Strike the Blood – Tome 4
Table des matières
- Prologue
- Chapitre 1 : Le calme avant la tempête : Partie 1
- Chapitre 1 : Le calme avant la tempête : Partie 2
- Chapitre 1 : Le calme avant la tempête : Partie 3
- Chapitre 1 : Le calme avant la tempête : Partie 4
- Chapitre 1 : Le calme avant la tempête : Partie 5
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 1
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 2
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 3
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 4
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 5
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 6
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 7
- Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance : Partie 8
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 1
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 2
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 3
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 4
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 5
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 6
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 7
- Chapitre 3 : Parade costumée : Partie 8
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 1
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 2
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 3
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 4
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 5
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 6
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 7
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 8
- Chapitre 4 : Prison cachée : Partie 9
- Épilogue
- Illustrations
***
Prologue
Devant ses yeux se trouvait la mer du milieu de l’été.
Le sanctuaire des démons de la ville d’Itogami était une île artificielle. L’été ne s’était jamais terminé dans cette ville construite au milieu de l’océan Pacifique. Des cumulonimbus blancs flottaient dans un ciel bleu outremer, les rayons du soleil brillaient à la surface d’une mer calme et miroitante.
C’était une adolescence japonaise, grande et agile, avec ses cheveux sous la forme d’une longue queue de cheval. Sa peau était pâle, ses cheveux étaient d’un brun clair. Sa beauté possédait une élégance glamour, mais d’une certaine façon, son regard était mélancolique. Elle serrait ses lèvres, laissant échapper de temps en temps un soupir fatigué.
***
Un avion en train d’atterrir était passé dans le coin de sa vision.
Ils étaient dans une suite exécutive à l’aéroport.
Il s’agissait d’une salle dite VIP, réservée exclusivement aux invités de l’État et aux hauts fonctionnaires du gouvernement. Le sol était recouvert d’un tapis rectangulaire à poil long et une énorme télévision était encastrée dans un mur de bois au grain magnifique.
Deux invités étrangers le regardaient en bavardant agréablement.
Le premier était un bel homme blond aux yeux bleus. Il s’appelait Dimitrie Vattler, duc d’Ardeal.
D’apparence, il ne semblait pas plus vieux que vingt-cinq ans, mais il était en fait un noble de l’empire du seigneur de guerre en Europe. En d’autres termes, il était un vampire de sang pur, un descendant direct du Premier Primogéniteur, le seigneur de guerre perdu.
Assise en face de l’aristocrate à l’air jeune, il y avait une jeune femme.
Ses cheveux argentés évoquaient une plaine enneigée, ses yeux bleus brillaient comme un glacier pâle. C’était une fille si charmante qu’on l’appelait la seconde venue de Freya. C’était la princesse héritière de la famille royale d’Aldegian, La Folia Rihavein.
« Dans cette scène, elle est devenue complètement sans défense devant l’ennemi, malgré la situation de combat. J’applaudis les mérites tactiques du changement d’équipement, mais il y a des difficultés pratiques. » La Princesse La Folia avait exprimé calmement son opinion en regardant ce qui était sur l’écran de télévision.
Elle faisait partie de la famille royale d’une nation avec une longue histoire de technologie de sorcellerie avancée. De plus, c’était une prêtresse de haut rang capable d’employer des sorts d’invocation d’esprit. Elle n’avait pas montré une seule once de peur à converser avec le noble vampire assis si près d’elle.
Pour sa part, Vattler avait un regard d’une gravité inhabituelle lorsqu’il regardait l’écran. « Je m’interroge là-dessus. Dans ce cas, la transformation ne devrait peut-être pas être considérée comme un simple changement d’équipement, mais aussi comme une modification de ses propriétés physiques ? Dans ce cas, la capacité défensive est maintenue même si le changement n’est pas entièrement réalisé. »
« Vous dites donc que les vêtements des filles ne disparaissent pas, mais plutôt qu’ils sont réarrangés au niveau atomique et qu’ils entrent dans une forme énergétisée ? » La princesse hocha la tête comme si elle était captivée. Les filles qu’elle regardait à l’écran se transformaient juste sous leurs formes de combat pour se battre contre un monstre géant.
« Bien que cela signifie qu’elles utilisent leur pouvoir rituel à un rythme beaucoup plus élevé, » dit Vattler avec une note de sarcasme.
La Folia sourit en secouant la tête. « En s’alignant avec un élément, il est possible de supprimer sa consommation de pouvoir ritualistique. Mais lorsqu’on considère la précision requise pour la transmutation physique, il doit être difficile pour l’individu de rester dans un état transformé. »
« Ahh ! C’est pourquoi cela exige l’utilisation d’articles supplémentaires…, » déclara Vattler.
***
Sayaka Kirasaka grimaça en regardant leurs visages sérieux pendant qu’ils débattaient. Pourquoi dois-je être ici ? se demanda-t-elle avec une expression angoissée.
Sayaka était une mage d’attaque — plus précisément, une danseuse de guerre chamanique — de l’Organisation du Roi Lion. Elle était experte en malédictions et assassinats.
En raison de leur domaine d’expertise, Sayaka et ses cohortes avaient souvent été affectées à la protection de VIP qui risquaient fort d’être la cible de malédictions et de tentatives d’assassinat. La logique était simple : utiliser un assassin pour tuer un assassin.
La mission actuelle de Sayaka était d’escorter et de protéger La Folia Rihavein.
La Folia Rihavein était une belle princesse dont le nom était connu dans le monde entier. Même si elle n’était pas en mission officielle, elle avait été très importante pour le gouvernement japonais pendant son séjour. Cela avait doublé lorsque Dimitrie Vattler, un vampire de la vieille garde, s’était assis avec elle, ce qui avait mis une lourde responsabilité sur la personne qui la protégeait. Sayaka, la fière utilisatrice de Der Freischötz, l’une des armes divines les mieux classées de l’Organisation du Roi Lion, était, en fait, un choix évident.
Néanmoins, l’expression de Sayaka était morose.
La Folia et Vattler regardaient, en toute sincérité, une émission de « magic girl » destinée aux enfants sur une chaîne de télévision entièrement consacrée aux animes. Ils avaient une discussion tactique très sérieuse pendant qu’ils regardaient des filles en mini-jupe qui voltigeaient et se battaient contre des malfaiteurs. C’était bien que les choses soient si paisibles, mais elle se sentait profondément ridicule de les surveiller au fur et à mesure qu’ils le faisaient, ce qui rendait progressivement l’humeur de Sayaka de plus en plus triste.
Soit dit en passant, les chevaliers qui escortaient la princesse debout dans un coin de la suite exécutive et les jeunes subordonnés vampires de Vattler dans un autre coin regardaient tous le spectacle avec une attention particulière.
Certains d’entre eux serraient les poings en applaudissant les héroïnes, d’autres étaient émus jusqu’aux larmes. C’était un peu troublant de voir à quel point l’effet que cela avait sur un groupe d’enfants pouvait sembler vulgaire, ce qui ne faisait qu’ajouter à l’angoisse de Sayaka.
Après avoir attendu que le thème final se termine, Vattler avait soudainement changé de sujet. « Au fait, princesse, j’ai entendu une rumeur étrange ces derniers temps. » Il avait parlé sur un ton d’indifférence désinvolte, mais à cet instant, l’atmosphère dans la suite s’était tendue. « C’est à propos du fait qu’une unité de chevaliers d’Aldegian a été envoyée sur l’île d’Itogami en secret. »
« Oh mon Dieu, » murmura la princesse en inclinant la tête avec un regard souriant sur son visage. « C’est une rumeur si étrange, n’est-ce pas ? Ma tante est ici sur cette île. Même si elle a perdu son droit de succession, elle est toujours membre de la maison royale d’Aldegian. C’est certainement le moins que nous puissions faire. »
« Et donc, ils viennent sur une île éloignée comme celle-ci pour protéger une élève du collège ? Les Chevaliers de l’élite de la seconde venue ont la vie dure, » déclara Vattler.
Les mots moqueurs du jeune aristocrate n’avaient pas fait vaciller le sourire de La Folia. « C’est une tante plutôt exigeante. »
Les chevaliers qui escortaient la princesse retenaient leur souffle pendant qu’ils regardaient silencieusement les deux individus s’engager dans une conversation.
Même si cela ressemblait à une discussion informelle et pacifique, ce qui se passait entre Vattler et la princesse était en fait une négociation d’arrière-boutique à enjeux élevés entre des puissances étrangères.
Une fille nommée Kanon Kanase, fille du précédent roi d’Aldegia, aujourd’hui à la retraite, vivait sur l’île d’Itogami. Citant cela, La Folia avait envoyé des chevaliers d’Aldegian à l’île d’Itogami sans avis public. C’était des chevaliers du royaume protégeant la famille royale : il n’y avait rien d’anormal à cela.
Cependant, le vampire le plus puissant du monde, qui fréquentait la même école que Kanon, était une tout autre histoire.
En d’autres termes, au nom de la protection de Kanon Kanase, la famille royale d’Aldegian pouvait surveiller Kojou Akatsuki, le quatrième Primogéniteur, sans réel fardeau. Comme Vattler séjournait sur l’île d’Itogami dans le même but, cela ne l’avait certainement pas amusé. C’est pour ça qu’il disait, d’une façon détournée, Ne vous mêlez pas de mes affaires. Malgré cela, La Folia plissa ses yeux en regardant calmement Vattler en réponse.
« Maintenant que vous en parlez, j’ai entendu dire qu’il y a des individus plutôt violents de l’Empire du seigneur de guerre qui viennent ici aussi. Le comte Wortizlawa et le seigneur Zagan, deux militants bien connus du Dominion, non ? » répondit Vattler avec un regard innocent sur son visage. « Ce sont de simples touristes. Après tout, il y a bientôt un grand festival sur l’île d’Itogami. »
La princesse plissa les sourcils, en l’entendant apparemment pour la première fois.
« Un festival ? » demanda La Folia.
Sayaka s’était mordu la lèvre en voyant les yeux de La Folia scintiller. C’est mauvais, pensa-t-elle. Elle vit soudain une expression grave apparaître sur le visage du chevalier commandant l’escorte de la princesse, elle aussi.
Sayaka s’était rapidement imposée dans la conversation avec Vattler, chuchotant à l’oreille de La Folia. « Il est temps, princesse. Nous devons nous préparer pour votre vol... » Voir Sayaka agir si vite semblait apporter encore plus de plaisir à la princesse.
La Folia devait rentrer dans son pays d’origine, Aldegia, à bord d’un vol charter organisé par le gouvernement japonais. Si elle avait été envoyée avec succès, la mission de Sayaka se serait terminée sans incident. Elle ne pouvait pas supporter que des plans soigneusement élaborés tournent mal à cause d’une information négligemment rejetée.
La Princesse La Folia avait beaucoup de vertus : elle était sage et possédait une grande connaissance, et elle était rusée, mais aussi audacieuse. Cependant, le revers de la médaille, c’était qu’elle était intensément motivée à nourrir sa vorace curiosité.
Lui faire savoir qu’il y avait un festival qui se préparait menaçait de lui faire dire, je vais retarder mon retour d’un jour et profiter de la vue. Il fallait à tout prix éviter cela. « Alors, princesse. Je vous souhaite un bon voyage. Mes amitiés à votre père. »
Heureusement, Vattler ne semblait pas avoir l’intention d’empêcher La Folia de partir. Officiellement, il était là pour voir la princesse partant, mais son véritable objectif était de contrecarrer les Aldégiens.
Si La Folia rentrait poliment dans son pays d’origine, cela leur épargnerait à tous les deux beaucoup d’ennuis.
Comme si elle poussait la princesse hésitante à bouger, Sayaka avait regardé la sortie de la suite. Elle pouvait voir que l’avion affrété était à l’aéroport, en attente et prêt à décoller. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était de transporter la princesse à bord.
« C’est quoi ce festival, Sayaka ? » La Folia marchait élégamment le long d’un couloir exclusif en posant la question.
« Le Festival de la Veillée Funèbre. C’est un festival qu’ils organisent dans la Ville d’Itogami à cette époque chaque année. Il y a un certain nombre d’événements partout sur l’île et… p-par événements, je veux dire des chars, des stands et d’autres divertissements pour les masses, pas quelque chose dont une princesse devrait se soucier ! » déclara Sayaka.
« Mon Dieu…, » entendant l’explication de Sayaka, les yeux de La Folia brillèrent comme ceux d’une petite fille.
« Geh, » dit le chevalier commandant, le visage tremblant. « Vous ne devez pas, Votre Altesse ! Il y a quelques jours à peine, quelqu’un en avait après votre vie. Son Altesse Royale est prête à votre retour au pays. Si vous retardez encore votre retour… ! »
« Ah, il semble que les étudiants tiennent aussi des expositions et des stands de rafraîchissements, » déclara La Folia.
Ignorant les avertissements de son subalterne, la princesse avait commencé à consulter le site Web sur des événements publics sur un téléphone intelligent qu’elle avait sorti de quelque part.
Le chevalier commandant s’agrippa à sa tête et leva le visage vers le ciel. « Votre Altesse ! »
« Princesse, euh, notre Premier ministre a spécialement arrangé cet avion pour que, euh…, » déclara le commandant.
« Vous n’avez pas besoin de le dire. Je suis bien consciente que je ne peux pas causer des difficultés à votre nation pour le simple plaisir d’assister à un festival par intérêt personnel. » La Folia ouvrit légèrement les lèvres et se plaça dans une apparente consternation. Sayaka continua à la guider par la main alors qu’elles passaient par une porte menant à la porte d’embarquement. À cet instant, elles furent toutes les deux frappées par des vertiges légers et momentanés. Le paysage scintillait comme un mirage avant d’émerger sous un soleil éblouissant.
« … Cependant, si nous ne pouvons pas atteindre l’avion, on ne peut pas faire autrement, n’est-ce pas ? » La princesse adopta un ton de voix espiègle, trouvant clairement la circonstance présente amusante.
« Comment ça, vous ne pouvez pas atteindre le… euh… hein !? » s’écria Sayaka.
Sayaka regarda autour de lui avec horreur. Il n’y avait aucun doute qu’ils étaient à l’aéroport jusqu’à quelques instants auparavant. Cependant, ce qui s’étendait maintenant sous leurs yeux, c’était la vaste mer et une structure de sous-construction flottant sur elle.
Malgré les nombreux signes de nouvelles destructions, Sayaka n’avait que trop bien reconnu le spectacle.
l’Île d’Itogami, sous-flotteur No. 13 —
Dans le passé, c’était l’endroit où Sayaka, avec Kojou Akatsuki à ses côtés, s’était livré à un duel mortel contre des terroristes. Il n’y avait pas eu de confusion avec quoi que ce soit d’autre.
Cependant, il s’agissait essentiellement du côté opposé de l’île vis-à-vis de l’aéroport central de l’île d’Itogami. Il y avait presque dix kilomètres à vol d’oiseau entre les deux points. Ce n’était tout simplement pas le genre de distance que l’on pouvait parcourir en un instant.
Et pourtant, le fait est que Sayaka et la princesse, et seulement elles avaient été envoyées sur la pointe du sous-flotteur.
Il n’y avait aucun signe des chevaliers qui les avaient accompagnés, ni l’avion que la princesse devait embarquer, ni l’aéroport et ses bâtiments visibles nulle part. Elles avaient été emmenées à cet endroit dès qu’elles avaient franchi la porte intérieure de l’aéroport. C’était comme si elles étaient entrées dans une déchirure dans l’espace.
Bien sûr, ce n’était pas un simple phénomène naturel. Le risque que ce soit une attaque magique par quelqu’un était assez élevé. Mais Sayaka n’avait pas senti d’attaque. Les médiums de son niveau et de celui de La Folia auraient dû ressentir une prémonition d’un sort d’une telle ampleur avant qu’il ne se déclenche… mais elles ne l’avaient pas fait.
« Voilà vraiment le sanctuaire des démons. Nous ne nous ennuierons certainement pas avant un certain temps, » déclara La Folia lorsqu’un sourire innocent et charmant était apparu sur son visage. Elle avait fait sortir son pistolet à sorts bien-aimé alors qu’elle inspectait toute la région, mais il ne semblait pas que cette anomalie visait spécifiquement la princesse. Malgré cela, il ne fait aucun doute qu’elle avait trouvé la situation très amusante.
Sayaka se sentait très mal à l’aise quand elle regardait le ciel.
Le ciel tranquille, bleu et éternel de l’été ressemblait au calme qui régnait avant la tempête.
C’était la dernière semaine d’octobre.
Les gens du sanctuaire des démons de la ville d’Itogami, tous excités à l’approche du début du festival, n’avaient encore rien remarqué.
***
Chapitre 1 : Le calme avant la tempête
Partie 1
L’air était étouffant et stagnant.
La surface de l’océan Pacifique se profilait devant la fenêtre du wagon du monorail municipal de la ville d’Itogami. Rien ne gênait les rayons du soleil alors que la cabine traversait une voie surélevée le long des falaises du bord de mer. Les rayons brutaux du soleil semblaient plus adaptés à l’apogée de l’été, car ils grillaient impitoyablement les passagers à l’intérieur de la voiture.
Kojou Akatsuki avait l’air d’appuyer son visage contre la porte en aluminium alors qu’il gémissait faiblement. « Ah, merde… tellement chaud… »
C’était un adolescent à l’expression endormie qui portait un parka par dessus son uniforme de lycée.
Il portait le titre ridicule de vampire le plus puissant du monde, mais même les hautes capacités du quatrième Primogéniteur n’avaient pas été d’un grand secours dans ce cas. Le wagon étant plein de passagers, il ne pouvait même pas bouger, il ne pouvait que laisser échapper une voix angoissée alors que les rayons éblouissants du soleil se déversaient par la fenêtre.
La cabine avait basculé doucement lorsque le monorail avait pris une courbe, la force centrifuge faisant basculer les passagers. La fille à côté de lui avait réprimé un glapissement alors que sa pression silencieuse s’exerçait sur elle.
« Yeek… !? »
Il s’agissait de Yukina Himeragi, Chamane-Épéiste de l’Organisation du Roi Lion.
Elle possédait des cheveux noirs sans ornement et de grands yeux noirs. Elle avait un air un peu enfantin, mais la fille possédait un beau visage. Son corps était mince, mais sans donner une impression de fragilité. Elle avait la symétrie, la beauté fonctionnelle et la résistance d’une épée forgée par un maître.
Officiellement, Yukina était la cadette de Kojou et fréquentait le collège de la même école que lui — l’académie Saikai —, mais sa mission réelle était de veiller sur le quatrième Primogéniteur. Yukina avait reçu l’autorisation d’éliminer Kojou si elle jugeait vraiment que les circonstances le justifiaient.
Pour preuve, l’étui de guitare basse qu’elle portait toujours avec elle contenait une arme construite avec une technologie de sorcellerie de pointe. Il s’agissait d’une lance anti-démon, Schneewaltzer, capable de neutraliser toute énergie magique et dite capable de même détruire un vampire Primogéniteur.
Cependant, même la plus belle des armes divines n’était qu’un poids mort à l’intérieur d’un monorail aux heures de pointe.
Plaçant l’arme secrète de l’Organisation du Roi Lion de manière à l’empêcher de déranger les autres passagers, Yukina avait été pressée contre Kojou, sa cible de surveillance, plus fermement qu’elle ne l’avait jamais été auparavant.
Entourés de tous côtés par une porte, le dos d’un siège, et les passagers entassés comme des sardines, tous leurs corps étaient pressés fermement contre ceux des autres.
Kojou chuchota alors qu’il sentit le parfum rafraîchissant des cheveux de Yukina et une dangereuse sécheresse dans sa gorge. « Désolé. Tu es bien là, Himeragi… ? »
Kojou avait essayé de retenir Yukina pour l’empêcher de se faire écraser, mais incapable de résister à la pression des passagers, il avait fini par la tenir par-derrière dans ses bras. Une tierce personne pourrait trouver la pose enviable, mais à ce stade, la main droite de Kojou était depuis longtemps engourdie.
« Oui… mais, ah…, » balbutia Yukina.
« Désolé. Ce n’est pas comme si j’avais fait ça exprès… ! » déclara Kojou.
« Je sais cela. C’est la même chose pour moi. C’est — c’est un acte de Dieu, donc… ! » déclara Yukina.
La raison pour laquelle le visage de Yukina était rouge était que son bras gauche, qui tenait encore son sac, était enterré juste entre les jambes de Kojou. Yukina voulait lui arracher son sac d’une manière ou d’une autre, mais dans cet endroit restreint, cela n’allait apparemment pas se produire. Combinée avec les secousses du monorail, cette étrange stimulation donnait à Kojou un moment difficile.
« C’est encore pire que d’habitude aujourd’hui, » murmure Yukina sur un ton désinvolte, peut-être pour se changer les idées.
Il est certain qu’il y avait toujours un mélange de grands nombres d’étudiants et de voyageurs à cette heure du matin. Cependant, les foules étaient rarement aussi importantes. Le nombre de passagers avait presque doublé par rapport à la normale.
« C’est probablement des touristes venus de l’extérieur de l’île. Le festival va bientôt commencer, » déclara Kojou.
« Le festival de la Veillée Funèbre… c’est ça ? C’est aussi un sujet fréquent chez les collégiens, » déclara Yukina.
« Ah, c’est vrai. Tu n’en as jamais vu avant, Himeragi ? » demanda Kojou.
Yukina avait fait un signe de tête aux paroles de Kojou.
Sur instruction spéciale de l’Organisation du Roi Lion, Yukina avait commencé à surveiller Kojou juste avant la fin des vacances d’été.
Cela ne faisait même pas deux mois qu’elle était venue sur l’île d’Itogami, et Kojou était malheureusement conscient que pendant cette courte période, ils avaient fait face à la mort ensemble à plusieurs reprises.
« Je savais que l’événement existait, mais je ne pensais pas que c’était un festival d’une telle ampleur, » déclara Yukina.
« Ils se mettent tous au travail. Toutes les entreprises de l’île ferment pour la journée. Il devient beaucoup plus simple pour les gens d’obtenir la permission de venir sur l’île d’Itogami. Ainsi, nous avons des tonnes de touristes, » déclara Kojou.
Pendant que Kojou parlait, il regarda une publicité accrochée à l’intérieur du wagon.
Le festival de la Veillée Funèbre, qui s’ouvrait chaque année la dernière semaine d’octobre, était le plus grand festival de l’île d’Itogami. Il y avait des feux d’artifice, des concerts en plein air, des défilés de chars et toutes sortes d’autres événements, l’agitation remplissait toute l’île. À cette époque de l’année, plus de deux cent mille touristes venaient visiter l’île d’Itogami — un chiffre choquant si l’on considérait la distance qui sépare l’île du continent japonais.
Il y avait une raison derrière ces chiffres. Normalement, personne d’autre que les personnes liées aux sociétés et aux organismes de recherche du sanctuaire des démons de l’île d’Itogami n’était autorisé à entrer. Si vous êtes un touriste ou un journaliste qui souhaite visiter la ville, ou si vous voulez faire des affaires avec les entreprises du sanctuaire des démons, la période des festivals est l’occasion rêvée pour entrer dans la ville sous ce prétexte.
En tout cas, les affiches du festival étaient placardées dans toute la ville d’Itogami depuis plusieurs jours. Il y avait des émissions spéciales à la télévision, avec des publicités ciblées de manière opportuniste, et ainsi de suite, on ne pouvait pas se tromper sur l’ambiance festive qui régnait dans toute l’île.
« Alors, c’est basé sur Halloween ? » demanda Yukina en regardant le Jack-o’-lantern dessiné sur l’affiche.
« Je suppose que oui. Mais je ne sais pas pourquoi ils ont choisi Halloween, » déclara Kojou d’une voix discrète et emplie de doute, comme si c’était le problème de quelqu’un d’autre.
Pour commencer, l’île d’Itogami n’avait pas de population autochtone. Mais un festival, un événement qui n’avait pas lieu tous les jours, était très efficace pour plaire aux masses — et stimuler l’économie. Ainsi, au nom du service administratif, la Corporation de management du gigaflotteur avait créé le festival de la Veillée Funèbre basé sur Halloween.
Autrement dit, ils n’avaient aucune raison de ne pas se baser sur Halloween. Pour autant que Kojou s’en souciait, ils auraient pu le baser sur la Saint-Valentin ou le festival des étoiles de Tanabata.
Mais Yukina avait répondu sur un ton inattendu et excessif. « Après tout, Halloween était à l’origine une cérémonie pour chasser le mal. Je pense que c’est un événement qui convient bien à un sanctuaire de démons. »
« Hein… c’est ce que tu penses ? » demanda Kojou.
« Oui. Dans l’ancienne religion celtique, on croyait que l’approche de la saison hivernale était une période où des liens se formaient entre ce monde et celui des esprits, ouvrant la voie à l’arrivée des esprits et des sorcières. Ils se déguisaient et allumaient des feux de joie pour se protéger des monstres, et c’est ainsi qu’a commencé Halloween, » répliqua Yukina.
« Hmm, » murmura Kojou, acceptant son explication au pied de la lettre. Cela ne faisait même pas un an que Kojou était — absurdement — devenu le soi-disant quatrième Primogéniteur. Ses connaissances ordinaires de niveau secondaire en matière de superstition, de sorcellerie et d’occultisme s’étaient avérées pratiquement inutiles. Il n’avait pas l’intention d’opposer ses connaissances à celles de Yukina, qui avait reçu une éducation spéciale en tant que mage de l’organisation du Roi Lion.
« C’est donc de là que viennent les déguisements d’Halloween et les Jack-o’-lantern ? » demanda Kojou.
« Oui. En outre, la tradition d’Halloween elle-même n’est certainement pas sans fondement. Après tout, c’est un fait scientifique que les connexions spatiales deviennent plus facilement instables à cette période de l’année. Il existe des cas documentés de rencontres avec des “visiteurs” d’autres époques et des “non-invités” d’autres mondes, » répondit Yukina.
« … Laisse-moi tranquille. Je ne veux pas avoir affaire à des gars comme ça, » déclara Kojou.
Le regard sombre de Kojou était tout à fait sérieux. C’était un sanctuaire de démons, après tout. Vous ne l’aurez jamais surpris à dire qu’il n’était pas possible de rencontrer de telles choses. Même sans ces types, il en avait déjà assez de tomber sur des trucs super rares comme un Nalakuvera et un Faux Ange.
Et pourtant, Yukina le regardait avec une expression sérieuse. « Oui, Senpai, alors fait attention, » avait-elle demandé.
« Hein ? » Kojou avait regardé Yukina avec perplexité. « Euh… fais attention, dis-tu. Mon attitude va-t-elle causer des problèmes aux envahisseurs d’un autre monde ou quoi que ce soit d’autre ? »
Plus que cela, Kojou avait été choqué par le fait que Yukina semblait penser qu’il aimait être un aimant à problèmes. Aucun étudiant n’aspirait plus que Kojou à une vie paisible. Et pourtant…
« Quoi… ? » Yukina avait cligné des yeux, ses yeux paraissant encore plus surpris que les siens. « Je veux dire que tu es la source de l’énergie magique la moins stable et la plus dangereuse de l’île, Senpai. Ne laisse pas tes vassaux bestiaux s’emballer et déformer un espace déjà instable. En particulier, sois sur tes gardes en cas d’attaque vampirique — . »
Avant que Yukina ne puisse terminer sa phrase, le monorail avait commencé à ralentir à l’approche de la gare. Obéissant à la loi de l’inertie, les passagers s’étaient penchés en avant, Kojou, l’équilibre rompu, avait trouvé sa main gauche caressant la poitrine de Yukina.
« Senpai… ! » s’écria Yukina.
« A-Attends ! C’était une circonstance totalement imprévisible ! » s’exclama Kojou.
« Non, ce n’est pas ce que je veux dire — elle… ! » répliqua Yukina.
Le regard aiguisé de Yukina avait été formé non pas sur Kojou, mais sur une écolière qui faisait la navette entre son domicile et son lieu de travail, à courte distance. Elle portait un uniforme de l’académie Saikai, mais elle était encore plus petite que Yukina. Ses longs cheveux noirs brillants et sa chair inhabituellement pâle se distinguent nettement.
« Une lycéenne ? C’est un endroit dangereux. »
Kojou avait plissé les sourcils en regardant la jeune fille enterrée dans la foule. Elle se tenait dans un couloir bondé, sans endroit où fuir. Alors que la jeune fille penchait timidement la tête, un homme d’âge moyen se comportait de manière suspecte juste derrière son dos.
« Oui. Peut-être que l’homme qui se tient derrière elle est —, » commença Yukina.
« Un agresseur ? Ce salaud — ! » s’écria Kojou.
« Quoi — !? » s’exclama Yukina.
Kojou avait commencé à charger vers l’homme avec une vigueur qui avait pris Yukina complètement au dépourvu. Ce n’est pas que Kojou avait un sens exagéré de la justice, mais c’était quand même un mal inexcusable selon lui. Pour Kojou, qui avait une petite sœur adolescente, les agressions étaient en tête de sa liste de crimes impardonnables. Si jamais il surprenait quelqu’un qui agressait Nagisa sur le chemin de l’école, il ne se contenterait pas de l’attraper et de le traîner à la police.
« S’il te plaît, Senpai, attends ! Senpai ! Nous devons être sûrs avant de… ! » s’écria Yukina.
Yukina avait essayé de suivre le rythme tandis que Kojou se frayait un chemin parmi les passagers. À ce moment, Kojou avait confirmé que l’homme, déjà aux côtés de la petite écolière, tendait la main vers la cuisse de la fille. Kojou avait tendu sa propre main pour saisir la sienne — et l’instant d’après, la porte du monorail arrêté s’était ouverte en grand.
Après avoir passé tout ce temps à se préparer, les passagers s’étaient précipités sur le quai comme un seul homme, rattrapant Kojou dans leur sillage. De toutes ses forces, il avait étendu le bout de ses doigts vers l’avant et avait fini par toucher les fesses de la petite fille.
À cet instant, une autre main, tendue sur le côté, saisit fermement le poignet de Kojou.
« Hein ? »
« — Bonjour, Monsieur l’Agresseur. Je vous ai pris sur le fait, » murmura une voix étrangement énergique à l’oreille de Kojou. La voix venait d’une jeune femme aux cheveux roux portée en chignon double. Elle portait une chemise et une mini-jupe de style chinois. La tenue semblait assez sportive pour faire du sport, et sa posture était très bonne. Il avait l’impression d’avoir déjà vu son visage quelque part.
« H… hé, lâchez-moi ! Je ne suis pas un agresseur, j’essayais juste d’aider cette fille… ! » s’écria Kojou.
Kojou résista désespérément alors qu’il était traîné sur le quai de la gare, mais la femme aux cheveux roux ne relâcha pas sa prise ferme sur son poignet. Les os de Kojou avaient craqué à cause de la puissance inhumaine de sa prise.
« De cet uniforme, ne me dites pas que vous êtes l’un de nos étudiants ? Attendez, le grand frère d’Akatsuki ? »
« … Eh !? »
Ayant finalement rattrapé Kojou, Yukina s’était arrêtée et avait crié de surprise. « Madame Sasasaki ! »
La femme aux cheveux roux avait plissé ses sourcils en signe de surprise. En voyant cela, Kojou s’était finalement rappelé qui elle était.
C’était le professeur d’éducation physique du collège de l’académie Saikai, Misaki Sasasaki — et le professeur principal de Nagisa et de Yukina.
« Et vous étiez aussi avec lui, Himeragi ? Vous devez prendre soin de votre propre homme, » déclara Sasasaki.
« Ce — ce n’est pas comme ça. Ce n’est pas le mien ni un agresseur, » déclara Yukina.
« Vraiment ? » demanda Sasasaki.
Yukina se portant garante de Kojou, Misaki avait finalement libéré son poignet. Kojou, qui risquait d’être faussement accusé d’avoir agressé une fille, avait pris une très grande respiration alors que la sueur coulait sur son front.
Derrière Kojou et les autres, il avait entendu une voix zézayante, mais étrangement menaçante.
« Le véritable agresseur est ici, espèce de cabot. »
Ils avaient entendu un homme faire un cri pathétique. Se retournant par réflexe, Kojou et les autres avaient vu le type d’âge moyen, tremblant de terreur, le corps entier enveloppé de chaînes. L’écolière aux cheveux longs et foncés, qui avait failli être victime d’un attentat à la pudeur quelques instants auparavant, l’entraînait dans son sillage. Kojou avait finalement réalisé qui elle était vraiment.
« Hein ? »
« … Mme Minamiya ? »
Les voix de Kojou et Yukina étaient totalement déconcertées.
C’était Natsuki Minamiya qui se tenait là, en uniforme d’écolière. La professeur d’anglais du lycée de l’académie Saikai s’était autoproclamée âgée de vingt-six ans. Cependant, d’après son visage, sa silhouette et les détails de son corps, le terme d’adolescente convient mieux, sinon le terme de petite fille serait parfait.
« Attends, tu es Natsuki ? Pourquoi es-tu habillé comme ça ? » demanda Kojou.
« En patrouille. Beaucoup d’étudiantes ont été agressées dans les trains ces derniers temps, » répondit Natsuki.
« … Pourquoi un uniforme de lycéenne ? » demanda Kojou.
« Nous ne pouvons pas utiliser les étudiants comme leurres pour une enquête sur un agresseur, alors je suis déguisée. Je me rends compte qu’il pousse à bout, » déclara Natsuki.
« Je vois maintenant, » déclara Kojou en l’acceptant. Elle avait peut-être l’air jeune, mais Natsuki était une mage d’attaque incroyablement douée. Elle était si accomplie que son travail secondaire consistait à travailler comme instructeur pour la garde de l’île. De nombreux démons la connaissaient et la craignaient par son surnom, la « Sorcière du Vide ». L’assigner à un simple agresseur était une surenchère titanesque. Et il n’y avait pas beaucoup d’enseignants qui avaient l’air aussi convaincants dans un uniforme scolaire.
« Ce n’est pas exagéré, c’est tout à fait naturel… L’uniforme du collège te conviendrait mieux, » déclara Kojou.
« Tu vois, Natsuki ? C’est exactement comme je l’ai dit, n’est-ce pas ? » déclara Misaki.
Misaki souriait fièrement et poussa sa poitrine vers l’extérieur. Bien qu’elle ne mesurait pas plus de 160 cm, elle et la petite Natsuki ressemblaient à des parents et à des enfants.
N’appréciant pas cela, Natsuki avait chassé Misaki. « Personne ne te l’a demandé. De plus, il ne me restait plus d’uniformes du collège, alors je n’avais pas le choix. »
« Les restes… Attends, tu portais cet uniforme, Natsuki ? » demanda Kojou.
Kojou avait regardé, avec réflexe, partout sur l’uniforme de Natsuki. Maintenant qu’elle l’avait mentionné, la taille était parfaite, même si elle n’était pas plus grande qu’une élève de l’école primaire. Si c’était son uniforme personnel, cela signifiait que Natsuki avait été diplômée de l’académie Saikai, ce qui était une nouvelle pour Kojou.
« N’appelle pas ton professeur principal par son prénom. » Les lèvres de Natsuki s’étaient tordues de façon lugubre. « Pourquoi es-tu si respectueux envers ce cabot stupide quand tu m’appelles par mon prénom ? »
« Je suppose que c’est une différence d’autorité et de personnalité, » déclara Misaki.
« Arrête de me caresser ! » s’écria Natsuki.
Misaki caressait la tête de Natsuki comme si elle flattait une petite fille. Natsuki avait jeté un regard furieux sur sa collègue. Natsuki, dont l’ego était sans égal, avait en quelque sorte du mal à faire face à Misaki Sasasaki, qu’elle connaissait depuis l’école. Peut-être était-ce juste dans leur nature.
Kojou avait pris la parole en regardant les deux professeurs se taquiner.
« C’est comme ça, alors on peut y aller maintenant ? Nous sommes déjà à court de temps, » déclara Kojou.
Misaki avait jeté un coup d’œil à l’homme d’âge moyen, enchaîné, et elle s’était moquée de lui sans vergogne.
« C’est bien. Après tout, nous avons attrapé le véritable agresseur, » déclara Misaki.
Kojou et Yukina avaient fait de légères courbettes à la paire d’enseignantes et s’étaient dirigés vers le contrôleur. C’était encore le matin, mais Kojou se sentait déjà mort de fatigue.
C’est alors que Natsuki l’avait appelé. « Kojou Akatsuki. »
« Oui ? » Kojou se retourna pour regarder innocemment en arrière, et il vit un regard étrange s’abattre sur Natsuki. Le fait de ne pas pouvoir lire ses émotions était la norme, mais quelque chose en elle était différent maintenant. Elle avait un sourire comme celui que vous portiez juste après avoir rencontré un vieil ami, avec un désir et un chagrin d’amour en plus.
« Ce sera bientôt le festival de la Veillée Funèbre, » déclara-t-elle.
« Oui, ça le sera. » Bien qu’il ait été déstabilisé, Kojou avait réussi à suivre son rythme.
« Hmph, » dit Natsuki par les narines. Elle avait fait le même sourire impérieux qu’elle avait toujours fait. Puis, elle avait parlé d’un ton hautain.
« Les cours reprennent normalement au début de la semaine prochaine. Veille à ne pas être en retard à la reprise des cours, » déclara Natsuki.
***
Partie 2
Au cours de la dernière semaine d’octobre, lorsque le festival de la Veillée Funèbre commençait, l’Académie Saikai commençait des vacances scolaires à partir de la veille du festival.
C’était une période pour les membres des clubs qui participaient à des événements tels que des concerts de groupes musicaux et des présentations en classe, pour ceux qui travaillaient ou apparaissaient sur des chars sponsorisés par des entreprises de la ville, pour ceux qui travaillaient à temps partiel ou pour ceux qui voulaient simplement profiter pleinement du festival. Le festival de la Veillée Funèbre était une période de l’année où les étudiants de ville d’Itogami étaient poussés dans des activités frénétiques.
L’école avait émis de nombreux avis afin d’éviter aux élèves des ennuis. Par conséquent, ici, la veille du début des vacances scolaires, le temps de classe avait été prolongé afin que le professeur de classe de chacun puisse y intégrer ces conseils.
Mais cela aussi était un rituel annuel. Les lycéens qui avaient déjà tout entendu étaient encore moins enclins à y prêter attention. Et c’est alors que quelque chose de complètement contraire à tout bon sens s’était produit dans la classe de Kojou Akatsuki.
C’était une petite fille mince qui se tenait sur le pupitre du professeur.
Elle avait les cheveux bleu indigo et les yeux bleus. Son beau visage avait une symétrie complètement artificielle. La jeune fille était un homoncule, née grâce à des procédés industriels mis au point par l’homme.
Bien sûr, aucun étudiant dans un sanctuaire de démons comme celui-ci n’allait vraiment bondir sur un homoncule. Mais le fait qu’elle soit vêtue d’une robe à tablier avec une forte exposition et qu’elle lisait la liste des conseils en tant qu’enseignante suppléante — c’était inhabituel.
« Une bonne… Hé, c’est la femme de chambre de Natsuki, n’est-ce pas ? »
« Pourquoi une bonne enseigne-t-elle ? »
« Elle s’appelle Astarte, n’est-ce pas ? Elle est mignonne. »
« Le plus gros problème, c’est la rumeur qui circule selon laquelle Natsuki portait un uniforme d’école à la gare. »
« … Oui, elle pourrait tout à fait y arriver. »
Alors même que les étudiants, qui n’avaient pas encore saisi la situation, chuchotaient férocement entre eux, tous les yeux étaient rivés sur les paroles et les actes d’Astarte. Elle avait donc fidèlement accompli sa mission première qui consistait à transmettre à la classe les avis sur la période du festival.
« … Qu’est-ce que c’était que ça ? » Maintenant qu’elle avait fait son devoir, la jeune fille homoncule retourna dans la salle d’attente des professeurs. Asagi Aiba avait posé la question à Kojou alors qu’elle regardait la fille partir. C’était une écolière avec une coiffure magnifique et un uniforme qui grattait les règlements justes aux bons endroits.
« Elle l’a dit elle-même, n’est-ce pas ? Natsuki est absente et lui a demandé de la remplacer, » déclara Kojou.
« Hmm. Je suppose qu’une Mage d’Attaque serait plus occupée juste avant le festival ? » Asagi avait murmuré en réponse, semblant vouloir l’accepter. Kojou avait été sur la sellette, mais il n’avait pas parlé de Natsuki qui se promenait en ville comme si elle jouait à être une lycéenne. Elle serait effrayée si elle apprenait qu’il avait porté atteinte à sa réputation de quelque façon que ce soit.
De plus, l’école allait bientôt fermer, bien avant midi. Il ne leur restait plus qu’à rassembler leurs affaires et à rentrer chez eux.
Le monorail est probablement beaucoup moins bondé maintenant, se dit Kojou en se préparant à partir, quand il rencontra les yeux d’Asagi. On aurait dit qu’elle voulait dire quelque chose.
Quoi ? s’interrogea Kojou, en penchant un peu la tête avec désinvolture. Asagi semblait prendre sa résolution lorsqu’elle ouvrit la bouche.
L’instant suivant, Kojou fut soudainement entouré d’une foule de camarades de classe masculins bruyants.
« Hé, Akatsuki. As-tu prévu de participer à des événements du festival de la Veillée Funèbre ? »
« Non. Je n’ai rien décidé. »
Les camarades de classe avaient des regards emplis de doutes sur leur visage lorsque Kojou avait répondu à la question. En entendant sa réponse, les yeux des garçons semblaient briller. Ils étaient comme une meute de bêtes carnivores avec des proies dans leur ligne de mire.
« C’est ainsi. Alors, pourquoi ne travailles-tu pas à temps partiel ? Nous avons un café ouvert prévu en ville, mais il nous manque quelques personnes. Bien sûr, tu seras payé pour cela. Que dirais-tu de 250 yens par heure ? »
« Attends, Kojou ! Si tu vas travailler, sois vendeur sur notre stand ! Nous te donnerons une commission de dix… non, vingt pour cent des ventes ! »
« Tiens bon, Kojou ! N’oublie pas le légendaire tournoi de beach-volley du festival de la Veillée Funèbre !
« Ne veux-tu pas transpirer avec nous avec tout ce sable et cet air frais ? »
« Arrêtez-vous ! Les concours de beauté sont l’âme de tout festival. Nous te voulons comme juge spécial. Alors, viens au Thetis Mall aujourd’hui comme si ta vie en dépendait ! »
« Euh… umm ? »
Kojou était resté sur ses gardes face aux invitations coercitives de ses camarades de classe. En les voyant comme ça, Asagi semblait mécontente. Elle avait appelé sa bonne amie. « Hé, Rin… c’est quoi tout ça ? » avait-elle demandé à voix basse.
« Hee-hee. Akatsuki est très populaire, vois-tu. » Rin Tsukishima plissa ses yeux et rit malicieusement. Son ton taquin avait provoqué un « Argh » de la part d’Asagi lorsque ses joues s’étaient tordues. C’était une grande fille élégante avec l’air d’une adulte, classant Rin comme un type de « beauté cool », mais elle était étonnamment bavarde et avait une intuition aiguisée comme un rasoir. Elle semblait parfaitement comprendre pourquoi Asagi était de mauvaise humeur.
« Eh bien, ce n’est pas tant Kojou que Himeragi, vois-tu, » intervint Motoki Yaze avec le ton éternellement désinvolte présent dans sa voix.
Il était le « mauvais » ami de Kojou, ainsi qu’un vieil ami d’Asagi, à l’époque où ils étaient à l’école primaire.
L’humeur d’Asagi s’était encore aggravée en entendant le nom de la fille sur les lèvres de Yaze.
« Himeragi — veux-tu dire l’étudiante transférée du collège ? » demanda Asagi.
En remarquant le changement à Asagi, Yaze avait fait un signe de tête mondain.
« Il est bien connu que, pour une raison inconnue, partout où va Kojou, elle va. Si Kojou est accepté à l’université X, Himeragi l’est aussi, et c’est un gros problème. Ils auront donc beaucoup de clients, c’est sûr, » déclara Yaze.
Asagi avait exprimé sa mauvaise opinion sur la question. « Ils sont tous une bande d’idiots. »
Ils invitaient essentiellement Kojou pour servir d’appât pour amener Yukina Himeragi à se joindre à eux. Il est vrai que Yukina était une fille charmante et captivante, et que chaque événement auquel elle participait faisait affluer les clients pour la voir de plus près.
Alors qu’Asagi se mettait le menton dans les paumes et boudait, Rin lui demandait avec un regard encore plus heureux. « Es-tu d’accord avec ça, Asagi ? »
Asagi s’était retournée avec agacement. « Avec quoi ? »
« Le festival de la Veillée Funèbre. Tu voulais y aller avec Akatsuki, n’est-ce pas ? » demanda Rin.
« Hmm…, » Asagi s’était figée par réflexe quand la question soudaine avait frappé dans le mille.
Comme les festivals en général, le festival de la Veillée Funèbre était une affaire sérieuse pour les couples. Il y avait des maisons hantées, des feux d’artifice, ainsi que des voyants, des stands vendant des charmes pour approfondir les liens — le sanctuaire des démons était plein de ce genre de choses. La raison pour laquelle Asagi hésitait à inviter Kojou était qu’il était difficile de faire passer cela pour de la désinvolture.
Pendant ce temps, les garçons de la classe avaient continué à inviter Kojou à leurs diverses manifestations.
« Ah… euh, merci pour les invitations, mais je dois dire non, » répondit Kojou.
Il y avait eu un léger tumulte dans la classe, Kojou déclinant avec une fermeté inattendue. « Quoi !? Quel est le problème ? Nous te laisserons même boire du café gratuitement ! »
« Que dirais-tu de vingt-f — Non, trente pour cent, imbécile ! »
« Tu ne comprends pas, Akatsuki ! Tu ne saisis toujours pas la profondeur du beach-volley ! »
« Si être juge ne te suffit pas, pourquoi ne pas être l’un des candidats masculins ? »
Les camarades de classe avaient fait pression sur Kojou pour qu’il change d’avis. Mais Kojou avait gratté son visage endormi.
« Euh, j’ai promis d’aller au festival avec quelqu’un cette année, donc je ne peux pas. Désolé, » déclara Kojou.
D’un seul coup, la soif de sang s’était emparée de plusieurs personnes en entendant les paroles de Kojou.
« Une promesse de sortir avec quelqu’un… !? Veux-tu dire l’élève transférée au collège ? C’est ça ? »
« L’étudiant de transfert ? Ah non, rien à voir avec Himeragi ici, » déclara Kojou.
La réponse désinvolte de Kojou avait complètement déstabilisé les auteurs de l’invitation. Sans exception, leurs regards s’étaient déplacés dans la direction d’Asagi.
« … Pas… l’étudiante transférée ? »
« Alors, veux-tu parler d’Aiba ? »
« Aiba, hein… ? Eh bien, on peut se contenter d’Aiba. »
« Oui, Aiba fonctionnerait, à bien y penser. On ne peut rien y faire. Nous avons vraiment besoin d’Akatsuki dans notre événement maintenant… »
« … Cependant, elle a l’air vraiment énervée pour une raison inconnue. »
La discussion pas si privée des garçons avait fait frémir les lèvres d’Asagi à plusieurs reprises. Rin et Yaze ne soupiraient que dans une apparente pitié.
À ce moment, quelqu’un à l’entrée de la classe avait appelé Kojou d’une voix forte.
« Akatsuki ! Une visiteuse pour toi ! Une fille du collège. »
Cette fois, le timing bizarre avait provoqué une agitation bien plus grande dans la classe.
« Quoi !? »
« L’étudiante transférée ? Alors c’est vraiment l’étudiante transférée ? Aiba, c’est juste pour faire semblant !? »
« Non, attendez ! C’est… ! »
« Ce n’est pas possible ! La Sainte du collège… !? »
Celle qui appelait Kojou était Yuuha Tanahara, de la même classe. Une jeune fille aux cheveux argentés presque translucides se tenait derrière son dos, comme si elle se cachait derrière lui.
Elle portait un maillot de corps à manches longues et à long cou sous son uniforme de collège, ce qui la faisait se détacher presque comme une nonne. Dans un certain sens, son beau visage se démarquait encore plus que celui de Yukina.
Elle était Kanon Kanase, une élève de troisième année du collège. Aussi connue sous le nom de « la Sainte » pour son apparence et l’air de gentillesse qui l’entourait, elle avait de nombreux fans, même parmi les lycéens. Bien que cela ne soit pas de notoriété publique, elle était également princesse de la maison royale d’Alde. C’est sans doute ce qui expliquait l’élégance sublime qui la rendait difficile à approcher.
Et juste comme ça, Kojou avait parlé à Kanon, sans même remarquer les regards qu’ils recevaient. « Kanase ? Es-tu venue à l’école, hein ? »
« Ah oui. Je suis désolée de m’immiscer dans ta classe, mais…, » déclara Kanase.
« Non, c’est tout à fait normal. Te sens-tu mieux maintenant ? » demanda Kojou.
« Oui, j’ai quitté l’hôpital l’autre jour, » répondit Kanase.
Kojou et Kanon avaient une conversation intime, comme s’ils étaient de vieilles connaissances. Les élèves de la classe s’étaient accrochés à chaque mot et à chaque action.
Rin Tsukishima avait baissé la voix et avait chuchoté à l’oreille d’Asagi. « Comment ont-ils fait connaissance ? »
« Il n’y a aucune chance que je sache quelque chose comme ça ! » s’exclama Asagi.
Le sang s’était précipité dans la tête d’Asagi en réponse. Elle savait que Kojou et Yukina avaient été mêlés à une sorte de problème impliquant Kanon Kanase peu de temps auparavant. Cependant, les excuses de Kojou avaient fait oublier tous les détails, elle ne savait toujours pas pourquoi il avait été impliqué dans un tel incident. Et sans même remarquer qu’Asagi le regardait, il y avait Kojou, debout à côté de Kanon et faisant un sourire frivole.
« As-tu donc fait tout ce chemin pour me saluer ? » demanda Kojou.
« Oui. Il y a aussi une faveur que je voulais te demander, » déclara Kanon.
Kojou semblait surpris lorsqu’il avait répondu. « Une faveur ? Moi ? »
Kanon baissa timidement les yeux. « Oui, ah… »
Alors que la voix de la jeune fille aux cheveux d’argent diminuait avec hésitation, les camarades de classe de Kojou retenaient leur souffle, attendant qu’elle continue. Finalement, Kanon avait levé le visage avec force et avait demandé à Kojou d’une voix pleine de tension…
« Puis-je aller chez toi et… passer la nuit là-bas ? » demanda Kanon.
À ce moment, ce qui semblait être un silence glacial s’était abattu sur la classe. Seule Asagi avait eu une expression de choc complet lorsqu’elle avait haussé la voix dans un « Quoi — !? » Puis…
L’attitude de Kojou avait été désinvolte puisqu’il avait accepté la demande de Kanon.
« Bien sûr, ça ne me dérange pas du tout, mais…, » répondit Kojou.
Les yeux d’Asagi s’ouvrirent en grand et se figèrent comme ça alors que ses épaules tremblaient comme si elle touchait un fil sous tension.
« Qu-quoi — !? »
En regardant à côté d’elle, Yaze avait secoué la tête d’un air exaspéré.
Rin avait fortement saisi le poignet d’Asagi et avait dramatiquement levé leurs deux mains ensemble.
« Attendez un peu ! » La classe avait été secouée une fois de plus comme si un tremblement de terre se produisait. Même Kojou et Kanon avaient été obligés de remarquer l’étrange aura et de regarder vers là-bas. Rin avait fait un sourire en informant Kojou de la résolution. « Nous vous rejoindrons. Ça ne te dérange pas, n’est-ce pas, Akatsuki ? »
Kojou avait un air stupéfait en répondant avec une question. « Hein ? »
Asagi n’avait toujours aucune idée de ce qui se passait sur terre, alors qu’elle jetait un regard entre un Kojou désorienté, une Rin souriant agréablement et les autres, et que sa propre main qui se levait haut, puis, elle criait…
« Qu’est-ce que c’est que ça ? »
Il restait deux jours avant le festival de la Veillée Funèbre. Les signes de la montée de l’humeur festive étaient devenus de plus en plus évidents.
***
Partie 3
L’Île Sud était le quartier sud de l’île d’Itogami, plein de quartiers résidentiels. Ici, le frère et la sœur Akatsuki vivaient dans un immeuble d’appartements construit au sommet d’une douce colline artificielle.
Leur numéro d’appartement était le 704. Il avait été aménagé dans un agencement standard de trois chambres à coucher, cuisine, salle à manger, salon. La vue spectaculaire depuis la fenêtre contrastait le ciel du soir avec la ligne d’horizon de la ville d’Itogami étendue en dessous et teintée en rouge par les rayons du soleil couchant.
Les grandes assiettes de la table à manger en verre étaient empilées en hauteur avec de la nourriture.
Kanon était debout dans son uniforme d’écolière, regardant la cuisine et se sentant très mal à l’aise. Alors qu’une expression teintée de tension se dessinait sur son visage, le bruit des feux d’artifice avait éclaté, comme pour la faire se recroqueviller encore plus.
Nagisa Akatsuki avait crié alors que les pétards remplissaient l’air de bruit. « Kanon, félicitations pour ta sortie de l’hôpital ! »
Elle était en troisième année de collège, tout comme Yukina et Kanon, et aussi la petite sœur biologique de Kojou. Elle avait l’air un peu plus enfantine que les autres filles de son âge, mais dans l’ensemble, c’était une petite sœur très capable. Elle avait l’air mignonne, ses notes étaient plutôt bonnes. Elle était douée pour toutes sortes de travaux ménagers. Son plus grand défaut était sa propension à trop parler, mais, assez mystérieusement, elle ne semblait jamais irriter personne avec cela.
La plupart des aliments sur la table étaient sa cuisine maison.
Kanon regarda autour d’elle avec une expression embarrassée, mais reconnaissante alors que des confettis tombaient sur tout son corps.
« Hum, ah… Je suis désolée de t’avoir fait subir tout ce mal juste pour moi…, » déclara Kanon.
Nagisa parlait d’une voix encore plus brillante, comme si le fait de voir Kanon comme ça ne faisait que l’encourager davantage.
« Qu’est-ce que tu dis ? Tu es l’invitée d’honneur du jour. Voilà, assois-toi ! Mange ! Je suis vraiment fière de cette salade. Il y a une vinaigrette maison avec des noix, des cacahuètes et du sésame. Voici la Croquette Itogami Deluxe de Tanaya. Voici le grand plat final du Nagisa Spécial Red-Hot Chili Beans. Les pâtes carbonara napolitaines ont également presque fini de bouillir, » déclara Nagisa.
Kanon sourit agréablement, mais maladroitement, peut-être un peu effrayé par la vigueur de Nagisa. « Merci. »
Yaze, qui était assis effrontément juste à côté de Kanon, avait immédiatement tendu la main avec ses baguettes. « Whoa, c’est délicieux. C’est vraiment approprié venant de toi, Nagisa. T’es-tu encore améliorée ? »
Asagi plaça sa main à la joue en apportant une soupe servie froide à ses lèvres.
« C’est vraiment le cas. Le fait qu’elle soit la petite sœur de Kojou est un peu un gâchis, » déclara Asagi.
Kojou, chassé dans un coin du salon, avait lancé un regard ahuri sur les filles.
« Pourquoi êtes-vous aussi tous ici à la fête de rétablissement de Kanon ? » demanda Kojou.
« Ne dis pas ça. C’est quelque chose de bien à fêter, alors plus on est de fous, mieux c’est, non ? » déclara Yaze.
« Sache, Kojou, que j’ai payé pour la viande que tu manges, » déclara Asagi.
« Arghh. »
Kojou avait poussé un soupir exaspéré devant le comportement totalement éhonté de Yaze et Asagi. En fait, Kojou ne savait toujours pas pourquoi ils avaient soudainement annoncé qu’ils venaient chez lui.
Le fait est que leur venue lui facilitait un peu les choses de toute façon.
Même si c’était une fête de rétablissement pour une connaissance, il avait naturellement ressenti une certaine gêne à l’idée de manger un repas entouré de filles du même âge que sa petite sœur.
Asagi avait soudain posé une question en faisant une pause dans son repas. « … Quelle est ta relation avec Kanase ? »
Quelle que soit l’impression que donne son apparence, c’était une mangeuse vorace. Nagisa avait mis de la nouvelle nourriture dans l’assiette vide d’Asagi à maintes reprises.
« Je l’ai expliqué hier. Kanase se faisait soigner pour sa maladie chez la Magus Craft, et Himeragi et moi avons donné notre sang pour l’aider. N’est-ce pas, Himeragi ? » répondit Kojou.
« Oui. C’est vrai. Je suis désolée de vous avoir tous inquiétés parce que nous étions si pressés, » répondit Yukina.
Kojou et Yukina avaient donné leurs explications en douceur. Ils avaient fait en sorte que leurs histoires correspondent à une telle occasion. Mais en constatant qu’une excuse aussi lisse n’était pas naturelle en soi, un doute évident s’était installé chez Asagi. « Alors, que se passe-t-il avec la princesse ? »
« Eh bien, comme je l’ai dit, le père de Kanase était le sorcier-ingénieur royal d’Aldegia quand il était plus jeune, c’est pourquoi elle venait lui rendre visite, » répondit Kojou.
« Hmm. »
L’explication de Kojou et Yukina différait sensiblement de la vérité, mais compte tenu des relations entre les différentes personnes, ce n’était pas non plus un mensonge. Bien qu’Asagi n’ait manifestement pas cru à tout cela, elle avait apparemment renoncé à poursuivre l’affaire.
C’était plutôt la dernière participante qui avait parlé depuis la direction de la chambre de Kojou.
« Hmm… donc c’est la chambre d’Akatsuki. Étonnamment normal. Hmm, très intéressant, » déclara Rin.
« Pourrais-tu, par exemple, ne pas aller dans la chambre des autres et regarder sous leur lit, Tsukishima ? » Kojou avait crié d’une voix stridente, regardant Rin de dos alors qu’elle se penchait sur le sol.
Elle était connue pour son comportement cool avec tous les autres, peu importe qui ils étaient, mais son comportement envers Kojou était un peu différent. Rin, dont le père était un célèbre spécialiste de la biologie démoniaque, connaissait exceptionnellement bien les caractéristiques des démons. Grâce à cela, Kojou avait senti que Rin agissait de temps en temps comme si elle avait compris qu’il n’était pas un être humain normal.
Cela dit, elle n’avait jamais regardé Kojou avec un soupçon d’hostilité. De toute évidence, elle n’avait pas l’intention de faire tanguer le bateau. Elle était apparue comme l’observatrice amusée classique. Son insistance à venir à la résidence Akatsuki avait sans doute contribué à cette curiosité.
Rin semblait s’intéresser beaucoup à l’étagère de Kojou.
« J’ai trouvé un album. Puis-je jeter un coup d’œil ? » demanda Rin.
« Vas-y, mais ce n’est qu’une chose qui vient de l’école primaire. Je doute qu’il y ait quoi que ce soit d’intéressant, » répondit Kojou.
Kojou avait voulu la prévenir de bien s’en occuper, mais les filles semblaient toutes se faire une idée différente. Asagi et Yukina s’étaient alors rassemblées autour de Rin, l’air beaucoup plus intéressé maintenant alors qu’il avait ouvert sa grande bouche.
Alors qu’elle feuilletait les pages de l’album, Rin avait plissé les sourcils, apparemment amusés.
« Ah, wôw Akatsuki. Hmm, il lui ressemble beaucoup, n’est-ce pas ? » déclara Rin.
Yukina avait regardé avec attention en transmettant ses propres impressions. « Ainsi, Senpai a également été un jour un élève de l’école primaire. Mignon… peut-être ? »
« C’est quoi ce “peut-être” ? Dis que je l’étais, bon sang ! » se plaignait amèrement à un Kojou déprimé.
Kanon ricanait et souriait en écoutant l’échange. « C’est donc juste avant que Kojou n’emménage à la ville d’Itogami, hein ? »
C’est Asagi qui avait vérifié la date sur la photo. « Il semble que ce soit le cas. Toutes les autres ont clairement été prises alors qu’il était encore en primaire. »
Kojou l’avait rencontrée immédiatement après avoir déménagé sur l’île d’Itogami quelque quatre ans auparavant. Kojou venait juste d’entrer au collège.
« Qui est-ce ? Ils sont ensemble sur beaucoup de ces photos. » Yaze avait pris l’album alors qu’il l’avait demandé.
Kojou avait été photographié avec un coéquipier dans la même tenue de basket. Le jeune était fortement brûlé par le soleil, mais c’était un écolier primaire au visage très énergique.
« Ah oui, c’est Yuuma, » déclara Kojou.
« Yuuma ? » demanda Yaze.
« Quelqu’un avec qui nous jouions quand nous étions petits. Un ami du basket-ball quand j’étais jeune… Nous étions un peu comme deux pommes pourries dans un tonneau, » déclara Kojou.
« Vraiment, » déclara Rin, les yeux fermés par une apparente admiration. « Assez beau. Complètement gaspillé pour un ami comme toi, Akatsuki. »
Kojou se lamenta, et ses lèvres tordirent comme si cela lui faisait vraiment mal.
« Qu’est-ce que ça veut dire ? Et si mon ami est plus beau que moi, cela change quoi ? » demanda Kojou.
Pour sa part, Yaze avait fixé la photo avec une expression qui n’avait pas du tout l’air fausse.
« Merde. Je pensais être le seul bon ami de Kojou, mais dire que le gars devant moi était si génial ! » déclara Yaze.
Asagi avait froncé les sourcils, comme si cela lui déplaisait profondément. « Vous me donnez tous les deux la chair de poule… »
Les yeux de Kojou s’étaient écarquillés par réflexe.
« Quoi, moi aussi !? » demanda Kojou.
Nagisa avait éclaté de rire. « Contrairement à Kojou ici présent, Yuuma était très populaire auprès des filles à l’époque. »
« Ouais. » Kojou avait hoché la tête à contrecœur. Son vieil ami était très populaire auprès des dames.
Puis, comme si elle venait de se souvenir, Nagisa avait sorti son téléphone portable et avait ouvert son écran de messagerie.
« Ah oui, j’ai reçu un e-mail un peu plus tôt. Yuuma arrivera à l’aéroport à neuf heures demain matin, » déclara Nagisa.
Yaze avait regardé en réponse avec une surprise visible. L’album de Kojou lui avait fait frémir le doigt. « Hein ? Veux-tu dire qu’il vient sur l’île d’Itogami ? »
Kojou répondit avec un ton d’indifférence alors que Nagisa portait dans une assiette pleine de pâtes. « C’est exact. Apparemment, un parent s’est tordu les bras et a offert à Yuuma un billet pour le festival de la Veillée Funèbre. »
La raison pour laquelle il avait déterré l’ancien album était de préparer les retrouvailles avec son vieil ami.
« C’est vrai, tu as dit que tu avais promis de faire visiter la ville à quelqu’un cette année, n’est-ce pas, Akatsuki ? » Rin avait parlé comme si ses soupçons s’étaient soudainement dissipés.
« Oui, j’ai promis de faire visiter l’île à Yuuma, » déclara Kojou en portant des pâtes à ses lèvres.
Rin avait un air satisfait sur son visage, souriant à Asagi comme pour la consoler. « Si c’est pour faire visiter un ami, on ne peut rien y faire. N’est-ce pas, Asagi ? »
Asagi, de retour à sa place à table, avait attaqué sa nourriture une fois de plus avec encore plus de vigueur. « C’est bon. Je me suis dit que c’était quelque chose comme ça de toute façon. »
Nagisa rayonnait à la vue de ses plats qui disparaissait rapidement.
Asagi avait soudainement laissé la nourriture se reposer et avait regardé Yukina assise à côté d’elle. Asagi s’était approchée de son visage et lui avait demandé en chuchotant. « Hé… tu savais que l’ami de Kojou allait venir… ? »
« Non, » déclara Yukina, en secouant la tête, apparemment déçue. « C’est la première fois que j’entends parler de ses projets pour le festival. »
Les deux filles avaient échangé un regard et avaient soupiré en même temps.
« C’est tout à fait approprié venant de lui, » déclara Yukina.
« … C’est le cas, n’est-ce pas ? » déclara Asagi.
Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Kojou se demandait, sans raison concrète, si le fait de voir les deux filles exprimer une sympathie aussi étrange pour l’autre ne le mettait pas mal à l’aise.
***
Partie 4
En dépit de l’inquiétude et de la consternation qui régnaient avant le début de la fête, celle-ci s’était terminée de manière pacifique et festive.
Kanon, l’invitée d’honneur, avait écouté avec joie les plaisanteries incessantes de Nagisa et les histoires stupides de Yaze sans un seul regard désagréable sur son visage. En observant la vie privée de Kojou, Rin s’était apparemment aussi contentée de ça.
Asagi et Yukina se livraient à un duel de jeux vidéo au rythme et à la danse endiablés, leur niveau de tension approchant du désespoir pour des raisons inconnues. Dans un coin se trouvait Yukina, dotée de réflexes d’une rapidité surhumaine, dans l’autre Asagi, possédant l’intuition d’un génie et une connaissance approfondie des algorithmes informatiques. Leur combat acharné s’était soldé par des scores élevés inouïs, mais s’était terminé sans vainqueur incontestable. Kojou avait du mal à dire si elles s’entendaient bien ou si elles se détestaient.
Comme Asagi et les autres étudiants n’avaient pas fait de préparatifs pour passer la nuit, ils avaient dû partir à temps pour prendre le dernier train pour y retourner. Seuls Kojou et trois élèves du collège étaient restés dans la résidence Akatsuki.
Apparemment, Kanon et Yukina allaient dormir dans la chambre de Nagisa. Kojou, le seul homme dans la zone, se réfugia dans sa propre chambre et se plaça immédiatement au lit.
La mère de Kojou et Nagisa, qui portait le titre impressionnant de chef de la recherche dans l’une des entreprises de la ville, n’était pas rentrée chez elle depuis une ou deux semaines. Pour elle, ne pas être revenue à cette heure signifiait qu’elle dormait probablement encore une fois sur son lieu de travail.
Cela dit, même elle ne manquerait sûrement pas une visite à domicile lorsque le laboratoire sera fermé pour le festival de la Veillée Funèbre. De plus, Yuuma arrivait. La journée de demain s’annonçait encore plus mouvementée.
Kojou avait regardé le plafond pendant un bon moment, alors qu’il réfléchissait profondément à ce genre de choses.
C’était comme d’habitude, mais il ne pouvait pas dormir.
Dès le départ, Kojou était un oiseau de nuit, et la tendance n’avait fait que s’accentuer depuis qu’il était devenu vampire. La situation était devenue suffisamment extrême pour qu’il ait préféré s’endormir le jour et se lever la nuit s’il le pouvait.
Mais cela aurait bien sûr un impact sur sa vie au lycée, et d’ailleurs, Nagisa remarquerait sans doute qu’il était un vampire s’il faisait une telle chose. C’était quelque chose qu’il devait éviter à tout prix. Il ne pouvait pas lui faire savoir que son propre grand frère était devenu un démon.
Au milieu d’une autre nuit d’insomnie et d’inquiétude, les oreilles de Kojou avaient entendu une voix plutôt réservée.
« … Akatsuki. »
Pendant un instant, il avait cru entendre des choses, mais lorsqu’il avait regardé plus attentivement, Kojou avait vu que la porte de sa chambre était légèrement ouverte. Il pouvait voir de magnifiques cheveux argentés scintillants à travers la fissure.
« Euh, es-tu toujours réveillé ? »
« … Kanase ? »
Lorsque Kojou répondit d’une petite voix, Kanon fit afficher sur son visage un regard soulagé. Elle avait poliment baissé la tête et était entrée dans la pièce. Puis, elle avait doucement fermé la porte derrière elle.
Elle était vêtue d’un pyjama qui s’étendait jusqu’aux genoux. Le tissu bleu pâle étant de la même couleur que ses yeux, ils convenaient particulièrement bien à Kanon.
Kojou se tourna vers Kanon et s’assit, lui lançant un regard ahuri. Pendant un moment, il s’était demandé s’il s’agissait d’une « intrusion dans la chambre de quelqu’un », comme il l’avait entendu dire, mais il avait immédiatement écarté cette possibilité. Il ne pensait pas qu’une fille comme Kanon, élevée par des religieuses et même surnommée une sainte, se livrerait à un tel comportement.
« Qu’est-ce que c’est, dans un moment comme celui-ci ? » demanda Kojou.
« Je voulais avoir une conversation privée avec toi, » déclara Kanon.
« Conversation ? » demanda Kojou.
« Oui, » déclara Kanon, en hochant la tête d’un air sérieux.
Kojou s’était déplacé dans le coin du lit et avait donné à Kanon de l’espace pour s’asseoir. Kanon rougit un peu en posant ses hanches à côté de Kojou. Puis, elle jeta un autre regard doux et elle poursuivit. « Je voulais te parler de la faux-ange. »
L’expression de Kojou était devenue grave.
« … Te souviens-tu quand tu es devenue une ange ? » demanda Kojou.
Une faux-ange était un être qui avait vu le jour en utilisant des moyens de sorcellerie pour faire passer un corps humain à celui d’un être supérieur. Kanon, naturellement apte à être un puissant médium spirituel en raison du sang royal Aldegian qui coulait à travers elle, avait été sélectionné comme sujet de test. Et pendant un certain temps, elle était arrivée à une forme angélique impossible à distinguer de la réalité. Cependant, elle avait payé un lourd tribut dans le cadre d’une expérience aussi téméraire, conçue pour transformer un être humain en ange par la force. Elle avait été engagée dans des combats meurtriers contre d’autres faux-anges, et finalement, la conscience de soi de Kanon avait commencé à s’estomper. En outre, les faux-anges produites par ces moyens étaient considérées par d’autres comme de simples armes.
Finalement, Kojou et Yukina avaient pu sauver Kanon des circonstances horribles qui l’avaient frappée. Cependant, aucun d’entre eux n’avait l’intention de dire à Kanon une telle chose.
De plus, la vérité était que Kojou l’avait plus combattue que sauvée. Un seul faux pas et Kojou et Yukina l’auraient tuée. Ils pensaient que dire une telle chose à Kanon ne ferait qu’accroître son angoisse. Lorsqu’ils avaient appris que Kanon n’avait aucun souvenir de son époque en tant que faux-ange, ils avaient tous deux pensé que son amnésie était vraiment une bénédiction.
Mais si Kanon n’en avait pas perdu le souvenir, cela aurait été une tout autre histoire.
Il semblerait que Kanon soit venue rendre visite à Kojou en toute tranquillité pour lui faire part des événements de cette journée.
Cependant, Kojou ne savait pas comment expliquer logiquement les choses tout en tenant compte des sentiments de Kanon. De plus, lui dire la vérité signifiait naturellement exposer le fait qu’il était un vampire. C’est une autre raison pour laquelle Kojou avait hésité. Si l’amie de Nagisa connaissait la vérité à son sujet, cela augmentait les chances que Nagisa elle-même l’apprenne.
C’était une pièce sombre, sans source de lumière. En haut du lit étroit, Kojou avait rencontré les yeux de Kanon sans savoir comment il allait s’en sortir.
C’est alors que Nagisa avait soudainement frappé à la porte.
« J’entends quelqu’un parler. Kojou, es-tu toujours éveillé… ? » demanda Nagisa.
La porte s’était ouverte soudainement sans attendre la réponse de Kojou.
Juste avant cela, Kojou avait poussé Kanon contre le haut du lit, la cachant complètement sous l’édredon alors qu’il se mettait lui-même sous celui-ci. Kanon était sur le point de hausser la voix quand Kojou lui avait couvert la bouche avec sa paume, lui disant avec ses yeux : reste tranquille !
Heureusement, Nagisa semblait croire que Kojou dormait, sans remarquer que Kanon était cachée sous la couette.
« … Mince, Kojou. Ne règle pas le thermostat aussi bas, » déclara Nagisa.
Prenant la télécommande posée sur un bureau, elle avait éteint l’air conditionné avant de bâiller d’un air endormi.
« Hm… salle de bain… salle de bain… »
Sur ce, Nagisa avait quitté la pièce. Kojou s’était finalement détendu en sentant sa présence s’éloigner. Cachée sous l’édredon, Kanon soupira aussi de soulagement.
Il était fort possible que Nagisa ait été un peu agitée lorsqu’elle avait réalisé que Kanon ne dormait pas dans sa chambre comme elle le devait. Il ne faisait aucun doute que Nagisa s’enflammerait si elle le voyait avec Kanon dans un moment pareil.
« On dirait que nous n’avons pas été découverts, » commenta Kojou.
Kanon avait souri avec charme alors que seuls ses yeux étaient visibles sous l’édredon.
« Mon cœur battait vraiment fort, » déclara Kanon.
Le propre cœur de Kojou battait tout aussi fort. « Désolé de t’avoir traînée sous la couette comme ça. »
« C’est bien. C’était en fait assez amusant. » Kanon avait amené son visage jusqu’à l’oreille de Kojou pendant qu’elle parlait. Cette proximité inattendue avait rendu tout le corps de Kojou à nouveau rigide. Il avait compris que c’était seulement pour que sa voix ne soit pas portée en dehors de la pièce, mais même ainsi, c’était une position terriblement suggestive sur le dessus d’un lit.
« K-Kanase… euh…, » déclara Kojou.
« Je suis venue pour te remercier. J’ai appris comment toi et Yukina m’avez sauvée, » déclara Kanon.
« Hein… ? » s’exclama Kojou.
« J’ai tout entendu de Mme Natsuki… sur les recherches de mon père… et sur ce que tu es vraiment…, » déclara Kanon.
Kojou avait retenu son souffle face à la soudaine confession de Kanon. En raison de la participation de son père à l’expérience Faux-Ange, Natsuki Minamiya était actuellement la tutrice de Kanon.
Kanon avait-elle donc déjà tout entendu de la bouche de Natsuki : la vérité sur l’incident et aussi la vérité sur Kojou ?
Kanon continua à parler dans les oreilles de Kojou qui était secoué. Ses paroles avaient en quelque sorte présenté de l’admiration. « Tu es vraiment un héros, n’est-ce pas ? »
« Hein… !? » s’exclama Kojou.
Les paroles totalement inattendues de Kanon avaient fait taire Kojou. Kojou n’avait pas la moindre idée de ce dont elle parlait. Mais Kanon avait continué sur un ton très sérieux. « Mme Natsuki m’a tout racontée. Comment tu as été capturé par une organisation maléfique et converti en Guerrier Mystique, et comment tu travailles pour la paix de l’île d’Itogami sans que personne ne le sache... »
Découragée, sans pierre pour se glisser sous elle, la voix de Kojou tremblait. « Pourquoi cette petite crevette… ! »
Soit parce qu’elle n’avait pas trouvé de bonne explication, soit parce qu’elle avait décidé à mi-chemin que c’était trop difficile, Natsuki avait apparemment fait croire à Kanon une histoire digne d’une bande dessinée.
D’une certaine manière, cela avait du sens et cela avait réussi à cacher le fait que Kojou était un vampire, mais il se demandait si elle n’aurait pas pu cracher une excuse un peu plus sensée. Mais cela semblait tout à fait acceptable pour Kanon.
« … Hum, Kanase. Pourrais-tu ne pas en parler à Nagisa ? » demanda Kojou, la voix frêle.
Il était en proie à un conflit intérieur d’une gravité inattendue, qui était mieux : être démasqué en tant que vampire ou pris pour un cyborg.
« Je comprends. L’identité d’un héros est secrète, même pour sa propre famille, » déclara Kanon d’un signe de tête ferme.
Voyant cela, Kojou avait décidé qu’il était inutile de ruminer davantage sur la question et avait donc changé de rythme émotionnel. « Au fait, Kanase, vas-tu bien ? Je parle du fait d’aller dormir chez moi juste après être sorti de l’hôpital. »
« Oui. Physiquement, je vais très bien. Mme Natsuki m’a aussi donné la permission, » déclara Kanon.
« Ah, d’accord. Je suis heureux de l’entendre, » répondit Kojou.
« Oui. Astarte a également fait beaucoup pour moi, » déclara Kanon.
La réponse de Kanon avait fait sourire Kojou, soulagé. Apparemment, sa nouvelle vie chez Natsuki se passait plutôt bien.
Mais juste au moment où Kojou commençait à se détendre, il entendit à nouveau des bruits de pas venant du couloir. Apparemment, Nagisa revenait après s’être occupée du nécessaire.
Alors que Kanon s’agitait, Kojou la poussa une fois de plus sur le lit, tirant la couverture sur ses propres épaules. Les deux individus se serraient pratiquement l’un contre l’autre en attendant le passage de Nagisa.
Mais à ce moment-là, Kojou avait été secoué lorsqu’il avait remarqué qu’une sensation inattendue qu’il percevait en provenance de Kanon était pressée contre lui.
« Kanase. Par hasard, euh, sous ton pyjama… ? » murmura Kojou.
« Oui ? » demanda Kanon.
Kanon leva les yeux sur Kojou avec un regard mystifié. Par réflexe, Kojou détourna les yeux, incapable de regarder directement son expression sans artifice.
Quelque chose se pressait contre son corps. Bien que de taille modeste, la pression était douce et souple. Son instinct animal en était certain : elle ne portait pas de soutien-gorge en ce moment. Apparemment, Kanon n’en portait pas pour aller au coucher.
« Akatsuki ? » Kanon l’interrogeait avec une apparente inquiétude, remarquant le petit frisson de Kojou. Mais pour l’instant, Kojou n’avait pas eu le luxe de répondre. Ce n’était pas qu’il était malade. Kojou avait été agressé par un simple phénomène biologique. Mais il s’agissait d’une condition abominable et pernicieuse exclusive au corps du vampire : à savoir l’envie de boire du sang.
Bien qu’elles fassent encore l’objet de nombreux malentendus dans le monde entier, les espèces connues sous le nom de vampires ne buvaient pas le sang des autres pour se nourrir. Le véritable déclencheur des pulsions vampiriques n’était pas la faim, mais l’excitation physique, en d’autres termes, la luxure.
« Qu’y a-t-il, Akatsuki ? Est-ce que tu ne te sens pas bien… !? » demanda Kanon.
« Je vais bien… alors, s’il te plaît, n’appuie pas trop fort. C’est juste un petit, hum…, » répondit Kojou.
Kanon s’était penchée, regardant le visage de Kojou avec un regard inquiet. Il lui était reconnaissant de sa sollicitude, mais en se penchant, elle exposa à la fois son cou blanc et ses seins, stimulant encore plus Kojou.
Son champ de vision était devenu cramoisi, empreint d’excitation, ses canines s’étaient allongées et sa vue avait palpité.
À ce rythme, il perdrait complètement la raison — du moins le pensait-il lorsque, un instant plus tard, le goût sucré et métallique du sang se répandit dans sa bouche.
Kanon avait laissé échapper un glapissement. « Akatsuki, tu saignes du nez !? »
Cependant, Kojou était soulagé de sentir le filet du saignement de nez. Ce goût avait temporairement chassé ses pulsions vampiriques. Le goût de son propre sang ne lui posait aucun problème. Même si cela signifiait être pris pour un saignement de nez dû à l’étreinte d’une collégienne, cela signifiait que Kanon n’allait pas être blessé, et c’était une bonne chose.
Ce qui avait brisé le sentiment fugace d’accomplissement de Kojou en petits morceaux méconnaissables, c’était la voix calme qu’il avait entendue de l’entrée de sa chambre.
« … Que fais-tu avec Kanase au milieu de la nuit, Senpai ? »
« H-Himeragi !? » s’écria Kojou.
Réalisant qui était l’orateur, l’expression de Kojou s’était figée. À un moment donné, Yukina, vêtue d’un pyjama monochrome, était venue se tenir à l’intérieur de la chambre de Kojou, avec une expression sans émotion comme de la glace.
Nagisa était debout à côté d’elle en pyjama à pois. Ses cheveux défaits semblaient se dresser sur la tête tandis que ses épaules tremblaient en silence. Apparemment, elle était tellement en colère qu’elle ne pouvait pas parler. C’était un très mauvais signe.
Kojou secoua la tête avec un regard de désespoir.
« Attendez, ce n’est pas le cas ! Ce n’est pas comme ça. Nous avons juste une conversation très importante…, » déclara Kojou.
Mais Yukina fermait les yeux à moitié en poussant un soupir glacial. « Une conversation importante au lit ? »
« Dans une situation comme celle-ci, tout ce que tu dis ne sonne que comme une excuse… ! » déclara Nagisa à voix basse et étouffée.
La sueur coula dans le dos de Kojou.
« … Je suppose que oui, » déclara Kojou.
Ne remarquant pas la soif de sang que leur conversation avec Kojou avait suscité, Kanon avait levé les yeux vers Kojou, la seule à s’inquiéter de son hémorragie.
« Le saignement de nez ne s’arrête pas. Qu’est-ce que je vais faire… ? Ah, c’est vrai… ! » s’exclama Kanon.
Soudain, se levant avec force, Kanon avait levé la main en position haute comme pour une séance de karaté. Kojou avait senti qu’elle rassemblait involontairement une grande quantité d’énergie rituelle dans sa main aplatie.
Bien qu’elle l’ignorait totalement, Kanon était de la famille royale — un descendant direct de la famille royale Aldegian. Si l’on ne mesure que le potentiel brut, elle était une médium spirituelle rivalisant en force avec Yukina.
« J’ai entendu dire que cela peut être guéri immédiatement par un coup à l’arrière de la tête ! » déclara Kanon.
Kojou avait paniqué en réalisant ce que Kanon voulait faire. « Attends un peu ! Tu t’es trompé dans tes premiers soins ! Les bonnes filles ne devraient pas copier des trucs de la télévision, c’est dangereux ! »
Si elle lui donnait un coup de jeune fille du sanctuaire avec tant de pouvoir spirituel à l’arrière de la tête, il ne pensait pas qu’un vampire immortel pourrait mourir de ça. Même sans cela, il était dangereux de mélanger les premiers secours.
Cependant, l’appel à la pitié de Kojou fut vain, Kanon fit descendre la frappe en laissant sortir avec sa jolie voix. « Yah ! »
La vision de Kojou s’était assombrie lorsque le coup mortel avait été porté.
Les dernières choses que Kojou avait vues avec les dernières traces de sa conscience avaient été Yukina, qui se couvrait les yeux en lui disant qu’il récoltait ce qu’il avait semé, et sa propre sœur, avec un regard froid et méprisant.
***
Partie 5
Au neuvième mois lunaire, quelques jours après le premier croissant de lune gonflé au-delà de la moitié de sa taille, le ciel du sud-ouest brillait de mille feux.
La nuit du sanctuaire des démons avait été longue. De nombreux démons aimaient la nuit, ainsi, dans les villes à forte population de démons de passage, les commerces proposant de la nourriture et des divertissements avaient continué à fonctionner jusqu’à l’aube ou presque.
D’autre part, un peu à l’écart de l’agitation de la ville, l’île était entourée par la mer sombre et grande ouverte couverte par la nuit, où même la lumière des néons n’arrivait pas. Les vagues rugueuses de l’océan s’écrasaient sans cesse contre les falaises de l’île artificielle, répandant des embruns froids tout autour. Une voix tordue et moqueuse résonna sur la surface de la mer, ondoyante et veloutée.
Une femme vêtue d’une tenue rouge parla.
« Comme avant, une ville horrible, ma sœur. »
Ses vêtements étaient très révélateurs, on aurait pu croire qu’elle était une danseuse d’un pays étranger. Elle portait des bas de jarretière sensationnels ainsi qu’une robe de sorcière et une longue capuche. Tous étaient teints en écarlate, comme la couleur du sang.
À en juger par son apparence, elle avait une vingtaine d’années. D’après ses vêtements, on pourrait penser qu’elle était une prostituée ou vue de dos seulement, peut-être une prêtresse. Cependant, l’atmosphère sinistre qui l’entourait ne lui rappelait qu’un seul mot : sorcière.
L’autre voix enivrante répondit à la femme écarlate par un rire. « Oui, tout à fait. »
Cette femme était en noir de jais. Elle portait un chapeau triangulaire à larges bords sur la tête, un manteau noir sur les épaules et un costume de bondage en cuir noir, dans un sens, l’air qui l’entourait était plus érotique que si elle avait été complètement nue.
Son apparence, elle aussi, ne pouvait être appelée que celle d’une sorcière.
Une sorcière écarlate et une sorcière noire.
Marchant calmement à la surface de la mer, les deux femmes avaient posé le pied sur la terre artificielle de l’île d’Itogami.
L’instant d’après, un projecteur éblouissant les éclaira brutalement.
La police antiémeute, bien armée, était fortifiée contre les falaises au bord de la route. Leurs boucliers étaient gravés de runes magiques défensives, leurs armes à feu étaient chargées de cartouches spéciales anti-démons.
C’était l’unité d’interdiction de la garde de l’île. Conformément à leur mission, ils débordaient d’expérience du combat et d’armes puissantes.
Cependant, les sorcières avaient fait sur les gardes un regard méprisant, soupirant avec un manque d’enthousiasme.
« Ils semblent peu amusés, ma sœur. »
« On pourrait penser qu’ils nous accueilleraient plus chaleureusement, en revenant après dix ans comme ça. »
Alors qu’elles parlaient avec désinvolture, les deux femmes avaient continué à marcher vers la ville. Leur comportement était assez arrogant, complètement insouciant des canons de l’arme qui les visait.
Le chef de l’escouade de la garde de l’île avait crié. Sa voix amplifiée par haut-parleur semblait faire trembler l’air très côtier.
« Attention, intrus : Vous violez la juridiction d’un sanctuaire de démons. Conformément à la loi sur les mesures spéciales de sécurité, vous êtes en état d’arrestation. Abaissez immédiatement vos sorts et suivez nos instructions. Vous avez dix secondes. C’est votre dernier avertissement. Si vous ne vous y conformez pas, nous vous arrêterons par la force. »
Les gardes avaient enlevé les sécurités de leurs armes.
Ils étaient équipés de cartouches énergétiques rituelles de gros calibre et de cartouches à puces électriques capables de même neutraliser les hommes bêtes. Un coup solide et les corps physiques de la sorcière seraient réduits en miettes.
Quoi qu’il en soit, les sourires froids et moqueurs des sorcières n’avaient pas faibli.
« Les paysans sont dans le tumulte. »
« Permettez-nous de nous amuser un peu. »
Le chef de l’équipe avait poursuivi son compte à rebours. Les deux sorcières avaient continué à marcher, même au-delà des dix secondes allouées. Après qu’une expression amère se soit momentanément emparée du chef d’équipe, il avait crié sur un ton impassible.
« Feu ! »
Des étincelles bleues se dispersèrent dans l’obscurité. Le bruit d’innombrables coups de feu s’était fondu en un seul et unique bruit de tonnerre qui avait secoué la terre. Cependant, la grêle de balles qu’ils avaient envoyée n’avait pas touché les sorcières.
Un tentacule géant avait fendu la mer et s’était avancé, leur servant de bouclier, bloquant toutes les balles qui les visaient. Les gardes étaient choqués par ce spectacle bizarre.
Le tentacule avait un diamètre d’environ cent cinquante centimètres à son point le plus épais, ils n’avaient même pas pu voir sa longueur. Il s’agissait d’un appendice translucide suggérant peut-être un céphalopode, un calmar. Se déplaçant comme des serpents, d’autres tentacules étaient entrer en jeu, dissimulant complètement les sorcières derrière eux.
« Vous vivez dans un sanctuaire de démons. Êtes-vous vraiment surpris par un familier de ce niveau ? » La sorcière écarlate avait fait un rire hautain comme pour se moquer des troupes qui semblaient prêtes à s’enfuir.
La sorcière noire avait cruellement tordu ses lèvres et secoué la tête. « C’est une demande déraisonnable, Octavia. Après tout, c’est une ville dans laquelle vit cette petite fille grossière. »
« C’est vrai, ma sœur. »
La sorcière écarlate étendit le livre qu’elle portait sous un bras. Elle appuya sa paume sur le livre. Les symboles dessinés sur lui brillèrent, libérant une immense quantité d’énergie magique.
« Qu’ils embellissent au moins de leur propre sang cette sale ville. »
Les tentacules se déplacèrent avec encore plus de force.
Les gardes avaient continué à tirer, mais naturellement, même les balles de gros calibre ne pouvaient pas pénétrer les tentacules translucides sur un mètre d’épaisseur. Le barrage s’était terminé lorsqu’ils avaient manqué de munitions.
À cet instant, les tentacules étaient passés à l’offensive.
Les tentacules, s’étendant comme des fouets géants en cuir, avaient fauché les gardes les uns après les autres.
Les boucliers n’avaient aucun sens face à une telle différence de masse. Les troupes robustes avaient été jetées à l’écart comme des quilles de bowling, la formation enveloppant les sorcières s’était complètement effondrée.
« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Le chef de l’équipe avait crié avec colère.
C’était des gardes du sanctuaire des démons ayant une grande expérience du combat. Aucun familier contrôlé par un utilisateur de magie ne les avait jamais mâchés et recrachés comme ça.
Cependant, ces tentacules se trouvaient à un autre niveau. Un familier aussi puissant était bien au-delà de la capacité d’appel d’un être humain ordinaire. C’était un monstre qui rivalisait même avec les bêtes vampiriques. Il était certain que la consommation de force vitale nécessaire pour invoquer un monstre de cette taille épuiserait instantanément tout sauf un vampire immortel.
Dans un passé récent, des expériences avaient apparemment été menées pour greffer un vassal bestial à un homoncule, mais même leur corps, dont la durée de vie naturelle était bien supérieure à celle d’un humain, s’était épuisé en peu de temps.
Non — il n’y avait qu’un seul moyen. Un raccourci que l’on pourrait appeler une exception.
C’était un moyen pour quelqu’un d’acquérir un énorme pouvoir démoniaque rivalisant avec celui d’un vampire, tout en restant sous forme humaine.
Un diable pourrait accorder à une telle personne un pouvoir en échange de son âme. En d’autres termes, une sorcière — .
Un opérateur du QG de la garde de l’île avait envoyé un message d’urgence directement dans l’écouteur du chef d’équipe.
« La rune de Sort a été croisée avec la banque de données criminelles de la Corporation de Management du Gigaflotteur. Il est fort probable qu’il s’agisse des sorcières criminelles de haut rang “les sœurs Meyer” affectées à la première branche de LCO, “Philosophie”. »
La voix du chef de l’équipe avait tremblé de désespoir. « Les sœurs Meyer !? Les sorcières d’Ashdown !? »
Les sœurs Meyer étaient des criminelles internationales de la sorcellerie qui avaient mené un dangereux rituel magique dans l’état impérial d’Ashdown de la mer du Nord, et le désastre qui s’ensuivit avait anéanti une capitale provinciale en entière.
Ces mêmes sœurs étaient apparues sur l’île d’Itogami une dizaine d’années auparavant, infligeant des dommages graves et sans précédent.
Si ces sœurs sorcières étaient réapparues, les armes de l’Unité d’Interdiction étaient loin d’être suffisantes pour les combattre.
« Tout à fait exact. Il semble que vous vous souveniez encore de nous. »
« Merveilleux. Voici votre récompense. »
En regardant les gardes choqués, la sorcière noire avait levé son propre livre vers le ciel. Le sol aux pieds des troupes s’était fendu, un miasme nauséeux s’était élevé à travers la fissure.
Reprenant ses esprits, le chef de l’escouade avait tenté d’ordonner à ses hommes de se replier. Mais il était déjà trop tard. Un nouveau tentacule avait émergé de la fente à la surface du sol, déchirant les fondations en acier de l’île artificielle et entraînant les gardes vers le fond de la mer noire.
Lorsque l’assaut écrasant s’était terminé, un silence étrange s’était installé sur la route au bord de la falaise.
Tout ce qui restait à la surface du sol était deux sorcières, une écarlate et une noire.
La sorcière écarlate murmurait d’un ton ennuyé en remettant son livre sous son manteau. « Une bande pathétique. Si nous n’avions à faire qu’à eux, nous n’aurions pas du tout besoin de l’aide de la Bibliothèque. »
La sorcière noire avait hoché la tête. « Tout à fait, Octavie. »
Soulevant le bord de son chapeau triangulaire, elle avait regardé fixement la ligne d’horizon nocturne de la ville d’Itogami.
« Mais n’oublie pas. Natsuki est dans cette ville… cette abominable sorcière du néant ! »
Laissant derrière eux un plop humide, les tentacules géants retournèrent à la mer.
Les deux sorcières s’étaient à nouveau fondues dans les ténèbres, ne laissant rien derrière elles, si ce n’est la preuve de leur destruction insensée.
Minuit était passé. C’était un nouveau jour.
Il restait un jour de plus avant le début du banquet sauvage et sanglant — .
***
Chapitre 2 : Ma chère amie d’enfance
Partie 1
L’aéroport central de l’île d’Itogami était complètement encombré de voyageurs.
Ce jour-là, le vendredi de la dernière semaine d’octobre, ils se rendaient aux festivités de la veille du festival de la Veillée Funèbre. De nombreux événements devaient commencer le soir, ce qui avait entraîné le premier véritable afflux de touristes venus de l’extérieur de l’île.
La route reliant l’aéroport à la gare du monorail était très encombrée, complètement prise d’assaut par les gens qui traînaient leurs bagages. Kojou et les autres étudiants avec lui s’étaient glissés dans la foule, arrivant finalement au terminal de l’aéroport.
Kojou exhala en levant les yeux vers l’heure sur le panneau d’affichage électronique.
« On dirait qu’on est arrivé à temps…, non ? » demanda Kojou.
Il était déjà plus d’un quart après neuf heures du matin. Cependant, il n’avait toujours pas vu la personne qu’il venait chercher. À première vue, il avait pu se trouver dans la foule proche du ramassage des bagages, ou alors peut-être que la quarantaine et l’inspection des douanes prenaient un certain temps.
Nagisa était furieuse. « Eh bien, c’est de ta faute ! Tu as mis tellement de temps à te préparer que nous avons même commencé à transpirer. Et j’ai pris des vêtements tellement géniaux ! Pourquoi as-tu dû faire la grasse matinée un jour comme celui-ci ? Je n’arrive pas à y croire, c’est tout simplement irréel. »
Elle se disait que, quelle que soit la hauteur des épaules de son frère, sa production de mots ne diminuait en rien.
« J’ai déjà dit désolé ! En raison de l’agitation de la nuit dernière, j’étais bien réveillé et je ne pouvais pas dormir ! » répliqua Kojou.
« As-tu été bouleversé par le souvenir de la visite de Kanon dans ta chambre ? C’est tellement gênant ! » s’écria Nagisa.
« A… rgh… ! »
Kojou n’avait pas de mots pour décrire la frappe dans le mile de Nagisa. Kojou n’avait pas les nerfs d’acier qu’il aurait fallu pour dormir profondément après avoir été tellement stimulé que son envie de boire du sang s’était fait sentir.
Kanon avait baissé la tête, se sentant responsable de ça pour une raison inconnue. « Je suis vraiment désolée, Akatsuki. C’est de ma faute. »
Aujourd’hui, elle portait une robe grise en coton, simple et unie. Cependant, cette tenue sobre n’avait servi qu’à souligner encore plus l’extravagante chevelure argentée de Kanon, la baignant dans l’attention des gens de l’aéroport.
« Non, ne t’inquiète pas, ce n’est pas ta faute, Kanase. »
C’était Yukina qui avait parlé sur un ton qui lui avait donné un pincement au cœur, donnant une voix aux sentiments de Kanon. « … Mais je me demande si nous aurions aussi vraiment dû venir. J’espère que ce n’est pas un problème… »Yukina portait un polo d’une seule pièce avec des chaussettes jusqu’aux genoux. Bien sûr, l’étui à guitare était sur son dos, comme toujours. Pour cette raison, elle ressemblait à un membre d’une sorte de groupe de musique.
En fait, la plupart des vêtements personnels de Yukina avaient été choisis et envoyés par Sayaka. Kojou ne pouvait s’empêcher d’imaginer Sayaka avoir des frissons en les choisissant, mais il n’était pas surpris que ses choix conviennent très bien à Yukina.
« C’est bon. C’est aussi ton premier festival de la Veillée Funèbre, Yukina. C’est plus amusant si vous venez avec nous tous. Il ne faut pas plus de temps pour faire visiter une personne que pour en faire visiter trois. N’est-ce pas, Kojou ? » Nagisa avait enroulé ses bras autour des épaules de ses amies sans retenue, tout en parlant sur un ton joyeux.
Kojou haussa généreusement les épaules. « Je n’ai pas à me plaindre du fait que vous tenez compagnie à Nagisa. Yuuma a aussi dit que c’était correct. »
Nagisa avait ajouté un « ouais », en hochant la tête sans hésitation.
« Yuuma était content que nous amenions des amies. Yuu est gentille avec les filles depuis le début, » déclara Nagisa.
« Ouais, » répondit Kojou.
Kojou poussa un léger soupir en suivant le rythme des commentaires de Nagisa.
Kanon était d’abord l’amie de Nagisa. De toute façon, Kojou n’avait rien trouvé de mal à ce qu’ils traînent ensemble. De plus, s’il laissait Yukina être là, elle le suivrait à coup sûr, en disant que cela faisait partie de ses devoirs d’observatrice. Dans ce cas, il était plus relaxant de l’avoir là où il pouvait la voir. Non, Kojou avait une autre raison de soupirer.
« … Alors, que faites-vous ici tous les deux ? »
Kojou tourna la tête vers un garçon et une fille qui l’observaient depuis l’ombre d’un pilier. L’une était une écolière à la coiffure extravagante, l’autre était un jeune homme aux cheveux courts avec un casque d’écoute autour du cou. Tous deux portaient des masques de carnaval très voyants sur le visage. Peut-être qu’il s’agissait de déguisements, en tout cas, ils s’étaient tellement distingués que cela avait eu l’effet inverse.
Réalisant que son identité avait été dévoilée, Asagi avait enlevé son masque à contrecœur.
« … Tu as bien fait de voir à travers nos déguisements parfaits, » déclara Kojou.
Kojou était trop sidéré pour même penser à rire. « Tu appelles ça “parfait” ? Ils sont bien trop évidents. Où avez-vous eu ce masque ? »
Yaze avait fièrement gonflé sa poitrine en caressant les plumes de paon réalistes de son masque. « Oh, juste un de ces endroits qui vendent des trucs pour le défilé de costumes. »
« Et alors, vous vous ennuyez à mourir, alors vous êtes venu ici ? » demanda Kojou.
« Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? Nous voulions juste voir le visage de ton ami. Nous rentrons à la maison après cela, » déclara Yaze.
« Tout à fait, » ajouta Asagi. « Nous voulons voir à quoi ressemble ton ami d’enfance, Kojou. Penses-y comme si nous n’étions que de passage. »
« J’aurais pu simplement vous le présenter, » répondit Kojou. « Vous n’aviez pas besoin de vous cacher et de regarder comme ça. »
Kojou s’était souvenu que Yaze et Asagi avaient tous deux été présents lorsque le rendez-vous avait été évoqué dans la conversation. Peut-être que tous deux faisaient preuve d’une considération inattendue, pensant qu’ils ne voulaient pas s’immiscer dans ses retrouvailles avec son vieil ami. Il avait secoué la tête d’exaspération en pensant qu’il les repousserait cruellement. Ensuite — .
Sans crier gare, quelqu’un avait appelé Kojou d’une voix très forte au-dessus de leur tête.
« … Kojou ! »
C’était une riche voix d’alto qui traversait le terminal bondé avec une clarté impressionnante.
Alors que la voix le frappait, Kojou avait levé les yeux pour voir une silhouette humaine qui descendait sur lui. Quelqu’un avait glissé de la rampe d’escalier et avait sauté sous les yeux de Kojou.
C’était une fille qui avait un air très excité vis-à-vis de lui.
Ses cheveux étaient courts et bouclés. Elle portait un sweat à capuche de marque sportive sur le torse. Ses longues jambes courbées s’étendaient au-delà de son pantalon court. Ses mollets élancés et ses chaussures de basket robustes en faisaient une paire étrangement mignonne.
« Wôw !? » s’exclama Kojou.
Kojou avait réussi à attraper la jeune fille, juste devant les yeux choqués d’Asagi et des autres étudiants. En conséquence, les deux individus étaient dans une étreinte serrée alors que Kojou lançait à la jeune fille un regard abasourdi.
« Y-Yuuma !? » demanda Kojou.
« Heya. Ça fait longtemps, Kojou, » répondit Yuuma.
La jeune fille appelée Yuuma plissa ses yeux en faisant un sourire malicieux. Son visage souriant était adorable d’une manière très enfantine. Kojou l’avait rabaissée au sol d’un air contrarié.
« … Tu as failli faire s’arrêter mon cœur. Tu es juste totalement imprudente, tu sais ça ? » s’écria Kojou.
La jeune fille avait ri avec éloquence, en regardant autour d’elle. Elle semblait enfin remarquer que ses singeries avaient attiré l’attention sur eux de toutes les personnes des environs. Elle avait tiré la langue un peu comme si elle était un peu déconnectée, en regardant Kojou. Kojou était sur le point de pousser un soupir très profond lorsque Nagisa s’était interposée entre eux, comme pour l’empêcher de le faire.
« Yuu ! » s’écria Nagisa.
« Nagisa, tu es devenue si belle. Je ne t’ai pas reconnue, » déclara Yuuma.
« Oh, ça recommence… ! Je t’ai envoyé une photo pratiquement hier, » répliqua Nagisa.
« Non, non. La réalité fait honte à l’image, » répliqua Yuuma.
On pourrait penser que cette phrase était assez sucrée pour faire pourrir les dents, mais elle était étrangement persuasive lorsqu’elle sortait de la bouche d’une fille.
Asagi avait regardé avec stupéfaction la conversation entre le frère et la sœur Akatsuki avec la jeune fille mystérieuse alors que Yukina, debout à côté d’elle, lui saisissait les épaules et la secouait fortement.
« Qu’est-ce que c’est ? Que se passe-t-il ici ? » demanda Yukina.
Pour une fois, Yukina avait eu l’air complètement déconcertée. « Ne me le demande pas, je n’ai aucune idée… »
Les amis du quatrième Primogéniteur n’avaient aucune idée de la façon dont la rencontre avec le garçon avec lequel il était apparemment ami à l’école primaire s’était transformée en une conversation intime avec une belle fille.
Retrouvant enfin ses esprits, Asagi avait forcé le passage jusqu’à Kojou et lui avait demandé. « Hé, Kojou. Qu’est-ce que cela signifie ? »
Kojou semblait perdu en regardant son amie, qui avait l’air beaucoup plus assoiffée de sang depuis la dernière fois qu’il l’avait regardé. « De quoi ? »
« Qui est cette personne ? » demanda Yukina.
Yukina avait tourné autour de Kojou alors qu’elle le lui avait demandé. Étrangement, Asagi et elle semblaient être des compagnons d’armes. Kojou, le mouvement en tenaille ayant coupé toutes les possibilités de fuite, haussa les épaules de façon inconfortable.
« C’est mon amie d’enfance, » répondit Kojou.
Yukina et Asagi s’étaient interposées presque en même temps.
« Mais c’est une fille ? »
« Et une très belle !? »
Kojou avait l’air encore plus désorienté.
« … Qu’est-ce qui vous préoccupe ? Vous avez vu la photo chez moi hier soir, » déclara Kojou.
« Oh oui, tu n’as jamais dit que tu avais rendez-vous avec une fille, » avait calmement souligné Yaze.
« Muu, » s’étaient exclamées Asagi et Yukina, se mordant les lèvres en silence.
Maintenant qu’il l’avait mentionné, bien sûr, quand Kojou avait dit qu’il rencontrait un vieil ami, elles avaient naturellement pensé qu’il voulait dire un gars, mais aucun des deux enfants de la famille Akatsuki ne l’avait dit. En effet, en repensant à l’image qu’elles avaient vue, la personne semblait trop jolie pour être un vrai garçon.
De plus, les vestiges de la personne sur la photo étaient évidents sur le visage de la fille mystérieuse avec laquelle Nagisa parlait joyeusement. Ainsi, elles ne faisaient qu’un.
« — ce sont donc des amis de ton école, Kojou ? » demanda Yuuma.
La jeune fille mystérieuse s’était approchée d’Asagi et des autres, qui ne s’étaient pas remis du choc dont elle était la cause, et leur avait fait un sourire très chaleureux. Elle n’était pas beaucoup plus grande qu’Asagi, mais sa carrure serrée, sans un seul morceau de chair en trop, créait une forme corporelle presque parfaite, ce qui semblait manifestement injuste.
En plus, elle avait ce visage radieux et souriant. Si elle le voulait, elle pourrait probablement faire pâlir d’envie n’importe qui, jeune ou vieux, de l’un ou l’autre sexe.
Mais peut-être parce que c’était une vieille histoire pour lui, son visage souriant n’avait même pas fait sourciller Kojou.
« Oui, ces filles sont les camarades de classe de Nagisa, » expliqua Kojou.
Kanon et Yukina s’étaient présentées dans cet ordre. Après cela, Kojou avait pointé du doigt Asagi et Yaze.
« — Et ces deux-là ne font que passer, » continua Kojou.
« Qui est de passage ? » Asagi répondit avec colère par pur réflexe.
Kojou fronça les sourcils avec un regard de consternation. « C’est toi qui m’as dit de penser à toi comme ça ! »
En regardant avec amusement l’échange entre Asagi et Kojou, la jeune fille avait fait un salut cérémonial digne d’un manuel scolaire.
« Ha-ha-ha, merci d’avoir si bien pris soin de Kojou pour moi. Yuuma Tokoyogi. C’est un plaisir de vous rencontrer, » déclara Yuuma.
***
Partie 2
Kojou et son groupe avaient abandonné les foules meurtrières au monorail et avaient pris un bus pour la Porte de la Clé de Voûte.
C’était le plus grand bâtiment de la ville d’Itogami et l’installation utilisée pour administrer toute l’île, mais en même temps, c’était le site numéro 1 pour les magasins de marque de l’île, ce qui en faisait un lieu de prédilection pour tuer le temps.
La zone était également dotée d’une bibliothèque pour les visiteurs du Sanctuaire des Démons et de boutiques de souvenirs. Il était donc logique que les autochtones fassent visiter l’île d’Itogami aux touristes.
Après avoir fait un tour de la bibliothèque, le groupe de Kojou était entré dans une petite cafétéria que Yaze lui avait recommandée. L’intérieur semblait un peu rétro, mais l’endroit avait un aspect assez agréable.
Comme il n’y avait pas de table pour quatre, les trois collégiennes et les lycéens s’étaient séparés et s’étaient assis à deux tables. Les lycéens Asagi et Yaze avaient formé un groupe et Kojou et Yuuma en avaient formé un autre. Kojou et Yuuma étaient allés chercher les repas, reléguant automatiquement Asagi et Yaze à leur place, veillant aux affaires de chacun.
Yaze avait fait un sourire sarcastique en regardant Asagi s’exercer aux mauvaises manières, en sirotant son verre de soda au gingembre à travers une paille.
« … Tu n’as pas l’air très enthousiaste, » déclara Yaze.
Yaze avait lancé un sourire sarcastique à Asagi alors qu’il la regardait ignorer les bonnes manières en soufflant des bulles dans son verre de soda au gingembre.
« On dirait que tu t’amuses beaucoup, » répliqua Asagi.
Yaze avait fait un signe de tête avec un « Ouais ! Pas vraiment aussi belle que ma copine de terminale, mais cette fille Yuuma n’est pas mal, surtout au niveau des jambes et des hanches. Elle a l’air mince, mais sa poitrine est en fait assez belle. »
Yaze avait les bras croisés en faisant une comparaison sérieuse.
Asagi n’arrivait toujours pas à y croire, mais ce type avait en fait une petite amie. De plus, elle était de deux ans son aînée, une lycéenne de troisième année. Elle était considérée comme un peu excentrique, mais était une jolie fille qui portait des lunettes.
Grâce à ses exploits dans le monde réel, Yaze avait fini par donner de temps en temps des conseils de haut niveau à Asagi, ce qui l’avait beaucoup irritée.
« Je vois ce qui t’amène ici, » poursuit Yaze. « Qui aurait cru que Kojou avait un tel bijou caché quelque part ? Il semble que ce crétin de Kojou n’ait aucune idée de l’avantage qu’il a ici. »
Asagi avait versé du mépris avec désinvolture sur ce fait, ne niant pas le fait qu’elle avait une raison.
« La tête de ce crétin a cessé de se développer dès l’école primaire, » déclara Asagi.
Pendant ce temps, la Yuuma en question revenait avec un plateau couvert de nourriture. C’était une commande simple avec des hot-dogs, des rondelles d’oignon, etc.
« Voilà. J’ai essayé de commander quelque chose d’approprié, mais ça devrait aller ? » demanda Yuuma.
Face à ce visage revigorant et souriant, Asagi avait rougi malgré elle.
« Ah, euh… merci, » balbutia Asagi.
À vrai dire, elle était le genre de personne qu’Asagi avait du mal à accepter, même sans la participation de Kojou, mais il était difficile de détester Yuuma quand elle vous faisait ce visage souriant et amical.
En regardant les pieds d’Asagi, qui se reposait paresseusement sous la table, Yuuma avait fait un sourire agréable mêlé à un plissement de ses sourcils.
« Ces sandales, » déclara Yuuma.
« Hein ? » s’exclama Asagi.
« Les couleurs de l’édition limitée d’Engel, n’est-ce pas ? C’est fabriqué lors de la collaboration avec le magazine, » déclara Yuuma.
« C’est vrai… Tu t’y connais vraiment on dirait, » déclara Asagi.
« Elles sont mignonnes. Elles te vont très bien, » déclara Yuuma.
« Merci, » déclara Asagi.
Asagi ne pouvait s’empêcher de sourire. Elle avait eu un amour secret pour les sandales qu’elle portait ce jour-là et avait finalement obtenu une paire en récompense après avoir postulé avec cinquante cartes postales manuscrites. Ce n’était pas quelque chose dont elle se vantait auprès des autres, mais bien sûr elle était heureuse que quelqu’un reconnaisse leur valeur.
Yaze semblait apprécier de couper la parole alors que ses yeux aiguisés captaient le large sourire d’Asagi. « Pourquoi rougis-tu, Asagi ? »
Asagi avait plissé les sourcils. « Tais-toi. Cela n’a rien à voir avec toi. »
« Hmm, sont-elles vraiment si importantes ? » demanda Kojou.
Remarquant Kojou qui fixait le haut de ses pieds nus, Asagi le repoussa brutalement. « Toi, ne regarde pas ! »
Yuuma ricana en observant l’interaction entre les trois. « C’est une bonne chose. » Ses paroles, qui lui venaient naturellement, firent sortir un joyeux « Nice ! » de Yaze.
« Tu as bon goût pour apprécier cet endroit, Tokoyogi. C’est un endroit connu seulement de quelques privilégiés, même sur l’île d’Itogami. Cela reste entre nous, mais j’ai entendu dire qu’ils utilisent les résultats de la recherche de Sanctuaire des Démons pour les ingrédients spéciaux, » déclara Yuuma. « En d’autres termes, la rumeur veut qu’ils utilisent des testeurs alimentaires démoniaques dont les papilles gustatives sont plus sensibles que celles des humains pour choisir leurs aliments. »
Yuuma avait parlé avec une admiration visible alors qu’elle ramassait de la soupe et l’offrait devant Yaze.
« C’est vraiment quelque chose. Et si tu en essayais aussi, Yaze ? » déclara Yuuma.
C’était une pose classique de type « aaahh ». Pendant un moment, Yaze s’était figé en raison du choc apparent, puis il avait poussé son visage vers l’avant, les joues rougissant tout le temps. Son mouvement était rendu gênant par sa nervosité inhabituelle.
Pour une raison inconnue, le compliment de Yaze était en fait poli. « C’est délicieux. »
Yuuma avait fait un signe de tête heureux. « N’est-ce pas ? Je suis si contente. »
« … Pourquoi rougis-tu ? » Asagi demanda cela avec un regard émerveillé en regardant Yaze agité par la jubilation de Yuuma.
Yaze avait alors agrippé sa tête dans une angoisse visible.
« Je ne le fais pas. Il s’agit d’un malentendu. Mon cœur est déjà fixé sur un autre fem — Yikes!? » s’écria Yaze.
Yaze avait laissé échapper un court cri alors que son téléphone portable sonnait juste à ce moment-là avec un timing parfait. À en juger par les secousses de son visage, on pourrait penser qu’il s’agit d’un appel de la petite amie en question.
Contrairement à Yaze, qui avait été profondément secoué, Yuuma s’était comportée de manière calme et sereine. Pour elle, ce genre de choses n’était qu’une communication normale entre amis. Kojou, pour sa part, avait continué à manger calmement, connaissant bien la personnalité de Yuuma.
Je vois, pensa Asagi, acceptant quelque chose de façon détournée. Sans doute cela, combiné à la personnalité assez obtue de Kojou, avait-il façonné sa vision de la manière dont les filles exprimaient leur bonne volonté. Il était même possible qu’il considère que le fait qu’elle l’ait tenue dans ses bras était une communication normale.
Cela dit, elle avait l’impression qu’avoir une fille comme Yuuma autour de lui depuis qu’il était petit signifiait qu’il ne pouvait pas agir autrement. En regardant de côté, Asagi poussa un soupir chaleureux tandis que Yuuma continuait à manger joyeusement comme une sorte d’idiote inconsciente.
« … Ce n’est pas juste, » murmura Asagi.
« De quoi parles-tu ? » demanda Kojou.
« Rien du tout. Juste qu’une amie comme ça est un gâchis pour toi, Kojou, » déclara Asagi.
« Qu’est-ce donc… ? » Les lèvres de Kojou s’étaient tordues en réponse, l’air un peu blessé.
« Je te ferai savoir qu’elle a aussi fait de grosses gaffes. Je veux dire pendant notre voyage de camping en cinquième année —, » commença Kojou.
Yuuma avait menacé Kojou avec un regard très calme.
« Es-tu sûr de ça, Kojou ? Si tu divulgues cette information, je leur raconterai cette histoire à ton sujet, tu sais, » déclara Yuuma.
Kojou avait été rapidement soumis. « Je suis vraiment désolé, pardonne-moi, s’il te plaît. »
Asagi avait recommencé à souffler des bulles dans le fond de son verre alors qu’elle regardait Kojou et Yuuma se livrer à un numéro comique.
Elle détestait l’admettre, mais il ne faisait aucun doute que Yuuma était une fille très charmante. Aussi dur que cela ait été, il n’y avait aucune atmosphère d’intimité particulière entre elle et Kojou. Au moins, Kojou l’avait traitée comme n’importe quel autre ami.
Ce n’est pas tant que Kojou était obtus, mais il la traitait comme n’importe quel vieil ami. Quand Asagi y avait réfléchi davantage, cela ressemblait beaucoup à sa relation avec Motoki Yaze.
Quelque chose l’avait tout de même attirée. C’était vague, basé sur l’intuition.
C’était la même chose que le sentiment de malaise qu’elle éprouvait en voyant les entrailles des insectes dans une émission sérieuse. Rien ne constituait une preuve concrète, mais Asagi n’ignorait absolument pas son malaise, car l’expérience lui avait appris qu’il était lié à un grave danger. Je vois, Asagi avait compris. Je n’aime pas cette fille Yuuma Tokoyogi.
Asagi se livrait encore à de telles pensées d’insécurité lorsque Yaze était revenu après avoir pris l’appel téléphonique à l’extérieur du restaurant.
« Tu es sérieuse… Compris. Je reviens tout de suite, » déclara Yaze.
En prononçant ces derniers mots avec un regard inhabituellement grave, Yaze avait brusquement raccroché l’appel.
« Yaze ? Qu’est-ce qui ne va pas ? » Asagi s’était enquise de ça.
« Ahh, désolé. Quelque chose s’est produit. Je dois y aller, » déclara Yaze.
Yaze avait immédiatement retrouvé son ton insouciant habituel, mais le pli entre ses sourcils n’avait pas disparu. Ce qui se passait n’était apparemment pas une urgence mineure.
« Quoi ? Ta petite amie qui te tire dans les pattes ? » demanda Asagi.
« Quelque chose comme ça. À bientôt ! » déclara Yaze.
Yaze s’était précipité hors du magasin, ses écouteurs préférés à la traîne. Kojou avait des frites dans la bouche quand il avait regardé partir en criant.
« Hé, toi ! Veux-tu bien payer pour ce que tu as mangé ? » cria Kojou.
« Mwa-ha-ha-ha-ha ! »
« Ne me mwa-ha-ha pas ! »
Les autres clients du restaurant avaient été stupéfaits de voir Yaze partir, un rire bruyant se traînant derrière lui.
Asagi murmura. « Oh, pour l’amour de Dieu, » alors que ses yeux rencontraient ceux de Yuuma, qui était assise en face d’elle. En voyant la jeune fille lui renvoyer un sourire revigorant et charmant, Asagi avait répété la même phrase dans son propre cœur. Oh pour l’amour de Dieu.
L’instant suivant, Asagi avait incliné la tête en sentant vibrer le smartphone dans sa poche.
« Ah… ? »
C’était le smartphone qu’Asagi utilisait comme outil de travail personnel. Elle l’avait obtenu sur le marché noir avec toutes sortes de modifications illégales incluses, personne n’aurait dû avoir le numéro de ce téléphone portable.
« Désolée, je dois prendre cet appel. »
Asagi avait fait un signe frivole à Kojou et Yuuma alors qu’elle se levait. Aucun « humain » n’aurait dû connaître le numéro de téléphone. En d’autres termes, l’interlocuteur n’était pas du tout humain.
En appuyant sur le bouton ACCEPTER, Asagi avait entendu une voix composite et artificielle sortir du smartphone.
« — Mademoiselle ? Désolé de vous interrompre pendant votre jour de congé. »
« Qu’y a-t-il, Mogwai ? S’il s’agit d’affaires, cela peut-il attendre plus tard ? » demanda Asagi.
Asagi avait répliqué à l’IA, son partenaire, avec un mécontentement évident. Mogwai était le fantôme de l’île d’Itogami — l’avatar des cinq superordinateurs qui tenaient dans leurs pattes toutes les fonctionnalités urbaines de l’île d’Itogami.
Il possédait des capacités opérationnelles équivalentes à celles des meilleurs soldats du monde, mais il était tout aussi excentrique et difficile à manier, ce qui lui valait une mauvaise réputation — mais pour une raison quelconque, Asagi s’y était attaché.
L’IA avait délibérément utilisé une transmission audio basse fidélité, et l’appel avait un niveau de brouillage non négligeable en arrière-plan.
Mogwai avait présenté les choses comme pour appuyer les hypothèses d’Asagi.
« Désolé, nous n’avons pas de temps à perdre. C’est une urgence. Une condition de défense de classe III a été instituée. »
« Hein ? Qu’est-ce que c’est que ce genre de terrorisme à grande échelle ? » demanda Asagi à nouveau avec étonnement. Elle s’attendait à ce que des problèmes surviennent, mais elle ne s’attendait pas à la classe III. Le Sanctuaire des Démons avait sept conditions de défense, et celui-ci était le troisième en partant du haut. Cela avait indiqué que la fonctionnalité urbaine de la ville d’Itogami était gravement endommagée, avec un risque de pertes humaines graves.
Une seule classe III avait été invoquée depuis qu’Asagi avait commencé à travailler à temps partiel pour la Société de gestion — lorsque l’Apôtre armé lotharingien avait attaqué la Porte de la Clef de Voûte.
À l’époque, la Garde de l’île comptait plus d’une centaine de gardes blessés. En d’autres termes, l’île d’Itogami était désormais confrontée à un péril d’égale importance.
« Quoi qu’il en soit, la société de gestion vous a envoyé un ordre de travail d’urgence. Je vous en prie et merci, mademoiselle. »
La demande arbitraire de Mogwai était arrivée sans aucune explication appropriée des circonstances. Cela n’avait fait qu’accentuer la gravité de l’affaire. Même si elle était une hacker de niveau génie, elle n’était encore qu’une étudiante travaillant à temps partiel, et pourtant ils lui faisaient porter ce poids plutôt excessif. Elle ne pouvait pas simplement l’ignorer et s’en aller.
« Bon sang… ça va. Tiens bon, je suis en route. C’est quoi le problème ? » demanda Asagi.
Transmettant son acceptation sur un ton frêle, Asagi avait raccroché l’appel. Il semblait qu’une sorte de situation mortelle s’était tranquillement développée pendant qu’elle avait le dos tourné.
***
Partie 3
Ils avaient pris l’ascenseur pour monter au douzième étage et s’étaient dirigés vers une tour d’observation située au-dessus.
C’était en plein milieu de l’île d’Itogami, la salle d’observation de la partie supérieure de porte de la clé de voûte — .
C’était l’endroit le plus élevé de l’île, avec une vue parfaite et dégagée.
Nagisa poussa un cri d’admiration aigu en se précipitant sur le sol en verre sans la moindre timidité.
« Wôw, la vue est incroyable ! » s’exclama Nagisa.
C’était une pièce en forme de beignet d’une dizaine de mètres de diamètre. Les murs et le sol étaient tous en verre, ce qui permettait de voir de l’intérieur la quasi-totalité de la ville d’Itogami. Un autre argument de vente de l’endroit était que tout l’étage tournait doucement, de sorte qu’on pouvait avoir une vue à 360 degrés juste en restant debout.
« C’est la première fois que je viens dans la salle d’observation. J’ai toujours voulu venir ici. C’est beaucoup plus haut que je ne le pensais. Wôw, un distributeur de médailles-souvenirs ! Et aussi des porte-clés ! » s’exclama Nagisa.
En contraste total avec la bonne humeur enfantine de sa petite sœur, l’expression de Kojou était pleine de tristesse d’avoir payé le prix d’entrée pour tout le monde. « Si cher… Qui aurait pu deviner qu’un petit tour d’ascenseur pouvait vous faire perdre autant ? »
Même si c’était l’endroit le plus haut de toute l’île, le prix d’une simple visite sur le toit — mille yens par tête — était difficile à payer pour un lycéen qui voulait juste faire du tourisme. Mais la salle était encore plus remplie qu’il ne l’avait prévu. C’était vraiment une étape incontournable dans toute visite de l’île d’Itogami.
Yukina marcha sur le sol très doucement comme pour tester sa résistance. Kojou avait eu envie de rire en la regardant éviter soigneusement les panneaux de verre et marcher sur les piliers métalliques.
« C’est un peu effrayant. C’est comme si vous flottiez dans l’espace, » déclara Yukina.
Kojou avait parlé lorsqu’il avait remarqué que sa main refusait absolument de s’éloigner du rail.
« Oh, c’est vrai, tu es mauvaise avec les avions et tout ça, Himeragi, » déclara Kojou.
Pour Yukina, qui trouvait toutes sortes de machines gênantes, un avion devait ressembler à une mystérieuse masse d’acier qui volait. Elle avait probablement eu le même sentiment en ce qui concerne la salle d’observation tournante.
Mais à cause de sa fierté d’observatrice, elle ne semblait pas vouloir faire savoir à Kojou qu’elle avait peur.
« Ce n’est pas correct. Je m’inquiète simplement de la solidité du verre avec tant de gens qui se tiennent dessus. Cela ne veut pas dire que j’ai peur, » déclara Yukina.
« C’est vrai. » Kojou avait laissé le bluff de Yukina rouler devant lui comme l’eau sur un canard alors qu’il lui offrait sa main. « Tiens. »
Yukina était un peu perdue.
« Merci beaucoup, » dit-elle en prenant la main de Kojou. Elle semblait un peu plus calme lorsqu’ils marchaient le long du passage avec Kanon, leurs deux yeux brillaient lorsqu’ils commençaient à regarder à travers les jumelles qui bordaient les murs.
Kojou se sentait comme un professeur qui chaperonnait des élèves de l’école primaire en regardant les filles quand Yuuma s’était approchée de lui et lui avait enfoncé un coude dans les côtes.
« Jolie fille que tu as là. Est-ce ta petite amie, Kojou ? » demanda Yuuma.
« Ha ? » s’écria Kojou.
D’un air méfiant, Kojou avait jeté un regard en réponse sur le large sourire qui s’élevait sur Yuuma en secouant la tête. Non, non, non…
« Je te l’ai dit, c’est la camarade de classe de Nagisa, » répondit Kojou.
« Vous avez l’air de bien vous entendre…, » déclara Yuuma.
« C-C’est vrai… Il se trouve qu’elle vit dans l’appartement à côté de nous. Coïncidence totale, » déclara Kojou.
Bien sûr, Kojou ne pouvait pas lui dire la vérité — qu’il était un vampire et qu’elle le surveillait toujours — alors il avait inventé une excuse. Yuuma avait fait un sourire tendu, ne doutant pas de lui, mais trouvant un sens supplémentaire à ses mots.
« Hmm. Coïncidence, hein ? » demanda Yuuma.
« Quoi ? » demanda Kojou.
« Rien, je me disais juste que tu n’as pas changé, » déclara Yuuma.
« Ce n’est pas vrai, » répondit Kojou.
Kojou soupira face à ça, car les mots désinvoltes de Yuuma lui faisaient vraiment ressentir les caprices sarcastiques du destin.
Cela faisait quatre ans qu’il ne l’avait pas rencontrée. Les choses avaient été extrêmement orageuses pendant cette période. D’abord, il y avait eu l’incident de Nagisa où elle était allée aux portes de la mort, leurs parents avaient divorcé, et Kojou lui-même avait obtenu les caractéristiques physiques absurdes du quatrième Primogéniteur. Il considérait l’occasion de retrouver une vieille amie comme un miracle de la chance.
« Je suis soulagé que tu n’aies toi-même pas changé, Yuuma, » répliqua Kojou.
Kojou l’avait dit sur un ton fervent, mais cette fois-ci, c’était au tour de Yuuma d’affaisser ses épaules dans la déception.
« … Eh bien, ça fait mal. J’ai essayé d’agir de façon beaucoup plus féminine, » déclara Yuuma.
En entendant le murmure de Yuuma d’une voix presque trop douce pour être entendue, Kojou avait jeté un regard mystifié sur elle en réponse.
« Hein ? » demanda Kojou.
« Ce n’est rien. Quoi qu’il en soit, quelle vue impressionnante ! C’est donc la ville dans laquelle tu vis, Kojou, » Yuuma avait parlé en appuyant son front sur la vitre comme une petite fille.
Sous ses yeux, elle pouvait voir les quartiers serrés de la ville d’Itogami. Au-delà, la mer bleue profonde avait continué jusqu’à l’horizon. C’était aussi une première pour les yeux de Kojou. L’île semblait seule au monde.
Kojou marmonnait tout en louchant à cause des rayons éblouissants qui se réfléchissaient à la surface de l’eau. « C’est une petite île, quelle que soit la façon dont on la découpe, hein ? »
Yuuma secoua la tête, faisant vibrer ses cheveux. « Mais c’est intéressant. C’est comme si toute l’île était un grand parc d’attractions. C’est vraiment un sanctuaire de démons. »
« C’est généralement beaucoup plus simple que cela. C’est parce que c’est juste avant un festival, » déclara Kojou.
« Juste avant un festival… c’est vraiment le cas, » Yuuma fit un petit marmonnement et elle avait souri d’une manière agréable.
Un avion qui tournait dans l’espace aérien de la ville pour annoncer les événements des festivités de cette nuit-là passa à ce moment précis. Le festival pouvait finalement commencer sérieusement.
Kojou regarda distraitement le groupe d’adolescentes représenté sur le fuselage de l’avion lorsque le téléphone portable dans la poche de sa parka s’était mis à sonner.
Kojou s’était éloigné de Yuuma et avait sorti le téléphone de sa poche, ses sourcils se froncèrent lorsqu’il avait vu le nom affiché sur l’écran LCD. L’interlocuteur semblait vaguement de mauvais augure.
« … Kirasaka, hein ? Il est rare que tu appelles à un moment pareil. Je suis un peu en plein milieu de quelque chose en ce moment…, » déclara Kojou.
Le visage de Kojou grimaça en lui disant. Sayaka Kirasaka était une mage d’attaque de l’organisation du roi-lion, tout comme Yukina. Kojou l’avait rencontrée en plein milieu d’un incident terroriste de grande envergure dans la ville d’Itogami, juste le mois précédent.
Pour une raison inconnue, elle avait appelé Kojou assez souvent depuis lors. Comme Yukina n’avait pas de téléphone portable, elle semblait appeler pour pouvoir demander comment allait Yukina et rien de particulier à son sujet. Sayaka était l’ancienne colocataire de Yukina et agissait envers la fille comme une grande sœur surprotectrice, même maintenant.
Kojou voulait la repousser en disant qu’elle appelait à nouveau à propos de Yukina, mais de manière inattendue, la voix qu’il avait entendue dans le haut-parleur du téléphone n’était pas du tout celle de Sayaka.
« Tee-hee-hee. C’est moi. »
« Hein ? » Kojou haussa la voix, prit complètement par surprise. « Cette voix… La Folia, hein ? Mais ce téléphone a le numéro de Sayaka ? »
« J’ai vu ce numéro dans le carnet d’adresses de Sayaka sous la rubrique “Favoris”, alors j’ai pensé que je pourrais essayer… Ah, qu’est-ce que tu essaies de faire, Sayaka ? »
« — Est-ce Kojou Akatsuki ? »
On aurait dit que le téléphone avait été arraché alors que l’appel passait à la voix très perturbée de Sayaka.
« Ne te méprends pas, ce téléphone est doté d’une fonction malheureuse qui exige que les numéros enregistrés soient placés dans les “Favoris”. C’est tout ce que c’est ! »
« Ça a l’air d’être un système ennuyeux, oui, » déclara Kojou.
Kojou avait fait une grimace en marmonnant. C’était Sayaka qui parlait, une experte en malédictions et en assassinats, donc cela ne ressemblait pas à une blague.
« Alors, qu’est-ce que tu voulais ? Son Altesse ne retournait-elle pas dans son propre pays ? » demanda Kojou.
« C’était le plan, mais les circonstances ont changé. Elle n’a pas pu monter dans l’avion. »
« Vous êtes-vous perdue ou quoi ? » demanda Kojou.
Kojou était intrigué alors qu’il l’avait demandé. Son Altesse était La Folia Rihavein, princesse héritière du royaume d’Aldegia. Aux dernières nouvelles, Sayaka avait été chargée de la protéger lors de sa visite non officielle.
Il avait entendu dire que le gouvernement japonais avait organisé un charter spécial pour la princesse et qu’elle devait rentrer chez elle tôt ce matin-là.
Cependant, Kojou ne pensait pas que le fait que les deux restent ensemble, même maintenant, était le résultat des caprices de la princesse ou d’une erreur de Sayaka.
La réponse de Sayaka, qui s’était arrêtée avant ça, avait été faite sur un ton sombre.
« Je ne peux pas… dire que c’est loin d’être le cas, mais… Je vais simplement exposer les faits. Quand nous avons cru embarquer dans l’avion charter, nous étions sur le sous-flotteur en construction. »
Kojou n’arrivait pas à s’y faire. Les choses avaient souvent dérapé quand il parlait avec Sayaka, mais cette fois-ci, c’était particulièrement grave. « … Désolé, je ne comprends pas du tout ce que tu dis. Attends, veux-tu parler du sous-flotteur que le Nalakuvera a détruit il y a peu de temps ? C’est comme si c’était le côté opposé de l’île. »
Sayaka avait répondu en criant, visiblement irritée. « On ne sait pas non plus ce qui s’est passé ! Quoi qu’il en soit, c’est la situation. »
Kojou avait l’impression de comprendre vaguement. « … Alors que puis-je faire ? »
Il savait qu’ils avaient des problèmes, mais il ne pensait pas qu’il pourrait les aider. Sayaka, une mage d’attaque, possédait bien sûr des capacités de combat anormales, mais la princesse aussi, avec le système Völundr qui était livré avec son fusil à sorts. Tout démon ou tout criminel moyen n’aurait aucun espoir contre elles. Même si Kojou courait pour les protéger, il ne ferait que leur barrer la route.
Cependant, un nom quelque peu inattendu avait roulé sur les lèvres de la princesse.
« Je veux te poser des questions sur Kanon. »
Kanon Kanase était la fille de l’ancien roi d’Aldegia, à la retraite. Kojou se rappela que, légalement parlant, elle était la tante de La Folia, mais qu’en réalité, elle était plutôt comme sa petite sœur.
Kojou avait regardé Kanon, timidement, les yeux écarquillés vers le sol, pendant qu’il parlait.
« Eh bien, Kanase est ici en ce moment, » déclara Kojou.
« Quoi ? » s’écria Sayaka d’une voix furieuse et stridente. « Que fait-elle avec toi ? Ne me dis pas que cette fois tu as posé tes mains sur elle… !? »
« Je ne l’ai pas fait ! Détends-toi, Himeragi est là aussi, » déclara Kojou.
« Qu’est-ce que c’est, de la fierté ? Est-ce de la fierté que j’entends ! Non pas que je sois jalouse du tout là ! » La princesse lui avait retiré le téléphone et elle avait recommencé à râler de façon incohérente.
« Je n’arrive pas à contacter les chevaliers Aldegians que j’avais appelés pour protéger Kanon. Je crois que cet incident n’a aucun rapport avec elle, mais pourrais-tu faire attention ? » demanda La Folia.
Cela ne lui posait aucun problème. Kojou avait donné sa réponse d’une voix ferme pour rassurer la princesse. « J’ai compris. Je m’occupe de Kanase et tout ira bien, n’est-ce pas ? »
La Folia ricanait sur un ton qui ressemblait à une plaisanterie. « Je t’en prie, fais-le. Si tu as besoin d’une récompense, tu peux boire un peu de son tu sais quoi. »
« Il ne peut pas faire une telle chose ! » s’était exclamée Sayaka.
Le cri de Sayaka était la dernière chose qu’il avait entendue avant que l’appel ne soit coupé.
Se sentant fatigué sans raison valable, Kojou avait rangé son téléphone et avait remarqué que Yukina se tenait à ses côtés depuis qu’il savait.
« Était-ce Sayaka à l’instant ? » Yukina avait demandé avec une expression quelque peu contradictoire sur elle. Pour une raison quelconque, elle ne semblait pas très enthousiaste à l’idée que Sayaka soit en contact avec Kojou et non avec elle.
Mais Kojou ne savait pas pourquoi elle n’était pas enthousiaste. Elle savait sûrement que Sayaka le détestait. Au mieux, elle le considérait comme quelqu’un dont il fallait s’inquiéter.
« Je ne comprends pas vraiment ce qui se passe, mais elle et La Folia ont des problèmes. Elles montaient dans un avion lorsqu’elles se sont retrouvées sur le sous-flotteur d’un peu plus loin, avant qu’elles ne s’en rendent compte et tout ça. »
« … Qu’est-ce que cela signifie ? » demanda Yukina.
« Qui sait ? Mais il ne semblait pas que quelqu’un les attaquait, » répondit Kojou.
Il va sans dire que la situation était anormale, mais toutes les deux avaient agi avec une grande confiance. Les laisser-faire n’avaient pas semblé poser de problème.
Yukina semblait arriver à une conclusion similaire alors qu’elle acquiesçait de la tête, son comportement étant calme.
« Je pense que ces deux-là s’en sortiront, sauf exception » déclara Yukina.
« Oui. Elles étaient plus soucieuses de veiller à ce que Kanon soit protégée qu’à leur propre sécurité, » déclara Kojou.
Le fait d’entendre les détails de la demande de la princesse semblait avoir permis à Yukina de bien saisir les circonstances. « Je vois, » dit-elle en hochant la tête d’un air très sérieux en regardant Kanon près du mur de verre.
« On peut être tranquille après avoir rendu Kanase à Natsuki, non ? » Kojou s’interrogea.
« Je suppose que oui. Nous serons avec elle pendant la journée, après tout… Nous devons simplement la raccompagner à la résidence de Mme Minamiya dans la soirée, » déclara Kojou.
« C’est parfait, » déclara Kojou.
Ils avaient convenu d’une politique de protection de Kanon sans qu’il soit nécessaire de prolonger les discussions. Il n’était pas du tout exagéré de dire qu’il n’y avait pas d’endroit plus sûr sur l’île d’Itogami que la maison de Natsuki Minamiya, une superbe Mage d’Attaque. Tout ce que Kojou et Yukina avaient à faire était d’amener Kanon à Natsuki et leur devoir était accompli.
Kojou avait réalisé qu’il valait mieux appeler Natsuki d’abord, mais juste au moment où il commençait à repêcher son téléphone portable, il avait remarqué une légère perturbation de la zone proche de l’ascenseur. La foule environnante donnait l’impression qu’une personne célèbre passait par là, elle pouvait également entendre les obturateurs des caméras à gauche et à droite.
« Qu’est-ce que c’est que tout cela ? » demanda Kojou.
« Qui sait ? » répondit Yukina.
Kojou et Yukina avaient tous deux incliné un peu la tête en observant le tumulte. Bien que nominalement sur leurs gardes, l’atmosphère ne suggérait en aucun cas un danger, mais…
« Ah, te voilà ! Kojou, viens par ici, vite ! »
Nagisa était apparue la première, se faufilant parmi les curieux et appelant Kojou, pressée pour une raison quelconque. Derrière, Nagisa avait suivi une jeune fille en tenue de femme de chambre, qui avait l’air très mal à sa place. Elle avait des cheveux de couleur indigo et des yeux bleu pâle, son visage était inorganique, comme ceux d’une poupée. Remarquant la présence de Kojou et de Yukina, la jeune fille homuncule avait murmuré d’un ton bas sur l’inflexion, « confirmation. Les yeux sur la cible. »
Abasourdi, Kojou avait crié le nom de la fille. « A-Astarte ? »
C’était un homuncule en tenue de femme de chambre. Pour les touristes qui venaient de loin, il n’y avait pas beaucoup de symboles du Sanctuaire des Démons plus faciles à saisir que cela. Il était naturel que leur attention se porte sur elle.
Yuuma, qui ne connaissait pas les circonstances, avait eu un regard de surprise en posant à Kojou la question qui lui était naturellement venue à l’esprit. « C’est à ça que ressemblent les servantes du sanctuaire des démons, Kojou ? C’est vraiment quelque chose. Dire que tu connais une servante homuncule… »
« Euh, ce n’est pas qu’être une bonne soit le travail de jour de la fille, mais, euh…, » Kojou avait faiblement tenté de défendre l’honneur d’Astarte. Le fait qu’elle porte une telle tenue était purement dû au caprice de Natsuki, sa tutrice pour l’instant… bien que cela ne semble pas la déranger…
« Que fais-tu dans un endroit comme celui-ci, Astarte ? Natsuki t’a-t-elle demandé de faire quelque chose ? » demanda Kojou, en se tenant sur ses gardes. Il se demandait si sa violente professeur de classe lui avait demandé de l’aider afin de faire un autre travail dangereux.
Il n’avait pas trouvé inhabituel qu’Astarte sache exactement où trouver Kojou. En raison de circonstances particulières, Kojou lui fournissait une énergie magique pour préserver sa force vitale. Apparemment, Astarte pouvait dire où se trouvait Kojou en traçant ce canal d’énergie magique jusqu’à lui. Il était tout à fait possible que Natsuki se serve de la nature d’Astarte et la confie volontairement à Kojou comme messagère.
Cependant, la réponse d’Astarte n’avait pas été du tout celle qu’il attendait. « Rapport de situation : La communication régulière avec l’instructeur a cessé à partir de neuf heures ce matin. »
« … La communication a cessé ? » demanda Kojou.
« Dis-tu que Mme Minamiya a disparu ? » Yukina continua.
Kojou et Yukina avaient tous deux des doutes considérables sur leur visage. Astarte avait fait un signe de tête désinvolte.
« Affirmatif. Les signaux de transmission et de défilements des sorts ont été perdus, » répondit Astarte.
Le malaise s’était propagé petit à petit au centre de la poitrine de Kojou.
« Vraiment ? » demanda Kojou.
Même si elle avait dit que Natsuki Minamiya avait disparu, cela ne semblait pas réel. Elle était un peu trop vieille pour s’enfuir de chez elle, et quelqu’un qui vivait aussi déraisonnablement que Natsuki n’irait sûrement pas se cacher du monde. Cela dit, il pensait que peu de gens sur la planète étaient capables de la kidnapper. Ni Kojou ni Yukina ne pouvaient la battre dans un combat direct, il doutait même que le maniaque du combat Dimitrie Vattler puisse y parvenir — .
Mais si Natsuki avait vraiment disparu, cela signifiait qu’il y avait une menace sur l’île d’Itogami d’un niveau auquel même elle n’était pas immunisée.
Astarte avait parlé d’une voix professionnelle à Kojou et Yukina, visiblement ébranlés. « L’instructeur m’a donné des directives au préalable en cas de circonstances comme celle-ci. »
« Des directives ? » Kojou s’était interrogé à voix haute.
« Kanon Kanase a été fixée comme mon objectif principal de protection, » déclara Astarte.
« C’est donc… ? »
Il semblerait que Natsuki ait vraiment pris au sérieux son devoir de gardienne de Kanon.
« — Attends, tu dis que Natsuki savait qu’elle serait partie à l’avance ? » demanda Kojou.
« Pas clair. Impossible de répondre en raison de données insuffisantes, » répondit Astarte.
« … Des données. Désolé, » déclara Kojou.
Kojou s’était excusé lorsqu’il avait réalisé ce qu’Astarte ressentait. Elle n’avait pas montré ses émotions, mais Astarte devait être aussi inquiète que lui de la disparition de Natsuki. Astarte avait fixé Kojou sans un mot. Peut-être avait-il seulement imaginé qu’il avait vu ses yeux un peu vaciller.
Kojou s’était parlé à lui-même, comme s’il avait avalé une pilule amère. « J’ai… un mauvais pressentiment à ce sujet… »
Il y avait l’anomalie que Sayaka et La Folia avaient vécue, maintenant Natsuki avait disparu. Mettant Yaze de côté, Asagi avait reçu un appel soudain de la Corporation de Management du Gigaflotteur.
Il avait une vague prémonition que quelque chose se passait là où Kojou et les autres ne pouvaient pas voir.
La grâce salvatrice avait été que personne n’était en danger concret dans l’état actuel des choses.
Yukina avait l’air très inquiète pendant qu’elle parlait. « Je suis d’accord. »
Yuuma avait une expression opaque en regardant les visages graves de Kojou et Yukina.
***
Partie 4
Après avoir fait un petit tour de l’île, Kojou et les autres jeunes étaient retournés à son appartement avant le coucher du soleil. Ils avaient pris congé des événements de la veille du festival et s’étaient couchés tôt ce soir-là. Cela était en partie dû à la disparition de Natsuki, mais en tout cas, le festival de la Veillée Funèbre n’allait vraiment démarrer que le lendemain.
Nagisa avait effilé ses lèvres d’un air un peu désolé alors qu’elle coupait le chou en tranches et en dés dans la cuisine.
« Quel dommage! Dommage que Yukina et les autres filles n’aient pas pu aussi souper avec nous, » déclara Nagisa.
À la suite de leur session de stratégie, Kanon et Astarte passeraient la nuit dans l’appartement de Yukina.
Yukina, dont la nature chamanique avait fait d’elle une spécialiste de la tactique de frappe et de fuite, ne pouvait pas se qualifier d’idéale pour le service de gardes, mais il ne faisait aucun doute que sa capacité de combat était néanmoins bien supérieure à la norme. Avec l’aide d’Astarte, la protection de Kanon ne serait probablement pas si difficile, même contre des ennemis assez puissants.
La rumeur disait que les chevaliers supplémentaires envoyés de la patrie d’Aldegian arriveraient le lendemain, ils ne pouvaient qu’espérer que Natsuki reviendrait dans le tableau avant cette heure.
Kojou avait désespérément poussé leur excuse préparée en s’allongeant sur le canapé du salon pour regarder une émission spéciale du festival de la Veillée Funèbre.
« Ils sont probablement prévenants pour nous. Nous ne pourrions pas avoir une conversation détendue avec Yuuma devant une grande foule, » déclara Kojou.
Malgré sa phobie aiguë des démons, Nagisa n’était apparemment pas si préoccupée par Astarte, un homoncule. Elle se souvenait sans doute aussi de la façon dont Astarte avait risqué sa propre vie pour protéger Nagisa des terroristes.
Cependant, Natsuki ayant disparu et la possibilité que quelqu’un s’en prenne à Kanon, il était préférable de la garder aussi séparée que possible des personnes sans lien de parenté comme Nagisa et Yuuma — même si, dans ce cas, « séparée » signifiait la résidence de Yukina, l’appartement voisin de celui de Kojou et Nagisa.
Nagisa semblait accepter les paroles de Kojou en donnant une pichenette à son tablier et en se retournant.
« D’accord. Tu dois aussi être épuisée, Yuuma, avec le long voyage et tout ça. Désolée de t’avoir traînée partout, » déclara Nagisa.
Yuuma avait fait un sourire énergique et agréable en s’asseyant avec les jambes croisées sur le canapé.
« Non, je me suis bien amusée. C’était aussi très bien d’être avec tes amis, » répondit Yuuma.
Nagisa se gonflait la poitrine avec un peu de fierté.
« Ils sont tous mignons, n’est-ce pas ? Ah, enfin pas Yaze, mais de toute façon, qui préfères-tu ? » demanda Yuuma.
Même Yuuma avait dû faire un sourire tendu à la façon dont Nagisa l’avait posé comme si c’était une question normale.
« Tu sais, je suis une fille et tout. Mais voyons voir. Himeragi, peut-être ? Elle semble intéressante, » répondit Yuuma.
« Mhmm, » dit Nagisa, en hochant la tête, les bras croisés.
« Himeragi est mignonne, hein ? Elle a ses problèmes de temps en temps, mais c’est aussi mignon, » déclara Yuuma.
Pendant un instant, un regard s’était posé sur Yuuma comme si elle regardait fixement l’air.
« … De plus, Kojou dégage le même parfum qu’elle de temps en temps, » continua Yuuma.
Nagisa regarda Kojou en serrant un couteau de cuisine.
« Hein !? Qu’est-ce que cela signifie ? » demanda Nagisa.
Apparemment, elle avait décidé que lorsque Yuuma disait « la même odeur », elle le pensait dans un sens physique. Bien sûr, Kojou, ne sachant rien de tout cela, ne pouvait que s’étonner. Bien sûr, il avait peut-être senti son odeur juste après avoir été pressé contre Yukina dans un wagon monorail bondé, mais c’était le matin précédent.
Yuuma s’était empressée de modifier son explication.
« Non, je veux dire, le fait qu’ils se mettent à chuchoter des choses entre eux de temps en temps. Je pensais qu’ils s’entendaient très bien, » expliqua Yuuma.
« Ahh, » dit Nagisa en abaissant le couteau de cuisine et en faisant un sourire vif. « Je me suis moi-même posé la question il y a quelque temps. Oui, nous allons tous les deux interroger Kojou ce soir et aller au fond des choses ! »
Yuuma semblait étrangement impatiente lorsqu’elle avait hoché la tête. « Cela semble bien. Cela vaut la peine d’avoir fait tout ce chemin. »
« Laissez-moi tranquille, » déclara Kojou, en se couvrant les yeux alors qu’il tournait le visage vers le plafond.
« Et Kojou, » déclara Nagisa, « Si tu ne veux pas aider à préparer le dîner, prends un bain. J’ai promis à Yuuma que nous aurions le nôtre ensemble après. »
« J’ai compris —, » déclara Kojou.
Alors que Nagisa lui parlait comme si elle partait d’une nuisance, Kojou s’était levé avec léthargie du canapé, se dirigeant vers la loge avec ses vêtements de rechange. Kojou se disait que tout ce qui n’était pas une douche était trop pénible.
Bien qu’il ait eu l’impression que ce n’était pas le moment de prendre un bain avec des anomalies mystérieuses survenant si près de chez lui, il n’y avait vraiment rien que Kojou, un simple lycéen qu’on trouvait partout dans le monde, puisse faire ici. Natsuki aurait pu arracher des informations à la garde de l’île, mais sa disparition lui avait ôté cette possibilité.
Il se sentait vraiment mal pour Yuuma après qu’elle ait fait tout ce chemin, mais si les circonstances n’avaient pas changé le lendemain, il pourrait s’avérer préférable de cesser d’être guide touristique pour le festival et d’aller lui-même chercher Natsuki.
Alors que Kojou pensait à de telles choses, il avait allègrement enlevé ses vêtements et ouvert la porte de la salle de bains.
La porte de la salle de bain avait de la vapeur blanche comme neige flottant dans l’air — .
Pendant un moment, Kojou était resté figé, incapable de comprendre la vue qui s’étendait devant ses yeux.
« Euh… ah ? » balbutia Kojou.
Il y avait déjà des invités dans le bain.
L’une était une jeune fille homoncule dont les joues ne présentaient qu’une légère rougeur due à la température, son corps mince et nu flottant dans l’eau de la baignoire. Et devant la douche de l’espace de lavage, une fille aux cheveux argentés faisait mousser son shampoing.
Remarquant que Kojou était entré dans la salle de bains, les deux filles avaient tourné la tête vers lui comme si elles ne faisaient qu’une.
« Akatsuki… ? » demanda Kanon.
« Intrusion du quatrième Primogéniteur confirmée, » déclara Astarte.
Kojou avait regardé tout autour de lui dans l’incompréhension.
« Kanase… et Astarte ? Pourquoi… !? » demanda Kojou.
La situation était trop bizarre pour qu’il puisse s’en étonner.
La disposition de la salle de bain était en grande partie la même que dans l’appartement de Kojou. Cependant, l’emplacement de la baignoire et des robinets était une image miroir.
De nombreux immeubles d’habitation utilisaient des modèles identiques pour les appartements voisins. Kojou ne connaissait pas les marques de shampoing et de savon corporel qui se trouvaient sur la table. Cependant, ils sentaient la même chose que les cheveux de Yukina.
En rassemblant les informations disponibles, Kojou était raisonnablement certain que c’était la salle de bain de l’appartement de Yukina. Il pouvait donc accepter la raison pour laquelle Kanon et Astarte étaient ici dans le bain.
En d’autres termes, Kojou avait apparemment fait une bévue dans les toilettes de l’appartement voisin de Yukina. C’est fou, pensait Kojou. C’était complètement fou.
Même couverte de shampoing, Kanon s’inclinait poliment et correctement en parlant. « Je suis désolée, mais nous étions dans le bain en première ».
La blancheur de sa peau était très apparente, même avec des mousses tout autour d’elle, comme si on pouvait voir à travers elles.
Kojou avait également répondu sur un ton calme. « D-D’accord… prenez votre temps… »
Cela avait fait mal avec Astarte qui le regardait avec un regard sans expression.
Kojou avait tourné à sa droite et était sorti des toilettes, en fermant la porte derrière lui.
À cet instant, des sueurs froides avaient jailli sur tout son corps avec une grande force, le trempant.
« … Qu’est-ce que c’était à l’instant ? Que se passe-t-il ? » se demanda Kojou.
Il regarda une fois de plus autour de lui, ne voyant que la vue du vestiaire de la très familière résidence Akatsuki. La brosse à dents de Kojou était sur la table des toilettes, là où il l’avait laissée.
Pour être sûr, il était sorti de la loge, mais c’était bien l’appartement de Kojou et Nagisa, Nagisa était dans la cuisine en train de préparer le dîner, et Yuuma aidait.
C’était exactement le même appartement à tous égards. Les seules choses différentes étaient les expressions que portaient Nagisa et Yuuma.
Le visage de Nagisa était rouge comme une betterave jusqu’aux oreilles, tandis que ses joues tremblaient.
« Kojou… que… fais-tu ? » demanda Nagisa.
« Hein ? »
Yuuma avait fait un sourire douloureux en se couvrant les yeux avec une main.
« C’est… ah, un petit problème. C’est encore le soir, et je ne suis pas prête émotionnellement à…, » déclara Yuuma.
En voyant leurs réactions, Kojou s’était rappelé qu’il ne portait pas un seul vêtement.
« Eh !? Ah… !! » s’écria Kojou.
Il était là, criant des bizarreries et bondissant tout nu devant sa petite sœur en âge de fréquenter le collège et son amie d’enfance, une adolescente qu’il n’avait pas vue depuis quatre ans. C’était la situation actuelle de Kojou. C’était assurément proche de la perv — eh bien, non, c’était pervers.
Kojou avait crié en rentrant dans la salle de lavage.
« U-uwaaaaaaaaa ! »
Les échos du cri de Nagisa et le bris des plats qu’elle avait lancés avaient rempli l’air derrière lui.
***
Partie 5
Pendant ce temps, Asagi Aiba était toujours à l’intérieur de Porte de la clé de voûte. Elle se trouvait au douzième niveau sous la surface.
C’était le département de sécurité de la Corporation de Management du Gigaflotteur.
C’était un bureau construit avec un toit en forme de dôme qui rappelait le cockpit d’un avion à réaction rempli d’innombrables moniteurs actifs, de claviers, de boules de commande et d’autres dispositifs d’entrée, mais les claviers étaient disposés verticalement comme ceux d’un orgue à tuyaux. C’était une pièce qui vous donnait l’impression étrange et oppressante d’être enterré dans des machines, mais pour Asagi, c’était aussi confortable que sa propre maison.
Sur l’écran devant elle, on pouvait voir un affichage en 3D de la ville avec un code couleur et, sur les bords, des chiffres et des formules dont la signification n’était pas claire. Il s’agissait d’analyses résultant du programme de diagnostic d’Asagi.
Mangeant de la gelée à la place d’un en-cas plus normal, Asagi regardait tout cela lorsqu’elle a fait une grimace amère alors que la fenêtre de chat qu’elle utilisait pour communiquer avec l’IA montrait un utilisateur non identifié s’immisçant là-dedans.
La voix qui se faisait entendre sur la bande audio de la communication était une voix d’homme gutturale, synthétisée électroniquement.
« Eh bien — ! Si ce n’est pas la dame et la maîtresse de Mogwai ! »
Il était l’un des programmeurs indépendants dans le cercle de connaissances d’Asagi, apparemment lui aussi avait été invité à travailler à temps partiel par la Corporation de Management du Gigaflotteur. Sa façon de parler, peu souriante, la caressait dans le mauvais sens du poil, mais il s’était spécialisé dans l’interception des intrus — et il était très, très doué pour cela. Autrement dit, il était comme un garde du corps engagé par l’industrie privée.
« Argh, le revoilà, ce type totalement dépassé », déclara Asagi, en exprimant involontairement sa véritable opinion à voix haute.
Mais l’autre partie n’avait rien remarqué, car il avait fait un rire chaleureux.
« Ha-ha-ha. Ainsi, la Corporation de Management du Gigaflotteur a même réussi à faire agir la “Cyber Impératrice”. Oh, c’est charmant. »
« — Tu as donc été appelé au travail, toi aussi, Charioteer ? »
« En effet. Ce tumulte est une occasion très agréable. Tu ne crois sûrement pas à cette rumeur selon laquelle ce chaos serait causé par un simple virus ou un dysfonctionnement du GPS ? »
« Pas vraiment, » déclara Asagi, ne contestant pas du tout son raisonnement. Cela ne servait à rien de cacher quoi que ce soit à un pirate informatique de son propre niveau. « Mais je me demande vraiment ce qui se passe réellement. »
« Hmm. Les feux de circulation qui s’allument, les erreurs du système de navigation automobile, les inconvénients du système d’atterrissage aux instruments, un grand nombre d’enfants disparus… il ne fait aucun doute que quelque chose interfère avec les systèmes internes du réseau du Gigaflotteur, » murmura Charioteer sur un ton grave et inattendu. Comme elle s’y attendait, ses informations étaient sans faille.
La Corporation de Management du Gigaflotteur avait recueilli des informations détaillées dans tous les coins de l’île d’Itogami et les avait utilisées pour préserver l’environnement de l’île. Il s’agissait bien sûr des services d’eau et d’électricité, mais aussi du contrôle des réseaux de communication banals, essentiels aux entreprises privées.
Sur une île artificielle de petite taille et à forte concentration démographique, dont la plupart des denrées alimentaires étaient importées de l’extérieur, toute perturbation de son réseau de communication aurait un effet immédiat sur la vie des habitants de l’île.
C’est pourquoi la Corporation de Management du Gigaflotteur gérait une grande variété d’informations provenant de sources telles que le fret monorail, le trafic routier, et même les chemins piétonniers et les feux de signalisation, en faisant tout son possible pour maintenir un système de transit harmonieux.
Mais depuis une demi-journée environ, ce réseau d’information connaissait de nombreux obstacles.
Les feux de circulation et les routes de navigation des voitures menaient à des endroits complètement différents de leurs destinations, les systèmes de guidage automatique des avions perdaient la localisation de l’île, et les gens continuaient à se perdre, même dans leurs propres bureaux.
La cause de l’obstruction du réseau à grande échelle n’était pas encore connue.
« Le point positif est que de nombreuses entreprises sont fermées pour le festival. Si ce n’était pas le cas, il y aurait probablement des pertes d’un ou deux milliards de yens, » déclara Charioteer.
« … Probablement. Et beaucoup de gens qui se sont perdus sont des touristes qui ne connaissent pas vraiment les lieux, » déclara Asagi.
« Hmm. » Voyant qu’Asagi était d’accord avec lui, Charioteer avait parlé d’une voix enhardie. « Mais c’est tout à fait fortuit de t’avoir rencontré ici. Pour être franc, cela devenait trop avec moi seul sur l’affaire. As-tu envisagé une cyberattaque qui aurait violé le pare-feu du Sanctuaire des Démons ? »
S’affalant en arrière, enfouissant son corps dans le dossier de son siège, Asagi parlait sur des tons endormis. « À propos de ça… Je me demande s’il s’agit vraiment d’une cyberattaque. »
Charioteer avait alors fait un son de mm bas. « C’est assez étrange. Il y a des lectures étranges provenant de divers circuits et systèmes d’information de localisation dans toute l’île… »
« Mais personne n’a trouvé de problème avec les capteurs ou les lignes de connexion, ni d’ailleurs de signe de contamination virale, » déclara Asagi.
Alors qu’Asagi finissait de parler, elle avait basculé l’affichage de son moniteur sur l’image suivante.
De toutes les données qui y étaient présentées, il était désormais prouvé que le réseau de la Corporation de Management du Gigaflotteur fonctionnait normalement.
« Alors, que penses-tu de cela ? » Asagi avait poursuivi. « Rien n’entrave le réseau. Toutes les lectures affichées par le système sont correctes. Le problème se situe donc du côté de la ville. »
« Veux-tu dire qu’il y a une distorsion spatiale tout autour de l’île d’Itogami… ? »
Charioteer était ensuite tombé dans le silence. Naturellement, il avait soupçonné que des perturbations simultanées à si grande échelle avaient été causées par des bogues dans les programmes eux-mêmes ou par des cyberattaques de l’extérieur. Cependant, même ses capacités n’avaient pas permis de localiser la moindre trace d’un intrus.
Mais si les obstructions se produisaient dans l’espace réel plutôt que dans le réseau d’information… les anomalies actuelles ne seraient-elles pas le résultat naturel et logique d’un réseau fonctionnant normalement ?
« Ne me dis pas que ce n’est pas possible. C’est d’un sanctuaire de démons dont il est question ici, » déclara Asagi.
Charioteer avait bien ri en entendant les paroles de sarcasme d’Asagi. « Cela pourrait bien être le cas. Mais les rituels de contrôle spatial sont un domaine de la magie très difficile. Seuls des utilisateurs de magie très bien formés et de grande qualité peuvent le faire, comme les grandes sorcières. On ne penserait pas que quelque chose qui touche toute l’île puisse être manié par des mains humaines. »
« … Je ne suis pas sûre de l’avantage qu’apporterait une telle flexion de l’espace à quelqu’un, de toute façon » déclara Asagi.
Asagi avait effilé ses lèvres en signe de mécontentement. Elle n’allait pas attendre que quelqu’un prouve son hypothèse alors elle n’était pas gênée par ce détail. Charioteer, lui aussi, avait fait entendre une voix angoissée.
« En effet. Si tout ce que tu voulais faire était de nuire à l’économie de la ville d’Itogami, cela t’épargnerait beaucoup de temps et d’ennuis de poser une bombe, » déclara Asagi.
Mogwai s’était immiscé dans la conversation. « Non… Attendez, mademoiselle. Il devrait y avoir une trace d’une distorsion spatiale similaire ayant eu lieu il y a une dizaine d’années dans les archives de la Garde de l’île. C’est classé top secret. »
« Un dossier scellé datant d’il y a dix ans… ? » demanda Asagi.
Asagi était allée pêcher dans les archives selon les conseils de son IA de soutien. Elle s’était introduite par piratage, bien sûr. C’était beaucoup plus rapide que de demander une autorisation.
« Quoi, l’incident de la Bible noire… !? La sorcière de Notalia, alors !? » Charioteer avait braillé en accédant aux fichiers de la même manière qu’elle. Asagi était encore à l’école primaire lorsque le soi-disant incident de la Bible noire avait ébranlé l’ensemble du Sanctuaire des Démons une dizaine d’années auparavant, mais elle s’en souvenait encore.
« Hé, Mogwai…, » déclara Asagi.
« Oui ? » répondit-il.
« Ces derniers temps, y a-t-il eu des signes d’infiltration d’organisations criminelles sur l’île d’Itogami ? » Asagi avait posé la question à son partenaire d’une voix calme. La réponse de Mogwai avait été rapide.
« … Oh oui, les agents de la BOC ont percé les défenses extérieures. Je suis presque sûr que les types de la Garde des îles sont toujours après eux ? » répondit l’IA.
« Oh-ho… la Bibliothèque, ils sont aussi très nombreux. » Charioteer avait parlé avec un ton d’excitation. La Bibliothèque des Organisations Criminelles, en abrégé BOC, également connue sous le nom de Bibliothèque… C’était le nom d’une organisation criminelle connue dans le monde entier. Il avait été dit qu’ils avaient eux aussi joué un rôle central dans l’incident de la Bible noire.
« Je vois… C’est donc comme ça… » Même Asagi n’avait pas pu cacher sa nervosité lorsque sa pire prémonition s’était avérée être vraie. Des agents de la BOC avaient envahi la zone, des anomalies se produisaient sur toute l’île d’Itogami. Les chances que les deux affaires ne soient pas liées lui semblaient minces.
Et le jour suivant serait l’ouverture du festival de la Veillée Funèbre. Il y aurait un grand nombre de touristes venant de l’extérieur de l’île, c’était le moment où la sécurité du Sanctuaire des Démons était la plus fragile.
« Mogwai, contacte la Corporation de Management du Gigaflotteur. Il y a probablement quelque chose de gros qui va arriver demain, » déclara Asagi.
Ses paroles s’avéreront plus exactes qu’elle ne l’aurait jamais imaginé.
***
Partie 6
Kojou était agenouillé sur le sol froid et dur. L’entrée était la même que celle de la résidence Akatsuki, mais cette pièce était beaucoup plus vide et peu meublée. C’était le salon de l’appartement de Yukina.
Assise en face de Kojou prostré, et le regardant de haut, se trouvait Yukina, assise à genoux dans le style japonais approprié.
À côté d’elle, il y avait Kanon et Astarte, avec les cheveux encore mouillés par le bain.
Yukina avait passé en revue la situation d’une voix étrangement calme.
« Donc, je ne suis pas sûre d’avoir tout à fait raison, mais… je crois comprendre que tu es venu avouer avoir espionné Kanase et Astarte dans le bain, non ? » demanda Yukina.
Kojou avait levé la tête en toute hâte. « Je ne l’ai pas fait ! Enfin, je l’ai fait, mais ce n’est pas du tout le plus gros problème ici ! »
Il était vrai qu’il était entré dans la salle de bains alors que Kanon et Astarte étaient dans le bain, mais il y avait sûrement quelque chose de plus important à dire. À savoir que le dressing de la résidence Akatsuki était relié aux toilettes de la résidence Himeragi voisine. Cela avait pu sembler peu de chose par rapport au problème de la disparition de Natsuki, mais c’était certainement une anomalie.
« Mais tu as regardé, n’est-ce pas ? » Yukina avait fixé Kojou du regard en lui posant la question.
Pour une raison quelconque, le ton trop calme de sa voix avait fait pressentir à Kojou un destin imminent alors qu’il secouait férocement la tête.
« A-Astarte était sous l’eau, et Kanase avait de la mousse de shampoing sur tout le corps, donc je n’ai pas vu de —, » répondit Kojou.
« Mais tu as regardé, n’est-ce pas ? » demanda Yukina.
Kojou avait de nouveau touché son front au sol. « … Je suis vraiment désolé. »
« Tu es vraiment sans espoir…, » Yukina avait remarqué qu’elle soupirait longuement.
Pour sa part, le fait d’avoir reçu des excuses avait fait passer le visage de Kanon au rouge vif.
« Ce n’est rien, » déclara Kanon.
Kojou avait immédiatement réfuté la douce déclaration de Kanon. « Non, c’est, euh, un peu important en fait… »
Après tout, c’était une princesse à part entière, même en mettant cela de côté, Kanon avait une allure exceptionnelle pour une collégienne. Même si ce n’était que pour un seul instant, la précieuse image de la vue momentanée de son corps nu avait été brûlée dans le fond de l’esprit de Kojou.
Yukina semblait voir clair dans la vie de Kojou alors qu’il se rappelait inconsciemment cette image de sa mémoire, l’empalant de son regard glacial.
Comme pour l’enfoncer davantage dans un coin, Astarte s’était exprimée sur son ton habituel de désintéressement. « Excuses confirmées. Je me souviens en outre d’avoir assisté au quatrième Primogéniteur dans une circonstance pratiquement identique. »
Kojou avait rapidement perdu son sang-froid en traînant ce fait largement oublié sur le devant de la scène. « Ce n’était pas ma faute ! Je ne t’ai pas fait sortir de cette cuve comme ça… ! »
Certes, Kojou avait rencontré Astarte presque nue, mais son corps était en train d’être réaccordé par l’Apôtre armé lothargien à l’époque, alors qu’en plus, Kojou et Yukina étaient ses ennemis à l’époque.
Cependant, en entendant la déclaration d’Astarte, les joues de Kanon étaient devenues encore plus rouges.
« J’ai aussi été vue par Akatsuki auparavant… donc tout cela est bien, vraiment…, » déclara Kanon.
Kojou avait désespérément professé son innocence. « Tu étais une ange à l’époque ! C’était un acte de Dieu ! »
Yukina avait secoué la tête d’exaspération en regardant Kojou protester.
« En tout cas, Senpai, tu as essayé d’aller dans les toilettes de ta propre résidence et tu as fini dans les toilettes de la mienne, oui ? » demanda Yukina.
« O-oui… Je ne pensais pas que tu avais compris cette partie, » déclara Kojou.
Yukina avait réfuté sur un ton extrêmement sérieux. « Non, je l’ai fait. Je ne crois pas que Kanon ou Astarte raconteraient des mensonges… bien qu’un voyeur soit une autre histoire. »
« Ne me traite pas de voyeur ! » s’écria Kojou.
Yukina avait ensuite souligné l’évidence.
« En outre, il y a aussi ce que Sayaka et la princesse ont dit, » déclara Yukina.
Kojou avait eu honte de laisser cela lui échapper. « Ah oui… Elles sont allées prendre l’avion et ont été transférées sur un sous-flotteur en construction, n’est-ce pas ? »
Sayaka et La Folia avaient été envoyées dans un endroit éloigné de l’aéroport, Kojou était entré dans la salle de bain de sa voisine. Les lieux et la gravité étaient complètement différents, mais dans les deux cas, des déplacements spatiaux instantanés avaient été impliqués.
Yukina avait soigneusement choisi ses mots en murmurant. « Peut-être y a-t-il une sorte de distorsion qui se produit dans l’espace entourant l’île d’Itogami. »
Kojou avait capté son souffle de manière audible.
Le contrôle de l’espace, l’utilisation de celui-ci pour des mouvements instantanés — n’était-ce pas la spécialité de Natsuki Minamiya, la sorcière du néant — ?
« Les distorsions spatiales… ? Penses-tu que cela pourrait avoir un rapport avec la disparition de Natsuki ? » demanda Kojou.
« Je ne sais pas. Cependant, j’ai l’impression que le timing est trop similaire pour être une simple coïncidence, » déclara Yukina.
« Il semble que ce soit le cas. » Kojou acquiesça d’un signe de tête en se tordant les lèvres. « Ce serait bien si nous pouvions contacter Natsuki, mais où devrions-nous la chercher ? »
Yukina avait parlé sur un ton teinté d’un léger malaise. « Dans cette situation, il est dangereux de se promener avec insouciance. En tout cas, attendons de voir pour le moment. Veille à retourner à ta propre résidence, Senpai. Nagisa et Yuuma risquent de se retrouver mêlées à cette affaire. De plus, il n’y a aucune garantie que tu reviendras en toute sécurité la prochaine fois. »
« Je vois. Tu marques un point, » déclara Kojou.
Cette fois-ci, Kojou s’était rendu jusqu’à la salle de bains de l’appartement voisin de Yukina, mais la prochaine fois, ce ne sera peut-être pas à une si petite échelle. Si la prochaine distorsion l’envoyait dans la stratosphère ou au fond de la mer, il pourrait périr instantanément, sans pouvoir revenir.
De ce point de vue, l’expérience de Kojou avait été un coup de chance incroyable.
Après tout, il n’avait pas été jeté à poil dans un quartier commerçant très fréquenté, les personnes à destination étaient Kanon et Astarte, deux connaissances.
Se souvenant inconsciemment de leur apparence dans le bain, Kojou avait béni sa bonne fortune avec une ferveur renouvelée.
Alors que Kojou le faisait, Yukina lui avait jeté un regard sans émotion encore plus effrayant qu’auparavant. « Senpai… »
Obéissant à son instinct animal, Kojou se prosterna une fois de plus.
« Je suis vraiment, vraiment désolé…, » déclara Kojou.
***
Partie 7
Quand Kojou était rentré chez lui, c’était Nagisa et Yuuma qui l’attendaient, dans le bain.
Cela ne voulait pas dire que Kojou avait été forcé d’entrer dans leur salle de bains dès qu’il avait franchi le seuil de la porte. C’était simplement que les voix de Nagisa et de Yuuma depuis la salle de bains étaient si fortes que Kojou pouvait les entendre depuis le salon. Il y avait toutes sortes de discussions entre filles sur le fait de savoir si elles avaient un petit ami ou non, sur le type de gars qu’elles aimaient, sur les moyens de faire grossir les seins, et de rumeurs effrayantes qui n’étaient pas destinées aux oreilles des garçons — autant de sujets de discussion interdits dont Kojou ne savait rien.
Oui, il était curieux, mais ce n’était pas vraiment des sujets dont il voulait entendre parler de la bouche de sa propre petite sœur. Malgré cela, il n’avait pas la force d’annoncer, je vous entends, et donc, le cœur lourd, Kojou avait pris un verre dans une bouteille en PET et était sorti sur la véranda.
Le badinage insouciant de Nagisa et Yuuma n’était pas audible de l’extérieur de l’appartement.
Appuyé mollement contre la balustrade, Kojou s’était versé la boisson sportive tiède dans la gorge. Puis, il avait soudain vu quelque chose qui lui avait glacé le sang.
« … Eh !? »
La main qui tenait la bouteille PET tremblait. Kojou regardait un parc sur un plateau de l’autre côté de la rue. La distance devait être de presque un kilomètre.
Si Kojou n’avait pas eu une vision vampirique après le coucher du soleil comme c’était le cas en ce moment, et si l’homme vêtu qui se tenait là ne s’était pas distingué, il ne l’aurait sûrement jamais remarqué.
« Pas… possible. Qu’est-ce qu’il fait ici… ! ? » s’écria Kojou.
Kojou avait mis des chaussures et était sorti de l’appartement en courant dans les escaliers du complexe. Il avait sauté par-dessus la clôture extérieure et avait plongé sur la route, prenant le chemin le plus court possible vers le plateau. C’est dans des moments comme celui-ci que Kojou avait maudit son corps de ne pas avoir pu voler de façon vraiment vampirique.
Puis Kojou, haletant, était arrivé dans le parc qui était sa destination.
L’homme se tenait sur le plateau comme avant. Il dominait froidement l’horizon nocturne alors qu’une faible poussée de soif de sang s’élevait tout autour de lui.
« — Rudolf Eustache ! »
Kojou appela l’homme par son nom complet. C’était un étranger blond, un soldat aux cheveux très courts. Son œil gauche était recouvert d’un monocle métallique, semblable à un cache-œil.
Il mesurait plus de 190 centimètres, était couvert d’un habit de prêtre et portait une armure métallique sous celui-ci. C’était une combinaison d’augmentation blindée employée par l’infanterie lourde de l’armée.
Il ne pouvait vraiment confondre un type comme ça avec quelqu’un d’autre.
Deux mois auparavant, l’apôtre armé lotharingien, Rudolf Eustache, le maître d’Astarte avait engagé Kojou et Yukina dans un duel meurtrier, portant l’île d’Itogami au bord de la destruction.
« Pourquoi êtes-vous ici ? N’êtes-vous pas retourné en Lotharingie — ! ? » demanda Kojou.
Son ton était doux, même si Kojou le regardait avec un regard d’émotion brute et tremblante.
« Pour rencontrer quelqu’un qui connaît mon nom commun… Qui pourriez-vous être ? » demanda Eustache.
Kojou avait crié d’indignation. « Ne faites pas l’idiot avec moi ! L’île d’Itogami a déjà décidé de rendre la sainte relique. Vous ne devriez pas avoir d’affaires ici. Ou bien êtes-vous venu ici pour reprendre Astarte ? »
« Si vous avez discerné mon objectif, alors je ne peux l’ignorer, » déclara Eustache.
Eustache avait sorti son arme du fond de son habit. Kojou avait reconnu la barbiche en métal. C’était une hache de combat avec une lame géante.
Son monocle s’était empli de rouge à plusieurs reprises en scrutant Kojou. La vision d’Eustache était remplie d’un affichage tête-haute d’analyse.
« Un vampire de lignée inconnue… ? Hmm… Si vous êtes un démon abominable, vous êtes ici pour interférer avec ma croisade. En tant qu’apôtre armé, je n’ai aucune raison d’hésiter à vous exécuter ! » déclara Eustache.
« Ne vous souvenez-vous pas de qui je suis… !? » s’écria Kojou.
Lui et Eustache se parlaient en bougeant. Ce fait avait plongé Kojou dans le désespoir. Kojou savait pourquoi il détestait l’île d’Itogami et avait tenté de la détruire. Cette bataille était terminée. Beaucoup en avaient payé le prix, mais l’île d’Itogami avait échappé à la destruction de justesse, et Eustache était retourné dans sa propre nation.
« Arrêtez ça, mon vieux. Vous et moi n’avons plus de raison de nous battre —, » déclara Kojou.
« Silence, démon ! » Eustache rugit.
Il avait déplacé sa barbiche vers Kojou, son corps accéléré par la combinaison d’augmentation. C’était trop rapide pour être esquivé, mais Kojou avait quand même réussi à échapper à l’attaque. Il avait combattu Eustache plus d’une fois auparavant, il était bien conscient de la puissance de l’homme.
« Arrêtez, vieillard… ! » s’écria Kojou.
Eustache avait facilement pulvérisé le banc de béton que Kojou avait utilisé comme bouclier. Son pouvoir destructeur était aussi fou que d’habitude. Ce n’était pas un adversaire que Kojou pouvait vaincre à mains nues.
À ce rythme, Kojou serait tué sans problème avant d’avoir pu atteindre le type — .
« Merde, espèce de dur à cuire ! Viens ici, Regulus… ! » ordonna Kojou.
Parmi les autres options, Kojou avait commencé à convoquer son Vassal Bestial.
C’était des bêtes appelées d’un autre monde qui avaient habité dans son propre « sang » vampirique. Quand ils se matérialisaient, ils étaient des masses géantes d’énergie démoniaque, c’est grâce à eux que les vampires étaient connus et craints comme les plus puissants des êtres démoniaques.
Seule l’énergie vitale négative illimitée d’un vampire pouvait supporter la consommation extrême de la force vitale de l’hôte nécessaire pour utiliser un vassal bestial. À son tour, la puissance destructrice d’un vassal bestial était écrasante.
Cela avait été encore plus vrai pour les vassaux bestiaux du quatrième Primogéniteur, le vampire le plus puissant du monde, dont on dit qu’ils déclenchaient chacun une destruction équivalente à une catastrophe naturelle. Même un apôtre armé lotharingien n’avait aucun moyen de s’opposer à une telle puissance.
Mais les attaques d’Eustache n’avaient pas cessé pour autant — .
« — Trop lent ! »
La hache de guerre d’Eustache était plus rapide que la convocation du Vassal Bestial de Kojou. Le regard abasourdi par la lame géante qui le transperça, Kojou se résigna à mourir.
Même avec la puissance du vampire le plus puissant du monde, Kojou lui-même était un amateur au combat. L’apôtre armé lotharinois n’était tout simplement pas un adversaire qu’il pouvait vaincre sans l’aide de Yukina.
Pourtant, l’impact de la hache de guerre n’avait pas assailli un Kojou désespéré.
« … Vieil homme… ? »
Kojou avait regardé le parc dans un état d’étourdissement, ne voyant rien d’autre que la surface du sol.
Il n’y avait aucun signe du grand Apôtre Armé. Lui et la barbiche qu’il avait balancée avaient tous deux disparu.
Il n’y avait aucun signe de la présence de quelqu’un d’autre dans le parc ici la nuit, seulement Kojou et la lumière peu fiable de quelques lampadaires.
Il croyait entendre des choses, mais en fait, c’était le bruit des pétards de la veille de l’ouverture du festival au loin.
À l’exception des restes du banc dévasté, tous les signes d’Eustache avaient disparu.
***
Partie 8
Kojou avait traîné son corps fatigué jusqu’à l’immeuble.
Il n’avait toujours aucune idée de ce qui s’était passé, il avait l’impression d’avoir fait un mauvais rêve.
À proprement parler, la rencontre avec Eustache était quelque chose qu’il aurait dû signaler à Yukina. Mais après avoir jeté cette idée aux oubliettes, Kojou avait décidé de faire taire cela pendant un moment. Après tout, Astarte était juste là, dans l’appartement de Yukina. Il ne voulait pas l’inquiéter sans raison, après tout, il n’avait toujours pas de preuve que l’Apôtre armé était vraiment là.
Yuuma était la seule dans l’appartement à saluer Kojou.
« Bienvenue, Kojou. »
Il y avait longtemps qu’elle était sortie du bain, ses cheveux étaient maintenant complètement secs. Lorsqu’il avait jeté un coup d’œil à l’horloge, il était près de minuit. Il était rentré tard parce qu’il avait passé du temps dans le parc à la recherche d’indices après la disparition d’Eustache.
« Désolé d’être si en retard… Hein ? » s’exclama Kojou.
Alors que Kojou enlevait ses chaussures et retournait au salon, il regarda dans l’appartement pour voir s’il y avait des traces laissées par sa petite sœur.
« Nagisa dort déjà. On dirait qu’elle s’est vraiment épuisée, » déclara Yuuma.
« … C’est une vraie écolière, » déclara Kojou.
Kojou avait poussé un soupir exaspéré en vérifiant et en voyant que les lumières de la chambre de Nagisa étaient éteintes.
Des vêtements inconnus étaient éparpillés dans le salon. Il y avait une robe victorienne, une tenue de pirate, des tenues de lapin et d’oreilles de chat, des tenues d’ange, de vampire et même un Jack-o’-lantern.
« Qu’est-ce que c’est que tout cela ? » demanda Kojou.
« Nous les avons essayés. » Yuuma avait pris la parole, regardant Kojou, déconcerté, avec un amusement apparent. « Apparemment, il est de tradition que les personnes qui assistent au festival de la Veillée Funèbre portent un déguisement. »
« Des tenues de Cosplay, hein… ? Mais Nagisa, quand a-t-elle rassemblé tout cela ? » Kojou était à moitié hors de lui en murmurant.
Pour commencer, sa petite sœur aimait les événements, mais elle n’était pas du tout dans le coup l’année précédente. Elle s’était sans doute surpassée cette année, car Yuuma venait jouer.
En y regardant de plus près, on constate que la moitié des tenues étaient adaptées aux garçons. Je suis tellement content d’être sorti, pensa Kojou avec un soupir de soulagement. S’il était resté dans l’immeuble, il aurait été en train de s’équiper pendant tout ce temps.
Kojou avait posé la question qui le harcelait un peu. « Vas-tu porter quelque chose, Yuuma ? »
En ce moment, Yuuma portait un combo sweat-shirt et pantalon de survêtement totalement non sexy à la place de son pyjama. C’était très Yuuma à un certain niveau, mais il avait un intérêt simple pour le type de tenue qu’elle avait choisi.
Yuuma s’était levée pendant qu’elle parlait.
« Veux-tu jeter un coup d’œil ? Je vais devoir me changer, » déclara Yuuma.
« Bien sûr, » répondit Kojou. « Désolé de te faire travailler. »
Yuuma avait déplacé une main vers son pantalon de survêtement pendant qu’elle parlait.
« C’est bien. Cela ne prendra pas longtemps de toute façon, » déclara Yuuma.
Puis, sous les yeux de Kojou, elle les avait soudainement retirés. L’étalage généreux de ses cuisses blanches avait attiré le regard de Kojou.
« Y-Yuuma… !? Quand tu dis changement… Attends, un peu !? » s’exclama Kojou.
Yuuma sourit en déplaçant ses mains vers la poitrine de son sweat-shirt.
« Quel est le problème ? Nous avions l’habitude de faire cela tout le temps, » déclara Yuuma.
Elle l’avait lentement tiré vers le bas comme si elle essayait d’obtenir une réaction de Kojou.
« C’est quand nous étions enfants ! Maintenant, tu est —, » commença Kojou.
Yuuma avait éclaté de rire en enlevant son sweat-shirt.
« Maintenant, je suis quoi… ? » demanda Yuuma.
Un instant avant que Kojou ne détourne les yeux aussi vite que possible, il remarqua qu’elle portait autre chose à la place de ses sous-vêtements.
« Yuuma… c’est…, » balbutia Kojou.
Yuuma sourit fièrement en regardant un Kojou encore bien secoué.
« Oui, c’est un cosplay de sorcière. Je l’ai mis en dessous pour te surprendre. Cependant, c’est un peu serré, » déclara Yuuma.
La tenue dans laquelle elle était maintenant habillée était une robe noire avec une jupe très courte et un gros ruban noué sur les seins. Avec le chapeau triangulaire et les filets de pêche qu’elle portait, elle ressemblait vraiment à une sorcière.
Consciente du silence de Kojou, Yuuma avait eu un rare regard de malaise sur son visage lorsqu’elle avait demandé. « Est-ce bizarre de me voir porter quelque chose comme ça, hein ? »
Kojou répondit alors que son regard vagabondait. « Non, je pense que ça correspond bien, mais… »
La jupe était extrêmement courte et les épaules étaient largement dégagées. De plus, cela avait vraiment montré toutes ses lignes corporelles. Certes, il fallait dire que cela correspondait bien au style de Yuuma. Mais en plus, elle exposait beaucoup trop son corps. Il avait l’impression que ce n’était pas un déguisement dans lequel il devrait la voir tard dans la nuit avec seulement eux deux debout.
Pour une raison quelconque, voir Kojou se glisser dans un comportement suspect avait apparemment rendu Yuuma heureuse en murmurant. « C’est ainsi. Je suis si contente. »
Puis, elle s’était soudainement rapprochée, juste devant les yeux de Kojou.
« Kojou, » déclara Yuuma.
« Hein ? » s’exclama Kojou.
Yuuma avait touché la joue de Kojou. « Tu saignes, sur ta joue. »
Kojou avait caressé son propre visage, l’imitant.
« Wôw, tu as raison… Un morceau de ce banc a dû me couper, » déclara Kojou.
Sentant la sensation inattendue du sang, Kojou regarda avec stupéfaction le bout de ses doigts. Peut-être son excitation actuelle avait-elle ouvert une blessure subie lors de la bataille avec Eustache.
« Attends une seconde. Je vais chercher un pansement, » déclara Yuuma.
Pendant que Yuuma parlait, elle avait sorti une trousse de premiers secours portable d’une poche des vêtements de sport qu’elle avait retirés. À son invitation, Kojou s’était assis sur place. Yuuma s’était penchée sur lui de face, ce qui les avait amenés à se regarder de très près, à une distance intime.
Kojou déplaça ses lèvres avec désinvolture pour briser la tension. « Cela me ramène un peu à la réalité. »
Yuuma avait mélangé un sourire tendu à son hochement de tête. « C’est parce que tu as été très souvent blessé, Kojou. Cela m’a fait prendre l’habitude de me promener avec une trousse de premiers secours. »
« N’était-ce pas parce que je te suivais partout en faisant des choses imprudentes avec toi ? » demanda Kojou.
Yuuma avait fait semblant d’être muette à propos de ce rôle en tendant la main pour toucher la joue de Kojou.
« Et alors ? » demanda Yuuma.
Ce n’est pas bon, pensait Kojou avec une appréhension interne. La tenue extrêmement exposante, avec Yuuma penchée en avant comme ça, le rendait incapable d’ignorer son décolleté. Elle avait ri de la nervosité évidente de Kojou.
« Tes joues sont rouges, Kojou, » déclara Yuuma.
Kojou avait tourné son visage en parlant d’une voix faible. « C’est parce que tu es trop proche. »
Yuuma avait doucement rétréci ses yeux. « Je suis contente. »
« À propos de quoi… ? » demanda Kojou.
« Je pensais que tu agirais exactement comme avant et que tu ne pourrais pas me voir comme une fille. J’y ai consacré pas mal de travail, tu sais, » déclara Yuuma.
Kojou avait été très surpris de la confession inattendue de Yuuma.
« Mais tu m’as pris par surprise. Tu n’aurais pas été surprise en train de porter cette tenue à l’époque, » déclara Kojou.
Le sourire de Yuuma semblait porter la déception alors qu’elle abaissait ses épaules. Kojou ne comprenait pas la raison pour laquelle cela la dégonflait.
« Eh bien, ce n’est pas vraiment vrai, mais de toute façon…, » déclara Yuuma.
« Eh bien, tu es tel que tu es…, je veux dire. » Kojou ne pouvait pas voir les choses autrement, alors il l’avait simplement dit. « Je veux dire, tu es mignonne depuis longtemps, Yuuma. »
Pendant un moment, Yuuma n’avait pas de mots, regardant Kojou avec les yeux grands ouverts. Une expression très solitaire s’était emparée d’elle. « C’est tout à fait toi, Kojou. Par exemple, si je cessais d’être humain, serais-tu capable de dire la même chose ? »
Kojou avait répondu aux paroles plaisantes de Yuuma par une déclaration décisive. « Ne t’inquiète pas pour ça, je connais beaucoup de gens qui ne sont pas des gens normaux. Une de plus ne me surprendra pas. »
Dans la pièce voisine, il y avait une apprentie Mage d’Attaque d’une agence spéciale, un homoncule et une ancienne ange. Plus important que tout cela, Kojou lui-même était devenu le monstre connu sous le nom de Quatrième Primogéniteur. Il ne pensait pas que Yuuma allait se transformer en quelque chose de plus étrange que ça.
Yuuma murmurait dans une satisfaction visible en déplaçant ses mains autour de Kojou comme pour l’embrasser.
« C’est donc… C’est un sanctuaire de démons après tout… Maintenant, j’en suis sûre. Tu es vraiment le seul pour moi, Kojou, » déclara Yuuma.
Kojou était choqué par la sensation que lui procurait sa joue.
« … Yuuma ? » demanda Kojou.
Yuuma léchait la blessure de Kojou. Elle léchait le sang du vampire appelé le Quatrième Primogéniteur.
Puis, juste comme ça, elle avait pressé ses propres lèvres contre celles de Kojou.
« Qu’est-ce que… !? » s’écria Kojou.
L’espace derrière Yuuma se balançait, ondulant comme une vague. Quelque chose de l’autre côté montrait doucement son visage comme s’il s’élevait du fond d’un lac profond.
C’était une silhouette malveillante bleue géante — .
La voix de Yuuma résonnait doucement dans l’oreille de Kojou. « Maintenant, que les festivités commencent, Kojou. »
Comme si elle répondait à l’invitation de ce doux écho, la conscience de Kojou tomba doucement dans une brume, puis de plus en plus profondément dans l’obscurité…
***
Chapitre 3 : Parade costumée
Partie 1
Il était une fois une fille qui vivait seule dans un petit château au fond d’une forêt.
Le château avait tout ce dont elle avait besoin. Il y avait des salles blanches et un nombre incalculable de vêtements exquis. Son régime était complètement contrôlé. L’enseignement obligatoire était très chargé. Dans ce château, la fille avait l’impression que même ses rêves étaient contrôlés.
La jeune fille ne connaissait pas les visages de ses parents. Elle avait été séparée de sa mère immédiatement après sa naissance et avait été élevée par des servantes envoyées par l’organisation. La jeune fille n’avait ressenti aucune émotion lorsqu’on lui avait dit qu’elle rencontrerait sa mère dans un endroit éloigné une fois qu’elle aurait seize ans.
La jeune fille s’était réveillée à l’heure prévue, s’était habillée dans la tenue prévue et était allée étudier à l’école prévue. Elle n’avait pas d’amis proches, elle n’en avait pas besoin. On lui avait enseigné que l’école était l’endroit où l’on apprenait à tromper les autres. Même là, la performance de la jeune fille était parfaite : ses camarades de classe l’adoraient et les enseignants la reconnaissaient comme une élève excellente et sans problèmes.
Puis, à l’heure prévue, la jeune fille était retournée au château dans la forêt. Chaque jour passait comme ça sans qu’une seule chose tourne mal. C’était des jours qui s’étaient passés exactement comme prévu.
La petite déchirure dans la couture de ce plan s’était formée dans l’après-midi d’un jour juste avant l’été.
Un frère et une sœur étaient venus jouer dans la forêt de la jeune fille.
Ils étaient loin d’être parfaits. Leur peau était brûlée par le soleil, leurs cheveux étaient ébouriffés et les dents de devant du frère avaient disparu. Ils se disputaient sur les moindres détails, se faisaient pleurer, puis se tenaient la main, riant comme s’ils s’amusaient plus que quiconque.
Les jeunes frères et sœurs avaient apparemment construit une base secrète à l’intérieur de la forêt. C’était un grand chalet construit à partir d’une boîte en carton jetée et de branches d’arbre qu’ils avaient rassemblées. Ce n’était pas quelque chose qui aurait dû exister sur des terres privées contrôlées par l’organisation.
Cependant, la jeune fille ne l’avait pas signalé aux servantes qui administraient la terre, car elle voulait surveiller les frères et sœurs à distance pendant qu’ils jouaient.
Finalement, la jeune fille avait coupé les cheveux longs et magnifiques qui lui avaient été donnés. Ce n’est qu’un certain temps plus tard qu’elle s’était rendu compte qu’elle l’avait fait par affection pour ces jeunes frères et sœurs.
Peu de temps après, la jeune fille avait échangé des mots avec eux.
À l’extérieur de la forêt, alors que la jeune fille passait tout près d’eux, le frère l’avait appelée sans prévenir.
« Hé, toi ! Teins ma main et ne me lâche pas ! »
« Ah… ? »
Lorsque la jeune fille, déconcertée, lui saisit fermement la main, le garçon s’agrippa au bord d’un précipice et s’y accrocha. Sans aucune idée de ce qui se passait, la jeune fille soutenait désespérément son corps, car si elle ne l’avait pas fait, il était possible qu’elle tombe tout de suite avec lui. La falaise n’était pas si haute, mais des branches d’arbres pointues s’y détachaient. Il était peu probable qu’elle s’en sorte indemne.
Finalement, le garçon s’était frayé un chemin pour remonter du précipice. Sa main tenait un petit chapeau tombé en bas, emporté par le vent.
Le garçon avait mis le chapeau sale juste au-dessus de la tête de sa petite sœur aux yeux humides.
« Tiens, Nagisa. »
Un sourire radieux était apparu sur le visage de sa petite sœur. Cette vue donna peu à peu à la jeune fille un sentiment d’accomplissement. C’était la première fois qu’elle était enveloppée d’émotion. C’était la seule chose qu’elle avait jamais obtenue qui défiait le plan.
Le garçon avait essayé de parler avec un visage joyeux et souriant, des dents de devant manquantes et tout.
« Merci, tu m’as été d’une grande aide. Tu es plus forte que je ne le pensais, euh… »
Attirées par ce regard, les lèvres de la fille avaient inconsciemment formé un sourire.
« Je m’appelle Yuuma. Yuuma Tokoyogi. »
« Enchanté, Yuuma. »
Même aujourd’hui, la jeune fille n’avait pas oublié la chaleur que sa main transmettait lorsqu’on la pressait sur la sienne.
Cependant, maintenant que la jeune fille avait trahi cette chaleur, cela continuait à tourmenter son âme.
C’était un plan parfait, et il serait parfaitement exécuté, sans tenir compte des souhaits de la fille.
***
Partie 2
Kojou ouvrit les yeux au sommet du lit. C’était la vue très familière de sa chambre.
Il était un peu plus de huit heures du matin. Il avait envie de dormir tard, mais il se sentait plus frais que d’habitude, peut-être qu’il était juste excité par le matin du festival.
« Bonjour… hein ? » Kojou resta au lit, couché sur le ventre, en murmurant distraitement.
Il avait l’impression que beaucoup de choses s’étaient passées la veille au soir. Il avait été pris dans des distorsions spatiales, avait eu des retrouvailles avec l’apôtre armé lothargien, et il… pensait que Yuuma avait rampé sur lui.
Mais sa mémoire était bizarrement vague à ce moment-là. Kojou n’avait pas affronté Eustache avant qu’il ne disparaisse comme une illusion. Et Yuuma s’était comportée bizarrement. Il avait aussi vu l’illusion d’une ombre affreuse émerger de son dos. Il ne pensait pas que c’était arrivé dans la vraie vie. En effet, il était beaucoup plus facile de l’accepter comme quelque chose qu’il avait imaginé dans un rêve.
« Je suppose que j’ai vu un… un rêve plutôt bizarre, hein ? »
Alors Kojou se disait ça en se levant du lit.
Son malaise soudain était probablement dû à la légèreté étrange de son corps. La léthargie matinale chronique et le sentiment de fatigue qui le tourmentaient depuis qu’il était devenu vampire avaient disparu. Il était rare qu’une matinée soit aussi agréable.
« Je suppose que Nagisa dort encore, non ? »
Pensant que l’appartement était étrangement calme, Kojou était entré dans le salon. Mais il n’avait vu Nagisa nulle part. Il avait frappé à la porte de sa chambre pour être sûr, mais aucune réponse n’était venue. La lumière de la salle de bain était aussi éteinte. Il y avait de la nourriture pour une seule personne préparée dans la salle à manger.
« Est-ce qu’elles sont sorties, justes toutes les deux… ? » murmura Kojou sans se soucier de rien. Peut-être qu’elle était juste sortie se promener, il était aussi possible qu’elles soient allées jouer dans l’appartement de Yukina. Cela n’avait certainement pas mérité beaucoup de réflexion.
Comme elle s’était donné tant de mal, Kojou s’était assis sur une chaise pour se servir à déjeuner, et c’est là qu’il avait senti que quelque chose n’allait vraiment pas.
Les jambes fines et galbées de Kojou s’étendaient au-delà de l’ourlet de la jupe courte.
« Qu… ? »
Pourquoi je porte des vêtements de fille ? pensa Kojou, secoué. La petite robe noire était sûrement celle que Yuuma avait portée la nuit précédente.
Mais Kojou avait finalement réalisé que ce n’était pas seulement des vêtements qu’il avait échangés avec elle.
Alors qu’il levait les mains devant lui, ses doigts étaient étonnamment fins et délicats. La vue vers le bas était obstruée par un gonflement inattendu de sa poitrine. Les courbes de ses jambes nues avaient une peau de bébé, dépourvue de poils de jambe ou de toute autre marque disgracieuse. Il s’était également rendu compte qu’il était plus petit d’environ dix centimètres qu’il ne devrait l’être.
« Qu… ? »
Kojou s’était envolé dans les toilettes et avait regardé le miroir à l’intérieur.
Le visage gracieux d’une fille s’y reflétait, associé à des cheveux au carré quelque peu ébouriffés.
Les yeux qui s’affichaient à l’intérieur étaient larges et surprenants. Les cils étaient longs, le chanfrein délicat. Le visage à l’intérieur du miroir, qui lui rappelait ce à quoi elle ressemblait quand elle était plus jeune, était celui de sa vieille amie, Yuuma Tokoyogi.
Kojou avait fait de la pantomime encore et encore. Il confirma de ses propres yeux que son corps bougeait selon sa volonté. Il n’avait plus de place pour le doute. L’esprit de Kojou avait été mis dans le corps de Yuuma.
Kojou et Yuuma avaient changé de corps.
Et le corps de Kojou avait disparu quelque part, avec l’esprit de Yuuma.
« C’est quoi ce bordel !? »
Le cri qui sortait de la bouche de Kojou était de la voix claire et aiguë d’une fille.
En se précipitant dans le couloir, Kojou s’était dirigé tout droit vers l’entrée de l’appartement d’à côté. La plaque de porte indiquait que c’était la chambre 705. C’était l’appartement dans lequel Yukina avait emménagé environ deux mois auparavant. Il ne voyait personne d’autre avec qui discuter d’une telle situation d’urgence.
« … Alors ce qui s’est passé cette nuit n’était pas un rêve !? »
Kojou poussa la sonnette et poussa grossièrement ses deux mains contre le mur.
Il se souvint de la vue de l’ombre géante qui flottait sur le dos de Yuuma. C’était une ombre bleue inquiétante, son corps revêtu d’une armure comme celui d’un chevalier. Il n’y avait pas de visage sous son mystérieux casque en forme de crâne, seulement un vide sombre et insondable. Yuuma avait peut-être utilisé le pouvoir de l’ombre bleue pour échanger des corps avec lui.
Mais Kojou ne comprenait pas pourquoi Yuuma avait ce genre de pouvoir. Il ne comprenait pas non plus pourquoi il était nécessaire qu’elle fasse une telle chose.
Yukina avait ouvert la porte à mi-chemin et avait sorti son visage du trou.
« … Bonjour, Yuuma. S’est-il passé quelque chose ? » demanda Yukina.
Elle avait l’air un peu méfiante quant à la raison pour laquelle Yuuma lui rendait soudainement visite toute seule. Ce fait avait d’autant plus ébranlé Kojou.
Donc Kojou ressemblait vraiment à Yuuma, même aux yeux de Yukina. Kojou avait envisagé la possibilité qu’il s’agît simplement d’une sorte de suggestion hypnotique qui l’affectait seulement lui, mais cela ne devait pas se produire.
« Himeragi. Désolé, c’est moi, » déclara Kojou.
Kojou avait parlé en montrant « son » visage. Yukina avait cligné des yeux comme si elle trouvait son comportement étrange.
« Ah oui… ? » demanda Yukina.
« Euh, ah, calme-toi et écoute-moi, OK ? » déclara Kojou.
« Yuuma, je suis désolée… Veux-tu entrer ? En voici un petit peu… » commença Yukina.
Yukina tendit doucement la main à travers l’ouverture de la porte et fit entrer Kojou. Kojou avait franchi la porte d’entrée, pensant que le comportement de Yukina était inattendu et amical envers elle.
Ses yeux s’étaient élargis quand il avait vu ce que Yukina se tenait là-dedans.
« Hein ? »
Yukina s’était excusée timidement alors qu’elle ne portait rien d’autre qu’un pyjama.
« Je suis désolée, je ne peux pas vraiment avoir une conversation à travers la porte habillée comme ça, » déclara Yukina.
L’ourlet couvrait à peine ses hanches, mais tout, du haut de ses cuisses jusqu’en bas, était complètement nu, elle avait apparemment baissé sa garde en pensant qu’il s’agissait de deux filles.
Quand il avait regardé de plus près, Kanon et Astarte se changeaient aussi au milieu de son salon.
« Tout le monde essayait de choisir les costumes à porter pour le festival. Nagisa en a préparé tout un tas, mais ils sont tous très exposants, vois-tu…, » déclara Yukina.
« Je-Je vois…, » balbutia Kojou.
Apparemment, Nagisa s’était procuré des costumes non seulement pour elle, mais aussi pour Yukina ainsi que les autres personnes participantes à la fête.
Nul doute qu’elle voulait vraiment que son amie profite pleinement de son tout premier Festival de la Veillée Funèbre. C’était une pensée très dérangeante, à la Nagisa.
Kanon avait choisi une tenue de nonne. Il s’agissait d’une tenue au design adorable, avec des volants ornant le col et les manches. Mais il semblait que ses mains ne pouvaient pas atteindre l’attache, son dos était complètement ouvert, avec sa peau blanche comme neige nue et extrêmement exposée à travers l’espace. C’était un mélange de solennel et d’érotique.
Prenant grand soin de retirer ses yeux du dos de Kanon, Kojou remarqua la présence de l’autre fille dans la pièce. Sa présence était tellement remarquable qu’il ne l’avait pas consciemment enregistrée.
S’il devait le décrire, sa silhouette ressemblait à celle d’un moine bouddhiste surdimensionné.
La petite fille portait un body avec une cape orange et une grosse citrouille sur la tête. C’était mignon, certes, mais c’était le genre de mignon où si tu t’approchais trop, la fille pouvait se mettre à pleurer comme une enfant.
« Es-tu... Astarte ? » demanda Kojou.
Tandis que Kojou posait timidement sa question, les deux yeux de la citrouille-lanterne émettaient une lumière scintillante au lieu d’un signe de tête.
« Affirmatif. J’en suis venue à aimer cette tenue, » répondit Astarte.
« C’est ce que je veux dire. Eh bien, je suppose que ça te va plutôt bien…, » déclara Kojou.
Kanon posa doucement une question en tirant un peu ses hanches vers l’arrière et regarda Kojou. « Et tu es une sorcière, Yuuma ? Très mignonne. »
Ces mots avaient rappelé à Kojou à quoi il ressemblait actuellement. Il était dans une mini-robe d’une seule pièce avec un ruban noué sur les seins. C’était la même tenue de cosplay de sorcière que Yuuma portait la nuit précédente.
« Euh… Ce n’est pas ça. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais… Yuuma n’est pas là. Nagisa est aussi partie ! » déclara Kojou.
Les yeux de Yukina s’élargirent en voyant à quel point les épaules de Kojou étaient tendues. « Euh ? »
Sans doute qu’elle n’avait aucun moyen de comprendre quand Yuuma disait qu’elle était partie. Kojou pourrait sympathiser.
Astarte et Kanon se précipitèrent vers Yuuma et la regardèrent avec des expressions mystifiées.
« Je veux dire, je suis Yuuma, mais je ne suis pas Yuuma à l’intérieur ! » il avait essayé de s’expliquer.
Elle avait probablement remarqué les manières de Kojou et son style d’expression.
« … Tu ne veux pas dire que tu es… Akatsuki-senpai ? » demanda Yukina, les yeux crispés de suspicion. Laissons à une jeune fille de sanctuaire le soin d’avoir une intuition aiguisée.
Kojou, spontanément rempli d’une profonde émotion, avait saisi la main de Yukina. « Himeragi ! »
Il était en effet submergé de soulagement de voir son existence reconnue, peu importe à quel point son apparence avait changé.
Mais l’expression de Yukina était encore obscurcie par le doute. « Vraiment ? »
Kojou chuchota à l’oreille de Yukina pour que Kanon et Astarte ne puissent pas entendre. « Je sais que c’est dur à croire, mais je suis très sérieux. D’accord… ! Je sais tout sur “Je suis vraiment le quatrième Primogéniteur”, et tu es une Chamane Épéiste de l’Organisation du Roi Lion ici pour veiller sur moi. »
Peu convaincue, Yukina avait murmuré en réponse avec un comportement prudent. « … Tu aurais pu facilement déterrer ça toi-même. Tu aurais aussi pu l’entendre directement de Senpai. »
Peut-être se doutait-elle que Kojou et Yuuma travaillaient ensemble dans son dos pour lui faire une farce élaborée.
Yukina avait soudainement montré du doigt son étui de guitare. « C’est vrai… Tu te rappelles comment s’appelle ce petit ? »
Il y avait quelque chose de petit et d’humanoïde attaché à la poignée. C’était une mascotte à la manière d’un chat.
« C’est… Manekin-Kong, c’est ça ? Celui que je t’ai acheté au centre de jeu, » déclara Kojou.
Kojou avait parlé sur un ton plein de confiance. En dehors de Natsuki, qui était présentée à l’époque, les seuls qui étaient au courant étaient Kojou et Yukina. Ça prouvait que Kojou était bien celui qu’il prétendait être.
« C’est Nekoma. » Les lèvres de Yukina s’effilochaient dans une moue féroce et maussade. La vue d’elle dans une si mauvaise humeur avait perturbé Kojou. C’est alors que Kanon avait poliment levé la main.
« Ah, où est-ce que… Akatsuki et moi nous nous sommes rencontrés pour la première fois ? » demanda Kanon.
« Le toit du bâtiment du collège. Tu remettais un chat abandonné à Takashimizu du club de foot, c’est ça ? » demanda Kojou.
Kojou avait répondu avec empressement comme s’il venait d’être sauvé. Ce moment s’était beaucoup distingué et il s’en était souvenu facilement.
C’était sûrement une question à laquelle seul quelqu’un qui était là à l’époque pouvait répondre.
La question suivante avait été posée par Astarte, la citrouille-lanterne.
« Question. Quelle région produit le thé noir que mon maître apprécie ? » demanda Astarte.
« Le préféré de Natsuki, hein… ? Elle a dit que c’était des bonbons au thé de Ceylan, n’est-ce pas ? Il a dit qu’il donnait au thé une saveur d’herbes ou quelque chose comme ça…, » déclara Kojou.
Kojou avait été en mesure de répondre en douceur même à une question sur les particularités de son professeur de classe. Un mauvais goût dans son thé noir avait toujours mis Natsuki dans une humeur exceptionnellement mauvaise. Pour un étudiant en série délinquant comme Kojou, savoir ses goûts était une question de vie ou de mort.
« Ding-ding-ding-ding-ding. » Astarte annonça sans émotion que sa réponse était correcte.
« Alors pourquoi ne s’est-il pas souvenu de Nekoma, » murmura Yukina dans une moue, ses joues gonflées.
Malgré cela, l’échange semblait avoir convaincu Yukina et les deux autres filles présentes de la véracité de l’affirmation de Kojou.
« Alors tu es vraiment Senpai… ? » demanda Yukina.
« C’est ce que je dis depuis le début ! » déclara Kojou.
« Donc l’esprit de Senpai est à l’intérieur du corps de Yuuma… ? Alors où est le corps de Senpai en ce moment ? » demanda Yukina.
Yukina plissa les sourcils alors qu’elle le demandait. Kojou secoua doucement la tête.
« Je ne sais pas ! On pourrait croire que Yuuma se promène dans mon corps, mais je ne l’ai vue nulle part par ici…, » déclara Kojou.
L’expression de Yukina devint plus grave.
« Peut-être qu’elle… est partie toute seule ? Mais penser qu’elle pourrait faire une telle chose sans déclencher ma surveillance shikigami…, » déclara Yukina.
Voyant la gravité de son regard, Kojou, lui aussi, s’était rendu compte que c’était un gros problème. C’était le corps de Kojou Akatsuki, le quatrième Primogéniteur… En d’autres termes, celui du vampire le plus puissant du monde. Yuuma l’avait volée, et ils ne savaient pas où elle l’avait prise. Il s’agissait d’une situation d’urgence au même titre qu’un sous-marin nucléaire balistique volé, par exemple.
« Pourquoi ferait-elle une telle chose… ? » demanda Yukina.
« Je ne le sais pas non plus. Hier soir, j’ai rencontré le vieux Eustache, et quand j’ai cru que j’allais être frappé, le vieux a disparu. Quand je suis rentré chez moi, Nagisa dormait et Yuuma m’attendait habillée comme ça… C’est vrai, j’ai perdu connaissance quand elle m’a embrassé, » déclara Kojou.
En écoutant l’explication de Kojou, Yukina baissa les yeux avant de lui faire des reproches. « … Tu as embrassé Yuuma ? »
Kojou avait inconsciemment reculé d’un pas par rapport au ton glacial de sa voix.
« Non, non, non, non ! Ce n’est pas le problème ici ! » s’écria Kojou.
Il se demandait pourquoi elle avait réagi à cela avant toutes sortes d’autres informations, certainement plus cruciales.
« Je veux dire, en ce moment même, Yuuma a mon corps, et on a changé à ce moment précis, donc, on devrait juste dire que ça ne compte pas…, » déclara Kojou.
Yukina murmura en appuyant sur l’ourlet de son pyjama, ayant réalisé quelque chose d’extrêmement important. « Je vois… donc en ce moment c’est Senpai dans le corps de Yuuma… »
Ses joues rougissaient sous ses yeux. Pensante qu’elle était parmi des filles, elle était dans un état indécent devant Kojou, ayant été prise au milieu d’un changement de vêtements. Ce n’était pas vraiment le moment pour Kojou de faire remarquer que son bas de pyjama dépouillé et sa culotte séchant après le lavage étaient exposés dans son appartement.
Kanon, le dos grand ouvert, et Astarte la lanterne Jack-o’-lantern furent toutes deux tendues.
Les regards réprobateurs des trois filles s’étaient déversés sur Kojou comme une seule inondation. Kojou secoua désespérément la tête.
« Attendez, attendez, attendez, le problème c’est que Yukina m’a conduit juste ici… ! Et en ce moment, nous sommes toutes des filles, donc ce n’est pas grand-chose, n’est-ce pas… ? » déclara Kojou.
La déclaration de Yukina était venue comme une aura féroce, une aura brûlante l’enveloppait. « Pas de pitié ! »
Une fois de plus, mais d’une voix excessivement mignonne, le cri de Kojou résonna dans l’immeuble le matin — .
***
Partie 3
À la même période, Sayaka Kirasaka avait été gelée sur place en état de choc sur un lit à deux places orné.
Un petit oiseau de mer perché dans une petite fenêtre gazouillait d’une voix mignonne. Les rayons lumineux du soleil matinal passaient à travers un rideau de dentelle blanche. Des sueurs froides s’étaient répandues sur Sayaka alors que ses longs cheveux bruns clairs restaient éparpillés sur le drap.
« Comment… est-ce arrivé… ? »
Sayaka était vêtue de ses sous-vêtements, mais ce n’était pas un problème majeur. Elle s’était déshabillée avant de dormir pour qu’ils ne se froissent pas. Elle était perturbée pour une tout autre raison.
Étendue à côté de Sayaka sur le lit se trouvait une autre fille, encore endormie, près d’elle, comme si elle s’était blottie contre elle. Ses beaux cheveux argentés semblaient briller dans la lumière. De plus, elle ne portait pas un seul vêtement.
« Hm… »
Les yeux de la fille aux cheveux argentés s’ouvrirent, peut-être après avoir entendu le murmure de Sayaka. Ses paupières, ornées de longs cils, s’ouvrirent, ses yeux aigue-marine y reflétèrent Sayaka. Elle avait fait un sourire et un petit rire qui semblaient malicieux.
« Bonjour, Sayaka. Tu as été merveilleuse hier soir, » déclara l’autre fille.
« Gaaaaah ! »
Sayaka repoussa la couverture et s’assit avec une grande vigueur. Elle avait donné à ses cheveux, tous bouffis de sommeil, un mouvement brusque et avait crié d’une voix perçante. « Qu’est-ce que vous dites !? Pourriez-vous s’il vous plaît ne pas dire des choses qui donneraient aux gens une mauvaise idée comme ça !? »
La fille aux cheveux argentés — La Folia — avait souri à Sayaka, ne faisant rien pour cacher son beau corps nu. « Oh, Mon Dieu… Mes servantes m’ont dit que c’est ainsi que les Japonais accueillent ceux qui partagent le même lit… Est-ce que je me trompe ? »
« Vous vous trompez ! Euh, dans un sens, vous n’avez pas tort, mais… ce n’est pas une salutation que vous utilisez pour quelqu’un qui dormait à côté de vous… Oh, au diable avec ça ! » s’écria Sayaka.
Sayaka se serra la tête en regardant autour d’elle. Elle n’avait aucun moyen de savoir si la princesse, qui par hasard parlait couramment le japonais, n’était pas au courant, ou si elle la taquinait peut-être exprès. Quoi qu’il en soit, elle pensait qu’il y avait quelque chose de grave dans la façon dont la famille royale d’Aldegian choisissait ses servantes.
« Je me demande, pourquoi es-tu si contrariée ? » demanda La Folia.
« Pourquoi ne portez-vous pas de vêtements, princesse !? » s’écria Sayaka.
La Folia fit une inclinaison mystifiée de sa tête en répondant. « Je n’ai pas de chemise de nuit avec moi alors je n’ai pas pu faire autrement. »
Il semblait que Sayaka, du même sexe, était la seule à l’avoir vue vêtue de rien d’autre que le drap de lit.
« Quoi qu’il en soit, il est assez fortuit de s’être réveillée en toute sécurité sur le lit. Dans ces circonstances, j’étais résignée à la possibilité de me réveiller dans un endroit complètement inconnu ce matin, » déclara La Folia.
« … Vous marquez un point. Nous avons beaucoup de chance d’être en sécurité après tous ces téléportations aléatoires encore et encore, » répondit Sayaka.
Sayaka prit un visage sérieux et hocha la tête en entendant les mots inattendus et sensés de la princesse.
Le matin précédent, elles avaient été prises dans une distorsion spatiale, dont la cause était encore inconnue, les transférant de l’aéroport au sous-flotteur en cours de démantèlement. Puis, lorsqu’elles étaient rentrées en ville à pied, elles étaient sur le point de monter dans un taxi qu’elles avaient hélé quand elles avaient été jetées une fois de plus à un endroit inconnu.
Bien qu’elles aient été en contact avec les cavaliers d’escorte de la princesse, et qu’elles aient même réussi à les rencontrer à plusieurs reprises, de nouvelles téléportations étaient toujours intervenues, de sorte que l’expérience avait échoué. Comme les téléportations se produisaient complètement au hasard, aux bordures des rues, aux portes des bâtiments et des véhicules, et même aux tourniquets des trains, Sayaka et La Folia n’avaient pas été en mesure de développer une contre-stratégie.
Apparemment, Sayaka et La Folia n’étaient pas les seules affectées par les mystérieuses anomalies spatiales. Quelque part en chemin, elles avaient perdu le contact avec les cavaliers d’escorte et les gardes de l’île. Eux aussi avaient été absorbés par le phénomène.
Avec leurs batteries de téléphone portable vides et leur esprit à bout de souffle au coucher du soleil, elles avaient finalement été téléportées jusqu’à cette chambre d’hôtel. Puis, La Folia leur avait suggéré d’y passer la nuit. Sayaka ne pouvait s’empêcher de remarquer que l’aménagement intérieur de l’hôtel ne connaissait pas son heure de gloire, mais étant donné que la princesse était curieusement amoureuse de la chambre, Sayaka était à peine en mesure de refuser.
« C’est aussi agréable d’avoir un si grand lit. J’ai été surprise de voir à quel point l’éclairage dans la pièce est rose et qu’il y a du verre autour de la baignoire… Cette partie de la culture des sources chaudes est-elle propre au Japon ? » demanda La Folia.
« Non, ce n’est certainement pas le cas…, » Sayaka avait catégoriquement réfuté les paroles de la princesse pour maintenir la bonne réputation de la culture des sources thermales.
« Ton portable a-t-il fini de se recharger ? » demanda La Folia.
« Ah oui, c’est vrai. » Provoquée par la question de La Folia, Sayaka avait décroché le téléphone portable rechargé.
La suite était équipée de son propre chargeur de téléphone portable. C’était une autre raison pour laquelle Sayaka n’avait pas refusé que la princesse passe la nuit ici.
« Il y a un e-mail qui vous est adressé, princesse. Il semble que nous soyons en mesure de demander l’aide des chevaliers d’Aldegian et de la garde de l’île en utilisant les données GPS actuelles, mais…, » déclara Sayaka.
La Folia secoua carrément la tête. « Non, c’est sans doute futile de le faire. Même s’ils nous rejoignaient, il est presque impossible que nous puissions quitter l’île d’Itogami en toute sécurité. Il ne fait aucun doute que nous serions les seules à être jetées une fois de plus ailleurs. De plus, je doute que la garde de l’île ait du personnel de rechange à dépêcher pour nous venir en aide. »
Sayaka était d’accord avec l’opinion de la princesse. « Je suppose que non. Vous avez certainement raison. »
Bien que rien n’ait été annoncé au grand public, les distorsions spatiales semblaient se produire dans presque toute l’île Itogami. Bien qu’aucun incident n’ait fait de victimes, la circulation à l’intérieur de la ville n’en avait pas moins été fortement affectée. Ce n’était pas devenu une préoccupation publique grâce à la gestion des relations publiques de la Corporation de Management du Gigaflotteur et à l’arrivée d’un grand nombre d’invités à l’occasion du Festival de la Veillée Funèbre, ce qui signifiait qu’une congestion importante était inévitable.
« Il semblerait que ces anomalies spatiales ne s’adressent pas spécifiquement à nous, » poursuit La Folia. « Après tout, si l’objectif était de nous capturer, nous aurions certainement été attaquées directement il y a longtemps. »
L’analyse calme de la princesse pouvait avoir été confondue avec l’extravagance par certains, mais en dépit des apparences, elle possédait une intelligence incroyablement fine.
« Mais ils sont beaucoup trop nombreux, » répondit Sayaka. « Assez pour qu’on se téléporte à gauche et à droite. »
« Tout à fait exact, Sayaka. » La Folia avait souri agréablement quand elle avait répondu à la réfutation de Sayaka. « Mais je pensais… peut-être que le pouvoir magique et spirituel que nous possédons attire le phénomène vers nous ? »
Sayaka s’enfonça dans ses pensées avec un regard sérieux sur son visage.
« En d’autres termes, l’espace se plie en réponse à une forte puissance spirituelle ? » demanda Sayaka.
L’hypothèse de la princesse semblait sauvage au début, mais cela pouvait certainement expliquer pourquoi Sayaka et La Folia en particulier en avaient été fortement affectées.
Sayaka la danseuse chamanique de guerre avait les attributs d’une excellente jeune fille de sanctuaire, mais La Folia, de la famille royale aldégienne, était une médium spirituelle d’une puissance encore plus grande, vraiment exceptionnelle. En premier lieu, elles avaient été en présence de Dimitrie Vattler lors de la première occurrence du phénomène. C’était un aristocrate de l’Empire du Seigneur de Guerre, un vampire de sang pur descendant du Premier Primogéniteur, il ne faisait aucun doute qu’il avait un énorme pouvoir magique.
« L’île d’Itogami est une île artificielle construite au sommet des lignes de dragon qui coule à la surface de l’océan, » poursuit la princesse. « Logiquement, si des distorsions spatiales se produisent en réponse à une forte puissance magique, leurs effets se répandent dans toute l’île. »
Les épaules de Sayaka frémirent inconsciemment en l’écoutant. La déclaration de la princesse lui avait rappelé quelque chose de désagréable.
« Si vous voulez bien m’excuser, princesse… Si votre hypothèse selon laquelle l’effet des distorsions est plus fort proportionnellement à la puissance de votre pouvoir spirituel ou magique est correcte, alors…, » déclara Sayaka.
Un rare regard mélancolique était venu sur La Folia alors qu’elle avait répondu. « Oui. Il y a quelqu’un qui souffrirait d’effets encore plus graves que nous. Non, plutôt, il est possible que son existence même soit l’une des causes de cette anomalie… »
Même sur l’île d’Itogami, qui abritait d’innombrables démons, ni l’un ni l’autre n’avait à penser à celui qui possédait la plus grande, la plus titanesque énergie magique de toutes. La réponse était évidente : le vampire le plus puissant du monde — le quatrième Primogéniteur, Kojou Akatsuki.
« Cet homme… Cet homme… Je tourne le dos une seconde et quelque chose comme ça arrive…, » déclara Sayaka.
Sayaka avait instantanément appelé le numéro de la liste des « Favoris » de son téléphone portable. Heureusement, l’appel s’était connecté instantanément.
« Bonjour, tu m’écoutes !? Kojou Akatsuki !? » s’écria Sayaka.
« Kirasaka ? Comment vas-tu et comme va la princesse ? »
« … Hein ? »
Entendant la voix d’une fille au téléphone, Sayaka était à court de mots. Le ton de la voix lui était très familier, mais elle n’avait jamais entendu cette voix auparavant.
« Qui êtes-vous ? Où est Kojou Akatsuki ? » demanda Sayaka.
« Ahh… euh, ça va… être… une… longue histoire… »
Sayaka avait ressenti une grande réticence de la part de l’orateur de l’autre côté. Elle s’était rendu compte que cela la mettait d’une humeur exceptionnellement mauvaise. Apparemment, cet homme avait eu des ennuis avec une autre fille, quelque part dans le dos de Sayaka.
Après une courte pause, elle avait entendu la voix d’une fille très différente au téléphone.
« Ah, est-ce Sayaka ? »
Cette fois, Sayaka connaissait l’orateur. Sayaka ne pouvait pas se tromper sur le son de sa voix.
« Yukina ? » demanda Sayaka.
« Oui. Je suis désolée, pour diverses raisons, Senpai ne peut pas venir au téléphone en ce moment, donc je… »
« C’est… c’est vrai ? Il va bien !? Est-il arrivé quelque chose au Pervogenitor ? » demanda Sayaka.
« Ah ? »
En entendant la voix de son ancienne colocataire bien-aimée, Sayaka s’excita au point de parler dans un charabia complet. Elle avait toujours déraillé dans la folie quand elle était avec Yukina.
Voyant cela, La Folia avait pris le téléphone portable de la main de Sayaka et avait repris là où les choses s’arrêtaient avec habileté.
« Quelque chose d’étrange s’est produit de ton côté, Yukina ? Surtout en ce qui concerne Kojou ? » demanda La Folia.
Yukina avait transmis la situation de manière détournée. « C’est… c’est vrai. Il est juste de dire qu’une situation d’urgence assez incroyable s’est produite en ce qui concerne Senpai… »
Apparemment, les choses étaient dans un état plutôt chaotique de leur côté. Après l’avoir confirmé, La Folia se sourit à elle-même.
« Mon Dieu…, » déclara La Folia.
« … Pourquoi ça t’amuse autant ? »
« Ah, rien du tout. Est-ce la raison pour laquelle Kojou ne peut pas répondre au téléphone en ce moment ? » demanda La Folia.
« Oui. Ah, une variété de choses troublantes se sont produites, alors… »
Ceci dit, Yukina poussa un soupir. L’essentiel semblait indiquer qu’il avait effectivement été impliqué dans une sorte d’anomalie, mais qu’il n’était pas en danger dans l’immédiat. Savoir cela était suffisant.
Avec un ton d’inquiétude, Yukina avait demandé… « Au fait, où êtes-vous toutes les deux ? »
La Folia avait transmis les faits essentiels avec désinvolture. « Dans un hôtel. Sayaka et moi avons passé la nuit ensemble. »
« Aaaaaa ! » s’exclama Sayaka en poussant un cri d’angoisse. « Ce n’est pas ça, Yukina ! Il ne s’est rien passé avec la princesse hier soir ! »
« … Ah ? »
« Ne fais pas attention à elle, s’il te plaît, » reprit La Folia, repoussant grossièrement les efforts de Sayaka pour voler le téléphone. « Apparemment, cette anomalie affecte les gens plus leur pouvoir magique est grand. Je veux enquêter sur la cause du phénomène. Cela rend aussi le rendez-vous avec toi et Kojou extrêmement probable. »
La Folia semblait penser qu’une jeune fille sage n’avait pas besoin d’explications supplémentaires. Elle avait parlé d’une voix de commandante, évitant toute question inutile.
« Compris. Faites attention, s’il vous plaît. »
« Oui, vous aussi, » déclara La Folia.
La Folia raccrocha en souriant. Sayaka fit un petit « Ooh! » en faisant un regard amer vers le visage nonchalant de la princesse.
« J’ai l’impression d’avoir des preuves à l’appui quant à mon hypothèse, » déclara La Folia.
Repoussant ses cheveux argentés de sa joue, La Folia se leva et ramassa les sous-vêtements qu’elle avait enlevés la veille au soir. Elle avait procédé à leur mise en place avec élégance, pièce par pièce.
Sayaka avait l’air d’avoir retrouvé ses esprits.
« Oui. Cependant, comment avez-vous l’intention d’“enquêter” sur la cause du phénomène ? » demanda Sayaka.
C’est pourquoi elle était danseuse de guerre de l’Organisation du Roi Lion, même très agitée, elle ne semblait jamais laisser échapper un seul mot.
« Par rapport au moment où le phénomène s’est produit… qu’en penses-tu, Sayaka ? » demanda La Folia.
Sayaka regardait par la fenêtre pendant qu’elle parlait.
« Veux-tu dire… le festival de la Veillée Funèbre ? » demanda Sayaka.
Cette journée allait être l’événement principal de l’énorme festival de l’île d’Itogami. Même de l’intérieur d’un bâtiment, il semblerait que toute la ville était décorée pour l’occasion.
La plus grande caractéristique de l’événement avait été l’arrivée d’un grand nombre de touristes de l’extérieur de l’île.
Ceux qui avaient débarqué sur l’île d’Itogami avaient fait l’objet d’une enquête rigoureuse, mais bien que la Garde de l’île ait augmenté son personnel de service pour compenser, il n’y avait aucune garantie qu’ils pourraient empêcher complètement une entrée illégale.
« Insinuez-vous que ce phénomène a été causé par un intrus étranger… ? » demanda Sayaka.
« Nous devrions certainement envisager cette possibilité. Si c’est le cas, cela signifie que quelqu’un a délibérément créé le phénomène. Ce serait bien si nous savions quels avantages une telle chose pourrait apporter, mais…, » déclara La Folia.
Il ne semblait y avoir aucun mérite à jeter un sort absurde pour créer des distorsions spatiales irrégulières et des téléportations aléatoires de ceux qui ont un fort pouvoir magique. En outre, il existait certainement des méthodes plus fiables pour mener un terrorisme aveugle.
Mais un sort pour contrôler l’espace était beaucoup trop puissant pour être utilisé pour une simple farce. Il était difficile de croire qu’une personne capable d’utiliser des sorts dangereux et très difficiles les utiliserait à cette fin.
Non…
Même si les distorsions spatiales elles-mêmes étaient dénuées de sens, y avait-il un sens dans le résultat obtenu… ?
« Peut-être que le but de l’agresseur n’est pas du tout de produire des anomalies spatiales… ? » Sayaka murmura cela. La princesse, alors qu’elle était en train de se peigner les cheveux, haleta pendant qu’elle posait la brosse.
« Je vois. Les anomalies spatiales ne sont qu’un effet secondaire. Le but initial est donc quelque chose de complètement différent. C’est tout à fait plausible. Si c’est le cas…, » déclara La Folia.
Les yeux de la princesse scintillaient férocement lorsqu’elle atteignit l’étui qu’elle avait laissé sur le côté du lit. À l’intérieur, il y avait un pistolet en or, à un coup. Elle l’avait vérifiée, confirmant qu’elle avait une cartouche chargée de pierres précieuses.
« Sayaka, contacte la Gestion de Management du Megaflotteur et les Chevaliers de la seconde venue en attente à l’aéroport. Je dois recourir à des méthodes quelque peu brutales. Les racines de cette anomalie peuvent être beaucoup plus profondes qu’on ne le pense, » déclara La Folia.
« Princesse ? Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire… ? » demanda Sayaka.
Sayaka avait placé ses longs cheveux dans une vraie queue de cheval et s’était aussi levée. Elle ne pouvait pas cacher comment la vigueur inhabituelle de La Folia était comme un mauvais présage.
Regardant Sayaka avec amusement, La Folia sourit avec élégance. « Il semble que ce sera une journée bien remplie. »
***
Partie 4
Le salon de la résidence Akatsuki était étrangement calme. C’était exactement comme si Kojou l’avait laissé. Il n’y avait aucun signe de retour de Yuuma ou Nagisa. Bien sûr, le corps de Kojou n’était pas non plus revenu.
Yukina murmura en regardant à l’intérieur de l’appartement. « … Il n’y a vraiment personne ici. »
En ce moment, elle portait une robe à tablier aigue-marine, ressemblant beaucoup au personnage principal d’un conte de fées. Il y avait un grand ruban de couleur identique sur le dessus de sa tête. Apparemment, elle voulait que ce soit son costume du Festival de la Veillée Funèbre.
Cependant, sa main droite tenait la lance d’argent avec une pointe comme celle d’un avion de chasse à ailes repliables. C’était un Schneewaltzer, l’arme secrète de l’Organisation du Roi-Lion. La lance métallique était à son apogée, brisant l’ambiance des contes de fées.
« Les affaires de Yuuma ont aussi disparu, » Kojou poussa un soupir de découragement en fouillant la chambre d’amis.
Les bagages de Yuuma, ses vêtements de rechange et les divers souvenirs qu’elle avait achetés lors de sa visite de l’île la veille avaient tous été soigneusement emportés. Les seules choses qui lui restaient dans l’appartement étaient une simple robe de sorcière en mini-jupe et son corps physique.
Malgré cela, Yukina avait fouillé la zone à la recherche de toute trace de Yuuma.
Finalement, elle fit un signe de tête profond, comme si elle avait eu une sorte de révélation.
« J’ai une bonne compréhension des circonstances. J’ai aussi une forte suspicion quant à la nature de l’ombre bleue que tu as vue derrière Yuuma, » déclara Yukina.
« Hein ? »
Pour une raison quelconque, Kojou se sentait mal à l’aise devant la certitude de la voix de Yukina. Son instinct animal lui disait que le reste n’était pas quelque chose qu’il devait entendre. S’il écoutait ses paroles, il se sentait comme si quelque chose de précieux par rapport à sa vieille amie serait brisé sans qu’il reste une seule trace.
« La Princesse La Folia pense probablement la même chose que moi. Il ne fait aucun doute qu’elle a appelé plus tôt pour tenter de confirmer ce qu’elle pensait, » déclara Yukina.
« … Qu’est-ce que tu veux dire ? » Kojou avait répondu spontanément. La Folia ne connaissait pas Yuuma. Elle ne savait sûrement pas encore que Yuuma et Kojou avaient changé de corps.
En ce moment, la seule chose que la princesse avait identifiée jusqu’à présent était que les anomalies spatiales se produisant sur l’île d’Itogami étaient liées au pouvoir magique…
« Attends, ne penses-tu quand même pas que les distorsions spatiales de l’île Itogami sont l’œuvre de Yuuma ? » demanda Kojou.
« D’une certaine façon, oui. Cependant, cela ne peut pas être le véritable objectif de Yuuma, » répondit Yukina.
« … Objectif… hein ? » demanda Kojou.
Kojou regardait ses propres paumes en silence. Il était tellement accroché à l’idée d’un échange de corps qu’il n’y avait pas vraiment réfléchi.
Peu importe qui ou ce qu’était Yuuma, elle ne pouvait pas échanger ses corps avec quelqu’un d’autre sans raison. Bien sûr qu’elle avait une raison pour cela — une raison suffisante pour tromper Kojou.
Yukina avait soudainement changé de sujet. « Au fait, Senpai… est-ce Nagisa qui a cuisiné ce repas ? »
Ouvrant en boucle, Kojou hocha la tête. « Ouais, probablement. C’est la même chose que Nagisa fait toujours. »
Le repas sur la table du dîner était une énorme omelette avec des fèves de soja fermentées, des algues frites et une grande portion de riz blancs. Kojou ne pouvait pas imaginer une autre fille sur toute la planète inventer une recette aussi originale.
« Si elle a préparé le petit-déjeuner et est partie, cela signifie qu’il est peu probable que Yuuma l’ait emmenée quelque part, » déclara Yukina.
« Oui… Je le pense aussi, » Kojou hocha la tête, une petite partie de sa tension se détendit.
Pour Kojou, la fuite de Nagisa était un problème de la même ampleur que le vol de son propre corps. L’existence d’un petit-déjeuner se profilait à l’horizon dans la mesure où il pouvait éviter la panique. Il pensait qu’elle était partie de son plein gré, sans lien avec l’incident de Yuuma.
De plus, Kojou ne pensait toujours pas que Yuuma était capable de faire du mal à Nagisa.
« Et le portable de Nagisa ? » demanda Yukina.
« Ce n’est pas bon. J’ai essayé plusieurs fois. » Kojou soupira en regardant l’historique des appels de son portable. « Elle n’aurait pas pu être envoyée ailleurs comme Kirasaka et la princesse, n’est-ce pas ? »
Yukina avait souri de manière rassurante à Kojou.
« … Non, si l’hypothèse de la princesse est juste que seuls ceux qui ont un fort pouvoir magique sont affectés, les chances que Nagisa soit influencée sont faibles. D’ailleurs, Yuuma n’aurait sans doute pas levé la main sur Nagisa, » déclara Yukina.
« … Comment peux-tu en être si sûre ? » demanda Kojou.
« Parce que Nagisa n’a rien à voir avec son objectif, » répondit Yukina.
Kojou la regarda avec un peu de surprise et Yukina répondit instantanément et sans hésitation.
« Sais-tu vraiment quel est son objectif, Himeragi ? » demanda Kojou.
« Ton corps, Senpai », répondit Yukina.
« … Son objectif est mon… eh !?? » s’écria Kojou.
Sans raison valable, Kojou se couvrit les seins des deux bras. Bien sûr, dans cette situation, le sentiment inattendu de rondeur et de rebondissement ne le rendait pas du tout heureux.
Se pourrait-il que Yuuma ait volé le corps de Kojou pour l’utiliser à des fins indécentes ?
Ou bien avait-elle l’intention d’avoir une conduite indécente avec Kojou maintenant qu’il était une fille… ?
Réalisant que le pâle Kojou avait mal compris, Yukina secoua furieusement la tête.
« Pas comme ça ! Qu’est-ce que tu imagines !? » s’écria Yukina.
« Tu es vraiment indécent, » continua Yukina avec un regard de reproche, ce qui avait bien sûr fait bouder Kojou.
« C’est toi qui l’as dit ! » répliqua Kojou.
« Je ne voulais pas dire ça comme ça, par ton corps, je voulais dire le corps du quatrième Primogéniteur ! » déclara Yukina.
« … C’est de la folie, » dit Kojou, en retenant sérieusement son souffle cette fois-ci.
La dernière fois qu’il avait rencontré Yuuma, c’était quatre ans auparavant. À l’époque, Kojou était un simple écolier du primaire qui n’avait aucun lien avec un pouvoir vampirique. Elle ne savait sûrement pas que Kojou avait obtenu le pouvoir du quatrième Primogéniteur.
« Comment diable est-elle au courant de… !!? » s’écria Kojou.
« Il n’y a tout simplement pas d’autre possibilité, » répondit Yukina avec un regard sérieux. « Ce serait peut-être impoli de ma part de dire cela, mais penses-tu qu’il y ait une autre raison pour laquelle une personne aussi charmante que Yuuma ferait tout ce qu’elle peut pour échanger son corps avec toi, Senpai ? »
« … Hé, c’est vraiment impoli, » déclara Kojou.
Kojou avait l’impression d’avoir reçu un coup de pied dans le ventre, mais il ne pouvait pas réfuter l’exactitude de l’affirmation de Yukina.
Même au premier coup d’œil, les attributs physiques de Yuuma dépassaient de loin la norme. Elle avait une belle allure et ses capacités athlétiques étaient de premier ordre. Il pouvait la voir avoir des rendez-vous avec n’importe quel âge et avec n’importe quel sexe. En revanche, Kojou n’avait rien de digne d’une mention spéciale. En plus d’être devenu physiquement un vampire, il s’était comporté comme un lycéen très médiocre.
Sauf circonstances particulières, il n’y avait aucune raison pour que Yuuma ait besoin du corps d’un homme, et encore moins pour choisir celui de Kojou en particulier. Elle avait sûrement de bien meilleurs hommes à choisir qu’un vieil ami qu’elle n’avait pas vu depuis quatre ans.
Kojou marmonna en réalisant soudain que cela le rongeait. « Mais est-ce si facile d’enlever le corps d’un vampire primogéniteur… ? »
Les vampires, en général, étaient considérés comme les plus forts de tous les démons. Bien qu’il y ait eu de nombreuses mises en garde, ils n’avaient pas vieilli et n’étaient pas morts de causes naturelles. Sûrement, la plupart des gens penseraient que voler le corps signifiait voler le pouvoir qui l’accompagnait. Mais Kojou ignorait l’existence de tout être humain capable d’obtenir le pouvoir d’un vampire.
En effet, le résultat d’une tentative de consommer un être supérieur à soi, tel qu’un vampire, devrait faire consommer sa propre existence à la place.
Yukina était très sérieuse quand elle lui avait donné une réponse dans un manuel scolaire.
« Par magie, prendre le corps d’une autre personne n’est pas particulièrement difficile. Tout ce que tu as à faire est de mettre l’esprit de l’autre personne en dormance et à le contrôler mentalement à distance, » déclara Yukina.
Même Kojou pourrait suivre cette logique. Il s’agissait de contrôler le corps d’une autre personne depuis un endroit éloigné… En d’autres termes, le type de malédiction connu sous le nom de « possession ».
« Théoriquement, changer d’âme — en d’autres termes, posséder mutuellement le corps physique de l’autre — n’est guère impossible, enfin je pense. Cependant, il y a des exceptions, » continua Yukina.
« … Exceptions ? » demanda Kojou.
« Oui, » dit Yukina d’un signe de tête avant de dire quelque chose à laquelle il ne s’attendait pas. « Il n’est pas possible pour un autre être humain de contrôler le corps d’un vampire comme ça. »
« Pourquoi ça ? » se demanda Kojou à haute voix, plein de doutes. Pourquoi les vampires étaient-ils un cas si particulier ?
« C’est parce que les vampires sont créés par une malédiction des dieux eux-mêmes, » répliqua Yukina.
Les lèvres de Kojou se tordirent en entendant sans ambages le fait désagréable que les vampires étaient des êtres maudits par les dieux eux-mêmes. Il avait entendu les mots à maintes reprises, mais les entendre dire en face lui faisait quand même très mal.
« Il n’existe personne qui puisse utiliser un sort qui puisse écraser une malédiction lancée par un être divin. Un tel sort serait presque certainement inefficace, et même s’il l’était, le lanceur subirait probablement un contrecoup de la malédiction, apportant le sang du vampire en lui-même. En d’autres termes, son ego serait consumé et il deviendrait une coquille vide, » continua Yukina.
Kojou avait ressenti un froid intense à la suite d’une analyse extrêmement simple et sans cœur.
« Hein… !? Alors comment Yuuma a-t-elle pu voler mon corps ? » demanda Kojou.
La voix de Yukina s’était faite plus fort. « Je crois qu’elle n’a pas volé ton corps, Senpai. Yuuma ne fait que déformer l’espace. En échangeant tes cinq sens contre les siens par l’intermédiaire d’un lien spatial, elle peut échanger ce qui serait normalement tes propres impulsions nerveuses avec ton corps physique avec les siennes. »
Kojou murmura en touchant sa propre joue — ou plutôt celle de Yuuma. « … En d’autres termes, tu dis que j’hallucine que je vois ce que voient les yeux de Yuuma, et quand j’essaie de bouger mes propres membres, je contrôle plutôt les siens… ? »
Yukina hocha la tête en silence. « Comme cela n’implique pas d’interférence directe avec le corps physique d’un vampire, il n’y aura pas de retour de flamme de la malédiction. C’est ainsi qu’elle a obtenu un effet superficiellement identique à l’échange de l’âme de l’autre. »
Cela avait été difficile à expliquer pour Yukina, mais plus il y pensait, plus la logique était simple.
Si vous ne pouvez pas prendre le corps d’un vampire par magie, prenez-le par des moyens physiques.
Les êtres humains ne pouvaient pas voir leurs propres âmes. Même si vous vous êtes fendu le crâne, il n’y avait aucun moyen pratique de confirmer si vous en aviez réellement un en vous ou non. En d’autres termes, les gens ne savaient pas s’ils avaient une âme en eux ou non. Ce n’est pas que l’esprit de Kojou était dans le corps de Yuuma. Même maintenant, c’était encore dans son corps, mais il n’en avait aucune perception.
« C’est comme changer le câblage d’un appareil ménager, hein ? Mais cela ne veut-il pas dire contrôler l’espace chaque fois qu’elle se réveille, qu’elle a le contrôle de mon corps ? Peux-tu faire ça ? » demanda Kojou.
« C’est au-delà des limites humaines, » dit Yukina en secouant la tête. « Le contrôle spatial est une magie de haut niveau. Même la stabilisation d’une seule “porte” exige une énorme quantité d’énergie magique et un rituel exécuté par un praticien de haut niveau. Il est impossible pour un être humain normal de connecter un nombre incalculable de nerfs un par un entre deux personnes. »
« N’est-ce pas une sorte de paradoxe ? » demanda Kojou.
Si vous ne pouviez pas relier les systèmes nerveux par le contrôle spatial, comment Yuuma avait-elle pris le corps physique de Kojou ?
« Je dis que ce n’est pas possible pour un être humain normal, » déclara Yukina.
Yukina avait l’air un peu déchirée lorsqu’elle avait transmis ses paroles. Kojou, un habitant d’un sanctuaire de démons, avait saisi instantanément le sens de ces mots.
« Donc Yuuma n’est pas un être humain normal ? » demanda Kojou.
La réponse de Yukina avait frappé Kojou.
« Senpai… qui connais-tu qui est un maître du contrôle spatial ? » demanda Yukina.
Une image lui était venue à l’esprit d’une petite enseignante qui portait des robes gothiques étouffantes sur une île à l’été éternel — quelqu’un qui pouvait contrôler l’espace avec à peu près le même effort apparent que la plupart des gens consacraient à respirer. Elle avait été appelée un titre sinistre par certains — la Sorcière du Vide.
« Tu ne veux pas dire qu’elle est… la même que Natsuki… ? » demanda Kojou.
Yukina acquiesça d’un signe de tête grave. « Une sorcière est une femme qui fait un pacte avec un diable pour le pouvoir d’exaucer un souhait autrement impossible, mais le prix qu’elle paie est son âme même… »
Kojou se souvint de la vue du chevalier bleu sans visage qui s’était levé du dos de Yuuma la nuit précédente. Cette ombre flippante était-elle vraiment ce que les gens appelaient un diable ?
Yukina avait tissé les mots de façon décisive avec ses lèvres, saisissant sa lance d’argent avec force tout le temps. « Yuuma Tokoyogi est une sorcière… une sorcière du même type que Mme Minamiya. »
***
Partie 5
Motoki Yaze était sur le toit du lycée avec un beignet dans une main et un ordinateur portable devant lui. Son visage montrait de lourds signes de fatigue, ce qui était naturel — il n’avait pas dormi un seul instant depuis la veille.
Des distorsions spatiales s’étaient produites continuellement au cours des vingt-quatre heures précédentes, couvrant pratiquement toute la ville, et même à ce moment-là, cela se produisait, provoquant le chaos de diverses manières. Entre l’utilisation des lois sanitaires d’urgence pour s’attaquer aux problèmes et en le plaçant sous le tapis, la recherche de la cause, l’élaboration de plans pour faire face au danger caché qui menace le sanctuaire des démons, et pour couronner le tout, la préparation de l’ouverture du festival de la Veillée Funèbre, la Corporation de Management du Gigaflotteur agissait pratiquement comme en temps de guerre.
Yaze, l’espion, faisait sa part, travaillant seul pour essayer de trouver qui tirait les ficelles derrière le boucan.
Alors que Yaze se servait de son écran pour vérifier s’il y avait des rumeurs sur Internet, un hologramme en 3D d’un ours en peluche mal fait avait été découpé en plein milieu.
« Hein. On dirait que les choses deviennent un peu dures là-bas. »
C’était l’avatar des supercalculateurs qui contrôlaient toutes les fonctions urbaines de l’île Itogami.
Yaze s’était gratté la tête en posant une question à l’IA trop copine. « Est-ce toi, Mogwai ? Est-il arrivé quelque chose à Asagi ? »
Yaze n’aimait pas Mogwai. L’intelligence artificielle sournoise était trop intelligente selon lui, même si c’était un bien public, c’était une chose délicate et dangereuse que seule Asagi avait été capable de maîtriser.
Comme Yaze gardait ses propres activités d’espionnage secrètes pour Asagi, il avait l’impression que la créature avait du matériel de chantage contre lui. Il n’aimait vraiment pas interagir avec.
« Elle vient de s’endormir. Même pour la maîtresse, réécrire les protocoles du réseau du Gigaflotteur en une nuit était un miracle. Son visage est si mignon et sans défense quand elle dort. Veux-tu une photo ? »
« Je n’en ai pas besoin. Envoie-le sur le portable de Kojou’ » déclara Yaze.
« Heh-heh-heh-heh… On dirait un plan. Je le mettrai comme papier peint pendant que j’y suis. »
Cette chose est vraiment quelque chose, pensa Yaze en claquant la langue. Pour une machine, l’IA semblait plus humaine que la réalité.
« Je ne suis pas beaucoup le discours technologique, mais je suppose que les systèmes de la société ont été stabilisés pour l’instant ? » demanda Yaze.
« Nous avons pratiquement isolé toutes les erreurs causées par les distorsions spatiales. Nos scans topographiques révisés sont maintenant précis à quelques millimètres près, et les effets sur les navetteurs sont réduits à de longues attentes aux feux de circulation. Cela n’aide pas les piétons qui se perdent, mais tout ce que nous pouvons faire, c’est d’augmenter le personnel des centres d’objets trouvés. »
« C’est ainsi, » dit Yaze en expirant. Apparemment, le fait qu’Asagi ait recréé le système de contrôle du trafic pendant la nuit était la seule raison pour laquelle il fonctionnait sainement dans des conditions insensées causées par des distorsions spatiales aléatoires. C’était typique de son talent hors pair.
« L’aéroport fonctionne-t-il aussi ? » demanda Yaze.
« Ouaip. Les agents que tu as demandés sont aussi arrivés. »
« J’aimerais dire que je suis soulagé d’entendre cela, mais cette fois-ci, nous sommes confrontés à une rude concurrence. »
« Les Sœurs Meyer de la Première Branche du LCO, Philosophie ? »
« Ouais. » Yaze avait ri d’un air triste en regardant les données sur l’écran.
C’était des sorcières de haut niveau, même pour une organisation criminelle géante composée uniquement de sorcières. L’organisation comptait plusieurs milliers de membres. Ils possédaient un grand nombre de grimoires puissants, au point qu’on les appelait souvent la Bibliothèque. Les Sœurs Meyer étaient connues comme militantes, même selon les normes du LCO.
Yaze ne pensait pas que des agents du continent avec peu d’expérience au combat seraient d’une grande aide contre eux. Il ne fait aucun doute que les dommages seraient graves s’il s’agissait d’un engagement frontal. C’était stupide d’essayer de noyer de puissantes sorcières avec le nombre. La seule bonne façon d’y parvenir était d’envoyer des praticiens au même niveau ou à un niveau supérieur.
Mogwai souligna paresseusement un fait gênant.
« C’est étrange, cependant. On dit que les techniques à grande échelle telles que les distorsions spatiales sont les méthodes de la septième branche, Arts, et de la cinquième branche, Science. »
Yaze murmura comme s’il l’envoyait balader. « Si la Sorcière de Notalia est le but de tout cela, ils ont probablement une alliance ou deux. La Bible Noire qu’elle a vaut le coup. »
« Je suppose que la Corporation de Management du Gigaflotteur partage l’opinion de Mlle Asagi ? Ce qui veut dire que la raison pour laquelle les sœurs sorcières causent des distorsions spatiales dans toute la région est de… »
« Ouais. C’est ce qu’elles cherchent. On dirait que ce n’est toujours pas entre leurs mains pour le moment, » déclara Yaze.
Des distorsions spatiales sans rime ni raison sur toute l’île — indirectement, cela avait rendu l’objectif des sorcières clair comme du cristal.
Les distorsions spatiales elles-mêmes étaient hors sujet. Les sœurs sorcières utilisaient des distorsions spatiales dans toute l’île d’Itogami pour chercher quelque chose de caché à l’intérieur. Au rythme où les distorsions se répandaient, ce ne serait plus qu’une question de temps.
« Je vois. C’est pourquoi Natsuki Minamiya ne peut pas bouger, heh-heh, » dit Mogwai avec un ton de commérage.
Yaze se gratta le visage d’un regard angoissé. « Je n’aime pas l’admettre, mais à cause de ça, on manque de personnel. Quelqu’un d’assez coriace pour éliminer les Sorcières Ashdown serait un vampire noble ou une Chamane Épéiste de l’Organisation du Roi Lion, mais… »
Yukina Himeragi pourrait sûrement affronter les sœurs sorcières dans des conditions équitables. Sa lance, capable de déchirer n’importe quelle barrière et de neutraliser l’énergie démoniaque, était à peu près l’ennemi mortel d’une sorcière.
Mais si Yukina était impliquée, cela signifiait aussi impliquer Kojou dans l’incident. Il devait l’éviter à tout prix. Sortir un Vassal Bestial du Quatrième Primogéniteur dans une zone de grande instabilité spatiale, c’était déverser le contenu d’un pétrolier plein de carburant sur le feu.
L’aristocrate vampire était hors de question. Si ce maniaque du combat réalisait ce que les sorcières recherchaient vraiment, il leur donnerait volontiers un coup de main. C’était le pire résultat auquel il pouvait penser.
Mogwai parla comme pour se moquer des difficultés de Yaze. « Incidemment, l’unité de gardes du corps des Chevaliers de la Seconde Venue demande la permission d’atterrir. »
« Les escortes pour la princesse aldégienne, hein ? Je parie qu’ils sont plus utiles que les agents du continent. Ça me rend jaloux, » dit Yaze d’un grand soupir.
Les chevaliers d’Aldegia, un pays qui partageait une frontière avec l’Empire du Seigneur de Guerre, avaient une riche expérience du combat contre les démons. En plus, ils avaient les pseudo-Lames Sacrées comme atouts. Même si ce n’était pas une victoire facile, ils compteraient quand même comme un facteur sérieux contre les sorcières.
« La princesse a dit qu’elle était heureuse d’aider à régler la situation. Mais c’est assorti d’une condition. »
« Condition ? » demanda Yaze.
Mogwai envoya le courriel de la Princesse La Folia à l’écran d’un Yaze perplexe. L’emoji idiot dans le texte lui avait donné un peu mal à la tête, mais c’était le contenu qui avait fait élargir les yeux de Yaze.
« … Est-elle saine d’esprit ? » demanda Yaze.
« C’est une jument encore plus sauvage que ce que les rumeurs disent. Heh-heh. J’aime bien. »
Mogwai sourit, comme s’il était content du fond du cœur. Peut-être le fait qu’il avait été construit pour analyser des problèmes complexes expliquait-il pourquoi l’IA semblait trouver les problèmes des autres très drôles.
Dans n’importe quelle situation saine, le contenu du plan de La Folia était quelque chose à rejeter du revers de la main. Si les choses tournaient mal, ce serait un incident international entre le Japon et sa nation. « Mais, » dit Yaze, en se frottant le menton.
« La Princesse La Folia a une danseuse de guerre chamanique de l’Organisation du Roi Lion qui la surveille. Si on réussit bien, on pourrait régler ça beaucoup plus facilement que je ne le pensais. On devrait essayer, » déclara Yaze.
« Heh-heh… »
Yaze sortit son téléphone portable en écoutant la voix rieuse de Mogwai.
Oui. Contre les sorcières, il fallait envoyer des sorcières ou des sorciers d’un niveau égal ou supérieur. Heureusement, c’était un sanctuaire de démons. Même Yaze avait au moins une personne en tête qui pourrait faire l’affaire.
***
Partie 6
Il existait un type de livre appelé grimoire.
Dans le passé, on s’en servait pour enregistrer les processus des sorts, des rituels magiques, des expériences de contrôle des entités spirituelles, et ainsi de suite. Cependant, après avoir accumulé de vastes connaissances à l’excès, il en résulta des livres qui étaient imprégnés d’une puissante magie en soi. Finalement, ils étaient devenus capables d’accorder un pouvoir au-delà de la compréhension du lecteur, et ainsi par invoquer de grandes calamités — .
C’était des grimoires : des livres de pouvoir.
Toute personne engagée dans la poursuite de la magie voulait un grimoire pour son propre usage. Cependant, rares étaient ceux qui pouvaient réellement contrôler l’énorme pouvoir magique qui s’y trouvait. Au cours de l’histoire, les chercheurs avaient perdu le contrôle de leurs grimoires pour être détruits par eux. Dans plusieurs cas, des villes entières avaient été détruites, contaminant des dizaines de milliers d’âmes. De nombreux grimoires avaient donc été perdus dans le processus.
Désespérés par la situation, un certain nombre de sorciers et de sorcières avaient fondé LCO — l’organisation connue sous le nom de Bibliothèque. Ils avaient rassemblé des grimoires de tous les coins de la Terre, les classant strictement en fonction de leur utilisation et les scellants. Ensuite, ils avaient prêté les grimoires, mais seulement aux quelques individus sélectionnés.
Ils ne l’avaient pas fait pour le développement de la magie, ni pour protéger la paix des peuples du monde entier, mais uniquement, pour satisfaire leur propre curiosité et avarice.
La Bibliothèque était une organisation exceptionnellement arbitraire et moralisatrice de chercheurs sorciers, bien adaptée pour être une organisation criminelle dès sa création.
Le Grimoire numéro 539 de LCO se déchaînait au sommet de Porte de la clé de voûte, l’endroit au centre même du Sanctuaire des Démons.
Un énorme cercle magique écarlate avait été dessiné sur le toit de l’immense bâtiment en forme de pyramide inversée. C’était une salle mise en place pour protéger le grimoire.
Le cercle magique avait été tracé en utilisant le sang des individus de la garde de l’île. Le sang frais des blessures qu’ils avaient subies en protégeant la Porte de la clé de voûte avait servi de base au rituel magique.
Les gardes blessés gémissaient d’angoisse avant d’être jetés sans réfléchir comme des crayons cassés.
La plus ancienne des sœurs Meyer, Emma, se tenait au centre du cercle magique, vêtue de noir.
« Tu ne trouves pas que c’est beau, Octavia ? Je sens que je vais avoir la chance d’avoir une rencontre qui changera ma vie aujourd’hui, » déclara Emma.
Elle regarda l’ancien texte absorber la vitalité des gardes qui y étaient sacrifiés et qui libéraient un puissant élan magique. Les sœurs n’avaient pas tué les gardes pour qu’ils puissent servir de combustible au grimoire.
La sorcière écarlate — Octavia Meyer — semblait méprisante en regardant le cercle magique sanglant.
« Comme c’est merveilleux, ma sœur, de lire le destin à partir de choses insignifiantes, comme le faisaient les anciens stoïciens », déclara Octavia.
Elle n’avait pas pris part au passe-temps de sa sœur aînée qui consistait à regarder des humains mourir pour s’amuser. Ses intérêts se situaient plutôt dans le spectaculaire éparpillement de cerveaux et de tripes, éclaboussures faites dans la poursuite de l’abattage de leurs opposants.
« Ah, ma sœur. Ces péons qui restent au sommet de la tour ne sont-ils pas une horreur ? »
La sorcière écarlate regarda au-dessus de sa tête, suppliant apparemment sa sœur aînée : « Est-ce que je peux les tuer maintenant ? »
La sorcière regarda droit devant elle une tour de cellule en acier et une salle d’observation recouverte de verre. En raison des sœurs qui avaient pris possession du toit, les touristes étaient restés coincés à l’intérieur de la salle, incapables de s’échapper. Tout ce qu’ils pouvaient faire dans leur pièce transformée en prison, c’était d’afficher un regard impuissant, abasourdi par la tragédie qui se déroulait.
La sorcière noire avait reproché à sa sœur. « Laisse-les, Octavia. Leur peur et leur désespoir ne feront que rendre plus divertissant le moment où nous réaliserons notre objectif. »
La sorcière écarlate soupira d’une apparente déception en répondant. « … C’est une idée splendide, ma sœur. C’est une merveilleuse épreuve pour le divin — il n’y aura pas de miracle de Dieu ici, peu importe combien ils prient. »
Cela faisait presque la moitié de la journée qu’elles avaient occupé le sommet de l’immeuble, il était naturel qu’elles s’ennuient.
Emma murmura en feuilletant soigneusement les pages du grimoire. « C’est bon de faire crier l’espace. »
Bien qu’invisible aux yeux des êtres humains normaux, l’espace tout autour de l’île d’Itogami était traversé d’innombrables fissures qui le faisaient ressembler à une toile d’araignée. Les fissures avaient lentement continué à s’agrandir, à la recherche de quelque chose, comme les antennes d’une fourmi.
Les fissures touchaient principalement ceux qui possédaient un haut niveau d’énergie magique, mais c’était un simple effet secondaire. Même si les gens étaient pris dans des distorsions spatiales et jetés quelque part, ou même si quelqu’un était tiré d’un autre point dans le temps, il s’agissait de trivialités mineures. Ils comptaient à peine comme un divertissement pour éviter l’ennui par rapport au grand chaos qui s’approchait.
Octavia murmura en la regardant d’un air d’envie, inconsciemment, elle s’approcha d’elle. « Oui, vraiment. Je dois dire que le pouvoir de la Sorcière Bleue est vraiment grand —. »
Le grimoire stocké sous le numéro 539 avait été prêté par la LCO, mais ce n’était pas les sœurs qui le contrôlaient en fait. Les Sœurs Meyer appartenaient à la Première Branche, Philosophie. C’était une faction puissante qui s’occupait de causalité et de métaphysique, mais elle s’intéressait peu aux sorts affectant la physique, comme ceux de contrôle de l’espace.
Cependant, l’autre sorcière que le LCO avait dépêchée sur les lieux était la véritable lectrice du numéro 539. Elle était la nouvelle fille, une spécialiste des sorts de contrôle spatial qui avait reçu le titre de Sorcière Bleue.
Emma sourit en parlant d’une voix sourde. « Naturellement. C’est une sorcière faite et née dans ce seul but, après tout. Utilisons-la à bon escient, au moins jusqu’à ce qu’on la trouve. »
Oui, la fille était un outil jetable. Elle n’était qu’une marionnette pratique. Octavia avait aussi souri, comme si elle flattait sa sœur. Mais…
L’instant d’après, les sourires des sœurs se gelèrent comme dans de la glace. Elles avaient remarqué qu’une cruelle soif de sang les avait frappées.
Leurs beaux sourcils s’étaient plissés en tournant la tête.
« Qui est là !? »
« Comment osez-vous souiller mon œuvre d’art avec vos chaussures sales ! »
Leur comportement auparavant décontracté n’existait plus nulle part.
Un intrus était en train d’entrer, piétinant la salle qu’elles avaient construite avec un cercle magique dessiné avec du sang frais. Il possédait un degré extraordinaire de pouvoir magique.
Un nuage de miasmes surgit du cercle magique, un tentacule translucide jaillissant du nuage.
C’était le monstre d’Ashdown qu’elles avaient utilisé pour anéantir l’unité de la garde de l’île la veille. C’était le Gardien des Sœurs Meyer. Il avait automatiquement commencé à intercepter la présence extraordinaire qu’il avait sentie passer devant la salle. D’innombrables tentacules se précipitèrent vers l’intrus, écrasant son corps à plat — .
C’est du moins ce qu’elles pensaient. À ce moment-là, il avait déclenché une explosion incroyable qui avait ébranlé les tentacules du Gardien.
Les visages des sœurs sorcières se tordirent d’étonnement.
« Qu’est-ce que… !? »
Tandis que les morceaux de chair déchiquetés qui étaient autrefois des tentacules se répandaient tout autour, l’intrus leur fit un éclat glacial pendant qu’il continuait à marcher comme si de rien n’était.
Il portait un costume trois-pièces d’un blanc pur. C’était un bel homme blond aux yeux bleus. De sa bouche pleine d’audace et d’un sourire charmant sortaient de grands crocs.
« C’est vraiment dommage. Je pensais vous laisser partir si vous m’amusiez un peu plus, mais vous voilà, tranquillement terrées et gagnant du temps. Mon estimation des sorcières Ashdown a pris un sacré coup. »
« Vous êtes… ! ? »
« D-Dimitrie Vattler… !!? »
Les sorcières prononçaient le nom de l’homme avec des voix haletantes. Le nom prestigieux de Dimitrie Vattler, maître des serpents, aristocrate de l’Empire du Seigneur de Guerre en Europe, était bien connu des agents du LCO, et pas seulement parce qu’il était un vampire de la vieille garde. Amoureux du conflit, il était une race rare de maniaque du combat qui consommait même ses propres frères vampiriques pour son propre plaisir. Pour les démons et les sorcières qui opéraient en Europe, son existence était synonyme de terreur.
Rencontrer le Maître des Serpents dans un sanctuaire de démons aux confins de la Terre fut la pire digression du plan imaginable. Facilement ennuyeux, il aurait pu les tuer sur place par pur caprice.
Vattler avait complètement ignoré l’existence des sorcières en jetant un coup d’œil au grimoire encore en activité. Mais le numéro 539 n’avait retenu son attention qu’un bref instant.
« C’est donc ce qui cause des anomalies spatiales dans toute l’île d’Itogami…, » déclara Vattler.
Visiblement découragé, Vattler murmura d’un simple haussement d’épaules.
« Un sacré pouvoir magique, mais vous l’utilisez comme une boule de cristal, n’est-ce pas ? Je suppose que vous cherchez quelque chose de précieux enfermé à l’intérieur du Sanctuaire des Démons. Je m’attendais à plus… C’est vraiment dommage, » déclara Vattler.
Une vague d’énergie démoniaque dense avait jailli de son bras droit. L’interférence avait provoqué l’arrêt du grimoire.
Vattler ne l’avait pas fait pour sauver l’île d’Itogami. Il ne faisait qu’écraser des mouches qui l’ennuyaient après avoir fait tout ce chemin pour rien. C’est tout ce qu’il lui avait fallu pour briser les plans des Sœurs Meyer. La sorcière écarlate, tremblant de peur jusque-là à cause de l’irrationalité écrasante de tout cela, rugit. Emma avait essayé de retenir sa sœur.
« Octavia, arrête, s’il te plaît ! »
Mais la sorcière écarlate avait activé son propre grimoire dès qu’elle cria de rage. C’était le Grimoire numéro 193, l’abominable texte qui avait provoqué ce qu’on avait appelé la tragédie Ashdown.
« Défends-moi — ! »
Un nuage de miasmes avait jailli du cercle magique en réponse au chant d’Octavia. Le nuage s’était à nouveau transformé en tentacules. Cependant, la couleur des tentacules était différente de celle d’avant. C’était un motif tacheté répugnant mélangeant le noir et le rouge écarlate.
Les tentacules du Gardien étaient imprégnés d’une propriété spéciale tout en recevant une énergie magique du grimoire. La capacité du numéro 193 était « L’Harmonie Attendante ». Avec elle, aucune attaque ne pouvait nuire au Gardien, ni aucune défense ne pouvait repousser les tentacules du Gardien.
Même Dimitrie Vattler n’avait aucun moyen de détruire les tentacules marbrés et maintenant invisibles. C’est du moins ce qu’Octavia croyait fermement lorsque, un instant plus tard, la voix indifférente de Vattler perça l’oreille de la sorcière écarlate.
« Takshaka ! »
L’instant d’après, Octavia frissonna devant l’incroyable onde de choc que l’aristocrate vampire déchaîna. C’était un torrent d’énergie magique qui avait fait honte à ce qui sortirait de son grimoire.
Finalement, le torrent avait pris la forme d’un serpent géant. C’était l’un des neuf vassaux bestiaux qui servaient Dimitrie Vattler. C’était une bête convoquée d’un autre monde possédant un pouvoir égal à celui d’une catastrophe naturelle. Le grand serpent malveillant, de couleur verte et atteignant des dizaines de mètres de long, lâcha un rayon de lumière de ses yeux, brûlant les tentacules tachetés.
Cela n’avait pris qu’un instant. Le Gardien des sœurs sorcières avait été annihilé, le cercle magique dessiné avec du sang frais avait également été brûlé. Vattler avait vaincu la capacité du Grimoire numéro 193 avec une force brute appuyée par sa vaste puissance démoniaque.
Octavia Frailly avait gémi. Pendant qu’Emma la soutenait par-derrière.
« Qu… ? »
Elle avait l’impression de regarder un cauchemar.
Parmi tous les familiers employés par les humains engagés dans les arts magiques, les gardiens de sorcières étaient dans une classe à part. En d’autres termes, un Gardien était l’avatar d’un diable, capable de combattre les Vassaux Bestiaux d’un vampire ordinaire avec des conditions plus qu’égales. On disait que le soutien d’un grimoire permettait de tenir tête même à un vampire de la vieille garde. Après avoir vu un tel Gardien réduit en pièces sous leurs yeux, les sœurs sorcières avaient complètement perdu toute volonté de se battre. Vattler était tout simplement un monstre.
« Je voulais que vous vous débattiez un peu plus, mais… ah bon. Bye-bye ! » déclara Vattler.
Avec un regard de déception évidente en lui, Vattler ordonna à son Vassal Bestial d’attaquer.
Pour l’aristocrate vampire immortel, le combat mortel était l’un des rares plaisirs qui lui permettaient de se sentir vraiment vivant. Vattler préférait que ses adversaires soient puissants. Cela ne signifiait pas la simple présence d’une puissante énergie magique, l’important était la volonté. Vattler appréciait beaucoup une volonté forte qui aurait recours à n’importe quelle tactique et à n’importe quelle stratégie pour défier le destin. C’est ce qui avait rendu le quatrième Primogéniteur et les adolescentes qui l’entouraient si exquis. Les jeunes filles du sanctuaire de l’Organisation du Roi Lion et la princesse d’Aldegia — quels moyens emploieraient-elles pour s’en prendre à Vattler quand le moment sera venu pour lui de s’attaquer sérieusement à la vie de Kojou Akatsuki ? Rien que d’y penser, cela l’avait fait vibrer.
En revanche, ces sorcières avaient rapidement perdu la volonté de se battre. Vattler ne voyait pas l’intérêt de les laisser vivre, d’ailleurs, il n’était pas du genre à leur accorder la moindre once de pitié au départ. Mais — .
Juste avant que les sœurs sorcières soient avalées entièrement, quelque chose détourna l’attaque de son Vassal Bestial.
Les coins des lèvres de Vattler s’enroulèrent avec une apparente joie en murmurant.
« Oh mon Dieu. »
Un adolescent portant un costume noir était sorti de nulle part pour protéger les sœurs sorcières. C’était un lycéen au visage langoureux.
Vattler avait gardé son Vassal Bestial en stand-by alors qu’il l’avait demandé de manière provocante…
« Tu n’es… pas Kojou. Qui êtes-vous ? »
L’adolescent en costume noir avait le même visage que Kojou. L’odeur du sang qui coulait en lui était la même que celle de Kojou. Cependant, l’air autour de lui était tout à fait différent. C’était comme si quelqu’un d’autre était aux commandes.
Et la technique qu’il avait employée était le contrôle spatial — la même compétence utilisée par la Sorcière du Vide.
Le jeune homme en costume noir s’agenouilla, s’inclinant vers Vattler avec un profond respect.
« Si vous voulez bien excuser cette intrusion, duc d’Ardeal, je m’appelle Yuuma Tokoyogi, fille d’Aya Tokoyogi, “la sorcière de Notalia”. »
« Vraiment, » fit remarquer Vattler, faisant un sourire charmant. « Vous êtes donc la fille du chef de LCO. »
La sorcière de Notalia était la grande bibliothécaire qui dirigeait l’organisation criminelle LCO. Elle était à un tout autre niveau que les Sœurs Meyer, qui n’étaient que de simples agents de la Première Branche.
Cependant, s’il ne s’était pas trompé, elle avait été capturée et était restée emprisonnée sur l’île d’Itogami.
Elle avait été enfermée derrière la barrière de la prison à l’intérieur du Sanctuaire des Démons.
« J’ai emprunté le corps du quatrième Primogéniteur pour m’aider, moi et mes sœurs, à localiser le quartier pénitentiaire caché dans le sanctuaire des démons pour briser son sceau et libérer ma mère. Je vous demande d’ignorer nos efforts. »
Vattler avait renvoyé son Vassal Bestial après avoir entendu les paroles de Yuuma.
« Donc LCO fait tout ça pour libérer ceux qui sont enfermés dans la barrière de la prison ? »
Un sourire était apparu à ses lèvres en y pensant.
La barrière de la prison avait été érigée pour abriter des démons diaboliques et des sorciers criminels qu’aucune prison normale ne pouvait espérer contenir. L’objectif de LCO était de sauver la sorcière de Notalia, la grande bibliothécaire, qui y était détenue.
Mais franchir la barrière de la prison, c’était sûrement libérer simultanément d’autres criminels légendaires. Il était pratiquement certain que le Sanctuaire des Démons deviendrait un champ de bataille.
C’était une circonstance idéale pour Vattler, qui avait soif de combattre des adversaires puissants. Yuuma demandait simplement à Vattler de laisser faire. Vattler aimait aussi l’insolence pure et simple de sa conduite.
Yuuma leva son visage agréablement souriant et prit dans ses mains le grimoire numéro 539, qui était tombé à ses pieds.
« Avec l’immense pouvoir magique du quatrième Primogéniteur et mes talents de sorcière, même la barrière imprenable de la prison tombera. J’espère que Votre Excellence ne s’ennuiera pas, avec ce qui arrivera. »
Le grimoire, revenu entre les mains de son propre maître, émettait une lueur lorsque le pouvoir magique du quatrième Primogéniteur s’y déversait.
Vattler avait souri en le regardant, les crocs à l’air, féroce.
***
Partie 7
À ce moment-là, Kojou était avec son petit groupe dans un café d’un quartier commerçant à l’ouest.
L’après-midi venait de commencer. Le quartier, plein d’ambiance festive, regorgeait d’étals et de chars, les rues étaient encombrées de touristes costumés.
Sur une scène, un concours de M. Jolie Fille avec des garçons adolescents travestis était apparemment organisé, diffusé en direct sur le côté d’un bâtiment qui servait d’écran LED géant. Mec, si je m’inscrivais maintenant, je gagnerais facilement, pensa Kojou lamentablement.
« Ce pouding à la citrouille est assez savoureux, » fit remarquer Yukina.
« J’en ai eu un peu tout à l’heure. La tarte à la citrouille ici est aussi plutôt bonne, » répondit Kanon. Yukina et Kanon, assises à la même table, se partageaient les sucreries servies en tas sur une grande assiette. Si quatre personnes commandaient, vous aviez quatre-vingt-dix minutes pour accepter tout le gâteau que vous pouviez manger. Le fait de voir les deux filles en costume manger leur nourriture sucrée avec une vigueur inhabituelle l’avait incité à sourire.
« En veux-tu encore, Quatrième Primogéniteur ? » demanda Astarte à Kojou.
« Oui… merci, » répondit Kojou.
Kojou poussa un soupir mélancolique quand Astarte alla chercher du thé noir au bar.
« Je suggère qu’on ajoute plus de sucreries. Trois autres commandes sont nécessaires avant que le prix du buffet de gâteaux cesse d’excéder le coût de la commande séparée aux prix normaux de ce magasin. »
« D-D’accord. Dans ce cas, allons chercher du gâteau en mousseline et des scones… Hé ! »
La voix de Kojou devint rauque lorsqu’il frappa la table à l’improviste. Yukina ainsi que les autres filles avaient cessé de manger en raison de la surprise et elles avaient levé la tête. Seule Astarte avait continué à boire son thé noir à son propre rythme, avec son expression inchangée.
« Pourquoi attend-on ici en ayant un buffet de gâteaux dans un endroit comme ça !? On ne sait toujours pas pourquoi Yuuma m’a volé mon corps ! » déclara Kojou.
« C-C’est vrai. Mais les autres magasins étaient tous pleins…, » Kanon avait fait cette remarque.
« Information supplémentaire. Selon une enquête menée par le club de presse de l’Académie Saikai, trente-sept répondants sur quarante-deux se sont déclarés satisfaits du buffet de gâteaux de ce magasin, un classement très positif, » déclara Astarte.
« Hé, je n’ai jamais dit que je me plaignais du goût de la nourriture ici… ! » déclara Kojou.
Kojou, toujours à l’intérieur du corps de Yuuma, se serra la tête et gémit. Yukina avait glissé une nouvelle offrande de gâteau devant lui.
« Pour l’instant, mange ceci et calme-toi, » déclara Yukina.
« Dahh ! »
Un Kojou désespéré avait saisi le gâteau et l’avait avalé d’un coup.
Même à ce moment précis, Yuuma utilisait le corps de Kojou pour se préparer à une sorte de conspiration. L’augmentation de la fréquence des anomalies spatiales dans la région de l’île d’Itogami en était la preuve. Ils n’avaient toujours aucune idée de l’endroit où se trouvait Nagisa, et ils n’avaient aucune nouvelle de Natsuki. Ce n’était pas le genre de situation qui favorisait le calme.
Malgré cela, Yukina avait parlé d’une voix posée. « Même si on cherchait Yuuma, on n’a aucune piste. En outre, si les distorsions spatiales deviennent encore plus grandes, les mouvements précipités sont beaucoup trop dangereux. »
« Argh, » dit Kojou, à court de mots. La logique de Yukina était convaincante.
Mis à part Astarte l’homoncule, Yukina, une Chamane Épéiste, et Kanon, portant le sang de la famille royale aldégienne, étaient deux puissants médiums spirituels. Toutes deux étaient des êtres qui attiraient les distorsions spatiales. Avec l’intérieur de la ville d’Itogami transformé en labyrinthe, les déplacements imprudents étaient dangereux.
En effet, Kanon avait déjà pris Kojou dans une distorsion spatiale menant au bain à la résidence Himeragi. Il n’y avait aucune garantie que cela ne se reproduirait pas. Bien sûr, il était aussi possible que le pouvoir magique de Kojou y soit pour quelque chose, mais là n’était pas la question.
« En plus… J’ai déjà un moyen de briser le sort de Yuuma, » déclara Yukina.
« Hein ? » s’exclama Kojou.
Les aveux soudains de Yukina avaient laissé Kojou un peu perplexe. Si tu avais un moyen pratique comme ça, pourquoi t’es-tu tu jusqu’à maintenant, il avait réfléchi… et puis il l’avait vu.
Le regard de Yukina s’était déplacé sur la lance d’argent qui se tenait à côté d’elle.
« Loup de la dérive des neiges, hein… ? » demanda Kojou.
« Oui, » répondit Yukina avec un petit signe de tête.
Sa lance pouvait nier l’énergie magique, anéantissant indistinctement tout sort ou rituel. Quelle que soit la puissance du contrôle spatial de Yuuma, tant qu’il était maintenu par un sort, Yukina pouvait sans aucun doute le détruire d’un seul coup. En conséquence, les esprits de Kojou et de Yuuma retourneraient à leur propre corps physique. Apparemment, Yukina s’en était rendu compte et avait choisi de se détendre avec du gâteau à volonté à la place.
« Cependant, la fin forcée d’un tel rituel de contrôle spatial de haute intensité entraînerait un contrecoup proportionnel pour le lanceur. Des dommages irréversibles au système nerveux pourraient bien être infligés, » déclara Yukina.
Kojou avait regardé Yukina d’un air frémissant alors que ses mots effrayants s’enfonçaient dans sa tête.
« Hein ? » s’exclama Kojou.
Un coup de couteau sur le corps de Yuuma par la Loup de la dérive des neiges arrêterait Yuuma ici et maintenant. Mais cela signifiait apparemment faire frire tout le système nerveux de Yuuma dans le processus.
Même si Yuuma était une sorcière, son corps était toujours celui d’une fille ordinaire. Elle n’avait pas les pouvoirs régénérateurs d’un vampire comme Kojou. Si elle avait subi autant de dégâts, il était presque certain qu’elle mourait en cours de route. Même si elle avait survécu, elle ne se réveillerait probablement plus jamais.
« Bien sûr qu’on ne peut pas faire ça ! » s’exclama Kojou.
Yukina regarda Kojou s’indigner en parlant.
« Oui. C’est une méthode que je souhaite éviter dans la mesure du possible. Si je ne peux pas employer le Loup de la dérive des neiges quoiqu’il arrive, la seule option est de viser ton corps avec elle à l’intérieur, Senpai. Après tout, même si tu mourais pendant un certain temps, tu vas revivre, de sorte que cela réduirait au minimum les répercussions sur le corps de Yuuma, » déclara Yukina.
« Hé, attends. N’est-ce pas basé sur le fait que je ressentirais une douleur horrible quand je reviendrais à mon propre corps !? » s’écria Kojou.
Kojou s’était plaint en mettant son menton dans ses paumes. Il ne voulait même pas imaginer la douleur d’avoir tout son système nerveux déchiré, mais on ne pourrait rien y faire s’ils n’avaient pas d’autres options.
Ils attendaient que Yuuma utilise le corps de Kojou pour créer un incident.
Quand ils auraient remarqué l’incident, ils se précipiteraient sur les lieux. Yukina poignarderait le corps de Kojou.
C’était bâclé et peu fiable au fur et à mesure que les plans avançaient, mais il était tout aussi vrai qu’ils n’avaient pas de meilleures idées. Apparemment, manger du gâteau, attendre et espérer était le mieux qu’ils pouvaient faire pour le moment.
Yukina murmura en haletant, apparemment dans un effort pour réconforter un Kojou maussade. « C’est juste mes sentiments, mais je ne pense pas que Yuuma utilisera ton corps de manière destructive. Après tout, Yuuma te fait confiance, comme en témoigne le fait qu’elle laisse son corps entre tes mains. »
Kojou avait fait un petit sourire douloureux face à la tentative maladroite de Yukina pour le consoler. « … Supposons que oui. » Son intuition n’est probablement pas fausse, pensa-t-il.
Kojou ne savait pas pourquoi Yuuma avait volé son corps. Malgré cela, Yuuma n’avait sûrement pas l’intention de lui faire du mal. C’était une supposition sans fondement, mais même maintenant, Kojou faisait confiance à Yuuma au moins autant. Elle était, après tout, son amie.
Kanon, écoutant silencieusement la conversation à ce moment-là, regarda le côté du visage de Kojou pendant qu’elle parlait.
« Je ne connais pas vraiment les circonstances, mais j’aimerais que tu retournes à ton état normal…, » déclara Kanon.
Comme un peu timide, elle baissa les yeux et ajouta d’une petite voix… « Yuuma est très belle, mais pour moi, tu es… toi. »
« Kanase… »
Un sentiment de chaleur et de douceur s’éleva peu à peu chez Kojou, le faisant presque verser des larmes. Même si ce corps était celui de sa bonne amie, le fait d’être séparé du sien le rendait vraiment nerveux. Mais Kojou avait des gens qui l’attendaient pour retrouver son corps. Rien que cela avait été un grand soulagement.
La petite homoncule avait parlé, le visage caché sous le masque de citrouille. « Je suis d’accord. »
« Astarte… ? » demanda Kojou.
« Bien qu’objectivement irrationnel, j’ai déterminé, après avoir fait une analyse comparative, que je souhaite subjectivement que le quatrième Primogéniteur retourne à son corps originel, » déclara Astarte.
« Que… »
Cela semblait signifier que même si les attributs physiques de Yuuma étaient plus élevés, Astarte voulait personnellement que Kojou retourne à son ancienne identité. Kojou ne se sentait pas complimenté, mais selon les critères d’Astarte, c’était sa manière d’exprimer sa bonne volonté avec toute la force qu’elle pouvait rassembler.
Son humeur s’étant quelque peu améliorée, Kojou regarda à côté de lui vers Yukina. Il était un peu inquiet de ce qu’elle pourrait penser de cette partie.
Sentant le regard attendu de Kojou, Yukina était devenue un peu agitée.
« Hein ? Qu-Quoi !? Je ne suis qu’une observatrice… Je remplirai mon devoir, peu importe à quoi tu ressembles, Senpai…, » déclara Yukina.
Kojou avait fait un sourire tendu face à la réponse d’étudiante d’honneur de Yukina.
« … Je m’en doutais. » Il avait décidé qu’il devrait lui être reconnaissant du fait que son comportement envers lui n’avait pas changé avec son apparence.
Kanon regarda soudain Kojou d’un regard aiguisé.
« Akatsuki… en mettant ça de côté…, » déclara Kanon.
C’était un rare regard sévère pour elle.
« Tu ne devrais pas te reposer sur tes coudes pendant les repas, » déclara Kanon.
Kojou, qui reposait encore négligemment son menton sur ses paumes, avait redressé son dos en réponse à la réprimande de Kanon.
« Hein ? Ah, euh, d’accord, » balbutia Kojou.
« Et tu ne devrais pas écarter les jambes lorsque tu es assis, » déclara Kanon.
Lancé par la direction inattendue et stricte de Kanon, Kojou avait fait ce qu’on lui avait dit et avait corrigé sa posture.
« C’est… c’est vrai. Désolé, » déclara Kojou.
Kanon avait grandi dans une abbaye quand elle était plus jeune. C’est sans doute ce qui expliquait son éducation stricte.
Jusqu’à présent, il n’y avait jamais beaucoup réfléchi, mais Kanon et Yukina avaient toutes deux une bonne posture. Les filles ont la vie dure, étant jugées en fonction de leur apparence, pensait Kojou comme si cela ne le concernait pas.
***
Partie 8
C’est à l’instant suivant qu’il apprit que ses pensées étaient encore assez naïves.
Astarte prit la parole, sortant un miroir et un pinceau de sous son manteau comme par magie.
« Supplément. Je conseille que l’entretien et le toilettage des cheveux soient nécessaires, » déclara Astarte.
« Hein ? » En même temps, Yukina souleva un « Ah ! » et se dirigea vers le côté du visage de Kojou.
« Tu n’as pas mis de crème solaire, n’est-ce pas ? Tu ne devrais pas laisser une si jolie peau se perdre ! » s’écria Yukina.
« S’il te plaît, utilise ceci. C’est ma pochette de maquillage, » déclara Astarte.
« Eh, attends un… qu’est-ce que vous faites… !? » s’écria Kojou.
Astarte et Yukina avaient fermement saisi les deux bras de Kojou et l’avaient fait sortir. Elles se dirigeaient vers l’une des toilettes du magasin. Kojou avait paniqué quand il avait réalisé que le papier peint était rose.
« Attendez ! C’est les toilettes des dames !? » s’écria Kojou.
« On ne peut rien y faire. As-tu l’intention d’aller dans les toilettes des hommes en ressemblant à Yuuma ? » demanda Yukina.
« Eh bien, non, mais… Ehh… !? » s’écria Kojou.
Les toilettes des dames étaient remplies de clientes qui retouchaient leur maquillage après les repas. Voir une rangée de jolies dames mettre du rouge à lèvres et du mascara n’était, à vrai dire, pas quelque chose qu’il voulait vraiment voir.
De plus, plusieurs d’entre elles échangeaient des informations sur les impressions qu’elles avaient eues de leurs rendez-vous comme si elles préparaient des plans pour de prochaines rencontres. Même Kojou se sentait mal à l’aise à cause de la franchise excessive de l’audimat qu’elles avaient diffusé, et il n’avait rien à voir avec cela. Il avait l’impression que s’il restait plus longtemps dans cet endroit, il ne pourrait jamais s’en remettre.
« … D’ailleurs, que dois-je faire si je dois aller aux toilettes dans ce corps ? » marmonna Kojou, soudain préoccupé par l’affaire. C’est en fait un sérieux problème, pensa-t-il. Bien sûr, Kojou n’avait aucune idée de la façon dont les filles allaient aux toilettes. À ce moment-là, Yukina avait tiré sur Kojou un regard éblouissant. « Tu ne dois pas. »
« Tu peux dire que tout ce que tu peux, mais c’est une nécessité biologique, je n’ai pas mon mot à dire dans…, » déclara Kojou.
« Tu ne dois absolument pas ! » s’écria Yukina.
« Hein… !? » Kojou était un peu découragé par la déclaration inattendue et emphatique de Yukina. Apparemment, il devait récupérer son propre corps avant que ce corps ne développe l’envie de pisser. Apparemment, le temps de Kojou s’écoulerait… d’une façon ou d’une autre.
Peut-être qu’il n’était pas vraiment temps de s’asseoir et d’attendre que Yuuma se mette à causer des ennuis. Si elle doit faire quelque chose, pourquoi pas tôt ou tard, pensa égoïstement Kojou. Alors…
Comme s’il exauçait son vœu, un faible impact secoua la surface du Gigaflotteur d’un grand coup. Même à l’intérieur du corps de Yuuma, Kojou l’avait reconnu comme une puissante poussée d’énergie démoniaque.
« Qu’est-ce que c’est que cette sensation !? » s’écria Kojou.
Yukina avait été la première à réagir. « Ça vient de Porte de la clé de voûte ! »
Tirant sa lance d’argent, elle s’était précipitée hors du magasin, Kojou s’était précipité après elle.
Tout le monde dans les rues regardait le ciel avec surprise, les yeux grands ouverts.
Le bâtiment au centre de l’île Itogami avait la forme d’une pyramide inversée. Sur le toit du bâtiment, le plus haut de l’île, quelque chose se tortillait. Cela mesurait des dizaines de mètres de long, avec des tentacules tachetés et effrayants.
« Himeragi ! C’est… !? » demanda Kojou.
« Un diable ! Un “Gardien” de sorcière ! » répondit Yukina.
« Alors, c’est quelque chose comme un familier… ! Mais cette énergie magique est… !? » s’écria Kojou.
Le sentiment de pression écrasante qu’il ressentait depuis la Porte de la clé de voûte n’était pas ressenti venant du Gardien.
Dans ce lieu se trouvait un être d’une énergie démoniaque incroyable, encore plus grande que celle du géant. D’une certaine façon, la flambée inquiétante avait laissé un Kojou avec beaucoup de regret…
« Oui, cette surtension est celle de Senpai… L’énergie démoniaque du quatrième Primogéniteur, » déclara Yukina.
« Alors, c’est Yuuma ! » déclara Kojou.
Après avoir confirmé où elle se trouvait, Kojou s’était mis à courir.
La Porte de la clé de voûte était le cœur du sanctuaire des démons. C’était aussi le tout premier endroit que Yuuma avait visité à son arrivée sur l’île. Rétrospectivement, Kojou avait estimé que le choix de Yuuma comme lieu d’un rituel magique était tout à fait naturel.
Mais.
« … !? »
Comme pour empêcher Kojou d’atteindre sa destination, des gens qu’il n’avait jamais vus auparavant avaient bloqué son chemin.
C’était des hommes enveloppés dans des robes noires comme s’ils étaient des Faucheurs. Il avait estimé qu’ils étaient une dizaine, au minimum. Leurs visages n’étaient pas hostiles et ils ne portaient pas ce que l’on pourrait qualifier d’armes. Cependant, Kojou avait certainement senti qu’ils essayaient de l’empêcher de s’approcher de la Porte de la clé de voûte.
« Senpai, recule, s’il te plaît ! »
Yukina avait préparé sa lance et s’était déplacée devant. Nul doute qu’elle pensait qu’aujourd’hui, avec des gens déguisés dans toute la ville, même en utilisant le Loup de la dérive des neiges où les gens pouvaient voir, elle ne se démarquerait pas beaucoup.
« Qu’est-ce qu’ils ont… !? » demanda Kojou.
« Je n’en sais rien. Mais je crois que leur but probable est de nous retarder, » répondit Yukina.
« Des amis de Yuuma, alors… Vous nous regardiez tout le temps, hein ? » déclara Kojou.
Kojou avait broyé ses dents face à sa propre idiotie. S’il y avait pensé clairement, il aurait anticipé que Yuuma aurait fait surveiller les mouvements de Kojou. Bien sûr, elle serait sur ses gardes quant au fait que Kojou essaierait de reprendre son corps, interférant avec son propre plan dans le processus.
« Astarte, occupe-toi de Kanase ! » ordonna Kojou.
« Acceptez. »
Kojou ordonna à la fille homoncule de protéger Kanon qui se tenait là, sans défense. Astarte hocha la tête et convoqua son propre Vassal Bestial. Des ailes émergèrent de son dos et se transformèrent en une paire de bras géants.
Pour une raison ou une autre, les gens qui les regardaient autour d’eux suscitaient une certaine admiration. Les gens s’étaient mis à applaudir les uns après les autres.
« On dirait qu’ils pensent que c’est une attraction pour le festival ! »
« C’est idéal pour prévenir une perturbation… Mais la foule… ! »
Yukina et Kojou se regardaient dans les yeux, tous deux perdus.
À un moment donné, les touristes dans la rue avaient ouvert une brèche d’une dizaine de mètres de rayon, le groupe aux robes noires entourait Kojou ainsi que Yukina, Kanon et Astarte. Apparemment, ils l’avaient confondu avec une sorte de spectacle de rue du festival de la Veillée Funèbre. Eh bien, avec un groupe ouvertement vilain, prêt à affronter un groupe de belles filles costumées, on ne peut pas leur en vouloir de penser cela.
Mais à cause de cela, Kojou et son groupe n’avaient plus nulle part où aller.
Si c’était un combat individuel, il n’y avait aucun doute que Yukina nettoierait ça, mais cette fois il y avait tout simplement trop d’ennemis. Entourée d’autant de gens, Astarte ne pouvait pas non plus libérer toute la puissance de son Vassal Bestial dominé. Devoir couvrir Kanon et l’actuel Kojou, ni l’un ni l’autre capable de se battre, était tout simplement un trop grand fardeau pour les autres filles. De plus, Yuuma achèverait son rituel magique pendant que Kojou et les autres étaient en retard.
Réalisant qu’ils étaient complètement enfermés, Kojou avait serré les dents dans l’angoisse. L’instant d’après…
« Quoi… !? »
Un « hoaaaaaa », comme le cri d’un oiseau monstrueux, résonna parallèlement à un bruit d’impact sourd, soufflant avec une grande force l’un des hommes aux robes noires qui vola en réponse.
Quand Kojou ainsi que les autres personnes présentes avaient regardé en état de choc la source de ça, ils avaient vu une jeune fille aux cheveux roux, en chignon double, longue tresse, portant une robe chinoise. La jeune fille avait relâché un autre coup de pied à la taille, ce qui avait fait qu’un autre homme aux habits noirs était tombé dans l’agonie. Misaki Sasasasaki, professeur d’éducation physique au collège de l’Académie Saikai, avait demandé sur un ton décontracté…
« Salut, les enfants. Je vous ai enfin rattrapé. Est-ce que ça va ? »
Yukina ne pouvait pas cacher sa perplexité à l’idée que son propre professeur de classe était entré dans la mêlée.
« Mlle Sasasasaki ! Que faites-vous ici… !? » s’écria Yukina.
« Natsuki me l’a demandé. Elle m’a dit de vous aider, vous et les frères et sœurs Akatsuki, si jamais elle disparaissait. On dirait que les choses ont mal tourné alors que je ne regardais pas ? » déclara Misaki.
Yukina acquiesça franchement. « … Oui. Tout à fait. »
En voyant le comportement direct de Yukina, Misaki avait fait apparaître un regard satisfait.
« Bien reçu. Laissez-moi m’occuper de Kanase et les autres filles. De votre côté, partez, » déclara Misaki.
Après qu’elle l’ait dit, la professeure avait adopté une pose étrange. C’était l’un des styles dits animaux du kung-fu, imitant les mouvements d’un animal particulier.
Elle était à la fois junior de Natsuki Minamiya et un Mage d’attaque accrédité au niveau national. C’était une artiste martiale féminine capable d’éliminer des gangs à elle seule, de fendre le sol à mains nues et de libérer des faisceaux d’ondes de QI de sa paume, entre autres choses, donnant naissance à un certain nombre de légendes urbaines.
« Mme Sasasasaki, ces opposants sont des cadavres. Il doit y avoir un nécromancien mélangé pour les contrôler, mais…, » déclara Yukina.
« Pas de problème ! Je vais tous les frapper ! » Dès qu’elle l’avait dit, exactement comme promis, Misaki avait commencé à bouger tout en portant une robe noire à volant. C’était une démonstration d’une force brute étonnante, mais elle était forte à d’autres égards. Elle avait neutralisé des attaques magiques occasionnelles qui lui était envolé d’un seul coup de qi.
Alors que des brèches s’ouvraient dans le mur humain noir qui les entourait, Kojou et Yukina s’étaient glissés à travers le cercle des touristes qui les entouraient.
« Mlle Sasasasaki, Natsuki est-elle… !? » demanda Kojou.
« Elle n’est pas mal. Pour l’instant, au moins. »
Alors que Misaki répondait à la dernière question de Kojou, elle avait fait un clin d’œil pour faire bonne mesure.
Après avoir fait une profonde inclinaison de la tête, Kojou courut cette fois-ci vers l’avant sans regarder en arrière.
« À plus tard, alors… Prenez bien soin d’elle, c’est ce que j’aurais aimé dire. » Voyant partir les élèves, Misaki avait fait un petit murmure à elle-même.
Puis, elle avait fait sur les hommes aux robes noires un regard qui avait enflammé son esprit combatif.
Les cadavres de soldats, dépourvus de volonté, avaient reculé alors qu’ils étaient écrasés par son aura. Un sourire féroce fit son apparition sur les lèvres de Misaki, suivi d’un autre « Kishaa ! » comme si cela venait d’un oiseau monstrueux. Des bruits d’admiration avaient résonné parmi les touristes.
Le festival ne faisait que commencer.
***
Chapitre 4 : Prison cachée
Partie 1
Cette fille était née dans le donjon d’un vieux château.
Elle n’ouvrit les yeux que pour entendre des chants à la place des berceuses. Ceux qui veillaient sur sa naissance étaient des servantes homuncules. À la place des bras de sa mère qui lui donnaient de la chaleur, il n’y avait que la soupe chimique froide qui remplissait la cuve en verre.
Elle n’avait aucun souvenir avant l’âge de six ans. On lui avait accordé les connaissances minimales requises pour la vie quotidienne et le pacte avec le diable. C’est tout ce dont elle se souvenait.
Elle était née avec le corps d’un enfant de six ans, dans le donjon d’un château, seule.
… Où est ma mère ? demanda-t-elle aux servantes homuncules.
« Elle est à l’intérieur de la Barrière pénitentiaire. »
C’était la réponse des servantes.
— Barrière pénitentiaire ? Qu’est-ce que c’est ?
« C’est une prison se trouvant proche de la métropole de Tokyo, la ville d’Itogami, le sanctuaire des démons d’Extrême-Orient. C’est un lieu d’exil éternel dans une autre dimension, isolé de ce monde. L’abominable Sorcière du Vide a trahi votre mère et la garde captive dans les ténèbres. »
Les paroles des servantes tombèrent sur la petite fille qui venait de naître comme une malédiction.
« Vous êtes née pour servir d’atout à la Maîtresse Aya pour lui permettre de s’échapper de son enfermement. Vous êtes une sorcière au sang pur, ayant conclu un pacte avec un diable à la naissance. Vous êtes la Sorcière Bleue, protégée par le Chevalier Bleu. »
La fille n’avait rien compris. Tout ce qu’elle comprenait, c’était que sa mère était enfermée dans un endroit très éloigné et qu’elle avait besoin d’elle pour s’échapper de cet endroit.
Mais la fille avait encore des doutes.
Si elle était née pour lui permettre de s’évader de prison, que lui arriverait-il une fois cet objectif atteint ? Sa propre mère aurait-elle besoin d’elle une fois qu’elle ne serait plus captive… ?
« Votre corps est encore jeune. De longues années seront nécessaires avant que vous ne soyez capable d’utiliser pleinement votre énergie démoniaque. Une fois que vous aurez atteint votre seizième anniversaire, la saison des ténèbres commencera, le jour de la fête des feux de joie, vous irez au Sanctuaire des Démons et vous déchirerez la Barrière pénitentiaire. »
Les servantes n’avaient pas dissipé ses doutes. Les seuls mots qu’elles répétaient sans cesse étaient de graver dans son esprit les détails du plan de sauvetage de sa mère.
C’était aussi une malédiction que sa mère lui avait jetée. Elle était née comme un outil, une partie d’un plan complexe pour le grand sort qui allait la libérer.
« Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Nous, de la Bibliothèque, vous apporterons notre soutien de toutes les manières possibles. Tout est comme votre mère le désire… »
Comme les servantes le lui avaient dit, son treizième anniversaire fut l’occasion pour de nombreux sorciers de visiter le château.
Ils lui avaient accordé toutes sortes de connaissances : sur l’organisation appelée LCO, sur le Sanctuaire des Démons, comment déchiffrer les grimoires, comment contrôler son Gardien, comment faire usage de ses pouvoirs de sorcière — .
Dès sa naissance, son affinité pour la sorcellerie était bien au-delà de la norme, finalement, elle avait obtenu le titre de bibliothécaire de l’organisation. Cependant, il n’y avait toujours personne pour répondre à sa question.
— Son existence avait-elle une valeur autre que son rôle dans le plan ?
Elle avait posé sa question au Gardien qui se tenait derrière son dos.
Cependant, aucune réponse n’était venue du chevalier sans visage. Il n’y avait jamais eu de réponse.
***
Partie 2
Kojou et Yukina avaient ainsi pu échapper à la foule sur la route principale et ils avaient couru dans une ruelle étroite.
Il va sans dire que Yukina en robe et tablier, ressemblant à une réfugiée d’un conte de fées, et Kojou, actuellement coincé dans le corps de Yuuma, présentait en vérité tout un spectacle lorsqu’ils étaient ensemble. Même dans une ville pleine de touristes costumés, le fait de les voir courir ensemble, sans même qu’ils ne fassent un seul coup d’œil sur le côté, les faisait vraiment ressortir, et donc, tout le monde les regardait directement. Mais alors qu’ils sortaient de l’allée et arrivaient sur une place, un groupe encore plus étrange les attendait.
Il s’agissait de flics antiémeutes portant des boucliers et des voitures blindées construites avec un blindage de couleur grise. C’était une barricade des gardes de l’île.
Kojou avait contracté ses dents de derrière en levant les yeux vers la structure géante qui les surplombait
« Ah, merde… ! Ils se sont aussi enfermés par ici ! » s’écria Kojou.
Le toit de la pyramide inversée qui était le symbole de l’île d’Itogami avait été recourt par une masse de tentacules effrayants qui semblaient venir d’un kraken. C’était le monstre que Yukina avait étiqueté de Gardien de sorcière.
La police antiémeute de la garde de l’île avait tenté de combattre ce gardien. Quatre hélicoptères de combat tourbillonnaient au-dessus du bâtiment, tirant avec des mitrailleuses et des fusées de purification dans un barrage sans merci.
Kojou était hors de lui quand il leva les yeux vers les flammes qui se répandaient.
« Bon sang, ils ont sorti l’artillerie lourde… ! » s’écria Kojou.
L’assaut avait brisé des fragments de l’édifice qui s’étaient déversés comme de la grêle tombant du ciel. Les ricochets et les balles perdues semblaient causer des dommages considérables aux bâtiments environnants. Ils avaient sans doute bouclé les environs pour empêcher les civils d’être blessés par des combats aussi féroces. Mais.
« On ne peut pas s’approcher comme ça, n’est-ce pas ? » s’était demandé Yukina à voix haute.
« Eh bien, c’est leur travail. S’il y a quoi que ce soit que nous devrions louer, c’est qu’ils ont réagi si vite, mais…, » répondit Kojou.
Yukina et Kojou murmuraient tous les deux avec des tons impatients. Quoi qu’il en soit, les gardes de l’île faisant un travail typiquement robuste pour boucler la zone, il était inutile d’essayer de percer la Porte de la Clef de Voûte pour s’y rendre. Même si Yukina était une Chamane Épéiste avec toutes les qualifications requises, ils ne les laisseraient jamais entrer sur un champ de bataille avec des hélicoptères de combat qui bourdonnaient dans le ciel.
De plus, la police antiémeute avait commencé à bombarder le toit du bâtiment depuis le sol. Il s’agissait d’un barrage de canons de défense anti-démons chargés de balles explosives anti-démons. En plus des explosions elles-mêmes, des fléchettes en alliage Argent-Elysium aux propriétés hautement purifiantes avaient frappé le corps du monstre. Mais il n’y avait aucun changement visible dans les mouvements du monstre.
« … Pas une égratignure !? » dit Kojou en s’élançant.
Yukina avait analysé la situation d’une voix posée. « Ce Gardien a probablement été renforcé par magie… Il peut très bien être imperméable aux attaques. »
Il faudrait une quantité d’énergie magique au-delà de tout bon sens pour enchanter une créature de cette taille, mais il était possible pour une sorcière avec la faveur d’un diable de réussir cela.
Ayant résisté à l’assaut avec aisance, le monstre avait commencé sa contre-offensive.
Il étendit l’un de ses tentacules marbrés comme un fouet, l’enroulant autour de l’un des hélicoptères de combat et l’arrachant du ciel en un instant. L’hélicoptère hors de contrôle avait craché des flammes en tombant vers la terre. Il heurta le sol durement, dégageant une énorme quantité de fumées à la suite de l’explosion. Le tremblement étrange du sol du Gigaflotteur et les échos de l’explosion entre les grands bâtiments donnaient l’impression qu’ils regardaient un film de monstres géants de près.
Kojou gémit lamentablement quand une odeur de brûlé se répandit dans l’air. « Argh… »
L’hélicoptère de combat n’avait pas été piloté, mais il y avait eu des blessés lors de l’explosion. Si les combats se poursuivaient ainsi, ce n’était qu’une question de temps avant que même les civils ne soient affectés par ça.
De plus, la puissance démoniaque émise par le haut de l’édifice s’intensifiait encore plus. Même si Yukina et Kojou s’étaient trouvés bloqués, Yuuma se rapprochait de la fin de son rituel magique.
Yukina s’était mordu la lèvre inférieure sans un mot. Sa lance pouvait facilement déchirer le sort qui renforçait la chair du Gardien. Malgré cela, le monstre se trouvait sur le toit d’un immeuble à plusieurs centaines de mètres de distance, bien au-delà de sa portée.
Kojou avait sorti son téléphone portable pour chercher sur sa carte. « Il doit y avoir un moyen de passer à côté d’eux… »
Dans un cas comme celui-ci, il se fichait de savoir s’il s’agissait d’un tunnel ou d’un puits d’entretien dans le Gigaflotteur, s’il pouvait seulement trouver un moyen d’atteindre la Porte de la Clef de Voûte sans être arrêté par la garde de l’île — .
Mais Kojou avait plissé les yeux avec un sentiment de tension en regardant la photo qui lui servait de fond d’écran.
« Qui diable a fait ça… !? … Est-ce Asagi ? » s’exclama Kojou.
Le visage innocemment endormi de sa camarade de classe y était exposé. Elle avait l’air plus enfantine sans maquillage, avec une légère trace de bave sur le coin de ses lèvres, mais cela ne la rendait que plus mignonne. Il avait l’impression de regarder un chaton se prélasser joyeusement au soleil.
Yukina fixa Kojou d’un regard glacial, tandis qu’il fixait l’image en état de choc, et demanda. « Senpai, où as-tu eu cette photo… ? ? »
« N-Non ! Ce n’était pas moi ! Quelqu’un a téléchargé ça sur mon tel... Attends, ah ? » s’écria Kojou.
Kojou secouait désespérément la tête quand elle avait soudain cliqué : une icône qu’il n’avait jamais vue auparavant avait été ajoutée dans le coin de l’image du papier peint. L’icône montrait la Porte de la Clef de Voûte, le texte disait, « Info Route. »
« Himeragi, par ici ! » s’écria Kojou.
« S-S-S-Senpai… ? » s’écria Yukina.
Kojou avait pris la main de Yukina et s’était mis à courir dans une direction sans aucun rapport. Yukina était encore confuse par l’action soudaine qu’elle avait suivie, presque comme si elle avait été traînée par lui. Kojou avait simplement suivi les instructions sur son écran de navigation et avait plongé dans un bâtiment inconnu.
Ce n’était pas qu’il faisait confiance à une application installée derrière son dos, mais il n’avait pas d’autres pistes pour sortir de l’impasse. Ils étaient foutus de toute façon, alors pourquoi ne pas tenter le coup ?
Mais le phénomène qui en avait résulté avait été bien au-delà des attentes de Kojou. Il avait été assailli par des étourdissements, un sentiment étrange de flottement et un léger impact. Quand sa vision avait cessé de trembler, Yukina et Kojou se trouvaient dans un centre commercial inconnu.
« Une téléportation — !? Senpai, qu’est-ce que c’est ? » demanda Yukina.
Saisissant rapidement la situation, Yukina déplaça les yeux vers Kojou alors qu’elle était en état de choc. Kojou fixa l’écran de son téléphone et secoua la tête.
« Ce programme de navigation dit que c’est la route pour se rendre à la Porte de la Clef de Voûte. Je pense qu’on arrivera à destination après un tas d’autres sauts, » répondit Kojou.
« Donc cela utilise-t-il l’ingénierie inverse des distorsions spatiales ? Qui sur terre… ? » s’exclama Yukina.
« Est-ce Asagi qui a fait ça… ? » murmura Kojou.
Il ne savait pas comment ni pourquoi, mais que Kojou pouvait accepter une telle action venant d’elle.
Sur le plan technologique, l’utilisation des instabilités momentanées causées par les distorsions spatiales pour se rendre à destination par le chemin le plus court était réalisable grâce à l’appui du réseau traversant la ville d’Itogami. Mais il faudrait un administrateur système d’un niveau de compétence incroyablement élevé pour que cela devienne une réalité. Pour Kojou, elle était la seule à pouvoir produire un tel logiciel comme celui-là en une nuit.
Cela dit, Kojou ne pensait pas qu’Asagi avait envoyé cette application sur son téléphone portable… encore moins avec la photo de son visage endormi. D’abord, elle n’aurait pas dû savoir qu’il se dirigeait vers la Porte de la Clef de Voûte. Quelqu’un était placé au-dessus de la scène et tirait les ficelles. C’était peut-être la Corporation de Management du Gigaflotteur, peut-être l’Organisation du Roi Lion… Quelqu’un utilisait Kojou et Yukina pour surmonter la situation imminente.
Mais ils n’avaient pas le temps de trouver qui était derrière tout ça.
« Bref, il faut jouer les cartes qu’on a. La prochaine est un virage à droite à une intersection à deux cents mètres par ici, » déclara Kojou.
« Oui, » répondit Yukina.
Yukina avait fidèlement suivi les instructions de Kojou et s’était mise à courir. Alors qu’ils prenaient le virage, le sentiment de flotter à nouveau s’était fait sentir. Les distorsions spatiales leur avaient causé beaucoup de chagrin depuis la veille, mais en les utilisant, ils avaient maintenant un moyen de franchir les barricades jusqu’à la Porte de la Clef de Voûte. Dès qu’ils eurent terminé leur quatrième saut, une tour d’acier familière avait bondi dans les champs de vision de Kojou et Yukina. C’était l’endroit le plus haut de l’île Itogami. Il s’agissait d’une salle d’observation vitrée au pied d’une tour de cellules, en d’autres termes, le toit de la Porte de la Clef de Voûte.
Kojou criait à pleins poumons quand il s’était rendu compte que des tentacules les avaient encerclés dès qu’ils avaient atteint le toit.
« … Ce monstre est jusqu’ici !? » s’écria Kojou.
Maintenant qu’il voyait les tentacules marbrés de près, ils avaient l’air encore plus imposants qu’il ne l’avait imaginé. La surface de la peau recouverte de mucus était étrangement noueuse, avec des veines pulsantes visibles, ressemblant à un essaim de serpents.
Les tentacules, leurs nombres apparemment sans fin, et ils s’étaient enchevêtrés dans un motif complexe alors qu’ils avaient essayé d’écraser Kojou et Yukina comme des insectes.
Un flash d’argent intense les avait découpés en tranches.
« Loup de la dérive des neiges — ! »
La lance d’argent que Yukina avait avancé avait tranché à travers les tentacules, des dizaines de centimètres d’épaisseur et de diamètres, comme s’ils étaient du papier.
Le monstre, dont les balles de trente millimètres tirées par des hélicoptères de combat et des fusées équipées d’ogives purificatrices de démons n’avaient même pas réussi à égratigner, était coupé en rubans par la lance d’une petite fille sans défense, les morceaux s’envolant tout autour d’elle. C’était la capacité de l’arme secrète de l’Organisation du Roi Lion, le « Schneewaltzer », quand il était utilisé.
« Yuuma ! » cria Kojou.
Comme la barrière de tentacules faits par le Gardien des sorcières avait été brisée, la vue de la cérémonie qui se déroulait à l’intérieur avait été exposée. C’était un cercle magique dessiné avec du sang frais. Deux sorcières se tenaient à droite et à gauche. Et au centre du cercle se tenait un jeune homme vêtu d’un costume noir formel. C’est un imperméable qui aurait fait crier n’importe qui avec le mot : Vampire ! C’était la tenue que Nagisa avait achetée à Kojou pour lui servir de costume.
« Tu es en avance, Kojou. »
Le jeune homme tourna la tête et appela Kojou par son prénom. C’était le visage mondain d’un lycéen ordinaire. La seule chose qui le caractérisait, c’était l’aspect clair de ses avant-bras dans l’obscurité, comme si le clair de lune brillait sur eux.
Là, devant eux, se tenait le corps physique de Kojou Akatsuki.
« Tu as toujours été comme ça. Tu te pointes à des endroits très importants sans aucune idée de ce qui se passe. »
Une expression angoissée s’était emparée de Kojou alors qu’il regardait son propre corps.
« Yuuma… tu es… »
Yuuma tenait une sorte de grimoire dans sa main. Et l’énorme pouvoir magique qui traînait du bout de ses doigts maintenait le grimoire actif, car il provoquait une distorsion de l’espace. Ce fait avait conduit Kojou vers le désespoir.
Jusqu’à ce qu’il le regarde en face, son cœur avait en effet gardé le faible espoir que Yuuma n’était qu’une amie d’enfance et n’était pas mêlée à cet incident, ou que si elle l’était, c’était purement comme une victime.
Mais il avait finalement accepté la vérité. Yuuma avait vraiment détourné le corps de Kojou.
Elle était la meneuse de ce cirque.
Yuuma eut un sourire doux, comme si elle consolait un Kojou qui agonisait.
« Ne t’inquiète pas. Je te rendrai ce corps bien assez tôt. N’attends-tu pas encore un peu ? Je vais la retrouver très bientôt, » déclara Yuuma.
« La trouver… trouver qui… ? » demanda Kojou.
« Ma mère. Je ne l’ai pas rencontrée une seule fois depuis ma naissance, » répondit Yuuma.
La confusion de Kojou s’alourdit encore.
« Ta… mère… ? »
Il se souvient vaguement que la jeune Yuuma vivait loin de sa mère.
***
Partie 3
Si Yuuma était une sorcière, il n’était pas exagéré de supposer que sa mère était aussi une sorcière. Les chances que la mère de Yuuma soit dans le sanctuaire des démons de l’île d’Itogami étaient assez élevées.
Kojou pouvait comprendre ça. Mais c’est tout ce qu’il avait compris.
Il n’y avait sûrement aucune raison d’organiser un tel incident pour rencontrer sa mère.
Kojou s’approcha du cercle magique, comme s’il essayait de forcer Yuuma à dissiper ses doutes. Comme pour l’en empêcher, il entendit soudain une voix qui riait. Il ne connaissait que trop bien le ton sarcastique.
« … C’est assez, Kojou. Pourriez-vous s’il vous plaît ne pas vous rapprocher d’elle ? »
Dans une incrédulité abjecte, Kojou avait déplacé son regard vers la voix.
« !? Qu’est-ce que tu fous ici… !? » s’écria Kojou.
Un jeune aristocrate blond aux yeux bleus se tenait là. Appuyé contre la tour d’acier, il avait un sourire excessivement éloquent sur son visage.
« Salut. Kojou, vous êtes devenu un peu plus mignon depuis la dernière fois que je vous ai vu. » Un frisson avait traversé Kojou face au son de la voix de Vattler… et comment il avait l’air de se lécher les lèvres.
Ce n’est pas qu’il avait peur d’un vampire de la vieille garde devant lui. Pour Kojou, le jeune aristocrate était, en un sens, un adversaire plus dangereux que le Premier Primogéniteur, le seigneur de guerre perdu, lui-même. Après tout, c’était l’homme qui avait offert son amour à Kojou, même si Kojou était lui-même un homme. Il était trop terrifié pour penser à quoi il ressemblait maintenant pour Vattler alors qu’il était coincé dans le corps de Yuuma.
Kojou avait donc changé de sujet à la hâte. « Ne me dis pas que tu es dans le coup !? »
« Non, non, non, j’attends que les dames ouvrent la Barrière pénitentiaire. »
Kojou fut abasourdi par les paroles inattendues que Vattler avait prononcées.
« La Barrière pénitentiaire… !? » s’écria Kojou.
Même Kojou avait entendu parler de la Barrière pénitentiaire, une prison cachée dans laquelle de dangereux criminels sorciers étaient enfermés. C’était une prison fantôme. Personne ne savait où elle se trouvait, ni même si elle existait vraiment.
C’était peut-être un endroit où les âmes des criminels exécutés hantaient, alors qu’ils n’arrivaient jamais à atteindre l’au-delà, c’était peut-être un autre nom pour un temple à un dieu maléfique qui avait sombré au fond de la mer. C’était l’une des légendes urbaines les plus durables de l’île d’Itogami.
« Donc ce n’était pas juste une histoire de fantômes… !? » déclara Kojou.
« Pas du tout. La Barrière pénitentiaire est une construction faite par l’homme, d’un autre monde, utilisant les lignes de ley qui coulent sous le Sanctuaire des Démons. Même les directeurs qui l’ont construite ne savent pas où elle se trouve vraiment, mais je vous assure qu’elle existe — quelque part ici dans la Ville d’Itogami. »
« Je vois, ces distorsions spatiales… Elles doivent permettre de trouver l’emplacement de la Barrière pénitentiaire…, » déclara Kojou.
Yuuma faisait plier l’espace dans toute la ville d’Itogami pour trouver une place cachée dans un virage de l’espace. Ils cherchaient la Barrière pénitentiaire cachée, un peu comme les gens utilisaient de la poussière de graphite pour mettre en évidence les impressions laissées sur un bloc-notes.
« Par ailleurs, l’ouverture du sceau de la Barrière pénitentiaire nécessite un excellent rituel de contrôle spatial et une énorme quantité d’énergie magique qui surpasse les limites de l’espace, » déclara Vattler.
Tandis que Vattler finissait d’expliquer le tour de magicien, Kojou retourna son regard vers Yuuma, debout là, sans un mot.
Maintenant, il sentait qu’il pouvait comprendre le sens de ses paroles.
Yuuma était une sorcière spécialisée dans le contrôle spatial. Cependant, peu importe la faveur qu’un diable lui avait accordée, elle n’avait pas le pouvoir magique nécessaire pour noyer les lignes de ley. Le seul ici qui en ait eu un était un ancêtre vampire dont on parlait en même temps qu’on le désignait comme une catastrophe naturelle — en d’autres termes, Kojou.
Ayant obtenu le pouvoir du quatrième Primogéniteur de façon irrégulière, Kojou était un vampire incomplet. Il était en grande partie dépourvu des capacités spéciales que possédaient ses compagnons démons, et des Vassaux Bestiaux qui habitaient dans son corps, il avait été capable d’en dompter que trois. Cependant, le corps physique de Kojou possédait certainement une quantité titanesque d’énergie démoniaque.
Pour Kojou, c’était une énergie démoniaque sans valeur qu’il n’avait aucun moyen de contrôler, mais Yuuma, bien versé dans les sorts magiques, le pouvait. C’est pourquoi elle avait besoin du corps de Kojou. « C’est donc… ce que c’est… ? »
Yuuma avait dit qu’elle cherchait sa mère. C’est pourquoi elle essayait de briser le sceau de la Barrière pénitentiaire, parce que sa mère, pour quelque raison que ce soit, se trouvait à l’intérieur de la Barrière pénitentiaire.
Une sorcière au sang pur née d’une mère enfermée en tant qu’une sorcière criminelle… C’était la vérité derrière Yuuma Tokoyogi.
Mais Kojou ne pensait pas qu’une mère forçant sa fille à la faire sortir de prison était l’acte d’un être humain sain d’esprit. De plus, la mère de Yuuma n’était probablement pas la seule criminelle enfermée dans la Barrière pénitentiaire.
« Ça va être tellement amusant… Tous ces criminels-sorciers enfermés dans un labyrinthe dans d’autres dimensions sont là. Et ils seront lâchés sur la ville d’un seul coup. Eh bien, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles — j’en prendrai l’entière responsabilité et les recapturerais, » déclara Vattler.
Alors que Vattler murmurait d’un ton trop agréable…
« Es-tu un crétin !? Je ne peux pas dormir sur mes deux oreilles !! » cria Kojou.
Les veines de Kojou s’étaient gonflées quand il avait crié. Il comprenait maintenant parfaitement pourquoi Vattler regardait Yuuma et ses compatriotes faire leur travail : Vattler, un maniaque de la bataille de part en part, attendait que les criminels soient relâchés, uniquement pour qu’il puisse les combattre.
Après avoir apparemment dit tout ce qu’il voulait dire, Vattler s’était transformé en une brume dorée et avait disparu. Contrairement à Kojou, un vampire complet comme lui était capable d’utiliser de tels moyens pour se déplacer quand et où il le voulait.
Mais ce n’était plus le moment ni l’endroit pour s’occuper de cet homme gênant. Yuuma avait besoin du corps de Kojou pour briser la barrière de la prison. Donc, si Kojou pouvait reprendre son propre corps, ça devrait suffire à l’arrêter.
L’instant d’après, alors que Kojou regardait Yuuma avec cette pensée en tête…
« Senpai, baisse-toi ! » cria Yukina à Kojou d’une voix aiguë.
Tandis que Kojou haletait et levait les yeux, son champ de vision était enseveli sous des tentacules géants. Le Gardien des sorcières avait reçu l’ordre d’envelopper Kojou et de l’arrêter net.
« — !? »
Yukina avait fauché les tentacules effectuant un assaut, avec sa lance. Cependant, les tentacules n’avaient pas cessé de bouger. Les tentacules de remplacement se succédèrent, resserrant la pression sur Kojou et Yukina.
Les sorcières à droite et à gauche de Yuuma contrôlaient les tentacules. Contrairement à l’attitude chaleureuse de Yuuma, la violence et les ravages avaient fait tourner leurs visages dans la joie. C’était elles qui avaient fait tomber les hélicoptères de combat de la garde de l’île et avaient infligé de graves dommages aux zones urbaines.
Le front de Yukina tremblait légèrement lorsqu’elle s’était rendu compte du rituel qu’elles employaient.
« Sœurs sorcières noires et écarlates… ! Ceux de la tragédie d’Ashdown… !? » s’exclama Yukina.
Les sœurs sorcières semblaient très heureuses pour une raison ou une autre alors qu’elles faisaient des rires hautains et aigus.
« Je vois… Celle qui peut tenir tête à notre Gardien est donc une petite fille consciencieuse et instruite, » déclara la sorcière noire.
La sorcière écarlate était d’accord avec sa sœur alors qu’elle caressait le grimoire dans sa main. « — Je suppose que c’est une sorte de jeune fille de sanctuaire ? Qu’est-ce que tu veux faire, ma sœur ? »
La sorcière noire haussa les épaules dans une grande représentation théâtrale.
« Si je le pouvais, je lierais leurs mains et leurs pieds, leur arracherais le ventre et les utiliserais comme sacrifices pour notre rituel, mais nous ne pouvons pas traiter le corps de la sorcière bleue de la sorte… Traitons-les avec politesse jusqu’à ce que nous trouvions ce que nous cherchons. »
« C’est vraiment dommage. De si jolies filles, elles feraient de si beaux cadavres — . »
Le Gardien attaqua avec plus de férocité, car leurs grimoires émettaient une lueur inquiétante.
« Argh !? »
« — Himeragi !? »
Incapable de résister à la force des tentacules qui avançaient, Yukina se retira petit à petit. La lance de Yukina avait été capable de neutraliser l’aile défensive du Gardien, mais elle n’avait pas pu se défendre contre la masse du monstre matérialisé. D’une manière ou d’une autre, ses incroyables talents de lanceur avaient repoussé ses attaques, mais Yukina elle-même était une petite collégienne. Elle avait détourné et découpé les tentacules attaquants un par un, mais l’effort intense qu’il lui avait fallu pour le faire avait épuisé son endurance physique.
Et tout ce que Kojou pouvait faire, c’était rester là et regarder.
S’il avait pu utiliser les vassaux bestiaux du quatrième Primogéniteur, il aurait pu annihiler les tentacules, les racines et les branches, mais Kojou n’avait aucun moyen de les appeler maintenant qu’il avait été coupé de son corps physique. Avec sa connaissance des sorts magiques, Yuuma pouvait utiliser la magie même si elle avait été coupée de son propre corps.
Cependant, les capacités de Kojou n’étaient que la conséquence du fait qu’il était devenu un vampire. Coupé de son propre corps, Kojou n’avait pas plus de pouvoir que la moyenne des gens.
Kojou ne pouvait même pas s’approcher de Yuuma, et encore moins l’arrêter.
Tous les hélicoptères de combat de la garde de l’île avaient déjà été retirés du ciel, les bombardements du sol ne pouvaient pas briser les défenses du Gardien. L’entrée du toit avait déjà été bloquée par les tentacules, ils ne pouvaient donc pas espérer des renforts du sol.
Kojou gémit faiblement en regardant tout autour de lui.
« Merde… ! Qu’est-ce que je peux faire ici… ? » s’écria Kojou.
Il n’y avait rien qu’il pouvait utiliser comme arme. En plus, il ne pouvait pas sortir de derrière le dos de Yukina. Un faux mouvement, et il serait pris par les tentacules et cela alourdirait encore le fardeau de Yukina. Kojou ne pouvait que désespérer de son impuissance.
Comme pour se moquer de cette impuissance, un nouveau tentacule apparu derrière les deux individus. Il s’était abattu sur le plancher du toit, en décrivant des cercles pour attaquer Yukina depuis son angle mort. Naturellement, même Yukina n’avait aucun moyen de le repousser.
Quand Kojou avait levé le visage en état de choc, une fille d’un pays lointain se trouvait là, tenant un pistolet d’or, ses longs cheveux d’argent battant dans le vent. Puis, une grande fille aux cheveux longs bondit vers l’avant, soulevant une longue épée de couleur argentée en haut.
« Écaille lustrée ! »
L’épée de couleur argentée que la jeune fille utilisa trancha les innombrables tentacules sans aucun signe de résistance. C’était la première capacité de l’arme suprême de l’Organisation du Roi Lion, Der Freischötz — un effet imitant la coupure de l’espace lui-même.
« La Folia ! »
« — Sayaka !? »
Kojou et Yukina étaient plus choqués que ravis de l’arrivée soudaine et inattendue de la cavalerie.
Après tout, les environs de la Porte de la Clef de Voûte étaient encore fermés par la garde de l’île, et les couloirs menant au toit étaient fermés hermétiquement par des tentacules. Elles n’auraient pas dû pouvoir entrer.
Kojou avait posé la question évidente en voyant Sayaka et La Folia émerger avec une précision extrême. « D’où venez-vous toutes les deux… !!? »
La longue queue de cheval de Sayaka se balançait en regardant vers lui, presque comme si elle attendait qu’il le lui demande.
« Nous sommes venus te sauver, Kojou Akatsuki. Tu es vraiment très exigeant. Quand je ne suis pas là, tu ne fais que troubler Yukina…, » déclara Sayaka.
Puis, son visage s’était figé dans l’étonnement quand elle avait remarqué l’apparence de Kojou alors qu’il se tenait là. Il ne lui était sûrement jamais venu à l’esprit que ce ne serait pas Kojou qui se tiendrait à côté de Yukina dans cette situation, mais plutôt une fille qu’elle n’avait jamais vue auparavant. « Euh… qui êtes-vous ? »
Kojou se gratta maladroitement le visage en voyant la confusion de Sayaka. Il s’était rappelé tardivement que Sayaka et La Folia ne savaient toujours pas que Yuuma avait échangé des corps avec Kojou.
Yukina avait parlé pendant que Kojou hésitait sur le type de réponse à donner. « Euh… C’est Akatsuki-senpai en ce moment. Pour faire court, il est devenu une fille. »
C’était une explication assez grossière, mais les petits détails n’allaient rien changer.
La Folia déclara « Oh mon Dieu ! » alors que ses yeux s’élargissaient dût à la surprise.
Sayaka s’était figée comme si son esprit était ailleurs, puis, pour une raison quelconque, elle avait l’air presque prête à pleurer en criant…
« C’est quoi ce bordel !? »
Curieusement, c’était en grande partie le même cri qui était sorti de la bouche de Kojou une demi-journée auparavant.
***
Partie 4
L’île ouest — Thetis Mall. Motoki Yaze se tenait sur le toit du parking du centre commercial avec son téléphone portable à la main, à environ deux kilomètres de la Porte de la Clef de Voûte.
Il parlait, non pas avec un humain, mais avec une voix synthétisée d’un ton étrangement humain.
Une expression maussade était venue à Yaze à propos du ton de l’IA qui transmettait un amusement clair. « On dirait que ça a marché, hein ? »
« Bien sûr que ça a marché. Nous avons traversé un pont dangereux pour arriver ici. »
« Heh-heh… Kensei Kanase, hein ? Tu as de mauvaises fréquentations. »
Yaze tourna les yeux vers la Porte de la Clef de Voûte alors qu’il hochait la tête en silence en entendant les paroles de Mogwai.
Alors que Sayaka et La Folia émergeaient de la téléportation, une autre personne se tenait derrière eux : un homme portant un costume noir comme l’habit d’un prêtre. Kensei Kanase — ex-ingénieur sorcier royal d’Aldegia. C’est lui qui avait transporté Sayaka et la princesse chez les sœurs sorcières.
Yaze avait parlé d’un ton négligent. « Les sorcières n’ont pas de brevet sur la magie de contrôle spatial. N’importe quel sorcier de haut niveau peut téléporter et déplacer de la matière. Facile pour l’ingénieur sorcier de la cour royale d’Aldegian. »
La cause des anomalies spatiales qui enveloppent l’île d’Itogami est le rituel magique qui se déroulait à la Porte de la Clef de Voûte. Alors, détruisez le rituel. C’est la princesse La Folia qui l’avait suggéré.
Une règle de fer dans la conduite de rituels magiques de grande envergure consistait à mettre en place un service de sécurité puissant pour empêcher les intrus de s’immiscer dans la vie des gens. Mais les sorcières du LCO n’avaient pas mis en place un service capable de bloquer la magie du contrôle spatial. Ils avaient profité de cette faiblesse pour lancer une attaque-surprise par téléportation.
Elle avait présenté deux conditions pour que cela se produise.
Le premier était que Kensei Kanase, en détention pour l’incident de la Faux-Ange depuis l’autre jour, soit libéré sous caution. La princesse, dont la puissante énergie spirituelle ne servait qu’à repousser les distorsions spatiales loin de son chemin, avait absolument besoin d’un puissant sorcier capable d’utiliser un sort de téléportation.
L’autre condition était que la Garde de l’île demande que les Chevaliers aldégiens de la seconde venue participent aux combats dans la ville.
C’était une condition qui n’aurait pas dû être permise par la loi, mais le fait d’y arriver aurait permis d’inverser la tendance. C’était un sanctuaire de démons — si vous vouliez faire une omelette, vous deviez casser quelques œufs.
« Et les Chevaliers ? »
« Déjà déployé. Leurs réacteurs spirituels s’activent maintenant. Ils seront actifs dans 90 secondes. »
Yaze murmura, apparemment satisfait, mais son visage ne le montra pas. « … C’est ce que je veux dire. On dirait qu’on a toutes nos cartes prêtes à jouer. »
Une chamane épéiste et une danseuse de guerre chamanique de l’Organisation du Roi Lion avaient été déployées, ainsi que la princesse La Folia, maître spirituel à part entière. Il se demandait si les Sœurs Meyer pouvaient égaler tout cela.
Mais ils n’étaient pas la vraie menace. Le problème était que le corps de Kojou Akatsuki, le quatrième Primogéniteur, était toujours aux mains de l’ennemi. Celle qui avait volé son corps était la sorcière qui avait été la meneuse pendant tout l’incident.
Mogwai fit un rire amusé comme s’il se moquait de l’angoisse de Yaze. « C’est un vrai choc que le 4e Primogéniteur se soit transformé en nana. Qui aurait cru ça ? »
« Asagi s’évanouirait si elle l’apprenait. C’est plus choquant que de découvrir que Kojou est un vampire. » Je me donne beaucoup de mal pour vous, les gars, pensait Yaze en soupirant. Kojou avait vraiment besoin de retrouver son corps rapidement, pour son bien et celui de ses amis.
En réalité, Yaze était aussi surpris que n’importe qui.
Yaze, le vrai observateur de Kojou Akatsuki, n’avait pas pu utiliser son Paysage sonore à cause du Festival de la Veillée Funèbre. En plus de cela, le soulèvement du LCO l’avait fait travailler jusqu’à l’os depuis la veille. À cause de cela, il avait été très lent à comprendre que quelque chose était arrivé à Kojou.
« Yuuma Tokoyogi, hein ? » s’exclama Yaze. « C’est incroyable qu’elle ait utilisé son vrai nom. Une vieille amie de Kojou Akatsuki, qui vient d’obtenir le pouvoir du quatrième Primogéniteur il y a six mois, et descendante de sang de la grande bibliothécaire du LCO… C’est une coïncidence, non ? »
Aya Tokoyogi, la sorcière de Notalia. Elle avait été enfermée dix ans auparavant et tous les documents publics avaient été effacés, de sorte que la douane de la Ville d’Itogami n’avait même pas vérifié son nom de famille.
De plus, il n’y avait aucune trace de l’implication de Yuuma elle-même dans un crime de sorcier. Bien sûr, elle n’était pas sur le radar de la Corporation de Management du Gigaflotteur, mais même l’Organisation du Roi Lion ne se méfiait pas d’elle. Ainsi, Yuuma avait atterri sur l’île d’Itogami avec toutes les formalités nécessaires, capable de préparer son rituel avec désinvolture.
Cependant, l’idée qu’une personne sans casier judiciaire comme Yuuma puisse obtenir un poste de direction au LCO était étrange. Son passé avant sa rencontre avec Kojou était inconnu, mais elle n’avait été impliquée dans aucun incident digne de mention jusqu’à présent, et elle n’avait aucun motif de devenir une criminelle.
C’est tout ce qu’il y avait à dire. Yuuma Tokoyogi était une chose vide. On lui avait accordé les capacités nécessaires pour relancer cet incident… et rien de plus. Il avait l’impression qu’elle existait pour la seule raison qu’elle se préparait à faire sortir Aya Tokoyogi de prison.
Yaze regarda la surface de la mer au nord de l’île d’Itogami en parlant.
« Je n’aime pas cette sensation, mais je n’ai pas le temps d’y regarder de plus près. Ça aussi, on dirait que ça atteint ses limites. »
La cérémonie magique des sorcières enveloppait toute l’île d’Itogami d’une distorsion spatiale chatoyante. De temps en temps, vous pouviez voir quelque chose apparaître comme un mirage.
Les contours d’un bâtiment caché dans un espace dans une autre dimension devenaient visibles, comme s’ils utilisaient de la poussière de graphite pour rendre visibles les traces d’une écriture antérieure.
« La Barrière pénitentiaire, hein… ? Le jeu va s’accélérer à ce rythme, » s’était demandé l’IA.
« … Pas le choix, alors. Je dois écraser le corps de Yuuma Tokoyogi. »
Hochant la tête aux mots de Mogwai, Yaze fit un murmure angoissé comme s’il crachait les mots.
On aurait dit que Kojou Akatsuki et Yuuma Tokoyogi avaient changé de corps, mais ce n’était qu’une illusion à la surface créée par le sort magique de Yuuma.
S’il détruisait le corps de Yuuma, la source du sort, Kojou retournerait automatiquement dans son propre corps.
Yukina avait également pensé qu’elle pouvait utiliser le Loup de la dérive des neiges pour faire la même chose, mais c’était plus délicat. Par rapport à Yukina, qui s’inquiétait des séquelles du sort sur le corps de Yuuma, Yaze avait l’intention de nuire au corps de Yuuma de mauvaise foi, brisant ainsi le sort.
Bien sûr, Yuuma périrait sûrement. Mais il n’avait pas d’autre choix pour protéger la barrière pénitentiaire.
« Un tir à longue distance ? »
« Nah. La barrière des sœurs arrêtera les attaques physiques. C’est l’heure de mon Aerodyne, » déclara Yaze.
Yaze sortit une petite pilule de sa poche. C’était une drogue qui allait temporairement renforcer ses capacités d’Hyper-Adaptateur.
La défense que les Sœurs Meyer avaient déployée en utilisant le grimoire Harmonious Expectations avait bloqué presque tous les sorts, sauf la magie du contrôle spatial. Cependant, il y avait des exceptions : la lumière, la gravité et l’air, qui existaient naturellement dans le monde, de sorte que les attaques d’airs, ne les voyant pas comme une menace, n’étaient pas bloquées par leur défense.
Cela dit, il était probable que le tir d’un laser et l’envoi de gaz toxique échoueraient, car il s’agissait de choses qui n’étaient pas en harmonie avec le monde de la nature. Mais le pouvoir de Yaze était différent.
Yaze était un Hyper-Adaptateur — un médium naturel qui ne comptait pas sur la magie. Et en manipulant le flux d’air qui existait déjà à l’intérieur de la zone pour créer une rafale soudaine, il soufflerait Yuuma Tokoyogi jusqu’au sol. C’était le plan que Yaze avait choisi pour résoudre ce problème.
« Désolé, Kojou. Ça va faire un peu mal —, » alors que Yaze murmurait avec une logique commode, « Tu as l’habitude de mourir maintenant de toute façon, » il s’était jeté une pilule dans la bouche.
Détournant consciemment les yeux, moins dus à l’amertume de la pilule qu’il goûtait que de l’angoisse que souffrirait Kojou de perdre une amie, Yaze avait mordu dedans et activé son pouvoir — .
« Oups… le temps est écoulé, » Mogwai l’avait interrompu.
« Quoi!? » s’écria Yaze.
Au moment où Mogwai avait fait ce rapport, une vaste quantité inattendue d’énergie démoniaque avait jailli de la Porte de la Clef de Voûte. L’incroyable rafale de vent qui balayait simultanément la région avait noyé la capacité de Yaze.
La limite de l’immense bâtiment, destiné à être isolé dans un autre monde, avait été déchirée, l’entraînant dans l’espace normal. C’était la cause du vent violent.
« Oh, c’est génial, » murmura Yaze. Une petite île rocheuse avait émergé au-delà de la pointe nord de l’île Itogami. Une cathédrale en pierre se dressait à son apogée.
« La Barrière pénitentiaire… ! » gémit Yaze en regardant la cathédrale. Sa voix, empreinte de désespoir, s’était évanouie dans le vent sauvage et violent.
***
Partie 5
Même maintenant, juste après l’apparition de la Barrière pénitentiaire, Sayaka Kirasaka n’avait pas réussi à se remettre de son choc.
« C’est vraiment Kojou Akatsuki!? Non pas que je comprenne vraiment tout ça !? » s’écria Sayaka.
Apparemment, elle avait été secouée par la révélation que Kojou s’était transformé en fille. Tandis qu’elle regardait Yukina, dans une profonde vexation, elle semblait pratiquement en larmes.
Quelque chose comme ça s’est déjà produit avant, pensa Kojou. Outre sa propension à sauter aux conclusions, Sayaka semblait étonnamment fragile mentalement. C’était quelque chose d’évident ici. C’est probablement ainsi parce qu’en tant qu’aînée de Yukina, elle se poussait constamment à être calme au-delà des limites de la raison.
Puis, elle désigna Yuuma, qui se tenait au centre du cercle magique.
« C’est quoi le problème avec le “toi” qui se tient là !? » s’écria Sayaka.
« Ahh… Euh, comment dire ça… ? » Kojou bégayait.
« C’est un faux, » déclara La Folia, en quelque sorte très certaine. « Le vrai Kojou n’aurait pas un visage avec un air aussi galant. »
« Whoa ! » Sayaka hocha la tête avec une expression sérieuse, apparemment convaincue. « Vous avez raison, maintenant que vous le dites ! »
« C’est quoi ce “whoa” ? » se plaignait Kojou dans une bouderie apparente.
« Techniquement, ce corps est le mien, tu sais…, » déclara Kojou.
La princesse avait examiné la forme actuelle de Kojou de fond en comble, du haut de sa tête jusqu’au bout de ses ongles, les yeux reposant finalement sur l’ourlet de sa minijupe.
« Je dois dire… que ça ne va vraiment pas le faire, Sayaka, » déclara La Folia.
« Non, ça n’arrivera pas. » Sayaka acquiesça d’un signe de tête grave. Puis, réalisant ce qu’elle avait laissé échapper, elle s’était empressée de secouer la tête. « Eh !? Non, c’est pareil pour — !! »
« Je ne peux pas continuer la lignée royale dans ces conditions, » déclara La Folia.
« Hein !? Je vais vous faire savoir que je crois avoir entendu quelque chose de vraiment étrange à l’instant même !? » s’écria Sayaka.
« … »
Je vais les laisser pour l’instant, Kojou s’était décidé de ça dans son cœur, se tournant une fois de plus vers Yuuma.
Grâce aux attaques de La Folia et de Sayaka, le Gardien des sorcières avait été considérablement diminué. Il devrait pouvoir approcher Yuuma et lui arracher ce grimoire de la main.
Mais comme s’il lisait les pensées de Kojou, Yuuma le regarda et lui fit un sourire agréable.
L’instant d’après, une énergie démoniaque aussi épaisse que de la lave coulait d’elle, faisant briller le grimoire.
Avec un grondement comme si l’air lui-même grinçait, une rafale féroce les assaillit.
La rafale provenait de la surface de la mer à l’extrémité nord de l’île Itogami. De là, Kojou remarqua soudain les contours d’une île qu’il n’avait jamais vue auparavant.
C’était une petite île minuscule comme le pied d’une grande montagne. L’île n’avait même pas deux cents mètres de diamètre. Sa hauteur était de l’ordre de quatre-vingts mètres, mais la plus grande partie était occupée par une cathédrale forgée par des mains humaines.
Elle ressemblait beaucoup à une abbaye en Europe connue sous le nom de mont Saint-Michel. Historiquement, cette abbaye avait servi plus tard de forteresse et, plus tard encore, de prison où étaient détenus de nombreux ecclésiastiques et prisonniers politiques.
Kojou n’avait compris que l’homme était là qu’en entendant sa voix maussade par derrière. « Je vois… L’objectif de LCO est donc de franchir la Barrière pénitentiaire ? »
« Kensei Kanase… !? »
Le conférencier était un homme d’âge moyen vêtu d’un costume noir qui ressemblait à l’habit d’un prêtre. Kojou savait très bien qui il était.
Bien que cela ait été inattendu, ce n’était pas surprenant. Kensei Kanase, ancien ingénieur sorcier royal d’Aldegia, était une connaissance de La Folia. Il n’avait pas fallu un génie particulier pour deviner que la princesse l’avait utilisé comme son moyen d’arriver à la Porte de la Clef de Voûte.
« Voilà donc la Barrière pénitentiaire… ? » demanda Kojou.
Kensei hocha la tête. « Apparemment, ils l’ont fait à la frontière entre ce monde et celui-là. À ce stade, elle n’est pas pleinement matérialisée, mais — . »
« Donc le sceau n’a pas encore été brisé ? » demanda Kojou.
« Correct. C’est comme si nous nous trouvions devant une ruine enfoncée au fond de la mer depuis la surface de l’eau. Même si vous pouvez le voir, il faut encore plus de travail d’un ordre de grandeur supérieur à avant pour le remonter du fond de la mer. »
Les paroles de Kensei firent pâlir Kojou.
Vattler avait dit qu’une énorme quantité d’énergie magique était nécessaire pour matérialiser la Barrière pénitentiaire.
Mais c’était quelque chose que Yuuma avait déjà dans la paume de sa main. Elle avait simplement besoin de connaître son emplacement. Si elle savait dans quelle partie de la mer elle s’était enfoncée, alors — Kojou gémissait, ayant soudain l’impression que sa main droite était en feu.
« Arg... !? » s’écria Kojou.
Yukina s’était retournée, apparemment surprise.
« Senpai !? » s’écria Yukina.
Mais quand Kojou avait fléchi la main claire de Yuuma, elle n’avait pas été blessée.
La blessure était portée par le corps physique de Kojou, c’est-à-dire par le jeune homme debout au centre du cercle magique.
Le grimoire dans la main de Yuuma brûlait.
« Huhhhh… On dirait que celui-ci a atteint ses limites. »
Baignée dans l’énorme pouvoir magique du quatrième Primogéniteur, sa capacité avait finalement été dépassée. N’étant plus reconnaissable, il s’était consumé et s’était transformé en cendre.
« Aah, » crièrent en vain la sorcière noire et la sorcière écarlate.
« Le numéro 539 est… ! »
Elles étaient membres d’une organisation criminelle établie dans le but d’accumuler des grimoires. Il ne fait aucun doute que les sœurs sorcières avaient trouvé la perte d’un précieux grimoire insupportablement triste.
Mais Yuuma, un dirigeant de cette même organisation avait jeté le grimoire brûlé sans hésiter.
« Ce grimoire a déjà rempli sa fonction. Désolée, mais je dois y aller. »
La scène devant les yeux de Yuuma s’était doucement déformée. Espace plié, un peu comme une ondulation qui s’étendait à la surface de l’eau. Elle avait ouvert une porte de téléportation.
« Attendez — Sorcière bleue ! » la sorcière noire appela Yuuma en hâte. Cependant, Yuuma n’avait même pas regardé en réponse.
« Vous deux, restez ici et retenez-les, » déclara Yuuma.
Après avoir dit ça, elle semblait se fondre dans le vide et disparaître.
Kojou se tenait là où il était, impuissant devant un point à la surface de la mer.
« Yuuma… ! »
Il ne pouvait pas empêcher Yuuma de se déplacer par téléportation, mais il savait où elle allait. Elle se rendait à la prison pour briser complètement le sceau.
La Folia se tourna vers l’ingénieur sorcier en noir. « Kensei, peux-tu la suivre ? »
Kensei secoua calmement la tête. « Malheureusement, je ne peux pas. »
Contrairement à une sorcière qui pouvait contrôler l’espace à un niveau subconscient, les sorts de contrôle spatial comme celui de Kensei exigeaient un calcul minutieux des coordonnées avant un saut. La méthode n’était tout simplement pas assez flexible pour être utilisée pour suivre quelqu’un.
« Cependant, je peux ouvrir une porte près de la prison, » déclara Kensei.
« Compris. Alors, fais ça, » ordonna La Folia.
La princesse aux cheveux argentés avait tourné un sourire agréable et envoûtant vers Kojou et Yukina.
« Kojou. S’il te plaît, prends Yukina et partez vous deux. Nous nous occuperons des sorcières là-bas, » déclara-t-elle.
« Mais La Folia… »
Kojou hésita à bouger, résistant à l’idée de les abandonner face à l’ennemi. Cependant, la princesse secoua la tête d’un regard courageux.
« Il n’y a rien que Sayaka ou moi puissions faire contre une sorcière qui a obtenu le pouvoir démoniaque illimité du quatrième Primogéniteur. Seules Yukina, avec sa lance qui annule la magie, et Kojou, le vrai quatrième Primogéniteur, peuvent résister, » déclara La Folia.
« Compris. Sauver nos peaux ici, » déclara Kojou.
« Vous avez mes remerciements, La Folia, » déclara Yukina.
Kojou et Yukina exprimèrent leurs remerciements et regardèrent Kensei.
L’ingénieur sorcier en tenue noire hocha la tête sans un mot, arrosant le sol d’eau provenant d’une petite bouteille qu’il tenait dans sa main. La mare d’eau qui s’était formée à ses pieds montrait un endroit que Kojou ne connaissait pas. Apparemment, c’est là qu’ils allaient être envoyés.
En regardant de plus près, il vit que la zone autour de la mare d’eau était entourée d’un sort dense, détaillé et écrit à la craie. Apparemment, il ne pouvait pas contrôler l’espace comme si une capacité naturelle comme Yuuma ou Natsuki le pouvait, mais c’était un sort merveilleux en soi.
Mordant sa lèvre comme s’il renforçait sa détermination, Kojou plongea dans la scène affichée à la surface de l’eau.
« Argh ! »
Yukina l’avait immédiatement suivi.
Demeurant derrière, Kensei tomba à genoux, sa force apparemment épuisée. Des sorts de haut niveau comme la téléportation avaient certainement imposé un lourd fardeau, même à un sorcier accompli comme lui. Au moins, cependant, Kensei avait rempli son devoir. Le reste dépendait de Kojou et Yukina.
« Elle a dit qu’ils s’occuperaient de nous, ma sœur. »
« La fille a certainement un sens de l’humour digne d’une princesse. »
La sorcière noire et la sorcière écarlate, laissées sur le toit, regardèrent avec mépris La Folia et Sayaka pendant qu’elles parlaient. Elles ne se sentaient pas pressées, même après avoir vu de leurs propres yeux la puissance du pistolet magique de la princesse et l’épée de Sayaka.
« Nous devrions être honorés qu’elle ait fait tout son possible pour rester et devenir notre “sacrifice”. »
« Alors, comme il lui sied, les branches de notre Gardien lui arracheront les entrailles d’un trou à l’autre, ce qui fera d’elle une si belle pile de chair ! »
Les deux sorcières déclenchèrent leurs railleries, suivies d’un rire hautain à l’unisson.
« Pourquoi faites-vous ça, » demanda Sayaka, en plissant les sourcils, alors qu’elle posait son épée.
Elle, experte en malédictions et assassinats, s’adressait toujours à ses ennemis avec respect. Pour un danseur de guerre chamanique de l’Organisation du Roi Lion, les ennemis devaient être traités avec le même respect que celui utilisé pour apaiser les esprits en colère.
Pour la fastidieuse Sayaka, le comportement méprisant des sœurs sorcières envers la princesse était indigne d’une approbation, même minime. Mais la princesse fit un sourire calme et agréable et s’avança, comme pour empêcher Sayaka de s’exprimer.
« Si vous riez trop, mesdames aînées, les poches sous les yeux deviendront plus proéminentes. Ah, cela provoquera aussi des affaissements dans votre chair, petit à petit, » déclara La Folia.
L’air autour d’elles aurait aussi bien pu geler et se fissurer de façon audible. Les deux expressions des sorcières étaient crues et indignées par les paroles désinvoltes de la jeune et belle princesse.
Cependant, La Folia avait parlé comme si elle ne remarquait pas que les sorcières tremblaient de colère.
« Dans tous les cas, le fait que vos pactes avec les démons ne vous ont pas accordé une longue vie sans aucun vieillissement représente une négligence de l’essentiel, ou peut-être un manque exceptionnel de talent. J’hésite un peu à vous informer de ça, mais celles qui sont plus avancées dans leur âge ont l’air plutôt ridicules en se maquillant pour paraître jeunes. N’est-ce pas, Sayaka ? » demanda La Folia.
Le visage de Sayaka s’était mis à trembler lorsque la parole avait soudainement été donnée de son côté.
« Je suppose que oui, » répondit Sayaka.
Pour une raison ou une autre, le sourire doux de la princesse, qui ressemblait à celui d’une déesse, était étrangement effrayant. En fait, elle avait pitié des sœurs sorcières.
Un couple de sorcières de la campagne n’aurait jamais dû essayer de narguer une princesse rusée dont l’esprit avait été aiguisé par les jeux d’esprit dans un palais royal plein d’intrigues.
Sachant qu’elles ne pourraient jamais la vaincre avec des mots, les sorcières avaient jeté leur fierté au vent et hurlé.
« G-grr… Espèce de petite salope… ! »
« Sais-tu ce qu’on a traversé... Je déteste ça ! Je vais te faire de nouveaux trous ! »
Sayaka avait été encore une fois stupéfaite de la consternation des sorcières.
« Ça a vraiment marché… !? »
Apparemment, les paroles de La Folia les avaient profondément blessées sans qu’elle ait posé un seul doigt sur elles.
Soulevant son pistolet d’or, la princesse cria à Sayaka comme si de rien n’était. « Allons-y, Sayaka. »
« D-D’accord… »
Je ne sais plus qui est la vraie sorcière, pensa Sayaka en levant sa lame.
***
Partie 6
Yuuma Tokoyogi se tenait au sommet d’un pont rouillé à l’extrémité du Gigaflotteur.
La Barrière pénitentiaire était à plusieurs centaines de mètres. Un simple pont flottant reliait l’île d’Itogami à la petite île rocheuse sur laquelle reposait la cathédrale. La Barrière pénitentiaire ne s’était pas encore pleinement matérialisée.
Yuuma regarda la surface de la mer à partir de laquelle l’île surgissait et elle étendit doucement sa main droite.
L’instant d’après, l’espace derrière elle vacilla, d’où sortit la silhouette d’un chevalier bleu vêtu d’une armure. Yuuma avait nommé le chevalier bleu sans visage « Le Bleu ». Le diable familier était le Gardien de la sorcière.
La Barrière pénitentiaire était déjà sous ses yeux. Il ne lui restait plus qu’à emprunter l’énorme pouvoir magique du quatrième Primogéniteur et à entraîner la prison dans son propre monde. Ainsi le sceau final serait brisé et sa mission accomplie.
Mais avant que Yuuma puisse ordonner à son Gardien de le faire, une voix l’appela par-derrière. « Yuuma ! »
En regardant en arrière, elle avait vu un corps très familier qui se tenait là, le sien. En d’autres termes, Kojou Akatsuki, avec qui Yuuma avait changé de corps. La fille à la lance d’argent se tenait aussi à côté de lui.
Yuuma les avait appelés, honnêtement impressionnée. « M’avez-vous déjà rattrapé ? »
En ce moment, Kojou n’était qu’un être humain normal, sans aucun pouvoir. Il n’aurait pas dû avoir la possibilité de poursuivre Yuuma après qu’elle se soit déplacée par un saut dans l’espace, au moins, pas en utilisant seulement son pouvoir.
« Tu t’es fait de bons amis, Kojou. »
Kojou s’était tordu les lèvres dans l’angoisse en répondant. « — Ne dis pas ça comme si ça n’avait rien à voir avec toi. Tu es l’une d’entre eux, tu sais ? »
Yuuma avait cligné des yeux comme si elle avait été giflée et elle l’avait regardé en réponse.
« Cela me rend si heureuse. Me vois-tu toujours comme une amie ? » demanda Yuuma.
Kojou désigna à côté de lui Yukina pendant qu’il parlait.
« Je te l’ai dit, j’ai l’habitude de voir des sorcières, alors je n’en pense rien. J’ai appris à connaître un taré après l’autre en venant sur l’île, alors tu n’en es qu’une de plus. »
« C’est grossier, » se plaignait la fille qui tenait la lance d’argent en regardant Kojou en réponse, les yeux grands ouverts.
C’était naturel qu’elle ne voulût pas entendre le vampire le plus puissant du monde se plaindre qu’il apprenait à connaître des gens bizarres. Mais elle n’avait pas non plus réfuté les paroles de Kojou. Kojou était très sérieux quand il avait demandé à Yuuma…
« Pourquoi aides-tu les gens à s’évader de prison ? » demanda Kojou.
La réponse de Yuuma avait été brève. « Parce que ma mère m’a fait faire ça. »
« … Est-ce toi qui t’es fait ? » demanda Kojou.
« Ma mère est Aya Tokoyogi, ancienne directrice de l’organisation criminelle LCO. Elle a été capturée sur l’île d’Itogami et est enfermée dans la Barrière pénitentiaire depuis dix ans. Elle avait préparé un outil pour s’évader de prison — moi, » répondit Yuuma.
Yuuma avait ri à ses propres dépens en montrant du doigt son propre corps, actuellement contrôlé par Kojou.
« Je suis un bébé-éprouvette conçu pour grandir rapidement. Je suis née il y a dix ans, comme si j’avais six ans. C’était juste un peu avant que tu me rencontres, Kojou. Dès le début, ma mère m’a programmée pour briser la Barrière pénitentiaire de l’île d’Itogami, » déclara Yuuma.
L’expression de Kojou devenait grave à mesure qu’il insistait sur ce point.
« Cela faisait-il aussi partie du plan de ta mère d’apprendre à me connaître ? » demanda Kojou.
Yuuma secoua la tête sans hésitation.
« Non, Kojou. C’était le seul choix qui était le mien. Je te l’ai dit, tu es tout ce que j’ai. À part te rencontrer, il n’y a rien dans ce monde que je puisse appeler comme étant à moi. »
« Ce n’est pas… ! » s’exclama Kojou.
Yuuma avait arrêté son objection avec une main et lui avait tourné le dos.
« Le plan a un peu changé quand LCO a appris que tu avais obtenu le pouvoir du quatrième Primogéniteur. En fait, nous nous attendions à sacrifier la vie d’une centaine de milliers de résidents de l’île d’Itogami pour briser le sceau de la Barrière pénitentiaire. Mais grâce à toi, ce n’est plus nécessaire… Merci, Kojou, » déclara Yuuma.
Avant même que Yuuma n’ait fini ses paroles, Yukina se jeta sur elle, la lance brillante.
« Loup de la dérive des neiges — ! » s’écria Yukina.
Elle se déplaça à une vitesse incroyable digne du titre de Chamane Épéiste. Mais avant son arrivée, Yuuma avait déjà déformé dans l’espace pour se déplacer à un endroit distant de plusieurs dizaines de mètres. Ayant perdu sa cible, la lance de Yukina n’avait coupé que de l’air.
Le chevalier bleu sans visage flottant sur le dos de Yuuma avait levé les deux bras en l’air pendant que son armure grinçait.
Une lumière dorée émergea de l’écart entre les mains du Gardien. C’était une électricité éblouissante accompagnée d’un rugissement.
Les visages de Kojou et Yukina s’étaient figés, réalisant sans doute la vraie nature de la lumière.
C’était une énorme masse d’énergie démoniaque prenant forme physique. Un lion d’or enveloppé par la foudre…
« Regulus Aurum… !? » cria Kojou. Yukina était également sous le choc.
« Un Vassal Bestial du quatrième Primogéniteur !? Ce n’est pas… !!? » s’écria Yukina.
Yuuma sourit sous la pression de l’élan incontrôlable d’énergie magique.
« Je n’ai pas volé son droit de commander le Vassal Bestial. Je viens de déformer le temps et l’espace pour rappeler un petit morceau du passé quand Kojou a utilisé son Vassal Bestial. Tout ça pour ce bref moment…, » déclara Yuuma.
Même après avoir pris le corps de Kojou et puisé l’énergie magique contenue dans sa chair, elle ne pouvait pas appeler les Vassaux Bestiaux du Quatrième Primogéniteur, car les Vassaux bestiaux d’un vampire étaient appelés d’un autre monde avec leurs propres volontés. Il n’y avait aucun moyen que Yuuma, manquant d’autorité sur eux, puisse en contrôler un.
Cependant, en mélangeant l’énergie magique presque inépuisable du quatrième Primogéniteur avec son propre pouvoir de sorcière, elle avait réussi à en contrôler un par des moyens magiques aussi irréguliers. Elle empruntait la mémoire enfouie dans la chair de Kojou quand il avait utilisé ce Vassal Bestial dans le passé, la reliant à l’espace-temps actuel — .
Le résultat de ses efforts avait été un espace déchiré à travers lequel avait coulé en cascade un torrent incandescent.
Même le sort de Yuuma et la bénédiction du Gardien ne pouvaient soutenir un tel rituel pendant plus de quelques centièmes de seconde.
Le pouvoir d’un Vassal Bestial qui coulait à travers le rituel de Yuuma avait détruit le lien espace-temps. Le reflux de l’énergie magique avait brûlé les nerfs de Yuuma comme un contrecoup destructeur qui avait assailli le Gardien.
Finalement, la foudre avait disparu, ne laissant que Yuuma, qui s’était mise à genoux sur place alors que de la fumée s’échappait d’elle, et le chevalier bleu endommager. Le pont rouillé avait grincé, s’était fissuré et avait été enveloppé dans des flammes bleu-blanc.
« C’est vraiment un Vassal Bestial du Quatrième Primogéniteur… Même Le Bleu n’a pas pu le contrôler… mais on dirait que ce n’était pas pour rien, » déclara Yuuma.
Kojou et Yukina étaient restés là où ils se tenaient, écoutant avec stupéfaction les murmures frêles de Yuuma.
La Barrière pénitentiaire brûlait sous leurs yeux.
L’île, instable comme un mirage jusqu’à présent, s’était complètement révélée, avait brûlé et était tombée en morceaux. La matérialisation de l’île et du pont qui la reliait avait provoqué des vagues et des embruns tout autour. Le sceau de la Barrière pénitentiaire avait été brisé, ce qui l’avait ramené dans le temps et l’espace normaux.
C’est le Vassal Bestial du quatrième Primogéniteur qui avait brisé le sceau. Elle avait employé un pouvoir destructeur si violent qu’il pouvait écraser n’importe quel rituel afin de briser la puissante barri qui enveloppait l’île. C’était un acte de force brute indigne du mot spellcraft.
« La Barrière pénitentiaire… devient solide… ? »
Kojou avait gémi en levant les yeux vers la cathédrale en ruine. Au moment où les réverbérations finales de l’attaque électrique du Vassal Bestial avaient disparu, les distorsions spatiales s’étaient complètement évaporées. Tout ce qui restait était solide et réel.
C’était sans aucun doute une partie de l’île d’Itogami — un Gigaflotteur fait pour ressembler à un vieux mont rocheux.
Il pouvait voir à l’intérieur de la cathédrale depuis l’espace laissé par un mur détruit.
« Mais… c’est… »
Il n’y avait rien d’autre qu’une cavité. L’intérieur de la cathédrale était complètement creux. C’était littéralement un espace vide. Oui, juste un local vacant.
Yuuma s’approcha de la cathédrale, alors même que des morceaux du chevalier bleu blessé se dispersaient.
« On dirait que même si le sceau a été détruit, cela ne veut pas dire que la prison a été percée… cependant, c’est à tous les coups le bon endroit », déclara Yuuma.
Kojou et Yukina avaient été ébranlés par le fait qu’elle semblait être au courant du contenu de la cathédrale depuis le début. Yukina avait gardé sa lance en l’air pendant qu’elle regardait le dos sans défense de Yuuma.
À ce moment-là, Yuuma n’avait plus la force physique pour utiliser de grands sorts. Malgré tout, elle semblait perplexe quant à savoir si elle devait attaquer.
Finalement, Yuuma s’était arrêtée là où elle se tenait. Kojou et Yukina avaient bloqué leur souffle en réalisant ce qu’elle regardait.
« C’est dingue… Qu’est-ce que tu fais là-bas… ? » murmura Kojou.
À l’intérieur, il y avait une chaise.
Une chaise régulière avait été placée dans l’intérieur parfaitement creux de la cathédrale. Les accoudoirs étaient recouverts d’un velours extravagant. Il y avait une femme seule assise là, endormie, les yeux encore fermés.
Elle était belle et jeune, une sorcière au visage de poupée.
Yuuma parla poliment et avec révérence à Natsuki Minamiya, encore endormie.
« La clé de la Barrière pénitentiaire — c’est un honneur de vous rencontrer enfin, Sorcière du Vide. »
Kojou et Yukina n’avaient pu que regarder avec stupéfaction, complètement à court de mots.
***
Partie 7
Le cri de colère de Sayaka résonnait sur le toit de la Porte de la Clef de Voûte.
« Ah, bon sang ! Ces choses me tapent vraiment sur les nerfs — ! »
Son champ de vision était entouré d’une masse de tentacules effrayants et ondulants.
L’épée de Sayaka avait été capable de couper les tentacules, protégés par une puissante magie, avec facilité. Cependant, leur nombre était tout simplement trop élevé.
Avec leur pouvoir alimenté par le cercle magique presque inépuisable, Sayaka et la princesse ne pouvaient s’approcher des sorcières qui les avaient convoqués.
La Folia, aussi, avait un rare regard de mécontentement à ce sujet.
« Bien sûr, cela ne nous mène nulle part, » déclara La Folia.
Son pistolet à sorts n’avait pas pu fonctionner à son plein potentiel en raison de la magie défensive qui affectait les tentacules. Normalement, un seul coup de feu de son pistolet pénétrerait dans un char d’assaut et creuserait un cratère de plusieurs mètres de profondeur derrière lui.
Pourtant, à l’heure actuelle, elle n’était même pas capable de contre-attaquer aux tentacules qui les attaquaient. Peut-être que cela avait aussi augmenté le niveau de stress de la princesse.
La Folia murmura comme si elle se souvenait soudainement de quelque chose.
« Elles ont parlé des branches du Gardien… n’est-ce pas ? »
C’était un mot qui était sorti par hasard des lèvres des Sœurs Meyer. Elles les avaient appelés les branches de leur Gardien. Pas des tentacules, des branches.
La Folia avait ri d’un rire doux et avait souri d’un plaisir apparent. « Alors c’est une plante, pas un mollusque… Je vois. L’incident causé par les Sœurs Meyer a fait disparaître une grande forêt dans sa totalité du jour au lendemain, n’est-ce pas ? »
« La tragédie Ashdown, voulez-vous dire ? » Sayaka se souvient de l’incident de ce nom.
Plus de dix ans auparavant, les Sœurs Meyer avaient mené un mystérieux rituel magique aux abords d’Ashdown, la capitale de l’Empire de la mer du Nord dans le nord-ouest de l’Europe. Cela avait provoqué un phénomène anormal qui avait anéanti quelque trois cents hectares de forêt autour de la capitale. La ville d’Ashdown avait été détruite au cours du processus et avait été abandonnée peu après. Cet incident avait fait des Sœurs Meyer des criminels sorciers de renommée mondiale.
Mais il restait deux questions concernant l’incident jusqu’à ce jour même.
La première était : quel genre de rituel magique les sorcières noires et écarlates d’Ashdown menaient-elles dans la banlieue d’Ashdown ?
Et où était passée la forêt qui avait disparu ?
« Vous ne voulez pas dire… Alors, ce Gardien est vraiment…, » murmura Sayaka.
« Oui. Si tu imagines la forêt perdue jusqu’au dernier arbre prenant la forme d’un diable familier, cela expliquerait cette masse écrasante. C’est sans doute inutile, peu importe combien tu en réduis, » déclara La Folia.
Sayaka avait fait un gémissement profondément frustré. La Folia la regarda et haussa les épaules.
Sayaka hocha la tête, abaissant son épée en même temps. « … Je suppose que oui. »
Elle savait qu’il était inutile de continuer ses attaques.
Les sœurs sorcières se réjouirent en voyant Sayaka et La Folia comme ça.
« Oh mon Dieu. Les petites filles ont l’air de bavarder, ma sœur. »
« Oui, vraiment. Peut-être qu’elles sont prêtes à mendier pour leur vie ? Ça ne marchera pas, » dirent les sorcières en riant de voix aiguës.
La princesse aux cheveux argentés secoua la tête, semblant avoir pitié de la certitude de leur victoire.
« Non, on disait juste que votre tour est moins impressionnant qu’on ne le pensait, » déclara La Folia.
« À tous les coups. Il y a beaucoup de façons de procéder maintenant que nous savons à quoi nous avons affaire, » déclara Sayaka.
Il ne fait aucun doute que la réprimande occasionnelle de leurs ferventes railleries avait porté un coup décisif à leur fierté. Les sœurs sorcières lâchèrent des soufflets féroces de rage.
Répondant à leur colère, le Gardien augmenta la férocité de ses attaques.
Le sourire élégant qui était apparu sur La Folia resta intact alors qu’elle avançait en levant le canon d’or devant elle.
« Je te le confie, Sayaka. Je tiendrai l’avant, » déclara La Folia.
Sayaka se retira, son épée encore baissée. « C’est d’accord. »
Elles avaient changé de position, avec des tâches offensives laissées à la princesse.
La princesse n’avait pas hésité en regardant les tentacules qui poussaient, inversant la prise de son pistolet. Son pistolet orné d’or était équipé d’une baïonnette de couleur argent. La Folia l’avait mis en équilibre comme un couteau quand elle avait commencé à chanter un hymne.
« Filles des dieux qui résident en moi, destructeurs de boucliers, de grêle et de tempête, hérauts de la victoire, ceux qui portent les défunts ! » Les tentacules étranges se précipitèrent vers le corps mince de la princesse. On pourrait penser qu’elle avait été attaquée par une masse géante de serpents. Certaines de leur victoire, les lèvres des sorcières se tordirent en des sourires.
Leurs visages souriants gelèrent en un éclair face aux lumières éblouissantes des éclairs.
« Qu’est-ce que… !? »
La source de la lumière était la baïonnette de La Folia. Un feu qui scintillait d’un blanc bleuté crachait, se transformant en une épée géante. C’était une épée de lumière avec une lame qui atteignait des dizaines de mètres de long.
La lame pulvérisa l’essaim de tentacules comme autant de pain rassis.
« Sœur ! »
« Cette lumière est la bénédiction des esprits… Ça ne devrait pas être possible, mais… ! »
Les sœurs sorcières tombèrent dans la panique en voyant leur Gardien se faire faucher sans résistance.
Le laser qu’utilisait la princesse était le système Völundr des chevaliers royaux d’Aldegian. C’était un système de soutien tactique qui infusait une grande masse d’énergie spirituelle dans une arme, la transformant temporairement en une arme spirituelle de classe épée sacrée.
C’était de l’équipement qui nécessitait normalement un réacteur spirituel à grande échelle pour fournir l’énergie spirituelle, mais La Folia, un médium spirituel, était capable d’invoquer les esprits dans son propre corps pour produire l’effet à elle seule.
La lueur spirituelle, mortelle pour les démons, annulait la magie défensive du grimoire et fauchait l’essaim de tentacules. C’était une destruction écrasante, semblable à l’utilisation d’une faux pour couper les mauvaises herbes.
Et le nouveau chant de prière solennelle qu’elles avaient entendu venait de Sayaka. « Moi, Danseuse du Lion, Archer du Dieu Suprême, je vous en conjure. »
L’épée de Sayaka s’était transformée en arc à ce moment-là. C’était un arc recourbé d’allure moderne. Elle avait encoché une flèche métallique extensible. Il s’appelait Der Freischötz. C’était un prototype d’arme transformable, la fierté de l’Organisation du Roi Lion.
« Cheval flamboyant très brillant, illustre Kirin, celui qui gouverne le tonnerre céleste, transperce ces mauvais esprits de ta colère… ! » déclara Sayaka.
Sayaka avait lâché sa flèche juste au-dessus de sa tête. La flèche, volant en sifflant, émettait un son semblable à celui d’une voix gémissante.
La flèche sifflante déchaînée par l’arc magique Der Freischötz possédait une capacité auditive bien supérieure à celle des poumons humains, capable de chanter des malédictions à haute intensité. C’était la malédiction, pas la flèche, qui était la vraie attaque.
Sayaka avait libéré un hexagone malveillant qui enleva tous les sorts jetés sur le Gardien et enveloppa son corps principal dans les flammes. L’hexagone avait traversé les racines du Gardien, avec un effet mortel sur la totalité de la forêt d’Ashdown, forte de plus de trois cents hectares.
Il ne fallut même pas quelques minutes avant que les flammes purificatrices anéantissent le Gardien des Sœurs Meyer. Mis à part les vestiges d’un cercle magique brûlé, tout avait bizarrement disparu.
« La forêt… elle est partie… Comment cela peut-il… ? »
« N-Notre… Gardien d’Ashdown est… » Sachant qu’elles avaient perdu, les sœurs sorcières avaient serré leurs grimoires avec un zèle religieux alors qu’elles se précipitaient pour fuir. Cependant, leurs visages frémissaient déjà de désespoir.
Réalisant que les tentacules avaient été anéantis, les troupes de la garde insulaire en attente dans le couloir s’étaient précipitées comme une avalanche. Sans leur Gardien, les sorcières n’avaient aucun moyen de s’enfuir du haut d’un bâtiment de plus de soixante mètres de haut. Une pluie de tirs d’avertissement à leurs pieds avait fait s’effondrer les deux sorcières à ce moment-là.
Les sœurs sorcières tremblèrent et s’enlacèrent quand les gardes les avaient arrêtées.
« Sœur… !? »
« Ce n’est pas possible… Nous, capturés par des paysans comme eux… »
Des masques pour obstruer les sorts, des coiffures pour bloquer la télépathie, des bracelets adaptés aux particularités de la chair d’une sorcière — ceux qui défendaient la loi dans un sanctuaire de démons avaient beaucoup de savoir-faire en matière de capture des sorcières et avaient reçu un équipement anti sorcière de qualité. Il était essentiellement impossible pour des personnes du niveau des Sœurs Meyer de s’évader.
« … »
Malgré cela, Sayaka se tenait aux côtés de la princesse sans baisser la garde.
Bien que cela l’ait amenée au combat contre les sorcières, la mission de Sayaka était de protéger La Folia. Sayaka avait le devoir de protéger la princesse jusqu’à ce qu’elle quitte l’île d’Itogami.
La situation des anomalies spatiales enveloppant l’ensemble de l’île d’Itogami avait déjà été modifiée. Le grimoire utilisé pour déformer l’espace avait été perdu, et la possibilité d’un danger pour la princesse avait disparu. Yuuma Tokoyogi était toujours en fuite, mais La Folia n’avait plus aucune raison de la combattre.
De plus, La Folia était aussi contrainte par le devoir qu’elle détenait. Sa position de princesse l’empêchait de bouger comme elle le souhaitait. Même si elle voulait aider Kojou et Yukina, les circonstances ne lui permettaient pas de le faire.
Par conséquent, Sayaka ne pouvait pas non plus quitter cet endroit. Même si elle savait que Kojou, Yukina et la Barrière pénitentiaire étaient en danger, elle ne pouvait rien faire. Ce fait avait causé une profonde détresse interne à Sayaka.
Soudain, elles avaient entendu la voix d’un homme cordial derrière eux.
« Votre Altesse, vous allez bien ? »
Des hommes couverts de combinaisons de combat blindées descendirent d’un hélicoptère de la garde de l’île en vol stationnaire à proximité. Ils étaient membres des chevaliers d’Aldegian — les hommes de La Folia.
« C’est bien que vous soyez ici. Comment se passe la chasse ? » demanda La Folia.
La question de La Folia avait apporté des sourires reconnaissants de la part des chevaliers. Grâce à un accord secret avec la Garde de l’île, les chevaliers d’Aldegian avaient été déployés dans la ville en mission spéciale.
« Quatre groupes de la LCO ont été détruits, sept grimoires saisis. Ils seront de bons souvenirs pour Son Altesse. »
Le chef d’escouade de la nuit semblait très fier de la réussite de leur mission.
La Folia avait fait un sourire taquin en hochant la tête.
« Vraiment ? Cela semble suffisant pour excuser le fait que j’ai déplacé les chevaliers de mon propre chef. » Les chevaliers d’Aldegian aideraient à capturer les agents du LCO qui avaient débarqué sur l’île d’Itogami en échange des grimoires en leur possession. C’était la condition que La Folia avait posée.
Ce faisant, la Garde de l’île avait reçu de l’aide sur le terrain au moment où c’était le plus important, et le royaume d’Aldegia avait à son tour obtenu de précieux grimoires. C’était un accord gagnant-gagnant typique de La Folia, un négociateur chevronné.
« Nous avons confirmé que Son Altesse est aussi en sécurité. Elle est actuellement prise en charge par Misaki Sasasasaki. »
« … Misaki Sasasasaki ? La soi-disant “Lady Wizard”, une magicienne aux quatre poings ? »
« Cela semble être le cas. »
Le chef d’équipe hocha respectueusement la tête lorsque La Folia plissa ses sourcils avec une légère surprise.
Sayaka connaissait bien le titre « Magicien aux Quatre Poings ».
Il s’agissait d’un expert en combat rapproché qui avait maîtrisé la magie et les arts martiaux à un très haut niveau. L’un d’eux était employé par l’Organisation du Roi Lion comme instructeur d’arts martiaux. Même si c’était pendant leur apprentissage, Yukina et Sayaka avaient défié ce monstre simultanément — et aucune d’elles ne pouvait lever un seul doigt sur elle.
Un monstre de rang égal s’occupait de Kanon Kanase. Sachant cela, une expression de soulagement était venue sur La Folia. C’était une expression honnête avec rien de caché qui ne lui ressemblait beaucoup.
Puis, la princesse se tourna vers Sayaka, qui s’était un peu retirée.
« J’aurais aimé regarder le déroulement des événements un peu plus longtemps, mais il semble que mon temps de parole soit écoulé. Je dois quitter cette nation immédiatement, » déclara La Folia.
« Ah… oui. » Pendant un moment, la déclaration apparemment abrupte de La Folia avait jeté un regard de doute chez Sayaka, mais elle avait vite compris la véritable intention de la princesse.
Si la princesse quittait le Japon, la mission de Sayaka serait terminée. Elle pourrait se déplacer selon son propre jugement. Elle pourrait certainement aller aider Kojou et Yukina jusqu’à ce que l’Organisation du Roi Lion lui assigne une nouvelle mission.
Une expression opaque était apparue sur le visage de La Folia pendant qu’elle parlait.
« Tu as eu pas mal d’ennuis en mon nom. Je demanderai à l’Organisation du Roi Lion de t’accorder un temps de repos et de détente jusqu’à ta prochaine mission, » déclara La Folia.
C’était un sourire agréable, riche de sens, porteur d’un secret partagé par elles seules.
« Je vous remercie, princesse, » déclara Sayaka.
Sayaka fit un signe de tête fervent lorsqu’elle saisit la poignée de sa longue épée. Leur rôle dans l’incident n’était pas encore terminé.
***
Partie 8
Kojou se trouvait en ce moment vers l’intérieur de la cathédrale en ruine avec Yukina et Yuuma. Yuuma s’était téléportée alors que Kojou et Yukina avaient été frappés par de violents vertiges et jetés sur un sol dur et poussiéreux.
Yuuma ne savait pas pourquoi elle s’était téléportée non seulement elle-même, mais aussi Kojou et Yukina. Mais elle avait une vague idée.
Elle avait pensé qu’elle voulait probablement que quelqu’un voie l’instant où elle aurait atteint son objectif, l’instant où elle aurait atteint le but pour lequel elle était née dans ce monde — .
« Natsuki est… la clé de la Barrière pénitentiaire ? » demanda Kojou. Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?
Natsuki Minamiya avait continué à dormir sur le fauteuil dans la grande salle de la cathédrale.
Elle portait une robe lacée et à froufrous. C’était une tenue étouffante à porter sur l’île Itogami, où l’été était présent toute l’année. Mais cela convenait à la fille qui dormait encore et qui ressemblait à une poupée, à un degré vraiment effrayant.
Il ne faisait aucun doute que l’onde de choc de Yuuma, qui avait franchi la Barrière pénitentiaire par la force, avait été transmise de l’intérieur à Natsuki. Il y avait un filet de sang frais qui coulait le long des tempes de Natsuki.
Mais Kojou ne comprenait toujours pas ce que Natsuki, qui avait disparu la veille du festival de Veillée Funèbre, faisait dans un endroit comme celui-ci. Il se demandait si le Natsuki qui dormait ici était vraiment la Natsuki que Kojou connaissait.
« — Pensez-y. Comment peut-on envoyer des prisonniers dans une prison dans un espace dans une autre dimension que même la Corporation de Management du Gigaflotteur ne peut localiser avec certitude ? » Yuuma donna à Natsuki, encore endormie, un regard glacial pendant qu’elle parlait. « Natsuki Minamiya, la Sorcière du Vide, est la gardienne, la porte et la clé de la Barrière pénitentiaire. Tout d’abord, la Barrière pénitentiaire est le nom d’un sort destiné à enfermer de vils criminels sorciers — et elle est la seule à pouvoir s’en servir. »
Kojou avait écouté l’explication de Yuuma sans un mot. Quand elle l’avait dit ainsi, la logique était assez simple.
La Barrière pénitentiaire était un sort que Natsuki avait maintenu. C’est pourquoi elle était à l’intérieur de la cathédrale. Et c’est pourquoi la brèche dans la salle avait transmis l’onde de choc directement à son corps.
« Sorcière » était un titre porté par des femmes qui avaient conclu un pacte avec un diable. Elles employaient un pouvoir identique à celui du diable par l’intermédiaire des Gardiens familiers du diable. Ce faisant, elles pouvaient retenir les corps humains tout en contrôlant des pouvoirs magiques rivalisant avec ceux des démons de haut rang, avec une habileté à lancer des sorts qui surpassait même les sorciers les plus accomplis.
Mais un pacte avec un diable avait un prix.
Le prix payé par Yuuma avait été l’installation du programme « Dissipation de la Barrière Pénitiencière ». Elle était née et avait été élevée pour accomplir seulement cet ordre, ayant obtenu en échange un pouvoir de contrôle spatial.
Il se demandait quel prix Natsuki avait payé — .
La Barrière pénitentiaire était-elle la réponse ?
Continuer à sceller cette prison géante et vide en ressentant de la solitude jusqu’au jour de sa mort — et si c’était la malédiction qui lui avait été imposée quand elle avait fait son pacte avec son diable ?
Yuuma parla en regardant autour d’elle la cathédrale faiblement éclairée. « Cette cathédrale est la maison de Natsuki Minamiya. Elle vit ici depuis le début. Elle n’est pas sortie une seule fois depuis dix ans. Elle reste endormie ici, toute seule. »
Kojou s’y était opposé. « Ça ne peut pas être vrai. Natsuki a toujours été notre professeure à l’école ! »
Natsuki Minamiya était le professeur d’anglais de l’Académie Saikai. Elle était aussi la professeure principale de Kojou. Elle avait un manoir sur un terrain de choix dans la ville d’Itogami où elle vivait avec Astarte et Kanon. Quelle raison aurait-elle de passer ses nuits dans une cathédrale nue et vide, enfermée dans un autre monde ?
Mais Yuuma fit un rire triste en secouant la tête.
« La Natsuki Minamiya que tu connais est une illusion créée par un sort. C’est juste un rêve de la fille pathétique que tu vois ici, » déclara Yuuma.
Les paroles de Yuuma avaient fait oublier à Kojou de respirer.
« Une… illusion… ? »
Il ne pouvait pas s’y opposer et dire, ce n’est pas possible. C’était certainement une question insignifiante pour une sorcière ayant le pouvoir de Natsuki de créer un clone avec une substance qui pourrait agir comme une personne normale.
Maintenant, il y avait une raison à sa jeunesse bizarre — ou plutôt, Natsuki n’ayant pas vieilli physiquement depuis sa jeunesse.
Plus important encore, Kojou n’arrivait pas à trouver une explication qu’il pouvait accepter pour expliquer comment la fille qui dormait dans la Barrière pénitentiaire, ressemblant exactement à Natsuki, pouvait être quelqu’un d’autre.
Yuuma se dirigea vers la jeune fille alors qu’elle continuait à dormir.
« Ça n’a pas de sens de briser l’une de ses illusions. C’est la raison pour laquelle LCO a agi jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à ce que son corps réel revienne dans notre monde pour que la Barrière pénitentiaire puisse être libérée, » déclara Yuuma.
Le chevalier bleu flottant sur son dos avait levé un poing géant comme s’il maniait un marteau. Un seul coup du Gardien contre la petite fille endormie sans défense mettrait fin à sa vie avec la plus grande facilité.
Yuuma semblait forcer sa voix à sortir de sa gorge. « Les criminels de la Barrière pénitentiaire sont retenus prisonniers dans son rêve. Si elle est tuée, les prisonniers seront libérés. »
« — après les avoir libérés, que se passera-t-il ? » demanda Kojou.
La question abrupte de Kojou avait arrêté brusquement Yuuma.
« Si tu n’es née que pour dissiper la Barrière pénitentiaire, alors que ferais-tu une fois que tu auras fini ton devoir ? Crois-tu que ta mère va te tapoter sur la tête ? » demanda Kojou.
« Kojou… »
« Non, elle ne le fera pas… C’est comme tu l’as fait avec ce grimoire qui a brûlé, elle va te jeter comme les ordures d’hier, n’est-ce pas !? Est-ce vraiment ce que tu veux, Yuuma !? » cria Kojou.
Kojou bloqua le chemin de Yuuma, lui lançant un regard noir avec Natsuki qui dormait encore derrière lui.
Elle semblait prête à éclater en larmes en souriant et en secouant la tête. « Je le sais, Kojou. Je connais mieux que quiconque que tout ce que je fais n’a pas de sens. »
« Alors — ! »
« Mais je ne peux pas combattre le programme qui l’a décidé ! C’est mon prix pour mon pacte avec mon diable ! » cria Yuuma d’une voix angoissée. Pour une raison inconnue, elle ressemblait à une petite fille, même dans le corps de Kojou.
« Le programme est tout ce que j’ai. Si j’accepte que cela n’ait pas de sens — que je suis née dans ce monde — tout ce qui me concerne n’a plus aucun sens ! » déclara Yuuma.
« Tu te trompes ! » déclara Kojou.
Kojou avait mis un pied devant lui. Sa force avait fait reculer Yuuma d’un pas.
« Tu l’as dit toi-même. Je suis là pour toi. J’accepte que ta vie ait un sens. Tu n’as pas besoin de suivre ce stupide programme ! » déclara Kojou.
Ses pouvoirs de quatrième Primogéniteur avaient été volés, sa propre chair et son propre sang avaient été volés, mais la déclaration de Kojou n’avait pourtant aucune hésitation. Pendant un instant, les yeux de Yuuma ressemblaient à un sourire en larmes.
« … On dirait que tu fais ta demande en mariage, » déclara Yuuma.
« Hein ? »
« Tu as toujours été d’accord pour dire ce genre de choses depuis le début, Kojou. Tu n’as vraiment aucune idée des problèmes que ça m’a causés… Mais merci à toi. Je suis heureuse… Vraiment, c’est…, » déclara Yuuma.
C’est assez, les lèvres de Yuuma s’étaient arrêtées. Kojou ne pouvait même pas lui crier d’arrêter.
Il ne pouvait pas, car Yuuma avait déjà disparu. Elle avait sauté dans l’espace sans prévenir, émergeant dans l’angle mort de Kojou, derrière Natsuki qui dormait encore.
Puis, le chevalier bleu, blessé de partout, avait balancé son poing d’acier pour l’écraser — .
« Argh !? »
C’était une lance rayonnante de couleur argentée qui avait carrément pris le coup du poing. La fille qui la portait, vêtue d’une robe bleue sortie tout droit d’un conte de fées, plaça sa lance au-dessus de sa tête pour empêcher le bras du chevalier géant.
« — Himeragi !? »
Le chevalier bleu était presque deux fois plus grand que la petite Yukina. Si l’on tient compte de l’armure qui l’entourait, sa masse aurait dû être dix fois supérieure à la sienne. Ce n’était pas une attaque à bloquer directement.
Mais la lance de Yukina avait facilement percé l’armure du Gardien de la sorcière et détruit ce poing.
L’expression de Yuuma s’était durcie.
« Je vois… Cette lance est une Schneewaltzer… »
C’était une lance purificatrice qui annulait tout pouvoir magique. C’était le pire match possible pour le Gardien d’une sorcière, qui était une énergie magique prenant forme physique.
« L’Organisation du Roi Lieu m’a envoyée pour veiller sur le quatrième Primogéniteur, » déclara Yukina.
La lance de Yukina avait produit un son de façon audible dans les airs pendant qu’elle la balançait. La pointe de sa lance à trois dents tournait droit vers le cœur de Yuuma. Sa position avait été exprimée avec éloquence : maintenant que les tentatives de Kojou pour persuader Yuuma avaient échoué, elle n’aurait aucune pitié.
« Je reprends le corps de Kojou Akatsuki ! » cria Yukina.
Yuuma ria sur place et jeta un coup d’œil instantané sur Kojou, qui restait là où il se tenait.
« Vous êtes trop douce… Avec le pouvoir de cette lance, si vous attaquiez mon vrai corps, vous régleriez ça tout de suite… Est-ce l’influence de Kojou qui vous en empêche ? La langue d’argent de Kojou vous a-t-elle aussi capturée ? »
Yukina avait l’air étrangement boudeuse quand elle avait riposté. « Ce n’est pas vrai ! J’ai simplement décidé que c’était mieux dans les circonstances actuelles ! Maintenant que le rituel de contrôle spatial a été détruit et qu’il y a une perspective de déchaînement du pouvoir magique du 4e Primogéniteur, je devrais donner la priorité à la récupération de son corps, une conclusion extrêmement logique ! En plus — . »
« … !? »
Avant qu’elle n’ait fini de parler, Yukina avait quitté le sol de la cathédrale. Alors qu’elle se déplaçait avec la force d’un typhon, sa lance s’avança vers l’avant, visant précisément la poitrine de Yuuma.
« … Il n’y a pas de grande différence de difficulté. »
Les mots de Yuuma n’étaient pas du bluff. À la vitesse de Yukina, assez pour secouer un homme bête sur ses talons, il n’y avait aucun moyen que Yuuma, qui n’avait aucune capacité de combat rapproché, puisse faire face. « Le Bleu ! »
Yuuma avait ordonné à son Gardien de la protéger. Cependant, la lance de Yukina avait traversé l’armure épaisse du chevalier bleu comme si c’était de l’air. Des étincelles d’un blanc bleuté se répandirent tandis que le chevalier bleu rugissait d’agonie.
Yuuma avait fait claquer sa langue et avait plié l’espace. Elle essayait d’utiliser une téléportation pour atteindre l’angle mort de Yukina. Mais.
« Ça ne sert à rien ! »
Yukina s’était retournée comme si elle savait depuis le début qu’elle allait le faire, se précipitant vers le point de destination de Yuuma. C’était sa capacité de Chamane Épéiste qui lui permettait de voir l’avenir. De simples attaques-surprises n’auraient pas fonctionné sur elle quand elle utilisait sa capacité de la Vue de l’Esprit au milieu du combat.
Le corps géant du chevalier bleu tituba alors que des fragments de son armure abîmée étaient éparpillés aux alentours.
« Tant que vous contrôlez ce corps, votre Gardien doit employer la plus grande partie de son pouvoir pour maintenir le lien spatial. Il lui reste très peu de capacité de combat, » déclara Yukina.
« Vous avez raison… Battre un Chamane Épéiste de l’Organisation du Roi Lion est un peu difficile dans ces circonstances, » déclara Yuuma.
Yuuma avait volontiers reconnu que la marée était contre elle. Une Chamane Épéiste pouvait se battre à armes égales avec un vampire primogéniteur. C’était des pros du combat anti-démon, pas des gens qu’une simple sorcière pouvait affronter sans plan.
***
Partie 9
« Mais vous avez oublié ? Je n’ai pas à me battre loyalement avec vous, vous savez — ! » déclara Yuuma.
Yuuma s’était téléportée juste après avoir parlé. Elle avait sauté dans les airs là où Yukina ne pouvait la suivre, bien au-dessus du sol de la cathédrale.
« Oh — !? » s’écria Yukina.
Le visage de Yukina s’était figé quand elle avait réalisé ce que Yuuma avait l’intention de faire. Le chevalier bleu avait activé un sort offensif. C’était un sort de boule de feu de niveau débutant, mais lorsqu’il se déclenchait avec le pouvoir magique d’une sorcière, il avait de la force au niveau d’une bombe. Et Yuuma n’avait choisi comme cible ni Yukina ni Natsuki, mais plutôt le toit en pierre de la cathédrale au-dessus de la tête encore endormie de Natsuki.
Même le Loup de la dérive des neiges, capable d’annuler toute énergie magique, était impuissant face aux chutes de pierres. Elle n’avait aucun moyen de protéger Natsuki contre plusieurs tonnes de masse obéissant à l’appel de la gravité.
Mais à l’instant où Yukina se sentait désespérée, Kojou était déjà en train de sprinter.
« Daaaaa — ! »
Kojou ramassa le petit corps de Natsuki et roula sur le sol. Un moment plus tard, des pierres tombantes écrasèrent et pulvérisèrent la chaise sur laquelle Natsuki était assise.
Les yeux de Yukina clignèrent alors qu’elle était en état de choc.
« Senpai — !? »
Kojou avait anticipé l’attaque de Yuuma plus vite qu’elle, une Chamane Épéiste, qui pouvait regarder dans le futur. Ce fait l’avait prise par surprise.
La réponse à la question qui la traînait venait des propres lèvres de Kojou.
« Désolé, Yuuma. Je n’ai pas oublié le visage que tu fais quand tu te lances dans un trois-points. »
Kojou avait fait un sourire audacieux alors qu’il soulevait son visage poussiéreux. Kojou n’avait jamais oublié la spécialité de son amie d’enfance. Depuis le début, il s’attendait à ce que Yuuma fasse un tir à distance.
Le visage de Yuuma s’était tordu d’angoisse à l’atterrissage. « Kojou… ! Comment peux-tu encore sourire comme ça !? Je t’ai trompée ! Je suis une sorcière faite pour être une criminelle dès la naissance ! J’ai détruit la ville où tu vis et blessé tes amis ! »
Kojou regarda avec étonnement le cri douloureux de sa vieille amie.
« Yuuma… »
Soudain, son champ de vision s’était teint en écarlate. Du sang frais coulait de son propre front dans ses yeux.
« Qu’est-ce que… c’est que ce… !? »
Kojou était en état de choc lorsqu’il avait réalisé qu’il saignait.
Ce n’était pas une blessure subie pendant le roulis. Il n’y avait pas eu de douleur. Mais la belle peau de Yuuma avait été déchirée à divers endroits et saignait abondamment.
Il n’y avait qu’une seule possibilité à laquelle il pouvait penser. C’était le corps de Yuuma qui criait.
Le lien forcé pour s’emparer du corps de Kojou, puisant dans le pouvoir magique du Quatrième Primogéniteur, appelant un Vassal Bestial, même pour un seul instant, les blessures de son Gardien subies dans la lutte avec Yukina, téléportation après téléportation — c’était bien au-delà même des limites d’une sorcière. Le corps de Yuuma avait commencé à s’effondrer, incapable de supporter la simple production d’énergie magique.
« Yuuma ! » La voix de Yukina trembla. « S’il vous plaît, arrêtez ça. Si vous libérez plus d’énergie magique, votre corps va — . »
« Cela n’a pas d’importance… ! » La douleur du contrecoup lui faisait tourner les lèvres, mais malgré cela, Yuuma avait fait un sourire effrayant. « Juste un peu plus et mon devoir sera terminé. Je vais enfin… être libre… »
Yukina s’était mordu la lèvre en silence. Puis, elle poussa un soupir très profond. Sans bruit, la lance d’argent tourbillonna tandis que ses cheveux brillants coulaient vers le bas. Il ne restait plus qu’un seul moyen de sauver Yuuma.
C’était pour régler le combat le plus rapidement possible.
« Moi, Vierge du Lion, Chamane Épéiste du Dieu Suprême, je vous en conjure. »
Les lèvres de Yukina tissaient un chant solennel. Elle dansait avec sa lance d’argent comme un guerrier priant les dieux pour la victoire — ou comme une prêtresse à qui l’on avait accordé un oracle annonçant la victoire à venir.
« Ô lumière purificatrice, ô divin loup de la dérive des neiges, par votre volonté divine d’acier, abattez les démons devant moi ! »
La lance d’argent émettait un éclair de lumière, l’énergie spirituelle y coulait deux fois plus qu’avant. Ce flash avait entouré Yukina pendant qu’elle faisait un sprint. Yuuma n’avait pas vu ce que Yukina faisait. Le coup porté par le Loup de la dérive des neiges visait directement Yuuma et avait traversé le cœur du corps de Kojou.
Ou cela l’aurait été, si Yukina n’avait pas arrêté son attaque. La pointe de la lance d’argent n’atteignit pas la poitrine de Kojou. Yukina avait hésité dans son attaque en un rien de temps.
Yuuma avait bougé, ne laissant pas cette minuscule ouverture se perdre.
Le poing géant du chevalier bleu avait pivoté vers le flanc de Yukina. Yukina avait de peu réussi à encaisser le coup avec sa lance. Mais elle ne pouvait pas arrêter l’inertie. Son petit corps avait été envoyé en vol, l’envoyant s’écraser sur le sol à plusieurs mètres de distance.
« Himeragi ! » cria Kojou.
Alors que Kojou se dépêchait, Yukina l’avait congédié et avait tremblé en se levant. « … Je vais bien… Ce n’est rien… »
Elle avait tendu la lance d’argent et l’avait ramassée pour la faire rouler une fois de plus sur le sol. Ses bras étaient engourdis parce qu’elle avait vraiment reçu l’attaque du chevalier bleu.
Yuuma avait parlé en regardant Yukina s’asseoir sur ses genoux. « Vous êtes une fille gentille. »
Il n’y avait pas de moquerie dans son ton. En effet, son ton était empreint d’une jalousie ouverte.
« L’arme secrète de l’Organisation du Roi-Lion, capable d’annuler tout pouvoir magique… il n’y a aucun moyen de vraiment savoir si même un vampire immortel reviendrait après s’être fait empalé avec un Schneewaltzer. C’est pour ça que vous avez arrêté. Vous ne vouliez pas tuer le corps de Kojou — . »
Yukina s’était relevée en utilisant sa lance à la place d’une canne.
« … Je ne sais pas de quoi vous parlez. C’était juste un peu d’insouciance, » déclara Yukina.
Elle n’était plus en état de se battre, et dans tous les cas, elle ne pouvait espérer quelque chose comme sa capacité de combat habituelle. De toute façon, elle ne pouvait pas saisir correctement son arme. Yuuma avait parlé comme si elle avait pitié de Yukina, blessée.
« Ça finira de la même façon, peu importe à quel point vous essayez. Vous le comprenez vous-même, n’est-ce pas ? » déclara Yuuma.
Si Yukina ne pouvait pas faire de mal au corps de Kojou, elle n’avait aucun espoir de victoire, peu importe combien de fois elle s’est relevée.
« Senpai… »
Kojou avait soutenu Yukina par-derrière alors qu’il semblait qu’elle risquait de tomber.
Il posa ses mains sur la lance d’argent pour que les deux la saisissent ensemble.
« Kojou… pourquoi… ? » Yuuma demanda, avec son expression semblant dire, Comprends-tu le corps que tu vises avec cette lance… ? Le Schneewaltzer était une lance purificatrice capable de tuer même un Primogéniteur. Kojou s’empalant avec cette lance était un suicide irréfléchi.
Kojou déclara avec un rire impétueux… « Désolé, Yuuma. Je vais te renvoyer faire tes valises et reprendre mon propre corps. Avec ce corps, je ne peux pas boire le sang de Yukina comme d’habitude. »
Les lèvres de Yukina étaient bouclées.
Retirant la lance des mains de Yukina, Kojou avait foncé droit sur Yuuma.
« Allons-y, Yuuma — à partir de maintenant, c’est mon combat. »
Le Loup de la dérive des neiges était plus lourd que prévu. Cependant, ce n’était pas trop lourd à manier pour lui. « Kojou — ! » Yuuma cria d’angoisse.
Puis, elle avait disparu. Une téléportation — !
Mais Kojou l’avait anticipé dès le début.
Yuuma ne pouvait pas attaquer Kojou — ou plutôt, son propre corps.
Si elle causait du mal à son propre corps, le sort de contrôle spatial serait rompu et la conscience de Kojou retournerait à sa propre chair et à son propre sang. Pour sa part, Yuuma retournerait à son propre corps blessé, incapable d’en faire plus. Si Kojou s’en était pris à elle avec l’intention de tuer son propre corps, Yuuma n’avait vraiment pas d’autre choix que de fuir.
Et Kojou savait où elle irait.
L’objectif de Yuuma était d’éliminer Natsuki. Kojou s’étant éloigné de Natsuki, c’était naturellement là que Yuuma allait sauter — à l’endroit où elle pouvait tuer Natsuki dans son sommeil continu.
Kojou n’avait pas attendu.
Avant même que Yuuma ne réapparaisse de sa téléportation, il lança la lance avec tout ce qu’il avait.
Quand Yuuma revint de sa téléportation, elle vit la lance d’argent voler, dirigée vers son cœur.
« Argh… ! Le Bleu — ! »
Réalisant qu’elle n’y échapperait jamais, elle avait ordonné à son propre Gardien de la défendre. Le chevalier bleu lourdement blindé croisa les bras pour bloquer la lance. Sans sa propre énergie spirituelle, le lancer de Kojou n’avait pas imprégné la Loup de la dérive des neiges de ses propriétés propres, magiques et nullificatrice. Il n’avait pas pu briser la défense du Gardien !
« Ça n’a pas marché !? » Kojou sombra dans le désespoir.
L’instant d’après, une petite fille vêtue d’une robe bleue était passée dans sa vision périphérique.
Faisant un sourire élégant, elle se retourna en l’air et lâcha un coup de pied féroce à l’arrière de la lance, coincée dans les bras du chevalier bleu…
« Non, Senpai. Cette victoire est la nôtre, » déclara Yukina.
Avant que Yukina ait fini de parler, Le Loup de la dérive des neiges avait libéré une lueur éblouissante. Elle avait utilisé un coup de pied pour insuffler de l’énergie spirituelle à la lance plutôt que ses mains engourdies.
Imprégnée d’une vague d’oscillation divine, l’arme secrète de l’Organisation du Roi Lion avait traversé les bras croisés du chevalier bleu, l’avait empalé à travers son torse blindé et s’était enfoncée profondément dans la poitrine de Kojou Akatsuki.
Yuuma semblait perdue dans ses pensées. « C’est de la folie… Pourquoi, Kojou… ? »
Son murmure s’était évanoui dans une onde de choc aiguë qui ressemblait à celle d’un éclat de verre.
Le sort de contrôle spatial avait été annulé, le recul avait fait trembler l’air lui-même.
Le corps du chevalier bleu semblait se fondre dans l’air en disparaissant.
Il ne restait plus que le corps de Kojou, qui tombait lentement, presque comme une marionnette avec ses cordes coupées.
*
Mais ce que le dos de Kojou ressentait, ce n’était pas la dure sensation du sol, mais quelque chose de doux et de souple qui s’enroulait autour de lui. Yukina avait attrapé le corps de Kojou par-derrière juste au moment où il était sur le point de toucher le sol.
Les cicatrices de la profonde blessure par lance étaient restées dans la poitrine de Kojou. Cependant, le coup avait manqué de peu le cœur. Ce n’était pas un coup fatal pour un vampire possédant un haut niveau de capacité de régénération.
C’était quand même une blessure grave. Kojou Akatsuki avait gémi avec faiblesse en appuyant sur sa poitrine ensanglantée.
« Aïe… »
Yukina poussa un soupir de soulagement en pointant son regard vers le visage du quatrième Primogéniteur.
Ce n’était ni un visage vaillant ni un visage tragique. Cela semblait un peu apathique d’une certaine façon, mais c’était le regard d’un lycéen ordinaire — c’était le visage qu’il affichait toujours, et qu’elle connaissait très bien.
Yukina posa ses mains sur ses deux oreilles, comme pour l’empêcher d’entendre, tandis qu’elle murmurait pour elle-même.
« Bon retour, Senpai — . »
***
Épilogue
Il s’agissait de l’île d’Itogami — le mur côtier à la pointe nord du Gigaflotteur. Un homme se tenait là, avec les rayons éblouissants du soleil couchant sur lui.
C’était un bel aristocrate, jeune, blond, aux yeux bleus — Dimitrie Vattler.
Au bout de son regard se trouvait une vieille cathédrale en ruine. C’était la vue de dos du vrai gardien de la Barrière pénitentiaire.
Tout avait été dévoilé à sa supervision vampirique. À savoir que Yuuma Tokoyogi, qui avait volé le corps du quatrième Primogéniteur, avait été vaincue par les efforts combinés de Kojou Akatsuki et de la Chamane Épéiste de l’Organisation du Roi Lion.
Et que la Barrière pénitentiaire elle-même restait dans un espace ordinaire, complètement vulnérable et sans défense — .
Les coins de ses lèvres se levèrent en souriant, Vattler murmura sans une seule trace de chagrin évidente dans son ton. « La fille d’Aya Tokoyogi ne va donc pas plus loin. C’est dommage. »
Il tendit l’index dans un rythme qui semblait enfantin.
« Néanmoins, maintenant que la Barrière pénitentiaire est apparue, je pourrais tout simplement décider de détruire la dernière clé de mes propres mains — . »
Ses yeux bleus rétrécis devinrent teints d’un cramoisi sanguin. Une brume sanglante tourbillonna autour de tout son corps, prenant finalement la forme d’un serpent gigantesque.
C’était l’un des neuf vassaux bestiaux qui habitaient dans le « sang » de Dimitrie Vattler. C’était un serpent de mer avec un contrôle sur la pression de l’eau. Il pourrait instantanément augmenter la pression à l’intérieur de la cathédrale à plusieurs milliers d’atmosphères, ou bien la mettre dans un état de vide parfait.
S’il tuait Natsuki Minamiya alors qu’elle dormait, les criminels-sorciers retenus prisonniers dans son rêve seraient libérés. Enfin, Vattler pourrait tester comment ses Vassaux bestiaux se comporteraient par rapport à ceux du Quatrième Primogéniteur. Il ne serait pas mal non plus de tester si la Chamane Épéiste de l’Organisation du Roi Lion pouvait surmonter cette crise.
Mais avant ça, Vattler regardait derrière lui.
« Shakala ! »
Puis, il avait impitoyablement lâché son propre Vassal Bestial.
Le parc à conteneurs de l’île du nord était un port industriel et une zone d’entreposage pour les matières premières et autres approvisionnements apportés par les cargos pour les intérêts des entreprises dans le sanctuaire des démons. Les opérations du port avaient été suspendues pour l’ouverture de la fête de la veille du jour J, de sorte qu’il n’y a plus de dockers en place. Il n’y avait que d’innombrables conteneurs et de l’espace vide dans la cour.
Une silhouette inconnue se tenait sur une pile de conteneurs.
C’était une petite fille qui n’était probablement pas à la moitié de son adolescence. Cependant, Vattler était sensible à la montée d’énergie démoniaque qui l’entourait. C’est pourquoi il avait lâché son Vassal Bestial.
Le Vassal Bestial de Vattler s’était focalisé sur l’objet de la colère de son maître, changeant sa chair en un jet d’eau à très haute pression lorsqu’il l’attaqua.
L’attaque du Vassal Bestial de Vattler possédait une pression atmosphérique de cent mille — assez pour transformer le carbone en diamant. Cependant, la jeune fille l’avait balayé d’une seule main. De sa seule main, elle avait arrêté le Vassal Bestial d’un vampire de la Vieille Garde.
L’impact avait envoyé une rafale d’eau qui avait fait rage tout autour, provoquant l’affaissement de plusieurs conteneurs. Malgré cela, la jeune fille continua à regarder Vattler de haut, son expression demeurant inchangée.
La fille avait parlé d’une voix froide et vive.
« C’est assez loin, Maître des Serpents… Il n’est pas encore temps de perturber leur sommeil… »
C’était un ton gênant, comme si une personne utilisait la bouche et la langue d’une autre pour parler.
La fille portait une robe noire d’une seule pièce. Elle serrait fortement sa taille, montrant clairement les lignes de son jeune corps. Elle portait un bandeau sur la tête avec des oreilles d’animaux. Elle portait des bottes à pattes de chat sur des chaussettes noires. Apparemment, c’était un costume de chat noir. Quand il regardait de près, il pouvait aussi voir une queue.
Cependant, derrière le joli costume, les yeux grands ouverts de la jeune fille ne transmettaient aucune émotion. Seules ses lèvres avaient souri.
Les coins des lèvres de Vattler s’enroulaient en un amusement alors qu’il le demandait… « Qui êtes-vous ? »
La fille n’avait pas répondu. Ses cheveux étaient assez longs, mais peut-être parce qu’elle les portait courts la plupart du temps, ils étaient bizarrement ébouriffés. Vattler ne savait pas que la jeune fille s’appelait Nagisa Akatsuki, et la jeune fille elle-même n’avait pas annoncé un tel nom maintenant.
« Je suppose que vous n’avez donc pas l’intention de répondre, non? » demanda Vattler.
De nouveaux Vassaux bestiaux étaient apparus à la gauche et à la droite de Vattler. Les Vassaux bestiaux, maintenant au nombre de trois, s’étaient enroulés en une spirale, se transformant en un seul Vassal Bestial. C’était un dragon à trois têtes avec des écailles noires. Le dragon aspira l’air ambiant apparemment sans limites, augmentant encore sa masse. Il était aussi grand qu’un monstre issu des mythes et des légendes. Son apparence avait fait croire qu’il s’agissait d’une catastrophe naturelle, telle une perturbation atmosphérique transformée en typhon, transformée en chair physique.
« Alors je jouerais avec vous à sa place — ! »
Vattler avait lâché le monstre sur la fille aux oreilles de chat.
C’était un Vassal Bestial beaucoup trop massif pour cibler une seule personne. Les répliques de l’attaque suffiraient à elles seules à infliger de graves dommages au revêtement de surface de l’île d’Itogami créée par l’homme. Il allait sans dire que la fille au point zéro serait anéantie sans aucune trace. Vattler plissa ses yeux, car il s’attendait à voir exactement cela, quand…
L’instant d’après, tout son corps avait subi un choc imprévu qui l’avait fait voler.
« Guh... gaha... ! »
Il avait volé à environ quatre-vingt-dix mètres de son point de départ jusqu’à ce qu’il soit écrasé contre un brise-lames, Vattler avait craché du sang. L’attaque de Vattler, libéré en grande partie vers la jeune fille, s’était retournée contre lui.
Chaque goutte de sang dans son corps s’était soudainement irritée et s’était mise à couler sous la pression. Le côté droit de son torse avait été liquéfié, pas un seul os de son corps n’avait échappé aux dommages. Un humain normal, un démon ou un vampire sain d’esprit serait sûrement mort sur le coup. Le fait qu’il n’ait même pas perdu conscience, c’est parce qu’il était un aristocrate vampire avec le sang d’un Primogéniteur qui coulait dans ses veines.
Son approvisionnement en énergie démoniaque interrompu, le Vassal Bestial de Vattler s’était déjà dématérialisé et avait disparu.
À sa place apparut un nouveau Vassal Bestial, transparent comme la glace d’un glacier. C’était un beau Vassal Bestial de moins de dix mètres de long. La moitié supérieure de son corps ressemblait à une femme humaine, la moitié inférieure présentait la forme d’un poisson. Des ailes poussaient dans son dos, des griffes acérées et lugubres s’étendaient du bout de ses doigts.
Une nymphe ou peut-être une sirène — .
Avec une aura glaciale qui l’entourait, le Vassal Bestial fixa Vattler d’un regard glacial comme si elle protégeait la fille aux oreilles de chat.
C’était ce Vassal Bestial de glacial qui avait annihilé le Vassal Bestial de Vattler et lui avait infligé de si graves blessures.
« C’est de la folie… C’est Alessia Gracius… Le douzième Vassal Bestial d’Avrora Florestina. Comment utilisez-vous son pouvoir ? » Le corps de Vattler était encore en lambeaux quand il avait posé la question. Cependant, la jeune fille n’avait pas répondu.
Vattler fixa la jeune fille d’un regard mal focalisé et, finalement, ses épaules tremblèrent en riant à haute voix.
« Non, je vois… C’est comme ça que ça se passe… Ha-haha ! C’est pourquoi vous pouvez l’utiliser… »
Tandis qu’il continuait à rire, du sang coagulant coulait de la gorge de Vattler, alors même que des fluides corporels bouillonnants se déversaient de ses blessures sur tout son corps. Malgré cela, son rire ne cessa pas. C’était le rire qui était à la fois clarté et folie.
« C’est pourquoi Kojou Akatsuki a consommé Avrora et a obtenu le pouvoir du quatrième Primogéniteur… et vous avez regardé tout ce temps. Gwa-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha… ! »
La fille aux oreilles de chat sur le dessus du conteneur se déplaça sur le côté pendant qu’elle parlait. « … Il semble que votre humeur se soit quelque peu améliorée, Maître des Serpents. »
« Oh oui… Grâce à cela, je suis de très bonne humeur. Je veux dire, c’est assez évident. Il n’y a qu’une seule possibilité de pourquoi il y a quelqu’un d’autre que le quatrième Primogéniteur qui peut employer les vassaux bestiaux du quatrième Primogéniteur… »
Après avoir finalement cessé de rire, Vattler se releva doucement.
Les os brisés sur tout son corps avaient en grande partie fini de se réparer, ses organes internes perdus et le côté droit de son corps avaient aussi fini de se régénérer. Même si les vampires étaient immortels de par leur nature même, c’était un niveau choquant de guérison.
La jeune fille aux oreilles de chat parla en regardant l’aristocrate vampire ressuscité. « J’ai une chose à vous dire, Dimitrie Vattler. »
« … Et qu’est-ce que ce serait, la douzième ? »
La réponse de Vattler s’accompagna d’un regard provocateur. Pendant un seul instant, la fille qui ressemblait à Nagisa Akatsuki souleva un sourcil de mécontentement. Elle avait ensuite poursuivi sur un ton calme…
« Rien n’est encore fini. Rien —, » déclara-t-elle.
***
Kojou Akatsuki ouvrit les yeux dans la chapelle peu éclairée.
Apparemment, il n’avait pas été inconscient depuis si longtemps. Kojou pouvait encore sentir la fraîcheur agréable du sol contre son dos.
Mais le tissu blanc qui touchait sa joue droite était légèrement chaud. Kojou n’avait pas encore réalisé que le tissu faisait partie de la robe de Yukina alors qu’elle berçait la tête de Kojou sur ses genoux.
Malgré cela, Kojou avait inconsciemment retourné son visage pour ressentir davantage la sensation agréable quand...
« Es-tu revenu à toi, Senpai ? »
Surpris d’entendre la voix de Yukina dans son oreille, il s’était assis très vite.
« — Himeragi… !? »
L’instant d’après, Kojou avait gémi d’angoisse à cause de la douleur intense qui soulevait tout son corps. C’était comme si chaque nerf de son corps avait été jeté dans un mélangeur.
« Franchement, mon corps me fait mal comme si j’étais mort…, » déclara Kojou.
« … Alors, c’est comme on s’y attendait, non ? » répliqua Yukina.
Yukina avait caressé Kojou sur la tête comme si elle s’occupait d’un jeune frère qui exigeait beaucoup d’attention.
Bien qu’embarrassée par la façon dont elle le traitait de toute évidence comme un enfant, la magie de guérison n’avait pas fonctionné sur Kojou parce qu’il était un vampire, Yukina ne pouvait vraiment rien faire d’autre. Il ne pensait pas non plus qu’un traitement sain d’esprit que vous recevriez en allant à l’hôpital pourrait guérir les séquelles d’un détournement de corps par une sorcière. Aller à l’un d’entre eux serait effrayant.
Ayant repris son propre corps vampirique, Kojou ne pouvait penser qu’à une seule chose qui l’aiderait.
« Hey, ah, Himeragi… peut-être qu’un peu de ton sang… ? » demanda Kojou.
« Tu ne peux pas. Tu ne peux absolument pas. Les autres fois, on n’y pouvait rien à cause de circonstances pressantes ! » Yukina pressa ses lèvres avec un « muu » et pinça la joue de Kojou. Kojou se sentait ainsi à l’aise. Il semblait qu’elle faisait savoir à Kojou ce qu’elle pensait vraiment.
Yukina ne lui avait offert son sang que deux fois jusqu’à présent. Les deux fois s’étaient produites après la mort de Kojou. C’est pourquoi, quand Yukina avait hésité à utiliser le Loup de la dérive des neiges sur lui, il lui avait dit de le laisser boire son sang comme d’habitude.
Il lui disait : c’est cool, même si j’en meurs, je reviendrai.
Il voulait penser que Yukina utilisait enfin le Loup de la dérive des neiges sur lui sans pitié, c’était juste elle qui suivait ses bons conseils.
« Je suis content que tu aies réalisé. Merci. »
« S’il te plaît, ne dis plus jamais ça là où les autres peuvent entendre, » déclara Yukina.
Yukina pinça de nouveau la joue de Kojou pendant qu’elle parlait. Alors, s’il n’y a personne, ce n’est pas grave ? s'interrogea Kojou, bien qu’il ait eu ses doutes.
« D’accord… Yuuma !? » demanda Kojou.
Le regard de Yukina se tourna vers Yuuma, qui était allongée juste à côté de Kojou sur le côté.
« Elle est en sécurité. L’impact d’avoir été coupé de l’espace de connexion a été moindre que ce que tu as subi, mais…, » déclara Yukina.
Les joues de Yuuma étaient encore pâles, et il y avait des signes de saignement provenant de tout le corps, mais elle ne semblait pas en danger de mort. Ses seins montaient et descendaient comme il se doit, après tout, son visage n’était pas tordu par la douleur. En la regardant de l’extérieur, le visage de Yuuma était tout à fait charmant. Derrière toute cette attitude de garçon manqué se cachait un style qui était étonnamment féminin et qui avait totalement fonctionné pour elle. En y repensant, il avait l’impression d’avoir gâché une occasion. Se changer et se doucher une fois dans son corps n’aurait-elle pas été une grande transgression ?
Comme Kojou pensait paresseusement à ces choses impures, Yuuma ouvrit soudain les yeux et regarda Kojou. On aurait dit qu’elle était consciente au début. Face à Kojou, bercé par le timing inquiétant, Yuuma murmura d’un ton plat. « … On dirait que j’ai échoué… »
Il n’y avait ni colère, ni tristesse, mais seulement un son creux dans sa voix. On aurait dit un vieil homme qui avait perdu sa raison de vivre et qui aspirait à la mort.
En voyant son amie d’enfance comme ça, Kojou avait ressenti une colère féroce et, sans se soucier de la façon dont tout son système nerveux grinçait, il s’était assis et avait regardé Yuuma d’un air fixe.
« Non, ce n’est pas ça du tout. Tu as été libérée. »
Yuuma avait cligné des yeux plusieurs fois par surprise. Puis, un sourire était apparu sur son visage comme une fleur en épanouissement.
Les joues de Kojou rougissaient, car son visage souriant le prenait par surprise. Apparemment, au cours des quatre dernières années, Yuuma était devenue capable de montrer une expression si douce.
« Kojou. »
« Quoi ? » En regardant le Kojou rougissant, Yuuma avait demandé en taquinant…
« Qu’est-ce que ça fait d’être dans mon corps ? »
« Quoi… !? » Kojou s’était éclairci la gorge par réflexe. « Ne le dis pas comme ça, les gens vont se faire de fausses idées ! »
« As-tu fait quelque chose de mal ? » demanda Yuuma.
Kojou éleva la voix alors qu’il se sentait acculé dans un coin. « Je ne l’ai pas fait ! »
Il savait très bien qu’il avait l’air d’un menteur en raison de son désespoir, mais il n’y pouvait rien dans une telle situation. Le regard mécontent que Yukina lui lançait du côté l’avait complètement perturbé.
À ce moment, Kojou entendit une voix familière derrière lui.
« … Mon Dieu, vous vous calmez après avoir fait tant de grabuge. »
Le zézaiement, toujours aussi léger, lui donnait mystérieusement un charisme étrange au son de sa voix.
En regardant dans la direction, Kojou vit Natsuki Manamiya, qu’il croyait encore endormie, debout là.
Il était certain que ce n’était pas un clone créé par un sort, mais plutôt son corps réel, enfermé dans la Barrière pénitentiaire. Mais Kojou avait l’impudence et l’idiotie de penser qu’elle était exactement la même que d’habitude. À la fin, Natsuki était Natsuki, qu’elle soit clone ou originale.
Yukina avait parlé avec un soulagement apparent. « Vous vous êtes réveillée, Mlle Minamiya ? »
Si elle, la clé de la Barrière pénitentiaire s’était réveillée, ils pourraient rétablir son sceau ou créer un nouveau système de défense, en choisissant parmi les nombreuses options disponibles.
Kojou regarda Natsuki avec un regard riche en insatisfaction. « Attends… ne me dis pas que tu faisais semblant de dormir. C’est un coup sale là. »
Elle lui avait un peu fait la moue. « C’est vrai qu’il fallait que je garde mes forces. Même moi, je ne m’en serais pas tiré à la légère si j’avais reçu un coup d’un de tes Vassaux Bestiaux… Tu as du culot de lever la main sur ton honorable professeur. Je dois t’accorder une récompense convenable. »
Tandis qu’elle parlait, elle frappa soudain le front de Kojou juste entre les yeux.
« Owwwwwwwwww ! C’est quoi, cette récompense ? Et ce n’est pas moi qui l’ai fait de toute façon ! » s’écria Kojou.
« Hm ? Quoi, ici ? Est-ce mieux, ici ? »
« Guoa !? Merde… Tu as l’air bien reposé ! » déclara Kojou.
Kojou gémit en pleurant alors qu’il tenait son front. Il se sentait comme si une douleur incessante, presque insupportable sur tout son corps s’était un peu calmée. Peut-être Natsuki avait-elle utilisé un sort pour guérir Kojou. Si c’était le cas, ne pouvait-elle pas trouver une meilleure façon de le faire, boudait Kojou dans sa propre tête.
Finalement, Natsuki baissa les yeux vers Kojou avec exaspération et soupira.
« Bonté divine… je n’aurais pas pensé un jour où je serai sauvée par mon propre élève. Ce n’est pas facile de vieillir, » déclara Natsuki.
Kojou n’en revenait pas des paroles prononcées par Natsuki, qui avait l’apparence d’une petite fille.
« Je ne pense pas vraiment que tu sois du genre à parler de ça… » Pour sa part, l’expression de Natsuki était soudain devenue sérieuse quand elle s’était tournée vers Yuuma.
« … Que feras-tu, fille d’Aya Tokoyogi ? Veux-tu un autre round ? » demanda Natsuki.
Yuuma s’assit calmement et secoua la tête. « Je vais passer mon tour. Tous ces trucs-là, cela m’a mise K.O. On dirait que je n’ai plus aucune raison de m’en prendre à la Barrière pénitentiaire… Le Bleu est aussi dans un véritable chaos. »
« Vraiment ? » Natsuki regarda le Gardien de Yuuma qui s’était matérialisé et hocha la tête.
En raison du contrecoup de l’excès d’énergie démoniaque et sa bataille contre Yukina, le chevalier bleu sans visage était dans un état pitoyable avec des blessures sur tout le corps. Même s’il pouvait guérir, Yuuma aurait besoin de longs mois et de longues années avant de recouvrer complètement ses pouvoirs de sorcière. De toute façon, Kojou ne pensait pas que Yuuma voulait vraiment ça.
Elle était enfin libérée de la malédiction que sa propre mère lui avait lancée.
Quand il l’avait vraiment réalisé, Kojou n’avait pas pu empêcher un sourire satisfait de se manifester sur son visage.
Et c’est là que c’est arrivé.
La voix de Yuuma trembla de malaise alors qu’elle tentait de libérer son Gardien de la matérialisation.
« … Le Bleu… ? »
L’armure recouvrant tout le corps du chevalier sans visage avait tremblé. Le choc du métal sur le métal avait produit un son étrange. Il rit, Kojou s’en était soudain rendu compte.
Le chevalier, blessé de partout, riait sous son masque qui semblait creux, comme un squelette — .
« Le Bleu, arrête ! » Yuuma l’avait ordonné presque d’une voix hurlante. Mais les mouvements du chevalier bleu ne cessèrent pas.
Le chevalier bleu atteignit l’épée sur sa hanche, la tirant pour la première fois. La lame qui émergeait de l’intérieur du fourreau était aiguisée et extrêmement polie, comme si elle n’avait jamais été utilisée auparavant.
Kojou et Yukina avaient sauté, chacun devant Natsuki pour la protéger.
Cependant, l’action suivante du chevalier bleu était allée à l’encontre de toutes leurs attentes.
Après une vague de son épée géante, le chevalier bleu la plongea dans la poitrine de Yuuma, dans Yuuma, la personne qu’il était censé protéger.
Kojou avait vu la scène avec horreur.
« … Yuuu — ma !? »
Avec un gargouillement, du sang frais s’était répandu de la bouche de Yuuma.
Yuuma tendit la main vers son propre Gardien et fit entendre une voix désespérée.
« … Mère… C’est à ce point… que tu le veux vraiment… ? »
La lame s’était enfoncée profondément dans sa poitrine. Mais la pointe de l’épée, qui aurait dû passer à travers elle, n’était pas apparue de l’autre côté. Il avait utilisé le corps de Yuuma comme porte de téléportation pour transférer l’épée ailleurs.
Une voix cassée et rouillée était venue du chevalier bleu sans visage.
« J’ai attendu longtemps ce moment… le moment où même une personne aussi sournoise et capricieuse que toi baisserait ta garde. »
C’était la voix d’une femme, avec le ton d’une méchante sorcière adulte.
Natsuki fit soudain sortir un murmure de mépris.
« Un piège… Dire que tu utiliserais ta propre fille comme leurre… Inhumain. »
Quand il avait senti le sang jaillir de son souffle, le visage de Kojou s’était figé en regardant ça.
Une masse brute et malveillante d’acier faisait saillie de la belle dentelle qui ornait la poitrine de Natsuki.
C’était la pointe de l’épée géante du chevalier bleu.
« Mlle Minamiya ! »
« Natsuki !? »
Yukina et Kojou ne pouvaient rien faire d’autre qu’être étonné à la vue trop tordue.
Tandis que Kojou se perdait sous le choc, Natsuki le regarda d’un air de colère et fit un rire faible. « Idiot… N’appelle pas… ta professeure principale par son… prénom… »
Le petit corps de poupée de son professeur s’était lentement effondré sur le sol.
Il continua à entendre les rires sans fin et macabres du chevalier bleu sans visage.
Il ramassa le corps trop léger de sa professeure principale… Kojou ne pouvait que crier jusqu’à ce que sa voix devienne rauque.
« Uooooooooooooooooooooo — ! »
Le rugissement du 4e Primogéniteur résonna dans la cathédrale en ruine et faiblement éclairée.
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Illustrations
Fin du tome 4.
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