapidement lorsque le prince déclara brusquement qu’il rompait ses fiançailles.

    Au milieu de la luxueuse salle de banquet, un jeune homme digne, avec de radieuses boucles dorées tombant en cascade sur ses épaules, se tenait debout, les bras croisés. C’était le fils aîné du roi, le prince Elliott. Derrière lui se tenait une charmante jeune femme, ses cheveux roux coiffés en nattes. Elle entoura le prince de ses bras, et tous deux fixèrent leurs yeux sur une jeune femme que les associés du prince traînèrent devant eux.

    C’était une jeune fille discrète, qui gardait son calme même dans cette situation, laissant tranquillement les associés du prince la tirer en avant. Son nom était Rachel, c’était la fille aînée du duc Ferguson, et maintenant l’ex-fiancée du prince.

    Elliott se déplaça pour se placer devant la jeune femme aux cheveux roux, comme pour la protéger. Elle tremblait derrière lui. Il lança un regard noir à Rachel alors que ses associés la retinrent.

    « Rachel, si tu as ne serait-ce qu’une once de décence, présente tes excuses à Margaret ! », déclara Elliott d’un ton à la fois critique et tranchant.

    « La partie est terminée, sorcière ! Nous savons que c’est toi qui as provoqué les autres dames de la cour ! », s’écria Sykes Abigail, le fils du capitaine chevalier, en tordant les bras de Rachel.

    Même le frère de Rachel, George Ferguson, s’était joint à lui pour la dénoncer.

    « S’il te plaît, ma sœur. Sois honnête et confesse tes crimes. Combien de temps encore vas-tu continuer à traîner le nom des Ferguson dans la boue ? »

    Sans se laisser impressionner par leurs injures, Rachel regarda le prince d’une expression froide.

    « Je n’ai rien fait de tel. Il n’y a aucune raison que je m’excuse auprès de votre petite amie. »

    Rachel était une belle femme aux cheveux bruns foncés qu’elle gardait attachés et à la peau claire et pâle. Ses yeux en amande, d’un bleu cobalt profond, brillaient d’intelligence. Ses lèvres étaient d’un rose clair. La robe qu’elle portait était simple, et la couleur était discrète. C’était une démonstration de classe et non de mauvais goût. Toute son apparence dégageait un air de maturité, et bien qu’elle ait le même âge qu’Elliott, ses manières réservées et son apparence simple la faisaient paraître plus âgée que lui.

    Rachel répéta son refus d’un ton calme, qui correspondait parfaitement à son image. Comparée au prince, qui avait parlé sous le coup de la colère, son attitude donnait à ses paroles une certaine gravité.

    Le prince trouva cela exaspérant. En fait, l’une des choses qui irritaient le plus Elliott était qu’elle n’agissait pas différemment de la normale.

    Pourquoi est-elle si défiante ?! pensa-t-il.

    Rachel était réservée, et elle s’affirmait rarement, voire jamais. Elle était une dame modèle, alors qu’elle était toujours là pour soutenir les hommes. C’était probablement la raison pour laquelle elle avait été choisie comme fiancée du prince. Mais malgré son attitude peu assurée, elle réprimandait toujours Elliott pour son manque de sang-froid.

    À cause de cela, le cœur d’Elliott s’était éloigné d’elle. Ou plutôt, il n’avait jamais réussi à se rapprocher d’elle à cause de son attitude envers lui. Elle le traitait toujours comme un enfant qu’il fallait réprimander. À l’inverse, la réponse d’Elliott était la preuve qu’il devait encore beaucoup mûrir.

    Elliott avait toujours eu l’impression que Rachel le gênait, et maintenant elle aurait fait du mal à la jeune femme qu’il aimait par-dessus tout. Il avait une forte envie de punir son ex-fiancée qui refusait de s’excuser.

    « Assez ! Rachel, il semble que j’ai eu tort de te laisser une chance de réfléchir à tes actions. », cria Elliott.

    Le prince fit un geste du menton, et Sykes commença à entraîner Rachel vers le donjon.

    « La vie est longue, Rachel. Profite de ton temps en prison. »

    Il vit les lèvres de Rachel se tordre à son ton moqueur, ce fut sa première vraie réaction. Cependant, ce n’était pas le regard de disgrâce qu’il avait espéré, mais un sourire ironique.

    « Oh, je le ferai, Votre Altesse. C’est une opportunité rare, j’ai donc l’intention d’en profiter à mon aise. »

    C’était une démonstration inhabituelle d’émotion, un regard de mépris, de la part de la fille du duc qui était connue pour sa placidité. Mais avant que le prince puisse s’attarder sur ce que cela signifiait, Sykes traîna Rachel hors de la salle de banquet.

    *****

    Rachel regarda froidement son fiancé alors qu’il déblatérait avec arrogance sa logique erronée.

    Ce type est complètement sans espoir.

    On disait que les hommes étaient plus lents à se développer mentalement dans l’enfance, mais même en prenant cela en compte, Elliott était encore bien trop ennuyeux. Il était presque un adulte, alors comment pouvait-il se comporter comme ça ?

    Rachel ne pouvait rien faire d’autre que soupirer. L’idée qu’elle se mette en quatre pour harceler une fille sans importance était absurde. Et le fait qu’il pense qu’elle avait autant de temps libre l’irritait. Son supposé crime était risible, et la façon dont il l’avait condamnée avec ce regard sérieux lui donnait envie de rire aux éclats. Avait-il la moindre idée de la difficulté quant à l’éducation que recevait quelqu’un qui allait se marier dans la famille royale ? Ces gens avaient-ils seulement une cervelle ?

    En toute honnêteté, Rachel n’avait aucun désir particulier d’épouser le prince Elliot ni de devenir reine. Elle faisait simplement son devoir en tant que fille d’une famille ducale. Pourquoi devait-elle se battre pour ce crétin avec une femme qu’elle connaissait à peine, une femme qui avait concocté ce plan infantile ? Rachel n’avait joué le rôle de fiancée que par sens de l’obligation familiale, et elle en avait déjà assez de cette farce ridicule. En fait, elle était prête à tout jeter par pure apathie.

    Une voix narquoise la sortit de ses pensées.

    « La vie est longue, Rachel. Profite de ton temps en prison. »

    Quand ce prince sans talent prononça ces mots peu inspirants avec son sens gonflé de la suffisance, Rachel ne pouvait plus garder son visage impassible. Elle s’était fendue d’un sourire.

    « Oh, je le ferai, Votre Altesse. C’est une opportunité rare, alors j’ai l’intention d’en profiter à mon aise. »

    Oh, oublions nos nobles devoirs. Qui se soucie de ce qui arrivera à ce bouffon ?

    Le prince se délectait de ce qu’il pensait être une annonce soudaine, mais Rachel avait déjà entendu parler de son plan par de multiples sources. Elle ne s’attendait cependant pas à ce qu’il se déroule exactement comme ses informateurs l’avaient dit. Pourtant, il avait rompu leurs fiançailles, il semblait donc que ses préparatifs ne seraient pas vains.

    Elliott était si prévisible que Rachel ne put empêcher un petit sourire de glisser sur ses lèvres. Lorsqu’elle se surprit à presque sourire, elle détendit son visage et le garda aussi inexpressif que possible tandis que Sykes l’entraînait.

    Le prince avait gentiment donné l’ordre. Maintenant, elle allait oublier toutes ses leçons et s’amuser.

    Rachel était en fait un peu excitée par ce nouveau style de vie, enfermée dans les donjons désaffectés sous le palais. Sans les exigences rigoureuses d’une future reine. Sans un emploi du temps planifié à la minute près. Sans femme de chambre pour se plaindre quand elle faisait la sieste, ou sans précepteur pour la frapper avec une aiguille quand elle se relâchait pour lire des livres.

    Elle aurait tout le temps du monde. L’heure du thé arrivera quand elle le voudra. Si elle le voulait, elle pouvait dormir toute la journée sans que personne ne se fâche. Ce sera une vie tranquille en prison, où elle pourra s’amuser à sa guise.

    Luttant contre l’envie de sautiller, Rachel sortit du couloir d’un pas lourd qui démentait ses sentiments réels.

    ***

    Chapitre 2 : La jeune demoiselle s’enferme dans la prison

    Entendant le bruit de pas dans les escaliers de pierre, le gardien de prison qui patrouillait dans le donjon leva les yeux. Dans la lumière vacillante d’une lanterne, il pouvait voir un jeune homme bien bâti tirant une fille. Ses vêtements étaient fins, mais elle était attachée avec des cordes.

    Au moment où le garde pensait qu’ils formaient un drôle de couple, le jeune homme lui cria dessus.

    « Es-tu le gardien de la prison ? », demanda Sykes avec arrogance.

    « Oui, monsieur. Je le suis. »

    Alors qu’il regardait Sykes, le gardien n’avait aucune idée de ce qui se passait. Ce dernier avait atteint le sous-sol, détacha la fille et la poussa par-derrière.

    « Mets cette malheureuse dans une cellule. Le Prince Elliott l’ordonne. Nous n’avons pas encore décidé quand nous la libérerons. Je suppose que tout dépendra de la façon dont elle réfléchira à ses actions. »

    « Ah, vraiment ? », dit le garde d’un ton peu enthousiaste.

    Sykes se renfrogna : « Quoi ? »

    « Vous voyez, euh, à propos de la prison… »

    Sykes suivit la ligne de mire du garde et réalisa que la prison… avait été transformée en zone de rangement.

    « Qu’est-ce que c’est ? », s’était-il exclamé, pris au dépourvu.

    Des boîtes en bois de différentes tailles étaient empilées à l’intérieur de la prison. Près du fond, elles montaient presque jusqu’au plafond. Elles occupaient plus de la moitié de la cellule, bien que l’on ne sache pas exactement ce qu’elles contenaient.

    « Des bureaucrates sont passés par ici cet après-midi et ont dit qu’ils avaient besoin de stocker temporairement des choses dont ils n’avaient plus besoin », expliqua le gardien.

    Il se gratta maladroitement la tête tandis que Sykes le fixait d’un air stupéfait.

    « Nous utilisons rarement le donjon du palais. Je ne me serais jamais attendu à ce qu’un invité y vienne si tôt. »

    « Pourquoi doivent-ils maintenant l’utiliser comme un vulgaire placard ? », se lamenta Sykes.

    « Eh bien, c’est aussi la première fois que je vois cela se produire. Mais nous utilisons si rarement les cellules qu’il n’y avait aucune raison de refuser. »

    Sykes fit claquer sa langue. Les bureaucrates avaient donc apporté des documents ou quelque chose qui devait être stocké quelque part, n’est-ce pas ? Le moment était mal choisi, mais il pouvait voir qu’il y avait encore suffisamment d’espace entre la porte de la cellule et les toilettes. Bien. Ce sera suffisant pour que Rachel puisse s’allonger.

    « Qu’il en soit ainsi. Jette juste cette sorcière là-dedans. Et je ne veux pas que tu me dises que c’est trop petit. Sois reconnaissante de ne pas partager une chambre avec un criminel. »

    « Je comprends », dit Rachel docilement.

    Sykes fit signe au gardien de prison avec son menton. Le garde ouvrit la porte de la cellule, qui se trouvait à une extrémité des barres de fer, avec sa clé.

    Ayant compris la situation, le sourire du gardien était devenu écœurant.

    « Une dame aisée comme vous peut trouver cet endroit un peu effrayant, mais bon, on dit que la maison d’un homme est son château, non ? Donnez-lui une semaine et je suis sûr que vous vous y adapterez. Essayez de voir ça comme une auberge unique et amusez-vous. Je ne sais pas combien d’années vous allez rester ici. »

    Rachel écouta le baratin intimidant du garde, qu’il avait probablement tiré du manuel, et franchit la porte en silence. Le garde ferma la porte derrière elle et la verrouilla. Puis il fit claquer la porte pour s’assurer qu’elle était complètement sécurisée, comme le voulait la tradition.

    Le garde lui adressa un sourire en coin alors qu’elle s’asseyait tranquillement dans la cellule.

    « Si vous voulez demander de l’aide à quelqu’un d’important, vous feriez mieux de le faire tôt, pour votre propre bien. Cette prison souterraine est rarement utilisée de nos jours. Elle n’est pas facile à trouver non plus, et j’ai tendance à oublier qui se trouve ici. »

    Sykes se mit à rire.

    « Ha ha ha, cet homme n’a pas tort. Son Altesse veut t’oublier et passer un bon moment avec Margaret. Je te suggère de t’incliner devant lui avant qu’il n’oublie qu’on t’a jetée ici. »

    Sykes et le garde s’étaient retournés pour partir, riant avec mépris au sujet de cette fille stupide et idiote. Ils laissèrent derrière eux la fille du duc, écrasée par ce qui lui était arrivé… du moins le pensaient-ils.

    Au moment où Sykes et le gardien de prison étaient sur le point de monter les escaliers…

    Cliquetis, cliquetis. Ka-chunk !

    « Ka… chunk ? » marmonna Sykes, imitant ce qu’il avait entendu.

    Lui et le garde s’étaient tournés à la suite à ces bruits étranges.

    Rachel était restée assise, dépitée, mais elle enroulait maintenant une grande chaîne autour de la porte et des barres métalliques. Puis elle plaça un cadenas dessus.

    C’était son moment, le moment où elle pouvait riposter et les harceler.

    « Hein ? », lâcha le garde.

    « Qu-Qu’est-ce que tu fais ?! », balbutia Sykes.

    Ce dernier couru vers les barreaux, mais Rachel avait déjà fini de les verrouiller.

    « Hey, c’est quoi ça ?! »

    Utilisant ses muscles bien bâtis, il secoua la porte, mais elle était solidement enchaînée et ne bougea pas d’un pouce.

    De l’autre côté, Rachel l’observait avec une expression froide.

    « Quoi, dites-vous ? Je me suis assurée que la porte soit verrouillée pour ma propre sécurité. »

    « C’est une prison ?! Ce ne sont pas les prisonniers qui la ferment à clé ! », cria Sykes.

    Rachel resta blasée en expliquant : « Je suis toujours une femme non mariée. Je ne pourrais pas supporter que quelque chose de fâcheux m’arrive. Après tout, j’ai entendu dire que les gardes s’amusent en faisant des cabrioles avec les prisonnières quand leurs supérieurs ne regardent pas. »

    « Quand même, c’est sans précédent ! Où as-tu trouvé cette chaîne et ce verrou !? »

    « C’est mon affaire, pas la tienne », dit Rachel tout en refusant de répondre à sa question.

    Sykes et le garde restèrent sans voix. Et bien qu’ils l’aient enfermée, c’était comme si elle s’était enfermée elle-même là-dedans.

    « Qu’est-ce qu’on devrait faire ? », demanda le gardien de prison.

    Sykes secoua la tête : « Ne me le demande pas… »

    « Eh bien, qu’est-ce que vous allez faire ? », dit Rachel en s’interposant.

    « Non, ne dis pas ça ! », s’emporta Sykes.

    « Non, non. Étant donné que cela me concerne directement, j’ai tout à fait le droit de parler, n’est-ce pas ? », répliqua Rachel d’un ton sérieux.

    « Quand tu le dis comme ça, je suppose que tu as raison… »

    « Eh bien, qu’est-ce qui m’attend ? Allez-y, dépêchez-vous. J’aimerais bien entendre votre opinion ?! »

    Sykes, qui n’avait pas l’habitude de réfléchir à quelque chose de particulièrement difficile, craqua sous la pression de Rachel et commença à paniquer.

    « Ne vous ai-je pas demandé ce que ça allait être la suite ?! Allez, dites-le ! Maintenant, maintenant, maintenant, maintenant, maintenant, maintenant ! », continua Rachel.

    « Stop ! Ne me bouscule pas, OK ? ! Euh, qu’est-ce que je peux faire pour ça ? »

    Comme il avait plus de muscles que de cervelle, Sykes ne pouvait pas suivre. Il ne pouvait penser qu’à une seule chose à faire.

    « P-Premièrement, je vais rapporter ça au prince. »

    Le fils du capitaine de la garde s’était pratiquement écroulé en sortant du donjon et courut jusqu’à la fête pour appeler le prince.

    ***

    Chapitre 3 : La jeune demoiselle rénove la prison

    Dans la salle bruyant du banquet, Elliott et ses acolytes se régalaient d’un énième toast bruyant en ignorant toutes les personnes autour d’eux qui parlaient à voix basse.

    « Ha ha ha ha ha ! Oh, c’est délicieux ! », s’exclama Elliott.

    Margaret le félicita : « Vous avez enfin réussi, Votre Altesse ! »

    « Oui, enfin, j’ai amené cette horrible femme à répondre de ses crimes ! Margaret, je te remercie pour ton aide. »

    « Oh, non, je n’ai rien fait. »

    Les gens qui regardaient les avaient acclamés. L’ambiance était devenue romantique. Elliott et Margaret ne se souciaient plus de qui les voyait. Leurs visages se rapprochèrent, et puis…

    « Votre Altesse !!! »

    Un jeune homme bien bâti courut dans le hall.

    « Sykes, tu aurais pu choisir un meilleur moment », se moqua Elliott en jetant un regard au fils du capitaine de la garde.

    Sykes attrapa le bras d’Elliott : « Nous avons une urgence ! S’il vous plaît, venez tout de suite ! »

    « Hé, de quoi s’agit-il ? »

    Paniqué, Sykes commença à traîner Elliott au loin. Il tira le prince à travers la foule, ressemblant un peu à un ex éconduit enlevant la mariée au milieu de son mariage.

    Avant de pouvoir réprimander Sykes pour cette indignité, Elliott devait le calmer ou il allait être blessé. Ce dernier gifla la main que Sykes utilisait pour saisir son bras et cria : « Hé, arrête de tirer ! Ta prise est trop serrée, et ça fait mal ! »

    « Oh, désolé ! »

    Sykes s’était empressé de lâcher prise.

    Elliott pensait pouvoir enfin demander ce qui se passait, mais Sykes n’abandonnait pas.

    « Maintenant, s’il vous plaît, venez par ici ! », s’écria-t-il.

    « Hein ?! Hé, arrête ça ! »

    Sykes prit Elliott dans ses bras, le portant comme une princesse, et s’enfuit à une vitesse qui ferait honte à un cheval.

    Les personnes restées derrière commencèrent à chuchoter immédiatement.

    « Sykes… vient de prendre le Prince Elliott ? Qu’est-ce que ça veut dire ? », demanda Margaret tout en penchant la tête.

    « Oh, bonté divine ! Cela signifie-t-il que son véritable amour est pour le Seigneur Abigail ?! »

    « Non, d’après la façon dont les choses se passaient à l’instant… Attendez, est-ce que notre prince hautain est de ce bord ?! »

    « Nous devrions le faire savoir à tous ceux qui n’ont pas pu venir aujourd’hui ! »

    Les jeunes femmes qui observaient à distance continuaient à diffuser des informations importantes qui pourraient affecter la position d’Elliott.

    *****

    Le temps que Sykes trouve Elliott et l’emmène au donjon, en utilisant des méthodes qu’il n’aurait jamais dû pratiquer en public, la situation avait progressé, c’est-à-dire qu’elle était devenue encore pire.

    « Pour l’amour de Dieu, qu’est-ce que Rachel a fait ce… ? Quoi ?! »

    Elliott, qui avait râlé tout le long du chemin, était abasourdi. Sykes pensait qu’il était préparé, mais même lui était sans voix face à ce qu’il voyait maintenant. C’était bien au-delà de tout ce qu’il avait imaginé. La prison s’était complètement transformée en à peine trente minutes.

    *****

    La prison était une grande pièce carrée divisée en deux par des barres de fer. Devant les barreaux se trouvait une pièce où les gardiens de prison se tenaient prêts à surveiller, et à une extrémité du mur, il y avait un escalier fait de la même pierre que le reste de la pièce. Le seul mobilier consistait en une simple table et une chaise. Il n’y avait pas besoin de plus, car les interrogatoires étaient menés dans le bureau du garde royal. De même, les serviteurs du palais apportaient les repas des détenus depuis les cuisines, il n’y avait donc pas non plus de matériel de cuisine.

    Derrière les barreaux se trouvait l’arrière-salle, que tout le monde appelait le « donjon ». C’était là que les prisonniers étaient gardés. L’intérieur était constitué de murs en pierre, d’un sol en pierre et d’un plafond en pierre, comme dans la pièce principale. Il y avait des toilettes et une douche dans un coin, ainsi qu’un évier. Les barres de fer étaient la seule chose qui séparait la pièce du fond de la pièce de devant, c’était donc essentiellement une grande pièce.

    Comme c’était une prison, il était en grande partie souterrain. Seules quelques longues et fines fenêtres en haut du mur laissaient entrer la lumière et l’air frais. Elles étaient conçues pour ressembler à des bouches d’aération qui passaient sous le plancher lorsqu’on les regardait de l’extérieur, et elles étaient, bien sûr, munies de barreaux. Elles étaient la seule source de lumière dans la pièce, si bien que sans lampe ni bougie, le cachot était lugubre même en plein jour.

    La qualité de vie dans ce lieu lugubre dépendait de la position de la personne détenue, et de la magnanimité de celui qui l’avait mise ici. Si le prisonnier avait besoin d’une considération particulière, ou si la personne qui l’avait emprisonné se sentait clémente, il pouvait mener une vie raisonnablement civilisée ici. Ils pouvaient recevoir des meubles et des tapis, des tables et des chaises, et une cloison autour des toilettes et de la douche pour que personne ne puisse les voir.

    S’ils étaient destinés à souffrir, ou si la personne responsable de l’emprisonnement était cruelle par nature, le prisonnier ne recevrait rien de tout cela. Ils se blottissaient sur la pierre nue, frissonnant de froid et mangeant de la nourriture sur des plateaux laissés sur le sol. Chaque fois qu’ils faisaient leurs besoins ou se baignaient, ils étaient sous les yeux du garde.

    Ces conditions feraient frémir la plupart des gens, encore plus s’ils devaient être emprisonnés ici. Pourtant, tout cela n’était qu’une légende urbaine. De nos jours, il était presque impensable d’utiliser le donjon. Le traitement des prisonniers était devenu beaucoup plus humain, et ceux qui avaient droit à un peu de considération étaient plutôt enfermés dans des chambres d’hôtes incontournables où ils étaient surveillés de près. Quant aux petits criminels, il n’était pas nécessaire de les emprisonner dans le palais royal. Il y avait une excellente prison à la périphérie de la ville. Ils pouvaient y aller avec les roturiers.

    Ce donjon avait été construit il y a très longtemps, à l’époque où la trahison et les conspirations étaient monnaie courante, afin de tourmenter les personnes influentes qui avaient perdu le pouvoir. Maintenant, après une si longue période de paix, seuls les nobles ou les courtisans seraient emprisonnés ici, et seulement ceux qui devaient être traités de manière bien pire que les prisonniers ordinaires, ce qui rendait l’existence de ce lieu plutôt contradictoire.

    Rachel Ferguson était justement le genre de personne qui correspondait à ces conditions. Elle était la fille d’un duc, mais ayant encouru la colère du prince, on s’attendait à ce qu’elle souffre horriblement. Il n’y avait tout simplement pas de gens comme ça de nos jours. Elle était un spécimen rare.

    Quant à savoir si le prince Elliott y avait pensé profondément… il ne l’avait pas fait. Il voulait juste coller Rachel dans un endroit horrible et l’intimider pour s’en être pris à sa chère Margaret. Il n’avait jamais pensé à ce que pourraient être les conditions de vie ici. Le prince avait seulement pensé que s’il emprisonnait Rachel d’une manière humiliante pour n’importe quel noble, elle se prosternerait devant Margaret et implorerait son pardon. Et il ne serait pas réticent à l’accorder. C’était tout ce qu’il avait pensé jusqu’à maintenant.

    En fait, pendant qu’il flirtait avec Margaret après avoir expulsé Rachel de la société choisie, Elliott avait oublié tous ces « détails triviaux » jusqu’à ce que Sykes le traîne ici. C’était pourquoi il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle son ami avait insisté pour qu’il vienne voir cette terrible femme.

    Mais lorsque le Prince Elliott était arrivé à la prison… il ne pouvait pas comprendre la scène qui se déroulait devant lui.

    *****

    À l’intérieur du donjon, la fille du duc se détendait sur le sol. Elle aurait dû s’asseoir sur du carrelage en pierre, mais à la place, elle était assise sur un tapis aux motifs géométriques. Les toilettes et la douche, autrefois exposées, étaient maintenant entourées d’un rideau fleuri. Au-dessus de la moquette se trouvait un canapé confortable et rembourré qui aurait pu même entraîner un sage dans une vie de paresse. Elle s’y était installée et s’était allongée pour lire un livre. Bien sûr, à côté d’elle, il y avait une lumière assez vive pour lire.

    La détenue qui venait d’arriver aujourd’hui s’était déjà changée de sa robe de soirée pour mettre quelque chose de plus simple et de plus décontracté. Elle avait été jetée là-dedans avec seulement ce qu’elle portait à ce moment-là, alors comment avait-elle pu se changer ? Où avait-elle trouvé les meubles ?

    C’était impossible. Tout dans cette scène était impossible. De l’autre côté de ces barreaux se trouvait le donjon. C’était obligé. Pourtant, les murs de pierre nus abritaient maintenant un espace de vie confortable.

    Alors que toutes les personnes présentes regardaient bouche bée sur cette scène incompréhensible, la jeune femme sembla remarquer quelque chose et se redressa.

    « Hm ? »

    Rachel ignora résolument toutes les personnes présentes de l’autre côté des barreaux tandis qu’elle soulevait la bouilloire du haut de sa lampe à alcool et versait l’eau bouillante dans une théière. L’odeur du thé noir semblait déplacée, flottant dans une cellule de prison lugubre.

    « Hmm ! »

    Rachel sourit de satisfaction en prenant une bouffée.

    La mâchoire d’Elliott s’effondra encore plus devant l’absurdité d’un service à thé dans une prison. Sykes et le gardien de prison se regardèrent, mais ne dirent pas un mot.

    Au moins cinq secondes s’écoulèrent avant que le prince ne reprenne ses esprits, saisissant les barres de fer.

    « Toi ! Où as-tu eu ça ?! »

    « Je me le suis procuré moi-même. Cela ne pèse pas sur le trésor public », répondit sèchement Rachel.

    « Ce n’est pas le problème ! »

    « Ce sont mes effets personnels. Vous n’avez pas le droit de vous en plaindre. »

    « J’ai dit que ce n’était pas le problème ! », répéta le prince encore plus fort cette fois.

    Il grinçait des dents, furieux qu’ils ne fassent que se parler entre eux.

    « Où as-tu trouvé tous ces trucs là-dedans ?! »

    Rachel regarda autour d’elle, comme s’il manquait quelque chose, puis ouvrit l’une des boîtes en bois et en sortit des biscuits à thé. C’était l’une des boîtes en bois qui étaient censées ne plus être nécessaires. Oui, c’étaient les mêmes boîtes qui étaient là avant que Rachel ne soit jetée dedans.

    « C’est comme ça qu’elle l’a fait ?! », cria Sykes.

    « Quoi ?! », cria Elliott.

    Le gardien de prison expliqua ce qui s’était passé au prince confus. Maintenant qu’Elliott savait comment le tour avait fonctionné, il commençait à avoir le vertige en regardant son ex-fiancée grignoter joyeusement des biscuits et siroter du thé noir.

    « Vous êtes en train de me dire qu’elle a vu cela venir et qu’elle a apporté les fournitures de sa famille ici ? », marmonna le prince, choqué.

    « Pour être précis, mes gens les ont amenés ici pour moi. Eh bien, comme vous pouvez le voir, j’étais préparée à cette éventualité », répondit Rachel, comme si elle n’était pas concernée par tout ça.

    Ignorant le prince sans voix, Rachel ouvrit son livre à l’endroit qu’elle avait marqué d’un signet et reprit sa lecture.

    Tout le monde reconnaissait la beauté de Rachel Ferguson, mais elle avait un étrange manque de présence, au point que les gens oubliaient qu’elle assistait à une réception aux côtés du prince. Ses traits délicats montraient peu d’émotions, et elle ne parlait pratiquement jamais et n’exprimait jamais d’opinion. Même lorsqu’on lui demandait d’en émettre une, elle était d’accord avec ce que le prince avait dit. La façon dont elle se comportait comme l’ombre du prince faisait d’elle une cible facile, et ses rivales pour l’affection d’Elliott l’attaquaient souvent pour son manque de flair, disant qu’elle ne le méritait pas.

    Elle était un accessoire discret de la beauté rayonnante du prince, une fiancée séduisante qui restait à l’écart. Sans aucun sens de l’identité, sa qualité la plus attachante était la façon dont elle soutenait le prince avec réserve. C’était pourquoi il l’avait trouvée ennuyeuse.

    Elliott avait supposé que, parce qu’elle était ce genre de femme, elle n’oserait pas s’opposer à sa condamnation, c’était pourquoi il l’avait fait dans un lieu si public.

    Mais maintenant, Elliott était perplexe. Qui était cette femme, faisant ce qu’elle voulait dans cet endroit ridicule ?

    ***

    Chapitre 4 : Le duc comprend la situation

    Le duc Ferguson apprit que le prince avait rompu ses fiançailles avec Rachel lors d’une fête à laquelle assistaient de nombreux jeunes membres de la cour. La situation était incroyable, et en tant que chef d’une maison ducale, il se préparait à faire une visite d’urgence au palais. Il avait envoyé ses serviteurs recueillir des informations pour l’aider à comprendre la situation.

    Alors que le duc paniquait, ses hommes revinrent les uns après les autres avec de mauvaises nouvelles.

    « Êtes-vous certain que le prince a rompu ses fiançailles avec Rachel lors de la fête de ce soir ? », demanda le duc.

    « Oui, monsieur. Nous avons pu le confirmer auprès de plusieurs sources. Elle se trouvait au milieu de la salle lorsqu’il annonça l’annulation. »

    Le duc serra sa tête.

    « Cet imbécile de prince ! Je suis sûr qu’il voulait en faire un spectacle, mais ne réalise-t-il pas que ce n’était pas l’endroit pour ça ?! Il ne s’agit pas de savoir qui avait tort, c’est une question de bon sens. »

    Le duc avait déjà conclu que le prince était foutu. Si l’on considérait la situation de manière logique, il était évident que la façon dont il avait rompu théâtralement leurs fiançailles, en ignorant complètement les bonnes manières et les coutumes, deviendrait problématique une fois que le roi serait intervenu pour résoudre les choses.

    Naturellement, le duc était contrarié que les fiançailles de sa fille aient été rompues sans qu’il en soit d’abord informé, mais en toute honnêteté, il avait maintenant un plus gros problème.

    Il fit claquer ses mains sur son bureau.

    « Ce crétin finit. Il vient de marcher sur la queue du tigre ! »

    *****

    La fille aînée du duc, Rachel, était jolie dès son plus jeune âge, et son comportement réservé et son apparence éphémère avaient conduit les autres maisons à supposer qu’elle était une beauté introvertie et tranquille. Ne la connaissant pas mieux, le duc et la duchesse avaient été incroyablement fiers d’elle. Ils avaient cru de tout cœur que leur fille était merveilleuse.

    Ils n’auraient pas pu avoir plus tort.

    Alors que leur fille grandissait et qu’ils découvraient peu à peu qui elle était, les sourires du duc et de la duchesse devinrent plus tendus. Elle se comportait de manière pire que la moyenne des brutes.

    Quand un groupe de brutes l’avait poursuivie dans un arbre, elle leur avait jeté une ruche. Puis, quand un garçon plus âgé était venu les soutenir, elle l’avait assommé avec un rouleau à pâtisserie qu’elle avait caché. Une fois cela fait, elle poussa le meneur dans un étang pour se venger.

    Entendant le vacarme, le duc s’était précipité pour enquêter, et il la vit jeter des pierres au garçon qui essayait de rejoindre la rive. Lorsqu’il l’arrêta, elle le regarda et, d’un air tout à fait sérieux, lui dit : « Ne t’inquiète pas. Si je continue à lui jeter des pierres, il ne remontera pas à la surface avant un moment. »

    Ce fut à ce moment que le duc pensa pour la première fois qu’il y avait une forte probabilité que sa fille bien-aimée soit une psychopathe.

    Afin de la dissuader, le duc souligna la difficulté d’empiler des rochers sur un objet sous l’eau, et il expliqua comment la résistance de l’eau lorsqu’ils coulent et la forme irrégulière des rochers rendraient difficile de déterminer leur trajectoire. Il était évident, d’après cet échange, que le duc paniquait un peu.

    Sa fille, les yeux pétillants, s’exclama : « C’est incroyable, père ! »

    Mais, en toute honnêteté, c’était la première fois que ses louanges entraient par une oreille et sortaient par l’autre.

    Lorsque ses parents réalisèrent à quel point Rachel était déformée, ils avaient déployé des efforts considérables pour s’assurer qu’elle développe un degré de sociabilité proportionnel à sa beauté lorsqu’elle serait adulte. Le duc pensait qu’après avoir expliqué que les manières et la morale étaient comme les règles d’un jeu, et que l’ordre existait pour que chacun ait une chance équitable de jouer, elle serait devenue leur fille idéale.

    Mais le duc et la duchesse n’avaient jamais oublié. Si Rachel devait cesser de penser qu’elle devait suivre les règles, ils n’avaient aucune idée de ce que leur fille pourrait faire. C’était pourquoi ils s’étaient tant attachés à lui donner l’éducation morale nécessaire à un enfant de la noblesse.

    Malgré toutes les éventualités, cette résiliation de ses fiançailles… Ils ne l’avaient jamais vu venir.

    Le duc savait mieux que quiconque ce qui venait de se passer. Le prince Elliott, ce fou furieux, venait de bouleverser l’échiquier.

    *****

    Alors que le duc criait ses ordres, poussé par la nécessité de prendre les devants le plus rapidement possible, un serviteur se précipita dans la pièce, essoufflé.

    « Nous avons reçu plus de détails ! »

    « Y a-t-il eu du mouvement ?! », demanda le duc.

    Le serviteur, le visage bleu, commença son rapport. Le duc, stressé au plus haut point, l’écouta attentivement.

    « Je vais vous expliquer en détail. La jeune femme a accepté l’annonce de Son Altesse sans aucun changement d’expression, et elle est restée silencieuse pendant qu’elle était attachée et emmenée au donjon. »

    Le duc se figea un instant avant de s’affaler dans son fauteuil comme s’il s’était effondré. Le majordome se précipita à ses côtés.

    Le duc regarda distraitement dans le vide pendant un moment, puis marmonna : « Le prince… Il est fichu. »

    Le majordome, qui connaissait bien l’éducation de Rachel, hocha gravement la tête et dit : « Oui, monsieur. »

    Si Rachel avait déjà décidé d’agir, ce n’était plus du ressort du duc. Il n’avait pas d’autre choix que de la laisser faire ce qu’elle voulait et d’attendre qu’elle se soit défoulée.

    N’étant plus pressé, le duc s’assit devant son bureau et mit lentement du tabac dans sa pipe.

    Je crois que je vais fumer. Oui, c’est ce que je vais faire. Parce qu’il n’y a rien d’autre que je puisse faire, se dit-il

    Et alors qu’il prenait une bouffée et expirait, le duc était rempli d’un grand nombre d’émotions. Puis, il s’était souvenu de quelque chose.

    « Quand même, George doit avoir été à la fête. Que fait-il maintenant ? »

    George aurait été proche du prince en tant qu’une de ses connaissances. S’il avait agi en tant que médiateur ou avait fait un rapport au duc avant que les choses n’en arrivent à ce point, ce tumulte aurait pu être réglé avant qu’il ne devienne incontrôlable.

    Alors que le Duc laissait échapper un soupir épuisé, le serviteur qui avait apporté les rapports donna avec hésitation un suivi sur George.

    « Eh bien, vous voyez… Il semblerait que le jeune maître soit aussi épris de la fille de la baronne, qui était au centre du drame, que Son Altesse et les autres ont provoqué. Il a participé activement à la condamnation qu’ils lui ont infligée. »

    Le duc et le majordome se regardèrent l’un et l’autre.

    « George… est un homme mort. »

    « Oui, monsieur. »

    « Comment, après avoir vécu seize ans avec sa sœur, cet imbécile n’a-t-il pas pu comprendre quelque chose d’aussi simple ? »

    George avait dû voir que Rachel était déchaînée, alors à quoi pensait-il ?

    Si la colère de Rachel envers son frère venait à exploser, le duc n’avait aucune intention de défendre son fils et héritier. Il pourrait être pris entre deux feux. Le duc estimait sa propre peau bien plus que celle de cet idiot de fils qui avait tout gâché.

    *****

    Alors que le duc regardait le plafond et tirait une bouffée de sa pipe, il y eut un vacarme dans le hall. Sa femme se précipita dans la pièce.

    « Oh, Dan ! »

    « Iseria ! »

    Le duc se mit sur ses pieds tandis que sa femme trébuchante sautait dans ses bras.

    « C’est Rachel, elle… elle est… »

    « Je sais. J’écoutais les rapports. Essaie d’être forte ! »

    La duchesse avait complètement perdu la tête, et elle continuait à crier, les larmes aux yeux.

    « Mais, mon cher ! Si elle les laisse l’escorter… alors elle a l’intention de le tuer ! L’avenir de notre maison et la vie de Sa Majesté sont sur le point de voler en éclats ! »

    « Tout va bien se passer ! Rachel a dix-sept ans maintenant. Elle n’est plus une enfant. Elle est assez grande pour prendre des décisions d’adulte. »

    Le duc tenta de consoler sa femme en sanglots avec des mots auxquels il ne croyait pas. Elle n’avait pourtant pas trouvé de réconfort dans ces mots.

    « Dan, tu ne comprends pas. Quand elle n’était qu’une petite fille, je l’ai surprise en train de chanter Lizzie Borden tout en balançant gaiement une hache ! »

    (NdT : Lizzie Andrew Borden [1860 - 1927] était une femme américaine frappée d’infamie après avoir été jugée et acquittée pour le meurtre à la hache de son père et sa belle-mère en 1892 à Fall River dans le Massachusetts. Le cas a été commémoré dans une comptine populaire de saut à la corde :

    Lizzie Borden a pris une hache

    Quarante coups, elle a donné à sa mère.

    Quand elle a vu le résultat de sa tâche,

    Quarante et un coup elle a donné à son père.)

    « Calme-toi, Iseria ! Ça va aller. Tout va bien se passer ! Rachel est devenue une vraie jeune femme au cours des dix dernières années. De nos jours, nous n’avons pas à nous inquiéter qu’elle matraque Son Altesse à mort avec un instrument contondant. Je suis sûr qu’elle utilisera des méthodes difficiles à réprimer pour détruire sa psyché ! »

    « Vraiment ? Rachel va-t-elle vraiment s’en sortir ? Elle pourrait bien brûler la capitale pour le tuer. »

    « Crois en ta fille, Iseria. Elle est intelligente et bien éduquée. Elle ne ferait jamais quelque chose de stupide qui la ferait tomber avec lui. Je suis sûr qu’elle emploiera des méthodes qui ne laissent aucune trace pour le démolir entièrement. »

    À quoi pensait sa fille en ce moment ? Était-il sûr qu’elle n’aurait pas recours à une arme ? Le duc n’en avait aucune idée. Il ne savait même pas comment résoudre cette situation. Tout ce qu’il pouvait faire à ce stade, c’était soupirer.

    Un certain nombre de serviteurs s’étaient rassemblés autour d’eux, mais ils étaient tous dans la famille depuis bien trop longtemps pour se moquer de la situation actuelle.

    *****

    « Pardonnez-moi. »

    Alors que le duc frottait le dos de sa femme avec réconfort, une personne à la voix si calme qu’elle semblait déplacée dans cette excitation nerveuse demanda la permission d’entrer dans la pièce.

    En regardant pour voir qui c’était, le duc trouva la servante personnelle de Rachel et amie d’enfance, Sofia, inclinant la tête.

    « Oh, Sofia. Ton timing est parfait. As-tu entendu parler de ce qui arrive à Rachel ? »

    « Oui. Bien sûr. »

    « Je vais me rendre au bureau du gouvernement pour déposer une plainte immédiate. Tu vas m’accompagner, alors prépare-toi. Tu apporteras à Rachel les choses dont elle aura besoin pendant son séjour en prison. S’ils refusent, utilise mon nom pour qu’ils te laissent passer. »

    Dans tous les cas, ils devaient s’assurer que Rachel, qui avait été emmenée de la fête directement au donjon, avait des vêtements de rechange et d’autres choses nécessaires. Il pensait qu’il serait plus rapide de demander à Sofia, qui connaissait le mieux Rachel, de faire les préparatifs.

    Cependant, Sofia répondit : « Non, c’est déjà fait. »

    « Tu es déjà préparée ? Je n’en attendais pas moins de toi. »

    « Oui. Les préparatifs ont été faits, et ses affaires ont déjà été livrées. »

    « Je vois. Tu travailles vite. Hein ? Déjà livrées ? »

    Mais alors qu’il regardait Sofia, qui venait de dire nonchalamment quelque chose qu’il ne pouvait ignorer, la jeune fille aux cheveux cendrés et les deux autres servantes derrière elle hochèrent la tête.

    « La jeune maîtresse a découvert à l’avance que ses fiançailles allaient se terminer ce soir. C’est pourquoi, sous sa direction, nous avons déjà préparé la nourriture et les produits de première nécessité dont elle aura besoin pour les trois prochains mois et les avons livrés au donjon. »

    Contrairement à Rachel, qui pouvait montrer une quantité surprenante d’expression en privé, Sofia portait un masque d’acier. Elle livrait des faits choquants comme si elle ne faisait que relater des faits de bon sens, sans sourciller.

    « Hein ? », murmura le duc.

    Toutes sortes de doutes traversaient son esprit tandis qu’il se passait une main sur le front.

    « Attends. Elle le savait à l’avance ? Pourquoi Rachel se serait-elle délibérément abstenue de l’empêcher ? Et je sais que ce n’est que pour une personne, mais comment as-tu transporté assez de provisions pour vivre pendant trois mois dans le château ? »

    « Elle n’était pas sûre qu’il irait vraiment jusqu’au bout, mais lorsqu’elle apprit qu’il prévoyait d’annuler les fiançailles, la jeune maîtresse a dit : “Alors vous me dites que je peux me débarrasser de cet idiot d’une manière qui le laisse responsable, et que j’ai droit à des vacances ? Splendide !” », expliqua Sofia

    Le ton de Sofia disait clairement ceci : « Pourquoi demander quelque chose d’aussi évident ? »

    « Rachel… », dit le duc en soupirant.

    « De plus, depuis que ses fiançailles avec le prince ont été décidées, nous, les Chats noirs de la nuit noire, nous nous insérons dans des postes clés du palais. Tant que nous savons à l’avance qu’un événement comme celui-ci va se produire, nos forces peuvent facilement faire entrer en douce des fournitures sous couvert de leurs fonctions officielles. »

    « Rachel, qu’est-ce que tu essaies de faire exactement ?! »

    Le duc fut soulagé d’apprendre que sa fille était dans un état d’esprit plus égal qu’il ne l’avait craint. Mais, en même temps, il frissonna de terreur en réalisant que les ténèbres de sa fille étaient plus profondes qu’il ne l’avait jamais soupçonné.

    Comment une organisation de renseignements pouvait-elle opérer chez lui sans qu’il le sache ? Et comment étaient-ils si bien implantés dans le palais qu’ils avaient le champ libre pour faire entrer des chariots remplis de fournitures ? C’était plus que ce que les réseaux d’espionnage de certaines nations pouvaient gérer. Si Rachel était allée aussi loin, il lui serait facile d’assassiner un petit prince, non ?

    Des pensées comme celles-ci se bousculaient dans la tête du duc. Il décida d’abandonner la réflexion.

    « De toute façon, je vais aller au bureau du gouvernement et déposer cette plainte », dit-il.

    « Prenez soin de vous », lui répondit Sofia.

    ***

    Chapitre 5 : La jeune demoiselle chasse le prince

    Rachel était censée être confinée, mais elle était libre de faire ce qu’elle voulait. Elle avait apporté ses meubles préférés pour se détendre en lisant des livres, et elle savourait tranquillement une tasse de thé.

    Elliott, qui avait regardé cela avec incrédulité, reprit ses esprits. Il lui cria à travers les barreaux.

    « Hey ! C’est une prison, ok ? ! Pourquoi te détend-tu ?! »

    « Je crois que c’est toi qui m’as dit que la maison d’un homme est son château », répondit Rachel.

    « C’est quand même un peu trop, non ?! Hé ! Faites quelque chose à cette idiote ! »

    Le garde ne savait pas comment répondre, mais bien sûr, il ne l’avait pas fait. Il déclara avec hésitation : « Je ne suis pas sûr de ce que vous attendez de moi… »

    « Je ne l’ai pas jetée en prison pour qu’elle puisse avoir de belles vacances ! Confisquez toutes les affaires qu’elle a amenées là-dedans ! »

    Elliott pouvait crier tant qu’il le voulait, mais la raison pour laquelle ils l’avaient appelé ici était qu’ils ne pouvaient rien faire.

    « À propos de ça, Votre Altesse… Le truc c’est que… », marmonna le garde. Il expliqua ensuite ce qu’était la serrure.

    La mâchoire d’Elliott s’était encore décrochée.

    « Qu… Elle s’est enfermée là-dedans ? »

    Le garde pensa que la façon dont le beau prince étincelant le fixait avec des yeux vides était troublante, ou peut-être juste stupide.

    « Que devons-nous faire ? », demanda-t-il, ne sachant pas comment procéder.

    Elliott voulait poser la même question. Il jeta un coup d’œil à Sykes, mais ce dernier restait là, la bouche en émoi. Sykes était extrêmement peu fiable en ce moment.

    Son frère est intelligent, nous aurions dû l’emmener avec nous, pensa Elliott.

    Cependant, s’il appelait George maintenant, cela prouverait sa propre incompétence. Il se gratta rageusement la tête en essayant de trouver une réponse, mais même après s’être creusé la tête, tout ce qu’il trouva fut la force brute.

    « Cassez la serrure ! Nous pouvons ouvrir la cellule si nous coupons les chaînes ! », hurla Elliott.

    Il donna alors un coup de pied dans le derrière de Sykes.

    « Hé, appelle des chevaliers ici ! Qu’ils apportent des outils ! »

    « Huh… ? Oh ! Oui, monsieur ! »

    Le bruit de ses pas alors qu’il courait maladroitement dans les escaliers résonnait derrière lui.

    Elliott s’était moqué de Rachel en ricanant.

    « Tu peux penser que tu as été très intelligente, mais sache que cela a aggravé l’opinion que j’ai de toi ! Je te ramènerai bientôt à l’état dans lequel tu étais censée être. Tu n’auras même plus une couverture. Tremble de peur en imaginant les conditions misérables qui t’attendent ! », déclara-t-il avec un sourire sinistre.

    Cela ne le faisait ressembler à rien d’autre qu’à un petit méchant, ce dont il n’avait pas conscience.

    Lorsque l’ancienne fiancée du prince le regarda par-dessus son épaule, les coins de sa bouche se relevèrent. Elle laissa échapper un petit rire nasal.

    « Oh, cela ne serait pas bon si les choses marchaient pour toi. »

    *****

    Sykes revint avec quatre ou cinq chevaliers à sa suite. Le prince leur montra immédiatement la serrure en question.

    « C’est ça », grogna Elliott.

    « Urk… On va couper ça ? ! », s’écria l’un des chevaliers.

    Les autres avaient naturellement l’air tout aussi exaspérés. La chaîne que tenait le chevalier était faite d’acier d’environ un centimètre d’épaisseur. Il ne s’agissait pas du diamètre de la chaîne, mais du métal lui-même. Des anneaux d’acier d’une circonférence de cinq ou six centimètres composaient la chaîne. Si quelqu’un disait qu’il s’agissait de la chaîne de la porte du château, vous le croiriez probablement, car elle était très résistante. Et là, elle était sur la porte d’une simple cellule de prison.

    Le cadenas attaché à la chaîne était également massif. Rachel, avec sa fine carrure, ne pouvait probablement pas le soulever sans utiliser ses deux mains. Elle avait aussi soigneusement positionné le trou de serrure pour qu’il ne soit pas visible de l’extérieur des barreaux.

    « On nous a dit qu’il y avait une chaîne qui devait être coupée, alors nous avons apporté des coupe-boulons », dit l’un des chevaliers en montrant une paire de ciseaux spécialisés utilisés pour couper les boulons de fer.

    Ils étaient énormes, et leur force de coupe était multipliée plusieurs fois en raison de l’effet de levier de leur conception. Et pourtant…

    « S’il était en plomb, nous pourrions encore être en mesure de le couper, mais… »

    « Vous ne pouvez pas le couper ?! », cria Elliott.

    « C’est de l’acier, non ? Et pas en acier moulé, mais en acier trempé. »

    Juste pour être sûrs, deux des chevaliers essayèrent de le couper ensemble, mais quoi qu’ils fassent, ils n’avaient même pas pu l’égratigner.

    « Ça ne sert à rien », admit l’un des chevaliers.

    Mais Elliott n’était pas d’accord.

    « Si vous ne pouvez pas le faire à deux, alors essayez à quatre ! »

    « Votre Altesse, ce n’est pas parce que l’acier est deux fois plus épais que le fait de doubler le nombre de personnes le transpercera. »

    « Ce n’est pas le cas ? ! Urgh. Il n’y a rien que l’on puisse faire ? ! Il n’y a… pas d’autre moyen ? »

    « Nous avons apporté une scie à métaux… »

    La scie avait été conçue pour couper le métal, et les chevaliers s’étaient relayés avec elle.

    « Votre Altesse, nous avons fait une légère rayure. »

    « Hmm… C’est tout ce que vous avez pu faire après 30 minutes, hein ? »

    À ce rythme, il faudrait probablement attendre jusqu’au matin pour la découper entièrement. L’énormité de la tâche commençait à se faire sentir pour Elliott.

    Le dernier chevalier à utiliser la scie montra sa lame au prince.

    « Et regardez ça. La lame est plus lisse que la tête d’un homme chauve. »

    « Y a-t-il une autre scie ? », demanda Elliott, l’air désespéré.

    « Nous pourrions fouiller le château, mais je ne suis pas sûr qu’il y en ait une… »

    Le silence s’installa dans le donjon… jusqu’à ce que le bruit d’un rire étouffé le perturba. Elliott s’était retourné pour voir les épaules de Rachel qui tremblaient en lisant son livre.

    Le sang du prince beau gosse lui monta à la tête. Il donna un coup de pied dans les barreaux de la cellule.

    « Hey ! D’après toi, qui est le responsable de cette perturbation ?! »

    « Mais c’est toi, Votre Altesse. Si tu ne m’avais pas mise dans le donjon, cette… “perturbation”… ne serait pas arrivée. »

    « Urgh ! »

    Les joues d’Elliott brûlèrent quand il sentit que tout le monde le regardait. Tu me payera ça !

    En fin de compte, Rachel avait raison. C’était lui qui avait commencé. Il avait annulé leurs fiançailles, l’avait condamnée, et l’avait jetée dans le donjon. Pourtant, Elliott bouillonnait, furieux qu’une femme qu’il avait considérée comme rien de plus qu’une « jolie poupée » l’ait humilié. Il ne pouvait pas simplement s’en aller.

    « Hey ! Apportez une lance et empalez cette malheureuse ! », demanda Elliott.

    « V-Votre Altesse ?! »

    Sykes, le gardien de prison et les chevaliers étaient tous choqués. Néanmoins, Elliott continua à crier.

    « Je ne vous dis pas de la tuer. Vous devez juste la blesser suffisamment pour qu’elle ne puisse pas rester enfermée là-dedans. Faites-lui ouvrir la serrure et sortir d’elle-même ! »

    « Je veux dire, oui, ça pourrait marcher, mais… »

    Sykes s’était tu tandis que les chevaliers et lui se regardaient les uns les autres.

    Il serait difficile de prétendre que la façon dont le prince avait rompu ses fiançailles et emprisonné son ancienne fiancée avait suivi les procédures officielles. Le palais, qui comprenait le donjon, était la propriété du roi, et Elliott n’avait pas l’autorité pour y mettre Rachel. Il ne serait pas faux de dire qu’il détournait le donjon à ses propres fins. Ils ne pouvaient prendre aucune décision avant le retour du roi, qui était en voyage pour une inspection royale.

    Était-il vraiment judicieux d’aggraver les choses en blessant la fiancée du prince alors que l’annulation de leurs fiançailles n’était toujours pas reconnue ? Elle n’avait commis aucun crime, à part intimider la petite amie du prince, et ce n’était clairement pas un délit passible de prison ou d’exécution. S’ils devaient suivre les ordres du prince, ils pourraient être punis pour cela. Et ils ne pensaient pas que le prince les sauverait si cela arrivait.

    Alors que Sykes et les chevaliers se regardaient, essayant silencieusement de se renvoyer la balle, le prince s’impatienta.

    « Hey, qu’est-ce qui prend autant de temps ? ! Vous devez juste la poignarder un peu… »

    Elliott s’arrêta à mi-chemin de son cri et se figea.

    Sykes pencha la tête.

    « Hm ? »

    Les autres s’étaient retournés pour regarder le prince, trouvant étrange le fait qu’il se soit arrêté comme ça. Cependant, quand ils virent ce qu’Elliott regardait, ils s’étaient également tous figés.

    Rachel était maintenant debout, et elle pointait une arbalète sur eux dans une position impeccable.

    « Tu as apporté une arme là-dedans ?! Une arme… dans une prison ?! Tu n’as aucun sens commun ! », dit Elliott en sifflant.

    « Qu’est-ce que tu dis ? Ce n’est pas une arme. »

    « Hein ? Ce n’en est pas une ? »

    « C’est un outil pour mon autodéfense. »

    « C’est la même chose, espèce d’idiote ! »

    Rachel visait Elliott pour l’instant, mais elle le tenait de telle manière qu’elle pouvait facilement l’ajuster pour viser n’importe lequel d’entre eux. Les chevaliers n’avaient pas d’armes à distance pour riposter.

    Quand elle vit les hommes reculer, Rachel sourit de façon ironique.

    « Connaissant ton manque d’esprit et de patience, j’ai pu voir venir cette situation. Je dois ajouter que, contrairement à toi, Votre Altesse, qui es trop occupé à courir après les filles de la ville, j’avais un penchant pour la chasse avec mon père et mon oncle. J’ai abattu ma part d’oiseaux en vol. »

    Rachel leur adressa un sourire qui leur fit froid dans le dos.

    « C’était il y a environ trois ans. Le village où nous nous trouvions a été attaqué par des bandits. Nos soldats les ont abattus immédiatement, bien sûr, mais j’ai aidé et abattu trois de ces animaux. En d’autres termes, si quelqu’un veut me faire du mal, je n’hésiterai pas à l’abattre. Gardez cela à l’esprit avant de vous en prendre à moi, d’accord ? »

    Tout ce que Sykes et les autres pouvaient penser était : « Oh, merde. »

    Ces jours-ci, même les chevaliers ne voyaient pas de combat actif. Ainsi, même si eux ou les soldats pouvaient combattre l’ennemi, ils devaient se préparer mentalement avant de porter le coup final. Tuer leur adversaire d’un coup de chance était différent de savoir avec certitude que le coup tuerait. Il n’y avait qu’une poignée de chevaliers vétérans qui pouvaient abattre leur adversaire aussi facilement.

    Voilà donc le genre de monde paisible dans lequel ils vivaient. Et ils se trouvaient maintenant devant une jeune femme de haute noblesse qui avait testé son courage au combat. Si elle disait « Je vais te tuer », alors c’était probablement vrai. Elliott et Sykes pouvaient le sentir.

    Rachel inclina alors joliment la tête.

    « Si vous n’avez pas l’intention de me faire quoi que ce soit, alors je vous autorise, bande d’idiots, à rester là et à regarder. Cependant, si vous avez l’intention de vous introduire dans la cellule et de me faire du mal, j’exercerai mon droit de me défendre. D’accord ? »

    Elle fit alors un geste du menton vers les escaliers tout en gardant son sourire.

    « Maintenant, si vous n’avez plus rien à faire ici, je vous demande de partir. »

    Personne n’avait eu la présence d’esprit de réaliser que la prisonnière leur donnait des ordres. Les chevaliers firent ce que Rachel leur demanda, entraînant avec eux Elliott, qui était trop abasourdi pour bouger, alors qu’ils partaient. On aurait dit qu’ils protégeaient leur maître en battant en retraite, mais ils ne l’avaient fait que parce qu’ils ne pouvaient pas fuir tant qu’un officier supérieur était là. D’ailleurs, le gardien de prison avait été le premier à s’enfuir.

    Alors que Sykes le poussait dans les escaliers, Elliott s’était suffisamment remis pour crier : « Si tu tiens tant à être en prison, tu peux y rester aussi longtemps que tu le souhaites ! Mais je ne te donnerai pas de nourriture, ni rien d’autre, compris ?! Je ne te laisserai pas sortir, même si tu le demandes ! Même si tu pleures et que tu me supplies ! »

    Bien que son ex-fiancé lui débita du vitriol, Rachel ouvrit à nouveau son livre et bâilla.

    « J’aimerais bien que tu me dises ce genre de choses en face. »

    Rachel ne s’attendait pas à une réponse. Le temps qu’elle finisse de le dire, le prince au cœur tendre était déjà loin.

    Rachel s’endormit en serrant son livre dans ses bras, ses pensées se dirigeant vers la vie complaisante qui l’attendait demain.

    ***

    Chapitre 6 : La jeune demoiselle entend quelque chose de merveilleux

    Partie 1

    C’était arrivé quelques semaines avant que Rachel ne soit jetée dans le donjon.

    Alors qu’il balayait la porte cochère le soir, le gardien de la maison ducale de Ferguson vit revenir un carrosse. Il appela à l’intérieur en disant : « La jeune demoiselle est revenue ! »

    Les serviteurs s’empressèrent de l’accueillir, et le garde-barrière courut à son poste. Il ouvrit à peine les portes que le carrosse portant les armoiries de la famille passa sans ralentir. Rachel, la fiancée du prince héritier et future reine du pays, revenait tout juste de ses leçons particulières au palais.

    Les serviteurs, menés par le majordome et la femme de chambre en chef, se tenaient de part et d’autre du hall, la tête baissée. Rachel marchait, souriante. Et lorsque le majordome lui demanda comment s’étaient passées ses études, elle lui donna alors une brève auto-évaluation, puis elle déclara à la femme de chambre qu’elle prendrait le dîner deux heures plus tard, comme elle en avait l’habitude.

    Rachel monta le grand escalier, saluant joyeusement chacune des servantes et des domestiques qui la saluaient, et se dirigea vers sa chambre, où elle s’effondra promptement sur le lit.

    « Oh… Je suis épuisée. »

    Sofia et ses autres servantes personnelles la déshabillèrent sans mot dire, ignorant les plaintes de leur maîtresse. Ses leçons au palais étaient apparemment assez difficiles, comme en témoignait la façon dont elle s’effondrait toujours dès qu’elle rentrait chez elle. Pendant les deux heures qui suivirent, les préposés de Rachel s’en occupèrent, lui firent prendre un bain et la rendirent présentable pour le dîner avec le duc.

    Le fait qu’elles étaient capables de rendre leur maîtresse complètement nue alors qu’elle était encore allongée sur le ventre pouvait paraître incroyable, mais ces servantes étaient effectivement capables de le faire. Depuis que Rachel avait commencé à prendre des leçons au palais, elles avaient travaillé dur pour perfectionner leurs talents afin de la soutenir. Elles pouvaient facilement enlever ses vêtements pendant qu’elle était allongée afin d’alléger le fardeau de leur maîtresse. Il n’y avait personne pour poser des questions parfaitement logiques, comme « Ne pourraient-elles pas la déshabiller quand elle est debout ? ». Ce que Rachel choisissait de faire était prioritaire.

    Une fois que les servantes finirent de la déshabiller, elles étendirent un drap fin sur elle et se retirèrent. Sofia s’avança alors et utilisa ses index pour masser rapidement tout le corps de Rachel, de la tête aux pieds.

    En se basant sur la tension des muscles de Rachel, Sofia demanda : « C’était quatre heures de cours assis, et deux heures de danse, suivies par… les manières de table, et une inspection des environs, correct ? »

    Le visage toujours enfoui dans son oreiller, Rachel réussit habilement à secouer la tête.

    « Non. C’était trois heures de conférences assises, deux de danse, une de marche, et deux sur la façon de regarder élégamment une pièce de théâtre — ainsi que l’apprentissage des bonnes manières pour un événement social auquel ne participent que des dames. Tout cela m’a laissé les épaules raides. »

    « Comment regarder élégamment une pièce de théâtre ? », demanda Sofia.

    « Tu te pavanes pompeusement tout en regardant attentivement la scène avec un sourire. Ou du moins, tu en donnes l’impression. Ces sorcières m’ont fait m’entraîner en regardant une scène vide pendant qu’elles me disaient que ma posture était mauvaise et que je devais montrer la dignité d’un roi. Puis elles m’ont dit que mes yeux étaient morts et qu’il fallait les faire briller d’hilarité. Il est certain que personne ne peut être passionné par une scène sans interprètes. »

    « D’un point de vue extérieur, cela semble être une leçon idiote. »

    « Du point de vue d’une initiée, c’est stupide. »

    Au signal de Sofia, huit autres servantes entourèrent Rachel. Puis Sofia la réconforta en disant : « Oh, ma pauvre. Laissez-nous faire tout ce que nous pouvons pour soulager ton corps fatigué, jeune demoiselle. »

    « Je sais que je dis toujours ça, mais allez-y doucement avec moi… »

    « Certainement », dis Sofia en hochant la tête.

    Elle regarda alors les autres servantes et ordonna : « Aujourd’hui, je veux que vous vous concentriez sur les épaules, et la zone allant de ses tibias à la plante de ses pieds ! Elle semble assez raide, alors soyez minutieuses ! Tout le monde, c’est parti ! »

    « Je vous ai dit d’y aller doucement avec moi, n’est-ce pas ? ! Gyaaaaaah ! »

    Neuf servantes, dont Sofia, s’abattirent sur Rachel à l’unisson. Elles massaient et pressaient les points vitaux avec le plus grand zèle. Leur travail était également professionnel. Elles n’utilisaient pas seulement le bout de leurs doigts, mais aussi les secondes articulations, ainsi que des bâtons d’acupression. Elles travaillèrent sur tout son corps en même temps. En tant que chef des serviteurs personnels, Sofia a eu l’honneur de masser la zone la plus raide de Rachel, la plante de ses pieds.

    « Haugh ?! Gwagh ! Engyaaaah ! Oww ! Ça fait maaaaal ! »

    On disait souvent qu’un massage pouvait aider à trouver un sommeil réparateur, mais celui-ci n’avait rien d’aussi apprivoisé. C’était un assaut absolu sur le corps de Rachel. Les servantes la maintenaient au sol alors qu’elle se débattait dans la douleur, décontractant ses muscles de toutes leurs forces.

    « Je sais que je demande ça à chaque fois, mais pourquoi devez-vous faire tout mon corps en même temps ?! », dit Rachel.

    « Et j’explique à chaque fois que nous n’avons pas le temps de nous concentrer sur chaque point individuellement. Je suis désolée, mais c’est comme ça. »

    « On dirait que ça te plaît beaucoup pour quelqu’un qui est désolé ! »

    « Une petite pression de ma part fait bondir ma maîtresse de douleur. Comment ne pourrais-je pas être amusée ? », plaisanta Sofia.

    « Si tu as des problèmes avec ta situation professionnelle, fais la grève, d’accord ?! »

    « Nous faisons tout cela pour vous, jeune maîtresse. Oh, mon Dieu. Tes reins… »

    « Agaaaaaah ! »

    « Tu sembles assez épuisée », remarqua Sofia.

    « Gyaaaah ! »

    « Hmm, si ton yongquan te fait sauter autant, alors tes jambes doivent aussi être assez tendues. Lisa, Mimosa, faites particulièrement attention à son chengshan et à son zusanli. »

    (NdT : points d’acupuncture situés sur le pied et la jambe)

    « Oui, m’dame. »

    « Arrêteeeeeeeeeeez ! »

    *****

    Elles portèrent délicatement leur maîtresse à demi conscientes jusqu’à la baignoire et la laissèrent mijoter à feu doux. Une fois que sa peau blanche comme neige prit une belle teinte rosée, elles la sortirent du bain, l’enveloppèrent dans un peignoir et lui firent un massage doux pour soulager les douleurs musculaires de la séance précédente. Une fois qu’elles lui donnèrent un verre de limonade froide à siroter, Rachel reprit finalement ses esprits.

    « Jour après jour, j’assiste à des cours fatigants sur la façon d’agir en tant que reine, et puis ce tourment arrive comme faisant partie d’un décor. Ma vie est un enfer. Je n’aurais jamais dû me fiancer au prince. »

    « Mais grâce à cela, nous pouvons nous amuser tous les jours », remarque Sofia.

    « Évacuez le stress du travail en faisant du shopping ou en mangeant, c’est ça ? »

    « Ce genre de choses est dur pour le portefeuille, et je préfère éviter les passe-temps qui me font prendre du poids. De plus, penses-tu qu’il existe un divertissement plus grand que les cris d’une jeune demoiselle aisée ? »

    « Oui ? Il doit y avoir beaucoup de choses. »

    Alors que Rachel s’installait, regardant les servantes préparer les vêtements et le maquillage qu’elle porterait pour le dîner, Sofia sortit pour elle un résumé des rapports de la journée.

    « Il y a beaucoup de choses à noter, mais l’une d’entre elles est d’une grande urgence », l’informa Sofia.

    « Oh, mon Dieu. Qu’est-ce que ça peut être ? Nos voies de transmission de messages secrets à travers le palais ont-elles été compromises ? »

    Rachel prit une gorgée de limonade, hochant la tête alors que Sofia lui tendait silencieusement le rapport.

    « Voyons voir… “E complote pour mettre fin à ses fiançailles avec le patron.” Hein ? »

    Elle fit une pause, l’air abasourdi.

    « Il est même dit, “Il a déjà pris sa décision et prend des mesures concrètes pour mettre en place un plan.” »

    Alors que Rachel se taisait et fixait le papier, Sofia expliqua : « Nous avons déjà rapporté que la jeune fille d’un baron s’est installée au palais récemment, et que les hommes de main du prince se sont tous entichés d’elle. Il semblerait qu’ils aient finalement décidé de la faire reine. Ils vont donc prendre des mesures pour t’écarter de l’équation. Malheureusement, le jeune maître George est l’un d’entre eux. Pour preuve, il a participé à leur réunion, il n’en a pourtant fait aucune mention à la maison. »

    Ayant terminé son explication, Sofia baissa la voix et demanda : « Que devons-nous faire ? ».

    Si Rachel déplaçait ceux qui lui étaient fidèles, il serait simple de faire échouer les plans du prince, voire le prince lui-même. Les agents qu’elle avait formés avaient assez de pouvoir pour le faire.

    Rachel rendit le papier à Sofia.

    « Eh bien… Je pense que nous devons utiliser plus de mots codés. On sait que trop bien qui est le patron dans ce message, hein ? »

    « Je suis terriblement désolée. Lorsque nous avons créé notre code, nous n’avions évidemment pas prévu une situation comme celle-ci. »

    Sofia mit le rapport dans sa poche, regarda sa maîtresse les yeux tournés vers le haut, et demanda : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? »

    « Hmm. C’est vraiment un développement inattendu… »

    Alors que Rachel se taisait, fixant l’air devant elle, Sofia continuait à l’observer tranquillement.

    Le prince Elliott, l’homme que la maîtresse bien-aimée de Sophia devait épouser, était séduisant et populaire, surtout auprès des jeunes filles. Mais il y avait un certain nombre de rumeurs désagréables à son sujet. S’il avait une histoire sombre, ce serait une chose, mais il était simplement enclin à des gaffes incroyables.

    Cela n’irait pas.

    Évidemment, c’était une chance qu’il soit beau, mais si ce qui se cachait derrière cet extérieur ne pouvait pas se mesurer à l’esprit prodigieux de Rachel, leur vie de couple se détériorerait rapidement. Il n’était pas rare que des petits nobles soient dans un mariage sans amour maintenu uniquement pour les apparences, mais si le couple en question était le futur roi et la future reine du pays… Eh bien, il ne fallait pas être un des serviteurs de Rachel pour voir le danger.

    S’il était un simplet qui faisait tout ce que Rachel lui disait, les choses seraient encore gérables, mais l’incompétence d’Elliott était inacceptable. Les gens disaient que, malgré son ineptie, il était exceptionnellement orgueilleux. Si Rachel lui disait de faire ceci ou cela, il s’indignerait forcément et s’opposerait à elle sur tout, et même s’il n’avait aucun talent. En fait, d’après ce que Rachel, et ses agents qui s’étaient infiltrés dans le palais lui avaient dit, ce prince débraillé ne s’entendait pas avec Rachel à cause de sa conduite irréprochable. Lorsque Rachel lui disait de se reprendre, il s’énervait et refusait d’écouter ce qu’elle disait.

    Penser qu’un simple prince puisse défier la jeune demoiselle…

    Sofia ressentit une rage meurtrière pour cet impertinent royal qui aurait dû savoir rester à sa place. Dès que Rachel lui en donnera la permission, elle prévoyait d’arracher un à un les membres de ce prince stupide, sans talent, tricheur, insensé et ordurier.

    Sofia, d’ailleurs, n’avait jamais rencontré Elliott. Son estimation de sa valeur était entièrement basée sur des rumeurs. Et bien qu’elle essayait d’être impartiale, quand quelque chose était au désavantage de sa jeune demoiselle, Sofia avait tendance à perdre la tête, mais seulement un peu. Elle pensait que c’était un de ses petits défauts.

    ***

    Partie 2

    Rachel posa son verre vide et se tourna vers Sofia.

    « Alors, qu’ont-ils l’intention de faire exactement ? »

    « Ils prévoient de te condamner lors de la fête du mois prochain qui ouvre la saison des événements sociaux. Et, après avoir déclaré tes fiançailles nulles et non avenues, la fille du baron prendra ta place. »

    « C’est logique. Seuls les jeunes nobles seront là. Il n’aura pas à s’inquiéter que nos parents ou des politiciens influents interviennent pour l’arrêter. Cela doit être l’idée de George. », pensa Rachel.

    « Tu le penses vraiment ? »

    Rachel haussa les épaules : « Le prince Elliott viendrait juste me le dire le lendemain de sa décision, sans jamais prendre la peine de préparer le terrain. »

    « C’est un sacré idiot », commenta Sofia.

    « On dit que tous ses gènes sont allés exclusivement à son physique, ne laissant rien pour son cerveau. Quoi qu’il en soit, le roi et la reine seront absents, car ils vont inspecter la région minière du sud et tenir une conférence de haut niveau avec les dirigeants d’une principauté. Le moment était bien choisi, du moins pour quelque chose que George a inventé. »

    « Pourrait-il y avoir un autre comploteur… ? »

    « Les autres assistants de Son Altesse comprennent un homme avec des muscles à la place du cerveau, qui ne s’intéresse qu’à compter les calories, et sept ou huit lèche-culs que je n’ai jamais été capable de distinguer. »

    « Même si tu n’étais pas impliquée, cette liste te rendrait inquiète pour l’avenir du royaume. »

    « Ce doit être pour cela que Sa Majesté ne voulait pas qu’il prenne le pouvoir. »

    En se levant du canapé, Rachel laissa son peignoir tomber sur le sol. Les servantes virent que sa peau n’était plus rougie et commencèrent à l’habiller avec des vêtements frais.

    « Maintenant, Sofia, si je suis condamnée à cette fête et que la jeune fille du baron prend ma place en tant que fiancée du prince… que compte faire Son Altesse de moi après cela ? Il a l’intention de me condamner en public, il ne me fera donc pas poignarder quand il n’y a personne ? »

    « Ces enfants pensent que leur plan va fonctionner, je doute qu’ils aient réfléchi aussi loin. Ils ont l’intention de te forcer à admettre que tu as brutalisé la fille du baron et à t’excuser. Puis, au retour de Sa Majesté, ils vous traîneront devant lui et vous feront avouer vos crimes pour que le changement de fiancée se passe en douceur. Cela semble être leur plan. »

    « Laisser à mon père et à Sa Majesté la responsabilité de s’occuper de moi. Attends, ils n’ont donc pas pensé aussi loin ? »

    « Précisément », confirma Sofia.

    Rachel, à présent vêtue d’une simple robe à porter dans la maison, s’était assise sur un tabouret. Les servantes chargées de la maquiller drapèrent un foulard autour de son cou et commencèrent à lui poudrer le visage. Rachel préférait un maquillage léger, aussi n’en utilisaient-elles qu’une petite quantité. Elles avaient rapidement échangé les houppes de poudre contre des pinceaux et commencèrent à appliquer du rouge à lèvres.

    « Il y a environ une semaine entre la fête et le retour de Sa Majesté, non ? Il ne leur est pas venu à l’esprit que même si je m’excusais docilement, je pourrais me rétracter une fois rentrée chez moi ? », demanda Rachel.

    « Je ne peux pas t’imaginer t’excuser si docilement, jeune demoiselle. Mais… ils doivent supposer que s’ils font suffisamment d’efforts pour te dénoncer devant tout le monde à la fête, il n’y aura aucun moyen de revenir sur ce fait. »

    « Tu ne peux pas l’imaginer ? Je te ferai savoir que je suis célèbre à la cour pour être une jeune femme douce et modeste. »

    « Un loup est un loup même s’il ne hurle pas. Je ne peux que rire de la faiblesse de tous les membres de la société distinguée. Ha ha ha ha ha. »

    Se souvenant d’une information qu’elle avait jusqu’ici négligé de dire à sa maîtresse, qui semblait pour une raison quelconque contrariée, Sofia rapporta : « Oh, c’est vrai. Au cas où tu refuserais obstinément d’admettre tes crimes, ils ont l’intention de te jeter dans le donjon jusqu’à ce que tu viennes pleurer auprès d’eux. »

    Rachel la regarda d’un air absent.

    « Le donjon… ? »

    « Oui. Ils ont l’intention de t’enfermer dans le donjon. »

    « Il y en a un dans le palais ? »

    La surprise de Rachel était compréhensible. Quelque chose d’aussi sombre qu’un donjon de palais ne semblait pas à sa place dans ce royaume facile et paisible. Ce n’était pas comme si les nobles ne commettaient jamais de crimes, mais on n’avait jamais entendu parler d’un noble emprisonné à l’intérieur du palais.

    « Je l’ai confirmé par moi-même après avoir reçu cette information. Le bâtiment qui fait face au jardin arrière, qui est utilisé pour le stockage ainsi que pour l’hébergement d’urgence des courtisans, contient une prison à moitié souterraine. Elle semble avoir été construite par le roi il y a sept générations afin qu’il puisse tourmenter les traîtres. »

    C’était une relique de l’époque des conflits sanglants à la cour. En d’autres termes…

    « Cela signifie qu’il date d’environ un siècle, non ? Est-il encore utilisable ? », demanda Rachel.

    « La pièce n’a que des murs de pierre et des barres de fer. Tout l’intérieur a été enlevé, mais il semble que l’eau courante ait été conservée. Ou plutôt, elle fonctionne encore toute seule. En de très rares occasions, un fonctionnaire passe pour vérifier les installations. »

    À ce stade, l’homme chargé de patrouiller dans la zone devait encore jouir d’une vie heureuse et ordinaire.

    « Ils ne doivent pas avoir beaucoup de monde à mettre là-dedans. Je suppose qu’ils doivent avoir beaucoup d’espace supplémentaire dans le château. », remarqua Rachel

    En regardant le rapport que Sofia lui avait remis, Rachel fut choquée par la taille du donjon qui y était esquissé. Si l’on en croit les dimensions, les deux pièces réunies faisaient à peu près la taille d’un court de tennis.

    « Le donjon était destiné à emprisonner les membres importants de la noblesse. Ils ont peut-être été généreux dans leurs estimations de l’espace de vie nécessaire ? », expliqua Sofia

    « Peut-être que les murs et les piliers ont été construits pour se conformer à la forme des étages supérieurs. »

    On ne savait pas trop ce qui avait attiré l’attention de Rachel, mais elle commença à faire les cent pas en fixant le papier. La femme de chambre en charge des accessoires la suivait, essayant de passer le collier autour de son cou.

    Rachel s’était arrêtée. La servante s’était empressée de lui remettre son bijou.

    « Sofia, la fête en question a lieu dans trois semaines ? »

    « En effet. », dit Sofia tout en penchant la tête.

    Elle était sûre que Rachel était sur le point d’écraser les plans du prince des ordures, alors qu’est-ce que cela avait à voir avec le donjon ?

    « Pourrais-tu me montrer le rapport sur les marchandises de la Compagnie du Chat Noir de tout à l’heure ? »

    « Huh ? Oui, jeune maîtresse. »

    Sofia était de moins en moins sûre de ce dont parlait sa maîtresse.

    La Compagnie du Chat Noir était une façade pour les Chats Noirs de la Nuit, un groupe d’agents que Rachel entretenait pour elle-même, séparément de ceux de la maison ducale. Utilisant les affaires liées au commerce intérieur et extérieur comme couverture, la Compagnie du Chat Noir collectait des fonds pour ses activités et maintenait le contact avec un réseau de renseignement qui opérait partout. Bien sûr, même si la compagnie était une façade, Rachel avait construit l’organisation. Ils géraient leurs affaires correctement.

    Rachel regarda la liste des produits récents, s’arrêtant pour parcourir attentivement certaines pages. Elle gardait normalement une expression faciale apathique et prudente, mais elle éclata en un sourire sincère quand elle déclara : « C’est bon… »

    « Hein ? Qu’est-ce que… ? »

    « Sofia. »

    « Oui, jeune demoiselle. »

    « Si mes fiançailles prennent fin à la fête, alors je ne serai plus la prochaine reine ? »

    « Oui, c’est vrai, mais… Je ne vois pas Sa Majesté l’accepter. Je n’ai jamais rencontré l’homme moi-même, mais il ne peut pas être aussi stupide que son fils. »

    C’était un sérieux crime de lèse-majesté là, Mlle Sofia, pensa Rachel. Non pas que cela la dérange.

    « Ce n’est pas un problème. Il ne sera après tout pas à la fête. », répondit Rachel.

    Non, il n’y aura personne pour arrêter le Prince Elliott.

    « Quand il rompra nos fiançailles à la fête, je démentirai ses accusations. »

    Sofia hocha la tête.

    « Bien… »

    « Ensuite, je vais l’obliger à me jeter dans le donjon. »

    « Tu vas “l’obliger à”… ? »

    Rachel brandit le manifeste des marchandises et déclara fièrement : « Je pars en vacances pour une durée indéterminée ! »

    Sofia et les servantes étaient toujours en parfaite synchronisation avec Rachel, mais toutes s’étaient figées. Sofia fut la première à reprendre suffisamment ses esprits pour parler.

    « Jeune demoiselle, je ne suis pas sûre de ce que tu veux dire par là. »

    « Oh, mon Dieu, Sofia. Si même toi tu ne comprends pas, alors personne ne peut. »

    « Oui, tu peux en être certaine. »

    Rachel fit gaiement glisser son doigt sur la liste.

    « Une fois que mes fiançailles avec Son Altesse seront terminées, je ne serai plus sa fiancée. Tu me suis jusque-là ? »

    « Oui. »

    Comme Sofia et les autres servantes avaient hoché la tête, Rachel continua.

    « Cela signifie que je ne serai plus la prochaine reine. Je ne serai donc plus obligée de suivre les leçons pour le devenir. »

    « Oui, je suppose que c’est vrai », avait convenu Sofia.

    « Par conséquent, j’aurai du temps libre. »

    « C’est effectivement logique. »

    Les servantes s’étaient regardées, sentant quelque chose de mauvais augure.

    « Alors ! Je pense que je vais utiliser tout le temps que je n’ai pas eu à cause de ces leçons pour me la couler douce et m’adonner à mes hobbies ! »

    « Je comprends maintenant ton raisonnement », reconnut Sofia.

    « Qu’est-ce que tu veux dire par mon “raisonnement” ? », demanda Rachel en gonflant ses joues.

    Au nom des servantes, Sofia commença à travailler sur la logique de Rachel.

    « Je comprends que tu veuilles utiliser le temps libre généré par la rupture de tes fiançailles pour prendre des vacances. »

    « Oui », confirma Rachel.

    « Cependant, je ne vois pas le rapport entre cela et le donjon. Ne pourrais-tu pas simplement suivre le cours des choses, puis te dépêcher de retourner au manoir et de partir dans un endroit plus pittoresque ? »

    « Mais non, Sofia, ça ne va pas le faire. »

    Rachel donna une légère tape sur le front de Sofia, comme on le ferait à un enfant qui avait eu une mauvaise note.

    « Si je ne mets pas tout en œuvre pour tenter de m’échapper, ces vieilles sorcières dégoûtantes vont me ramener ici en un rien de temps. »

    Sofia, qui était restée sans voix, s’était maintenant reprise.

    « En résumé, ton objectif est d’utiliser l’emprisonnement comme une excuse pour échapper aux leçons de la duchesse Somerset et de tes autres tutrices ? »

    « Oui !!! »

    Rachel leva les deux bras en l’air et tourna sur elle-même. Elle semblait absolument ravie.

    « N’est-ce pas génial ? Non seulement mes fiançailles avec cet ignorant seront annulées, et c’est lui qui en sera responsable, mais je vais aussi pouvoir échapper à la duchesse Somerset et aux sorcières pour des vacances où je n’aurai rien à faire ! C’est merveilleux ! »

    Malheureusement pour Rachel, qui était tout à fait heureuse de son plan, il y avait un trou dans celui-ci.

    Sofia secoua la tête.

    « Jeune maîtresse, quand Sa Majesté reviendra, les bêtises de ce prince pouilleux seront toutes balayées. Mais même avant cela, il est impossible qu’un bon à rien comme Sa Majesté puisse tenir tête à la duchesse Somerset et aux autres dames de la cour, non ? »

    « Sofia, tu ne devrais vraiment pas parler de Sa Majesté comme ça en public, d’accord ? », réprimanda Rachel.

    Ignorant le coup de Rachel, Sofia continua : « Ce que je dis, c’est que même si on te jette en prison, on t’en sortira le lendemain. »

    Cela n’avait rien changé au sourire de Rachel.

    « Eh bien, je vais donc juste devoir m’assurer qu’ils ne peuvent pas me sortir de là. »

    « Pardon ?! »

    Il n’y avait aucune incertitude dans les yeux de Rachel alors qu’elle expliquait : « Je dois juste verrouiller la prison de l’intérieur. »

    « De l’intérieur ? »

    « C’est ça. »

    Est-ce que c’était encore une prison si le verrou était à l’intérieur ?

    « Maintenant que c’est réglé, il est temps de se préparer pour des vacances amusantes ! »

    « Des vacances… amusantes… ? », marmonna Sofia.

    Il semblerait que Rachel avait une idée différente de ce qu’était la prison par rapport à la plupart des gens.

    « Maintenant, si nous supposons que je serai là pendant trois mois, j’aurai besoin de conserves et d’autres choses pour tenir tout ce temps. Il y existe maintenant de différents types de conserves. Demandons à la Compagnie du Chat Noir de me trouver de bonnes choses ! Nous nous préparerons en apportant des choses petit à petit pour ne pas alerter le gardien de prison, et nous nettoierons la cellule. Nous devrons aussi chercher des moyens de rester en contact et d’échapper à la sécurité du palais ! Et comme elle est à l’intérieur, je n’aurai pas besoin de tente, mais que dois-je faire pour la literie ? Oh, on a si peu de temps, et tant de choses à préparer ! »

    Le cœur de Rachel battait la chamade, comme si elle se préparait pour un voyage en camping. Sofia et les autres servantes s’étaient regardées, voyant à quel point leur maîtresse s’amusait. Mais quand elles avaient réalisé que Rachel était sérieuse, elles avaient toutes incliné la tête à l’unisson.

    « Compris », déclara Sofia.

    Pour Sofia et les autres servantes, Rachel passait toujours en premier. En ce qui les concernait, tout ce que la jeune maîtresse décidait, même si c’était en décalage avec le monde qui l’entourait, était juste. Si elle devait fuir la dure réalité de ses leçons de future reine, tant qu’elle s’amusait, cela leur suffisait.

    « Dans ce cas, jeune demoiselle, comme le donjon est souterrain, nous devrons préparer un grand nombre de lampes et un peu de répulsif pour les insectes. »

    « Je pense également que tu devrais apporter plus que la quantité minimale de nourriture. Tu voudras aussi des bonbons et du thé, non ? »

    « Si tu ne peux pas te promener, alors tu devras apporter des romans et des recueils de poésie. »

    « Oh, mon Dieu. Vous vous y mettez toutes aussi ! », s’exclama Rachel.

    Aucune d’entre elles n’avait essayé d’arrêter Rachel alors que son plan de vacances amusant était en marche.

    *****

    Dans la salle à manger…

    « Hé, mais que peut donc faire Rachel ? Ça fait déjà quatre heures qu’elle est rentrée », demanda le duc.

    « Elle a dit que ça ne faisait que deux heures… »

    « J’ai faim », grommela le duc.

    ***

    Partie 2 : Une nouvelle vie excitante

    Chapitre 7 : La jeune demoiselle se délecte de délices gastronomiques

    Elliott fut fidèle à sa parole, il fit en sorte qu’aucune nourriture ne soit apportée à Rachel.

    Il l’avait fait en partie parce qu’il était frustré qu’elle l’ait menacé avec une arme alors qu’il pensait avoir le dessus. Mais se venger n’était pas son but principal. Il avait décidé d’en faire une guerre d’usure. Il pensait que si Rachel était affaiblie par la faim, elle se soumettrait et s’inclinerait devant lui. Donc au lieu de lui donner la nourriture, le gardien de prison mangerait ses repas devant elle. Le plan était d’agiter sa faim en mangeant avec dépit chaque plat et en faisant comme si c’était délicieux.

    Peu importe à quel point Rachel semblait calme, elle devait s’attendre à être nourrie. Mais maintenant, alors qu’elle pensait avoir gagné, elle allait être frappée par la terreur de la famine. Elliott était convaincu que cela lui servirait de leçon.

    *****

    Le gardien de prison était assis à une table devant les barreaux de la cellule, exposant chaque élément de nourriture qu’il avait apporté avant de le manger.

    « Oh, bonté divine ! Ce pain noir que vous, les nobles, avez le droit de manger a vraiment un goût différent ! Il est doux sur la langue, et encore si frais qu’il n’a pas non plus cette odeur aigre ! C’est si bon ! »

    Le menu était plutôt horrible, et le garde expliquait tout cela d’un ton monotone, il n’aurait jamais pu être critique gastronomique. Le repas n’avait pas du tout l’air appétissant, mais plutôt légèrement meilleur que l’horrible bouillie qu’il avait l’habitude de recevoir. Pourtant, cela semblait avoir un effet sur la jeune femme dans la cellule, car elle gémissait de faim.

    « Je suis contente d’avoir apporté des flocons d’avoine, mais le lait en poudre n’a pas le même goût. Cependant, les raisins secs l’aident un peu. », déclara Rachel.

    « C’est du blanc de poulet grillé en sauce ! Même froid, le goût s’est bien imprégné, oui, c’est vrai. Oh, mon Dieu, quand je pense qu’ils donnent ça aux prisonniers. Ça semble un peu trop généreux. », répliqua le garde.

    « Quant à mon canard rôti, bien que le goût se soit bien imprégné, il est resté si longtemps dans sa sauce que la viande est devenue dure. Eh bien, je suppose que les conserves ont leurs limites. »

    « Et c’est livré avec le dessert ! Quelle audace ! Oh, oui, le goût légèrement acide de cette orange est trop bon pour être décrit ! »

    « Ces pêches au sirop sont très bonnes. Elles ne sont pas comme les fraîches, mais elles ont une douceur excessive qui les rend tout à fait différentes. »

    Rachel, qui avait mangé ses conserves à une table ronde pliable, souriait en croisant le regard du garde. Il l’observait silencieusement maintenant.

    « Je le savais. Les aliments conservés n’ont tout simplement pas le même goût. Tu sembles avoir apprécié ton repas, Monsieur le garde, alors je suis un peu jalouse. »

    « Ha ! Ha ! Ha ! Prenez ça ! Si vous êtes jalouse, alors dépêchez-vous de vous excuser auprès du prince ! Oh… Bon sang ! »

    Le garde renversa sa table d’un coup de pied, le plateau métallique et les plats s’entrechoquèrent sur le sol en pierre.

    « Ne dites pas ça quand vous ne le pensez pas ! », cria-t-il, les larmes aux yeux.

    « Et bien… Tu t’efforçais tellement à rendre cette nourriture délicieuse que j’essayais simplement d’être courtoise en jouant le jeu. »

    « C’est ça le problème avec vous, les nobles ! Vous êtes doués pour prendre les gens à rebrousse-poil, à défaut d’autre chose, hein ?! »

    « Sais-tu quel sera le menu du déjeuner, M. le Garde ? Il faut que je choisisse quelque chose qui corresponde au vôtre. »

    « Ne vous en donnez pas la peine ! Si le harcèlement ne marche pas, pourquoi ne pas le dire !? Ce n’est pas la peine de me harceler en retour ! »

    « Ciel, non ! En tant que membre de la noblesse, je dois me battre à armes égales. »

    « Ne m’entraînez pas dans le genre de combat où vous prétendez vous battre à armes égales, pour ensuite me donner un coup par-derrière… »

    « N’est-ce pas ton travail ? »

    Le garde était de plus en plus frustré, rien de ce qu’il disait ne semblait lui passer sous le nez. Il avait pointé un doigt furieux vers elle et avait crié : « Écoutez ! Ne croyez pas que vous allez vous en tirer comme ça, d’accord ?! »

    « Oh, comme c’est effrayant. »

    « Les conserves que vous avez apportées finiront par s’épuiser ! Ne vous attendez pas à ce que le prince vous pardonne si vous attendez jusque-là pour baisser la tête et vous excuser ! »

    Alors même qu’il criait cela, le regard du gardien de prison était attiré par les montagnes de caisses en bois empilées à l’intérieur de la prison.

    Combien de mois pourrait-elle tenir ?

    *****

    Une fois que le garde fit son rapport au prince, le repas tape-à-l’œil fut annulé.

    « Merde ! Merde ! Meeeerde ! », hurla le beau prince dans ce genre d’exhibition honteuse que personne ne devrait jamais voir.

    Souhaitant être ailleurs, Sykes, le fils du capitaine de la garde, et George, le fils aîné du duc, observaient en silence cette scène embarrassante. Il y avait aussi quelques serviteurs, debout près du mur, espérant passer inaperçu.

    Peu importe de quelle manière vous le prenez, Rachel semblait avoir le dessus.

    Le prince Elliott était en train de piquer une colère parce qu’il ne pouvait pas suivre les réactions incroyables de Rachel. Il croyait pleinement en ses compétences, mais Rachel le frappait de toutes parts avec des moyens qu’il n’aurait jamais imaginés. Si elle avait fait une grève de la faim, ce serait une chose, mais penser qu’elle avait de telles réserves que tenté de l’affamer était totalement inefficace. Cela défiait tout bon sens.

    « Maudite Rachel ! Non seulement elle ne pleure pas de faim, mais elle assaisonne ses repas de vengeance ! »

    « Le gardien dit qu’elle a la possibilité de faire correspondre son menu au sien », admit Sykes.

    « Vous ne pouvez pas lui couper l’eau ?! Elle n’agira sûrement pas avec autant de désinvolture si elle n’a pas d’eau ! », protesta le prince Elliott.

    « Nous aurions besoin de détruire la plomberie pour le faire. Et si quelque chose se passait mal, nous pourrions finir par couper l’eau à la moitié du palais. »

    « Maudite soit-elle ! », s’emporta le prince.

    Il n’appréciait vraiment pas trop le fait d’être contré d’emblée.

    « Que feras-tu ? », demanda Sykes.

    « Je n’en ai plus rien à faire ! Il suffit de patrouiller de temps en temps ! Si on lui donne trop d’attention, ça ne fera que l’amuser ! », cracha Elliott.

    Le prince réfléchit pour une fois, pensa George… mais il n’osa pas le dire à voix haute.

    Elliott se tourna vers George, une veine se gonflant sur sa tempe.

    « Ne peux-tu pas garder la Maison des Ferguson sous contrôle, George ?! »

    George tressaillit lorsque la colère du prince se dirigea vers lui. Il l’avait prédit, bien sûr, après la façon dont sa sœur avait vexé le prince.

    « Il n’y a rien que je puisse faire pour les fournitures qu’elle a déjà apportées. Cependant, peu importe ce que dit père, je ne permettrai pas à notre maison de lui prêter plus d’assistance. »

    « Bien. La raison pour laquelle Rachel a pu se préparer autant est que ta famille a beaucoup d’argent et de main-d’œuvre. Quand elle apprendra qu’ils se sont retournés contre elle avec toi aux commandes, ça lui brisera le moral. Fais-le. »

    « Oui, Votre Altesse ! »

    Aucun d’eux ne se doutait que Rachel avait tout fait en utilisant ses propres pions, sans s’appuyer le moins du monde sur sa maison.

    Il y avait encore une chose que ni Elliott ni George n’auraient imaginée : le duc et la duchesse avaient déjà renoncé à leur fils aîné.

    *****

    Quelques jours plus tard, alors que le gardien de la prison patrouillait dans l’après-midi, Rachel l’interpella de manière étonnante de l’intérieur de sa cellule.

    « Monsieur le gardien… »

    « Oh ? Quoi ? Votre tête s’est-elle un peu refroidie ? »

    « Je pense que c’est Son Altesse qui a besoin de se rafraîchir la tête. »

    « Quoi ? »

    Le garde regarda Rachel, qui ne semblait pas affectée par tout ça. Elle ouvrit une boîte de quelque chose qui sentait bon et en mangea une cuillerée. Son dessert, apparemment.

    « Ne devrais-tu pas prendre trois repas par jour ici, M. le garde ? », avait-elle demandé.

    « Oh, ça. Cela a été annulé. Ça ne vous faisait pas de mal, et ça nous faisait passer pour des idiots. »

    « Tu vois, c’est justement ça le problème. »

    Rachel pencha adorablement la tête, un regard troublé sur son visage.

    « Rien de tout cela n’est aussi bon sans compagnie. »

    « Oho, c’est mignon ce que vous dites étant donné que vous êtes insolente par ailleurs. »

    « J’ai réalisé que lorsque je ne peux pas te voir hurler à l’agonie, je ne suis pas capable de savourer tout ça avec le goût de la victoire. »

    « Taisez-vous ! Lisez juste vos livres ou autres choses ! »

    « Oui, c’est ça le truc ! »

    « Voulez-vous bien arrêter de parler ?! »

    ***

    Chapitre 8 : La jeune demoiselle passe la journée au ralenti

    « Ungh… »

    Rachel s’était réveillée avec le soleil matinal qui éclairait son visage. Assise sur son confortable canapé rembourré, qui aurait même pu entraîner un sage dans une vie de paresse, elle se frotta les yeux du dos de la main. Elle n’en était pas fière, mais elle n’était pas vraiment une personne matinale. De plus, elle avait été tellement absorbée par son roman qu’elle n’avait pas pu résister à l’envie de se coucher tard la veille.

    « Ce n’est pas bon. Je ne peux pas me lever. »

    Et ce n’était pas comme si elle avait quelque chose à faire. Rachel s’était allongée sur le canapé, s’était tournée vers l’ombre et s’était rapidement endormie profondément.

    *****

    Elliott s’était réveillé avec quelqu’un qui lui arracha les couvertures.

    « Qu-Qu’est-ce que tu fais ?! », cria-t-il au coupable.

    Il leva les yeux pour voir Sykes qui se tenait là, tenant la couverture et ayant l’air honteux.

    « Votre Altesse, il est plus que temps de te réveiller », lui dit Sykes.

    « Quand même, n’était-ce pas un peu soudain ? ! Il doit y avoir un meilleur moyen ! »

    « Eh bien, tu vois… »

    Elliott suivit le regard de Sykes et vit la femme de chambre principale et plusieurs autres femmes de chambre qui se tenaient là.

    « Oh… »

    Elliott réalisa que les servantes avaient forcé le passage devant Sykes. S’il les ignorait, il serait confronté à la voix stridente de la servante en chef, et les servantes nettoieraient la zone immédiatement autour de lui juste pour le harceler.

    Une fois qu’Elliott comprit que se rendormir n’était pas une option, il se glissa lentement hors du lit.

    *****

    Ayant dormi jusqu’à près de midi, Rachel s’était fait couler un thé pour refaire le plein d’énergie, puis commença à fouiller dans un certain nombre de boîtes.

    « Que vais-je avoir pour le brunch aujourd’hui ? »

    En regardant les boîtes, triées par type, Rachel marmonnait des choses comme « J’ai mangé du poisson hier », alors qu’elle pesait ses options. Eh bien, ce n’était pas comme s’il y avait beaucoup de variétés. Elle ne mangeait pas beaucoup en prison, peut-être à cause du manque d’exercice, alors elle faisait très attention à son menu. En fait, elle avait trop de temps à sa disposition, alors elle faisait trop attention à ses choix.

    « C’est intéressant de choisir un menu pour moi-même », remarqua Rachel bien qu’elle n’ait pas eu à préparer la nourriture.

    *****

    Elliott s’était beaucoup dispersé la veille, il était donc surveillé de près aujourd’hui pendant le travail.

    « Hé, n’est-ce pas un peu exagéré de me suivre aux toilettes comme ça ? », s’était plaint Elliott.

    Le bureaucrate au visage sévère secoua la tête.

    « Vous nous avez dit hier que vous alliez “aux toilettes”, et puis vous vous êtes enfui et n’êtes pas revenu dans votre chambre avant la nuit. »

    « Eh bien, euh, oui, vous voyez… Les toilettes étaient toutes occupées, alors j’ai dû aller ailleurs. »

    « Vos toilettes personnelles étaient-elles occupées, Votre Altesse ? »

    *****

    Quand Elliott revint des toilettes, des fonctionnaires de tous les départements gardaient les portes et les fenêtres, documents en main.

    « Allons, Votre Altesse, vous êtes déjà en retard sur les approbations que vous devez signer ce matin. Vous n’avez pas le temps de déjeuner au réfectoire, alors j’ai apporté des sandwichs. »

    « Vous voulez que je travaille sans pause ?! »

    « Vous avez fait assez de pauses hier, hein ? »

    *****

    Rachel en avait assez de lire, elle était donc passée au tricot.

    « Hmm, je suis heureuse de tricoter… mais qu’est-ce que je devrais faire ? »

    Rachel avait un large éventail de compétences, mais aucune idée de ce qu’elle voulait faire.

    « Maintenant que j’y pense, est-ce vraiment la saison pour faire des choses avec de la laine ? »

    Elle ne s’était rendu compte de ce fait choquant qu’après avoir tout préparé.

    « Eh bien, sur cette note, je pense que je vais tricoter un cache-nez à George. »

    *****

    Elliott était enterré sous une montagne de paperasse.

    « Votre Altesse, as-tu fait des progrès ? », demanda George avec hésitation.

    Elliott laissa échapper un gémissement exaspéré.

    « Je n’en ai aucune idée. Combien de ces documents sont terminés ? »

    Se tournant vers le secrétaire assis à côté de lui, qui lui remettait document après document, Elliott demanda : « Hé, combien de temps cela va-t-il encore prendre ? »

    Le bureaucrate ajusta ses lunettes et, sans changer d’expression, il déclara : « Votre Altesse, gardez cette question pour le moment où nous aurons atteint la moitié du chemin. »

    *****

    Rachel posa ses aiguilles à tricoter et rétrécit ses yeux avec bonheur.

    « J’adore le confort de tout ça », murmura-t-elle tout en profitant de la lumière de l’après-midi et de la légère brise.

    Ce n’était cependant pas le moment de tricoter.

    « Au fait, c’est le temps parfait pour une sieste d’après-midi ! »

    Alors qu’elle avait fini de disposer les coussins et qu’elle s’apprêtait à se couvrir d’une couverture, elle eut une révélation.

    « Attendez une seconde… Un dernier verre avant une sieste ne serait-il pas la meilleure chose qui soit ?! »

    Elle ouvrit précipitamment une boîte et déboucha une bouteille de vin de prune.

    « Je vais en prendre juste un peu… Oui, juste un peu. »

    Rachel se versa un verre assez grand. Le soulevant avec une satisfaction évidente, elle sirota doucement le liquide rose, savourant le goût de l’alcool doux et moelleux.

    *****

    Lassé de ce travail de bureau interminable, Elliott piqua une colère et sortit.

    « Honnêtement, rester enfermé à l’intérieur, à faire de la paperasse, par une belle journée comme celle-ci ? À quoi pensent ces bureaucrates ? »

    Elliott continua à grommeler en entrant dans la cour. Derrière lui, George et Sykes se regardèrent.

    « Tu dis ça, mais le temps n’affecte pas le travail de bureau », remarqua George.

    « Nous, les chevaliers, sommes aussi souvent obligés de travailler par mauvais temps », ajouta Sykes.

    « Imbéciles ! Ce raisonnement s’applique aux adultes ! Je ne suis encore qu’un mineur, en phase d’apprentissage, vous vous en souvenez ? Le programme scolaire devrait le refléter. »

    « Bien sûr… »

    Sykes était d’accord.

    « Garder un mineur enfermé comme ça est contraire aux lois sur le travail des enfants ! », continua Elliott.

    « Le travail… ? », se demanda George à voix haute.

    Ignorant ses assistants peu convaincus pour le moment, Elliott essaya de passer à la vitesse supérieure et de réfléchir à ce qu’il fallait faire après ça.

    « Maintenant, je pense que je vais tuer le temps avec une promenade dans le jardin. »

    Peut-être que Margaret arrivera juste au bon moment, pensa Elliott tout en se dirigeant vers le jardin, mais il tomba sur son opposé polaire. Une bande d’hommes en sueur l’attendait, le second du capitaine de la garde ainsi que quelques chevaliers en tenue d’entraînement.

    « Nous vous attendions. Maintenant, nous allons sur le terrain d’entraînement ! », dit le commandant en second.

    « Hein ? De quoi parlez-vous ? », demanda Elliott.

    Il n’arrivait pas à comprendre la situation.

    Sykes gonfla sa poitrine et expliqua fièrement : « Tu disais que tu ne pouvais pas supporter de rester enfermé à l’intérieur par une belle journée comme celle-ci, alors je me suis arrangé pour que tu te joignes à l’entraînement d’escrime des chevaliers ! »

    « Est-ce pour ça que les bureaucrates me laissent partir si facilement ?! Non, écoute, ce n’est pas ce que je voulais dire ! »

    Le commandant en second le félicita : « C’est admirable de votre part de vous porter volontaire pour vous entraîner avec nous de votre propre initiative, votre Altesse ! »

    « Venez, nous avons déjà tout préparé pour vous ! », l’encouragea un autre chevalier.

    « Non, attendez », protesta Elliott, mais les chevaliers « ayant des muscles pour cerveaux » l’entraînèrent.

    *****

    Lorsque Rachel se réveilla de sa sieste, dont personne ne s’était plaint ni ne l’avait harcelée, le rouge persistant du soleil couchant était en train de disparaître. Elle s’était empressée d’allumer sa lampe, ramenant la lumière dans la pièce avant que l’obscurité totale ne l’avale.

    « J’ai trop dormi… »

    Même Rachel avait dû réfléchir un peu à ses actions.

    « Si mon sommeil avait été un peu plus profond, j’aurais pu dormir jusqu’au matin. »

    Ok, non, oublie ça. Elle n’avait rien appris du tout.

    « Eh bien, ce qui est fait est fait. Je pense que je vais manger un peu. »

    Après avoir réfléchi, Rachel sortit une boîte de conserve particulièrement grande. Le plat principal de ce soir était du poisson blanc bouilli dans de l’huile à l’ail. Elle ouvrit la boîte et prépara sa lampe à alcool. Puis elle éplucha habilement, du moins selon les normes des jeunes femmes aisées, quelques pommes de terre qu’elle avait apportées et les coupa en fines tranches. Retirant le poisson de sa boîte, elle déposa les pommes de terre au fond, puis remit le poisson sur le dessus.

    « Hee hee, ma cuisine s’est beaucoup améliorée ! Quand je fais comme ça, les pommes de terre absorbent l’huile et ont encore meilleur goût ! Ah, si seulement je pouvais partager ça, la découverte du millénaire, avec toute l’humanité. »

    Non, l’humanité n’avait pas besoin de cette jeune femme protégée pour leur enseigner. C’était déjà une technique largement connue. Rachel, cependant, ne le savait pas.

    Rachel vérifiait de temps en temps l’état d’ébullition de la boîte, fredonnant pour elle-même en choisissant un vin qui se marierait bien avec le repas d’aujourd’hui. Une fois la cuisson terminée, elle souffla délicatement sur le poisson et les pommes de terre chaudes, puis les porta à sa bouche. Le goût était exactement comme elle l’avait espéré. « Mmm ! » s’exclame-t-elle en se tordant d’extase sans mot dire.

    « Oh, quand je pense que j’ai appris à préparer un tel plat par moi-même. Je fais des progrès si rapides. Cette vie de prisonnier solitaire était vraiment le bon choix. »

    Avec la saveur de la nourriture encore dans sa bouche, elle prit une rapide gorgée de vin blanc.

    « Faire descendre le poisson et l’ail avec un vin blanc pur est incroyable ! »

    Rachel semblait satisfaite de sa propre cuisine. Elle ne pouvait choisir son propre menu et cuisiner, mais était-ce vraiment cuisiner ? que parce qu’elle vivait seule dans la prison. Elle avait presque envie de remercier ce prince débile de l’avoir mise là.

    Rachel pressa ses index sur ses joues blanches comme neige, qui étaient maintenant un peu rouges, et laissa échapper un soupir de détente.

    « De la bonne nourriture, de la bonne boisson, et un lit matelassé sur lequel on peut retomber dès que l’alcool fait effet ! C’est parfait ! »

    Elle savoura son festin alors qu’elle progressait rapidement dans une mauvaise direction.

    *****

    Ils n’étaient pas suffisamment cruels au point de faire travailler Elliott pendant qu’il dînait. Une petite salle à manger, qui, bien qu’elle soit appelée salle, n’avait qu’une table pouvant accueillir une dizaine de personnes, avait été préparée pour lui près de sa chambre.

    Tout le corps d’Elliott était endolori alors qu’il se dirigeait en titubant vers le bout de la table.

    « Aujourd’hui a été un désastre… », se plaint-il, l’air découragé.

    « Tu as fait des progrès relativement décents sur l’estampillage de tous ces documents. Bon travail, Votre Altesse », dit George, en essayant de lui remonter le moral.

    Sykes tenta de faire de même, en disant : « Le vice-capitaine a dit que tu avais fait un effort raisonnable, Votre Altesse ! »

    « Oh, je vois… »

    Elliott ramassa sa cuillère alors que le premier plat, un potage aux petits pois, était servi.

    « Ils ne diront donc pas que je me suis bien débrouillé. », marmonna-t-il.

    Et comme ses deux associés ne savaient pas mentir, ils n’avaient maladroitement rien dit. La table était devenue silencieuse, et seul le bruit d’Elliott en train de boire bruyamment résonna sans âme dans la pièce.

    « Mais oui, je veux voir Margaret ! Quand je me sens déprimé comme ça, sa joie inépuisable est exactement ce dont j’ai besoin ! George, Margaret ne viendra pas aujourd’hui ?! », dit Elliott en levant les yeux au ciel pour finir sa soupe

    Le soleil était presque couché. Que croyait dire le prince ? George et Sykes se regardèrent avec surprise tandis qu’Elliott se mit à se languir bruyamment de la fille qu’il aimait « au point de vouloir s’arracher les cheveux. »

    « Votre Altesse, de quoi parles-tu ? », demanda George.

    « Il doit être épuisé après avoir fait toutes ces choses auxquelles il n’est pas habitué », suggéra Sykes.

    « Vous deux, pourquoi cette réaction ? »

    George et Sykes échangèrent un autre regard. Non seulement c’était déjà le soir, mais il y avait une autre raison pour laquelle ils étaient confus.

    « Je veux dire, tu sais… », commença George.

    « Non ? », termina Sykes.

    « Savoir quoi ?! »

    George ajusta ses lunettes avec son majeur, une expression dubitative sur le visage.

    « Margaret est absente aujourd’hui et demain pour un voyage familial. Tu disais hier qu’elle te manquait tellement que tu pouvais en mourir, tu t’en souviens ? »

    « Maman a dit qu’elle voulait le voir, alors nous allons à la chute d’eau à Coldwall ! Hee hee, je vais assurément ramener des souvenirs pour vous aussi, Votre Altesse ! »

    C’était ce que lui avait dit la souriante fille rousse aux nattes.

    « Tu nous disais justement ça hier !? », insista Sykes.

    « De quoi parles-tu maintenant ?! », insista George.

    Elliott laissa tomber son couteau et sa fourchette.

    « Ce n’est pas bon. Je ne pense pas que je puisse continuer à vivre. Si je n’ai pas le sourire de Margaret en ce moment, je vais mourir. »

    « Après seulement deux jours sans la voir ?! Tu es bien trop dépendant d’elle, Votre Altesse ! », s’exclama George.

    « Hé, Votre Altesse ? Est-ce que ça va s’éterniser ? Ça te dérange si je vais manger ? », demanda Sykes.

    « Je ne l’ai pas vue depuis deux jours entiers, ok ?! J’ai l’impression que ça fait deux ans ! »

    « Même si ça ressemble à deux ans, ça ne fait que deux jours en fait ! Elle ira très bien quand tu la reverras après-demain ! », déclara George.

    Lorsque George tenta de le corriger, Elliott s’emporta encore plus.

    « Après-demain ?! Je ne peux pas la voir avant après-demain ? Les bureaucrates m’auront tué avec la paperasse d’ici là ! »

    George soupire et dit : « Laisse-moi être clair. Sa Majesté et les autres membres de la famille royale font cela tous les jours ! »

    « Margareeeet ! »

    « Son Altesse s’est cassée ?! Hey, Sykes, veux-tu bien arrêter de te goinfrer et m’aider à le tenir ?! »

    « Puis-je finir de manger d’abord ? »

    « Maintenant ! »

    Cette idiotie continua jusqu’à ce que la dame d’honneur apparaisse pour leur crier dessus.

    *****

    Rachel ferma son livre, satisfaite de sa fin tordue.

    « Alors c’est comme ça que ça se passe, hein ? Oui, je suis vraiment contente d’avoir lu jusqu’au bout. J’ai failli passer une mauvaise nuit de sommeil en m’inquiétant de la façon dont ils allaient conclure. »

    Rachel baissa la lumière de sa lampe. La fin merveilleuse du livre la rendait euphorique.

    « C’est vraiment agréable de pouvoir lire tard dans la nuit sans que la femme de chambre me crie dessus. Si je suis encore fatiguée au moment où je me réveille demain matin, je pense que je ferais encore la grasse matinée jusqu’à midi. »

    Ce n’était pas comme si Rachel ne voulait plus jamais se promener dans les jardins. Mais n’était-il pas bon pour elle d’apprécier ce temps où elle pouvait lire à sa guise, prendre le thé quand elle le voulait, et s’essayer à quelques tâches ménagères quand l’envie lui en prenait ?

    Pour être tout à fait franches, les jeunes femmes aisées comme elle se déplaçaient partout en calèche. Elle n’avait pas besoin de faire de l’exercice. D’ailleurs, elle était déjà une renfermée en puissance qui se promenait rarement dans les jardins de sa propre maison. C’était une fille égoïste qui, au fond, voulait toujours faire passer son confort en premier. Ainsi, tant qu’elle pouvait se changer elle-même, elle ne se sentait pas du tout gênée d’être confinée dans une seule pièce.

    « Mes leçons royales étaient trop douloureuses à supporter, mais si je les considère comme un prélude à cette vie lente, idéale, peut-être n’étaient-elles pas si mauvaises. »

    En profitant des jours de repos qu’elle s’était gagnés après tant de souffrances, Rachel s’était endormie en pensant que, oui, la vie était meilleure derrière les barreaux et qu’elle avait eu raison de les laisser la jeter ici.

    *****

    Après avoir été forcé à entrer dans sa chambre, Elliott ouvrit tranquillement sa fenêtre. Un vent frais soufflait depuis la cour sombre, effleurant ses joues.

    « Ok… »

    Alors qu’il cherchait ses chaussures d’extérieur, un des chevaliers de garde l’appela de l’extérieur.

    « Votre Altesse. »

    « Quoi ? »

    « Les chevaliers ont tous entendu dire que la jeune Mlle Poisson est en voyage et que Votre Altesse présente des symptômes de manque. Nous allons surveiller de près les chevaux et les carrosses, d’accord ? »

    « Je vois… Continuez donc à faire du bon travail. »

    « Oui, Votre Altesse. »

    Elliott ferma la fenêtre, les rideaux, et se glissa dans son lit.

    ***

    Chapitre 9 : Le prince apprend ce que la jeune demoiselle pense

    Prenant la bouilloire cliquetante sur la flamme, Rachel versa rapidement l’eau chaude dans une théière déjà préparée avec les feuilles de thé à l’intérieur. Puis elle retourna un sablier, recouvrit la théière d’un couvre-théière et regarda les boîtes en bois.

    « Dois-je prendre des biscuits, ou un gâteau sec ? Telle est la question. »

    Rachel se toucha la lèvre inférieure en réfléchissant, et alors qu’elle le faisait… les yeux froids du prince Elliott plantèrent des poignards dans le côté de son joli visage.

    « Rachel, est-ce vraiment le problème ici ?! », claqua Elliott.

    « Mon dieu, Votre Altesse ! Le thé est déjà en train d’infuser. Y a-t-il un problème auquel je pourrais donner plus de priorité ? »

    Elliott était venu à la prison pour la première fois depuis plusieurs jours afin de voir si Rachel avait un peu refroidi sa tête, mais il fut accueilli par la vue de celle-ci se préparant élégamment pour l’heure du thé.

    Elle n’a manifestement pas appris sa leçon, pensa-t-il.

    « Tu ne vas tout de même pas me dire qu’il n’y en a pas ? », se moqua Elliott.

    Rachel avait dû y réfléchir. Et après y avoir réfléchi, elle tapa dans ses mains.

    « Oh ! Comme le fait que je n’ai pas encore choisi une tasse ? »

    « Tu crois que je suis concernée par une chose aussi triviale que ça ?! »

    « Oh, bonté divine. Le sablier s’est épuisé pendant que je réfléchissais. »

    « Ne te désintéresse pas des questions de ton prince ! Écoute-moi, veux-tu ?! »

    Ignorant le prince qui criait avec colère, Rachel sourit au parfum qui chatouillait ses narines et mit un gâteau et du thé en même temps dans sa bouche. Le gâteau au brandy rempli de fruits secs était délicieux, et elle le fit descendre avec une autre gorgée de thé.

    « Oui, je crois que les “noix et baies” du restaurant Lion se marient parfaitement avec le thé. C’était le choix parfait. »

    La rage d’Elliott était aussi bouillante que du magma.

    « Hé, si tu es satisfaite, alors regarde par ici. Combien de temps as-tu l’intention d’ignorer ton prince ? »

    Rachel le regarda d’un air absent, sa fourchette toujours dans la bouche. Une fois qu’elle avala sa bouchée de gâteau, elle arqua ses beaux sourcils et, en dirigeant sa fourchette vers Elliott, dit :

    « Votre Altesse. Vous ne pouvez pas vous en sortir en tant que prince si vous laissez un de vos serviteurs vous regarder de haut ! Vous devez réprimander plus sévèrement ceux qui se comportent mal ! Est-ce que vous comprenez ? Promettez-le à votre grande sœur, d’accord ? »

    Elle termina d’un air suffisant, se retourna comme si elle en avait fini avec lui, et se servit une deuxième tasse.

    « Hein ?! »

    Elliott s’étouffa. Sa réponse farfelue l’avait abasourdi, et lorsqu’il reprit ses esprits, une veine se forma sur son front et il serra les dents.

    « Voilà un discours totalement absurde venant de la part de la personne qui m’a regardé de haut et m’a rabaissé, hein ?! »

    Rachel, qui n’était jamais à court d’une réplique, dit : « Moi, jamais ! Je suis tout à fait éveillée. Je pense que celui qui a l’air de parler dans son sommeil alors qu’il est éveillé, c’est vous, Votre Altesse. »

    « Ça suffit, misérable ! Non seulement tu as malmené Margaret dans les coulisses, mais maintenant que je t’ai jetée en prison, tu refuses toujours de te repentir. Et tu te moques même de moi ?! »

    « Vous voyez, c’est justement ça ! Honnêtement, pourquoi devrais-je souligner tous vos défauts alors que je suis derrière les barreaux ? ! Vous mettez un fardeau sur votre prisonnier, triste excuse pour un prince. Maintenant, est-ce que je me suis fait comprendre ? Vous devez vous comporter d’une manière plus digne d’un prince, et faire plus attention à ceux qui vous entourent, ok ?! »

    « Huh ?! D-Désolé… Attends, quoi ? »

    Il y avait quelque chose qui clochait dans le raisonnement de Rachel…

    Ce ne fut qu’au moment où Rachel termina sa troisième tasse qu’Elliott s’était finalement rendu compte qu’elle se moquait de lui.

    « Argh ! Qu’est-ce que ça peut me faire que tu te sentes mal à l’aise maintenant ?! »

    « Tu es un peu lent à réagir, hein ? », fit remarquer Rachel sur un ton plus familier.

    « Tais-toi ! On est en train de parler de toi là ! Est-ce que ta tête a refroidi depuis que je t’ai jeté là-dedans ?! », cria Elliott en pointant un doigt dans la direction de Rachel.

    « Qu’est-ce que tu en penses ? Une jeune femme de bonne famille comme toi ne peut pas supporter de vivre dans ce cachot sombre et glacial ! Cela fait dix jours maintenant. Peu importe ce que tu as pu préparer, ce n’est toujours qu’une résidence temporaire. Tu peux faire bonne figure, mais au fond, tu es sur le point de laisser tomber, non ?! »

    Ayant apparemment bu assez de thé, Rachel s’enfonça dans le canapé moelleux qui aurait pu ruiner un sage, ouvrit un magazine et commença à lire. La couverture indiquait qu’il s’agissait d’une collection d’histoires illustrées qui avaient été populaires récemment. Elle ignora Elliott de manière flagrante, ne daignant même pas répondre. Et comme il faisait un peu trop sombre pour lire, elle rapprocha un peu plus la lampe sur la table.

    « Hé ! », cria Elliott.

    « Tu n’as aucun sang-froid. Tes éducateurs ne t’ont-ils jamais dit qu’il est impoli de faire un tel boucan à côté de quelqu’un qui lit ? », répondit Rachel.

    « Personne ne t’a jamais dit de ne pas faire d’autres choses quand tu écoutes quelqu’un ?! »

    « Oh, ce n’est pas grave. En fait, je ne t’écoute pas. »

    « Alors, cesse ça ! »

    Rachel jeta un coup d’œil à Elliott, son magazine toujours ouvert.

    « Votre Altesse… Ai-je l’air d’être sur le point d’abandonner ce style de vie ? »

    Elliott jeta un autre coup d’œil dans la prison. Il y avait un épais tapis aux motifs géométriques qui bloquait le froid du sol en pierre, un canapé rembourré qu’il aurait aimé essayer, mais qu’en tant que prince, il ne pouvait pas mettre dans son propre salon, du thé et des petits gâteaux de qualité, une lampe qui, malgré un usage régulier, ne semblait pas devoir s’épuiser de sitôt, et une collection de conserves qui lui donnait la possibilité de manger un certain nombre de mets étrangers. Si elle pouvait supporter le fait qu’elle ne pouvait pas sortir et que le décor était un peu fade, elle avait un meilleur style de vie ici que certains nobles mineurs.

    Et maintenant, après dix jours, Elliott s’était rendu compte de la situation. Cette femme était une grabataire.

    « H-Heh heh. Tu as l’air de profiter pleinement de la prison », dit Elliott en souriant.

    « Vraiment ? »

    « Mais quand même ! Pendant que tu es enfermée ici, le monde extérieur bouge ! Le fait de s’excuser peut braquer une femme orgueilleuse comme toi, mais peut-être devrais-tu considérer les aspects positifs et négatifs de ne pas pouvoir quitter ta cellule ? »

    Rachel continua à feuilleter son magazine sans même un regard dans la direction d’Elliott et elle parla tranquillement : « Oh, je les ai considérés. »

    « Oh, vraiment ? »

    « C’est vrai que je ne peux pas me promener comme je veux, et que le monde me passe sous le nez. »

    « Oui, oui ! »

    « Cependant… »

    « Hm ? »

    Elliott la regarda d’un air dubitatif.

    Rachel, les yeux toujours rivés sur son magazine, dit : « Tant que je reste en prison, nos fiançailles resteront rompues. Je n’aurai donc pas à suivre les leçons destinées à une future reine. Mes précepteurs ne me feront pas subir l’épreuve du feu jour après jour. Si tu reviens sur ta décision de rompre nos fiançailles, mes éducateurs me captureraient en un rien de temps. Ce n’est pas une blague. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas m’exposer à ce risque. »

    Elliott s’arrêta pour réfléchir. Il connaissait ses professeurs. Quand il était petit, ils le réprimandaient constamment parce qu’il se lassait de leurs leçons ennuyeuses et spartiates et s’enfuyait. Pouvait-on vraiment appeler les châtiments corporels qu’ils lui avaient administrés, malgré son rang de prince, de l’éducation ? Il n’avait jamais vu les leçons que Rachel suivait en tant que future reine, mais connaissant ses instructeurs, il pouvait imaginer ce que c’était.

    Et bien que Rachel n’ait pas la liberté de mouvement, elle pouvait faire ce qu’elle voulait et paresser toute la journée en prison. En tant que sa fiancée, elle n’avait aucune liberté et était enchaînée à un bureau tous les jours, entourée de plusieurs tuteurs privés qui ressemblaient plus à des chiens enragés, aboyant sur elle constamment.

    S’il devait choisir, quel choix Elliott ferait-il pour lui-même ?

    *****

    Sykes était dans les écuries pour vérifier les chevaux quand il vit Elliott qui traînait les pieds dans la cour arrière.

    « Votre Altesse, es-tu allé voir Mlle Rachel ? », dit Sykes.

    « Oui… »

    Sykes était confus par le manque d’esprit d’Elliott et hocha la tête. Il avait maintenant fini l’entretien des chevaux et commença à nettoyer.

    « Comment était-ce ? Est-ce que Mlle Rachel a un peu réfléchi à ses actions ? », demanda Sykes.

    « Non, hum… Pas du tout. Et d’après ce que je vois, elle ne sortirait pas de là même si elle le pouvait. »

    « Quoi ? »

    Alors que Sykes s’efforçait d’assimiler ce qu’Elliott venait de lui dire, George arriva en courant du palais.

    « Oh, merci, mon Dieu, je t’ai trouvé ! Votre Altesse ! »

    « George », murmura le prince.

    « Hé, George. Qu’est-ce qu’il y a ? » salua Sykes.

    Le visage de George avait l’air affreux. Au début, ils avaient pensé qu’il était juste essoufflé d’avoir couru, mais ce n’était pas ça.

    « S’est-il passé quelque chose ? », demanda Elliott tout en balançant fébrilement sa tête de haut en bas comme un pivert.

    « Dans ton bureau… Votre Altesse… il y a quelqu’un qui se plaint… qu’il ne peut pas accepter l’emprisonnement… de ma sœur… », dit George entre deux respirations sifflantes avant de finalement s’abandonner à une quinte de toux.

    Sykes lui frotta le dos pendant qu’il l’avait.

    « Oh, encore ça ? », soupira Elliott.

    Depuis un petit moment, un certain nombre de nobles et de courtisans qui voulaient se plaindre, mais manquaient de raison étaient venus crier sur Elliott au sujet de la condamnation de Rachel.

    « Très bien. Je vais aller leur parler personnellement. Allons-y. »

    Au moment où Elliott se préparait à se rendre au bureau, George s’éclaircit la gorge.

    « Les dames responsables de l’éducation de ma sœur, menées par la duchesse Somerset, ont forcé l’entrée du bureau comme une meute de bulldogs. Elles n’arrêtaient pas de m’aboyer dessus avec ces voix stridentes, et je ne savais pas quoi faire ! »

    Elliott s’arrêta et fit un tour complet. Il tapa dans le dos de Sykes et de George et il déclara : « Bon, et si on allait faire une longue balade pour changer d’air ? »

    « Huh ?! Hum, et les dames qui sont venues se plaindre ? », demanda George.

    « On y va maintenant ?! Le soleil est sur le point de se coucher ! », interrogea Sykes.

    « Qu’est-ce que ça peut me faire ? Oublions nos soucis et allons-y ! Ne t’inquiète pas. Une fois le soleil couché, nous pourrons passer la nuit à la villa royale en dehors de la ville ! », s’exclama Elliot avec enthousiasme.

    Elliott entraîna ses deux associés dans une chevauchée à travers la campagne, sous un soleil rougeoyant.

    « Votre Altesse, si nous fuyons, elles reviendront juste plus tard », l’avertit George.

    « Je ne fuis pas ! Je me trouve simplement, par pur hasard, par une véritable coïncidence, obligé de faire un tour et de ne penser à rien ! »

    ***

    Chapitre 10 : Les talents artistiques de la jeune demoiselle se révèlent

    Le clair de lune brillait à travers l’obscurité, projetant une étroite silhouette de la fenêtre sur le sol. Elle semblait assez lumineuse pour qu’on puisse y lire, mais juste à côté, il faisait si sombre qu’on ne pouvait pas dire si quelque chose était là.

    Dans l’espace silencieux à côté de ce bassin de lumière, Rachel, qui s’était enfoncée dans les coussins, remua puis s’assit.

    « Ungh… Peut-être que j’ai trop dormi pendant la journée ? »

    Son esprit était trop alerte maintenant pour s’endormir. Personne n’était là pour la réprimander, alors elle finissait toujours par faire la sieste plus qu’elle ne le devait. Peut-être était-elle un peu trop heureuse de vivre seule.

    Renonçant à dormir, Rachel s’était levée. La lune était tout juste visible à travers la fenêtre grillagée.

    « Quelle belle lune ! Est-ce qu’elle est pleine ce soir ? »

    Alors qu’elle fixait le cercle blanc brillant dans le ciel, Rachel pensa à une meilleure idée que de se mettre à nouveau sous les couvertures. Elle empila et arrangea certaines des boîtes en bois pour former un escalier sous la fenêtre.

    « Nous y voilà. »

    Tirant de ses bagages une mallette à l’aspect onéreux, elle commença à monter les boîtes en bois. Elle s’était assise en haut et approcha son visage de la fenêtre pour profiter de la brise nocturne.

    « Il y a quelque chose de sentimental à chanter la sérénade sous la lune. »

    Rachel sortit son instrument de son étui, essuya l’embouchure et le porta à ses lèvres avec une expression rêveuse sur le visage.

    Un air enjoué fut joué sous un ciel étoilé.

    *****

    Elliott ne portait qu’une chemise de nuit par-dessus son pyjama. La saleté de ses pantoufles indiquait clairement qu’il s’était précipité directement de sa chambre au donjon.

    Fixant Rachel avec toute l’irritation dont il était capable, Elliott demanda : « Rachel, y a-t-il quelque chose que tu voudrais me dire ? »

    De l’autre côté des barreaux, Rachel, toujours munie de son instrument, tenait le devant de sa chemise de nuit fermé en jetant un regard timide au prince.

    « Votre Altesse, se faufiler ainsi dans la chambre d’une jeune fille, tard dans la nuit… C’est indigne de toi. »

    Le silence s’installa entre eux. Puis Elliott frappa les barreaux de fer de son pied glissant.

    « Ce n’est pas ça ! Il y a quelque chose que tu devrais dire ! Quelque chose d’autre ! Comme, “Je suis désolé de t’avoir dérangé !”. Ne va pas jouer du cor au milieu de la nuit ! »

    « Votre Altesse… c’est une trompette. Je sais que ce sont tous les deux des instruments en cuivre, mais un cor est différent. »

    « Je le sais ! Je m’en fiche, ok ? ! Donc tu me dis que la raison pour laquelle tu as fait un tel vacarme au milieu de la nuit est que tu as vu la lune et que tu es devenu tout sentimental ?! », rétorqua Elliott.

    « Oui. »

    « Et tu as choisi de jouer Sing, Sing, Sing et Little Brown Jug ?! Quel genre de sentiment est-ce là ?! »

    « Oh, mon Dieu, tu es plus cultivé que je ne l’aurais cru, Votre Altesse. »

    « Ne te moque pas de moi ! Maintenant, laisse-moi être clair. Si tu recommences, je ferai venir les chevaliers pour faire de ta pauvre peau une pelote à épingles ! »

    « Allons donc. Pour les apparences, tu devrais me menacer de le faire toi-même. »

    Après qu’Elliott soit parti en colère, Rachel sourit, satisfaite d’elle-même. Elle remit la trompette dans son étui.

    « Je donnais une chance sur deux que le son l’atteigne, mais le vent était de mon côté, alors ça valait le coup d’essayer. »

    Tapotant légèrement les coussins de son canapé qui auraient pu ruiner un sage, elle s’allongea avec un air de satisfaction sur le visage.

    « Aah… Je pense que je vais pouvoir bien dormir ce soir grâce à ce splendide spectacle de Son Altesse hurlant d’impuissance. »

    *****

    Alors qu’elle fixait le mur après le petit-déjeuner, Rachel s’était soudain souvenue qu’elle avait apporté de la peinture avec elle.

    « Oh, c’est vrai. Je voulais faire quelque chose pour ces murs lugubres. »

    En raison de sa performance de la veille, Rachel était d’humeur artistique. Elle se mit immédiatement à la recherche de la boîte contenant le matériel de peinture. Elle posa sur le sol une partie du papier journal qui avait servi à l’emballage et ouvrit un pot de peinture bien secoué. Elle peignit une couche de base blanche sur le mur de pierre, puis pencha la tête pour réfléchir.

    « Hmm… Ce serait du gaspillage de peindre quelque chose comme du papier peint. »

    Au début, Rachel avait l’intention de peindre l’ensemble en vert menthe poivrée, une couleur qu’elle affectionnait, puis d’ajouter des petites fleurs détaillées un peu partout, mais en regardant le mur vierge devant elle, elle sentit qu’elle manquerait une opportunité.

    « Ok, il est temps de me mettre au défi de peindre un chef-d’œuvre ! »

    L’inspiration avait frappé. Si elle ne pouvait pas aller dehors, alors peut-être qu’un paysage pittoresque conviendrait.

    *****

    Elliot appuyait son coude sur son bureau en regardant fixement une pile de papiers quand George demanda avec hésitation : « Quelque chose ne va pas, Votre Altesse ? N’as-tu pas dormi ? Il y a des poches sous tes yeux. »

    « Oui… »

    Elliott avait suspendu sa tête, posant son front sur le dos de sa main. Son visage avait l’air plutôt hagard.

    « Maudite soit cette Rachel ! J’avais sa maudite mélodie dans la tête et je n’ai pas pu fermer l’œil. »

    « Euh, quoi ? », demanda George.

    « Non, peu importe… »

    Elliott réussit tant bien que mal à se redresser au moment où Sykes entra et frappa.

    « Sykes… Tu frappes avant d’entrer. »

    « Oh, d’accord. »

    Sykes était sur le point de partir pour pouvoir recommencer correctement, mais un Elliott irrité l’arrêta.

    « Pratique tes bonnes manières à la maison ! Tu es venu ici pour une raison, non ?! »

    « C’est vrai. Eh bien, tu vois, nous avons reçu des plaintes concernant une odeur bizarre provenant du donjon. »

    Elliott et George se regardèrent.

    « Ne me dis pas que ta sœur est déjà un cadavre en décomposition ? », dit Elliott avec surprise.

    « Ce n’est qu’un vœu pieux, Votre Altesse. Tu l’as rencontrée hier soir, non ? Elle n’aurait pas commencé à puer juste une demi-journée plus tard. », répondit George.

    « Oh, non, ce n’est pas ce genre d’odeur de pourriture. C’est plutôt une odeur âcre intense, ont-ils dit », expliqua Sykes.

    Elliott ne put que rester bouche bée, confus.

    *****

    Quand ils arrivèrent tous les trois au donjon, leurs mâchoires s’étaient décrochées.

    « T-Toi… Qu-Qu’est-ce que c’est ? », bégaya Elliott.

    Les murs avaient été transformés. Ce qui n’était qu’un simple mur de pierre jusqu’à hier était maintenant une prairie fleurie et un magnifique ravin avec des pics blancs en arrière-plan, couverts de neige perpétuelle. L’utilisation de la perspective à un point et l’ombrage donnaient au paysage un aspect tridimensionnel et photoréaliste qui les faisait tous saliver.

    Et pourtant…

    « C’est censé être un donjon », murmura Elliott.

    À quoi sert une telle peinture ici ?

    La puanteur inhabituelle du donjon était celle de la peinture. Rachel avait peint toute la journée, et son odeur chimique avait rempli tout le sous-sol.

    « Bordel, ça pue ici. L’odeur ne te dérange pas ? », demanda Sykes.

    Rachel, qui mettait la touche finale à son champ de fleurs, se retourna et retira son masque.

    « C’était vraiment quelque chose au début, mais après avoir travaillé pendant une demi-journée, vos sens s’habituent et vous ne le remarquez même pas. »

    « N’en as-tu pas eu marre tout de suite ? »

    « Une fois que j’ai commencé, je ne m’en suis plus souciée. »

    Ayant terminé son travail, Rachel recula le plus possible pour bien voir le résultat.

    « Attendez… »

    « Quoi ? », demanda Sykes.

    En penchant la tête sur le côté, elle se demandait : « N’y avait-il pas un tableau comme celui-ci dans ma chambre ? »

    « Remarque ça plus tôt ! »

    Alors que George regardait Rachel et Sykes se chamailler à travers les barres de fer, il se rendit compte que l’autre personne dans la pièce était terriblement silencieuse.

    « Huh ? Votre Altesse ? », poussa George.

    Quand il se tourna pour regarder, que vit George ?

    « Votre Altesse ?! »

    Elliott s’effondra sur le dos, dans un état de stupeur.

    « Votre Altesse !!! »

    George et Sykes s’étaient empressés de l’aider à se mettre en position assise, mais les yeux d’Elliott étaient complètement retournés dans sa tête.

    « La privation de sommeil suivie de cette puanteur a dû l’atteindre », remarqua Sykes.

    « On s’en fout de ce qui a fait ça ! Dépêche-toi de le faire sortir ! », cria George.

    Alors que les hommes s’empressèrent de sortir de la pièce, Rachel conclut : « J’ai réussi à embêter Son Altesse, alors je suppose que ça fera l’affaire. »

    ***

    Chapitre 11 : La jeune demoiselle vole son dîner

    Alors que le prince Elliott marchait dans le couloir, il remarqua un jeune homme qui traversait les arbres des jardins arrière en direction de la porte intérieure. Il y avait un certain nombre d’hommes, mais celui-ci n’était pas habillé comme les autres courtisans.

    « Hé, n’est-il pas étrange ? Il ne ressemble pas à l’un des serviteurs du palais. », demanda Elliott.

    Sykes regarda l’homme, qui était presque à la porte intérieure maintenant.

    « On dirait un employé d’un des restaurants du centre-ville », suggéra Sykes.

    « Que ferait quelqu’un de cet acabit au château ? », demanda George avec exaspération

    Il y avait quelque chose dans l’étrange suggestion de Sykes qui faisait qu’Elliott ne pouvait s’empêcher de rire.

    « Qu’est-ce que c’est ? Il y a quelque chose qui cloche avec ce… Ah ?! »

    Elliott réfléchit un moment… puis il partit en courant en réalisant ce que c’était.

    « On va au donjon ! », cria Elliott derrière lui.

    « Huh ? Qu’est-ce qui ne va pas, Votre Altesse ?! »

    George et Sykes s’étaient empressés de le suivre.

    Elliott désigna la porte en fer qui était maintenant en vue devant eux.

    « Pensez à la direction d’où il est venu ! Rachel doit être impliquée dans cette affaire ! »

    « Ah ! », s’exclama Sykes.

    *****

    Quand ils étaient arrivés tous les trois, essoufflés, au donjon, leurs mâchoires touchèrent le sol.

    « Vous pouvez regarder tout ce que vous voulez, mais je ne vous en donne pas… », insista Rachel.

    Elle était assise devant une assiette fumante, couteau et fourchette en main. Le plat était manifestement bien trop avancé pour qu’elle l’ait fait toute seule dans le donjon. L’arôme délicieux de la nourriture fraîchement cuite flottait dans la pièce.

    « T-Toi ! Qu’est-ce que c’est ?! », demanda le prince d’une voix aiguë.

    Rachel baissa les yeux sur la table.

    « Qu’est-ce que c’est ? Votre Altesse, je suis sûre que tu as dû manger toutes ces choses toi-même. Tourte aux rognons, pigeonneaux frits aux herbes, potage au potiron et gelée de menthe. C’est un menu très commun. »

    « Je ne demandais pas le menu ! Que fais-tu avec de la nourriture préparée à l’extérieur ?! »

    Rachel, qui avait ignoré Elliott, commençait à manger, avala une bouchée de pigeonneau avant de demander : « Y a-t-il un problème ? »

    « Bien sûr qu’il y a un problème ! J’ai dit que je ne te donnerais pas de nourriture ! »

    « Oh, oui. Serait-ce le moment où tes jambes ont lâché et où le Seigneur Sykes a dû pousser ton pauvre cul hors d’ici ? »

    « Urgh… »

    S’essuyant dignement la bouche avec une serviette, Rachel inclina son verre de vin et en prit une gorgée.

    « C’est vrai. Tu m’as dit que tu ne me donnerais pas de nourriture, et que je pouvais y aller et mourir de faim, oui. »

    « Oui ! », se réjouit Elliott.

    « Mais tu ne m’en as pas donné, hein ? »

    « Huh ? »

    Rachel prit son couteau et commença à couper la tarte en tranches.

    « On m’a informée que je ne recevrais pas de nourriture en prison, mais tu n’as jamais dit que je n’aurais pas le droit de commander des repas de ma propre poche. »

    « Qu… ? ! Ne sois pas ridicule ! Je n’ai jamais entendu parler d’un prisonnier commandant de la nourriture de l’extérieur avant ! »

    « Dis-moi, quel article de quelle loi interdit à un prisonnier de commander de la nourriture ? Quel article, et quelle clause ? »

    « J-Je ne sais pas ! Mais c’est du bon sens ! »

    « Tu as rompu un engagement entériné par le roi en t’appuyant sur des preuves bancales. Es-tu vraiment du genre à parler de bon sens, Votre Altesse ? »

    Elliott était sans voix.

    « Mais au fait, quel est le genre de bon sens consistant à emprisonner une personne sans lui donner à manger ? »

    « Urgh. Veux-tu que je te fasse accuser de lèse-majesté et exécuter pour ces déclarations ? »

    « Il faudrait d’abord me traîner hors d’ici jusqu’au lieu d’exécution pour ça, non ? »

    « Urgh… »

    Rachel continua à déguster élégamment son déjeuner tandis que le prince gémissait, incapable de rassembler une autre réponse.

    *****

    « Grr, il m’a interdit de commander plus de nourriture. »

    Le prince avait donné l’ordre au gardien de la prison de ne laisser passer aucun travailleur. Les livreurs devaient être refoulés à la porte.

    En tant que personne qui aimait chercher les failles dans la loi, le fait qu’il ait changé les règles pour elle lui semblait injuste, mais… Eh bien, ce qui est fait est fait.

    « Son Altesse est aussi idiote que jamais. Et mon stupide frère aussi. On aurait pu penser que s’il allait m’interdire de commander de la nourriture, il m’aurait d’abord fait cracher les détails sur la façon dont je contactais l’extérieur. »

    Ce serait la logique normale. Mais Elliott ne pouvait pas en arriver là. Pourtant…

    « Un repas fraîchement cuisiné ne peut pas être battu. J’aimerais avoir de la viande fraîche à nouveau », dit Rachel tout en repensant au repas qu’elle venait de se faire livrer.

    « Oh, ça ne va pas le faire. Je ne peux pas revenir aux conserves sans avoir quelque chose pour combler le vide. »

    Elle n’était pas en position d’exiger de tel luxe, mais l’impact d’un repas frais avait été grand. Elle voulait en avoir un peu plus.

    Soudainement, elle eut un éclair d’inspiration.

    « Oh, je sais. L’un des principes de base de la vie tranquille est de vivre de la terre. Non ? »

    Rachel regarda vers l’étroite fenêtre à barreaux qui laissait entrer l’air frais.

    *****

    Dans les jardins arrière, qui n’étaient pas très bien entretenus, un homme âgé vêtu d’une tenue luxueuse se promenait. À côté de lui se trouvait un homme plus jeune qui semblait avoir la trentaine ou le début de la quarantaine.

    « Pourtant, je ne sais pas quoi faire avec Elliott. Penser qu’il pourrait causer un incident comme celui-ci alors que Leurs Majestés sont absentes pour une longue période. », dit l’homme âgé.

    « Bien que vous ayez été chargé de vous occuper du palais, vous devez demander la permission avant d’agir sur un incident causé par le prince lui-même », répondit le plus jeune homme.

    Le grand-duc Vivaldi, conseiller royal et oncle du roi, et le marquis August, Premier ministre, se consultaient sur des sujets d’actualité. En fait, ils ne faisaient que se plaindre l’un à l’autre dans un endroit isolé.

    Le Premier ministre August regarda autour de lui.

    « Tout de même, Votre Grâce, vous avez choisi un endroit inhabituel pour notre promenade. »

    Les jardins arrière n’avaient pas été entretenus et, bien qu’ils soient spacieux, ce n’était pas le genre de jardins soigneusement sculptés que les nobles aimaient voir.

    Le grand-duc, gras et bon vivant, baissa la tête et sourit comme s’il avait été pris en flagrant délit de malice.

    « Ha ha ha ha. Cet endroit a ses propres charmes, différents de ceux d’un jardin plus soigné. »

    Le grand-duc écarta l’herbe longue de ses mains, regardant tranquillement au loin.

    « Regardez, monsieur le Premier ministre. Étant plus proche de la nature que les jardins de devant, cet endroit attire beaucoup plus d’oiseaux sauvages. Regardez, mon favori récent est ce canard qui vient de se poser près de l’étang. »

    Le Premier ministre, qui était également caché dans l’herbe, était impressionné.

    « Oh-ho ! Il est assez grand, n’est-ce pas ? Et il a un beau plumage. »

    « Oui. Je l’appelle Enrique, et c’est la chose la plus chère à mes yeux. »

    Mais au moment où le grand-duc commença à parler de son oiseau préféré…

    Thock !

    « Squaaaaaawk ! »

    « Qu’est-ce que c’était ?! »

    Alors que les deux hommes l’observaient, Enrique remarqua manifestement quelque chose et essaya de s’envoler, mais il laissa échapper un grand cri et tomba au sol. Et tandis que les oiseaux s’envolaient dans la panique la plus totale, les hommes se précipitèrent sur le bord de l’étang pour voir…

    Glisse

    Glisse

    Enrique s’agitait, agonisant, alors qu’il se déplaçait lentement dans une direction qu’il n’aurait pas pu prendre par lui-même. En y regardant de plus près, Enrique s’était pris une flèche barbelée dans la poitrine, et quelqu’un le remontait à l’aide d’une fine corde attachée au bout de celle-ci.

    Le grand-duc et le Premier ministre suivirent la longue corde et atteignirent le mur décrépit d’un bâtiment voisin. Il y avait une longue fente difficile à voir, à environ dix centimètres du sol, et ils y arrivèrent au moment où Enrique était tiré à l’intérieur. Aucun des deux n’avait dit un mot.

    Et alors qu’ils se regardaient en silence, la voix jubilatoire d’une jeune femme heureuse était sortie du trou.

    « Wôw, j’ai fait une sacrée prise ! Superbe ! Vraiment super ! Ça va franchement être quelque chose de génial à manger ! »

    Ayant plus ou moins deviné qui elle était à sa voix, le Premier ministre s’accroupit et demanda : « Excusez-moi, si vous le voulez bien, pourriez-vous nous dire ce que vous faites exactement ? »

    « Qui ? Moi ? »

    La jeune fille hésita un instant, puis s’expliqua.

    *****

    Tandis qu’Elliott et ses associés marchaient dans le hall, son grand-oncle arriva en courant, braillant comme un enfant. Le Premier ministre le suivait de près, essayant de le consoler.

    « Hm ? »

    Elliott s’arrêta pour regarder, incertain de ce dont il était témoin.

    Le grand-duc le remarqua et l’attrapa par les revers, toujours en train de pleurer.

    « Elliott, petit malheureux ! »

    « Hein ? Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?! »

    « C’est… C’est de ta faute… »

    « Quoi ? ! Grand-oncle, qu’est-ce que, excusez-moi, qu’est-ce que j’ai fait ?! »

    Il aurait été facile de se libérer de l’emprise du vieil homme malsain, mais il ne pouvait pas maltraiter le plus haut rang royal pendant que le roi et la reine étaient absents. Sykes et George ne pouvaient pas non plus poser la main sur l’oncle du roi. Ils se regardèrent donc les uns les autres comme s’ils se demandaient quoi faire.

    « Urrrgh… C’est de ta faute si Enrique… Enrique est… »

    « E-En — Qui ?! »

    « Mlle Rachel a mangé Enrique !!! »

    « Racheeeel !!! »

    *****

    Le temps qu’Elliott se précipite au donjon, le gardien de prison était assis à l’entrée, semblant ne pas savoir quoi faire. Il s’était rapidement levé, de la fumée s’élevant à côté de lui.

    « Hé ! Qu’est-ce que ça veut dire ?! », demanda Elliott.

    Le garde regarda piteusement la fumée qui s’échappait de la porte : « Eh bien… La jeune demoiselle a allumé un feu de camp. »

    « Un feu de camp ?! Dans le donjon ?! »

    « Elle a ajusté le niveau des flammes afin de ne pas mourir asphyxiée. »

    « Je m’en fous de ça ! Allumer un feu de camp dans le donjon ? ! À quoi pense-t-elle !? », cria Elliott.

    Le gardien de prison se gratta la tête.

    « Elle a mis la main sur du canard frais et voulait le faire griller. »

    « Qu’elle soit maudite ! »

    Quand Elliott atteignit les barreaux de la cellule, il put voir la fumée s’accumuler près du plafond, s’échappant par la porte qui menait aux escaliers, ce n’était donc pas vraiment si enfumé dans le sous-sol lui-même. À l’intérieur de la cellule, le sol en carreaux de pierre avait fait sa réapparition, et Rachel y avait allumé un petit feu de camp en cassant quelques boîtes vides pour s’en servir comme bois de chauffage. Il y avait une plaque de fer au-dessus du feu et de la viande grésillant dessus. Sykes, qui ne pouvait pas lire la situation, reniflait l’air avec avidité.

    Ignorant les nombreuses choses qu’il aurait aimé crier, Elliott pointa un doigt vers Rachel, qui retournait la viande d’un air sérieux, et dit : « Rachel ! Pas de feux de camp, et pas de barbecues dans le donjon ! »

    Sans même le regarder, Rachel répondit brièvement : « Il n’y a pas de règle de ce genre. »

    « Parce que c’est évident ! Dans quel monde quelqu’un ferait-il un feu de camp dans un donjon ?! » cria Elliott tout en tapant du pied avec colère.

    Trouvant un moment pour détourner le regard de la viande, Rachel le regarda et dit : « Eh bien. Tu dois évaluer ces choses au cas par cas. Puis-je suggérer que toute personne affamée et privée de nourriture ferait de même ? »

    « Je n’ai jamais entendu dire que cela se produisait quelque part. »

    « Eh bien, il est rare que quelqu’un ait un arc et des flèches dans une prison. »

    « En d’autres termes, il n’y a que toi ! Il n’y a que toi pour faire une chose pareille ! »

    Avec un regard de grand mécontentement, Elliott baissa sa voix et dit : « Je suis amené à croire que tu as dit à mon grand-oncle que je ne t’ai pas nourri. »

    « Oui, je crois bien que je l’ai fait », répondit Rachel tout en mettant joyeusement un morceau de viande de canard salée dans sa bouche.

    En la pointant du doigt, Elliott déclara : « Si je te donne à manger, tu vas donc arrêter ces bêtises ! »

    C’est la plus grande concession que je puisse faire !

    Elliott était furieux de ne pas pouvoir faire plier cette méchante femme à sa volonté, pas même le moins du monde. Mais après tous les cris hystériques de son grand-oncle, il décida qu’il allait devoir briser le siège pour éviter que cela ne se reproduise, même si cela le faisait souffrir.

    Maudite sois-tu, Rachel. Tu peux dire ce que tu veux pour le moment. Mais quand papa reviendra, je t’inculperai pour tous tes crimes, y compris le radotage égoïste que tu viens de cracher.

    Elliott commençait à penser qu’il serait d’accord pour que Rachel soit exécutée à ce stade. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’elle n’était pas encore sérieuse.

    Au début, Elliott voulait simplement forcer Rachel à se soumettre à lui, mais lorsqu’elle commença à faire ce qu’elle voulait, tous les dégâts finirent par être de son côté, sur son bien-être mental en particulier.

    Je vais devoir me contenter de l’isoler pour le moment. Si ça lui permet de rester tranquille, un peu de vieux pain est un petit prix à payer.

    Le prince Elliott avait fait une proposition généreuse, même si elle l’irritait. Mais après avoir terminé son délicieux repas, Rachel, qui ne se souciait pas de ce qu’il ressentait, s’était tournée vers lui et dit : « De la nourriture de ta part, Votre Altesse ? Comme je n’ai aucun moyen de savoir ce que tu pourrais y mettre, je n’en aurai pas besoin. »

    ***

    Partie 3 : Devenons proactives

    Chapitre 12 : La jeune demoiselle soudoie le gardien de prison

    Toute cette lecture lui faisant mal aux épaules, Rachel essaya alors de changer les choses en ajoutant la broderie pendant la journée. Après avoir cousu sans réfléchir sur un mouchoir pendant un moment, elle posa son aiguille pour voir comment son travail avançait.

    En regardant les fleurs faites uniquement à partir de contours, Rachel murmura : « Hmm… Tout est un peu trop calme. »

    Mais elle ne parlait pas de sa broderie. Rachel avait appris la fin imminente de ses fiançailles il y a un mois, à peu près au moment où le prince commença à comploter. Elle avait alors choisi de ne pas arrêter tous leurs préparatifs parce que cela semblait… plus « amusant ». Elle voulait aussi voir ce que ce prince stupide et ses laquais étaient capables de faire. De plus, si elle était en prison, elle pouvait sauter ses leçons, et ce jusqu’à ce que le roi exige l’annulation des fiançailles. Il y avait aussi une certaine excitation à l’idée que quelque chose auquel elle n’avait pas pensé puisse causer des problèmes inattendus.

    Pour toutes ces raisons, Rachel était rentrée dans le jeu de la conspiration du prince, mais Elliott était encore plus superficiel qu’elle ne l’avait pensé. Cela faisait déjà une semaine, et il n’avait rien trouvé d’autre que d’essayer de l’affamer. Elle avait espéré qu’il essaierait des méthodes bien plus sournoises pour l’atteindre afin qu’elle puisse les lui faire exploser au visage.

    « Si cela devait se passer d’une telle façon, alors je le laisse me faire honte pour rien. Comme c’est ennuyeux. »

    Rachel, qui avait regardé dans le vide pendant un moment, prit une autre gorgée de sa boisson déjà froide. Le parfum persistant des feuilles de thé de grande qualité lui chatouilla les narines. Puis elle sourit.

    « Oui, je crois que je vois le problème. Peut-être que toute cette attente passive ne me ressemble pas. J’avais pensé que le prince serait celui qui ferait les démarches, mais… oui, je pense que je vais me battre contre lui moi-même. »

    *****

    Les évasions ayant souvent lieu tard dans la nuit, le garde devait donc aussi patrouiller à ce moment-là.

    « Il n’y a plus qu’une seule jeune femme dans le donjon du palais, et je ne la vois pas s’évader… », pensa le garde. Mais un travail est un travail.

    Les pas du garde résonnaient alors qu’il descendait l’escalier menant au donjon. Et alors qu’il atteignit la cellule, il trouva la jeune femme assise sur le sol, les lumières baissées. Elle semblait être réveillée malgré l’heure tardive. Elle était appuyée contre un coussin et regardait par la petite fenêtre.

    « Que faites-vous ? », demanda le garde par simple curiosité.

    Son beau visage, illuminé par la lumière de la lune, se tourna pour lui faire face.

    « Oh, Monsieur le Garde. C’est une belle nuit, non ? La lune vient juste de sortir… et je la contemplais. »

    Elle renversa alors le verre à liqueur qu’elle tenait dans ses doigts.

    Détectant une odeur familière, le garde la regarda avec méfiance.

    « Oh, allons donc. Une jeune femme comme vous boit donc du whisky ? »

    Le whisky est une boisson forte. Et comme elle le buvait dans un verre à liqueur, celui-ci devait être probablement pur. Si elle était un homme, cela se comprendrait. Il y en avait parmi la noblesse qui avaient un goût pour ça. Cependant, c’était généralement une boisson de la classe ouvrière, pas de la haute société.

    « Oh, vous pouvez le dire juste à l’odeur ? Vous devez être un amateur. Voulez-vous vous joindre à moi pour un verre ? »

    « Vous êtes déjà ivre. Attendez, quoi !? »

    En voyant la façon dont Rachel lui tendait jovialement la bouteille, le garde réagit avec consternation… puis avec stupeur.

    « Attendez ! C’est une bouteille de St Valentin de 30 ans d’âge, non ? »

    « Eh bien, vous vous y connaissez », dit Rachel avec admiration.

    « C’est une sacrée boisson que vous avez là. Elle coûte plus de deux mois de mon salaire. »

    « J’ai simplement pris une bouteille scellée dans la cave de mon père. Ce n’est pas grand-chose. Tenez, prenez un verre. »

    « Non, dans ma position, je ne peux pas. Mais c’est un Saint Valentin de trente ans d’âge… », dit le garde en hésitant.

    « J’ai aussi des amuse-gueules pour l’accompagner. »

    Elle lui proposa un plateau avec des tranches de corned beef, du beurre aux raisins, des cornichons, du fromage fumé et des crackers avec du pâté de foie.

    « Allez-y, buvez-en. »

    « Oh, c’est donc ça un whisky de trente ans d’âge ! »

    Rachel l’avait mené exactement là où elle le voulait. Y avait-il un garde vivant qui pouvait dire non à un tel objet légendaire ? Non, il n’y en avait pas.

    Lorsque le garda céda et vida tout le verre, Rachel tendit la bouteille brune vers lui.

    « Vous l’avez bu comme un champion. Maintenant, continuez avec trois autres. »

    Au moment même où le garde regrettait d’avoir si vite englouti une boisson aussi exquise, Rachel lui versa un autre verre du liquide ambré parfumé. Il en but un deuxième, un troisième et un quatrième verre. Et une fois qu’il s’était habitué à la boisson, Rachel lui proposa une autre bouteille. Ayant oublié à présent ses devoirs, le garde n’avait même pas remarqué que Rachel avait cessé de boire elle-même.

    « Le whisky doit vraiment être pur. La note finale est tout simplement imbattable. », remarqua Rachel.

    « Vous l’avez donc aussi sentie ?! Cet arôme à l’arrière du passage nasal est le meilleur ! Vous connaissez vraiment vos boissons, jeune fille ! »

    « Oh, infiniment moins que vous, Mr. Le Garde. Voulez-vous un chocolat ? »

    « Ooh ! Merci ! »

    Le gardien de prison était maintenant complètement intoxiqué, et il avait baissé sa garde. Alors qu’il était plein d’alcools fins et qu’il s’amusait, Rachel commença à lui parler gentiment. Elle lui donna même une bouteille non ouverte afin qu’il l’emporte chez lui.

    « Ouf, maintenant qu’on parle, c’est assez facile de s’entendre avec vous ! », s’était exclamé le garde.

    « Hee hee, j’aime bien penser que je suis doué avec les gens, même si je n’en ai pas l’air. Mais le Prince Elliott est toujours en train de parler de lui-même. Ce n’est pas que nous n’avions rien à nous dire, c’est qu’il était impossible d’avoir une conversation avec lui. C’est exaspérant. »

    « Oh, je comprends ça. Je comprends vraiment. Je veux dire, regardez ce type. C’est clairement un idiot. »

    « Ouais, vous n’avez rien fait de mal ! », dis le garde en hoquetant.

    Le plaisir qu’ils eurent à boire ensemble écrasa toute suspicion que le garde aurait pu avoir. Il ne s’était pas rendu compte qu’elle était en train de l’embobiner habilement, et si bien que tout ce que Rachel lui disait alla directement à son cerveau. Au moment où ils s’étaient séparés, il était convaincu que le prince était un crétin maléfique, tandis que Rachel était pitoyable et bonne.

    « Il se fait tard. Attention aux marches sur le chemin du retour. Nous ne voudrions pas que tu fasses tomber cette bouteille. », dit Rachel en bâillant.

    « Oui, je vais faire ça ! Oh, c’est vrai ! Je vais faire en sorte qu’il soit facile pour vous d’entrer en contact avec le monde extérieur, alors si vous avez d’autres choses de ce genre à partager, faites-le-moi savoir, vous voulez bien ? »

    « Bien sûr. Si j’ai la liberté de rencontrer des gens et d’envoyer des lettres, je pense que je pourrai obtenir de plus en plus de friandises pour nous deux. »

    « Ça ressemble à un plan. OK, je vais trouver une solution. »

    « S’il te plaît, fais-le. »

    *****

    Une fois que le garde eut fini de monter les marches en titubant tout en tenant fermement son précieux cadeau, une silhouette ombrageuse se leva dans un coin sans lumière de la prison.

    « Jeune maîtresse, vous n’avez pas besoin de faire appel à un petit fonctionnaire comme lui pour vous aider. Nous pouvons vous apporter presque tout ce dont vous avez besoin… »

    Rachel, qui arrangeait ses coussins avant d’aller se coucher, grimaça.

    « C’est la même chose qu’avec les gardes de la porte. Il est important que les courtisans me soutiennent plutôt que le prince. Pour mon plan, en particulier, j’aurai besoin de leur sympathie et de leur coopération afin de pouvoir me moquer du prince Elliott en face. »

    « Oui, madame. Il semblerait que j’ai parlé à tort et à travers. En ce qui concerne le manoir, nous allons faire les préparatifs dont nous avons discuté l’autre jour. »

    « J’attends cela avec impatience. »

    Alors que la silhouette dans l’ombre disparaissait une fois de plus dans l’obscurité, Rachel tira les couvertures sur elle et éteignit les lumières.

    ***

    Chapitre 13 : La jeune demoiselle tue le temps

    Rachel regarda à travers les barreaux le ciel dégagé.

    « C’est une belle journée. Les alouettes volent si haut. »

    Rachel avait parfois envie de la liberté qu’elle avait connue avant d’être envoyée en prison.

    « Mais ce n’est pas comme si je pouvais aller dehors… »

    En fait il était plus question ici de ne pas vouloir que de ne pas pouvoir.

    Soudainement, Rachel s’était dit qu’il serait amusant de lancer des avions en papier. Oh, si seulement ils pouvaient voler dans le ciel à sa place. Elle se mit à chercher et trouva du papier brouillon avec des notes dessus dont elle n’avait plus besoin.

    « Je pourrais faire plus d’avion en papier que je ne l’aurais pensé. »

    La forme et les plis pouvaient entièrement changer la façon dont ils volaient. Ceux qu’elle avait essayé de faire avec style ne volaient pas très loin, mais comme le papier qu’elle utilisait était fin, le vent les ramassait parfois et les emportait de l’autre côté du mur. Elle s’était alors mise à essayer différentes méthodes de pliage pour fabriquer une variété d’avions en papier. Les morceaux de papier blanc volaient dans tous les sens, et certains, qui avaient déjà touché le sol, attrapaient un coup de vent et s’envolaient à nouveau.

    Les inventions de Rachel continuèrent à s’envoler dans le ciel depuis sa petite fenêtre jusqu’à ce qu’elle ait utilisé tout le papier.

    *****

    Le Prince Elliott regardait le ciel lorsqu’il aperçut des déchets en papier dansant à basse altitude. Ce n’était rien pour un homme de sa stature, mais les différentes formes qui passaient les unes après les autres avaient attiré son attention. Il y avait de tout, de vrais avions en papier aux simples tubes de papier. Il était clair que quelqu’un devait les fabriquer.

    Lorsqu’Elliott en ramassa un qui s’était posé à proximité, il réalisa qu’il y avait quelque chose d’écrit dessus.

    « Hm ? »

    En l’ouvrant, il vit une note soignée, mais écrite à la hâte qui disait :

    « Scoop : les cheveux longs du prince servent à cacher sa calvitie ?! »

    Elliott laissa tomber la note sur le sol. Puis, avant qu’il ne puisse reprendre le vent, il la ramassa à la hâte.

    « Qu’est-ce que c’est ?! », s’exclama-t-il en se précipitant pour ramasser les autres papiers.

    « La guerre de dix ans du Prince Joli Garçon contre la dermatophytose : son combat sans espoir contre les champignons de pieds. »

    «  De sa chambre personnelle au bordel de la ville : la vie intime du prince débauchée. »

    « Le palais en émoi ! Des notes nulles dans toutes les matières ! Les ministres restent bouche bée devant l’incapacité du prince à étudier ! »

    Elliott se sentit défaillir rien qu’en les lisant, mais lorsque le vent essaya de les lui arracher des mains, ce dernier s’empressa d’ajuster sa prise sur la pile de papiers.

    « C’est quoi tous ces ragots inventés ?! Ne me dites pas que ça vole partout ! »

    Il regarda autour de lui et vit un avion ici, et un autre là.

    « Oh, pour l’amour de Dieu ! »

    Pour couronner le tout, de l’autre côté du mur, il entendit les enfants de la ville du château chanter une chanson qu’il n’avait jamais entendue auparavant.

    « Un jour, notre prince est monté sur un cheval.

    Il fit un pas, le pied du prince glissa.

    À son deuxième pas, le prince tomba.

    Il ne sait plus du tout contrôler son cheval.

    Oh, notre prince, il ne sait plus comment manier les chevaux.

    Car la tête du pauvre Ellie ne contenait plus de cerveau ! »

    *****

    Les pas d’Elliott résonnaient dans la prison alors qu’il dévalait les escaliers.

    « Racheeeeeel ?! »

    Tenant une lance, ce dernier la poussa à travers les barreaux dans la cellule.

    « Toiiiiii ! Je vais te tuer ! Je vais te tuer ! Te tuer vraiment ! »

    Après qu’il poussa son arme plusieurs fois, Rachel, qui était allongée sur ses coussins au fond de la prison et qui lisait un livre, jeta un regard dans sa direction.

    « Votre Altesse, les lances de joute sont puissantes, mais pas très longues. Ne pourrais-tu pas t’en rendre compte sans qu’une femme te l’explique ? »

    « Aie au moins un peu peur, impudente ! », s’écria Elliott.

    « Ton seul atout est ton joli visage, alors je pense que tu devrais faire attention à la façon dont tu parles. C’est inconvenant de ta part. »

    « Y a-t-il quelque chose de plus inconvenant que ce que tu viens de faire ?! »

    Elliott jeta les papiers qu’il avait rassemblés contre les barres de fer.

    « Qu’est-ce que c’est ? ! Tu répands des mensonges calomnieux sur moi ! Je ne m’attendais pas à ce que tu essaies de salir mon nom de la sorte, sale menteuse ! »

    « C’est amusant d’entendre cela d’un homme qui m’a condamné sur le témoignage d’une seule personne… »

    Rachel jeta un coup d’œil à la pile de mémos, puis revint vers Elliott.

    « Je n’avais aucune intention particulière de te calomnier, Votre Altesse. »

    « Alors qu’est-ce que c’est ?! Je veux t’entendre essayer de trouver une excuse pour diffuser ces bêtises ! »

    Rachel se redressa et ferma son livre : « Où sont les calomnies contre toi ? »

    « Où, me demandes-tu ? Ce sont toutes des calomnies ! »

    Rachel montra du doigt l’un des morceaux de papier qui avaient atterri dans sa cellule.

    « S’il te plaît, lis-le plus attentivement. Celui-ci dit seulement “le prince”, non ? Te rends-tu compte qu’il y a des centaines de princes ? Si tu as immédiatement supposé qu’il s’agissait de toi, peut-être as-tu un complexe de persécution ? Pourquoi ne pas en parler à un médecin ? »

    « À ton avis, qui m’a fait subir tout ce stress ?! Les enfants de la ville chantaient une chanson extrêmement irrespectueuse sur “Ellie” ! Il y avait un vrai nom dedans ! », dit le prince en s’emportant.

    « Tu penses que cette “Ellie”, c’est toi ? Ça pourrait tout aussi bien être un Ellison, ou un Ellington, ou un Ellery, n’est-ce pas ? Tu es tellement gêné, Votre Altesse. »

    « Un prince ! Avec le nom Ellie ! Et dans la région ?! Je suis la seule personne qui correspond à ces critères, et tu le sais ! Ne sois pas ridicule ! »

    « Tu es de plus en plus intelligent ces derniers temps… Ce n’est pas mignon. », dit Rachel en fronçant les sourcils.

    « C’est quoi ce regard ? ! Tes paroles et tes actions ont déjà dépassé le stade du simple manque de respect ! »

    « Il semble que je sois déjà allée trop loin, est-ce qu’un peu plus de choses pourraient ajouter à la liste des charges ? »

    Elliott lança un regard noir dans la cellule : « Alors, tu l’admets ? ! Tu t’es donc bien moqué de moi ! »

    Ignorant le prince chimpanzé, qui hurlait et tentait de l’intimider à l’extérieur de sa cage, Rachel ouvrit son livre.

    « Je te l’ai dit, ce n’était pas mon intention. C’est vrai que j’ai fait quelques avions en papier pour tuer le temps. Mais j’ai juste utilisé du papier brouillon que j’avais sous la main. »

    « Du papier brouillon ? ! Avec un tel contenu écrit dessus ?! Que peux-tu bien avoir à écrire pour laisser traîner des notes comme ça ?! »

    « Il se trouve que je travaille comme rédacteur pour un éditeur clandestin. Ce sont des titres candidats pour un magazine people. »

    « Quel genre de travail est-ce pour la fille d’un duc ?! »

    *****

    « Le prince est tellement stupide que j’en ai mal à la tête. Il ne m’a même pas fait remarquer qu’il était bizarre que je puisse travailler depuis l’intérieur d’une cellule de prison », dit Rachel en soupirant.

    Le prince avait enfin réussi à lui porter un coup ! Si on pouvait appeler ça comme ça ?

    Rachel grommela en sortant tous ses livres des boîtes en bois.

    « Hrm… Je le savais. J’ai lu tout ce que j’ai apporté ici. »

    Elle avait emporté tous les livres à l’aspect intéressant sur lesquels elle pouvait mettre la main, mais avec le temps libre excessif qu’elle avait, elle les avait lus jusqu’au dernier. Il y avait un intérêt à relire les choses, mais il était encore trop tôt pour cela.

    « Et je viens aussi de finir ma broderie. »

    La meilleure tenue de George, qu’elle avait apportée, sans le demander, avait maintenant un motif dynamique brodé dessus. Et tout ceci sans sa permission.

    Le mantelet noir représentait une bataille entre dragon et phénix en fil d’or et d’argent. Cela irait parfaitement avec sa fausse intelligence et son image d’homme à lunettes renfrogné. Ils ne manqueraient pas de le complimenter avec des commentaires tels que « Whoa, voilà un type ivre de l’idée qu’il est omnipotent » et « Quel âge a-t-il ? Est-ce qu’il pense encore “J’ai été choisi par Dieu”, ou quelque chose comme ça ? »

    « George sera sûrement populaire dans cette affaire. J’ai travaillé dur pour mon petit frère. »

    Et comme il allait certainement verser des larmes de gratitude, elle devra donc demander à quelqu’un de les remettre en douce dans son placard.

    Ses passe-temps étant épuisés, Rachel n’avait plus rien pour l’occuper la nuit.

    « On m’a aussi interdit la musique et la chasse. »

    Il serait divertissant de briser délibérément ces interdictions, mais elle en avait assez du prince en ce moment et ne voulait pas le faire se précipiter ici au milieu de la nuit.

    « Honnêtement, faire du tapage dans la chambre d’une jeune femme au milieu de la nuit. Son Altesse manque de discrétion », murmura Rachel, une critique qui aurait pu être plus valable si elle n’était pas la cause directe de son comportement.

    Rachel commença à chercher quelque chose à faire. Soudainement, ses yeux tombèrent sur du papier à lettres. Elle avait transformé ses chutes de papier en avion en papier, mais il lui restait encore beaucoup de papier vierge.

    « Je sais… Si je n’ai pas de romans, je peux essayer d’écrire les miens. »

    Elle ne s’en vanterait pas elle-même, mais Rachel était une personne créative. Elle avait même déjà écrit des livres auparavant. Bien qu’elle n’ait jamais rien écrit de long, elle avait la chance d’avoir beaucoup de temps et de matière ici.

    « Hmm, mon protagoniste sera le prince Vermouth, le prince d’un petit pays. Un idiot, fidèle à ses désirs et détestant réfléchir à quelque chose de difficile. Il tombe dans des pièges et court après toutes les filles qu’il voit, toujours accompagné par son propre cheval. »

    Au fur et à mesure qu’elle notait les antécédents du personnage, des idées d’histoires et de personnages secondaires surgissaient dans sa tête les unes après les autres. Le simple fait de regarder la liste des points lui donnait l’impression qu’elle avait un travail assez long sur les bras.

    « Oui, j’aime ça ! Si je n’ai pas de romans, je vais devoir écrire les miens ! »

    Rachel rassembla tout le papier et l’encre qu’elle avait, rapprochant la lumière et prenant la plume en main.

    *****

    Quelques jours plus tard, dans la nuit, une femme sortit de l’ombre devant les barreaux de la cellule. Elle appela discrètement Rachel, qui écrivait quelque chose, et dit : « Jeune maîtresse, j’ai apporté les choses que vous avez demandées parce que vous avez dit que c’était urgent, mais… à quoi pensez-vous utiliser ces choses ? »

    Elle s’approcha des barreaux et glissa les objets qu’elle avait apportés à l’intérieur de la cellule. Il y avait quatre ou cinq piles de papier à lettres enveloppées dans du papier ciré brun, et deux ou trois boîtes en carton contenant chacune une douzaine de bouteilles d’encre. En tout, cela représentait quelques milliers de feuilles de papier et beaucoup d’encre. C’était plus que ce qu’un individu pouvait normalement consommer.

    « J’espère que cela ne vient pas de la maison ducale ? », demanda Rachel.

    « Non, je les ai achetés en ville. Peu importe à qui vous les donnez, personne ne pourra remonter jusqu’à vous. », répondit la femme en secouant la tête.

    Rachel tendit à la femme une grande pile de papiers, ce qu’elle avait terminé jusqu’à présent. C’était écrit dans une écriture soignée, facile à lire, mais… eh bien, il y en avait beaucoup.

    Rachel, des poches sous les yeux, sourit à sa servante pendant que la femme regardait son travail.

    « Il y a bien un éditeur qui est bon pour distribuer des choses dans la clandestinité tout en gardant l’auteur secret, non ? », demanda Rachel.

    « Oui, madame. J’ai quelques idées, mais pourquoi ? »

    « Je veux que ce manuscrit soit diffusé dans toute la ville en même temps. Ils peuvent conserver ma part des bénéfices, alors demandez-leur de maintenir un prix bas et d’imprimer autant d’exemplaires que possible afin de les vendre dans la capitale. »

    Rachel remit la fin qu’elle venait de terminer à son domestique et se frotta l’arête du nez. Il était clairement temps de finir la nuit au lit.

    « Ouf. Après avoir travaillé si dur, je me sens plus épuisée que je ne l’ai été depuis longtemps. »

    Sa servante, qui avait regardé son travail, pencha alors la tête sur le côté.

    « Jeune Maîtresse… Pour être honnête, je ne peux pas imaginer le fait de vouloir désespérément finir ça maintenant. »

    « C’est parce que tu ne comprends pas le processus de création. Lorsque l’inspiration frappe, tu dois jeter tout ce que tu as dans ton travail avant que ta passion ne refroidisse. Heh… Heh heh… Tu sais, je me suis tellement investie que j’ai fini trois volumes de La grande aventure du prince débile, et deux d’un spin-off intitulé Son Altesse est après moi. »

    Il va sans dire que Rachel s’était servie de son abondante expérience personnelle pour écrire les façons dont le prince Vermouth s’était humilié, mais elle s’était dit qu’il lui suffisait d’ajouter un avertissement disant « Cette histoire est une œuvre de fiction », et tout irait bien.

    Dans le spin-off, un jeune garçon innocent et stupide nommé Hanks avait pour ambition de devenir chevalier, et lorsque le prince reconnaît inopinément son talent, il s’élèvera dans le monde. Le prince bienveillant choisit Hanks pour en faire son chevalier personnel, mais il s’avérait qu’en fait, le prince avait un certain penchant et le poursuivait. De nombreuses péripéties s’ensuivirent.

    De nos jours, le taux d’alphabétisation augmentait et les romans populaires faisaient l’objet de beaucoup de presses. Si c’était intéressant, ils étaient susceptibles de le lire.

    « Je me suis donnée la peine de l’écrire, alors je veux vraiment que le public le lise. Je vais en écrire d’autres aussi, alors je compte sur toi, d’accord ? »

    « Oui, madame ! »

    Sa servante hocha la tête, mais au lieu de partir, elle continua à feuilleter le manuscrit.

    « Jeune Maîtresse. »

    « Oui ? »

    « Deux de vos pages sont mal numérotées. De plus, dans Son Altesse, ne pensez-vous pas que le lecteur s’ennuiera dans la scène clé où Elliott s’impose à Sykes si vous lui faites faire trois fois de suite entre les répliques “Ah ?!” et “J’ai été souillé…” ? Et si je peux me risquer à donner un avis personnel, je pense que je préférerais que Sykes soit à la place un haut fonctionnaire à la volonté faible. »

    « Je ne te demandais pas d’aller jusqu’à l’éditer. Mais très bien, vas-y et corrige tout ce qui te semble étrange. »

    *****

    M. Robinson, de la société Mouse & Rat, essuya son crâne chauve avec son mouchoir et sourit à la femme non identifiée qui était venue en disant qu’elle voulait faire publier un roman par le biais du marché noir.

    « D’accord, je comprends vos conditions pour le publier. Notre entreprise publique n’a rien à voir avec l’édition, vous pouvez donc compter sur nous pour dissimuler son origine. Je vais le diffuser partout sans que les gens sachent que nous sommes impliqués. Maintenant, au fait… »

    Robinson désigna deux endroits différents dans les manuscrits qui étaient censés avoir la même signification.

    « Dans le premier volume, le prince est Vermouth, et le chevalier est Hanks, mais plus tard, cela devient Elliott et Sykes. L’auteur écrivait-il en pensant à quelqu’un ? Je pense que l’un de ces noms doit être celui des personnes sur lesquelles elle prenait modèle. Sur lequel voulez-vous l’uniformiser ? »

    Tout roturier modèle qu’il était, M. Robinson ne connaissait même pas les noms de la famille royale de son propre pays. Et la femme de chambre qui était venue le livrer était bien trop influencée par Rachel.

    « Je pense qu’Elliott et Sykes conviendront parfaitement. »

    *****

    Elliott avait remarqué que Sykes était un peu froid avec lui ces derniers temps, restant toujours à une distance inconvenante.

    « Sykes, s’est-il passé quelque chose ? », demanda Elliott.

    « Non, Votre Altesse, que cela ne vous dérange pas », dit Sykes tout en souriant maladroitement et en couvrant ses fesses.

    Elliott pencha la tête sur le côté en signe de confusion.

    ***

    Chapitre 14 : Le Prince s’égare dans un débat

    « Je viens te voir après quelques jours et… Rachel, qu’est-ce que cela signifie ?! »

    Les cris trop familiers du prince Elliott avaient incité Rachel à lever son masque de sommeil et à jeter un regard dans sa direction.

    « Franchement, Votre Altesse, c’est quoi ça de venir dans la chambre à coucher d’une femme et de crier si fort ? Ce genre de choses va révéler tes origines aux gens. »

    « Je suis le prince de ce pays, pas un simple paysan qui a besoin de cacher ses origines ! De plus, si tu appelles ça ta chambre à coucher, où est ton salon, hein ?! »

    « Bien, je vais donc remodeler la prison pour avoir deux chambres. »

    George poussa l’épaule du prince : « Votre Altesse, tu t’éloignes du sujet. »

    « Tu as raison. Rachel, ce n’est pas ce que je t’ai demandé ! Qu’est-ce qui se passe avec toutes ces choses dans ta cellule ?! », répondit le prince.

    « C’est comme ça depuis un moment maintenant. Qu’est-ce qu’il y a d’étrange ? Sais-tu que je suis fatiguée ? »

    « C’est totalement différent ! Tu as dû quitter la prison ! »

    « Je ne suis pas partie », protesta Rachel en s’endormant.

    Puis elle remit son masque de sommeil et se glissa sous sa couverture de duvet.

    La montagne de boîtes en bois qui avait été éparpillée dans la prison avait maintenant été soigneusement empilée, augmentant ainsi l’espace. C’était bien. Peut-être que Rachel avait rangé pendant son temps libre. Cependant…

    « Tu dormais avant ça sur un fauteuil, n’est-ce pas ?! D’où vient ce lit à baldaquin ?! », demanda Elliott.

    « Mngh… Il est là depuis un moment », répondit Rachel, perplexe.

    « Bien, alors qu’en est-il de ce tapis à poils hauts et de ce canapé inclinable avec un ottoman ? ! Et le poêle à briquettes de charbon de bois ?! Et, pire encore, c’est quoi ce bureau près de la fenêtre ?! Il est trop grand pour passer par la porte ! Comment as-tu fait pour l’amener ici ?! »

    « Nngh… Tu es si bruyant. Je te l’ai dit, tout était ici depuis le début. »

    « Ne me mens pas !!! »

    Rachel devait être fatiguée, car elle frotta ses yeux à travers son masque de sommeil, puis tira sur le cordon suspendu à côté du lit. Il y eut un bruit de sifflement alors qu’un rideau tombait juste à l’intérieur des barreaux de sa cellule.

    Le rideau avait un mot écrit dessus en grosses lettres : « FERMÉ ».

    « Quoi… », dit Elliott en couinant.

    *****

    Elliott avait réuni un groupe de près de dix jeunes hommes dans son bureau. Fils de nobles influents, comme Sykes et George, ils étaient à la fois des hommes de main d’Elliott et des membres du fan club de Margaret. Alors que Sykes et George semblaient faire toute la conversation, Elliott avait un certain nombre de personnes qui traînaient derrière lui comme des crottes de poisson rouge. Il les avait donc tous rassemblés, peu importe s’il avait des affaires avec eux aujourd’hui.

    Il était inhabituel pour lui de faire cela sans une certaine occasion, mais la situation dans laquelle il se trouvait en ce moment était une affaire plus importante qu’un quelconque bal.

    Assis en bout de table, Elliott les regarda tous avec une expression amère en disant : « Je pensais avoir condamné Rachel, mais elle fait ce qui lui plaît. C’est encore pire qu’avant. Je veux savoir s’il y a quelque chose que nous pouvons faire contre elle. »

    Malgré la déclaration audacieuse d’Elliott sur sa position pathétique, aucune personne présente n’eut le bon sens de l’interpeller.

    Avec un regard tendu sur son visage, Elliott se tourna vers son ami proche.

    « Tout d’abord, George. Ne m’avais-tu pas dit que tu maîtrisais ta maison ? ! Comment l’intérieur de la prison s’est-il retrouvé comme ça ?! »

    « Eh bien… Il n’y avait aucun signe dans la maison qui montrait qu’elle avait préparé ce genre de chose, Votre Altesse. De plus, aucun des serviteurs ne semblait agir bizarrement. »

    Cet homme qui, sur le papier du moins, était censé être talentueux, n’avait jamais considéré que sa sœur pouvait avoir une base d’opérations en ville.

    « Qu’est-ce que le garde a à dire pour sa défense ? »

    Sykes, qui ne l’avait pas suivi plus tôt dans la journée, demanda cela à George.

    « Le fait qu’il ait négligé tout ça doit être un manquement au devoir, non ? »

    « Eh bien, en fait… il a d’autres tâches, et il ne visite le donjon qu’en patrouille. Il a été choqué de voir à quel point les choses avaient changé quand il y est allé aujourd’hui. »

    « Hmph, quel crétin », grommela Sykes.

    Il est certain que le garde n’aurait pas apprécié le fait de se faire traiter de crétin par un plus crétin que lui.

    « Créer des ouvertures est une de ses spécialités, après tout ! Sois maudite, Rachel ! »

    Elliott écrasa alors ses mains sur le bureau, le visage déformé par la rage.

    « La plupart des femmes nobles seraient-elles aussi provocantes après avoir été jetées dans un donjon ?! Je pensais que quelques jours là-dedans la ferait pleurer et implorer le pardon. Comment cette femme ennuyeuse, dont la seule qualité était de se taire et de faire ce qu’on lui disait, a-t-elle pu changer si complètement ?! »

    « C’est un trop grand changement, je l’admets », en convint George.

    La plupart des gens n’avaient qu’une seule image de Rachel, elle avait donc fait un peu plus qu’ôter son masque pour révéler sa vraie personnalité. C’était un changement si complet et total que certains d’entre eux avaient entièrement perdu toute confiance dans les femmes.

    « Je l’ai bannie de la société polie pour sauver Margaret, qu’elle opprimait ! Alors pourquoi dois-je passer chaque moment éveillé à penser à Rachel, Rachel, Rachel. Je ne peux même pas dormir parce que je m’inquiète de ce qu’elle pourrait faire ensuite ! Son visage est gravé dans mon esprit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et je n’arrive pas à le faire disparaître ! »

    Voyant la façon dont toute cette situation consumait la vie du prince, Sykes fit un clin d’œil et claqua des doigts, prenant une pose prétentieuse qui ne convenait pas du tout à cette tête de linotte.

    « Votre Altesse, c’est ce qu’on appelle… l’amour », déclara Sykes.

    Elliott jeta alors un vase de fleurs au visage de Sykes, puis ignora ses gémissements de douleur en se tournant vers le reste de ses serviteurs.

    « Appelle ça comme tu le souhaites. Personne n’a une idée de la façon dont nous pouvons lui donner une leçon ? »

    Les hommes assemblés se regardèrent les uns les autres, sentant déjà l’échec dans la façon dont leur prince parlait. Pourtant, ils lui proposèrent les idées qui leur venaient à l’esprit.

    « Et si vous l’enfumiez ? », demanda un jeune homme.

    « Elle m’a déjà fait ça », fit remarquer Elliott.

    « Alors, pourquoi ne pas y mettre quelque chose qui pue ? », demanda un autre.

    « Elle m’a déjà fait ça. »

    « Tu pourrais impliquer d’autres personnes et leur demander de la harceler. »

    « Elle m’a déjà fait ça. »

    « Et pourquoi ne pas répandre des rumeurs méchantes sur elle ? »

    « Elle m’a déjà fait ça. »

    Elliott lança un regard noir aux jeunes hommes : « Vous autres… Êtes-vous venus ici aujourd’hui pour vous moquer de moi ?! »

    « Nooon ? ! Nous n’aurions jamais imaginé que tu aurais échoué à ce point… »

    Bien qu’ils aient secoué la tête et nié, les jeunes hommes ne réalisèrent pas qu’ils ne faisaient que frapper Elliott alors qu’il était déjà à terre. Heureusement, un homme était là pour les punir.

    Debout à côté de son prince émotionnellement marqué, George riposta en disant : « Écoutez, vous tous. Son Altesse n’a pas échoué. Son adversaire l’a simplement battu. »

    « Je n’ai pas besoin de tes corrections ! », claqua Elliott.

    Un coup de pied ferme dans les fesses de George le fit tomber et le laissa étalé sur le sol.

    « Tout de même, pour en revenir au sujet qui nous occupe », dit un jeune homme assis à droite en levant la main.

    C’était le fils d’un comte.

    « Seigneur Ferguson, il semble que sa personnalité ait considérablement changé depuis qu’elle a été envoyée en prison. N’est-il pas inévitable que toutes nos prédictions antérieures ne se vérifient plus ? »

    « Oh ! On peut dire ça, oui. », lâcha Elliott.

    La femme qui avait autrefois suivi le prince d’un pas décidé s’était transformée, au moins pendant son séjour dans le donjon, en une folle qui s’emportait en faisant ce qui lui plaisait.

    À ce moment-là, l’air de la pièce changea, se remplissant d’excitation. Il était plus facile de spéculer que d’offrir des propositions concrètes.

    « Et si celle-là était une remplaçante, et que le prince l’a déjà tuée ? », dit un jeune homme.

    « Si je l’avais tuée, pourquoi aurais-je tenu une réunion comme celle-ci ?! », protesta Elliott.

    « Ou alors, c’est une doublure, et l’original a quitté la ville », suggéra un autre.

    « Qui choisit un faux qui est plus fou et a plus de personnalité ? »

    Alors que la discussion passait d’une réunion stratégique à un débat pour savoir si la jeune femme était une impostrice, un jeune homme, fils aîné et héritier d’un vicomte, leva la main.

    « Mettons de côté la question de son authenticité. Ce qui m’intrigue, c’est… Eh bien, je ne sais pas comment le dire, mais… ne trouvez-vous pas que Rachel est devenue plus sexy tout d’un coup ? »

    « Tu l’as dit ! »

    Les sous-fifres d’Elliott hochèrent tous la tête en signe d’accord. Même Elliott, qui assistait avec exaspération à la dérive de la réunion, avait ressenti la même chose. Sa coiffure était restée la même, et elle ne se maquillait presque pas, mais… son visage était très expressif, et même si elle ne portait que des vêtements de détente, elle dégageait une aura beaucoup plus sensuelle et enchanteresse.

    Les jeunes hommes parlaient d’elle avec enthousiasme.

    « C’est comme si chacun de ses gestes était empreint de sexualité. »

    « Oui ! C’est parce que son visage est plus expressif ? Il y a quelque chose de vibrant en elle, comme si elle était une esquisse en noir et blanc qui est maintenant colorisée. »

    La conversation des garçons pubères continua dans cette veine, mais…

    « Tu sais, pour être changé à ce point… peut-être qu’être la fiancée de son Altesse a été très dur pour elle ? »

    « Oh. Maintenant que tu le dis, elle est devenue beaucoup plus gaie dès que leurs fiançailles ont été rompues. »

    « Elle a l’air si pleine de vie sans fiancé qui lui pèse. »

    La conversation prenait à nouveau une direction étrange. Entre leurs murmures compatissants, ils jetèrent des regards aux sourcils froncés de leur chef.

    « De quel côté êtes-vous ?! », cria Elliott, une veine pulsant sur son front.

    Ils baissèrent alors tous la tête, sans prononcer un mot de plus.

    « Le changement en elle va bien au-delà du simple fait d’être plus gaie ! Nous devons reconnaître qu’elle est un serpent qui a caché sa vraie nature jusqu’à présent ! »

    Elliott regarda alors à sa gauche et à sa droite.

    « Honnêtement, vous autres. Pourquoi laissez-vous Rachel vous tromper si tard dans la partie ? »

    « Désolé, monsieur… »

    « On s’en fout qu’elle soit devenue plus gaie ! Vous n’avez rien remarqué d’autre en l’observant ? », demanda Elliott.

    Personne n’osait faire remarquer que le prince avait eu plus de contacts avec elle que n’importe qui d’autre.

    Alors que les jeunes gens réfléchissaient à la question, le fils d’un marquis leva la main.

    « Il y a une chose qui a attiré mon attention », dit-il.

    « Qu’est-ce que c’est ? Parle ! », demanda Elliott.

    « Oui, monsieur. »

    Le fils du marquis regarda chacun des autres, s’assurant qu’il avait leur attention.

    « Ne trouvez-vous pas que Mlle Rachel… a une silhouette assez impressionnante ? »

    La salle devint silencieuse. Cependant, après l’extinction des feux, il y eut un glissement certain d’une réunion sur la façon de gérer Rachel à quelque chose qui ressemblait plus à un voyage entre garçons.

    Incapable de supporter le silence, l’un des hommes dit doucement : « Je ne sais pas… Mlle Ferguson n’a-t-elle pas toujours eu ces proportions ? »

    « Vous savez que les dames portent normalement un corset lorsqu’elles sortent en public. Rachel en portait aussi, bien sûr, mais maintenant qu’elle a revendiqué le donjon comme son espace privé, tout ce qu’elle porte, ce sont des vêtements de détente. Ce qui veut dire… qu’elle ne porte pas de corset. », dit le fils du marquis en secouant la tête.

    Ces mots, prononcés à voix basse, provoquèrent le plus grand séisme dans la foule malgré leur faible volume. Ce genre de détails sur une jeune femme qu’ils connaissaient étaient les choses les plus sexy que de jeunes garçons en pleine puberté comme eux pouvaient imaginer.

    Le fils du comte se pinça le nez : « C’est quoi ce bordel ? C’est chaud ! »

    « Qu’est-ce que tu dis, si tôt ? Je n’ai même pas encore abordé le sujet principal ! Mlle Rachel a l’impression d’être dans sa propre chambre et porte les vêtements les moins surveillés qu’elle n’aura jamais. Maintenant, avec ça en tête… Vous me suivez ? », insista le fils du marquis.

    Ils étaient les seuls dans la pièce, mais les garçons s’étaient serrés les uns contre les autres, échangeant des regards furtifs avant de hocher la tête.

    « Elle ressemble à ça sans avoir à faire quoi que ce soit pour s’habiller ! Vous comprenez ?! Elle n’utilise pas de corset pour rétrécir sa taille, ni pour remonter ses seins. Et parce qu’elle ne s’exhibe pas, elle ne bourre pas sa poitrine de ces infernaux faux coussinets ! Sans aucune assistance artificielle, elle a réussi à maintenir cette silhouette en sablier ! »

    « Mon Dieu ! », s’exclama l’un des jeunes hommes.

    Des murmures excités se précipitèrent autour de la table. Les jeunes hommes perdirent la tête, comme si c’était la révélation du siècle. Ils chuchotèrent rapidement entre eux sur cette découverte choquante.

    À un moment donné, même Elliott se laissa emporter par l’excitation, marmonnant à voix basse : « Quelle brillante déduction ! Je n’en attendais pas moins de l’héritier de la famille Booblansky, une famille qui a produit des savants génération après génération ! »

    « Votre Altesse, mon nom de famille est Wolanski », corrigea le fils du marquis.

    « Attendez, attendez ! Attendez ! », s’écria George tout en jetant de l’eau froide sur leur excitation.

    C’était le seul homme qui ne pouvait pas se rallier à cette discussion.

    « Peut-être que ma sœur a une silhouette impressionnante, mais vous n’avez pas l’intention d’abandonner Margaret pour elle juste à cause de ça, non ?! »

    Revenant à la réalité en un instant, Elliott et les autres avaient rapidement démenti.

    « Non, attendez. Ce sont des questions complètement distinctes. Je n’ai pas choisi Margaret pour sa silhouette ! Nous avons une connexion plus, euh, spirituelle, on pourrait dire. Elle m’apaise. », expliqua Elliott.

    « Oui, Son Altesse a raison. Je n’attends rien de la silhouette de Margaret. Je pense que son absence de courbe, non, hum, je veux dire sa minceur… Non, ce n’est pas ça… Ses proportions réalistes ont leur propre charme. », acquiesça Sykes.

    « Non, je disais que son cœur était plus important que son corps… »

    Elliott grommela dans son souffle, choqué que Sykes en soit arrivé à une interprétation déformée et erronée de son argumentation.

    « Seigneur Ferguson, il est peut-être vrai que Madame Margaret perd face à votre sœur en termes de figure idéale. Cependant… », continua le fils du marquis.

    « Oui, tu lui dis, Booblansky ! », dit Elliott en applaudissant.

    « C’est Wolanski. »

    Wolanski, qui venait de finir de vanter les mérites du corps de Rachel quelques instants auparavant, se leva et leva le poing pour faire un discours passionné.

    « Issue d’un milieu commun, Madame Margaret n’a certainement pas pu “construire” son corps de la même manière. Même habillée, on peut dire qu’elle n’a pas de courbes apparentes. Ses seins, sans être inexistants, ne sont pas particulièrement gros. Ses bras et ses jambes ne sont pas gros, mais on ne peut pas dire qu’ils soient minces. »

    « Hein ? N’es-tu pas en train de l’insulter ? », demanda Sykes.

    « Chut ! Tais-toi, Sykes ! », siffla Elliott.

    Wolanski continua, ne faisant que s’échauffer davantage.

    « Cependant, c’est très bien ! C’est tout bon ! Les femmes nobles nées vont, parfois, tourmenter leur corps et cacher leurs vrais traits pour se rendre belles. Voilà ce que je veux demander : sommes-nous d’accord avec cela ?! »

    « Mais ne viens-tu pas de finir de louer la beauté de Mlle Rachel ?! », répliqua bruyamment le fils du comte.

    Le fils du marquis acquiesça, comme si c’était exactement ce qu’il voulait entendre.

    « Qu’est-ce que Mlle Rachel et Mlle Margaret ont en commun ? », demanda-t-il.

    « En commun ? » dit en écho le fils du comte.

    L’une d’elles était une jeune femme de haute naissance qui avait été le choix naturel pour la fiancée du prince, et qui, bien que n’étant pas particulièrement voyante, avait des proportions bien supérieures à la moyenne. L’autre était une fille ordinaire qui avait eu la chance de devenir la plus basse des nobles, et qui avait un charme innocent et un corps d’enfant mignon. Elles étaient si éloignées en apparence et en personnalité que tout le monde devait se creuser les méninges pour trouver quelque chose en commun.

    D’un ton solennel, comme s’il délivrait un oracle divin, Wolanski dit : « Elles sont toutes deux naturelles. Même si on leur enlevait tout ce qu’elles ont, leur silhouette ne changerait pas. Les corps que Dieu nous a donnés ne sont pas faits pour être contraints ou maquillés ! Oui, c’est ce que je veux dire. La beauté d’une femme est naturelle ! »

    « Ohhhhhhhh !!! »

    Et alors qu’il concluait son discours, Wolanski prit une pose, comme s’il regardait vers le ciel. Les autres garçons l’ovationnaient et hurlaient d’approbation. Leur discussion s’était terminée de façon émouvante. La réunion qu’Elliott avait convoquée s’était terminée sur cette note positive, les membres adoptant la Déclaration naturaliste dictée par Wolanski.

    Les participants quittèrent donc le bureau d’Elliott en disant des choses comme « Nous devrions travailler à créer un élan pour abolir les corsets » et « Faisons un discours au roi sur la nécessité d’interdire l’utilisation de maquillage trompeur ».

    Elliott avait l’impression qu’un poids avait été enlevé de ses épaules alors qu’il commençait à trier la paperasse.

    « Hmm, oui, je pense que nous avons eu une réunion assez productive aujourd’hui. Maintenant, le problème a été résolu… Attends, quel problème ? »

    Quelque chose tiraillait l’esprit d’Elliott. Il se tapota le front en essayant de trouver ce que ça pourrait être.

    « Mais au fait, quel était le sujet de la réunion d’aujourd’hui ? »

    ***

    Chapitre 15 : La jeune demoiselle fait des achats

    Levant les yeux de son roman, un espace vide sur le mur attira soudainement l’attention de Rachel.

    « C’est un peu terne… »

    Dans le manoir de sa famille, des tableaux et des vases de fleurs étaient disposés un peu partout. La propre chambre de Rachel ne faisait pas exception, avec un portrait d’elle et une ou deux peintures de paysage qu’elle aimait.

    « Hmm… »

    Tout en se levant de son canapé, Rachel regarda autour d’elle. Évidemment, les murs du donjon n’étaient faits que de pierres empilées, ils n’étaient donc pas très beaux à regarder. La fresque qu’elle avait peinte l’autre jour était le seul point de couleur.

    « Si je prévois de vivre dans cet endroit, je devrais vraiment le décorer à mon goût. N’est-ce pas la partie la plus satisfaisante d’un déménagement ? »

    Ce n’était pas quelque chose qu’un prisonnier ordinaire aurait pensé.

    « Il serait plus rapide de demander à Sofia et aux Chats noirs de la nuit noire de me rapporter des choses, mais je pense que j’aimerais développer de nouveaux partenaires commerciaux dans l’espoir de trouver des goûts uniques que je n’ai jamais vus auparavant. »

    Rachel, une prisonnière effectivement très anormale, tapa dans ses mains en sortant sa papeterie et commença à écrire.

    *****

    « Hé, Rachel », dit le Prince Elliott.

    Sa voix arrogante fit que Rachel leva à contrecœur les yeux du magazine qu’elle lisait.

    « Qu’est-ce qu’il y a, Votre Altesse ? J’essaie de lire, là ? »

    Rachel réalisa qu’Elliott ne regardait même pas dans sa direction. Ses yeux passaient par-dessus sa tête, vers le côté opposé de la prison.

    « Y a-t-il toujours eu une peinture ici ? », demanda-t-il.

    Le mur qu’il regardait portait une grande peinture encadrée, un magnifique paysage de bord de rivière avec des lys en fleurs.

    « Oh mon Dieu, Votre Altesse. Ta mémoire te fait-elle défaut à un si jeune âge ? », dit Rachel avec inquiétude.

    « Quoi ?! Non, ce n’est pas le cas ! Oh, mais maintenant que tu le dis… »

    « J’ai accroché celui-ci hier. Dire que tu es incapable de te souvenir d’un changement aussi récent. », expliqua Rachel.

    « Tu l’as donc bien apporté récemment. Hé, il est donc si facile pour toi d’apporter des peintures ici. Qu’est-ce que c’est, une belle démonstration ? Me montres-tu que tu as même préparé ce genre de choses non essentielles ?! », cria Elliott tout en s’accrochant aux barreaux avec une mine renfrognée.

    « Ce n’était pas mon intention. Après tout, ce tableau ne vient même pas de chez moi. »

    Elliott se tourna vers George et lui demanda : « C’est vrai ? »

    « Eh bien, je ne l’ai effectivement jamais vu dans la maison… », répondit George.

    Même lui ne pouvait pas dire d’où elle venait.

    « Où l’as-tu pris ? », demanda Elliott à Rachel.

    « Es-tu stupide, Votre Altesse ? Où pourrais-je me promener et prendre des choses ? »

    « Tu marques un point… »

    Le fait qu’Elliott ait accidentellement manqué de se faire demander s’il était stupide ne faisait que montrer à quel point il était idiot.

    « Tu ne l’as pas apporté de la maison, et tu ne l’as pas pris. Où donc l’as-tu eu ? »

    Comment cette peinture était-elle apparue ?

    Alors qu’Elliott continuait à réfléchir à la situation, Rachel, les yeux toujours rivés sur son magazine, répondit nonchalamment : « Je l’ai acheté. »

    « Où un prisonnier achète-t-il des choses ?! », s’interrogea Elliott.

    « Hé, Votre Altesse », dit Sykes alors qu'il avait observé tranquillement pendant tout ce temps.

    Il pointa du doigt le magazine que Rachel lisait.

    « Ce magazine littéraire, il est sorti cette semaine. »

    « Quoi ?! »

    Bien que l’augmentation récente du nombre de maisons d’édition ait entraîné une croissance rapide des livres de divertissement, ce genre de magazine ne sortait que lorsqu’il avait amassé suffisamment de matériel, leur calendrier était donc toujours irrégulier. Aucun magazine ne sortait si régulièrement qu’il était impossible de distinguer un volume du suivant. Si Sykes pouvait le reconnaître à distance, c’était qu’il devait effectivement être sorti assez récemment.

    « Hé, Rachel ! Où as-tu trouvé ce nouveau magazine ?! », cria Elliott.

    « Franchement, pourquoi penses-tu que je te dirais ça ? Tout le monde sait que ce genre de divertissement apparaît spontanément dans un donjon sans que le geôlier ne sache comment. »

    « Comme si j’allais croire quelque chose d’aussi manifestement absurde ! »

    *****

    « Quelque chose ne va pas. Maudite soit cette Rachel. Elle a quand même apporté de nouvelles choses là-dedans. »

    Le grognement d’Elliott était entièrement justifié. Rachel ne pouvait pas sortir, et il n’avait trouvé aucun document à la porte indiquant que des personnes suspectes ou des pourvoyeurs de la maison ducale étaient entrés.

    « Et s’il y avait un endroit où le mur s’ouvre, et que Mlle Rachel sortait faire des courses ? », suggéra Sykes.

    Elliott lui lança alors un regard furieux : « Il n’y a pas de passage secret ici ! Nous avons vérifié avant, et Rachel ne peut pas avoir eu le temps de monter quelque chose. »

    Il aurait fallu une quantité incroyable de temps pour creuser un passage souterrain. Même si Rachel avait su à l’avance qu’il allait rompre leurs fiançailles, elle n’aurait toujours pas eu assez de temps pour en construire un.

    « Alors comment expliquer que ma sœur ait apporté des choses ici ? », demanda George.

    George était lui aussi très perplexe. Sa sœur avait toujours été difficile à comprendre, mais maintenant que les choses en étaient arrivées là, il n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait tirer.

    « De toute façon ! Je veux une vérification approfondie pour voir si personne de suspect n’est entré et sorti du palais. Que les chevaliers et les gardes de la porte fassent une enquête détaillée sur tous les visiteurs ou marchands dont la destination à l’intérieur du palais semble suspecte. », cracha Elliott avec colère.

    « Oui, monsieur ! »

    *****

    Le marchand en chef de la société de la Couronne, une entreprise de longue date qui avait obtenu l’accès au palais depuis deux décennies maintenant, vérifia que personne ne regardait et il entra dans les jardins arrière. Puis il descendit tranquillement les marches du donjon.

    « Bonjour, et merci pour vos achats. Je suis de la société de la Couronne. »

    Dans sa cellule, Rachel leva les yeux de son livre.

    « J’ai attendu. J’espère que personne ne vous a vu entrer ici ? »

    « Non. Tout va bien. Je visitais les chambres des dames de la cour pour prendre leurs commandes, donc tant qu’on ne me voit pas ici, je devrais pouvoir tout expliquer. »

    Le marchand expérimenté commença à sortir de son sac des articles qui répondaient aux spécifications de la commande de Rachel.

    « Ce sont les articles que vous avez commandés et qui ne sont pas encore arrivés. »

    « OK, merci. »

    « Merci. À propos, en ce qui concerne la lampe à vitrail étrangère que vous avez mentionnée… Voici notre catalogue. Si vous en trouvez une qui vous plaît, je vous la ferai parvenir dans la semaine, alors, n’hésitez pas à faire appel à nos services. »

    « Bien sûr, je vais jeter un coup d’œil. Désolée de toujours vous déranger comme ça. »

    Le vieux marchand se frotta les mains et inclina la tête en disant : « Oh, cela n’est en rien un problème ! Aussi, nous aimerions beaucoup poursuivre cette relation à l’avenir. »

    « Oui, je vais parler à mon père afin qu’il vous autorise à entrer dans la maison ducale. »

    « Je vous en prie ! »

    Le marchand s’inclina obséquieusement, satisfait de l’offre verbale de Rachel. Il prit sa prochaine commande et s’en alla.

    Entre deux bouchées de l’un des biscuits récemment arrivés d’une boutique bien connue de la ville du château, Rachel se dit : « Connaissant Son Altesse, je suis sûre qu’il enquête sur les marchands qui ont soudainement commencé à venir au palais récemment. »

    Lorsque les serviteurs de Rachel apportaient des fournitures dans la prison, ils se faisaient également passer pour des marchands qui avaient été des fournisseurs de la maison royale pendant des années. Rachel ne ferait rien qui permette à ce bouffon de prince de l’attraper, même pour développer de nouveaux partenaires commerciaux. Un fournisseur de longue date de la maison royale comme la Compagnie de la Couronne voulait toujours avoir autant de nouveaux clients nobles que possible. Aucun marchand ne se contenterait d’un mandat royal de nomination. En raison de la position de Rachel, les principaux fournisseurs étaient prêts à prendre des risques pour faire des affaires avec elle, et ils savaient comment contourner toutes les règles en place.

    Étant né prince, Elliott n’avait aucun sens pour ce genre de choses.

    « Mais je suis sûre qu’une fille de duc ordinaire n’a également aucune idée de ce qui se passe dans la tête d’un marchand. », se dit la fille de duc anormale en écoutant les bruits de pas qui se rapprochaient et en sortant la bouteille de vin qu’elle avait préparée pour le garde.

    ***

    Chapitre 16 : La jeune demoiselle fait du bénévolat

    Alors que Sykes se promenait dans le palais, un prêtre arriva avec un groupe de jeunes enfants.

    « Bonjour, monsieur ! »

    « Salut, petit ! »

    « Hé, vieil homme ! »

    « Ne m’oblige pas à te tuer, sale gosse. »

    Une fois le cortège d’enfants passé, quelque chose vint soudainement à l’esprit de Sykes.

    Hein ? Comment se fait-il qu’une bande d’enfants de l’orphelinat puisse se promener dans le palais ?

    Il se retourna juste à temps pour voir les enfants disparaître par une porte l’un après l’autre, une porte qui lui était déjà familière, menant au donjon où se trouvait Rachel.

    « Hé, il se passe encore quelque chose… », murmura Sykes.

    *****

    Quand ils reçurent le rapport de Sykes, le Prince Elliott et les autres s’étaient précipités, descendant les escaliers jusqu’au donjon. Là, ils trouvèrent…

    « Il était une fois un petit pays appelé le Royaume des Fleurs. »

    Les enfants étaient assis sur le sol à l’extérieur des barreaux, écoutant Rachel qui leur lisait un livre d’images. Oui, à l’intérieur d’une pièce en pierre froide éclairée seulement par la faible lumière du soleil, une fille entourée d’une montagne de boîtes en bois et une peinture murale d’une grande vallée lisait avec enthousiasme des histoires à de petits enfants qui écoutaient attentivement. Entre eux se trouvait un ensemble de barres de fer.

    « Quelle est cette scène que je regarde ? ! », s’écria Elliott malgré lui.

    Les enfants s’étaient tous retournés pour le regarder, fronçant les sourcils et portant un doigt à leurs lèvres pour lui demander de se taire.

    Peu convaincu, Elliott demande à Georges : « Est-ce moi le méchant ici ? »

    Mais Georges n’avait pas de réponse à lui donner.

    « C’est comme un entrepôt dans un marché d’esclaves », fit remarquer Sykes avec désinvolture.

    Cette observation si futile lui valut une grimace d’Elliott.

    S’ils devaient suivre ce concept, alors cela ferait d’Elliott le marchand d’esclaves, de Sykes son manager et son garde du corps, et de George le commis principal. Elliott serait le méchant, et Rachel l’héroïne tragique. Il ne pourrait jamais accepter une histoire sans intérêt comme celle-là. Pourtant, sans aucune idée de ce dans quoi ils s’étaient embarqués, ils n’avaient aucun moyen de trouver une réponse par eux-mêmes.

    Alors que les enfants les huaient pour avoir interrompu leur plaisir, George demanda à Rachel : « Ma sœur, que se passe-t-il exactement ici ? »

    En répondant joyeusement à la question peu enthousiaste de son petit frère idiot, Rachel avait l’air d’une sainte.

    « Oh là là, je n’aurais jamais pensé que tu me le demanderais. Tu vois, je me rendais avant ça à l’orphelinat chaque semaine pour faire du bénévolat. Mais avec la situation dans laquelle je me trouve maintenant, je n’ai pas eu d’autre choix que d’arrêter. Je suis si heureuse que les enfants soient venus me rendre visite. »

    Sa réponse combinait habilement la question : « As-tu au moins surveillé ta propre sœur ?! », la critique : « C’est de ta faute si j’ai été obligée d’arrêter de faire la charité !! » et la réprimande : « Tu forces ces enfants innocents à être si prévenants ! »

    Aucun d’entre eux n’avait pu dire quoi que ce soit en réponse.

    Les ignorant, Rachel s’était retournée vers les enfants et, avec le sourire d’une mère affectueuse, reprit sa lecture.

    « Le Royaume des Fleurs avait un prince. Toutes les filles l’aimaient pour ses belles boucles d’or, mais malgré son air fringant, le prince était plutôt faible, et aussi un coureur de jupons sans espoir. Peu importe comment ses serviteurs le réprimandaient, il ne voulait ni étudier ni travailler. Et même si les gens se moquaient de lui pour cela, le prince infidèle passait son temps à errer d’une fille à l’autre. Il passait toutes ses journées à courir après les filles et à s’amuser. Le prince ne travaillait jamais. Cela troublait vraiment tous les serviteurs. Ces derniers et le peuple le regardaient froidement, mais ce coureur de jupons ne le remarquait pas. Finalement, les gens en colère saisirent le prince. Ils lui dirent ce qu’ils pensaient, mais ce dernier n’avait pas pu le comprendre. Réalisant que le prince était incapable de voir son erreur, même ses serviteurs l’abandonnèrent. Maintenant, que va-t-il advenir du prince ? »

    Les enfants aux yeux brillants qui avaient écouté Rachel répondirent tous : « Qu’on lui coupe la tête ! Qu’on lui coupe la tête ! »

    Rachel sourit à leur chant joyeux : « Oui, c’est vrai. Ils ont traîné le prince sur la place, et ensuite on lui a coupé la tête ! Le mauvais prince fut exécuté à la hache ! »

    « Yayyyyy ! »

    « Attends, quoi ?! », s’exclama Elliott.

    Il s’interposa entre les enfants et Rachel, qui lui lança alors un regard noir de l’autre côté des barreaux.

    « Quel genre de livre leur lis-tu ?! »

    « Y a-t-il quelque chose d’étrange ? », demanda Rachel.

    « Qu’est-ce que tu crois qu’il y avait d’étranges dedans ?! C’était bien trop sombre ! Et je suis étonné que tu aies réussi à trouver un livre aussi satirique. »

    « Oh, mon dieu. Est-ce que quelque chose dans l’histoire t’a choqué, Votre Altesse ? », dit Rachel avec un sourire sans faille.

    « Urgh ! »

    Rachel, qui savait exactement ce qu’elle faisait, gardait un sourire plaqué sur son visage, tandis que les enfants, qui ne savaient pas ce qu’elle faisait, regardaient Rachel et Elliott d’un air dubitatif. Elliott ne pouvait pas l’insulter alors que des enfants qui ne comprenaient pas la situation étaient présents. Il pointa un doigt tremblant vers Rachel à travers les barreaux.

    « Oublie-moi ! Ce livre a clairement une mauvaise influence sur leur éducation ! N’as-tu rien de mieux ? ! »

    « Oh, mais j’étais juste en train de leur lire une histoire banale. »

    « Une histoire banale ? ! Avec toutes ces histoires d’adultères et exécutions, le contenu de ce livre n’est pas adapté aux enfants, et tu le sais ! »

    Rachel retourna le livre dans ses mains. Il ressemblait effectivement à un livre d’images pour enfants.

    « Il me semble parfaitement normal. C’est quand même une œuvre à but moralisateur. Je pense que c’est précisément le genre de matériel qui devrait être lu aux enfants. »

    « Il y a de la malice dans ton choix de livre ! Il est évident que le prince était censé être moi ! »

    Rachel répondit à la colère d’Elliott par un rire idiot.

    « Oh, mon Dieu, Votre Altesse, tu me trompais ? Cela mérite effectivement l’exécution. »

    « Pourquoi es-tu si effrontée… Tout ça parce que tu as intimidé Margaret ! Tu devrais avoir honte de toi, au lieu de m’en vouloir indûment pour ça, espèce de sorcière ! »

    Le sang était monté à la tête d’Elliott, et il avait fini par crier. Au moment où il réalisait ce qu’il avait fait, il entendit les enfants chuchoter.

    « Qui est ce type qui parle fort ? Il est méchant. »

    « Il est un peu comme le prince dans le livre, non ? »

    « Oh, maintenant que tu le dis. Le prince était aussi blond, non ? »

    « Est-ce qu’il trompe tout le temps ? »

    « Il a perdu la tête. »

    Les enfants ne disaient pas ces choses par ressentiment, et comme Elliott savait qu’ils disaient simplement ce qu’ils pensaient vraiment, leurs commentaires étaient d’autant plus blessants.

    « Merde ! Je vous ferai savoir que je travaille, ok ?! Et je ne fais pas l’idiot ! », déclara Elliott.

    « Pourquoi cherches-tu des excuses à donner aux enfants ? », demanda Rachel.

    « Des excuses ? ! C’est la vérité ! »

    « Il a l’air désespéré », dit l’un des enfants.

    « Est-ce que tu vas aussi perdre la tête, monsieur ? », dit un autre.

    Elliott recula alors, sentant qu’il était totalement désavantagé. De plus, il ne pouvait pas se disputer avec des enfants.

    Les enfants, qui avaient apprécié le livre d’images, se rassemblèrent autour de Rachel et crièrent de joie lorsqu’elle leur donna de gros biscuits.

    Pourquoi est-ce que c’est le prisonnier qui donne des biscuits ?, se demanda Elliott, hébété.

    Peu importe ce que lui ou ses acolytes disaient, ils ne pouvaient pas gagner avec les enfants ici. Elliott et les autres avaient décidé d’en rester là et de revenir plus tard. Ils étaient les plus vertueux ici. Ils ne pouvaient pas chasser une bande d’enfants juste pour pouvoir s’en prendre à Rachel.

    Et alors qu’ils étaient sur le point de partir en trombe, Rachel leur offrit le livre.

    « Ça vous ferait du bien de lire des livres comme ceux-là, et de vous entraîner à pouvoir les lire aux autres. »

    Elliott sentit alors le non-dit « Pourquoi ne fais-tu pas du bénévolat ? » mais, ne voulant pas être humilié davantage devant les enfants, il lui arracha le livre des mains et quitta le donjon.

    Il s’était plaint tout le long du chemin jusqu’à son bureau.

    « Maudite soit cette Rachel ! Tout ce qu’elle fait est si méchant ! Elle n’avait pas besoin de faire comme si je ne faisais jamais de charité devant les enfants… »

    « Oui, c’est difficile pour toi de lui crier dessus avec les enfants présents. Tu essaies toujours de te faire bien voir », ajouta Sykes.

    « La ferme ! », hurla Elliott.

    Alors qu’Elliott frappa Sykes, George regarda le livre d’images.

    « Je n’ai jamais entendu parler d’une histoire comme celle-là. De quel pays vient-elle ? »

    En feuilletant rapidement les pages, il regarda le colophon à l’arrière.

    L’histoire t’a plu ? Pour le Prince E, avec amour. Histoire/Illustration par R.F.

    « Ma sœur a écrit cette chose elle-même… », murmura George.

    « Merde ! Une histoire très commune, mon cul ! C’était vraiment une satire de moi ! »

    Le hurlement d’un mauvais perdant résonna dans les jardins.

    ***

    Partie 4 : Bonjour gamine

    Chapitre 17 : Une fille rend visite à la jeune demoiselle

    Le garde s’était habitué aux visiteurs inhabituels, mais… Celle-ci est différente, pensa-t-il.

    Une adorable jeune fille aux longs cheveux roux coiffés en queue de cheval était venue rendre visite à la prisonnière du donjon. Il avait déjà vu le prince, des enfants gâtés de la noblesse et des livreurs, mais c’était la première fois qu’une fille venait. Bien que, si vous deviez tous les aligner, c’était celle qui était en fait la moins inhabituelle de la bande.

    « Je suis désolé, jeune fille, mais cet endroit est interdit à toute personne n’ayant rien à faire ici », commença le garde en se disant : Je sais qu’elle va entrer de force. Mais alors qu’il ouvrait la bouche, cette dernière leva une main pour l’arrêter.

    « Je sais ! S’il vous plaît, dites à Mlle Rachel que Margaret Poisson est ici pour la voir ! »

    « Je savais qu’elle ne m’écouterait pas… », marmonna le garde.

    « Quoi ? Eh bien, mettez-vous au travail ! »

    J’aurais toujours un de ces gamins qui me donneront des ordres, pensa-t-il tout en acceptant qu’il n’avait pas d’autre choix. Il commença alors à descendre les escaliers du donjon.

    Margaret le suivit avec empressement.

    « Mademoiselle, vous savez ce que vous faites en me demandant d’aller lui dire quelque chose, n’est-ce pas ? »

    « Oui ? Maintenant, montrez-moi le chemin, s’il vous plaît ! »

    « Oh, pour l’amour de… ça ne finira jamais… »

    Au moment où ils atteignirent le donjon, Margaret courut vers les barreaux et s’exclama : « Mlle Rachel, c’est Margaret ! Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vues ! »

    Une fille qu’il ne connaissait pas saluait joyeusement la prisonnière à la première heure du matin. Ce seul fait avait suffi à donner des sueurs froides au gardien. Il ne savait pas pourquoi, mais dernièrement, sa prisonnière était une lève-tard. En fait, elle était encore au lit en ce moment… et la fille essayait de la forcer à se réveiller.

    Il ne connaissait la prisonnière que depuis peu, mais cette jeune femme ridicule devait détester le fait qu’une personne vienne perturber sa routine. Bien que, comme elle était toujours celle qui contrôlait les choses, il n’avait jamais imaginé que cela puisse arriver. Que se passerait-il si quelqu’un la forçait à se réveiller ? Sans s’en rendre compte, le garde avait commencé à s’éloigner des barreaux.

    « Mnngh ? »

    Contrairement à ce qu’il craignait, Rachel s’était réveillée plutôt tranquillement. Sortant la tête de sous son duvet, elle se frotta les yeux, puis se redressa et regarda la fille qui l’appelait par son nom.

    « Mlle Rachel ! C’est moi ! Margaret ! »

    « Hm ? »

    Rachel la regarda fixement pendant un petit moment, comme étourdie, mais une fois que ses yeux s’étaient fixés, ils s’étaient ouverts d’un coup sec. Elle bondit alors hors du lit.

    Margaret secoua énergiquement les barreaux en criant : « Bon sang ! Tu es enfin réveillée ?! Espèce de dormeuse ! »

    Rachel courut tout droit vers elle.

    Oh, c’est son amie, pensa le gardien, espérant qu’il ne serait pas critiqué pour l’avoir laissée entrer ici. Il n’avait baissé sa garde qu’un instant avant que cela n’arrive.

    « Gwogh ?! »

    Rachel exécuta habilement un coup de genou volant à travers les barres en plein dans le plexus solaire de Margaret.

    « Hangyagh ?! », cria Margaret en volant.

    Cette dernière roula sur le sol, se débattant dans la douleur. Si l’on considérait qu’elle ignorait toutes les choses qu’elle frappait alors qu’elle se tenait plutôt le ventre, cela devait faire très mal.

    « Qu… qu’ai-je fait… pour mériter ça ? »

    Alors que Margaret haletait, Rachel reprit ses esprits.

    « Oh, toutes mes excuses. C’est juste que tu as un ventre si éminemment accessible. »

    « Qu’est-ce que ça veut dire ?! », cria Margaret.

    Alors que Margaret serrait les dents et se redressait enfin, Rachel expliqua avec enthousiasme :

    « Non, je suis sérieuse. C’était génial ! Vous avez des joues qui demandent à être giflées et un cul qui exige une bonne fessée. Tout votre corps crie : “Abusez-moi !”. Je me suis dit pendant plus de dix ans que je ne devais pas porter la main sur les gens, mais… Oh, je n’ai pas pu résister, et je vous ai fait goûter mon genou ! »

    Margaret, qui se tenait le ventre et avait de violentes convulsions, fit signe au garde.

    « Qu-Quoi ? », demanda le garde en s’approchant avec hésitation.

    Margaret l’attrapa puissamment par les revers et dit : « Hé, c’est quoi son problème ?! C’est ainsi qu’elle me salue, moi qui suis venue à sa rencontre ?! Est-elle vraiment une noble femme ? ! Même les gens des bidonvilles qui font ça pour vivre ne peuvent pas le faire aussi facilement ! »

    « Ne me le demandez pas… », murmura le garde.

    Cette fille rousse avait-elle grandi dans les bas quartiers de la ville ? Sa joie initiale semblait être une façade à côté du ton dur qu’elle utilisait maintenant.

    « Est-ce vraiment Rachel Ferguson, la fille du Duc ?! », s’interrogea Margaret.

    « Je ne le sais pas moi-même, mais je pense que oui… », répondit le garde.

    Alors que le garde et Margaret chuchotaient, Rachel, qui était encore tout échaudée, continua de chanter les louanges de la fille.

    « Oh, plus je vous regarde, plus je suis émerveillée ! Un spécimen comme vous ne se présente qu’une fois par décennie, non, deux décennies ! Pas de doute là-dessus. Vous avez le talent pour devenir un sac de frappes comme aucun autre ! »

    « Quel genre de talent est-ce ?! », aboya Margaret.

    Quel étrange compliment !

    S’accrochant aux barreaux, Rachel supplia gentiment Margaret : « Juste dix fois. S’il vous plaît, laissez-moi vous gifler les deux joues ! »

    « Je ne vous laisserais pas le faire une fois ! »

    Quelle demande bizarre !

    « Bien, cinq alors ! Juste cinq fois ! », négocia Rachel.

    « Pourriez-vous écouter quand je parle ? ! »

    Le garde marmonna dans son souffle : « Vous êtes bien placé pour parler… »

    Pendant leur échange, Margaret avait réussi à se lever, tremblant comme un fauve nouveau-né.

    Rachel inclina alors subitement la tête sur le côté de manière inquisitrice, regardant le visage de Margaret.

    « Au fait… est-ce que je ne vous aurais pas déjà rencontrée quelque part ? »

    Tremblant maintenant de rage, Margaret fit signe au garde.

    « Qu-Quoi ? »

    Le garde s’approche avec hésitation. Margaret le saisit alors à nouveau par les revers.

    « Qu’est-ce qui se passe avec cette femme ?! Comment se fait-il qu’elle ne me connaisse pas ?! »

    « Euh, je ne vous connais pas non plus… »

    « En mettant ça de côté… Non, c’est bizarre de mettre ça de côté, non ? Elle pense que c’est la première fois qu’on se rencontre, et elle me frappe avant même qu’on ait dit un mot ? ! Qu’est-ce qui ne va pas chez elle ?! »

    « Je vous ai dit de ne pas me demander… »

    Rachel, pendant ce temps, commença à négocier les termes d’une voix cajoleuse.

    « Hey, je vous achèterai donc quelque chose que vous voulez, s’il vous plaît, laissez-moi vous frapper ? »

    « Ne dites pas ça comme si ce n’était pas différent de “Laissez-moi vous toucher !”. Qui vous laisserait vous frapper ?! », rétorqua Margaret.

    « Très bien. Que direz-vous donc d’une gifle à la place ? Ça devrait aller, non ? Je peux apprécier la sensation de ma paume ouverte sur votre douce joue. Vous me comprenez vraiment ! »

    « Non, et je ne veux pas ! Qui a laissé cette cinglée en liberté pendant tout ce temps ? »

    Ayant complètement repris pied, Margaret pointa alors un doigt vers Rachel.

    « Je ne sais pas si vous m’avez vraiment oubliée, ou si vous vous donnez en spectacle, mais votre vie est bien sombre à partir de maintenant ! Si vous voulez tout avouer et vous excuser auprès du prince Elliott, c’est le moment. C’est tout ce que je suis venue dire ! »

    De l’autre côté des barreaux, Rachel pencha de nouveau la tête sur le côté.

    « S’excuser ? Dois-je donc lui dire : “Je suis désolée de vous avoir utilisé comme punching-ball” ? »

    « Quelqu’un ! Que quelqu’un appelle les gardes ! Nous avons une psychopathe ici ! », cria Margaret.

    « Euh, la jeune femme est déjà derrière les barreaux, mademoiselle », fit remarquer le garde.

    Tout en gardant une distance respectueuse des barreaux, Margaret cria alors à Rachel : « Hmph ! Si c’est l’attitude que vous allez adopter, nous en avons fini ici ! Vous feriez mieux de ne pas me sous-estimer, moi, la femme qui sera la femme du Prince Elliott, compris !? Il sera trop tard pour avoir des regrets à l’avenir ! »

    Rachel et le garde regardèrent Margaret sortir de la pièce en piétinant. Quand elle fut hors de vue, Rachel demanda au garde : « Alors, qui était-elle censée être au juste ? »

    « Elle a dit qu’elle allait être reine, donc elle est probablement quelqu’un d’impliqué avec le prince, non ? »

    « J’ai l’impression de l’avoir déjà vue quelque part… et le nom me dit quelque chose. »

    Rachel essaya de se souvenir, mais elle n’y arrivait apparemment pas. Il ne fallut pas longtemps pour que son esprit passe à autre chose, et elle regarda dans la direction dans laquelle la fille rousse avait disparu.

    « Oh, mais plus important encore, je veux donner une claque à ces joues. Elle me met dans tous mes états, comme lorsque je me battais quand j’étais petite. Mais pour l’instant, Son Altesse fera l’affaire. Crois-tu qu’il me laissera le gifler ? »

    « Le type que vous avez choisi comme remplaçant est plutôt un gros poisson, n’est-ce pas ? », se risqua le garde.

    « Oh ? Ce n’est pas grand-chose. J’ai failli le noyer dans l’étang une fois. »

    « Vous avez failli le noyer… Le prince ?! », demanda le garde en état de choc, mais il ne reçut aucune réponse.

    Lorsqu’il se retourna pour regarder Rachel, elle était retournée au lit et avait remis son masque de sommeil.

    « Vous venez de vous réveiller et vous vous rendormez déjà ? »

    « Oui. J’aimerais me laisser conduire au pays des rêves avant d’oublier cette merveilleuse sensation. »

    « Vous avez vraiment aimé ça, hein. Je ne sais pas qui était cette fille, mais c’était une malchance pour elle. »

    La personne la plus aimée d’Elliott, celle que tous les autres adoraient aussi, Margaret Poisson, était venue lui rendre visite dans son bureau. Et dès son arrivée, elle éternua.

    « Qu’est-ce qui ne va pas, Margaret ? Es-tu malade ? », demanda Elliott.

    « Non, je ne pense pas que ce soit ça. Pour une raison inconnue, j’ai eu des frissons. »

    « Oh, d’accord. Quelle coïncidence ! Moi aussi. »

    ***

    Chapitre 18 : Le duc est confus par cette situation

    Leur fille avait peut-être été jetée en prison, mais la maison des Ferguson était plus active que jamais. Normalement, lorsqu’un de vos proches était qualifié de criminel, vous faisiez preuve de retenue dans tout ce que vous faites, même si vous étiez noble. Pourtant, dans le cas de Rachel, il s’agissait d’une condamnation arbitraire de la part du prince. La famille ducale ne reconnaissait donc pas ce crime. Et comme le roi n’avait pas encore rendu son jugement définitif, la maison était en fait en pleine effervescence. C’était comme s’ils étayaient leur affirmation disant que les accusations étaient fausses.

    Le fils aîné, George, était du côté du prince, mais pour l’instant, son père Dan était toujours le chef de famille. Peu importe ce que son fils disait, il ne cédera pas sur ce point. C’était donc la raison pour laquelle la maison était inondée quotidiennement d’invités et de rapports.

    Trouvant une pause momentanée dans toute cette agitation, Sofia, la servante de Rachel, était entrée dans le bureau du duc. Deux servantes l’accompagnaient et attendaient dans le hall, comme le jour où Rachel fut emprisonnée.

    Sofia s’était alors avancée en faisant une révérence si jolie qu’elle semblait sortie tout droit du manuel.

    « Excusez-moi, Maître. Je suis ici pour parler de la jeune maîtresse. »

    « Oh, vous avez des nouvelles de Rachel ? », demanda le duc.

    Il arrêta de signer des documents et regarda la servante de sa fille. Techniquement, toutes les servantes rendaient compte à sa femme, mais il avait l’impression que celles qui étaient assignées à sa fille lui étaient exclusivement loyales.

    Si elle savait à quel point le duc était en conflit à ce sujet, le visage de Sofia était resté impassible tandis qu’elle hochait la tête et répondait. « Oui ».

    « Eh bien, comment va-t-elle ? »

    « Les rapports disent qu’elle va bien. »

    Après avoir terminé son propre rapport, Sofia s’était inclinée.

    Le duc fixa les toupets dans ses cheveux pendant dix bonnes secondes.

    « Est-ce tout… ? », demanda-t-il, déçu, en réalisant qu’il n’y avait rien de plus à attendre.

    Sofia acquiesça sérieusement : « Oui, si je le résume à l’essentiel. »

    « Non, non, non ! Cela laisse de côté beaucoup trop de choses. Ça ne me suffit pas. »

    « Je pensais que le fait de savoir que la jeune maîtresse se porte bien était suffisant. »

    « Et c’est tout ! Rien de plus ! Si vous avez d’autres détails, donnez-les-moi. »

    « Ah. Alors je vous les ferai livrer plus tard. »

    Sofia, qui ne semblait pas convaincue de la nécessité de cette démarche, se tourna alors vers l’une des servantes derrière elle.

    « Lisa, apporte les rapports quotidiens des veilleurs au maître. »

    « Oui, madame ! »

    « Meia, appelle le Dr Monton, et dis-lui que c’est urgent. »

    « Oui, madame. Lequel ? Le maître chirurgien cardiaque ? Ou le jeune spécialiste de la médecine psychosomatique ? »

    « Pourquoi dis-tu une chose aussi stupide ? Le maître va lire les dossiers des activités de la jeune maîtresse. Tu dois appeler les deux, évidemment. Fais preuve de bon sens. »

    « Oui, madame ! »

    Une fois qu’elle eut fini de donner des ordres, Sofia se retourna vers le duc.

    « Maître, veuillez lire les rapports quotidiens lorsque vous serez allongé dans votre lit, et à un moment où votre rythme cardiaque sera stable. »

    Alors qu’il écoutait les servantes parler, une chose frappa le duc. Qu’est-ce qu’elle entend par « bon sens » ?

    Lorsqu’il revint à lui, le duc s’éclaircit la gorge bruyamment et dit : « Attendez. Si Rachel se porte bien, alors c’est parfait. Je ne peux pas me permettre de m’effondrer maintenant. »

    Ce qu’elle avait fait, et quels avaient été les résultats… Avec autant de choses qui se passent en temps réel, il serait certainement mieux pour son état mental de ne pas en entendre parler. Avec cette idée en tête, le duc mit fin à la conversation. C’était vraiment une question de priorités. Ce n’était pas comme s’il voulait absolument repousser l’ouverture de cette boîte de Pandore. Non, vraiment.

    Se raclant la gorge une fois de plus pour tenter de dissiper la gêne, le duc décida de consulter la servante de sa fille sur quelque chose qui le préoccupait.

    « Ah, plus important, je voulais demander… Sa Majesté devrait bientôt revenir de son voyage. Quand il le fera, nous devrons régler les choses avec Son Altesse devant lui. Je dois m’y préparer dès maintenant, alors… »

    Il avait l’intention de poursuivre en demandant : « Avez-vous une opinion sur ce qu’il faut faire ? » mais avant qu’il ne le fasse, Sofia l’avait interrompu.

    « Sa Majesté ne reviendra pas avant un certain temps. »

    « Pardon ? »

    Comment une simple servante, qui ne pouvait pas connaître le calendrier des inspections royales, avait-elle pu obtenir cette information ?

    Alors que le duc la fixait, incapable de comprendre ce qu’elle venait de dire, Sofia expliqua d’un ton désintéressé : « La jeune maîtresse a été fiancée au prince Elliott sur l’insistance de Sa Majesté, la reine. À ce titre, j’ai envoyé un rapport concernant la rupture des fiançailles et les événements qui l’ont précédée à Leurs Majestés par l’intermédiaire de certaines relations dans la maison du comte Naumann, chez qui ils sont en visite en ce moment. »

    « Quand avez-vous… ? », murmura le duc.

    Non seulement Sofia connaissait l’horaire, mais elle connaissait même les routes qu’ils allaient emprunter. En plus de cela, elle était capable de les contacter sur le terrain. C’était quoi ce bordel ? C’était terrifiant.

    « J’ai également inclus une note qui disait, “Le chat joue”, l’entourage royal s’est donc arrêté aux sources chaudes de Fracker dans le domaine du comte et n’a pas bougé depuis. Je crois qu’ils ne reviendront pas à la capitale avant d’avoir pu régler la situation et décider d’une politique. »

    Ayant dit tout cela avec un visage inexpressif, quelque chose sembla venir à l’esprit de Sofia, et elle ajouta : « Ou peut-être attendent-ils que la jeune maîtresse ait fini de se défouler pour ne pas être prise entre deux feux. »

    Le duc avait ri à sa suggestion. Cependant, son rire sonnait creux.

    « N-Non… Sincèrement, peu importe jusqu’où Rachel va, les flammes n’atteindraient pas Leurs Majestés. Suggérer qu’ils auraient peur d’être pris entre deux feux… C’est absurde ! Ha ha ha… »

    « Mais c’est un fait que le grand-duc a déjà… »

    Sofia fit alors une pause.

    « Pardonnez-moi, je n’ai rien dit. »

    « Le grand-duc ?! Qu’est-il arrivé au Grand Duc ?! Vous parlez du Grand Duc Vivaldi ?! »

    « S’il vous plaît, ne vous inquiétez pas pour ça. C’est déjà fini. »

    « Je suis quand même super inquiet ?! Qu’a fait Rachel ?! », demanda le duc, alarmé.

    « Tout va bien. Ce n’était rien de grave. »

    « Êtes-vous sûre de ça ?! Que diable Rachel a-t-elle fait ?! »

    « Je crains de ne pouvoir être celle qui le dira… »

    « Ça ne sonne pourtant pas du tout “bien” ?! »

    « Par ailleurs, Maître… »

    Alors que le duc était déjà en train de sombrer dans un état de panique, sans raison apparente, Sofia lui tendit une brochure.

    « Vous semblez stressé. Puis-je vous suggérer un voyage aux sources chaudes avec votre femme ? »

    « Et qui selon vous en est responsable ? Et dans ces circonstances ?! »

    « Oui. Il se trouvera que vous rencontrerez par hasard Leurs Majestés lors d’un voyage aux sources chaudes. »

    Le Duc comprit soudainement où Sofia voulait en venir.

    « Vous voulez dire que je devrais quitter les lieux et prendre des mesures pour y remédier ? »

    « C’est une coïncidence. Une simple coïncidence. »

    Avec une expression impénétrable, Sofia poursuivit : « Après tout, personne au palais ne sait encore que le roi a changé son programme. Si vous deviez partir pour les mêmes sources chaudes en ce moment, personne ne pourrait prédire que vous tomberiez sur Leurs Majestés. »

    Combien de choses ma fille fait-elle dans l’ombre ? C’était peut-être un peu tard pour le dire, mais un frisson parcourut l’échine du duc. Ma fille se développe rapidement d’une manière que je n’aurais jamais espérée. Que quelqu’un me sauve.

    La proposition de Sofia était un geste brillant pour sauver Rachel. Si le palais n’était pas au courant, alors ce prince incompétent et ses acolytes n’auraient jamais pensé que le retour du roi pourrait être retardé. Ils n’auraient pas pu prévoir que le duc le rencontrerait sur la route. Pourtant, avant de suivre le plan de sa fille, il y avait quelque chose qu’il devait vérifier.

    « Que comptez-vous faire à propos de notre situation ? Si nous ne sommes pas là, George aura le contrôle total de la maison, vous en rendez-vous compte ? »

    Sans le duc et la duchesse, le contrôle reviendrait naturellement au fils aîné et héritier, c’est-à-dire George. Dans ce cas, Rachel ne pourra pas compter sur le soutien de la maison ducale elle-même. Mais si elle suggérait qu’ils fassent un long voyage, Rachel avait sans doute déjà pris cela en compte.

    Sofia avait dû anticiper la question, car elle avait répondu sans se déconcerter : « En fait, il y a des moments où votre absence est plus pratique. »

    « Que voulez-vous dire ? »

    « Si vous ne partez que pour un court voyage, le fait que vous ne nommiez pas un représentant pour agir en votre absence ne sera pas inhabituel. Si aucun de vos proches n’est nommé comme représentant, et que le jeune maître est encore mineur, à qui revient donc la gestion de la maison ? »

    Le duc et la servante se regardèrent dans les yeux… puis pivotèrent lentement pour regarder le majordome debout près du mur. Il eut soudainement l’air d’avoir une crise cardiaque et éparpilla les papiers qu’il tenait partout, mais… peu importe.

    « Je vois… », se dit le duc.

    « Oui. C’est peut-être un serviteur, mais si le maître lui confie les pleins pouvoirs… »

    « Il ne peut pas dévier de ma politique, et George ne peut pas lui donner d’ordres. »

    « Peu importe ce que dit le jeune maître, on peut y faire face en disant : “Cela contredit les instructions de votre père” ou “Veuillez vérifier auprès du maître”. Et les talents limités du jeune maître rendront difficile l’enregistrement d’une plainte auprès de vous pendant votre absence. », poursuivit Sofia.

    « Oui, c’est comme ça qu’on fait une réponse bureaucratique », dit le duc.

    Le maître et les serviteurs sourirent sombrement, tous leurs problèmes étant résolus. Mais le majordome, qui semblait prêt à pleurer, demanda : « Excusez-moi, mais dois-je vraiment m’occuper de lui tout seul ? »

    « N’ayez aucune crainte, Jonathan. Vous avez Sofia avec vous dans le manoir, et si George devient incontrôlable, vous n’avez qu’à le dire à Martha et elle le jettera dans sa chambre. »

    La femme de chambre au visage sévère avait été la nourrice de George, et même s’il était adulte maintenant, le fait qu’elle le prenne par la peau du cou ne sera pas un problème.

    Le Duc, soudainement exalté, laissa le majordome s’affaler devant l’horrible situation dans laquelle il se trouvait et appela sa femme.

    « Iseria, nous allons faire un voyage aux sources chaudes, tout de suite ! »

    « Oh, Dan ! Qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ?! Ce n’est pas le moment ! »

    « C’est exactement pour ça qu’on y va ! »

    « Huh ? »

    *****

    Alors qu’il ramassait les papiers éparpillés sur le sol, le majordome jeta un regard plein de ressentiment à la femme de chambre.

    « Si mon cœur lâche et que je meurs de stress, j’espère que ma prime d’accident du travail sera versée ? »

    « Qui peut le dire ? Veuillez vérifier auprès du maître. »

    ***

    Chapitre 19 : La fille planifie à l’avance

    Partie 1

    Une simple calèche noire pénétrait dans un quartier de la banlieue où se trouvaient les demeures des petits nobles. Dans un joyeux cliquetis de pieds fendus, cette dernière se glissa à travers le portail d’un manoir miniature et s’arrêta devant la petite entrée.

    Entendant le hennissement des chevaux, la maîtresse de maison et sa servante se précipitèrent pour les accueillir. La fille unique de la maison baronniale, Margaret Poisson, était de retour.

    Le cocher descendit et les salua, mais avant qu’il ne puisse ouvrir la porte…

    « Je suis rentrée ! »

    La jolie fille aux cheveux en forme de queue de cheval claqua la porte et…

    « Hah ! »

    … sauta au sol, atterrissant avec les jambes écartées. Elle couronna ensuite le tout en prenant une pose dynamique.

    Mais alors qu’elle se murmurait à l’oreille : « C’est réussi… », le vieux cocher rangea les marches que la jeune fille qui « ressemblait à la fille d’un noble tant qu’elle ne parlait pas, ha ha » ne se donnait pas la peine d’utiliser.

    « Jeune maîtresse, vous allez vous faire mal un de ces jours. S’il vous plaît, ne faites plus ça. »

    La « jeune maîtresse » se moqua éperdument des réprimandes de son cocher. Elle lui répondit : « C’est bon ! Il paraît que les gens importants ne se blessent pas, même quand ils tombent de haut ! »

    Sa réponse « profonde » consistait en deux dictons dont elle ne se souvenait que vaguement, mélangés ensemble. Cela ne fit que troubler le cocher, mais ce dernier décida que cela ne valait pas la peine de le souligner. Cette jeune femme était l’un de ces « gens importants », alors lui dire ne servirait à rien. De plus, elle avait par chance beaucoup d’énergie, et il avait le sentiment qu’elle s’en sortirait très bien, même si elle tombait d’un endroit élevé.

    La mère de Margaret l’appela en disant : « Bienvenue à la maison, Margaret. »

    « Je suis à la maison, maman ! »

    Sa mère, la baronne Anita Poisson, la prise dans ses bras. Elle avait une telle beauté délicate et éphémère qu’on se demandait comment elle avait pu donner naissance au petit paquet d’énergie qu’était sa fille.

    Ensuite, la servante, qui était aussi mal élevée que sa jeune maîtresse, cria à haute voix : « Jeune maîtresse ! Bienvenue à la maison ! »

    « Je suis à la maison, Bennette ! »

    Margaret et la servante, qui était d’une corpulence similaire à la sienne, se congratulèrent.

    « Woo-hoo ! », crièrent-elles à l’unisson.

    Il semblerait que ces deux-là auraient pu être des parents de sang.

    Puisque la baronnie n’était pas accompagnée d’un domaine, mais uniquement du salaire du baron, la maison baronniale de Poisson ne pouvait pas se permettre d’avoir beaucoup de domestiques. La maison était composée des quatre personnes présentes, plus le baron. Cela donnait à l’endroit une atmosphère familiale, et ils traitaient les domestiques comme une famille. Le baron était secrètement fier de la maison confortable qu’il avait construite.

    Une fois que Margaret fut accueillie à la maison d’une manière qui semblait peu convenable pour une maison noble, elle remit ses sacs à la servante et regarda autour d’elle.

    « Où est papa ? », demanda-t-elle en jetant un coup d’œil derrière le rideau et le buffet. Dans les maisons baronniales normales, ce n’était pas là que l’on trouvait le chef de famille.

    La maîtresse de maison sourit, bien qu’elle semblait quelque peu troublée.

    « Ton père n’est pas encore rentré du travail », répondit-elle.

    « Grrr. Je voulais lui dire tout sur la façon dont Elliott m’a complimentée. »

    « Oh, mon Dieu. Alors, dis-le-moi d’abord, d’accord ? Ce sera un bon entraînement pour le moment où tu le diras à ton père, non ? »

    « OK ! »

    Avec le crépuscule dans le dos, Margaret s’enroula autour de la baronne alors qu’elles entraient joyeusement ensemble dans le manoir. La servante referma le portail derrière le cocher qui reprit la voiture pour aller chercher le baron.

    La petite maison baronniale affichait un air détendu et harmonieux.

    *****

    Quand le Baron Poisson rentra du travail, il demanda à la bonne des nouvelles de sa femme et de sa fille.

    « Bennette, où sont Anita et Margaret ? »

    La bonne, qui avait à peu près le même âge que sa fille, prit les affaires du baron et fit un salut de style militaire.

    « Elles sont dans le salon, elles discutent de certaines affaires. »

    « De certaines affaires… »

    Le baron n’aimait pas la façon dont elle montrait du respect et sa façon de parler, mais pour l’instant, il tenait plus à voir sa femme et sa fille.

    Et lorsque le baron passa la tête dans le salon, il trouva la mère et la fille au milieu d’une bonne conversation.

    « Oh, je vois. Alors c’était une mauvaise idée de supplier le prince Elliott pour ce bracelet ! », s’exclama Margaret.

    « C’est vrai, Margaret. Ne refais pas une chose pareille, d’accord ? Tu attires suffisamment la jalousie simplement parce qu’il t’adore, afin que les gens puissent répandre de méchantes rumeurs selon lesquelles tu profites de son amour et le transformes en ton portefeuille personnel. »

    « Je ne voudrais pas ça ! », dit Margaret en hochant la tête.

    « C’est bien vrai. Tu dois être plus intelligente. Tu dois le regarder avec envie, comme si tu ne pouvais pas le laisser partir, et faire en sorte que Son Altesse pense : “Oh, très bien, je vais l’acheter”. Mais même s’il te le propose, tu ne dois pas accepter tout de suite ! », dit sa mère en souriant.

    « Vraiment ?! »

    « Tu refuses, mais laisses transparaître sur ton visage que tu le voulais et que tu abandonnes. Cela te fera paraître si aimable que Son Altesse voudra désespérément te l’offrir en cadeau. Tu dois faire en sorte que les hommes te montrent de l’affection ! Fais en sorte qu’ils te donnent des choses sans les exiger. C’est une technique de première classe. »

    « J’ai compris ! J’apprends vraiment ici ! »

    C’est moi, ou leur conversation est un peu effrayante ? pensa le baron.

    Il hésita devant la porte du salon, incapable de les rejoindre pour un heureux moment en famille.

    La baronne Anita le remarqua vite : « Oh, mon chéri. Si tu étais arrivé à la maison, tu aurais pu le dire ! »

    « En effet », bégaya le baron.

    « J’étais tellement occupée à parler à Margaret. Je suis désolée de ne pas t’avoir saluée à la porte. »

    « N-Non, ce n’est pas un problème. »

    Sa femme s’était immédiatement levée et commença à s’occuper de lui avec amour.

    « Bienvenue à la maison, papa ! », dit Margaret en le saluant.

    « Oui. Bienvenue à la maison à toi aussi, Margaret. »

    « Écoute, écoute, tu ne devineras jamais ce qui s’est passé au palais aujourd’hui ! »

    Et bien qu’elle ait déjà atteint la fin de l’adolescence, elle s’enroulait autour de son père comme si elle était une petite enfant, lui racontant toute sa journée avec une étincelle dans les yeux.

    « Allons, Margaret, ne vois-tu pas que ton père est encore dans ses vêtements d’extérieur. Garde cette conversation pour après le dîner. », dit la baronne.

    « Mais je voulais lui faire savoir tout de suite. »

    Sa femme et son enfant commencèrent à se disputer à son sujet.

    Oui. Toutes ces histoires stratégiques que je les ai entendus dire, ça devait être mon imagination.

    « Hé maintenant, vous deux. Je suis affamé. Dépêchons-nous de manger. », s’exclama le baron.

    Le baron avait rencontré sa femme dans un endroit quelque peu indécent, mais elle avait une élégance qui convenait à la noblesse, et sa fille était si attachée à lui qu’on n’aurait jamais pensé qu’elle était l’enfant d’une précédente relation de sa femme. C’était une famille plus heureuse que celle à laquelle un petit fonctionnaire comme le baron n’aurait jamais pu aspirer.

    Qu’y a-t-il à douter ? C’est une famille parfaite.

    S’étant convaincu de cela, le baron mit une main dans le dos de sa femme et de sa fille et les dirigea vers la salle à manger.

    *****

    Une fois le dîner terminé, Margaret se retira dans sa chambre et ouvrit une fenêtre pour contempler la nuit noire. Comme il n’y avait pas de réverbères dans le quartier, ce n’était pas très joli, mais la légère brise était agréable sur ses joues. C’était le moment où elle était le plus à même de se détendre.

    Alors qu’elle regardait dans le vide, Margaret repensait à ce qui s’était passé plus tôt.

    « Je n’aurais jamais pris Rachel pour une telle psychopathe… »

    Elle était descendue au donjon pour encourager l’ex-fiancée du prince Elliott à admettre sa défaite, mais elle ne s’était jamais attendue à ce qu’elle devienne violente comme ça. Bien sûr, Margaret aurait pu prévoir la violence verbale, ou peut-être même une égratignure ou une gifle, mais dans quel monde y avait-il une jeune femme aisée qui vous donnait un coup de genou volant avant même que vous ayez parlé ?

    « Et l’intérieur de sa tête est encore plus détraqué que les choses qu’elle fait. »

    Même quand elles avaient parlé, elle n’avait pas été capable de suivre les idées de Rachel. Elle n’avait vraiment aucune idée de ce que Rachel pensait.

    « Qu’est-ce qu’elle a ? Je ne comprends toujours pas pourquoi elle s’est enfermée dans la prison. »

    N’importe qui aurait probablement ressenti la même chose.

    *****

    Ce n’était pas censé se passer comme ça.

    Margaret ne connaissait pratiquement pas Rachel Ferguson, mais comme elle était la fiancée du prince héritier, même la plus petite des nobles comme Margaret connaissait son visage. Son impression de Rachel jusqu’à ce point était qu’elle ressemblait à une jolie poupée. Rachel se tenait en diagonale derrière le prince Elliott pendant les cérémonies, et alors que les gens se bousculaient devant lui… elle ne faisait pas grand-chose. Elliott lui parlait à peine, et à moins qu’il ne le fasse, elle faisait juste partie du décor. Elle ne se joignait pas à lui pour divertir les gens, et ne partait pas non plus faire ses propres trucs.

    ***

    Partie 2

    Depuis qu’elle s’était rapprochée d’Elliott, Margaret avait subtilement posé des questions sur Rachel, mais la compréhension du prince à son sujet avait été à peu près la même que celle de Margaret. Pourtant, même si Rachel avait une présence minimale et faisait juste partie du décor, elle restait quand même officiellement la fiancée d’Elliott, sans parler du fait qu’elle était la fille de la maison ducale, qui se tenait au sommet de la noblesse. Il n’y avait pas de pénurie de filles comme Margaret, qui courtisaient ce prince brillant, mais si vous regardiez les données concernant leur lignée, leur histoire et leur éducation, Rachel était bien au-dessus du lot. Aucune des filles de marquis et de comtes, ou toute autre jeune fille aisée qui avait essayé d’utiliser sa stature sociale pour monter une attaque contre Elliott, n’avaient été capables de capturer la cible de leurs affections. Faire appel à Elliott n’était pas suffisant pour vaincre Rachel, qui les surclassait en tout.

    Et Margaret était la plus petite des nobles, la fille d’un baron. Entourée de toutes ces filles de bonnes lignées, Margaret avait commencé avec un trop gros handicap. Mais grâce à son éducation en ville, elle avait écarté, physiquement, la plupart des autres filles et attira l’attention d’Elliott.

    Puis, pour couronner le tout, elle fit preuve d’un esprit de considération que ces filles de la noblesse cloîtrées ne pourraient jamais avoir, ce qui lui avait valu l’affection non seulement d’Elliott, mais aussi de tous les jeunes célibataires riches et admissibles de son entourage. Cela l’avait distinguée de ses rivales, mais… c’était tout. Si tout ce qu’elle avait était l’amour d’Elliott, et qu’elle ne pouvait pas renverser le score écrasant de Rachel dans tous les autres domaines, il n’y avait aucune raison de se battre pour la deuxième place.

    Eh bien, que fallait-il faire ?

    Margaret était convaincue qu’Elliott l’aimait plus que Rachel. Si le prince était libre de choisir sa partenaire, il aurait sans aucun doute choisi Margaret.

    Cela lui avait donné une idée.

    Elliott n’a-t-il pas besoin d’une raison justifiable pour rompre ses fiançailles avec Rachel ? avait-elle pensé.

    Si elle ne pouvait pas s’élever au niveau de Rachel, elle pouvait l’entraîner au sien.

    Si elle ne pouvait pas devancer son adversaire dans cette course, elle devait faire trébucher l’autre fille.

    Si elle pouvait le faire, elle pourrait dépasser Rachel pendant qu’elle était à terre et prendre la tête.

    C’était l’idée.

    Margaret avait essayé de rapporter à Elliott toutes les brimades qu’elle avait reçues de ses rivales, comme si Rachel était la coupable. Avec son éducation difficile, le harcèlement d’un groupe de filles aisées était malveillant, mais ce n’était pas quelque chose que Margaret ne pouvait pas gérer. Elle en fit donc bon usage, en pleurant sur toutes les choses qu’elles lui avaient faites, et un tas de choses supplémentaires qu’elles n’avaient pas faites. Et, wow, quel effet cela avait eu ! Elliott et ses acolytes avaient tous été enragés par les choses horribles que Margaret avait subies, et ils lui avaient montré de la sympathie.

    Cette immonde Rachel intimide notre adorable Margaret par jalousie.

    Une fois que cette idée s’était installée, certains avaient commencé à dire que Rachel n’était pas faite pour être la femme d’Elliott. Les voix qui disaient que Margaret était plus appropriée augmentèrent. Finalement, ils conclurent que leur angélique Margaret devrait être reine. Et après qu’Elliott, George, et les autres y aient bien réfléchi, ils décidèrent de condamner publiquement Rachel à la fête.

    C’était censé être la fin de tout ça…

    *****

    « Non, sérieusement, à quoi pense-t-elle ? », se demanda Margaret.

    Même quand elle y réfléchissait à tête reposée, ce que faisait cette femme était absurde. Elle était censée être soudainement emprisonnée, mais elle avait stocké de la nourriture et d’autres fournitures à l’intérieur du donjon et s’y était enfermée, un endroit dont n’importe qui voudrait sortir, et se jouait du prince.

    « De plus, si elle savait que ça allait arriver, pourquoi n’a-t-elle pas fait quelque chose pour l’empêcher dès le départ ? »

    Margaret, qui se fiait davantage au bon sens, se creusait les méninges à ce sujet parce qu’elle ne comprenait pas.

    « Et elle agissait comme si elle ne connaissait vraiment pas mon visage. »

    Margaret était partout avec le Prince Elliott depuis au moins six mois maintenant, alors comment Rachel avait-elle vu cela, mais n’avait pas pris la peine d’apprendre son nom ou son visage ? En vérité, lorsque Rachel n’était pas intéressée par quelque chose, elle l’ignorait complètement. Même si le prince dont elle ne se souciait pas avait une autre femme à ses côtés, elle ne ressentait pas le besoin de se souvenir de son visage. Cependant, ne sachant pas cela, Margaret était arrivée à une réponse différente et incorrecte.

    « Et s’il y a quelque chose qui ne va pas avec la tête de Rachel ? »

    Il y avait beaucoup de problèmes à ce niveau-là, en dehors de la mémoire de Rachel, principalement avec son processus de pensée.

    Margaret s’était rongé les ongles en regardant dans l’obscurité.

    « Quoi qu’il en soit, si elle n’abandonne pas le Prince Elliott, ça ne me laisse aucun endroit où aller, bon sang. »

    Margaret avait interprété la façon dont Rachel continuait de voir secrètement Elliott et les autres comme une preuve de sa fixation continue sur lui. Margaret avait tout faux.

    « Peu importe comment je vois les choses, je ne pense pas que l’affection d’Elliott se tournera vers Rachel. Hmph. Eh bien, ce n’est pas comme si je ne comprenais pas pourquoi elle ne peut pas l’abandonner. Je veux dire, le Prince Elliott est juste si cool ! »

    Margaret fit alors preuve d’une sérieuse cécité.

    « Oh, un prince super cool, honnête et sincère est épris de moi… Wôw ! Je ne peux pas m’en remettre ! »

    C’était Margaret, 16 ans, qui se tordait de joie en s’extasiant sur son béguin en privé.

    « Hee hee, le prince Elliott est tellement sexy, et grand, et c’est aussi une sorte de vilain garnement. Mais malgré cela, il est super gentil avec moi ! Oh, juste imaginer le doux sourire du Prince Elliott me donne un saignement de nez. »  

    Plus que pour sa position, plus que pour son argent, Margaret le voulait pour sa belle apparence.

    Ayant disparu dans son propre pays imaginaire, Margaret serra les poings en essayant de remettre son esprit sur les rails.

    « C’est bon. Peu importe comment Rachel se bat, elle ne peut pas changer ce qui est déjà en mouvement à ce stade. Le Prince Elliott et moi sommes le couple le plus éligible du palais ! C’est le bon sens ! Et je vais transformer ça en un fait accompli avant que le roi revienne. »

    Même si le roi préférait Rachel, si tout le monde autour de lui travaillait pour réunir Elliott et Margaret, Sa Majesté ne pourrait pas insister pour que les choses redeviennent comme elles étaient. Leur objectif était d’amener les choses à ce point.

    « Si Rachel essaie de se rétablir, elle ne pourra rien faire. Je veux dire, elle est en prison. Si elle veut mettre en place un plan dans le palais, elle ne pourra pas l’exécuter alors qu’elle ne peut pas quitter sa cellule. »

    C’est du moins ce que pensait Margaret. Pourquoi de nouveaux meubles apparaissaient-ils constamment dans la cellule de Rachel si elle était censée y être coincée, incapable de bouger ? Margaret ne comprenait pas la raison pour laquelle Rachel se réapprovisionnait constamment ni le problème que cela représentait.

    Inconsciente des lacunes de son raisonnement, Margaret s’arrêta de penser et un sourire niais se répandit sur son visage.

    « De plus, le prince Elliott est à fond sur moi. Peu importe ce que Rachel fait pour attirer son attention, elle est déjà battue. »

    Margaret n’avait jamais douté que Rachel soit après Elliott. Peut-être que cette capacité à se convaincre de choses aussi totalement était la force de Margaret, bien que ce soit aussi sa faiblesse.

    « Après tout, le Prince Elliott ne tombera jamais pour elle. Et vous savez pourquoi ? ! »

    Levant les yeux vers le ciel nuageux, Margaret laissa échapper un rire triomphant.

    « Parce que le Prince Elliott m’a moi ! Tu ne peux pas lutter contre l’ultime super beauté Margaret du quartier ! Ok, je l’admets, tu as aussi un joli visage. Mais il n’y a pas de prix pour la deuxième place ! Ah ha ha ha ha ha ! »

    « Tais-toi ! C’est encore la fille idiote des Poisson ?! As-tu la moindre idée de l’heure qu’il est ?! »

    « Désoléeeeee ! »

    Les hauts cris de la voisine lui avaient fait remarquer qu’elle n’avait pas, en fait, disparu dans « son propre monde ». Margaret s’excusa, ferma la fenêtre, baissa la voix… puis retourna se vanter.

    « Heh heh heh… Je suis celle qui va faire du Prince Elliott le sien ! Et pour que ce soit une certitude, je vais faire en sorte que Rachel admette sa défaite avant que le père du Prince Elliott ne rentre à la maison. »

    Elle avait entendu dire qu’Elliott faisait diverses choses pour essayer de harceler Rachel, mais cela ne semblait pas bien se passer. Serait-ce parce que le prince n’était pas habitué à ce genre de choses, qu’il se retenait, et que cela n’avait pas assez d’effet sur l’impudente Rachel ?

    Eh bien, dans ce cas…

    « Heh heh, il semblerait qu’il est temps pour moi d’utiliser pleinement les techniques que j’ai apprises en ville. »

    Margaret n’était pas fière de ça. Elle ne l’était vraiment pas. Mais elle avait gagné la guerre pour le cœur d’Elliott malgré le fait qu’elle ait grandi dans un mauvais quartier de la ville. Elle avait l’impression de savoir une chose ou deux de plus sur la façon de briser une jeune femme aisée qu’un gars ayant eu une bonne éducation comme Elliott.

    « Attends un peu, Rachel. Je vais t’avoir d’une façon que tu n’imagines pas ! »

    Margaret laissa alors éclater un autre rire aigu…

    Puis elle couvrit rapidement sa bouche, regardant furtivement par la fenêtre.

    *****

    « Hey, maman, j’étais juste un peu bruyante la nuit dernière, et les voisins se sont énervés. Je n’ai pas réveillé papa et toi, si ? »

    « Oh, tu l’as fait ? Ton père et moi étions profondément endormis », répondit la mère de Margaret.

    « Vous étiez si fatigués ? Toi et papa semblaient si pleins d’énergie la nuit dernière. »

    « Ah, eh bien… On peut dire que c’est parce que nous étions très occupés. Nous travaillions sur la fabrication d’un petit frère pour toi hier soir, donc nous étions totalement épuisés quand nous nous sommes endormis. »

    « Hein ? “Faire” un petit frère ? »

    Margaret était étonnamment innocente.

    ***

    Chapitre 20 : Le duc a une audience avec le roi

    Partie 1

    Le paysage rustique, mais de bon goût défilait devant la fenêtre. Le Duc Ferguson regardait le village thermal de Fracker alors que son attelage se frayait lentement un chemin à travers une foule de personnes.

    « Oh, c’est impressionnant. J’aurais dû m’y attendre, vu que c’est la plus grande source de revenus du domaine du comte Naumann. »

    À première vue, la route principale ressemblait à n’importe quelle autre ville de campagne, mais des magasins bordaient la rue et des gens marchaient partout. La plupart d’entre eux devaient avoir séjourné à long terme, car peu d’entre eux portaient quelque chose qui laissait penser qu’ils étaient des voyageurs. Les personnes qui se promenaient dans la calèche ressemblaient soit à des clients se relaxant dans une station thermale, soit à des touristes portant moins de choses que ce à quoi on pourrait s’attendre. Beaucoup d’entre eux faisaient des choses touristiques comme du lèche-vitrine ou prenaient leur repas au restaurant.

    Ce village de thermal était clairement un succès. Le duc était impressionné… mais aussi méfiant.

    « L’étendue de l’activité économique ici semble plutôt grande, mais les déclarations fiscales du comte Naumann suggéraient qu’elle était beaucoup plus petite. »

    « Dan, tu n’as pas le temps de travailler en ce moment, tu te souviens ? », réprimanda la duchesse à son mari accro au travail, lui rappelant où devraient être ses priorités en ce moment. Le gros problème du jour n’était pas l’évasion fiscale, mais les fiançailles rompues de leur fille.

    Des gardes conduisirent la voiture transportant le couple bizarre dans une zone bordée d’hôtels chics pour la classe supérieure.

    *****

    Alors que le roi s’essuyait les cheveux après s’être détendu dans un bain en plein air, son chambellan vint l’informer qu’il avait un invité.

    « Votre Majesté, le Duc et la Duchesse Ferguson sont arrivés de la capitale. Ils sont venus aux sources chaudes pour se reposer et récupérer, et ils ont entendu dire que vous séjourniez également ici. »

    « Ils ont entendu ça ? J’arrive tout de suite. Accompagnez-les jusqu’au salon. »

    « Oui, Sire. »

    Le roi finit de se changer et se dirigea vers le salon de sa suite. Là étaient assis ses vieux amis, le duc et la duchesse, toujours dans leurs vêtements de voyage, qui l’attendaient. Il leur répondit avec magnanimité alors qu’ils se levaient précipitamment et inclinaient profondément la tête, puis il s’assit sur le sofa en bout de table et leur fit signe de s’asseoir.

    « Comme c’est gentil à vous d’être venu, Votre Grâce. Oh, mais c’est un logement loué, pas le palais royal. Comme personne ne nous observe ici, s’il vous plaît, détendez-vous. »

    « Oui, Sire. Si vous voulez bien l’excuser », répondit le duc.

    « En effet. Je suis aussi ici pour me détendre, il n’y a donc pas besoin de faire de cérémonie. Ah, vous là. J’aimerais entendre l’opinion du duc sur les événements de la capitale, et je soupçonne que notre discussion sera longue, alors veillez à ce que personne n’entre dans cette pièce sans être invité. »

    « Compris ! », dit le chambellan qui était arrivé avec le thé.

    Le roi prit une gorgée du délicieux thé glacé qui faisait la réputation de ces villes thermales. Le duc et la duchesse s’étaient assis en face de lui, buvant leur propre thé. Puis le chambellan quitta la pièce en s’inclinant.

    Au moment où la porte se referma, le duc cria : « Hé, Robert, dans quoi est-ce que ton petit merdeux nous a entraînés ? »

    Il commença alors à étrangler l’homme le plus puissant du pays.

    « Attends, attends, calme-toi, Dan ! » supplia le roi.

    « Il a raison, Dan ! Je sais comment sont les choses, mais tu ne peux pas étrangler Sa Majesté quand on ne sait pas qui peut entrer ! », intervint la duchesse.

    Oh, Duchesse Iseria, êtes-vous en train de dire qu’il serait préférable d’avoir la certitude que personne ne vienne ?

    Le roi était un peu préoccupé par la formulation de la duchesse, mais ce n’était pas le moment de s’écarter du sujet.

    Après que le roi et la duchesse l’aient réprimandé, le duc lâcha le cou du roi et se retira, bien qu’il ne soit toujours pas satisfait.

    « Je m’excuse. En raison du fils idiot d’une certaine personne, je me trouve épuisé mentalement et physiquement ces derniers temps. C’était un peu grossier de ma part. »

    « Tu étrangles ton roi, et tu dis que c’était juste un “peu” impoli ? »

    Maintenant libéré de l’emprise du Duc, le roi s’était assis sur le sofa.

    « J’ai entendu parler de la situation. Ou plutôt, j’ai lu le rapport que tu m’as envoyé. Je n’aurais jamais cru que mon idiot de fils puisse faire ça. Écoute, je dois au moins m’excuser sincèrement pour ce qu’il a fait. »

    « Honnêtement, ton fils porte l’idiotie à des sommets jamais atteints jusqu’ici. Il a vraiment tout gâché cette fois ! », dit le duc en soupirant.

    « Écoute, j’ai le droit de le dire moi-même, mais vas-tu vraiment le traiter d’idiot devant moi, son père, le roi ? »

    « Comment pourrais-je l’appeler autrement ? C’est la vérité ! »

    Le roi sourit, même s’il avait l’air tendu, et bu une gorgée de son verre pendant que son ami d’enfance se défoulait sur lui, les narines dilatées.

    Il y avait plus de vingt ans, le roi et le duc avaient une relation qui n’était pas sans rappeler celle des princes Elliott et George aujourd’hui. Et bien qu’ils n’aient jamais été aussi stupides, pour autant qu’ils le sachent. Ils jouaient et apprenaient ensemble depuis avant l’âge de dix ans, il était donc juste de dire qu’après une si longue amitié, leur relation était aussi détendue que possible.

    En raison de l’amitié de leurs parents, Elliott et Rachel auraient dû former un couple idéal, car il aurait eu le moins d’impact possible sur la dynamique des factions du monde politique. Mais qui aurait pu savoir que l’un d’eux découvrirait le « grand amour » et romprait les fiançailles de son propre chef ?

    « Quand même, qu’allons-nous faire ? », se demanda le roi à voix haute.

    « Je pense que nous pourrions commencer par vous mettre, toi et ton fils, à genoux afin de vous excuser », déclara le duc.

    « Je n’ai pas envie de t’aider à te défouler pour l’instant. Je suis inquiet, car depuis qu’Elliott a fait cela si publiquement, il a dû secouer considérablement la haute société. »

    Comme le roi regarde Iseria, son sourcil se fronça. Avec un sourire forcé, elle déclara : « Tous les nobles de rang moyen ou inférieur ayant une fille sont dans tous leurs états, pensant qu’ils ont peut-être une chance maintenant. Non seulement il a rompu ses fiançailles, mais la fille qu’il a choisie à la place n’est que la fille d’un baron par alliance. »

    Rachel était, sans aucun doute, au sommet de la hiérarchie parmi les jeunes femmes de son âge et de celui d’Elliott. Pendant ce temps, Margaret Poisson, dont Elliott était si épris, était probablement au bas de l’échelle en termes de lignée et de carrière. Si la plus basse d’entre elles était capable d’écarter la dame la plus haut placée et de prendre la victoire pour elle-même… Eh bien, dans un certain jeu de cartes, cela aboutirait à ce qu’on appelle une « révolution ».

    Par conséquent, le fait que les autres jeunes femmes nobles pensaient qu’un tel renversement de situation était possible était naturel. Elles pouvaient donc le faire elles aussi. Et comme Margaret avait réussi, elles auraient bien sûr pensé qu’elles le pouvaient.

    Les parents qui ne s’attendaient pas à voir leurs enfants évoluer dans le monde étaient maintenant incroyablement excités d’avoir trouvé un moyen pour leurs filles de tout renverser. Eux, et leurs enfants, seraient sans doute en train de faire leurs pathétiques tentatives pour attirer l’attention d’Elliott en ce moment même.

    « Je vois. Et en ce qui concerne les nobles supérieurs ? », demanda le roi.

    « C’est comme vous le soupçonnez », répondit la duchesse, comprenant où le roi voulait en venir.

    « L’idiotie inattendue du prince a perturbé l’ordre des choses pour la génération suivante, ils sont donc assez secoués et sur le point de commencer à paniquer. »

    Iseria ne mâchait pas ses mots. Dan, quant à lui, n’avait même pas essayé de masquer ses insultes directes.

    « Et l’ordure surdimensionnée que tu appelles ton fils ne comprend même pas ça. Robert, à moins que tu ne vives assez longtemps pour que le trône saute une génération, au moment où ce crétin montera sur le trône, les nobles puissants se révolteront et il y aura un exode du pays. »

    Le fait est que la prédiction du duc avait suffisamment de vérité pour qu’on ne puisse pas en rire.

    Il va sans dire que la haute société de la noblesse aurait aimé que ses filles remplacent Rachel. Ils avaient toujours eu une chance de réussir, alors contrairement aux nobles de second et troisième rangs, qui se bousculaient pour essayer maintenant, ils avaient sans doute élaboré des plans beaucoup plus réalistes. Mais en fin de compte, ils avaient décidé que les avantages qu’ils pourraient tirer du fait que leurs filles deviennent reines n’étaient pas assez importants pour compenser les pertes qu’ils subiraient en raison de la déstabilisation de la société.

    Si Elliott avait avancé avec ses plans en secret, en gardant les détails privés, ça aurait été une chose. Mais, non, il avait tout révélé devant qui sait combien de personnes, plongeant la haute société dans le chaos. En échange de l’influence qu’elle avait sur la maison royale, la haute noblesse avait la responsabilité de soutenir son prince écervelé en restaurant l’ordre. Cependant, puisque le roi était toujours là, il aurait pu les écraser pour avoir été trop gourmand avant qu’Elliott ne puisse monter sur le trône. Aucun noble capable d’analyser correctement les risques et les avantages ne voudrait rejoindre la bataille à ce stade.

    Cependant, si cela était vrai pour les maisons nobles, beaucoup de leurs filles étaient encore là à essayer de séduire Elliott, tout comme les nobles inférieurs. Cela n’avait cependant pas beaucoup d’importance pour le moment.

    Après que le duc ait expliqué la situation, le roi lui adressa un sourire sardonique.

    « Dan, il y a un trou dans ton plan. »

    « Qu’est-ce que ça peut être ? »

    Le roi poussa alors un doigt vers le visage de son ami d’enfance.

    ***

    Partie 2

    « Tu suggères que nous parions sur la prochaine génération, mais… rien ne garantit pourtant que les enfants d’Elliott seront meilleurs ? »

    « Oui, je suis sûr que tu as raison. Je veux dire, ce seront quand même tes petits-enfants. », répondit le duc en hochant la tête à la plaisanterie effacée du roi.

    « Au fait, que pense la jeune Rachel de cette affaire ? La lettre secrète que tu m’as envoyée suggère qu’elle était en fait heureuse à ce sujet. », demanda le roi.

    Le roi sortit alors une enveloppe de la boîte aux lettres sur la table latérale.

    Fronçant les sourcils, le duc répondit : « Oui, elle s’amuse tellement en prison que même moi, son père, j’en suis un peu perturbé. La façon dont elle a prédit tout cela et s’est si bien préparée est effrayante. »

    « Est-ce si grave que ça ? Peux-tu me donner un exemple ? »

    Le duc montra la lettre : « Je ne t’ai pas envoyé ça. »

    « Ce n’était pas de toi ? »

    « En effet », confirma le duc d’un lent hochement de tête.

    Puis il expliqua tout ça du mieux qu’il pouvait.

    « Une sombre organisation que Rachel commande a flairé la conspiration du gamin, a transporté une grande quantité de fournitures dans le donjon du palais, a contacté Rachel après son emprisonnement pour déterminer leur politique à venir et a enquêté sur ton programme de voyage, ce que je n’avais aucun moyen de savoir. Ils gardent, à tout moment, un œil sur ta position actuelle. Un de leurs agents t’a remis une lettre à cet endroit, s’est arrangé pour que tu restes ici lorsque tu as cessé de voyager, et m’a envoyé afin de trouver un moyen de résoudre la situation, puisqu’il était prévu que tu ne reviendrais pas à la capitale. »

    Le roi écouta tout cela en silence.

    Comme s’il venait de s’en souvenir, le duc ajouta : « Et, à propos, je n’ai appris l’existence de cette organisation que la nuit où Rachel a été jetée en prison, et seulement parce qu’ils m’ont révélé leur propre existence par hasard. »

    Il prit une gorgée de thé pour s’humidifier la gorge.

    « Je ne sais pas qui et où sont leurs agents. Je sais que trois des domestiques de Rachel sont impliqués, mais s’il ne s’agissait que des domestiques de ma maison, ils n’auraient pas été en mesure d’enquêter en dehors de la capitale. Pour être franc, je soupçonne Rachel d’avoir encore plus de personnes à sa disposition que la maison ducale elle-même. »

    Une fois que le duc eut fini de parler, le roi, qui avait pressé sa main sur son front, remua.

    « Hé… Ne penses-tu pas que, peut-être, nous ferions mieux d’exécuter Rachel, si l’on considère l’avenir ? »

    « En tant que fonctionnaire, je suis en partie d’accord avec cette idée, mais en tant que père, je la rejette fermement. Aussi, en tant que membre de ton administration, dans l’intérêt de la sécurité, je ne peux pas le permettre. »

    « Dans l’intérêt de la sécurité ? »

    Le duc regarda le roi droit dans les yeux, pleinement conscient qu’il lui manquait de respect.

    « Robert, réfléchis-y. Il y a une organisation là dehors qui peut faire tout ça, et nous ne savons pas comment les gérer, d’accord ? Et si, après la mort de Rachel, ils devaient entrer dans la clandestinité et chercher à se venger ? Que pourrais-tu faire ? »

    « Et ils ont déjà réussi à transporter une grande quantité de provisions dans le château au moins une fois… »

    Le roi retourna la boîte aux lettres et déversa le reste des lettres sur la table. La plupart d’entre elles étaient des rapports urgents du palais ou des bureaux du gouvernement.

    « Je dois envier leur talent. Mes gens au palais n’ont rien à envier aux subordonnés de la jeune Rachel. Ils n’ont fait que rapporter la folie d’Elliott et me demander quoi faire. »

    « Ce n’est pas dû au fait que les gens de Rachel sont suprêmement talentueux, mais que les courtisans sont simplement trop peu fiables ? »

    « C’est une partie du problème. Et chaque département m’envoie les mêmes rapports séparément. Je vais devoir réformer les choses à mon retour. »

    « Cela peut attendre pour le moment. Comment allons-nous contenir cet incident ? Nous devons nous dépêcher et arrêter ce prince à la cervelle de moineau. Je ne dis pas qu’il faut le pendre, mais je pense que ce serait mieux ! »

    Contrairement au duc, le roi resta calme, regardant silencieusement par la fenêtre avant de dire : « Tu sais quoi ? Partons du principe que nous discuterons longuement de tout cela. Dan, pour l’instant, va déposer tes affaires et détends-toi. Le bain en plein air de cet hôtel est spacieux et c’est merveilleux. »

    Se rendant compte que son ami esquivait soudainement le sujet, Dan plissa les yeux et décida de se moquer de lui.

    « Je te connais. Je parie que tu vas y nager. »

    « Je ne pourrais jamais faire quelque chose d’aussi grossier que de ne pas nager dans une source thermale aussi importante. »

    « Mettant de côté notre différence d’opinions, veuille à considérer ta position et faire preuve de retenue, Votre Majesté. »

    Le roi s’enfonça dans le canapé, l’air épuisé.

    « Je sais que la stupidité d’Elliott nous a mis dans ce pétrin, mais… Dan, je ne pense pas que nous serons en mesure de trouver des mesures correctives si facilement. De la façon dont je le vois, la situation est toujours en mouvement. »

    « Dis-tu que Rachel va faire quelque chose ? »

    Le roi sourit au duc, qui s’était tu.

    « Je m’en doute. D’ailleurs, je ne sais pas comment dire ça, mais… Rachel sait ce qu’elle fait. Elle a peut-être déjà trouvé un moyen de régler les choses. »

    Il n’était visiblement pas venu à l’esprit du roi que Rachel avait l’intention de rester enfermée là-dedans le plus longtemps possible.

    « Nous devons prendre notre temps pour réfléchir et trouver la solution optimale qu’elle recherche », conclut le roi.

    Le duc le regarda comme s’il voulait dire : « Ça a l’air terriblement timide. »

    « Au fait, Dan. Le fait que tu aies laissé les serviteurs de ta fille t’envoyer ici est une bonne chose, mais… as-tu fait une réservation ? », dit le roi avec désinvolture

    « Hein ? Non… C’est ma première fois, et je ne connais aucun des hôtels. J’ai pensé que je pourrais te rencontrer et ensuite aller chercher. »

    Le roi posa délicatement son verre sur la table.

    « Je vois. Lorsque nous sommes arrivés ici, mon chambellan est allé parler au gérant pour qu’il réserve l’hôtel le plus luxueux de la ville pour notre usage personnel, mais… il y avait déjà une réservation pour le groupe “d’un individu de statut important”. L’auberge était autrement vacante. L’autre réservation, elle était pour toi. »

    Tous les trois s’étaient tus.

    Après un certain temps, le duc marmonna : « C’est pourquoi j’étais contre le fait que Rachel épouse ce stupide prince. »

    « Ça ne peut pas être ce qui l’a fait grandir en étant si déformée », remarqua le roi.

    « Non… »

    Le duc prit le rapport dans la pile de lettres sur la table.

    « D’après leur façon de parler, ils n’ont commencé à opérer qu’après que ses fiançailles avec cet abruti aient été une certitude. »

    « Avait-elle prévu que leur vie de couple se passerait mal, elle voulait donc pouvoir rester au top ? »

    « C’est probablement ça. Oh, j’aurais dû dire non, même si la reine poussait fort pour les fiançailles. Rachel ne serait alors restée qu’une noble folle. »

    « Je pense que c’est quand même assez mauvais, quand même. Au fait, et si c’était moi qui avais fait pression pour ça ? »

    « J’aurais jeté tes ordres sans valeur à la poubelle, puis je les aurais oubliés. »

    « Est-ce vraiment quelque chose que tu devrais dire en ma présence ? », demanda le roi.

    Le duc jeta le rapport sur la table devant lui et leva les yeux au plafond.

    « Ou peut-être que j’aurais dû rester en retrait et regarder Rachel noyer ce stupide prince à l’époque. »

    « Tu ne peux pas dire ça devant moi, son père. De plus, si cela s’était terminé par un meurtre, même si elle était encore une jeune enfant, elle n’aurait pas pu échapper à la condamnation à mort. »

    Le duc agita alors faiblement la main.

    « Je le sais. C’est une blague… Au moins à vingt pour cent. »

    « Si tu es sérieux à 80 %, on appelle ça être sérieux. »

    Alors que le roi et le duc se taisent, une voix joyeuse prit la parole.

    « Je suis désolé pour ce retard. Oh, Iseria, ça fait longtemps ! »

    La reine, portant un peignoir assorti à celui du roi, vint tardivement les rejoindre dans le salon. Le duc et la duchesse s’étaient levés pour la saluer alors qu’elle s’asseyait à côté du roi.

    « Non, je suis vraiment désolée pour tout ça », s’était-elle excusée.

    « Qu’est-ce qui t’a pris ? », demanda le roi.

    « S’ils vont jusqu’à nous donner un si grand bain, la seule chose polie à faire est d’aller s’y baigner, non ? Je m’étais fixé un objectif de vingt longueurs, c’est ce qui me retenait. », répondit la reine sans ambages.

    Ils se ressemblent tellement, pensèrent le duc et la duchesse.

    Après qu’ils aient fait un compte-rendu de leur conversation précédente, la reine répondit immédiatement : « Je veux toujours que Rachel soit la prochaine reine. Je ne changerai pas d’avis sur ce point ! »

    « Mais ce n’est tout simplement pas possible après ça. Rachel ne le veut pas non plus », expliqua le duc.

    « Eh bien, Duc, laissez-moi vous poser une question. Pensez-vous qu’il peut diriger le pays sans Rachel ? », dit la reine en se redressant.

    C’était un argument si puissant que le duc et le roi s’étaient tus. La duchesse détourna poliment le regard.

    « Je n’entends aucune objection, alors je veux que vous trouviez un plan pour persuader Rachel. Ce plan doit également maintenir l’exigence minimale de l’amener dans la maison royale, même si nous devons satisfaire certaines de ses demandes. »

    « Tu es déraisonnable… », commença le roi pour argumenter, mais la reine ne l’entendait pas de cette oreille.

    « Déraisonnable ou non, cela doit être fait. Peux-tu rire à l’idée que le pays tombe en ruine cinq ans seulement après ton décès ? »

    Le roi et le duc baissèrent la tête.

    « Hé… ça va prendre un certain temps, non ? Pourquoi ne pas prendre un bain ? », dit le duc

    « Vous n’avez pas l’air de trouver une solution facilement. Allons-y et enregistrons-nous pour commencer. », ajouta Iseria.

    « Iseria, le principal argument de vente de cet hôtel est le massage amincissant de leur salon esthétique ! », dit la reine avec enthousiasme.

    « Mon Dieu, comme c’est charmant ! »

    Tous les quatre se levèrent et allèrent s’échapper de la réalité sous prétexte de profiter de la station thermale.

    ***

    Chapitre 21 : La jeune demoiselle veut apprendre à connaître la jeune fille

    Partie 1

    Lorsque Margaret arriva à l’entrée de la prison, le gardien était absent et personne ne surveillait l’endroit.

    « M. le gardien ? M. le gardien ! », appela-t-elle.

    Il n’apparaissait toujours pas.

    « Hein… ? »

    Retournant dans un couloir où les gens allaient et venaient, elle vérifia auprès de l’un des gardes qui s’y trouvaient et découvrit qu’étant donné que Rachel était la seule occupante de la prison, son gardien ne la surveillait qu’à temps partiel. Il n’était là que lorsqu’il passait dans le coin en patrouille.

    « Oh, je vois. »

    Remerciant poliment le garde, Margaret retourna au donjon.

    « Hmm, ce n’est pas fermé. »

    En poussant la porte en fer, Margaret sourit. Elle n’arrivait pas à croire que tout se passait si bien.

    « Quelle attention de la part de ce stupide gardien de prison ! Maintenant, je peux la harceler autant que je veux sans que personne ne m’arrête. »

    Lors de la première visite de Margaret l’autre jour, Rachel l’avait frappée au ventre quand elle s’y attendait le moins, et Margaret avait accidentellement laissé le gardien voir ce qu’elle était vraiment. Elle n’avait pourtant pas entendu de rumeurs à ce sujet, le garde n’avait donc pas dû en parler autour de lui.

    « Néanmoins, si cela se répète, il pourrait dire quelque chose au Prince Elliott ou à Sykes lorsqu’ils visiteront la prison. Il vaut mieux qu’il ne soit pas là. »

    Margaret descendit les escaliers du donjon de bonne humeur. C’était une femme têtue. Quand quelqu’un l’attrapait, elle s’assurait de l’avoir en retour.

    *****

    Rachel avait passé la nuit à écrire et venait de terminer son brunch composé de pommes de terre, de biscuits et d’un cocktail de fruits. Elle entendit les pas de la dernière invitée qui descendait au donjon pour l’aider à tuer le temps, et elle regarda et vit que c’était, Mlle Sac de Frappe, qui était venue l’autre jour. Rachel avait envie de la revoir, elle était donc ravie.

    « Oh, bienvenue, Miss Sac. J’attendais que vous reveniez me voir ! »

    « Huh ?! C’est bien que je sois la bienvenue, mais… Mademoiselle Sac ? Qui est-ce ? »

    Margaret fronça les sourcils, vérifiant derrière elle au cas où quelqu’un d’autre serait là.

    Rachel inclina la tête sur le côté : « Hein ? Je parle bien sûr de vous, Mlle Sac de Frappe. »

    « Moi ? ! Et c’est quoi ce nom ? ! »

    « Comme je l’ai dit, il fait référence à vous. Celle qui a le corps le plus facile à frapper dans le monde entier, renommée comme le “beau sac de frappe”, Mlle Sac de Frappe. »

    « Quel genre de vie je mène dans votre tête tordue ? ! Est-ce que le fait d’avoir vécu dans un donjon a altéré votre capacité à distinguer la fantaisie de la réalité ? ! À quoi ressemble un beau sac de frappes ?! »

    Margaret continuait de crier, son visage tordu de rage alors qu’elle pointait un doigt vers Rachel.

    « Apprenez mon nom correctement ! Je suis Margaret Poisson, fille de la maison baronniale de Poisson ! La femme qui deviendra reine à votre place. La façon dont vous m’avez constamment intimidée fit perdre à Elliott son affection pour vous ! Alors ? Vous comprenez maintenant ? Comprenez-vous la position dans laquelle vous vous trouvez ? Vous pouvez pleurer et crier si vous voulez. Allez-y, hurlez comme la perdante que vous y êtes ! »

    N’importe qui aurait pu penser que Margaret était celle qui hurlait en ce moment.

    Hmm. Rachel ferma les yeux et réfléchit. Après un moment, elle les rouvrit et adressa un sourire à la rousse indignée.

    « Très bien, mettons tous ces détails insignifiants de côté pour le moment. Pourriez-vous me laisser vous frapper, juste une fois ? »

    « Ce n’est pas trivial, d’accord ? ! C’est mon nom ! Et les fiançailles du prince ! »

    Alors que Margaret tapait du pied avec colère, Rachel réfléchissait à la façon d’expliquer cela. Elle décida de le dire directement à Margaret.

    « Je ne suis pas particulièrement intéressée. »

    « Eh bien, intéressez-vous ! C’est pour ça que je déteste les filles bien nées comme vous ! », exigea Margaret.

    « Oubliez tout ça. Je suis fascinée par votre peau douce et veloutée, qu’il serait satisfaisant de gifler ! Et je suis très intéressée par votre cou, qui tournerait très bien si j’envoyais un coup de poing sur votre menton, et votre ventre, qui ferait un bon son si je lui donnais un uppercut ! »

    « Alors, pourquoi ne pas commencer par apprendre mon nom ?! »

    Le sang lui monta à la tête, Margaret fit un pas de plus vers Rachel… et sauta sur le côté l’instant d’après. Elle y parvint à peine avant que le lasso sous son pied ne recule à l’intérieur de la prison.

    « Tch ! »

    « C’est dangereux ! N’allez pas poser des pièges comme ça ! », hurla Margaret.

    « J’ai pourtant failli vous avoir. Votre instinct est meilleur que ce à quoi je m’attendais. »

    Le fait que la prisonnière soit celle qui essayait d’attraper une autre personne semblait être une contradiction.

    Margaret, qui avait trébuché et était tombée en sautant de côté, se releva et s’épousseta.

    « Heh, heh heh heh… C’est vrai. On dirait que je vous avais sous-estimée. Vous jouiez le rôle d’une sorte de sadique stupide, mais vous essayiez vraiment de m’attraper pour pouvoir m’utiliser comme otage ? »

    « Non ? Je veux vous capturer pour pouvoir vous frapper et écouter vos jolis cris. »

    Alors qu’elles se regardent l’une et l’autre sans mot dire, un tourbillon passa par la fenêtre de ventilation.

    Margaret sourit cyniquement et haussa les épaules : « Vous dites ça, mais ce que vous prévoyez vraiment, c’est de me prendre en otage, puis de négocier avec le prince Elliott pour qu’il vous libère et rétablisse les fiançailles, non ? Je sais que c’est le cas. »

    « Oh, non, je suis venue à la prison de mon plein gré, et avoir mes fiançailles avec Son Altesse rétablies ne serait rien de moins qu’un cauchemar pour moi. Je ne le demanderais donc jamais. Mais… si je devais négocier les conditions de votre libération, je pense que je demanderais votre garde. »

    « Hein ? Quoi ? »

    Alors qu’un point d’interrogation flottait au-dessus de la tête de Margaret, Rachel pressa ses mains contre ses joues et regarda Margaret comme si elle était enchantée.

    « C’est exactement comme je l’ai dit. En échange de votre libération, je voudrais que vous soyez placée ici avec moi. Je pourrais ainsi faire de vous ce que je veux. »

    « Attendez… Votre logique n’a aucun sens », dit Margaret, qui avait du mal à comprendre.

    « Eh bien, étant donné que je n’ai pas réussi à vous capturer, je ne serai pas en mesure de faire cet échange. », dit Rachel en soupirant.

    « Oh, oui ! C’est vrai, je n’ai jamais été capturée ! Ouf, j’étais inquiète ! »

    Mais au moment où Margaret laissait échapper un soupir de soulagement, elle sauta et fit un saut périlleux avant, roulant sur le sol de pierre. Le lasso était tombé inutilement là où elle se tenait.

    « Tch ! »

    « P-p-pourquoi vous ! Arrêtez ça ! »

    *****

    « Oh, c’est vrai. Vous n’aviez pas quelque chose à faire avec moi, Mlle Sac de Frappe ? Je suis une femme très occupée, alors j’ai bien peur de ne pas avoir beaucoup de temps à vous consacrer. », dit Rachel.

    « À cause de vous, j’ai complètement oublié ! Je n’ai jamais eu le temps de le dire ! Et d’ailleurs… comment pouvez-vous être occupée dans une cellule de prison ? ! À arracher les poux de vos cheveux ? À attraper des souris ? Dire que la fille d’un duc en serait réduite à combattre les insectes et les souris. Ha ha ha, quelle blague ! J’ai eu mon lot d’ennuis avec eux, alors ça fait du bien de voir une fille aisée comme vous recevoir ce qui lui revient ! », cria Margaret.

    Margaret était de naissance commune et venait d’une famille pauvre avant que sa mère ne se remarie dans la maison baronniale, aussi trouvait-elle hilarante la disgrâce de la fille du duc.

    Alors que Margaret se serrait les côtes en hurlant de rire, Rachel lui jeta un regard noir.

    « Hum ? Vous vous rendez compte qu’il n’y a pas vraiment d’insectes ou de souris ici ? »

    « Whuh ? »

    « Mais il se pourrait aussi bien que l’insecticide que j’ai ici avec moi les éloigne. »

    « Vous n’en avez pas ? Dans un endroit comme celui-ci ? »

    Rachel regarda Margaret avec pitié : « Alors… vous avez des insectes ? Dans la maison des Poisson ? »

    « Ne me regardez pas comme ça ! C’était il y a longtemps, ok ? ! Pas dans notre maison actuelle ! Maintenant, ils ne se montrent qu’occasionnellement ! »

    Au milieu de ses cris déréglés, Margaret eut soudainement un flash de réalisation.

    « Attendez ! Vous vous souvenez finalement de mon nom de famille ?! Vous vous êtes moquée de moi tout ce temps ! »

    « Je viens juste de l’entendre », dit Rachel avec un sourire sincère, sans s’excuser le moins du monde.

    « Mais, vous savez, ce n’est pas par méchanceté. Nous aimons tous appeler nos amis proches par des noms d’animaux, non ? »

    « Écoutez, vous… »

    ***

    Partie 2

    Margaret ramassa la chaise du gardien de prison et la jeta sur Rachel de toutes ses forces. Évidemment, elle heurta les barreaux et tomba au sol.

    Margaret leva les yeux au ciel et cria : « Personne ne traite quelqu’un de sac de frappes sans malice !!! »

    « Oh, mon Dieu ! C’est dommage que ma sincérité ne vous ait pas atteint… »

    « Demandez à un médecin d’enlever votre cerveau, de le laver et d’en réparer les parties cassées ! »

    « Merci beaucoup pour cette suggestion originale. Je vais la prendre en considération. »

    « Vous n’avez aucune intention de le réparer ! »

    *****

    Au moment où elle allait craquer, Margaret remarqua un poids dans son sac et se souvint de ce qu’elle était venue chercher ici.

    « Oh, c’est vrai ! Grâce à vous, j’ai failli oublier la raison pour laquelle je suis venue ici. »

    Un sourire en coin traversa son visage chéri alors qu’elle posa le sac sur le sol.

    « Hee hee, aujourd’hui je vous ai apporté une bonne collation. Je suis sûre que vous souffrez ici, dans le donjon, sans recevoir une alimentation correcte. »

    Margaret mit un sachet de menthe à l’intérieur d’une serviette qu’elle avait sortie du sac, puis les utilisa pour couvrir la moitié inférieure de son visage. Elle se moqua alors de Rachel, sa voix étant maintenant étouffée.

    « Voyez-vous, le prince Elliott m’a donné un peu d’argent, et je suis allée acheter des fruits frais au marché. Il paraît que c’est très nutritif et bon pour la santé. »

    Margaret enfila ensuite des gants épais et sortit un paquet de forme étrange, fermé hermétiquement.

    « Je leur ai demandé de choisir un fruit particulièrement mûr pour moi. Je suis sûre qu’il fera des merveilles pour vous, puisque vous êtes coincée sous terre dans ce donjon, à ne manger que des aliments en conserve. »

    Margaret entailla le paquet avec un couteau, sortant la chose à l’intérieur. Une intense odeur de pourriture s’était rapidement répandue et s’incrusta dans la pièce lorsque Margaret révéla un objet jaune hérissé.

    « C’est un fruit tropical. Un durian, comme ils l’appellent. Il dégage une odeur assez forte, mais cela vous indique simplement qu’il est mûr. Hee hee, profitez de ce fruit frais. »

    Margaret posa le durian sur la chaise du garde, hors de portée de Rachel.

    « Il a une enveloppe dure, alors demandez à M. le Garde de le couper pour vous. Je vais le laisser ici afin qu’il ne disparaisse pas avant. »

    Margaret sourit sous son masque en regardant Rachel.

    Le Prince Elliott essaie de la faire se soumettre. C’est pourquoi il utilise des méthodes fades qui ne fonctionnent pas. Je vais juste aller jusqu’au bout en la harcelant, que Rachel s’excuse ou pas. Si elle souffre, alors tant mieux. Si je continue à la frapper sans trop réfléchir, elle finira par capituler.

    Rachel regarda calmement le durian.

    « Wôw, ça me ramène en arrière. J’avais l’habitude d’en voir il y a longtemps, lors de voyages à l’étranger. »

    Elle ne grimace pas le moins du monde en regardant le fruit puant avec fascination.

    « L’odeur… ne vous dérange pas ? », demanda Margaret.

    « Ça sent beaucoup les oignons pourris, non ? Les gens du coin disent pourtant qu’ils aiment ça. »

    Margaret n’avait pas compté sur le fait que Rachel y soit habituée, et elle grinça des dents de vexation.

    Rachel ouvrit l’une des boîtes en bois au fond de la cellule et fouilla dedans, à la recherche de quelque chose.

    « Voyons voir. Je suis sûre que c’était par ici… Je l’ai trouvé. »

    Rachel revint en tenant une grande boîte.

    « Mlle Poisson, laissez-moi vous donner ceci en signe d’appréciation. »

    « Huh ? Qu’est-ce que c’est ? »

    La canette que Rachel lui offrait semblait être de fabrication étrangère.

    « Nous en avons reçu une fois quand je suis partie en voyage avec Son Altesse, et il en était très friand. Bien que je doute qu’il l’ait jamais vu à l’intérieur de la boîte. Puisque je l’ai à portée de main, vous pouvez l’avoir. »

    « Est-ce quelque chose d’inhabituel ? », demanda Margaret.

    « Vous ne le verrez pas souvent dans ce pays. »

    « Hmm… »

    C’était apparemment incroyablement précieux. En plus de cela, il n’était pas disponible dans le pays, et c’était quelque chose que le Prince Elliott aimait.

    Margaret prit la lourde boîte.

    « Je vais aller l’ouvrir tout de suite ! »

    « Je suis heureuse de voir que vous l’aimez. »

    *****

    Margaret disparut comme le vent, laissant Rachel toute seule.

    « Je savais que je l’avais déjà vue quelque part. C’était donc la fille qui s’est accrochée à Son Altesse comme un poisson-ventouse le soir de la fête. »

    Parce que Rachel ne s’intéressait pas à Elliott et ne voyait leurs fiançailles rompues que comme un moyen d’arriver à ses fins, elle ne s’était jamais préoccupée de vérifier qui était sa nouvelle partenaire. En y réfléchissant maintenant, c’était une erreur d’inattention. Honnêtement, les points clés de l’histoire étaient qu’Elliott allait déclarer que leurs fiançailles étaient rompues et qu’elle serait ensuite jetée en prison, toutes les autres personnes autres que ce bouffon de prince était donc considéré comme sans importance.

    « Mlle Margaret de la maison baronniale de Poisson… D’après les deux fois où je lui ai parlé, je dirais que c’est une mangeuse d’hommes qui change d’attitude en fonction du sexe de son interlocuteur. Elle a aussi un côté simple, laissant tomber son masque dès qu’elle s’énerve. Et vu qu’elle a pris au sérieux un cadeau que sa cible lui a offert et qu’elle l’a ramené avec elle, ce n’est pas une penseuse particulièrement profonde. »

    Rachel porta une main à son menton, en hochant la tête : « Pour résumer, c’est une idiote à courte vue. »

    Alors que Rachel réfléchissait dans le donjon sombre, la lumière vacilla et le garde entra.

    « Quoi ? ! Vous êtes donc réveillée, Mademoiselle ?! C’est quoi cette horrible odeur ? », demanda-t-il.

    En voyant le garde, qui lui parlait comme à un ami proche, Rachel sourit un peu, soulagée.

    « La jeune femme qui est venue me rendre visite tout à l’heure a apporté un cadeau, mais il semblerait qu’il soit pourri… »

    En s’approchant, le gardien de prison vit que l’objet en question avait été laissé sur sa chaise. Il avait l’air vraiment malheureux.

    « Ce truc pue. Comment ne l’ont-ils pas remarqué quand ils l’ont apporté ? ! Quel est l’idiot responsable de ça ? »

    « C’est Mlle Sac de Frappe. Celle qui est venue l’autre jour. »

    « Oh, elle… »

    Bizarrement satisfait par cette explication, le garde enroula un chiffon autour du fruit pourri, du moins le supposait-il, et le porta dehors.

    Une fois qu’il fut parti, Rachel mit le masque qu’elle avait utilisé pour peindre et chercha la plus grande planche de bois qu’elle avait pu trouver. Elle l’utilisa pour ventiler la pièce aussi fortement qu’elle le pouvait.

    Rachel avait reçu des leçons rigoureuses afin de la préparer à devenir la prochaine reine. Son visage impassible était sans égal.

    *****

    Elliott prenait le thé dans son bureau avec ses associés lorsque Margaret entra en portant une grande boîte.

    « Prince Elliott, j’ai reçu ça en cadeau. Pourrais-tu l’ouvrir ?! »

    « Margaret ! »

    Au moment où Elliott vit que la fille qu’il aimait le plus au monde était venue lui rendre visite, il se leva, souriant. Puis il vit la chose étrange qu’elle portait.

    « Hm ? Qu’est-ce que c’est ? », demanda-t-il.

    « Elle a dit que c’était quelque chose que tu as aimé manger lors d’un de tes voyages à l’étranger ! », répondit Margaret.

    « J’ai mangé ça lors d’un voyage à l’étranger ? Hmm, qu’est-ce que ça peut être ? »

    Elliott avait fait plusieurs voyages de ce type, mais pourtant rien de ce qu’il y avait mangé n’était assez bon pour que cela lui soit resté en mémoire.

    Prenant la boîte en main, George essaya de lire l’étiquette.

    « Voyons voir… C’est écrit soor… Stremming ? Strumming ? D’après l’image sur la boîte, je pense que c’est une sorte de plat de poisson… »

    Il n’arrivait pas à comprendre les instructions.

    Attrapant la boîte gonflée de George, Sykes la tapota légèrement.

    « J’ai déjà vu des conserves, mais je ne savais pas qu’elles pouvaient gonfler comme ça. »

    Aucun d’entre eux n’avait la moindre connaissance de la fermentation.

    « Quel genre de plat est-ce, Votre Altesse ? », demanda George.

    « Je n’en ai pas la moindre idée… En fait, c’est la première fois que je regarde une boîte de conserve de si près comme ça. Je me demande ce que c’est ? », répondit Elliott.

    Sykes rit de leur perplexité : « Nous le saurons quand elle sera ouverte. Je parie que mon couteau peut couper ce couvercle. »

    « Oh, ouais ? OK, vas-y et ouvre-la », dit Elliott.

    Elliott, Margaret et George regardèrent Sykes tenir la boîte de conserve de sa main gauche et faire un grand mouvement avec le couteau de sa main droite.

    Soudainement, Elliott eut l’idée de demander à Margaret : « De qui l’as-tu reçu ? »

    « Mlle Rachel. »

    « Sykes ! Arr — »

    Au moment où Elliott lui criait d’arrêter, le couteau de Sykes s’était enfoncé profondément dans la boîte.

    ***

    Partie 5 : Les souvenirs d’un frère et d’une sœur

    Chapitre 22 : La servante apporte une livraison à sa maîtresse

    « Écoutez, ne laissez pas passer une seule souris ! Nous allons sceller complètement cet endroit et forcer Rachel à abandonner ! »

    Sur les ordres du prince Elliott, des chevaliers furent postés autour du bâtiment qui abritait le donjon. Ils se relayèrent, quelques-uns à la fois, et se cachèrent dans l’ombre afin de surprendre Rachel en train de contacter l’extérieur.

    « Peu importe comment vous voyez les choses, Rachel doit ouvrir sa cellule pour apporter des fournitures fraîches. Rien d’autre ne peut expliquer le nouveau mobilier. Nous allons attraper celui qui fait entrer des choses en douce et faire en sorte que Rachel ait l’impression d’être assiégée. », dit Sykes aux chevaliers.

    Sykes avait délibérément dit cela pour que Rachel puisse aussi l’entendre.

    Le plan était que les chevaliers se cachent dans les buissons, d’où ils pourraient voir l’entrée ou la fenêtre, et prendre au dépourvu quiconque viendrait rencontrer Rachel. Voir sa ligne de vie disparaître sous ses yeux aurait un impact sur n’importe qui, même sur Rachel.

    « Honnêtement, ils disent qu’il n’y a toujours aucun signe d’action de la maison ducale. Qu’est-ce qui se passe là-bas ? », grommela Elliott avec irritation. Non seulement la maison ducale n’avait fait aucune tentative pour sauver Rachel, mais le duc et la duchesse étaient partis en vacances.

    « Est-ce qu’ils ont la moindre idée de la situation ?! Leur fille est en prison pour un crime ! Normalement, vous devriez au moins lui rendre visite et lui apporter une collation ! »

    « Votre Altesse, on dirait que tu veux qu’ils réapprovisionnent ma sœur ? Ne veux-tu pas qu’ils n’interviennent pas ? », fit remarquer George.

    « Évidemment, je ne veux pas qu’ils lui livrent du ravitaillement. Mais en tant que parents, ils devraient vouloir lui apporter un gâteau, ou quelque chose comme ça. Que fait le Duc ?! », répondit Elliott, l’air agacé.

    « Veux-tu que je fasse livrer quelque chose au nom de mon père ? »

    « Oui, et je l’engloutirai pendant qu’elle regarde. »

    « Ah, donc tu pensais à un moyen de la harceler… », marmonna George.

    Il n’était pas certain que Rachel ait entendu tout le vacarme intentionnel qu’ils avaient fait dehors. Elle était sous les couvertures, portait son masque de sommeil, et respirait doucement alors qu’elle dormait à nouveau.

    *****

    Aujourd’hui était une nouvelle journée chargée. Sofia passa donc la tête pour vérifier que le majordome s’occupait du travail de son maître ainsi que du sien. Elle portait un manteau d’extérieur et une capuche. Elle semblait se rendre quelque part.

    « Je vais aller voir la jeune maîtresse, Jonathan. »

    « Oh, vraiment ? Dis-lui que tous les domestiques sont inquiets pour elle. »

    Jonathan leva les yeux de la pile de documents qu’il signait et acquiesça, mais les mots suivants de Sofia le figèrent.

    « Nous allons également partir pour un voyage d’affaires de deux ou trois jours, Meia et moi ne reviendrons donc pas pendant ce temps. »

    Qu’est-ce que les bonnes font, elles partent en voyage d’affaires quand le maître n’est pas à la maison ?

    Jonathan y réfléchit un instant, puis reprit son travail.

    « Je comprends. Prends soin de toi. »

    Il n’y avait rien de bon à se préoccuper des détails quand la jeune maîtresse est concernée.

    *****

    Au lieu de se rendre directement au château, Sofia s’était rendue dans un commerce situé dans un quartier voisin. Elle s’était arrêtée au bureau pour obtenir un rapport du représentant de la société commerciale. L’entreprise était bien sûr une façade. Ils géraient les communications avec les pays lointains, préparaient les fournitures pour leur jeune maîtresse, et répondaient à toutes ses demandes spéciales. Oui, la Compagnie du Chat Noir, située non loin du manoir, était une base pour Sofia et les autres membres des Chats Noirs de la Nuit Noire.

    Sofia était entrée par l’entrée latérale, et après avoir confirmé que tout allait bien, elle appela immédiatement le chariot. Un chariot chargé avait déjà été préparé pour son arrivée, elle n’avait donc qu’à monter à l’arrière avec ses escortes. Lorsque le chariot sortit par la porte en bois du jardin arrière, le magasin agissait de manière conforme à ce qu’il faisait habituellement.

    *****

    Le travail de garde de la porte du palais était assez prenant, mais il ne l’était vraiment que jusqu’à midi environ. Une fois que toutes les personnes arrivant pour la journée avaient franchi la porte, elles avaient des affaires à régler. Les visiteurs se présentaient donc rarement plus tard dans la journée. À un certain moment de l’après-midi, pratiquement aucun visiteur ou chariot ne cherchait à entrer dans le château.

    Quoi qu’il en soit, cet après-midi, un simple petit chariot s’était approché de la porte du palais.

    « Halte ! Euh, à quel service livrez-vous ? », héla un vieux garde.

    Le vieil homme assis sur le siège du conducteur releva le bord de son chapeau et sourit.

    « C’est une livraison de nourriture pour chat. »

    « Compris ! Allez-y ! »

    Le garde fit un signe en remettant au chauffeur un laissez-passer d’entrée, et les autres gardes retirèrent la barricade. Le chauffeur hocha alors la tête et commença à déplacer le chariot vers le palais. Il semblerait que le garde ait transmis un message aux autres portes, car les gardes avaient laissé passer le chariot sans l’arrêter.

    Le chariot tourna et se dirigea vers le bâtiment abritant le donjon, s’arrêtant avec sa porte à l’arrière. Sofia en descendit, puis le conducteur et les escortes ouvrirent la cloison et commencèrent immédiatement à décharger.

    Ce fut alors que les chevaliers sortirent des buissons. Ils s’étaient arrêtés devant Sofia et saluèrent.

    D’une voix parfaitement calme, Sofia demanda : « Et les “chiens” ? »

    « À cette heure de la journée, ils sont tous rassemblés autour du “chat”. Les autres surveillent les environs. La patrouille des gardiens de prison est à trois heures aujourd’hui. »

    Un certain nombre d’autres bureaucrates de bas rang du palais aidaient également à décharger. Sofia leur confia la tâche et descendit dans le donjon.

    *****

    Lorsque Rachel remarqua ce qui se passait en haut, celle-ci défit le cadenas et enleva les chaînes. Quant à la serrure de la porte, elle avait actuellement les mains à travers les barreaux et la crochetait habilement de l’autre côté.

    « Jeune maîtresse, quand tu veux ouvrir la porte, utilise ta clé, s’il te plaît », s’était plainte Sofia, mais Rachel ne s’était pas inquiétée.

    « Je dois mettre mes techniques en pratique de temps en temps, sinon je vais me rouiller. »

    « Si tu laisses des rayures, ils vont comprendre comment nous faisons. Que ferais-tu s’ils remplissaient le trou de la serrure avec du métal ? »

    « Ne serait-ce pas génial d’avoir des barres qui peuvent se rétracter dans le mur ? »

    « Garde ça pour la prochaine fois, veux-tu bien ? »

    « Va-t-on encore me mettre là-dedans ? »

    Poussant sa maîtresse sur le côté, Sofia ouvrit la porte à l’aide d’une clé de rechange, que personne d’autre que le gardien de prison ne devait avoir. D’ailleurs, Rachel en avait une aussi, mais elle ne voulait pas l’utiliser. Cela offenserait sa fierté de crocheteuse. Ok, non, c’était un mensonge.

    « As-tu trouvé quelque chose à redire à ton mode de vie ici ? », demanda Sofia.

    « Rien de particulier. Je dors bien depuis que nous avons apporté un vrai lit. Ça m’aide à progresser dans mon écriture. »

    « J’ai des exemplaires gratuits de la société Mouse & Rat dans le wagon, je t’invite donc à y jeter un coup d’œil plus tard. Comment as-tu réussi à écrire dix volumes alors que tu es ici depuis moins d’un mois ? »

    « Hee hee, quand tes personnages prennent vie d’eux-mêmes, ils font tout le travail pour toi. »

    Rachel franchit la porte de la pièce principale pour la première fois depuis environ un mois.

    « Hm ! C’est l’odeur de la liberté ! »

    « Avec seulement un ensemble de barres de fer sur le chemin, l’air ici n’est pas différent de celui que tu as respiré depuis le début. Nous n’avons pas beaucoup de temps, alors dépêche-toi et installe-toi, s’il te plaît. »

    Sofia fit asseoir Rachel sur la chaise du gardien de prison et commença à peigner la perruque brune qu’elle avait apportée. Rachel avait déjà les cheveux longs, ils utilisaient donc une perruque plus foncée et faisaient attention à ce que ses vrais cheveux ne ressortent pas. Sofia arrangea la coiffure de Rachel et la rendit présentable.

    « Ce sont des billets pour une place en loge. Ils vont jouer Le Prince et le Pauvre. Le jeune maître sera à la maison aujourd’hui et demain, j’ai donc réservé pour toi une chambre double avec salon à l’auberge Les Feuilles Vertes. Meia sera là pour t’habiller pour ton retour à la prison. Si tu as des affaires à régler avec le manoir, demande à Meia de remettre tes ordres à Lisa. »

    Rachel, déjà habillée pour sortir, vérifia ses cheveux dans le miroir et sourit joyeusement.

    « Cela fait si longtemps que je n’ai pas vu Alexandra ! Cela devait être avant que son père ne prenne son nouveau poste, cela fait donc un an maintenant. »

    « Il y avait un message d’elle disant qu’elle voulait te voir aussi et qu’elle était impatiente d’entendre tous les détails. Mlle Martina a également envoyé une lettre, par pigeon voyageur, pour s’excuser de ne pas pouvoir être présente. »

    Tout en parlant, Sofia enleva sa capuche et son manteau. Ses cheveux gris cendré avaient déjà été teints en brun chocolat et coiffés dans le même style que ceux de sa jeune maîtresse. Elle était également vêtue de la tenue de détente de Rachel. Rachel et Sofia se ressemblaient beaucoup en termes de taille et de silhouette, ce qui jouait donc en leur faveur, mais habituellement, la différence dans leur tenue et leurs manières éclipsait leurs similitudes.

    « Tu aurais pu te changer ici, au moins. Est-ce que la taille te convient ? », demanda Rachel à Sofia.

    « Je n’étais pas sûre du temps que j’aurais pour me maquiller une fois à l’intérieur de la prison. Cela me frustre, cependant, qu’il y ait de la place libre dans la zone de la poitrine. »

    « Tu sais que tu ne devrais pas te plaindre ? Ou Mlle Sac de Frappe va se montrer pour te hanter. »

    « Cette fille est-elle toujours en vie et en bonne santé, non ? »

    Peu de temps après, le chauffeur était venu les informer que le déchargement était terminé. Rachel enfila la capuche et le manteau de Sofia tandis que cette dernière entra dans la cellule et vérifia que rien n’avait été oublié.

    « Oh, c’est vrai. Jeune maîtresse, il n’y avait pas non plus de vrais déchets à ramasser la dernière fois que nous sommes venus. Qu’as-tu fait avec tes restes de table et autres ? »

    « Hm ? Eh bien, il n’est pas bon de les laisser traîner, non ? Je les jetais par la fenêtre dans les jardins de derrière, mais il semblerait que quelqu’un ait porté plainte. Maintenant, je jette tout dans la poubelle de la pièce de devant, et M. le Garde les sépare et les ramasse. »

    Cette plainte venait probablement d’un certain amoureux des jardins de derrière.

    « Oh, je vois. Dans ce cas, c’est parfait. »

    Sofia laissa tomber le sujet sans chercher à en savoir plus. Si le problème avait été résolu, elle se souciait aussi peu que Rachel de savoir comment. Elles étaient généralement assez semblables.

    Rachel verrouilla la porte de l’extérieur, et Sofia attacha le cadenas et les chaînes de l’intérieur. Cette fois-ci, malgré la facilité habituelle avec laquelle elle semblait tout faire, Sofia laissa tomber les chaînes et dut les ramasser.

    « Jeune maîtresse, je suis impressionnée par le fait que tu aies pu les soulever. »

    « Si je n’avais pas pu soulever autant, je n’aurais pas non plus été capable de tenir une conversation légère en tenant une arbalète à portée de main. »

    Il n’y avait probablement qu’une seule jeune femme au monde qui aurait appelé menacer le prince « conversation légère ».

    Rachel jeta un rapide coup d’œil dans la pièce avant pour voir si elle n’oubliait rien.

    « J’ai veillé jusqu’à tard dans la nuit ces derniers temps, et j’ai changé mon emploi du temps quotidien, donc tant que tu es sous les couvertures, M. le Garde ne devrait pas te déranger. Le problème sera de traiter avec son Altesse et ses copains quand ils passent de temps en temps, mais… tu pourras les gérer, non ? »

    Sofia pressa son cou à plusieurs endroits et s’éclaircit la gorge. Puis…

    « J’ai déjà l’air assez proche avec ce maquillage, donc si je baisse les lumières, il est peu probable qu’ils le remarquent. Je veux dire, tu sais comment sont Son Altesse et Mlle Sac de Frappe, non ? »

    Sofia avait répondu avec la voix et la manière de parler de Rachel.

    Rachel fit un sourire de satisfaction et fit un signe de tête au chauffeur avant de monter les marches en pierre.

    « Ta-ta, Sofia. Je te verrai à cette heure-ci, après-demain. »

    « Oui, profite bien de ta soirée pyjama. »

    « Je ne suis par contre pas ravie que ce soit pour parler de son Altesse et de George. »

    *****

    Une fois sortie du donjon et monté dans le chariot, Rachel n’eut pas le temps de regarder le ciel dégagé, qu’elle voyait pour la première fois depuis un mois. Alors que les roues commençaient à cliqueter, elle posa sa tête sur sa paume et plissa les yeux.

    « Très bien… Je pense que je vais commencer par lui couper les bras et les jambes. »

    ***

    Chapitre 23 : La servante gère des invites non désirés

    « Maintenant, que dois-je faire ? », se murmura Sofia à elle-même sous les couvertures.

    Après avoir échangé sa place avec Rachel hier, Sofia n’avait pas hésité à profiter du lit de sa jeune maîtresse. Même s’il était simple et uniquement destiné à un repos temporaire, il était toujours d’excellente facture, conçu et construit pour satisfaire la fille d’un duc.

    Le lit avait été consciencieusement conçu pour une utilisation dans le donjon, avec un large espace entre le matelas et le sol pour permettre à l’humidité de s’échapper. La couette était faite de duvet de haute qualité et dispersait naturellement toute humidité provenant de la sueur absorbée pendant la nuit. Il y avait également un plafond et des rideaux de gaze en soie pour préserver l’intimité. Pour parler franchement, ce lit promettait un sommeil bien plus réparateur que celui dans lequel Sofia et les autres servantes de haut rang qui s’étaient vu attribuer des chambres personnelles avaient l’habitude de dormir.

    Maintenant, quant à ce que tout cela signifiait…

    Pour la première fois en vingt et un ans au service de Rachel, Sofia avait fait la grasse matinée.

    Je pourrais dire « Tee hee », mais je me sentirais juste stupide de le dire à voix haute comme ça.

    Tant qu’il ne se passait rien, elle était juste censée paresser en se faisant passer pour Rachel. La grasse matinée ne devrait donc pas être un problème. Après tout, Rachel avait apporté une tonne de livres ici, et ils avaient juste renouvelé sa réserve de thé et de biscuits. À part s’occuper d’un rare invité, ça allait être essentiellement une pause de deux jours, ou c’était supposé l’être.

    Qui aurait cru que le Prince Elliott et ses associés débarqueraient pendant qu’elle dormait profondément ?

    *****

    Si Sofia s’était réveillée en sursaut, ce n’était pas forcément dû à l’arrivée inopinée du Prince Elliott.

    Bien que j’aie tiré les rideaux par sécurité, j’ai pris la mauvaise décision de me démaquiller avant de m’endormir.

    Si les silhouettes de Rachel et de Sofia étaient globalement similaires, leurs visages n’étaient pas si semblables que l’on puisse les confondre en plein jour. C’était pourquoi elles avaient mis au point une routine de maquillage naturel qui permettait à Sofia de ressembler à sa jeune maîtresse au premier coup d’œil. Cependant, s’ils la voyaient avant même qu’elle ne le mette, cela ne lui servirait à rien. Sofia ne pouvait pas les laisser voir son visage directement, elle devait donc les chasser d’une manière ou d’une autre sans sortir du lit.

    D’un ton arrogant, la vague silhouette d’un homme de l’autre côté des rideaux déclara : « C’est quoi ça, Rachel ? Ne veux-tu même pas nous laisser te voir ? Tu es d’encore plus mauvaise humeur que d’habitude aujourd’hui. »

    C’est de ta faute, prince empoté. J’espère que tu deviendras chauve !

    Sofia maudit mentalement le prince, mais il y avait des choses plus importantes à faire que de l’engueuler verbalement. Elle devait faire quelque chose à propos de cette situation. Si Elliott soupçonnait que quelque chose était différent de la normale, alors quel serait donc l’intérêt de laisser un double corps ?

    « C’est une chose que tu dis après avoir fait irruption dans la chambre d’une jeune fille. As-tu envisagé de devenir chauve, peut-être ? »

    La voix de Rachel était sortie de la gorge de Sofia avec une bonne dose de malice et de moquerie. C’était parfait. Sofia avait été avec la jeune maîtresse nuit et jour, elle savait donc comment parler comme Rachel quand elle montrait sa vraie nature.

    La silhouette à demi visible à travers les rideaux, qui ressemblait vaguement à un prince, tressaillit.

    « Quoi ? Tu es terriblement directe aujourd’hui, non ? »

    D’après sa confusion, Sofia avait apparemment été un peu à côté de la plaque.

    Pas bien. Je vais devoir me corriger.

    « Je suis de mauvaise humeur en ce moment. Tu m’as réveillée tout d’un coup si tôt le matin, et ça m’a laissé sur les nerfs. »

    « Le matin… Il est bien plus de midi, tu sais ? Quand t’es-tu endormi ? », demanda Elliott.

    Zut.

    Maintenant, il doutait de son bon sens.

    « Si on calcule à partir de l’heure où je me suis endormie, alors c’est le matin. »

    « Tu as enfin décidé d’être le centre du monde, hein ? »

    Et ça n’avait fait qu’empirer les choses.

    Et maintenant ?

    Le prince, soi-disant de l’autre côté des rideaux, secoua la tête.

    « Argh ! Cela n’a pas d’importance maintenant ! Rachel, comment oses-tu piéger la pauvre et innocente Margaret alors qu’elle ne sait rien ! »

    « Margaret ? »

    Sofia savait qu’elle avait entendu ce nom, mais dans son état d’agitation, elle n’arrivait pas à mettre un visage dessus. Elle l’avait entendu dans un rapport avec le prince récemment, mais à qui appartenait-il ?

    Elliott l’avait apparemment entendue marmonner le nom de Margaret, car sa silhouette de prince était maintenant visiblement en colère.

    « Pourquoi tu… Après ce que tu nous as fait subir à Margaret et moi, pourquoi as-tu l’air de ne pas savoir qui elle est ?! Je te ferai savoir que Margaret n’est toujours pas sortie du lit après avoir été affectée par cette boîte de conserve pourrie ! Même George et moi ne nous sommes levés qu’hier ! Ne ressens-tu pas des remords de conscience, en faisant subir à ton propre petit frère et à la pauvre et fragile Margaret quelque chose de si horrible !? »

    Quelque chose d’affreux… Une conserve pourrie… Une boîte… ? Oh !

    « Oh, Mlle Sac de Frappe ! »

    « Huh ?! »

    « Je me souviens maintenant ! Bonté divine, Votre Altesse, tu devrais vraiment l’appeler par son vrai nom, sinon qui pourra dire de qui tu parles ? »

    « Hein ? Non. Je ne connais personne qui s’appelle Sac de Frappe… »

    « C’est le nom de ta propre petite amie, non ? Tu ne peux pas oublier ces choses. C’est ce qui est problématique chez toi, Votre Altesse. »

    « Petite amie… ? Attends, tu parle de Margaret ? ! Margaret est son vrai nom ! Margaret Poisson ! Qui appelles-tu Sac de Frappe ?! »

    Oh, c’est vrai. C’était un détail sans importance, alors je me suis trompé.

    En ce qui concernait Sofia, elle avait eu une conversation détendue avec ce déchet de la société, mais elle avait dû dire quelque chose qui l’avait offensé. Maintenant, l’affreux prince était devenu encore plus furieux.

    « Argh ! C’est une chose après l’autre avec toi ! Rachel, comment oses-tu ne pas montrer ton visage quand quelqu’un est vraiment en colère contre toi ! Sors d’ici et mets-toi à genoux ! »

    « Tch ! »

    Dire que le prince à la cervelle de moineau pouvait trouver un argument convaincant. Pourtant, il n’y avait aucun moyen pour Sofia de sortir d’ici. Elle devait le faire taire tout en mettant fin à cette conversation de manière à garder le dessus sur sa jeune maîtresse.

    « Est-ce que tu viens de claquer ta langue sur moi ?! Quel genre d’attitude faut-il adopter avec le prince d’un pays ?! »

    Sofia répondit par le silence. Elle pourra mieux mener son prochain mouvement de cette façon.

    « Est-ce que tu m’écoutes, Rachel ? ! Je suis en colère ! Sors d’ici tout de suite ! »

    Comme Sofia s’y attendait, le prince enragé aboya de nouveau son ordre, bien qu’elle dût s’interroger sur la pertinence de secouer les barreaux de la prison dans un accès de colère. Elle en avait entendu parler par sa jeune maîtresse, mais il se comportait vraiment comme un singe.

    Sofia se redressa dans le lit, serrant les draps contre elle. D’où ils se tenaient, tout ce qu’ils pouvaient dire était qu’elle se couvrait avec la literie.

    « Votre Altesse… »

    « Quoi ?! », dit Elliott en claquant des doigts.

    « Tu ne comprends donc vraiment pas les sentiments d’une femme », dit Sofia avec un soupir délibéré.

    « Huh… ? »

    Elliott tomba dans un silence à la fois furieux et curieux. Suivant l’exemple de sa jeune maîtresse, Sofia continua alors sur cette voie empoisonnée.

    « Je ne peux pas sortir du lit afin de te voir, Votre Altesse. Je ne porte rien quand je vais me coucher… »

    Elliott — non, tous les hommes furent secoués. D’après le brouhaha qui régnait, elle pouvait en conclure que le prince avait emmené un groupe de ses insignifiants parasites.

    « V-Votre Altesse… ?! », cria l’un d’entre eux.

    « Ne perdez pas la tête ! Cela pourrait être le plan de Rachel », avertit un autre.

    Vous avez raison de dire que c’est un plan, mais, malheureusement, ce n’est pas celui de la jeune maîtresse.

    La pièce devint étrangement silencieuse. Elliott toussa poliment, puis dit d’un ton digne : « Ha ! Ha ! Ha ! Tu ne peux pas me tromper, Rachel. Ce n’est pas possible que ce soit le cas. N’est-ce pas ? »

    Il essayait de prétendre que tout était normal, mais Sofia pouvait voir qu’il était secoué. Elle décida d’aller plus loin.

    « Oh, tu n’étais pas au courant, Votre Altesse ? C’est pourtant une coutume courante chez les dames de haut rang dans notre pays ? »

    À ce stade, Elliott et sa joyeuse bande d’idiots ne pouvaient pas cacher leur panique.

    « V-V-Votre Altesse ?! Ça veut dire que toutes les filles le font aussi ? », s’écria l’un des parasites.

    « A -Attendez ! N-N-N-N-N-N-Ne perdez pas la tête, bon sang ! », répondit Elliott.

    « Mais, pensez-y ! Maintenant que nous avons appris cette information super secrète… Je ne pourrai plus jamais regarder en l’air à la cour ! »

    « Calmez-vous ! Nous n’avons rien fait de mal ! Gardez la tête froide ! Restez calme. Calme. Vous me suivez ? Maintenant, la prochaine fois que vous regardez une jeune femme, vous ne devez pas l’imaginer de cette façon ! Compris ? ! »

    Leurs réactions trop innocentes firent penser ceci à Sofia : ces garçons ont fait moins de bêtises que je ne le pensais.

    Maintenant qu’Elliott et ses acolytes avaient perdu le contrôle, Sofia donna le coup de grâce.

    « Oh, votre Altesse, doutes-tu de moi ? »

    « Huh ? Non, pas particulièrement ?! »

    « Si tu ne peux pas me faire confiance, alors peut-être devrais-tu demander à Mlle Margaret si c’est vrai ? »

    Avant même que Sofia ne termine, le vent du silence avait déjà tourbillonné violemment dans la pièce. L’imagerie sexuelle de ses mots les souffla, et ils commencèrent à frapper ceux qui ne pouvaient pas s’empêcher de l’imaginer, et pourtant les frappeurs l’imaginaient aussi. La brigade des parasites d’Elliott s’effondra à ces simples mots, leur imagination les laissant à l’agonie et les rendant incapables de se battre.

    Une fois qu’elle fut sûre qu’ils regardaient tous dans le vide, abattus par leurs propres pensées, Sofia déclara : « Hum, Votre Altesse ? Avant de parler, j’aimerais me rhabiller… »

    « Huh ? Oh, oui, bien ! Nous serons dehors, alors appelle-nous quand tu es prête ! »

    Bien que prétendant n’avoir rien fait de mal, le prince se sentait coupable rien qu’en l’imaginant. Sa tête se balançait de haut en bas comme une poupée à grosse tête. Il chassa alors ses parasites de la pièce, les suivant derrière eux.

    « Pas de voyeurisme par la fenêtre, d’accord ? », ajouta Sofia.

    « Je le sais ! Je le sais, d’accord ?! », glapit Elliott.

    Une fois le bruit des pas dans les escaliers disparu, Sofia poussa un soupir de soulagement.

    « Ouf, c’était tendu. Dieu merci, il n’a pas semblé le remarquer. »

    Sofia portait, bien sûr, un pyjama. Elle était après tout une servante.

    Et bien que j’aie aidé ma dame à s’habiller d’innombrables fois, je ne me souviens pas d’une seule fois où elle était nue.

    Tout simplement parce que cette coutume n’existait pas dans ce pays.

    Comme Elliott et les garçons étaient partis si gentiment afin que Sofia puisse se changer, elle s’était rendormie. De toute évidence, elle n’avait pas l’intention de les rappeler.

    *****

    Quand Rachel était revenue le lendemain, son visage était rayonnant.

    « Je suis si contente que tu aies réservé une auberge. Nous avions tellement de choses à nous dire que nous avons bavardé jusque tard dans la nuit. Si nous étions à la maison, Martha nous aurait jetées toutes les deux au lit. »

    « Je suis heureuse de l’entendre », dit Sofia.

    « Nous avons apporté des brochettes de viande que nous avons achetées à un stand de nourriture, et nous avons commandé une bière au service d’étage pour trinquer. Je n’avais jamais eu un tel repas auparavant. C’était tellement amusant. »

    « Est-ce vraiment sage pour des femmes nobles comme vous de faire ça ? »

    Il n’y avait pas de fournitures à apporter aujourd’hui, Rachel et Sofia échangeaient donc des informations autour d’un thé. Elles allaient conclure rapidement, cependant, car elles devaient se méfier des autres.

    « Quand même, Sofia, tu n’aurais pas pu finir un peu plus tranquillement ? »

    « Pardon ? Je ne me suis jamais battue avec le prince, et je pensais l’avoir fait partir plutôt calmement. »

    « Eh bien, oui, mais… maintenant, son Altesse et les autres pensent que je dors nue. S’ils le disaient à quelqu’un, ce serait un scandale. »

    « Oh, ça », répondit Sofia tout en tenant la théière avec un sourire inhabituellement agréable.

    « Puisque les rumeurs ne porteraient pas sur moi, je pensais réellement que c’était bon. »

    « Tu sais que je ne déteste pas la façon dont tu es froide avec absolument tout le monde ? »

    *****

    « Ah… Se promener en ville pour la première fois depuis un moment était agréable et tout, mais… »

    Buvant la dernière gorgée de son thé maintenant légèrement tiède, Rachel s’était adossée à son fauteuil inclinable et s’était étirée.

    « Tu sais, je suis juste plus à l’aise ici dans ma prison personnelle ! »

    « Franchement, jeune maîtresse. »

    ***

    Chapitre 24 : La servante est occupée

    Même lorsque Rachel, la fille aînée de la Maison Ferguson, était absente, sa domestique Sofia était occupée. Il était vrai que Sofia n’avait pas à s’occuper de sa maîtresse, mais il y avait encore d’innombrables autres choses à faire pour elle, à l’exception bien sûr du nettoyage des chambres. À moins qu’un grand secret ne soit requis, cette tâche était réservée aux domestiques de rang inférieur. En outre, la lessive était laissée aux femmes de chambre spécialisées dans ce domaine. En d’autres termes, même si Sofia n’avait pas grand-chose à faire en l’absence de sa maîtresse, elle avait encore beaucoup d’autres tâches à accomplir.

    Les autres servantes de la maison étaient mystifiées de voir les servantes personnelles de la jeune maîtresse courir partout alors que leur maîtresse était absente.

    « Eh bien, ça doit être déroutant pour les personnes qui ont d’autres missions. Helena, à la blanchisserie, m’a demandé : “Comment se fait-il que vous ayez toutes autant de travail ?” », déclara Lisa.

    Sofia hocha alors la tête : « Oui. Une servante normale d’une maison noble ne ferait pas les comptes d’une société commerciale. »

    Sofia et Lisa passaient en revue les dépenses de la Compagnie du Chat Noir du mois dernier. Elles ne soupçonnaient pourtant pas un quelconque détournement de fonds. C’était juste une tâche quotidienne, vérifier les livres chaque mois afin de trouver des erreurs.

    Être aux côtés de Rachel signifiait apprendre ses secrets. En tant que membres des Chats noirs, Sofia et les autres servantes avaient une charge de travail presque meurtrière, même lorsque Rachel n’était pas là.

    *****

    Pendant que Sofia et Lisa contemplaient la montagne de documents, Mimosa et Meia étaient entrées dans la pièce.

    « Nous avons une bonne et une mauvaise nouvelle. Laquelle voulez-vous en premier ? », demanda Mimosa.

    Sofia et Lisa se regardèrent.

    « Ce sont les deux faces d’une même pièce, non ? Donnez-nous les deux ensemble », dit Lisa, l’air épuisé.

    « Oh, Lisa, tu n’es pas drôle. La bonne nouvelle est que quatre caisses de masques d’argile sont arrivées du Royaume de Zenoya. »

    Tout le monde — à l’exception de Sofia, qui ne pouvait pas vraiment s’amuser, jeta les mains en l’air pour célébrer. L’argile de Zenoya était réputée pour ses incroyables propriétés d’embellissement, mais l’importation d’une seule jarre coûtait un certain nombre de pièces d’or. Normalement, seuls les nobles ou les marchands fortunés pouvaient se le permettre, mais Rachel l’offrait à ses subordonnés au prix coûtant pour les récompenser de leur dur labeur. Ses subordonnés n’avaient qu’à charger les pots dans les chariots prévus à cet effet lorsqu’il y avait de la place, et Rachel pouvait ainsi l’acheter presque au même prix que les habitants de Zenoya.

    Rachel fournissait ce genre de cosmétiques coûteux aux femmes, et des alcools étrangers rares aux hommes, pour un prix dérisoire, afin de gagner leurs cœurs et leurs esprits. Les gens ne travailleraient pas à coup de fouet sans une carotte devant leur nez. Par ailleurs, Rachel avait également des contacts avec les employés des douanes, ce qui lui permettait de faire entrer ces cadeaux dans le pays sans les déclarer. Ce que l’on appelait généralement de la « contrebande ».

    Comme les servantes étaient de jeunes femmes, la plupart d’entre elles voulaient les produits pour elles-mêmes, mais elles avaient également la possibilité d’en acheter les droits et de les laisser à la Compagnie du Chat Noir afin qu’elle les vende en leur nom. C’était une prime, mais sous forme de souvenirs étrangers. Personne ne pouvait être insatisfait de cela.

    Au moment où tout le monde se sentait heureux, Mimosa allait donner l’autre nouvelle.

    « Maintenant, pour ce qui est des mauvaises nouvelles… Vu que le bateau est arrivé, vous aurez aussi une grosse pile de rapports étrangers supplémentaires à trier. Bonne chance avec ça. »

    Cette fois, tout le monde, y compris Sofia, baissa la tête.

    *****

    La Compagnie du Chat Noir était une entreprise de taille moyenne située dans l’une des rues secondaires de la capitale. À première vue, elle n’avait pas l’air d’être prospère, mais beaucoup de ses clients faisaient partie de la noblesse et de la classe supérieure en raison du grand choix de produits étrangers de qualité. Et comme la majorité de leurs affaires étaient réalisées par le biais de visites à domicile, ils s’étaient abstenus d’installer une vitrine dans la rue principale, mais ceux qui étaient dans le coup connaissaient l’entreprise et sa réputation de ne traiter qu’avec les meilleurs.

    C’était ainsi que les clients voyaient la Compagnie du Chat Noir, mais si vous le demandiez à Sofia ou à l’un des autres initiés, ils vous diraient que si la perception du public n’était pas incorrecte, ce n’était pas non plus toute la vérité. Pour cette société, qui avait été fondée sans révéler que Rachel était sa sponsor, le commerce des produits de luxe n’était qu’une façade. Elle gagnait bien de l’argent pour ses opérations de cette façon, mais les succursales à l’étranger ne leur renvoyaient pas seulement des produits, mais aussi des informations. Leurs employés étaient également en mesure de pénétrer dans les maisons de personnes puissantes de la capitale, découvrant subrepticement des informations précieuses.

    Leur priorité absolue, évidemment, était d’infiltrer les factions hostiles à la Maison Ferguson ou à Rachel elle-même. C’est pourquoi, si Rachel en parlait, ils pouvaient découvrir n’importe quoi, comme ce que le Prince Elliott avait pour le dîner jusqu’à la disposition des produits cosmétiques sur la commode de Margaret. Mais comme ces choses semblaient stupides, Rachel n’avait jamais donné un tel ordre.

    Sofia était chargée de gérer non seulement la Compagnie du Chat Noir, mais aussi les forces personnelles de Rachel à l’intérieur de la maison ducale et les domestiques du palais que Rachel avait conquis. Elle était donc de toute évidence occupée. Organiser toutes les informations entrantes, publiques et autres, et signer la paperasse à la place de Rachel… Même si Sofia avait des subordonnés pour l’aider, ce ne serait pas suffisant.

    Sofia prit alors une gorgée du thé que Meia avait préparé, puis déclara en soupirant.

    « Il ne serait peut-être pas déraisonnable que je me verse un salaire triple… »

    « Après tout, le travail que nous faisons ne fait pas partie de la description de poste d’une femme de chambre… », ajouta Lisa.

    Les autres servantes qui travaillaient avec elles hochèrent toutes la tête, l’air fatigué.

    Il y avait dix commandants chez les Chats Noirs. Les cinq principales étant Sofia, la commandante en chef, Meia, en charge de la politique intérieure, Lisa, en charge des finances intérieures, Mimosa, en charge des affaires internationales, et Heidi, en charge des opérations à l'intérieur du palais. Elles travaillaient ensemble avec Campbell, le président « par intérim » de la Compagnie du Chat Noir, Waters, leur visage dans la pègre, et trois individus anonymes, en charge des chevaliers, des bureaucrates et des courtisans à l'intérieur du palais.

    Ces dix personnes avaient pris en charge leurs domaines respectifs, coopérant les unes avec les autres pour faire fonctionner l'organisation. Si l'on comptait tout le monde, y compris les marginaux qui n'avaient aucune idée de la structure de commandement, les membres des Chats de la Nuit Noire se comptaient par centaines.

    « Est-il normal que la moitié des personnes au sommet soient de jeunes servantes ? », demanda Lisa.

    « Nous n'avons fait que suivre les ordres de la jeune maîtresse, et à un moment donné, nous nous sommes trouvées capables de trier des informations secrètes sans les remettre en question », répondit Sofia.

    « De plus, les gens en bas de l'échelle ne savent rien de nous. Certains des hommes de Waters nous ont probablement pris pour un syndicat du crime. »

    « Waters nous a aussi regardés de haut au début, mais une fois que je l'ai amené dans la chambre de la jeune maîtresse, elle l'a apprivoisé comme un chaton en cinq minutes. »

    « Je suppose que la folle vibration criminelle de la jeune maîtresse a eu un effet sur lui… », dit Lisa après y avoir réfléchi.

    « Si la jeune maîtresse te reproche de parler d'elle comme ça, je ne vais pas te couvrir. », dit Sofia.

    *****

    Une fois qu'elles eurent fini de tout passer en revue, Sofia obtint la permission de Jonathan de sortir avec Lisa. Comme les routes étaient encore humides à cause de la pluie, elles ne soulèveraient pas de poussière sur leur passage, et le soleil avait fait son apparition. C’était des conditions idéales pour une promenade.

    « Cet endroit est parfait. Si nous étions des servantes normales, nous serions probablement ravies de sortir comme ça », dit Lisa.

    « Oui, mais comme nous sortons toujours pour les affaires de la jeune maîtresse, l’endroit où nous nous rendons n’a vraiment rien de spécial. », répondit Sofia.

    « Je suis d'accord. Vu la façon dont nous nous faufilons dans les ruelles la nuit… nous ne ressemblons pas à des jeunes femmes normales. »

    Sofia et Lisa s’étaient rendues à la Compagnie du Chat Noir avec leur rapport terminé. Lorsqu'elles étaient arrivées, on leur avait immédiatement montré le bureau du président. Un vieil homme bien bâti s'affairait à remplir des papiers et un homme d'âge moyen au visage vilain était allongé sur un canapé venant de la salle de réception. Il était en train de fumer.

    Une fois que Sofia et Lisa étaient entrées dans la pièce, Sofia passa devant le canapé. Elle passa nonchalamment son pied sous ce dernier, et le renversa, l'homme d'âge moyen et tout le reste.

    « Je t'ai déjà dit que tu ne devais pas fumer quand je venais, Waters », dit Sofia en le réprimandant.

    « C'était un peu violent et sorti de nulle part, n'est-ce pas, grande sœur ?! »

    L'homme appelait Sofia « grande sœur » alors qu'il avait plus de quarante ans et qu'elle était encore une jeune fille en pleine adolescence. Ni Lisa ni Campbell n’avaient réagi comme si c'était inhabituel. Lisa prit alors son siège et Campbell se leva de son bureau afin de les rejoindre. En plus de livrer les documents, Sofia et Lisa étaient ici pour une réunion de direction des Chats de la Nuit Noire.

    « Qu'est-ce qui ne va pas, Waters ? Tu veux bien te lever ? »

    Campbell l'avait réprimandé.

    « Veux-tu montrer un peu d'intérêt, vieil homme ? », répondit Waters.

    Sofia parcourt rapidement les rapports des deux hommes, puis les mit dans une enveloppe avec le sien et tendit l'enveloppe à Lisa.

    « Bien, c'est Lisa qui va glisser à l'intérieur aujourd'hui, M. Campbell. Veillez-y », dit Sofia.

    « Compris. Le chariot est prêt et attend. »

    Ils avaient introduit clandestinement des rapports et des fournitures dans le palais pour Rachel en les mélangeant aux livraisons quotidiennes d'une filiale de la Compagnie du Chat Noir qui s'occupait de denrées alimentaires.

    Ce n'était rien qu'une ruse. La Compagnie du Chat Noir envoyait en fait les chariots directement, c’était pourquoi parfois tout son contenu allait à Rachel au lieu d'aller aux cuisines. Ils avaient un bon nombre d'agents à l'intérieur du palais, en particulier à la porte, parmi les chevaliers, et autour du Prince Elliott, de sorte que leurs chariots passaient toujours avec seulement une inspection superficielle par leurs propres gens, apportant une variété de choses différentes chaque fois. Ces jours-ci, les subordonnés de Rachel, les servantes, pouvaient même monter à l'arrière.

    « Si Mlle Lisa y va elle-même, c’est que quelque chose d'important est arrivé ? », demanda Campbell.

    Sofia présenta alors un autre document à Campbell et dit : "Vois-tu, ils vont avoir une réunion à ce sujet. »

    Campbell et Waters se penchèrent l'un vers l'autre en regardant le document. Lorsque leurs yeux zigzaguant atteignirent le bas, ils soupirèrent tous les deux.

    « Eh bien… », murmura Campbell.

    « Elle est plus folle que jamais. Elle va vraiment faire ça dans le donjon ? », remarqua Waters.

    Sofia devait s'attendre à ces réactions, car elle avait simplement sorti une liste et commença à expliquer calmement.

    « Cela étant, Campbell, j'ai besoin que tu prépares ces matériaux. »

    « Je peux le faire, mais… qu'en est-il des personnes impliquées ? Est-ce qu'on peut s'occuper de la préparation tout seul ? »

    « Je vais utiliser le nom de la jeune maîtresse et leur demander de venir au nom de la maison ducale. Ils seront plus susceptibles d'accepter de cette façon. »

    Que Sofia puisse utiliser le nom de Rachel sans le demander prouvait à quel point Rachel avait confiance en elle.

    « Et quant à moi, veux-tu que je contacte tous ces gens ? », demanda Waters.

    Il regardait sa propre liste avec un air renfrogné. Les personnes qui y figuraient étaient toutes de premier ordre et ne se laisseront pas manœuvrer aussi facilement.

    « Il reste encore beaucoup de temps, trouve donc un moyen de les persuader », insista Sofia.

    « Tu fais paraître ça si facile, sœurette. Ce sont tous des gros bonnets de l'industrie, le genre de gars qui peuvent me parler comme ça, tu sais ? »

    « J'ai pensé à ça aussi. Prends des rendez-vous, et s'il y a quelqu'un que tu ne penses pas pouvoir persuader, contacte-moi. »

    Lorsque Waters exprima son hésitation, Sofia laissa entendre qu'elle avait un moyen de les convaincre. Cependant, il la regarda d'un air dubitatif, se disant que ce n'était que l'idée d'une servante lambda d'une maison noble, détachée de la réalité.

    « Quoi, sœurette, vas-tu demander au vieil homme d'empiler de l'or devant eux ? », demanda Waters.

    « Non. Si nous réussissons, je demanderai à la jeune maîtresse de courber la tête devant eux. », dit Sofia en secouant la tête.

    « Quoi ?! », s'exclama Waters.

    Campbell et Waters, qui étaient tous deux expérimentés dans leur domaine, se figèrent. Mais ils allaient bien évidemment le faire. La fille de la maison ducale, dont le rang n’était dépassé que par celui du roi et de la famille royale, allait baisser la tête devant des roturiers qui, malgré leur renommée, n'étaient guère plus que des vagabonds. Étant donné la différence de leur statut et le sens de la fierté d'un noble, ce genre de chose n'arriverait jamais. Mais Rachel le ferait. Si elle allait aussi loin, elle était sûre de faire une impression positive sur la personne à qui elle demandait, mais quand même…

    « Tu es sérieuse ?! », dit Waters, l'air incrédule.

    « Très sérieuse. La jeune maîtresse n'est pas du genre à laisser sa fierté s'immiscer dans des moments pareils. », répondit Sofia.

    « Peut-être pas, mais… Tu as vraiment obtenu sa permission pour ça ? »

    Avec une aisance presque rafraîchissante, Sofia répondit : « C'est ce que Lisa va faire après ça, pas vrai? »

    « Huh ? Je fais quoi ? », couina Lisa.

    Les mâchoires de Waters et de Campbell touchèrent le sol. Il semblerait qu'il y ait eu si peu de planification que le messager ne connaissait même pas son rôle.

    Une fois que Waters réussit à se remettre un peu, il dit : « Attends… Qu'est-ce que tu vas faire si on fait cette promesse et que la patronne dit qu'elle ne veut pas le faire ? »

    « Eh bien, si la promesse est déjà faite, la jeune maîtresse devra le faire. Si elle s'y oppose, je la ferai se mettre à quatre pattes pour demander la permission, même si je dois marcher sur sa tête pour le faire. », répondit Sofia, l'air blasé.

    Tout le monde, sauf Sofia, se figea à nouveau sous le choc.

    Lisa murmura : « Je ne pourrais jamais imiter ce genre de relation avec la jeune maîtresse… »

    « Sofia ressemble plus à une sœur adoptive qu'à une amie d'enfance… », remarqua Campbell.

    « Normalement, on s'attendrait à ce qu'elle se retienne un peu, pourtant… », ajouta Waters.

    Les mots de Sofia leur rappelèrent quelque chose d'important : Rachel n'était pas la seule membre des Chats de la nuit noire à être folle.

    *****

    Après avoir vu le chariot partir, Sofia quitta la Compagnie des Chats Noirs. Elle étira ses bras, puis commença à marcher.

    « Bonté divine, j'ai certainement travaillé dur aujourd'hui. »

    Elle n'avait plus de travail à faire pour le moment. Mais demain, elle se réveillera avec une autre matinée agitée.

    Arrivant à un carrefour, Sofia se tourna vers le manoir. Elle leva le pied pour faire un pas, mais le baissa doucement. Sachant à quel point les autres servantes pouvaient être effrontées, il était possible qu'elles aient laissé une partie des documents intacts, disant que c'était la part de Sofia.

    « Si je retourne au manoir et qu'il y a une pile de travail qui m'attend, je ne vais pas aimer ça..."

    Sofia fit volte-face et partit dans l'autre sens. C'était le chemin d'une boutique qui servait le gâteau de mousseline moelleux dont elle s'était entichée dernièrement, accompagné de thé parfumé.

    « J'ai travaillé assez dur pour aujourd'hui. Je pense que je peux au moins me permettre une pause thé, comme un avantage du travail. »

    Sofia était tout aussi effrontée que ses collègues. Elle avait prévu de facturer le coût comme une dépense professionnelle.

    *****

    « Oh non, j'ai merdé ! », s'écria soudainement une femme de chambre alors qu'elle essuyait un vase. La servante à côté d'elle, qui se tenait sur la pointe des pieds pour épousseter un cadre, faillit tomber.

    « Qu'est-ce qui ne va pas, Théodora ? », demanda l'autre servante.

    « J'ai oublié de donner ma lettre à Mlle Lisa avant son départ ! », s'écria Théodora.

    « Une lettre ? Pour la jeune maîtresse ? »

    Rachel était relativement amicale envers les domestiques de la maison, mais le fait qu'une simple servante lui écrive une lettre alors qu'elle était en prison était tout de même inhabituel.

    « Quel est le problème ? Tu demandais des vacances ? »

    « Non, c'est beaucoup plus important ! »

    La Théodora à lunettes serra les poings et se lança dans une explication passionnée.

    « Je veux qu'elle écrive une scène dans son prochain ouvrage où Sykes retourne la situation contre le prince Elliott, et j'ai écrit une lettre de fan avec les grandes lignes de cette scène ! J'espérais qu'elle saurait à quel point j'y tiens… »

    L'autre servante, qui tenait un plumeau, haussa les épaules tandis que Theodora se maudissait discrètement et se tordait de douleur.

    « Pourquoi te lances-tu ainsi dans une série de romans que la jeune maîtresse n'écrit que pendant son temps libre ? Et avec ce genre de contenu… Tes goûts sont pourris, ma fille. »

    « Qu'est-ce que tu dis ? Toutes les femmes sont pourries comme moi ! »

    « Ne nous mets pas dans le même sac que toi ! »

    Leurs chamailleries continuèrent jusqu'à ce que la femme de chambre passe.

    ***

    Chapitre 25 : La jeune demoiselle entretient des invités

    Partie 1

    En tant que prince, Elliott avait un certain nombre de tâches à accomplir quotidiennement. De plus, il y avait récemment eu une augmentation massive de la quantité de documents qu’il devait signer et du nombre d’inspections qu’il devait effectuer, de sorte que ses journées étaient si occupées qu’il en oubliait complètement cet ennuyeux donjon.

    Malheureusement, Elliott fut forcé de se souvenir de son habitant exaspérant lorsqu’il regarda dehors pendant l’heure du thé et aperçut de la fumée s’élevant près d’un bâtiment qu’il connaissait trop bien.

    « Nous avons un temps magnifique aujourd’hui », remarqua Elliott.

    « Vous voyez ça, Votre Altesse ? Il y a de la fumée. », demanda Sykes.

    « Je vais peut-être emmener Margaret faire un tour sur la colline. »

    « C’est près du donjon, non ? Est-ce qu’elle brûle du bois ? »

    « Maintenant que j’y pense, je me suis surmené récemment et je n’ai pas fait assez d’exercice. Ce n’est pas bon. »

    « Huh ? Je sens de la viande qui cuit. Whoa, ça me met vraiment en appétit. »

    « Très bien, quittons la ville pour la journée ! Nous partirons dès que Margaret sera là, alors prépare les chevaux ! »

    « Votre Altesse, écoutes-tu ? Rachel manigance encore quelque chose. »

    « Sykes, Son Altesse essaie de ne pas le remarquer… », l’interrompit George.

    *****

    Elliott s’était traîné jusqu’au donjon, en partie par sens de l’obligation. Et quand il arriva devant, il vit deux hommes près de la porte en train de préparer un barbecue. D’après leur tenue, ils étaient des chefs en formation. Elliott les ignora et entra.

    « Tu ne vas pas les interroger, Votre Altesse ? », demanda Sykes en tirant sur la manche d’Elliott.

    Elliott se retourna alors avec un regard aigre sur son visage.

    « Regarde-les. Ce ne sont que des larbins. Quoi qu’il se passe ici, l’attraction principale est en bas. Et la cause de tout ça aussi. Nous pouvons en être certains. »

    « Après tout, ma sœur ne peut pas quitter sa cellule », remarqua George.

    Elliott et George se firent des signes de tête, mais Sykes continua, ne voulant pas accepter leur réponse si facilement.

    « Mais, Votre Altesse… », commença-t-il.

    « Quoi, as-tu quelque chose de plus à dire ? », répondit Elliott.

    « Si tu ne laisses pas Mlle Rachel tranquille et les arrêtes tout de suite, ils vont plier bagage et partir sans rien nous préparer. »

    « C’est ta priorité ?! La nourriture ?! »

    En bas dans le donjon, un chef bien installé se tenait devant les bars et expliquait les différents plats.

    « Voici le plat principal d’aujourd’hui, du filet de bœuf saignant façon prison. Normalement, je fais cuire la viande sur une plaque de fer pour qu’elle soit belle, mais cette fois, j’ai choisi de la faire cuire sur un gril pour créer l’image des barreaux de fer. Quant à la sauce, je n’ai pas pu utiliser les jus pour la préparer, je l’ai donc cuite directement dans la flamme du charbon de bois afin de lui donner une saveur parfumée et fumée qui, je pense, lui confère un certain charme rustique. »

    Après avoir mis une petite tranche du steak dans sa bouche, Rachel déclara gaiement : « C’est délicieux ! Cette sauce est tellement différente de ce que j’ai mangé au restaurant. »

    « Je me suis inspiré de votre propre beauté, Mlle Ferguson, et j’ai utilisé du chocolat amer comme base pour la sauce. »

    « Oh, tu es un si bon flatteur ! »

    Alors que la cliente et le chef échangeaient joyeusement leurs opinions sur la nourriture, Elliott lança : « N’est-il pas temps que vous écoutiez ce que nous avons à dire ? »

    Les regards inexpressifs sur les visages de Rachel et du chef semblaient dire : « Hein ? Que veut-il ? »

    Elliott jeta un coup d’œil à ses associés. George hocha légèrement la tête et s’avança. Ce dernier avait lancé un regard furieux à Rachel, en désignant l’assiette devant elle.

    « Ma sœur, à propos de toute cette nourriture… Comment as-tu introduit les assiettes dans ta cellule ? »

    « Ce n’est pas ce que je voulais savoir ! », lui cria Elliott.

    Le chef s’était incliné : « Mes apprentis ont mis les assiettes à l’avance, puis j’ai placé la viande dessus avec des pinces et j’y ai ensuite mis la touche finale. »

    « Alors c’est comme ça que ça marchait ! », dit George avec enthousiasme.

    « Je te l’ai déjà dit, cette partie n’a pas d’importance ! », cria Elliott tout en poussant George sur le côté.

    « Rachel, je te l’ai déjà dit, non ? ! On ne commande pas de nourriture à l’intérieur. »

    Rachel avala la bouchée dans sa bouche, tout en hochant sérieusement la tête.

    « Oui, tu l’as dit. »

    « Je vois. Alors qu’est-ce que c’est, exactement ? »

    Rachel baissa alors les yeux sur son assiette.

    « Bonté divine, Votre Altesse. Ce n’est pas de la nourriture sur commande. »

    « Oh ? Alors qu’est-ce que c’est ? »

    « C’est un service de traiteur », répondit Rachel tout en adressant à Elliott un sourire innocent.

    « C’est la même chose, espèce d’idiote ! »

    Elliott regarda alors autour de lui avec des yeux injectés de sang.

    « Je suis sûr que je demande ça chaque fois, mais que fait le gardien de prison ?! »

    Au moment où Elliott dit cela, ses yeux rencontrèrent ceux du gardien, qui était assis sur sa chaise. Il tenait une assiette contenant la même nourriture que Rachel et croquait une bouchée de viande. Lorsque ses yeux rencontrèrent ceux du prince, il s’empressa d’avaler, puis sourit et leva le pouce vers le prince.

    « Tout va bien ! Rien de suspect n’est apparu ! J’ai soigneusement testé tout ça pour vérifier si c’est empoisonné ! »

    « Vous ne testez pas le poison, vous ne faites que le goûter ! Et je me fiche de ce qu’il y a dans la nourriture de cette malheureuse ! Vous l’avez laissée vous acheter pour un misérable morceau de viande ! »

    « Non, Votre Altesse. Je suis loin d’être aussi radin. J’ai insisté pour avoir un repas complet dès le début. »

    Pendant qu’Elliott envisageait d’exécuter sommairement le garde, Rachel finit son steak puis elle posa sa fourchette.

    « Votre Altesse. Tu sais, tout ce que j’ai fait, c’est de commander… un traiteur ? »

    « À l’instant, tu étais sur le point de dire que tu avais commandé de la nourriture, non ? », insista Elliott.

    Ignorant l’objection raisonnable d’Elliott, Rachel répondit : « Il y aura bientôt une fête à la Maison des Ferguson, alors je testais les plats que nous allons servir. »

    « Tu n’as pas besoin de tester la nourriture en prison quand ils m’ont moi, ma sœur », fit remarquer George.

    George fut aussi tragiquement ignoré, parce qu’Elliott éclata de rire et lui répondit, « Toi, tu testes la nourriture de la fête ?! Alors que tu ne peux pas y assister toi-même ? ! Quoi, ils vont mettre des banderoles disant que tu l’as sponsorisé ?! Ou peut-être, lire un petit message de ta part disant que tu souhaites leur succès de loin ?! »

    Rachel avait peut-être sorti beaucoup de bêtises, mais elle n’allait clairement pas assister à un rassemblement chez elle. Il était drôle de voir le zèle qu’elle mettait dans l’organisation d’une fête à laquelle elle ne pouvait pas aller elle-même. Rachel ne se rendait-elle pas compte à quel point elle avait l’air ridicule ? C’était la première fois qu’Elliott était aussi satisfait de quelque chose qui impliquait Rachel, et il ne pouvait pas s’arrêter de rire.

    Rachel regarda Elliott glousser triomphalement. Elle pensa à la lettre cachée sous son assiette et sourit.

    Je suis heureuse que cela vous plaise, Votre Altesse. Je suppose que tu y assisteras aussi ?

    *****

    Lorsqu’ils virent à quel point Margaret était adorable dans sa tenue, Elliott et les autres qui gravitant autour affichèrent un large sourire.

    « Tu es magnifique, Margaret. Comme une fée des fleurs », dit Elliott d’un air rêveur.

    « Oh, Votre Altesse ! »

    La façon dont Margaret l’avait regardé avec embarras était tout simplement mignonne. Au lieu de la beauté parfaite d’un visage d’adulte, le sien était plein de ce charme féminin qui existait dans les moments fugaces sur le chemin de la maturité. Elliott avait pensé que la robe de soirée au décolleté plongeant serait trop voyante pour sa beauté encore juvénile, mais… En fait, l’incongruité avait joué en sa faveur !

    Vu comme elle est belle dedans, je suis content de la lui avoir offerte, pensa Elliott en souriant.

    Wolanski s’était approché de lui, un sourire niais sur le visage. C’était pratiquement la même expression que celle du prince.

    « Elle est merveilleusement belle, Votre Altesse », commenta Wokanski.

    « Oui, Margaret est vraiment adorable », convint Elliott.

    « Oui, vraiment. La robe tube à bustier était un choix particulièrement judicieux. »

    « Je sais. J’ai mis du temps à me décider quand je suis allé faire les magasins de vêtements avec elle, mais j’ai pensé que garder un minimum de froufrou et de ruban et opter pour un design simple et mature pourrait être bon. »

    Elliott était fier que quelqu’un complimente son choix, et Wolanski ne cessait de trouver d’autres points à louer.

    « Oui. En les serrant pour qu’elle ne glisse pas vers le bas, la robe accentue sa modeste poitrine d’une manière vraiment merveilleuse ! »

    « C’est une perspective plutôt… unique », marmonna Elliott.

    « Vraiment ? Je pense pourtant que c’est tout à fait normal. En tant que président de la Société des poitrines plates de notre royaume, je voudrais décerner à Mlle Margaret le titre de fille plate de l’année ! »

    Tout ce que cet homme disait était étrange.

    « Je ne pense pas que ses seins soient si inexistants… », lui contesta Elliott.

    « Que dit un homme de ta stature, Votre Altesse ?! L’aplatissement doit être subtil, mais toujours affirmé ! Nous ne choisissons pas n’importe quelle falaise ou planche à repasser, non ! Si tu ne peux pas comprendre la subtilité de cette ligne, Votre Altesse, alors tu ne seras rien d’autre qu’un adorateur de poitrine plate de second ordre ! »

    « Si je suis un jour de premier ordre dans ce domaine, je crois que c’en sera fini de moi, » dit Elliott alors que Wolanski respirait lourdement par les narines.

    « Tu agis comme ça, et pourtant ton nom de famille est Seinlanski. »

    « Wolanski, Votre Altesse. »

    Après que Margaret ait fini de savourer sa nouvelle robe, elle prit une dernière pose avant de courir aux côtés d’Elliott.

    « Prince Elliott, je te remercie beaucoup pour cela ! »

    « Ce n’était rien, Margaret. Je suis aussi heureux de pouvoir te voir si bien habillée. »

    Avec sa bien-aimée accrochée à son bras, Elliott avait la tête dans les nuages… pour quelques secondes seulement, jusqu’à ce que les prochains mots sortant de la bouche de Margaret viennent tout gâcher.

    « OK ! Je vais aller me vanter de ça auprès de Mlle Rachel ! Je vais lui dire à quel point tu es gentil avec moi ! »

    Elliott n’était pas très enthousiaste à cette idée.

    « Margaret, tu n’as pas besoin de sortir de tes gonds pour lui montrer… », dit-il.

    « Mais, Prince Elliott, Mlle Rachel organise un événement de son côté, alors je voulais m’incruster dans ma robe et lui faire savoir qui tu aimes vraiment ! »

    ***

    Partie 2

    « Je suis passée par là en me rendant au château, et il y avait tous ces invités en tenue fantaisiste qui se dirigeaient vers le donjon. »

    Dès que Margaret eut fini de leur raconter ça, Elliott et les autres s’étaient précipités sur les lieux.

    « Mince ! J’aurais dû le remarquer cet après-midi », s’était réprimandé Elliott en chemin.

    « Oui, tu aurais vraiment dû. Je veux dire, quand est-ce que les trucs bizarres que Mlle Rachel fait n’ont pas un impact négatif sur toi ? », convint Sykes.

    « En quoi ceci est une base pour décider de ce qui est notable ?! »

    Quand ils étaient arrivés à la prison, ils avaient trouvé la porte grande ouverte. Des lumières éblouissantes se déversaient de l’embrasure de la porte, ainsi que d’agréables bavardages que l’on pouvait entendre jusque dans les jardins de l’arrière.

    « Bon sang ! Quel genre d’idiote organise une fête dans un donjon ?! », beugla Elliott.

    « Eh bien, c’est Mlle Rachel », proposa Sykes.

    « C’est ma sœur… », ajouta George.

    Lorsqu’ils atteignirent le bas de l’escalier, ils trouvèrent un large lustre allumé, rendant la pièce aussi lumineuse que le jour. Tout était un peu grossier pour appeler cela une soirée, mais les dames et les messieurs étaient raisonnablement bien habillés. Un certain nombre de tables qui n’étaient pas censées être là étaient alignées, et des garçons servaient plat après plat. Et dans un coin se trouvait le gardien de prison, portant un nœud papillon avec ses habituels vêtements de travail sordides, qui servait du vin dans un tonneau.

    Le gardien de prison…

    « Hé, vous ! », lui cria Elliott.

    « Oh, si ce n’est pas Son Altesse. »

    « Ne me dites pas à moi “Oh, si ce n’est pas Son Altesse” ! Qu’est-ce que vous faites ici ?! »

    « Je sers de l’alcool. J’ai pris un verre pour moi, et le blanc et le rouge sont tous les deux excellents. Nous avons aussi du rosé, mais il est en bouteille et nous n’avons qu’une seule caisse. Si vous ne vous servez pas rapidement, il n’y en aura plus. »

    « Ce n’est pas le problème ici, d’accord ?! Vous êtes censé gérer la prison ! Pourquoi n’avez-vous pas arrêté ces gens avant qu’ils n’entrent ?! »

    Le gardien de prison regarda autour de lui.

    « Euh, n’est-ce pas évident ? Avec tous ces gros bonnets qui se présentent en groupe, l’un après l’autre, qui étais-je pour leur dire qu’ils ne pouvaient pas entrer ? »

    « Et vous êtes justement payé pour ça ! Fais-les partir ! », demanda Elliott.

    « Mais ils m’ont bousculé, disant qu’ils avaient des invitations. Et beaucoup d’entre eux avaient aussi des accents lourds. »

    « Huh ?! »

    Se frayant un chemin à travers la foule excitée, Elliott atteignit finalement Rachel, qui menait une conversation agréable.

    « Hé, Rachel ! C’est quoi tout ce boucan ?! », demanda Elliott.

    Rachel l’avait alors salué : « Bonjour, Votre Altesse »

    Rachel était aussi très bien habillée. Elle portait une robe de soirée bleu foncé, différente de celle qu’elle portait lorsqu’ils l’avaient emprisonnée, et des bijoux en perles discrets. Il était impossible qu’elle ait préparé quelque chose comme ça dans sa cellule. Elle avait dû l’apporter à un moment donné.

    Elliott lança à Rachel un regard qui pourrait tuer, mais elle lui répondit d’un ton lent et détendu, comme celui qu’on utilisait normalement avec une connaissance.

    « J’y avais bien réfléchi, je n’avais pas encore organisé de crémaillère », commenta Rachel.

    « Une crémaillère ?! », s’écria Elliott.

    « Mais tu sais comment est ma position en ce moment ? »

    « Donc tu n’avais pas oublié que… »

    « J’ai pensé qu’il pourrait être difficile pour les nobles et les politiciens de venir à la fête, par déférence pour Votre Altesse, alors… je me suis retenue et j’ai plutôt limité les invitations aux ambassadeurs étrangers, aux hommes d’Église et aux marchands avec lesquels je fais des affaires. »

    « Quel genre de tentative d’attention peu enthousiaste est-ce là ?! »

    Lorsqu’Elliott se retourna pour examiner la foule, il réalisa que même s’il reconnaissait certainement les personnes présentes, ce n’était pas ses compatriotes. Il y avait même des prêtres dans leurs habits de cérémonie. Certaines personnes étaient habillées pour une soirée normale et parlaient la langue du royaume, mais il ne reconnaissait aucun d’entre eux, ils devaient donc être des marchands. S’ils étaient des fournisseurs de la maison ducale, ils devaient tous être assez riches.

    À voir l’expression du visage de George, il les avait évidemment reconnus.

    Elliott résista désespérément à l’envie d’appeler George pendant que Rachel continuait à échanger des plaisanteries avec ses invités. Elle était le centre de la fête. Personne ne semblait se soucier qu’elle soit la seule derrière des barreaux de fer. Elliott et les autres se sentaient tellement exclus qu’ils auraient pu aussi bien se trouver de l’autre côté de l’horizon.

    « Maudite Rachel ! », cria Elliott.

    Les invités étaient tous soit des étrangers, soit des hommes d’affaires, soit des officiers religieux. En d’autres termes, le prince ne pouvait pas les faire taire en usant de son autorité. Il ne pouvait même pas reprocher au garde de les avoir laissés entrer de force.

    Lorsque les invités virent l’état des choses, on savait clairement de quel côté ils allaient se ranger. Rachel utilisait habilement la fête pour faire connaître sa position, et si Elliott ne faisait pas attention à sa réponse, cela ne ferait qu’empirer les choses.

    Alors qu’Elliott grinçait des dents si fortement que s’en était presque audible, Rachel discuta avec un vieux schnock aux cheveux blancs dans une langue qu’Elliott ne comprenait pas.

    Rachel et le vieil homme firent tinter leurs verres ensemble joyeusement.

    « Prison, yay ! »

    « Yay ! »

    Quand Elliott entendit leurs acclamations énergiques, il ne put pas s’en empêcher. Il se jeta sur eux et dit : « Hey ! Qu’est-ce qu’il y a de si amusant avec la prison ?! Hein ? ! »

    « Attends ! Tu ne peux pas faire ça, Votre Altesse ! », glapit George tout en essayant désespérément de tirer le prince en arrière.

    « Cet homme est un archevêque ! Tu ne peux pas te battre avec lui ! »

    Elliott avait finalement cédé.

    « Bon sang. N’y a-t-il aucun moyen de convaincre ces gens que Rachel est dans l’erreur ? », dit-il en pleurant amèrement.

    « Nous devrons envoyer des gens pour expliquer notre position à chacun d’eux plus tard. Pourtant, avec un si grand nombre d’individus ici, pourrons-nous nous souvenir d’eux tous ? »

    Alors qu’Elliott et George se cachaient derrière un tonneau de vin dans un coin pour discuter stratégie, Margaret sauta sur ses pieds, les narines dilatées.

    « Prince Elliott, je vais aller leur expliquer ! », annonça-t-elle.

    « Margaret ?! »

    « Je veux dire, tout ceci est fou ! Tu es vertueux ! On ne peut pas laisser la diabolique Mlle Rachel te surpasser comme ça ! »

    « Me surpasser… », murmura Elliott.

    C’était la vérité, mais entendre Margaret le dire faisait mal.

    George s’empressa d’aider Elliott à se remettre, tandis que Margaret se dirigea résolument vers une boîte au bord de la foule et grimpa dessus.

    « Tout le monde, écoutez-moi ! », cria Margaret, semblant hors de propos.

    Cela attira l’attention des participants, tous les regards s’étaient donc tournés vers elle.

    « Je ne sais pas ce qu’on vous a dit, mais c’est Rachel la méchante ! Le Prince Elliott a pris le risque de mettre sa fiancée en prison pour me sauver ! Ne la laissez pas vous tromper ! »

    La pièce était devenue silencieuse. Margaret exhiba sa maigre poitrine avec fierté, un air suffisant sur le visage.

    Le son était revenu… mais pas d’une façon dont Elliott l’aurait apprécié.

    « Wa ha ha ha ha ! »

    « C’est une bonne blague ! »

    « Prison, yay ! »

    Les invités ivres pensèrent que c’était une sorte de divertissement et l’avaient applaudie. La façon dont Margaret s’était inclinée devant chacun d’entre eux après cela ne l’avait rendue que moins convaincante. À la fin, elle s’était laissée emporter par l’excitation et avait aussi porté un toast avec les autres.

    « Prison, yay ! », dit Margaret en applaudissant.

    « Yay ! »

    Margaret était revenue avec une montagne de nourriture dans son assiette et une étincelle dans les yeux.

    « Je l’ai fait, Prince Elliott ! », s’exclama-t-elle.

    « Oui, tu l’as fait… »

    Elliott s’était effondré. Il n’avait pas le courage de lui dire qu’elle n’avait produit aucun effet.

    Margaret le regarda avec confusion en se bourrant les joues de nourriture.

    *****

    Soudainement, George remarqua quelque chose.

    « Huh ? Où est Sykes ? Il est venu ici avec nous », s’était-il demandé à voix haute.

    Le gardien de prison désigna le centre de la pièce en versant à George un verre de vin frais.

    « Si vous cherchez le chevalier, ce dernier participe à la fête depuis son arrivée. »

    Ayant manqué la délicieuse nourriture et le vin plus tôt dans l’après-midi, Sykes discutait avec excitation avec un vieil homme qu’il ne connaissait pas.

    « C’est agréable. J’aimerais qu’on puisse faire ça tous les jours », dit Sykes.

    « Wa ha ha ha ha ! Moi aussi ! », dit le vieil homme en acquiesçant.

    « Moi aussi ! », ajouta l’ambassadeur d’un pays voisin.

    Sykes fit tinter son verre contre celui de l’ambassadeur.

    « Prison, yay ! »

    ***

    Chapitre 26 : La jeune demoiselle prend soin de son petit frère

    Par un après-midi détendu, alors que le soleil brillait de tous ses feux, deux jeunes femmes étaient assises à des tables identiques de part et d’autre d’un bar. Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau et dégustaient un thé.

    « La crémaillère a été un succès, Alexandra. Merci d’avoir participé à l’organisation. Tu as été d’une grande aide. », dit Rachel avec joie.

    Une fille aux cheveux blonds ondulés et aux yeux verts émeraude distinctifs se trouvait assise en face de Rachel. Les mots de Rachel incitèrent les coins de sa bouche à se relever, formant un sourire intimidant.

    Alexandra Mountbatten était la fille d’un marquis. Rachel sentait qu’elle pouvait être elle-même avec Alexandra. Ce qui faisait d’elle une amie et une compagne spéciale que Rachel traitait presque comme sa propre famille. Par rapport à Rachel, dont l’apparence était plus sobre et discrète, celle d’Alexandra était plus tape-à-l’œil, et son beau visage débordait de confiance. Si elle portait un pantalon au lieu d’une robe et une épée, elle aurait l’air d’une personne que l’on voudrait appeler « Sœurette ». Elle était d’une beauté différente de celle de Rachel.

    « Tu peux me confier les choses de l’extérieur du pays, Rachel. C’est malheureusement à peu près tout ce que je peux faire pour toi. », dit Alexandra.

    Comme le père d’Alexandra était un membre haut placé des affaires étrangères, beaucoup de personnes dans les échelons supérieurs des autres pays la connaissaient. La raison pour laquelle tant d’ambassadeurs avaient assisté à la fête de Rachel, et la raison pour laquelle les mauvaises rumeurs sur le prince ne s’étaient pas répandues par la suite, était due au travail de fond qu’Alexandra avait effectué.

    « Pourtant, il semble que tu aies pris plaisir à gifler Son Altesse. J’aurais aimé que tu m’en fasses profiter plus tôt. »

    Le sourire provocateur sur le visage d’Alexandra lui allait bien. Avec les murs de pierre du donjon derrière elle, elle ressemblait presque à la protagoniste féminine d’une de ces histoires d’aventure.

    Rachel, quant à elle, arqua les sourcils et offrit à Alexandra un petit sourire troublé.

    « C’est sympa, mais si je le bats trop fort, j’ai peur que le stress le fasse exploser de manière étrange. »

    « Je te comprends. Alors… quelle est la suite ? Tu le laisses s’en sortir ? », demanda inutilement Alexandra, sachant très bien que cela n’arriverait pas.

    Rachel lui fit un faible sourire et haussa les épaules.

    « Oui, il est temps de faire ses valises, je vais donc me dépêcher de l’écraser avant qu’il n’explose. »

    Le sourire de Rachel n’était que de façade.

    « J’aurais aimé te voir l’asticoter un peu plus, et t’amuser un peu avec. Mais que peux-tu faire ? », dit Alexandra

    « C’est dommage, mais Son Altesse n’apprend jamais, alors avant qu’il ne devienne fou et ne fasse quelque chose d’imprudent, je vais devoir le frapper assez fort pour qu’il ne puisse pas s’en remettre. », répondit Rachel.

    « Je ferai de mon mieux pour te soutenir », déclara Alexandra.

    « Hee hee, merci. »

    Les deux jeunes femmes échangèrent de charmants sourires et firent tinter leurs tasses de thé.

    *****

    Lorsque George Ferguson descendit de la calèche, il poussa violemment son sac dans les mains du majordome qui l’attendait et entra par la porte d’entrée. Il se dirigea à grands pas vers sa propre chambre, ses pas résonnant bruyamment dans les larges couloirs.

    « Merde ! Ils sont tous inutiles… »

    Le plan visant à acculer sa sœur n’aboutissait à rien. Le harcèlement léger ne fonctionnait pas sur elle, mais tout ce qui était plus intense lui ferait du mal et rendrait difficile la justification des moyens. Il devait trouver le moyen de la faire céder sans encourir la désapprobation d’une tierce partie. Il n’était cependant pas sûr que cette limite existe.

    Et le fait que les courtisans aient peur de s’impliquer ne l’aidait pas non plus. Ils voulaient rester en dehors de ça jusqu’à ce que le roi rende son jugement, et ils trouvaient toujours une excuse ou une autre pour ne pas lever la main sur sa sœur. Le mieux que George avait pu faire fut de demander aux chevaliers de surveiller les espions qui entraient dans la prison. Pourtant, bien que sa sœur ait organisé une fête dans le donjon, ce qui aurait été impossible sans l’aide de l’extérieur, la sécurité n’avait pas encore attrapé la moindre souris.

    George avait également essayé d’empêcher la maison ducale de l’aider, mais il ne savait pas si cela avait été efficace. Pour autant qu’il puisse en juger, il ne se passait rien à l’intérieur du manoir, mais sa sœur recevait très certainement des provisions. Personne dans la maison n’osait s’opposer directement à George, mais il sentait qu’ils n’étaient loyaux envers lui que lorsqu’il les observait.

    Honnêtement, George était à bout de nerfs. Il ne pouvait pas voir les ennemis qui menaçaient Margaret, la lumière de leur vie.

    « Maudit soit-il ! »

    George ouvrit alors la porte de sa chambre, pensant qu’il allait simplement dormir pour le reste de la journée. Il fit un pas à l’intérieur, et quand il regarda autour de lui… Eh bien, il était impossible de décrire succinctement les émotions qu’il ressentit. Il sentait qu’il méritait d’être félicité pour ne pas avoir crié à tue-tête. Au moins, le fait que ses jambes n’aient pas cédé était impressionnant.

    Ils étaient là, au milieu de sa chambre. Des livres et des tableaux étaient soigneusement disposés sur les tables et les chaises comme s’il s’agissait d’étagères de luxe. Ces objets étaient des choses qu’il avait cachées : des romans érotiques et des portraits d’actrices dans différents états de déshabillage. Ses journaux secrets, qui contenaient des choses qu’il ne pouvait jamais dire à personne, et des lettres de fans qu’il avait commencé à écrire sans avoir l’intention de les envoyer, y figuraient également. George les avait soigneusement cachés à divers endroits afin que les femmes de ménage ne les trouvent pas en faisant le ménage, du moins le pensait-il, mais ils étaient là, tous rassemblés au même endroit.

    « Qu-Qu-Quoi… ? »

    Paniqué, George rassembla à la hâte toutes les preuves de ses passions honteuses et essaya désespérément de trouver un endroit pour les cacher. Évidemment, s’ils étaient exposés comme ça, son secret était déjà éventé, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Il essaya de les mettre dans un sac pour les planquer temporairement sous le lit, afin qu’ils soient au moins à l’abri des regards.

    « Merde ! Qui est-ce qui a fait ça ?! »

    Qui aurait été susceptible de faire une chose pareille ? Ce devait être l’un des serviteurs, l’un des sympathisants de sa sœur qui n’aimait pas ce qu’il faisait.

    Les visages des domestiques défilaient dans l’esprit de George, l’un après l’autre, alors qu’il se dépêchait de ramasser les livres sur les tables. Et pendant qu’il le faisait, une enveloppe inconnue, rose, comme celle qu’utilisaient les femmes, sortit de l’un d’eux.

    « Qu’est-ce que c’est ? J’ai un mauvais pressentiment… »

    Et en opposition totale à son meilleur jugement, George regarda. Il ouvrit l’enveloppe. À l’intérieur, il n’y avait qu’un seul morceau de papier à lettres.

    Il ouvrit la lettre, la parcourue, et… cette fois, il cria.

    *****

    Ce soir-là, dans la salle d’entrée du donjon, Georges se prosterna devant les barreaux.

    « Pardonne-moi, ma sœur ! », dit-il en tremblant et en pressant sa tête contre le sol.

    Rachel, qui se préparait à se coucher quand il était arrivé, le regarda, la tête inclinée sur le côté.

    « Mon Dieu, George. Qu’est-ce qui se passe ? »

    Rachel jouait l’ignorante, mais il n’y avait pas moyen qu’elle le soit.

    George frotta son front contre le sol de pierre irrégulier, en criant désespérément : « Grande reine de la terreur ! Je suis vraiment désolé d’avoir décidé sans même vous en parler que vous étiez responsable des brimades que Margaret subissait ! »

    « Oh, mon Dieu. Qu’est-ce qui a bien pu se passer si soudainement pour te faire dire une telle chose ? »

    Même si Rachel continuait à jouer les innocentes, George n’avait pas d’autre choix que de continuer à lui faire la révérence.

    « S’il te plaît, s’il te plaît, ma sœur. Garde secret ce qui était écrit dans cette lettre. »

    Après avoir écouté le plaidoyer désespéré de son petit frère, Rachel demanda : « Mais qu’est-ce qui te prend ? L’héritier d’une famille ducale ne doit pas s’agenouiller sur le sol comme ça. Maintenant, quant à ce que la lettre disait… »

    Quand George essaya de répondre, elle le coupa, en penchant la tête de l’autre côté.

    « Parlais-tu de la fois où tu as mouillé le lit en août de ta cinquième année ? Ou de la fois où tu avais sept ans et que les feux d’artifice t’ont fait si peur que tu t’es mouillé là où tu te tenais ? Mais ce sont de si petites choses. Simplement des petites histoires amusantes. »

    Rachel sourit à son frère terrifié.

    « Si nous parlons de choses qui sont un peu plus graves, pourrais-tu parler de cette fois en mai où tu avais onze ans et où tu t’es faufilé dans mon placard pour toucher mes robes ? Ou peut-être veux-tu parler de ce mois de juin où tu avais quatorze ans et où tu as vérifié qu’il n’y avait personne avant de renifler mes draps ? Si ce n’est pas ça, alors peut-être que tu veux parler de juillet dernier, quand tu avais quinze ans et que tu as volé mes sous-vêtements non lavés et que tu les as gardés comme une sorte de trésor ? »

    « Je suis désolée ! Je suis désolé, ma sœur ! Désolé ! Pardon ! »

    Terrifié, George ne pouvait rien faire d’autre que de s’excuser à plusieurs reprises.

    Dans l’enveloppe rose que George avait trouvée se trouvaient des fragments contenant des bribes de choses embarrassantes qu’il avait faites et qui auraient mis fin à sa vie si elles avaient été révélées. Il n’y avait aucun doute que sa sœur l’avait écrit. Elle était écrite d’une manière lisible, d’une main soignée qu’il reconnaissait, établissant une chronologie de toutes les choses qu’il avait faites et qui l’auraient ruiné si le public l’avait découvert. Des choses qu’il avait faites après avoir vérifié que personne n’était dans les parages et des choses que même lui avait oubliées jusqu’à ce que cette lettre les fasse remonter. C’étaient des choses que sa sœur et ses serviteurs personnels n’auraient jamais dû voir, et pourtant elles étaient étalées sur le papier comme s’il s’agissait d’un mémo d’affaires.

    Et si Rachel savait tout cela…

    George s’était souvenu de certaines choses qui s’étaient produites entre les lignes de ce que Rachel avait écrit, elle devait donc aussi les connaître. En d’autres termes, la lettre dans l’enveloppe rose ne contenait qu’une sélection de ses faits et gestes. Si sa sœur pouvait écrire tout cela avec autant de détails, il était impossible qu’elle ne connaisse pas le moindre détail sordide de son histoire.

    Rachel, qui insistait toujours pour jouer les innocentes, lui jeta un regard troublé, comme si elle était perplexe devant la façon dont il frémissait.

    « Bonté divine, George. Tu ne dois pas avoir si peur. J’ai simplement écrit toutes ces choses dans une lettre parce que je ne sais pas quand Son Altesse pourrait m’exécuter, et je voulais exprimer toutes mes pensées. Je me disais que j’avais beaucoup de bons et heureux souvenirs. Je voulais simplement les partager avec toi. »

    Puis, ayant établi sa domination absolue en tant que sœur aînée, Rachel sourit de façon belle et élégante, bien que son sourire n’ait pas atteint ses yeux.

    « George, tu es un garçon qui grandit. Quand tu es tombé amoureux de Miss Margaret, il était naturel que tu oublies tous ces petits souvenirs avec ta grande sœur. Avec moi en prison, susceptible de mourir d’un jour à l’autre, j’espère que mon petit frère indépendant se souviendra de moi, ne serait-ce qu’un peu, afin que même si je devais périr, je puisse vivre dans ton cœur comme ta grande sœur. »

    « N-Non ! »

    Il n’y avait aucune chance que Rachel accepte tranquillement d’être exécutée après avoir battu sans ménagement le Prince Elliott toutes ces fois. George savait que Rachel le savait aussi, mais il n’était pas si ignorant de sa position actuelle. Il ne pouvait donc pas le faire remarquer maintenant.

    Rachel donna à George un sourire charmant, un sourire si merveilleux que vous ne pourriez pas imaginer qu’il vienne de quelqu’un qui était censé craindre son exécution imminente, et qui tenait un livre dans ses mains.

    « Ah, mais tu es tellement épris par Miss Margaret qu’il n’y a plus de place dans ton cerveau pour ta grande sœur, non ? Dans ce cas, je devrais peut-être passer ce livre, avec tout ce dont je me souviens dedans, à… Ah, oui, je sais. À ta mère et à ton père. Ainsi, je veillerai sur toi dans l’au-delà, assurée d’avoir fait ce qu’il fallait. »

    « Pour l’amour de Dieu, ma sœur ! Je t’en prie, je t’en supplie, ne dis pas un mot de tout ça à tes parents ! », hurla George.

    « Ma sœur ? C’était tellement plus mignon quand tu m’appelais Sœurette », fit remarquer Rachel.

    « Sœur ! »

    « Sœur ? »

    « S-Sœurette… S’il te plaît, ne dis pas à papa et maman tous mes secrets embarrassants ! »

    « Quoi ? Mais avec si peu de temps devant moi, je ne peux pas te surveiller plus longtemps… »

    « Peu importe ce qui se passe, soeur-ette, je jure que je ne laisserai pas Son Altesse poser la main sur toi ! »

    « Mais, George, tu crois que j’ai fait toutes sortes de choses horribles, et quoi exactement, je ne suis pas entièrement sûr, à Mlle Margaret, non ? »

    « Non, absolument pas ! »

    George nia désespérément la question inventée par sa sœur. Il savait avec certitude que les affaires de Margaret avaient été cassées et qu’elle avait été poussée dans les escaliers, et jusqu’à il y a une demi-journée, il était totalement convaincu que c’était l’œuvre de sa sœur. Mais maintenant, il pouvait dire avec certitude que ce n’était pas le cas. Si elle pouvait faire tout cela de l’intérieur de sa cellule juste pour le tourmenter, elle ne ferait rien d’aussi banal pour intimider sa rivale romantique. En fait, si Rachel voyait vraiment Margaret comme une compétitrice, cela ne se serait pas terminé par des brimades. Si sa sœur s’y mettait sérieusement, Margaret se serait levée et aurait déjà disparu, et on ne retrouverait jamais le corps.

    « Je te crois quand tu dis que tu n’as pas levé la main sur Margaret ! Je vais faire une déclaration écrite ! Alors s’il te plaît, Sœur… Sœurette, ne donne pas ça à maman ou papa ! Je t’en supplie ! », l’assura George.

    « Oh ? Et tu es sûr que c’est seulement à maman et papa que tu ne veux pas que je le dise ? », demande Rachel.

    « O-Oui ! »

    « Vraiment ? Il n’y a personne d’autre ? »

    « Huh. ? »

    L’accent mis par Rachel fit réfléchir George. Le fait qu’elle semblait vouloir se taire le rendait reconnaissant, mais qui d’autre était là ? Connaissant sa sœur, elle pourrait répandre certaines choses juste pour l’embêter, pour le plaisir.

    « Alors… ne le dis pas non plus à la femme de chambre… »

    « Quelqu’un d’autre ? »

    « Huh ? Erm… Alors Son Altesse et Margaret aussi… »

    « Personne d’autre ? »

    Rachel était terriblement insistante. Il y avait certainement un piège ici, mais il ne pouvait pas voir ce que c’était.

    Alors que la sueur perlait dans son dos, George se creusa la tête pour trouver quelqu’un d’autre qui pourrait encore rester.

    « Quelqu’un d’autre ? Donc, Sykes et les autres… », couina George.

    « C’est vrai ? », dit Rachel sans poser de question.

    George poussa un soupir de soulagement alors que l’interrogatoire se terminait.

    Rachel s’approcha des barreaux et tendit la main avec le carnet, mais pas à George.

    « Je comprends. Je vais respecter tes souhaits », dit-elle.

    « Merci beaucoup… », commença George, mais Rachel l’interrompt.

    « Pour être tout à fait honnête avec toi, je lui ai déjà tout dit, j’allais donc être plutôt troublée si tu m’avais dit que je ne devrais rien lui dire. »

    « Pardon ? »

    Avant que George n’ait eu le temps de se demander ce que sa sœur voulait dire, le claquement des bottes sur la pierre résonna derrière lui.

    « Hein ?! », s’était-il exclamé.

    Se retournant pour regarder, George vit une fille habillée d’une manière extravagante émerger de l’obscurité à côté des escaliers de pierre. Bien qu’elle soit très différente de sa sœur, sa beauté royale faisait d’elle l’égale de Rachel en apparence. Souriante, elle s’était approchée des barreaux et prit le carnet de la main de Rachel qui l’attendait.

    George fut frappé de stupéfaction et de terreur.

    « Ah, ah, um, ah… »

    La jeune fille se tourna vers George et lui fit une révérence avec un sourire audacieux.

    « Cela fait bien trop longtemps, George. Nous ne nous sommes pas rencontrés depuis que j’ai accompagné mon père à l’étranger, donc un peu plus d’un an… »

    Elle avait le sourire d’une dame raffinée, mais ses yeux étaient ceux d’un vautour.

    « C’est moi, ton humble fiancée, Alexandra Mountbatten la cocufiée, dont tu as oublié l’existence au bout d’un an seulement, alors que nous sommes amis depuis notre plus jeune âge. C’est bon de te revoir. Ou devrais-je dire “c’est un plaisir de te rencontrer” ? Pour la première fois ? »

    « Ee… Eeeek ?! »

    « George, je sais que je suis le genre de femme que tu peux oublier, même après avoir été avec toi pendant une décennie, mais ça me blesse que tu réagisses comme si tu venais de croiser un monstre dans l’obscurité. Ah, mais il fait sombre ici, n’est-ce pas ? Hee hee. »

    Rachel sourit à ces charmantes retrouvailles.

    « J’ai pensé qu’il serait profitable de partager tous ces “bons souvenirs” avec la personne qui va devenir ta partenaire pour la vie. Alexandra, occupe-toi de George pour moi, d’accord ? »

    « Oui, grande sœur », dit Alexandra en hochant la tête.

    « Et George, tu fais ce qu’Alexandra te dit. »

    « Eeeek ?! »

    « Cette réponse me concerne, mais… eh bien, c’est la première fois que vous vous voyez depuis si longtemps. Je vais me retirer pour que vous puissiez passer un peu de temps seuls tous les deux. Je suis sûre que vous avez beaucoup de choses à vous dire. Comme, oh, disons… certaines leçons que vous avez besoin d’apprendre. », dit Rachel en soupirant.

    Rachel ignora les cris, les hurlements et les excuses larmoyantes, et savoura un bon thé.

    « Très bien… Je vais devoir maintenant arracher aussi l’autre aile du Prince Elliott, ou l’équilibre sera rompu. »

    ***

    Chapitre 27 : Le petit frère se rappelle du passé

    Ma sœur était belle, mais elle manquait de présence. Les gens disaient souvent des choses comme : « Je n’avais jamais remarqué qu’elle était belle avant. »

    Si vous la regardiez suffisamment longtemps, sa beauté vous captivait, mais si vous ne la cherchiez pas consciemment, vous ne remarquiez même pas qu’elle était là.

    Les autres jeunes femmes en lice pour devenir la prochaine reine disaient souvent dans son dos qu’elle était « comme la lune de midi ».

    Honnêtement, j’avais toujours pensé que c’était étrange. Cependant, parce que le prince Elliott était lui-même si radieusement beau, bien qu’étant un homme, la façon dont ma sœur s’effaçait dans le fond était, en effet, comme la lune au milieu du jour.

    *****

    « Hé, George, c’est toi ! », dit Sykes d’un ton légèrement pressant.

    George leva les yeux, il semblait un peu hors de lui.

    « Oh, Sykes… »

    Sykes se précipita vers l’endroit où George était assis sur les marches du jardin.

    « Comme tu n’es pas venu voir Son Altesse ces derniers temps, je me suis inquiété. Qu’est-ce qui t’arrive, mec ? Tu as une mine affreuse ! Tu ne dors pas assez ? Ou tu ne manges pas ? »

    « Ce n’est pas ça, je suis juste… un peu épuisé… »

    « Le steak va guérir tous vos maux. C’est exactement ce qu’il faut faire quand on est épuisé. Tu manges un demi-kilo de viande rouge et ça répare n’importe quelle fatigue physique. », affirma Sykes avec confiance.

    George rit faiblement et lui expliqua tout : « Non, non, ce n’est pas le problème. Alexandra est soudainement revenue. Et maintenant, ils me mettent à l’épreuve aux affaires étrangères, en disant qu’ils vont faire de moi un homme qui la mérite… Ma tête n’arrive pas à suivre tout ça. Je crois qu’elle va exploser. »

    « Je te comprends ! Eh bien, dans des moments comme ça… Oui, le steak est la solution. Un demi-kilo de bœuf bien marbré va régler cet épuisement mental en un rien de temps ! »

    « Le steak est une panacée uniquement pour toi et personne d’autre. »

    « Bref, Alexandra, hein ? Cela fait, quoi, un an qu’elle est partie à l’étranger avec son père pour son travail ? », poursuivit Sykes.

    « Oui. »

    « Alors, comment était-ce ? Est-ce qu’elle s’est emballée dès qu’elle t’a vu et a commencé à t’embrasser et tout ça ? »

    « Ne sois pas ridicule. Ce n’était pas du tout ça. »

    George ne pouvait pas dire à Sykes qu’elle avait attendu dans l’ombre que sa sœur révèle tous les secrets qu’il ne voulait pas que ses amis et sa famille découvrent.

    « Depuis lors, Alexandra me fait travailler comme un chien, je n’ai donc pas eu le temps de rendre visite à Son Altesse. »

    « Oh, je vois ce qu’il en est. Va et sois heureux avec Alexandra. Je vais m’occuper de Margaret. », dit Sykes tout en souriant et en s’amusant à pousser George au niveau de l’épaule.

    « Margaret n’est pas comme une fiancée, c’est quelque chose de plus haut, de plus noble. Et attends, Sykes, n’es-tu pas dans la même position que moi ? Est-ce que Martina sait à quel point tu es intoxiqué avec Margaret ? »

    George lui montra un sourire méchant maintenant.

    « Tu sais à quel point Martina est passionnée par toi. Ce n’est pas comme avec Son Altesse et ma sœur, ou avec Alexandra et moi. Ce sont des considérations politiques ou une longue et désagréable association qui nous ont réunis. Eh bien, tant que Son Altesse est là, tu n’auras aucune chance d’épouser Margaret, mais n’auras-tu pas des ennuis si Martina découvre que tu aimes Margaret plus qu’elle ? »

    Alors que la fiancée de Sykes avait également été choisie pour des raisons politiques, Martina était folle de lui depuis qu’elle était petite fille. Elle était également partie travailler à l’extérieur de la capitale, près de la frontière, mais puisqu’elle prévoyait d’épouser Sykes, elle ne resterait pas à l’écart.

    George avait juste taquiné Sykes, pour le pousser un peu, mais Sykes frissonna. Son grand corps musclé ne frémissait pas, il s’était mis à vibrer rapidement, comme s’il était devenu une sorte de machine. Son visage dégoulinait de sueur, ses yeux étaient creux et ses bras étaient tendus.

    « Désolé, je n’aurais pas dû mentionner Martina », marmonne George.

    Une fois que Sykes se fut calmé, George déclara : « Avec tout ce chaos ces derniers temps, je me suis souvenu de quelque chose… »

    « Quoi ? Un souvenir d’il y a longtemps ? », demanda Sykes.

    « Oui. C’est un souvenir étrange. »

    George ramassa un caillou à ses pieds et le lança. Ce dernier parcourut plusieurs mètres dans les airs pour heurter un pieu en bois dans la pelouse.

    « Pour une raison inconnue, je ne sais pas ce qui s’est passé avant ou après, mais je me souviens uniquement de cette scène. »

    *****

    Il ne savait pas si c’était quelque chose qu’il avait vu lui-même ou si c’était un rêve. Il s’était dit que cela devait sûrement provenir d’un passage particulièrement frappant d’un livre qu’il lisait, ou alors une fusion mentale de plusieurs scènes sans rapport entre elles.

    « Le temps était superbe, et le ciel bleu s’étendait au-dessus du jardin. »

    C’était probablement le souvenir d’une garden-party. George pouvait voir des enfants.

    « Mais le problème est que la scène qui s’y déroule est absurde. »

    À côté d’un grand étang de jardin se tenait une fille aux cheveux brun roux. Elle portait une robe et regardait fixement l’étang. Elle tenait des petits cailloux, et elle en jetait un de temps en temps dans l’eau. Cela aurait pu être un jeu d’enfant commun… si ce n’était pour la personne qu’elle visait.

    Il y avait un garçon dans l’étang, assez loin de la rive, en train de se noyer. Il agitait désespérément ses bras, mais comme il n’appelait pas à l’aide, il avait peut-être déjà avalé trop d’eau. Il s’était battu pour rester à flot, mais il ne pouvait pas s’approcher davantage de la rive, car la fille le bombardait de pierres. S’il essayait de nager, la fille le menaçait avec des jets plus forts que ce que l’on attendrait d’un enfant. Et quand l’un d’eux le toucha, il poussa finalement un petit cri.

    « Ce qui est bizarre, c’est son visage… »

    La fille noyait le garçon, mais son visage restait calme et sans émotion. Son expression n’avait pas le mépris d’une brute, ni la colère ou la haine. Elle était dépassionnée, comme si son père lui avait dit de « s’assurer que le feu s’est complètement éteint » et qu’elle s’exécutait simplement parce qu’elle le devait. C’était professionnel, comme si on la forçait à faire un travail ennuyeux.

    Et tout autour d’elle, il y avait des garçons dans leurs beaux habits, boueux et pleurant. Des garçons plus grands qu’elle, le visage couvert de larmes, la suppliaient : « S’il vous plaît. Il en a eu assez. Laissez-le partir » et « Arrêtez. Vous êtes en train de le tuer. »

    Mais la fille les ignora et continua à regarder le garçon dans l’étang. De temps en temps, un des autres garçons s’accrochait à elle, mais elle se retournait et lui donnait un coup de pierre pour le faire partir.

    *****

    « C’est tout ce dont je me souviens. Rien d’autre. Quoi qu’il se soit passé, cette scène est gravée dans ma mémoire », affirma George.

    « C’est, euh… assez surréaliste », répondit Sykes.

    « Tellement surréaliste que je ne peux pas être sûr que ce n’était pas un cauchemar. Ça pourrait être quelque chose que j’ai vu se produire, ou ça pourrait même être une peinture. J’ai consulté un érudit, pensant que cela pouvait être une métaphore de quelque chose, mais il n’a rien pu me dire. »

    « Et est-ce ce dont tu t’es souvenu ? Ha ha, ça ressemble beaucoup à la façon dont ta sœur a agi ces derniers temps. »

    George s’affaissa.

    « C’est ça le truc. C’est aussi ce que je viens de réaliser. Ces horribles méthodes qu’elle utilise… »

    Cette scène n’était pas un cauchemar. C’était la réalité.

    « Ce souvenir étrange n’est pas un rêve. Je me souviens simplement de ce qui s’est passé sous mes yeux. »

    « Tu veux dire… », commença Sykes tout en s’éloignant.

    « Oui. Lors d’une sorte de rassemblement, ma sœur s’en prenait à un garçon qui avait fait quelque chose qui lui déplaisait… »

    Et alors qu’un silence total s’installait, une hirondelle attirée par la lumière du soleil cria en volant au-dessus d’eux.

    Après un certain temps, George leva les yeux et dit : « Donc, pour en venir au fait. Quand je me suis souvenu de ça, j’ai réalisé quelque chose. »

    « Quoi ? Je ne veux plus entendre d’histoires effrayantes, d’accord ? », demanda Sykes, l’air méfiant.

    « Je ne sais pas comment tu le prendras avant de l’avoir entendu, mais… j’avais peur d’Alexandra. »

    Bien qu’ils aient été amis depuis leur plus jeune âge, George et Alexandra ne s’étaient jamais vraiment bien entendus. Après tout, elle l’insultait toujours et lui jouait des tours horribles. Il se souvenait de choses qui avaient frôlé l’intimidation, des choses qui avaient instillé en lui une aversion pour elle. Évidemment, elle n’avait pas levé la main sur lui récemment, mais elle était toujours aussi autoritaire et agressive verbalement. Honnêtement, lorsqu’elle était partie à l’étranger avec son père, il avait été soulagé de ne pas avoir à la voir pendant un certain temps.

    « Mais tout ça n’était qu’un malentendu », marmonna George.

    « Un malentendu ? Je ne l’ai rencontrée qu’après que nous ayons tous grandi un peu, mais elle a toujours été comme ça ? », fit remarquer Sykes.

    « C’est vrai, mais une fois que j’ai réalisé ce qu’était réellement ce souvenir, j’ai su que j’avais mélangé un certain nombre de choses dans ma tête. Si j’y pense, il n’y avait pas qu’une seule fille. Je ne m’en souviens pas très bien, mais quand j’étais petit, parfois les cheveux de la fille étaient blonds, et parfois ils étaient d’un brun rougeâtre. »

    « Attends, ça ne veut pas dire… »

    George hocha alors la tête.

    « La fille blonde m’insultait toujours. La brune, par contre, me faisait des choses sans rien dire. La fille qui me faisait des farces, ou plutôt des expériences… Ce n’était pas Alexandra. C’était ma sœur. »

    Sykes leva les yeux vers le ciel. Le ciel semblait si haut aujourd’hui.

    « On dirait qu’Alexandra a été victime d’un terrible malentendu », remarqua-t-il.

    « Raconte-moi ça. Je me sens si mal. Le souvenir qui m’a rendu si hostile à son égard… n’était pas de son fait. », dit George.

    « Que t’est-il arrivé ? »

    « Je ne me souviens que d’une scène de ce moment-là… »

    *****

    Quel âge avais-je alors ? J’étais dans le jardin, en train de jouer, quand j’avais trouvé un escargot. À un moment donné, une fille s’était approchée de moi et m’avait traîné au fond du jardin.

    La fille aux cheveux brun roux avait vérifié que personne ne regardait, puis avait soudainement baissé mon pantalon.

    « Qu-Quoi ?! »

    « Ah, oui. Je peux t’emprunter ton derrière une seconde ? »

    Elle tenait une grosse boîte de pétards dans sa main.

    *****

    « Attends, attends… Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait ? ! C’est quoi ce bordel… ? Non, oublie que j’ai demandé ! Je ne veux même pas l’entendre ! », cria Sykes.

    « Ha ha ha, ne t’inquiète pas ! C’est aussi tout ce dont je me souviens ! Je ne sais pas ce que ma sœur m’a fait. Je ne m’en souviens pas ! », répondit George.

    Mais alors que leurs rires étrangement stridents et creux résonnaient dans les jardins, une servante de passage inclina la tête et se demanda de quoi il s’agissait.

    *****

    Dernièrement, ma sœur était devenue plus belle. Cela pouvait être dû au fait qu’elle vivait sa vie selon ses propres termes, sans laisser personne la forcer à entrer dans un moule. Elle était magnifique et possédait une beauté presque radieuse, qui rivalisait avec celle de Sa Majesté.

    Ma sœur n’était plus une lune de midi. Elle était une supernova, prête à avaler le soleil.

    ***

    Chapitre 28 : Le petit frère entend des choses qu’il avait oublié

    Le soleil se couchait doucement sur un bel après-midi chaud. Rachel était dans sa prison, assise à l’une des deux tables de chaque côté des barreaux, comme l’autre jour.

    Pour la première fois depuis longtemps, Alexandra avait trouvé une ouverture dans son emploi du temps, et elle était venue au donjon pour rendre visite à Rachel.

    Rachel salua son amie, qu’elle n’avait pas vue depuis le goûter où elle avait écrasé George.

    « Comment vont les choses ? George va-t-il être utile ? », demanda Rachel avec un sourire doux et fugace tout en faisant tournoyer sa tasse de thé pour en apprécier l’arôme.

    « Il va devoir le faire, sinon je vais avoir des ennuis », répondit Alexandra tout en haussant les sourcils, tandis que les coins de sa bouche se relèvent.

    « Il peut rendre ses rapports avec un sourire en coin, mais il a toujours été mauvais pour aller au bout des choses. Sois prudente quand tu lui confieras quelque chose, d’accord ? Tu ne peux pas juste signer des choses sans les regarder. », nota Rachel.

    « Je sais. Il aime se la péter, comme s’il était si compétent, mais il y a toujours quelque chose qui lui échappe. Eh bien, c’est quand même mignon. »

    « Ah ha ha ! Tu as raison sur ce point ! »

    Une fois qu’elles eurent fini de rire de George, Alexandra s’adressa au jeune homme qui se tenait à côté d’elle.

    « Au fait, George, tu as laissé ces feuilles de thé infuser trop longtemps. Tu te rends compte qu’une minute de moins aurait été suffisante ? Es-tu sûr d’avoir bien lu les instructions ? »

    « Si tu prépares tout le thé de la même manière grossière, tu ne feras jamais une tasse digne d’invités respectés ? Si tu ne peux même pas faire du thé correctement, devenir un diplomate ne sera jamais plus qu’un rêve irréalisable pour toi. », ajouta Rachel.

    « Désolé… », marmonna George.

    Aujourd’hui, deux dames et un domestique étaient présents au goûter. De plus, elles faisaient leur médisance en face de lui. C’était leur politique.

    *****

    Après avoir demandé à George de préparer une autre tasse, Alexandra s’était souvenue d’une autre chose qu’elle devait dire à Rachel.

    « Maintenant que j’y pense, Rachel, j’ai entendu George l’autre jour… »

    « Quoi ? », demanda Rachel tout en inclinant la tête sur le côté.

    Sa future belle-sœur haussa les épaules : « Il semblerait que lorsque nous étions plus jeunes, il ne pouvait pas nous distinguer. »

    « Vraiment… ? »

    Les yeux de Rachel s’étaient élargis. Elle se mit à fixer son jeune frère.

    George s’était déplacé maladroitement. Il aurait préféré que sa sœur ne soit pas au courant. Et comme il n’avait pas envie d’en parler, il ignora son regard et se concentra sur la préparation du thé. Mais même lorsqu’il le termina et qu’il présenta aux jeunes femmes des tasses fraîchement faites, Rachel fixait toujours ses yeux sur lui.

    George céda et hocha la tête.

    « C’est exact. »

    « Vraiment ? Pourquoi ? », demanda Rachel.

    « Eh bien, quand j’étais petit, nous n’étions pas souvent ensemble. Vous étiez si semblables, et vous faisiez le même genre de choses… »

    « George, Alexandra est blonde, et j’ai les cheveux bruns. »

    « Oui, mais… »

    « Et j’étais avec toi à table tous les soirs, tandis qu’Alexandra ne venait que de temps en temps. »

    « Quand tu le dis comme ça, tu as raison… »

    « Et Alexandra ne faisait que t’insulter, alors que je ne te punissais que physiquement. »

    « Si tu te souviens de tout cela avec autant de détails, alors tu dois comprendre pourquoi je vous évitais toutes les deux ?! », s’exclama George.

    Ma sœur est une sale bête.

    George soupira. Vivre comme il l’était maintenant, pris en sandwich entre Rachel et son amie trop semblable Alexandra, était peut-être de sa propre faute, mais c’était horrible.

    Tout à l’heure, quand l’un des serviteurs avait dit qu’il enviait George d’être entouré de belles femmes, ce dernier lui proposa d’échanger sa place avec lui. Le serviteur quitta alors son emploi. Tout le monde pouvait facilement voir à quel point George était mal loti.

    Oh, comme ça me manque d’être autour de Margaret avec Sa Majesté et les autres. Bien. Puisque nous avons beaucoup parlé de ça, je devrais demander.

    Puisqu’ils étaient sur le sujet, George demanda à Rachel : « Au fait, ma sœur, dans mes souvenirs fragmentés… »

    Il voulait savoir à propos de cette scène mystérieuse qu’il avait détaillée à Sykes l’autre jour, celle où Rachel avait baissé son pantalon, des pétards à la main. Il ne savait pas ce qui s’était passé avant ou après ça.

    Une fois que George finit d’expliquer ce dont il se souvenait de l’incident, même Alexandra était un peu décontenancée.

    « Rachel, même si c’était une farce d’enfant, je me demande comment on en est arrivé là. », dit-elle.

    « Connaissant ma sœur, je suppose qu’elle voulait juste essayer, à moitié par curiosité et à moitié pour s’amuser. »

    Rachel pinça les lèvres, mécontente de leurs regards réprobateurs.

    « Pourquoi agissez-vous comme si j’avais tort ? Laissez-moi vous dire qu’il y avait un événement instigateur approprié pour cela ! »

    « Que veux-tu dire par là… ? », demanda George.

    « C’est toi qui as commencé, George ! »

    *****

    La vérité était que, la nuit avant que Rachel n’entraîne George au fond des jardins, George lui avait fait une farce qui l’avait suffisamment bouleversée pour qu’elle lui en veuille.

    « C’est arrivé alors que j’étais sur le point de me mettre au lit. »

    Rachel replia les couvertures, et cinq grenouilles que George avait collectées sautèrent.

    « Comme je n’avais que quatre ans à l’époque, cela m’a fait paniquer. »

    Elle s’était précipitée en arrière. Puis, réalisant ce qui venait de se passer, elle attrapa rapidement les grenouilles et les jeta dans la poubelle.

    « Rachel, je suis impressionnée que tu aies pu supporter de les tenir à mains nues », commenta Alexandra.

    « Ce n’est pas la question ici », lui rappela Rachel.

    Une fois qu’elle avait rassemblé toutes les grenouilles dans la poubelle, elle posa une lourde assiette dessus pour les empêcher de s’échapper et alla se coucher. Puis, le jour suivant…

    « J’étais bien reposée et rafraîchie, mais je ne pouvais toujours pas accepter qu’il ait mis des grenouilles dans mon lit pour tenter de m’intimider. J’ai considéré que c’était un complot terroriste visant à me séparer de mon lit et à m’empêcher d’avoir un sommeil réparateur. »

    George la regarda et dit : « Je sais que je ne devrais pas dire ça alors que c’est moi qui t’ai provoquée, mais tu as un tempérament explosif, ma sœur. »

    « Rachel déteste donc que l’on perturbe son sommeil, et ce dès son plus jeune âge », remarqua Alexandra.

    Le tribunal du cerveau de Rachel n’autorisait qu’un seul procès, sans plaidoirie. Une fois le verdict rendu, elle s’était empressée d’appréhender l’auteur du crime et, avec une équipe de recherche composée d’une seule personne, elle découvrit George en train de piquer un escargot qu’il avait trouvé dans le jardin.

    « Au moment où j’avais trouvé l’odieux criminel en train de s’amuser malgré ses tentatives d’entrave de mon sommeil réparateur, toute hésitation a disparu de ma tête. »

    « Sérieusement. Il en faut trop peu pour te mettre en colère, ma sœur ! Tu as un tempérament à fleur de peau ! », souffla George.

    « Te rends-tu compte qu’il n’avait que trois ans, Rachel ? », ajouta Alexandra.

    « Oui, et moi, la victime, je n’avais que quatre ans. Et je ne voyais pas en quoi c’était drôle. »

    Rachel attrapa le chef terroriste, et avant de le dépouiller de ses sous-vêtements, elle déclara que, comme tout le monde le sait, la punition pour une grenouille était un pétard, et qu’il devait donc se préparer à expier les crimes de ses grenouilles.

    « Et donc, suivant la méthode traditionnelle, j’ai inséré un pétard que j’avais acheté à l’avance dans le cul du criminel, et… »

    « Ton processus de pensée est horrible ! Le fait qu’une enfant de quatre ans ait pensé de cette façon est horrible ! », cria George.

    « Rachel, comment ça ? As-tu acheté des pétards à l’avance ? », demanda Alexandra.

    « Et là, j’ai essayé si fort de l’expliquer de façon mignonne », répondit Rachel.

    « Comment ?! Comment était-ce mignon ?! », hurla George.

    Rachel avala le reste de son thé : « Donc, ceci étant le cas, je n’ai aucun regret pour ce que j’ai fait. »

    « Tu ne te sens peut-être pas coupable, mais tous les autres auditeurs sommes totalement découragés par cette histoire », grommela George.

    Ignorant George, Rachel leva les yeux vers le ciel bleu à travers la fenêtre à barreaux.

    « Eh bien, si je devais citer un seul regret, c’est qu’un simple pétard n’ait pas suffi à faire exploser le petit George. J’ai entendu dire que les grenouilles explosent merveilleusement, mais à la taille de George, ça n’a fait que du bruit. »

    « Du bruit ? Quel genre de bruit ?! », hurla George.

    Rachel avait l’air de se prélasser dans le souvenir. Aucune explication ne sera donnée.

    Exaspérée, Alexandra reposa ses joues sur les paumes de ses mains.

    « Je ne sais pas ce que tu attendais. On peut envoyer des grenouilles voler avec des pétards, mais ça ne marche pas avec les humains. »

    « J’étais encore jeune. Il y a des limites à ce qu’un enfant de quatre ans peut faire. »

    Rachel s’était levée de son siège et alla fouiller dans l’une des boîtes en bois à l’arrière. Quand elle en revint, elle tenait quelque chose de cylindrique.

    « Maintenant, je peux même mettre la main sur de la dynamite. »

    « Attends, attends un peu… est-ce un vrai ?! », couina George.

    « Je me demande. Qu’est-ce que tu en penses ? »

    Les cris du petit frère lâche résonnèrent dans le donjon.

    *****

    Alors que Rachel et Alexandra regardaient George, qui semblait épuisé mentalement et physiquement, monter les escaliers pour sortir du donjon, Rachel se pencha et chuchota :

    « Alexandra. Il semblerait que Georges n’ait toujours pas réalisé. Est-ce que ça va ? »

    Alexandra sourit avec un mélange de solitude et d’inquiétude, jetant ses yeux vers l’endroit où son fiancé bien-aimé s’était tenu.

    « Tout va bien. Un jour, il réalisera que la façon cynique dont je le traite n’est que ma façon de cacher timidement mon affection. Mais je ne pense pas qu’il soit encore prêt à en rire et à l’accepter. »

    Rachel regarda dans la direction où son petit frère était parti.

    « En d’autres termes, George est encore un enfant. »

    « Hmm… Vu la manière dont tu agissais avec lui à l’époque… Je pense que je me sens un peu mal pour lui. »

    « Devrais-je faire de lui un homme pour toi ? »

    « Le pourrais-tu ? Si sa “grande sœur” l’embêtait encore plus, je pense qu’il pourrait se renfermer sur lui-même. »

    « Être grabataire est pourtant amusant ? »

    « Cela doit être le cas pour toi. »

    *****

    Une fois qu’il atteignit la surface, George prit une grande respiration de liberté momentanée. Juste à ce moment-là, le gardien de prison passa en portant un trousseau de clés.

    « Huh ? Je ne vous ai pas vu dans le coin ces derniers temps. Qu’est-ce qui se passe ? Son Altesse est aussi en visite ? », dit-il.

    « Hein ? Non, j’accompagnais quelqu’un d’autre. L’amie de ma sœur est en visite. »

    « Ohh, je vois ! Au revoir ! »

    Le garde essaya de s’échapper rapidement, mais George réussit à l’attraper par la peau du cou.

    « Hé, tu étais ici en patrouille, non ? Pourquoi cours-tu ?! », demanda George.

    « Lâchez-moi ! Quand la jeune femme est avec son amie, rien de bon ne peut en sortir ! », exigea le garde

    « Je suis entièrement d’accord, mais tu as un travail à faire ! Va gagner ton salaire ! »

    « Aucun paiement ne vaut la peine d’attirer l’attention de la jeune femme ! »

    « Je comprends ça aussi, mais il n’est pas juste que je sois le seul à souffrir ! Tu vas aussi la laisser jouer avec toi ! »

    « Nooon ! »

    Leur dispute continua jusqu’à ce qu’Alexandra monte les escaliers.

    ***

    Illustrations

    Fin du tome.

    ***

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    Un commentaire :

    1. Merci pour les chapitres

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