Strike the Blood – Tome 9

***

Prologue

Partie 1

Une obscurité épaisse s’était répandue au-delà de la fenêtre en verre acrylique.

La mer profonde, la nuit…

Le silence et le froid suffisaient à rendre la respiration difficile, tandis que la coque en alliage de titane du bateau appuyait peu à peu sur la peau.

Les projecteurs n’éclairent que les restes de plancton, qui ressemblaient à de la neige tombée. Le sous-marin de recherche Isrus avait continué à descendre vers le fond de l’océan, hors de portée de la lumière du soleil.

« Quelle est notre profondeur ? »

Le capitaine, vêtu d’un scaphandre bleu, parla sur un ton d’agacement. Affecté à une société civile de sondage sous-marin, il s’agissait d’un vétéran qui comptait près de dix ans d’expérience sous les flots. En temps normal, il avait une personnalité dynamique et un flot ininterrompu de plaisanteries, mais ce jour-là, il était de très mauvaise humeur. L’aura qu’il dégageait pouvait être qualifiée de colérique, voire de sauvage.

Le jeune timonier, visiblement intimidé par l’attitude de son capitaine, répondit sur un ton professionnel : « Nous avons dépassé les quatre mille mètres. Deux cent cinquante mètres jusqu’à la profondeur maximale. »

« … Ce truc est-il vraiment là ? »

Le capitaine avait grogné alors qu’il était clair qu’il n’était pas du tout amusé.

Leur société avait été engagée pour sonder les profondeurs les plus profondes de la mer à l’est de l’île Itogami, à plus de neuf mille mètres sous le niveau de la mer. À ce moment-là, les seuls sous-marins capables de plonger à cette profondeur se comptaient sur les doigts d’une seule main. C’était, en quelque sorte, un terrain que l’humanité n’avait pas le droit de fouler.

« Sur quoi se base cette rumeur selon laquelle nous trouverions les restes d’une… arme biologique de l’Âge des Dieux dans le coin ? Une légende sans fondement, non ? » demanda le capitaine.

« Qui sait ? Peut-être que quelqu’un a sauvé un homme du coin ? »

« … Une sirène ? »

« Haha, je plaisante. Mais le client est une société du Sanctuaire des démons cette fois-ci, alors je me suis dit que ça ne serait pas si étrange que quelqu’un connaisse quelqu’un de ce genre. »

« Tu as raison. D’ailleurs, je suis content que quelqu’un nous engage, même si c’est pour une enquête stupide comme celle-ci, » cracha le capitaine, faisant suivre son propos d’un profond soupir.

La mission de l’Isrus était de localiser les traces d’une arme biologique construite dans les temps anciens. Ce détail totalement absurde était à l’origine de la mauvaise humeur du capitaine.

Tout d’abord, le sous-marin de recherche Isrus avait été construit pour étudier la vie animale et végétale au fond de l’océan et pour tracer le chemin de leur évolution. Localiser une curiosité qui peut ou ne peut pas exister n’était clairement pas son but.

« Je ne pense pas de toute façon que ce soit quelque chose qui vaille la peine de dépenser autant d’argent pour le chercher. La rumeur dit que le Nalakuvera, laissé derrière par cette bande de Deva, s’est fait écraser assez facilement par la Garde de l’île et tout le reste. »

« Veux-tu dire ceux que le Front de l’Empereur de la Mort Noire a amené sur l’île d’Itogami ? Eh bien, d’autres disent que c’est en fait le Quatrième Primogéniteur qui les a éliminés… Si c’est le cas, peut-être que nous ne devrions pas trop rabaisser les Nalakuvera… Hmm ? »

Le timonier avait brusquement haussé un sourcil, semblant ne pas savoir quoi faire en regardant l’écran de recherche.

Le capitaine le regarda d’un air dubitatif. « Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Une irrégularité dans les données du terrain… Peux-tu dire ce que c’est ? »

L’écran vers lequel le timonier pointait son doigt affichait une représentation graphique du fond de l’océan. Une image en 3D reproduisait les données du terrain obtenues lors d’études antérieures, et une image filaire pixelisée était superposée, mise à jour par les données du sonar de l’Isrus en temps réel. Normalement, les deux ensembles de données devraient être identiques, mais il y avait une étrange disparité.

Au fond de la mer, il y avait un léger renflement sur une distance de plusieurs kilomètres.

« Ça ne ressemble pas à une erreur du sonar d’une thermocline. Le fond de l’océan a-t-il connu des remontées anormales ? »

« Non… il n’y a aucun signe d’activité volcanique dans cette zone maritime. Plus que ça, cette forme… Cela ressemble à une sorte de créature, n’est-ce pas… ? »

« Une créature ? »

Voyant le visage du navigateur pâlir, le capitaine lui lança un regard noir. « C’est ridicule », murmure-t-il. Cependant, même dans ce laps de temps, l’analyse du sonar affichée sur le moniteur changeait de façon irrégulière chaque seconde.

Cela ressemblait certainement à une sorte de créature rampant au fond de l’océan, comme un alligator ou un serpent de plusieurs kilomètres de long — ou peut-être un dragon géant.

« Quel enfer… ! C’est trop gros pour être un être vivant… ! Ça en ferait… un vrai monstre, tout droit sorti d’un mythe, n’est-ce pas… !? »

Le capitaine avait sincèrement prononcé ces mots pour son propre bénéfice. Soudain, le timonier à côté de lui poussa un cri. L’instant d’après, le sous-marin avait été assailli par un torrent féroce ressemblant au souffle d’une explosion.

C’était une poussée brutale dans les profondeurs de la mer, avec toute la pression de l’eau à quatre mille mètres sous la surface.

Le vortex déchiqueté qui émergeait du fond de l’océan se déchaînait, jouant avec l’Isrus comme avec une feuille d’arbre. La coque pressurisée protégeant la cabine de pilotage avait gémi de manière audible à cause des craquements intenses.

Même sans vérifier, l’origine du vortex était claire. C’était le monstre. Le monstre géant, immergé jusqu’au fond de l’océan, avait légèrement bougé son corps. Il n’en fallait pas plus pour qu’une incroyable onde de choc se propage dans les environs.

« Im… impulsion d’énergie démoniaque biologique confirmée ! C’est… c’est vivant… ! »

Le timonier s’accrocha désespérément à son siège en criant.

C’était une créature océanique gargantuesque de plusieurs kilomètres de long. Son existence même était absurde selon toute norme rationnelle. Pourtant, sa réalité était arrivée devant leurs yeux, semant la destruction et la terreur partout.

« Tourne… ! Manœuvres d’évitement ! Remonte-nous ! » cria le capitaine à pleins poumons.

Cependant, avec la coque de l’Isrus battue sous l’eau, l’équipage ne savait plus où donner de la tête. Ils avaient déjà libéré les ballasts d’urgence, mais cela n’avait pas beaucoup d’effet dans le tourbillon qui faisait rage.

L’instant suivant, l’Isrus s’était arrêté, comme s’il était pris en sandwich par une sorte d’objet géant.

Avec une vibration déstabilisante, la coque avait commencé à se fissurer. La coque pressurisée avait émis un son étrange.

« Nous avons dépassé la limite de pression ! Elle est en train d’être écrasée — . »

« À cette profondeur… !? »

Le cri du timonier fit sursauter le capitaine. L’Isrus avait encore beaucoup de marge avant d’atteindre sa profondeur maximale, la coque pressurisée avait été construite en pensant à la sécurité de l’équipage, capable de supporter confortablement la pression de l’eau à dix mille mètres de profondeur. Et pourtant, une sorte de force immense écrasait l’Isrus.

« C-Capitaine ! »

« Ne me dis pas… »

Les projecteurs éclairant l’extérieur de la coque s’étaient brisés, plongeant les environs dans l’obscurité. Cependant, quelque chose s’était élevé dans les dernières lueurs — une rangée d’innombrables dents, chacune ressemblante à un rocher…

Le sous-marin avait été pris dans la gueule de la bête titanesque.

« Ne me dis pas… cette chose va nous manger… !? » murmura le capitaine sous le choc.

Les mots avaient à peine quitté ses lèvres que la coque pressurisée s’était brisée. Il n’avait même pas eu le temps de sentir l’eau de mer froide que son esprit avait plongée dans les profondeurs de l’obscurité.

⬨⬨⬨

C’était la nuit de la nouvelle lune — .

Les filles avaient continué à courir dans le labyrinthe des tunnels souterrains.

L’une des filles était de très petite taille. Elle donnait une impression de maturité pour son âge, mais on ne pouvait pas cacher son visage d’enfant. Elle était probablement encore à l’école primaire, onze ou douze ans tout au plus.

Elle ne portait qu’un maillot de bain bleu en deux pièces avec une parka ample. Elle ne portait même pas de sandales de plage, courir pieds nus devait être douloureux.

« Peux-tu encore courir ? »

La jeune fille qui la menait par la main était grande et âgée de seize ou dix-sept ans. Elle avait des membres longs et minces et un visage raffiné. Ses longs cheveux marron clair étaient attachés en queue de cheval.

Sa main droite tenait une épée longue de couleur argentée avec une lame épaisse. Elles avaient couru une bonne distance, mais elle ne montrait aucun signe d’essoufflement, peut-être avait-elle eu une sorte d’entraînement spécial.

« Oui… mais… »

La petite fille en maillot de bain avait répondu faiblement en s’arrêtant.

Un volet fait de barres métalliques de couleur argentée leur barrait la route. Surmonter ces solides barres de métal, construites pour empêcher les bêtes démoniaques de s’échapper, était au-delà de ce que la force du haut du corps de deux filles apparemment sans défense pouvait faire.

Mais la jeune fille à la queue de cheval souriait agréablement en regardant calmement l’obturateur solide.

« Ne t’inquiète pas. Je vais te faire sortir d’ici. C’est mon travail, après tout, » dit-elle en levant haut son épée longue en argent. Sans fanfare, elle la balança vers le volet qui bloquait leur avance. Son maniement de l’épée était élégant, comme une danse. Il ne semblait pas y avoir de force dans son geste.

C’est tout ce qu’il avait fallu pour sectionner complètement plusieurs bars sous leurs yeux.

L’espace créé dans le volet n’était pas si grand, mais il était suffisant pour qu’elles puissent se glisser à travers. Avec un balancement de sa queue de cheval, elle avait tranquillement abaissé son épée.

« Qui… es-tu ? » demanda l’élève de l’école primaire en maillot de bain avec un air de surprise sur son visage juvénile.

La fille à la queue de cheval passait par l’interstice de l’obturateur quand elle s’était retournée, souriant quelque peu fièrement.

« — Sayaka Kirasaka. Un danseur de guerre chamanique de l’Organisation du Roi Lion. »

« Danseuse de guerre chamanique ? »

« Je viens d’une agence spéciale chargée d’arrêter les catastrophes de sorcellerie à grande échelle et le terrorisme de sorcier… Bon, il serait plus facile de dire que je suis une “Magical girl” qui se bat pour la justice. » Sayaka gonfla sa poitrine d’un air suffisant en parlant d’un ton théâtral.

La jeune fille regarda Sayaka avec une expression neutre, soupirant d’une manière qui semblait indifférente. « Magical girl, elle dit… Haah... »

« Qu-Quoi ? Était-ce un soupir à l’instant !? »

« Euh, plus important, les gardes nous ont repérés. »

Elle le fit remarquer, agissant comme s’il fallait être un adulte fou pour la traiter comme une enfant. Sayaka grogna, s’enfonçant dans le vide un instant avant de relever le visage, son moral apparemment remonté. Elle se tourna vers les gardes et plaça sa longue épée argentée parallèle au sol.

« C’est bon. Recule juste un peu. »

Sayaka fit un seul pas en avant alors que l’épée longue dans ses mains changeait de forme. Les bords argentés se fendirent devant et derrière, tournant à 180 degrés en se séparant pour former un arc recourbé moderne. C’était la véritable forme du prototype d’arme de suppression transformable de l’Organisation du Roi Lion, Der Freischötz.

Sayaka sortit une fléchette extensible de son étui sous sa jupe, l’allongeant en flèche.

« Écaille lustrée ! »

Elle tira la corde de l’arc recourbé et décocha une flèche.

Ce n’était pas une flèche normale, mais une flèche sifflante qui émettait un grand rugissement. Il s’agissait d’une flèche maudite spéciale qui mettait en œuvre un chant de sort de haute densité dépassant la capacité des poumons et du larynx d’un humain — Contre des adversaires humains normaux, ce niveau de son explosif était en soi une menace suffisante.

***

Partie 2

L’onde de choc libérée par le rugissement se répercuta dans l’étroit tunnel, faisant s’évanouir les gardes en embuscade comme s’ils avaient été fauchés par une faux. La flèche maudite se dirigea tout droit vers la porte de sortie du tunnel et la transperça.

« Incroyable… »

La fille en maillot de bain laissa échapper une voix d’admiration devant la puissance de la flèche maudite qui s’était envolée devant ses yeux. Sa réaction honnête avait donné à Sayaka un air de soulagement quand elle avait dit :

« Eh bien, c’était à prévoir. Je te l’ai dit, je suis une “Magical girl”. »

« Hein ? Mais n’était-ce pas juste un sort rituel ? Bien que je pense que c’est assez incroyable… »

« Arghhh. » Le ton froid de la réponse de l’écolière avait poussé Sayaka à courber le dos et à gémir sur place. Puis l’expression de l’agent du Roi-Lion était soudainement redevenue sérieuse.

« Sais-tu nager… ? »

Au-delà de la sortie du tunnel se trouvait une étroite voie d’eau d’environ dix mètres de large. C’était un canal pour les touristes qui s’étendait à travers l’île artificielle. Le traverser signifiait sortir de l’installation.

Heureusement, le courant du canal était faible et il n’était pas impossible de le traverser à la nage. Le danger était probablement minime comparé à celui de passer la porte d’entrée de l’installation.

« Je suis une excellente nageuse. Je peux faire une cinquantaine de mètres sans m’arrêter, » répondit fièrement la jeune fille en maillot de bain.

Sayaka hocha la tête en signe de soulagement. Elle sortit un mince morceau de métal. Dans sa paume, il prit la forme d’un petit oiseau — un shikigami, auquel on accorda le souffle de la fausse vie à l’aide d’un sort rituel.

« Je suis contente. Alors je suis désolée, mais tu continues. Une fois que tu auras fini de traverser le canal, ce petit te guidera jusqu’à ce que tu atteignes un endroit sûr. »

« … Et toi ? »

« Ne t’inquiète pas, je te rattraperai bien assez tôt. »

Sayaka remit son arc recourbé en forme d’épée et lui adressa un sourire appuyé. Puis, comme si elle se souvenait soudainement de quelque chose, elle sortit une photo de sa poche de poitrine. La photo avait l’air d’avoir été malmenée, comme si son propriétaire l’avait déchirée, avant de la recoller soigneusement avec du ruban adhésif.

« … Mais si tu ne peux pas me retrouver, va rencontrer cet homme. »

« M… Kojou Akatsuki ? »

L’écolière avait accepté la photo de Sayaka en inclinant la tête d’un air dubitatif. La photo montrait un adolescent dans un uniforme de lycéen. Le verso présentait un profil assez détaillé, des informations prétendument nécessaires pour un assassinat.

« Ouais. C’est un idiot, indécent, le genre de pervers qui pose ses mains sur toutes sortes de filles au pied levé — ai-je mentionné que c’est un idiot ? — mais, eh bien, on pourrait dire qu’il a un certain nombre de bons points… »

« — Est-ce ton amoureux ? » La voix de la jeune fille était sombre en réponse à l’explication désolée de Sayaka.

À cet instant, le visage de Sayaka devint rouge comme la braise et elle secoua la tête avec force. « A — !? Amou… !? N-Non, ce n’est pas encore ça… ! »

« … Encore ? »

« Ce… ce n’est pas ça, il n’est qu’un figurant — c’est plutôt la fille mignonne comme un ange qui le surveille qui te sera probablement d’une grande aide, donc — ! »

« Est-ce ainsi… ? Euh, ça ne me regarde peut-être pas, mais je pense que tu devrais essayer d’être honnête sur tes propres sentiments de temps à autre… »

« J’ai dit que ce n’est pas comme ça ! De toute façon, dépêche-toi maintenant ! »

Sayaka, fortement perturbée par les conseils avisés de l’écolière, la poussa vers le canal. La fille en maillot de bain soupira sans un mot. Après avoir vérifié la température de l’eau du bout de l’orteil, elle sembla durcir sa résolution, plongeant dans le canal.

Apparemment, l’affirmation de la gamine — qu’elle était une nageuse experte — n’était pas une simple fanfaronnade. Avec une brasse régulière, elle fit son chemin vers le côté opposé.

« … Et maintenant. »

Pendant un moment, Sayaka observa de dos le départ de la fille. Puis, elle leva son épée et déplaça son regard derrière elle.

Elle entendit les pas de quelqu’un venant du canal que Sayaka et la fille avaient traversé. C’était sans doute quelqu’un qui essayait de ramener la fille. Cependant, elle n’avait senti qu’un seul poursuivant. Le claquement régulier des talons semblait étrangement peu pressé.

« Un danseur de guerre chamanique de l’Organisation du Roi Lion, sermonné par une élève d’école primaire. Un spectacle désolant, n’est-ce pas ? »

Enfin, le poursuivant, avec un léger ricanement, avait été révélé.

La silhouette s’était avérée être une jeune femme, probablement du même âge que Sayaka.

Ses cheveux étaient longs et noirs, portés dans un style ancien. L’uniforme du lycée qu’elle portait était également noir. Même dans l’obscurité, il était clair qu’elle était belle, mais d’une certaine manière, elle dégageait une impression de froideur, elle avait un regard comme si elle se moquait du monde.

« C’est juste son malentendu… ! Attendez, vous avez entendu ça !? »

Sayaka avait hurlé avec une hostilité flagrante. La fille aux cheveux noirs l’avait regardée et avait éclaté de rire.

« Je ne crois pas qu’un intrus ait le droit de se plaindre d’une écoute… N’est-ce pas ? »

« Je ne pense pas qu’une criminelle ait le droit de parler d’intrusion, si ? »

Sayaka pointa la pointe de son épée vers la fille en parlant.

La fille aux cheveux noirs ne tenait aucune arme. Pourtant, ses sourcils ne s’agitaient même pas tandis qu’elle s’avançait vers Sayaka qui était armée d’une épée. Viens me voir quand tu veux, semblait dire son attitude, en narguant Sayaka.

« Vous avez un excellent timing. De toute façon, je pensais justement à vous demander ce que Kusuki-Élysée faisait à enfermer une petite fille comme ça. »

Sayaka gardait son épée pointée à hauteur de ses yeux tandis qu’elle évaluait tranquillement la distance.

Un pas de plus. Au moment où la fille aux cheveux noirs commençait à avancer, l’attaque de Sayaka l’atteignait — l’attaque de l’Écaille lustrée, qui déchirait l’espace lui-même, détruisant toute défense —.

« Der Freischötz de l’Organisation du Roi Lion… le prototype d’arme de suppression, imprégné d’un rituel de pseudoséparation spatiale. Certes, c’est une arme sacrée puissante, mais… »

La fille aux cheveux noirs s’était soudainement arrêtée, souriant élégamment. L’instant d’après, la fille sauta du sol en faisant le bruit d’un petit robinet, disparaissant.

« Hein !? »

C’était la fille aux cheveux noirs qui avait lancé une attaque en premier. En une fraction de seconde, elle s’était glissée dans le flanc de Sayaka, lançant un incroyable coup de genou qui contrastait avec son comportement calme.

Sayaka avait réussi à bloquer de justesse l’attaque avec ses deux mains. Naturellement, elle n’avait pas utilisé son épée. Ayant permis à son adversaire de s’approcher si près, la portée supérieure de son arme avait été complètement annulée.

« Le Type Six ne peut pas attaquer à cette distance, n’est-ce pas ? »

La fille aux cheveux noirs avait chuchoté à l’oreille de Sayaka. Sayaka serra les dents et ne répondit rien. Elle ne pouvait pas utiliser la capacité de l’Écaille lustrée avec un ennemi blotti contre elle, car la déchirure de l’espace était si puissante qu’elle blesserait le lanceur, Sayaka elle-même.

« Urk ! Dans ce cas — ! »

Sayaka se faufila à travers la rafale d’attaques de son adversaire et sortit plusieurs charmes. C’était de fines plaques de métal pour créer des shikigamis de combat. Cependant, avant qu’elle puisse y insuffler de l’énergie rituelle, son adversaire attaqua la main gauche de Sayaka avec un coup de karaté. Le coup engourdit le poignet de Sayaka, envoyant les charmes danser dans l’air.

« Les danseurs de guerre chamaniques sont utilisés pour les malédictions et les assassinats. Vous êtes désavantagé en simple combat rapproché, n’est-ce pas ? »

La fille était très bavarde pour quelqu’un qui lançait une série d’attaques rapides. Elle donnait l’impression d’être quelqu’un qui testait un adversaire amical dans un combat simulé, lui demandant des réponses, plutôt que de simplement s’amuser. Sayaka avait l’impression que ses capacités de combat étaient évaluées.

« — Ce n’est pas gravé dans la pierre ! Déformation ! »

Sayaka para les coups de la fille tout en aspirant l’énergie rituelle et en la libérant. D’un seul coup, les charmes s’étaient éloignés de la main de Sayaka et s’étaient transformés en oiseaux de proie. C’était des raptors de métal avec des serres et des becs aussi aiguisés que des couteaux.

« Activation à distance via un chant compressé… Je vois, il fallait s’y attendre… ! »

Sous l’assaut des shikigami, la fille aux cheveux noirs avait fait un bond en arrière. Naturellement, même elle ne pouvait pas s’approcher de Sayaka en affrontant six shikigami simultanément.

Dans cette ouverture, Sayaka avait rendu à l’Écaille lustrée sa forme d’arc recourbé.

Elle détestait l’admettre, mais son adversaire avait l’avantage en combat de mêlée. Pendant que les shikigamis occupaient la fille aux cheveux noirs, elle utiliserait l’onde de choc d’une flèche maudite pour la mettre hors d’état de nuire.

Même si elle mettait en place une défense magique, il faudrait une sorcière de la classe de Natsuki Minamiya ou un vampire Primogéniteur pour résister à un coup direct de l’Écaille lustrée. Il est certain que la fille aux cheveux noirs, sans arme dans les mains, ne pouvait pas repousser l’attaque de Sayaka.

Cela se termine maintenant —, pensa Sayaka en tirant l’arc.

L’instant d’après, tout le corps de la fille aux cheveux noirs avait émis un cri perçant.

« — Tonnerre Flamboyant ! »

Les shikigamis qui attaquaient la fille avaient été repoussés comme s’ils avaient été frappés par un marteau invisible. Elle avait utilisé une énergie rituelle de haute densité comme une balle, abattant les shikigamis d’un seul coup.

« Qu… !? »

Sayaka libéra instantanément sa flèche maudite, mais la fille aux cheveux noirs avait déjà tournoyé jusqu’à être derrière Sayaka. Ayant perdu sa cible, la flèche maudite explosa, effondrant les murs du tunnel.

L’expression de la danseuse de guerre chamanique se tordit de malaise. L’explosion de la flèche maudite n’était pas la raison de son inquiétude, c’était la technique de combat que la jeune fille aux cheveux noirs avait utilisée pour frapper les shikigami dans les airs. Sayaka connaissait la vraie nature de cette technique, d’où sa confusion.

Il ne faisait aucun doute que la jeune fille aux cheveux noirs avait utilisé l’école des Huit Dieux du Tonnerre — transformant l’énergie rituelle amplifiée en puissance d’attaque physique. Il s’agissait d’un art martial de style rituel pour le combat anti-démoniaque, développé pour permettre d’étouffer un démon à mains nues. Il s’agissait d’un art martial rituel extrêmement spécialisé.

Pour autant que Sayaka le sache, seules quelques personnes étaient capables d’utiliser ces techniques : Les Chamane Épéistes de l’Organisation du Roi Lion. Les techniques de l’École des Huit Dieux du Tonnerre étaient des techniques de Chamane Épéiste de part en part.

« Cette technique… Ne me dites pas que c’est la même que celle de Yukina… !? »

Sayaka avait remis l’Écaille Lustrée sous sa forme d’épée et l’envoya horizontalement vers son dos. Cependant, la fille aux cheveux noirs était plus rapide. Avec son dos toujours tourné, elle poussa le poids de son corps sur Sayaka. Normalement, il n’existait pas d’attaque capable de frapper un adversaire avec les deux corps pressés ensemble comme ça. Mais…

« — Coup de Tonnerre ! »

L’impact explosif déclenché à bout portant avait fait voler le grand corps de Sayaka.

La fille aux cheveux noirs avait transformé l’énergie rituelle en puissance d’attaque physique pour la percuter à bout portant. Sayaka, ses organes internes fortement secoués, ne pouvait même pas crier alors qu’elle tombait sur le sol.

« … Pourquoi pouvez-vous… utiliser… les techniques des Chamanes Épéistes… !? »

Sayaka s’était exprimée malgré une respiration laborieuse.

La fille aux cheveux noirs ne répondit pas, regardant silencieusement Sayaka, qui était à quatre pattes. Dans la main de l’attaquante se trouvait une épée longue en argent — l’Écaille Lustrée.

Personne d’autre que Sayaka ne pouvait utiliser sa pseudoséparation spatiale, mais dans cette circonstance, une telle chose n’était guère nécessaire. La fille pouvait tuer Sayaka d’un simple coup d’épée.

« Êtes-vous aussi une… Chamane Épéiste ? » demanda Sayaka d’une voix cassée.

Non, dit le langage corporel de la fille en secouant la tête.

« Je suis l’ombre de la Chamane Épéiste — une Prêtresse des Six Lames, » corrigea-t-elle avec désinvolture.

Avant que Sayaka ait pu entendre ces mots, sa conscience s’était évanouie dans l’obscurité.

***

Chapitre 1 : L’Élysée Bleu

Partie 1

Le béton imbibé d’eau reflétait les rayons du soleil, donnant une lueur glissante.

C’est l’après-midi sur le campus de l’Académie Saikai, la lumière du soleil éclairait la piscine extérieure asséchée. Au fond se tenait Kojou Akatsuki, vêtu d’un uniforme de gymnastique, une brosse à pont dans une main.

En regardant le ciel, si lumineux qu’il lui faisait mal aux yeux, Kojou poussa un profond soupir.

« … Franchement, il fait chaud. »

Il laissa involontairement échapper le murmure, mais l’air, ondulant comme un mirage, le faisait fondre.

C’était juste à la veille des vacances. La piscine était nettoyée régulièrement, une fois tous les six mois. Ses parois étaient couvertes de crasse, les carreaux cuisaient. Les rayons ultraviolets incessants qui se déversaient sur Kojou lui ôtaient progressivement toute endurance.

« Certes, la température est supérieure à la moyenne annuelle. Il semblerait qu’on ait un hiver chaud cette année. »

Yukina Himeragi avait répondu d’un ton très sérieux, debout au bord de la piscine.

L’élève transférée portait l’uniforme d’une fille du collège. Sa véritable identité était celle d’une Chamane Épéiste de l’ Organisation du Roi Lion — une Mage d’Attaque travaillant pour une agence gouvernementale spéciale envoyée pour surveiller Kojou.

Yukina n’avait pas l’étui à guitare avec la lance à l’intérieur qu’elle portait toujours. Au lieu de cela, elle utilisait un tuyau en caoutchouc bleu pour pulvériser de l’eau sur les côtés de la piscine. Entourée d’eau pulvérisée, elle était une vue rafraîchissante, l’opposé polaire de Kojou trempé de sueur.

Fixant avec envie un arc-en-ciel dansant autour de Yukina, Kojou secoua la tête avec une expression creuse.

« Je ne pense pas qu’une température dépassant les trente degrés Celsius soit quelque chose que l’on puisse faire passer pour un simple hiver chaud… Hé, attends, est-ce vraiment l’hiver ? Si c’est vraiment l’été, il n’y aura pas de vacances d’hiver, donc je n’ai pas à nettoyer la piscine, n’est-ce pas ? »

« … Maintenant que tu le dis, c’est un hiver normal sur le continent. Nous avons dépassé la mi-décembre, après tout. »

Yukina avait consciencieusement rejeté les illusions de Kojou qui tentait d’échapper à la réalité.

L’île d’Itogami était une île artificielle construite en pleine mer à plus de trois cents kilomètres au sud de Tokyo. C’était le sanctuaire des démons de l’été éternel, flottant au beau milieu de l’océan Pacifique.

« L’île d’Itogami est chaude tout simplement parce que sa latitude l’expose à beaucoup de soleil, sans compter l’influence des courants marins et des alizés. Le temps est particulièrement agréable aujourd’hui, n’est-ce pas ? »

« S’il fait si beau, pourquoi dois-je nettoyer cette piscine tout seul ? »

La brosse à pont était devenue molle dans la main de Kojou alors qu’il posait la question dans le vent. Les grands yeux de Yukina avaient cligné en regardant Kojou.

« En lieu et place des cours complémentaires, n’est-ce pas ? Tu es à court de jours de présence en raison d’arrivées tardives et de départs anticipés répétés. »

« Ce n’est pas comme si je sautais parce que j’en avais envie… Je veux dire, j’ai échappé de justesse à la mort plusieurs fois, j’ai été rejeté sur une île inhabitée, et j’ai été enfermé dans une autre dimension, tu sais, des petites choses… » Kojou avait grommelé en présentant une série d’excuses.

En fait, depuis qu’une condition physique ridicule lui avait été imposée — être le plus puissant vampire du monde — la plupart des absences non autorisées de Kojou étaient dues à des incidents provoqués par des démons. En d’autres termes, des circonstances inévitables. Peut-être était-ce parce que sa professeur principale, Natsuki Minamiya, était bien consciente de ces circonstances qu’elle lui permettait de contourner son manque d’assiduité avec rien de pire que le nettoyage de la piscine.

« Cela dit, me faire nettoyer sous un soleil de plomb tout seul… Qu’est-ce que c’est, la journée de la brute-vampire… ? »

Kojou essuya la sueur de son front en examinant la piscine asséchée. Lorsqu’elle était pleine, elle faisait vingt-cinq mètres de profondeur, et cela semblait être une taille effrayante pour quelqu’un qui devait la nettoyer tout seul.

En regardant Kojou, languissant et manquant complètement de dynamisme, Yukina semblait exaspérée. Elle expira légèrement.

« Ne sois pas comme ça. Je t’aide aussi, alors finissons-en le plus vite possible. »

« C-C’est vrai… Désolé, Himeragi. »

« De rien. »

Yukina avait enlevé ses chaussures d’intérieur et s’était mise pieds nus en descendant dans la piscine, tuyau d’arrosage en main. N’ayant pas le choix, Kojou avait repris la serpillière et avait commencé à éliminer systématiquement toute trace d’impureté dans la piscine.

Yukina regarda la petite flaque d’eau à ses pieds et haussa ses adorables épaules.

« Mais il fait vraiment chaud aujourd’hui. C’est un peu dommage de venir dans une piscine et de ne pas pouvoir se baigner. »

Pendant un moment, sa vue avait captivé les yeux de Kojou.

« Maintenant que j’y pense, tu sembles être une sorte de nageuse experte, Himeragi. »

« Tu le crois ? Quand j’étais à la Forêt des Grands Dieux, nous nous sommes entraînés au combat sous-marin, donc j’aspire à nager dans une certaine mesure. »

« … Le combat sous-marin ? »

C’est différent de la natation que je connais à un niveau assez basique, pensa Kojou, déconcerté. En fait, la Forêt des Grands Dieux était le nom de l’institution dans laquelle Yukina avait vécu dans le passé. En apparence, il s’agissait d’une école de filles, de l’élémentaire au secondaire, dans la région de Kansai, mais il s’agissait apparemment d’un établissement de l’Organisation du Roi Lion pour la formation des Mages d’Attaque.

« Et toi, Senpai ? Sais-tu nager ? »

« Euh, non, je… eh bien, je suis un vampire, vois-tu. L’eau se heurte un peu à moi, et tout ça… »

La question avait fait que Kojou avait involontairement lutté avec ses mots. Voyant Kojou détourner les yeux avec des manières maladroites, Yukina semblait légèrement mystifiée en le fixant.

« Je croyais que c’était une superstition quant au fait que les vampires ne pouvaient traverser l’eau courante… »

« Euh, est-ce vrai ? »

« Oui. Certes, cela restreint certaines capacités spéciales comme la transformation en brume, et certaines affinités de Vassal Bestial peuvent rendre impossible leur invocation dans cet état, mais il ne devrait pas y avoir de grande différence physique entre eux et les êtres humains normaux. »

« Euh, mais les démons ont des différences individuelles, non ? »

Yukina avait tranquillement regardé Kojou avec des yeux à moitié fermés alors qu’il cherchait sincèrement une prise.

« Ah… Senpai, est-il possible que… ? »

« N-Non, ce n’est pas comme si je ne savais pas nager ! Ce n’est pas vraiment mon truc, c’est tout ! »

« Si tu le souhaites, je pourrais t’apprendre à nager à une autre occasion ? Après tout, le plus puissant vampire du monde qui ne sait pas nager pose un problème d’image. »

« Je n’ai jamais dit que je ne savais pas nager — ! »

Kojou continua désespérément sa réfutation face à la proposition apparemment prévenante de Yukina. Yukina gloussa un peu à la vue de Kojou qui semblait être acculé contre le mur. Sans doute, les efforts futiles de Kojou pour dissimuler son incapacité à nager étaient plus amusants pour elle que le fait lui-même.

« Compris. Restons-en là. »

« G... gnn... »

Les lèvres de Kojou s’étaient tordues alors qu’il gémissait. Après s’être penchée en avant pendant un moment, les épaules tremblantes, Yukina avait relevé la tête comme si elle s’était soudainement souvenue de quelque chose.

« En y réfléchissant bien, » commença-t-elle, le ton changeant brusquement, « J’ai vu beaucoup de publicités autour de la piscine ces derniers temps. Ils disent qu’une île artificielle privée a été achevée ? »

« Oui, l’Ély Bleu ? Il y avait une émission spéciale à ce sujet dans un talk-show hier, » répondit rapidement Kojou, reconnaissant que Yukina ait changé de sujet.

L’Ély Bleu, abréviation de l’Élysium Bleu, était un nouveau type d’île flottante construite au large de l’île d’Itogami. Il s’agissait d’une petite île, n’atteignant même pas un rayon de six cents mètres, mais ce qui méritait une mention spéciale, c’était que l’ensemble du sous-flotteur était conçu comme un parc à thème géant. Les attractions comprenaient des hôtels de villégiature, des piscines de loisirs, des montagnes russes, et un aquarium spécial appelé le Parc des bêtes démoniaques qui espérait jouer le rôle de nouveau symbole de l’île d’Itogami.

« C’est vrai, ils ont dit qu’ils faisaient un essai avant l’ouverture officielle. L’île d’Itogami n’a pas encore eu beaucoup d’installations de loisirs de ce genre, donc ça va probablement être un sujet brûlant pendant un moment. En plus, c’est plein d’attractions, et l’aquarium est plutôt bien équipé. J’ai envie d’y aller, mais c’est excessivement cher… le prix d’entrée je veux dire. »

« Tu es plutôt bien informé à ce sujet, Senpai. »

Yukina lui avait jeté un regard dubitatif. Elle avait probablement trouvé surprenant que Kojou s’intéresse à une attraction touristique.

« Euh, eh bien, en fait, » déclara Kojou en haussant les épaules, « Kirasaka m’a posé des questions à ce sujet au téléphone dernièrement, alors j’ai regardé quelques trucs. »

« … Sayaka t’a parlé d’un centre de loisirs sur l’île d’Itogami ? »

Le ton de Yukina semblait encore plus suspicieux qu’avant. Son attitude prudente semblait dire C’est presque comme si elle te demandait de sortir avec elle. Cependant, les doutes de Yukina avaient volé juste au-dessus de la tête de Kojou.

« On aurait dit qu’elle voulait connaître l’opinion publique à ce sujet, mais elle ne m’a jamais dit pourquoi. Peut-être qu’elle aime juste les piscines ? »

« Non. En fait, je crois qu’elle n’aime pas nager. Elle a dit qu’elle détestait porter un maillot de bain parce que ça la fait trop ressortir. De plus, les capacités de l’Écaille lustrée ne peuvent pas être utilisées sous l’eau. »

« Héhé, c’est comme ça… ? Eh bien, dans son cas, il y aurait aussi beaucoup de résistance de l’eau… »

Kojou semblait étrangement d’accord en imaginant Sayaka Kirasaka en maillot de bain. Si Sayaka, dotée d’une grande silhouette et d’un physique époustouflant, portait un maillot de bain, elle envoûterait sans aucun doute les yeux de beaucoup. D’autant plus qu’elle avait des seins splendides et énormes, disproportionnés par rapport à son physique svelte. Mais…

« Résistance de l’eau ? » Les sourcils de Yukina s’étaient brusquement froncés quand elle avait entendu Kojou faire ce commentaire maladroit.

Bien sûr, Yukina était bien consciente de la silhouette de Sayaka. Naturellement, elle comprenait aussi les principes physiques donnant lieu à la « résistance de l’eau » dont Kojou avait parlé.

Au-delà, son regard était tombé sur sa propre poitrine, beaucoup plus réservée, couverte d’un uniforme.

« … Senpai. Plus tôt, tu as dit que j’avais l’air d’être une excellente nageuse, non ? »

« Ah ? Euh… non ! Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire par là ! »

Naturellement, Kojou n’avait rien voulu dire de mal par là, mais il ne pouvait pas renverser la froide et dure vérité : Comparé à la masse écrasante de la poitrine de Sayaka, l’eau résisterait très peu à celle de Yukina. Il n’y avait aucune raison pour que Yukina, plus jeune, ait un complexe d’infériorité, mais cela ne signifiait pas qu’elle trouvait amusant d’être comparée de cette façon.

« Alors pourquoi l’as-tu pensé… ? »

Fixant Kojou avec des yeux de glace, Yukina dirigea l’extrémité du tuyau en caoutchouc vers lui. Kojou, son visage baignant dans l’eau du robinet sous pression, ne pouvait pas s’arrêter de tousser.

« Bwah ! A- Attends, Himeragi. La pression de l’eau dans ce tuyau est assez forte donc… gbaghb ! »

« Je crois que c’est un excellent moyen de se rafraîchir pour un vampire qui tient des propos aussi grossiers ! »

Les joues de Yukina étaient quelque peu gonflées alors qu’elle tirait la réplique d’un ton boudeur.

L’eau dans le nez de Kojou l’avait fait tousser férocement. Pourquoi fallait-il que ça se passe comme ça ? se lamentait-il intérieurement.

***

Partie 2

Je ne suis pas contrariée, insista Yukina, mais son humeur maussade persista pendant un certain temps après avoir trempé Kojou jusqu’à l’os. Malgré sa mauvaise humeur, Yukina l’aida à nettoyer la piscine jusqu’à la fin, ce qui était une bonne chose chez elle.

Grâce à cela, ils avaient réussi à terminer avant la fin de la journée scolaire, et Kojou était rentré chez lui.

Naturellement, elle était juste là, à ses côtés. D’abord, Yukina, l’observatrice de Kojou, vivait dans l’appartement voisin de la résidence Akatsuki. Aussi, ces derniers temps, Yukina rejoignait régulièrement Kojou et sa petite sœur, Nagisa Akatsuki, à leur domicile pour le dîner. Nagisa était sans doute à la maison en train de préparer le repas et attendait leur arrivée.

Traînant son corps, fatigué par ses travaux, Kojou était arrivé à son propre appartement avec Yukina.

Les rayons maléfiques du soleil couchant avaient diminué, mais rien ne laissait présager une baisse de la chaleur étouffante. La pièce qu’il visait promettait une atmosphère rafraîchissante et climatisée, ce qui avait permis à Kojou de garder le moral tout en avançant. Mais…

« Hein… !? »

Dès qu’il ouvrit la porte d’entrée, l’air qui en sortait était aussi étouffant que celui de l’extérieur. En fait, la cuisine et les appareils ménagers rendaient l’air encore plus chaud qu’à l’extérieur.

« C’est quoi cette chaleur… ? »

La voix de Kojou avait tremblé, ce qui était loin de l’air frais et agréable auquel il s’attendait. Et en entendant la voix de Kojou, Nagisa, qui était dans la cuisine, sortit sa tête dans le couloir.

« Bienvenue à la maison, Kojou ! Bienvenue à toi aussi, Yukina ! Vous êtes très en retard. Le souper est déjà terminé. »

« Euh… Nagisa ? »

Avec le bruit de pas audible de ses pantoufles, Nagisa était sortie dans le couloir pour saluer son frère et Yukina. Kojou, en la voyant, avait laissé tomber le cartable qu’il tenait dans sa main, hébété. Lorsqu’il regarda tardivement à côté de lui, il vit que les yeux de Yukina étaient aussi grands ouverts que les siens, sous le choc.

La seule chose que Nagisa portait était un tablier blanc sur lequel était cousue l’image d’un canard. On aurait dit qu’elle ne portait pas un seul vêtement à part ça. Ses épaules fines et ses cuisses pâles étaient entièrement exposées.

« Qu… Qu’est-ce que tu crois faire ? Quel genre de tenue est-ce que est-ce !? »

« Que veux-tu dire… ? C’est juste un tablier de maillot de bain. Tu vois ? »

En disant ces mots, Nagisa avait soulevé l’ourlet du tablier. Un maillot de bain blanc avec une quantité nominale de froufrous était apparu dans le champ de vision de Kojou. Certes, cela signifiait qu’elle n’était pas complètement nue, mais…

« Tu n’as pas besoin de me montrer ! Je te demande pourquoi tu te balades habillée comme ça ! »

« Eh bien, je veux dire, c’est encore chaud à cause du soleil couchant. »

« Et l’air conditionné ? Pourquoi n’est-elle pas allumée alors qu’il fait si chaud !? »

Kojou désignait le salon en gémissant. La pièce mal ventilée avait déjà dépassé depuis longtemps la température du corps humain, suffisamment chaude pour qu’il soit dangereux d’y passer du temps sans aucun rafraîchissement.

 

 

Les lèvres de Nagisa avaient fait une moue maussade.

« Eh bien, l’électricité est coupée. N’as-tu pas vu le prospectus en bas ? Il dit qu’ils changent le transformateur de l’immeuble. Les ascenseurs et les serrures automatiques semblent cependant fonctionner sur un circuit différent de celui des appareils domestiques. »

« L’électricité est coupée… !? »

Kojou avait été ébranlé par cette nouvelle inattendue. Maintenant, cela avait un sens, l’électricité était coupée, donc bien sûr la climatisation était hors service. La pénombre à l’intérieur de l’appartement était apparemment due à l’impossibilité d’allumer les lumières.

« Changer un transformateur… Pourquoi le faire à un moment comme celui-ci ? »

« Une sorte de panne. Il y a eu des éclairs très violents dans le quartier nord il y a quelque temps, non ? Notre immeuble est ancien, donc apparemment ça a fait pas mal de dégâts. »

« Argh… »

Sans le vouloir, Kojou avait rencontré le visage de Yukina avec une expression conflictuelle sur le sien. Il avait réalisé que les « éclairs très violents » dans le district nord était dû au Vassal Bestial que le Troisième Primogéniteur avait employé contre Kojou. En d’autres termes, Kojou était directement lié à la cause de la panne de courant.

Yukina, réalisant la profondeur de la situation, déplaça son regard vers son propre appartement.

« Une panne de courant… Alors, le climatiseur de ma chambre est aussi… ? »

Si toute l’électricité à l’intérieur des appartements était coupée, il n’y avait pas que la résidence Akatsuki qui ne pouvait pas utiliser l’air conditionné. Cela signifie que Yukina se retirant dans sa propre chambre ne résoudrait rien.

« Je suis presque sûre que c’est bientôt fini. Ils ont dit qu’ils auraient fini vers 22 heures… Puisque tu es là, pourquoi ne te changes-tu pas aussi, Yukina ? Je vais te prêter un maillot de bain. »

« C’est bon… Porter un maillot de bain ici serait un peu… »

Yukina s’était creusée les méninges et elle avait secoué la tête à l’invitation de Nagisa, faite avec un sourire innocent. Elle pouvait accepter qu’un tablier de maillot de bain soit un moyen logique de faire face à la chaleur, mais l’embarras l’emportait apparemment à la fin.

Malgré cela, Nagisa avait insisté sur son cas.

« Mais cet uniforme doit être vraiment sexy, non ? Et ça rendrait Kojou heureux, non ? »

« Ça n’arrivera pas. Va te changer, toi aussi. Tu as des vêtements plus décents que ça, n’est-ce pas ? »

Kojou, qui risquait d’être catalogué comme fétichiste des maillots de bain, avait donné une petite tape sur le front de Nagisa avec un doigt. « Aïe », déclara Nagisa, rougissant en se couvrant le front et en regardant Kojou avec des yeux larmoyants.

« Quoi ? … Je pensais que puisqu’on n’allait pas se baigner cette année, je porterais au moins le maillot de bain que j’ai acheté. Kojou, tu es un gros menteur, tu as dit que tu m’emmènerais à la plage quand j’irais mieux ! »

« Ça ne veut pas dire que tu dois te balader dans la maison avec ! Je t’emmènerai bientôt à la plage, alors… ! »

« Bon sang… Tu n’as pas besoin de rougir autant. Toutes les collégiennes portent des trucs comme ça de nos jours. »

Après avoir dit ça, Nagisa s’était mise à tournoyer sur place. Du point de vue de Nagisa, elle espérait sans doute perturber Kojou et lui faire perdre la tête, mais…

« Je ne rougis pas. Pourquoi est-ce que je dois rougir en voyant une collégienne en maillot de bain ? »

Kojou l’avait dit d’un ton qui criait « Peu importe » du fond de son cœur. C’était Nagisa, avec une silhouette jeune même pour son âge, portant un bikini à jabot avec un sex-appeal minimal, rien qui ne ferait rougir Kojou.

Nagisa semblait un peu abattue par la réponse inattendue de Kojou.

« Tch… Oh, c’est déjà bien. Quoi qu’il en soit, viens dîner avec nous, Yukina ! »

« Je te l’ai dit, change-toi d’abord ! Bon sang… »

Kojou soupira en regardant Nagisa retourner à la cuisine, toujours dans son tablier de maillot de bain. L’instant d’après, il sentit une aura sombre et refoulée derrière lui, ce qui le poussa à regarder par-dessus son épaule.

Pour une raison inconnue, Yukina, toujours debout à la porte d’entrée, avait une lueur maléfique dans les yeux alors qu’elle continuait à murmurer quelque chose pour elle-même :

« … Alors ça ne te plaît pas… Une collégienne en maillot de bain n’est pas… assez bien pour toi ? »

« Uhhh, Himeragi ? Quelque chose ne va pas ? »

« Non, rien du tout. Je ne suis pas contrariée. »

Yukina avait répondu à la question timide de Kojou avec une voix professionnelle qui avait fait oublier la chaleur à son corps.

« O-okay… Bien, c’est bon. »

« Oui. »

Elle avait certainement l’air bouleversée, mais Kojou, sentant instinctivement qu’il était dangereux de poursuivre, fit semblant de ne pas la remarquer. Il quitta le couloir, faiblement éclairé par la coupure de courant, et se dirigea vers le salon encore étouffant.

Comme l’avait dit Nagisa, le dîner était déjà préparé pour eux. Au-dessus de la table à manger se trouvaient une bougie pour éclairer les urgences et une grande quantité de plats servis dans des assiettes.

« C’est un souper assez élaboré… Euh, n’est-ce pas un peu trop ? »

« Je me suis dit que j’allais utiliser tout ce qu’il y avait dans le frigo avant que ça ne fonde ou ne se gâte. Il y avait plein de viande, de poisson et de légumes, non ? En plus, le curry et le steak hamburger que j’ai cuisiné la semaine dernière et les onigiri pour les snacks de fin de soirée. »

Nagisa avait répondu rapidement à la question de Kojou, qui n’en revenait pas.

« … Alors tu les as mis ensemble d’une manière bizarre… D’ailleurs, on a l’impression que le plat principal à lui seul suffit pour trois nuits. »

« Il n’y a aucune garantie que nous puissions le garder, alors mangez tout ce que vous pouvez, d’accord ? Aussi, désolé, j’ai mangé toute ta précieuse crème glacée, Kojou. Je n’ai pas pu m’en empêcher. C’était aussi délicieux. »

« Naaaannnn... Je ne peux même pas manger de la glace avec cette chaleur de merde… !? »

Ayant subi de lourds dommages à sa psyché à cause de ce coup soudain, Kojou s’était lavé les mains et avait pris un siège. Il avait devant les yeux une telle quantité de nourriture, il ne savait vraiment pas par où commencer. Alors que Yukina s’était assise à côté de Kojou, une expression lui était venue qui la rendait tout aussi désemparée.

L’instant d’après, ils avaient entendu un torrent de coups provenant de la porte d’entrée de la résidence Akatsuki. Le son soudain, qui résonnait dans l’obscurité, avait figé le visage de toutes les personnes présentes.

« Quoi… ? Quelqu’un à la porte ? »

Kojou, réalisant la vérité derrière les coups forts, expira de soulagement. Apparemment, c’était simplement quelqu’un qui visitait la maison de Kojou et Nagisa en frappant à la porte.

***

Partie 3

« Ah, oui… L’interphone ne fonctionne pas non plus. Bonjour ? Qui est là ? »

Nagisa, elle aussi, semblait soulagée, libérée de sa raideur alors qu’elle appelait et se dirigeait vers la porte d’entrée. Alors :

« Nagisa, attends ! Vas-tu sortir comme ça !? »

« Aah !? C-C’est vrai… Kojou, s’il te plaît ! »

Nagisa s’était de nouveau arrêtée de bouger lorsqu’elle avait réalisé qu’elle portait toujours la tenue du tablier de maillot de bain. Poussant sa petite sœur vers sa propre chambre, Kojou insista : « Va te changer, maintenant » et il se dirigea vers la porte d’entrée.

Pendant ce temps, les coups avaient continué sans pause. Kojou se sentait un peu agacé par les échos bruyants.

« Oui, oui, j’arrive… Bon sang, vous dérangez les voisins ! » cria Kojou en ouvrant la porte avec force.

Alors qu’il le faisait, un visage très familier était apparu. Il s’agissait d’un adolescent aux cheveux courts, graissés et peignés en arrière, avec des écouteurs accrochés autour du cou. Ses lèvres étaient tordues en un sourire sarcastique tandis qu’il riait d’un plaisir visible.

« Heya, Kojou. Qu’est-ce qui ne va pas avec l’interphone ? Une coupure de courant ? »

« Yaze ? Que fais-tu ici à un moment pareil ? »

Kojou lança un regard méfiant à l’arrivée soudaine de l’ami qu’il connaissait depuis le collège.

Il s’était séparé de Motoki Yaze en classe juste quelques heures avant. En plus de cela, l’homme avait allègrement ignoré la demande de Kojou pour l’aider à nettoyer la piscine, et avait rapidement pris la fuite. Kojou pensait qu’il avait du cran de se montrer, sans parler de faire tout le chemin jusqu’à chez lui pour le faire.

Cependant, le comportement amical de Yaze proclamait haut et fort qu’il avait commodément oublié tout cela alors qu’il passait la porte d’entrée et se laissait entrer.

« Ouais, désolé de m’imposer tout d’un coup, mais… Er, whoa, c’est chaud. Qu’est-ce qui se passe ? »

« Il n’y a plus d’électricité, donc pas de climatiseur » répondit Kojou avec une expression douloureuse.

À proprement parler, il ne devait pas à Yaze ce genre d’explication amicale, mais il ne voulait vraiment pas que le type pense que le jus avait été coupé parce qu’ils n’avaient pas payé leur facture d’électricité. Il ne pouvait pas s’attendre à ce que le gars trouve ça si drôle qu’il en parlerait à toute l’école.

Yaze avait dû s’en douter dès le départ, car il hocha la tête sans manifester de surprise particulière.

« Hein… Je vois. Alors, Kojou… ne me dit pas que tu as profité de la chaleur pour faire porter à Nagisa un tablier de maillot de bain ou autre ? »

« Hé, je ne l’ai pas fait faire ça ! »

Kojou avait involontairement lâché les mots alors que l’hypothèse de Yaze touchait dans le mile. Même Yaze avait cligné des yeux pendant un moment.

« … Eh ? Qu’est-ce que tu veux dire… ? Attends, tu es sérieux ? Wôw… »

D’une voix tout à fait sérieuse, Yaze avait ajouté : « Je m’en vais. »

La vive contrariété de Kojou avait rendu sa voix plus rauque. « Oh, tais-toi ! De toute façon, pourquoi es-tu venu ici !? »

« Oh, c’est vrai. Alors au lieu de rester à discuter ici, pourquoi n’entrerais-je pas ? »

« Ne demande pas quand tu es déjà rentré. »

Kojou avait regardé fixement le dos de Yaze alors qu’il entrait impoliment dans l’appartement.

Quand ils étaient arrivés au salon, Nagisa avait fini de se changer et sortait de sa chambre. Elle était en tenue simple, portant un T-shirt et un pantalon court, mais c’était sûrement une grande amélioration par rapport à un tablier de maillot de bain.

« Ah… ? Yaze ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Bonsoir, Yaze. »

« Yo, Nagisa. Himeragi est là aussi, hein ? C’est bien, ça me fait gagner du temps. »

Yaze s’adressa aux deux élèves de première année qui le saluaient d’une voix joviale.

« Qu’est-ce que tu veux dire, par gagner du temps ? » Kojou avait interrogé son camarade de classe, visiblement sur ses gardes.

À en juger par la façon de parler de Yaze, il semblait avoir quelque chose à leur dire à tous, mais Kojou se demandait ce qui était si important que des appels téléphoniques ou des messages ne suffiraient pas. Il était deux fois plus suspicieux, considérant que c’était quelque chose impliquant Nagisa et Yukina.

Mais Yaze s’était retourné vers le Kojou et avait ri, l’air très fier de lui.

« Hé, Kojou. Je sais que c’est soudain, mais voudrais-tu rester dans un centre de villégiature ? »

« … Un centre de villégiature ? »

« Ouais. Ce truc d’Élysium bleu. »

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Nagisa avait poussé un cri avant même que Kojou ne puisse réagir. Elle s’était précipitée sous les yeux de Yaze et avait répondu de sa manière rapide caractéristique.

« É-Élysium bleu, tu veux dire cet Élysium bleu ? Le paradis bleu ? Avec un parc d’attractions et un hôtel et le parc de la bête démoniaque et neuf types de piscines — cet Ély bleu ? »

« Yep. Cet Ély bleu. »

Même si elle était à moitié dépassée par la vigueur de Nagisa, Yaze avait souri avec audace et avait hoché la tête.

« L’ouverture officielle ne se fera pas avant l’année prochaine, mais vous avez entendu dire qu’ils organisent une ouverture d’essai sur invitation seulement ce mois-ci, non ? C’est comme une répétition pour former le personnel et faire de la publicité. »

Le visage de Kojou se renfrogna inconsciemment alors qu’il poursuivait, « … Et tu dis que nous sommes invités ? »

L’invitation était trop belle pour être vraie, et sa méfiance l’emportait sur sa joie. Tout d’abord, un laissez-passer pour l’entrée à l’Élysium bleu sur invitation seulement signifiait qu’il y aurait très peu de personnes présentes, un tel billet VIP valant des dizaines de milliers de yens pour un revendeur.

Cependant, Yaze avait rétréci ses yeux et s’était moqué de lui, il semblait amusé par la réaction de Kojou.

« Le pass d’entrée est pour trois jours et deux nuits d’hébergement, zéro frais. Une offre plutôt intéressante, non ? »

« Ça semble plus louche qu’attrayant. Il y a un piège dans tout ça, n’est-ce pas ? »

« Non, non, non… En fait, ma famille est impliquée financièrement dans un certain nombre d’installations de l’Élysium bleu. Bref, il y a eu une erreur de réservation et il leur manque quelques personnes tout à coup. Vous avez de la chance, hein ? »

« … Peut-être bien. »

Kojou avait hoché la tête à contrecœur. Même s’il y avait eu une réservation complète, une erreur avait laissé des créneaux libres. Cela semblait être un problème assez commun.

« Les installations seraient alors sous-utilisées, ce qui causerait d’autres problèmes, et nous ne pouvons pas laisser l’espace vacant. Cela rendrait les investisseurs nerveux, et ce serait une question de responsabilité pour le département des réservations. »

« Tu veux donc que nous restions là-bas à la place ? »

« Eh bien, pour faire simple, oui. »

Derrière son ton désinvolte, Yaze parlait avec un air complètement sérieux. Enfin, Kojou avait compris pourquoi Yaze était venu jusqu’ici pour lui rendre visite.

Le nom de la famille Yaze était synonyme d’un conglomérat de premier plan exerçant une influence non négligeable sur l’économie du Sanctuaire des Démons. Il ne serait pas vraiment surprenant qu’ils soient financièrement investis dans la construction de l’Élysium bleu, un tout nouveau flotteur. Quelqu’un de la famille de Yaze lui avait probablement demandé de remplir les postes vacants. Peut-être était-il préférable pour le prestige de l’Élysium bleu que les gens restent gratuitement plutôt que de laisser des chambres vacantes.

À ce moment-là, Nagisa, sans doute ignorant des circonstances, avait levé une main avec force et avait sauté de haut en bas.

« Oui, oui ! Je veux y aller ! Je veux, je veux ! Hé, Kojou, allons-y. C’est le même Ély bleu que tout le monde parle. Qui sait combien de dizaines de milliers de yens ça coûterait normalement ? »

« … Es-tu aussi d’accord avec ça, Himeragi ? »

Mettant de côté sa petite sœur excitée, Kojou avait demandé à Yukina d’une petite voix. Elle était techniquement en service, donc il pensait que Yukina pourrait refuser la chance d’aller s’amuser dans une station. Mais Yukina avait hoché la tête sans la moindre hésitation.

« Oui, j’irai partout où tu iras, Senpai. Je suis ton observatrice, après tout. »

Yaze avait réfléchi à la déclaration de Yukina, qui pouvait être interprétée de différentes manières.

« Observatrice ? »

Yukina avait haleté, son visage s’était raidi.

« … N -non, je suis… juste très heureuse de le voir, lui et sa sœur ! Je suis reconnaissante ! »

« Je vois, reconnaissante. La gratitude est très importante. N’est-ce pas, Kojou ? »

« Oui, oui. Merci pour l’invitation. »

Kojou avait joyeusement exprimé sa gratitude face à la condescendance de son ami. Ça sentait toujours le poisson, mais l’invitation gratuite de Yaze semblait correcte, et la plus grande station balnéaire était très attrayante. De plus, Nagisa venait juste de se plaindre que Kojou ne l’avait pas emmenée à la plage. S’ils allaient à l’Élysium bleu à la place, même elle ne pourrait pas se plaindre.

« Un marché est un marché, alors. D’accord, je vous donne les tickets et les brochures. Le reste est à votre charge. »

Ces mots prononcés, Yaze avait jeté sur la table une enveloppe contenant des billets pour trois personnes. Puis, il avait prononcé de brèves paroles d’adieu et était sorti de l’appartement à un rythme rapide.

« Er… hey, Yaze ! »

« Désolé, j’ai encore une petite course à faire. À plus tard ! »

« … Qu’est-ce qu’il a ? »

Kojou avait regardé distraitement Yaze partir en vitesse. Il n’avait absolument aucune idée de ce que le gars pouvait penser.

Nagisa avait regardé la nourriture sur la table et avait soupiré avec un regret visible.

« Ça aurait été bien si Yaze avait aussi dîné ici… Peut-être que je devrais le rappeler ? »

La grande quantité de cuisine intacte restante était suffisante pour ajouter un invité de plus avec un peu de place à disposition.

« En parlant de ça, je ne lui ai jamais demandé pour quand était le billet… Quand devons-nous aller à l’Élysium bleu ? »

Kojou, réalisant qu’il avait laissé une information cruciale lui échapper, avait pris son téléphone portable. Il s’était dit qu’il allait confirmer la date auprès de Yaze, et ensuite essayer de le forcer à manger un repas avec eux pour faire bonne mesure.

Mais Yukina, vérifiant le contenu de l’enveloppe, rapporte avec une certaine perplexité : « Senpai, la date sur ce ticket est… Samedi de cette semaine… »

Kojou lui avait pris le ticket et avait vérifié par lui-même à la lumière vacillante des bougies.

« Ce samedi… ? »

Il l’avait comparé au calendrier affiché sur l’écran de son téléphone portable.

Yukina et Nagisa s’étaient tues alors qu’un silence momentané s’était installé. Toutes les personnes présentes comprenaient maintenant pourquoi Yaze avait fait des pieds et des mains pour s’imposer dans la maison de Kojou, et pourquoi il était parti sans perdre un instant.

La date d’invitation imprimée sur le billet pour l’Élysium bleu était — .

« Attendez, c’est demain ! »

La voix secouée de Kojou avait résonné dans la pièce privée d’électricité et faiblement éclairée.

Ainsi commença une nuit de préparatifs précipités pour leur départ matinal vers la station balnéaire.

***

Partie 4

Asagi Aiba s’était retournée au sommet d’un bon lit à ressorts dans une chambre climatisée et agréablement fraîche.

C’était une lycéenne au visage indiscutablement fin et à la coiffure extravagante. Même le T-shirt étrangement peu sophistiqué qu’elle portait dans sa propre chambre semblait plus féminin du simple fait qu’elle était la seule à le porter.

Sa chambre était très féminine, remplie de vêtements occidentaux, de magazines de mode, de cosmétiques et de quelques ours en peluche de choix. Seule une partie, au-dessus de son bureau d’étude, dégageait un air clairement incongru : un moniteur de qualité industrielle non raffiné et un cluster de PC à très haut débit. Pour une raison inconnue, une lycéenne avait un ordinateur de pointe dans sa chambre. C’était une vision surréaliste, en quelque sorte.

« … Hm, alors qu’est-ce que tu as fait comme planification ici… ? »

Asagi avait posé la question aigre dans son casque de chat vocal.

L’autre interlocuteur était Motoki Yaze. Son ton était sans réserve et amer, en partie parce qu’elle le connaissait depuis si longtemps, avant même qu’ils n’entrent à l’école primaire. Il serait ridicule de se retenir maintenant.

« Qu’est-ce que tu veux dire par “planification” ? »

Yaze avait répondu par une question, en essayant de paraître innocent. En un sens, c’était précisément la réponse qu’elle attendait.

Elle avait froidement reniflé.

« Tu n’as pas à jouer les idiots avec moi. Ce billet d’invitation à l’Ély bleu — être à court de personnel est juste une excuse pratique, n’est-ce pas ? Pour quel plan essaies-tu de nous amener là-bas ? »

« Tu fais sonner ça mal. Cette fois-ci, je fais quelque chose pour toi aussi. Je veux dire… le fait de rester avec Kojou dans une station ne pourrait-il pas être ta chance, en un sens ? »

Ce ne sont pas tes affaires, pensa Asagi avec un mouvement de sourcil. Elle s’en voulait surtout d’avoir été incapable d’envoyer balader Yaze alors qu’il essayait de l’énerver sérieusement.

« Ouais, ouais. Tu aimes vraiment taquiner les gens avec ce genre de choses, n’est-ce pas ? Et de toute façon, ça n’a aucun sens avec Nagisa et cette élève transférée avec lui ! »

« Non, non. C’est mieux d’avoir quelques obstacles pour ce genre de choses. »

Tais-toi. Asagi l’avait poignardé avec des aiguilles empoisonnées dans son propre esprit.

« D’abord, c’est totalement louche. Tu détestes traiter avec l’entreprise familiale, mais pour une fois, tu chantes leur chanson ? »

« J’ai légèrement changé d’avis. Il faut utiliser ce que l’on peut pour obtenir ce que l’on veut, non ? » répondit Yaze d’une voix légère, en riant.

Le chef de la famille Yaze, Akishige Yaze, était un grand ponte du monde de la finance. Et Yaze détestait son père avec passion. Sachant cela, Asagi ne pouvait s’empêcher de se méfier de l’attitude de Yaze.

« Hmm… Alors cette fois, te sers-tu de nous ? »

« Non, non, non, ça sonne mal. Appelle ça de l’assistance mutuelle. »

Yaze avait ri et avait paré la suggestion sarcastique d’Asagi. Asagi, jugeant qu’il n’y avait rien à gagner à insister davantage sur la question, soupira d’épuisement.

« Ouais, ouais, c’est bon. Je suis moi-même un peu intéressée par l’Ély bleu. »

« C’est génial. Eh bien, sur cette note — . »

Vérifiant que Yaze avait coupé la connexion, Asagi enleva son casque d’écoute. Elle leva lentement le haut de son corps et s’assit sur le lit, les jambes croisées.

Elle se tapa soudainement les joues des deux mains pour se retenir alors que ses lèvres se brisaient en un rictus spontané. Mais même cet effort n’avait pas suffi à empêcher la lueur de son visage.

Elle resterait avec Kojou dans une station balnéaire. Elle détestait prendre le train en marche de Yaze, mais c’était vraiment une grande opportunité pour elle. Une destination libératrice, des piscines et des maillots de bain, des attractions à sensations fortes — on pourrait dire que c’est une situation sans précédent pour réduire la distance avec ce type idiot, complexé par sa sœur, ancien athlète, qui ignore tout du cœur d’une femme. Yaze l’avait dit lui-même, tu dois utiliser tout ce qui est disponible pour obtenir ce que tu veux.

« Élysium Bleu, hein… Les attractions du parc d’attractions sont bien, mais ça se résume vraiment à la piscine. »

Asagi avait sauté de son lit et avait connecté son PC à son site de shopping préféré. Elle cherchait les derniers maillots de bain. Si le vendeur se trouvait dans la ville d’Itogami, elle pourrait se faire livrer dans la matinée si elle commandait immédiatement. Le mieux serait de faire livrer le colis à l’endroit où elle serait logée à l’Élysium bleu, juste pour être sûr.

« Eh bien, ce sont toutes des photos décentes, mais elles sont un peu simples. Je veux dire, c’est une piscine dans une station balnéaire, donc je devrais y aller avec un coup de pouce… Er, er, non, c’est juste… »

Asagi avait murmuré d’un ton très sérieux en fixant la rangée d’images de maillots de bain sur l’écran. Un maillot de bain pour la piscine, c’est comme l’armure que l’on porte sur le champ de bataille. Naturellement, Asagi avait des critères très stricts pour choisir un maillot de bain. Il devait être assez mignon pour plaire à un idiot comme Kojou, mais il devait aussi avoir assez de bon goût pour que les autres femmes ne la regardent pas de haut. C’était un équilibre difficile à trouver.

« Keh-keh... ! »

C’est à ce moment-là qu’Asagi, qui ruminait encore son choix, entendit un rire étrange dans son oreille. C’était la voix synthétique de l’avatar des superordinateurs qui dirigeaient l’île d’Itogami, l’IA de soutien qui était le partenaire de piratage d’Asagi — surnommé Mogwai.

Il ressemblait à une mascotte en peluche sur l’écran, mais son rire était étrangement humain.

« Tu es vraiment à fond dedans, mademoiselle. Et si je te donnais quelques conseils pour choisir ton maillot de bain ? »

« Oh, ferme-la, espèce d’IA perverse ! Je suis occupée. Si tu me déranges, je t’assomme avec une attaque DoS. »

Balayant d’un revers de main l’IA qui aimait les sarcasmes, Asagi continua à choisir son maillot de bain. Mogwai avait envahi le LAN résidentiel d’Asagi de sa propre initiative, apparemment juste pour taquiner Asagi, et déclara :

« D’après ton dernier passage sur la balance chez toi, voici ton poids actuel et ton indice de graisse corporelle, ma chère. Et d’après les données de la clinique de l’Académie Saikai concernant tes mesures physiques du printemps dernier, voici tes trois tailles actuelles. A partir de là, le maillot de bain qui convient le mieux à la petite demoiselle et qui est susceptible d’attirer le plus d’attention est — . »

« Gyaaaaa — ! Que fais-tu avec les informations privées de quelqu’un d’autre !? »

Le cri d’Asagi avait résonné dans le quartier résidentiel en pleine nuit.

Et ainsi, le rideau était tombé, le reste de la nuit avant ce voyage s’écoula lentement.

« — Eh bien, je pense que ça a bien marché, n’est-ce pas ? »

Après avoir terminé le chat vocal, Yaze avait prononcé ces mots avant de sortir son smartphone de sa poche. Il se tenait au sommet d’un centre commercial géant sur l’île ouest — le toit du Thetis Mall. C’est un endroit où l’on trouve certains des paysages nocturnes les plus agréables de l’île d’Itogami, ce qui en fait l’un des lieux de rendez-vous habituels de la ville. La plupart des gens autour de Yaze étaient des jeunes couples en rendez-vous — .

C’est pourquoi les deux individus ne s’étaient pas démarqués.

« Merci pour ton travail acharné, Motoki. Je t’ai confié un travail plutôt pénible, n’est-ce pas ? » La personne qui se tenait à côté de Yaze avait parlé d’une voix calme.

Elle portait un T-shirt ordinaire et une longue jupe démodée. C’était une fille à l’allure qui ne se distinguait pas, portant des lunettes et portant un livre épais. Son ton était poli, mais pas guindé. En effet, sa voix avait l’air taquine, presque comme un rire.

« Hé, ne sois pas bête. Il n’y a aucune chance que je refuse une demande de ta part. »

Yaze s’était mis à rire en croisant son regard de biais, ce qui était un manque flagrant de manières. La fille aux lunettes n’avait pas répondu. Tout ce qu’elle avait fait, c’était un sourire ironique et solitaire, comme si elle était indulgente envers un jeune frère méchant.

Yaze avait tordu ses lèvres, semblant mécontent de sa réaction.

« Cependant, ce n’est pas normal venant de toi. Mettons Kojou et Yukina de côté. Pourquoi impliques-tu même Asagi et Nagisa ? »

« Une simple assurance, pour limiter les dégâts au maximum si le pire se produit. »

La réponse de la jeune fille à lunettes était directe. Yaze haussa les sourcils, visiblement surpris par sa réponse inattendue. Elle agissait comme si elle pouvait prévoir tout ce qui allait se passer dans le futur, ce n’était donc pas des mots qu’il s’attendait à entendre de sa part.

« Une assurance, hein. En d’autres termes, il y a des risques que même toi ne peux pas contrôler ? »

« Nous jouons toutes les cartes que nous pouvons… Cependant, oui, cette situation pourrait être quelque peu gênante. »

Les mots de la jeune fille n’avaient rien d’urgent, mais cela rendait la situation d’autant plus grave. Apparemment, un endroit inconnu de Yaze était à l’origine d’un changement environnemental qui enveloppait le Sanctuaire des Démons — un changement que même une personne ayant sa position et ses capacités ne pouvait pas maîtriser.

« Ça ne te ressemble vraiment pas. C’est un discours bien timide de la part de quelqu’un qui peut se mesurer à un vampire Primogéniteur. »

Yaze avait parlé sur un ton qui semblait à moitié plaisanter, à moitié chercher à consoler. Mais la jeune fille souriait d’un air effacé et elle secoua la tête.

« Être l’un des trois saints de l’Organisation du Roi Lion peut sembler grandiose, mais cela ne signifie rien d’autre qu’être un rouage de l’organisation. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles je ne peux pas avoir mon propre chemin. Au bout du compte, je ne suis qu’une marchandise jetable. »

« Hiina… tu es… »

La révélation soudaine des véritables sentiments de la jeune fille avait surpris Yaze et l’avait secoué. Mais la fille avait fait taire Yaze en levant un seul doigt, comme pour dire que tu ne dois pas faire ça.

« Motoki Yaze, je suis ici en tant que Koyomi Shizuka. »

« Désolé. » Yaze lui jeta un regard en haussant les épaules après sa réprimande. Puis, un rire brisé l’avait soudainement envahi alors qu’il posait une question à la fille qui se faisait appeler Koyomi.

« Tu vas aussi à l’Ély bleu, n’est-ce pas ? Puis-je au moins espérer te voir en maillot de bain ? »

« Le combat sous-marin est hors de ma juridiction, tout comme toi, » répondit Koyomi sur le même ton décontracté, son expression inchangée par rapport à avant.

« Eh bien, tu n’es pas drôle. » Yaze esquissa un sourire devant sa réaction prévisible.

Peu de temps après, les joues de Koyomi avaient rougi sous ses lunettes alors qu’elle murmurait d’une voix fuyante, « Et je déteste les maillots de bain… Ils ne me vont pas du tout… »

« Quoi ? » déclara sèchement Yaze, mais le temps qu’il détourne son regard sans réfléchir, Koyomi n’était plus là. Elle avait disparu sans laisser de trace, presque comme si personne n’avait été là pour commencer.

Cependant, les derniers mots de la fille continuèrent de brûler dans l’esprit de Yaze, fort et clair.

« Bon sang… Une attaque surprise est si injuste… », gémit-il en se renfrognant. « Pas mignon du tout. »

C’est la première fois que la fille se comportait comme si elle avait son âge devant Yaze. Il devait vraiment y avoir quelque chose d’agité dans les environs du Sanctuaire des Démons.

***

Partie 5

Le sous-flotteur de l’Élysium Bleu avait été construit en pleine mer à environ dix-huit kilomètres de l’île d’Itogami proprement dite. C’était une petite île en forme d’éventail, ressemblant un peu à un ananas coupé en tranches. Un ferry privé la reliait à l’île d’Itogami, en vingt minutes environ dans chaque sens.

L’intérieur du bateau fraîchement mis en service était magnifique, et la vue depuis le pont était merveilleuse. Des bonbons et des boissons étaient fournis gratuitement. Cependant, Kojou n’avait pas le courage de profiter de ces commodités ce jour-là.

« Vas-tu bien, Senpai ? La couleur de ton visage est devenue plutôt… »

Ils étaient au port de l’Élysium Bleu, peu après leur arrivée. Kojou était accroupi sur la jetée tandis que Yukina continuait à lui frotter le dos d’un air inquiet.

Il était face au sol, le visage si pâle qu’il était complètement dépourvu de toute trace de sang. Dans un sens, cela semblait convenir à un vampire, mais ce n’était pas parce qu’il était assailli par l’envie de boire du sang. La cause de la mauvaise condition physique de Kojou était le mal de mer. Les secousses du ferry avaient eu raison de son oreille interne, il venait juste de vomir le contenu de son estomac. C’était un spectacle pathétique qui ne convenait pas au plus puissant vampire du monde.

« Je… J’y arrive… Si je me repose un peu, je vais récupérer… Je pense. »

Malgré lui, Kojou s’était montré courageux de toutes ses forces pour apaiser les inquiétudes de Yukina.

Le bon côté des choses, c’est qu’il restait encore un quart d’heure avant le rendez-vous avec Yaze. Il était arrivé à l’Élysium Bleu en premier pour s’enregistrer à l’hôtel et s’occuper de cette paperasse et d’autres choses ennuyeuses. Donc Kojou et les autres attendaient juste au port jusqu’à son retour.

Nagisa s’était accroupie à côté de Kojou, regardant le côté de son visage en disant : « Wôw, c’est une sorte de surprise. Kojou, je ne savais pas que tu étais sujet au mal de mer. »

Kojou se renfrogna en voyant le ton rapide de la fille, encore plus tendu que d’habitude.

« Je ne pense pas l’avoir été avant, mais j’ai eu un peu de mal sur un bateau. C’est peut-être pour ça. »

« … Vraiment ? »

« Oui. »

Les paroles vagues de Kojou dissimulaient le fait qu’il avait été poursuivi et qu’on lui avait tiré dessus par des patrouilleurs de la Garde de l’île, ce qu’il ne pouvait pas lui dire. Heureusement, Nagisa n’avait pas fait d’effort particulier pour poursuivre l’affaire.

« Hmm… Bref, veux-tu boire quelque chose ? Je viens d’aller acheter des boissons à la boutique. »

Tout en parlant, elle avait ouvert un sac rempli de bouteilles en plastique. Il semblerait qu’elle ait fait l’effort de les apporter lorsqu’elle avait vu Kojou en mauvaise forme physique.

Reconnaissant envers sa petite sœur consciencieuse, Kojou avait tendu la main vers le contenu du sac.

« Je suppose que oui. Des boissons gazeuses ? »

« Yep. Laquelle veux-tu ? Il y a le soda allemand aux pommes de terre et le cola au goût de jus de légumes. »

Bwah ! fit Kojou, s’étouffant involontairement. La simple pensée de ces goûts désagréables envahissant sa bouche le faisait vomir.

« Je vais mourir si je bois un truc aussi horrible dans mon état ! Et de toute façon, qui fait un cola qui a le goût de légumes !? Si tu veux boire ça, commence par prendre une boisson végétale ! »

Kojou avait pensé que c’était une objection plutôt raisonnable, mais les joues de Nagisa s’étaient gonflées sans la moindre réflexion.

« Eh bien, je ne suis pas contre les nouveaux produits inédits comme celui-ci. Ils vous donnent un sentiment d’aventure. »

« Beaucoup d’aventures se transforment en un autre défi téméraire, n’est-ce pas ? »

« Eh bien, Kojou, si tu ne veux pas le boire, Yukina devra devenir une victime à ta place. Es-tu d’accord avec ça ? »

« … Hein !? »

Yukina, soudainement entraînée dans la conversation, s’était figée en fixant la bouteille en plastique macabre dans la main de Nagisa. Il s’agissait d’une boisson gazeuse, mais elle conservait la couleur jaune typique d’une boisson végétale avec des bandes en forme de bacon d’une sorte d’ingrédient couleur lait flottant à l’intérieur. Elle admettait que c’était nouveau, mais cela ne ressemblait pas à une boisson qui serait acceptée par les masses, loin de là.

« Bon sang, même toi tu appelles ça être une victime… »

Kojou avait fait la petite pique à voix basse pour que les personnes concernées ne l’entendent pas en quittant discrètement les lieux. Yukina était restée figée à la question de Nagisa, « Alors lequel ? »

Désolé, s’était excusé Kojou dans son propre esprit.

Il était un peu plus de neuf heures du matin. Le parc d’attractions et les piscines n’avaient pas encore ouvert, mais les invités continuaient d’affluer à l’Élysium Bleu. C’était vraiment la dernière et la meilleure station.

Kojou s’était assis sur un banc à proximité, regardant les différentes personnes en attendant que la nausée s’achève. C’est alors qu’il sentit soudainement quelque chose d’agréablement frais être pressé contre son cou.

« Wôw ! » Il s’était exclamé avec surprise, regardant par-dessus son épaule pour voir Asagi, le regardant dans ses vêtements de ville. Elle pressait une feuille de gel blanc pour soulager les fièvres dans le cou de Kojou.

« Tiens, Kojou. Garde ça sur toi et tu te sentiras un peu mieux. »

« … Oh, c’est juste toi, Asagi ? Je suis en mauvais état, alors ne me fais pas peur comme ça ! »

« Eh bien, tu as été pathétique en ayant un peu de mal de mer. »

Même si ses mots étaient tranchants, elle déplia poliment le tissu et l’appliqua sur la nuque de Kojou. Cela transmettait une agréable fraîcheur au plus profond de son corps, atténuant la sensation de nausée difficile à supporter.

« Ohh, on dirait que ça a marché d’une certaine manière. »

« Chouette, non ? »

Voyant la réaction honnête de Kojou, Asagi avait fièrement relevé le menton. Puis, elle avait laissé échapper un petit sourire en gardant la pose.

« … Quoi ? », avait-il demandé.

« Je veux dire, rafraîchir le Quatrième Primogéniteur pour faire disparaître son mal de mer, n’est-ce pas complètement nul ? C’est pourquoi je ne peux toujours pas croire à cette histoire de vampire le plus puissant du monde. »

Asagi avait continué à rire avec un plaisir visible alors qu’elle appliquait une deuxième feuille sur le front de Kojou. Maintenant qu’elle le mentionnait, ce n’était que très récemment qu’elle avait appris que Kojou était devenu un vampire. Normalement, une telle chose devrait effrayer quelqu’un, mais le comportement d’Asagi envers lui depuis qu’il avait été exposé comme vampire n’avait pas changé. Au contraire, elle avait trouvé ça comme une source d’amusement, comme à ce moment précis. Ce n’est pas que Kojou n’était pas reconnaissant de la réaction d’Asagi, mais…

« Je n’ai pas cette condition parce que je le veux, bon sang ! Et juste pour le dire, ne parle pas de ça à Nagisa. »

« Ah bon… Nagisa a ce truc de démonophobie, hein… ? Mm-hmmm. »

Après avoir hoché la tête une fois avec un air très sérieux, les coins des lèvres d’Asagi s’étaient relevés pour former une lueur. Cette expression avait fait que Kojou avait ressenti un pincement au cœur.

« Qu… c’est quoi ce regard suffisant “j’ai quelque chose sur toi” ? »

« Je plaisante, je plaisante. En plus, j’ai plein de secrets que tu ne peux pas dire à Nagisa, à part le truc des vampires. Je veux dire, il y a eu cette fois dans la remise d’éducation physique en deuxième année de collège… »

« Hé, arrête ça ! Merde, tu m’as fait me souvenir de quelque chose dans mon passé que je voulais oublier ! »

Kojou s’était involontairement serré la tête et avait gémi d’angoisse. Apparemment, Asagi avait donné à son sombre secret du collège le même poids qu’être un vampire.

« Maintenant que j’y pense, Yaze n’a pas dit un mot sur ta venue, aussi… »

Kojou avait changé de sujet avant qu’Asagi ne déterre inutilement d’autres souvenirs.

« Eh bien, tu sais avec ces chiffres…, il était vraiment tard hier soir quand Motoki m’a invitée à l’improviste. À cause de ça, je n’ai pas eu assez de temps pour me préparer, et le maillot de bain que j’ai pour aujourd’hui n’est pas celui que j’aime vraiment. »

« Non, un truc comme ça, c’est pas grand-chose… »

Kojou avait facilement balayé le murmure grave d’Asagi. Ses joues avaient tressailli.

« Excuse-moi ! “Un truc comme ça”… ? “Pas grand-chose”… ? »

« Plus important encore, à quoi pense Yaze ? Ne te méfies-tu pas ? »

« … J’y pensais aussi. Il doit y avoir une sorte de piège. »

Asagi, qui semblait le savoir trop bien, avait tordu ses lèvres en approuvant la déclaration de Kojou.

Contrairement à son apparence frivole, Yaze était un bon ami qui faisait attention aux moindres détails. Le revers de la médaille était qu’il prêtait trop d’attention, ce qui l’amenait à élaborer des plans étranges.

Un exemple est la façon dont, lors de la compétition de jeu de balle, il avait forcé Kojou et Asagi à former une paire de doubles. Il ne lui en voulait sans doute pas, mais il s’en mêlait quand même. Kojou et Asagi se doutaient bien que le voyage à l’Élysium Bleu cachait un plan similaire derrière la scène. Et juste à ce moment-là…

« Euh… Yaze ? »

« Désolé, désolé. Je vous ai fait attendre, hein ? »

En entendant la voix de Yaze, Kojou et Asagi s’étaient retournés pour regarder. Il y avait un véhicule garé devant le port où Kojou et les autres étaient arrivés. C’était un petit chariot électrique, le genre que l’on voit souvent sur les terrains de golf. Un adolescent avec une chemise hawaïenne était assis sur le siège du conducteur, avec des écouteurs massifs qui pendaient de son cou.

« Euh, Yaze, peux-tu conduire !? As-tu le permis ? »

Nagisa s’était précipitée, surprise, et elle avait posé la question à Yaze, assis sur le siège du conducteur. Yaze avait arrêté le chariot en plein milieu de la route.

« Ély bleu est une propriété privée, donc je n’ai pas besoin de permis. De plus, cette chose se conduit toute seule. »

Yaze désigna le tableau de bord, où se trouvaient une carte simplifiée de l’intérieur de l’Élysium Bleu et un panneau tactile permettant de choisir des destinations du bout du doigt. Il y avait un monnayeur sur le côté de l’écran. Apparemment, le chariot électrique était conçu pour se déplacer lorsque vous y mettiez une pièce de cinq cents yens. C’était un étrange choc entre la haute et la basse technologie.

« Notre prochain arrêt est le quartier des hôtels japonais. Tout le monde, s’il vous plaît, montez dans le chariot. »

Se transformant soudainement en guide touristique, Yaze indiqua à Kojou et aux autres avec ses doigts. Qu’est-ce que c’est que cette façon de parler ? pensa Kojou alors que lui et les autres montaient à bord du chariot.

Yukina s’était arrêtée, réalisant à mi-chemin qu’il n’y avait pas assez de sièges. « Euh… ce véhicule peut accueillir quatre personnes ? »

En comptant Yaze, cela faisait un total de cinq occupants. Cependant, chacun des quatre sièges du chariot électrique était conçu pour une personne et possédait ses propres accoudoirs, donc il n’était pas possible de s’y entasser davantage.

« Ahh, c’est bon, c’est bon. Tu vois, il y a une place libre juste là ? »

Il avait désigné l’arrière des sièges arrière. Certes, il y avait là de l’espace pour transporter des bagages, à juste titre, c’était probablement là que l’on mettait les sacs de golf. En plus d’être si étroite qu’on pouvait à peine s’y asseoir, elle était inclinée à un angle raide pour faciliter la sortie des clubs de golf.

« La boîte à bagages… ? Qui pourrait bien s’y asseoir… ? »

Kojou avait laissé échapper un murmure hésitant en regardant l’arrière avec une anxiété évidente. À cet instant, les regards de toutes les personnes présentes étaient tombés sur Kojou comme un seul homme.

« Attendez, moi !? Attendez une minute, j’ai encore des séquelles du mal de mer… »

« Détends-toi, la vitesse ne sera pas suffisante pour te rendre malade. Allez, on y va. C’est parti ! »

« Atte… J’ai dit d’attendre ! »

Kojou, qui semblait être en danger imminent d’être laissé derrière, avait grimpé à la hâte dans la boîte à bagages. À cet instant, le chariot sur lequel Kojou et les autres se trouvaient avait soudainement été secoué et avait accéléré.

Certes, la vitesse n’était pas si rapide — beaucoup plus lente par rapport à une voiture normale, mais…

« Dwahh, ça tremble, ça tremble, je vais tomber, je vais tomber ! Arrête, Yaze ! Baisse au moins la vitesse ! »

La boîte de chargement en saillie du chariot tremblait dans tous les sens à la moindre imperfection de la surface de la route. Elle n’avait pas été construite pour que les gens s’assoient dessus, donc sa conception transmettait beaucoup de vibrations.

« S-Senpai… !? »

Remarquant que Kojou était ballotté, Yukina s’était retournée vers lui avec inquiétude. Cependant, Yaze se grattait la tête d’une manière insouciante.

« Je suppose que j’ai mal calculé. Désolé, Kojou. Une fois que cette chose commence à bouger, elle ne s’arrêtera pas avant d’avoir atteint le prochain arrêt, donc… »

« Eh !? »

Ce n’est pas de mon ressort, semblait dire Yaze en haussant les épaules. Pendant ce temps, le chariot automatique continuait à accélérer vigoureusement.

« Fais-le s’arrêtttttterrrrrrrr — ! »

Le cri amer de Kojou avait résonné dans l’air au-dessus de la station.

C’est ainsi que commença la matinée de leur séjour à l’Élysium bleu.

***

Partie 6

Le chariot qui partait du port avançait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre le long de l’extérieur en éventail de l’Élysium Bleu.

La première chose que l’on apercevait était le parc des bêtes démoniaques, mi-aquarium, mi-zoo. Il s’agissait d’un ensemble d’installations destinées à l’élevage et à la recherche de bêtes démoniaques, avec un total de 2 200 animaux de quelque 300 espèces, y compris des espèces menacées, provenant des quatre coins du monde. Beaucoup d’entre elles étaient ouvertes aux visites du grand public. En particulier, il s’enorgueillit du plus grand nombre de bêtes démoniaques aquatiques élevées dans le monde.

Vient ensuite le principal argument de vente de l’Élysium Bleu : son immense piscine côtière. Elle était suffisamment grande pour accueillir des compétitions internationales, elle était dotée de toboggans aquatiques de plus de 200 mètres de long et d’une disposition élaborée de nombreux types de bassins permettant à une personne de s’amuser en maillot de bain toute la journée.

Le parc d’attractions se trouvait à côté des piscines. Non seulement il comportait des attractions classiques comme une grande roue et des montagnes russes, mais il jouait également sur la nature particulière d’un Sanctuaire des Démons pour avoir une maison hantée véritablement hantée, et pour couronner le tout, des manèges à sensations si incroyables que les non-démons n’étaient pas assurés de revenir vivants.

Puis, après avoir passé un centre commercial avec des restaurants et une file de stands devant, Kojou et les autres atteignirent la zone hôtelière où leur séjour était prévu. Au centre du gigantesque Hôtel Élysian, que beaucoup appelleraient le symbole de l’Élysium bleu, se trouvaient de nombreuses demeures de villégiature et des villas à louer placées le long des canaux.

C’était devant l’une d’entre elles que le chariot électrique s’était arrêté — plus précisément, une maison blanche à deux étages.

Yaze, assis à la place du conducteur, descendit du chariot et s’étira tranquillement. « Eh bien, au moins nous sommes tous arrivés ici sains et saufs. »

« Est-ce que ça… te semble sain et sauf… ? »

La réponse était venue de Kojou toujours accroupi dans la boîte à bagages, et parlant avec ressentiment. Il avait fallu environ quinze minutes pour aller du port au chalet. La condition physique de Kojou était extrêmement mauvaise, ses organes internes ayant été continuellement secoués pendant ce temps. Son estomac, déjà considérablement affaibli par le mal de mer, clamait de toutes ses forces son mauvais état.

Cependant, Yaze avait négligé l’angoisse de Kojou.

« Grâce à cela, nous avons pu constater que les chariots électriques ont encore des progrès à faire en matière de sécurité. Il faudra que j’envoie un rapport à l’administration. »

« … Pourquoi es-tu un petit... »

Dès que mon corps récupère un peu, je donne une claque à ce type, Kojou avait décidé ça.

Pendant ce temps, Nagisa était descendue du chariot avec ses bagages et s’était dirigée vers le chalet de style méditerranéen.

« Hé, Yaze. Est-ce vraiment bien qu’on reste ici pour quelques jours !? »

« C’est un vrai travail, n’est-ce pas ? »

Yaze avait souri fièrement tandis que Nagisa le regardait en émettant un son d’étonnement.

En fait, l’intérieur du chalet flambant neuf était bien plus somptueux que ce à quoi Nagisa s’attendait, ce qui lui fit ouvrir la bouche. L’intérieur était immense, le mobilier, ample. Même le réfrigérateur était rempli de boissons fraîches.

« Il devrait y avoir des lits en trop, alors allez-y et répartissez-les comme vous voulez. »

« Yaaay ! Wôw, le deuxième étage est aussi énorme ! C’est magnifique ! L’air conditionné fonctionne, la cuisine est étincelante de propreté, le canapé est si doux, et il y a même un sauna dans la salle de bain ! »

Nagisa s’activa à courir de pièce en pièce comme un chiot excité. En revanche, Kojou, resté seul à l’extérieur, était figé devant l’entrée, la maison trop extravagante le submergeant.

« Sérieusement, Motoki, à quoi penses-tu ? » Asagi insista.

« Eh, qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Ne joue pas les idiots avec moi ! Ce n’est pas parce qu’il y a une erreur de réservation que tu peux utiliser un endroit aussi beau qu’ici gratuitement, bon sang ! »

Asagi représentait le point de vue de chacun dans cette affaire.

Loin du continent japonais, les prix étaient plus élevés pour tout sur l’île d’Itogami. C’était d’autant plus vrai pour les pièges à touristes comme l’Élysium Bleu — une station populaire avec une avalanche de réservations à l’avance. Même une période d’essai précédant l’ouverture officielle ne pouvait justifier une utilisation aussi libérale des dépenses de fonctionnement.

« Mec, quel anxieux ! Je ne mens pas — tous les frais sont pris en charge. Les frais d’entrée et d’hébergement en tout cas. »

Les mains d’Asagi tenaient toujours Yaze par la poitrine alors qu’il levait les deux mains en signe de reddition. La façon dont il avait dansé autour des détails n’avait fait que rendre le regard d’Asagi plus grave encore.

C’est à ce moment-là qu’un nouveau chariot électrique avait franchi le portail de l’hôtel et s’était approché.

Ce chariot était différent de celui des invités que Kojou et les autres avaient monté. Il s’agissait plutôt d’un simple chariot blanc à usage professionnel.

Assise à la place du conducteur se trouvait une jeune femme portant une jupe moulante. Elle avait une vingtaine d’années, ou à peu près. D’après son maquillage et sa coiffure soignés, elle ressemblait à un traiteur. Elle donnait l’impression d’être une femme capable de gérer son propre restaurant familial ou une franchise de fast-food.

« Salut ! Désolée de vous avoir fait attendre comme ça ! »

La femme avait appelé Yaze d’un ton plus léger et plus féminin que ce à quoi Kojou s’attendait.

Pour une raison inconnue, Yaze avait redressé sa posture et avait baissé la tête pour faire une révérence formelle.

« Ah, chef. Merci. »

« … Chef ? Qui est-ce ? »

Quelle est leur relation ? s’était demandé Kojou en regardant de part et d’autre de Yaze et de la femme.

La femme était descendue de son chariot arrêté et avait regardé Kojou de la tête aux pieds.

« Ces enfants sont donc la cavalerie ? Oui, oui, l’apparence est médiocre, mais ça va être une grande aide. Nous aurons juste assez de personnes pour remplir les postes de la fin de la semaine. Soyez prêts pour l’après-midi aujourd’hui, s’il vous plaît. »

« … La cavalerie ? »

Kojou se sentait déconcerté, incapable de suivre le cours de la conversation. Asagi et les autres étaient tout aussi déconcertés. Yaze, le seul qui comprenait la situation, avait abandonné toute responsabilité d’expliquer, sifflant avec un regard innocent.

« Hé, Yaze. »

« Qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? Ne me dis pas que tu as l’intention de nous faire travailler !? »

Kojou et Asagi s’étaient pressés sur Yaze de gauche à droite, l’interrogeant à voix basse. Cependant, il n’avait pas l’air de s’excuser, en fait, l’expression qu’il affichait était un sourire méchant.

« Hm ? J’ai expliqué, n’est-ce pas ? Il y a eu une erreur de réservation, donc ils sont à court de personnel. »

« Par manque de personnel, veux-tu dire qu’ils n’ont pas assez de travailleurs !? »

Même si Kojou était indigné sur le coup, un coin de son esprit trouvait que c’était parfaitement logique. Maintenant qu’il y pense, bien sûr que c’était ça. L’Élysium Bleu était un énorme établissement touristique qui s’attendait à recevoir des centaines de milliers de clients par an. Une erreur de réservation avec des clients était insignifiante et n’aurait pas coûté cher à l’organisation. Ce n’était certainement pas une raison pour inviter Kojou et les autres à rester gratuitement.

Ce n’est pas de clients dont Yaze avait besoin, mais d’employés à temps partiel pour travailler dans l’établissement.

Cela dit, le manque d’employés avait dû être si soudain qu’ils n’avaient pas eu le temps de recruter des travailleurs à temps partiel par les méthodes normales. De plus, beaucoup d’informations sur l’ouverture de l’Élysium Bleu n’étaient pas destinées à être connues du public, ce qui signifie qu’on ne pouvait pas faire venir des gens pour y travailler à moins de pouvoir leur faire confiance à un certain degré. Ainsi, Yaze avait jeté son dévolu sur Kojou et les autres.

« Pourquoi n’as-tu pas mentionné quelque chose d’important comme ça au début !? »

« Si je t’avais demandé de travailler gratuitement, Kojou aurait pu le faire, mais toi, tu ne l’aurais pas fait, n’est-ce pas ? »

« Bon sang, je ne le ferais pas ! »

« Pourquoi est-ce normal que je travaille gratuitement maintenant !? »

Asagi et Kojou avaient tous deux objecté avec une vigueur féroce. Après s’être inquiétés pendant tout ce temps que Yaze préparait quelque chose, ils étaient furieux maintenant que la nature de son plan avait été révélée.

De son côté, Yukina, apparemment laissée pour compte, avait l’air tout à fait déplacée en fixant Yaze.

« Euh… Alors, que devrions-nous faire… ? »

« Ahh, toi et Nagisa pouvez aller vous amuser comme vous voulez. Ne vous inquiétez pas pour ces deux-là. » Yaze avait sorti un certain nombre de cartes d’identité avec un logo de l’Élysium bleu. « C’est la clé du chalet et un laissez-passer pour les attractions. Vous pouvez l’utiliser pour entrer gratuitement dans presque tous les endroits de de l’Ély bleu. »

« M-Mais… »

« C’est bon, pas besoin de s’inquiéter. De toute façon, faire travailler des collégiens est contraire à la loi. Considère ça comme un cadeau de Kojou, et détends-toi avec Nagisa, d’accord ? »

Yaze avait glissé une carte d’identité dans les mains d’une Yukina réticente. Quand il l’avait présenté de cette façon, Yukina n’avait aucune raison de refuser. Je suis désolée, disait son visage confus alors qu’elle s’efforçait de dire des mots de remerciement.

« Attends… si Himeragi et Nagisa s’en vont, ça veut dire qu’il n’y a que Kojou et moi qui travaillons ? »

Asagi, qui écoutait la conversation de Yaze avec Yukina, avait soudainement baissé le ton de sa voix en vérifiant. Mais bien sûr, avait dit Yaze, en envoyant un sourire riche en sous-entendus à Asagi.

« Je me suis dit que ça pouvait être assez triste seul, alors je leur ai demandé de s’assurer que vous travaillez au même endroit. »

« Hey, même lieu de travail ou pas, nous n’avons pas vraiment dit — . »

— que nous travaillerions là-bas, Kojou allait dire pour réfuter, mais Asagi l’avait coupé à mi-chemin.

« Alors, c’est bien. »

« Eh ? A- Asagi ? »

« Nous sommes arrivés jusqu’ici, alors se plaindre ne nous mènera pas très loin. Si tu insistes, je vais te donner un coup de main. »

« Ohh, quel cœur compatissant ! Je n’en attendais pas moins. »

Yaze avait tapé dans ses mains en faisant l’éloge d’Asagi. Tout ce que Kojou pouvait faire était de regarder, abasourdi, le changement soudain de son cœur.

Puis, elle avait doucement rétréci ses yeux et avait jeté un regard à Yaze.

« En échange , tu me payeras pour ce travail. Tu comprends, n’est-ce pas ? Je ne suis pas bon marché. »

« B… Bien… Je comprends tout à fait… »

Submergée par le regard d’Asagi, une sueur froide avait coulé sur Yaze qui avait hoché la tête.

La dame que Yaze avait appelée chef avait apparemment considéré que cela réglait la question. Kojou se tenant raide, elle l’avait appelé, sortant les bagages du chariot et les poussant sur lui.

« Voici vos T-shirts du personnel. Vous pouvez porter des maillots de bain en dessous. On n’a pas le temps, alors, changez-vous tout de suite, d’accord ? »

Kojou, toujours pas remis de toute cette confusion, fixait dans le silence la paire de T-shirts qu’on lui avait remis.

Le ciel au-dessus de l’Élysium Bleu était très clair, les forts rayons du soleil faisaient tomber des ombres épaisses.

« … Sérieusement ? Bon sang. »

Le frêle murmure de Kojou avait disparu, emporté par une brise côtière humide.

***

Chapitre 2 : Un vampire au travail

Partie 1

D’innombrables bêtes démoniaques nageaient dans un réservoir d’eau géant d’une superficie plusieurs fois supérieure à celle d’une piscine olympique.

Des poissons monstrueux originaires d’Asie du Sud, appelés makara, dormaient au fond de l’eau. Ils avaient un corps de grenouille et des ailes de poisson volant, ce qui en faisait probablement des « Water Leaper ». En outre, des bêtes démoniaques peu connues ressemblant à des pieuvres et des anguilles s’ébattaient dans le réservoir d’eau, en nombre trop important pour être compté.

C’était le réservoir d’eau géant du parc des bêtes démoniaques — la destination touristique la plus célèbre de l’Élysium Bleu.

« Wowww… »

Les yeux de Nagisa Akatsuki brillaient tandis qu’elle penchait sa petite silhouette au-dessus de la rambarde de la passerelle. Ses longs cheveux, attachés pour ressembler à une coupe courte, se balançaient d’avant en arrière à un rythme régulier.

« C’est vraiment énorme. C’est bien le plus grand aquarium de bêtes démoniaques du monde… Euh, est-ce un cheval ? Un cheval-poisson ? »

Cette déclaration, Nagisa l’avait faite en désignant une mystérieuse créature ayant le haut du corps d’un cheval et le bas du corps d’un poisson. Il avait une nageoire argentée à la place de la crinière, mouillée par l’eau, elle scintillait et étincelait. C’était une belle bête démoniaque qui avait l’air tout à fait divine.

« C’est un hippocampus, une espèce d’hippocampe originaire des côtes de l’empire de la mer du Nord. C’est la première fois que j’en vois un en chair et en os. »

Juste à côté de Nagisa, Yukina l’avait expliqué. En tant que Chamane Épéiste de l’ Organisation du Roi Lion, Yukina connaissait bien une grande variété de bêtes démoniaques, mais naturellement, même elle n’avait pas eu la chance de voir de si près des bêtes démoniaques marines rares en voie d’extinction. Bien qu’elle ait gardé la tête froide, elle n’avait pas pu cacher son excitation pour cette expérience extraordinaire.

« Ces yeux sont si mignons, hein… Je veux aussi essayer de le nourrir…, » murmura Nagisa d’un ton mélancolique.

Au bord du réservoir d’eau, des dresseurs de bêtes démoniaques en combinaison nourrissent les hippocampus. Ils leur apprenaient des trucs en prévision de l’ouverture de l’attraction l’année prochaine.

La rumeur voulait que le parc des bêtes démoniaques ait été construit dans le but d’utiliser les droits d’entrée des visiteurs pour couvrir les coûts énormes de l’élevage des bêtes démoniaques pour la recherche. Apparemment, le premier spectacle d’hippocampus au monde devait être leur joyau pour attirer les visiteurs, ce qui expliquait le zèle des dresseurs dans leurs instructions.

Comme les vampires et les hommes bêtes, les bêtes démoniaques étaient suffisamment intelligentes pour se mettre d’accord avec les êtres humains, mais contrairement aux démons dont les droits étaient garantis par le Traité de la Terre Sainte, leurs protections étaient en retard. Dans le monde, de nombreuses bêtes démoniaques étaient encore considérées comme des monstres dangereux, avec une chasse excessive et des incidents de massacre qui ne cessaient jamais.

De plus, la réalité était que de nombreuses bêtes démoniaques possédaient de grandes capacités de combat, et que les espèces susceptibles d’attaquer les gens étaient loin d’être rares. Si des installations telles que le Parc des bêtes démoniaques se développaient et que les recherches sur leur écologie progressaient, peut-être l’humanité pourrait-elle être en mesure de coexister pacifiquement avec elles, mais une voie vers l’égalité semblait impensable.

Alors que Yukina se laissait aller à de tels sentiments, Nagisa, juste à côté d’elle, laissait échapper des cris de joie tandis que l’hippocampus jonglait avec des ballons de plage comme des artistes de rue avec des sacs à haricots. Yukina regardait en silence.

« — Yukina ? Quelque chose ne va pas ? »

Nagisa, remarquant le regard apparemment dubitatif de Yukina, avait hoché la tête et l’avait inclinée pour répondre à sa question. Yukina avait souri et avait secoué la tête.

« Nan, je me demandais juste… n’as-tu pas peur de l’hippocampus ? »

« Aie, bon sang… ! Kojou, c’est ça ? Ça ne le regarde pas d’aller te dire ça ! »

Nagisa avait levé les deux mains en l’air comme pour afficher sa colère, en expirant fortement.

« … Ça ne le regarde pas ? »

« À propos de ma démonophobie. Tu as probablement entendu que j’ai été hospitalisée à cause d’un incident, non ? »

« Oui. » Yukina acquiesça docilement.

Nagisa Akatsuki avait été gravement blessée lors d’un incident terroriste impliquant des démons, et depuis, elle avait une peur extrême du contact avec les démons. En fait, c’est Asagi qui lui en avait parlé plutôt que Kojou, mais ça n’avait pas d’importance.

Plusieurs fois, Yukina avait été témoin de la panique de Nagisa face à des démons. Il était plutôt surprenant que Nagisa ait cru que sa démonophobie était restée secrète pendant tout ce temps.

« Je ne veux pas faire de discrimination, mais j’ai toujours un peu peur. Des vampires, des hommes bêtes et tout ça, » avait avoué Nagisa d’un ton désespéré. Cependant, en regardant le visage inquiet de Yukina, elle s’était immédiatement mise à sourire joyeusement.

« Mais les bêtes démoniaques ne me dérangent pas. La peur des hommes ne te fait pas craindre les chiots mâles, non ? J’aime les animaux. J’aime même les reptiles. Mais je ne suis pas douée avec les insectes. Alors s’il y a des araignées de mer ou autres, je pense que je vais passer mon tour. »

« Insecte… ? »

Yukina avait commencé à se demander si elle devait préciser que les araignées ne sont pas des insectes. Nagisa avait regardé le visage de Yukina avec un profond intérêt.

« Hé, hé, penses-tu encore à Kojou et à Asagi ? »

« Enfin… un peu. Je me sens mal pour elle et Senpai de n’avoir que nous pour nous amuser comme ça. » Un mince sourire douloureux était apparu chez Yukina.

Environ une heure auparavant, Kojou et Asagi étaient partis rapidement pour aller travailler à temps partiel en portant des chemises de l’Élysium Bleu. Yaze s’étant enfui, prétextant qu’il devait aider l’entreprise familiale, Yukina et Nagisa, laissées pour compte, n’avaient eu d’autre choix que de visiter le parc des bêtes démoniaques par elles-mêmes.

Et bien que tout cela soit amusant, Yukina se sentait assez coupable à ce sujet, en particulier de son point de vue en tant qu’observatrice de Kojou.

« Oh, tu veux dire que… ? »

Mais Nagisa avait l’air découragée en baissant la tête. Apparemment, la réaction de Yukina n’avait pas été celle qu’elle attendait.

« Ah ? »

« Eh bien, je veux dire, il n’y a rien que nous puissions faire pour aider avec le travail. Comme Yaze l’a dit, on est encore au collège… Et de toute façon, ce n’est même pas ce que je veux dire. Je veux dire, tu sais, Asagi. »

« Et pour Aiba ? »

Les yeux de Yukina avaient clignés alors qu’elle demandait. L’expression de Nagisa était devenue grave, apparemment à dessein.

« En d’autres termes, hum, de toute façon, Yukina, que penses-tu d’Asagi ? »

« Euh… C’est une très belle personne, elle est très courageuse, et elle est gentille. »

C’était les sentiments honnêtes de Yukina. Après tout, Asagi avait sauvé la vie de Yukina deux fois. La première fois, c’était quand elles avaient été enlevées par le Front de l’Empereur de la Mort Noire. La seconde fois, c’était pendant la bataille de Yukina contre Meiga Itogami.

Dans des circonstances qui auraient laissé une personne normale paralysée par la peur, Asagi avait conçu un programme pour détruire les Nalakuvera la première fois, et piraté les pods de sécurité d’une installation pour sauver Yukina la seconde fois. Une Chamane Épéiste de l’ Organisation du Roi Lion avait été sauvée par une lycéenne sans aucun entraînement au combat. Après cela, Yukina avait témoigné à Asagi autant de respect que de prudence.

Et puis…

« Yukina, je t’aime ! »

« … Hein !? »

Yukina avait été déconcertée par l’étreinte soudaine de Nagisa, n’ayant aucune idée de ce qui se passait. Nagisa semblait très excitée, en quelque sorte, car elle serrait fortement Yukina avec ses deux bras.

« Yukina, tu es incroyable. Je savais que tu ressentirais ça. Tu as compris. Oui, Asagi est intelligente, gentille, et vraiment cool. Je le dis à tout le monde, mais ils ne comprennent pas vraiment. »

« … Ils ne comprennent pas vraiment ? »

« C’est vrai. Personne ne loue Asagi pour autre chose que son apparence. Surtout les garçons de notre classe ! Du genre : “Elle a l’air si érotique”, “Je veux qu’elle m’apprenne tel ou tel mouvement”, “On dit qu’elle sort pour de l’argent”… Argh, les garçons ! »

Nagisa semblait de plus en plus agacée à mesure qu’elle se le remémorait, presque comme si elle était en colère pour son propre compte. Yukina, hors d’elle, avait regardé Nagisa pendant un moment, mais…

« Tu aimes vraiment Aiba, n’est-ce pas ? »

Le sourire agréable accompagnant la déclaration de Yukina avait fait rougir Nagisa qui avait hoché légèrement la tête.

Pour Nagisa, qui avait été hospitalisée pendant de longues périodes depuis son arrivée sur l’île d’Itogami, Asagi était une amie précieuse, proche d’elle par l’âge, l’une des rares personnes du monde extérieur avec laquelle elle était vraiment connectée. Même sans cela, il était naturel pour Nagisa d’admirer une personne aussi intelligente et belle qu’Asagi.

« Ce serait vraiment bien d’avoir Asagi comme grande sœur, hein… Si on met de côté le fait que c’est un gâchis pour elle de se mettre en couple avec Kojou, » murmura Nagisa sur un ton qui semblait trop sérieux pour être pris pour une blague.

Yukina avait failli dire « Je suppose que oui », mais elle avait préféré ne pas dire une chose aussi grossière sur le grand frère de son amie.

« Euh… hum, c’est…, » avait bégayé la Chamane Épéiste.

« Mais c’est pareil pour toi ! »

« … Vraiment ? »

Les pensées de Yukina s’étaient figées un instant lorsque la conversation s’était soudainement dirigée vers elle.

« Eh bien, j’aime vraiment Asagi, mais ma position est neutre, donc je t’encourage aussi, Yukina ! C’est pourquoi je voulais te demander tes sentiments honnêtes et tout ça. Mais peut-être que c’est mieux de ne pas demander. Wow, maintenant je suis inquiète… »

« Euh, je pense que tu comprends mal certaines choses ici. Vois-tu, je…, » en offrant une excuse sinueuse, Yukina avait commencé à protester contre Nagisa, qui se tenait la tête avec angoisse. Elle ne pouvait pas vraiment lui dire Non, je ne fais qu’observer ton grand frère.

Mais Nagisa n’avait pas prêté attention au conflit intérieur de Yukina.

« Bien que j’hésite un peu à t’appeler grande sœur, Yukina… Tu es un peu excentrique… »

« E-Excentrique… ? »

Yukina avait été quelque peu frappée par l’évaluation étonnamment pauvre de son amie. Elle ne s’attendait pas à ce que Nagisa, parmi tous les autres, la voit de cette façon. C’était un choc pour Yukina, qui était censée être une personne toujours fiable.

***

Partie 2

J’ai vraiment besoin de réfuter ça, avait pensé Yukina, en s’empressant d’ouvrir la bouche. Mais à l’instant suivant — .

Une violente secousse, comme si elle avait été provoquée par une bombe, s’était propagée de sous leurs pieds jusqu’au-dessus de leurs têtes, faisant bruyamment trembler le flotteur.

Ayant l’impression que son pied allait se dérober sous elle, Yukina s’était instantanément agrippée à la balustrade de la passerelle.

« C’est… !? »

« Qu’est-ce que… c’était à l’instant ? »

Quand Yukina avait regardé, elle avait vu Nagisa s’accrocher à un poteau comme Yukina le faisait.

Mais c’était le seul et unique changement.

La surface du flotteur ne tremblait pas. Il n’y avait pas non plus de vagues à la surface de l’eau. Les autres visiteurs du Parc des Bêtes démoniaques avaient continué leur visite avec le sourire.

Yukina et Nagisa étaient les seules à avoir remarqué que quelque chose n’allait pas. Elles seules, toutes deux puissantes médiums spirituelles, avaient détecté l’onde de choc invisible. Il s’agissait probablement d’une poussée d’énergie démoniaque — de plus, quelqu’un libérait une telle énergie démoniaque massive pour faire trembler l’ensemble de l’Élysium Bleu.

Ce n’est pas possible, pensa Yukina alors que Kojou lui venait immédiatement à l’esprit. Si l’un des Vassaux Bestiales du Quatrième Primogéniteur se déchaînait, comme cela s’était produit plusieurs fois auparavant, cela expliquerait une telle flambée d’énergie démoniaque à grande échelle.

Cependant, Yukina avait senti que l’énergie démoniaque avait clairement des caractéristiques différentes de celle de Kojou.

En outre, elle avait le sentiment que la source de l’énergie démoniaque ne se trouvait pas dans l’Élysium bleu lui-même. Elle semblait venir d’un endroit plus éloigné — loin du flotteur, au fond de la mer.

En d’autres termes, même à une telle distance, l’énergie démoniaque semblait être à la même échelle que celle d’un Vassal Bestial du Quatrième Primogéniteur. Si c’était le cas…

Est-ce que cela fait de l’être qui dégage cette poussée d’énergie démoniaque un monstre encore plus grand que le quatrième Primogéniteur… ?

Un frisson avait parcouru l’échine de Yukina quand elle était arrivée à cette possibilité.

Puis, les pensées de Yukina avaient été ramenées à la réalité par le cri effrayant de Nagisa.

« Yukina… les bêtes démoniaques sont… ! »

Tombant dans un état de terreur, les bêtes démoniaques perdirent la tête et se déchaînèrent sous les vagues. Le monstrueux poisson makara avait percuté le côté du réservoir d’eau, créant une fissure déconcertante dans le verre renforcé. L’hippocampus, proche de la surface de l’eau, se débattit, heurtant la hanche d’un dresseur et le faisant chuter.

Mais ce n’était pas leur intention d’attaquer, ils avaient simplement peur.

Les bêtes démoniaques, encore plus sensibles à l’énergie démoniaque que les médiums spirituels comme Yukina et Nagisa, avaient senti cette puissante vague d’énergie et s’empressaient de fuir la zone.

« Arrg… » Yukina se mordit mal à l’aise la lèvre.

Même en connaissant les circonstances, elle n’avait aucun moyen de maîtriser les bêtes démoniaques pour le moment. Yukina n’avait pas le Loup des Neiges sous la main, et de toute façon, il lui était impossible de maîtriser toutes les bêtes démoniaques à l’intérieur du réservoir à elle seule. De plus, elle était réticente à tuer des bêtes démoniaques juste parce qu’elles avaient peur.

Mais à un moment ou à un autre, le réservoir d’eau se briserait et l’intérieur de l’Élysium bleu subirait sans aucun doute d’immenses dégâts. Il est probable qu’il n’y ait pas que les bêtes démoniaques dans la zone d’alimentation marine, celles des zones ouvertes à la surface devaient également être en panique. Si elles se déchaînaient à l’extérieur du Parc des Bêtes démoniaques, même les visiteurs ordinaires seraient en danger.

Que dois-je faire ? pensa Yukina, frappée par le désespoir. Alors…

« — Calmes-toi. »

La voix calme qui était sortie des lèvres de Nagisa était obsédante. Simultanément, une vague massive d’énergie démoniaque semblait refroidir le corps de Yukina jusqu’à la moelle.

Submergées par l’immense énergie démoniaque, les bêtes démoniaques enragées se turent d’un seul coup. Prisonniers de la peur, plonger leur cœur dans le désespoir les rendait au contraire tranquilles.

La lumière qui remplissait les yeux de Nagisa était aussi calme et sans émotion qu’une plaque de glace. L’aura surnaturelle qui l’accompagnait était bien supérieure à celle d’un humain ordinaire. Quelqu’un doté d’une puissante énergie démoniaque possédait Nagisa. Quelqu’un dont la puissance rivalisait avec celle d’un Vassal Bestial du Quatrième Primogéniteur — .

« Vous êtes… ? »

Yukina avait désespérément maîtrisé son sentiment de crainte, fixant Nagisa pendant qu’elle posait la question. Cependant, juste sous les yeux de Yukina, toute la force du corps de Nagisa s’était évanouie, comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.

 

 

La possession avait soudainement été levée, apparemment par crainte de mettre trop de pression sur le corps de Nagisa.

« Quoi… !? »

Ayant perdu l’équilibre, Nagisa risquait de tomber, mais Yukina l’avait rattrapée au dernier moment. Nagisa secoua la tête, apparemment inconsciente de ce qui venait de lui arriver.

« Aie, aie, aie… Euh ? Le mignon hippocampus et tous les autres… ? »

« Ils ont… ? »

Yukina s’était tue, ne sachant pas trop ce qu’elle devait dire à Nagisa. À sa place, elles avaient toutes deux entendu une voix discrète venant de derrière, une voix qu’elles n’avaient pas reconnue. C’était une voix raffinée, mais qui semblait distante, froide, abrupte.

« Il semblerait qu’ils se soient déjà calmés. »

Yukina, qui n’avait pas senti de présence avant d’entendre la voix, avait regardé en arrière avec surprise.

La voix venait d’une jeune femme. Elle était assise seule sur un banc au bord de la passerelle.

La jeune fille était jolie, et ses longs cheveux noirs, portés à l’ancienne, lui allaient bien. Son uniforme avait un fond noir, il provenait d’une école privée réputée de la ville d’Itogami. Elle tenait un appareil photo reflex à objectif unique sur ses genoux soignés. Un cylindre noir, probablement un étui pour transporter un trépied, était appuyé contre le mur.

« — Ai-je tort ? »

Devant la surprise de Yukina, la jeune fille aux cheveux noirs inclina la tête. Même si elle avait sûrement vu les bêtes démoniaques en panique de près, elle semblait extrêmement détendue — au point que son calme n’était pas naturel.

« Non… vous avez raison. »

Yukina acquiesça, toujours désemparée. Bien qu’il ne soit pas facile de lire la fille devant ses yeux, elle ne sentait aucune intention hostile. Elle semblait simplement observer Yukina et Nagisa. Presque comme si elle observait un petit animal rare qui s’était égaré dans son jardin…

Apparemment amusée par la perplexité de Yukina, la jeune fille avait demandé : « C’était effrayant tout à l’heure, n’est-ce pas ? »

Yukina avait continué à tenir Nagisa en hochant vaguement la tête. « Euh, et vous êtes ? »

« Une photo. »

« … Hein ? »

« Puis-je… vous prendre en photo ? »

La fille aux cheveux noirs avait doucement tourné l’objectif de son appareil photo vers Yukina et Nagisa. Nerveuse face à la demande soudaine de la fille, Yukina avait mis une main sur ses yeux, presque comme une célébrité écartant les paparazzi.

« Non… ah, pour le moment c’est… un moment privé, vous voyez… »

« Est-ce ainsi ? C’est dommage. »

En entendant l’excuse ambiguë de Yukina, la fille aux cheveux noirs avait visiblement légèrement expiré. Elle s’était levée, ramassant le trépied au passage. Les coins de ses lèvres s’étaient relevés, comme pour dire Adieu.

« Nous nous retrouverons. Probablement, en tout cas. Si possible, je serais heureuse que ce soit amicalement ? »

Laissant ces derniers mots derrière elle, la fille aux cheveux noirs leur avait tourné le dos. Yukina s’était mordu la lèvre en entendant les mots de la fille, qui semblaient impliquer quelque chose.

Toujours soutenue par Yukina, Nagisa avait exprimé ses sentiments d’admiration. « Cette personne… elle est si jolie. Et plus vieille que nous, hein… ? »

Un sourire spontané et tendu se dessina sur Yukina devant l’attitude insouciante de son amie. Mais les mots suivants de Nagisa avaient coupé le souffle de Yukina, car elle-même avait inconsciemment réalisé la même chose…

« Elle est un peu… comme toi, Yukina. »

+++

Au coin d’une piscine géante, sous les rayons d’un soleil brûlant…

Un sourire radieux se dessinait sur Asagi Aiba, debout à la caisse d’un petit chariot de nourriture. Elle portait un T-shirt blanc qui ne se distinguait que par le logo boiteux qu’il portait. C’était un T-shirt du personnel de la franchise Radaman Pavillionz.

« Trois yakisoba et deux thés oolong, un cola et un soda au melon. Ça fait deux mille deux cent cinquante yens ! Kojou ! »

« D’accord, les trois yakisoba arrivent ! »

Avec un rythme pratiqué, Kojou avait accepté l’ordre d’Asagi. Kojou ne portait pas seulement le même T-shirt qu’elle, mais aussi une casquette de franchise. Il se tenait devant une grille grésillante.

« Dahh ! La plaque est si chaude… Je vais mourir ! Brûler jusqu’à être croustillant ! Me transformer en cendres ! »

Kojou n’avait cessé de se plaindre en vidant la graisse de la plaque de cuisson. La vapeur dégagée par la cuisson du porc avec os et des légumes avait fait grimper l’indice d’inconfort de l’étal.

D’abord, ils étaient venus dans une station pour s’amuser, alors pourquoi devait-il vendre des yakisoba depuis un chariot de nourriture au bord de la piscine ? Il était tout à fait naturel pour lui de vouloir évacuer ses frustrations.

« Ce n’était pas l’accord. N’était-ce pas censé être une station balnéaire amusante sur la plage !? »

« Oh, tais-toi. Tu n’es pas le seul à avoir chaud ici, alors ferme-la. »

Asagi s’était emportée contre Kojou, grognant à voix haute alors même qu’il emballait les yakisoba terminés dans un récipient. Comme pour souligner ses paroles, Asagi était également couverte de sueur. L’espace laissé par ses cheveux relevés pour faire face à la chaleur exposait son cou pâle, complètement trempé de sueur.

« Oui, mais il fait vraiment chaud, hein… Kojou, assure-toi de boire plus d’eau. Tu vas t’effondrer si tu es déshydraté. »

« D-D’accord… »

Kojou avait dégluti en acceptant la boisson dans une bouteille en plastique qu’Asagi lui avait offerte.

Il ne savait pas si elle s’en rendait compte, mais le T-shirt, trempé de sueur, lui collait fortement à la peau, rendant la silhouette d’Asagi assez visible. Pour une raison ou une autre, cela le tiraillait plus que si elle se baladait en maillot de bain. En outre, ses cuisses pâles qui dépassaient de l’ourlet de son T-shirt étaient difficiles à ignorer. Il en était d’autant plus conscient que l’exiguïté du chariot les plaçait dans une position très rapprochée par nécessité.

« Kojou… qu’est-ce qui ne va pas ? »

Asagi avait remarqué le comportement inhabituel de Kojou et avait rapproché son visage de façon suspecte. Il avait hâtivement détourné son regard.

« Ah, non, je pensais juste que ce look te va très bien. »

« Par ce look, veux-tu dire le T-shirt ? »

Asagi baissa les yeux sur sa chemise et expira profondément. Du point de vue d’une personne aussi soucieuse de la mode qu’Asagi, elle avait à de multiples niveaux sans doute des objections quant à ce logo stupide.

« Je n’ai pas l’impression que ce soit un compliment. Merci, cependant. »

Ce n’est pas l’aspect du T-shirt qui convenait à Kojou, mais le fait de la voir travailler au stand de nourriture. Les apparences mises à part, Asagi était une fille sérieuse au fond, quelqu’un qui travaillait dur dans tout ce qu’elle faisait. Bien qu’elle ait été embauchée comme débutante, elle s’était appuyée sur sa vivacité d’esprit et son excellente mémoire pour gérer facilement les clients, même ceux qui venaient en masse à l’heure du déjeuner. De plus, le fait que Kojou la connaissait depuis longtemps rendait le travail ensemble très facile.

***

Partie 3

Grâce à tout cela, Kojou et Asagi, des amateurs de rang, avaient si bien géré le stand de nourriture qu’ils ressemblaient à des vétérans chevronnés pour un œil non averti. Et comme pour souligner l’auto-évaluation de Kojou, la femme connue sous le nom de chef était de bonne humeur quand elle les avait appelés :

« Bon travail. Vous deux avez été incroyables. Pour être honnête, je ne pensais pas que vous seriez aussi utiles. Je dois vraiment remercier Moki pour ça. »

« Errr, Moki ? »

Kojou et Asagi étaient sur le point d’éclater de rire devant ce surnom mignon, qui ne convenait pas du tout à Yaze. D’une certaine manière, la chef était amie avec Yaze comme s’il était un frère pour elle, mais l’entendre l’appeler si facilement Moki lui donnait l’impression de l’aimer beaucoup. Nous devons suivre cette affaire, Asagi avait transmis à Kojou avec un regard significatif, Kojou avait acquiescé par un contact visuel et un hochement de tête.

La chef, ne connaissant pas les pensées de Kojou et d’Asagi, avait souri affectueusement.

« Vous n’êtes pas habitué à cela, vous devez donc être fatigué. Vous pouvez faire une pause, un à la fois. »

« Oui, merci beaucoup. Kojou, tu peux y aller en premier. »

« Désolé. C’est d’une grande aide. »

Kojou avait essuyé la sueur de son front en expirant avec soulagement. Sans surprise, il était à la limite de son endurance à force de rester debout derrière la grille stupidement chaude.

« Oh, oui. Je retourne au bureau, alors pourriez-vous faire une livraison pour moi ? Apportez-le à la station de surveillance. »

« Bien sûr. »

Kojou avait accepté sans hésiter la demande de la chef, déjà d’humeur joyeuse depuis qu’il avait pu souffler un peu. Elle lui tendit un plateau avec une douzaine de grandes boissons. C’était assez lourd à porter pour une seule personne.

« La salle de contrôle… Hein, là ? Le centre des sauveteurs… Attends, c’est vraiment loin ! »

Depuis le stand de Radaman, il pouvait voir le bâtiment où il devait livrer juste de l’autre côté des bassins. Il était bien éloigné, près d’un kilomètre à pied. Il semblait être à la fois une station de surveillance, une clinique et un centre d’objets perdus.

« Merde… Elle m’a piégé. La chef a dit qu’elle me donnait une pause, mais elle la voulait pour elle-même… ! »

En lâchant ces mots comme s’il s’agissait d’une malédiction, Kojou grommela et se dirigea vers le centre des sauveteurs. Maintenant qu’il y pense, Asagi pourrait l’avoir laissé partir en pause en premier parce qu’elle avait flairé les intentions de la chef.

Même s’il s’agissait d’une ouverture à titre d’essai, la zone de la piscine était toujours bondée. Contrairement à Kojou, qui marchait sur du béton grésillant, les personnes excitées dans l’eau semblaient très à l’aise.

Une bonne dose de jalousie et d’envie faisait peser davantage le lourd plateau dans ses bras. Se frayant un chemin à travers le labyrinthe de piscines, Kojou avait été mort de fatigue lorsqu’il arriva enfin à sa destination.

« Yo… centre de sauvetage ! Je suis venu avec vos boissons ! »

Kojou avait appelé le centre de sauvetage avec la voix forte et sans retenue qu’il avait affinée lors de compétitions sportives.

« Ohh, juste là. J’attendais ça. »

Un maître-nageur, la peau brûlée par le soleil, sortit la tête du poste de surveillance. Physiquement, il était en superbe état. Sa poitrine musclée faisait gonfler son T-shirt au point de le déchirer.

« … Hm ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

Le corps de Kojou était devenu rigide après avoir été minutieusement examiné. Monsieur le sauveteur était resté silencieux pendant qu’il faisait le tour du flanc de Kojou.

« Quel est ton nom ? »

« Kojou ! Kojou Akatsuki. »

« Hmm… ton corps est étonnamment beau. Voudrais-tu devenir un maître-nageur ? Je peux te présenter des entraîneurs qualifiés ici même. Il y a un studio d’entraînement entièrement équipé, juste pour le personnel. »

Pendant qu’il parlait, l’homme frotta doucement le dos de Kojou comme s’il évaluait l’état des muscles de Kojou.

« N-Non, je vais passer mon tour. Je travaille déjà à temps partiel et tout. »

« C’est ainsi. Appelle-moi si tu changes d’avis. Sauver des vies, c’est du bon travail ! »

Le Sauveteur se tapota la hanche et rit à gorge déployée. Le visage souriant de Kojou avait tressailli tandis qu’il baissait la tête et quittait le poste de surveillance pour s’échapper. S’il laissait le gars continuer, il finirait par soulever des poids avec lui en peu de temps. Ce n’était pas qu’il avait un problème avec l’exercice, mais il n’y avait aucune chance qu’il soit intéressé à faire de la musculation avec un bodybuilder autoritaire par une journée ridiculement chaude.

« … Bon sang… Tout ce soi-disant temps de pause va être utilisé… »

Kojou avait faiblement soupiré en regardant l’horloge sur le mur du centre de sauvetage.

Pour une raison inconnue, la vue d’une petite fille entrant dans son champ de vision à ce moment-là avait attiré son attention.

La jeune fille portait une parka à capuche en nylon sur un maillot de bain bleu à deux pièces. Elle devait avoir onze ou douze ans. Elle avait tiré sur la capuche volumineuse de sa parka en s’asseyant seule au poste des objets trouvés.

Réalisant que Kojou avait posé les yeux sur elle, la fille avait soudainement détourné la tête. Les cheveux voyants qu’elle portait jusqu’aux épaules se balançaient doucement.

Puis, la jeune fille s’était levée, s’était dirigée vers le comptoir et avait dit : « Merci beaucoup. J’ai trouvé la personne avec qui je suis, alors je vais bien maintenant. Vous m’avez été d’une grande aide. »

Puis elle avait formellement incliné la tête devant l’employé.

Pour une fille qui est perdue, elle se comporte très bien, avait pensé Kojou avec une touche d’admiration. Il semblerait qu’il n’avait pas besoin de s’inquiéter à ce sujet. Avec ce jugement à l’esprit, Kojou était retourné à l’étalage une fois de plus.

+

« — Tu es en retard ! »

Ce qui attendait Kojou à son retour au chariot de nourriture était un regard plein de ressentiment de la part d’Asagi. Apparemment, elle avait géré le chariot à peu près toute seule pendant que Kojou était parti faire la livraison. Et juste à ce moment-là, un groupe de clients avait rempli l’endroit, rendant la zone autour de la cuisine aussi désespérée que les conséquences d’un typhon. Asagi était complètement furieuse d’être si occupée.

« Eh bien, désolé ! La destination de la livraison était lointaine, je n’ai pas pu faire autrement ! »

« Hmmm… »

Asagi avait fixé son regard sur quelque chose pendant que Kojou se défendait. Pour une raison inconnue, son expression était celle d’un mépris ouvert.

« Alors, qu’est-ce qui se passe avec cette fille ? Tu ne vas pas me dire que tu as flirté avec elle, n’est-ce pas ? »

« … Flirter ? »

De quoi parles-tu ? pensa Kojou, perplexe, en regardant par-dessus son épaule, suivant le regard d’Asagi. Il y avait là une élève de l’école primaire qu’il avait instantanément reconnue : la fille portant la veste à capuche en nylon. Ses cheveux étaient aussi colorés que la fourrure d’un chat, combinés à ses grands yeux, elle donnait vraiment l’impression d’un chaton capricieux.

La fille se tenait immobile derrière Kojou, fixant son dos sans un mot.

« Euh ? N’es-tu pas la fille perdue près du centre de sauvetage… ? »

Lorsque Kojou s’était adressé à elle avec surprise, la jeune fille avait docilement hoché la tête. Ses grands yeux semblaient remplis d’émotions contradictoires : un mélange de méfiance et d’espoir.

« Eguchi. Yume Eguchi. »

La fille s’était nommée d’une voix raide. Kojou était un peu perplexe devant sa réaction.

« … Yume ? » demande-t-il.

« Oui. Vous pensez peut-être que c’est un nom étrange, enfantin… Je vous prie de m’excuser. »

« Ah bon ? Je pense que c’est un joli nom, ordinaire. Et c’est mignon, non ? »

Kojou avait dit ce qu’il pensait vraiment. D’abord, il avait rencontré des gens avec des noms bien plus étranges, alors un de plus n’était pas un problème, et si on devait parler de noms, « Kojou » était assez étrange.

Cependant, la réponse de Kojou avait apparemment frappé la fille comme étant quelque chose d’un peu inattendu. Ses grands yeux avaient cligné deux fois, et après cela, ses joues avaient rougi alors qu’elle baissait son visage.

« C’est — c’est ainsi. Même si ce n’est que de la flatterie, je suis heureuse. »

« Qu’est-ce que tu fais, tu baratines une petite fille comme ça !? »

L’instant suivant, Asagi avait frappé Kojou à l’arrière de la tête. Je n’ai rien fait, pensa Kojou avec des yeux larmoyants, en fixant Asagi sur l’absurdité de tout cela.

« Mais de toute façon, Yume ? Tu es dans cette échoppe à la recherche de quelqu’un ? »

« Ne vous inquiétez pas, vous êtes celui que je cherchais. Vous êtes Kojou Akatsuki, oui ? »

En disant ces mots, Yume avait levé les yeux vers Kojou et l’avait fixé. La fille tenait dans ses mains une photo qui avait été déchirée.

« Comment connais-tu mon nom ? C’est la première fois que nous nous rencontrons, non ? »

« Votre petite amie m’a parlé de vous, Monsieur Kojou, et m’a dit que je pouvais compter sur vous si jamais j’avais des problèmes. »

« Petite amie… !? » Asagi avait crié. Son regard incroyablement furieux avait fait que Kojou s’était empressé de secouer la tête.

« Non, je ne sais rien de tout ça ! Je n’ai pas la moindre idée de qui elle veut dire ! »

« Euh, ça ne me regarde peut-être pas, mais je pense que tromper est mal. Le double jeu est simplement… »

Yume, qui observait l’échange entre Kojou et Asagi, avait prononcé son admonestation d’une manière très chaste, digne d’une petite fille. Kojou avait gémi, se serrant la tête.

« Je ne le suis pas ! Qui t’a soufflé ces conneries à l’oreille ? » avait-il rétorqué.

« … Une très jolie fille âgée, grande. Elle a de gros seins, et elle portait ses cheveux comme ça. »

« … Une fille avec des seins énormes et une queue de cheval… Ce n’est pas possible… »

« Kirasaka ? »

En écoutant l’explication de Yume, les yeux de Kojou et d’Asagi s’étaient rencontrés.

D’une manière ou d’une autre, elle a eu l’idée bizarre que je suis le petit ami de cette femme qui déteste les hommes, avait pensé Kojou, en tordant le cou alors qu’il était perplexe sur cette notion étrange. En revanche, Asagi avait juste dit, « Je vois », croyant que c’était parfaitement logique.

Kojou, reprenant ses esprits, demanda. « Attends, si tu as rencontré Kirasaka, elle est aussi ici sur l’Ély Bleu ? Quel est ton lien avec elle ? »

L’expression de Yume s’était assombrie alors qu’elle répondit de façon hésitante, « Cette personne… est venue me sauver alors que j’étais enfermée. »

« Enfermée… ? »

Le regard de Kojou était devenu grave aux mots sombres sortant de la bouche de Yume. Enlèvement, séquestration, ou même trafic d’êtres humains — toutes sortes d’implications désagréables que Kojou n’avait pas spécialement envie d’imaginer s’élevaient dans le fond de son esprit l’une après l’autre. À l’exception du groupe de Kojou, toutes les personnes invitées à l’ouverture progressive de l’Élysium Bleu étaient des invités spéciaux — en d’autres termes, de riches VIP de la haute société ou des membres de leur famille. Il ne serait pas étrange que l’un d’entre eux soit la cible d’un enlèvement.

D’ailleurs, si Yume avait été impliquée dans un enlèvement, cela expliquerait pourquoi Sayaka l’avait secourue. Elle était une danseuse de guerre chamanique de l’Organisation du Roi Lion, chargée de contrer les crimes de sorciers. Il était tout à fait possible qu’ils enquêtent sur l’organisation qui avait séquestré Yume.

« Alors, où est Kirasaka en ce moment ? »

« Je ne sais pas… »

La voix frêle de Yume avait frémi à la question impromptue de Kojou. Alors que Kojou la regardait, les yeux de Yume étaient devenus larmoyants et elle avait éclaté en un déluge de larmes. Les tentatives désespérées de Yume pour retenir ses émotions s’étaient effondrées à cause d’une remarque imprudente de Kojou, et tout s’était déversé en même temps.

« Nous étions en train de nous enfuir, et les personnes qui nous poursuivaient nous ont trouvés. Elle a dit, “Yume, continue. Je te rejoindrai bientôt.” Mais peu importe combien de temps j’ai attendu, elle n’est jamais venue, et puis — . »

Yume avait parlé d’une voix faible et hésitante, en sanglotant plusieurs fois. Quand Kojou avait vu Yume commencer à pleurer, sa nervosité avait fait que tout dans sa tête soit vide.

« Ah, a-attends… ne pleure pas ! Euh, ne pleure pas, Yume ! Bon, des yakisoba, tiens, prends des yakisoba ! Il y a aussi du jus de fruits ! »

« … Sérieusement, qu’est-ce que tu crois faire ? »

Asagi s’était doucement touchée la joue en regardant Kojou qui consolait désespérément Yume.

Il semblerait qu’une fois de plus, ils aient été impliqués dans une sorte d’incident gênant.

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