Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 7

Table des matières

***

Chapitre 1 : Le garçon des terres lointaines ~ Point de vue de Kaneki Mikihiko ~

Le son du métal s’entrechoquant contre le métal tambourinait dans les profondeurs de mes oreilles.

« Argh. Hghh... »

En utilisant les deux épées courtes dans mes mains, j’avais repoussé la lame qui venait vers moi. Mon adversaire était armé d’une seule épée longue. Elle avait un peu plus de portée que mes armes, ce qui signifie que j’étais naturellement obligé de me défendre plutôt que de frapper. Je voulais réduire la distance entre nous pour me mettre à portée, mais mon adversaire était plus habile que moi, donc ce n’était pas facile. Au fur et à mesure que nous poursuivions notre combat, l’impact de ses frappes faisait lentement disparaître la sensation de mes mains.

« Oooooh ! »

Je n’avais déjà aucune chance de gagner. Je le savais, mais je m’étais accroché. Il y avait des objectifs que je ne pouvais pas atteindre si j’abandonnais maintenant. Je ne pouvais pas protéger les choses les plus importantes pour moi si je ne me donnais pas à fond, alors j’avais serré les dents et brandi mes épées.

Combien de temps s’est déjà écoulé ? Chaque fois que je jouais à des jeux dans ma chambre, le temps passait toujours sans que je m’en rende compte. Cependant, ici et maintenant, j’avais l’impression que beaucoup de temps s’était écoulé en quelques instants.

« Ah. »

Un coup particulièrement violent avait fait tomber l’épée courte de ma main engourdie. Armé d’une seule arme, je n’avais même pas pu tenir quelques secondes de plus.

« Tu m’as eu, Marcus, » avais-je dit en tombant sur mes fesses. J’avais levé les yeux vers l’épée d’entraînement pointée sur mes yeux.

« C’est-à-dire que le match est à moi, Mikihiko ? »

« J’abandonne ! Je me rends ! J’en ai assez ! »

Il avait finalement abaissé son épée. La tension avait disparu de l’air, et je m’étais couché sur le dos. Mon autre épée d’entraînement était tombée de ma paume, et j’avais levé les yeux vers le ciel ridiculement bleu.

« Bon sang… Un vrai chevalier est vraiment fort, » avais-je grommelé.

« Ha ha. Tu es toi aussi devenu plutôt fort. »

« Entendre ça de la part de quelqu’un que je n’ai même pas pu frapper une seule fois me fait me sentir encore plus mal. En fait, ce serait mieux si tu jubilais. »

« Tu es encore cent ans trop tôt pour avoir une longueur d’avance sur moi. Lutte autant que tu veux. »

« D’un extrême à l’autre !? » avais-je crié en me relevant d’un bond. J’étais un mauvais perdant, alors je ne pouvais pas me taire. « Bon sang ! Je ne vais pas perdre contre toi, connard ! »

J’avais donné de l’énergie à mon corps épuisé avec de la pure volonté, mais j’avais été accueilli par des rires virils.

« D’accord ! Et si on essayait une lance cette fois ? » suggéra Marcus.

« Vas-y ! »

J’avais réussi à me muscler dernièrement, alors j’essayais toutes sortes d’armes à part les épées courtes. J’avais fait un signe de tête motivé à Marcus, puis je m’étais retourné pour aller chercher une lance d’entraînement.

« Hé, Mikihiko, » dit-il soudain. « Donnons tout ce que nous avons. »

Je m’étais arrêté, mais je ne m’étais pas retourné. Puis j’avais hoché la tête et j’étais parti en courant.

Après que nous soyons allés à la cité marchande de Serrata pour les informer de la chute du Fort de Tilia, le Margrave Maclaurin avait arrêté la commandante. Il avait quitté Serrata avec la commandante trois jours après que je me sois séparé du groupe de Takahiro. Environ un mois s’était écoulé depuis.

J’avais choisi d’aller avec le convoi qui escortait la commandante au nord. Pendant ce temps, ils ne m’avaient pas permis de la voir du tout. J’avais utilisé mon statut de sauveur pour tordre quelques bras afin de faire partie du convoi, mais je ne pouvais pas les pousser plus loin. J’avais passé mes journées aux côtés du chevalier de l’Alliance chargé de s’occuper de moi pendant que nous étions tous sous surveillance impériale. Ils n’avaient pas retenu l’un de nous deux, mais ils étaient vraiment méfiants.

Après l’arrestation de la commandante, je m’étais échappé de Serrata. À cause de cela, Maclaurin n’avait pas réussi à capturer tous les chevaliers de l’Alliance. Plus important encore, la lieutenante Shiran s’était échappée. Nous ne pouvions pas la laisser tomber entre ses mains maintenant qu’elle était un monstre mort-vivant. Et honnêtement, ça fait du bien de s’en prendre au margrave.

S’ils ne m’avaient pas autorisé à rencontrer la commandante, c’est probablement parce qu’ils s’attendaient à ce que je la fasse évader avec l’aide des chevaliers disparus. En fait, j’avais été secrètement en contact avec certains d’entre eux, mais nous n’avions pas l’intention de la faire sortir. Cela ne ferait qu’aggraver sa situation. Quoi qu’il en soit, Maclaurin était certainement inquiet de cette possibilité, et c’est ce qui les avait mis en garde contre nous.

Au bout d’un moment, l’armée provinciale nous avait rattrapés, et l’escorte militaire excessive de la commandante au nord avait continué. L’immense groupe se déplaçait à un rythme lent. Il nous avait fallu dix jours pour quitter le comté de Lorenz et entrer dans les régions fermières du territoire du Margraviat de Maclaurin. Nous avions ensuite suivi la route du nord-est jusqu’à la ville de Dursis, connue comme l’entrepôt à grains de l’Empire du Sud. Cela nous avait pris encore plusieurs jours. Actuellement, nous nous dirigeons vers la ville minière de Nourias, située au centre du margraviat. Nous suivions la route parallèle à la grande rivière Aralia et nous nous étions retrouvés sur une aire de repos pour voyageurs. Il nous faudra encore une semaine pour arriver à Nourias, ce qui fait que notre voyage durera un mois.

Ils m’avaient dit que pour atteindre notre destination, la capitale impériale, il faudrait encore un mois après avoir atteint Nourias. Je ne savais pas combien de temps ils avaient prévu de confiner la commandante dans la capitale. Les gens du margrave ne voulaient pas me donner le moindre détail. Ils me détestaient probablement. Eh bien, je les détestais aussi, donc nous étions quittes.

En tout cas, je doutais que notre séjour dans la capitale soit court. L’attaque du Fort de Tilia avait été un incident majeur où l’humanité avait perdu l’une de ses forteresses. Ils allaient certainement demander un compte rendu détaillé de ce qui s’était passé là-bas et de l’ampleur des dégâts.

Après cela, la commandante prendrait la responsabilité de sa capitulation. Comme je l’avais dit à Takahiro et Shiran avant de nous séparer, l’exécution était hors de question. La famille royale akérienne était aimée par son peuple. Si leur princesse devait être exécutée pour des raisons irrationnelles, cela entraînerait certainement une guerre contre le margraviat. Le Saint Ordre, qui s’était battu sur le champ de bataille aux côtés des sauveurs et avait maintenu l’ordre mondial, ne permettrait pas un tel chaos sans signification. Peu importe à quel point le margrave détestait la commandante, il ne pouvait pas la condamner à mort.

Cela dit, le poids de sa punition serait relatif au nombre de voix qui lui demanderaient de prendre ses responsabilités. C’est là que j’interviens. Le siège de la Sainte Eglise était situé dans la capitale impériale. Ils vénéraient les sauveurs, et devaient avoir une influence considérable. Étant l’un de ces sauveurs, de nom en tout cas, il devait y avoir quelque chose que je pouvais faire pour elle. Si c’était le cas, même si la commandante était condamnée à une résidence surveillée permanente, je pourrais au moins la ramener à Aker… Je l’espérais.

« La route va être loooooongue, » avais-je grommelé.

Je devais être patient. J’avais couru jusqu’à la manamobile qui transportait nos bagages et j’avais attrapé un bâton avec un tissu enroulé autour de l’extrémité utilisé pour l’entraînement à la lance.

« Je me demande quand Takahiro va rejoindre Aker…, » je me l’étais murmuré à moi-même.

Même si leur voyage se passait bien, ils n’étaient probablement pas encore arrivés. J’avais entendu dire que la route à travers les montagnes Kitrus était assez difficile. Presque personne ne l’utilisait de nos jours, et il était très probable que l’état lamentable de la route leur bloque complètement le chemin. Un accident inattendu pouvait également se produire.

Pourtant, il était presque garanti qu’ils atteindraient Aker avant nous. Le temps qu’ils obligent la commandante à rentrer chez elle, il serait là pour nous accueillir. Je devais m’assurer de pouvoir sourire lors de nos retrouvailles.

Ainsi, je m’étais remis en selle une fois de plus et j’avais repris mon entraînement.

***

Chapitre 2 : Les filles humaines

Partie 1

« Qu’est-ce que tu regardes ? » avais-je demandé à la fille accroupie au bord de la rivière. Ses yeux avaient été fixés sur l’objet dans sa main, mais elle avait levé les yeux vers moi.

« Majima… »

Quelque chose en elle me rappelait une fleur. Ses magnifiques cheveux noirs lui tombaient jusqu’à la taille. Elle portait un uniforme d’école, mais ses proportions sveltes étaient encore perceptibles. Lorsqu’elle souriait, les traits de son visage, plutôt acérés, étaient empreints d’une douceur toute féminine. En ce moment, cependant, elle affichait un regard maussade et aigre.

« Ce n’est vraiment rien, » dit-elle sans ambages.

Iino Yuna — la fille connue sous le nom de Skanda dans la colonie — avait soufflé et détourné le regard. Elle était plutôt insociable, mais c’était normal. Nous avions après tout croisé nos lames.

La raison pour laquelle son uniforme était un peu usé et sale était due à notre bagarre de l’époque. C’était cependant les seules traces laissées par la bataille. Toutes les blessures qu’elle avait subies ce jour-là étaient complètement guéries maintenant. Même le bras qu’elle s’était cassé pendant le combat contre la Bête folle — le monstre en lequel Takaya Jun s’était transformé — était redevenu normal.

Elle tenait un simple télescope dans sa main. La marionnette magique Rose, une de mes servantes, l’avait fabriqué.

 

 

« J’ai trouvé quelque chose de nostalgique, alors je ne faisais que jeter un coup d’œil, » déclara Iino en reposant le télescope sur le sol.

Il y avait une pile d’affaires à ses pieds, allant des couvertures aux provisions. Tous étaient mouillés, abîmés, couverts de boue, ou tout cela à la fois. C’était les bagages avec lesquels nous avions voyagé sur le chemin d’Aker. La rivière les avait emportés, les laissant dans leur état actuel.

Nous étions avec une manamobile que les Chevaliers de l’Alliance nous avaient prêtée. Pendant notre combat contre Iino, le véhicule avait dévalé la falaise dans un glissement de terrain et s’était brisé en morceaux. Toutes nos affaires avaient été emportées en même temps.

Maintenant qu’Iino est de retour en parfaite santé, elle utilisa la force de ses jambes pour courir le long de la rivière et chercher et récupérer nos affaires. Grâce à ses efforts, certains de nos bagages étaient maintenant à ses pieds. Le télescope qu’elle regardait était l’un des objets qu’elle avait réussi à récupérer.

« J’ai une amie qui adore ce genre de choses, » déclara Iino en regardant le télescope. « Il fut un temps où elle m’a imposé un télescope fait main et m’a fait regarder les étoiles. Il est toujours dans ma chambre… »

Iino avait souri avec nostalgie et s’était levée avant de se tourner vers moi et de continuer.

« Son nom est Todo… Je veux dire, Todoroki Miya. La connais-tu ? »

« Todoroki ? »

La mention soudaine de son nom m’avait troublé d’une certaine manière. J’avais l’impression de l’avoir déjà entendu quelque part, mais je n’arrivais pas à m’en souvenir tout de suite.

« Elle est membre de l’équipe d’exploration, Senpai. »

Une autre voix avait répondu avant que je puisse comprendre. Je m’étais retourné pour voir une fille avec des nattes qui se balançaient — Katou — marcher vers nous. Ses manches étaient retroussées, révélant ses bras blancs et minces. À côté d’elle, une femme portait un masque, et ses cheveux gris étaient attachés en une tresse. C’était Rose.

Rose portait des objets mouillés dans ses bras. Toutes les deux avaient utilisé la rivière pour laver la boue de tout ce qu’Iino avait récupéré. Un peu plus loin, Gerbera et Kei s’amusaient bruyamment avec cette tâche. Une Arachnée et une elfe ensemble étaient plutôt bizarres dans ce monde, mais la scène était idyllique à mes yeux.

Rose alignait les objets propres sur un morceau de tissu au bord de la rivière. Katou avait utilisé un chiffon pour les sécher, après quoi Rose avait commencé à les trier.

« La bête des ténèbres Todoroki Miya, » dit Katou en continuant son travail. « Elle était célèbre dans la colonie. Je pense qu’elle était dans la même classe que toi, Senpai. »

« Oh, c’est vrai. »

Maintenant, je m’en souvenais. Même au sein de l’équipe d’exploration d’élite, qui était entièrement composée de tricheurs ayant acquis des pouvoirs insensés en arrivant dans ce monde, il y avait ceux qui étaient connus avant tous les autres. Par exemple, l’Épée de Lumière Nakajima Kojirou, la Lame Absolue Hibiya Kouji, le Dragon Jinguuji Tomoya, et la fille juste devant moi, la Skanda Iino Yuna. Ça me semblait loin maintenant, mais dans la colonie, j’avais entendu parler de la Bête des Ténèbres Todoroki Miya.

« Hm ? »

Au moment où j’avais réalisé que j’avais entendu ce nom, quelque chose s’était figé dans mon esprit.

« Y a-t-il un problème, Senpai ? » demanda Katou avec curiosité.

« J’ai l’impression d’avoir entendu ce nom beaucoup plus récemment, » avais-je dit, et après quelques secondes, je m’étais souvenu. « Takaya Jun… C’est ça. Il a mentionné Todoroki. »

Il avait mentionné son nom lorsque nous l’avions mis au défi de récupérer Lily. Lorsque nous lui avions demandé des informations sur la Voix du Ciel, le mystérieux tricheur qui se cachait parmi l’équipe d’exploration, Takaya Jun avait mentionné le nom de Todoroki Miya dans le but d’ébranler Kudou.

Maintenant que j’y pense, Iino, qui était sur le dos de Berta en se faisant passer pour Kudou à ce moment-là, avait aussi réagi à son nom. J’avais pensé qu’elle savait peut-être qui ils étaient, mais je n’avais pas eu le temps de le lui demander. Après cela, nous avions été pris dans une bataille de vie ou de mort, donc cela m’était complètement sorti de l’esprit. La réaction d’Iino était logique si Todoroki Miya était une membre de l’équipe d’exploration. Il ne semblait pas non plus qu’elles soient de simples collègues.

« Étais-tu proche d’elle ? » avais-je demandé à Iino.

« Oui, » répondit-elle, ses yeux dérivant vers le télescope sur le sol. « C’est pourquoi je veux te demander quelque chose. Tu es en contact avec Kudou, non ? Pourquoi Takaya a-t-il parlé de Todo… ? Qu’y a-t-il entre elle et Kudou ? S’il te plaît, peu importe ce que c’est, dis-moi juste ce que tu sais. »

« Même si tu me le demandes…, » avais-je marmonné. Je savais où elle voulait en venir, mais c’était quand même une demande déraisonnable. « Je ne suis pas vraiment en contact avec Kudou. Nous étions ennemis au Fort de Tilia, et cette fois nous nous sommes à peine parlé. Désolé, mais je ne sais rien de leur implication. »

« Je vois… Eh bien, » dit-elle avec un soupir déprimé.

« Hé, Iino. Est-ce que Todoroki… ? »

« Elle n’était pas dans le premier corps expéditionnaire. Elle est restée dans la colonie. »

D’après son expression, je m’attendais à cette réponse.

« Nous n’avons pas laissé la colonie sans défense, comme tu le sais, » avait-elle poursuivi. « Nous avons laissé deux tricheurs avec un surnom derrière nous — la Bête des Ténèbres Todo, et la Lame Absolue Hibiya Kouji. Tant qu’ils étaient là, nous nous sommes dit que nous serions prêts face à tout… C’est comme ça que ça devait se passer. »

Elle avait ajouté la dernière partie parce qu’elle savait ce qui s’était passé à la fin.

« “Prêt face à tout” ne concerne que les monstres, non ? » avais-je dit avec un soupir. « La colonie s’est autodétruite. Ce n’était pas une attaque de monstre. Elle s’est effondrée de l’intérieur. »

En fin de compte, c’était le chef de l’équipe d’exploration, Nakajima Kojirou, qui avait maintenu notre vie stable à la Colonie. C’était grâce à son charisme et à son leadership. Il y avait toujours eu du mécontentement et de l’anxiété pendant qu’il était là, mais sa présence avait endigué toutes les émotions négatives. C’est pourquoi tout s’était déversé quand il était parti.

« Vous nous en voulez ? » demanda Iino, l’air presque effrayé.

« Je n’ai pas une grande opinion de vous tous, mais je ne vous en veux pas. »

« Vraiment ? »

« Ouais. Vous blâmer ne change pas ce qui s’est passé. D’ailleurs, je ne pense pas que la décision de l’équipe d’exploration était mauvaise à l’époque. »

« Que veux-tu dire ? »

« Nous n’avions aucun avenir si nous continuions à rester ainsi dans les Terres forestières. Cependant, un voyage au long cours était impossible avec l’ensemble du groupe. Il aurait fallu finir par envoyer un corps expéditionnaire. »

J’avais mis de côté mes émotions et j’avais continué avec indifférence.

« Il est vrai que le départ du premier corps expéditionnaire a été l’élément déclencheur de la destruction de la colonie, mais ceux qui l’ont réellement détruite étaient une partie des tricheurs, pas le corps expéditionnaire lui-même. Il n’est pas juste de vous critiquer après coup. »

« Comme c’est rationnel de ta part... »

« Cependant, j’ai dit que je n’avais pas une grande opinion de vous tous. »

Il y avait des choses que je ne pouvais pas accepter sur le plan émotionnel. Je ne pouvais pas le nier. Pourtant, cela faisait quatre mois maintenant. Le fait que ce ne soit que quatre mois ou que ce soit déjà quatre mois dépendait de chaque personne, mais au moins, j’avais réussi à calmer mes émotions. Mon désir de ne pas m’impliquer dans l’équipe d’exploration l’emportait largement sur les plaintes que je pouvais avoir à leur égard.

Le pire, c’était cette mystérieuse Voix du Ciel qui faisait partie de leur groupe. Je n’avais aucune idée de l’étendue du poison de la malice qui les avait tous infectés. Je priais pour que l’équipe d’exploration puisse purger la toxine du mieux qu’elle pouvait, mais si cela échouait, je ne voulais pas être pris dans ce qui se passerait.

« Retournes-tu dans l’équipe d’exploration, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.

« C’est le plan. Je me sens encore un peu raide, mais je peux me déplacer maintenant. Je dois aussi passer par Serrata avant de retrouver tout le monde. »

« Serrata… Comptes-tu rendre visite à Louis ? »

« Mhm. Honnêtement, je ne pense toujours pas que Louis ait menti, » dit Iino, baissant les yeux comme pour cacher la forte lueur dans ses yeux. « Son indignation vertueuse était réelle… enfin, je crois. J’ai besoin de lui parler encore une fois, surtout s’il a mal compris quelque chose. »

Les frictions entre Iino et moi durant cet incident avaient toutes pour origine Louis Bard, le subordonné du noble le plus influent de l’Empire du Sud, le margrave Maclaurin. Il avait dit à Iino, « Majima Takahiro est l’un des responsables de l’attaque du Fort de Tilia. » Nous ne savions pas si Louis avait trompé Iino avec sa langue d’argent ou s’il s’était lui-même trompé. Iino pensait que c’était cette dernière hypothèse.

***

Partie 2

« Je prévois de partir demain matin, » dit-elle.

« Tu ne peux pas rester tranquille une seconde, hein ? »

« Eh bien, oui. Il y a aussi cette Voix du Ciel. Je veux rentrer le plus vite possible. Cela prendra plus de temps parce que je veux d’abord rendre visite à Serrata. Il a déjà fallu un certain temps pour que mes blessures guérissent. »

Actuellement, la seule parmi mes compagnons de voyage qui pouvait utiliser la magie de guérison était Kei. En tant qu’elfe, elle avait l’étoffe d’un formidable mage, mais elle n’avait que dix ans et son répertoire était limité. La magie qui frôlait tout juste le grade 2 prenait du temps pour traiter les blessures. Il avait fallu trois jours pour remettre Iino dans un état où elle pouvait se déplacer correctement. À en juger par sa personnalité impatiente, elle risquait de partir à tout moment.

Malgré cela, elle avait décidé de passer toute la journée à nous aider à récupérer nos affaires. C’était une grande différence par rapport à il y a trois jours où elle n’avait cessé de crier qu’elle ne pouvait pas me croire. Qu’est-ce qui a bien pu faire changer sa position de façon si radicale ?

« Ne t’inquiète pas. Je n’ai pas l’intention de te traîner jusqu’à l’Empire après tout ça, » dit-elle en mettant une main à sa taille et en gloussant. « Cette Voix du Ciel, ou ce qu’elle pense être pourrait faire partie de l’équipe d’exploration. Tu as dit que tu ne pouvais pas nous faire confiance. Je suppose que c’est logique. Même Takaya a fini comme ça… »

Iino avait soupiré. Cet incident lui avait donné beaucoup de choses à penser maintenant.

« Ça ne te dérange pas de laisser toute cette histoire avec Miho Mizushima comme ça ? » avais-je demandé, en regardant son expression triste.

Je m’étais dit que c’était une question inutile. Il n’y avait pas de raison de remuer le couteau dans la plaie. Cependant, Iino, qui avait autrefois brûlé d’une indignation vertueuse concernant tout ce qui s’était passé avec Miho Mizushima, avait légèrement secoué la tête.

« La personne en question est d’accord avec cela, donc ce n’est pas à moi de dire quoi que ce soit, » avait-elle déclaré.

De façon inattendue, on aurait dit qu’elle laissait tomber le sujet. Tout de même, je n’avais pas vraiment compris comment elle en était arrivée à une telle conclusion.

« La personne en question ? » avais-je demandé.

« Oh… Uhh, ce n’est rien. Oublie ça. »

« Ça n’a pas l’air de rien… »

« D-Dans tous les cas, c’est comme ça ! » Iino agita ses mains d’un air agité et tourna les talons. « Bon, je vais en chercher d’autres ! »

« Ah ! Hé ! Iino ! »

Elle était déjà en train de courir quand j’avais essayé de l’arrêter. C’était la Skanda. Même si elle n’était pas en parfait état, sa silhouette avait disparu en un clin d’œil.

« Qu’est-ce qu’elle est bizarre ! » m’étais-je murmuré. À ce moment-là, j’avais vu Katou qui regardait dans la direction où Iino s’était enfuie. « Hm ? Katou ? Quelque chose ne va pas ? »

« Ce n’est rien…, » Katou avait dit en secouant la tête. « Ce n’est pas possible… Je pense. » Elle avait gloussé, puis s’était tournée vers son amie. « Rose, j’ai fini. »

« J’ai aussi fini, » répondit Rose. « Je vais t’apporter les objets qu’Iino vient de récupérer. »

Rose avait ramassé les objets sales qu’Iino avait ramenés et les avait portés jusqu’à Gerbera et Kei, qui s’amusaient à discuter tout en faisant couler de l’eau et en lavant des objets.

« Vous deux, c’est bien de s’amuser, » leur déclara Rose, « mais si vous êtes trop excitées, il est possible que vous cassiez quelque chose. Surtout toi, Gerbera. Tu peux être très imprudente. »

« Je sais, Rose. Ne t’inquiète pas. Je ne ferai pas un si simple… Oups. »

« H-Hein ? Gerbera ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que quelque chose vient de craquer ? » demanda Kei.

« Je viens de te prévenir…, » Rose grommela.

« Je suis désolée ! »

Elles avaient l’air de s’amuser. Je les avais regardées avec un sourire en écoutant les pas qui venaient vers moi sur le gravier.

« Euh… Senpai ? »

Katou s’était approchée et m’avait regardé d’un air entendu.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Euh, à propos d’Iino… Je croyais que tu la détestais. »

« C’est le cas. Mais qu’en est-il ? » Avais-je dit un peu dubitatif. « Qu’est-ce que c’est, tout d’un coup ? »

Katou avait l’air quelque peu vexée par ma réaction.

« Malgré cela, hum… Comment dire… ? »

Finalement, elle n’avait pas trouvé de manière polie de le dire et avait décidé de me le donner directement.

« Senpai, on dirait que tu ne la détestes pas vraiment. »

J’avais eu du mal à répondre à cette accusation soudaine et j’avais hésité un moment.

« Est-ce que tu penses ça ? » avais-je demandé.

« Oui. » Katou avait acquiescé, gardant ses yeux fixés sur les miens tout le temps.

« Je vois… »

J’avais forcé un sourire sans le vouloir. Ce n’est pas qu’elle avait dit quelque chose de complètement faux. C’était plutôt le contraire. Katou avait vraiment un bon œil quand il s’agissait des gens. Je m’étais gratté la tête et j’avais regardé où Iino s’était enfuie.

« Je ne suis pas vraiment en train de mentir, » avais-je dit.

C’était vrai. Je m’étais juré de ne jamais perdre ce qui m’était précieux, quoi qu’il arrive, c’était une chose que je ne laisserais jamais se produire. Prier était le mieux que mon faible moi pouvait faire. Il y avait tellement d’autres choses auxquelles j’avais dû renoncer pour les protéger. Peut-être que si j’avais la même force qu’Iino, je n’aurais pas eu à renoncer à tout ça. Je ne pouvais pas la voir sous un jour positif à cause de ça. Pourtant, il y avait certainement quelque chose d’autre en dehors de mes opinions négatives sur elle.

« Quand je vois quelqu’un qui a tout ce à quoi j’ai dû renoncer, je ne peux pas ne pas y penser, » avais-je ajouté.

« Senpai… »

« C’est pour ça que je la déteste, » avais-je dit, en soupirant. « C’est aussi pour ça que je veux qu’elle continue. Je veux qu’elle aille jusqu’au bout des choses comme ça. Quelque part au fond de moi, je veux vraiment ça pour elle. »

Avant de me poursuivre, Iino avait sauvé plusieurs étudiants dans les Profondeurs. Elle avait sauvé des gens qu’elle ne connaissait pas vraiment, allant jusqu’à se jeter dans le danger. Elle était sûre de continuer à vivre comme ça aussi. Dans un sens, je ne pouvais pas vivre de la même façon qu’elle, pas maintenant que j’avais décidé de donner la priorité à la protection de ce qui m’était précieux, peu importe ce que je devais faire. C’est pourquoi je la détestais, mais je ne pouvais pas nier la valeur de sa façon de faire les choses. Katou avait senti cette incohérence en moi.

« Et toi, Katou ? Qu’est-ce que tu penses d’elle ? » avais-je demandé.

Katou avait plissé les yeux, puis avait dit : « Je… ne l’aime pas. »

« Je vois. C’est logique, » avais-je répondu en gloussant. Sa réponse franche lui ressemblait bien.

« Senpai…, » elle avait marmonné en me regardant d’un air fasciné. Puis elle baissa la tête comme si elle fuyait quelque chose. « C’est parce que tu es comme ça… »

Cette fois, elle avait été inhabituellement vague. Elle n’avait pas continué sa phrase. Elle était restée là, les mains jointes. À cause de notre différence de taille et de la façon dont elle penchait la tête, je ne pouvais pas voir grand-chose de son visage à part ses lèvres tendues, mais ses oreilles étaient devenues rouges.

Une atmosphère étrange et inattendue nous avait enveloppés, et nous étions restés debout l’un devant l’autre dans un silence complet. Je n’avais pas l’impression qu’elle me critiquait. Le comportement de Katou semblait… plus proche de la bouderie. Peut-être que c’était quelque chose d’un peu différent de ça. Je ne saurais pas vraiment dire.

« Qu’est-ce que tu… »

« Takahiro, puis-je avoir un moment ? »

Au moment où j’essayais de demander des précisions, une autre voix m’avait interpellé. Kei s’était arrêtée et avait levé les yeux vers moi, puis vers Katou.

« Oh, désolé. Me suis-je peut-être mis en travers du chemin ? »

« Pas du tout, » dit Katou en relevant soudainement la tête. Le soulagement colorait ses joues légèrement rougies. « Nous ne faisions que bavarder. Bon alors, je vais aller aider Rose. »

Katou m’avait fait un rapide salut et était partie en vitesse. Kei lui avait dit au revoir, puis avait levé les yeux vers moi.

« Hum, est-ce que je ne suis vraiment pas dans le chemin ? » demanda-t-elle.

« Pas du tout. »

Je me demandais encore de quoi il s’agissait, mais poursuivre Katou et lui demander des explications ne ferait que la déconcerter. Bien que je ne sois pas satisfait du résultat, j’avais décidé de passer à autre chose.

« Alors ? De quoi avais-tu besoin ? » avais-je demandé à Kei.

« Oh, c’est vrai. C’est à propos des provisions que nous avons récupérées, » répondit-elle promptement. « Nous n’avons pas beaucoup de nourriture sous la main, donc le plan est de cuisiner en priorité ce que nous pouvons récupérer. Cela te convient-il ? »

« Ça a l’air bien. Cependant, une partie est probablement gâchée. Jette tout ce qui a l’air mauvais. »

« Gerbera a dit que ce serait du gâchis, alors elle va juste les manger. »

« Non, jetez-les. »

Je savais que l’estomac de Gerbera était solide, mais je ne voulais pas faire manger de la nourriture pourrie à une fille alors que nous n’étions même pas dans une situation d’urgence.

« Très bien, » dit Kei avec un hochement de tête. Puis elle avait soudainement eu l’air de réaliser quelque chose. « Oh, encore une chose. Il y a quelque chose dont j’aimerais parler à… ou je suppose, te consulter. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

Kei avait regardé autour d’elle. Après avoir vérifié que personne ne nous écoutait, elle avait levé les yeux vers moi. L’anxiété soulignait ses traits enfantins.

« C’est à propos de Shiran, » dit-elle à voix basse.

***

Chapitre 3 : La consultation et le résultat

Partie 1

Le jour suivant, Iino était partie comme elle l’avait dit. Son plan était de retourner à la cité marchande Serrata dans le comté de Lorenz, de faire pression sur le subordonné du Margrave Maclaurin, Louis, pour obtenir des réponses, puis de retrouver l’équipe d’exploration, qui était en route pour la capitale.

Nous n’avions aucune raison de nous prélasser. Nous avions repris notre voyage dans la direction opposée à celle d’Iino, vers la ville natale de Shiran et Kei à Aker. Nous nous trouvions actuellement dans les montagnes de Kitrus, une chaîne de montagnes abruptes qui longeait l’un des bras de la rivière Aralia. Les montagnes perçant le ciel dessinaient une frontière entre le comté de Lorenz de l’Empire du Sud et Cedrus des Cinq Royaumes du Nord.

Les montagnes continuaient vers l’ouest et séparaient le comté de Longue de celui d’Aker. Jusqu’à présent, nous nous étions dirigés vers le nord-ouest à travers les montagnes de Kitrus de Cedrus. Il était temps que la frontière change.

Si nous devions continuer à aller vers le nord-ouest, les montagnes prendraient fin et le bras de la rivière Aralia prendrait sa place comme frontière nationale. La rivière séparait les deux pays l’un de l’autre, et on m’avait dit que l’une des Forêts Sombres, un reliquat des Terres forestières, s’étendait sur cette région.

Dans de nombreux cas, les Forêts Sombres avaient été laissées là parce que des monstres puissants y résidaient. Ils étaient ce qu’on appelle des monstres rares, des monstres-reines ou de hauts monstres. En d’autres termes, ils étaient des cibles viables pour devenir mes serviteurs.

J’avais vraiment envie de rendre visite à la Forêt Sombre. Cependant, vu la façon dont j’avais rencontré Gerbera, il y avait un certain risque à rencontrer des monstres puissants. Il serait préférable d’entrer dans la Forêt Sombre après s’être installé à Aker et s’être suffisamment préparé. Pour l’instant, notre priorité numéro un était d’atteindre Aker.

Heureusement, notre voyage s’était poursuivi sans encombre. Nous n’avions pas eu de mauvais temps, et il n’y avait pas eu d’autres accidents comme l’attaque de la Skanda. Ce serait un sérieux problème si quelque chose de cette ampleur continuait à se produire.

Il n’y avait plus personne avec qui j’avais du karma — comme j’en avais eu avec Takaya Jun — et maintenant qu’Iino n’était plus hostile à mon égard, nous n’aurions probablement plus de problèmes avec l’équipe d’exploration. S’il y avait une chose qui traînait encore là-bas, c’était l’autre dompteur de monstres, Kudou Riku. D’après l’impression qu’il m’avait donnée lors de notre dernière rencontre, il n’avait pas encore l’intention de montrer ses crocs.

En fait, les seules choses qui nous attaquaient en chemin étaient des monstres communs. Notre taux de rencontre était assez élevé, mais c’était simplement parce que le chemin de montagne était inutilisé. Cela, combiné à la proximité du chemin avec les Terres forestières, avait entraîné une augmentation de la population de monstres dans les environs.

Gerbera était de bonne humeur en s’occupant d’eux tous, il n’y avait donc aucun problème de ce côté-là. Cependant, la voir si enthousiaste m’avait fait me demander si elle n’allait pas déraper d’une manière ou d’une autre, alors j’étais un peu sur les nerfs la plupart du temps. Mais jusqu’à présent, elle n’avait pas provoqué de glissement de terrain ou autre.

Nous avions également Shiran, qui pouvait rechercher les ennemis à proximité à l’aide de son esprit, et Ayame, qui avait un odorat très développé. Avec elles, notre voyage ne présentait aucun danger, il était donc temps de réfléchir à ce que nous allions faire.

 

 ◆ ◆

Tôt le matin, après l’entraînement à l’épée, ma partenaire d’entraînement Rose était partie, et je m’étais retrouvé seul avec Shiran.

« Se séparer en deux groupes, quitter les montagnes et aller en ville… dis-tu ? » dit Shiran. Elle était entièrement en armure et me regardait avec surprise.

« Maintenant que nous nous sommes rapprochés d’Aker, je pense que nous devrions nous séparer en deux groupes. En fait, nous n’avons pas d’autre choix. Je veux dire, nous n’avons plus de manamobile. »

« Oh, c’est ce que tu veux dire par là. Il est certain que sans manamobile, nous ne pourrons pas garder Gerbera et Ayame cachées. C’était une chose sur les chemins de montagne inutilisés, mais c’est une autre affaire une fois que nous sommes sur la route principale, et encore moins près de villages. »

« De plus, Lily a encore besoin de temps pour récupérer. Dans tous les cas, nous avons besoin d’un groupe qui puisse entrer en ville et nous procurer une nouvelle manamobile. »

« C’est donc pour ça que tu dis qu’on devrait se séparer. »

« Ça devrait être plus rapide comme ça. En plus, nous pourrons nous approvisionner. »

Même si nous avions récupéré une partie de ce qui avait été emporté par la rivière, nos provisions étaient en grande difficulté. Nous étions obligés de revenir à un mode de vie de survie nostalgique.

De plus, à cause des séquelles de la bataille contre la Bête folle, Lily était toujours en convalescence, donc son mimétisme était plutôt limité pour le moment. Son rythme de marche en tant que slime était extrêmement lent, donc Gerbera la tirait actuellement avec nos bagages dans un chariot improvisé que Rose avait fabriqué. Cela limitait également notre vitesse, et nous ne pouvions pas utiliser les routes principales.

Le plan était de se diviser en deux groupes et d’aller chercher une nouvelle manamobile. Pendant que nous le ferions, le groupe de Lily pourrait prendre son temps pour nous suivre.

« Nous avons les fonds que la commandante nous a donnés, donc nous devrions être en mesure d’acquérir une nouvelle manamobile, » dit Shiran d’un ton prudent. « Cependant, il pourrait être difficile de trouver quelque chose de la même taille et de la même robustesse. La manamobile que nous avions était destinée à un usage militaire. De plus, Aker est beaucoup plus rural que l’Empire, donc la plupart des véhicules sont des modèles d’occasion des générations précédentes. »

« C’est bon. Nous n’avons même pas vraiment besoin du véhicule entier. »

« Comment ça ? »

« Et bien. Rose a analysé la manamobile, tu te souviens ? Elle est allée assez loin dans ses recherches pour que, tant que nous avons la pierre runique qui la fait bouger, elle puisse fabriquer le reste elle-même. »

« C’est… plutôt étonnant. »

« Elle est cependant un peu déprimée de ne pas pouvoir en faire un à partir de rien. »

Après que j’avais essayé de la réconforter, Rose s’était ressaisie et avait déclaré qu’elle ferait quelque chose qui pourrait égaler la vitesse des voitures de mon monde. Elle avait également affirmé qu’elle le rendrait incassable, même si Gerbera l’attrapait et le balançait. J’avais trouvé cette partie de Rose plutôt mignonne. Ça m’avait fait oublier de dire qu’une voiture n’était pas une arme contondante.

« Je comprends tes intentions, » dit Shiran, qui avait un peu réfléchi avant de relever la tête. « Alors, es-tu là pour me demander de t’accompagner ? »

« C’est vrai. Si nous y allons par nous-mêmes, nous ne pourrons parler à personne. »

Parler avec Shiran comme ça m’avait presque fait oublier que c’était un autre monde. Sans la pierre runique de traduction, nous ne pouvions même pas converser avec les habitants. En fait, nous prenions des leçons sur la façon d’utiliser une pierre runique de traduction, mais il était honnêtement difficile de dire si nous allions y arriver à temps avant d’atteindre une ville.

« D’ailleurs, en tant que natif d’Aker, je me suis dit que tu pourrais nous aider à acquérir la pierre runique dont nous avons besoin. »

Les coutumes différaient selon les pays. Ce monde était totalement différent du mien. Avec l’aide de Shiran, qui connaissait les coutumes locales, il serait beaucoup moins difficile d’accomplir ce que nous voulions faire. En fait, pendant notre voyage depuis l’Empire, Shiran nous avait appris toutes sortes de choses, de la façon de se débrouiller sur une aire de repos pour voyageurs aux achats sur les marchés. C’est pourquoi je m’étais fié à elle pour ce qui est de la société humaine ici.

« Peux-tu faire ça pour moi ? » avais-je demandé.

« C’est un peu… »

Cependant, Shiran ne m’avait pas donné une réponse favorable. Un nuage était apparu sur son visage et elle avait détourné les yeux. Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’elle refuse, j’étais donc un peu déconcerté.

« Es-tu peut-être opposée à l’idée d’aller en ville avec nous ? » avais-je demandé.

« Non, ce n’est pas le cas, mais… »

Elle n’avait apparemment pas d’objection. Si c’était le cas, elle était du genre à me convaincre que c’était une mauvaise idée sans faire semblant. Mais dans ce cas, j’étais encore plus confus. Elle n’était pas opposée à mon idée, donc elle n’avait aucune raison d’être aussi vague. Y avait-il un problème ?

J’avais continué à fixer le visage pâle de Shiran, et je m’étais naturellement rappelé ce qui s’était passé il y a quelques jours.

***

Partie 2

« Shiran agit bizarrement, » dit Kei. « Je suis un peu inquiète… Alors je voulais venir te demander conseil ! »

« Attends un peu. »

J’avais posé mes mains sur les petites épaules de Kei pour la retenir alors qu’elle se rapprochait de moi. Gerbera et les autres filles regardaient dans notre direction depuis l’endroit où elles lavaient nos affaires, se demandant ce qui se passait. Je leur avais fait signe que ce n’était rien, puis je m’étais retourné pour faire face à Kei.

« Calme-toi, Kei. D’abord, tu dois me raconter toute l’histoire. »

« D-D’accord. Désolée. J’ai pris de l’avance. »

« Alors ? Shiran agit bizarrement ? Dans quel sens, précisément ? »

« Plus précisément… C’est un peu difficile à dire. »Les sourcils de Kei s’étaient affaissés tandis qu’elle tâtonnait sur ses mots. « Comment puis-je le dire ? Hmm. D’une certaine manière, ces derniers temps, elle n’est pas elle-même… Hm, comme, ma sœur est habituellement très fiable, non ? »

« Elle l’est. On ne croirait pas que nous sommes de la même génération. »

« Oui, ça. » Kei avait serré ses petits poings devant elle et avait hoché la tête à plusieurs reprises, puis avait pris une expression pensive. « Et pourtant, ces derniers temps, elle ne fait que zapper tout le temps. C’est comme si elle était toujours distraite, comme si elle était toujours plongée dans ses pensées. »

Au milieu de la conversation, les épaules de Kei s’étaient affaissées avec découragement. Elle était vraiment inquiète pour Shiran. En la voyant si abattue, j’y avais réfléchi. Il y avait plusieurs choses auxquelles je pouvais penser qui feraient agir Shiran bizarrement.

Shiran était morte au Fort de Tilia. Elle avait surmonté la mort et était revenue en tant que Demiliche. Elle avait perdu la compagnie de chevaliers à laquelle elle était affiliée. Je l’avais vue se surmener tout le temps, surtout juste après l’arrestation de la commandante et notre fuite de Serrata. J’avais aussi remarqué que Shiran agissait différemment, d’une manière qui pouvait devenir dangereuse, et je l’avais surveillée.

Cependant, je n’avais rien ressenti de tel de la part de Shiran maintenant. Elle s’était calmée au moment où nous avions atteint les montagnes de Kitrus. En fait, à ce moment-là, elle avait laissé le combat à Gerbera, maintenant que nous n’avions plus à nous soucier d’être vus par les autres.

Elle avait réussi à se remettre du choc mental de tout ce qui s’était passé. Shiran était forte, et pas seulement physiquement, son cœur l’était aussi. La fierté qu’elle avait cultivée en tant que chevalier la soutenait maintenant. Le fait qu’elle se soit opposée à la violence au Fort de Tilia sans faiblir, malgré sa transformation en monstre mort-vivant, n’était pas juste une démonstration. Cela dit, je ne pouvais pas l’ignorer maintenant que Kei était venue me demander conseil. Peut-être y avait-il quelque chose d’autre auquel je n’avais pas encore pensé.

« Takahiro, » dit Kei, me tirant de mes pensées. « Peux-tu faire quelque chose pour ma sœur ? » Elle m’avait regardé avec des yeux suppliants, en tremblant. « Elle ne veut pas me montrer ses défauts… Si je le lui demande, elle élude la question. Mais si tu lui demandes, je sens que ça va s’arranger d’une manière ou d’une autre… »

« J’ai compris. » Il n’y avait aucun moyen de refuser sa demande. J’avais mis un peu de force dans ma prise sur ses épaules. « Alors, n’aie pas l’air si triste. »

« Takahiro… »

Kei était venue me voir parce qu’elle me faisait confiance. Je devais être à la hauteur. En outre, si elle avait raison, je partageais ses inquiétudes au sujet de Shiran.

« Je chercherai une occasion d’en parler avec elle, » avais-je dit.

 

 ◆ ◆

Peut-être que ma récente conversation avec Kei m’influençait, mais il y avait vraiment quelque chose de bizarre dans le comportement de Shiran. C’était probablement une bonne idée de sonder un peu.

« Hé Shiran. Quelque chose t’a troublée ? » lui avais-je demandé.

Elle s’était retournée pour me faire face, ses beaux traits elfiques sans tache à moitié cachés par un cache-œil. Tout ce que je pouvais voir était le côté gauche de son visage sans sang. Un seul œil bleu sans émotion me fixait, soulignant sa peau presque translucide. Après un court instant, elle avait détendu son expression et avait incliné la tête.

« Est-ce que Kei a dit quelque chose ? » demanda-t-elle.

« Eh bien… »

« C’est ce que je pensais, » dit-elle avec un soupir avant de s’incliner devant moi. « Je dois m’excuser à propos de cette fille pour t’avoir dérangé. »

J’avais tout gâché. Il n’y avait aucune raison qu’elle s’excuse auprès de moi. Quoi qu’il en soit, je devais dire ce que j’avais en tête.

« S’il te plaît, ne blâme pas Kei. Elle est juste inquiète pour toi. »

« Je n’ai pas l’intention de…, » Shiran avait commencé, mais elle s’était arrêté à mi-chemin. « Non. Je suppose que tu as raison. Je devrais pour commencer réfléchir à la façon dont j’ai causé son inquiétude. »

Elle avait secoué la tête comme si elle était épuisée.

« Shiran… ? »

« J’ai supposé que je devrais mentionner cela plus tôt que tard. C’est peut-être une bonne occasion. » L’attitude de Shiran avait complètement changé. Elle m’avait regardé avec son habituel regard perçant. « En fait, mon corps ne semble pas aller très bien ces derniers temps, » avait-elle dit d’un ton digne.

« Quoi… ? » Ma tête était devenue complètement vide pendant un instant. « Ne pas aller bien ? Vas-tu bien ? »

Je n’avais pas compris et j’avais involontairement fait un pas de plus vers elle.

À l’inverse, Shiran était parfaitement détendue. « Oui. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Ce n’est rien de grave. C’est juste qu’avec un corps comme celui-ci, tout est mal équilibré. Je peux encore me battre, mais ma force s’est détériorée d’une certaine manière. »

Shiran avait fait une pause et avait formé un poing avant de poursuivre.

« Je n’ai rien dit parce qu’il y a une possibilité que tout rentre dans l’ordre. Je me suis dit que j’allais attendre et voir pendant un petit moment. Je ne pouvais pas laisser tout le monde s’inquiéter pour moi inutilement, alors j’ai gardé le silence pour voir comment les choses allaient évoluer… Je suis vraiment désolée. »

« C’était donc ça, » avais-je dit, puis j’avais soudain réalisé quelque chose. « C’est peut-être pour cela que tu n’as pas pris les devants dans les combats ces derniers temps ? »

« Oui. Cela dit, je devrais quand même être capable de me battre au même niveau que Rose. Néanmoins, je m’inquiétais de la tournure que prendraient les choses après une série de batailles, j’ai donc décidé qu’il serait plus sûr de rester à l’arrière, à moins que l’on ait besoin de moi. »

Pendant le chaos au Fort de Tilia, Juumonji Tatsuya avait poignardé Shiran dans la poitrine. Elle s’était transformée en un monstre mort-vivant. Plusieurs désagréments avaient accompagné cette transformation.

Par exemple, après avoir perdu le sens de la raison et s’être transformée en goule, elle n’avait pas été capable d’utiliser les esprits dès qu’elle avait retrouvé son cœur. Il était donc parfaitement logique que son potentiel de combat ait chuté à cause des instabilités de son corps.

En fait, depuis le début, je m’inquiétais d’un changement inattendu dans le corps de Shiran. La raison pour laquelle je ne l’avais jamais remarqué jusqu’à maintenant était qu’elle n’en avait montré aucun signe.

À l’inverse, même si c’était un peu un problème en combat, c’était suffisamment insignifiant pour ne pas entraver sa vie quotidienne. Je savais qu’elle n’était pas du genre à mentir et à causer des problèmes à tout le monde quand c’était vraiment important, donc elle avait probablement estimé avec précision qu’elle pouvait se battre au même niveau que Rose. Elle n’avait en premier lieu aucune raison de mentir sur sa condition.

Le désagrément dont elle parlait n’était pas urgent, ce qui m’avait soulagé un instant. Je devais faire plus attention à elle maintenant, bien sûr, mais c’était au moins une chance que nous n’ayons pas à résoudre quelque chose tout de suite.

« Merci de me l’avoir dit, Shiran. J’ai compris l’essentiel, » avais-je dit en laissant échapper un petit soupir de soulagement. « Mais si tu remarques un quelconque changement, fais-le-moi savoir. Je me fiche de savoir si c’est insignifiant. Kudou et moi sommes les seuls à avoir des pouvoirs liés aux monstres. Je pourrais t’être utile. »

« Merci beaucoup. » Shiran avait baissé la tête. « Au fait, Takahiro, que devrions-nous faire pour aller en ville ? Comme je l’ai mentionné, mon potentiel de combat s’est détérioré. Si seulement Kei et moi devions t’accompagner, je pense qu’il y aurait des inquiétudes concernant notre force de combat. »

« Hm… ? Oh, ça. »

Sa réponse timide à ma proposition était due au fait qu’elle s’inquiétait pour notre sécurité. Maintenant que je l’avais compris, je l’avais corrigée.

« Tout ira bien. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter à ce sujet. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« Vous deux n’êtes pas les seuls à venir avec moi. J’envisage de demander à Rose et Katou de venir aussi. De plus, je compte demander à Berta de nous escorter sur une partie du chemin. »

D’ailleurs, même après avoir chassé Takaya Jun, Berta nous protégeait toujours. Quand Gerbera s’était complètement remise, Berta était retournée auprès de Kudou. Elle avait dit qu’elle reviendrait, et il était temps pour elle d’arriver, c’est pourquoi j’avais décidé que nous devions nous préparer à nous séparer en deux groupes. Si je pouvais lui faire faire un tour à Katou, notre rythme s’améliorerait considérablement. Je ne savais pas si elle serait d’accord, mais à en juger par l’impression qu’elle nous avait donnée jusqu’à présent, je m’attendais à ce qu’elle le fasse si on le lui demandait.

« Dans ce cas, ça devrait aller, » dit Shiran.

Maintenant qu’elle savait que nous aurions de la compagnie, elle semblait soulagée.

« Alors… »

« Oui, » répondit Shiran avec un sourire compréhensif. « Je vais t’accompagner en ville. »

***

Chapitre 4 : Les sentiments de la marionnette ~ Point de vue de Rose ~

Partie 1

« D’accord, il est temps que j’y aille, » annonça Lily au milieu de la cuisson alors que je travaillais comme d’habitude avec mon couteau à la main. « Désolée Kei, peux-tu surveiller le feu pour moi ? »

« Bien sûr. »

Le petit déjeuner d’aujourd’hui était composé des restes du dîner d’hier — une soupe avec de la viande de monstre que Berta nous avait apportée à son retour. Lily avait préparé quelques herbes sauvages comestibles et les avait utilisées pour garnir la soupe, elle laissa donc le reste à Kei, qui se réveillait encore avec un joli bâillement. Lily avait l’air d’être de bonne humeur.

« Ma sœur, vas-tu voir notre maître ? » lui avais-je demandé.

« Hm ? Oui, c’est le plan. »

Avec une serviette et un seau en main, elle s’était approchée de l’endroit où j’étais assise. Mais au lieu de bruits de pas, j’avais entendu quelque chose glisser sur le sol. Le bas du corps de ma sœur était toujours celui d’un slime. Le haut de son corps avait, en fait, les courbes voluptueuses d’une femme, mais elle ne pouvait pas en distinguer les moindres détails. Elle se remettait encore du dépassement de ses limites lors de la bataille contre la Bête folle.

« Son entraînement matinal devrait être terminé maintenant, » dit-elle. « Je pensais au moins lui apporter une serviette. »

« Notre maître s’est entraîné encore plus ces derniers temps. Veille à t’occuper de lui du mieux que tu le peux. »

« Bien sûr. Oh, je sais. Voulez-vous aussi venir toutes les deux ? »

« J’ai du travail à faire, » avais-je répondu.

C’était en partie une excuse. Je ne voulais pas me mettre en travers du temps qu’ils passaient ensemble.

« Je m’abstiendrai également, » répondit Mana avec un sourire doux-amer. Elle était en train d’apprendre à utiliser une pierre runique de traduction. « Ce n’est même pas encore le petit déjeuner. Je vais faire une overdose de sucre si j’y vais, » ajouta-t-elle en plaisantant, tout en brossant Ayame.

« Kuuu... »

Ayame était un peu plus docile ces derniers temps. Elle était recroquevillée sur les genoux de Mana, les oreilles repliées, laissant tranquillement Mana la brosser encore et encore.

« Mrgh. Tu sais que tu n’as pas à être aussi prévenante avec moi, n’est-ce pas ? » déclara Lily, puis elle leva soudainement les yeux. « Oh, c’est Gerbera. »

La partenaire d’entraînement de notre maître pour la matinée, Gerbera, venait vers nous.

« Leur entraînement du matin est-il terminé ? » demanda Lily.

« C’est ce qu’il semblerait, » avais-je répondu.

« D’accord. Alors, je m’en vais, » dit-elle en se retournant.

Le bas de son corps s’était glissé sur le sol tandis qu’elle se tournait à la taille et me souriait. C’était un sourire doux, comme si les sentiments chaleureux au fond de sa poitrine suintaient. Sa silhouette m’avait captivée. Assez mystérieusement, malgré l’état de son corps, son charme féminin semblait plus puissant qu’auparavant.

« Lily a changé, hein ? » murmura Mana, ressentant probablement la même sensation que moi.

« Elle a… »

Avant cela, ma sœur n’avait jamais vraiment aimé sa vraie nature de slime. Cependant, même si elle ne pouvait pas cacher son corps gluant en ce moment, il n’y avait pas la moindre ombre sur son visage. La voir se blottir contre notre maître était l’incarnation même du bonheur. Son état mental avait à tous les coups changé d’une manière ou d’une autre.

Peut-être influencée par ce changement, Lily s’était comportée différemment qu’avant. Par exemple, elle pouvait être proche de notre maître sans se soucier de sa silhouette gluante. Elle avait également utilisé de manière proactive son temps de récupération pour apprendre la langue de ce monde. Elle voulait lire des livres locaux. De plus, jusqu’à présent, seul mon maître avait parlé aux autres visiteurs. Mais avant qu’Iino Yuna ne parte, ma sœur avait conversé avec elle à plusieurs reprises. Je les avais moi-même aperçues en train de parler plusieurs fois. Je ne savais pas ce qui avait provoqué ce changement en elle, mais en la voyant si heureuse, j’étais certaine que c’était une bonne chose.

« Et maintenant… »

Après avoir suivi du regard ma sœur, j’étais retournée à mon travail et j’avais pris mon couteau magique en main. Actuellement, je travaillais sur diverses pièces pour une manamobile. Il avait été décidé que j’irais en ville avec mon maître. Si nous pouvions acquérir la pierre runique nécessaire, je nous fabriquerais une manamobile. C’est pourquoi j’avais décidé à l’avance de fabriquer des pièces faciles à transporter.

J’étais à peu près à la moitié de l’analyse de la mécanique d’une manamobile. En conséquence, j’avais compris qu’il y avait plusieurs pierres runiques secondaires installées à divers endroits du véhicule. La taille du véhicule, ainsi que l’ampleur et la direction de la force motrice utilisée pour pousser le châssis, déterminait la taille de la pierre runique nécessaire, de sorte que je pouvais simplement les fabriquer pour qu’elles correspondent à ce que nous avions. J’avais du mal à analyser la pierre runique principale, qui servait de force motrice au véhicule, mais tout le reste, je pouvais déjà le reproduire avec des pierres runiques d’imitation.

Quelques jours après que la Skanda Iino Yuna se soit séparée de nous, j’avais appris que j’allais en ville avec mon maître. Mon travail avait progressé depuis, et même si les pièces que j’avais fabriquées étaient petites, il y en avait un bon nombre. Plus précisément, même en tenant compte des pièces de rechange, il y en avait assez pour quatre véhicules.

Peut-être que j’en ai fait trop… Elles devenaient lourdes aussi, alors il serait peut-être bon de commencer à travailler sur autre chose que des pièces de manamobile. Par exemple, nous avions un objet qui était plus pratique que tout ce que nous portions — le sac magique. Elle avait une capacité accrue, donc même s’il semblait petit à l’extérieur, il pouvait contenir plusieurs fois sa taille. Il était donc logique d’en fabriquer un pour tout le monde.

Le sac que j’utilisais pour tous mes outils devenait plutôt grand, alors quelque chose d’assez petit pour être accroché à ma taille serait plutôt pratique. J’aurais besoin de temps pour affiner la pierre runique, mais il me semblait utile d’essayer certaines choses par tâtonnement.

Alors que je réfléchissais à la manière de procéder, Gerbera s’était avancée vers moi. Elle s’était arrêtée à une courte distance du feu de camp et avait replié ses jambes pour place. J’avais commencé à travailler sur la taille et la conception d’un sac magique pour mes outils pendant que j’en discutais avec Mana. Peu de temps après, j’avais commencé à entendre des gémissements silencieux. La voix était de plus en plus forte. J’avais arrêté mon travail et j’avais levé les yeux. Gerbera se tenait la tête dans ses mains, gémissant sur ce qui semblait être un problème difficile.

« Gerbera, quelque chose ne va pas ? » demanda Mana.

« Hrm ? » Gerbera avait levé le visage, les yeux écarquillés. « Oh. Je ne t’avais pas vue, Katou. »

« Je suis là depuis le début…, » dit Mana avec étonnement.

« Vraiment ? Désolée pour ça. Je n’avais pas remarqué. » Gerbera avait fait une pause et elle pencha la tête. « Alors ? Qu’est-ce que c’est ? »

« Quoi… ? C’est moi qui te le demande. Tu n’as pas l’habitude de revenir juste après la fin de l’entraînement de Senpai. De plus, tu gémis à propos de quelque chose depuis tout ce temps. » Mana lui avait jeté un regard inquiet, puis elle avait demandé : « Quelque chose te préoccupe ? »

« Hrmm. Oui. En fait, il y a quelque chose, » déclara Gerbera, un peu hésitante au début, mais elle l’avait admis honnêtement. Elle nous avait fait un signe de tête grave, et son front s’était plissé. « Il y a quelques jours, j’ai fait promettre à mon seigneur d’avoir un rendez-vous galant avec moi. »

« Devrais-tu me dire ça ? »

Mana avait été prête à donner des conseils, mais maintenant ses yeux étaient à moitié fermés en signe d’exaspération.

« Hm, Katou, attends un moment. Ne tire pas de conclusions hâtives. »

« Alors tu dis… »

« J’aimerais avoir ton avis. »

Gerbera avait l’air sérieusement troublée. Pourtant, je comprenais l’envie de Mana de rouler des yeux.

« C’est quand même désagréable d’entendre tout ce que tu as entrepris de sale, » déclara Mana.

« Soit à l’aise. Je n’ai pas encore entrepris de tels projets. Je ne pourrais pas t’en parler même si je le voulais. »

« Maintenant que tu le dis, tu as raison. Tu n’as fait que “promettre” jusqu’à présent, hein ? » murmura Mana, en mettant un doigt sur sa lèvre.

Gerbera avait hoché la tête avec joie. « Oui, c’est vrai. Mon seigneur m’a dit que nous flirterions quand nous serions seuls. »

« Euh. C’est un peu inattendu. C’est Majima-senpai qui l’a dit de cette façon ? »

« Hm ? Non. C’est peut-être moi qui ai dit ça. »

« Donc il ne t’a pas du tout dit ça… »

« C’est peut-être vrai, mais il m’a pris dans ses bras ! Il a aussi dit qu’il était désolé de m’avoir fait attendre ! »

« Hmm. Senpai a dit que…, » Mana s’était tournée vers moi pendant un moment. « Donc il pense finalement de cette façon. C’est une bonne chose. »

« En effet. Alors après, il va prendre du temps pour moi. »

« Haah... C’est vrai ? Félicitations. Mais je suis déjà à ma limite là. Vas-tu continuer à te vanter ? Honnêtement, tout ce sucre va me donner des caries. » Sur ce, Mana avait souri ironiquement, mais son regard était doux. « Il ne te reste plus qu’à faire avancer les choses, non ? Si tu as du mal à passer du temps seule avec lui, je te donnerai un coup de main. »

Je savais très bien que Mana était douée pour s’occuper des autres.

« Hrmm. Si possible, j’aimerais faire cela. Cependant, il y a un petit problème, » dit Gerbera.

« Un problème ? » demanda Mana.

Le ton de Mana était gentil, mais ce n’était pas pour encourager Gerbera à se confesser si honnêtement. Gerbera l’avait fait quand même.

***

Partie 2

« En effet. Il semble que lorsque je suis excitée, je ne peux plus réguler ma force. Je risque d’écraser mon seigneur dans mon étreinte par accident. Que penses-tu que je doive faire ? »

Mana avait fixé Gerbera, avait louché sur elle, puis s’était tournée vers moi. Les mots « Elle est une cause perdue » étaient écrits sur son visage.

« Rose, il semble que nous devons absolument empêcher Senpai d’être seule avec Gerbera. »

« Katou !? » Les yeux de Gerbera s’étaient ouverts en grand en signe de désespoir.

En voyant les épaules de Gerbera s’affaisser, j’avais décidé de me joindre à la conversation.

« Mana ne faisait que plaisanter. Tout ira bien tant que tu ne feras rien toi-même, n’est-ce pas ? »

« Hm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Gerbera.

« Si tu ne l’enlaces pas, tu ne pourras pas l’écraser. »

Ce n’était qu’une solution de fortune, mais c’était mieux que rien. Plus important encore, la vie de notre maître en dépendait.

« Je… je vois. En d’autres termes… Je dois devenir un bloc ! » Gerbera avait crié joyeusement.

« C’est probablement ça, » avais-je dit avec un vague hochement de tête en la regardant serrer les poings. « Cependant, je ne comprends pas vraiment. »

« Moi non plus, » dit Gerbera. « N’est-ce pas comme notre seigneur ? »

« Ne dis pas ça. »

« C’est bon, non ? C’est du passé. Ces derniers temps, notre seigneur s’est plutôt affirmé. »

« Vraiment ? »

« Attends Gerbera, » interrompit soudainement Mana. « Comment sais-tu cela ? »

« J’ai de bons yeux et de bonnes oreilles. De temps en temps, je vois et j’entends toutes sortes de choses. Comme ceci et cela avec Lily… Je pensais que tu le savais, Katou. N’as-tu pas rencontré une telle scène toi-même dernièrement ? »

« Qu-Qu-Qu-Quoi - !? J- Je ne fixais pas ou quoi que ce soit ! Donc je n’ai aucune idée si Senpai est proactif ! »

« Oh. C’est vrai. Maintenant que j’y pense, tu es partie immédiatement après les avoir vus. »

« C-Comment sais-tu ça ! ? »

« Comme je l’ai dit, j’ai de bons yeux et de bonnes oreilles. »

Maintenant que j’y pense, Mana était allée se soulager un soir, et elle était revenue toute rouge. Elle avait dit qu’elle ne pouvait pas dormir, et je lui avais prêté mes genoux. Elle avait été étrangement nécessiteuse ce soir-là, ce qui était plutôt mignon à mon avis. Apparemment, c’était la raison de son comportement.

« En tout cas, c’est logique. Jouer calmement peut être une option, » dit Gerbera, ignorant le Mana maintenant rouge vif et se levant d’un coup. « Très bien ! Je vais être un bas maintenant ! »

« J’ai l’impression que tes perspectives viennent de s’amenuiser à force de crier cela si vigoureusement…, » plaisanta Mana, l’air épuisé.

« Peut-être, mais c’est la seule façon que je connaisse de me conduire, » répondit Gerbera, puis se tourna vers Mana avec un regard sérieux. « Dis, Katou. Je n’ai pas l’intention d’arrêter ma marche en avant, tu sais ? »

Je n’avais aucune idée de ce que ces mots impliquaient, mais Mana avait retourné le regard pesant de Gerbera.

« Et toi, Katou ? » Gerbera continua. « Combien de temps comptes-tu rester une épave ? »

« Je… »

« Eh bien, je comprends que tu aies ton propre rythme, » dit Gerbera avec un sourire soudain, enlevant toute la tension dans l’air. « Il n’y a pas de raison de forcer les choses. Mais sache que je veux aussi t’encourager. »

« Gerbera… »

« Après tout, tu es ma camarade dans la volonté de ravir mon seigneur ! »

« Ne t’ai-je pas dit la dernière fois que tu avais tort ? »

Mana était de nouveau cramoisie.

« Oh, oui, tu l’as fait. Cela signifie-t-il que tu veux qu’il se jette sur toi à la place ? »

« Où as-tu trouvé une idée pareille ? Tu te trompes ! Je t’ai dit de surveiller ton vocabulaire la dernière fois aussi ! »

« Oh, désolée. Hmm… Alors tu aimerais partager une étreinte, t’embrasser, le toucher et être touchée par lui, n’est-ce pas ? »

« Pourquoi es-tu si précise ? Oh, merde… »

C’était étrange de voir Gerbera pousser Mana dans un coin comme ça. À ce moment-là, Mana avait soudainement réalisé quelque chose et s’était tournée vers moi, encore toute rouge.

« C’est la première fois que j’entends parler de ça, » avais-je dit en hochant la tête. « Mana, souhaites-tu que mon maître se jette sur toi ? »

Elle avait poussé un cri strident. Sa bouche s’était ouverte et refermée comme une sorte de poisson hors de l’eau. Cela avait duré quelques secondes avant qu’elle ne tourne la tête vers Gerbera.

« Gerbera… ? »

« O-Oui ! ? Ai-je dit quelque chose que je n’aurais pas dû ? »

Gerbera avait eu des sueurs froides devant le regard larmoyant de Mana. Son traumatisme passé était encore bien vivant à ce jour, semble-t-il.

« Bon ! Cela mise à part..., » Gerbera marmonna en tournant ses yeux rouges vers moi comme pour échapper à Mana. « Rose, tu parles comme si cela n’avait rien à voir avec toi. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé avec curiosité.

« C’est simple. Je pense que tu partages également les mêmes sentiments que nous. »

« Quels sentiments ? »

Elle n’était pas logique du tout. Gerbera semblait aussi s’en rendre compte et me regardait d’un air dubitatif.

« Rose, j’ai entendu dire que tu voulais que notre Seigneur te prenne dans ses bras. Pour y arriver, tu t’es transformée en une jolie poupée. »

« Oui. »

« Donc, tu désires évidemment ce qui vient après, n’est-ce pas ? »

« Non. »

Mon ton avait dû traduire ma confusion totale, car Gerbera avait l’air de ne pas me croire. Non pas que je sache pourquoi.

« Oh là là. Alors… quoi ? Tu ne désires vraiment pas ce qui vient après ça ? » demande-t-elle.

« Je n’y ai même pas pensé. Si notre maître le souhaite, alors j’ai évidemment l’intention de m’y conformer, quoi qu’il en soit. » J’y avais réfléchi un moment, puis j’avais dit : « Mais n’est-ce pas impossible ? »

« Attends juste un moment, Rose, » dit Gerbera en se pinçant le front. Puis elle s’était tournée vers Mana. « Dis-moi, Katou… Qu’est-ce qui se passe ici ? Il me semble que Rose est sérieuse. »

« J’ai fait de mon mieux pour aider, malgré ce résultat, » avait répondu Mana.

« Je vois. Alors c’est comme ça… »

Gerbera s’était retournée vers moi avec un regard troublé.

« Rose ? Je pense beaucoup à toi en tant que sœur aînée. Alors, permets-moi de te dire ceci. Ne manques-tu pas de… désir ? »

« Ce n’est pas vrai. L’affection de notre maître n’appartient qu’à Lily, après tout. »

Je voulais revivre la nuit que j’avais passée dans les bras de mon maître. Je voulais revenir à cette rencontre de rêve. J’étais pleinement consciente que ce simple souhait était le comble de l’insolence. Alors souhaiter plus ? Honnêtement, ce serait comme si le ciel me tombait sur la tête. On peut dire que ma conviction était inébranlable.

« Mais, Rose, » reprit Gerbera, « tu dis que c’est impossible, mais notre seigneur désire maintenant une telle chose de moi aussi, tu sais ? »

À cet instant, mes pensées s’étaient arrêtées net.

 

 ◆ ◆

Les mots de Gerbera m’avaient fait penser à des choses que je n’avais jamais envisagées auparavant. C’était comme elle l’avait dit, la situation avait changé. Mon maître avait décidé d’accepter les sentiments de Gerbera. Le ciel était déjà tombé. L’impossible n’existe pas.

Si c’est le cas… Si oui… alors… quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Des pensées inutiles avaient commencé à tourner dans ma tête. Notre conversation était terminée, mais tout était encore flou pour moi. En fait, Kei nous avait écoutées parler tout le temps pendant qu’elle regardait le feu, et comme notre conversation avait été trop stimulante, elle avait fini par s’évanouir et nous avions été obligés de nous arrêter.

Le petit déjeuner était maintenant terminé, et nous étions en train de nettoyer et de nous préparer au départ. Je rassemblais nos bagages, mais les choses avançaient à pas de tortue. J’étais bien consciente d’avoir été secouée jusqu’au plus profond de moi-même, mais je ne comprenais pas pourquoi j’étais si secouée. Enfin, c’était un peu faux. J’en avais une vague idée. En d’autres termes, tout comme Lily et Gerbera, peut-être que je désirais aussi que notre maître m’aime.

Avais-je vraiment souhaité une chose aussi scandaleuse ? Je ne le savais pas. Le concept même ne m’avait jamais traversé l’esprit. C’est pourquoi je n’y avais jamais pensé auparavant, et je ne pouvais pas l’imaginer maintenant que j’y pensais.

Cependant, il est vrai que j’étais agitée rien qu’en me demandant si je souhaitais « ça ». Dans mon corps exsangue, il y avait une émotion semblable à un feu qui couvait. Elle avait toujours été là. C’est ce qui m’avait poussée à vouloir que mon maître me prenne dans ses bras. Je n’en avais pas conscience, mais j’avais finalement saisi cette sensation. Qu’est-ce que je désire vraiment ? m’étais-je demandé.

« Rose. »

Avant que je ne m’en rende compte, Mana se tenait juste en face de moi. Elle était déjà habillée pour le voyage. J’avais alors remarqué que mes mains s’étaient complètement arrêtées.

« D-Désolée, Mana. Est-ce que j’ai fait attendre tout le monde ? »

« Pas du tout. Nous avons encore du temps. J’étais un peu pressée de me préparer, c’est tout. »

« Vraiment ? » J’étais soulagée d’entendre ça, mais je m’étais rendu compte que quelque chose m’avait échappé. « Tu étais pressée ? »

« Ouaip. Il y a quelque chose dont je voulais te parler, » avait répondu Mana d’un signe de tête, puis elle était entrée dans le vif du sujet. « C’est à propos de Majima-senpai. »

J’avais sursauté. Je ne pouvais pas cacher mon trouble à l’évocation soudaine du nom de mon maître. Si Mana avait remarqué ma déconfiture, elle fit semblant de ne pas voir et continua.

« Nous accompagnons Senpai dans la prochaine ville, n’est-ce pas ? »

« Oui, qu’en est-il ? »

« Je pense que c’est une bonne occasion, » dit-elle avec un léger sourire. « Rose, voudrais-tu profiter de cette chance pour sortir avec lui ? »

***

Chapitre 5 : Ce qu’il faut pour entrer dans la ville

Partie 1

Je me tenais au sommet d’une petite falaise, seul. Cet endroit, sporadiquement entouré d’arbres, était suffisamment large pour que je puisse me déplacer. J’entendais faiblement mes compagnons préparer le dîner au-dessous de moi.

« D’accord, » avais-je marmonné, en levant mon bras gauche. « Asarina, renforce-moi. »

« Maît — tttrree ! »

Asarina avait crié de sa voix grinçante et s’était enroulée autour de mon bras gauche, qui était encore couvert des cicatrices de brûlure que j’avais reçues lors d’une attaque de renard souffleur dans le passé. Une fois que son corps de liane s’était complètement enroulé autour de mon bras, j’avais ramassé le bouclier que j’avais laissé sur le sol.

« Bien. C’est très léger. On dirait que c’est une réussite. »

« Iiii ! Tre ! »

Asarina avait acquis cette capacité pendant la bataille contre la Bête folle. Elle pouvait maintenant fonctionner comme un exosquelette de renforcement. Nous avions réussi à le répliquer ici parfaitement. À l’époque, je devais l’utiliser en conjonction avec le mana de Gerbera, mais maintenant je pouvais le faire sans. Ce mana me donnait une puissance massive, mais il m’épuisait considérablement, il était donc beaucoup plus pratique de ne pas l’utiliser. Nous avions testé cela plusieurs fois pour nous habituer à la sensation, et en cet instant, Asarina l’avait parfaitement maîtrisé.

J’avais essayé d’attraper mon épée avec ma main gauche et de la faire tourner. Lors du combat contre la Bête folle, je n’avais eu besoin que d’encaisser son coup, donc je n’avais fait qu’améliorer ma force physique. Je ne savais pas si l’exosquelette gênait mes mouvements. À première vue, il ne semblait pas y avoir de problème. En balançant mon épée, je pouvais sentir les lianes se resserrer autour de mon bras, mais mes mouvements étaient en fait plus fluides et plus précis qu’auparavant.

Asarina avait senti ma volonté et avait suivi mes mouvements. Comme ses racines s’enfonçaient dans mon corps, notre connexion par le cheminement mental était plus profonde que celle de mes autres serviteurs. J’avais voulu en tirer profit, nous nous étions donc entraînés à transmettre des instructions par la voie mentale pour les utiliser au combat. Nous avions accompli cet exploit grâce à cet entraînement.

« On dirait qu’on peut utiliser ça dans un vrai combat. Aussi… bien. On pourrait te faciliter la tâche en… Hm ? »

« Trrreee ? »

Asarina et moi nous étions arrêtés. J’avais jeté un coup d’œil autour de moi. Peu de temps après, j’avais repéré une araignée avec le haut du corps d’une fille qui marchait dans ma direction.

« Mon Seigneur. »

C’était Gerbera, le visage crispé dans une expression extrêmement sérieuse. Ses yeux rouges sang avaient regardé Asarina.

« J’ai quelque chose dont j’aimerais te parler. Est-ce que le moment est mal choisi ? » avait-elle demandé.

« Hm ? Oh, pas vraiment. Asarina, arrêtons là pour aujourd’hui. »

« Trrrreee ! »

Asarina avait déroulé son corps et s’était retirée en moi par considération.

« Alors ? Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je demandé.

« Hm. Je suis venue pour remplir notre promesse, » déclara nerveusement Gerbera.

Je n’étais pas stupide au point de ne pas comprendre ce qu’elle voulait dire. C’était sans aucun doute à propos de notre promesse de passer du temps seul quand nous le pourrions. Une partie de moi s’était demandé quand on en arriverait là. Quand même, c’était embarrassant de l’entendre comme ça.

« Je vois. »

À la fin, je n’avais pu que me contenter d’un bref remerciement.

« A-Alors, à propos de ça… J’ai une requête, » continua Gerbera, sa peau presque transparente se teintant de rouge. Elle parlait considérablement plus vite que d’habitude. « Récemment, je t’ai presque écrasé à mort dans mes bras, tu te souviens ? »

« Oui. »

« Même maintenant, je n’ai pas la confiance nécessaire pour m’empêcher de le faire au milieu de l’acte. »

« Hein ? »

J’avais levé un sourcil. C’était de mauvais augure.

« Eh bien, écoute, » dit Gerbera, remarquant ma perplexité et me tendant la main. « Il semblerait que je sois incapable de contenir ma force lorsque je suis excitée. Je crois que tu le sais déjà. Par conséquent, je ne ferai rien. »

« Rien du tout ? »

« Exactement. Si je tente imprudemment de te tenir dans mes bras, je risque de te faire éclater dans le processus. Ainsi, je deviendrais inerte, splash. »

« Splash… »

Ce n’était pas vraiment un effet sonore qu’on entendait pendant l’acte. En tout cas, elle était en train de donner du sens à tout ça.

« Je comprends où tu veux en venir, » avais-je dit.

« Très bien. Maintenant, viens vers moi comme tu le veux ! »

Gerbera avait vigoureusement gonflé sa poitrine. Le sujet étant ce qu’il était, le rebondissement vif et souple de ses seins avait attiré mon regard. J’essayais habituellement de ne pas y prêter trop d’attention, mais la tenue de Gerbera était vraiment osée. Ses seins étaient à peu près de la même taille que ceux de Lily, et son décolleté constamment visible était honnêtement du poison pour mes yeux. Les courbes sinueuses que dessinaient son ventre et son dos la rendaient plus féminine que toutes les autres personnes que je connaissais. La moitié arachnéenne qui se trouvait en dessous, de ses poils blancs à sa forme, était également magnifique. Elle inspirait la crainte à tous ceux qui la voyaient. Cela n’enlevait rien à sa beauté.

Son comportement enfantin habituel qui compensait sa sensualité avait maintenant disparu derrière ses joues rougies et ses mouvements agités. Elle ferma les yeux, sans défense, alors qu’elle se présentait, son visage à la beauté suspecte, devant moi.

« Bon… »

Je m’étais approché et j’avais posé mes mains sur ses épaules. Sa peau était soyeuse et douce sous ma paume.

« Hmm… »

Les sourcils de Gerbera avaient tressailli, et ses jambes avaient légèrement gratté le sol. Elle s’était mordu la lèvre. La voir se retenir avait attisé quelque chose qui dormait au fond de moi. J’avais lentement enroulé mes bras autour de son dos et m’étais rapproché d’elle, son parfum féminin se répandant sur moi.

Sa respiration irrégulière, stimulée par sa nervosité et son excitation, frôlait ma peau. Je pouvais la sentir trembler légèrement dans mes bras. Mes yeux s’étaient naturellement fermés alors que je rapprochais lentement mes lèvres… quand j’avais entendu un bruit de tonnerre.

« Hein ? »

Gerbera s’était débarrassée de mes bras et avait sauté dans les airs. Elle s’était éloignée de moi de plusieurs mètres en un instant, ses jambes traçant des ornières dans le sol.

« G-Gerbera ? »

Le choc du rejet m’avait figé sur place.

« Mon Seigneur…, » dit Gerbera en relevant son visage baigné de larmes. « Après tout, je ne peux pas faire ça ! »

« Hein ? »

« Si tes lèvres avaient continué et touché les miennes, j’ai l’impression que… ça aurait été complètement inutile ! »

Je ne comprenais pas vraiment, mais je n’avais pas l’impression qu’elle me rejetait. Je m’étais senti légèrement soulagé alors que Gerbera continuait à trembler.

« Un baiser est une chose si dangereuse…, » avait-elle murmuré. « Mon corps et mon cœur étaient sur le point de fondre. Il n’y a aucune chance que j’aie pu garder un peu de bon sens. »

Ses jambes avaient glissé. C’était un de ses tics quand elle se retenait.

« Évidemment, je ne peux pas continuer à être inerte ! »

« Même si tu me dis que… »

« Est-ce que tout le monde surmonte un obstacle aussi difficile ? » avait-elle murmuré, étonnée.

Elle avait probablement tort à ce sujet dans une certaine mesure…

Alors qu’elle continuait à se creuser la tête, j’avais poussé un petit soupir.

 

 ◆ ◆

« Qu’est-ce qui se passe, Maître ? J’ai entendu un cri. »

Lily était venue après avoir entendu le vacarme. Elle ne pouvait toujours pas utiliser son mimétisme correctement, alors elle s’était glissée sur le sol vers moi. Elle m’avait regardé avec son visage gluant, puis avait incliné tout son corps sur le côté.

« Hein ? Où est Gerbera ? N’était-elle pas avec toi ? »

« Elle a dit : “C’est inutile pour moi maintenant ! Mais je n’abandonnerai pas !” et elle s’est enfuie quelque part. »

« Aah... Je vois que l’opération Inerte a échoué. »

Ses traits étaient encore un peu flous, mais je pouvais clairement voir son sourire en coin.

« Étais-tu au courant ? » avais-je demandé.

« Mhm. C’était l’idée de Rose. J’ai moi-même pensé que c’était une assez bonne idée. »

« Elle a aussi dit : “Je m’en souviendrai”. Je veux dire, pourquoi me dire ça ? »

« Aha ha... »

« Tout irait bien si je pouvais résister à sa force. Je me sens un peu désolé pour elle. »

« Hmm, je me pose la question. Ça va dans les deux sens, n’est-ce pas ? » dit Lily, comprenant où je voulais en venir alors que je me grattais la tête. « Nous sommes une espèce différente de toi, Maître. Il y aura des obstacles à surmonter. C’est certainement difficile, mais je ne pense pas que Gerbera perdra courage pour autant. C’est l’un de ses points forts, non ? Je suis sûre que tu aimes aussi cette partie d’elle. »

Lily avait fait une pause, jetant un coup d’œil à mon expression et gloussant.

« C’est quoi ce visage, Maître ? Es-tu toujours inquiet à ce sujet ? Je t’ai déjà dit que ça ne me dérange pas, quoi qu’il arrive entre vous deux. »

« Je le sais, mais… »

« Eh bien, c’est une question de sensibilité et de sentiments, donc je peux comprendre que tu te laisses entraîner par instinct. » Lily s’était rapprochée et avait posé sa tête sur ma poitrine. « Le simple fait de pouvoir faire ça est plus que suffisant pour moi. »

« Lily… »

« Si tu dois passer du temps à t’inquiéter de ces choses, je serais plus heureuse si tu le passais avec moi. Je veux dire, nous ne pourrons pas nous voir pendant un certain temps. »

Lily s’était glissée en douceur au-delà de la ligne que Gerbera n’avait pas pu franchir.

« Hmm. »

Elle avait pressé son corps à la fois féminin et monstrueux contre le mien, puis avait rencontré mes lèvres avec les siennes. Elle ne portait aucun vêtement, alors la sensation de sa pression contre moi était très vive. Elle était collante parce qu’elle se sentait seule à l’idée de devoir se séparer un peu. Stimulé par l’amour qui gonflait dans mon cœur, j’avais posé ma main sur sa joue.

Nous avions partagé un baiser profond, et nos silhouettes n’avaient fait qu’une, se fondant l’une dans l’autre. Lily avait surmonté les obstacles qui la retenaient. La distance entre nous était minuscule.

Le jour suivant, nous nous étions séparés du groupe de Lily et nous avions descendu la montagne.

***

Partie 2

« Le nombre de villes d’Aker qui abritent plus de mille personnes se compte sur les doigts d’une seule main, » dit Shiran, assise sur ses semelles.

Elle portait ses vêtements de voyage et avait étalé devant elle une carte simpliste indiquant les routes et les villes principales. La carte que nous avions reçue des Chevaliers de l’Alliance avait été emportée par la rivière lors de l’attaque de la Skanda, alors Shiran avait dessiné celle-ci à partir de rien. J’y avais noté les noms de chaque point de repère en katakana.

« D’après ce qu’on nous a dit avant de pénétrer dans les montagnes de Kitrus, cette route débouche près de la ville de Zaquo. Ce qui veut dire… »

Shiran avait tracé son doigt le long de la carte.

« Nous sommes probablement quelque part par ici. La grande ville la plus proche est Diospyro. C’est la plus grande ville de l’est d’Aker et le centre de distribution des marchandises pour les villages et villes environnants, donc je pense que ce sera une destination acceptable pour nos objectifs. »

« Combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre Diospyro ? »

« Voyons voir… Je pense que nous devrions y arriver dans trois jours. Selon Berta, il y a une colonie à proximité. Nous pouvons demander des détails là-bas. »

Il nous avait fallu trois jours pour descendre la montagne, donc en tenant compte du temps nécessaire pour nous approvisionner en ville, un voyage aller-retour nous prendrait environ deux semaines. Cela correspondait largement à notre programme préexistant.

« Deuxième Roi. »

Peut-être en réaction à son propre nom, Berta, qui était couchée sur le sol près de nous, avait rejoint notre conversation. Elle avait levé ses deux énormes têtes de loup.

« Il y a des yeux humains dont il faut se méfier à partir de maintenant. Je n’irai pas plus loin. »

« Ah, oui. Merci Berta. »

« Je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais je ne fais rien d’autre que de suivre les ordres de mon roi, » dit-elle en détournant ses deux paires d’yeux intelligents. « On m’a ordonné de vous protéger pendant un certain temps. C’est la seule raison pour laquelle je vous accompagne. Par conséquent, je n’ai pas besoin de vos remerciements. Je ne suis pas votre foutu compagnon ou quoi que ce soit d’autre. »

Elle était terriblement froide. Son comportement était le même que d’habitude, mais quelque chose m’avait paru étrange cette fois-ci. Depuis qu’elle était retournée à Kudou puis qu’elle était revenue, Berta se comportait étrangement. Je m’étais demandé si quelque chose s’était passé.

Parce qu’elle nous avait aidés à récupérer Lily, je ne pouvais pas détester cette énorme louve. Je n’avais pas oublié qu’elle avait trompé Sakagami Gouta et l’avait mangé, mais Kudou l’avait forcée à le faire. Quand je l’avais pressée de répondre à la question de savoir si elle avait trompé Sakagami, j’avais vu de la culpabilité dans ses yeux.

Maintenant que j’avais eu l’occasion d’interagir davantage avec elle, j’avais vu qu’elle était en fait assez douée pour s’occuper des autres, malgré son attitude brusque. Fondamentalement, elle avait un bon cœur. Cependant, je ne savais pas si c’était une bonne chose pour elle en tant que servante de Kudou.

« Nous devrions atteindre la colonie dans l’après-midi. Je vous garderai jusque là, » dit Berta à voix basse. « Après cela, je retournerai chez le slime et l’araignée. Après sept jours, je reviendrai ici et je vous attendrai. Est-ce tout ? »

« Oui. Merci. Tu es d’une grande aide. »

« Je n’arrête pas de vous dire… »

Berta avait commencé à dire quelque chose, mais s’était tue. Elle avait compris qu’il était inutile de me dire continuellement de ne pas la remercier. La voir agiter sa queue et ses tentacules d’un air boudeur m’avait fait sourire.

« Bon, c’est tout pour nos plans jusqu’à ce que nous atteignions le village, » avais-je dit en me retournant pour faire face aux deux elfes assises en face de moi. « Après cela, nous allons beaucoup compter sur vous deux. Nous pourrions finir par être une gêne, mais nous serons sous votre responsabilité. »

« Compris. »

« Laissez-nous faire ! »

« Tout ce qu’il reste à faire est… Hmm, Katou et Rose prennent vraiment leur temps. »

Après avoir déterminé nos plans, j’avais jeté un coup d’œil aux alentours. Je ne pouvais pas voir les deux filles quelque part.

« Elles se sont excusées après que nous ayons terminé le petit déjeuner. Je devrais aller les chercher ? » proposa Shiran en hochant la tête.

« Non, c’est bon. »

Je pouvais dire à travers le cheminement mental qu’elles n’étaient pas allées loin. Elles étaient sûres de revenir avant notre départ, donc il n’y avait pas besoin de sortir de notre chemin pour les chercher. Et juste au moment où je pensais cela, des pas étaient venus vers nous avec un timing parfait.

« Je suis revenue, Maître, » dit Rose.

Je m’étais retourné avec désinvolture. « Aah, bienvenue ba —»

Mon salut était resté coincé dans ma gorge. Ma bouche s’était ouverte et j’avais regardé la personne devant moi. C’était une fille que je ne connaissais pas. Ses cheveux argentés foncés se balançaient derrière elle en une tresse. Elle était grande pour une femme, et elle portait une robe bleu foncé avec un col.

La jupe de la robe se drapait gracieusement sur ses jambes, et à en juger par le tissu épais dont elle était faite, elle était à la fois pratique et belle. De plus, elle portait un grand tablier, ce qui rendait son expression plus posée que mignonne. Elle portait de longs gants qui couvraient ses deux bras, et ses chaussettes montaient jusqu’à ses cuisses. Sa tenue n’exposait que très peu de sa peau.

La seule partie de son corps qui ressortait vraiment était son visage anormalement beau et angélique. Ses traits étaient si délicats qu’ils ressemblaient presque à du verre forgé. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant.

 

 

Elle avait l’air complètement différente, mais j’avais immédiatement su qui elle était.

« Rose… ? »

« O-Oui. »

Rose avait souri maladroitement, peut-être à cause de la tension du moment. Mon cœur battait la chamade en la regardant faire de son mieux pour courber ses lèvres. Cela m’avait complètement déstabilisé et m’avait fait agir encore plus bizarrement.

À ce moment-là, Katou était sortie de derrière Rose et avait dit : « Allez, ne reste pas planté là. »

Ces mots m’avaient fait réaliser que nous étions debout, immobiles, face à face, comme si nous étions à une sorte d’entretien de mariage.

En me voyant comme ça, Katou avait souri de satisfaction et avait poussé le dos de Rose. Rose avait marché dans ma direction, mais ses mouvements étaient saccadés et raides. Katou l’avait probablement poussée comme ça jusqu’ici.

Une fois que Rose s’était approchée de moi, elle s’était assise, comme si un interrupteur s’était déclenché en elle.

« Wôw ! Tu es superbe ! Ça te va si bien, Rose ! » s’écria Kei avec un regard émerveillé. « C’est la tenue que tu as préparée pour pouvoir aller en ville, n’est-ce pas !? »

Avec les mots de Kei, j’avais finalement compris la situation. Rose avait apparemment préparé ces vêtements pour qu’elle puisse aller en ville. J’avais pensé que ce ne serait pas bien qu’elle se promène avec son masque et ses articulations exposés, alors quand j’avais demandé à Rose et Katou de m’accompagner en ville, j’avais aussi demandé si quelque chose pouvait être fait pour l’apparence de Rose. Elles m’avaient simplement répondu qu’elles se prépareraient elles-mêmes. Je leur avais fait confiance pour trouver une solution et les avais laissées faire, mais je n’aurais jamais pensé qu’elles feraient autant d’efforts. Il leur avait fallu beaucoup de temps pour préparer ce projet, et c’est maintenant qu’il était dévoilé.

« Ça te va bien, Rose, » dit Shiran.

« C’est vrai. Elle est si jolie, » avait ajouté Kei en signe d’approbation. Ses yeux brillaient d’admiration quand elle s’était tournée vers moi. « Pas vrai, Takahiro ? »

« Oui. J’ai finalement réalisé que je n’avais moi-même rien dit. Elle a raison. Je pense que ça te va bien. »

La plus ennuyeuse des phrases était sortie de ma bouche. Cela m’irritait de ne pas l’avoir félicitée d’une meilleure façon. Je ne pouvais pas vraiment exprimer ma perplexité en premier lieu.

« Tu es si jolie que ça m’a choqué. » C’est le mieux que j’ai pu faire.

L’instant d’après, toute expression avait disparu du visage de Rose. Elle ressemblait maintenant à une poupée inorganique. Le changement était si soudain qu’il m’avait fait sursauter. Ai-je dit quelque chose de mal ? Ou ne l’ai-je pas assez félicitée ? De nombreuses pensées avaient traversé mon esprit.

Avec le recul, je m’étais rendu compte que toutes mes suppositions étaient fausses. On m’avait dit plus tard que Rose n’était pas très douée pour les expressions faciales. Comme son visage était à l’origine sans traits, c’était parfaitement logique. Elle avait fait beaucoup d’efforts pour paraître moins inhumaine. Mais même maintenant, une partie de cette gêne subsistait. Chaque fois que son attention était dirigée ailleurs, tous ces traits disparaissaient entièrement, laissant une expression froide qu’aucun humain ne pouvait avoir.

C’était exactement ce qui s’était passé. Cependant, je ne l’avais pas trouvé disgracieux. J’étais peut-être un peu partial, mais les traits de Rose étaient si délicats que son expression inhumaine et froide lui allait plutôt bien. Elle était comme un ange.

Toujours sans expression, la Rose éthérée… s’était effondrée en arrière avec un bruit sourd.

« Uhhh… »

Pour commencer, pourquoi Rose avait-elle perdu son expression ? En bref, dès qu’elle avait entendu mes louanges enfantines, elle avait perdu sa présence d’esprit.

« R-Rose !? » cria Katou.

Shiran et Kei s’étaient levées d’un bond. Une des têtes de Berta avait bâillé et elle avait fermé les yeux comme si cela n’avait rien à voir avec elle.

Nous avions dû attendre un certain temps avant que Rose ne se remette de son « évanouissement », pour reprendre un terme humain, et que nous puissions partir.

***

Chapitre 6 : Les villages d’Aker

Nous étions arrivés au village situé au pied de la montagne en début d'après-midi. Dans ce monde, où les attaques de monstres étaient une menace constante, il était typique de voir des murs défensifs et un fossé autour de tels établissements. Les villages de récupération situés sur les chemins qui coupent les Terres forestières avaient des murs de pierre, mais d'autres villages utilisaient des rondins épais attachés entre eux par des cordes de paille. Même si nous étions passés de l'Empire à Aker, cela n'avait pas changé. Les modestes maisons en bois étaient un peu plus miteuses, mais à première vue, elles semblaient construites de la même façon. La réaction des gens qui vivaient ici était cependant totalement différente.

« Oooh, je reconnais cette armure. Êtes-vous un des chevaliers de l'Alliance ? »

Un vieil homme avec une épée bien usée à la hanche nous avait salués. Dès qu'il avait vu Shiran, il s'était précipité vers nous avec un grand sourire.

« Oui. Je voudrais une chambre dans une auberge pour la nuit, » répondit Shiran.

« Je vois. Malheureusement, il n'y a pas d'auberges dans un village aussi rustique que le nôtre. Si vous le souhaitez, je peux vous offrir ma maison. »

« Vous le ferez ? Je vous en serais très reconnaissante. »

« N'y pensez pas. Je n'aurais jamais pensé qu'un chevalier de l'Alliance visiterait notre village. Êtes-vous en mission ? »

« Oui, eh bien, quelque chose comme ça. Je m'excuse de vous avoir surpris avec notre visite soudaine. »

« Il n'y a pas besoin de ça. C'est un honneur de vous avoir. »

Ils ne nous recevaient pas comme de simples voyageurs, ils nous accueillaient à bras ouverts. Je pouvais voir d'autres villageois nous observer un peu plus loin, et je pouvais même les entendre appeler leurs amis pour qu'ils regardent. Ce genre de réaction n'aurait pas eu lieu dans l'Empire.

« Les chevaliers de l'Alliance sont célèbres à Aker, » me dit Kei, voyant ma confusion. « Le titre de chevalier est considéré comme prestigieux, même au-delà de nos frontières. C'est particulièrement vrai dans les cinq royaumes du Nord, où l'on trouve un fort esprit militariste. Les chevaliers sont extrêmement populaires parmi le peuple. L'armée royale et l'ordre de la défense nationale protègent le pays sous le commandement de la famille royale, mais les chevaliers de l'Alliance, qui défendent l'humanité au Fort de Tilia, sont reconnus à un tout autre niveau. »

Il n'était pas si étrange que les chevaliers qui s'aventuraient dans les Terres forestières pour exterminer des monstres soient un symbole de respect. De plus, dans ce pays, le fait que Shiran soit une elfe ne semblait pas poser de problème. La commandante était une princesse ici, cela allait de soi. Même maintenant, Shiran continuait à avoir une conversation animée avec le vieil homme.

« Au fait, je me suis demandé pendant tout ce temps..., » dit le vieil homme. « Êtes-vous par hasard Lady Shiran ? »

« Comment pouvez-vous le savoir ? » demanda Shiran.

« Oh, donc vous l'êtes vraiment. C'est ce que je pensais, vu la jeune elfe que vous êtes. Des rumeurs vous concernant se sont même répandues dans ces terres lointaines. »

Il s'est avéré que les chevaliers de l'Alliance n'étaient pas les seuls à être célèbres. Shiran était populaire à elle seule. C'était parfaitement logique. Shiran était une lieutenante parmi les déjà prestigieux Chevaliers de l'Alliance, et elle était même connue comme le chevalier le plus fort des Terres forestières du nord.

Néanmoins, il semblerait que Shiran n'était pas consciente de sa popularité. Depuis qu'elle avait commencé au Fort de Tilia et qu'elle était devenue célèbre, elle n'était jamais retournée dans son pays d'origine, c'est donc probablement la première fois qu'elle subissait ce traitement.

Shiran s'était retournée et m'avait jeté un regard troublé. Sur ce, l'homme qui lui parlait avait finalement remarqué notre présence.

« Dame Shiran, qui sont-ils ? » avait-il demandé.

« Ils sont de sang béni. Je les escorte actuellement. »

« Oh là là ! Je suis terriblement désolé pour mon comportement ! »

Le teint de l'homme avait vraiment changé. Les personnes de sang béni étaient des descendants de visiteurs. En d'autres termes, ils étaient les descendants de héros légendaires. Les visiteurs fréquentaient souvent les hautes sphères de la société, prenant des épouses parmi les nobles. Par conséquent, de nombreuses personnes de sang béni étaient également des nobles.

Parmi les visiteurs, certains avaient des traits asiatiques, alors Katou et moi avions fait semblant d'être de sang béni pendant notre voyage. Nous avions pensé que ce serait moins gênant que de dire aux gens que nous étions vraiment des visiteurs. De plus, nous avions une autre raison de mentir ainsi.

« Mais notre village n'a pas d'endroit assez luxueux pour accueillir les personnes de sang béni..., » dit l'homme.

« Il n'y a pas besoin de s'inquiéter pour ça, » avais-je répondu. « Tant qu'il y a un toit, je ne vais pas me plaindre de n'importe quelle vieille cabane qui traîne. »

« Ce n'est pas possible ! Alors, permettez-moi de vous guider. S'il vous plaît, suivez-moi. »

À l'invitation de l'homme, nous étions entrés dans le village. Il y avait une légère tension dans l'air. Après avoir fait quelques pas, je m'étais retourné pour regarder derrière moi. Rose marchait gracieusement à la fin de notre file, ses cheveux tressés se balançant derrière elle. Elle faisait semblant d'être une accompagnatrice pour Katou et moi. Il était normal pour les personnes de haut rang d'avoir quelqu'un pour s'occuper d'elles. Ce n'était pas suspect pour une personne de sang béni d'avoir un assistant autour d'elle. Du moins, Shiran nous l'avait assuré.

De plus, bien que Gerbera ait fait ses vêtements, Katou, Shiran et Kei avaient aidé à la conception. Shiran avait supervisé le tout, donc non seulement ils cachaient la majorité du corps de Rose, mais ils étaient aussi assortis aux vêtements de ce monde pour ne pas se faire remarquer.

Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher de me sentir un peu nerveux maintenant que nous faisions un essai. Mais comme aucun des villageois ne semblait soupçonner que Rose était un monstre, je m'étais finalement détendu.

« On dirait que Rose va s'en sortir, » m'avait chuchoté Katou.

« Ouais. On dirait qu'on n'a pas besoin de s'inquiéter, » avais-je murmuré.

Nous avions continué à marcher, regardant les champs qui s'étendaient sur nos côtés, lorsque nous avions remarqué l'une des principales différences entre ce village d'Aker et ceux que nous avions vus dans l'Empire. La sécurité autour du périmètre était armée de lances et d'arcs et portait des armures de cuir, tout comme la sécurité dans l'Empire. Cependant, tous les villageois ici, hommes ou femmes, y compris les personnes âgées, étaient armés d'épées courtes. Même les villageois qui travaillaient dans les champs avaient des ensembles complets d'armes et d'armures à portée de main sous des bâches en toile à côté de leur lieu de travail.

Plutôt que de ressembler à des villageois armés, ils ressemblaient davantage à des soldats effectuant des travaux de terrain. Compte tenu de la petite taille du village et de l'absence de fort dans la région, les rencontres avec des monstres devaient être nombreuses ici. De plus, ils étaient probablement toujours à court de bras lorsqu'il s'agissait de se battre. Pourtant, il ne semblait pas y avoir une grande différence entre les moyens de subsistance et le combat. C'était comme si leur vie et le combat étaient dos à dos.

« Hey Kei ! Est-ce considéré comme un village normal à Aker, non ? » avais-je demandé.

« Oui. Qu'en est-il ? »

« L'air est étrangement lourd. »

« Oh, tu pourrais avoir cette impression en le voyant pour la première fois, » dit Kei d'un ton joyeux, mais triomphant. « À Aker, même les fermiers sont tous des combattants. On dit qu'un sauveur proche d'Aker a transmis ce mode de vie il y a plusieurs siècles. »

« Est-ce différent de l'Empire, hein ? C'est comme s'ils étaient prêts à ce que des monstres attaquent à tout moment. Même les enfants et les personnes âgées. »

« Il serait difficile pour les enfants ou les personnes âgées de vaincre un monstre, mais s'ils peuvent endommager l'épaule du monstre ou autre en échange de leur vie, cela réduirait d'autant plus le danger pour tous les autres. »

Kei avait parlé comme si ce n'était pas grave, mais c'était une explication assez redoutable. Elle avait déjà mentionné qu'Aker avait un esprit militariste, mais je n'en avais compris l'étendue que maintenant.

En continuant à parler, nous étions arrivés à un bungalow un peu plus grand que les autres maisons de la région. Après avoir échangé des salutations avec sa famille, l'homme nous avait guidés vers nos chambres.

« Je viendrai vous chercher quand le dîner sera prêt, » m'avait-il dit. Lorsque je lui avais remis le paiement pour le logement, il avait ajouté nerveusement : « Nous avons des chambres libres, alors utilisez celle-ci avec votre femme. Lady Shiran et sa soeur peuvent utiliser celle qui est là-bas.» Puis il était parti précipitamment.

Les personnes de sang béni étaient des descendants de sauveurs, des visiteurs qui étaient vénérés avec une ferveur religieuse, et ils étaient aussi souvent des nobles. Le comportement effronté de l'homme me fit sourire amèrement, mais quelque chose de bien plus étrange que tout cela me frappa.

« Ma... femme ? »

De quoi parlait-il ? Un instant plus tard, nous nous étions tous retournés en même temps et avions croisé le regard de Katou.

« Oh. »

Elle avait également réalisé le malentendu de l'homme au même moment. Son visage était devenu rouge en un clin d'œil. Mais son erreur n'était pas surprenante. J'étais le seul homme dans ce groupe. Shiran et sa soeur Kei avaient été assignées à une chambre séparée. À l'exception de Rose, qui était habillée comme une préposée, il ne restait qu'une seule personne.

« Uhh... Désolé, » avais-je dit.

« Ne sois pas... »

Katou avait couvert son visage écarlate et avait remué ses nattes. Un air agité nous enveloppait.

« Parlons à l'intérieur pour l'instant, » avait proposé Shiran sans réfléchir.

J'étais très reconnaissant de son intervention. Nous étions tous entrés dans la pièce ensemble.

« En tout cas, on dirait que tu es assez célèbre, Shiran, » dis-je, prenant l'initiative de changer de sujet et d'éloigner cette atmosphère étrange. « Je suis un peu surpris. »

« Moi aussi, Takahiro, » répondit Shiran en prenant place sur un lit à côté de Kei et en forçant un sourire. « Ce pays est mon foyer, je sais donc à quel point ils considèrent les Chevaliers de l'Alliance, mais je vois qu'il y a des choses que tu ne comprends pas tant qu'elles ne te concernent pas directement. »

« Je suppose que tu admirais aussi beaucoup les chevaliers quand tu étais enfant alors ? »

« Oui, eh bien, presque tous les enfants nés à Aker admirent les chevaliers au moins une fois dans leur vie. » Il y avait un regard nostalgique dans ses yeux maintenant. « Dans mon cas, cependant, mon admiration était un peu plus spécifique. Mon frère aîné a servi comme lieutenant dans les Chevaliers de l'Alliance, alors je me suis jurée de devenir chevalier un jour. »

Une ombre s'était alors soudainement abattue sur l'expression de Shiran.

« Cependant, je me sens un peu mal d'avoir trompé cet homme, alors qu'il était si ravi de la visite d'un chevalier de l'Alliance. J'ai gardé le silence parce que ça ne nous sert à rien de le répandre inconsidérément, mais maintenant que la commandante est en état d'arrestation, à toutes fins utiles, notre compagnie est dissoute. Je ne suis même pas sûre de pouvoir m'appeler un chevalier maintenant. Cet homme ne sait pas... »

« Shiran... »

« Désolée. Ce n'était pas nécessaire, » dit Shiran en secouant la tête et en se ressaisissant. Elle tourna son œil bleu vers moi, le regard honnête. « Plus important, Takahiro, nos plans étaient de rassembler des provisions et de collecter des informations sur les environs, n'est-ce pas ? »

« Ouais. Nous devons confirmer que c'est proche de Diospyro. »

« Dans ce cas, nous n'avons pas beaucoup de temps. Terminons nos discussions avec les habitants avant la fin de la journée. »

Shiran s'était levée avec confiance. L'anxiété qui planait sur elle il y a quelques instants avait disparu.

« Hé Shiran, » je l'avais appelée juste avant qu'elle ne quitte la pièce. « Même si ton unité a été dissoute, même si tu n'es plus chevalier, cela ne signifie pas que tu as perdu ce que tu voulais accomplir en étant chevalier, d'accord ? »

« Takahiro ? » Shiran s'était arrêtée et s'était retournée dans l'embrasure de la porte.

« Je ne pense pas que tu aies trompé cet homme. »

Elle avait l'air surprise. Après un court instant, elle m'avait adressé un léger sourire.

« Merci beaucoup. »

Sur ce, Shiran avait quitté la pièce et je l'avais suivie. Au moment où j'étais entré dans le couloir, quelqu'un avait attrapé ma main. J'avais baissé les yeux pour voir Kei qui me souriait. Je lui avais rendu son sourire, puis j'avais couru après Shiran.

***

Chapitre 7 : Une rencontre inattendue

Il nous avait fallu trois jours de traversée de villages pour atteindre notre destination. Diospyro était une ville d’environ deux mille habitants, elle n’était donc pas si grande à l’échelle des choses. Néanmoins, c’était un centre commercial vital pour Aker, aussi ses défenses étaient-elles relativement lourdes, et ses murs étaient en pierre.

L’armée royale possédait une force défensive permanente stationnée ici, et j’avais donc vu de nombreux soldats portant des tenues assorties. Dès qu’il y avait des problèmes dans les villages voisins, ils étaient envoyés pour apporter de l’aide.

La route que nous avions empruntée pour venir ici continuait à traverser la ville en tant qu’artère principale. La plupart des bâtiments de chaque côté de la rue avaient deux étages. La ville commerciale Serrata, que nous avions visitée dans l’Empire, était à l’origine une forteresse, mais elle s’était agrandie à mesure que les gens affluaient pour y trouver la sécurité. Diospyro, quant à elle, avait commencé comme une halte pour les voyageurs le long de la route et s’était développée pour devenir une colonie. Cette route divisant la ville en deux s’étendait au-delà de ses murs jusqu’à Evernasia, la capitale d’Aker. Le village de récupération que Shiran appelait sa maison se trouvait également dans cette direction.

Quoi qu’il en soit, notre objectif ici était d’acquérir la pierre runique dont nous avions besoin pour faire bouger une manamobile. Je voulais que ce soit fait le plus rapidement possible avant de retourner auprès des autres.

« D’abord, nous devons trouver l’auberge, » dit Shiran.

Des regards de partout s’étaient posés sur elle. Je ne pouvais même pas compter combien de fois où j’avais admiré la popularité des chevaliers de l’Alliance à Aker. Si nous traînions et laissions les gens nous approcher, nous finirions par être coincés ici. Au lieu de cela, Shiran avait marché d’un pas vif et nous avait conduits dans les rues. Nous avions rapidement trouvé le panneau de l’auberge qu’un des villages que nous avions traversé nous avait indiqué.

« On dirait que c’est ici. »

Nous avions suivi Shiran à travers les portes. Il y avait une réception à l’avant, et un restaurant à gauche où plusieurs clients prenaient leur repas. Un homme d’âge moyen dodu, qui semblait être l’aubergiste, était assis à la réception. Un garçon se tenait en face de lui. Il était grand, avec des cheveux et des yeux noirs.

« Hrm ? »

En entendant la porte s’ouvrir, le garçon s’était retourné avec désinvolture, mais quand il nous avait vus, il avait haussé la voix en signe de suspicion. Il nous avait regardés durement.

C’était la définition même d’un coup de tonnerre. Mes pieds s’étaient arrêtés net. Je ne m’étais pas figé de peur à cause de son regard fixe ou autre. Même s’il portait des vêtements de ce monde, ce garçon n’avait pas l’air d’être d’ici.

Cette rencontre inattendue avait fait se raidir tous les muscles de mon corps. Pourtant, je ne pouvais pas encore être sûr. J’avais résisté à l’envie de laisser transparaître mon agitation. Vu que j’étais ici à prétendre être de sang béni alors que j’étais un véritable visiteur, il était possible que quelqu’un de sang béni puisse aussi ressembler à un visiteur.

« Qu’est-ce qu’un visiteur à part moi peut bien faire ici ? »

Le marmonnement du garçon y avait mis fin. C’était vraiment un visiteur. Nous avions aussi exactement la même question en tête. Pourquoi y aurait-il un visiteur ici à part nous ?

Il y avait une forte lueur dans les yeux du garçon. Ce n’était pas amical, loin de là. Voyant cela, Shiran s’était tenue prête à se battre, bien qu’elle n’ait pas sorti son arme. Derrière nous, Rose était entrée avec Katou, et après avoir confirmé la situation par-dessus mon épaule, elle s’était également mise en garde. Notre regard fixe avait duré plusieurs secondes.

« Monsieur… ? » dit l’aubergiste, déconcerté.

Le garçon avait rapidement détourné les yeux. « Ce n’est rien. Prolongez mon séjour. Je paye d’avance, d’accord ? »

Il avait pris quelques pièces dans une sacoche en cuir et les avait déposées sur le bureau de la réception. Puis il avait fait semblant de ne pas nous voir et s’était dirigé vers l’escalier.

« Ça n’a rien à voir avec moi. »

Je l’avais entendu marmonner alors qu’il montait les escaliers. Nous n’avions même pas eu le temps de lui dire quoi que ce soit, et nous n’avions aucune raison de le poursuivre. J’avais levé les yeux vers l’escalier, comme s’il venait de pleuvoir sur nous.

Après avoir confirmé que le garçon était parti, Rose avait murmuré d’une voix tendue : « Maître, était-ce vraiment… ? »

Avec ça, j’avais finalement laissé échapper le souffle que j’avais retenu.

« Ouais. On dirait bien. »

C’était un visiteur. À en juger par la forte présence de mana qui avait suinté de lui pendant un seul instant, c’était probablement un tricheur. Nous devions être prudents avec lui.

« Non pas qu’il ait semblé s’intéresser à nous. »

Il avait un regard aigre, mais je n’avais pas eu l’impression qu’il était activement hostile. C’était plutôt comme si c’était son comportement normal. De plus, d’après la façon dont il avait agi, je pouvais dire qu’il voulait rester en dehors de tout problème. Si c’est le cas, il n’était pas si différent de moi à cet égard.

« Que devons-nous faire, Takahiro ? » demanda Shiran.

« Hmm… »

Iino m’avait dit que l’équipe d’exploration du Fort d’Ebenus se dirigeait vers la capitale impériale. Alors pourquoi y avait-il un tricheur à part moi à Aker ? Je mentirais si je disais que je n’étais pas curieux. Pourtant, creuser trop profondément dans ses circonstances serait un peu comme pousser un serpent dans un buisson.

« Si nous décidons tous les deux de ne pas nous mêler des affaires des autres, alors nous pourrons l’ignorer, » avais-je conclu.

Je ne voulais pas non plus m’impliquer avec les visiteurs si je pouvais l’éviter. Tant qu’il ne nous voulait pas de mal, nous n’avions pas besoin d’agir.

« Très bien, » déclara Shiran. « Dans ce cas, pouvons-nous aller de l’avant et organiser notre hébergement ici ? »

« Oui, allons-y. »

Je m’étais adressé à l’aubergiste, qui semblait assez curieux de notre groupe. Comme d’habitude, il avait mal compris ma relation avec Katou, mais nous avions obtenu nos chambres sans problème. Pendant ce temps, le garçon était redescendu par l’escalier, nous avait jeté un bref regard, puis avait quitté l’auberge. On aurait vraiment dit qu’il ne voulait rien avoir à faire avec nous.

Nous avions essayé de demander à l’aubergiste, juste pour être sûrs, et nous avions découvert que le garçon mentait également sur le fait d’être de sang béni. Il logeait aussi avec quelqu’un d’autre, mais son compagnon de voyage n’était pas de sang béni — ce qui signifiait qu’il n’était pas un visiteur.

S’il était membre de l’équipe d’exploration, il n’aurait pas besoin de cacher son identité. D’après Iino, quelques personnes s’étaient retirées du groupe, il était donc possible qu’il soit l’un d’entre eux. Si c’était le cas, c’était un peu étrange qu’il ait atteint Aker avant nous. Malheureusement, il ne semblait pas que nous allions en savoir plus sur lui. J’avais arrêté de penser à la situation et j’avais fait ce qui devait être fait.

Une fois nos chambres réservées, j’avais quitté l’auberge avec Shiran et m’étais dirigé vers le quartier général de l’armée royale dans cette ville. Apparemment, l’un des anciens compagnons chevaliers de Shiran y travaillait. Les chevaliers de l’Alliance qui devaient se retirer de leur poste et rentrer chez eux étaient souvent invités à être instructeurs pour l’armée. Leur expérience du combat dans la région la plus dangereuse du monde était inestimable. Ils recommandaient également des soldats prometteurs pour l’adoubement. L’un de ces chevaliers travaillait à Diospyro, aussi Shiran avait-elle proposé que nous commencions par lui demander comment acquérir une manamobile.

L’installation dans laquelle nous étions arrivés était un bâtiment solide en pierre. Les bâtiments de ce type étaient utilisés comme abris en cas d’urgence.

« Oh, Shiran. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. »

Le jeune homme afficha un large sourire en voyant Shiran, puis se présenta comme Adolf. Il était assez petit, mais son corps était tout de même bien formé. Il lui manquait cependant son bras gauche. C’était la raison pour laquelle il avait dû arrêter d’être chevalier.

Une fois les présentations faites, il nous avait guidés vers une autre pièce plus loin dans le bâtiment.

« Je vois, donc l’unité est fichue… »

Comme il était un ancien membre des Chevaliers de l’Alliance, Shiran lui avait raconté ce qui s’était réellement passé au Fort de Tilia. Elle avait gardé secrètes sa transformation en monstre mort-vivant et ma capacité inhérente, mais elle lui avait tout dit sur les pertes importantes que la compagnie avait subies et sur l’arrestation de la commandante par le Margrave Maclaurin. Une fois qu’elle eut terminé, Adolf porta sa main à son front, une expression grave sur son visage. Cela concernait les camarades à qui il avait confié sa vie au combat. Tout cela, y compris l’arrestation de la commandante, ne pouvait qu’affliger son cœur.

« Merci de me l’avoir dit, Shiran, » avait-il dit après un court instant. S’étant ressaisi, il m’avait adressé un sourire de considération. « Je comprends la situation. Si c’est pour l’homme qui a protégé les chevaliers de la compagnie… et un sauveur estimé de surcroît, j’apporterai toute l’aide que je peux. »

« Merci, Adolf, » dit Shiran.

« Ne pense pas à ça. Je suis sûr que tu as traversé beaucoup d’épreuves. Évidemment, je t’aiderais, » répondit Adolf en secouant la tête. « Tu as l’air beaucoup plus pâle qu’avant. Ça a dû être dur. »

« Eh bien…, » marmonna Shiran, un vague sourire traversant son visage de demi-liche exsangue.

« Laisse-moi m’occuper de la pierre runique. Je vais essayer de passer par les connexions de l’armée. Avec mon autorité, il serait un peu difficile de préparer une manamobile à usage militaire, mais si tu n’as besoin que de la pierre runique, je devrais pouvoir m’arranger. »

« Ce serait formidable. C’est un grand soulagement pour moi. »

« Malheureusement, je suis un peu occupé en ce moment et je ne peux pas faire avancer les choses tout de suite. Peux-tu attendre quelques jours ? »

« Bien sûr… S’est-il passé quelque chose ? »

« En fait, les villages voisins ont signalé plusieurs observations de monstres. C’est assez courant par ici, mais l’un des rapports est un peu inquiétant. Nous avons décidé d’envoyer un groupe d’éclaireurs, et je dois choisir qui va partir en mission. »

« Inquiétant comment ? » demanda fermement Shiran.

Peut-être par habitude, du temps où il travaillait comme chevalier de l’Alliance, Adolf avait immédiatement répondu, bien que sa voix soit amère.

« Un dragon. »

« En es-tu certain, Adolf… ? » L’expression de Shiran s’était considérablement aiguisée.

La première chose à laquelle j’avais pensé était le monstre qui nous avait attaqués immédiatement après notre arrivée dans ce monde. L’image d’un étudiant agitant ses bras et faisant exploser la tête du dragon en un instant avait laissé une sacrée impression, mais c’était parce que le pouvoir d’un tricheur était si anormal. Normalement, ça ne se passe pas comme ça.

Les dragons étaient généralement des monstres très puissants. Ils pouvaient parcourir de grandes distances grâce à leurs ailes énormes. En de rares occasions, ils quittaient les Terres forestières et semaient le chaos dans la société humaine.

« Si c’est vraiment un dragon, ne devriez-vous pas demander des renforts à l’Ordre de la défense nationale ? » demanda Shiran.

« Oui, mais le dragon a été repéré assez loin d’ici par un habitant d’un village éloigné. Aucun mal n’a été fait pour l’instant, et s’il y a un nid, il sera probablement au fond de la forêt, à une bonne distance. Dans ce cas, il sera difficile pour nous de le localiser. Pour commencer, le témoin l’a aperçu de loin, donc on ne sait pas encore s’il s’agit vraiment d’un dragon. »

« Mais cette information ne peut être ignorée. »

« Exactement. C’est pourquoi nous envoyons une équipe d’éclaireurs, » dit Adolf avec un hochement de tête grave. « Je ne pense pas avoir besoin de le mentionner, mais fais attention en quittant la ville. Je ne veux pas perdre d’autres de mes camarades. »

 

 ◆ ◆

Adolf avait promis qu’il parlerait à l’un des marchands avec lesquels l’armée traite le lendemain. S’il pouvait nous obtenir une pierre runique, ce ne serait pas avant au moins le jour suivant. Nous avions discuté d’un sujet quelque peu troublant à la fin, mais il n’y avait pas vraiment quelque chose que nous pouvions faire à ce sujet. Cela signifie que notre programme pour demain était ouvert toute la journée.

« Puisque nous avons le temps, ne serait-il pas préférable de le passer à se détendre et à se reposer ? » suggéra Shiran une fois que nous étions rentrés à l’auberge.

« Si tu es d’accord, j’espérais pouvoir m’entraîner un peu, » avais-je répondu.

« C’est tout à fait toi, Takahiro, mais tu dois te reposer de temps en temps, tu sais ? »

« Elle a raison, Senpai, » déclara Katou en se joignant à elle, puis elle jeta un coup d’œil à Rose et frappa dans ses mains. « Oh, que diriez-vous d’aller faire un tour en ville demain ? »

« M-Mana… ? »

Rose semblait un peu secouée, mais Katou ne lui avait pas prêté attention et avait continué.

« C’est bien de temps en temps, non ? Je veux dire, nous avons visé directement notre destination tout ce temps, donc nous n’avons pas vraiment eu la chance de prendre notre temps et de regarder autour de nous. »

« Alors tu veux faire du tourisme ? » avais-je demandé.

« C’est une idée merveilleuse, » dit Shiran en souriant. « Je dois aller voir Adolf demain, mais les autres devraient se reposer et visiter la ville. »

J’y avais un peu réfléchi. Honnêtement, ça ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Ce n’était pourtant pas une mauvaise idée. Il n’y avait de toute façon pas vraiment quelque chose à faire demain. Dans ce cas, c’était peut-être bien de jeter un coup d’œil à cette ville du pays de Shiran pour changer d’air.

« J’ai compris. C’est ce que nous allons faire, » avais-je dit.

« Merci beaucoup, » répondit Katou, l’air extrêmement satisfait.

***

Chapitre 8 : Le premier rendez-vous de la marionnette ~ Point de vue de Rose ~

Partie 1

Nous avions prévu de faire une promenade dans Diospyro le lendemain, mais ce matin-là, nous avions rencontré un léger problème.

« Désolée, Senpai. C’était mon idée, mais je me suis retrouvée comme ça… »

Après son réveil, Mana s’était plainte de ne pas se sentir bien.

« Je ne me sens pas très bien, alors ne t’inquiète pas trop pour moi. »

Même si elle me disait ça, son teint n’était pas si mauvais. C’était probablement juste l’épuisement de notre voyage continu.

Mana se redressa dans son lit, souriant tristement. « Ça ne sert à rien que je sorte et que j’aggrave la situation. Alors à la place… »

« Bien sûr. C’est malheureux, mais nous allons annuler nos plans, » déclara mon maître.

« Tu ne peux pas ! » cria Mana, paniquée.

Compte tenu de son mauvais état, elle avait l’air plutôt enjouée à l’instant. Mon maître l’avait dévisagée avec curiosité alors qu’elle émettait une petite toux, les joues légèrement rougies.

« Je me sentirais mal de gâcher les plans de tout le monde au moment où vous étiez sur le point de vous lancer. Ne vous inquiétez pas pour moi. S’il vous plaît, jetez un coup d’œil à la ville. »

« Hein… ? Mais je… »

Mon maître avait l’air perplexe, mais Mana ne lui avait pas laissé le temps de parler.

« Il n’y a pas besoin de s’inquiéter. J’ai demandé à Kei de rester avec moi au cas où quelque chose arriverait. »

« Oui ! Laissez-moi faire ! » Kei avait crié joyeusement en levant la main en l’air.

Mana avait été avec moi toute la matinée… alors quand avait-elle trouvé le temps de demander à Kei de faire ça ? Je ne l’avais même pas remarqué. Mana était vraiment au top des choses, comme toujours. C’est comme si elle savait que ça allait arriver dès le début. De toute façon, Kei était douée pour prendre soin des autres. Je pouvais me sentir en confiance en lui laissant cette tâche.

Après avoir réfléchi jusqu’à ce point, j’avais soudainement penché la tête. Mana était en mauvaise santé. Kei allait s’occuper d’elle. Shiran avait d’autres plans. Ce qui veut dire…

Mana avait souri comme si elle lisait dans mes pensées. « Senpai, Rose, profitez de votre journée. »

 

 ◆ ◆

Mana avait convaincu mon maître d’aller en ville et lui avait demandé de m’attendre au premier étage. Certains détails me laissaient plutôt perplexe, mais je devais d’abord vérifier l’état de Mana.

« Mana, ta santé ne s’aggrave-t-elle vraiment pas ? » avais-je demandé.

Ses yeux s’élargirent et elle échangea un regard avec Kei, la seule autre personne restante dans la pièce.

« Hein ? Rose ? N’as-tu pas remarqué ? » demanda Mana en réponse.

« Remarquer quoi ? »

« Nous avons parlé du fait que tu ailles à un rendez-vous avec Senpai, n’est-ce pas ? »

« Qu’en est-il ? »

Nous en avions certainement discuté, mais selon les plans d’hier, nous devions tous voir la ville ensemble. Sans cette coïncidence, je n’aurais pas pu y aller seule avec mon maître.

« Non, je veux dire, dès le départ, j’avais prévu de faire ça, » dit Mana. « C’est pourquoi Kei a aussi aidé à préparer le terrain. »

« Hein ? »

« Tu n’as vraiment pas remarqué. C’est tout à fait toi, pourtant, » dit-elle en ricanant. « Eh bien, ce n’est pas un mensonge total. Je suis un peu fatiguée par tous ces voyages. Je n’ai pas d’endurance, alors il vaut mieux que je me repose quand je peux. »

« Dans ce cas, n’aurais-tu pas pu dès le départ, proposer à mon maître et moi de nous promener seuls dans la ville ? »

« Si j’avais fait ça, je me suis dit que tu t’abstiendrais par considération. Nous savions d’avance que Senpai voulait s’entraîner quand il en avait le temps. Nous n’avions donc pas d’autre choix que de t’attaquer par surprise comme ça. »

Mana m’avait vraiment bien comprise. Elle avait vu que je n’avais rien pour la contrer à ce stade, alors elle s’était tournée vers Kei.

« Désolée de t’avoir fait rester avec moi, Kei. ».

« Il n’y a pas besoin de s’excuser ! » dit Kei en secouant vigoureusement la tête. « Je soutiens aussi Rose ! Mais… es-tu toi-même d’accord avec ça, Mana ? »

« D’accord avec quoi ? »

« C’était enfin une chance pour toi de sortir et de jouer avec Takahiro. »

« Oh, ça. C’est très bien comme ça, » répondit Mana, souriant doucement à la jeune fille innocente et secouant la tête. « Le temps passé comme ça est une nécessité pour Rose. »

« Mana… »

Elle avait certainement raison. Il y avait beaucoup de choses que j’ignorais. J’avais voulu que mon maître me prenne dans ses bras, mais l’impulsion initiale ne suffisait plus. Quand j’avais appris que ce qui se trouvait au-delà d’un câlin était maintenant possible, j’avais été profondément secouée.

Mais qu’y avait-il au-delà ? Mon maître était la chose la plus importante au monde pour moi. Quel genre de relation voulais-je avec lui ? Il n’y avait aucun moyen de trouver la réponse en un ou deux jours seulement. Mais une journée entière passée en sa compagnie comme celle-ci pourrait être un pas vers la découverte de cette réponse.

C’est ce que Mana disait. Et je voulais répondre à ses attentes attentionnées. Le but de Mana était d’amener mon maître à vouloir me serrer dans ses bras, à être plus conscient de moi, même si ce n’était qu’un peu. Par conséquent, ce rendez-vous devait réussir.

« Hein… ? De toute façon, qu’est-ce que je suis censé faire à ce rendez-vous ? » avais-je demandé, en remarquant une énorme faille dans le plan.

« Détends-toi, j’ai bien réfléchi, » répondit Mana avec un sourire tendre.

Son expression était vraiment gentille… Cependant, ce jour-là, j’avais appris que la gentillesse n’impliquait pas nécessairement l’indulgence.

 

 ◆ ◆

Un peu plus tard…

« Toi… tu veux que je fasse quoi !? » Je m’étais exclamée. « M-Mana. A- Attends une minute. C’est impossible pour moi. »

« Allez, dépêche-toi. Senpai attend en bas. »

Mana s’était levée du lit et m’avait poussée dans le couloir.

« Mana… »

« Fais de ton mieux. »

Elle avait commencé à fermer la porte derrière moi. Je pouvais voir son sourire réservé. Il lui allait vraiment bien. Il était modeste, mais aussi implacable. Il n’y avait pas un soupçon de pitié derrière. Quelle était l’expression utilisée dans le monde de mon maître pour décrire cela ? Un lion qui jette son petit du haut d’une falaise ?

La porte s’était refermée avec un claquement définitif. J’étais restée immobile et hébétée dans le couloir vide pendant plusieurs secondes. J’avais baissé les yeux vers ma paume, où je tenais une pierre de traduction. J’avais appris à l’utiliser pour des occasions comme celle-ci.

Seul le minutage de cette opportunité m’avait prise au dépourvu. Tout ce dont j’avais besoin était déjà prêt. Par-dessus tout, je ne pouvais pas faire attendre mon maître. Ainsi, j’avais durci ma résolution et j’avais marché vers l’escalier.

 

 ◆ ◆

« Je suis désolée de t’avoir fait attendre. »

Après avoir descendu l’escalier, j’avais trouvé mon maître et Shiran qui m’attendaient. Les deux avaient manifestement tué le temps en parlant jusqu’à ce que j’arrive.

« Oh ? Rose, prête à partir ? » demanda mon maître avec un sourire troublé.

Était-il mécontent de devoir sortir seul avec moi ? J’étais un peu inquiète maintenant.

« Très bien, Takahiro. Je vais me retirer ici, » dit Shiran.

« Désolé de t’avoir gardée. »

« N’y pense pas. Faites attention à vous deux. »

Maintenant que j’étais arrivée, Shiran avait quitté l’auberge. Elle avait l’intention de se rendre directement à l’installation militaire qu’ils avaient visitée hier. Maintenant, j’étais seule avec mon maître.

« E-Euh, Maîttshre. »

Je m’étais mordu la langue dès le début. Enfin, pour être précise, je n’avais pas d’organes vocaux, donc c’était plutôt comme si j’avais perdu le contrôle de moi-même, mais c’était quelque chose de similaire. J’étais bien trop consciente de ce qui se passait.

J’avais calmé la tension en moi et m’étais corrigée. « Maître. Pardonne-moi. Cela t’ennuie-t-il d’aller en ville avec moi ? »

« Hm ? Oh. Pas du tout. C’est un peu différent de ce que nous avions prévu, donc je suis un peu confus, c’est tout… Maintenant que j’y pense, pourquoi t’excuses-tu ? » dit-il, puis sourit maladroitement. « On y va ? »

« Oui, » avais-je répondu en hochant rapidement la tête.

 

 ◆ ◆

La ville appelée Diospyro était le centre de distribution des marchandises dans l’est d’Aker. Des boutiques bordaient la rue principale, et de nombreuses personnes se promenaient. Je suivais mon maître à travers la foule, un pas derrière lui.

« Tu m’écoutes, Rose ? »

Je m’étais spontanément rappelé ce que Mana m’avait dit.

« Majima-senpai ne reconnaît pas ça comme un rendez-vous. D’abord, tu dois faire en sorte qu’il soit conscient de toi, même si c’est juste un peu. Pour ce faire… »

J’avais serré avec force ma main, maintenant couverte d’un long gant blanc. Il était temps. J’avais lentement tendu la main.

« Très bien, Rose, » dit mon maître en se retournant soudainement.

J’avais rapidement baissé ma main.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je répondu.

« Hein ? Je n’ai pas encore pris de petit-déjeuner, alors je pensais trouver un endroit pour manger… »

À ce moment-là, il s’était raidi. C’était comme s’il venait de réaliser quelque chose de grave.

« Y a-t-il un problème, Maître ? »

« Je n’appellerais pas vraiment ça un problème…, » il répondit avec un regard gêné. « Je pensais choisir un restaurant au hasard, mais tu ne peux pas manger, non ? »

« Je ne peux pas. »

Mon corps n’avait pas la fonction pour traiter la nourriture. Je l’avais envisagé, mais il y avait d’autres priorités, alors j’avais décidé de laisser ça pour plus tard.

« Il n’y a pas besoin de faire attention à moi, » avais-je dit. « Je peux attendre que tu aies fini de manger. »

« Entrer dans un restaurant ensemble et te demander de me servir est un peu… »

« N’est-il pas autorisé ? »

Maintenant que j’y pense, Mana m’avait dit qu’il était essentiel que nous fassions des choses ensemble pour que cette histoire de rendez-vous fonctionne. Mais mon maître et moi ne pouvions pas partager un repas. Est-ce que ça veut dire… que j’avais trébuché dès le départ ?

Oh non… Je venais juste de réaliser que je ne pouvais pas participer à un soi-disant rendez-vous déjeuner. Une option d’activité était jetée par la fenêtre avant même que nous ayons commencé. C’était un inconvénient majeur, non ? Étais-je une partenaire de rencontre défectueuse ? L’impact de cette possibilité m’avait laissée choquée. Quelle malchance ! Que devais-je faire ? Est-ce que c’était ça, « avoir envie de pleurer » ? Non pas que je puisse produire des larmes.

« Il n’y a pas de règle interdisant de faire ça dans un restaurant ou quoi que ce soit, » dit mon maître, incitant ma perception du temps à bouger à nouveau. « Je pensais juste que ce serait ennuyeux pour toi. De toute façon, je vais prendre quelque chose que je peux manger sur le pouce. D’après Shiran, il y a plusieurs échoppes qui servent ce genre de nourriture à un pâté de maisons de la rue principale. Allons-y. »

« Très bien. »

Mon maître avait tourné dans la rue principale, et je l’avais rapidement suivi. De toute évidence, j’avais tiré de mauvaises conclusions. Des pensées pessimistes avaient envahi ma tête. Ça ne marcherait pas. Bien que mon maître soit en partie responsable de cette situation.

Je veux dire, rien de ce que je pourrais faire avec lui ne pourrait être ennuyeux. Cependant, il ne l’avait pas vraiment compris. Néanmoins, son intérêt pour moi m’avait donné l’impression de flotter sur un nuage. C’était une chose si simple, et pourtant, avant même que je m’en rende compte, cette envie de pleurer avait complètement disparu.

***

Partie 2

Nous avions traversé une ruelle étroite et débouché sur une rue plus petite. Il y avait des lignes et des lignes d’étals serrés les uns contre les autres. Chacun vendait une variété de produits. Il y avait des pommes de terre tordues empilées comme des montagnes, des légumes de toutes les couleurs, de la viande enrobée de sauces juteuses, des vêtements d’occasion, des armes et des armures usées… C’était un peu étourdissant.

« D’accord, j’en ai pour une seconde. »

« Oh, Maître. Veux-tu bien attendre un moment. »

Je l’avais arrêté alors qu’il allait acheter quelque chose sur un étal au hasard.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-il.

« Pourrais-tu me permettre d’y aller à ta place ? »

« Ça ne me dérange pas vraiment, mais pourquoi le veux-tu ? » demanda-t-il, les yeux écarquillés.

« J’aimerais essayer d’utiliser ce truc d’argent. »

Mon maître avait froncé les sourcils.

« Je ne peux pas ? » avais-je demandé.

« Non, tu peux, » dit-il, en sortant un porte-monnaie de sa poche. « En fait, c’est plutôt une bonne idée. Vu ce qui t’attend, il vaut mieux que tu acquières cette expérience. Enfin, je dis ça, mais je n’ai pas l’habitude de gérer l’argent ici… Quoi qu’il en soit, je m’en remets à toi pour cette fois. »

« Merci beaucoup. J’en ai pour une minute. »

Il m’avait tendu le sac, et je m’étais dirigée vers une échoppe, sentant son regard dans mon dos. Je me tenais à l’arrière d’une longue file de personnes. C’était la première fois que je faisais la queue. J’avais jeté un coup d’œil derrière moi pendant que j’attendais et j’avais rencontré les yeux de mon maître. Il avait l’air un peu agité. Contrairement à ce qu’il voulait faire croire aux autres, il avait tendance à être plutôt surprotecteur.

Il était certainement prêt à m’aider si je rencontrais des difficultés, mais ce serait un peu pathétique de ma part. Heureusement, j’avais déjà étudié la valeur des devises, et j’avais donc réussi à terminer ma première tentative d’achat sans problème. J’étais retournée en trottinant aux côtés de mon maître.

« Voilà, Maître. »

« Merci. »

J’avais rendu le porte-monnaie avec la brioche à la vapeur que j’avais achetée. Il avait souri et j’avais fait de mon mieux pour le lui rendre, même si mon expression était encore maladroite. Nous avions continué à marcher pendant que mon maître mangeait.

« Est-ce que ça a bon goût ? » avais-je demandé.

« La texture est un peu particulière, je n’y suis pas vraiment habitué, mais ce n’est pas mauvais. Après ce mode de vie de survie, à peu près tout a bon goût. »

Le petit pain n’était pas si grand, et au fil de notre conversation, il était devenu beaucoup plus petit en un rien de temps.

« Les brioches à la vapeur ne sont généralement pas faites avec du pain. Ils utilisent de la viande durcie à l’intérieur d’un… Eh bien, je suppose que tu ne comprends pas ce que je dis, hein ? »

« J’ai déjà vu cette pâte dans ton repas d’hier soir à l’auberge. Cependant, il n’y avait pas de viande dedans. »

« Apparemment, ils utilisent principalement des pommes de terre ici. D’après Shiran, c’est l’aliment de base d’Aker. Si nous devons nous installer ici, je suppose que je vais devoir apprendre à les cuisiner. »

« Même si tu ne le fais pas, je pense que Lily et Mana seront proactives pour apprendre. Elles pourraient plutôt te dire de ne pas leur voler leur travail. »

« Tu as raison. Je ne suis pas de taille pour elles quand il s’agit de cuisiner, alors peut-être que c’est plus sûr de les laisser faire… »

Mon maître s’était tu pendant quelques secondes, plongé dans ses pensées.

« S’installer à Aker, hein… ? » murmura-t-il. « Que vas-tu faire, Rose ? »

« Que veux-tu dire ? »

« Veux-tu essayer d’ouvrir une boutique quelconque ? » dit-il, en regardant une échoppe avec de nombreux ustensiles en métal suspendus. « Cela pourrait être un peu difficile puisque les outils magiques en bois seront un peu voyants… mais avec tes compétences et un peu d’étude, je suis sûr que tu peux contourner cela dans une certaine mesure. Dans ce cas, tu pourrais envisager de faire quelque chose comme ça. »

Je n’avais pas répondu tout de suite. Je n’y avais jamais pensé auparavant. Alors, au lieu de répondre, j’avais posé ma propre question.

« Que comptes-tu faire, Maître ? »

« Hmm… Je n’y ai pas vraiment réfléchi, » dit-il en ralentissant le pas et en se concentrant sur ses pensées. « Même si je sais un peu mieux manier l’épée maintenant, je n’ai appris que pour me défendre. Ce serait bien si je pouvais gagner ma vie en cultivant un champ ou autre chose… »

Bien qu’il ait désiré une vie trop simple pour être un rêve d’avenir, sa voix sonnait comme une prière. Tant que nous, les serviteurs, l’accompagnions, il n’était pas certain qu’il puisse avoir un moyen de subsistance stable où que ce soit dans ce monde. Nous étions venus dans le pays de la commandante, mais les possibilités ici étaient à peine meilleures qu’ailleurs. Nous n’avions aucune garantie. Peut-être que tous les incidents chaotiques impliquant des visiteurs dérivaient dans l’esprit de mon maître. Ou peut-être ne pouvait-il pas rejeter tout ça. Bien qu’il n’ait pas la force anormale de beaucoup d’autres visiteurs, son mode de vie était ferme et inébranlable. C’était exactement la raison pour laquelle je pensais que je devais le protéger.

« Quand ce moment viendra…, » avais-je commencé à dire, parlant avant même de m’en rendre compte. « Quand ce moment viendra, permets-moi de t’aider avec le travail de terrain. »

Mon maître s’était tourné vers moi avec un regard déconcerté, puis avait éclaté en un sourire. « Oui… Peut-être que ça pourrait marcher. »

Nous savions tous deux qu’un tel avenir pouvait ne pas se réaliser. Néanmoins, nous avions ignoré les difficultés et les épreuves qui se dressaient sur notre chemin et nous avions simplement envisagé les possibilités. Il était sûrement nécessaire de passer le temps comme ça de temps en temps.

J’avais rendu le sourire de mon maître avec une courbure maladroite de mes lèvres. Même au milieu de la foule bruyante, on avait l’impression qu’un air de tranquillité nous enveloppait.

« Euh… Maître ? » avais-je dit. Pour l’instant, je me sentais capable de le faire. « Puis-je emprunter ta main ? »

« Hm ? Pour quoi faire ? »

Mon maître s’était arrêté et m’avait regardée avec curiosité, mais il avait tout de même tendu sa main droite immédiatement.

« Excuse-moi, » avais-je dit en lui prenant la main.

« Une poignée de main ? »

« Je l’ai mal fait. »

Quel était l’intérêt de le tenir avec ma main droite ? C’était difficile. Je devais me calmer. Je continuais à me persuader d’aller jusqu’au bout en lâchant sa main, puis en saisissant son bras.

« H-Hey, » mon maître avait bégayé, sa voix s’était légèrement voilée.

Je n’avais plus le courage de lui répondre. Je me blottissais contre lui, imitant ce que ma sœur aînée faisait toujours, bien que mes mouvements soient extrêmement raides et maladroits. C’était la mission que Mana m’avait confiée. J’étais envahie par un sentiment d’accomplissement.

« Rose… ? »

Ce n’était cependant pas mon objectif final.

« A-A-A-A-A… » J’avais bégayé.

« Ah ? »

« Es-tu… mécontent ? »

« Non. Pas du tout. Mais pourquoi tout d’un coup ? »

« Je suis ta garde aujourd’hui. Je dois faire la même chose que ma sœur fait toujours. »

Peut-être que je forçais un peu les choses, mais en me rappelant l’attitude de Gerbera, j’avais décidé de surmonter cette épreuve avec vigueur.

« On y va ? » avais-je dit.

Mon maître ne m’avait pas rejetée. Quand j’avais commencé à marcher, il avait suivi mon rythme. Nous faisions à nouveau partie de la foule en mouvement. Les choses avaient en quelque sorte réussi à se dérouler comme prévu. Cela dit, je ne savais pas quoi faire ensuite. Quand elle m’avait envoyée, Mana m’avait dit que mon maître ne reconnaissait pas ça comme un rendez-vous. Lier les bras comme ça était un moyen de lui faire comprendre que c’en était un.

Mais j’étais vraiment mal à l’aise. J’avais l’air humaine, mais mon corps n’était encore que celui d’une marionnette. Presque toutes les parties de mon corps étaient dures et froides. C’était douloureusement évident pour quiconque me touchait.

Avait-il conscience que j’étais une marionnette, ou un membre du sexe opposé ? Est-ce que cela avait eu l’effet inverse de ce que j’avais prévu ? J’avais regardé le visage de mon maître. Ses joues étaient… un peu rouges, peut-être. Était-ce un succès ? Je ne pouvais pas vraiment le dire.

« Hé, Rose ? » dit mon maître, un soupçon de perplexité dans la voix.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Est-ce que je suis trop dur ? Est-ce que ça fait mal ? »

J’avais baissé les yeux sur ma propre poitrine. En raison de la forme du corps féminin, lorsque l’on se tenait par le bras, les deux protubérances de la poitrine se pressaient contre l’autre personne. J’avais créé mon corps en prenant Mana comme référence, donc je n’avais pas les courbes notables que Lily ou Gerbera avaient. Pourtant, la carrure de Mana n’était pas non plus miteuse. Par conséquent, j’avais des seins de taille moyenne. Je suppose que ce serait douloureux d’avoir deux objets durs pressés contre son bras. J’avais essayé d’en tenir compte avant d’ajuster mes membres. J’avais jugé qu’il serait correct de les presser ainsi contre mon maître… mais peut-être n’avais-je pas été assez loin dans mon travail ?

« Pardonne-moi, » avais-je dit. « Je pensais les avoir préparés pour qu’ils ne causent aucune douleur. »

« Non, ça ne fait pas mal. Rien n’est dur. En fait, c’est doux… »

« Vraiment ? Merci mon Dieu. J’ai demandé de l’aide à Mana à ce sujet. »

« L’aide… de Katou ? »

« Oui, » avais-je répondu énergiquement.

C’était mon projet commun avec Mana. Ma vaillante amie avait tant fait pour notre bien. Elle n’aimait tout simplement pas revendiquer quelque chose comme étant sa propre réalisation, c’était donc une occasion précieuse pour moi d’informer mon maître de ses grands efforts. Même sans un tel prétexte, je trouvais véritablement amusant de parler de mon amie.

« Je ne savais pas quel genre de sensation ou de forme avaient les seins humains féminins, » avais-je poursuivi d’un ton vif. « J’avais besoin de les voir, de les toucher et de les étudier soigneusement. »

« Voir, toucher… »

Mon maître s’était arrêté.

« Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé avec curiosité.

« Non… C’est juste que… Je suis un mec, tu sais ? »

Qu’est-ce que le sexe a à voir avec tout cela ? Mon maître baissait la tête et utilisait sa main gauche libre pour se donner quelques coups durs sur le front. On aurait dit qu’il essayait de chasser les pensées oiseuses de son esprit, mais je n’étais pas sûre que ce soit le cas. Je ne comprenais pas les subtilités entre les hommes et les femmes.

Malgré mon manque de compréhension, j’y avais quand même réfléchi. Mana m’avait dit un jour que les femmes devaient être douces. Il me semblait qu’en tant qu’homme, mon maître n’avait pas été satisfait.

« Pardonne-moi, Maître. Je pensais avoir fait une réplique parfaite. Est-ce que quelque chose ne va pas avec eux ? »

« Ce n’est pas le problème. Il n’y a aucun problème. Attends… une réplique ? »

« Oui. Qu’en est-il ? »

« Je ne pense pas pouvoir regarder Katou en face quand nous reviendrons… »

Qu’est-ce que cela signifiait ? J’étais encore confuse sur beaucoup de choses, mais je n’avais pas eu l’occasion de demander des éclaircissements. Mon maître murmura d’un air hébété et leva la tête, puis son expression devint soudainement sinistre. L’atmosphère autour de nous avait immédiatement changé. Je m’étais également crispée.

« Oh ? »

Contrairement à notre réaction, la voix que nous avions entendue semblait légère et insouciante. Un jeune homme inconnu regardait dans notre direction. À côté de lui se trouvait le visiteur que nous avions rencontré à l’auberge l’autre jour, l’air terriblement mécontent de quelque chose.

***

Chapitre 9 : L’avenir de la marionnette ~ Point de vue de Rose ~

Partie 1

Le jeune homme qui marchait sur notre chemin avec le visiteur avait un comportement doux. Ses doux cheveux châtain clair et ses traits aimables complétaient ses manières douces. Cependant, son corps svelte était celui d’un combattant. Je pouvais voir ses muscles trempés sous l’unique couche de vêtements qu’il portait.

J’avais vu ce type de vêtement, un tissu drapé sur le torse qui se terminait par une gaine lâche, de temps en temps depuis que nous étions entrés dans Diospyro. C’était la tenue indigène du nord d’Aker, d’après Shiran. Une épée à un seul tranchant pendait à sa taille, et plusieurs décorations en bois ressemblant à une sorte de créature pendaient à son cou.

Pour une raison inconnue, au moment où nos regards s’étaient croisés, j’avais ressenti une étrange sensation. Ce n’était pas nécessairement inconfortable, mais c’était suffisamment fort pour que je ne puisse l’ignorer. Avant que je puisse comprendre ce que c’était, cependant, le jeune homme s’était tourné vers le garçon qui se tenait à côté de lui.

« Dis-moi, Aketora, n’est-ce pas le compatriote dont tu parlais hier ? »

« Comme si j’en avais quelque chose à foutre… »

Le garçon que nous avions rencontré à l’auberge l’autre jour, qui avait déjà une expression grincheuse, se renfrogna encore plus.

« Et voilà que tu recommences à agir d’une manière qui ne manquera pas de te faire plus d’ennemis, » répondit le jeune homme à la fois dans la réprobation et l’exaspération. Mais malgré son ton, ses manières restaient douces.

 

 

« N’étais-tu pas inquiet de ce que faisaient tes compatriotes ? » poursuit le jeune homme. « Pourquoi gaspiller une opportunité comme celle-ci ? »

Alors que le visiteur semblait ne rien vouloir faire avec nous, cet homme semblait plutôt intéressé. Il avait souri et avait suivi notre chemin. Je n’avais pas ressenti d’hostilité ni de malaise. Son comportement était en fait agréable. Mais j’étais toujours la garde de mon maître aujourd’hui. Quelle que soit l’attitude de cet homme, je devais rester vigilante.

Je restai collée à mon maître et glissai ma main dans une grande poche à l’intérieur de mon tablier. Mes doigts se posèrent sur la poignée de ma hache. Tant que j’étais aux côtés de mon maître, je devais rester armée. Cette poche fonctionnait comme un sac magique dans la mesure où sa capacité était étendue, je pouvais donc sortir mon arme à tout moment.

Ayant peut-être remarqué ma méfiance, l’homme s’était arrêté avant de s’approcher trop près.

« C’est un plaisir de vous rencontrer. Je m’appelle Thaddeus, » dit-il, puis il regarda calmement le garçon à côté de lui. « Celui qui a l’air grincheux ici, c’est Fukatsu Aketora. Je dois dire que je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un de son espèce dans ce pays. »

« Qu’est-ce que vous voulez ? » répondit prudemment mon maître. Il ne montrait pas ouvertement son mécontentement comme l’avait fait le visiteur — Fukatsu Aketora — mais il était tout de même sur ses gardes. Mais c’était une réaction normale lorsqu’un parfait inconnu vous interpelle en plein milieu de la ville.

D’un autre côté, Thaddeus était tout sourire. « Rien de grave, » répondit-il. « Je me demandais quel destin vous amenait, vous, une personne issue des mêmes terres lointaines qu’Aketora, ici en même temps que nous. Auriez-vous une minute pour discuter ? Oh, je vous en prie, soyez à l’aise. Je connais vos… circonstances, dans une certaine mesure. »

« Dans quelle mesure ? »

« Que vous êtes apparu dans la forêt ! Que vous possédez le pouvoir ! Que vous êtes venus en grand nombre, ce qui était auparavant impensable ! »

Thaddeus avait gardé ses mots un peu vagues, probablement au cas où quelqu’un nous aurait entendus. Pourtant, il était clair qu’il parlait de visiteurs venus de loin.

« De quoi voulez-vous parler ? » demanda mon maître.

« En clair, j’aimerais savoir ce que font les compatriotes d’Aketora. »

« Donc vous voulez juste des informations ? »

« Eh bien, ce n’est pas tout. » Thaddeus gloussa, un sourire rafraîchissant se répandant sur ses lèvres. « Je souhaiterais aussi simplement parler avec vous. Comme je l’ai déjà dit, une sorte de destin nous a réunis. Si possible, j’aimerais devenir ami avec vous. Heureusement, vous n’avez pas l’air d’être de mauvaises personnes. »

Il n’avait pas l’air de mentir, alors j’avais pensé que je pouvais lui parler. Cependant, c’était à mon maître de prendre cette décision. J’avais attendu de voir ce qu’il allait faire, mais il semblait hésiter. Il était curieux de savoir pourquoi un autre visiteur était ici à Aker. Et comme ils nous avaient abordés de manière si amicale, il n’y avait aucune raison de ne pas discuter avec eux.

« Alors, cela vous dérangerait-il de nous parler un peu ? » Thaddeus continua, sentant que mon maître n’était pas complètement opposé à l’idée. « Bien sûr, je ne vais pas enquêter sur votre situation. Si vous pouviez nous dire ce que vous êtes prêt à partager, ce serait un grand… »

Juste à ce moment-là, un rugissement irrité avait résonné dans la rue.

« Thaddeus ! »

« Aketora… »

L’air surpris, Thaddeus se tourna vers son compagnon.

« Laisse tomber, Thaddeus, » dit Fukatsu Aketora, attirant l’attention des gens autour de nous. « Il est inutile de s’impliquer avec eux. »

Il semblait ne pas nous aimer du tout. Il crachait pratiquement de l’hostilité dans notre direction. Il m’avait alors rapidement jeté un coup d’œil alors que je restais blottie contre mon maître.

« De toute façon, ce type est une ordure comme les autres. Traîner une bande de filles comme des trophées en est la preuve. »

« Insolent — » j’avais commencé, ma main se crispant autour de la poignée de ma hache par réflexe.

« Arrête, Rose. »

Même si ce Fukatsu Aketora le ridiculisait, mon maître m’avait empêchée de faire quoi que ce soit d’irréfléchi en me saisissant le bras, celui qui était encore enroulé autour du sien.

« Très bien… »

J’avais lâché ma hache. Bien qu’il soit imprudent de ma part de perdre mon sang-froid, j’agissais en tant que garde de mon maître, et je n’avais pas l’intention de me lancer dans la bataille poussée par mes seules émotions.

« Hmph. »

Fukatsu Aketora avait grogné et avait tourné les talons. Son attitude m’agaçait, mais je ne pouvais pas exposer mon maître au danger. J’étais restée là et l’avais regardé s’éloigner en silence. Une fois qu’il était parti, le brouhaha de la foule était revenu.

Thaddeus poussa un profond soupir. « Je suis vraiment désolé pour le comportement impoli d’Aketora. »

« C’est bon. Ça ne me dérange pas vraiment. »

Comme il l’avait dit, mon maître n’avait pas l’air particulièrement offensé. Il n’avait probablement pas apprécié que Fukatsu Aketora se moque de lui comme ça, mais il avait quand même fait preuve d’indifférence. Mon maître était parfois comme ça. Peut-être que ses expériences dans ce monde avaient façonné son caractère.

« Il m’a vu avec une de mes autres compagnes hier, une fille que l’aubergiste avait prise pour ma femme, » avait expliqué mon maître. « Ce n’était qu’un malentendu, mais maintenant il me voit me promener avec une autre fille. Je vois bien comment il pouvait avoir une mauvaise impression de moi. »

« Je suis vraiment désolé, » répondit Thaddeus. L’attitude indifférente de mon maître l’avait poussé à la culpabilité, et il avait l’air encore plus désolé qu’avant. « Aketora s’est lassé de l’attitude des autres visiteurs, alors il les a fuis. »

« Vraiment ? »

« Oui. C’est ce qu’il m’a dit, mais je n’aurais jamais pensé qu’il détesterait à ce point ses compatriotes. J’ai agi trop vite… »

Thaddeus n’en était probablement pas conscient, mais il nous avait appris de nouvelles informations intéressantes. Ce garçon était un tricheur, mais il ne faisait pas partie de l’équipe d’exploration pour le moment. Iino Yuna nous avait dit que certains des tricheurs du Fort d’Ebenus avaient quitté l’équipe d’exploration, alors peut-être était-il l’un d’eux.

« Je ne peux pas laisser Aketora tout seul, alors je vais prendre congé. Il n’a pas de pierre runique de traduction avec lui pour le moment, vous voyez. »

« D’accord. »

« Quel dommage, » ajouta Thaddeus avec un soupir. « Je voulais vraiment vous parler un peu plus. »

« Pourquoi faites-vous une fixation sur le fait de nous parler ? » demanda mon maître avec méfiance.

« Hm ? Oh, je vois. Je suppose que c’est un peu étrange, » répondit Thaddeus, l’air embarrassé comme s’il ne s’en rendait compte que maintenant. « Pour une raison inconnue, je n’ai pas l’impression que nous sommes faits pour être des étrangers. »

Mon maître n’avait pas répondu.

« Désolé de dire quelque chose de si étrange. Si le destin le permet, rencontrons-nous à nouveau. »

Même quand il s’était séparé, Thaddeus n’était rien d’autre que doux.

 

 ◆ ◆

Une fois que Thaddeus avait disparu dans le flot de la foule, je m’étais enfin détendue. Ces deux-là avaient vraiment laissé une sacrée impression. L’attitude de Fukatsu Aketora était une chose, mais Thaddeus avait aussi une aura particulière.

« Comme c’est étrange, » murmura mon maître.

Toujours accrochée à son bras, je m’étais tournée pour le regarder.

« Maître, es-tu également curieux de connaître cette personne, Thaddeus ? »

Il avait l’air perplexe. « Hm ? Non, je parle de la pierre runique de traduction. »

« La pierre runique de traduction… ? Qu’en est-il ? »

« À l’instant, Thaddeus a dit que Fukatsu n’en portait pas, non ? Cela implique que Thaddeus l’a. Je suis juste un peu accroché à ce détail. »

« Ce n’est pas si étrange que ça. Même dans notre groupe, Shiran et Kei ont toutes deux une pierre runique de traduction, non ? »

« C’est parce qu’elles étaient les seules à pouvoir les utiliser à l’époque. Mais maintenant, tu le peux aussi. »

« Oui, parce que j’ai appris à le faire. »

« C’est vrai, » répondit mon maître en hochant la tête. « Et il n’y a pas que toi. J’ai entendu dire que Katou est presque au niveau où elle peut en utiliser une. Avec le temps, les visiteurs peuvent apprendre à utiliser une pierre runique de traduction. Fukatsu devrait aussi savoir comment le faire. Je veux dire, il était tout seul hier. »

« Maintenant que tu le dis… »

Lorsque nous avions rencontré Fukatsu Aketora l’autre jour, Thaddeus n’était pas avec lui. Peut-être était-il dans leur chambre ou avait-il déjà quitté l’auberge. Quoi qu’il en soit, Fukatsu avait été en mesure de converser avec l’aubergiste. Cela signifie qu’il pouvait utiliser une pierre runique de traduction.

« S’il peut s’en servir, il serait plus logique qu’il le porte sur lui, » avais-je conclu. « Je suis surpris que tu aies réussi à le remarquer si rapidement. »

« J’ai dû faire attention à ne pas rester coincé tout seul en ville, après tout. Lorsque j’ai appris l’existence des pierres de traduction dans le Fort de Tilia, j’ai passé beaucoup de temps à me creuser la tête pour savoir comment communiquer à l’avenir. Comment pourrais-je apprendre à en utiliser une ? Et même avant cela, comment pourrais-je en obtenir une ? » Mon maître avait fait une pause, réalisant soudain quelque chose. « Attends… Comment en ont-ils obtenu une ? »

« Si je me souviens bien, les pierres runiques de traduction ne sont pas vraiment en circulation. »

« Oui. Ils ne sont normalement utilisés que pour communiquer avec les visiteurs, donc il n’y a pas de demande générale pour eux. La Sainte Église devrait tous les avoir puisque c’est leur travail de travailler avec les sauveurs. J’ai entendu dire que l’Empire en avait en réserve, car son territoire est si vaste qu’il est plus probable qu’il établisse le premier contact avec les visiteurs. Encore, ils ne sont que dans les installations militaires, et nous sommes à Aker. »

« Peut-être que Thaddeus est de l’Empire ? », avais-je suggéré.

« Dans ce cas, pourquoi serait-il habillé comme un autochtone akérien ? »

« C’est vrai… Peut-être est-il dans une position similaire à celle de Shiran et Kei ? »

« Eh bien, nous ne pouvons pas l’exclure. Notre situation n’est pas si différente de celle de Fukatsu. » Mon maître acquiesça, même s’il semblait encore avoir quelque chose en tête. « Il a probablement beaucoup de choses à faire. Il semble détester les visiteurs avec ferveur. Je suis sûr qu’il a vu des choses. »

Quelque chose avait dû arriver à Fukatsu, et ça n’avait pas pu être bon. Ou alors, il se pourrait que Fukatsu Aketora soit simplement une personne lunatique.

« Si tu es curieux, alors nous devrions aller les chercher et les sonder pour obtenir plus d’informations ? » Je l’avais suggéré.

J’étais réticente à l’idée de permettre à mon maître de continuer à interagir avec quelqu’un qui le méprisait à ce point, mais si c’était nécessaire, alors je devais le laisser faire. Cependant, mon maître avait rejeté ma suggestion presque immédiatement.

« Non, ne le faisons pas. Même si Thaddeus est amical, Fukatsu semble vraiment me détester. Il n’y a pas besoin de marcher sur la queue d’un tigre. »

« Un tigre ? Caresser le museau d’un dragon et marcher sur la queue d’un tigre. C’est un idiome de ton monde, n’est-ce pas ? »

« Hein, je suis surpris que tu sois au courant. Je ne connaissais pas la première partie avec le dragon. Est-ce Katou qui te l’a racontée ? »

« Oui. Je pense que Mana l’a entendu de Miho Mizushima. D’après Mana, c’était une grande lectrice… ou plutôt, une lectrice sans discernement. »

« Oh, vraiment ? Cela me rappelle que lorsque nous vivions dans les Terres forestières, Lily m’a appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas en utilisant les connaissances de Mizushima. »

***

Partie 2

Par respect pour les morts, il était difficile d’interroger Mana sur Miho Mizushima, aussi mon maître n’avait-il pas eu beaucoup d’occasions d’en savoir plus sur elle. Il n’avait aucune idée de ses hobbies.

« Je me demande pourquoi Mizushima connaissait la façon de vider le sang du gibier… » dit mon maître. « Je suppose que c’est la raison. »

Petite parenthèse, la raison pour laquelle la viande de monstre dont il s’était nourri dans les Terres forestières avait si mauvais goût était que Lily, ou plutôt Miho Mizushima, savait que le sang devait être drainé, mais n’avait aucune idée de la façon de le faire. Depuis, Shiran nous avait enseigné ce qu’était la rigidité cadavérique et ce qu’était la salaison de la viande pour lui donner une bonne saveur. Lorsqu’elle était correctement traitée, la viande de monstre était considérée comme un mets délicat dans les forteresses des Terres forestières.

« Nous nous sommes égarés, » déclara mon maître. « Eh bien, c’est l’essentiel. Nous ferions mieux de ne pas les pousser plus que ça. »

« Compris. »

« De plus, c’est une rare occasion pour moi de passer du temps seul avec toi. Ce serait du gâchis de perdre ça. »

Il avait ajouté cette dernière partie en plaisantant, probablement parce qu’il ne me voyait pas comme une femme. Pourtant, c’était un peu injuste de sa part de le dire si facilement.

« Nous devons nous amuser, » avait-il ajouté.

« Oui. »

J’étais tellement heureuse que j’avais peur de perdre ma concentration et que toute expression disparaisse de mon visage. Je devais me concentrer fortement pour garder le contrôle.

 

 ◆ ◆

Après avoir fait le tour des étals, nous étions retournés dans la rue principale bordée de boutiques. C’était la première fois que j’entrais dans un magasin. Non seulement c’était une nouvelle expérience de faire le tour des magasins d’articles généraux et d’armes, mais c’était aussi une excellente opportunité d’apprentissage pour moi en tant qu’artisan.

« Oh ! Maître ! On dirait qu’ils vendent des pierres runiques ici ! »

Combien de fois cela s’était-il produit maintenant ? Nous étions entrés dans un autre magasin, et j’avais vu des pierres runiques et des outils magiques sur les étagères. Cependant, ils ne vendaient pas d’outils magiques puissants pouvant être utilisés en combat. Ils avaient surtout des pierres runiques simples pour la vie de tous les jours et les outils magiques avec lesquels elles pouvaient être utilisées.

J’étais captivée par tout ce que je voyais. Dans le monde de mon maître, la production de masse était assurée par l’industrialisation mécanique, mais ici, la plupart des objets étaient fabriqués à la main. Rien qu’en regardant tout cela, j’avais l’impression que je pouvais améliorer mes compétences artisanales.

« Maître ! Là-bas —, » j’avais commencé à dire, en me retournant avec vigueur, quand j’avais rencontré les yeux de mon maître. « Oh… »

Ça n’avait pas l’air d’être une coïncidence. Il me regardait plus que les marchandises sur les étagères. Depuis combien de temps était-il comme ça ? Depuis que nous étions entrés dans le magasin ? Ou peut-être même avant ça ?

« P-Pardonne-moi, Maître. J’ai perdu mon sang-froid. »

Il m’avait vue m’emporter. Maintenant que j’y pense, j’étais complètement absorbée depuis un moment. Je me rappelle vaguement lui avoir tiré le bras et l’avoir traîné d’une boutique à l’autre. Mon corps s’était crispé d’embarras.

« Ne t’inquiète pas pour ça, » déclara mon maître en haussant les épaules. « Je m’amuse aussi. Je veux dire, nous n’avons jamais eu l’occasion de regarder tranquillement les magasins avant. Et puis… c’est amusant de te voir t’exciter comme une enfant, Rose. »

« S’il te plaît, ne dis pas de choses aussi étranges. »

Si mon corps était capable de rougir, j’aurais sûrement viré au rouge.

« Passons à la boutique suivante, » avais-je dit en tirant sur le bras de mon maître comme pour le distraire de mon comportement précédent.

« D’accord, mais donne-moi juste une seconde. Peux-tu m’attendre dehors ? »

« Hein ? Oui, bien sûr. »

« Je suis à toi tout de suite. »

J’avais fait ce qu’il m’avait dit et j’avais quitté le magasin. Mon maître était sorti peu après, et nous étions passés à la boutique suivante. Finalement, nous avions marché dans la ville jusqu’à ce que le soleil commence à se coucher.

« Je pense que nous devrions commencer à rentrer, » dit mon maître.

« Très bien. »

Notre sortie avait été à la fois amusante et bénéfique. Nous avions marché au milieu d’une grande foule et avions vu tant de nouveaux types d’outils. Nous avions également réussi à acheter plusieurs marchandises nécessaires à notre voyage, ainsi que quelques livres de ce monde pour Lily.

Nous étions sortis de la dernière boutique et avions décidé de retourner à l’auberge.

« Hein… ? » dit mon maître, confus.

« Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé.

« Je pensais avoir vu Shiran à l’instant. »

« Shiran ? Pardonne-moi, je n’ai rien remarqué. »

J’avais regardé dans la rue bondée, mais je n’avais pas pu repérer ses cheveux blonds et son armure blanche. Shiran était une servante unique, nous ne pouvions pas partager grand-chose par le biais du cheminement mental ou détecter l’emplacement de l’autre.

« Je me trompe peut-être, » dit mon maître. « Je n’ai eu qu’une impression. Elle ne devrait pas être ici, de toute façon. »

Pendant que nous faisions les boutiques, nous avions descendu la rue principale jusqu’à la limite de la ville. Nous pouvions même voir la solide porte en fer d’ici, menant à l’extérieur. Au milieu de l’agitation, les marchands entraient dans la ville en boitant, fatigués.

« Shiran se dirigeait vers cette installation militaire que tu as visitée hier, non ? » avais-je demandé.

« C’est ce qu’elle a dit. C’est plus proche du centre de la ville. »

« Il y a beaucoup de bâtiments le long des murs à des fins défensives. Peut-être qu’elle et l’homme qu’elle rencontrait avaient une raison de venir ici ? »

« Peut-être, peut-être pas. Je pourrais avoir juste vu des choses. »

Nous avions continué à marcher bras dessus bras dessous et à parler. J’étais très consciente de la présence de mon maître à mes côtés. Après avoir passé toute une journée comme ça, je m’étais habituée à être si proche de lui. Parmi mes émotions étourdissantes, je pouvais sentir quelque chose de chaud se répandre progressivement en moi. Malheureusement, je savais que cette journée allait finir par s’achever.

« Hum, Maître. Puis-je avoir un moment de ton temps ? »

Je m’étais arrêtée au moment où l’auberge était apparue. Le soleil couchant donnait à la ville une teinte rosée. J’avais fouillé dans la poche de mon tablier et donné ce qu’il y avait dedans.

« Qu’est-ce que c’est que ça… ? » demanda-t-il, l’air surpris.

Je lui avais donné une paire de bracelets noirs. Le design de chacune était légèrement différent. Le bracelet gauche avait des accents jaunes et bleus, tandis que le droit avait des accents rouges et verts.

Actuellement, mon maître gardait un bandage autour de son bras gauche pour cacher Asarina. Le bandage était fait à partir de fils de Gerbera, il offrait donc une assez bonne protection, mais il avait tout de même ses limites. Ces bracelets étaient quelque chose que j’avais imaginé au cours de mes diverses conversations avec Mikihiko.

« Pourrais-tu vérifier s’ils te vont ? » avais-je demandé.

« Bien sûr… Oui, ça colle parfaitement. »

Nous ne pouvions pas exposer Asarina au grand jour comme ça, alors pour l’instant, il avait placé le bracelet par-dessus son bandage. Mais même sans, le bracelet avait été conçu de telle manière qu’il couvre le dos de sa main.

« J’ai fait ces bracelets d’Asarina pour qu’Asarina puisse se déplacer librement. La partie sur le dos de ta main bouge, lui permettant de sauter à tout moment. Il y a d’autres astuces aussi, donc je te donnerai une explication complète de son fonctionnement plus tard. Et aussi, une dernière chose… »

J’avais remis la main dans la poche de mon tablier pour en sortir mon prochain cadeau.

« Une épée courte… ou je suppose, une dague ? » dit mon maître.

Même avec la poignée, elle ne mesurait que trois largeurs de main. Mon maître avait sorti la dague à moitié de son fourreau. L’éclat envoûtant de la lame semblait le captiver, stoppant net ses mouvements.

« C’est assez étonnant, » avait-il dit. « Est-ce que c’est peut-être encore mieux que ton épée en pseudoacier de Damas ? »

« Je peux dire en toute confiance que c’est la plus grande œuvre que j’ai jamais réalisée. Cependant, j’ai utilisé des matériaux spéciaux, je dois donc m’excuser pour sa longueur limitée. »

« Matériaux spéciaux ? As-tu utilisé une sorte d’arbre bizarre ? »

« Eh bien, quelque chose comme ça. »

J’essayais de faire cette dague depuis un moment. Je l’avais basée sur les conseils de Mana.

« Appelle là la dague rosette. »

Mana avait choisi le nom, et je n’avais aucune objection. Il n’y avait pas d’autre nom à lui donner. Je l’avais créé, et j’avais aussi fourni les matériaux. Mon corps était celui d’une marionnette. Il était fait de bois, et pouvait donc être utilisé pour mon art.

Mana avait suggéré l’idée. Comme toujours, elle avait trouvé un concept étonnant. Si mon corps pouvait protéger mon maître à tout moment comme ça, alors il n’y avait rien de plus que je pouvais souhaiter. J’avais subi de nombreux dommages, il y avait donc plusieurs pièces détachées que je pouvais utiliser comme matière première. La dague que tenait mon maître avait été fabriquée à partir des morceaux de ma moitié inférieure qui s’étaient brisés pendant l’attaque de Takaya Jun. Le matériau était difficile à travailler, et j’avais échoué plusieurs fois, mais le résultat final était le plus grand travail de ma vie.

« C’est insuffisant pour ton armement principal, mais je l’ai fabriqué dans l’espoir qu’il te protège. »

« Merci. Je le garderai précieusement, » déclara mon maître avant de me faire un sourire en coin. « Tu as une longueur d’avance sur moi ici. »

« Maître ? »

« J’ai aussi quelque chose à te donner. »

Il avait rangé la dague et avait enroulé ses deux mains autour des miennes. Quand il les avait retirées, un joli pendentif était resté dans ma paume. J’étais raide de choc.

« Est-ce que c’est… un pendentif magique ? » avais-je demandé.

« Pour commémorer le jour. Eh bien, ce n’est pas si grandiose. Cette pierre runique augmente ton endurance, au moins un peu. À Aker, on s’en sert apparemment pour décorer la lame d’un chevalier. L’effet est pratiquement inexistant, il s’agit donc plutôt d’un porte-bonheur. C’est un pendentif décoratif fait dans ce but. » Mon maître avait fait une pause, se grattant la joue. « Désolé. Je voulais t’acheter quelque chose de plus joli, mais il ne semble pas qu’ils vendent quelque chose de ce genre ici. Il semble un peu minable comparé à ton cadeau… »

« Pas du tout ! » Je m’étais exclamée en secouant la tête. Mes cheveux tressés se balançaient derrière moi. « Ce n’est pas vrai du tout. Je suis heureuse. Vraiment, vraiment heureuse… »

Était-ce vraiment normal qu’un tel bonheur m’arrive ? J’avais baissé les yeux sur le pendentif dans ma paume. C’était une gemme circulaire attachée à un cercle de ficelle. La gemme était rose garance et ressemblait à une cristallisation du soleil couchant d’aujourd’hui.

« Merci beaucoup ! »

J’avais tenu le pendentif près de mon cœur et j’avais chéri ce moment.

 

 ◆ ◆

Il y a une chose que j’avais comprise de cette expérience, je souhaitais vraiment ce qui venait après un câlin de mon maître. Je ne savais toujours pas ce que c’était exactement. Je ne savais même pas quel genre de relation je voulais avec lui.

Néanmoins, je ne voulais pas qu’aujourd’hui soit une chose unique. Pour cela, il fallait d’abord que mon maître me prenne dans ses bras. Je devais tout apprendre jusqu’à ce moment-là pour savoir ce qui allait suivre. Je devais me battre pour que ce jour arrive. J’avais l’impression que le pendentif rouge qui pendait sur ma poitrine me soutenait dans cette démarche.

 

 ◆ ◆

Deux jours plus tard, nous avions quitté Diospyro, une ville désormais bien ancrée dans mes souvenirs. Finalement, nous n’avions jamais su pourquoi Fukatsu Aketora et Thaddeus étaient là. Nous n’avions pas eu l’occasion de leur reparler. Thaddeus nous avait dit : « Si le destin le permet, nous nous reverrons. » Peut-être que cela signifiait qu’il n’y avait pas de destin entre nous. C’est ce que je croyais, en tout cas.

Quelques jours plus tard, cependant, ma perception allait changer. À partir de ce moment-là, nos chemins étaient destinés à se croiser. Notre première rencontre avait été une coïncidence, mais dans un certain sens, elle était inévitable. Avant que cela ne se produise, cependant, nous devions faire une autre rencontre inévitable.

C’était imprévisible… Enfin, pas vraiment. Nous avions été prévenus. Mais avec tout ce qui s’était passé depuis, nous avions simplement oublié. Non pas que s’en souvenir aurait changé quelque chose. Nous n’avions jamais pensé que l’avertissement impliquerait une telle chose, et nous n’aurions jamais pu imaginer que les choses se termineraient comme elles l’avaient fait.

Nous avions quitté la ville pour rejoindre les autres, ignorant totalement ce qui nous attendait.

***

Chapitre 10 : La soirée du renard et du loup, partie 1 ~ Point de vue d’Ayame ~

Je vais protéger tout le monde ! En pensant cela, je m’étais enfuie au milieu de la nuit. Suivant le clair de lune, j’avais couru à travers les nombreux buissons qui recouvraient la montagne.

Normalement, c’était l’heure de se coucher, mais j’avais déjà bien dormi plus tôt en étant sur le ventre de Gerbera. Tout était prêt. Je n’étais pas du tout fatiguée. Désolée, c’était un peu un mensonge. J’étais un peu fatiguée. Mais j’avais beaucoup d’énergie. Mon plan était parfait.

La raison pour laquelle je me faufilais dans la nuit était d’exposer les plans d’un certain méchant. Je reniflais l’air pour suivre ma proie. J’étais toute seule dans l’obscurité, mais ce n’était pas du tout effrayant. Désolée, c’était un autre mensonge.

Mon ennemi était énorme et terrifiant. Je veux dire, elle était énorme et avait deux têtes. Quand je l’avais vue l’autre jour, il y avait aussi toutes ces choses rampantes et frétillantes. C’était effrayant. Rien que de m’en souvenir, j’en tremblais.

Pourtant, je ne pouvais pas me cacher dans la peur. Je devais faire de mon mieux pour protéger tout le monde. J’étais la seule à pouvoir le faire. Mon maître n’était pas vraiment en garde contre elle. Lily et Gerbera avaient imité son comportement.

Allez ! Elle est dangereuse ! Elle fait peur ! J’avais laissé échapper un soupir indigné. Je le savais. Je me souvenais de la première fois que nous l’avions rencontrée. C’était à l’époque où je me cachais dans le ventre de Lily pour qu’on puisse aller dans un endroit ou un autre. Une tonne de monstres avaient attaqué, et je ne savais pas vraiment ce qui se passait, mais c’était un grand désastre. Et puis elle était arrivée.

Au moment où j’avais entendu un grognement, les personnes en métal étaient tombées sur le sol. J’avais essayé de protéger Kei, comme mon maître me l’avait demandé, mais je m’étais tout de suite fait gifler par une patte avant. Lily m’avait soignée, mais la douleur m’avait crispé la queue et les oreilles pendant un moment.

Elle est dangereuse ! J’étais la seule à le savoir. J’étais la seule à pouvoir protéger tout le monde. Cette pensée avait brûlé mon cœur. Je m’étais encouragée, en supprimant la terreur et les tremblements, et j’avais continué à courir dans la montagne.

Chaque nuit, elle s’égarait quelque part toute seule pour faire quelque chose. Elle ne préparait vraiment rien de bon. Je n’avais aucune idée de ce que c’était exactement, mais elle préparait manifestement une sorte de mal impensable. Je devais la démasquer.

Elle est proche… J’y suis presque. Je m’étais soigneusement faufilée à travers un buisson. Mon petit corps était idéal dans ces moments-là. C’était aussi pratique pour les caresses. Mon maître ne pourrait pas me transporter si je grossissais.

Attends. Non. Stop. Je dois me concentrer. D’accord ! Je m’assurai de ne pas me révéler par mon odeur et jetai un coup d’œil à la scène de l’autre côté du buisson. Et juste là se trouvait ma proie, la silhouette ensanglantée du méchant loup.

Un énorme monstre gisait sur le sol, le museau du loup fouillant dans son ventre. Je pouvais entendre le bruit des os qui se brisaient et des muscles qui se déchiraient. C’était si choquant que mon esprit s’était éteint. Je n’aurais probablement pas dû faire ça.

« Qui est là ? »

Une des têtes du loup s’était relevée et s’était tournée dans ma direction, entraînant des entrailles avec elle. La viande avait giclé, mouillant le sol de sang noir. J’avais haleté de peur, mon souffle étant aussi chaud que les flammes de l’enfer, tandis que l’odeur de la mort me submergeait.

Six yeux brûlants me fixaient. Je les avais tous rencontrés… et j’avais compris que c’était ici que j’allais mourir.

« Tu es… »

Elle avait essayé de dire quelque chose, mais je n’avais rien entendu. J’avais seulement entendu des bruits à mes pieds, et ensuite toutes mes forces avaient quitté mon corps.

« Kuu… »

Tout était devenu noir.

 

 ◆ ◆

J’avais l’impression d’avoir fait un mauvais rêve. J’avais ouvert les yeux, et j’avais immédiatement réalisé que quelque chose n’allait pas. Je ne pouvais pas sentir les autres personnes à proximité. Quelque chose s’était-il produit ? J’avais essayé de me souvenir, quand une voix m’avait soudainement appelée.

« Tu es réveillée. »

Elle était juste à côté de moi — le loup gris à deux têtes, Berta. J’avais glapi, manquant de m’évanouir une seconde fois. Une tête de loup géante était assez proche pour me dévorer à la moindre extension du cou.

Effrayant ! Tellement, tellement effrayant ! Ma queue s’était enroulée entre mes pattes. J’avais échoué. Je ne pouvais pas la battre toute seule. Je savais que je devais rester invisible. J’allais mourir maintenant. Elle allait me manger. Si je suis mangée, je ne pourrais plus voir personne. Je ne voulais pas ça.

Maître… Gerbera… J’avais laissé échapper un gémissement en voyant leurs deux visages me revenir à l’esprit, mais ils n’étaient pas là avec moi. Je me sens seule… J’ai peur…

« Si tu es debout, alors retournes-y. »

Berta avait dit quelque chose en me regardant trembler sur le sol.

Je vais être mangée… Nooon… Attends. Quoi ?

« Vas-y. Cette grosse araignée va encore s’inquiéter si elle le remarque. »

« Hein… ? » J’avais marmonné. Avais-je mal entendu ? « Ne vas-tu pas me tuer ? »

« Pourquoi diable voudrais-je tuer des individus comme toi ? »

Uuuh ? Hm ? C’est différent de ce que j’attendais ?

« Pourquoi pas ? » avais-je demandé.

« Je viens de te le dire. Je n’ai aucune raison de le faire. »

Hmm ? J’avais penché la tête et Berta m’avait regardée d’un air exaspéré.

« Pourquoi as-tu fait tout ce chemin pour me poursuivre si tu as si peur que tu t’es mouillée ? »

« J-Je n’ai pas fait pipi ! »

Quelle grossièreté ! J’avais commencé à grogner en signe de défi. Berta ne semblait pas vraiment s’en soucier.

« Tu l’as fait. C’est la deuxième fois. Te souviens-tu de la première fois ? Après la bataille contre la Bête folle, je suis sorti pour vous rencontrer tous, et tu as glapi, tu t’es mouillée et tu t’es évanouie. »

« T-T-T-Tu as tort ! »

Pourquoi dire une telle chose ? J’ai finalement, ENFIN ! OUBLIÉ ! À cause de cela, tous mes souvenirs de l’époque avaient disparu. Le matin venu, je m’étais retrouvée allongée dans les bras de Kei, avec Lily et Gerbera à proximité. C’était une terrible défaite, alors j’avais essayé de l’effacer de mon esprit. Et pourtant ! Et pourtant… ! Hnnnngh ! Je m’étais levée d’un bond et j’avais fixé Berta.

« Plus important encore ! Tu t’es faufilé dehors la nuit et tu as fait quelque chose ! Tu ne peux pas changer de sujet sur moi ! »

« C’est toi qui essaies de changer ce foutu sujet…, » répondit Berta, exaspérée comme jamais et tournant la tête. « Peu importe. J’allais juste chercher à manger. »

Elle n’avait pas l’air de paniquer. C’était comme si elle disait simplement la vérité.

« À manger… ? »

Je m’étais tournée pour regarder dans la même direction, repérant le monstre mort à moitié mangé. Je n’avais pas réalisé à cause du choc de tout à l’heure. C’est un type de monstre que nous avions commencé à voir une fois que nous étions entrés dans ces montagnes. Si je me souviens bien…

« Cette chose que mon maître appelle une petite salamandre ? »

« Hmm. En as-tu déjà vu une ? »

« Mhm. Gerbera lui a donné un grand coup avec ses fils, et il a fait vlan ! »

« Tu fais paraître ça tellement simple. Ce n’est pas un monstre faible. Au moins, il est parmi les plus forts des montagnes de Kitrus. » Berta avait fait une pause pour secouer une de ses têtes. « Je suppose que du point de vue de cette araignée, tous les monstres des montagnes sont les mêmes. »

Hm ? Est-ce qu’elle vient de faire l’éloge de Gerbera ? Elle l’a fait, non ? Eheh heh… Oui, Gerbera est incroyable. Eheh heh… Elle pouvait être un peu négligente, mais j’étais très fière qu’elle soit ma grande sœur. Berta était libre de l’encenser jusqu’à la lune.

« Ah, attends, » avais-je dit, reprenant soudainement mes esprits, « nous parlons de tes plans diaboliques ici ! »

Elle avait presque réussi à me tromper là.

« Et je te dis qu’il n’y a rien de ce genre. »

Tu ne peux pas me tromper ! lui dis-je en la regardant fixement. Berta avait rétréci ses yeux et m’avait regardée.

« Hmm, je vois. Je suppose que c’est de ma faute. »

« Hwuh ? A- Alors, tu fais vraiment quelque chose. »

« Non. Je pense à la façon dont je t’ai blessée lors d’une attaque-surprise. C’est normal que tu te méfies de moi. »

« Euh ? »

« Tout d’abord, je crois qu’il est approprié de te présenter des excuses concernant cet incident. Heureusement, les relations entre mon roi et le tien se sont apaisées, pour l’instant. Il est préférable de s’excuser quand on en a l’occasion. »

La queue de Berta s’agita négligemment dans l’air.

« Je suis désolée de t’avoir fait du mal, » continua-t-elle. « C’était inévitable, vu que c’était un ordre de mon roi, mais je m’en veux. S’il te plaît, pardonne-moi. »

Est-ce qu’elle vient vraiment de s’excuser ? S’est-elle vraiment sentie désolée ? Je continuais à la regarder fixement, mais elle ne faisait rien d’autre que de me retourner lentement le regard.

Hmm… C’est vrai ? En fait, elle a l’air un peu seule ? Elle n’aime pas blesser les gens ? Elle n’aime pas être détestée ? C’est ce que j’avais ressenti. Alors, que devais-je faire ? Que ferait mon maître ?

Mrrgh ! Je déteste penser à des choses compliquées !

« Si tu es vraiment désolée, je te pardonnerai, » avais-je dit.

« Merci. »

Elle l’avait dit doucement, mais elle avait l’air un peu heureuse. J’avais aussi remué ma queue, moi aussi un peu heureuse.

« Mais dans ce cas, qu’est-ce que tu fais ici ? » avais-je demandé.

« Je te l’ai déjà dit. Je suis en train de prendre un repas. Je chasse, pour ainsi dire. »

« Je peux le dire en regardant ça, » j’avais jeté un rapide coup d’œil à la petite salamandre morte. « Mais tu disparais chaque nuit, n’est-ce pas ? Chasses-tu toujours la nuit ? »

Berta était un mauvais monstre. C’est ce que j’avais pensé, mais la raison pour laquelle j’avais douté d’elle était que sa disparition nocturne était suspecte. Je ne doutais plus d’elle, mais j’avais encore des questions.

« As-tu si faim que ça ? Le dîner ne suffit-il pas ? »

« Ce n’est pas ça. »

« Alors pourquoi ? »

Berta avait un peu réfléchi, puis elle avait dit. « Pour devenir plus forte. » C’était une réponse simple, et elle l’avait dit avec sérieux. « Mon roi a découvert la loi qui consiste à tuer les êtres qui possèdent du mana et à les manger pour obtenir encore plus de mana… C’est le chemin le plus rapide pour devenir plus fort. En tant que pion de mon roi, je dois devenir plus forte. »

« Est-ce pour ça que tu vas à la chasse tous les soirs ? »

« C’est exact. »

Je vois. Elle est toujours avec nous pendant la journée, donc elle ne peut pas aller à la chasse, hein ?

« Ai-je dissipé tes soupçons ? » avait-elle demandé.

« Oui. »

« C’est bien, » avait-elle dit. Le soulagement dans sa voix ne ressemblait pas à un mensonge. « Alors, retournes-y. Cette inquiétante araignée va être furieuse à ce rythme. »

« Hm. D’accord. »

« Oh, attends un moment. Je vais te ramener. C’est très dangereux de rester seul. »

Berta s’était levée du sol.

Mrrgh. Me traitait-elle comme un enfant ? Tout le monde me traitait comme une enfant. Même Gerbera. Je peux aussi me battre ! Uhhh… cependant, je suis la plus faible des serviteurs de mon maître…

« Laisse-moi une minute pour nettoyer tout ça, » dit Berta, en retournant vers le monstre mort.

« Attends. » Je l’avais appelée pour qu’elle s’arrête avant de se remettre au travail. « Hé, Berta ? Puis-je aussi en manger ? »

« Hm ? As-tu faim ? »

« Hmm, pas vraiment ? »

« Alors, pourquoi ? »

« Je pense que je veux aussi devenir plus forte. Manger des monstres me rendra plus forte, non ? Je veux aussi être utile à mon maître. »

« Je vois. » On aurait dit que les yeux de Berta étaient devenus un peu plus doux. « Très bien. Fais comme tu veux. »

« Vraiment !? »

Hourra ! J’avais remué ma grande queue duveteuse en signe de remerciement. Peut-être que Berta était un monstre vraiment gentil. Je ne suis pas attirée par la nourriture, d’accord !?

Je veux dire, même si elle me traitait comme une enfant, elle disait qu’elle me reprendrait comme si c’était la chose la plus évidente à faire. Maintenant que j’y pense, j’avais entendu dire que Berta obéissait absolument à son maître. Peut-être qu’il y avait des moments où elle devait faire des choses qu’elle ne voulait pas faire. Dans ce cas, peut-être que la Berta qui m’avait blessée n’était pas la vraie Berta.

Alors, comment était la vraie Berta ? Ma curiosité à son sujet avait commencé à faire des bulles. J’étais un monstre de curiosité par nature. Si je voyais quelque chose de pétillant devant moi, j’étais du genre à sauter dedans avant de penser à autre chose. J’avais totalement peur d’elle avant ça, alors je ne lui avais jamais parlé. Maintenant que je l’avais fait, j’étais curieuse.

« Hé, Berta ? »

« Quoi ? » Berta avait répondu sans ménagement, mais je ne la trouvais plus effrayante. « Va manger. »

On avait continué à parler tout en mangeant le monstre mort. « Berta, tu es devenue plus forte en tuant et en mangeant, non ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Est-ce ainsi que tu as obtenu cette forme que j’ai vue ? »

Je pensais qu’elle allait détourner ma question, mais Berta avait tourné une de ses têtes vers moi.

« Alors tu m’as vue. »

« Eh bien, je suppose que oui ? »

J’avais penché la tête sur le côté. Par « cette forme », je voulais dire ce que j’avais vu juste avant de perdre conscience. Malgré l’évanouissement, mes souvenirs étaient encore intacts. Lorsque j’avais aperçu Berta à travers les buissons, six yeux s’étaient tournés vers moi. Berta n’avait pas qu’une seule tête de loup, ce qui signifie qu’elle n’avait pas que deux yeux. Mais avec deux têtes, elle aurait dû avoir quatre yeux. Dans ce cas, les deux autres étaient…

« Si tu l’as déjà vu, je suppose que ce n’est pas la peine de rester ainsi plus longtemps, » murmura Berta.

Son dos avait fait un bruit étonnant. Une sorte de tige blanche couverte d’une substance gluante avait traversé sa fourrure. Tendue vers le ciel, elle ressemblait à un bras humain.

***

Chapitre 11 : La soirée du renard et du loup, partie 2 ~ Point de vue d’Ayame ~

Partie 1

Des fluides corporels avaient giclé. Quelque chose ressemblant à un bras humain avait jailli du dos de Berta. Je m’étais demandé si ça faisait mal, car un autre bras avait jailli. Les deux bras avaient saisi les poils gris du loup, et s’élevant avec un plouf comme s’il brisait la surface d’un lac, il y avait… le haut du corps d’une fille humaine.

« C’est vraiment plus confortable comme ça, » murmura-t-elle en se tournant vers moi.

J’avais vu cette forme plus tôt. Si je ne l’avais pas vue, j’aurais été complètement abasourdie. Jusqu’à présent, Berta était un grand loup avec des tentacules sortant de sa taille. Maintenant, elle ressemblait plus à une fille qui s’était transformée en monstre avec le bas du corps d’un loup avec des tentacules.

Je suppose qu’elle est un peu comme Gerbera, non ? Cela m’avait donné un peu d’affection pour elle. Ses cheveux noirs mouillés pendaient librement sur son visage sans expression alors qu’elle tournait vers moi ses yeux. Ses pupilles claires et bronzées étaient vraiment jolies. Elle avait probablement à peu près le même âge que mon maître et les autres. Les traits de son visage ressemblaient plus aux siens qu’à ceux de Shiran. Cela la rendait un peu différente de Gerbera.

« Est-ce ta vraie forme, Berta ? » avais-je demandé.

« Oui. Mon roi m’appelle Scylla, » répondit-elle calmement.

Malgré son comportement, mes moustaches picotaient. Quelque chose en moi avait très peur. Elle n’était probablement pas au niveau de Gerbera ou de Lily, mais je pouvais deviner qu’elle était très forte. Si je l’avais vue comme ça avant de lui parler aujourd’hui, j’aurais probablement frissonné sans arrêt. Mais maintenant, je savais que Berta n’était pas un mauvais monstre, alors il n’y avait pas de raison d’avoir peur.

« Tu es plus courageuse que je ne le pensais », avait dit Berta avec une légère admiration alors que je la regardais fixement.

« Que veux-tu dire ? »

« Ce n’est pas grave si tu ne comprends pas. » Elle secoua légèrement la tête, ses tentacules gluants s’agitant et accompagnant ses mouvements. « Plus important encore, tu as arrêté de manger. »

Ah, oui. C’est l’heure du repas.

« Il y a un peu de brume dans l’air. Ce n’est pas un obstacle pour nous étant donné nos nez, mais c’est quand même dangereux si notre vision est gênée. Mange vite. »

Comme Berta l’avait dit, un flou blanc commençait à couvrir notre environnement. Il y avait beaucoup de nuages dans le ciel aujourd’hui. Je pouvais revenir en utilisant mon nez, mais c’était un peu risqué si je ne pouvais pas voir. J’avais décidé de me concentrer sur le repas en face de moi.

Les têtes de loup de Berta s’étaient également remises à manger. De temps en temps, elle utilisait ses mains d’humaine pour retirer quelques peaux inutiles. Comme c’est bien… Ça a l’air super pratique. Les pattes n’étaient pas vraiment utiles pour ce genre de choses.

« Hé, hé, Berta ? »

Une fois que j’avais commencé à me sentir rassasiée, j’avais recommencé à parler à Berta. Elle avait l’air de pouvoir encore manger beaucoup, vu qu’elle était beaucoup plus grosse que moi, alors j’avais pensé que nous pourrions discuter en attendant.

« Tu as mangé beaucoup pour devenir plus fort, non ? »

« Oui. Ce n’est pas tout, bien sûr. »

« As-tu acquis cette forme en devenant plus forte ? »

« Oui. »

« Alors ! Alors ! Puis-je aussi devenir comme toi aussi !? »

Sa tête de loup était restée concentrée sur le repas tandis que sa moitié humaine s’était tournée vers moi.

« Veux-tu devenir comme moi ? » avait-elle demandé.

« Ouaip. Je pensais que ça rendrait peut-être mon maître heureux. »

« Heureux… ? » dit Berta en plissant les yeux. « Pourquoi ton roi serait-il heureux si tu devenais comme moi ? »

« Hmm… Si nous devenons de jolies filles, notre maître sera heureux, apparemment. »

J’avais entendu cela il y a quelque temps, alors que je me reposais sur les genoux de Mana et que je l’écoutais parler avec Rose. J’étais à moitié endormie à ce moment-là, alors je ne connaissais pas vraiment tous les détails, mais je me souvenais de quelque chose de ce genre.

« Hmm… Alors ce genre de roi existe, » murmura Berta.

Je pouvais à peine l’entendre. Elle devait se parler à elle-même. J’avais penché la tête avec curiosité. D’après la façon dont sa queue s’affaissait et se balançait, on aurait dit qu’elle était envieuse, mais cela n’avait duré qu’une seconde.

« Ton roi n’est-il pas un humain ? S’accommoderait-il d’une forme aussi maudite que la mienne ? »

« Il le ferait. »

J’étais sûre que ça ne le dérangerait pas. Ce serait bien si je pouvais devenir comme Lily, mais me transformer en quelque chose comme Berta ferait aussi l’affaire. Je savais que Gerbera, qui avait aussi la moitié inférieure d’un monstre, s’entendait bien avec notre maître ces derniers temps.

« Je suis sûre que ça le surprendrait. Est-ce que c’est possible que je puisse faire ça ? »

« Hmm. Je me demande… »

Berta avait sombré dans la réflexion. Elle avait gémi alors que son expression était sombre. En la voyant comme ça, j’avais trouvé que même si elle ressemblait à Gerbera, sa personnalité était plus proche de celle de Rose. Elle était super sérieuse. Je pouvais dire en la regardant qu’elle y réfléchissait beaucoup. Cependant, ses têtes de loup continuaient à manger.

Le bruit de la mastication avait duré un moment, jusqu’à ce qu’elle dise. « Il serait inutile de faire exactement la même chose que moi. Cette forme est caractéristique pour moi. »

« Oh… »

Quelle tristesse ! Les choses n’allaient pas se passer comme je l’avais espérée.

« Mais… J’ai combattu de nombreux monstres et mangé leurs cadavres. Parmi eux, il y avait ceux qui pouvaient transformer leur corps en utilisant la magie de mirage pour falsifier leurs formes. »

« Comme un sosie ? »

« Oui. Ce serait un exemple. La capacité caractéristique d’un sosie est puissante et permet de se transformer en tout ce qu’il a vu. Il existe également des monstres qui ne peuvent se transformer qu’en une seule forme spécifique. Par exemple, ceux qui transforment une petite partie de leur corps en métal, se font pousser des ailes ou modifient leur structure squelettique. Parmi eux, il y a ceux qui peuvent prendre une forme humaine. »

« Une forme spécifique… Est-ce comme ça que fonctionne ta capacité ? »

« C’est le cas. Transformer son corps est une spécialité assez unique. Sinon… C’est vrai. J’ai vu d’autres monstres de type renard utiliser la magie de l’illusion. Avec de l’entraînement, il est possible que tu puisses faire quelque chose de similaire à ta manière. »

« Vraiment !? »

« Oui. Que dirais-tu de faire un essai ? »

« Ouais ! »

J’avais sauté en l’air et remué ma queue duveteuse. C’était excitant ! Mon maître serait-il choqué si je ressemblais à un humain ?

D’accord ! Il est temps de tout donner !

 

 ◆ ◆

« Tu n’as aucun talent… »

« Noooonnn ! »

Après avoir terminé son repas, Berta m’avait donné son avis. Mes oreilles et ma queue s’étaient dressées sous le choc.

« Ça veut-il dire que je ne pourrais pas l’utiliser du tout ? »

« Non. Ton mana se déplace un peu. Il ne semble pas que tu sois née sans en avoir la capacité. »

Berta avait continué à m’aider pendant qu’elle mangeait. Elle m’avait parlé des capacités de toutes sortes de monstres qu’elle avait combattus, et elle m’avait regardée essayer les choses qu’elle avait mentionnées et m’avait apprises si j’avais un don pour cela. Nous avions exclu les options qui semblaient sans espoir, pour arriver à la conclusion que je pourrais peut-être transformer une partie de mon corps. C’est alors qu’elle m’avait dit que je n’avais aucun talent.

« Ce n’est pas que tu sois incapable de te transformer, » continua-t-elle. « Ton flux de mana est juste trop faible. »

« Donc je n’ai aucun talent ? Oh, bien…, » cela avait du sens. Ma queue était toute frétillante maintenant. « Je n’ai aucun talent. Je suis la plus faible des serviteurs de mon maître… »

« Il n’y a pas lieu de déprimer, » dit Berta, d’une voix un peu plus douce qu’auparavant. « D’ailleurs, la faiblesse n’a rien à voir avec tout ça. C’est dommage que tu n’aies pas pu atteindre ton but, mais ne te méprends pas. Nous n’avons parlé que de transformation et d’illusion. Ce n’est pas forcément le cas pour tout le reste. »

« Tu le penses ? Mais je suis vraiment faible, tu sais ? »

« Pour l’instant, tu l’es. Tu n’as pas vécu très longtemps, donc tu n’as pas encore assez de mana. Avec le temps, tu vas sûrement gagner en puissance et surpasser cette satanée araignée. »

« Hwuh !? »

Ma queue tombante s’était soudainement redressée.

***

Partie 2

« Pourquoi es-tu si surprise ? Par exemple, le pouvoir de mon roi est de faire des autres ses pions. Mais il ne peut pas soumettre ce qui a un esprit trop fort pour qu’il le domine. Ce ne sont que des exceptions. En d’autres termes, il peut dominer toute chose sans volonté, quelle que soit sa force. »

Berta s’était arrêtée là, comme si elle se souvenait de quelque chose.

« Le pouvoir de ton roi est à l’opposé. Sa capacité fait de tout monstre assez fort pour posséder une volonté son serviteur. Tu as rempli cette condition malgré ton jeune âge, cela signifie donc que tu dois avoir l’étoffe d’un puissant monstre. »

« U-Uhhh ? »

Ça devenait trop compliqué pour moi. Je voyais bien qu’elle me félicitait, mais je ne comprenais pas la plupart de ce qu’elle disait.

« Malgré ton jeune âge, tu as déjà vu un bon nombre de carnages. Être liée à ton roi à ton âge a probablement eu une influence positive sur ta croissance. S’il y a quelqu’un qui peut surpasser ton potentiel… Je suppose que ce parasite dans le bras de ton roi est à peu près le seul. »

« Asarina ? »

« Oui. C’est à cause du sol unique dans lequel ce parasite se développe. Cette chose est fondamentalement un être miraculeux. »

Oh. Je ne comprends pas, mais Asarina est incroyable… Eh bien, mon cerveau était pratiquement à bout de souffle à ce stade. Berta n’avait aucun moyen de le savoir, bien sûr, alors elle avait continué à expliquer.

« Cependant, un tel lieu de naissance a aussi ses limites. Tant que le sol est faible, le talent du parasite ne s’épanouira pas. Les monstres de type plante ont généralement une aptitude pour la magie de charme, donc il pourrait être possible pour… Hm ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Prise de vertige, j’avais gémi, et Berta avait arrêté son explication.

« Oh, désolée. Était-ce un peu trop compliqué pour toi ? » demanda Berta avec un sourire crispé. « Dans tous les cas, je suis sûre que tu seras un jour capable de te transformer. Même si tu ne te spécialises pas dans ce domaine, tu as le potentiel pour au moins l’accomplir. »

Le ton qu’elle avait employé à la fin était celui d’un professeur. Honnêtement, je n’avais toujours pas compris la moitié de ce qu’elle disait. En bref, je devais juste faire de mon mieux, non ? Dans ce cas, c’était simple.

« D’accord, » avais-je déclaré, en levant mon museau en l’air.

« Je suis sûre que cela prendra beaucoup de temps, mais continue à t’efforcer de t’améliorer. »

« Je me demande si mon maître sera heureux. »

Les pensées sur l’avenir avaient fait danser mon cœur. Le simple fait de l’imaginer me faisait remuer la queue. Le futur avait l’air si amusant. Je ne pouvais pas attendre ! Berta avait dit que cela prendrait beaucoup de temps, mais combien de temps voulait-elle dire exactement ? Un jour ? Deux jours ? Peut-être trois ? Hmm… Qu’y a-t-il après trois ? Je ne sais pas vraiment. Peut-être que ça prendrait encore plus de temps ?

« Hé, hé, Berta ? Puis-je te demander quelque chose ? Hein ? Berta ? »

Je l’avais appelée joyeusement, puis j’avais penché la tête. Berta semblait dans les vapes. Elle ne réagissait pas à ma voix.

Remarquant la curiosité dans mes yeux, elle avait finalement cligné des yeux et repris ses esprits.

« Oh, désolé. Il semble que je me sois assoupi. »

« Quelque chose ne va pas ? » avais-je demandé d’un ton inquiet.

« Non. Ce n’est rien de grave, » répondit Berta en secouant sa tête d’humaine. « Je trouve juste ton roi mystérieux de se réjouir de vous voir tous vous transformer en humains. »

« Mystérieux ? Pourquoi ? »

J’avais laissé échapper un gémissement curieux, et Berta avait répondu avec diligence, malgré sa propre hésitation.

« Mon roi n’aime pas cette forme…, » dit-elle en mettant la main sur sa poitrine nue. « Je pensais que c’était normal. C’est pourquoi j’ai été surprise quand tu as dit que ton roi était différent. »

« Hmm ? Est-ce que c’est… ? C’est bizarre. »

J’avais à nouveau hoché la tête. Berta était, en fait, plutôt effrayante, mais je ne pensais pas que c’était une raison pour la détester. Chacun son truc… Je suppose…

« Uhh… Donc… tu as caché cette forme parce que… »

« Oui. C’était un ordre de mon roi, » dit Berta en hochant la tête. « Cela dit, moi-même, je n’aime pas vraiment cette forme. »

« Hein ? Vraiment ? »

Je l’avais regardée avec étonnement. Berta avait dit qu’elle avait obtenu cette forme en devenant plus forte. Si c’était le cas, elle aurait dû en être fière. Mais ce n’était pas le cas, apparemment.

« Chaque fois que je me regarde comme ça, je me souviens de mon passé, » dit Berta, en baissant les yeux sur sa main à cinq doigts. Il y avait quelque chose qui se balançait au fond de ses yeux bronzés. « C’est un souvenir d’échec, avant que je n’aie un nom. Je suis remplie de regrets chaque fois que je m’en souviens. Pourquoi n’ai-je pas pu être Anton ? Pourquoi suis-je Berta ? Je sais que le regretter ne veut rien dire à ce stade… »

Elle parlait surtout à elle-même. Je n’avais pas compris grand-chose. Anton était Anton. Berta était Berta. Berta ne pouvait pas être Anton, et Anton ne pouvait pas être Berta. Ça n’avait pas de sens de regretter ça.

Ses paroles avaient-elles un autre sens ? Je ne savais même pas pourquoi elle se rappelait le passé quand elle se voyait ainsi. Je ne savais rien. Je ne pouvais rien dire pour la réconforter.

Tout ce que je savais, c’est que quand je l’écoutais… j’avais mal à la poitrine. Berta regrettait vraiment quelque chose du fond de son cœur. Ça, même moi je pouvais le comprendre. Je ne pouvais pas la consoler à cause de mon ignorance, mais j’avais quand même mal. Alors je n’avais rien dit. Je m’étais approchée d’une des têtes de loup baissées de Berta et j’avais léché son museau.

Berta s’était levée en sursaut. Ses deux têtes de loup et sa tête humaine au-dessus d’elles m’avaient regardée en état de choc. J’avais dû la faire sursauter, vu que tous ses yeux étaient grands ouverts.

H-Hein ? L’ai-je mise en colère ? Je voulais la réconforter… L’ai-je mal fait ? Awawawawa… J’avais commencé à paniquer, mais l’expression humaine de Berta avait changé. Ses lèvres s’étaient légèrement courbées. Sa queue s’était mise à remuer. Ses tentacules s’agitèrent. L’atmosphère autour d’elle avait complètement changé.

« Merci… » déclara Berta, en brossant ses cheveux noirs en arrière pour essayer de feindre la sérénité. « Je suis également désolée de t’avoir fait écouter mes plaintes insignifiantes. C’est la première fois que je révèle cette forme à quelqu’un d’autre que mon roi et ses serviteurs, alors j’étais un peu déstabilisée. »

Ouf. Merci mon Dieu. On dirait que Berta était revenue à la normale maintenant. Elle était brusque et avait l’air effrayante, mais maintenant je savais qu’elle était en fait bonne pour s’occuper des autres. Je n’aimais pas la voir souffrir.

« Nous devrions y aller bientôt, » dit-elle. « Le brouillard s’épaissit. »

« D’accord. »

J’avais acquiescé docilement, soulagée de la voir redevenir normale, et je l’avais suivie quand elle était partie.

Oh… J’ai oublié de dire quelque chose.

« Attends. » Je l’avais appelée alors qu’une brume commençait à recouvrir complètement la montagne.

« Quoi ? »

« J’aime cette forme que tu as. »

La moitié humaine de Berta s’était retournée, ses yeux bronzés ressemblant à des soucoupes.

« Je trouve ça, tu sais, super cool, » avais-je ajouté.

« Je vois. »

Sa réponse avait été brève, mais la queue de Berta avait légèrement remué. Alors j’avais aussi remué ma queue. Notre petit échange était amusant. Toutes les deux, nous avions marché ensemble à travers la montagne brumeuse pour rejoindre tous les autres.

« Hé, hé, Berta ? »

« Quoi ? »

« Peux-tu m’aider à pratiquer la transformation plus tard ? »

« Tu demandes ça, mais tu espères juste avoir plus de nourriture, n’est-ce pas ? »

« Pas du tout ! Je serais cependant heureuse s’il y avait de la nourriture. »

« Alors, allons-nous chasser ensemble la prochaine fois ? Les renards souffleurs sont d’habiles chasseurs. Il y a peut-être des choses que je peux apprendre de toi. »

Alors que nous parlions, le brouillard autour de nous devenait de plus en plus épais. De plus en plus blanc. La brume nous enveloppait entièrement comme si elle nous tenait dans son étreinte. Je n’avais pas du tout remarqué dans quoi nous nous engagions.

***

Chapitre 12 : Mystifié

Trois jours s’étaient rapidement écoulés après notre départ de Diospyro. La nuit précédente, nous étions arrivés à l’entrée du chemin menant aux monts Kitrus. Aujourd’hui, nous avions emprunté le chemin lui-même et avions environ une demi-journée d’avance sur le programme.

Nous étions en tête parce que nous avions accéléré le rythme ces deux derniers jours. Il y avait une raison pour laquelle nous devions le faire. Berta, avec qui nous avions prévu de nous retrouver hier, n’était nulle part. Y avait-il une sorte de problème qui se préparait ?

Inquiet, j’avais accéléré le rythme, mais pas au point de pousser Katou et Kei à bout. Cependant, après être entrés dans les montagnes, nous n’avions eu d’autre choix que de ralentir. Un épais brouillard dominait tout le chemin.

« Je peux à peine voir devant nous, » marmonna Katou en montant sur le dos de Rose. Notre visibilité était si mauvaise que nous avions décidé qu’il serait plus sûr que Katou le fasse au cas où nous rencontrerions un monstre. « C’est comme si nous marchions dans les nuages. »

« Ouais. On nous avait déjà prévenus, mais je ne pensais pas que ce serait aussi grave… » J’avais gémi amèrement.

Lorsque nous étions encore en territoire impérial, avant de pénétrer dans les montagnes de Kitrus, un chef de village nous avait mis en garde contre une brume spéciale qui recouvrait de temps en temps le chemin de montagne. Les routes ici étaient dans un état de délabrement total, alors avec une brume aussi épaisse qui obscurcissait notre vision, un mauvais pas pouvait nous faire dévaler une pente. Nous devions être très prudents.

Le brouillard devenait de plus en plus dense au fur et à mesure que nous avancions. Ce n’était pas vraiment un problème tant que nous étions prudents, mais je commençais à m’impatienter à cause de la situation actuelle. Je voulais confirmer que l’autre groupe était en sécurité dès que possible.

« Senpai, on devrait faire une petite pause ? » dit Katou, incapable de voir mon irritation croissante. « Nous marchons depuis ce matin. Je suis sûre que tout le monde est fatigué. Et puis… Je pense que ce serait mieux si tu te détendais un peu. »

J’avais réfléchi un moment, puis j’avais accepté. Je savais que je commençais à paniquer, alors j’avais obéi à sa suggestion. J’avais trouvé une zone légèrement dégagée, je m’étais assis et j’avais sorti une gourde de la pochette qui pendait à ma taille.

Rose avait fabriqué les deux objets en utilisant ses pierres runiques d’imitation. La pochette était une réplique d’un sac magique, avec une capacité de transport accrue et des effets de conservation. Récemment, Rose avait réussi à reproduire des pierres runiques d’eau, de feu, de terre et de vent. La gourde utilisait une imitation de pierre runique pour créer de l’eau en y versant du mana.

Après que nous nous soyons tous reposés, et que ceux d’entre nous qui en avaient besoin aient étanché leur soif et mâché de la viande séchée, Kei avait soudainement pris la parole.

« Quelque chose ne va pas, Shiran ? »

Les sourcils de Shiran étaient froncés, et elle semblait profondément réfléchie.

« J’ai l’impression d’oublier quelque chose…, » dit Shiran.

« Oublier quoi ? »

« J’ai déjà entendu parler de cette situation… »

L’œil bleu de Shiran s’était soudainement ouvert en grand. Elle s’était tournée vers l’esprit qui était toujours à ses côtés. Normalement, il flottait tranquillement, mais maintenant son corps en forme de boule tournait sur lui-même. L’atmosphère était soudainement devenue tendue.

« Un ennemi ? » avais-je demandé.

L’esprit pouvait détecter les ennemis. En le voyant réagir, nous avions tous pris nos armes, à l’exception de Shiran, qui était au courant de cette présence avant nous. À la place, elle avait levé son bras.

« Non… Ça ne semble pas être un ennemi. »

Elle avait désigné une ombre qui traversait le voile de brume. Le temps que nous nous tournions pour lui faire face, l’ombre était retournée d’où elle venait. À cause de l’épais brouillard, je n’avais vu que sa silhouette. Elle ressemblait à un animal à quatre pattes.

« Un chien… ? » avais-je tenté de deviner.

« Non, Takahiro. Ce n’était pas un chien, » dit Shiran. Comme elle avait remarqué la présence en premier, elle avait aussi eu le temps de l’identifier. « C’était Berta. »

« Quoi ? Vraiment !? »

Nous étions censés la retrouver hier, alors ma voix était devenue stridente à l’annonce de la nouvelle.

« Elle est probablement allée appeler les autres, » répondit Shiran avec un sourire soulagé. « Elle n’avait pas l’air d’être blessée. »

Nous avions immédiatement réalisé que Shiran avait raison. Alors que nous marchions vers l’endroit où Berta avait disparu, une autre présence s’était rapprochée de nous. Cette ombre était beaucoup plus petite et s’était précipitée vers moi. Nous avions tout de suite su que c’était notre mignonne petite renarde.

« Ayame ! »

« Kuu ! »

J’avais attrapé la renarde sauteuse dans mes bras.

« Ayame ! Vas-tu bien !? »

« Kuu ? »

Après l’avoir vue agiter ses pattes en l’air pour m’atteindre, je m’étais senti un peu mal à l’aise de l’élever à hauteur d’yeux et de l’inspecter du bout de son nez à l’extrémité de sa queue. Elle n’avait aucune blessure, et ne montrait aucun signe de stress. Ses jolis yeux étaient simplement remplis de la joie de me retrouver. Après avoir confirmé qu’elle allait bien, j’avais finalement serré son petit corps contre le mien.

« Bien… Donc il ne s’est rien passé. »

Je m’étais senti rassuré alors qu’Ayame me léchait la joue.

« Dieu merci, n’est-ce pas Senpai ? » déclara Katou avec un sourire, toujours sur le dos de Rose.

Je lui avais rendu son sourire. J’étais soulagé du fond de mon cœur.

« Ouais. Maintenant que nous sommes réunis, tout est… »

Je m’étais arrêté au milieu de la conversation et j’avais fait la grimace.

« Maître ? Est-ce que quelque chose ne va pas ? » demanda Rose avec curiosité.

« Quelqu’un d’autre a-t-il trouvé cette conversation étrange à l’instant ? » avais-je demandé, en me tournant vers elle.

« Que veux-tu dire ? »

« Je ne sais pas. Je ne peux pas vraiment le dire avec des mots… »

Quelque chose dans ma conversation avec Shiran semblait déplacé. Qu’est-ce que c’était ? J’avais cherché dans mon esprit pendant quelques secondes, mais je n’avais rien trouvé. Peut-être aurait-il été préférable de l’ignorer et de supposer que c’était mon imagination, mais je ne pouvais pas. C’était comme si quelque chose brouillait mes pensées, tout comme ce brouillard brouillait ma vision.

Ayant perçu ces sentiments par le biais du cheminement mental, Rose m’avait regardé placer une main sur ma tête. Puis elle avait répondu à ma question avec une expression digne.

« Je ne comprends pas vraiment, mais on dirait que quelque chose t’inquiète, » dit-elle en s’approchant de moi, Katou toujours sur son dos. « Tout va bien se passer. Même si je dois me débarrasser de ce corps, je te protégerai, Maître. »

C’était une déclaration sincère et puissante. Son expression était pleine de détermination, même si elle s’inquiétait pour moi.

« Rose… »

Je m’étais souvenu de la première fois où j’étais venu aux Terres forestières. Rose s’était tellement transformée par rapport à la première fois que je l’avais rencontrée, mais il y avait des parties d’elle qui n’avaient pas du tout changé. J’avais détendu mes muscles tendus et laissé échapper un petit soupir. Je devais rester calme si je voulais réfléchir à la situation. Il n’y avait pas de quoi paniquer. J’avais ces filles fiables avec moi, après tout.

« Merci, » avais-je dit.

J’avais repris mes esprits, et Rose m’avait fait un sourire radieux. J’avais sursauté et je l’avais regardée fixement pendant un moment.

« Maître… ? »

Rose avait cligné des yeux, l’air complètement confus. Elle avait échangé un regard avec Katou. J’avais froncé les sourcils une fois de plus. C’était vraiment comme je l’avais pensé.

« Hey, Rose. D’une certaine manière, il semblerait que… »

« Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« N’es-tu pas… plus mignonne que d’habitude aujourd’hui ? »

Rose avait titubé, et Katou avait crié.

« Ah !? D-Désolée, Mana. »

Rose avait perdu l’équilibre et avait failli tomber. Elle s’était immédiatement penchée en avant et avait appuyé ses mains contre le sol pour se stabiliser. Le seul dommage était la saleté sur ses gants après avoir touché le sol humide.

« M-Maître… ? » dit Rose d’une voix tremblante.

« Oh, hum, désolé pour ça. »

J’avais été moi-même quelque peu secoué. Sérieusement… Qu’est-ce que j’étais en train de dire ?

« Que faites-vous tous les deux… ? » demanda Shiran. Elle avait aussi l’air étonnée.

Rose s’était relevée, et Ayame avait levé les yeux vers moi et avait gloussé gentiment. Juste à ce moment-là, une voix traversa le brouillard.

« Mon Dieu. S’enfuir toute seule comme ça… »

Je m’étais retourné quand une nouvelle silhouette était apparue. C’était une fille d’un blanc pur, sa forme se fondant pratiquement dans la brume blanche. Une fois qu’elle nous avait repérés, elle avait éclaté dans le plus pur des sourires.

« Oooh ! Mon Seigneur ! Et tous les autres aussi ! »

Ses beaux cheveux traînaient derrière elle alors qu’elle courait vers nous avec un léger bruit de pas. Tout comme Ayame, elle ne semblait pas être blessée. J’avais soupiré de soulagement, heureux de voir sa silhouette familière.

« Dieu merci, tu es saine et sauve, » avais-je dit.

« Hm ? Oh, c’est vrai. C’est bien que nous nous soyons réunis en toute sécurité. »

Gerbera n’avait aucune idée que nous étions inquiets pour elle. Elle m’avait regardé avec curiosité, mais elle avait décidé que cela n’avait pas d’importance et s’était concentrée sur la célébration de nos retrouvailles.

« Une dizaine de jours, comme prévue. Honnêtement, ça m’a paru assez long, » avait-elle déclaré.

« J’ai ressenti la même chose… Où est Lily ? » avais-je demandé.

« Elle t’attend avec les autres. »

« Je vois. C’est bien. »

J’étais sincèrement soulagé que tout le monde ait été confirmé sain et sauf.

« Hm. Alors, laissez-moi vous montrer le chemin. Suivez-moi. »

Gerbera avait commencé à marcher. Ayame s’était échappée de mes bras et avait couru devant elle.

« Ah ! Allons, Ayame ! Ne t’en va pas toute seule ! » Gerbera avait crié, mais Ayame l’avait ignorée. La petite renarde disparut dans le brouillard en un instant. « Bon sang… »

Gerbera avait soupiré devant le comportement enfantin d’Ayame. C’était un spectacle agréable. Après avoir été séparé d’elles pendant un court moment, je l’avais ressenti d’autant plus. Après avoir passé le dernier jour à m’inquiéter pour elles, cela avait guéri mon esprit épuisé… Enfin, c’était censé l’être. J’avais toujours l’impression que quelque chose n’était pas à sa place.

« Hé, Gerbera ? »

« Hm ? »

Gerbera s’était retournée. En voyant son corps grand et mince, j’avais essayé de dire quelque chose, mais je n’avais pas pu.

« Non… Laisse tomber. »

L’un de ses élégants sourcils s’était relevé, puis elle avait souri.

« Es-tu fatigué, mon Seigneur ? »

« Oui, peut-être que je le suis… »

J’étais pressé depuis hier, pensant que quelque chose était arrivé à ces filles. Bien sûr, je serais fatigué. Katou et Kei allaient bien, c’était donc pathétique que je sois le plus épuisé d’entre nous. Je n’avais pas été capable de me calmer, donc j’étais plus épuisé mentalement que je ne l’avais prévu.

« Je vois. Si c’est le cas, tu devrais peut-être te ménager pour aujourd’hui, » dit Gerbera.

« Je vais le faire. »

Nous ne pouvions pas bouger avant que Rose ne construise une nouvelle manamobile, de toute façon. Nous en avions besoin pour cacher Gerbera et les autres des yeux des humains une fois que nous serions hors des montagnes. C’était une bonne idée d’utiliser ce temps pour se détendre.

« Hm. Les choses se sont bien passées, » ajouta Gerbera joyeusement. « Nous avons trouvé un endroit merveilleux. Lily et les autres attendent là-bas maintenant. »

« Veux-tu dire une grotte ou alors un endroit dans le genre ? »

J’étais habitué à vivre dans des grottes depuis le temps que nous avions passé dans les Terres forestières. C’était plus relaxant que de dormir à la belle étoile. Cependant, Gerbera jeta un coup d’œil en arrière par-dessus son épaule et secoua la tête avec un sourire.

« Pas du tout, » avait-elle répondu. « C’est bien mieux qu’une grotte minable. »

« Que veux-tu dire ? »

« Regarde. Tu devrais être capable de le voir maintenant. »

J’avais regardé devant nous, repérant une ombre vague au large de la route. Comme nous nous rapprochions, elle était devenue progressivement plus claire. J’avais sursauté. Il y avait un bâtiment en bois de deux étages juste devant moi, avec une enseigne accrochée à son avant-toit, comme une sorte d’auberge.

***

Chapitre 13 : Maintenant ! Bizarre !

« Une… auberge ? »

J’étais resté bouche bée devant ce spectacle inattendu. C’était les montagnes escarpées de Kitrus, près d’une route abandonnée. Le trafic était pratiquement inexistant. C’était aussi proche des Terres forestières, ce qui signifie que de nombreux monstres habitaient la région. Trouver une auberge ici était tellement —

« — chanceux, n’est-ce pas ? »

J’avais commencé, en reprenant mes esprits, et je m’étais retourné. Shiran parlait avec Gerbera, son expression était un peu plus douce que d’habitude.

« Puisqu’on ne peut pas bouger, » poursuivit-elle, « Je pensais que nous devrions passer quelques jours à dormir dehors. C’est vraiment une chance inouïe de trouver une auberge ici. »

« C’est vrai ? Oui ? » répondit Gerbera avec enthousiasme. « Avec ça, tu peux reposer ton corps en paix, n’est-ce pas mon Seigneur ? »

« J-Je suppose… que oui ? »

J’avais acquiescé lorsqu’elle avait soudainement orienté la conversation vers moi. Ces deux-là étaient parfaitement sensées. Un sens absolument parfait… Une auberge était bien meilleure pour le repos du corps et de l’esprit que de dormir dehors ou dans une grotte. C’était évident. Nous avions eu la chance d’en trouver une. Tellement de chance que j’avais perdu ma voix… J’avais l’impression que quelque chose glissait dans mes paumes, mais je semblais être le seul à ressentir cette mystérieuse sensation.

« Je n’avais pas du tout remarqué qu’il y avait une auberge quand nous sommes passés par ici, » dit Katou.

« Moi non plus. Quelle gaffe, » répondit Rose.

Maintenant debout sur ses deux pieds, Katou souriait et discutait joyeusement avec Rose. Shiran et Kei souriaient également en raison de notre bonne chance. Gerbera, qui nous avait guidés ici, souriait joyeusement.

« Il n’y a pas besoin de rester ici. Lily et les autres nous attendent. On y va ? »

Gerbera avait encouragé tout le monde et avait avancé. Cela m’avait beaucoup effrayé. Elle allait vers la porte de l’auberge. L’araignée blanche, Gerbera, entrait dans une auberge comme si c’était tout à fait naturel.

« H-Hey ! Attends un peu, Gerbera ! »

Gerbera se dirigeait vers la porte, mais elle s’était arrêtée et s’était tournée vers moi avec curiosité.

« Hm ? Quelque chose ne va pas, mon Seigneur ? »

« Tu n’as pas besoin que je te le dise, n’est-ce pas ? » avais-je répondu avec étonnement. Je n’arrivais pas à croire sa réaction insouciante et irréfléchie. « Si tu entres dans une auberge, les gens à l’intérieur vont… »

« Vont… quoi ? »

« H-Hein… ? »

En voyant Gerbera me fixer d’un regard vide, j’avais perdu ce que j’avais à dire. Qu’est-ce que c’était ? Ça semblait terriblement important, mais je ne pouvais pas me rappeler…

« Mon Seigneur ? » demanda Gerbera, en trottinant vers moi. Comme lorsqu’elle nous avait rejoints, le doux bruit de ses pas l’accompagnait. « Y a-t-il quelque chose qui ne va pas chez moi ? »

Elle s’était arrêtée devant moi. Comme je l’avais confirmé auparavant, elle n’était pas différente de la normale. Son visage était beau, même si elle me regardait avec inquiétude. Elle avait des yeux rouge sang. Ses courbes voluptueuses étaient tout juste couvertes par les vêtements blancs drapés sur ses formes. Ses seins étaient étonnants, ses bras exposés étaient presque transparents, sa taille était si fine, et en dessous de ça… En dessous, elle avait deux jambes longues et minces. Si elle entrait dans une auberge comme ça… alors… quoi ? Il n’y avait pas de problème du tout ?

« Désolé… Je devais penser à autre chose, » avais-je marmonné.

« Mon Seigneur, tu sembles vraiment épuisé, » dit-elle d’un air inquiet en me prenant la main. « En tout cas, tu devrais te reposer tout de suite. D’accord ? »

Avant de m’en rendre compte, tout le monde me regardait avec anxiété. Ma vision avait soudainement tremblé. Je m’étais pincé le front pour essayer de me concentrer.

« Oui… Tu as raison… Je vais le faire. »

C’est tout ce que je pouvais dire de plus.

 

 ◆ ◆

Je devais avouer que j’étais vraiment dans un sale état. J’avais besoin de me reposer tout de suite, comme on me l’avait recommandé. J’étais entré dans l’auberge en m’appuyant sur Gerbera. La cloche fixée à la porte carillonnait au-dessus de moi. L’intérieur du bâtiment avait l’air vieux, mais il était propre et bien rangé.

« Oh là là. Bienvenue, » dit une voix derrière la réception.

C’était une jeune femme. Elle était petite, mais pas autant que Katou, et avait un air doux. Elle couvrait les courbes féminines de son corps avec des vêtements amples. Ses longs cheveux bruns dorés étaient attachés, retombant sur ses épaules et drapant ses seins galbés. Elle me regardait avec des yeux gentils et légèrement tournés vers le bas.

« Est-ce le maître dont vous avez parlé ? » avait-elle demandé à Gerbera.

« En effet. Il est enfin revenu. »

« Hee hee. Une arrivée tant attendue pour vous, n’est-ce pas ? »

Après leur échange amical, Gerbera s’était tournée vers moi.

« Mon Seigneur, c’est la propriétaire de l’auberge. Elle gère tout ça toute seule. »

« Bonjour à vous. Bienvenue dans mon auberge. »

La femme m’avait fait un rapide signe de tête. Elle était plutôt jeune pour posséder une auberge. D’après ce que j’avais pu voir, elle avait tout au plus une vingtaine d’années. De mon point de vue, en tant que visiteur d’un autre monde, elle était comme un étudiant universitaire. Cela dit, vingt ans, c’est bien l’âge adulte ici. Normalement, une femme de cet âge avait un ou deux enfants. Il était inhabituel qu’elle gère une auberge toute seule, mais pas complètement hors de question.

« Je crois que vous aviez des chambres disponibles, » dit Gerbera. « Nous aimerions aussi des chambres pour tout le monde ici pour quelques jours. Il y avait une sorte de procédure pour s’inscrire, n’est-ce pas ? »

« Oui, oui, tout de suite, » répondit la femme joyeusement. Elle avait sa place et m’avait adressé un sourire accueillant et chaleureux. « Alors, maintenant. Puis-je vous demander de signer ici pour moi, mon cher ? »

« Bien sûr. »

J’avais signé mon nom comme on me l’avait demandé. J’avais appris à écrire mon nom dans la langue locale pour éviter les problèmes dans des moments comme celui-ci. J’avais ensuite écrit les noms de tous les autres avec des traits de stylo maladroits.

« Combien de chambres désirez-vous ? » La propriétaire avait demandé après avoir confirmé tous nos noms. « En excluant Ayame et Berta, quatre chambres à deux lits devraient convenir parfaitement. Ou bien voulez-vous une chambre pour vous seul ? »

« Non. Quatre chambres suffiront, » avais-je répondu.

« Certainement. Les chambres sont juste là, au deuxième étage. »

« Très bien, allons-y, mon Seigneur. Lily et les autres attendent, » dit Gerbera en me tirant le bras. « Ces deux-là ne t’ont pas vu depuis un moment. Je suis sûre qu’elles sont impatientes de le faire. »

« Oui, tu as raison. »

J’avais hoché la tête et j’avais monté les escaliers avec tous les autres.

« Profitez de ce moment de rêve, » dit la voix de la propriétaire derrière nous.

 

 ◆ ◆

« C’est simple, mais il y a une bonne atmosphère dans cette auberge, n’est-ce pas ? » commenta Shiran alors que nous montions l’escalier.

Comme Shiran l’avait dit, c’était une auberge frugale sans décorations splendides, mais l’atmosphère était terriblement relaxante. Je me sentais plutôt mal aujourd’hui, alors me reposer dans une auberge comme celle-ci me semblait une excellente idée. De toute façon, tout ce que j’avais à faire pour la journée était de me reposer. Mais avant cela, je voulais voir le visage de Lily.

« Oh, oui. Comment va Lily, Gerbera ? »

« Soit à l’aise. Je suppose qu’on peut même dire qu’elle est en pleine forme ? »

« Vraiment ? C’est bien. »

« Pardonne-lui de ne pas être venue vous voir. Dès que nous avons entendu que tu étais arrivé, Ayame s’est enfuie, donc quelqu’un a dû la poursuivre immédiatement. Mais même si c’est une auberge, nous sommes dans les montagnes où les monstres sévissent. Nous ne pouvions pas laisser quelqu’un qui ne sait pas se battre tout seul ici, alors Lily et Berta ont décidé de rester derrière. »

« Je vois. »

C’était logique, alors j’avais acquiescé avec désinvolture. Quelques secondes plus tard, j’avais réalisé que quelque chose clochait dans ce que Gerbera venait de dire.

« Quelqu’un qui ne sait pas se battre… ? » avais-je murmuré.

Y avait-il quelqu’un comme ça dans notre groupe ? La chair de poule avait parcouru ma peau. J’avais descendu la montagne avec Rose, Katou, Shiran et Kei. Gerbera, Lily, Ayame, et Berta étaient restées derrière. Il n’y avait personne qui ne savait pas se battre dans ce dernier groupe. Les nombres ne correspondaient même pas en premier lieu.

Nous étions arrivés en haut de l’escalier, et j’avais regardé, hébété, Gerbera tendre la main vers la porte. La gêne que j’avais ressentie par petites touches s’était abattue d’un seul coup.

Oui… je comprends maintenant… Plus tôt, Gerbera avait dit : « Ces deux-là ne t’ont pas vu depuis un moment. Je suis sûr qu’elles sont impatientes de le faire. » Pourtant, j’avais déjà retrouvé Ayame et Berta. Ce qui signifie que la seule autre personne dans la pièce était Lily.

De plus, la propriétaire avait dit que quatre chambres doubles nous conviendraient parfaitement, sans Ayame et Berta. Sans ces deux dernières, mon groupe se composait de moi, Lily, Rose, Katou, Gerbera, Shiran et Kei. Ça fait sept. Cela n’avait pas de sens de dire que quatre chambres doubles nous conviendraient parfaitement. Il n’y avait pas non plus de raison de demander si nous avions besoin d’une chambre supplémentaire pour moi. Avait-elle mal compté ? C’était difficile à croire, vu qu’elle avait tous les noms sous les yeux dans le registre.

De plus, quand Gerbera nous avait rejointes à l’auberge, elle avait dit : « Lily attend avec les autres. » Ayame était dans mes bras à ce moment-là, et c’est Berta qui nous avait trouvés. La façon dont elle l’avait dit n’avait de sens que si une autre personne nous attendait dans les montagnes, à part elle-même, Lily, Ayame et Berta.

« Que fais-tu, mon Seigneur ? » demanda Gerbera. La porte était ouverte avant même que je ne le réalise. « Ne reste pas là. Entre. »

« D-D’accord… »

J’avais fait ce qu’on m’avait dit et j’étais entré dans la pièce, bien que mes pas soient instables.

« Oh, Maître. »

Lily était assise sur l’un des deux lits. Quand elle m’avait vu, elle avait fait un beau sourire. Malgré la gêne que je ressentais, le soulagement avait rempli mon cœur. Cependant, au moment où j’avais aperçu l’autre fille assise à côté de Lily, ce soulagement s’était brisé en millions de morceaux.

C’était comme s’il y avait un miroir là. Elle avait les mêmes cheveux de lin que Lily. Du sommet de sa tête jusqu’au bout de ses orteils, elle lui ressemblait. Elles étaient comme des pois dans la même cosse.

« Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, Majima, » dit la fille en me souriant intimement et en me faisant signe de la main.

« Mizushima… ? » répondis-je d’une voix rauque.

Après avoir changé mes vêtements de voyage, je m’étais allongé pour me reposer.

« Vas-tu bien, Maître ? »

Lily s’était assise sur le lit et m’avait regardé avec inquiétude. En face d’elle, un visage identique me regardait.

« Hmm, il a peut-être de la fièvre ? » déclara Mizushima en penchant la tête.

C’était une sensation étrange d’avoir des visages identiques qui me regardaient des deux côtés. C’était encore plus étrange que je trouve ça bizarre. Après tout, nous avions voyagé ensemble pendant tout ce temps. Elles avaient le même visage, les mêmes cheveux, le même corps… Enfin, une partie de leur corps était différente, mais Mizushima était très gênée à ce sujet, alors nous n’en avions jamais parlé. Quoi qu’il en soit, c’était étrange que je ne sois pas habitué à cette scène à présent.

« Ça ne ressemble pas à de la fièvre, » déclara Mizushima après avoir posé sa main sur mon front.

La chaleur et la tendresse pressées contre ma peau m’avaient fait sentir coupable.

« Je me sens juste un peu à l’ouest. Pas besoin de s’inquiéter, » lui avais-je dit.

Comment ai-je pu l’oublier ? Elle avait voyagé avec nous tout ce temps. Je ne pouvais pas croire que je sois ainsi.

« Je vais faire une petite sieste, » avais-je poursuivi. « Désolé, mais pourriez-vous me réveiller à l’heure du dîner ? »

Lily et Mizushima avaient échangé un regard.

« Hm, bien sûr. Vas-y doucement, Maître. »

« Allez, Aya, Berry, on y va. »

Elles s’étaient rapidement levées, et Ayame et Berta les avaient suivies hors de la pièce en remuant la queue. En les regardant partir, j’avais soudainement remarqué Berta. Quand je l’avais vue un instant à travers le brouillard, je l’avais prise pour un chien normal. C’était logique. Par exemple — et vraiment, ce n’était qu’un exemple — disons que Berta avait un corps aussi grand qu’un ours et avait deux têtes ou quelque chose comme ça. J’aurais certainement vu cette silhouette comme un monstre et j’aurais su que c’était elle. Je n’aurais jamais confondu une telle silhouette avec un chien. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

« Woof. »

Berta avait remarqué mon regard et avait aboyé. C’était un grand chien dont la race pouvait être vue n’importe où dans notre monde — un chien-loup, quelque chose comme un husky sibérien. J’ai mal à la tête…

« D’accord, Maître. À plus tard. »

Après que tout le monde ait quitté la pièce, j’avais poussé un profond soupir et fixé le plafond.

« Qu’est-ce que c’est que ce malaise que je ressens ? » m’étais-je demandé en ronchonnant.

Il n’y avait rien de bizarre du tout. C’était censé être le cas, mais quelque chose ne tournait pas rond. Le malaise était certain, mais tout le reste semblait vague. C’était comme si j’errais toujours dans cette brume.

Ce n’était probablement que mon imagination. Pour preuve, aucun de mes compagnons ne semblait trouver la situation actuelle inhabituelle. Ils étaient probablement tous en train de se détendre dans leur propre chambre à présent. J’étais le seul à être troublé par cette mystérieuse sensation.

« Aah, bon sang. »

Je n’avais pas l’impression de pouvoir dormir, alors je m’étais assis.

« Suis-je le seul à me sentir comme ça… ? »

Ma voix était plus fragile que je ne le pensais, ce qui m’avait valu un sourire amer.

« Je suis vraiment épuisé mentalement… »

J’avais secoué la tête. Grommeler n’y changerait rien. Je ne pensais pas pouvoir m’endormir, mais j’avais décidé de me forcer à essayer. En faisant cela, je pourrais apaiser cet épuisement et me débarrasser de ce malaise.

Juste au moment où je m’étais convaincu de cela, ma main gauche avait palpité.

« Maiii - ttttt - trree. »

Une voix grinçante m’avait appelé. Asarina s’était étirée du dos de ma main et s’était glissée dans mon champ de vision.

« Quoi de neuf, Asarina ? »

« Trrreee… »

Asarina avait secoué sa tête semblable à un piège à mouche de Vénus. C’était comme si elle essayait d’attirer mon attention sur quelque chose. J’étais plus étroitement lié à elle qu’à n’importe lequel de mes autres serviteurs. Pourtant, je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle essayait de dire. Asarina le savait aussi, mieux que quiconque. C’était précisément la raison pour laquelle —

« Maiiiii — tttttt — ttrreee ! C’est ça ! Toi ! C’est ça ! »

— elle avait utilisé des mots pour me le transmettre.

« Maintenant ! Bizarre ! Tous — un ! Bizarre ! »

« Asarina… »

« Maiii - trrrreee ! »

J’avais écouté, hébété, les cris d’Asarina. Ce n’était pas seulement moi… Je ne suis pas le seul à me sentir bizarre dans cette situation ! Apparemment, cela m’avait beaucoup dérangé. Je sentais la joie monter en moi. Cependant, je ne pouvais pas l’exprimer pour le moment.

« TTTTrrrreeee ? » Asarina ronronna, en faisant tourner son corps de serpent. « Maaiiiiii -ttttrrree ? Quoi ? Faux ? »

« Désolé… Donne-moi un peu de temps. »

J’avais écouté l’étrange voix rauque d’Asarina, j’étais retombé dans le lit et j’avais gémi. Je savais maintenant que je n’étais pas le seul à sentir que quelque chose n’était pas à sa place ici. Je le savais parce qu’Asarina me l’avait dit. Je m’étais senti soulagé, mais aussi mal à l’aise à un niveau sans précédent. J’avais tourné autour du pot pendant un moment encore.

***

Chapitre 14 : Une conversation impossible

Partie 1

Le troisième matin de notre séjour à l’auberge, j’étais sorti dans le jardin. J’avais dégainé l’épée à ma taille et j’avais commencé à l’agiter, me rappelant ce que Shiran m’avait appris. J’avais l’impression que le mana qui coulait en moi était élevé ces derniers temps. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais ce n’était pas une mauvaise chose.

Mais tout n’était pas rose. Par exemple, lorsque je renforçais mon corps avec du mana, si je ne parvenais pas à contrôler correctement le flux, ma force physique était augmentée de manière inégale, ce qui rendait les déplacements difficiles. De plus, avec plus de force, la sensation d’utiliser une épée changeait. Cela pourrait avoir un effet majeur pendant le combat. Je devais m’habituer à cette sensation pour qu’elle ne soit pas un inconvénient. Bien sûr, je devais aussi m’améliorer dans l’art du sabre. Il était important de ne pas relâcher mon entraînement quotidien.

« Bon… Je suppose que ça fera l’affaire. »

Cela faisait environ vingt minutes que je maniais mon épée avec sérieux. J’avais arrêté mon entraînement avant de m’épuiser. Il faisait plutôt humide dehors, j’avais donc transpiré un bon coup. J’avais enlevé mon haut, puisé de l’eau dans le puits derrière l’auberge, et je l’avais versée sur ma tête. L’eau froide glissant sur mon corps chaud m’avait fait du bien.

« Ouf… »

Après avoir répété cela plusieurs fois, j’avais brossé en arrière ma frange gênante. À cause du brouillard qui s’accrochait encore à notre environnement, je ne pouvais voir aucun de mes compagnons à proximité. Si j’étais sorti seul sans appeler personne, c’est parce que je voulais me vider la tête. Les humains sont des êtres simples. C’était tout ce qu’il fallait pour se sentir un peu mieux quand un malaise constant aiguillonnait l’esprit.

Je n’avais pas résolu le problème, mais je pouvais au moins calmer mon cœur. Comme personne ne partageait mon malaise, je ne pouvais demander de l’aide à personne. Ainsi, il était important que je prenne le temps de me calmer comme ça.

« Oh, vous voilà, mon cher. Avez-vous fini de vous entraîner ? »

Je m’étais retourné lorsque la propriétaire était sortie par la porte arrière de l’auberge. Elle avait souri gentiment en marchant dans ma direction. Elle n’était pas beaucoup plus âgée que moi, et je m’étais un peu ouvert à elle pendant notre séjour.

« Vous êtes plutôt enthousiaste à ce sujet, » avait-elle dit.

« Oui. On peut se faire prendre dans toutes sortes d’affaires violentes quand on est en voyage. »

« C’était incroyable. Comme, swoosh, whoosh ! »

Elle était sortie s’occuper du jardin derrière l’auberge pendant que je m’entraînais. C’est là qu’elle avait été témoin de mon maniement de l’épée. Elle m’avait imité, en balançant ses bras dans les airs. Elle avait un comportement si calme, mais dans des moments comme celui-ci, elle était étonnamment enfantine. Elle n’était pas si athlétique que ça, alors ça ressemblait plus à une danse bizarre, ce qui était peut-être ce qui soulignait son comportement enfantin.

« Excusez-moi…, » dit-elle timidement, en arrêtant ses bras. « Ah oui, j’ai oublié la raison pour laquelle je suis sortie. Le petit déjeuner est prêt. Qu’allez-vous faire ? »

« Comme toujours, je vais le prendre avec tous les autres. Je vais aller les chercher. Pouvez-vous attendre un peu ? »

« Certainement, » dit-elle en hochant la tête avec un sourire éclatant.

« Ah oui, on aurait dit que vous étiez plongé dans vos pensées tout à l’heure. Quelque chose ne va pas ? »

Je parlais du moment où elle était sortie pour s’occuper du jardin. Même lorsque j’avais brandi mon épée, j’avais veillé à surveiller attentivement mon environnement. J’avais été assez conscient de ses mouvements à ce moment-là.

« Oh, mon Dieu. Vous m’avez vue ? Comme c’est embarrassant. » La propriétaire avait porté une main à sa joue et avait souri timidement. « Comment dire ? Je pensais juste que les choses ne se passaient pas vraiment comme je le voulais. Les choses sont allées un peu au-delà de mes espérances, alors je me demandais ce que je pouvais faire à ce sujet. »

« Si quelque chose vous préoccupe, voulez-vous que je vous aide ? »

« Merci, mais ça ira. Ce qui doit arriver arrivera, » dit-elle avec philosophie. « D’accord, appelez-moi quand vous serez prête. »

Sur ce, elle était retournée à l’intérieur de l’auberge.

« Ce qui doit arriver arrivera…, » je me l’étais murmuré à moi-même.

Ce serait bien s’il suffisait de cela pour régler les choses, mais dans mon cas, je devais tenir compte de mes compagnons. Je ne pouvais pas simplement suivre le mouvement.

« Maiiiittrrree. Quoi ? Faire ? »

Asarina s’était glissée du dos de ma main. Elle était la seule à partager mon malaise.

« Hmm… »

Je pensais que nous étions actuellement sous l’effet d’une sorte d’illusion ou autre. Le problème est que même si je savais que quelque chose était étrange, je ne pouvais pas dire quoi. Quelque chose était bizarre, mais je ne le trouvais pas bizarre. Je ne pouvais pas identifier ce qui causait la contradiction. C’était probablement comme ça que ce sort fonctionnait.

Pour une raison inconnue, seuls Asarina et moi pouvions sentir que quelque chose n’allait pas. J’avais bien sûr consulté mes autres compagnons le tout premier jour au sujet du malaise que nous ressentions tous les deux. Je leur avais dit de rester sur leurs gardes, et elles avaient toutes hoché la tête en signe de confusion. C’était le strict minimum que nous devions accomplir.

Ne pas avoir le sens du danger pouvait être un problème majeur. C’était d’autant plus vrai quand on n’avait aucune idée de ce dont il fallait se méfier. Je n’avais pas d’autre choix que de surveiller la situation et de surveiller tout le monde.

« Pour l’instant, allons les voir, » avais-je dit.

Il était inquiétant que nous soyons les seuls à pouvoir sentir cette anomalie, mais cela signifiait aussi que nous pouvions tous les deux nous préparer à la situation. L’« ennemi » qui avait lancé cette illusion ne s’y attendait pas. Nous devions en faire bon usage.

 ◆ ◆

Après que tout le monde ait fini son petit déjeuner, j’étais sorti de l’auberge avec Katou. Là, nous avions trouvé Rose en train de traiter un monticule de bois qu’elle avait coupé et apporté ici. À côté d’elle, il y avait un chariot presque terminé. J’avais senti que quelque chose n’allait pas en voyant Rose à l’air libre sans gants. J’avais secoué ma tête. Qu’est-ce qui était bizarre ? Comme toujours, je ne pouvais pas le dire.

« Maître. As-tu fini ton repas ? »

En nous voyant arriver, Rose avait levé les yeux et nous avait souri. Elle était d’excellente humeur ces derniers temps. Ce n’est pas comme si elle avait toujours une expression maussade ou autre, mais je pouvais facilement voir qu’elle était de bonne humeur. Cela avait naturellement apporté un sourire sur mon visage.

« Comment se passe l’avancement de la manamobile ? » avais-je demandé.

« Même chose qu’hier — ça se passe en douceur. Je devrais avoir terminé demain. »

Rose était entrée dans les détails. Elle avait mis le cadre dans un état où elle pouvait faire un essai et avait déjà confirmé qu’il pouvait se déplacer en utilisant la pierre runique de Diospyro. Cela signifie que nous pourrions partir demain.

Pourtant, ce n’était pas un grand soulagement. Tant que je n’avais aucune idée de ce qu’était cette anomalie, il n’y avait aucune garantie que le fait de partir résoudrait quoi que ce soit. Il était possible que rien ne change, mais il était aussi possible que ça empire. En fait, nous devrions probablement être encore plus prudents.

Alors que je renforçais ma résolution, la porte de l’auberge s’était ouverte derrière moi.

« Hein ? Lily ? Est-ce que quelque chose ne va pas ? » Katou demanda avec curiosité tandis qu’elle utilisait un balai pour balayer diligemment les copeaux du travail de Rose.

Lily était sortie de l’auberge et avait regardé autour d’elle, puis elle avait demandé : « Hé, avez-vous vu Miho ? »

« Mizushima ? Non, je ne l’ai pas vue, » avais-je répondu.

Katou et Rose avaient également secoué la tête. Lily semblait troublée par cette situation.

« S’est-il passé quelque chose ? » avais-je demandé.

« Hmm. Je voulais lui parler de quelque chose, mais je n’ai pas réussi à la trouver. »

« De quoi ? »

« C’est juste que, vu notre avenir, je me suis dit que ce serait bien que Miho utilise le mimétisme pour sortir de temps en temps. Je voulais la convaincre de le faire, » dit Lily en croisant les bras sous sa généreuse poitrine. « Miho semble satisfaite de la situation actuelle, en disant que ce serait de la triche. Elle ne semble pas vraiment vouloir… Mais je continue à penser qu’elle devrait sortir de temps en temps. »

« Les personnes confinées chez elles peuvent être gênantes, » avais-je dit nonchalamment. « Est-ce que c’est possible ? »

« C’est le cas. Elle peut le faire dès maintenant, même si ce n’est que pour une courte durée. En vérité, le mimétisme partiel que j’ai activé en utilisant la disposition de Miho comme visiteur n’est réalisable que si je lui laisse une partie du contrôle sur l’ensemble du mimétisme. »

« Vraiment ? »

« Mm-hmm. À ce rythme, elle devrait s’habituer au mimétisme toute seule un jour. Si c’est le cas, elle peut venir dehors…, » Lily avait fait une pause et elle avait baissé sa tête. « Mais ça ne sert à rien si elle n’a aucune motivation pour le faire, non ? Au minimum, je pense que ce serait bien qu’elle fasse savoir à tout le monde qu’elle est ici. »

« Tu as raison. »

En hochant la tête, j’avais mis ma main sur ma tempe. J’avais un léger mal de tête. Il y avait probablement quelque chose de particulier dans cette conversation. Cependant, je ne pouvais pas dire quoi. Peut-être que le sujet lui-même était étrange.

« Miho m’a beaucoup aidée et tout, » avait continué Lily. Elle n’avait rien ressenti de déplacé comme moi. « Je veux lui rendre la pareille, ne serait-ce qu’un peu. Ou est-ce que je ne fais que déranger ? »

« Je ne pense pas que tu le fasse, » dit Katou. « Mizushima-senpai est en fait très paresseuse parfois. »

« Vraiment ? »

« Yup. Elle n’est vraiment proactive que pour les choses qui stimulent sa curiosité. Dans notre monde, elle lisait une tonne de livres et était vraiment passionnée par les activités des clubs. Mais quand elle n’est pas intéressée, elle devient vraiment paresseuse. Je ne dirais pas qu’elle est tout à fait hédoniste, mais elle est un peu enfantine à cet égard. Une bonne fessée lui ferait du bien. »

« D’une certaine manière… ça résonne vraiment. »

« Je veux dire, je m’entendais très bien avec elle. »

« Oh oui, je suppose que c’est vrai… Hmm, oui, tu l’as fait. J’ai des souvenirs de toi prenant soin d’elle. »

Lily avait touché sa tête des deux mains et avait regardé le ciel. Il semblerait qu’elle cherchait ses souvenirs. Alors qu’elle le faisait, son sourire était devenu agréable, mais sarcastique.

« Hee hee. Je crois que je comprends maintenant pourquoi tu es si douée pour prendre soin de Rose. »

« Rose est un peu différente d’elle, mais dans le sens où c’est gratifiant de le faire, elles pourraient être similaires. »

Elles regardèrent toutes les deux Rose qui hochait la tête. Katou avait souri chaleureusement, puis elle s’était retournée vers Lily.

« Si tu pousses trop fort, elle va s’enfuir, il faut donc choisir la bonne occasion. »

« Hmm. Tu marques un point là. D’accord, je vais faire ça. »

Lily avait abandonné la poursuite de Mizushima et avait commencé une réunion stratégique avec Katou. Après les avoir appelées, j’avais décidé de retourner dans ma chambre.

***

Partie 2

« Oh, Majima. Bienvenue parmi nous. »

« Qu’est-ce que… ? »

Quand j’étais retourné dans ma chambre, Mizushima m’avait accueilli avec un sourire. Elle avait apporté une petite table, où l’un des livres que nous avions achetés à Diospyro était étalé ouvert. J’avais froncé les sourcils, mais pas à cause de la gêne que je ressentais ces derniers temps.

« Mizushima, que fais-tu ici ? »

C’était la chambre dans laquelle Gerbera et moi dormions. Mizushima partageait une chambre avec Lily deux portes plus loin.

« Gerbera m’a laissée entrer. Oh, elle a dit qu’elle était allée cueillir des plantes avec la propriétaire de l’auberge. On dirait que le dîner sera très bon, hein ? »

« Ce n’est pas ce que je demande… »

« Oh, allez. C’est bien, non ? »

Mizushima m’avait adressé un sourire amical, et j’avais plissé les yeux.

« Mizushima… Es-tu venue ici pour fuir Lily ? »

« Argh… Ça n’a rien à voir avec Lilz, d’accord ? » répondit-elle, ses yeux se promenant dans la pièce.

« Ta voix est terriblement stridente vu comme ça, » avais-je dit avec un soupir.

« Erk. »

Mizushima avait posé sa tête sur la table et avait étiré ses jambes. Quand elle l’avait fait, sa jupe s’était relevée. Ses cuisses saines étaient apparues. Elles se ressemblaient vraiment, mais elle n’était pas Lily. Il était impoli de trop fixer ma camarade de classe sans défense, alors j’avais détourné les yeux aussi naturellement que possible. Mizushima avait gardé sa tête sur la table et avait pivoté pour me regarder.

 

 

« Tu te disais justement que cette posture n’écrase pas mes seins, n’est-ce pas ? »

« Je ne l’ai pas pensé. »

Ce n’était pas mon intention. J’essayais simplement de ne pas le fixer. Non pas que Mizushima m’ait cru.

« Peu importe. De toute façon, Lilz est différente. Tu aimes vraiment les gros seins. »

« C’est un malentendu. Je ne les aime pas vraiment grands ou quoi que ce soit… »

« Oh, je suppose que non. Lilz peut aussi les faire petits, pour que tu puisses profiter d’une variété. Même quand ils sont petits, ils sont suffisants pour… »

« S’il te plaît, arrête. »

« Oh, mais les choses se sont bien passées avec Gerbera ces derniers temps, et les siens sont à peu près aussi grands que ceux de Lilz. Ce qui veut dire que tu veux vraiment… »

« Veux-tu à ce point esquiver le sujet ? »

Mizushima avait regardé de l’autre côté et avait fait la moue. J’avais touché le centre de la cible. J’avais forcé un sourire et m’étais assis sur mon lit. Ayame et Berta étaient pelotonnées sur le lit de Gerbera. Peut-être qu’elles avaient eu sommeil après avoir mangé à leur faim. J’étais moi-même un peu somnolent et j’avais laissé échapper un bâillement.

« Qu’est-ce que Lilz manigance ? » demanda Mizushima.

« Elle est avec Rose et Katou. »

« Est-elle en colère… ? »

« Pas du tout. »

« Est-ce ainsi… ? » Mizushima avait soupiré de soulagement.

« Lily n’a pas de mauvaises intentions en elle. Ne la déteste pas pour ça, » avais-je dit.

« Je le sais. Ce n’est pas grave. » Mizushima était restée prostrée sur la table et avait agité une main. « Je suis heureuse qu’elle soit attentionnée envers moi. Je comprends ce qu’elle dit et tout. C’est juste que… »

« Quoi ? »

« J’aimerais avoir un peu plus de temps, » grommela-t-elle, dépitée.

« Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé, trouvant sa réaction un peu curieuse.

Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas du tout aborder le sujet, mais à en juger par la façon dont elle avait sérieusement essayé de l’esquiver plus tôt, cela l’avait certainement troublée. Je lui avais jeté un regard dubitatif, et après avoir fait la moue un peu plus longtemps Mizushima céda.

« Lilz et moi partageons une bonne partie de nos souvenirs. Le savais-tu ? »

« Je sais que Lily a tes souvenirs. Ça va-t-il dans l’autre sens ? »

« Oui, c’est vrai. Il y a cependant une petite différence. »

« Comment ça ? »

« Je veux dire, Lilz a acquis mes souvenirs en me mangeant, mais elle n’a pas vraiment vécu ma vie par elle-même, non ? Mais dans mon cas, j’ai ses souvenirs parce que je suis en elle et que je partage son corps. »

Mizushima avait fait tourner son doigt sur le plateau de la table tout en poursuivant son explication.

« Lilz ne retient mes souvenirs que comme des connaissances, rien de plus. En revanche, je ressens toutes ses expériences. Bon, je suppose que c’est évident puisque je partage son corps et que je ressens tout ce qui se passe. »

« Y a-t-il un problème avec ça ? »

Mizushima avait pris du temps pour formuler ses mots, puis s’était mise à fixer les grains du plateau de la table.

« Regarder le garçon que je trouvais un peu gentil faire de son mieux depuis un siège au premier rang est, tu sais, hmm, plutôt stimulant ? »

Ses joues étaient devenues un peu rouges.

« Eh bien, Lilz était celle qui regardait, mais… Je suis aussi toujours là… Donc, je veux dire, ce que j’essaie de dire c’est…, » Mizushima avait fait une pause et elle s’était bercé la tête. « Je ne me suis même pas confessée au garçon que j’ai fini par aimer, et nous ne sortons même pas ensemble, mais j’ai tous ces souvenirs de doux flirts, de chuchotements passionnés, et même d’avoir couché avec lui. Comment suis-je censée le regarder ? »

C’était la question la plus difficile à laquelle j’avais eu à répondre. En fait, qu’étais-je censé dire dans cette situation ? Ce n’était pas quelque chose que les gens vivent normalement.

« Aagh. » Mizushima avait continué à se tordre pendant un moment, puis ses yeux s’étaient ouverts. « Eh bien, je suppose que ça ne peut que te déranger de te dire tout ça, Majima. »

Elle s’était ressaisie, s’était redressée et avait regardé mon visage. Puis elle avait cligné des yeux de surprise.

« Hein… ? Majima ? »

« Oui ? »

« Tu es Majima, n’est-ce pas ? »

« Bien sûr que je le suis. À qui croyais-tu parler ? »

« Oh, hum. Bien. » Mizushima avait hoché la tête plusieurs fois. « C’est bizarre. J’ai l’impression d’avoir dit quelque chose de vraiment choquant à l’instant… »

Je ne pouvais pas vraiment le dire, mais je ressentais la même chose. Cependant, je ne savais pas ce qui était choquant dans tout ça. Je ne pouvais pas reconnaître l’incohérence. Y avait-il même une incohérence pour commencer ? Ou bien le fait que Mizushima soit là à me dire ça était-il inconcevable en premier lieu ?

« Juste mon imagination ? » se demanda Mizushima en penchant la tête. Puis elle décida que la question sans réponse pouvait être abandonnée. « Oh. Désolée, Majima. C’est comme si j’étais la seule à parler ici. » Elle se couvrit la bouche, puis plissa les sourcils maladroitement. « Il semble que mes sens soient parfois influencés par Lilz. Maintenant que j’y pense, j’agis sans défense ici… »

Elle avait finalement montré un peu d’intérêt pour l’état de sa jupe. J’avais fait semblant de ne pas le remarquer.

« Ça ne me dérange pas vraiment, » avais-je dit.

« Mais ça te perturbe, n’est-ce pas ? Et pourtant, je profite de toi comme ça. Désolée. »

Après un moment de silence, Mizushima avait deviné pourquoi je rôdais autour de l’auberge.

« Tu es venu voir comment nous allions, non ? » dit-elle, en inclinant lentement la tête sur le côté. « Tu as l’impression que quelque chose n’est pas à sa place, c’est ça ? Je ne le sens pas du tout, donc je n’en ai aucune idée. Si c’est vrai, alors qui le fait, et dans quel but ? »

« Qui… ? Et pour quoi faire… ? »

J’avais fait la grimace.

Voyant cela, Mizushima avait agité ses mains. « Oh, désolée. Je ne faisais que dire ce que je pensais. J’ai peut-être dit quelque chose d’irresponsable… »

« C’est bon. Je suis reconnaissant d’avoir une perspective différente. »

Essayer de résoudre un problème par moi-même semblait toujours s’accompagner d’un train de pensées monotones. J’étais tellement concentré à essayer de trouver ce qui était bizarre et ce que je devais faire que je n’avais même pas pensé à cela.

« Je devrais peut-être y réfléchir. Merci, Mizushima. Tu es d’une grande aide. »

« V-Vraiment… ? Je n’ai fait que bafouiller pendant tout ce temps. Je suis heureuse d’être utile… »

Mizushima avait tripoté sa frange de lin et détourné les yeux. Elle était clairement embarrassée.

« D’accord, » dit-elle, « si tu continues à te moquer de moi, j’aurai vraiment l’impression d’être une nuisance, alors je pense que je vais aller prendre l’air dehors. »

Mizushima avait rebondi de son siège. Ses chaussures avaient heurté le sol, réveillant Ayame et Berta. J’avais demandé à ces deux dernières de rester près de Mizushima ou de Katou autant que possible. S’en souvenant, elles étaient sorties dans le couloir lorsque Mizushima avait ouvert la porte.

« Oh, oui. Si je laisse passer cette occasion, je ne sais pas quand la prochaine occasion se présentera, » dit-elle en se retournant juste avant de quitter la pièce. « C’est grâce à toi que je suis là maintenant, même si tout était censé se terminer pour moi à l’époque. Merci, Majima. »

Sur ce, elle m’avait offert un sourire radieux qui ressemblait à un miracle en soi.

***

Chapitre 15 : Une vision impossible

« Qui a lancé cette illusion, et pour quoi faire… ? »

J’avais regardé la porte après le départ de Mizushima, en marmonnant tranquillement pour moi-même.

« Qu’en penses-tu, Asarina ? »

« Non ? Le sais-tu ? »

« C’est vrai… »

Je m’étais affalé quand Asarina avait levé les yeux vers moi de ma main. Je n’aurais pas tant de mal si la réponse était facile à trouver. J’avais soupiré et j’avais touché Asarina. À chaque coup, tout son corps ondulait comme une vague. S’amusait-elle ? Moi, oui.

« Non, ce n’est pas le moment de fuir la réalité… »

« Maiiittrreee ? »

« Maintenant que j’y pense, qui… ou bien, quel genre d’individu lance cette illusion est une question assez importante. »

J’avais réalisé quelque chose après avoir entendu la question de Mizushima.

« Même Gerbera s’est fait prendre dans ce sort. Quel genre d’être scandaleux pourrait être cet “ennemi”… ? »

La Grande Araignée Blanche n’avait pas régné sur les Profondeurs pour le plaisir. Auparavant, l’illusion de la reine des monstres Anton ne l’avait pas du tout affectée. Ce serait possible si un autre haut monstre comme elle le lançait.

Mais Gerbera n’aurait-elle vraiment pas remarqué qu’elle était attaquée ? Elle avait survécu pendant longtemps dans les Terres forestières. Elle était exceptionnelle pour détecter le danger, et elle était très sensible à l’hostilité. Même un tricheur pourrait-il lui jeter un charme sans qu’elle le remarque ?

Néanmoins, la réalité était que Gerbera avait été prise dans cette attaque. C’était un mystère, mais vu comment cela s’est passé, il était peut-être juste de supposer que notre « ennemi » était ce niveau d’être.

Il semblait que nous étions dans une situation plutôt mauvaise. Notre seul coup de chance ici était que notre « ennemi » n’avait, jusqu’à présent, lancé que ce charme. Il ne montrait aucun signe de volonté de nous faire du mal.

En y réfléchissant un peu plus, c’était aussi un mystère. Si nous étions sous une sorte de charme, n’aurait-il pas attaqué tout de suite ? Comme il nous avait laissés indemnes, je m’étais retrouvé dans cette étrange impasse. Pourtant, je ne savais pas non plus si cela allait durer éternellement. Tant que je ne connaissais pas le but de ce charme, il n’y avait aucune garantie que tout irait bien parce que nous étions en sécurité.

« En tout cas, c’est vraiment irritant que mon seul choix soit de rester constamment sur mes gardes. »

« Maître ? »

Au moment où je me mordais la lèvre, Asarina s’était enroulée autour de mon bras.

« Qu’est-ce qu’il y a, Asarina ? » demandai-je en baissant mon regard vers ma partenaire verte.

« Tous — un. Danger. Savoir. Non ? »

Asarina avait fait de son mieux pour aligner quelques mots. Cependant, je ne pouvais pas comprendre ce qu’elle essayait de dire.

« Umm, qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Danger ! Tous — un ! Sache ! »

Elle avait répété ses mots avec sa voix grinçante. Je n’arrivais toujours pas à comprendre.

« Non, je ne pense pas qu’elles aient remarqué ? »

« Non… Tout le monde… sait… »

« Vraiment ? »

« Maître… »

Asarina était devenue molle, déprimée. De toute évidence, j’avais tort. C’était difficile de la comprendre. Ce n’est pas parce qu’elle pouvait parler que ses intentions passaient. Je m’étais gratté la tête en signe de confusion lorsque la tête d’Asarina s’était redressée. Je l’avais regardée, me demandant ce qui se passait, quand elle s’était étirée vers la fenêtre ouverte.

« Y a-t-il quelque chose dehors ? »

« Maître ! »

Il semblerait que oui. J’avais suivi Asarina et m’étais approché de la fenêtre. J’avais regardé dehors et j’avais vu Shiran et Kei. Elles avaient des épées et des boucliers en bois à la main, faits pour imiter l’équipement d’un chevalier. Shiran était apparemment en train d’entraîner Kei. À en juger par la façon dont Kei était trempée de sueur, elles s’entraînaient depuis un moment.

La peau de Shiran n’était que légèrement en sueur. Elle avait beaucoup plus d’énergie à revendre. Ses deux yeux bleus brillaient de l’air calme d’un mentor tandis qu’elle observait le moindre mouvement de Kei… Un autre mal de tête m’avait frappé. Il y avait quelque chose d’étrange ici. Selon toute vraisemblance, cela avait à voir avec Shiran. Je commençais à m’habituer à cet inconfort, alors tout ce que j’avais à faire pour m’en sortir était de froncer un peu les sourcils. Alors que je le faisais, le son d’épées en bois s’entrechoquant avait résonné en bas.

« Tu ne bouges pas assez. »

« D-D’accord ! »

Shiran avait calmement bloqué les coups intenses de Kei avec son bouclier en bois et avait signalé les fautes. Après avoir répété cela plusieurs fois, Shiran était passée à l’offensive. Kei avait désespérément essayé de la repousser. Parfois son bouclier arrivait à temps. Parfois non, et Shiran s’arrêtait juste avant de la frapper. Shiran se déplaçait juste assez vite pour pousser Kei à la limite de sa vitesse de réaction.

« Elle est vraiment incroyable… »

Cela faisait un moment que je n’avais pas vu Shiran manier son épée. Dernièrement, elle ne l’avait pas fait. Je sentais qu’il y avait une raison à cela, mais je n’arrivais pas à m’en souvenir. Un seul mot m’était venu à l’esprit après avoir assisté à son maniement de l’épée pour la première fois depuis longtemps : magnifique.

J’avais pensé la même chose la première fois que j’avais vu son entraînement au Fort de Tilia. C’était complètement captivant. Le temps avait passé alors que je restais ensorcelé par son épée. À la fin, Kei avait pris un coup sur son plastron et était tombée. C’était la fin de son entraînement.

« Arrêtons là pour aujourd’hui, » avait dit Shiran, sa respiration n’étant que légèrement rauque.

Kei était étendue sur le sol, répondant à travers des respirations irrégulières.

« Merci… à toi… vraiment… beaucoup… »

« Tu t’es bien accrochée, » dit Shiran avec douceur, un contraste complet avec sa sévérité pendant l’entraînement.

Shiran avait apporté à Kei une gourde d’eau et un chiffon pour s’essuyer. Après avoir repris sa respiration, Kei s’était assise lentement et de manière instable. Elle avait accepté la gourde de Shiran et avait pris une boisson.

« Pwaaah… Shiran, puis-je te demander de m’entraîner un peu plus ? »

« Tu ne devrais pas te forcer, » lui dit Shiran avec un ton légèrement admonestant.

« Mais Takahiro persiste jusqu’à ses limites, » grommela Kei, un air renfrogné sur le visage.

« Takahiro a une attitude merveilleuse, et ton intention de faire plus d’efforts après l’avoir vu est digne d’éloges. Cependant, tu es encore en pleine croissance. Si tu te pousses trop fort, cela pourrait influencer négativement ton cœur et ton corps. Il n’est pas nécessaire pour toi d’agir plus vieux que tu ne l’es, tu sais ? »

« Ce n’est pas vrai. Tu mens. J’ai entendu dire que tu t’entraînais comme une folle quand tu avais mon âge, et tu es belle, grande et gentille. »

« Comment sais-tu ça… ? Aah, est-ce qu’un des anciens chevaliers te l’a dit ? Je suppose que c’était Marcus. Sérieusement, cet homme…, » dit Shiran avec un soupir.

« Je veux juste être comme toi, » se plaignit Kei d’un air un peu maussade tout en ayant l’air un peu gâtée.

« Tu ne devrais pas t’efforcer d’être comme moi, Kei, » répondit Shiran avec un sourire amer.

« Mais… »

« Tu devrais être un chevalier plus fort que moi, au sens propre du terme. »

Shiran avait tendu la main à Kei. Même si Kei avait fait la moue, elle avait obéi, mais leurs mains ne s’étaient pas rencontrées.

« Shiran ? »

Shiran s’était anormalement raidie au moment où elle tendait la main à Kei.

« Désolé… ce n’est rien. »

Elle secoua la tête et s’étira une fois de plus. Kei la prit cette fois, avec un regard de curiosité toujours présent dans ses yeux. Shiran souleva frivolement sa nièce pour la remettre sur ses pieds, puis l’enlaça.

« Shiran ? »

« Kei, tu vas… » commença Shiran d’un ton aimable. « Tu deviendras un jour un splendide chevalier. La troisième compagnie a disparu, mais l’ordre de défense nationale d’Aker est toujours là. Il y a plusieurs façons de devenir chevalier. Lorsque la commandante reviendra de l’Empire, discutons-en, d’accord ? »

De ma position, je ne pouvais voir que le dos de Shiran. Je n’avais aucune idée du genre d’expression qu’elle faisait. Je pouvais seulement sentir la douce atmosphère qui les enveloppait.

« Vraiment ? Tu crois vraiment que je peux devenir un chevalier extraordinaire comme toi ? » demanda Kei d’une voix tremblante.

Shiran avait brossé maladroitement la tête de Kei, puis avait dit : « Oui. Tu es la fille de mon frère… ma nièce adorée. »

« Shiran ! » Kei avait crié, s’accrochant fortement au corps de Shiran. « Je suis si heureuse ! Mais pourquoi tout d’un coup ? »

« Je me demande ? Pour une raison quelconque, j’ai cru que je ne pouvais pas laisser passer cette occasion. »

 

 

Elles avaient l’air si heureuses. Je me sentais un peu mal de les regarder secrètement comme ça, alors je me suis éloigné de la fenêtre. La chaleur de la vision dont j’avais été témoin était accompagnée d’une légère douleur dans mon cœur pour les avoir épiées. J’avais laissé échapper un soupir, et un instant plus tard, j’avais réalisé quelque chose.

« Oh. C’est clairement étrange. »

« Ssster ? »

Ce qui venait d’arriver était vraiment inimaginable. Pas Shiran qui fait un câlin à Kei, bien sûr. Non, c’était peut-être un peu inhabituel aussi, mais au moins, ce n’est pas ce que j’avais réalisé.

« C’est impossible que Shiran n’ait pas remarqué que je regardais. »

Shiran avait des esprits contractés. Le premier jour où je l’avais rencontrée, j’avais appris qu’il était impossible de l’épier. C’était anormal, mais ce n’était pas ce qui était vraiment bizarre ici.

« Pourquoi est-ce la seule fois où je suis sûr que quelque chose ne va pas ? »

Même si je me rendais compte que quelque chose n’était pas à sa place, je n’avais jamais été capable d’identifier ce que c’était. Mais cette fois, je savais ce que j’avais trouvé d’étrange. En d’autres termes, cette instance était une irrégularité. Quelque chose était différent ici. Je ne savais pas quoi, mais une phrase se répétait dans mon esprit.

« Pour quoi faire ? Et qui ? »

Comme les sens des esprits ne fonctionnaient pas correctement, j’avais pu épier Shiran et Kei. Si l’objectif de cet « ennemi » était toujours en cours de réalisation… cela signifiait peut-être qu’il voulait que je voie ça ? Il voulait que je regarde Shiran et Kei être heureuses ?

« Mais pourquoi… ? »

J’avais essayé de plonger plus profondément dans la pensée, mais je n’y étais pas autorisé.

« Mon Seigneur ! »

L’instant d’après, la porte de ma chambre s’était ouverte en claquant.

***

Chapitre 16 : Une étreinte impossible

Partie 1

La porte de ma chambre s’était ouverte avec tant de vigueur que j’avais cru que les charnières allaient se briser. Je m’étais mis en garde contre le son choquant.

Sans tenir compte de ma réaction, Gerbera était entrée dans la pièce, ses cheveux d’un blanc pur flottant derrière elle.

Quelque chose n’allait pas. Ses joues pratiquement transparentes étaient maintenant rouge vif, et sa respiration était rauque. Je pouvais dire en un seul coup d’œil qu’elle était dans un état d’excitation. Honnêtement, c’était un peu effrayant.

« Qu’est-ce qui se passe, Gerbera ? Je croyais que tu étais parti cueillir des herbes… »

« Mon Seigneur, j’ai eu des nouvelles de Rose. Est-il vrai que nous pourrons partir demain ? » avait-elle demandé, ignorant totalement ma question.

Non, plutôt que de l’ignorer, c’est plutôt qu’elle était trop paniquée pour répondre. C’était assez commun pour elle. Hein… ? Dans ce cas, ce n’était pas si étrange.

Après y avoir réfléchi, je m’étais un peu calmé. D’après ce que je pouvais voir, elle n’avait pas fait irruption dans la pièce à cause d’un danger imminent. À en juger par la situation, elle était revenue de sa cueillette d’herbes, avait demandé à Rose des nouvelles de ses progrès, puis s’était rendue ici. Cependant, je ne savais pas pourquoi elle était si pressée.

« C’est vrai, nous partons demain, » avais-je répondu.

« Je vois… »

Gerbera pinça les lèvres et fronça les sourcils. Y avait-il un problème avec le fait de partir demain ? Avec cette question en tête, je l’avais regardée se retourner et fermer la porte — puis la verrouiller.

« Uhh, attends. Pourquoi verrouilles-tu la porte ? »

Gerbera s’était retournée sans me répondre. Comme avant, elle semblait paniquée. Ensuite, elle avait reporté son attention sur Asarina, qui regardait curieusement d’avant en arrière entre nous.

« Asarina, » dit-elle, « Pourrais-je avoir un peu de temps seul avec notre seigneur ? J’aimerais lui parler un peu. »

Aussitôt qu’elle l’avait demandé, Gerbera avait marché vers moi. Je n’avais pas vraiment compris, mais elle était étonnamment vigoureuse. Asarina avait reculé, intimidée par son comportement, et par réflexe, j’avais fait un pas en arrière.

« Hé, Gerbera ? Vas-tu bien ? Tu es bizarre. »

« Vraiment ? Je n’ai pas dormi ces deux derniers jours. Je suis peut-être un peu à côté de la plaque. Pardonne-moi. »

Elle n’avait pas dormi ? Gerbera avait utilisé le lit à côté du mien.

« J’ai été toute seule dans cette pièce avec toi, mon Seigneur. Comment pourrais-je dormir ? »

Cela m’avait plongé dans le silence. Je savais ce qu’elle voulait dire, mais il y avait quelque chose de bizarre quand elle en parlait si fièrement.

« Je préfère que tu me félicites pour la retenue dont j’ai fait preuve en ne me jetant pas sur toi, » avait-elle ajouté.

« Je pense que c’est généralement l’inverse ? »

J’avais reculé raidement alors que Gerbera se rapprochait de plus en plus. La pièce était petite, cependant. Je ne pouvais pas continuer comme ça pour toujours.

« Monseigneur… »

Une fois à portée de main, elle avait levé ses yeux rouges vers moi. C’était comme s’ils étincelaient. L’anxiété avait commencé à remplir mon cœur alors que je pensais à une certaine possibilité. Nous étions attaqués par le charme non identifiable d’un « ennemi ». Jusqu’à présent, il n’avait montré aucun signe de volonté de nous faire du mal, mais son objectif restait inconnu. En tant que tels, nous ne savions pas combien de temps cela allait durer. Après tout, il n’était pas certain de l’effet que ce charme pouvait avoir sur mes serviteurs. Si, par hasard, Gerbera était trompée et attirée du côté de l’ennemi…

Dès que cette pensée lui était venue à l’esprit, elle avait agi.

« Mon Seigneur ! »

Je ne pouvais pas réagir. Gerbera avait bondi sur ma poitrine avec les mouvements agiles d’une bête. Elle avait étiré ses bras et les avait enroulés autour de mon torse comme des serpents. Elle était trop rapide, et je n’avais pas eu le temps de la repousser. Je n’avais aucun moyen de résister. Gerbera avait mis toute sa force dans ses bras et avait serré. Ses seins voluptueux avaient été poussés contre moi, et elle m’avait serré contre elle.

« Hein… ? »

Mon esprit ne pouvait pas suivre. Je pouvais seulement dire que ce n’était pas une attaque hostile. Au contraire, il y avait une profonde affection dans cette démonstration. La peau douce de Gerbera s’était pressée contre moi. Elle avait légèrement remué, m’enlaçant toujours comme si elle voulait savourer chaque partie de mon être. Ses seins s’étaient écrasés contre ma poitrine, leur présence était claire dans mon esprit. Mes vêtements n’étaient qu’une piètre barrière contre cette douce sensation et les doux désirs qui en découlaient. Gerbera avait pressé son nez contre ma clavicule et avait pris une profonde inspiration.

« Haah… »

Son soupir de satisfaction avait pénétré dans ma poitrine. Je pouvais sentir la chaleur de sa passion brûlante et de son amour débordant. Cette chaleur avait brisé mes dernières contraintes. Mon corps avait bougé pour retourner l’étreinte de Gerbera par réflexe, mais avant que je puisse le faire, elle avait sauté loin de moi.

« Hein… ? »

J’étais abasourdi, mes bras étaient tendus et je n’avais nulle part où aller, tout comme l’impulsion qui sortait de mon cœur. Gerbera était déjà hors de portée. J’avais l’impression de m’être fait avoir par un renard rusé.

« Hm. Tout va bien maintenant, » dit Gerbera en hochant profondément la tête.

Apparemment, elle était complètement satisfaite. Mon visage était probablement assez pathétique à ce moment-là.

« Qu’est-ce que c’était… ? » avais-je demandé.

Pour l’instant, il ne semblait pas que Gerbera ait été séduite par « l’ennemi » comme je l’avais craint. C’était un soulagement, mais je ne comprenais pas le sens de sa soudaine étreinte. Elle était venue si vite, et avait serré de toutes ses forces…

Toute sa force ? Gerbera ? Sur moi ? Quelque chose qui n’était pas à sa place. Une fois de plus, il y avait quelque chose d’étrange, mais je ne pouvais pas dire quoi. Il n’y avait qu’une seule chose qui restait parfaitement indéniable. Quelque chose dans cette situation était vraiment bizarre… mais du coup, Gerbera souriait maintenant avec satisfaction.

« Je me demande pourquoi ? Je pense que j’en serais capable maintenant, » déclara Gerbera en serrant ses bras autour d’elle. C’était comme si elle réfléchissait profondément à la sensation de cette brève étreinte. « Mais plus que ça ne serait pas bon. Atteindre le stade final est quelque chose que je dois réaliser par mes propres efforts. C’est pourquoi ceci est suffisant pour aujourd’hui. »

Je ne pouvais pas comprendre ce qu’elle disait. On aurait dit aussi qu’elle ne savait pas vraiment ce qu’elle disait elle-même. Pourtant, elle avait l’air si satisfaite. En la voyant comme ça, je n’avais pas pu m’empêcher de sourire en coin.

J’avais l’impression qu’on jouait avec nous, mais je m’en fichais maintenant. J’étais juste satisfait de voir le sourire satisfait de Gerbera. Je m’étais demandé pourquoi, et en même temps, je m’étais souvenu de la bonne humeur de Rose, du sourire radieux de Mizushima, et des silhouettes heureuses de Shiran et Kei.

« Oh… »

J’étais stupéfait. À ce moment-là, j’avais enfin compris la vérité.

***

Partie 2

Tard dans la nuit, quand tout le monde dormait profondément, je m’étais glissé hors du lit. Gerbera était couchée dans le lit à côté du mien. Peut-être parce qu’elle manquait de sommeil, ou parce qu’elle s’était trop excitée pendant la journée, elle se reposait bien maintenant. J’avais écouté le bruit de sa respiration en quittant la chambre, puis j’étais descendu au premier étage.

Les lattes du plancher grincèrent dans le silence de la nuit. Beaucoup de mes compagnons avaient des sens aiguisés. Normalement, quelqu’un aurait remarqué si je m’étais faufilé dehors comme ça, mais personne ne l’avait fait. Je n’étais pas surpris. Je savais, rien que par le fait que les esprits pouvaient être trompés, que mes piètres compétences en matière de furtivité suffiraient.

« Bonsoir, mon cher. »

Lorsque j’étais arrivé en bas de l’escalier, j’avais trouvé la propriétaire qui m’attendait à la réception. Ses traits lui donnaient un air doux, et son sourire était calme et doux.

« Vous avez quelque chose à me dire, n’est-ce pas ? » dit-elle. « Allons-nous parler plus loin à l’intérieur ? »

J’avais acquiescé, et elle m’avait guidé vers une autre pièce au premier étage. Elle m’avait dit d’attendre à la table à l’intérieur, puis elle avait quitté la pièce. Quelques minutes plus tard, elle avait apporté deux portions de thé sur un plateau.

« Est-ce que ça va ? » demande-t-elle. « Je veux parler du fait de venir seul. N’êtes-vous pas un peu anxieux ? »

« J’ai assez confiance en vous pour ça. Et puis… si quelque chose arrive, Gerbera ou les autres le sentiront tout de suite et viendront à la charge. »

« Eh bien, vous avez raison, » avait-elle concédé, sans tenter de réfuter mes dires. Elle avait juste gloussé et pris un siège en face de moi.

Alors, par où devais-je commencer ? Elle ne semblait pas avoir l’intention de me presser. Elle avait simplement regardé dans ma direction avec une expression douce. J’avais pris une gorgée de thé chaud, puis j’étais allé droit au but.

« Depuis quelques jours, je sens que quelque chose ne va pas. Il semble qu’il y ait un “ennemi” dehors qui nous ait attaqués avec une sorte de magie de charme. Les seules personnes qui ont senti que quelque chose n’allait pas dans la situation actuelle sont Asarina et moi-même. »

« Maîtrrrree. »

La propriétaire m’avait regardé, puis elle avait regardé Asarina, l’air un peu troublé. Je pouvais imaginer ce qu’elle ressentait. Ce n’était pas que j’étais capable de sentir quelque chose de déplacé, mais plutôt que je finissais par le sentir. Je ravalai mon envie de sourire amèrement et continuai.

« Il y avait deux mystères, » avais-je expliqué. « D’abord, Gerbera est ici. Elle a vécu de nombreuses années dans les profondeurs des Terres forestières. Elle est une légende parmi les monstres. Un monstre du même niveau pourrait être capable de lui jeter un charme, mais elle est sensible à l’hostilité. Je doute qu’elle ne remarque pas une attaque. »

« Et quel serait l’autre mystère ? » avait-elle demandé.

« Après qu’ils nous aient piégés dans ce charme, l’“ennemi” ne nous a jamais fait de mal, » avais-je répondu en faisant tourner la tasse chaude entre mes mains. « Il est inutile d’attaquer en utilisant seulement un charme. Il faut une sorte d’attaque physique sur les cibles affaiblies pour obtenir quelque chose. Pourtant, cet “ennemi” n’a rien fait pendant trois jours, malgré la possibilité que le charme se défasse avec le temps. Je ne comprends pas pourquoi il nous a jeté ce charme… »

Je ne pouvais plus retenir un sourire réticent.

« Eh bien… Je suppose que vous ne le feriez pas. Votre prémisse entière était fausse, » dit-elle.

Qui ? Et pour quoi faire ? J’avais mal compris la situation depuis le début.

« Ce n’était pas une attaque, » avais-je dit. « Bien sûr, il ne nous est rien arrivé de mal. Peu importe à quel point Gerbera est sensible à l’hostilité. Dès le départ, notre “ennemi” n’était pas un ennemi. »

Aller jusqu’à tromper les esprits pour que je puisse voir Shiran et Kei si heureuses était un message d’un non-ennemi me disant qu’il n’avait aucune intention hostile. De plus, Asarina avait essayé de me dire quelque chose d’autre.

« Danger. Tout le monde. Savoir. Non ? »

Si nous avions vraiment été en danger, tout le monde l’aurait remarqué, non ? C’est ce qu’elle avait essayé de dire. Le fait que Gerbera n’ait rien remarqué prouvait que notre situation actuelle n’était pas dangereuse.

« Dans ce cas, quel était le but de tout cela ? » avais-je demandé, en baissant les yeux sur ma tasse.

J’avais vu des images des visages de mes compagnons dans l’eau rouge pâle, comme ils l’avaient été ces derniers jours. Ils avaient tous l’air si détendus, ou ils s’amusaient tellement… J’étais le seul à être sur le qui-vive et sur ses gardes.

« En vérité, » avais-je poursuivi, « Nous étions tous censés “profiter de ce temps de rêve” pendant notre séjour. Mais parce que je n’ai pas été complètement pris dans le charme, tout a été gâché. »

Cela dit, de mon point de vue, on ne peut vraiment rien y faire. Par exemple, que se passerait-il si quelqu’un se retrouvait dans ses rêves alors qu’il est encore éveillé ? Le monde serait illogique et inquiétant, et il serait impossible de s’amuser, non ? Ma situation s’apparentait à cela. En d’autres termes, il s’agissait d’une coïncidence malheureuse — malheureuse pour moi, car je m’étais inquiété pendant tout ce temps, et malheureuse pour celui qui nous avait offert ce rêve délicieux.

« Je me souviens maintenant, » avais-je dit. « Un de mes compagnons m’a parlé d’une étrange histoire impliquant un certain voyageur. Le nom de la pièce basée sur cette histoire est La Loge Brumeuse. »

J’avais levé les yeux et rencontré le regard de la femme en face de moi avant de continuer.

« Il était une fois, un voyageur qui fut attaqué par un monstre. Habitué au danger, il réussit à s’échapper, mais il perdit toutes ses provisions et son eau. Il n’y avait aucun village à proximité, il était donc destiné à mourir au bord de la route. Le voyageur continua à marcher désespérément, étourdi par la faim et l’épuisement. Après plusieurs jours, une brume avait commencé à envahir la région. Et au moment où il pensait que tout était fini, il trouva enfin une Loge. »

J’avais fait une pause pour mouiller ma langue avec une gorgée de thé.

« Le voyageur remercia les cieux pour sa formidable chance. Il fut courtoisement accueilli dans la Loge et épargné de son horrible destin. Cependant, quand il quitta la Loge le lendemain, il remarqua quelque chose d’étrange. Il était impossible qu’une Loge se trouve au milieu de nulle part comme ça. Lorsqu’il s’en rendit compte, il n’y avait plus aucune trace de la Loge… »

C’était la fin de l’histoire. Il y avait, en fait, beaucoup plus au milieu, mais je l’avais laissé de côté et m’étais contenté d’un résumé de base. Jusqu’à très récemment, j’avais complètement oublié cette histoire. Même Shiran, qui m’en avait parlé, ne semblait pas s’en souvenir. Quelque chose nous avait probablement fait oublier, car cette connaissance aurait rendu difficile l’établissement de cette situation. Le fait que je m’en souvienne maintenant était la preuve que le charme se défaisait, ou peut-être que cette pièce était spéciale.

« Il semble que ce conte se soit transmis depuis longtemps dans de nombreux endroits. Bien sûr, le témoin change ici et là pour devenir un fermier ou un chasseur. Le seul point commun est qu’ils ont tous atteint une auberge alors qu’ils marchaient dans un épais brouillard, et qu’au cours de leur séjour, pas un seul n’a trouvé quoi que ce soit d’anormal dans cette situation manifestement étrange. »

Beaucoup trop de détails de cette histoire coïncidaient avec le phénomène que nous vivions actuellement. Ce ne pouvait pas être une coïncidence, d’autant plus que nous avions commodément oublié cette histoire.

« Ce qui est intéressant, c’est que depuis très longtemps, des récits de témoins de la Loge Brumeuse surgissent toutes les quelques décennies. Ça ne peut pas être l’œuvre d’humains. Ce ne peut pas être des monstres non plus. Ils ne sauveraient jamais les gens, après tout… C’est le bon sens dans ce monde, non ? »

J’avais fait une pause pour vérifier sa réaction. La femme m’avait souri en réponse. Son sourire était doux, mais je ne pouvais pas voir ce qui se cachait derrière. J’avais l’impression d’être noté alors que je continuais.

« J’ai le pouvoir d’accorder des cœurs aux monstres. Mais tout ce que cela revient à faire, c’est d’aider ceux qui ont déjà les bases d’un cœur à développer. La grande araignée blanche qui vit depuis de nombreuses années, Gerbera, avait déjà quelque chose comme un cœur avant notre rencontre. Il y a aussi le précédent établi dans la tragédie du roi mort-vivant Carl à propos du monstre mort-vivant qui régnait sur un pays entier. Il est plus que possible qu’un monstre ait un cœur sans ma présence. »

Mon pouvoir n’avait fait que stimuler la croissance d’un cœur qui était déjà là. Ça avait accéléré le processus, mais avec le temps, ça se serait produit quand même. C’était juste de la simple logique.

« Jusqu’à présent, je pensais que de tels êtres n’existaient que dans les Profondeurs, les Abysses ou les Bois sombres. Mais ce n’est pas forcément le cas. J’ai été négligent. Tous les monstres ne s’installent pas au même endroit. »

J’avais été moi-même témoin d’un tel exemple. Il y avait des monstres qui nageaient dans l’air comme s’il s’agissait d’un grand océan — les tripodrills. Ils formaient des bancs massifs et se déplaçaient sur le continent au gré des saisons. Les monstres migrateurs existaient bien dans ce monde.

« De tout cela, j’ai tiré une théorie, » dis-je en posant ma tasse sur la table et en faisant face à la femme devant moi. « Celui qui a sauvé les voyageurs dans les contes de La Loge Brumeuse est un monstre migrateur qui utilise la brume comme support pour lancer un charme. En résumé, c’est vous. »

Le sourire de l’aubergiste s’était creusé pendant qu’elle m’écoutait.

« Puis-je vous corriger sur deux points ? » dit-elle, semblant s’amuser. « Je ne jette pas un charme en utilisant de la brume. Le charme n’est qu’une partie de ma magie. »

« Que voulez-vous dire ? »

« Je veux dire que cette Loge n’est pas juste une illusion. La magie de charme la plus puissante peut réécrire la réalité. »

« Réécrire… la réalité ? »

« On pourrait dire que je crée une autre dimension. Ici, tout est réalité. Ma magie crée un monde séparé de brume. »

« Une autre dimension… »

Je déglutis, me rappelant le goût du thé dans ma bouche. Maintenant que j’y pense, le voyageur de La Loge Brumeuse évitait de mourir de faim en restant à l’auberge. Les illusions ne pouvaient pas remplir le ventre d’une personne. Mais si c’était une autre réalité, cela expliquait comment le voyageur avait été sauvé. Mais c’était beaucoup trop…

« J’ai l’impression que vous dites quelque chose de vraiment scandaleux…, » avais-je dit.

« Pas vraiment, » répondit-elle en secouant la tête. « Le monde que je crée est fragile. En vérité, si Gerbera ou autre se déchaînait, il se briserait en un instant. »

Néanmoins, elle créait une tout autre dimension, même si ce n’était que temporaire. C’était vraiment une capacité redoutable. J’avais eu l’impression, en plaisantant, qu’un renard ou un Tanuki ou quelque chose du genre nous avait piégés…

« Mais qu’est-ce que vous êtes ? » avais-je demandé, ayant du mal à masquer la tension dans ma voix.

J’attendais sa réponse en retenant mon souffle. En revanche, la femme avait entrelacé ses doigts sur la tasse devant elle, tout en gardant son sourire.

« Savez-vous ce que sont les monstres, mon cher ? »

« Hein ? C’est un peu soudain. Des créatures qui possèdent du mana… c’est ça ? »

La femme secoua la tête. « Cette définition n’est pas strictement correcte. Tant qu’ils ont du mana, même une marionnette en bois ou un cadavre peuvent bouger. Ils n’ont pas besoin d’être des créatures vivantes. Non. Pas seulement ça. En fait, ils n’ont pas besoin d’avoir une substance physique… »

À ce moment-là, la femme assise en face de moi avait disparu. Son doux sourire, ses cheveux bruns, son petit corps… Tout avait disparu sans laisser de trace alors que je n’avais même pas cligné des yeux.

« Quoi — !? »

« La substance physique n’a pas d’importance. La vraie nature d’un monstre est le mana. »

J’avais entendu une voix venant de nulle part. Je n’étais cependant pas ensorcelé par la magie du charme. Je pouvais sentir sa présence dans les murs, le sol, le plafond et dans chaque meuble de la pièce. Elle me faisait comprendre si je le voulais.

« Je vois… » marmonnai-je. « Donc, la Loge Brumeuse des comtes n’est pas un monstre créé par la magie du charme. Cette dimension entière créée par la magie est en fait… »

« Oui. Exactement. » Avant que je ne le sache, la femme était apparue une fois de plus et avait hoché la tête avec un sourire. « Je suis la Loge Brumeuse elle-même. Je suis le monstre qui erre dans ce monde pour l’éternité. Je suis la magie même qui crée ce monde de brume. »

***

Chapitre 17 : Quelqu’un qui connaît le passé

Me sentant un peu assoiffé, j’avais pris ma tasse de thé et j’avais avalé son contenu d’un trait. Le thé était devenu tiède pendant que nous parlions, mais c’était plus que suffisant pour apaiser mes émotions.

« Désolé, » avais-je dit en reposant la tasse vide sur la table.

« Oh ? » Les yeux renversés de la Loge Brumeuse s’élargirent. « Je ne pensais pas que vous vous excuseriez, » dit-elle en brossant le paquet de cheveux brun doré qui pendait sur sa poitrine. « Je pensais plutôt que vous alliez vous plaindre. »

« Se plaindre ? De quoi ? »

« L’expérience a été plutôt désagréable pour vous, n’est-ce pas ? »

« Aah… » J’avais acquiescé, puis j’avais secoué la tête. « Je ne vais pas le nier, mais mes compagnons ont beaucoup apprécié leur séjour. Je n’ai pas l’intention de vous critiquer. »

« Je vois… C’est parce que vous avez une telle personnalité que vous n’avez pas du tout changé, » déclara la Loge Brumeuse en mettant une main sur sa poitrine.

« N’a pas changé ? Que voulez-vous dire ? »

« Comme je l’ai déjà dit, la Loge Brumeuse est une magie qui crée une autre dimension. Elle a le pouvoir d’écraser la réalité. »

Elle commença à expliquer tout en levant un doigt à la fois. Elle avait vraiment l’air de s’amuser. Peut-être était-elle plutôt bavarde après des contacts répétés avec l’humanité au cours des âges.

« Pour être plus précis, les désirs de ceux qui y errent deviennent réalité, même si leur désir était absurde au départ. Le charme qui les empêche de s’en rendre compte ne sert qu’à s’assurer qu’ils ne trouvent pas cela étrange. »

« Tout ici est la réalité, » avais-je marmonné. « Le charme n’est qu’une partie de la magie. Vous l’avez dit tout à l’heure. Alors, le malaise que je ressentais était dû à ces impossibilités ? »

Tout désir pouvait être exaucé d’une manière qui semblait conforme à la réalité. C’était vraiment un monde de rêves.

« Oui. Cependant, si le charme est utilisé pour autre chose que de trafiquer les incohérences des désirs manifestés de ceux qui s’y promènent, il perd de sa puissance. Vous en souvenez-vous ? Quand vous avez jeté un coup d’œil à Shiran et Kei, vous avez réalisé que son esprit ne pouvait pas vous détecter. C’est pourquoi vous l’avez remarqué. À ce moment-là, j’ai utilisé ma magie de charme pour vous montrer que je n’avais aucune mauvaise volonté. »

« Ce n’était pas une fonction normale de la Loge Brumeuse, donc même si vous avez réussi à tromper l’esprit, vous ne pouviez pas cacher le fait que vous l’aviez fait ? »

« C’est comme ça. Je suis spécialisé dans la construction de la magie appelée Loge brumeuse, donc tout ce qui n’y est pas lié est de la magie supplémentaire et donc un pas ou deux en dessous en termes de puissance. »

« Je suis sûr que c’est assez impressionnant en soi. Personne ne remarque l’impossible… » J’avais soudainement réalisé quelque chose. « Oh oui, je n’ai rien senti de bizarre chez certains de mes compagnons. Pourquoi ça ? »

« C’est simple. Si vous n’avez rien ressenti de particulier à leur sujet, cela signifie que rien n’a changé par rapport à avant. Vous, Mana, Ayame et Kei n’avez pas changé du tout. »

« En d’autres termes… »

« Vous êtes tous satisfaits du présent. »

C’était logique. C’est pour ça qu’elle m’avait dit : « C’est parce que vous avez une telle personnalité que vous n’avez pas changé du tout. » C’était vrai. Tant que j’avais les filles à mes côtés, j’étais presque entièrement satisfait. Tant qu’elles étaient heureuses, je ne pouvais rien espérer de plus. C’est pourquoi j’étais resté le même, même après être entré dans cette dimension des rêves. Peut-être que Katou, Kei et Ayame ressentaient la même chose. D’un autre côté, cela signifiait que tous les autres avaient une sorte de désir.

Le charme s’était déjà effondré pour moi. J’étais le seul à savoir comment chacun avait changé. Cela dit, je ne savais pas comment ces changements reflétaient leurs désirs. Enfin… Je savais comment pour l’un d’entre eux. Gerbera était facile à comprendre, elle était simple et honnête. Au risque d’avoir l’air de me vanter, elle était adorable comme ça. Mais j’avais honte en tant qu’homme, car je ne pouvais pas résister à son étreinte. Au moins, je pourrais renforcer mon corps un peu plus. Je veux dire, elle désirait tellement mon étreinte.

« Merci de m’avoir expliqué les choses. C’est vraiment très clair, » avais-je dit en souriant. « Je me suis creusé la tête pour essayer de comprendre dans quoi je me suis fourré ces trois derniers jours. »

« Je dois vraiment m’excuser pour ça. »

« Comme je l’ai dit, je ne vous en veux pas vraiment, alors ne vous en faites pas. Eh bien, j’étais plutôt anxieux, » avais-je ajouté avec un sourire en coin. « C’était comme si je dansais tout seul sur… aïe. »

Une douleur soudaine avait traversé ma main gauche, me faisant ravaler mes mots. J’avais baissé les yeux pour voir Asarina ronger mon doigt. J’avais souri doucement à cette vue.

« C’est vrai. Je n’étais pas seul. Tu étais avec moi depuis le début. »

« Maître ! »

« Maintenant que j’y pense… Pourquoi sommes-nous les seuls à ne pas avoir été affectés par le charme ? »

« Oh, à ce propos. Cette enfant a une grande résistance aux charmes, » répondit la Loge Brumeuse en nous regardant tous les deux avec un sourire. « Sa résistance a même eu une influence sur vous, vu que vous êtes liés. »

« Oh, donc c’est à cause d’Asarina ? »

« Maître… »

« Je ne te blâme pas. Ne t’inquiète pas. »

J’avais poussé Asarina alors qu’elle se laissait tomber. La Loge Brumeuse avait gloussé à ce sujet.

« D’ailleurs, Gerbera a aussi été prise de justesse dans l’affaire, » dit-elle. « Cette fille est vraiment hors norme. »

« Vraiment ? J’avais l’impression que vous étiez beaucoup plus fort qu’elle. Au moins, vous avez vécu plus longtemps qu’elle, non ? »

Gerbera n’avait pas obtenu de cœur avant que je la rencontre, mais ce n’était pas le cas de la Loge Brumeuse. Ses légendes se transmettaient à travers tous les territoires, ce qui signifie qu’elle avait passé un long moment sans agresser aucun humain. Cela aurait été impossible pour un monstre sans volonté.

Cependant, sans l’aide de mes capacités, il fallait beaucoup de temps à un monstre pour acquérir un cœur. La Loge Brumeuse avait certainement passé beaucoup plus de temps à errer dans ce monde que Gerbera. Je pensais que cela signifiait que la puissance de la Loge Brumeuse correspondrait à cette différence, mais la Loge Brumeuse avait secoué la tête.

« Ne vous l’ai-je pas dit ? » Avait-elle demandé. « Je suis spécialisée dans la construction de la magie appelée la Loge Brumeuse. Je n’ai pas beaucoup de pouvoir autrement. » Elle avait baissé les yeux, ses cheveux bruns se balançant dans tous les sens. « Je n’ai fait que dériver dans ce monde pendant longtemps. J’ai vu beaucoup de choses pendant ce temps… »

Elle avait légèrement secoué la tête, s’était ressaisie et avait souri de manière ludique.

« Hee hee. Actualiser ce monde est remarquablement inefficace, vous savez ? Une fois activé, je ne peux le maintenir que pendant trois ou quatre jours maximum. Cela nécessite une énorme quantité de mana. Je dois passer de nombreuses années à construire lentement la magie avant de pouvoir l’activer. Au final, une quantité assez importante de mana est déversée dans le glyphe. »

« De nombreuses années… ? Combien, exactement ? »

« Hmm. Je suppose que c’est quelque part autour d’une quarantaine d’années ? »

« Quarante !? »

Sa réponse désinvolte m’avait laissé sans voix. Mais maintenant que j’y pensais, les témoignages se produisaient toutes les quelques décennies. Cet intervalle était apparemment dû au fait que la Loge Brumeuse avait besoin de temps pour préparer cette magie. Et elle avait utilisé cette magie juste pour nous.

« Hé… Pourquoi m’avez-vous amené dans votre monde ? » avais-je demandé. Je ne pouvais pas m’empêcher de me le demander.

« J’ai deux raisons, » commença-t-elle doucement, s’attendant déjà à cette question. « D’abord, je voulais vous connaître. Je voulais connaître l’homme accompagné de monstres, et ceux qui l’adorent. Je voulais voir vos relations de mes propres yeux. Après vous avoir observé pendant les trois derniers jours… je peux dire que vous êtes vraiment importants l’un pour l’autre. Toutes les filles que vous traitez si précieusement étaient adorables. »

Elle avait gloussé, une note d’approbation dans son ton.

« J’ai parlé avec elles à plusieurs reprises. Elles étaient si mignonnes que je me sentais moi-même un peu gênée. »

Je m’étais demandé de quoi elles avaient parlé. J’étais un peu curieux, mais j’avais décidé de ne pas être indiscret. Il y avait de quoi être timide.

« Et l’autre raison ? » avais-je demandé.

« J’aimerais établir une relation amicale avec vous, mon cher, » dit la Loge Brumeuse, ses épaules fines s’affaissant. « Il semble que j’ai échoué à cet égard… »

« Tout est bien qui finit bien. Je vous suis reconnaissant pour ce que vous avez fait. Alors ? Pourquoi vouliez-vous en savoir plus sur nous et gagner nos faveurs ? »

Il devait y avoir une raison pour que la Loge Brumeuse nous contacte. Elle devait avoir une sorte d’objectif.

La Loge Brumeuse avait cessé de sourire. Son atmosphère douce était restée telle quelle, mais son expression était devenue sérieuse.

« J’ai une requête, » dit-elle en corrigeant sa posture. « J’aimerais me joindre à vous pour votre voyage. » Sa voix était beaucoup plus claire qu’avant. « Et ensuite, j’aimerais voir comment votre destin se termine. »

« Mon destin… ? »

La particularité de sa formulation n’était pas la seule chose qui me déconcertait. Je sentais en elle une détermination complètement distincte de son désir de nous accompagner.

« Vous voyez, j’ai cherché quelqu’un comme vous… pendant des années, et des années, et des années, tout ce temps. »

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » avais-je demandé avec une grimace. « Je ne vois pas d’inconvénient à ce que vous veniez, mais pourquoi chercher quelqu’un comme moi ? Vous voulez dire que vous avez cherché un visiteur ? » C’était la raison la plus probable à laquelle je pouvais penser.

« Non, pas n’importe quel visiteur, » avait-elle répondu. « Vous, plus précisément, mon cher. J’ai cherché quelqu’un qui puisse communiquer avec le cœur d’un monstre. »

Ma perplexité n’avait fait que croître.

« Vous avez deviné que le charme venait d’un monstre comme moi qui possède une volonté. Mais vous n’avez pu le deviner que parce que vous êtes dans une position spéciale grâce à votre pouvoir unique, non ? Les êtres comme moi ne sont pas connus dans ce monde. Il y a beaucoup d’autres choses qui ne sont pas connues non plus… »

« Il y a plus… ? » Mon pouls s’était accéléré. Je savais que j’étais sur le point d’entendre quelque chose d’extrêmement important. « Qu’est-ce qui est inconnu dans ce monde, exactement ? » J’avais inconsciemment serré mes mains sur la table.

« Pensez-vous être le premier à pouvoir communiquer avec le cœur d’un monstre ? »

J’avais été pris au dépourvu, incapable de répondre immédiatement.

« Ne le suis-je pas… ? »

En tout cas, je n’avais jamais entendu parler d’une telle chose. La seule exception était Kudou Riku, le garçon qui, bien que dompteur de monstres, avait choisi de devenir un Roi-Démon. Il était censé être le seul autre.

« Alors… vous voulez dire qu’il y avait d’autres humains qui pouvaient faire la même chose ? » avais-je demandé, incapable de cacher à quel point j’étais secoué. « Mais c’est impossible. J’ai cherché à savoir s’il y avait eu quelqu’un comme moi dans le passé au moment où j’ai rejoint la société humaine. J’ai enquêté sur les légendes des sauveurs… des gens qui avaient des tricheries comme moi, qui sont venus dans ce monde au cours des âges. Pas une seule histoire parmi elles ne mentionne la formation d’un lien avec les monstres. »

« Croyez-vous que l’histoire dit toujours la vérité, mon cher ? »

C’était suffisant pour me rendre silencieux. Par exemple, lorsque j’avais entendu parler pour la première fois des légendes de sauveurs par Shiran, j’avais trouvé qu’elles étaient trop propres, comme si elles étaient toutes inventées. Chacun des sauveurs avait héroïquement combattu des monstres, sans exception. C’est ce que disaient les légendes. Cependant, les visiteurs que j’avais vus de mes propres yeux n’étaient pas du tout comme ça.

Nous n’étions pas des héros. Nous étions des humains, naturellement pleins de faiblesses. Kudou s’était transformé en Roi-Démon parce que cette faiblesse disgracieuse l’avait piétiné, transformant tout en haine. Takaya Jun était devenu la Bête folle. Bien sûr, notre cas était particulier dans la mesure où un millier de visiteurs étaient apparus dans les Profondeurs, mais il était difficile de croire que pas une seule personne au cours des siècles d’histoire ne s’était écartée du droit chemin.

Les légendes des sauveurs ne parlaient pas de ces réalités désordonnées. De telles choses étaient pratiquement inexistantes. Si c’est le cas, alors quelles autres vérités gênantes avaient été balayées sous le tapis ? Par exemple, qu’en est-il des elfes ? Il fut un temps où les esprits étaient considérés comme un type de monstre, et les elfes qui utilisaient la magie pour passer un contrat avec lesdits esprits, un peu comme une sorte de dompteur de monstres, étaient traités comme des traîtres à l’humanité. Les choses étaient allées jusqu’à ce que les elfes soient lapidés dans les rues.

Supposons qu’un sauveur apparaisse, qui soit un dompteur de monstres, ou qu’il puisse communiquer avec les monstres sous une autre forme. L’histoire raconterait-elle vraiment leur histoire ? C’est peut-être parce que ces histoires sont restées cachées que le fait que les monstres puissent avoir une volonté est resté inconnu du grand public. C’est ce à quoi la Loge Brumeuse faisait allusion, et le fait qu’elle le fasse maintenant signifiait…

« Ne me dites pas… Connaissez-vous vraiment quelqu’un d’autre que moi ? »

Elle connaissait un de mes prédécesseurs rayés de l’histoire. Elle connaissait leur existence, le déroulement de leur vie, et leur destin. C’est pourquoi elle s’intéressait à moi et avait passé tant de temps à se préparer à me contacter. Si c’est le cas…

« Qu’est-ce que vous avez vu ? » avais-je murmuré.

Que leur est-il arrivé ? Comment ont-ils connu leur fin ? Je ne pouvais pas laisser passer cette occasion. Malheureusement, la Loge Brumeuse avait secoué la tête.

« Je ne peux pas en parler plus que je ne l’ai fait, » avait-elle déclaré.

« Pourquoi ? »

« Je suis désolée, mais je ne fais pas ça pour être méchante. Je n’ai fait que regarder. J’ai été un spectateur. Je n’ai jamais été sur la scène. En tant que spectateur, je n’ai pas le droit de parler de lui… Pour cette raison, je crois que certaines choses ne passeront pas, même si je parle de lui. »

Elle s’était excusée, mais j’avais vu de la détermination dans son expression.

« Je trouve que la relation que vous avez avec vos serviteurs n’a pas de prix. Je vous encourage tous. Pour cette raison, si vous voulez en savoir plus, j’aimerais que vous visitiez les bois sombres au nord d’Aker. »

« Pourquoi là ? »

J’avais parcouru la carte dans ma tête. Une parcelle de Bois sombre s’étendait à l’ouest des montagnes de Kitrus. C’était une forêt massive qui servait de frontière entre le royaume de l’Alliance d’Aker et le territoire impérial du comté de Longue.

« Vous ne voulez pas dire… »

« Oui. Il y a là quelqu’un qui connaît le passé. Si vous voulez continuer à vivre dans ce monde avec ces filles qui vous sont si chères, je suis sûre qu’il sera avantageux pour vous de l’écouter. »

« Je vois… »

Je pouvais au moins deviner dans une certaine mesure ce qu’elle avait dit. Comme il s’agissait d’un bois sombre, le maître de la forêt devait être un puissant monstre non migrateur. J’avais entendu parler de celui qui vivait là. On l’appelait la Rage des Terres. C’était probablement le nom du monstre qui connaissait le passé, qui connaissait quelqu’un d’autre comme moi.

Je ne savais pas comment ce monstre était lié à la Loge Brumeuse. Cela avait probablement quelque chose à voir avec l’une de ces personnes du passé qui pouvait parler aux monstres. Pour l’instant, il était plus que suffisant pour moi qu’elle dise cela par souci pour nous.

« C’est vrai. Je m’en souviendrai, » avais-je dit.

La Loge Brumeuse s’était fendue d’un sourire ravi.

***

Chapitre 18 : La Loge brumeuse

« D’accord, » dit la Loge Brumeuse, en se levant maintenant que nous avons atteint un bon point d’arrêt. « Le temps passe vite quand on s’amuse. Nous avons beaucoup parlé. »

Elle avait balayé son bras avec désinvolture, et en un instant, tout ce qui se trouvait sur la table avait disparu. Ce n’était… pas si surprenant que ça. C’était son monde, après tout.

« Je suppose que je devrais commencer à me préparer à partir avec vous. »

Après avoir nettoyé tout ce qui se trouvait entre nous d’un seul coup de bras, la Loge Brumeuse s’était approchée de moi. Je ne me méfiais plus d’elle, mais je trouvais cela étrange.

« Se préparer ? En faisant quoi ? » avais-je demandé.

Elle s’était arrêtée juste devant moi et avait dit : « Je suis la magie appelée la Loge Brumeuse. En dehors des moments comme maintenant où j’ai construit mon monde, je ne suis qu’une existence vide qui dérive. Pour vous accompagner, mon existence doit être ancrée dans votre corps. » Elle m’avait regardé avec un sourire alors que je restais assis. « Formons donc un contrat. »

« Un contrat ? » Je fronçais les sourcils. C’était un vocabulaire terriblement familier. « Est-ce le même contrat que les elfes passent avec les esprits ? »

« Oui. Fondamentalement, vous pouvez considérer que c’est la même chose. »

« Donc un monstre comme vous peut exécuter le même contrat qu’un esprit ? »

J’avais peut-être l’air un peu suspicieux. Pourtant, la Loge Brumeuse avait hoché la tête comme si ce n’était pas grave.

« Bien sûr. Les esprits ne sont pas si différents de moi. »

Je m’étais raidi à sa remarque désinvolte. Voyant ma réaction, elle avait écarquillé les yeux, avec curiosité.

« Oh là là. Est-ce si surprenant ? Les esprits sont aussi du mana sans forme substantielle. Ne sont-ils pas donc identiques à moi ? »

« C’est peut-être le cas, mais… » Quand elle l’avait dit comme ça, c’était parfaitement logique, mais je ne pouvais pas enlever le mauvais goût de ma bouche. « Est-ce que ça veut dire, humm, que les esprits sont des monstres ? »

« Eh bien, c’est comme ça. »

Comme je m’y attendais, la Loge Brumeuse avait nonchalamment confirmé mes soupçons. C’était sans importance pour elle en tant que monstre. Cependant, pour les humains, c’était une autre histoire. Les elfes avaient autrefois été discriminés précisément parce que les esprits avaient été considérés comme des monstres. Maintenant, j’apprenais qu’ils étaient vraiment des monstres.

« Inversement, je suppose que vous pourriez aussi dire que je suis un esprit, » avait ajouté la Loge Brumeuse. « Cela dépend de la façon dont vous l’interprétez. Y a-t-il quelque chose de mal à cela ? » Elle inclina la tête.

J’étais secoué par cette vérité inattendue, mais même si les esprits étaient des monstres, cela ne signifiait pas que les elfes étaient des traîtres qui travaillaient avec les monstres. Cela ne changeait rien à l’injustice dont ils avaient souffert dans le passé. Et ça n’avait pas d’importance pour moi non plus que les esprits soient des monstres. Bien sûr, cela ne pouvait pas être rendu public, mais si je faisais attention, il n’y aurait pas de problème si ça se savait.

« Désolé d’avoir fait dévier les choses. Continuez, s’il vous plaît, » avais-je dit.

La Loge Brumeuse avait hoché la tête. « Très bien. Je pense que vous feriez mieux de demander à Shiran de vous apprendre à utiliser le contrat une fois qu’il est formé. La sensation ne devrait pas être très différente de la matérialisation et de l’utilisation d’un esprit. »

« Vous êtes vraiment comme un esprit. »

Une différence notable était que la Loge Brumeuse avait un ego ferme et que je n’étais pas un elfe.

« Malheureusement, je suis horriblement inefficace, donc je ne pourrai pas faire grand-chose pour vous. Vous devriez vous abstenir de me faire matérialiser constamment comme Shiran le fait avec son esprit. »

« L’efficacité… Vous voulez dire la vitesse à laquelle vous consommez le mana ? »

« Oui. En utilisant mon propre mana, je peux le maintenir pendant un certain temps, mais… »

« J’ai compris. Ce mana est habituellement réservé à la magie pour créer ce monde brumeux, non ? Si cela vous convient, cela ne me dérange pas que vous ne sortiez que lorsque vous le souhaitez. »

Ce n’était pas comme si j’allais acquérir la puissance d’un monstre de haut niveau, mais c’était vraiment une montée en puissance pour moi. Je devais découvrir ce que je pouvais faire exactement avec le contrat en apprenant les bases avec Shiran et en essayant des choses. C’était sûr que ça allait être beaucoup de travail, mais mon cœur dansait un peu à cette perspective. Je me réjouissais de l’avenir.

« Attendez, attendez une seconde. Avant cela, nous devons former un contrat, non ? Je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire. Devons-nous réveiller Shiran ? »

« Ce n’est pas nécessaire, mon cher, » dit la Loge Brumeuse en ricanant et en secouant la tête. « Que savez-vous du contrat avec les esprits ? »

« Seulement que ça existe. Je ne connais pas tous les détails. »

« Il faut donc commencer par le commencement. Un contrat est, en résumé, de la magie pour ancrer un esprit errant à votre propre corps. Le plus difficile est de créer une connexion avec l’esprit. Ceux qui relèvent le défi doivent fondre leur âme dans le monde par la méditation, en pénétrant dans le même endroit que les esprits. »

« Je pense que vous aviez besoin… d’une âme noble, et d’une prière pure ? » avais-je demandé, me rappelant ce que Shiran m’avait dit.

La Loge Brumeuse avait hoché la tête. « Oui. Les esprits préfèrent les âmes pures. Sans elles, il est impossible de les contacter. Et sans une volonté forte, on ne peut pas ramener son âme après l’avoir fusionnée avec le monde. C’est pourquoi un contrat d’esprit est considéré comme une épreuve. »

Les contrats avec les esprits n’avaient pas vraiment de rapport avec moi, c’est pourquoi je ne m’étais jamais posé de questions à leur sujet en détail auparavant. J’avais trouvé cela plutôt intéressant.

« Mais je suis déjà là, devant vous, donc cette étape est inutile. »

« D’accord. Je comprends maintenant, » avais-je dit en hochant la tête, puis j’avais froncé les sourcils. « Mais… Que dois-je faire ? »

« Rien en particulier, » répondit-elle franchement. « Tout ce que vous avez à faire, c’est m’accepter. »

« Je veux dire, même si vous le dites comme ça… »

En un sens, cette demande était plus difficile à satisfaire qu’un rituel spécifique. Est-ce que cela signifie que je peux le faire sans vraiment y réfléchir ? Si c’est le cas…

J’avais regardé la Loge Brumeuse, en me concentrant comme je le ferais sur le cheminement mental.

« Oh… »

En le faisant, j’avais senti le cheminement mental former une connexion entre nous. C’était la première fois depuis Shiran que je devais me concentrer pour former une connexion. Shiran et la Loge Brumeuse… Le point commun entre elles était qu’elles étaient gênées avant de me rencontrer. Peut-être était-ce simplement difficile pour moi de former une connexion avec de tels êtres.

« Wow. Vous l’avez vraiment fait en m’acceptant, » dit la Loge Brumeuse.

« Pensiez-vous que je ne pourrais pas le faire ? »

« Le savoir et le vivre sont deux choses différentes, mon cher. »

Elle avait raison.

« Pouvez-vous rester tranquille un moment ? » dit-elle en tendant une main vers moi.

Elle avait touché mon corps ici et là, un peu comme le processus de palpation. Cela me chatouillait un peu, mais je me retenais et j’attendais tranquillement. Après un moment, le visage de la Loge Brumeuse s’était soudainement crispé.

« Quel est le problème ? Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé.

Elle avait levé les yeux vers moi, son expression étant quelque peu sévère. « En regardant de plus près… on dirait que vous êtes fêlé. »

« Fêlé ? » avais-je répété, hochant la tête devant le terme étranger.

« Il y a une fissure dans votre âme. Eh bien, tout humain aura un défaut ou deux, et quand on forme un contrat avec un esprit, ils sont aussi utilisés comme point de connexion… »

« Alors, c’est bien, non ? »

Je n’avais aucune idée de ce qu’elle disait. Ça n’avait pas l’air d’être un problème majeur, mais la Loge Brumeuse avait secoué la tête.

« Votre défaut est un peu anormal. »

« Je ne comprends pas vraiment ce que vous dites. »

« Est-ce que quelque chose vous vient à l’esprit ? N’importe quoi. »

Maintenant qu’elle l’avait demandé, plusieurs exemples m’étaient venus à l’esprit. Dans cet espace mystérieux, lorsque j’avais plongé pour sauver Shiran, ma projection s’était fissurée. De même, pendant le combat contre la Bête folle, j’avais entendu quelque chose en moi se briser.

« Alors quelque chose vous vient à l’esprit, » dit-elle avec un soupir, soit en devinant par mon expression, soit par le cheminement mental. « Vous ne devriez pas inquiéter ces jolies filles en allant trop loin. »

« Cependant, cela ne s’est pas vraiment avéré être un inconvénient. Aah, mais… Shiran m’a déjà dit quelque chose de similaire et s’est vraiment mise en colère. »

« Shiran l’a fait ? Je la vois bien faire ça. »

« Alors à propos de ce contrat, y a-t-il une possibilité qu’il affecte mon corps d’une manière ou d’une autre ? »

« Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter à ce sujet. Un contrat avec moi n’est pas si différent de la simple connexion de votre cheminement mental. Comme je l’ai déjà dit, il ne représente pas une menace pour votre vie comme le contrat que les elfes passent avec les esprits. »

« Je vois. »

Cela correspondait à ma compréhension instinctive de mes propres capacités. Elle me disait que je pouvais conclure un contrat sans problème — du moins tant que je n’étais pas déraisonnable. Je n’avais pas l’intention d’hésiter si les choses se gâtaient, mais je n’avais aucune raison de me faire du mal pour l’instant.

« D’accord, maintenant que nos préparatifs sont terminés, allons-nous former un contrat ? » demanda la Loge Brumeuse.

« Oui, allez-y, » avais-je répondu d’un signe de tête.

Elle avait mis sa main sur mon œil droit. « Nous serons colocataires à partir de maintenant. Je m’en réjouis, Asarina. »

« Maître ! »

De la brume avait jailli de sa main alors qu’Asarina nous surveillait. La brume avait construit un glyphe, tournant et se contractant alors qu’elle se rapprochait de mon œil droit. J’avais résisté à l’envie de fermer mon œil par réflexe et j’avais accepté le glyphe.

« Argh… »

J’avais senti un élancement au fond de mon crâne et j’avais gémi, mettant involontairement ma main sur mon œil droit.

« Contrat établi, » dit la Loge Brumeuse avec satisfaction.

Cette déclaration avait été le déclencheur. La Loge Brumeuse souriant avait commencé à s’effacer. Au même moment, le bâtiment dans lequel nous nous trouvions avait commencé à s’estomper. Le monde des brumes se dissolvait.

« M-Maître !? »

Ayant remarqué cela, les filles étaient sorties en courant de leurs chambres. À ce moment-là, le corps de Loge Brumeuse avait pratiquement disparu.

« Qu-Quoi… ? »

Les filles étaient restées là, perplexes. Elles étaient toutes redevenues ce qu’elles étaient normalement — cette fois, pour de vrai. La réalité, que la plus unique des grandes magies avait écrasée, revenait à la normale.

« Avez-vous apprécié ce moment de rêve ? » leur demanda la Loge Brumeuse en souriant. « Oh, il n’y a pas besoin de s’inquiéter. Vous pourrez entendre les détails de notre cher maître après cela. Quant à vos désirs qui sont devenus une réalité dans ce monde, chacune de vous se souviendra pleinement de tout ce qui concerne son propre désir, mais rien concernant les autres. »

Elle m’avait fait un clin d’œil. Je suppose qu’elle me demandait de ne pas dire que je me souvenais de tout. C’était mieux ainsi. Certaines d’entre elles voudraient savoir ce qui s’est passé, mais il serait plus naturel qu’elles le demandent.

« Oh ! Encore une chose, mon cher, » ajouta-t-elle, se souvenant soudainement de quelque chose. Elle frappa ses mains, maintenant transparentes, l’une contre l’autre. « Pourrais-je aussi avoir un nom ? »

« Bon… » Face à son regard plein d’espoir, j’avais réfléchi. J’avais plusieurs options sous la main au cas où je gagnerais d’autres serviteurs. « Pourquoi pas... Salvia ? »

« Salvia… Hm, un bon nom. »

La Loge Brumeuse — Salvia (Sauge) — m’avait souri gentiment, et sa silhouette s’était fondue dans l’air.

 

 

« Je serai à vos soins, Maître. »

Tout ce qui restait d’elle était sa voix qui frôlait mon oreille. Au même moment, le bâtiment entier s’était transformé en brume. Tout s’était dissipé en un clin d’œil, et nous nous étions retrouvés sous le soleil du matin.

Ainsi, nous nous étions réveillés de notre rêve de trois jours dans la brume, et j’étais devenu le maître de mon nouveau serviteur, Salvia, la Loge Brumeuse.

***

Chapitre 19 : Les visiteurs des terres lointaines ~ Point de vue de Iino Yuna ~

Partie 1

Trois jours après m’être séparée du groupe de Majima, j’avais remis les pieds dans la ville de Serrata, dans le comté de Lorenz. J’étais venue ici pour voir Louis, celui qui avait dit que Majima Takahiro était l’un des dompteurs de monstres qui avaient attaqué le Fort de Tilia — bien que cela se soit avéré être une fausse information.

Je ne voulais pas vraiment le presser de me dire pourquoi il m’avait menti. Je voulais juste le voir et lui parler. Quand je m’étais rappelé la façon dont ses poings avaient tremblé dans une juste indignation, je ne pensais toujours pas qu’il avait menti.

Si mes yeux étaient pourris et qu’il était en fait une sorte d’escroc… Eh bien, ce serait impardonnable, mais ce serait quand même le meilleur résultat. Si c’était le résultat d’un malentendu ou d’une mauvaise communication, ou si quelqu’un d’autre l’avait trompé, ce serait une véritable tragédie. S’il était vraiment le type de personne que je croyais qu’il était, il comprendrait si je lui en parlais. S’il ne l’était pas, je devrais simplement le battre.

Avec cette idée en tête, j’avais vigoureusement frappé aux portes du Fort de Serrata. Malheureusement, pour sauter directement à la fin de l’histoire, mon enthousiasme n’avait abouti à rien.

Cela faisait environ deux semaines que je n’étais pas venue ici, et Louis était maintenant parti. Je n’avais pas non plus réussi à obtenir un rendez-vous avec Travis du Saint Ordre, qui était avec Louis la dernière fois que je l’avais vu. Selon le comte Lorenz, qui m’avait accueillie à leur place, tous deux individus avaient déjà quitté Serrata avec l’armée provinciale de Maclaurin.

La raison de la présence de Louis à Serrata était d’agir comme mandataire du Margrave Maclaurin et d’accueillir les soldats qui avaient survécu à la chute du Fort de Tilia. Pour ce faire, il devait communiquer avec divers autres endroits, d’où son séjour au Fort de Serrata, où cela était possible à accomplir. Pendant ce temps, la deuxième compagnie des Chevaliers impériaux — ceux qui m’avaient accompagnée dans les Profondeurs pour sauver les membres de l’équipe locale de la Colonie — lui avait rendu visite.

La deuxième compagnie étant basée au Fort de Tilia, Louis leur avait immédiatement confié la responsabilité des soldats du Fort de Tilia. En conséquence, Louis et Travis n’avaient plus rien à faire ici, ils avaient donc pris congé. Cela s’était passé il y a environ une semaine.

Le comte Lorenz ne savait pas où ils étaient partis, mais si Louis était revenu aux côtés de son seigneur, alors il se trouvait probablement dans la cité minière de Nourias, au centre du Margraviat de Maclaurin. Pour la petite histoire, la deuxième compagnie des Chevaliers Impériaux avait également quitté Serrata pour la capitale impériale avec les survivants de l’équipe locale.

J’étais restée abattue par ma course folle. Cependant, il y avait eu un coup de chance inattendu. Le comte Lorenz m’avait informée que l’équipe d’exploration était arrivée à Serrata il y a deux jours. Le groupe du Fort d’Ebenus avait traversé Viscum, l’un des trois royaumes de l’Est, au nord de la forteresse, puis avait tourné à l’ouest dans le comté de Lorenz. Apparemment, ils restaient ici pour un court moment avant de se rendre à la capitale impériale. Par conséquent, j’avais immédiatement demandé à être guidée vers notre chef.

◆ ◆ ◆

Notre chef, Nakajima Kojirou, m’avait saluée. Cela faisait un moment que nous ne nous étions pas vus. Il souriait joyeusement, et malgré son long voyage récent, il ne montrait aucun signe de fatigue.

« C’est bien que tu sois rentré, Iino. Je suis content que tu sois saine et sauve. »

Après que je lui ai donné une brève explication de ce qui s’était passé, il avait convoqué les principaux membres de l’équipe d’exploration.

« Compte tenu de la gravité de l’information, nous devrions la partager avec tout le monde, non ? » avait-il dit, donnant son opinion raisonnable.

J’avais suivi notre chef jusqu’à une salle de réunion du Fort de Serrata, et nous avions attendu un peu que tous les autres membres arrivent.

« Oh ! Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, Yuna -senpai ! »

Une petite fille était entrée dans la pièce de façon turbulente. Son sourire était la définition même de la vivacité. C’était maintenant nostalgique de la voir.

« Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, Aoi. Comment vas-tu ? » lui avais-je répondu.

« Ça va ! On dirait que tu t’en sors bien aussi. Je ne t’ai pas vue depuis Ebenus, donc je suppose que ça fait, à peu près, un demi-mois ? »

Cette jolie fille aux grands yeux ronds et à la queue de cheval courte était Mitarai Aoi. Elle était sans cesse joyeuse et énergique, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, elle faisait partie de l’élite de l’équipe d’exploration, connue sous le nom de Blanche-Neige.

« Ça fait un moment pour nous aussi, hein, Ishida ? » lui avais-je dit.

« Yo, » le grand écolier derrière Aoi avait répondu brièvement.

« C’est bon de te voir. »

Son nom était Ishida Tetsuo. Il avait un visage robuste et un corps énorme. Il devait mesurer environ 190 centimètres. On aurait dit qu’il avait grandi depuis la dernière fois que je l’avais vu. Les poussées de croissance des garçons étaient vraiment étonnantes. Il était l’image même d’un gentil géant, et un autre membre de l’élite de l’équipe d’exploration, connu sous le nom de Volonté Indomptable.

Dans la colonie, lui et Aoi étaient une paire de tricheurs de première année. Ils se connaissaient depuis l’école primaire et étaient très proches. Ils ne semblaient pas sortir ensemble ou quoi que ce soit, mais ils avaient une amitié intime. Même maintenant, ils avaient pris place côte à côte à la table.

Aoi avait immédiatement donné l’impression qu’elle allait commencer à me parler, mais avant qu’elle ne le fasse, une voix glaciale l’avait coupée.

« Vous êtes en retard, Mitarai, Ishida. »

C’était l’assistante du chef de l’équipe d’exploration, Kuriyama Moeko. Elle avait regardé les deux étudiants de première année à travers ses lunettes sans monture, les yeux froids.

Les deux amis d’enfance avaient eu des réactions très différentes.

« Désolé, » dit Ishida.

« Mrgh. Que pouvions-nous faire ? Nous étions censés être en vacances aujourd’hui, » ajouta Aoi. « J’ai été traînée hors du lit ici. Je suis en fait super occupée avec tous les préparatifs, tu le sais bien ? »

« Un jour de congé n’est pas une excuse pour paresser au lit l’après midi. »

« Aaah ! Aaah ! Aaah ! Je ne veux pas entendre de reproches ! »

« Aoi… »

Aoi s’était bouché les oreilles alors qu’Ishida la réprimandait. Ils étaient les mêmes que d’habitude, et Kuriyama aussi. J’étais à moitié soulagée de voir ça, et j’espérais à moitié qu’elle ne se concentrerait pas sur moi.

Alors que je regardais leur échange, une autre voix nous avait rejoints.

« On dirait que tout le monde est là, alors ne devrait-on pas déjà commencer ? » dit un garçon maigre avec des lunettes. Il souriait. « Tout le monde est vraiment occupé et tout. Pas vrai, Iino ? Ne le penses-tu pas ? »

« Oui… », avais-je répondu avec un sourire forcé.

Il était aussi le même qu’avant. Je m’étais retournée pour le regarder. Son nom était Okazaki Takuma. Il était étudiant en deuxième année comme moi, et portait le nom de Réceptacle Tout-Puissant. Parmi tous les membres de l’équipe d’exploration ici, c’était lui qui avait le plus engagé la conversation avec moi après Aoi. Dans son cas, c’est plutôt qu’il conversait souvent avec des filles. Je n’avais jamais entendu d’histoires entre filles sur le fait qu’il ait levé la main sur quelqu’un, donc je le trouvais sympathique, mais je n’étais pas très douée pour traiter avec lui.

Les garçons comme Watanabe le méprisaient, probablement à cause d’une sorte d’instinct de protection pour les filles de leur équipe. Chaque fois que Watanabe s’était emporté contre lui, lui disant de ne pas agir de façon amicale avec moi, Okazaki s’était contenté de hausser les épaules et de soupirer. Son attitude avait probablement encore plus irrité Watanabe, mais Okazaki ne se souciait pas du tout de ce genre de choses et ils ne s’étaient jamais entendus.

Après qu’Okazaki l’ait chassé, Watanabe était toujours allé voir Juumonji pour se plaindre. Juumonji lui disait alors : « Je comprends ce que tu ressens, mais calme-toi », même s’il avait l’air d’en avoir assez du comportement de Watanabe. Il me jetait des regards furtifs pour une raison inconnue…

Arrêtons-nous là, m’étais-je dit. Ces souvenirs font trop mal.

« Nakajima, tu leur dis aussi quelque chose, » dit Okazaki à notre chef.

« Hein ? Moi ? », avait-il répondu, les yeux écarquillés. Il ne s’attendait manifestement pas à être mêlé à cette conversation. « Même si tu me demandes… Eh bien, peu importe. C’est bon. Tu peux te battre et plaisanter autant que tu le veux. Nous sommes amis, après tout. Pas vrai, Moeko ? »

« Non ? Je préférerais que tu demandes à tout le monde de maintenir un peu plus d’ordre, capitaine. »

« J’ai demandé à la mauvaise personne. D’accord, Kubota, Shimazu ? » dit notre chef, en se tournant vers les deux dernières personnes à entrer dans la pièce.

« Ne m’entraîne pas là-dedans, Leader. »

« Qui sait ? Fais comme bon te semble. »

Celui qui avait répondu en premier était Kubota Yousuke, et celui qui avait répondu après était Shimazu Yui. Tous deux étaient des étudiants de troisième année comme notre chef. Le Kubota aux cheveux longs était connu sous le nom de Multiplex, et la tranquille Shimazu était connue sous le nom d’Anneau Féérique.

La Bête des Ténèbres Todoroki Miya et la Lame Absolue Hibiya Kouji étaient restés dans la Colonie. La « Tempête et Passion » Yuzukisono Rui et le Dragon Jinguuji Tomoya avaient quitté l’équipe d’exploration pendant mon absence. Ces quatre-là, et les sept personnes présentes dans cette pièce, constituaient l’élite de l’équipe d’exploration qui avait autrefois protégé la Colonie. Même si nous étions moins nombreux maintenant, certaines choses n’avaient pas changé.

« Tout le monde est si froid avec moi…, » grommela notre chef.

Nous avions tous rigolé. L’équipe d’exploration n’avait pas vraiment d’ordre hiérarchique. Nous étions plutôt un méli-mélo de partis, alors même à la Colonie, il était assez courant de voir notre chef jouer les clowns comme ça. Je l’avais regardé, nostalgique, puis il s’était tourné vers moi.

« Maintenant, » dit-il, « si nous passons trop de temps à bavarder, Moeko va se mettre en colère contre nous. Iino, peux-tu nous raconter ton histoire ? »

« Oui. »

Grâce aux agissements stupides de notre chef, l’atmosphère dans la pièce était très agréable. Après avoir vérifié que tout le monde était de bonne humeur et me regardait, j’avais commencé à leur raconter tout ce qui s’était passé depuis que j’avais quitté le Fort d’Ebenus.

***

Partie 2

Après que j’ai terminé mon histoire, notre chef avait rassemblé l’attention de tous.

« En résumé, l’assaillant du Fort de Tilia, Kudou Riku, se cache. L’autre suspect, Majima Takahiro, est considéré comme non lié à l’attaque d’après son propre témoignage et celui des personnes du Fort de Tilia qui l’accompagnent. Cependant, Majima refuse de rejoindre ou de coopérer avec l’équipe d’exploration. Par ailleurs, Takaya Jun s’est transformé en bête et a disparu. Sa sécurité et son statut sont actuellement inconnus… »

« Nous ne pouvons pas vraiment faire quoi que ce soit à ce sujet, du moins pas tout de suite, » déclara Kuriyama.

« C’est vrai, Moeko. Dans ce cas, nous devrions donner la priorité à un problème que nous pouvons traiter, » dit notre chef d’un air renfrogné. « À propos de la Voix du Ciel… Si c’est vrai, nous avons un problème majeur. »

« La Voix du Ciel est le tricheur qui a secrètement coordonné l’attaque du Fort de Tilia. Est-ce que quelqu’un comme ça existe vraiment ? » dit Kubota avec une grimace. « Je trouve cela assez difficile à croire. »

« Moi aussi, mais nous avons maintenant de multiples témoignages à ce sujet. L’information est assez crédible, » déclara Kuriyama.

« Mais vous savez… Est-ce qu’on a vraiment un gars comme ça dans notre groupe ? » Kubota répéta.

« Ils ne font peut-être plus partie de notre “groupe”. Quand on était au Fort d’Ebenus, beaucoup de gens ont quitté notre groupe, tu te souviens ? Cette personne pourrait avoir été parmi eux, non ? »

« Aah. Tu as raison. »

« Je veux dire, c’est très probable, » dit Okazaki, rejoignant la conversation des troisièmes années.

« Hm ? Pourquoi penses-tu cela, Okazaki ? » demanda notre chef.

« C’est simple, Nakajima. Nous, les tricheurs, avons une force de combat énorme, mais c’est seulement comparé aux gens normaux. Rien que dans l’équipe d’exploration, il y en a beaucoup qui possèdent la même puissance ou qui sont même plus forts que les autres tricheurs. Si tu restes dans ce genre d’environnement trop longtemps, ce sera fini à la seconde où tu seras découvert. Il n’y a pas d’échappatoire. Oh, ce serait cependant une autre histoire avec les jambes rapides du Skanda. »

Okazaki m’avait jeté un regard furtif, puis avait continué son explication.

« À moins d’être d’énormes idiots, il aurait su que les informations sur cette Voix du Ciel finiraient par atteindre l’équipe d’exploration. S’il s’enfuyait dès que nous l’aurions appris, ce serait comme crier qu’il est le coupable. Dans ce cas, il n’y a aucune raison de traîner avec un groupe aussi dangereux. On peut supposer que la Voix du Ciel s’est enfuie de l’équipe d’exploration avant que l’information ne nous parvienne. »

« Je vois. C’est logique, » dit notre chef en hochant la tête.

Okazaki avait pris un air triomphant en ajoutant : « Dans ce cas, tous ceux qui nous ont quittés à l’époque pourraient être de mèche avec la Voix du Ciel. Il est possible qu’ils aient tous uni leurs forces pour qu’il ne semble pas bizarre que la Voix du Ciel quitte l’équipe d’exploration. »

« Hé, Okazaki, » coupa Kubota avec amertume. « Fais attention à ce que tu dis. Même s’ils nous ont quittés, ce sont toujours nos camarades. »

« Oui. Je le sais. Je ne veux pas non plus les suspecter, mais la possibilité existe, non ? Je pense que nous devrions envisager toutes les possibilités que nous pouvons. »

Kubota avait fait la grimace. Je pouvais compatir avec lui à cet égard. Okazaki était logique. Il n’y avait aucune preuve pour contredire le scénario qu’il avait proposé. Il était logique que nous nous préparions à toutes les possibilités. Cela dit, sur les quelque 140 membres qui avaient participé au premier corps expéditionnaire, près de la moitié d’entre eux nous avaient quittés. Je ne pouvais pas imaginer qu’un seul d’entre eux soit un traître, et je ne voulais pas non plus croire qu’ils l’étaient. Ils avaient tous été des compagnons d’armes en qui j’aurais eu confiance pour assurer mes arrières.

Il y avait ceux parmi eux avec qui je m’entendais bien. N’importe qui se mettrait en colère en entendant quelqu’un les mettre tous dans le même panier et les rabaisser. Les seuls qui n’avaient pas l’air blessés par la déclaration d’Okazaki étaient Kuriyama, qui semblait partager son opinion, et notre chef, qui ne pouvait pas laisser transparaître ses émotions, vu sa position.

Tout d’abord, même si nous ne pouvions pas nier catégoriquement cette possibilité, il était très difficile de croire que tant de personnes nous avaient trahis. De manière réaliste, si la Voix du Ciel avait contacté plus de la moitié des personnes ayant participé au premier corps expéditionnaire, il était beaucoup plus probable que des informations les concernant finissent par nous parvenir.

« Merci, Okazaki. Je garderai cette possibilité à l’esprit, » dit notre chef, prenant le contrôle de la conversation.

Okazaki avait laissé échapper un petit souffle et avait reculé.

« Mais Capitaine, que devons-nous faire ? » demande Kuriyama. « Les problèmes arrivent les uns après les autres. »

« Aah, oui, c’est le cas. Nous devons sérieusement réfléchir à la manière de gérer tout cela…, » répondit notre chef, en mettant sa main sur son menton, réfléchissant profondément.

« Un après l’autre ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? » avais-je demandé avec curiosité. « Est-ce que quelque chose d’autre s’est produit en dehors des nouvelles que j’ai partagées ? »

« Ouais. C’est en fait la raison pour laquelle nous sommes à Serrata. Tout n’est pas encore clair, mais nous avons recueilli quelques informations, alors j’ai pensé profiter de cette occasion pour aussi en parler. »

Maintenant que j’y pense, j’avais entendu dire que l’équipe d’exploration était arrivée à Serrata il y a deux jours. La raison pour laquelle ils n’étaient pas encore partis était apparemment qu’il y avait eu une sorte de problème, et qu’ils avaient recueilli des informations à ce sujet. Mon histoire n’était pas la seule chose pour laquelle nous étions réunis ici.

« Iino ne connaît pas les détails, alors commençons par le début, » dit notre chef. « Il semble qu’il y ait un faux de nous là-bas. »

« Hwuh ? » Je laissais échapper un bruit étrange. « De l’équipe d’exploration ? »

« D’un visiteur, pour être précis. Je suppose, un faux sauveur… Cela fait deux mois et demi que nous sommes arrivés au Fort d’Ebenus. Il est temps que la nouvelle se répande parmi les gens de ce monde que des visiteurs sont apparus. Cela inclut le fait que nous sommes apparus en nombre sans précédent. »

« Il est également connu que nous n’avons pas accepté l’invitation de la capitale impériale et que nous sommes dans les Terres forestières depuis longtemps, » ajouta Kuriyama. « Après tout, nous n’avons cessé d’être salués pendant notre séjour au Fort d’Ebenus par des nobles qui ne se souciaient pas du long voyage. »

« En effet. Il y a aussi eu une visite royale de Viscum, la nation voisine du Fort d’Ebenus. C’était plutôt gênant à gérer. »

« C’est ton travail, capitaine », déclara Kuriyama.

« Eh bien, c’est l’essentiel de l’histoire, donc les gens ont surveillé nos mouvements, » déclara notre chef sans ambages, puis il s’était tourné vers moi. « Bien sûr, on sait aussi que ces gars se sont dispersés du Fort d’Ebenus il y a deux mois. »

« Cela signifie-t-il que quelqu’un fait semblant d’être l’un d’entre eux ? » avais-je demandé.

« À ce qu’il semble, probablement. Nous avons enquêté sur ce sujet ces deux derniers jours et avons découvert que le faux sauveur s’est manifesté dans un groupe de territoires nobles se trouvant à l’est du comté de Lorenz et du margraviat de Maclaurin. Ça règle à peu près le problème. »

« Uhhh… ? »

« C’est là que sont allés beaucoup de gars qui ont quitté l’équipe d’exploration. »

Cela avait du sens maintenant. Un faux sauveur était apparu principalement dans une région où les anciens membres de l’équipe d’exploration étaient allés. C’était une pensée désagréable, mais si l’on savait que des sauveurs se trouvaient dans cette région, il était compréhensible que le faux y aille.

« Il y a beaucoup de nobles dans cette région avec des territoires relativement petits. Ils nous ont contactés assez tôt. Leurs territoires sont proches du Fort d’Ebenus, ils ont donc de fortes connexions là-bas, et les informations circulent rapidement. Les plus rapides sont venus nous accueillir à la forteresse une semaine seulement après notre arrivée. En comptant les nobles, il y avait le comte Huxley, le vicomte Bann, le vicomte Dickson, le comte Coppart, le vicomte Hubbard… Ils ont aussi salué personnellement beaucoup de nos membres. »

« Oh, ils m’ont parlé, » dit Aoi.

« Moi aussi. Tu en as aussi eu plusieurs qui sont venus, hein, Shimazu ? » Kubota avait ajouté son grain de sel.

« Je l’ai fait…, » répondit Shimazu.

« Yuna -senpai, tu étais déjà partie pour le Fort de Tilia à ce moment-là, non ? » m’avait demandé Aoi.

« C’est exact », avais-je répondu en hochant la tête.

« Ils étaient, comme, super passionnés. Tu es vraiment jolie et tout, alors peut-être qu’un jeune étalon noble et sexy t’aurait demandé en mariage sur le champ si tu avais été là. »

« Cela semble un peu tiré par les cheveux…, » avais-je dit, en me forçant à sourire.

« Pas vraiment, » fit remarquer Okazaki. « Un noble m’a dit qu’il voulait que je sois le marié de sa fille. Je ne peux pas épouser quelqu’un que je n’ai jamais rencontré avant, alors j’ai refusé. »

« V-Vraiment ? »

« Les sauveurs sont vraiment spéciaux dans ce monde, » déclara notre chef avec gravité. « De plus, de nombreux nobles de l’Empire du Sud sont victimes d’attaques de monstres. Contrairement au nord, où la reconquête est terminée depuis longtemps, le sud est parsemé de Bois Sombres où de nombreux monstres font leur nid. Nous les appelons tous des nobles comme s’ils étaient égaux, mais tout le monde n’a pas autant de territoire et de pouvoir que le margrave Maclaurin ou le comte Lorenz. »

Notre chef s’était arrêté là, soupirant lentement.

« Normalement, les sauveurs se dirigent directement vers la capitale, non ? Après cela, ils passent la plupart de leur temps avec le Saint Ordre, il est donc assez difficile pour les nobles du sud de rester en contact avec eux. C’est généralement comme ça, mais nous avons fini par rester un moment au Fort d’Ebenus, à une bonne distance de la capitale. Ils ne peuvent récupérer aucun Bois Sombre sans la force d’un sauveur, alors vu qu’ils subissent les dommages des attaques de monstres, on ne peut pas les traiter d’égoïstes pour avoir été désespérés et nous avoir approchés plus tôt. »

***

Partie 3

« Donc les gens ont quitté l’équipe d’exploration parce que ces nobles dépendaient d’eux ? » avais-je demandé.

« Il y a ceux qui ont dit qu’ils voulaient faire ce qu’ils voulaient dès que nous sommes sortis des Terres forestières. Je dis simplement que certains sont partis pour d’autres raisons. En tout cas, ces anciens membres ont eu vent des rumeurs de faux sauveur, et l’information a circulé à partir de là. Ils sont un peu trop loin de Serrata, donc on n’a pas encore compris plus que ça pour le moment. »

J’avais acquiescé. « Je comprends la situation maintenant. Merci pour l’explication. »

« Nous devons partager les informations dont nous disposons, » déclara notre chef, en agitant la main pour me dire de ne pas m’inquiéter. « Maintenant, à propos de ce que l’équipe d’exploration va faire à partir d’ici… »

Il avait de nouveau porté la main à son menton, en réfléchissant profondément.

« Je pense que la première chose dont nous devrions nous occuper est la Voix du Ciel, » conclut-il. « Malheureusement, je n’arrive pas à trouver une bonne façon de gérer ça… Quelqu’un a une idée ? »

Notre adversaire était rusé et avait agi dans l’ombre lors de l’attaque du Fort de Tilia et du saccage de Takaya. Normalement, il aurait été difficile de trouver une sorte de contre-mesure. Cependant, les personnes présentes dans cette pièce étaient des tricheurs, et nous étions plus nombreux que d’habitude. Les tricheurs n’apparaissent généralement dans ce monde qu’un ou deux à la fois. De plus, nous étions les hauts gradés de l’équipe d’exploration, ce qui signifie que nous étions très forts.

« Leader, » dit Okazaki, en levant la main. « Je pense que nous pouvons faire quelque chose à propos de cette Voix du Ciel. »

On pouvait entendre des grognements dans toute la pièce.

« Vraiment ? » demanda notre chef.

« Oui. Au moins, nous pouvons savoir s’il fait toujours partie de l’équipe d’exploration, » déclara Okazaki avec confiance, puis il attendit le feu vert de notre chef.

« Dis-moi en plus. »

« Oui, » dit Okazaki, en se levant. « Selon Iino, la Voix du Ciel est un tricheur qui peut utiliser la magie télépathique pour converser avec quelqu’un sur une longue distance. C’est certainement une capacité merveilleuse. Néanmoins, il est impossible qu’elle soit vraiment illimitée. Quelle que soit sa forme, ce type de capacité nécessite une sorte de connexion avec sa cible. »

« Une connexion ? » demanda notre chef.

« On ne peut pas lancer une balle à quelqu’un quand on n’a aucune idée de l’endroit où il se trouve, non ? C’est la même chose ici. S’il ne sait pas où est leur cible, il ne peut pas lui envoyer de messages télépathiques. »

Okazaki avait continué comme un conteur racontant une fable.

« En vérité, la Voix du Ciel a envoyé des messages au Fort de Tilia alors qu’elle n’y était jamais allée elle-même. Il ne pouvait le faire que parce qu’il avait déjà établi une connexion avec ses cibles au préalable. En d’autres termes, la personne qui maintient ces connexions spéciales est le suspect derrière la Voix du Ciel. »

« Attends, pourquoi tu… ? Non, ce n’est pas grave. J’ai compris, » dit notre chef, en plissant les yeux. « Okazaki, peux-tu faire la même chose que la Voix du Ciel ? »

« Je peux, » avait-il répondu comme si c’était parfaitement évident. Personne dans la pièce n’avait remis en question cette affirmation. « C’est pour cela que je sais comment ça marche, » déclara-t-il fièrement. « Oh, je ne suis pas la Voix du Ciel, évidemment. »

« Relax. Je ne pense pas que tu sois ce genre de gars. »

J’étais tout à fait d’accord. Si Okazaki était la Voix du Ciel, il ne s’exprimerait pas ici. Même sans cette conclusion, quelqu’un avec sa personnalité ne pourrait jamais être le suspect.

Quand il avait contacté Juumonji et Takaya, la Voix du Ciel avait profité des faiblesses de leurs coeurs. J’aurais peut-être eu du mal à le gérer, mais Okazaki n’était pas le genre de personne capable de faire quelque chose d’aussi alambiqué. Certains autres dans la salle partageaient mon opinion sur lui, alors qu’Aoi le regardait avec tiédeur.

« Okazaki, j’ai une question pour toi, » dit notre chef. « Est-ce que le lien que tu as mentionné peut être identifié par une tierce personne ? »

« Oui. Mais plutôt que de l’identifier, il s’agit plutôt de détecter si une connexion existe. Je suis presque sûr que tu peux le dire par une simple poignée de main. Bon, il est aussi possible que la connexion ait été faite sans demander, donc le suspect sera celui qui est connecté à plusieurs autres en même temps. »

« Attends, Okazaki », coupa Kubota. « S’il coupe juste toutes les connexions, ça ne sera-t-il pas inutile ? »

« Il n’y a pas besoin de s’inquiéter à ce sujet, » répondit Okazaki. « Les traces de la connexion resteront. Elles disparaîtront probablement au bout d’un mois environ, mais couper la connexion n’est pas une solution immédiate. Même s’il nous échappait en faisant cela, nous rendrions toujours la Voix du Ciel impuissante. Il devra reprendre contact avec toutes ses cibles pour rétablir les connexions. »

« D’autres personnes peuvent-elles utiliser cette méthode pour identifier le suspect ? » demanda Kuriyama.

Okazaki y avait réfléchi un peu, puis avait hoché la tête. « Hmm, tant qu’ils se spécialisent un peu dans la magie, ils devraient être capables de le faire. Par spécialiser, je veux dire selon les normes d’un tricheur, bien sûr. »

« Dans ce cas…, » Kuriyama a commencé en se tournant vers notre chef. « Ne devrais-tu pas apprendre à faire ça ? »

« Moi ? »

« Oh, je pense que c’est une excellente idée. Je veux dire, tu t’entends avec tout le monde, » dit Aoi en accord.

« Elle a raison. Je crois que c’est ce qu’il y a de mieux à faire, » avais-je ajouté.

Il était clair qu’Okazaki avait eu quelques relations orageuses, il n’y avait donc pas de meilleur candidat pour ce rôle que notre leader.

« Très bien. Je vais le faire », déclara notre chef, avant de grommeler : « Ma charge de travail continue de s’accumuler, hein ? »

« On n’y peut rien. Prends sur toi », lui déclara froidement Kuriyama. Pour commencer, elle était la principale responsable de l’augmentation de sa charge de travail. « C’est dans le but d’attraper cet idiot ridicule qui se nomme lui-même quelque chose d’aussi stupide que la Voix du Ciel ». »

« Stupide…, » marmonna notre chef avec des émotions mitigées.

Le tricheur non identifié capable de télépathie utilisait probablement le nom de Voix du Ciel par commodité. Notre chef, d’un autre côté, aimait probablement beaucoup ce nom. En fait, c’est lui qui avait inventé la plupart des surnoms donnés aux membres de l’équipe d’exploration.

Il n’avait pas choisi son propre surnom, mais il avait dit quelque chose du genre : « Pour combattre les monstres, nous avons besoin de personnes qui peuvent être nos piliers sur le front. Pour cette raison, nous devons donner un certain poids à leurs surnoms ». Il avait ensuite attribué des surnoms aux principaux membres de l’équipe d’exploration. Ils avaient été assez efficaces, mais même maintenant, je soupçonnais qu’au moins la moitié de la raison pour laquelle notre chef les avait créés était due à ses goûts personnels.

En tout cas, nous avions trouvé un plan pour résoudre notre plus gros problème non résolu. Il y avait cependant encore d’autres choses que nous devions décider.

« Quant aux deux questions restantes…, » avais-je dit. « Que devons-nous faire de Kudou Riku et du faux sauveur ? »

« Après y avoir réfléchi, je pense que nous devrions rendre visite au margrave Maclaurin, » répondit notre chef. Mon expression s’était raidie. « Quelque chose à propos de Majima Takahiro me dérange. »

« À propos de Majima ? »

« Oui. D’après toi, le margrave et Majima ne se sont jamais rencontrés, n’est-ce pas ? Si le margrave t’a donné de fausses informations malgré ce fait, alors il est possible qu’il n’ait pas d’intention hostile envers Majima lui-même, mais envers les visiteurs dans leur ensemble. J’aimerais découvrir ce qui se passe là-bas. Si nécessaire, nous devrons aussi nous en occuper. »

« Je vois », répondis-je avec un hochement de tête compréhensif.

« Eh bien, si le margrave est hostile envers seulement Majima Takahiro, alors j’aimerais aider Majima si je peux. »

« Hein ? Pourquoi ? »

Pour autant que je sache, notre chef et Majima ne se connaissaient pas. Majima était un tricheur, mais il ne faisait pas partie de l’équipe d’exploration. Au contraire, il se méfiait beaucoup de nous. Il n’était pas entièrement opposé à nous, mais compte tenu de la forte probabilité que la Voix du Ciel se trouve dans nos rangs, il nous considérait comme des ennemis potentiels. Il n’y avait aucune raison pour que notre chef s’inquiète de quelqu’un comme lui.

« Le connais-tu ? » avais-je demandé.

« Non, ce n’est pas ça. J’ai simplement un intérêt unilatéral pour lui, rien de plus. »

« Un intérêt pour Majima… ? » avais-je dit avec une grimace involontaire.

« Oui. Il s’est échappé de la Colonie et a survécu dans les Terres forestières aux côtés de monstres amis, non ? N’est-ce pas impressionnant ? Si j’en ai l’occasion, je veux absolument lui parler… Hein ? C’est quoi ce visage, Iino ? »

« Rien. »

J’avais détourné mon regard. Maintenant, je m’étais souvenu que c’était le genre de type que notre chef était. Il était amical avec les gens qui méritaient d’être surveillés, et n’épargnait rien pour leur apporter son soutien. Quoi qu’il en soit, il avait le mauvais goût de s’intéresser à un type comme Majima…

« Yuna-senpai, Yuna -senpai. Ce n’est pas le visage qu’une fille devrait faire. Tu es, genre, super effrayante, » dit Aoi.

Consciente de cela, j’avais massé mes deux joues pendant que notre chef poursuivait la discussion.

« J’aimerais aussi demander au margrave de nous aider à nous occuper de Kudou et du faux sauveur, » ajouta notre chef. « Bien sûr, seulement s’il n’a pas d’opinions étranges sur nous… Pourtant, le margrave est le noble le plus en vue de l’Empire du Sud. Que ce soit le problème avec Kudou ou le faux sauveur, ce serait utile qu’il s’en occupe. »

« C’est vrai, » dit Kuriyama. « Nous pourrions passer par la ville minière de Nourias sur le chemin de la capitale impériale. C’est tout à fait possible. »

« C’est comme ça, » notre chef avait approuvé d’un signe de tête, puis avait regardé tout le monde dans la pièce. « Est-ce que quelqu’un d’autre a une opinion à ce sujet ? »

Personne n’avait levé la main. Personne ne s’était opposé. À mon avis, c’était un bon plan pour l’équipe d’exploration. C’est ce que je pensais, mais… les yeux de notre chef avaient parcouru la pièce, jetant un rapide coup d’œil à chaque membre présent. Lorsque ses yeux avaient rencontré les miens, il s’était arrêté un instant. Quelques émotions avaient coloré ses traits gracieux, mais il était passé rapidement à la personne suivante.

« D’accord, » dit-il après avoir regardé tout le monde, « allons de l’avant avec ce plan en tête. »

Avec cela, le prochain mouvement de l’équipe d’exploration avait été décidé.

***

Chapitre 20 : La destination du Skanda ~ Point de vue de Iino Yuna ~

Une fois la réunion terminée, j’étais retournée dans la chambre qui m’avait été attribuée et m’étais allongée dans le lit pendant un moment, en fixant le plafond. Combien de temps s’était-il écoulé comme ça ? Je me l’étais demandée. Après m’être endurcie, je m’étais levée et j’avais quitté la chambre pour aller voir notre chef.

« Je pensais bien que tu viendrais. Eh bien, entre », avait-il dit en souriant quand il m’avait vue.

J’étais entrée dans sa chambre. Je pensais que Kuriyama serait peut-être là, mais je ne l’ai vue nulle part. C’était un peu un soulagement.

« C’était une sacrée journée en ce qui concerne les visiteurs, » dit notre chef en fermant la porte.

J’avais regardé dans la pièce et j’avais repéré deux tasses sur la table.

« Quelqu’un est venu ici ? » avais-je demandé.

« Okazaki. »

Il m’avait poussée à m’asseoir et avait demandé à quelqu’un de nettoyer la table.

« Est-ce qu’Okazaki voulait te parler de quelque chose en particulier avec toi ? Est-ce peut-être à propos de la Voix du Ciel ? » avais-je demandé en prenant un siège en face de notre chef.

Y a-t-il eu une sorte de développement ? J’avais demandé en pensant à cela, mais notre chef avait secoué la tête.

« Non. Désolé de briser tes espoirs, mais ça n’a rien à voir avec ça. Il est juste venu donner ses opinions sur les projets de l’équipe d’exploration à partir de maintenant. »

« Ses opinions… ? Oh, tu n’as pas besoin de me dire si ça va causer des problèmes. »

« C’est bon, il n’y a rien à cacher. Tout le monde est déjà au courant, de toute façon », déclara notre chef, en agitant la main pour dire qu’une telle considération était inutile. « Okazaki s’oppose à ce que l’équipe d’exploration se rende dans la capitale impériale. »

« Vraiment ? »

« Ouais. Plus précisément, il ne veut pas se lier au Saint Ordre. Si nous le faisons, le Saint Ordre… ou, je suppose, la Sainte Église, imposera évidemment des restrictions à nos mouvements, non ? Okazaki se demande s’il y a des avantages à cela. »

« Il est vrai que nous ne pourrons plus nous déplacer aussi librement qu’aujourd’hui… mais est-ce vraiment un problème ? »

Ce serait un problème si on nous donnait des ordres arbitraires et si on nous forçait à agir, mais tant que ce n’était pas le cas, nous devions quand même faire preuve d’une certaine retenue. Telles étaient les entraves des relations humaines.

« Tu as raison, » dit notre chef, « mais Okazaki a aussi un point à considérer. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« On dirait qu’il est inhabituellement méfiant envers les gars qui ont quitté l’équipe d’exploration. »

« Tu n’es pas en train de me dire qu’ils vont devenir nos ennemis, n’est-ce pas ? »

« Détends-toi. Je ne le pense pas. Ils n’ont aucune raison de le faire, de toute façon. Toujours est-il que les seuls qui pourraient s’opposer à l’équipe d’exploration sont d’autres guerriers dotés d’une force de mille. En d’autres termes, des tricheurs. Okazaki se méfie de ce fait. Si nous nous joignons au Saint Ordre et perdons la liberté d’agir par nous-mêmes, nous ne pourrions pas apporter une aide immédiate si quelque chose de vraiment grave devait se produire. Cela pourrait devenir dangereux à l’heure critique. Cela fait un moment qu’il dit cela, mais avec les récentes nouvelles de la Voix du Ciel, il est de plus en plus sur les nerfs. »

Maintenant que j’y pense, Okazaki avait l’air amer en parlant des personnes qui avaient quitté l’équipe d’exploration. C’était donc pour ça.

Notre chef avait entrelacé ses doigts sur la table, puis avait levé les yeux au plafond. « Comme je l’ai déjà dit, je comprends au moins le point de vue d’Okazaki. Mais je me demande. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a quelque chose qui cloche. J’espère juste qu’il comprend ce que signifie vraiment “un guerrier vaut mille”. »

Il semblait se parler à lui-même. Il n’avait pas remarqué mon regard interrogateur et avait continué avec un soupir.

« Tout d’abord, chacun peut-il vraiment prétendre qu’il comprend vraiment ses propres capacités ? La croyance aveugle est dangereuse, et aussi un gaspillage. »

« Que veux-tu dire… ? »

Notre chef avait baissé les yeux vers moi et avait hoché fermement la tête. « Je veux dire que les pouvoirs de chacun devraient être beaucoup plus étonnants. Au point que mon épée de lumière n’ait l’air de rien. »

« Je suis presque sûre que c’est un peu exagéré…, » avais-je dit avec un sourire en coin.

L’épée de lumière de Nakajima Kojirou était certainement l’un des pouvoirs les plus puissants parmi toutes les capacités inhérentes aux tricheurs. Je pensais être parmi les meilleurs en matière de combat à mains nues. Pourtant, je n’étais pas sûre de pouvoir battre notre chef en un contre un. Sa puissance était tout simplement prééminente.

« Dire que n’importe qui devrait être capable de te battre est assez tiré par les cheveux, » avais-je ajouté.

« Ce n’est pas vrai, Iino, » répondit-il en secouant la tête. « Si tu ne crois pas que tu peux me battre, c’est que tu ne manifestes pas correctement tes capacités. Selon Majima, les pouvoirs que nous possédons proviennent de nos désirs, n’est-ce pas ? En saisissant pleinement ton propre désir, en le souhaitant encore plus et en comprenant parfaitement le pouvoir que tu obtiens, tu devrais être capable de m’égaler. »

« Vraiment… ? »

Ses paroles avaient une telle conviction que je m’étais mystérieusement surprise à penser qu’il avait peut-être raison. Cet homme avait le pouvoir d’inspirer les autres. C’est parce qu’il croyait au potentiel de ses camarades plus que tout autre.

« Nous nous sommes égarés, » marmonna-t-il en reprenant ses esprits. Il se gratta la joue, peut-être gêné de s’être emporté comme ça.

Profitant de cette brève pause, le domestique qui avait nettoyé les tasses plus tôt nous avait servi du thé. Nous avions tous les deux pris une gorgée avant de continuer.

« Ummm… Donc, tu es venue ici pour dire ce que tu penses, n’est-ce pas ? » demanda notre chef. « Vas-y. Dis ce que tu veux. »

« Oh. Non. Ce n’est pas pour ça que je suis là », avais-je dit en agitant mes deux mains.

« Tu n’as pas besoin de te retenir, tu sais ? » dit-il d’un air dubitatif. « Tu avais quelque chose à dire pendant la réunion, non ? »

Il avait apparemment vu clair dans mon jeu. Cependant, la raison pour laquelle je voulais dire quelque chose était un peu différente.

« Oui, mais je ne suis pas opposée aux plans de l’équipe d’exploration ou autre. »

Rendre visite au Margrave Maclaurin, découvrir ses véritables intentions, lui demander de s’occuper de nos problèmes si possible, puis se rendre dans la capitale impériale — je pensais qu’il n’y avait pas d’autre voie à suivre pour nous. Je n’avais aucune objection aux plans de notre chef.

« Hmm. Alors, qu’est-ce que c’est ? » demande-t-il.

« Je suis venue ici pour obtenir ton approbation pour mes activités personnelles, sans rapport avec le plan de l’équipe d’exploration. »

« Continue », dit-il avec une pointe d’intérêt dans la voix.

Pendant un seul instant, j’avais hésité. Mon esprit se demandait si je faisais une erreur et si j’étais égoïste. Mais soudain, je m’étais souvenue de quelque chose. Je m’étais souvenue des mots que ce garçon à l’air sérieux m’avait dits — et par réflexe, j’avais froncé le visage. Après cela, mes mots étaient sortis avec fluidité.

« Je pense aller dans la région où sont allés nos anciens membres. »

« Dis-m’en plus, » dit notre chef, en plissant les yeux.

« Bien sûr. »

J’avais hoché la tête, puis j’avais commencé à expliquer mon idée.

◆ ◆ ◆

Le lendemain, après avoir fini de me préparer pour mon voyage, Aoi et Ishida m’avaient rendu visite.

« Hé, Yuna-senpai, y vas-tu vraiment ? » demanda Aoi sans essayer de cacher son mécontentement. « Tu es finalement revenue parmi nous… »

« Notre chef t’a dit la raison hier, n’est-ce pas ? » J’avais répondu en vérifiant mes bagages. « Je ne peux pas faire le meilleur usage de ma vitesse si je pars avec tout le monde. Je peux enquêter en personne dans la région où se trouve le faux sauveur, puis arriver à Nourias pour vous rejoindre. »

« Tu as raison… mais dois-tu vraiment y aller pour enquêter ? »

« J’ai l’impression que nous avons beaucoup trop peu d’informations pour l’instant », ai-je dit. C’est ce que j’avais à l’esprit. « Je ne pense pas que je trouverai le faux sauveur, mais je devrais être capable d’en savoir plus en visitant la région, non ? »

« Eh bien oui, c’est vrai…, » Aoi marmonnait, toujours peu convaincue. « Tu as, en quelque sorte, changé, Yuna-senpai. »

« Vraiment ? Et comment ? »

« C’est comme si tu étais plus prudente. »

« Veux-tu dire que j’ai été téméraire ? » avais-je dit, en la regardant avec un air de reproche.

« Je n’ai pas dit ça. Tu t’es trompée. » Aoi avait agité ses mains et avait ri. « Mais je pensais juste. Est-ce que quelque chose s’est passé avec ce Majima-senpai que tu as rencontré ? »

« Qu’est-ce que cela a à voir avec Majima… ? »

« Je veux dire, tu l’as poursuivi, n’est-ce pas ? »

« Je ne comprends pas vraiment… »

Au moment où je commençais à parler, la voix d’un garçon avait résonné dans ma tête.

« Tu devrais réfléchir davantage avant d’agir, abrutie. »

« Personne ne peut suivre ta vitesse actuelle. Reste tranquille et réfléchis-y de temps en temps, abrutie. »

« Il n’a rien à voir avec ça », avais-je déclaré.

Oui. Rien du tout. Pas le moins du monde. Aucune chance qu’un type comme lui m’influence.

« Yuna-senpai, tu as l’air super effrayante. »

J’avais poussé sur mes joues et j’avais fait une grimace. « C’est ta faute si tu dis des choses bizarres. »

« Tu marques un bon point. Restons-en là, » dit Aoi avec un hochement de tête. « Hmm. Je ne suis pas comme notre leader ou quoi que ce soit, mais je suis aussi un peu intéressée par ce Majima-senpai maintenant. »

« Wow. Aoi, tu as un goût horrible… »

« Non, non, non. Pas comme ça. Je parle de Mana. Elle était avec lui, non ? »

« Umm… Veux-tu dire Katou ? »

Elle parlait de la fille terrifiante qui m’avait planté un couteau dans la cuisse. Je ne me souvenais que vaguement de son nom, aussi je n’avais pas su de qui Aoi parlait pendant un moment. Je n’avais pas beaucoup parlé avec Mana pendant les quelques jours que j’avais passés avec eux pendant ma convalescence. Je savais bien que je n’aimais pas avoir affaire à elle, peut-être même plus que je n’aimais avoir affaire à Majima.

« Elle était avec lui. Quoi, tu la connais ? » avais-je demandé.

« Bien sûr. On était dans la même classe. On s’entendait plutôt bien. »

« Hmm. C’est un peu inattendu… Vous deux semblez assez différentes. »

L’expression et l’humeur de Katou étaient toujours sombres. Je n’avais pas pu oublier ces yeux sombres qui donnaient des frissons quand elle se tournait vers moi. Mais lorsqu’elle était avec ses compagnons de voyage… surtout Majima et ce monstre nommé Rose, l’atmosphère qui l’entourait était étonnamment différente.

« Tu crois vraiment ça ? » dit Aoi, en penchant la tête. « Elle aime taquiner les gens et peut être un peu impétueuse, mais c’est une fille joyeuse et énergique. »

Maintenant, c’était mon tour d’incliner ma tête.

« Joyeuse… ? Et énergique… ? »

« Eh bien, contrairement à moi, elle est plutôt mauvaise en sport et très intelligente, donc dans ce sens, nous sommes totalement opposées, » ajouta Aoi en riant avant de prendre un air sérieux. « Lors de la réunion d’hier, tout ce que j’ai entendu, c’est qu’ils n’étaient pas impliqués dans l’attaque du Fort de Tilia… Dis-moi franchement. Majima-senpai est-il digne de confiance ? Est-ce que Mana va bien ? »

La tension avait traversé l’air, révélant un aperçu de la vaillante Blanche-Neige. De tous les membres de l’équipe d’exploration, c’est elle qui avait tué le plus de monstres en combat rapproché. Mais tout ce que je pouvais voir sur son visage, c’était de l’inquiétude pour son amie. C’est pourquoi j’avais répondu d’une voix aussi douce que possible.

« Relax. Je déteste Majima, mais je pense qu’on peut lui faire confiance. »

Je m’étais souvenue du désespoir de Majima quand il avait essayé de sauver Lily. Quand il s’agissait de sa famille, il était un garçon courageux qui risquait sa vie pour la protéger. Nous n’avions été ensemble que pendant quelques jours, mais je pouvais dire que Majima chérissait Katou.

Je me demandais pourquoi il traitait ainsi une jeune fille humaine, qui n’était pas sa servante ou quoi que ce soit de spécial... mais je devinais qu’ils avaient vécu beaucoup de choses au cours de leur voyage. Quant à Katou… elle était folle de lui. Elle était très clairement amoureuse. Honnêtement, je n’avais aucune idée de ce qui avait pu la faire tomber amoureuse de lui, mais on disait que chacun avait ses propres goûts. De toute façon, quoi qu’il arrive, Majima ne lui fera jamais de mal.

« Nous pouvons faire confiance à Majima-senpai, non ? » Aoi avait demandé à nouveau, en me regardant fixement.

« Je pense que oui, » avais-je dit avec un grand hochement de tête. « Mais je le déteste. »

« As-tu vraiment besoin d’ajouter ça ? » dit Aoi, son expression sérieuse s’effaçant devant un sourire étonné. « Hmm. J’ai maintenant envie de le rencontrer. »

« Aoi, » Ishida avait appelé de derrière elle.

« Oui, oui, j’ai compris, » avait répondu Aoi en faisant la moue.

« Aoi, occupe-toi de l’équipe d’exploration pour moi, » avais-je dit en donnant une claque à sa petite épaule. « Nous nous reverrons à Nourias. »

Avec cela, j’avais une fois de plus laissé l’équipe d’exploration derrière moi.

***

Chapitre 21 : Une deuxième visite en ville

Après notre rencontre inattendue avec la Loge Brumeuse, notre groupe était à nouveau au complet. Nous avions descendu les montagnes Kitrus et nous nous étions dirigés une fois de plus vers Diospyro. Même si nous avions déjà obtenu la pierre runique dont nous avions besoin là-bas, nous revisitions la ville parce qu’elle était une étape sur le chemin de la ville natale de Shiran et Kei.

Nous sommes arrivés comme prévu. Notre objectif était de nous réapprovisionner et de remercier l’ancien Chevalier de l’Alliance Adolf pour nous avoir aidés à obtenir une pierre runique la dernière fois que nous étions ici. Contrairement à ce qui se passait lorsque nous étions dans la banlieue de Serrata, nous ne pouvions pas louer une maison entière, aussi avions-nous laissé Gerbera et Ayame surveiller la manamobile pendant que nous nous occupions des affaires en ville, puisqu’elles ne pouvaient pas se permettre d’être vues.

Comme la dernière fois, Shiran, Kei, Katou et Rose m’avaient accompagné. Lily voulait venir avec nous, mais comme elle pouvait se battre tout en gardant une forme humaine, je lui avais demandé de rester aussi derrière avec la manamobile, juste au cas où.

Une fois entrés à Diospyro, nous avions immédiatement pris rendez-vous avec Adolf. Il nous avait dit qu’il était un peu occupé aujourd’hui et qu’il préférait que nous venions demain. Il avait également été occupé la dernière fois que nous étions venus, donc ce n’était pas inattendu. Nous avions pris une chambre dans une auberge et avions décidé de commencer par nous réapprovisionner.

Le lendemain matin, je m’étais retrouvé seul dans une des chambres de l’auberge avec Shiran. Nous avions loué deux chambres ici. Ma gardienne Rose, son amie Katou, et moi avions partagé une chambre. Shiran et Kei partageaient l’autre. Toutes les autres étaient actuellement dans l’autre chambre pendant que Shiran m’apprenait à gérer les esprits jusqu’à notre rendez-vous avec Adolf.

Le processus d’activation de la magie spirituelle différait un peu de la magie normale. En principe, un lanceur de sorts ne pouvait utiliser qu’une seule magie à la fois. C’est parce qu’il ne pouvait construire qu’un seul glyphe à la fois. La magie spirituelle était cependant différente. L’esprit construisait le glyphe, laissant le lanceur de sorts construire son propre glyphe indépendamment de l’esprit. C’est ainsi que les spiritualistes pouvaient manier plusieurs magies à la fois.

Cependant, l’esprit faisait juste le glyphe. Le mana provenait toujours du spiritualiste lui-même. En bref, c’était comme ajouter des robinets au même réservoir d’eau. Le spiritualiste n’avait pas besoin de construire le glyphe, mais il devait quand même fournir son mana à l’esprit. C’était la technique que j’étais en train d’apprendre.

« Es-tu prêt, Takahiro ? S’il te plaît, concentre tes sens. »

Je m’étais assis en face de Shiran, ma main tendue sur le dessus d’une petite table. Elle avait pris ma main et s’était mise au travail. En utilisant le même truc que Katou avait utilisé pour apprendre la magie — par le toucher — je pouvais entraîner ma capacité à sentir le flux de mana vers l’esprit. Je pouvais sentir le flux de mana de Shiran vers son esprit joyeux et dansant.

En même temps… J’avais senti à quel point la main de Shiran était froide. Toute vie dans son corps s’était arrêtée, donc elle ne générait aucune chaleur. Évidemment, cela avait fait baisser la température de mon corps quand je l’avais touchée. Je n’avais pas vraiment senti que c’était déplacé. Rose était faite de bois, donc elle ne générait pas non plus de chaleur. Sa main était simplement froide.

« Nous devrions y aller bientôt. »

Après environ une heure, au moment où la main de Shiran s’était réchauffée à mon contact, mon entraînement avait pris fin.

« Je dois dire que tu t’améliores très vite, Takahiro. Je suis impressionnée, » dit Shiran avec un sourire ravi, se sentant peut-être comme un professeur fier de son élève.

« Eh bien, plus de la moitié est exactement la même chose que ce que j’ai déjà fait, » avais-je dit.

D’après Shiran, après qu’un spiritualiste ait passé un contrat avec un esprit, il passait généralement de six mois à un an à apprendre comment amener l’esprit à utiliser la magie pour lui. Même Shiran, qui était considérablement douée, avait mis trois mois pour atteindre ce stade.

Pour autant, soixante-dix pour cent de ce temps était consacré à la recherche de la connexion avec l’esprit et à l’augmentation de la sensibilité à cette sensation. Lorsque j’avais formé un contrat avec Salvia, j’avais découvert que la connexion avec un esprit était très similaire à la connexion avec mes serviteurs par le biais du cheminement mental. J’avais déjà passé les quatre derniers mois à m’habituer à cette sensation, je n’avais donc pas besoin d’entraînement pour la ressentir. J’avais aussi déjà augmenté ma sensibilité en m’entraînant avec Asarina à communiquer par la voie mentale sans parler, afin que nous puissions agir de concert.

C’était une chance que les sens et les techniques utilisés par un spiritualiste soient très similaires à ceux que j’utilisais en tant que dompteur de monstres. C’était aussi un peu amusant. De toute façon, puisque je savais déjà faire ces choses, la seule chose que je devais apprendre était la manière afin d’envoyer mon mana à l’esprit. J’étais reconnaissant à Shiran d’avoir accepté de me l’enseigner.

Après avoir passé un contrat avec Salvia dans le monde de la Loge Brumeuse, j’avais dit à Shiran et Kei que les esprits et les monstres étaient fondamentalement les mêmes êtres. Si je ne leur avais pas dit, il n’aurait pas été logique de demander à Shiran de m’apprendre à utiliser un esprit pour pouvoir utiliser le pouvoir de la Loge Brumeuse.

Malheureusement, cette vérité était dévastatrice pour les elfes. Shiran n’avait pas pu cacher son choc. Et, bien sûr, Kei avait aussi été choquée. Mais alors que Kei était assise dans un état de sidération, Gerbera avait jeté un coup d’œil derrière elle et avait demandé : « Est-ce qu’il y a un problème ? » Ensuite, Ayame s’était glissée sur les genoux de Kei et lui avait léché le menton. Kei avait glapi et avait cligné des yeux comme si elle se réveillait d’un mauvais rêve. Elle avait levé les yeux vers Gerbera, puis avait serré la petite renarde sur ses genoux et avait ri, en disant, « Je suppose que non ».

Son sourire de l’époque m’avait laissé une forte impression. Je m’étais rappelé à quel point elle avait été déprimée lorsque l’enfant de ce village de récupération à l’entrée des montagnes Kitrus lui avait fait remarquer que ses oreilles ressemblaient à celles d’un monstre. Kei avait un complexe d’infériorité par rapport à sa race, alors passer du temps avec mes serviteurs, qui étaient très différents des humains, avait certainement eu une bonne influence sur elle.

Le temps que Kei se remette, Shiran avait également surmonté son choc et forcé un sourire. Après cela, elle avait accepté avec plaisir ma demande de me guider dans les voies d’un spiritualiste.

« Je dois dire que c’est plutôt étrange que je t’apprenne ça, Takahiro, » commenta Shiran.

« Comment ça ? »

« La Loge Brumeuse est bien plus ancienne que la légendaire Grande Araignée Blanche. Son utilisation élaborée du mana, capable de fabriquer un autre monde, la classe clairement comme un grand esprit. En d’autres termes, tu as établi un contrat avec un grand esprit, tu es donc maintenant un spiritualiste à célébrer dans les légendes », avait-elle dit d’une manière inhabituellement plaisante. « Alors avoir une humble spiritualiste comme moi pour te guider semble quelque peu absurde, n’est-ce pas ? »

« Arrête ça. Je n’ai rien à voir avec un spiritualiste légendaire », avais-je répondu en fronçant les sourcils.

« Je m’excuse. J’ai poussé ma blague trop loin, » dit-elle en riant.

J’avais forcé un sourire, puis j’avais demandé : « Au fait, tu as parlé de grands esprits. Est-ce qu’ils existent ? » J’avais regardé l’esprit contracté de Shiran. « Je me pose la question depuis un moment maintenant. Les esprits avec lesquels tu es sous contrat sont des lutins, non ? Cela signifie-t-il qu’il en existe d’autres types ? »

« Il y en a. Maintenant que j’y pense, je ne l’ai jamais expliqué. Immédiatement après avoir formé un contrat, les esprits sont appelés sprites. Ensuite, après plusieurs décennies, lorsqu’ils sont chargés de beaucoup plus de puissance, ils deviennent des esprits à part entière. Les elfes ont une très longue durée de vie, donc dans le passé, ils étaient nombreux à avoir des contrats avec de véritables esprits. À l’heure actuelle, il n’y a pratiquement plus de spirites ou d’esprits de ce type, c’est pourquoi le terme est utilisé de manière plus large. »

« Comment se fait-il qu’il y en ait si peu ? »

« Ce monde est trop dur, alors ceux qui ont un talent pour le combat ne peuvent pas rester inactifs. Par conséquent, beaucoup meurent à un jeune âge. Les elfes ne sont pas les seuls dans ce cas. »

Même si leur durée de vie était plus longue que celle des humains normaux, cela ne changeait rien s’ils mouraient jeunes. Ces mots semblaient particulièrement lourds venant de quelqu’un qui était déjà mort.

« Le terme grand esprit est utilisé pour désigner l’esprit des origines qui apparaît dans la légende elfique, Le premier Spiritualiste. »

« Une légende elfique ? A-t-elle un rapport avec les sauveurs ? »

« Ce n’est pas le cas. Les elfes n’apparaissent pas dans les légendes des sauveurs, mais nous avons nos propres contes. Le Premier Spiritualiste est l’un d’entre eux. On raconte que, sur son lit de mort, celui qui a passé un contrat avec l’Esprit des Origines lui a demandé de veiller sur le sort de tous les elfes. Depuis lors, les elfes sont capables de passer des contrats avec les esprits. »

« Hmm. C’est une histoire intéressante. »

Maintenant que j’y pensais, il semblait un peu étrange que seuls les elfes puissent passer des contrats avec les esprits. Selon cette légende, un elfe doté d’une capacité unique était apparu et était devenu le premier spiritualiste. Lorsqu’il avait confié leur race à l’esprit, ils avaient tous obtenu le privilège de former des contrats. Du moins, si les légendes étaient vraies.

Après y avoir réfléchi, j’avais reporté mon regard sur Shiran et l’avais observée pendant un court instant. Son regard avait alors rencontré le mien, et elle m’avait fixé d’un regard vide.

« Takahiro ? » Dans ces moments-là, je pouvais vraiment voir la relation de sang entre elle et Kei à travers son expression. « Qu’est-ce qu’il y a ? Y a-t-il quelque chose sur mon visage ? »

« Non. Ummm… Pas ton visage. »

Elle avait l’air déconcertée. Je m’étais gratté la joue, me demandant comment elle ne l’avait pas remarqué. C’était un peu gênant, mais je devais le faire remarquer. J’avais baissé les yeux vers la table, où elle tenait toujours fermement ma main avec la sienne.

« L’entraînement est terminé, donc, hum, ta main… »

« Ah. »

Bien que notre entraînement soit terminé, Shiran avait serré ma main pendant tout le temps où nous avions parlé des esprits.

« Pardonne-moi, » avait-elle dit, en lâchant prise.

Elle n’avait pas retiré sa main d’un coup sec. Au lieu de cela, elle avait gardé une légère prise sur ma main et s’était lentement retirée. Ses doigts avaient glissé sur le dos de la mienne. Pour moi, il semblait y avoir de la nostalgie et du regret dans ce geste.

« Eh bien. Je vais aller voir Adolf, » dit-elle en serrant légèrement cette même main et en se levant comme si de rien n’était.

« D’accord, je crois que je vais aller voir les autres, » avais-je répondu en la suivant hors de la pièce et dans le couloir.

« Je crois que je devrais être de retour juste après midi. »

« Compris. Merci pour aujourd’hui. »

« Ce n’était rien. Alors, excuse-moi. »

Shiran m’avait tourné le dos et était partie d’un pas rapide. Même après ne plus la voir, j’étais resté debout dans le couloir pendant un moment.

◆ ◆ ◆

Depuis la fenêtre du deuxième étage de l’auberge, je regardais la ruelle en contrebas, complètement absorbé par mes propres pensées. Mon esprit était bloqué sur le comportement de Shiran juste avant qu’elle ne parte voir Adolf.

J’avais déjà senti que quelque chose n’allait pas avant ça. Peut-être que j’avais commencé à le sentir pendant cette période dans le monde de la Loge Brumeuse. Ce monde avait le pouvoir de transformer les rêves en réalité, et cette dernière nuit, Salvia m’avait dit : « Toi, Mana, Ayame et Kei n’avez pas changé du tout. »

Inversement, cela signifiait que tous les autres, y compris Shiran, avaient changé. Pendant notre séjour là-bas, j’avais fini par épier Shiran et Kei pendant leur entraînement. Pour être plus précis, Salvia s’était arrangée pour que je les voie. Elle avait fait tout son possible pour tromper l’esprit de Shiran afin que je puisse les observer. En effet, j’avais pris le charme de Salvia pour une attaque et elle voulait me montrer une scène où la brume transformait un souhait en réalité, comme preuve de son absence d’hostilité.

En d’autres termes, cette scène n’avait été possible que grâce à l’intervention de Salvia, ce qui signifie que Shiran n’avait pas pu étreindre Kei en réalité. Quand j’y avais pensé comme ça, j’avais réalisé quelque chose.

En dehors du monde de la Loge Brumeuse, je n’avais jamais vu la peau de Shiran et de Kei entrer en contact. Tout au moins, je ne me souvenais pas d’un seul cas où cela s’était produit. Kei gardait une distance relativement faible entre elle et les autres, en partie parce qu’elle était encore jeune. Elle avait tiré sur mon bras et s’était même pressée contre ma poitrine plusieurs fois maintenant. Shiran était beaucoup plus proche de Kei que moi, et pourtant je ne les avais jamais vues se toucher.

Avait-elle habilement évité cela ? Cela ne s’appliquait pas seulement à Kei. Shiran évitait de toucher qui que ce soit d’autre. Dernièrement, j’étais la seule et unique exception à cette règle, afin qu’elle puisse m’apprendre à utiliser un esprit. C’était probablement parce qu’elle n’avait aucun moyen de l’éviter. Personne d’autre ne pouvait m’apprendre ce que j’avais besoin d’apprendre, après tout.

Je pouvais deviner pourquoi elle évitait de toucher qui que ce soit. Je m’étais souvenu de la froideur contre ma paume. Son corps était celui d’un mort, ayant perdu toute chaleur. Même si Shiran se reconnaissait comme un chevalier — une épée et un bouclier destinés à protéger l’humanité — elle n’était pas en fait faite d’acier froid. Elle était certainement désemparée par l’état actuel de son corps.

Si oui, quelle serait la meilleure chose à faire pour moi ? Je pensais qu’elle était inquiète pour son corps de mort-vivant et qu’elle ne voulait pas toucher les autres. Elle m’avait touché parce qu’elle était la seule à pouvoir satisfaire ma demande, mais si elle détestait vraiment l’idée… je devrais peut-être reconsidérer l’idée de prendre des leçons avec elle. Cela ralentirait mes progrès, mais je ne voulais pas apprendre ces choses au point de la blesser.

Il y avait une complication, cependant. Shiran donnait aussi l’impression que ça ne lui déplaisait pas. Je m’étais souvenu de son geste d’il y a quelques instants. Si elle avait vraiment détesté ça, n’aurait-elle pas retiré sa main tout de suite ? Je n’avais pas de preuve positive, bien sûr. Honnêtement, je ne pouvais pas imaginer l’état mental actuel de Shiran. Quelles pensées traversent la tête de quelqu’un qui ne pouvait plus toucher personne, mais qui avait ensuite l’occasion de le faire à nouveau, même s’il y est contraint ?

« C’est un problème difficile… »

Je n’avais pas encore assez d’éléments pour prendre une décision. Même si je devais arrêter nos leçons, il me fallait une bonne excuse. Si elle découvrait que je le faisais par considération, cela pourrait endommager davantage cette fragilité dans son cœur. En fait, il était possible que lui dire qu’elle ne devait pas s’inquiéter de son corps ait l’effet inverse. Pour l’instant, je n’avais pas d’autre choix que d’attendre et de voir comment les dés allaient tomber pendant que je réfléchissais à une excuse pour arrêter nos leçons.

« Quelque chose ne va pas, Maître ? » demanda Rose, me tirant de mes pensées. Kei et Katou étaient également dans la pièce et s’étaient tournées vers moi. « Y a-t-il quelque chose qui te perturbe ? »

Elle m’avait apparemment entendu marmonner. Je lui avais dit que ce n’était rien et j’avais reporté mon regard sur la fenêtre.

« Oh. »

J’avais vu Shiran dehors. On aurait dit qu’elle revenait de voir Adolf. Elle était encore loin, mais elle avait aussi réussi à me repérer. Elle avait souri, son expression étant à moitié cachée par son cache-œil. Mais elle avait immédiatement retiré son sourire. Quelqu’un lui avait barré la route — un garçon aux cheveux noirs.

« C’est… »

Je n’avais pas pu voir son visage parce qu’il me tournait le dos, mais j’avais su qui c’était grâce à sa stature.

« Maître, n’est-ce pas… ? »

« Oui. »

C’était le visiteur que nous avions rencontré la dernière fois que nous étions à Diospyro. La première fois, c’était dans le hall de l’auberge, et la seconde, alors que j’étais en rendez-vous avec Rose. Si je me souvenais bien, son nom était Fukatsu Aketora. Je pouvais également voir le jeune homme portant les vêtements indigènes du nord d’Aker, Thaddeus.

Fukatsu avait apparemment dû demander à Shiran à s’arrêter. Ils semblaient parler de quelque chose, mais je ne pouvais pas entendre à cette distance. Pourtant, je pouvais dire tout de suite qu’ils avaient une sorte de dispute. Je ne pouvais pas rester ici. Je m’étais immédiatement précipité vers la porte.

« Senpai ! »

« Kato, attends ici avec Kei. Rose, viens avec moi », avais-je dit.

« Tout de suite », avait répondu Rose en me suivant immédiatement hors de la pièce.

J’avais réprimé l’impatience qui gonflait en moi et j’avais couru hors de l’auberge.

***

Chapitre 22 : Identifié à vue

Partie 1

Heureusement, le temps que j’arrive dans la ruelle, la situation n’avait pas beaucoup changé depuis que je regardais par la fenêtre. Il n’y avait personne en vue à part Shiran, Fukatsu Aketora et Thaddeus. Pour commencer, cela ressemblait à un chemin peu fréquenté où cela s’était produit.

Le bruit que j’avais fait en claquant la porte pour y arriver avait résonné dans la ruelle silencieuse. Le sang de Fukatsu lui montait à la tête et il était trop occupé à se disputer avec Shiran pour le remarquer, alors que Thaddeus semblait m’avoir entendu, étant un peu plus proche de la porte.

Le jeune homme portant un tissu vaguement drapé sur son torse avait cessé de faire l’intermédiaire entre les deux et s’était tourné vers moi. Il semblait aussi se souvenir de moi. Il m’avait regardé courir, avait jeté un coup d’oeil à Rose… puis s’était à nouveau tourné vers moi, les yeux écarquillés et l’expression figée. Son état d’ébahissement m’irritait. Je n’avais aucune idée de ce qui l’avait choqué, mais Shiran et Fukatsu se disputaient toujours. En tant que compagnon de voyage, c’était la responsabilité de Thaddeus de les arrêter. Il n’y avait aucune raison de se plaindre, alors j’avais serré les dents et accéléré le pas.

« Pourquoi voulez-vous savoir ça !? »

« Je te dis que j’ai des raisons, bon sang ! »

À cette distance, je pouvais maintenant les entendre clairement.

« Ce n’est pas si compliqué que ça ! Réponds juste à mes foutues questions ! C’est tout ce que tu as à faire ! »

Il semblerait que Fukatsu essayait d’obtenir quelque chose de Shiran, mais qu’elle refusait d’obtempérer, ce qui avait conduit à la dispute actuelle. J’avais l’impression qu’il était venu chercher la bagarre parce qu’elle était ma connaissance, mais cela ne semblait pas être le cas.

Qu’est-ce qu’un visiteur comme Fukatsu pourrait bien vouloir à Shiran ? J’avais commencé à me le demander, mais, quelle que soit la raison, je devais d’abord aller l’aider. Au moment où j’avais pris une inspiration pour les appeler, Fukatsu avait craqué.

« Ça suffit ! Dis-moi juste ce que je veux savoir ! »

Il s’était rapproché de Shiran et avait essayé d’attraper son bras. Son approche violente semblait être alimentée par le sang qui lui montait à la tête. Shiran semblait vouloir y faire face. Elle avait déjà affronté un autre tricheur, Juumonji Tatsuya. Même si ce n’était pas en plein combat et qu’elle n’avait pas le soutien des esprits, son adversaire ne l’attaquait pas sérieusement. De plus, il s’élançait vers elle sans aucun sang-froid. Shiran avait été préparée à tout ce qui pouvait arriver, alors même si c’était un événement soudain, elle avait les moyens d’y faire face. Cela aurait dû être le cas, de toute façon.

Cependant, Shiran n’était plus la même que lorsqu’elle était dans la fleur de l’âge. Elle m’avait dit que sa condition s’était détériorée. Son potentiel de combat était autrefois égal à celui de Gerbera, mais elle était tombée depuis à peu près au niveau de Rose. Même si cela la classait comme très forte dans ce monde, elle était mal assortie contre un tricheur.

Shiran n’avait pas pu tordre son corps assez vite, et Fukatsu avait réussi à attraper son avant-bras avec grossièreté.

« Je te dis de…, Hein ? » Fukatsu avait commencé à dire quelque chose, mais avait soudainement ravalé ses mots. « Qu’est-ce que… ? »

Je ne pouvais pas voir son visage d’où j’étais, mais je pouvais entendre la suspicion dans sa voix. Il avait baissé son regard sur le bras qu’il tenait.

« Froid… ? »

Le visage de Shiran avait eu un spasme. À cet instant, un feu s’était allumé en moi.

« Fukatsu ! » J’avais hurlé à pleins poumons.

Cela avait finalement attiré son attention. Fukatsu s’était retourné, choqué par le bruit soudain. Alors qu’il le faisait, Rose et moi avions couru jusqu’à lui. Je n’avais pas eu le temps de reprendre mon souffle. Je m’étais arrêté et j’avais immédiatement parlé.

« Fukatsu, laissez-la partir. »

Il avait l’air profondément mécontent de cette intrusion. « Bon sang, je dois écouter… »

« Laissez-la partir », avais-je répété d’une voix grave.

Pour la première fois depuis longtemps, mon esprit bouillonnait d’émotions violentes. Malgré cela, j’avais réussi à garder mon calme. Si je devais dégainer mon épée ici, Rose se joindrait certainement à la mêlée. Néanmoins, il serait toujours considérablement difficile pour nous de gérer un tricheur. Si je devais le faire, je n’hésiterais pas, mais ce n’était pas le moment de poser ma main sur la poignée de mon épée.

« Laissez-la partir, » avais-je répété une fois de plus.

La dernière fois que je l’avais rencontré, Fukatsu Aketora semblait me détester. Pourtant, lors de notre première rencontre à l’auberge, il avait semblé totalement désintéressé. C’était plutôt comme s’il n’avait pas voulu être impliqué dans quoi que ce soit de gênant. Même s’il ne pouvait pas être qualifié d’amical, il n’avait pas été hostile envers nous. Il n’avait commencé à montrer du dégoût qu’à notre deuxième rencontre… quand il était tombé sur Rose et moi alors que nous nous promenions en ville.

« En tout cas, ce type est une ordure comme les autres. Traîner un tas de nanas comme des trophées en est la preuve. »

Je ne les voyais pas et ne les traitais pas comme ça, alors je ne me sentais pas bien d’être incompris de cette façon. Pourtant, je pouvais comprendre son dédain. Au moins, il avait assez de dignité pour trouver les gens comme ça désagréables. Il était brut de décoffrage, mais ce n’était pas un hors-la-loi sans scrupules. En tant que tel, il serait imprudent de sa part de dégainer son épée ici.

« Tch. »

Après m’avoir dévisagé un moment, Fukatsu avait lâché le bras de Shiran. Elle s’était immédiatement éloignée de lui et avait titubé.

« Takahiro…, » dit-elle, son unique oeil bleu me regardant avec frayeur.

« Est-ce que tu vas bien, Shiran ? » avais-je demandé, ignorant Fukatsu et marchant vers elle.

« T-Takahiro. Je suis vraiment désolée de t’avoir causé des problèmes… »

Elle était clairement secouée. Elle avait serré le bras que Fukatsu avait attrapé. Cela semblait être un acte inconscient. Le fait que Shiran soit un monstre mort-vivant était l’un des plus grands secrets que notre groupe gardait, et cet événement pourrait le révéler. Elle n’avait pas peur des actions de Fukatsu, elle avait peur de nous causer des problèmes. Je savais très bien que c’était le genre de fille qu’elle était.

« Ce n’est pas ta faute, Shiran. »

Elle n’avait pas eu de chance en étant impliquée avec un tricheur ici. On ne pouvait rien y faire. C’était simplement une catastrophe naturelle. En même temps, c’était aussi une chance qu’il soit un visiteur. Fukatsu Aketora ne savait pas ce qui était considéré comme du bon sens dans ce monde. Tant qu’il ne connaissait pas d’autres elfes, il n’avait aucun moyen de savoir s’ils avaient simplement une température corporelle différente de la normale. Il ne savait pas non plus que j’avais le pouvoir d’apprivoiser les monstres.

Il avait été surpris par sa froideur et l’avait peut-être trouvée suspecte, mais il était très peu probable qu’il ait eu l’idée ridicule qu’elle était un monstre mort-vivant.

« Rentrons, Shiran, » avais-je dit d’un ton tranchant.

« D-D’accord. »

Shiran avait hoché la tête, mais sa démarche était inhabituellement timide. Ses pensées auto-condamnantes l’avaient complètement saisie.

« Hé ! Attendez ! » Fukatsu avait crié, irrité.

Si on me pousse à le dire, on dirait qu’il était en colère d’être ignoré, mais Shiran ne l’avait pas pris comme ça. Son visage pâle s’était considérablement raidi. En voyant cela, mon esprit avait vagabondé vers la nuit de l’arrestation de la commandante.

« Est-ce que ça va vraiment bien ? »

« Si mon identité est découverte, cela vous causera des problèmes. »

Cette nuit-là, Shiran m’avait paru si fragile que j’avais l’impression qu’elle allait disparaître dès que je la quitterais des yeux. Elle donnait la même impression maintenant. J’avais tout de suite su que les choses ne pouvaient pas rester comme ça.

« Ah. »

Stimulé par cette compulsion, j’avais inconsciemment tiré Shiran dans une étreinte latérale. La moitié était due au fait que je sentais qu’elle allait disparaître si je ne la tenais pas, et l’autre moitié était due au fait que je voulais la protéger.

Heureusement, Shiran ne m’avait pas rejeté. Au contraire, elle s’était appuyée contre moi. Elle avait marmonné doucement et s’était cachée contre mon corps. Ses mains raides s’étaient accrochées fermement à moi. Encouragé par le fait qu’elle comptait sur moi, je m’étais tourné vers Fukatsu une fois de plus.

« Que voulez-vous ? » avais-je demandé.

« Je ne veux rien de toi, » répondit-il, le visage semblable à celui d’une bête hargneuse.

Je n’aurais pas survécu à tant de situations de vie ou de mort si c’était tout ce qu’il fallait pour me faire peur.

« Pensez-vous vraiment que je vais reculer juste à cause de ça ? Ne voyez-vous pas qu’elle a peur ? » avais-je dit. Shiran n’avait pas vraiment peur de Fukatsu, mais je n’avais pas vraiment de raison de lui dire ce qui l’effrayait vraiment. « Si vous avez quelque chose à dire, revenez après vous être calmé. »

« Ce n’est pas acceptable », avait-il dit, ne montrant aucun signe de recul. J’avais froncé les sourcils devant son attitude étonnamment persistante, mais ses mots suivants m’avaient fait ressentir une légère inquiétude. « Nous avons nos propres problèmes aussi. »

Sa voix était un peu plus calme, peut-être parce qu’il avait réussi à se calmer un peu à cause de notre interruption. Il y avait un son sérieux dans sa voix maintenant. Pour la première fois depuis que j’étais ici, j’avais regardé le visage de Fukatsu.

« Je ne peux pas reculer, mec », a-t-il dit, le désespoir se mêlant à ses traits acérés. Je pouvais voir à son expression qu’il y avait une bonne raison à cela. « Nous devons entendre parler du plan de l’armée royale pour une opération de subjugation des monstres, et cette femme est au courant. »

« Une opération ? »

J’avais ressenti l’envie de me tourner et de regarder Shiran, mais je m’étais empêché de le faire à la dernière seconde. Je devais agir de manière appropriée pour m’en sortir. Shiran n’était pas la personne dont j’avais besoin d’une confirmation en ce moment.

« Et pourquoi pensez-vous que Shiran est au courant de ça ? » avais-je demandé.

« Ne fais pas l’idiot, » grogna Fukatsu en montrant les dents. « Cette femme est un grand chevalier de l’ordre de l’Alliance ou autre, non ? Je l’ai vue sortir d’un bâtiment de l’armée en ville. J’ai déjà découvert qu’ils planifient une opération de grande envergure à proximité. Elle va leur donner un coup de main, non ? Si c’est le cas, elle doit connaître les détails. »

Sa logique était correcte, mais même si je le pensais, je ne le montrais pas sur mon visage.

« Et alors ? Pourquoi voulez-vous le savoir ? » avais-je demandé.

« Je… ne peux pas le dire, » répondit-il en se mordant la lèvre avec impatience. « J’ai des raisons dont je ne peux pas parler. »

« Alors c’est hors de question. Pensez-vous vraiment que vous pouvez obtenir ce que vous voulez comme ça ? »

« Il faut que je le sache ! »

Il semblait comprendre à quel point il était déraisonnable. Néanmoins, il n’avait pas l’intention de reculer.

***

Partie 2

J’avais une vue d’ensemble de la situation maintenant. Je ne savais pas exactement en quoi consistait une opération d’asservissement des monstres, mais j’avais entendu parler de témoignages de monstres près des villages voisins. L’armée se préparait probablement à y faire face.

Compte tenu de la personnalité de Shiran, si une telle opération était en cours, il était fort probable qu’Adolf lui en ait parlé lors de leur rencontre afin qu’elle puisse lui donner des conseils, et si nécessaire, lui prêter main forte. Cependant, Shiran avait refusé d’en parler à Fukatsu.

C’était parfaitement logique. Adolf lui en avait parlé précisément parce qu’on pouvait lui faire confiance. Elle ne pouvait pas en parler à quelqu’un qu’elle ne connaissait même pas, surtout si cette personne refusait de lui donner ses raisons.

Le problème est que Fukatsu savait parfaitement que sa demande était déraisonnable. Il n’était pas stupide ou arrogant au point de ne pas s’en rendre compte. Malgré cela, il était allé jusqu’à attraper le bras de Shiran pour essayer d’obtenir cette information de sa part. Il n’avait pas l’air de vouloir abandonner pour une raison futile. Qu’est-ce qui l’a poussé si loin ?

Quoi qu’il en soit, ce n’était pas vraiment le moment de penser à tout ça. J’avais inhalé et lui avais parlé une fois de plus.

« Désolé, mais je ne pense pas que Shiran sache ce que vous voulez découvrir. »

« Mais qu’est-ce que tu es — !? »

« Nous ne sommes pas venus ici pour aider à une quelconque subjugation ou autre. Elle s’est simplement rendue dans ce bâtiment pour les saluer au milieu de notre voyage. »

C’était la vérité. Fukatsu avait l’impression que Shiran était venue dans cette ville en tant que chevalier de l’Alliance au milieu d’une opération de subjugation de monstres à grande échelle pour donner un coup de main, mais ce n’était pas du tout le cas.

« Nous quittons la ville demain », avais-je ajouté.

« Menteur. Je ne vais pas te laisser t’en tirer avec ces excuses foireuses. »

« Si vous doutez de nous, alors vous êtes libre de nous suivre. Vous pouvez aller faire un peu de tourisme au village de récupération vers lequel nous nous dirigeons. »

La conjecture de Fukatsu était incorrecte. En tout cas, il n’était pas fondé à le croire. En vérité, sa conclusion que Shiran avait entendu parler des plans pourrait être juste, même si ce n’était qu’une coïncidence, mais il n’avait aucun moyen de le confirmer. Même s’il avait l’intention de persévérer jusqu’à ce que sa demande déraisonnable soit satisfaite, rien n’en sortirait si Shiran ne savait rien.

« Si c’est tout, nous partons, » avais-je dit en tournant les talons après avoir confirmé que Fukatsu avait perdu toute sa vigueur.

« Att — »

« Avez-vous encore besoin de quelque chose ? » Je le coupais froidement. « Sinon, nous allons prendre congé. »

Fukatsu ne savait plus quoi dire. Je m’étais détourné de lui et j’étais parti, en tenant toujours l’épaule de Shiran. J’étais soulagé qu’il n’ait pas essayé de dire autre chose. Je ne pensais pas qu’il était assez fou pour se déchaîner au milieu de la ville, mais une conversation avec quelqu’un que je ne pourrais fuir qu’en cas de combat me rendait tout de même tendu.

Malgré tout, il semblait que j’avais réussi à m’en sortir sans que rien de grave ne se produise. J’avais levé les yeux, apercevant Katou et Kei qui regardaient par la fenêtre. Je leur avais fait signe que tout allait bien, puis je m’étais tourné vers Shiran.

« C’était un vrai désastre. Vas-tu bien, Shiran ? »

Elle avait été très secouée tout à l’heure. Je voulais la soutenir autant que possible avant que nous allions dans un endroit où elle pourrait se détendre et se calmer. Avec cette idée en tête, j’avais regardé le visage de Shiran de plus près — et j’avais vu quelque chose d’inattendu.

« Ah… Uhh ? » murmure-t-elle en me regardant droit dans les yeux avec un regard envoûtant.

« Hein ? »

Je m’étais raidi face à l’attaque-surprise. Son visage était habituellement tendu, la définition même de la sévérité, mais maintenant il semblait complètement ensorcelé, comme dans un délire. Cependant, ses joues n’étaient pas teintées de rouge, ce qui lui donnait une atmosphère particulièrement érotique.

J’avais l’impression que mon âme était captive de son regard. C’était comme si mon cerveau s’engourdissait. Même avec mes pensées ralenties, j’avais réalisé que j’avais déjà vu ça une fois, mais avant que je puisse me rappeler quand, une voix forte avait frappé mon oreille.

« Attendez ! S’il vous plaît ! »

La voix stridente avait ramené l’expression floue de Shiran à la normale et avait ramené ma conscience à la réalité. Par réflexe, je m’étais mis sur mes gardes et m’étais retourné. Celui qui nous avait crié dessus… n’était pas le persistant Fukatsu.

« S’il vous plaît, attendez. »

C’était Thaddeus, qui n’avait même pas réagi pendant toute la durée de notre conversation. Il m’avait regardé avec une étrange ferveur dans les yeux.

« Ça ne devrait pas l’être. C’est impossible. Mais je ne peux pas penser à autre chose…, » avait-il marmonné.

« Thaddeus ? » dit Fukatsu avec perplexité. C’était apparemment un comportement inattendu de la part de son compagnon de voyage.

L’expression de Thaddeus était devenue terriblement sérieuse alors qu’il marchait vers moi d’un pas incertain, l’esprit trop préoccupé par tout autre chose. C’était un peu bizarre.

« Hey, Thaddeus ? Qu’est-ce qui se passe avec toi ? » demanda Fukatsu.

« Peut-être, juste peut-être… Si c’est vraiment le cas… »

Il avait ignoré Fukatsu et l’agitation évidente sur mon visage en tendant la main vers moi. Je ne pouvais pas du tout lire ses intentions et j’étais totalement absorbé par ses mouvements, j’avais donc réagi un peu tard.

« Que… êtes-vous… ? » marmonna Thaddeus.

Le moment avant que sa main ne m’atteigne, quelque chose s’était interposé entre nous.

« Vous ne vous approcherez pas plus. »

C’était une bardiche noire. La robuste lame en demi-lune brillait dangereusement et menaçait Thaddeus.

« Si vous essayez de faire quelque chose à mon maître, je serai obligé de vous traiter comme il se doit, » dit Rose avec force, tenant sa grande hache à la main.

Comme on pouvait s’y attendre, Thaddeus avait reculé. S’il faisait quoi que ce soit de suspect, elle le faucherait.

« D-D’accord… Pardonnez-moi. »

Thaddeus grogna et fit un, puis deux pas en arrière.

« Aketora, ne bouge pas. C’était ma faute, » dit-il à Fukatsu, puis il se tourna vers moi. « Mes excuses. J’étais tellement surpris que j’ai fini par faire quelque chose d’assez grossier. Je vous prie de me pardonner, et d’excuser le comportement impoli d’Aketora. »

Il avait repris ses esprits, et son visage avait retrouvé son calme.

« Je ne m’approcherai pas plus, alors laissez-moi vous demander une chose, » avait-il poursuivi. « Quel est votre nom… ? Oh, non, vous n’avez pas besoin de me le dire. Je sais très bien que vous vous méfiez de nous, surtout avec ce récent incident. »

« Quelle est votre question ? » Je l’avais encouragé à continuer. J’étais, bien sûr, toujours sur mes gardes.

Thaddeus glissa sa main dans ses vêtements. Il avait ensuite tendu son autre main à Rose, qui était toujours en position basse, prête à frapper, pour lui montrer qu’il n’était pas hostile. Après cela, il avait lentement sorti sa main de ses vêtements, en veillant à ne pas nous alarmer, puis nous avait montré sa paume. Il tenait dans sa main un bijou blanc qui émettait une faible lumière de l’intérieur.

Au moment où je l’avais vu, j’avais senti un élancement profond derrière mon œil droit. Pendant une seconde, j’avais cru que nous étions attaqués, mais Rose et Shiran n’avaient pas réagi. L’élancement s’était cependant rapidement calmé.

Thaddeus avait commencé à parler. « C’est un trésor transmis au sein de mon clan, offert par une certaine grande dame. C’est un outil magique de la plus haute classe. »

Son ton était calme et sérieux. Son regard était fixé sur mon œil — juste mon œil droit. C’était comme si le simple fait de regarder là rendait tout évident pour lui.

« Connaissez-vous peut-être un monstre appelé la Loge Brumeuse ? » avait-il demandé.

C’était pratiquement un miracle que je n’aie pas réagi d’une manière ou d’une autre. La légende de la Loge Brumeuse était bien connue. Mais Thaddeus avait appelé la Loge Brumeuse un monstre. Ce n’était pas de notoriété publique. Sans parler du fait de demander à son entrepreneur de tels détails. Comment pouvais-je rester calme ? Si je ne m’étais pas préparé à une question, cela se serait sûrement vu sur mon visage. Je ne savais pas si Rose ou Shiran avaient réussi à s’en sortir sans réagir. Il m’avait fallu tout ce que j’avais pour contenir ma propre agitation. Je n’avais pas le loisir de vérifier si elles allaient bien.

« Qu’est-ce que c’est que ça… ? » J’avais à peine réussi à dire, empêchant mon agitation de se manifester.

C’était différent de l’altercation de Shiran avec Fukatsu. Thaddeus connaissait le monstre connu sous le nom de Loge Brumeuse et me soupçonnait d’être lié à elle d’une manière ou d’une autre en utilisant une méthode inconnue. Il m’avait mis dans une situation très délicate.

C’est pourquoi je m’étais senti un peu soulagé quand Thaddeus avait dit : « Je vois. C’était une question étrange. Je suis désolé. » Cependant, ses prochains mots étaient venus sans pause, et ils avaient augmenté la tension une fois de plus. « Vous essayez manifestement de me tromper. »

« Je n’essaie pas de… »

« Désolé, attendez s’il vous plaît, » déclara Thaddeus en me coupant la parole et en tendant sa main vide. « C’était encore ma faute. Je suis sûr que c’est gênant d’avoir cette vérité exposée. C’est normal que je m’ouvre à vous en premier. »

Les mots de Thaddeus étaient enveloppés de mystère, mais Fukatsu semblait savoir où il voulait en venir.

« H-Hey. Thaddeus, ne me dis pas que tu vas… ? »

Après avoir souri au garçon surpris, Thaddeus s’était retourné dans ma direction, avait retiré sa main gauche et l’avait posée contre son visage.

« J’aimerais que vous preniez cela comme un gage de ma sincérité, » avait-il déclaré.

Je pouvais voir l’appréhension dans son expression. Je n’avais aucune idée de ce qu’il allait faire. Thaddeus cachait le côté gauche de son visage avec sa main. Il avait approché sa tête un peu plus près de nous sans alarmer Rose. Il avait ensuite déplacé sa main un tout petit peu pour que nous soyons les seuls à pouvoir voir derrière elle.

« Quoi — !? »

J’étais sans voix. L’œil de Thaddeus n’était pas celui d’un gentil jeune homme. La zone autour de son œil gauche était couverte d’écailles ocre. Et ce n’était pas tout. Son orbite béante abritait un globe oculaire semblable à celui d’un lézard, dont la pupille inhumaine reflétait nos visages étonnés.

« Pas possible, vous êtes… ? » J’avais commencé, mais je n’avais pas pu prononcer les mots qui auraient dû suivre.

En nous voyant si désemparés, Thaddeus avait souri.

« Pourriez-vous s’il vous plaît écouter notre histoire ? »

 

 

***

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