Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 13

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Chapitre 1 : Un monstre étrange et une nouvelle découverte

Partie 1

« Les choses sont devenues beaucoup plus animées… »

Après avoir purgé le village des squelettes, j’avais passé une nuit à monter la garde pour m’assurer que plus aucun d’entre eux ne pouvait entrer. Pendant ce temps, Rivul et le chef du village, Jiris, faisaient le tour de tous les autres villages et villes pour informer les personnes évacuées qu’on s’était occupé des squelettes.

Le jour se leva et à midi, ils revinrent. À ma grande surprise, ils n’étaient pas seuls : les premiers occupants du village les avaient accompagnés, les yeux pleins de larmes. Il ne s’agissait pas de tous les habitants du village, bien sûr — seulement les jeunes hommes valides et leurs femmes —, mais ils avaient prévu que les enfants et les personnes âgées reviendraient au fur et à mesure que le village se rétablirait.

Jiris fit remarquer que certaines personnes évacuées ne reviendraient probablement pas, choisissant plutôt de s’installer dans les villes ou les villages où elles s’étaient enfuies. La majorité d’entre eux reviendraient cependant, ce qui montrait à quel point ils aiment leur village.

Actuellement, je les aidais à redonner vie au village. Cela dit, il ne s’agissait pour l’instant que de travaux simples : réparer les clôtures dans la zone, rassembler les débris des bâtiments endommagés et trier ce qui était encore utilisable, ce genre de choses. Il semblerait que nous pourrions en faire assez pour que tous ceux qui reviendraient aujourd’hui aient un toit au-dessus de leur tête ce soir.

« C’est grâce à toi, Rentt », déclara Rivul en portant une planche sur la place centrale du village. Elle avait probablement fait partie du mur d’une maison.

« Je ne fais que mon travail », avais-je répondu. « D’ailleurs, le véritable effort de rétablissement ne fait que commencer. Ce ne sera pas facile… mais vu le nombre de personnes qui sont revenues aujourd’hui, je suppose que vous vous en sortirez. »

Une vingtaine de personnes étaient revenues jusqu’à présent. Cela représentait un quart de la population initiale du village, qui était d’environ quatre-vingts personnes, et d’autres viendraient demain. Naturellement, il n’était pas réaliste de s’attendre à ce que tout le monde revienne au bout d’un jour ou deux —, et il était assez surprenant qu’un quart de la population soit déjà de retour. Si quelqu’un m’avait dit que le village se rétablirait complètement, je l’aurais cru.

« Heureusement, la plupart des maisons n’ont pas subi de dégâts importants, et les champs sont restés intacts, » dit Rivul. « Nous nous en sortirons très bien. Avons-nous échappé à une destruction plus sérieuse parce qu’il n’y avait que des squelettes ? »

« C’est ce que je pense », avais-je acquiescé. « S’il s’agissait principalement de monstres de type loups, vos champs auraient été arrachés, et les gobelins ou les slimes auraient fait un malheur dans les maisons. »

Les monstres que j’avais énumérés sont les types les plus courants qui assaillaient les villages humains. Les monstres de type loups étaient de formes et de tailles diverses, mais en général, ils étaient tous motivés par la recherche de nourriture, et pour atteindre cet objectif, ils déracinaient les champs ou dévoraient même les villageois eux-mêmes. Les monstres de type gobelins agissaient de la même façon, pillant les réserves de nourriture et démantelant les maisons pour trouver des matériaux pour leurs propres habitations. S’ils parviennent à prendre le contrôle du village, ils le dépouillaient généralement jusqu’aux fondations.

Les monstres de type slime n’effectuaient pas de raids de la même manière, mais comme ils pouvaient dissoudre et manger n’importe quoi, ils pouvaient consommer un village entier — champs, maisons et tout le reste — et le réduire à un terrain vague stérile.

Tous ces monstres pouvaient être décrits comme les ennemis naturels de l’humanité. C’est pourquoi les gens avaient appris depuis longtemps à les combattre.

On pourrait penser que les dragons ou les chimères sont les monstres les plus dangereux, mais ces grandes créatures quittent rarement leur domaine. Si l’on regarde à travers les âges, c’est en fait le menu fretin, comme les gobelins, qui avait toujours été en conflit avec l’humanité, se battant pour des endroits où vivre.

C’est ainsi que l’humanité avait réussi à survivre jusqu’à aujourd’hui. Si les dragons et les chimères nous avaient attaqués tous les jours, notre espèce aurait disparu depuis longtemps.

Bien sûr, à l’ère moderne, l’humanité disposait de moyens de riposte. Mais ce n’était pas le cas de nos ancêtres. La seule raison pour laquelle notre espèce avait réussi à se frayer un chemin vers la survie malgré ses faibles capacités physiques était que nous possédions un peu plus d’intelligence que les autres animaux du monde.

Les humains étaient vraiment des créatures fondamentalement faibles, hein…

« Oui, c’est logique, » déclara Rivul. « J’ai entendu parler de ce que d’autres monstres peuvent faire à un village. Alors on dirait que nous avons été plutôt chanceux. »

« Dans ce sens, je suppose que vous l’avez été…, » répondis-je. « Bien que, du point de vue du timing, vous pourriez aussi vous considérer comme malchanceux, étant donné tout le mal que vous avez eu à essayer d’engager un aventurier à Maalt. »

« Pas du tout ! Vous avez fini par accepter, n’est-ce pas ? Je compte cela comme de la chance, surtout maintenant que vous faites des pieds et des mains pour aider alors que vous n’en avez pas besoin. »

Rivul parlait de mon aide à la restauration du village. Il n’avait pas tort — rien de tout cela n’avait été inclus dans les détails de la mission, et j’avais donc parfaitement le droit de me détendre et de me prélasser dans la maison du chef. Mais je ne me voyais pas faire ça.

« Non, je considère que cela fait aussi partie du travail », avais-je répondu.

« Hein ? »

« Bien sûr, j’ai éliminé tous les squelettes, mais je suis presque certain que ce n’est pas fini. Il y a de fortes chances que d’autres viennent frapper à la porte. Nous devons renforcer les défenses du village pour nous y préparer. »

« Je… suppose que vous avez raison. Il y avait plus de squelettes quand nous sommes arrivés, par rapport au moment où je suis parti soumettre la mission. Ils doivent arriver de l’extérieur. »

« Et voilà. Cela veut dire qu’il y a une source quelque part, et qu’il faut la tarir. Mais je suis seul, et je ne supporterais pas que le village soit à nouveau envahi alors que je suis en train de chercher, alors je voulais faire ce que je pouvais pour empêcher ça. »

« Vous feriez vraiment tout ça pour nous… ? »

« Bien sûr. Sinon, pourquoi pensez-vous que je tue ces monstres ? C’est pour que vous puissiez tous vivre ici. Ça ne sert à rien de faire tout ce travail si c’est pour qu’ils reviennent demain… alors, faisons de notre mieux pour que ça n’arrive pas. »

« Oui, monsieur ! »

◆◇◆◇◆

« J’ai toutes sortes de choses — dites-moi ce que vous voulez », dis-je. « Ah, mais… vous devrez payer, bien sûr. »

Sur la place du village s’étalait un arrangement de nourriture et d’articles divers. C’était le contenu de mon sac magique, et en tout et pour tout, cela représentait environ plusieurs chariots de marchandises.

Il y avait aussi un certain nombre de bricoles que je gardais toujours dans le sac, le genre d’objets qui faisaient toujours dire à Lorraine : « Pourquoi gardes-tu ce truc là-dedans… ? » Ce n’est pas que je ne vais pas m’en servir. C’est juste ce qu’il faut pour cette situation.

J’avais oublié pourquoi j’avais mis certaines de ces choses dans le sac, mais être un aventurier signifie que des choses inattendues pouvaient s’avérer utiles à des moments inattendus. D’autres auraient pu me traiter d’accumulateur, mais je ne voyais aucun problème à ma petite habitude.

Il était important que tout soit organisé, naturellement, mais il se trouve que j’étais plutôt du genre ordonné dans ce domaine. Après tout, j’avais longtemps été chargé de faire le ménage chez Lorraine. Bien qu’elle soit devenue capable de le faire elle-même, il suffisait qu’un nouveau projet de recherche retienne un peu trop son attention pour que le désordre commence à s’accumuler.

Tout cela m’avait amené à me demander si la quantité de concentration ou de maîtrise de soi qu’une personne pouvait utiliser en une journée était fixe, tout comme le mana ou l’esprit.

Quoi qu’il en soit, je n’étalais pas le contenu de mon sac magique sur la place du village sans raison valable. Étant donné que le village avait été endommagé de cent une façons différentes, j’avais pensé qu’une partie de ma collection pourrait contribuer à l’effort de réparation.

Bien sûr, je n’avais pas l’intention de tout distribuer gratuitement. Je devais aussi gagner ma vie… enfin, c’est ce que je dirais si une grande partie de ce que j’avais étalé n’était pas un bric-à-brac aléatoire que je n’utilisais jamais. Le plus souvent, je savais que les villageois refuseraient de prendre tout ce que j’avais acheté si je ne demandais pas de compensation. Les achats étranges obtenus à bas prix pouvaient sembler suspects et ne pas valoir la peine. Avec ce genre d’objets, il était plus facile de faire une transaction directe.

Je pense que c’est le problème avec les bricoles. C’était presque sans valeur et j’aurais été heureux de le donner, mais personne ne voulait vraiment de ce genre de choses. La seule raison pour laquelle ce n’était pas complètement sans valeur, c’est que la camelote d’un homme est parfois le trésor d’un autre. Pour n’importe quel objet, tu peux toujours trouver un excentrique qui en veut… comme moi, par exemple.

« Je ne savais pas que les aventuriers pouvaient faire tenir autant de choses dans leurs sacs magiques… » Rivul était à moitié décontenancé, à moitié émerveillé alors qu’il fouillait dans mes bricoles. « Vous avez encore plus de quantité et de variété que les marchands ambulants. »

Il était concentré sur la vaisselle : assiettes, tasses, fourchettes et autres. En fait, la plupart des villageois se concentraient aussi sur cette vaisselle, ce qui était logique — c’était le genre d’objets que les squelettes avaient le plus cassés. Comme on pouvait s’y attendre, les villageois ne possédaient pas de verrerie, mais ils avaient beaucoup de céramiques, et tout cela avait été la première chose à disparaître lorsque les monstres avaient commencé à se déchaîner.

Cela dit, les dégâts n’étaient pas généralisés — la majorité de leur vaisselle était en bois, après tout — mais que vous soyez dans une grande ville ou un petit village comme celui-ci, les gens voulaient toujours des pièces plus jolies qu’ils pouvaient sortir pour les célébrations. À ces occasions, il était courant d’utiliser des céramiques colorées.

Ironiquement, l’aristocratie et les grandes familles de marchands des villes utilisaient volontiers de la vaisselle en bois finement sculptée et chérissaient ce genre de pièces. Le fait que l’offre et la demande soient différentes partout était l’épine dorsale du commerce des marchands ambulants.

***

Partie 2

« Entre nous, mon sac magique est plus grand que ceux que vous croisez habituellement », avais-je expliqué. « Les normaux ne peuvent contenir que trois ou quatre sacs à dos en cuir, et ceux-là se vendent encore pour des centaines d’or. »

C’est exactement le genre de sac magique que j’utilisais à l’époque où j’étais humain. Mon sac actuel se vendrait probablement en platine, et non en or… Si Nive n’avait pas été là, j’aurais pu passer toute ma vie sans pouvoir en acheter un comme celui-là.

Si on m’avait posé la question à l’époque, je me serais demandé si j’en aurais vraiment pour mon argent. Aujourd’hui, je pouvais dire sans hésiter que la réponse est « oui ». Les pièces de platine étaient au-dessus du niveau de rémunération d’une personne de la classe Bronze comme moi, mais je n’avais jamais regretté mon achat. Je voyais ce sac comme un investissement dans mon avenir. De plus, je ne voyais pas l’intérêt de mettre en banque des pièces de platine de toute façon. Mon objectif était de devenir un aventurier de classe Mithril, pas de devenir riche. Je dépenserais toutes les pièces que j’avais pour atteindre cet objectif, s’il le fallait.

« Des centaines d’or !? » s’exclama Rivul. « J’avais entendu dire que les aventuriers gagnaient beaucoup, mais de là à penser que vous étiez si riche… »

« Hé, ne vous faites pas de fausses idées. Il m’a fallu des années pour économiser », avais-je dit. « C’est vrai que les aventuriers gagnent plus que le travailleur moyen. Le problème, c’est qu’ils risquent constamment leur vie pour y arriver. »

Rivul avait alors eu un haut-le-cœur à ce moment-là. Ce que j’avais dit était la vérité brutale — les aventuriers étaient le genre de personnes qui pensaient que le risque en valait la peine.

Mais ce n’était pas une réflexion qu’une personne normale ferait. Pour le commun des mortels, toutes les pièces du monde ne valaient pas la vie. Dans leur esprit, ceux qui choisissent d’être des aventuriers avaient tous un peu perdu la tête.

En fait, si on me demandait à quel point mon esprit était étrange, je mettrais un certain temps à te répondre. Contrairement à la plupart des aventuriers, qui se vantaient souvent dans les tavernes de leurs exploits et du nombre de fois où ils avaient frôlé la mort, j’étais en vérité mort une fois — plus, selon la façon dont vous comptez. Je n’aurais pas fini comme ça si mes vis n’étaient pas au moins légèrement déréglées.

« Je ne peux pas vous dire à quel point j’admire les aventuriers, » dit Rivul. « Surtout ceux comme vous, Rentt. Vous pourriez être loin d’ici à gagner beaucoup d’argent, mais vous avez quand même choisi d’accepter ma demande. »

« Cependant, le travail n’est pas toujours présent. Ce n’est pas comme si je n’étais jamais dérangé pour une pièce. »

« Je suppose que non. Oh ! Mais n’est-ce pas… ? »

Rivul avait regardé pendant que nous parlions, et il semblait avoir trouvé quelque chose qui l’intéressait. Il ne regardait pas la vaisselle, mais la section des objets que j’avais pris aux monstres.

Quant à l’objet spécifique qui avait attiré son attention, il s’agissait d’une lance brandie par l’un des soldats-squelettes.

◆◇◆◇◆

« Y a-t-il un problème ? » demandai-je en regardant Rivul ramasser la lance.

En soi, il n’était pas inhabituel de le voir prendre une arme. Le chef l’avait qualifié de chasseur émérite, il s’ensuivait donc qu’il s’intéressait davantage aux armes que la plupart des autres.

Ce qui est étrange, c’est la raison pour laquelle il s’était immédiatement tourné vers la lance. L’assortiment ne comprenait qu’un certain nombre de couteaux — certains bon marché, fabriqués en série, et d’autres, destinés à la cuisine — et le butin que j’avais obtenu en tuant les squelettes la veille, y compris leurs arcs. Les arcs n’étaient pas mal non plus, du point de vue de la qualité, et ils se vendraient probablement pour une somme décente. Étant donné ses compétences en tir à l’arc, Rivul aurait pu s’en rendre compte, et j’aurais donc pensé que son attention se porterait d’abord sur ce point. Cependant, il ramassa la lance, ce qui éveilla mon intérêt.

Après avoir scruté l’arme, Rivul put ainsi satisfaire ma curiosité. « J’ai déjà vu cette lance. Non, dire cela ne lui rend pas justice. Je connais cette lance. C’était… c’était celle de mon père. »

Ah. Cela expliquerait tout.

Les squelettes pouvaient apparaître de différentes manières, mais celle qui faisait le plus froid dans le dos était celle où, pour une raison ou une autre, ils émergeaient des restes d’une personne décédée.

Pour être honnête, il n’y avait pas que les squelettes : c’était une origine possible pour les morts-vivants en général. Les circonstances changent lorsqu’il s’agit de morts-vivants d’ordre supérieur, comme les vampires et autres, mais il est assez courant que les morts-vivants de base comme les squelettes et les zombies proviennent de cadavres. C’est la raison pour laquelle les organisations religieuses géraient scrupuleusement les cimetières et que les petits villages comme celui-ci réduisaient les risques en organisant des festivals saisonniers au cours desquels ils priaient les esprits des morts de passer à autre chose.

Grâce au sceptre du royaume de Yaaran, les choses étaient un peu différentes ici. Le risque de voir surgir des morts-vivants était dès le départ faible, ce qui expliquait pourquoi les organisations religieuses avaient moins d’influence.

En tout cas, puisque c’était une origine possible pour les morts-vivants, il n’était pas rare que certains manient les armes qu’ils avaient utilisées dans la vie. En bref, un soldat-squelette brandissant l’arme du père de Rivul signifiait…

« Ce soldat-squelette était votre… »

« Oui, c’était probablement mon père… Je doute qu’il se soit déjà attendu à ce qu’il finisse par ravager son propre village après sa mort. Je… ne vous remercierai jamais assez pour ce que vous avez fait, Rentt. Vraiment. »

J’avais perdu le compte du nombre de fois où il m’avait remercié à ce stade. « Vous n’avez vraiment pas besoin de continuer à me remercier », lui dis-je. « Cela mit à part... puis-je vous demander quand votre père est mort ? »

Je ne demandais pas cela parce que j’étais insensible. Enfin, je l’étais peut-être un peu, mais certainement pas au point de ressentir le besoin de déterrer les vieilles blessures des autres. J’avais posé la question parce qu’il fallait que je le sache — cela pouvait me permettre d’en savoir plus sur la source des squelettes.

« Il y a environ trois ans », répondit Rivul. « Il a repéré un gobelin qui errait dans les environs et a rassemblé les villageois pour le tuer avant qu’il ne puisse appeler ses frères. Un seul gobelin est tout à fait à la portée d’un groupe de villageois. En plus de cela, mon père était un chasseur expérimenté, bien plus que moi. Il savait aussi se servir d’une épée et d’une lance, car il avait été soldat de la ville dans sa jeunesse. C’est lui qui m’a appris à me servir d’un arc. »

Le père de Rivul avait donc été garde municipal pendant son adolescence et sa vingtaine, puis s’était marié et était retourné dans sa ville natale pour subvenir aux besoins de ses parents. C’était une histoire courante, même parmi les aventuriers. En fait, c’était à peu près ainsi que cela se passait pour la majorité d’entre eux qui avaient quitté la campagne pour s’installer en ville, à la recherche de la gloire et de la fortune.

Seule une petite fraction pouvait réussir, après tout. Les autres apprenaient leurs limites et leur place dans le monde, et ils retournaient là où ils pouvaient trouver une sorte de bonheur modeste pour eux-mêmes.

Le père de Rivul avait dû vivre une histoire similaire. Mais quant à retourner dans votre ville natale, enseigner à votre fils les compétences que vous avez maîtrisées et le voir grandir pour devenir un homme bien ? Ce n’était pas du tout une mauvaise vie. Quand quelqu’un possède un héritage, il peut se sentir à l’aise. C’est de ce genre de choses qu’est né le bonheur.

« On dirait que votre père était un homme formidable. »

« Rentt… Oui. En ce qui me concerne, c’était le meilleur père que l’on puisse demander. Mais à la fin, il y a des choses que même lui ne pouvait pas faire. Surtout quand il s’agit de monstres… »

« Par là, voulez-vous dire… »

« Oui. C’est ce gobelin qui l’a tué. Sauf qu’il n’y en avait pas qu’un seul — ils étaient plus de dix. D’après les autres villageois qui s’en sont sortis de justesse, il a assuré seul l’arrière-garde pour que tout le monde s’en sorte. Grâce à lui, ils sont tous revenus, bien que lourdement blessés. Je ne compte plus le nombre de fois où ils se sont excusés auprès de moi. Ils le font encore parfois. »

Ce n’est pas étonnant — pour le dire franchement, il ne serait pas incorrect de dire qu’ils avaient laissé mourir le père de Rivul. La culpabilité devait leur peser très lourd. C’était peut-être la meilleure solution — étant donné les circonstances, ils auraient pu critiquer le père de Rivul et justifier leurs propres actions auprès d’eux-mêmes.

La raison pour laquelle cela ne s’était pas produit tenait probablement à l’identité de Rivul et de son père, ainsi qu’à la nature des villageois. Après tout, lorsque j’avais combattu les squelettes, ils avaient juré de me soutenir, allant même jusqu’à dire qu’ils se serviraient de boucliers pour moi.

Peut-être que les villageois qui avaient été secourus par le père de Rivul étaient ceux-là mêmes qui surveillaient le village depuis l’arrière de la colline.

« Mais tout cela, c’est du passé », déclara Rivul. « Je ne leur en veux pas du tout. Si j’avais été à leur place, je doute que j’aurais pu faire quelque chose de différent. Et même si je suis triste de son décès, je suis aussi heureux que mon père ait été un homme formidable jusqu’à la fin. »

« Vous êtes aussi un homme bien. Je pense que je vous aurais gardé rancune, si cela avait été moi. »

« Vous ne le feriez pas, Rentt. Je peux le dire. »

« Vous avez une trop haute opinion de moi… Mais revenons à notre sujet : le fait que l’arme de votre père se trouve ici signifie qu’il est devenu un soldat-squelette. Et cela signifie qu’il est possible que les squelettes proviennent de l’endroit où votre père a été enterré. En ce qui concerne son enterrement… »

« Nous n’avons pas pu lui en donner un. Les gobelins ont été vaincus par un aventurier que nous avons engagé, mais comme c’était à une bonne distance du village, le risque de rencontrer des monstres était trop élevé pour faire le voyage. Je n’ai pas non plus pu persuader l’aventurier de m’aider… »

« Vraiment ? Les aventuriers de Maalt n’auraient pas rechigné à donner un coup de main pour quelque chose comme ça. »

« L’aventurier à qui nous avons posé la question n’était qu’un vagabond. Je ne veux pas dire du mal de lui, mais il ne se préoccupait pas particulièrement d’autre chose que de tuer les monstres… »

***

Partie 3

« Eh bien… Je ne peux pas dire avec certitude qu’il a fait du mauvais travail », avais-je dit. « Je ne sais pas quelles étaient ses circonstances, après tout. »

« En ce qui nous concerne, nous étions simplement reconnaissants qu’il ait tué les gobelins », acquiesça Rivul. « Pourtant, quand je pense que c’est peut-être là l’origine de l’attaque des squelettes… Nous aurions dû lui demander d’en faire plus. »

Rivul parlait de l’enterrement de son père. S’ils l’avaient enterré correctement à l’époque, la récente attaque de squelettes n’aurait peut-être pas eu lieu.

Dans de nombreux cas, une fois qu’un seul squelette apparaissait, le nombre augmentait progressivement — soit que d’autres gravitaient vers l’endroit depuis un autre endroit, soit que de vieux os enterrés dans le sol se réanimaient, attirés par leurs anciens camarades. Si le père de Rivul avait été le point de départ, un enterrement en bonne et due forme aurait permis d’éviter tout cela.

« Eh bien, nous ne savons pas si votre père en est vraiment la cause. Je ne m’inquiéterais pas autant à ce sujet. »

« Le pensez-vous vraiment ? »

« Oui. Les regrets font partie intégrante de la vie. Lorsqu’ils se présentent à votre porte, la façon la plus efficace de procéder est de les oublier rapidement et de passer à la suite. Cela vaut doublement pour nous, les aventuriers — nous avons plus de regrets que vous ne pouvez en compter. »

Des regrets du genre : si j’avais fait ceci ou cela différemment, ce villageois, ce camarade ou cet ami serait-il encore en vie ? Je doute qu’il y ait beaucoup d’aventuriers qui n’aient pas eu cette pensée au moins une fois. Mais beaucoup d’entre nous savaient aussi instinctivement que si tu laissais ces émotions t’envahir, elles t’entraîneraient elles-mêmes un jour dans le monde souterrain.

Alors, pour oublier, nous pouvions boire du vin comme de l’eau, raconter des histoires stupides sur nos amis partis si loin, laisser les souvenirs douloureux s’échapper de notre esprit et, de temps en temps, nous nous arrêtions sur leurs tombes pour leur verser un verre à eux.

Les blessures ne se renfermaient pas vraiment, mais dans notre vie quotidienne, nous nous étions habitués à oublier qu’elles étaient là. C’était la seule façon pour les gens de passer à autre chose.

« Pour en revenir aux questions pratiques, Rivul, bien que nous n’ayons pas cerné la raison exacte de l’attaque des squelettes, nous avons compris ce qu’il faut faire. »

« Hum… voulez-vous dire que nous devons aller à l’endroit où mon père est mort, c’est ça ? Parce qu’il y a de fortes chances que ce soit la source ? »

« C’est exact. Le problème, c’est que je ne sais pas où elle se trouve. Je suppose que je pourrais vous demander de l’indiquer sur une carte… mais un seul faux pas dans une forêt comme celle-ci me ferait dévier de ma route. Je préférerais si possible que quelqu’un m’accompagne afin de me guider. »

Bien que je ne l’aie pas précisé, il était évident quant à qui je voulais. Mon regard croisa celui de Rivul, qui semblait avoir compris ce que je voulais dire.

« Vous parlez de moi, n’est-ce pas ? D’accord, je vais y aller. Je n’y suis pas allé moi-même… mais j’en ai entendu parler plus de fois que je ne peux compter. »

Je ne doutais pas que Rivul ait déjà songé à partir lui-même à la recherche des restes et des souvenirs de son père par le passé. Cependant, il avait probablement décidé de ne pas le faire après avoir pris en compte ses propres capacités. En tant que personne qui l’accompagnerait, il était rassurant de savoir qu’il avait ce genre de sang-froid.

Pendant le combat contre les squelettes, il avait été le seul des villageois à garder son calme alors que les autres s’étaient agités et précipités. Peut-être que le fait de voir les monstres leur avait rappelé le moment où ils avaient laissé le père de Rivul derrière eux.

En fin de compte, les cicatrices des gens avaient beau s’estomper, elles étaient toujours là…

« Alors c’est donc réglé. Ne vous inquiétez pas pour votre propre sécurité — je vous protégerai au prix de ma propre vie. »

À défaut d’autre chose, je pourrais lui servir de bouclier de chair un certain nombre de fois. J’aurais peut-être du mal à trouver des explications à ma résilience, mais tant que les blessures ne sont pas excessives, je pourrais probablement les expliquer comme étant moins grave que leur apparence laissait penser.

Si elles sont excessives… eh bien, c’est pour cela que j’ai la divinité. Je pouvais forcer le problème avec ma bénédiction divine. Cela ne tiendrait probablement pas face à plusieurs observateurs, mais s’il n’y avait que Rivul, je pourrais facilement le manipuler. Du moins, j’étais presque sûr de pouvoir le faire…

Bien sûr, le meilleur résultat est qu’aucun de nous deux ne rencontre d’ennuis et que nous revenions sains et saufs. Mais il fallait quand même se préparer au pire.

« Je ferai de mon mieux pour ne pas prendre de risques inutiles », déclara Rivul.

C’était un soulagement de l’entendre. Les autres villageois qui étaient prêts à risquer leur vie avaient en fait fait plus de mal que de bien. « Je suis heureux de voyager avec vous », dis-je. « On se met en route demain, à la première heure ? »

« D’accord, je vais préparer tout ce que je peux. Chaque chose en son temps — il vaudrait mieux que nous parlions de nos plans au maire avant la fin de la journée, n’est-ce pas ? »

Pour l’instant, j’étais la puissance principale de ce qui se tenait entre le village et d’autres squelettes qui pourraient venir pour nous attaquer. Je ne pouvais pas partir sans prévenir, je devais donner une bonne explication.

« Oui. Après avoir terminé ici, allons voir le maire. »

« D’accord. »

Quant à ce que je terminais, c’était l’Emporium Impromptu de Rentt. Il y avait encore des gens qui se promenaient, alors ce serait négligent de ma part de déclarer soudainement que je fermais boutique. Nous ne partions que demain, nous pouvions donc attendre pour persuader le maire que j’aie fini de colporter mes bricoles.

« Au fait, Rivul, ne voulez-vous pas cet arc ? »

J’avais tendu l’arme du squelette archer à Rivul. Elle était d’une facture tout à fait convenable, c’est-à-dire qu’elle dépassait de plusieurs crans celles que Rivul et les villageois avaient utilisées au cours de la bataille. Comme il était lui aussi un archer, je m’étais dit qu’elle l’intéresserait.

« Je suis intéressé, bien sûr, mais… la lance est plus importante pour moi, » déclara Rivul. « Je n’ai pas assez d’argent pour acheter les deux, alors… »

Il voulait la lance de son père, hein ? Je l’avais considérée comme sienne dès qu’il m’avait expliqué ses origines, mais il semblait la considérer comme quelque chose qu’il devait m’acheter.

À proprement parler, il avait raison. Le butin des monstres tués appartenait aux aventuriers qui les avaient tués, même s’il avait à l’origine appartenu à d’autres monstres ou à d’autres personnes, aventuriers ou non. Techniquement, la lance m’appartenait.

Cependant, il s’agissait simplement d’un principe général, pas d’une règle absolue. Il y avait de la place pour le marchandage et la négociation — c’était presque toujours le cas lorsqu’il s’agissait des règles des aventuriers. Tant que tout le monde était d’accord, personne ne s’inquiétait vraiment si les règles étaient contournées — à l’exception, bien sûr, des tentatives de meurtre et autres. D’ailleurs, cela relevait des lois d’un pays plutôt que des règles des aventuriers.

Tout cela pour dire qu’en ce qui me concerne, la lance appartenait déjà à Rivul, et que je n’accepterais aucun paiement pour elle.

« Même si c’est peut-être quelque chose que j’ai gagné contre un monstre, c’est un souvenir de votre père. Je ne peux pas prendre votre argent pour ça. »

« Mais… »

« Prenez-le. Il vous restera assez d’argent pour acheter l’arc, n’est-ce pas ? Je vous ferai même une réduction. »

« Rentt… Mais alors vos gains ne seront pas — ! »

« Je ne me préoccupe pas tellement d’une petite différence de pièce ici et là. Je ne suis même pas un marchand à la base. Nous risquerons nos vies ensemble demain, alors j’ai tout intérêt à ce que vous soyez aussi bien équipé que possible. Allez, prenez-les. »

J’avais poussé la lance et l’arc dans les bras de Rivul. Il eut l’air troublé pendant quelques instants, mais il semblerait que ma dernière raison avait suffi à le persuader.

Il acquiesça et inclina la tête. « Je comprends. Alors, je vais accepter avec gratitude. »

◆◇◆◇◆

Rivul et moi avions quitté le village à la première heure du matin. Notre objectif, naturellement, était de découvrir la source des squelettes qui avaient attaqué le village.

Après avoir consulté le chef du village, Jiris, nous avions décidé que les défenses du village tiendraient pour l’instant — les clôtures avaient été partiellement reconstruites et les jeunes hommes feront des rondes autour du périmètre. Ce n’était pas quelque chose qui pouvait résister à plus que quelques squelettes, mais au moins, avec les patrouilles, les villageois seraient prévenus à temps, ce qui leur permettrait de s’enfuir.

Les squelettes étaient des monstres capables de se battre dans l’obscurité, mais cela ne signifiait pas que leur champ de vision était particulièrement bon. Si les jeunes hommes jouaient le rôle d’arrière-garde et laissaient les femmes et les enfants s’échapper en premier, se retirer du village ne serait pas impossible.

Jiris voulait que je reste en permanence au village, mais il comprenait aussi que cela exposerait le village au danger après mon retour à Maalt. Finalement, il accepta le plan, reconnaissant que découvrir la source des squelettes et s’en occuper serait plus sûr à long terme. Un peu de risque en attendant était nécessaire pour atteindre cet objectif.

« Par ici, Rentt. »

J’avais avancé plus profondément dans la forêt avec Rivul. On pouvait vraiment dire qu’il était le meilleur chasseur du village — il marchait comme s’il était chez lui, en faisant des pas silencieux et en dissimulant sa présence, tout en gardant ses repères. J’avais confiance en mes propres capacités à traverser les forêts, mais s’il s’était agi d’une partie de chasse ordinaire, je doute que je puisse l’égaler.

Comme pour prouver mes soupçons, les quelques fois où nous avions aperçu des cerfs ou des sangliers, aucun d’entre eux n’avait semblé sentir qu’il était là. S’il l’avait voulu, il aurait pu les abattre d’un seul coup.

Je chassais aussi à l’occasion, lorsque je restais dehors et que j’avais besoin de me procurer de la nourriture, mais je n’étais pas aussi habile que lui. En fin de compte, j’étais un aventurier, et mon métier consistait à combattre des monstres.

Après un certain temps de marche, nous étions enfin arrivés à destination.

« Ça devrait être ça, Rentt. »

Rivul se cachait dans l’ombre du sous-bois. J’avais suivi sa ligne de mire et j’avais vu une grotte, dont l’entrée était béante comme une bouche grande ouverte. Il faisait assez sombre pour que je ne puisse pas voir plus loin, il était donc difficile de savoir à quelle profondeur elle s’enfonçait.

C’est logique, m’étais-je dit.

Rivul m’avait parlé des fois où des gobelins étaient apparus près du village dans le passé. Ces monstres utilisaient généralement ce genre de grottes naturelles comme repaires. Contrairement aux squelettes, ils augmentent leur nombre en se reproduisant, ce qui signifie qu’ils ont besoin d’endroits comme celui-ci. Bien que les gobelins se multiplient à une vitesse terrifiante et atteignent l’âge adulte en un mois, leur progéniture est toujours sans défense et minuscule, ce qui en fait des proies faciles pour les autres monstres — ou même pour les animaux ordinaires. C’est pourquoi il est indispensable de disposer de tanières défendables.

***

Partie 4

Les tribus de gobelins qui commerçaient avec les humains construisaient de petites colonies à cette fin, bien que grossièrement, et celles qui ne pouvaient pas le faire utilisaient principalement des grottes naturelles comme celle-ci. Si tu me demandais quelle était la différence entre les gobelins qui construisaient des colonies et ceux qui vivaient dans des grottes naturelles et attaquaient les humains, je serais incapable de vous donner une bonne réponse. Je suppose que même les gobelins ont leurs différences individuelles. C’est comme si certaines personnes étaient des citadins et d’autres des bandits. C’est pourquoi il est impossible de généraliser en disant que tous les gobelins sont méchants.

Il existe un certain nombre d’espèces de monstres de ce type, et ils sont souvent traités comme des demi-humains… mais la distinction est pour le moins floue. Leur relation avec les humains dépendait de la partie du monde où vous vous trouviez. Certains endroits suivaient une doctrine de tolérance zéro à l’égard des monstres, tandis que d’autres étaient heureux de s’engager dans un commerce mutuellement bénéfique.

La politique de Yaaran était relativement souple, et tendait plutôt à autoriser le commerce — mais il serait peut-être plus juste de dire que le royaume n’était tout simplement pas l’endroit le plus strict à bien des égards. Le peuple n’avait pas non plus de préjugés particuliers sur les monstres.

Mais s’ils étaient attaqués, ils riposteraient sans pitié. Il fallait s’y attendre.

« Votre père est là-dedans, Rivul ? » avais-je demandé.

« D’après ce que les autres m’ont dit à l’époque, c’est là qu’ils l’ont laissé, » confirma Rivul. « Bien que… ce ne soit peut-être pas la meilleure façon de le dire. Selon eux, c’est comme ça qu’il a pu faire gagner du temps à tout le monde pour qu’ils puissent s’enfuir. »

« C’est probablement vrai. On dirait qu’il n’y a pas beaucoup de place là-dedans », avais-je convenu. « Ils n’auraient pas pu l’encercler. S’ils avaient réussi à lui couper la route, ça aurait été fini. Une embuscade l’attendant à l’extérieur aurait conduit à une attaque en tenaille. »

Les gobelins sont presque aussi intelligents que les humains. Ils étaient bêtes à leur manière, mais lorsqu’il s’agissait de chasser, ils avaient une sorte de ruse, ou peut-être d’instinct, qui n’avait rien à envier à celui d’un humain. Ainsi, les attaques en tenaille et les pièges faisaient partie de leur répertoire… mais leur manque de finesse technique signifiait que ces efforts étaient souvent grossiers dans leur nature ou leur construction. Cependant, ce n’est pas le cas de toute l’espèce. Les gobelins qui pouvaient construire des colonies étaient capables d’un travail assez détaillé. C’est sans doute pour cela que l’on disait d’eux qu’ils étaient un monstre qui méritait d’être étudié.

Quoi qu’il en soit, il ne semblait pas que je doive affronter des gobelins cette fois-ci, je n’avais donc pas à me soucier de leurs ruses. Il y avait une chance que leurs pièges subsistent encore vu qu’ils s’étaient installés ici par le passé, mais même si c’était le cas, je doutais qu’ils soient assez durables pour être restés actifs après plusieurs années. Après tout, ce n’est pas comme si un simple gobelin pouvait construire quelque chose d’équivalent à un objet magique.

« Les squelettes ne vont pas soudainement sortir de nulle part et nous entourer si nous entrons, n’est-ce pas ? » demande Rivul avec inquiétude.

« Il ne semble pas y avoir de squelettes dans les environs », avais-je répondu. « Ni d’ailleurs, aucun autre monstre, alors il n’y a pas lieu de sursauter aux moindres bruits. Bien sûr, cela ne veut pas dire que nous pouvons baisser nos gardes. »

Bien que je ne sente aucun monstre autour de nous pour l’instant, il y avait toujours un risque qu’ils sortent du bois plus tard. Il est dangereux de pénétrer dans une grotte sans surveiller ses arrières. En d’autres circonstances, j’aurais préféré laisser plusieurs autres compagnons d’aventure à l’extérieur pour monter la garde, mais il n’y avait que Rivul et moi ici.

Je ne pouvais pas laisser Rivul seul dehors, et je ne pouvais pas non plus le faire entrer tout seul. Je n’étais pas un démon sans cœur, juste un pseudovampire comme les autres.

Dans ces conditions, il ne me restait qu’une seule option.

« Nous n’obtiendrons pas grand-chose d’une surveillance plus poussée », avais-je dit. « Rivul, nous entrons. »

« Oui, monsieur ! »

Nous nous étions mis en route dans la grotte.

◆◇◆◇◆

« Il fait vraiment aussi sombre que ce à quoi je m’attendais », avais-je remarqué. « Faisons un peu de lumière. »

Je n’avais pas de problème avec le fait qu’il fasse noir, mais il n’en allait pas de même pour Rivul. Il serait dangereux pour lui de continuer à avancer sans vision. J’avais alors récupéré une torche enchantée dans mon sac magique et j’y avais enchâssé un petit cristal magique, créant ainsi une douce lumière qui éclaira notre environnement sur plusieurs mètres.

« Oh, nous voyons beaucoup mieux maintenant », déclara Rivul.

« Euh, hein… »

En fait, peu de choses avaient changé pour moi. Lumière ou pas, je pouvais voir à l’intérieur de la grotte comme en plein jour. Mais je ne pouvais pas le dire à Rivul, alors j’avais acquiescé et j’étais passé à la préparation de ce que nous allions faire avec la torche magique.

« Je vais m’en tenir à cela pour l’instant », avais-je dit. « Si des monstres nous attaquent par devant, ils seront attirés par moi. Mais une fois que j’aurai commencé à me battre, je devrai vous la passer. Ça vous va ? »

« Oui, bien sûr. » Rivul avait l’air un peu effrayé d’entendre que tenir la torche attirerait l’attention des monstres.

« Il n’y a pas lieu d’avoir peur. Je veillerai à ce que les monstres ne s’approchent pas de vous. En fait, ce sera plus facile pour moi de me battre si la torche les attire vers nous — ce sera comme le combat au village. Vous avez été le seul à garder votre sang-froid à l’époque, alors vous devriez bien aller cette fois-ci aussi, n’est-ce pas ? »

Je ne pouvais pas dire avec certitude à quel point il irait bien, mais il était inutile de lui mettre la pression. Pourtant, il semblait que le souvenir de la bataille du village avait renforcé ses nerfs. Ses tremblements ont cessé et il a hoché la tête avec assurance.

« Bien. Je vais m’en sortir. »

« Bien. Oh, mais ne ressentez pas le besoin de faire quoi que ce soit d’imprudent. S’il semble qu’ils foncent sur moi pour me tuer, contentez-vous de courir. Ne vous donne pas la peine d’essayer d’aider. »

J’avais peur que Rivul s’agite et essaie de me sauver, même si c’était inutile. Il gardait son sang-froid mieux que les autres villageois, mais la mort de son père restait sans doute dans un coin de sa tête. Dans les moments difficiles, je le voyais tenir bon et refuser d’abandonner un camarade.

Bien sûr, je n’avais pas l’intention de laisser les choses se dégrader à ce point. Si j’avais l’impression d’être sur le point de perdre, je prendrais Rivul sous le bras et je ferais une course effrénée vers la sortie. Échouer à une mission était de loin préférable à la mort.

S’il y avait un ennemi que je ne pouvais pas vaincre ici, il me suffirait d’appeler Maalt en renfort. Lorraine viendrait, même si personne d’autre ne le faisait, et avec elle, tout s’arrangerait. Les instructions que j’avais données à Rivul au sujet de l’insouciance s’appliquaient aussi à moi.

Je ne pouvais pas dire si Rivul avait compris, mais il hocha la tête en guise de réponse. « D’accord, » dit-il. « Je comprends. »

Estimant que c’était suffisant pour l’instant, j’avais pris la direction des profondeurs de la grotte…

◆◇◆◇◆

« Ah, nous y voilà. On dirait que j’avais raison à propos de cet endroit. »

Le bruit de cliquetis d’os nous parvint de l’avant.

J’avais remis la torche magique à Rivul et j’avais dégainé mon épée. En peu de temps, deux squelettes apparurent. Ils ne portaient pas d’armes et je ne pouvais pas sentir de mana en eux, ils étaient aussi banals que des squelettes.

En d’autres termes, ils n’étaient pas un problème.

Après avoir vérifié qu’aucune embuscade ne m’attendait dans les coulisses, je m’étais rapidement avancé et j’avais décapité les squelettes avant de leur écraser le crâne pour récupérer les cristaux magiques qui s’y trouvaient. Leurs corps s’étaient effondrés en peu de temps, éparpillant les os sur le sol.

Un travail habile, si je puis dire.

« Incroyable… » murmura Rivul.

Cela m’avait fait un peu plaisir — non pas que je m’enorgueillisse et que je baisse ma garde, bien sûr. Pour commencer, j’avais l’intention de passer l’examen pour la classe Argent. Si je n’étais pas capable d’abattre deux squelettes en quelques secondes, autant abandonner avant l’examen.

Dans l’état actuel des choses, je ne réalisais que le strict minimum. Je ne pouvais pas me permettre de l’oublier.

Les aventuriers qui oubliaient leurs humbles origines devenaient arrogants ou baissaient leur garde, puis ils finissaient par tout perdre en un seul instant. Ils ne se rendaient compte de leur erreur que lorsqu’il était trop tard, et se retrouvaient sur le navire fluvial menant au royaume des morts.

En rangeant les cristaux magiques dans mon sac, j’avais repris la torche à Rivul.

« Ce n’était rien de sérieux », avais-je dit. « Continuons à avancer. »

« Ah, c’est vrai ! »

Peut-être pour se distraire de sa peur, Rivul avait pris la parole pendant que nous marchions. « Alors… c’est à peu près confirmé maintenant que les squelettes venaient d’ici, non ? »

« Hmm… Cela semble très probable, mais je ne peux pas l’affirmer avec certitude. Il est possible qu’ils ne fassent que fouiller cet endroit et que leur véritable origine soit ailleurs. »

« Pourquoi des squelettes enquêteraient-ils dans un endroit comme celui-ci ? »

« Il y avait des gobelins ici, n’est-ce pas ? Si un autre groupe de gobelins s’installait dans cette grotte, eh bien, les squelettes pourraient être là pour les attaquer quand cela arriverait. Ce n’est pas comme si les monstres s’entendaient toujours bien. Même dans les donjons, vous pouvez les voir se battre et tuer leurs congénères… En fait, il serait peut-être inexact de les appeler “camarades” en premier lieu. »

C’est ainsi que les monstres passaient par l’évolution existentielle, se transformant en un monstre d’un ordre supérieur. Le nombre d’individus qui avaient été témoins d’une telle scène n’était pas très élevé, mais il n’était pas non plus nul. Quant à savoir pourquoi cela s’était produit, eh bien… personne ne le savait.

S’agit-il des instincts d’un monstre ? Une loi fondamentale du monde ? Ou quelque chose de tout à fait différent ?

C’était le genre de question à laquelle il semblait impossible de répondre, mais l’humanité avait pour vocation de résoudre ce genre d’énigmes. Peut-être y parviendrons-nous un jour.

Peut-être même que ce serait Lorraine qui le ferait. Avec son intelligence et un spécimen rare comme moi dans les parages, il y avait toutes les chances qu’elle se rapproche du cœur du problème, même si elle n’y arrivait pas jusqu’au bout.

La partie à laquelle j’essayais généralement de ne pas penser était que si elle ne le faisait pas, je ne pourrais peut-être jamais redevenir humain. Chaque fois que cette pensée remontait à la surface, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir mal à l’aise.

Était-il possible pour moi de redevenir humain ? Est-ce que j’allais rester un monstre pour toujours ? Pour l’anecdote, je ne pense pas que cela me dérangerait trop si c’était le cas. Ce qui m’effrayait, en revanche, c’était la perspective que mon esprit devienne lui aussi plus monstrueux, me transformant un jour en une créature qui considérait les êtres humains comme une chose à laquelle il fallait en vouloir.

Tant que cela ne se produisait pas, je pouvais accepter de rester un monstre. Ne pas savoir, c’est ce qui est effrayant.

Pourtant, des êtres comme Isaac et Laura étaient la preuve que même si je devenais monstrueux, ce ne serait probablement pas de sitôt. Tout ce que je pouvais faire pour l’instant, c’était de m’efforcer de m’améliorer, un pas après l’autre.

***

Partie 5

« Hmm !? »

Soudain, quelque chose vola vers nous. Ce n’était ni une flèche ni une pierre — je pouvais sentir à la présence de mana qu’il s’agissait d’une sorte de sort.

Canalisant le mana dans mon épée, j’avais coupé le projectile juste avant qu’il ne nous atteigne, le neutralisant. Comme les sorts magiques avaient un effet sur le monde après avoir été lancés, vous pouviez entrer en contact avec eux en utilisant des attaques physiques. Cependant, comme leur existence était soutenue par le mana, le simple fait de les couper ou de les frapper ne suffirait pas à disperser ce mana.

C’est pourquoi, si vous vouliez neutraliser de force le sort d’un adversaire après qu’il l’ait lancé, vous deviez y faire face avec une arme qui canalisait également le mana.

Naturellement, il existait des personnes capables d’étouffer un sort sans avoir recours à des méthodes aussi grossières. C’est le cas par exemple de Fuana l’experte en sortilèges, membre de l’organisation de Jean Seebeck dans la capitale royale. Elle était capable de repérer instantanément le point faible de la construction d’un sort et de le détruire.

Essentiellement, les sorts ont un noyau, et si vous frappez ce noyau de la bonne façon, vous pouvez le neutraliser. Même sans le talent unique de Fuana, il y avait des gens qui comprenaient la théorie et pratiquaient la technique.

Bien sûr, ce n’était pas une mince affaire — même Fuana ne pouvait pas le faire parfaitement. Voir le noyau d’un sort voler vers vous à grande vitesse et le frapper nécessitait le doigté d’un expert, sans compter qu’un échec pouvait signifier souffrir d’une blessure mortelle. C’était vraiment une manœuvre risquée, et il valait mieux l’éviter si possible.

Si j’avais été seul, j’aurais peut-être essayé, mais j’avais Rivul avec moi. J’avais donc choisi la méthode la plus sûre.

« Rentt ! Allez-vous bien ? » hurla Rivul, après m’avoir vu neutraliser la boule de feu — un Fotiá Volídas — qui avait été lancée sur nous.

J’avais acquiescé. « Je vais bien. Vous devriez reculer — ça va être dangereux. Nous avons un mage sur les bras. »

Cela aurait été bien si nous n’avions eu affaire qu’à des squelettes ordinaires, mais il semblerait que les choses ne se passent pas si facilement. Je pouvais sentir une forte signature de mana dans la présence qui s’approchait. Elle n’était pas comparable à celle de Lorraine, bien sûr — à vue de nez, elle avait un peu plus de mana qu’un soldat squelette.

Des monstres de type squelette avec plus de mana qu’un soldat squelette… Il n’y avait que quelques créatures qui correspondaient à cette description.

Lorsqu’il apparut, peut-être pour vérifier si son sort avait porté ses fruits, mes soupçons s’étaient avérés exacts. Un monstre de type squelette se tenait en effet devant nous. Contrairement aux spécimens habituels de son espèce, il était vêtu d’une cape miteuse — en fait, plutôt en lambeaux — et tenait une baguette en bois à la main. Sous le capuchon de la cape, des lumières ternes brillent dans les orbites de ses yeux, luisant d’intelligence.

C’était un monstre connu sous le nom de mage squelette mineur — le type de monstre squelette le plus faible qui puisse encore utiliser la magie. Cela ne veut pas dire que je pouvais le sous-estimer.

Les mages avaient une grande capacité offensive et étaient capables de tuer une personne avec un seul sort comme si ce n’était rien. Il suffit de regarder Lorraine pour s’en rendre compte. J’avais personnellement connu plusieurs aventuriers qui avaient pris ces monstres à la légère parce qu’ils n’étaient que des squelettes, et qui avaient perdu la vie à cause de cela.

Dans l’ensemble, les aventuriers avaient tendance à se méfier des squelettes, mais il y avait des gens arrogants partout où vous alliez. D’ailleurs, s’ils étaient si prudents avec eux, c’est parce qu’être tué par un squelette signifiait souvent que votre cadavre rejoignait leurs rangs peu de temps après — et contrairement à une personne ordinaire, les aventuriers avaient généralement de grandes réserves de mana ou d’esprit, ce qui signifiait qu’ils se transformaient en squelettes encore plus rapidement.

Rejoindre vos tueurs et attaquer le village ou la ville que vous étiez initialement censé protéger était un sort que tout le monde voulait éviter, d’où la raison pour laquelle personne ne voulait se faire achever par un squelette.

Il y avait aussi ce qui m’était arrivé, mais bien sûr, cela avait été une exception parmi les exceptions. D’abord, ce n’était même pas un squelette qui m’avait tué, et j’en étais quand même devenu un. Quelle arnaque !

Pourtant, j’avais de la chance de m’en être sorti… mais peut-être que je n’avais pas de chance d’un point de vue plus général. C’est difficile à dire.

Au moins, j’étais content de ne pas être devenu un monstre qui s’attaquait aux colonies humaines. Il ne me restait plus qu’à redevenir humain… ce qui était beaucoup plus facile à dire qu’à faire.

Je tenais mon épée à portée de main alors que je faisais face au mage squelette. Il n’était pas seul : un soldat-squelette l’accompagnait, se tenant devant en tant qu’avant-garde. On dirait qu’ils ont bien réfléchi.

Je devais passer le soldat pour atteindre le mage, mais je ne pouvais pas laisser ce dernier lancer des sorts sur Rivul pendant ce temps. Je devais attirer son attention avant que cela n’arrive.

Je sortis une dague de mon sac magique et la lançai sur le mage. Elle vola avec ma force de monstre, renforcée par les améliorations physiques que je m’étais appliquées avec l’esprit, sifflant dans l’air.

Pendant un instant, j’avais pensé qu’un seul coup suffirait. Ce n’était pas si facile, malheureusement : le soldat-squelette frappa la dague avant qu’elle ne puisse atteindre le mage.

Le mage commença à incanter un sort, pointant sa baguette vers moi — bien que « incanter » ne soit probablement pas le bon mot. Le temps que j’avais passé en tant que mage m’avait rendu très conscient du fait que les squelettes n’avaient pas de cordes vocales.

Cependant, les sorts magiques nécessitent une sorte de chant, alors le squelette en profita pour réciter silencieusement quelque chose. D’après Lorraine, il n’était pas nécessaire que les formules magiques soient vocales. Tant que vous pouviez exprimer le mana de la bonne façon, une simple pensée suffisait. Les humains accordaient simplement beaucoup de valeur à la parole, ce qui entraînait un préjugé inconscient qui rendait les chants non verbaux difficiles pour eux.

La preuve en est que certains individus étaient capables de faire de la magie sans chant — ce qui n’était pas tout à fait sans chant, à proprement parler. Les chants qui avaient été raccourcis à l’extrême limite.

Il m’était difficile d’assimiler le concept d’un chant entier dans votre esprit en l’espace d’un instant, mais le fait est que le mage-squelette pouvait réellement incanter des sorts. Et peut-être parce que ses chants se déroulaient à la vitesse de la pensée, ce n’est que quelques secondes après que le soldat-squelette ait paré ma dague que le prochain sort vola vers moi.

◆◇◆◇◆

Le Vráchos Volídas du mage squelette — un projectile de terre — vola directement vers mon visage. Se vengeait-il du fait que je lui avais lancé ma dague à la tête ? Comme le temps de lancement avait été relativement court, le projectile manquait de puissance, mais il était tout de même assez puissant pour exploser le visage d’une personne s’il atteignait son but.

Dans mon cas, je me contenterais d’un visage arraché, mais je ne pouvais pas montrer une scène aussi horrible à Rivul. En me pliant au maximum à la taille, j’avais esquivé le morceau de terre qui volait. À l’angle où mon dos était courbé, certains se méfieraient sans doute de la souplesse de mon corps, mais pas au point de m’accuser d’être inhumain. Je me suis tiré d’affaire !

Ils me qualifieraient probablement de « flippant »…

Je m’étais alors redressé et j’avais avancé vers le mage squelette. Esquivant le coup d’épée du soldat sur le côté, j’abattis ma lame sur la tête du mage.

Une poussée aurait été le geste le plus rapide pour mettre fin au combat, mais à cause de la cape du mage, je ne pouvais pas savoir où se trouvait le cristal magique qui lui servait de noyau. Il se trouvait le plus souvent dans la tête d’un squelette, mais ce n’était en aucun cas une garantie, surtout lorsqu’il s’agissait de spécimens d’ordre supérieur comme les soldats squelettes ou les mages mineurs. C’était d’autant plus vrai si leur armure ou leur cape cachait le cristal magique, qui était par ailleurs facile à repérer dans leur corps. Cela les rendait plus difficiles à tuer — il y a une grande différence entre avoir son point faible à la vue de tous et l’avoir complètement caché.

Mais un squelette reste un squelette. Si tu le détruisais, il ne pourrait plus bouger ni agir — c’est pourquoi j’avais visé la tête.

Heureusement, le mage-squelette n’avait pas pu esquiver mon coup, et mon épée avait atteint sa cible. J’avais senti son crâne céder avec un craquement lorsque j’avais poursuivi mon élan, et la majorité du corps du squelette s’était effondrée sur le sol.

Une petite boule de feu avait tout de même réussi à s’envoler de sa baguette, mais j’avais simplement esquivé le sort et écrasé l’outil, ainsi que le membre qui le tenait. Cela devrait suffire pour le mage.

Ses os tressaillaient encore légèrement, ce qui suggérait que son cristal magique se trouvait ailleurs que dans sa tête, mais il ne pourrait rien faire dans son état actuel. Peut-être se ressaisirait-il dans un jour ou deux, mais je n’allais pas lui donner autant de temps. Après avoir tué le soldat-squelette, j’allais extraire son cristal magique et enterrer les restes.

En parlant du soldat-squelette, il se dirigeait droit sur moi. Le fait de m’avoir vu abattre le mage ne l’avait pas vraiment mis en colère, mais il dégageait une aura un peu plus menaçante qu’auparavant. Il avait gardé ses distances auparavant, préférant se battre de façon plus défensive, mais on aurait dit que c’était fini — probablement parce qu’il protégeait le mage avant, et que maintenant il n’y avait plus besoin de ça.

Bien que le mage soit encore en vie — euh, pour une définition donnée de la vie, en tout cas —. il n’avait aucune capacité à contribuer davantage au combat. Le soldat-squelette avait aussi dû s’en rendre compte.

Ses coups étaient rapides. Je les avais parés l’un après l’autre, puis j’avais visé sa tête. Contrairement au mage, le corps du soldat était bien visible. Je ne voyais aucun cristal magique niché dans les os, il devait donc se trouver à l’intérieur du crâne.

Mais il perçut manifestement mes intentions, il dévia mon coup. Les aptitudes au combat des soldats-squelettes varient énormément, mais j’avais l’impression d’être tombé sur un bon manieur d’épée.

Je concentrai encore plus de mana que je n’en canalisais déjà dans mon corps et je me lançai à nouveau vers l’avant, feintant de viser sa tête avant de frapper son torse. Il semblerait que ma ruse ait fonctionné, car le soldat-squelette avait réagi beaucoup trop lentement.

Mon coup n’ayant réussi qu’à fracasser quelques côtes, j’avais balayé ma lame sur le côté. Elle accrocha la colonne vertébrale du squelette, la brisant avec un craquement, et ayant perdu son support, la moitié supérieure de son corps s’écrasa au sol. La moitié inférieure perdit sa cohésion lorsqu’elle avait été séparée, elle suivit donc peu de temps après, se réduisant en miettes.

Ce n’est pas parce qu’il avait été réduit à une moitié supérieure que le squelette avait perdu la volonté de se battre, cependant. Il a gardé la main sur son épée et l’a balancée vers moi.

Les soldats-squelettes n’ont pas d’émotions. Ils ne pouvaient pas ressentir de désespoir. Tant que leurs corps pouvaient bouger, ils attaquaient continuellement les humains avec un acharnement que seuls les morts-vivants possédaient. Le fait de voir ce phénomène se produire sous mes yeux suscita en moi une sorte de profondes emphases — si j’avais fait un seul faux pas, c’est ainsi que j’aurais pu finir.

Néanmoins, cela ne signifiait pas que je pouvais laisser tomber. D’un pas vif, je m’étais approché du soldat-squelette et je lui écrasai le crâne. Son cristal magique roula, le condamnant à ne plus jamais bouger.

***

Partie 6

Après avoir ramassé le cristal, je m’étais dirigé vers le mage-squelette qui bougeait encore, j’avais retiré sa cape et j’avais également extrait son cristal magique. Il s’était immobilisé et s’était effondré, ne laissant que des os blanchis rouler sur le sol.

« Rivul. C’est terminé. »

Rivul abaissa son arc — il l’avait tenu prêt à distance — et se précipita vers moi. « Rentt ! Je suis désolé de ne pas avoir pu tirer. J’ai pensé que ça ne ferait que vous gêner, alors… »

Il parlait du fait qu’il n’avait pas tiré une seule flèche pendant le combat. C’était tout à fait normal.

« J’essayais de retenir leur attention pendant que nous nous battions », avais-je expliqué. « Vous avez pris la bonne décision. Tirer aurait aggravé les choses. »

« Je suis content d’entendre ça. J’avais peur de ne pas faire ce qu’il fallait. Quand j’ai vu le mage-squelette lancer ce sort à bout portant… »

Il parlait du Vráchos Volídas. Du point de vue de Rivul, il avait dû s’en sortir de justesse.

« J’ai pensé qu’il me lancerait quelque chose dès que je m’approcherais », avais-je dit, « alors j’étais prêt à esquiver tout ce qui viendrait. Ce n’était pas aussi dangereux que ça en avait l’air. »

« Vraiment ? Étiez-vous sûr de pouvoir esquiver quelque chose comme ça dès le début !? Vous êtes un vrai casse-cou, Rentt ! »

Son hésitation momentanée était probablement due au fait qu’il pensait qu’appeler quelqu’un « casse-cou » n’était pas vraiment très élogieux. Pourtant…

« En tant qu’aventurier, je suis heureux de vous entendre dire cela. Préserver sa vie est important, bien sûr, mais ne pas agir quand on voit l’opportunité est une faille critique. Il se trouve que j’ai repéré une circonstance opportune à ce moment-là, donc pour moi, ce n’était pas dangereux. Je suppose que vous pourriez dire que c’est une pensée basée sur les résultats, mais… »

« Pour vous dire la vérité, travailler avec vous m’a fait penser un instant que je pourrais moi aussi réussir en tant qu’aventurier — mais je sais maintenant à quel point je me trompais. Je ne pense pas que je pourrais faire quelque chose d’aussi terrifiant. »

« Oh ? Avez-vous pensé à devenir un aventurier ? »

« Ce n’était pas quelque chose auquel j’avais sérieusement réfléchi. C’était plutôt un vieux rêve qui refaisait surface… même si c’était probablement trop tiré par les cheveux pour qu’on puisse parler de rêve. »

« On dirait que vous n’avez pas encore tout à fait abandonné. »

« Non, pour le dire franchement, je n’ai pas pu le faire. »

Nous avions avancé plus profondément dans la grotte, en discutant. Nous étions presque arrivés à la fin de notre voyage. Je ne savais pas ce qui nous attendait, mais un mage-squelette mineur avait surgi alors que je ne m’attendais qu’à des squelettes ordinaires.

Je devais être prêt à tout.

◆◇◆◇◆

« On dirait que la caverne ne va pas plus loin que ça. »

Combien de temps avait-il fallu pour en arriver là ? Je n’en étais pas tout à fait sûr, mais cela devait avoir pris une bonne partie de la journée. Tous les squelettes que nous avions rencontrés périodiquement en chemin ne nous avaient pas non plus aidés à aller plus vite. Leur présence, ainsi que celle du mage squelette et du soldat-squelette que nous avions rencontrés plus tôt, prouvait de plus en plus que cette grotte était la source de tous ces squelettes. Et maintenant que nous avions atteint la partie la plus profonde, j’en étais certain.

« Est-ce que… c’est de là qu’ils viennent tous ? » demanda Rivul. Il se tenait à une courte distance derrière moi, comme je le lui avais demandé. Nous ne savions pas ce qui nous attendait ici, il fallait donc être prudent.

« Il n’y a aucun doute à ce sujet », avais-je dit. « Je ne sais pas si vous pouvez le sentir, Rivul, mais l’air ici est empreint de malice. »

Le terme « malice » avait plusieurs significations, mais dans ce cas, je parlais de mana stagnant. Il était bien connu que si le mana continuait à se figer et à se rassembler en un seul endroit, il devenait une source de monstres. Nous, les aventuriers, rencontrions fréquemment ce phénomène, c’était donc généralement notre premier suspect dans des cas comme celui-ci. Il semblerait que mes soupçons se soient avérés exacts.

« Malice…, » dit Rivul. « Je savais que cet endroit était désagréable. Cependant, j’avais juste mis ça sur le compte de la claustrophobie. »

« Il faut être capable de sentir le mana pour le savoir, » expliquai-je. « Vous avez vous-même un peu de mana, alors vous pourriez peut-être apprendre le truc avec un peu d’entraînement. »

« Je ne savais pas du tout que j’en avais… Je suppose qu’il y avait peut-être plus que cette sensation désagréable que j’ai eue après tout. »

« Probablement », avais-je convenu. « Quoi qu’il en soit, une fois que j’aurai dispersé cette malice, vous ne devriez plus avoir de squel — . »

Soudain, une puissante quantité de mana commença à converger au centre de la zone.

« Qu’est-ce qui se passe !? » Il semblerait que même Rivul avait senti le changement.

« Rivul, reculez ! » avais-je ordonné. « Un monstre est en train de se former ! »

Bien que la façon dont les monstres sont formés par la malice ressemble à la façon dont ils sont construits par les donjons, il s’agit de phénomènes distincts. Après tout, dans un donjon, un monstre peut vraiment surgir de nulle part. Dans les deux cas, il s’agissait de choses que seuls les aventuriers avaient tendance à voir, et dans un sens, Rivul obtenait des billets pour un spectacle rare — même s’il était difficile de dire si le fait de voir un monstre se former était vraiment quelque chose dont on pouvait se réjouir.

Rivul hocha la tête à mon commandement et se retira loin en arrière. Il s’en sortira probablement. La grotte ne comportait qu’un seul chemin, et il y avait donc peu de chances que des squelettes surgissent de derrière nous. J’avais également fait en sorte que Rivul sache qu’il devait surveiller nos arrières, afin qu’il puisse au moins gagner du temps si l’un d’entre eux apparaissait.

Cela mis à part, je me demandais quel monstre allait se former. Ce serait un peu surprenant si c’était juste un squelette ordinaire — mais comme il serait facile à vaincre, c’est un cas où je serais reconnaissant d’avoir été déçu. Et pourtant…

« On dirait que nous n’aurons pas cette chance… » marmonnai-je en voyant ce que le mana figé avait créé.

Le monstre qui sortit avec fracas de la malice rassemblée n’était pas un squelette ordinaire — il était revêtu d’une armure et brandissait une épée et un bouclier.

Devant nous se tenait un chevalier-squelette.

◆◇◆◇◆

Clang !

Ma lame rebondit sur le bouclier du chevalier-squelette. Je reculai, esquivant l’épée qui s’avançait vers moi, et je mis de la distance entre moi et mon adversaire.

Merde. Ce n’est pas assez bien, hein ?

Les monstres sont souvent les plus vulnérables juste après leur formation, alors j’avais tenté une attaque préventive. Mais cela n’avait pas fonctionné. Je n’étais pas particulièrement surpris, un chevalier-squelette était bien supérieur à de simples soldats squelettes.

J’aurais peut-être dû me transformer en l’un d’eux à la place. Je me demandais quelle force j’aurais eue, et à quel point elle aurait été différente de celle que je possède maintenant…

Je plaisante — mon objectif était de redevenir un humain. Sauter d’un sac d’os à un sac d’os plus solide ne m’aurait mené nulle part. Au bout du compte, je serais resté un squelette qui aurait effrayé les gens si j’étais entré dans la ville.

Mais revenons à nos moutons : comment allais-je m’y prendre ? En tant que monstres, les chevaliers-squelettes avaient un bon équilibre entre l’attaque et la défense, et ceux qui ont des boucliers sont particulièrement gênants.

Comme pour les soldats-squelettes, les armes et armures d’un chevalier-squelette varient. Leur corps — euh, je veux dire leurs os — est généralement équipé de ce qu’ils avaient manié dans leur vie. Bien sûr, ils pouvaient aussi changer d’équipement en ramassant tout ce qu’ils trouvent par terre.

Comme ce chevalier-squelette s’était formé avec ses bras et son armure, je suppose qu’il s’agissait à l’origine du cadavre de quelqu’un qui était tombé dans cette même grotte.

Quant à savoir pourquoi il s’agissait de cette grotte en particulier, il n’y avait rien de surprenant : de nombreux monstres avaient élu domicile à cet endroit par le passé, comme les gobelins dont Rivul avait parlé. Peut-être que quelque chose de plus fort qu’eux avait résidé ici avant cela, et que quelqu’un qui était venu le vaincre s’était retrouvé au bout du rouleau.

Ce quelqu’un était ensuite devenu un squelette, la force qu’il avait possédée dans la vie en faisait un être particulièrement puissant qui avait conservé son habileté avec un bouclier. Il allait sans dire que ce monstre serait un adversaire coriace.

Avec des squelettes ordinaires, les os qui soutiennent leur corps sont exposés et faciles à viser, mais c’est une autre histoire lorsqu’ils sont revêtus d’une armure et qu’ils repoussent les attaques à l’aide d’un bouclier.

Pourtant, cela ne changeait rien à ce que je devais faire. Puisque c’était la fin de la grotte, j’avais envisagé d’utiliser ma divinité pour résoudre le problème par la force brute…

Mais non, il valait mieux le garder en réserve. Le travail ne serait pas terminé avant notre retour, et on ne pouvait pas savoir ce qui pourrait nous prendre par surprise sur le chemin du village. Nous n’étions pas encore en difficulté, alors je me contenterais de me battre normalement pour l’instant.

Je n’étais pas juste avare, je vous le jure.

◆◇◆◇◆

Pour l’instant, j’avais trois cartes en main : du mana, de l’esprit et une fusion mana-esprit. Vous savez, les capacités habituelles.

J’avais un atout dans ma manche sous la forme de la divinité, que je sortirais sans hésiter si nécessaire, mais je voulais vaincre le chevalier-squelette sans l’utiliser. J’avais décidé de la garder pour l’instant et d’attaquer avec mes trois autres cartes.

Alors que ce plan général se formait dans ma tête, j’avais commencé par canaliser le mana dans mon épée — et naturellement, à améliorer mon corps. Puis, je m’étais élancé vers l’avant.

J’avais comblé la distance plus rapidement que lors de ma précédente tentative. Le chevalier-squelette, peut-être parce qu’il était plus méfiant maintenant, avait déplacé son pied en arrière pour s’arc-bouter et plaça son bouclier à contribution, cachant autant de son corps que possible.

Oui, il ne semblait pas que les méthodes ordinaires allaient suffire ici.

Une fois de plus, mon élan aérien fut repoussé par le chevalier-squelette. Puis, il s’avança, comme s’il avait prédit que j’allais à nouveau prendre de la distance.

Bien que mon coup ait été plus rapide, il n’avait été qu’une répétition de mon coup initial. Même si l’on disait que les chevaliers-squelettes ne possédaient ni pensées ni émotions, cela ne signifiait pas qu’ils ne pouvaient pas apprendre — même une créature comme celle-là pouvait devenir plus forte avec l’expérience. À l’instant même, il s’était souvenu de mon coup et avait trouvé une contre-mesure sur-le-champ.

Bien sûr, il n’était pas le seul à pouvoir apprendre et grandir.

 

 

J’avais eu une bonne idée des capacités du chevalier-squelette grâce à mon premier coup, et je n’avais pas été assez stupide pour tout miser sur le second. Alors pourquoi avais-je répété la même attaque ?

Parce que je voulais limiter les mouvements du chevalier-squelette.

Le plus souvent, la même attaque suscite la même réaction. Ce n’était pas seulement vrai pour les êtres vivants, mais aussi pour les monstres morts-vivants comme les squelettes. Il est difficile de contrôler parfaitement ses propres réflexes. L’entraînement martial vous permettait de corriger vos propres habitudes grâce à des exercices sans fin et de finir par surmonter ces défauts, mais les squelettes n’étaient pas connus pour leurs régimes d’entraînement quotidiens.

***

Partie 7

Bien sûr, le fait d’avoir un corps squelettique leur permettait de faire des mouvements qui auraient été impossibles pour un humain ordinaire, et il n’était donc pas facile de prévoir leurs réactions, même si vous saviez qu’elles allaient se produire. Par exemple, les squelettes pouvaient faire pivoter complètement leur cou et leurs bras et se pencher tellement en arrière au niveau de la taille qu’on avait l’impression qu’ils s’étaient cassés en deux — en d’autres termes, toutes les choses que je faisais quand personne ne regardait.

Cependant, j’avais combattu assez de squelettes pour toute une vie — sans parler du temps que j’avais passé à en incarner un moi-même. Je connaissais leurs capacités et leurs mouvements sur le bout des doigts.

C’est ainsi que j’avais su qu’après avoir bloqué mon coup avec son bouclier, le chevalier-squelette s’approcherait de moi et tenterait une poussée… et qu’il irait plus vite qu’avant.

Même s’il n’était fait que d’os, les lois de la physique s’appliquaient toujours. Pour augmenter sa vitesse, je savais que le chevalier-squelette devrait frapper du pied contre le sol en avançant pour prendre de l’élan. Sinon, il ne pourrait jamais me rattraper, même si je ne faisais que reculer.

Un chevalier-squelette était revêtu d’une armure, car il était beaucoup plus fort que les squelettes ordinaires. Cela signifiait qu’il devrait mettre une force inhabituelle dans sa prise de pied pour le propulser vers l’avant.

Mais un écueil l’attendait.

Je ne parlais pas non plus d’un écueil au sens figuré — je parlais d’un écueil au sens propre.

Au moment précis où le chevalier-squelette posa son pied, j’avais utilisé mon épée chargée de mana pour creuser le sol qu’il s’apprêtait à fouler.

Je n’étais pas encore habitué à cette technique, donc je ne savais pas trop quelle quantité de mana canaliser, mais j’étais suffisamment familier avec elle pour créer un trou localisé aussi profond que le tibia de la créature. Le sol de la grotte n’était constitué que de terre et de sédiments, ce qui rendait la tâche d’autant plus facile.

Bien sûr, le chevalier-squelette s’était jeté dans l’écueil, perdant l’équilibre dans un grand fracas. Je devais cependant lui reconnaître qu’il n’avait pas trop perdu l’équilibre. Dès qu’il sentit la profondeur du trou, il modifia sa position et la force qu’il mettait dans son pied, puis il commença immédiatement à utiliser son autre jambe comme levier pour se pousser vers l’extérieur.

Cependant, ce moment unique avait été toute la chance dont j’avais besoin.

Bien que j’aie reculé, c’est ce que je visais depuis le début, et j’étais donc immédiatement prêt à passer à l’attaque. En utilisant le mana, j’avais durci la terre sous mes pieds pour obtenir un meilleur point de départ et j’avais foncé tout droit sur le chevalier-squelette.

Même s’il semblait avoir été surpris par la situation, le squelette réussit à lever son bouclier pour intercepter mon attaque. Je savais qu’il n’avait pas une bonne prise sur l’arme, alors j’avais canalisé le mana et l’esprit dans mon épée.

Il était encore difficile de charger mon arme en utilisant la fusion mana-esprit, mais la maintenir était bien plus facile qu’auparavant. Je fis un grand écart avec ma lame en visant le bouclier du chevalier-squelette — et au moment où elle entra en contact, une explosion souffla le bouclier, emportant le bras squelettique avec lui.

J’avais raison de penser que sa prise n’était pas sûre, et le chevalier-squelette avait perdu une couche de protection. Il lui restait cependant son armure — et son épée.

Désormais, j’avais le choix entre appuyer sur l’attaque ou me retirer à une distance sûre —, mais j’avais déjà pris ma décision. Si je reculais, il ne ferait que trouver une nouvelle contre-mesure. Ce chevalier-squelette avait certainement la capacité d’apprentissage nécessaire pour cela.

Puisque c’était le cas, j’avais redoublé mon attaque, m’approchant encore plus près. Je m’étais rendu compte que j’avais fait le bon choix lorsque j’avais vu une fissure dans l’armure du chevalier-squelette, suffisamment grande pour y enfoncer mon épée. Le cristal magique qui formait le cœur du squelette apparut à travers la fente. Un simple coup d’épée n’aurait pas été fatal, mais si je parvenais à l’atteindre…

Sans hésiter, j’avais enfoncé mon épée dans l’ouverture, visant directement le cristal magique. Je canalisais encore du mana et de l’esprit, si bien qu’au moment où ma lame entra en contact, une explosion se produit à l’intérieur de l’armure du chevalier-squelette.

Toute cette armure avait piégé l’énergie à l’intérieur, et tout ce qu’elle avait pu faire, c’est ricocher dans tous les sens. Un peu d’énergie avait quand même réussi à s’échapper, mais par le trou du cou, ce qui m’avait bien arrangé.

L’énergie de l’explosion déchira le chevalier-squelette en morceaux à l’intérieur de son armure. À l’extérieur, son crâne et sa colonne vertébrale se fissurèrent et éclatèrent en plusieurs endroits différents. Enfin, son cristal magique avait jailli comme un boulet de canon, il s’écrasa contre le mur de la grotte avant de rouler jusqu’à s’arrêter sur le sol.

Je savais que j’avais gagné, mais le sentiment n’avait commencé à s’installer que lorsque Rivul s’était approché en applaudissant.

 

 

« Rentt ! Vous avez réussi ! »

◆◇◆◇◆

« Il n’y aura plus de squelettes qui attaqueront notre village maintenant, n’est-ce pas ? »

Rivul avait l’air un peu mal à l’aise. Il n’était pas surprenant que ce soit la priorité absolue en ce qui concerne son village. Son malaise provenait probablement de son manque de connaissances sur l’écologie des monstres et leur mode de reproduction — il n’en savait pas assez pour savoir si cela allait être la fin des squelettes ou non.

Il n’y a rien à faire, même la plupart des aventuriers ne connaissent que les grandes lignes de ce genre de choses. Le monde avait encore beaucoup à apprendre sur les monstres, et ce que nous savions était moins des faits qu’un tissu de théories qui changeaient régulièrement.

Même avec des génies comme Lorraine qui menaient des recherches sérieuses — attendez, est-ce que je pouvais vraiment appeler ça sérieux quand elle prenait des collations et du thé de côté et qu’elle s’arrêtait régulièrement pour faire des siestes ? Non, oui, je suppose que ça comptait quand même — nos connaissances sur les monstres étaient toujours entachées de mystères.

Beaucoup d’aventuriers méprisaient toute forme d’apprentissage et ne prenaient jamais la peine de se souvenir des détails de toutes ces choses. Le fait que les aventuriers de Maalt soient relativement instruits s’explique par la valeur que Wolf accorde au savoir. Même les plus jeunes n’étaient pas en reste, car je leur avais aussi appris beaucoup de choses. Pourtant, lorsqu’il s’agissait d’aventuriers, ils étaient l’exception plutôt que la règle.

Tout cela mis à part, j’en savais assez sur cette situation pour pouvoir l’expliquer à Rivul.

« Il y a encore de la malveillance accumulée ici. Ce n’est pas encore sûr. »

« Est-ce que cela veut dire… ? »

« Si nous laissons ça sans rien faire, d’autres squelettes se formeront. »

« Mais c’est… ! » Le regard de Rivul était plein de désespoir.

Je n’avais cependant pas l’intention de laisser la situation inchangée. « Ne paniquez pas, Rivul, » le rassurai-je. « Je vous l’ai dit, n’est-ce pas ? Je vais m’en occuper. »

« O-Oh… C’est vrai. Je suis désolé d’avoir paniqué. Mais comment allez-vous… ? »

Une personne ordinaire n’aurait aucune idée de la façon de disperser la malice, mais ce n’était en fait pas une procédure terriblement complexe. J’avais fouillé dans mon sac magique et j’en avais sorti un objet particulier.

« Est-ce que c’est… une flasque ? Qu’y a-t-il dedans ? » Rivul étudia attentivement la bouteille finement ouvragée.

« De l’eau bénite », avais-je expliqué. « Les organisations religieuses de Maalt vous la donnent en échange de dons. »

Il était honnêtement plus juste de dire que vous l’aviez acheté, mais on laissait aux églises le soin d’appeler ce genre de chose un « don ». C’était vraiment un racket malhonnête qu’ils pratiquaient — bien qu’ils ne m’aient jamais surpris en train d’appeler ça un « racket » à voix haute.

Pourtant, je suppose que le terme « don » n’était pas complètement inexact. Certaines personnes qui avaient fait suffisamment de contributions ou rendu des services aux églises pouvaient voir le montant de leur don baisser, ce n’était donc pas systématique. Bien sûr, cela signifiait aussi que les églises pouvaient demander des sommes ridicules aux personnes qu’elles n’aimaient pas.

Dans mon cas, on pourrait penser que mon statut de monstre m’empêcherait d’obtenir de l’eau bénite, quelle que soit ma charité, mais j’avais un moyen de pression assez influent auprès de l’Église de Lobelia sous la forme d’une connaissance appelée Nive. Grâce à ce lien, je pouvais m’approvisionner auprès d’eux à bas prix.

Je n’aimais pas du tout l’église de Lobelia elle-même, mais leur eau bénite était d’excellente qualité, si bien que je me retrouvais souvent à l’acheter à contrecœur.

À part cela, Lillian de l’Église du ciel oriental avait retrouvé sa force de sainte, de sorte que la qualité de l’eau bénite de leur branche à Maalt allait probablement s’améliorer d’ici peu. J’en achetais de temps en temps depuis un certain temps, mais son efficacité était plutôt faible, alors j’attendais le changement avec impatience.

Une fois que leur eau bénite se sera améliorée, ce serait bien si je pouvais obtenir une réduction pour un ami, mais je n’allais pas forcer les choses.

Même avec l’Église de Lobelia, je n’obtenais qu’une réduction parce qu’ils ne voulaient pas m’offenser. J’étais vraiment curieux de savoir quel genre de saleté Nive avait sur eux, mais essayer de le découvrir signifierait devoir la revoir, et c’était la dernière chose que je voulais faire. Je serais heureux de rester dans le noir pour le reste de l’éternité, honnêtement.

Rivul avait facilement accepté mon explication au sujet de la fiole. « Oh, de l’eau bénite », dit-il. « Les marchands ambulants en apportent parfois en ville. Nous en aspergeons le village une fois par an, le jour de la fête des récoltes. »

« Pour éloigner les monstres, c’est ça ? »

« Oui. Mais j’ai cru comprendre que ce n’était qu’une mesure temporaire… »

« C’est vrai, » j’en avais convenu. « Ça fait très bien l’affaire, mais ça va finir par s’évaporer. Un lot particulièrement puissant pourrait fonctionner pendant quelques mois, mais cela grugerait le budget assez rapidement. »

Les revenus d’un petit village ne permettent pas d’utiliser constamment de l’eau bénite pour repousser les monstres. Leur utilisation une fois par an semblait provenir d’une vieille tradition à laquelle ils s’accrochaient encore dans le cadre d’un rituel lors des fêtes de la moisson et d’autres événements de ce genre.

De nos jours, il existe un certain nombre de choses différentes que vous pouvez utiliser comme répulsif contre les monstres, mais selon Lorraine, dans le passé, l’eau bénite était la seule option. En bref, la divinité était tout ce sur quoi les gens de l’époque pouvaient compter pour les protéger des monstres.

***

Partie 8

Le mana et l’esprit existaient aussi à l’époque, bien sûr, mais tout se résumait à la nature inhérente de la divinité. Le mana et l’esprit étaient des ressources latentes qui pouvaient être perçues et entraînées par les personnes qui les possédaient pour améliorer leurs capacités au combat, mais la divinité était différente. Elle était accordée par les dieux ou les esprits comme une bénédiction, et vous pouviez l’utiliser dès que vous l’obteniez.

Vous pouviez aussi améliorer la divinité avec des efforts, bien sûr, mais je ne doutais pas que dans un passé lointain, la simple capacité à se défendre contre les monstres sans avoir besoin de théorie, de logique ou d’efforts était incomparablement plus importante qu’elle ne l’était aujourd’hui.

Après tout, c’est pour cela que ceux qui possédaient la divinité étaient vénérés par les organisations religieuses en tant que saints et saintes.

« Mais, Rentt, comment allez-vous réellement utiliser cette eau bénite ? »

« L’eau bénite est très efficace pour disperser la malice. Il est vrai qu’elle ne durera pas longtemps — assurer la sécurité du village tout au long de l’année est probablement une trop grande demande — mais c’est exactement ce qu’il faut pour gérer un rassemblement de malice suffisamment puissant pour engendrer des squelettes. »

Techniquement parlant, j’avais aussi la possibilité d’utiliser ma divinité au lieu de l’eau bénite, mais comme la première était plus utile en cas de combat, je voulais l’économiser. Si l’eau bénite pouvait aussi faire l’affaire, c’était parfait.

Il y avait cependant un soupçon de doute dans l’expression de Rivul.

« Observez simplement », avais-je dit. « Hmm. Où dois-je le répandre… ? Le chevalier-squelette est apparu dans les environs… ici, n’est-ce pas ? »

Rivul acquiesça. « Oui, je crois que c’était dans les environs. »

« Alors ceci fera l’affaire. »

J’avais commencé à répandre l’eau bénite.

◆◇◆◇◆

Je ne vais pas vous dire ce qui est évident, mais je devais faire attention à la quantité d’eau bénite que j’utilisais. Elle n’était pas bon marché, après tout, surtout quand elle provenait de l’église de Lobelia.

Cela dit, ce n’était pas non plus ce qu’il y avait de plus cher, et la réduction Nive me permettait de l’obtenir moins cher que le prix courant. Néanmoins, si je l’utilisais de façon inconsidérée, la rémunération de cette mission serait réduite à néant et je me retrouverais dans une situation pire que celle que j’avais avant de l’accepter.

D’un autre côté, une utilisation trop stricte de l’eau bénite n’aurait pas l’effet escompté sur la malice persistante, ce qui pourrait entraîner l’apparition d’un plus grand nombre de squelettes. Je devais faire attention à utiliser la bonne quantité…

Pour m’en assurer, je devais déterminer où la malveillance était la plus forte. Heureusement — ou peut-être s’agit-il plutôt d’une lueur d’espoir dans un événement malheureux ? — j’avais pu le repérer lorsque le chevalier-squelette s’était manifesté.

C’est à cet endroit précis que la malice se rassemblait, donc si je concentrais mes efforts de purification à cet endroit, cela devrait avoir le plus d’effet. Si je n’avais pas vu le chevalier-squelette apparaître, j’aurais dû faire tout un travail d’investigation en me promenant et en examinant soigneusement chaque partie de la grotte.

Bien sûr, quelqu’un qui a des yeux magiques comme Lorraine serait capable de repérer immédiatement la source de la malveillance. Mais les gens comme ça sont rares, et ceux qui peuvent utiliser leurs yeux magiques au maximum de leur potentiel sont encore plus rares. L’utilité de Lorraine n’en était que plus évidente.

Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas m’inquiéter de ce genre de choses maintenant. J’avais de la malice à purifier. Je débouchai la fiole d’eau bénite et commençai à l’asperger par petites quantités.

La sensation désagréable que je ressentais à cause de la malice rassemblée commença lentement à se dissiper. Même Rivul, qui n’avait presque plus de mana, semblait remarquer le changement.

« C’est moi, ou l’air est plus… joyeux, maintenant ? »

« C’est parce que la malice se dissipe », avais-je expliqué. « Voilà, ça devrait aller. Maintenant, si je fais un petit exorcisme… »

Cette fois, au lieu d’éparpiller l’eau bénite dans toutes les directions, j’en avais fait couler un peu sur mon épée et je l’avais secouée en faisant le tour de la grotte. Je m’étais ainsi débarrassé de toute trace de malice qui aurait pu rester dans les parages. Même s’il n’y en avait pas assez pour faire apparaître des monstres, le fait de laisser un peu de malice lui permettrait de s’accumuler à nouveau avec le temps, alors cette étape était nécessaire pour garantir un travail propre.

Continuer à répandre l’eau bénite aurait été un gaspillage inutile, c’est pourquoi j’avais utilisé mon épée.

Au bout d’un moment, l’air ambiant avait été complètement purifié. J’avais même eu l’impression que l’atmosphère moite propre aux grottes avait disparu, mais ce n’était sans doute que mon imagination.

Et puis, c’était fait.

« Vous ne devriez plus avoir de squelettes qui vous embêtent », avais-je dit, puis j’avais marqué une pause. « Probablement. »

L’expression de Rivul était devenue emplie de soulagement. « Vraiment ? »

« Vraiment. Cependant, je soupçonne cette grotte d’être un endroit où la malveillance se rassemble facilement, alors je recommanderais d’engager un aventurier une fois par an pour répandre de l’eau bénite un peu partout. Les produits bon marché feront l’affaire. »

« Je vois… J’informerai le chef quand nous serons de retour au village », dit Rivul, avant de trébucher soudain en poussant un cri. « Ah ! »

« Wôw, hey. Qu’est-ce que vous faites ? Ne me dites pas que c’était vous qui sautiez de joie. »

« Non, hum… J’ai trébuché sur quelque chose. »

« Vraiment ? Laissez-moi voir… »

En y regardant de plus près, j’avais vu que Rivul avait raison : il y avait une sorte d’objet qui dépassait du sol près de ses pieds. Son pied avait dû s’y accrocher.

Curieux, je l’avais déterré. « Est-ce… une tasse ? »

« On dirait bien », acquiesça Rivul. « Qu’est-ce que ça fait dans un endroit comme celui-ci ? »

La tasse était petite, et elle avait un éclat terne. Elle n’avait pas l’air d’être de très bonne qualité.

« Je suppose qu’il a pu appartenir à un aventurier ou à un guerrier qui est venu ici avant — peut-être même au chevalier-squelette que je viens de combattre. Il est en tout cas au bon endroit pour cela. »

« Oh, je vois. C’est logique. Mais il n’a pas l’air d’avoir une grande valeur. »

« On ne sait jamais — il pourrait prendre un bel éclat si vous le polissiez. Quoi qu’il en soit, je l’apporterai à Maalt pour le faire évaluer. Je pourrai le vendre pour un peu d’argent s’il s’avère qu’il vaut quelque chose. »

 

 

« Le fait que vous disiez cela me fait me rappeler que vous êtes vraiment un aventurier, Rentt. C’est plutôt rafraîchissant, en fait. Vous n’aviez pas l’air si préoccupé par l’argent. »

« Hé, voyons ! J’aime l’argent autant que n’importe qui d’autre. J’adore trouver des trésors comme celui-ci. »

« Je n’appellerais pas vraiment ça un trésor, vu ce à quoi il ressemble… »

Rivul regardait la tasse comme si ce n’était rien d’autre qu’un morceau de vaisselle sale — ce qui était probablement exactement ce qu’elle était, alors je ne pouvais pas lui en vouloir, vraiment.

« Eh bien, de toute façon, notre affaire ici est terminée », avais-je dit. « Retournons au village. »

« Oui, allons-y. Je veux annoncer la bonne nouvelle à tout le monde dès que possible. Je suis sûr qu’ils auront aussi préparé quelque chose de délicieux pour nous à notre retour. Nous n’avons pas encore fini de reconstruire, mais la chasse se passait très bien. »

« J’ai hâte d’y être. »

Nous nous étions dirigés vers la sortie de la grotte en discutant. C’est alors qu’une pensée soudaine m’était venue à l’esprit.

« Ce chevalier-squelette était exceptionnellement fort… »

La force des chevaliers-squelettes est très variable. Même le plus faible était bien plus fort qu’un squelette ordinaire, bien sûr, mais celui que je venais de combattre n’était pas du menu fretin.

Pourtant, j’étais resté sur mes gardes et j’avais réussi à le vaincre, alors je supposais que tout s’était bien passé en fin de compte.

« Y a-t-il un problème, Rentt ? » demanda Rivul, curieux de savoir pourquoi je m’étais soudain arrêté de marcher.

Je m’étais empressé de recommencer à bouger. « Non, ce n’est rien. Je me disais juste que j’étais content d’avoir réussi à battre ce chevalier-squelette. »

Rivul et moi étions donc retournés au village.

◆◇◆◇◆

Après que Rentt et Rivul soient partis, deux silhouettes apparurent au fond de la grotte.

« Tout ce travail, et c’est comme ça que ça se termine ? » demanda l’un des individus, la voix dégoulinante de sarcasme. « Avec rien à montrer pour cela ? »

La voix de l’autre était empreinte de haine. « Je ne m’attendais pas à ce qu’un aventurier se présente maintenant. Pour commencer, ne t’ai-je pas dit de limiter au maximum les contacts avec l’extérieur et de ne pas déranger les villageois ? »

« Et c’est exactement ce que j’ai fait, merci beaucoup. Imiter un marchand ambulant a été une énorme galère, mais j’ai accompli tout le travail que tu m’as demandé. Rien de tout cela n’est de ma faute, alors pourriez-vous vous calmer ? »

Une pause. « Tu as raison. Désolé. »

« Voilà. Savoir s’excuser est l’un de tes points forts. Écoute, tu n’as pas eu de chance. Tu as vu comment s’est déroulé ce combat. Il est rare que des aventuriers aussi compétents se présentent ici, au milieu de nulle part. Et si tu devais te faire déjouer quelque part, c’est aussi bien ici qu’ailleurs. Ce n’était qu’une réserve, après tout. »

« Oui, mais c’est aussi ici que j’obtenais les meilleurs résultats… J’ai réussi à faire en sorte que l’évolution aille jusqu’à un chevalier squelette. Mais maintenant, j’ai perdu la coupe. »

« Était-ce de l’“évolution existentielle” ? Ça ressemblait à un frai ordinaire. »

« De quoi parles-tu ? Tu as vu comment le produit de base s’est transformé en malice et s’est rassemblé pour donner forme au chevalier-squelette, n’est-ce pas ? Cela aurait pu ressembler à une ponte normale, puisque la coupe encourageait artificiellement le processus, mais… »

« Argh, ça suffit avec les trucs compliqués. Je peux en déduire que tu as fait ce que tu devais faire, n’est-ce pas ? »

« Plus ou moins. C’est dommage qu’il n’ait pas pu atteindre l’étape finale, mais les résultats que j’ai maintenant suffiront. La coupe est aussi une perte douloureuse, mais ils n’obtiendront rien en l’expertisant. Nous avons terminé. Allons-y. »

« Oui, oui. Où va-t-on ensuite ? Welfia ? »

« Il y a là des matières premières mûres pour la cueillette. C’est sûr que ça va faire avancer mes recherches. »

« Ce n’est rien d’autre que des recherches sur ceci, des recherches sur cela avec toi. Peu importe. J’ai reçu l’ordre de te suivre, alors je suppose que je le ferai. »

« Alors, arrête de te plaindre. »

« Oui, oui. »

Les deux silhouettes disparurent, ne laissant rien derrière elles.

***

Histoire annexe : Dans un certain château…

Partie 1

Le garçon assis au sommet du trône parla avec une emphase staccato, arborant un sourire doux. « Alors…, avez-vous… des… excuses… à formuler ? »

Le trône, d’un noir de jais sans ornementation, n’avait pas de marques s’assemblage visibles, comme s’il avait été taillé dans un morceau de pierre unique. Il semblait trop simple pour un roi — une description qui s’appliquait également à la grande salle. Des noirs lugubres et des rouges profonds dominaient l’espace, et aucune décoration extravagante n’était présente.

La seule exception était les cheveux du garçon, qui étaient d’un magnifique blanc gossant, leur éclat s’apparentant à celui du soleil.

Cependant, dans les yeux du garçon résidait une profonde obscurité. L’objet de son observation — un homme seul — était agenouillé loin sous l’estrade qui soutenait le trône, tremblant. Il était vêtu de la tenue élégante d’un gentleman, bien que sa canne et son chapeau haut de forme aient été posés à côté de sa main droite, qui était appuyée contre le sol.

Si Rentt avait vu cet homme, il aurait déclaré que c’était lui qui l’avait attaqué dans la capitale royale. Rentt aurait ajouté qu’il n’avait même pas été capable de se battre contre lui.

Pourtant, l’homme était maintenant agenouillé devant un garçon qui semblait être de plusieurs années son cadet, et il tremblait. Bien qu’on se soit adressé à lui directement, sa gorge refusait de fonctionner, ne produisant que des gémissements étouffés et silencieux au lieu de mots bien formés.

Il va sans dire que cette situation était inhabituelle.

Le garçon au sommet du trône examina l’état de l’homme avant de soupirer légèrement et d’adoucir son sourire. « Je ne suis pas en colère, tu sais. Je te demande juste pourquoi tu étais là. Est-ce que tu comprends ? »

Et puis, tout à coup, le garçon se retrouva derrière l’homme, posant sa main droite sur son épaule. L’homme tressaillit sous le choc — il n’avait même pas remarqué le mouvement du garçon — et ses tremblements s’intensifièrent. Pourtant, il ne fit rien d’autre — il ne pouvait rien faire d’autre.

Le garçon posa sa main gauche sur l’autre épaule de l’homme et approcha sa bouche de son oreille. « Je l’ai dit plusieurs fois, n’est-ce pas ? » chuchota-t-il. « “Ne mets pas les pieds dans le royaume de Yaaran à moins d’être sous mes ordres. » Je sais que tu n’es qu’un « petit-enfant », mais tu peux sûrement comprendre cela. »

Comprenant qu’il ne pouvait plus s’en sortir en restant silencieux, l’homme répondit. « O-Oui. Mon “parent” Yanshuf m’a donné des instructions de ce na — ! ».

Avant qu’il n’ait pu terminer, l’homme s’était rendu compte que sa tête volait. Il ne ressentait aucune douleur — les morts-vivants de classe supérieure pouvaient réguler leurs propres sens physiques. La douleur, en particulier, pouvait être complètement désactivée, et comme on ne sait jamais quand on peut être attaqué, l’homme avait tendance à garder son sens de la douleur bloqué à tout moment.

Néanmoins, la force de l’impact pouvait être ressentie, même sans douleur. Une frappe suffisamment puissante pour décapiter aurait dû être détectable avant même d’entrer en contact.

Pourtant, l’homme n’avait rien remarqué avant que sa tête ne vole déjà. Son environnement avait tourné en rond pendant un moment avant que sa tête coupée ne soit attrapée — et il n’était pas nécessaire de dire par qu’il n’y avait que deux personnes présentes dans la pièce, après tout.

« Alors pourquoi ne peux-tu pas suivre les instructions que l’on te donne ? Et puis il y a la question de la facilité avec laquelle je t’ai décapité. Est-ce que Yanshuf t’a aussi demandé d’éteindre ton sens de la douleur ? La douleur est importante pour reconnaître le danger, tu sais. » Le ton du garçon était frivole, mais plein de regrets. Peu à peu, cependant, ses paroles prirent une tournure plus dangereuse. « Tu ne peux tout simplement pas obéir à tes supérieurs — et c’est pourquoi tu mourras ici aujourd’hui. Est-ce que tu comprends ? »

La peur transperça le cœur de l’homme. Il allait mourir ? Ici ?

Depuis combien d’années existait-il en tant que mort-vivant ? Au début, il avait gardé sa peur de la mort, mais elle s’était presque estompée avec le temps. Parce qu’il était devenu plus fort. Parce que les morts-vivants ne pouvaient pas mourir. Parce que plus rien n’était un danger pour lui.

Pour ces raisons, l’homme pensait avoir déjà vaincu sa peur de la mort.

Pourtant, il se rendait compte aujourd’hui que ce n’était pas le cas. C’est simplement qu’il rencontrait moins d’occasions pour que la mort s’empare de lui, et qu’il était donc obligé d’y penser beaucoup moins.

Mais le garçon qui tenait actuellement sa tête décapitée pouvait le tuer — facilement et sans souci, sans aucun effort. L’homme l’avait compris, et c’est la raison pour laquelle il avait eu une peur indescriptible.

Non ! Je ne veux pas mourir…

Au milieu du chaos de ses émotions, l’homme trouva en lui la force de parler. « V-Vous avez mes excuses les plus sincères, mon seigneur. Je suis allé à Yaaran parce que l’influence des seigneurs-démons s’est accrue ces dernières années. J’étais convaincu que nous devions faire quelque chose pour les tenir en échec, et comme Yaaran est resté presque intact par les autres puissances, j’ai pensé qu’il y avait peut-être quelque chose à faire là-bas… »

Le champ de vision de l’homme s’était retourné dans le bon sens alors que sa tête fut tournée avant de s’écraser sur le sol. Ses paroles désespérées ont-elles été entendues ?

Le garçon était accroupi devant lui, son expression affichant toujours un doux sourire. Pourtant… l’homme sentait une plus grande menace émaner de lui à présent. Lorsque le garçon prononça ses prochains mots, il comprit pourquoi.

« Les seigneurs-démons, hmm ? Ces chétifs chiens fouettés ne valent pas la peine qu’on s’intéresse à eux. Pourtant, je suppose que je peux reconnaître que tu avais nos intérêts à l’esprit. Si tu avais agi pour ton profit personnel, ce serait une autre histoire. »

De toute évidence, le garçon n’avait pas une haute opinion des seigneurs-démons. Il semblerait que l’évocation de leur nom ait été une erreur.

« Je pense que je vais réduire ta punition de l’exécution à devenir une pièce d’art pour ce château, » continua le garçon. « Tu as de la chance. Ta tête décapitée sera le concierge de la porte à partir de maintenant. Ah, je suppose que cela signifie que tu n’auras plus besoin de ton corps. Pourquoi ne pas lui dire au revoir pendant que tu en as l’occasion ? Regarde avec moi. C’est un moment qu’il faut commémorer. »

Le garçon déplaça prudemment la tête de l’homme pour qu’il puisse l’observer tandis qu’il levait une main vers son corps, s’apprêtant manifestement à lancer un sort — un sort de destruction, si l’on en croit les paroles du garçon.

Dans n’importe quelle autre circonstance, le corps de l’homme serait capable de se régénérer — mais il ne serait pas exclu que ce garçon possède une méthode de destruction véritable. Et d’après son comportement, il était tout à fait sérieux.

« A-Arrêtez — »

« Non, je ne pense pas que je le ferai. Voilà, je m’en vais… au revoir. »

La lumière avait jailli de la main du garçon, et tout ce que l’homme pouvait faire, c’était regarder. C’était fini pour lui. Il avait été condamné à une éternité à observer le paysage à l’extérieur du château depuis une position près de la porte.

Cependant, lorsque la lumière s’estompa, le corps de l’homme était toujours là — ainsi que quelqu’un d’autre qui se tenait devant lui. Quelqu’un dont les épaules étaient déchirées par l’effort de lancer un sort de bouclier d’une puissance effrayante.

Cependant, le sort s’était rapidement effondré et le lanceur de sorts — un jeune homme aux traits magnifiques — s’était agenouillé. Son front était couvert de sueur, mais cela n’entachait en rien son charme.

« Eh bien, si ce n’est pas Yanshuf. Tu es venu te sacrifier pour ton précieux “enfant”, n’est-ce pas ? »

En effet, le jeune homme était Yanshuf Fahalah, » parent » de l’homme et « enfant » du garçon.

« Avec toute la déférence et le respect que je vous dois, mon seigneur, je vous supplie de reconsidérer la punition de Tavas », dit Yanshuf. « C’est un serviteur loyal. »

« Comme c’est étrange. Un serviteur “loyal” n’aurait-il pas obéi à mes instructions ? »

« C’est… dû à mon manque de supervision. S’il vous plaît… »

« Alors vas-tu mourir à sa place ? » Le garçon leva la main en direction de Yanshuf.

Yanshuf inclina la tête. « Par votre volonté », répondit-il. « Ce corps qui est le mien est à vous pour en faire ce que vous voulez, jusqu’à la dernière goutte de sang. » Il n’y avait pas la moindre note de réticence dans sa voix.

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