Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 7

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Chapitre 1 : Le garçon des terres lointaines ~ Point de vue de Kaneki Mikihiko ~

Le son du métal s’entrechoquant contre le métal tambourinait dans les profondeurs de mes oreilles.

« Argh. Hghh... »

En utilisant les deux épées courtes dans mes mains, j’avais repoussé la lame qui venait vers moi. Mon adversaire était armé d’une seule épée longue. Elle avait un peu plus de portée que mes armes, ce qui signifie que j’étais naturellement obligé de me défendre plutôt que de frapper. Je voulais réduire la distance entre nous pour me mettre à portée, mais mon adversaire était plus habile que moi, donc ce n’était pas facile. Au fur et à mesure que nous poursuivions notre combat, l’impact de ses frappes faisait lentement disparaître la sensation de mes mains.

« Oooooh ! »

Je n’avais déjà aucune chance de gagner. Je le savais, mais je m’étais accroché. Il y avait des objectifs que je ne pouvais pas atteindre si j’abandonnais maintenant. Je ne pouvais pas protéger les choses les plus importantes pour moi si je ne me donnais pas à fond, alors j’avais serré les dents et brandi mes épées.

Combien de temps s’est déjà écoulé ? Chaque fois que je jouais à des jeux dans ma chambre, le temps passait toujours sans que je m’en rende compte. Cependant, ici et maintenant, j’avais l’impression que beaucoup de temps s’était écoulé en quelques instants.

« Ah. »

Un coup particulièrement violent avait fait tomber l’épée courte de ma main engourdie. Armé d’une seule arme, je n’avais même pas pu tenir quelques secondes de plus.

« Tu m’as eu, Marcus, » avais-je dit en tombant sur mes fesses. J’avais levé les yeux vers l’épée d’entraînement pointée sur mes yeux.

« C’est-à-dire que le match est à moi, Mikihiko ? »

« J’abandonne ! Je me rends ! J’en ai assez ! »

Il avait finalement abaissé son épée. La tension avait disparu de l’air, et je m’étais couché sur le dos. Mon autre épée d’entraînement était tombée de ma paume, et j’avais levé les yeux vers le ciel ridiculement bleu.

« Bon sang… Un vrai chevalier est vraiment fort, » avais-je grommelé.

« Ha ha. Tu es toi aussi devenu plutôt fort. »

« Entendre ça de la part de quelqu’un que je n’ai même pas pu frapper une seule fois me fait me sentir encore plus mal. En fait, ce serait mieux si tu jubilais. »

« Tu es encore cent ans trop tôt pour avoir une longueur d’avance sur moi. Lutte autant que tu veux. »

« D’un extrême à l’autre !? » avais-je crié en me relevant d’un bond. J’étais un mauvais perdant, alors je ne pouvais pas me taire. « Bon sang ! Je ne vais pas perdre contre toi, connard ! »

J’avais donné de l’énergie à mon corps épuisé avec de la pure volonté, mais j’avais été accueilli par des rires virils.

« D’accord ! Et si on essayait une lance cette fois ? » suggéra Marcus.

« Vas-y ! »

J’avais réussi à me muscler dernièrement, alors j’essayais toutes sortes d’armes à part les épées courtes. J’avais fait un signe de tête motivé à Marcus, puis je m’étais retourné pour aller chercher une lance d’entraînement.

« Hé, Mikihiko, » dit-il soudain. « Donnons tout ce que nous avons. »

Je m’étais arrêté, mais je ne m’étais pas retourné. Puis j’avais hoché la tête et j’étais parti en courant.

Après que nous soyons allés à la cité marchande de Serrata pour les informer de la chute du Fort de Tilia, le Margrave Maclaurin avait arrêté la commandante. Il avait quitté Serrata avec la commandante trois jours après que je me sois séparé du groupe de Takahiro. Environ un mois s’était écoulé depuis.

J’avais choisi d’aller avec le convoi qui escortait la commandante au nord. Pendant ce temps, ils ne m’avaient pas permis de la voir du tout. J’avais utilisé mon statut de sauveur pour tordre quelques bras afin de faire partie du convoi, mais je ne pouvais pas les pousser plus loin. J’avais passé mes journées aux côtés du chevalier de l’Alliance chargé de s’occuper de moi pendant que nous étions tous sous surveillance impériale. Ils n’avaient pas retenu l’un de nous deux, mais ils étaient vraiment méfiants.

Après l’arrestation de la commandante, je m’étais échappé de Serrata. À cause de cela, Maclaurin n’avait pas réussi à capturer tous les chevaliers de l’Alliance. Plus important encore, la lieutenante Shiran s’était échappée. Nous ne pouvions pas la laisser tomber entre ses mains maintenant qu’elle était un monstre mort-vivant. Et honnêtement, ça fait du bien de s’en prendre au margrave.

S’ils ne m’avaient pas autorisé à rencontrer la commandante, c’est probablement parce qu’ils s’attendaient à ce que je la fasse évader avec l’aide des chevaliers disparus. En fait, j’avais été secrètement en contact avec certains d’entre eux, mais nous n’avions pas l’intention de la faire sortir. Cela ne ferait qu’aggraver sa situation. Quoi qu’il en soit, Maclaurin était certainement inquiet de cette possibilité, et c’est ce qui les avait mis en garde contre nous.

Au bout d’un moment, l’armée provinciale nous avait rattrapés, et l’escorte militaire excessive de la commandante au nord avait continué. L’immense groupe se déplaçait à un rythme lent. Il nous avait fallu dix jours pour quitter le comté de Lorenz et entrer dans les régions fermières du territoire du Margraviat de Maclaurin. Nous avions ensuite suivi la route du nord-est jusqu’à la ville de Dursis, connue comme l’entrepôt à grains de l’Empire du Sud. Cela nous avait pris encore plusieurs jours. Actuellement, nous nous dirigeons vers la ville minière de Nourias, située au centre du margraviat. Nous suivions la route parallèle à la grande rivière Aralia et nous nous étions retrouvés sur une aire de repos pour voyageurs. Il nous faudra encore une semaine pour arriver à Nourias, ce qui fait que notre voyage durera un mois.

Ils m’avaient dit que pour atteindre notre destination, la capitale impériale, il faudrait encore un mois après avoir atteint Nourias. Je ne savais pas combien de temps ils avaient prévu de confiner la commandante dans la capitale. Les gens du margrave ne voulaient pas me donner le moindre détail. Ils me détestaient probablement. Eh bien, je les détestais aussi, donc nous étions quittes.

En tout cas, je doutais que notre séjour dans la capitale soit court. L’attaque du Fort de Tilia avait été un incident majeur où l’humanité avait perdu l’une de ses forteresses. Ils allaient certainement demander un compte rendu détaillé de ce qui s’était passé là-bas et de l’ampleur des dégâts.

Après cela, la commandante prendrait la responsabilité de sa capitulation. Comme je l’avais dit à Takahiro et Shiran avant de nous séparer, l’exécution était hors de question. La famille royale akérienne était aimée par son peuple. Si leur princesse devait être exécutée pour des raisons irrationnelles, cela entraînerait certainement une guerre contre le margraviat. Le Saint Ordre, qui s’était battu sur le champ de bataille aux côtés des sauveurs et avait maintenu l’ordre mondial, ne permettrait pas un tel chaos sans signification. Peu importe à quel point le margrave détestait la commandante, il ne pouvait pas la condamner à mort.

Cela dit, le poids de sa punition serait relatif au nombre de voix qui lui demanderaient de prendre ses responsabilités. C’est là que j’interviens. Le siège de la Sainte Eglise était situé dans la capitale impériale. Ils vénéraient les sauveurs, et devaient avoir une influence considérable. Étant l’un de ces sauveurs, de nom en tout cas, il devait y avoir quelque chose que je pouvais faire pour elle. Si c’était le cas, même si la commandante était condamnée à une résidence surveillée permanente, je pourrais au moins la ramener à Aker… Je l’espérais.

« La route va être loooooongue, » avais-je grommelé.

Je devais être patient. J’avais couru jusqu’à la manamobile qui transportait nos bagages et j’avais attrapé un bâton avec un tissu enroulé autour de l’extrémité utilisé pour l’entraînement à la lance.

« Je me demande quand Takahiro va rejoindre Aker…, » je me l’étais murmuré à moi-même.

Même si leur voyage se passait bien, ils n’étaient probablement pas encore arrivés. J’avais entendu dire que la route à travers les montagnes Kitrus était assez difficile. Presque personne ne l’utilisait de nos jours, et il était très probable que l’état lamentable de la route leur bloque complètement le chemin. Un accident inattendu pouvait également se produire.

Pourtant, il était presque garanti qu’ils atteindraient Aker avant nous. Le temps qu’ils obligent la commandante à rentrer chez elle, il serait là pour nous accueillir. Je devais m’assurer de pouvoir sourire lors de nos retrouvailles.

Ainsi, je m’étais remis en selle une fois de plus et j’avais repris mon entraînement.

***

Chapitre 2 : Les filles humaines

Partie 1

« Qu’est-ce que tu regardes ? » avais-je demandé à la fille accroupie au bord de la rivière. Ses yeux avaient été fixés sur l’objet dans sa main, mais elle avait levé les yeux vers moi.

« Majima… »

Quelque chose en elle me rappelait une fleur. Ses magnifiques cheveux noirs lui tombaient jusqu’à la taille. Elle portait un uniforme d’école, mais ses proportions sveltes étaient encore perceptibles. Lorsqu’elle souriait, les traits de son visage, plutôt acérés, étaient empreints d’une douceur toute féminine. En ce moment, cependant, elle affichait un regard maussade et aigre.

« Ce n’est vraiment rien, » dit-elle sans ambages.

Iino Yuna — la fille connue sous le nom de Skanda dans la colonie — avait soufflé et détourné le regard. Elle était plutôt insociable, mais c’était normal. Nous avions après tout croisé nos lames.

La raison pour laquelle son uniforme était un peu usé et sale était due à notre bagarre de l’époque. C’était cependant les seules traces laissées par la bataille. Toutes les blessures qu’elle avait subies ce jour-là étaient complètement guéries maintenant. Même le bras qu’elle s’était cassé pendant le combat contre la Bête folle — le monstre en lequel Takaya Jun s’était transformé — était redevenu normal.

Elle tenait un simple télescope dans sa main. La marionnette magique Rose, une de mes servantes, l’avait fabriqué.

 

 

« J’ai trouvé quelque chose de nostalgique, alors je ne faisais que jeter un coup d’œil, » déclara Iino en reposant le télescope sur le sol.

Il y avait une pile d’affaires à ses pieds, allant des couvertures aux provisions. Tous étaient mouillés, abîmés, couverts de boue, ou tout cela à la fois. C’était les bagages avec lesquels nous avions voyagé sur le chemin d’Aker. La rivière les avait emportés, les laissant dans leur état actuel.

Nous étions avec une manamobile que les Chevaliers de l’Alliance nous avaient prêtée. Pendant notre combat contre Iino, le véhicule avait dévalé la falaise dans un glissement de terrain et s’était brisé en morceaux. Toutes nos affaires avaient été emportées en même temps.

Maintenant qu’Iino est de retour en parfaite santé, elle utilisa la force de ses jambes pour courir le long de la rivière et chercher et récupérer nos affaires. Grâce à ses efforts, certains de nos bagages étaient maintenant à ses pieds. Le télescope qu’elle regardait était l’un des objets qu’elle avait réussi à récupérer.

« J’ai une amie qui adore ce genre de choses, » déclara Iino en regardant le télescope. « Il fut un temps où elle m’a imposé un télescope fait main et m’a fait regarder les étoiles. Il est toujours dans ma chambre… »

Iino avait souri avec nostalgie et s’était levée avant de se tourner vers moi et de continuer.

« Son nom est Todo… Je veux dire, Todoroki Miya. La connais-tu ? »

« Todoroki ? »

La mention soudaine de son nom m’avait troublé d’une certaine manière. J’avais l’impression de l’avoir déjà entendu quelque part, mais je n’arrivais pas à m’en souvenir tout de suite.

« Elle est membre de l’équipe d’exploration, Senpai. »

Une autre voix avait répondu avant que je puisse comprendre. Je m’étais retourné pour voir une fille avec des nattes qui se balançaient — Katou — marcher vers nous. Ses manches étaient retroussées, révélant ses bras blancs et minces. À côté d’elle, une femme portait un masque, et ses cheveux gris étaient attachés en une tresse. C’était Rose.

Rose portait des objets mouillés dans ses bras. Toutes les deux avaient utilisé la rivière pour laver la boue de tout ce qu’Iino avait récupéré. Un peu plus loin, Gerbera et Kei s’amusaient bruyamment avec cette tâche. Une Arachnée et une elfe ensemble étaient plutôt bizarres dans ce monde, mais la scène était idyllique à mes yeux.

Rose alignait les objets propres sur un morceau de tissu au bord de la rivière. Katou avait utilisé un chiffon pour les sécher, après quoi Rose avait commencé à les trier.

« La bête des ténèbres Todoroki Miya, » dit Katou en continuant son travail. « Elle était célèbre dans la colonie. Je pense qu’elle était dans la même classe que toi, Senpai. »

« Oh, c’est vrai. »

Maintenant, je m’en souvenais. Même au sein de l’équipe d’exploration d’élite, qui était entièrement composée de tricheurs ayant acquis des pouvoirs insensés en arrivant dans ce monde, il y avait ceux qui étaient connus avant tous les autres. Par exemple, l’Épée de Lumière Nakajima Kojirou, la Lame Absolue Hibiya Kouji, le Dragon Jinguuji Tomoya, et la fille juste devant moi, la Skanda Iino Yuna. Ça me semblait loin maintenant, mais dans la colonie, j’avais entendu parler de la Bête des Ténèbres Todoroki Miya.

« Hm ? »

Au moment où j’avais réalisé que j’avais entendu ce nom, quelque chose s’était figé dans mon esprit.

« Y a-t-il un problème, Senpai ? » demanda Katou avec curiosité.

« J’ai l’impression d’avoir entendu ce nom beaucoup plus récemment, » avais-je dit, et après quelques secondes, je m’étais souvenu. « Takaya Jun… C’est ça. Il a mentionné Todoroki. »

Il avait mentionné son nom lorsque nous l’avions mis au défi de récupérer Lily. Lorsque nous lui avions demandé des informations sur la Voix du Ciel, le mystérieux tricheur qui se cachait parmi l’équipe d’exploration, Takaya Jun avait mentionné le nom de Todoroki Miya dans le but d’ébranler Kudou.

Maintenant que j’y pense, Iino, qui était sur le dos de Berta en se faisant passer pour Kudou à ce moment-là, avait aussi réagi à son nom. J’avais pensé qu’elle savait peut-être qui ils étaient, mais je n’avais pas eu le temps de le lui demander. Après cela, nous avions été pris dans une bataille de vie ou de mort, donc cela m’était complètement sorti de l’esprit. La réaction d’Iino était logique si Todoroki Miya était une membre de l’équipe d’exploration. Il ne semblait pas non plus qu’elles soient de simples collègues.

« Étais-tu proche d’elle ? » avais-je demandé à Iino.

« Oui, » répondit-elle, ses yeux dérivant vers le télescope sur le sol. « C’est pourquoi je veux te demander quelque chose. Tu es en contact avec Kudou, non ? Pourquoi Takaya a-t-il parlé de Todo… ? Qu’y a-t-il entre elle et Kudou ? S’il te plaît, peu importe ce que c’est, dis-moi juste ce que tu sais. »

« Même si tu me le demandes…, » avais-je marmonné. Je savais où elle voulait en venir, mais c’était quand même une demande déraisonnable. « Je ne suis pas vraiment en contact avec Kudou. Nous étions ennemis au Fort de Tilia, et cette fois nous nous sommes à peine parlé. Désolé, mais je ne sais rien de leur implication. »

« Je vois… Eh bien, » dit-elle avec un soupir déprimé.

« Hé, Iino. Est-ce que Todoroki… ? »

« Elle n’était pas dans le premier corps expéditionnaire. Elle est restée dans la colonie. »

D’après son expression, je m’attendais à cette réponse.

« Nous n’avons pas laissé la colonie sans défense, comme tu le sais, » avait-elle poursuivi. « Nous avons laissé deux tricheurs avec un surnom derrière nous — la Bête des Ténèbres Todo, et la Lame Absolue Hibiya Kouji. Tant qu’ils étaient là, nous nous sommes dit que nous serions prêts face à tout… C’est comme ça que ça devait se passer. »

Elle avait ajouté la dernière partie parce qu’elle savait ce qui s’était passé à la fin.

« “Prêt face à tout” ne concerne que les monstres, non ? » avais-je dit avec un soupir. « La colonie s’est autodétruite. Ce n’était pas une attaque de monstre. Elle s’est effondrée de l’intérieur. »

En fin de compte, c’était le chef de l’équipe d’exploration, Nakajima Kojirou, qui avait maintenu notre vie stable à la Colonie. C’était grâce à son charisme et à son leadership. Il y avait toujours eu du mécontentement et de l’anxiété pendant qu’il était là, mais sa présence avait endigué toutes les émotions négatives. C’est pourquoi tout s’était déversé quand il était parti.

« Vous nous en voulez ? » demanda Iino, l’air presque effrayé.

« Je n’ai pas une grande opinion de vous tous, mais je ne vous en veux pas. »

« Vraiment ? »

« Ouais. Vous blâmer ne change pas ce qui s’est passé. D’ailleurs, je ne pense pas que la décision de l’équipe d’exploration était mauvaise à l’époque. »

« Que veux-tu dire ? »

« Nous n’avions aucun avenir si nous continuions à rester ainsi dans les Terres forestières. Cependant, un voyage au long cours était impossible avec l’ensemble du groupe. Il aurait fallu finir par envoyer un corps expéditionnaire. »

J’avais mis de côté mes émotions et j’avais continué avec indifférence.

« Il est vrai que le départ du premier corps expéditionnaire a été l’élément déclencheur de la destruction de la colonie, mais ceux qui l’ont réellement détruite étaient une partie des tricheurs, pas le corps expéditionnaire lui-même. Il n’est pas juste de vous critiquer après coup. »

« Comme c’est rationnel de ta part... »

« Cependant, j’ai dit que je n’avais pas une grande opinion de vous tous. »

Il y avait des choses que je ne pouvais pas accepter sur le plan émotionnel. Je ne pouvais pas le nier. Pourtant, cela faisait quatre mois maintenant. Le fait que ce ne soit que quatre mois ou que ce soit déjà quatre mois dépendait de chaque personne, mais au moins, j’avais réussi à calmer mes émotions. Mon désir de ne pas m’impliquer dans l’équipe d’exploration l’emportait largement sur les plaintes que je pouvais avoir à leur égard.

Le pire, c’était cette mystérieuse Voix du Ciel qui faisait partie de leur groupe. Je n’avais aucune idée de l’étendue du poison de la malice qui les avait tous infectés. Je priais pour que l’équipe d’exploration puisse purger la toxine du mieux qu’elle pouvait, mais si cela échouait, je ne voulais pas être pris dans ce qui se passerait.

« Retournes-tu dans l’équipe d’exploration, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.

« C’est le plan. Je me sens encore un peu raide, mais je peux me déplacer maintenant. Je dois aussi passer par Serrata avant de retrouver tout le monde. »

« Serrata… Comptes-tu rendre visite à Louis ? »

« Mhm. Honnêtement, je ne pense toujours pas que Louis ait menti, » dit Iino, baissant les yeux comme pour cacher la forte lueur dans ses yeux. « Son indignation vertueuse était réelle… enfin, je crois. J’ai besoin de lui parler encore une fois, surtout s’il a mal compris quelque chose. »

Les frictions entre Iino et moi durant cet incident avaient toutes pour origine Louis Bard, le subordonné du noble le plus influent de l’Empire du Sud, le margrave Maclaurin. Il avait dit à Iino, « Majima Takahiro est l’un des responsables de l’attaque du Fort de Tilia. » Nous ne savions pas si Louis avait trompé Iino avec sa langue d’argent ou s’il s’était lui-même trompé. Iino pensait que c’était cette dernière hypothèse.

***

Partie 2

« Je prévois de partir demain matin, » dit-elle.

« Tu ne peux pas rester tranquille une seconde, hein ? »

« Eh bien, oui. Il y a aussi cette Voix du Ciel. Je veux rentrer le plus vite possible. Cela prendra plus de temps parce que je veux d’abord rendre visite à Serrata. Il a déjà fallu un certain temps pour que mes blessures guérissent. »

Actuellement, la seule parmi mes compagnons de voyage qui pouvait utiliser la magie de guérison était Kei. En tant qu’elfe, elle avait l’étoffe d’un formidable mage, mais elle n’avait que dix ans et son répertoire était limité. La magie qui frôlait tout juste le grade 2 prenait du temps pour traiter les blessures. Il avait fallu trois jours pour remettre Iino dans un état où elle pouvait se déplacer correctement. À en juger par sa personnalité impatiente, elle risquait de partir à tout moment.

Malgré cela, elle avait décidé de passer toute la journée à nous aider à récupérer nos affaires. C’était une grande différence par rapport à il y a trois jours où elle n’avait cessé de crier qu’elle ne pouvait pas me croire. Qu’est-ce qui a bien pu faire changer sa position de façon si radicale ?

« Ne t’inquiète pas. Je n’ai pas l’intention de te traîner jusqu’à l’Empire après tout ça, » dit-elle en mettant une main à sa taille et en gloussant. « Cette Voix du Ciel, ou ce qu’elle pense être pourrait faire partie de l’équipe d’exploration. Tu as dit que tu ne pouvais pas nous faire confiance. Je suppose que c’est logique. Même Takaya a fini comme ça… »

Iino avait soupiré. Cet incident lui avait donné beaucoup de choses à penser maintenant.

« Ça ne te dérange pas de laisser toute cette histoire avec Miho Mizushima comme ça ? » avais-je demandé, en regardant son expression triste.

Je m’étais dit que c’était une question inutile. Il n’y avait pas de raison de remuer le couteau dans la plaie. Cependant, Iino, qui avait autrefois brûlé d’une indignation vertueuse concernant tout ce qui s’était passé avec Miho Mizushima, avait légèrement secoué la tête.

« La personne en question est d’accord avec cela, donc ce n’est pas à moi de dire quoi que ce soit, » avait-elle déclaré.

De façon inattendue, on aurait dit qu’elle laissait tomber le sujet. Tout de même, je n’avais pas vraiment compris comment elle en était arrivée à une telle conclusion.

« La personne en question ? » avais-je demandé.

« Oh… Uhh, ce n’est rien. Oublie ça. »

« Ça n’a pas l’air de rien… »

« D-Dans tous les cas, c’est comme ça ! » Iino agita ses mains d’un air agité et tourna les talons. « Bon, je vais en chercher d’autres ! »

« Ah ! Hé ! Iino ! »

Elle était déjà en train de courir quand j’avais essayé de l’arrêter. C’était la Skanda. Même si elle n’était pas en parfait état, sa silhouette avait disparu en un clin d’œil.

« Qu’est-ce qu’elle est bizarre ! » m’étais-je murmuré. À ce moment-là, j’avais vu Katou qui regardait dans la direction où Iino s’était enfuie. « Hm ? Katou ? Quelque chose ne va pas ? »

« Ce n’est rien…, » Katou avait dit en secouant la tête. « Ce n’est pas possible… Je pense. » Elle avait gloussé, puis s’était tournée vers son amie. « Rose, j’ai fini. »

« J’ai aussi fini, » répondit Rose. « Je vais t’apporter les objets qu’Iino vient de récupérer. »

Rose avait ramassé les objets sales qu’Iino avait ramenés et les avait portés jusqu’à Gerbera et Kei, qui s’amusaient à discuter tout en faisant couler de l’eau et en lavant des objets.

« Vous deux, c’est bien de s’amuser, » leur déclara Rose, « mais si vous êtes trop excitées, il est possible que vous cassiez quelque chose. Surtout toi, Gerbera. Tu peux être très imprudente. »

« Je sais, Rose. Ne t’inquiète pas. Je ne ferai pas un si simple… Oups. »

« H-Hein ? Gerbera ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que quelque chose vient de craquer ? » demanda Kei.

« Je viens de te prévenir…, » Rose grommela.

« Je suis désolée ! »

Elles avaient l’air de s’amuser. Je les avais regardées avec un sourire en écoutant les pas qui venaient vers moi sur le gravier.

« Euh… Senpai ? »

Katou s’était approchée et m’avait regardé d’un air entendu.

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Euh, à propos d’Iino… Je croyais que tu la détestais. »

« C’est le cas. Mais qu’en est-il ? » Avais-je dit un peu dubitatif. « Qu’est-ce que c’est, tout d’un coup ? »

Katou avait l’air quelque peu vexée par ma réaction.

« Malgré cela, hum… Comment dire… ? »

Finalement, elle n’avait pas trouvé de manière polie de le dire et avait décidé de me le donner directement.

« Senpai, on dirait que tu ne la détestes pas vraiment. »

J’avais eu du mal à répondre à cette accusation soudaine et j’avais hésité un moment.

« Est-ce que tu penses ça ? » avais-je demandé.

« Oui. » Katou avait acquiescé, gardant ses yeux fixés sur les miens tout le temps.

« Je vois… »

J’avais forcé un sourire sans le vouloir. Ce n’est pas qu’elle avait dit quelque chose de complètement faux. C’était plutôt le contraire. Katou avait vraiment un bon œil quand il s’agissait des gens. Je m’étais gratté la tête et j’avais regardé où Iino s’était enfuie.

« Je ne suis pas vraiment en train de mentir, » avais-je dit.

C’était vrai. Je m’étais juré de ne jamais perdre ce qui m’était précieux, quoi qu’il arrive, c’était une chose que je ne laisserais jamais se produire. Prier était le mieux que mon faible moi pouvait faire. Il y avait tellement d’autres choses auxquelles j’avais dû renoncer pour les protéger. Peut-être que si j’avais la même force qu’Iino, je n’aurais pas eu à renoncer à tout ça. Je ne pouvais pas la voir sous un jour positif à cause de ça. Pourtant, il y avait certainement quelque chose d’autre en dehors de mes opinions négatives sur elle.

« Quand je vois quelqu’un qui a tout ce à quoi j’ai dû renoncer, je ne peux pas ne pas y penser, » avais-je ajouté.

« Senpai… »

« C’est pour ça que je la déteste, » avais-je dit, en soupirant. « C’est aussi pour ça que je veux qu’elle continue. Je veux qu’elle aille jusqu’au bout des choses comme ça. Quelque part au fond de moi, je veux vraiment ça pour elle. »

Avant de me poursuivre, Iino avait sauvé plusieurs étudiants dans les Profondeurs. Elle avait sauvé des gens qu’elle ne connaissait pas vraiment, allant jusqu’à se jeter dans le danger. Elle était sûre de continuer à vivre comme ça aussi. Dans un sens, je ne pouvais pas vivre de la même façon qu’elle, pas maintenant que j’avais décidé de donner la priorité à la protection de ce qui m’était précieux, peu importe ce que je devais faire. C’est pourquoi je la détestais, mais je ne pouvais pas nier la valeur de sa façon de faire les choses. Katou avait senti cette incohérence en moi.

« Et toi, Katou ? Qu’est-ce que tu penses d’elle ? » avais-je demandé.

Katou avait plissé les yeux, puis avait dit : « Je… ne l’aime pas. »

« Je vois. C’est logique, » avais-je répondu en gloussant. Sa réponse franche lui ressemblait bien.

« Senpai…, » elle avait marmonné en me regardant d’un air fasciné. Puis elle baissa la tête comme si elle fuyait quelque chose. « C’est parce que tu es comme ça… »

Cette fois, elle avait été inhabituellement vague. Elle n’avait pas continué sa phrase. Elle était restée là, les mains jointes. À cause de notre différence de taille et de la façon dont elle penchait la tête, je ne pouvais pas voir grand-chose de son visage à part ses lèvres tendues, mais ses oreilles étaient devenues rouges.

Une atmosphère étrange et inattendue nous avait enveloppés, et nous étions restés debout l’un devant l’autre dans un silence complet. Je n’avais pas l’impression qu’elle me critiquait. Le comportement de Katou semblait… plus proche de la bouderie. Peut-être que c’était quelque chose d’un peu différent de ça. Je ne saurais pas vraiment dire.

« Qu’est-ce que tu… »

« Takahiro, puis-je avoir un moment ? »

Au moment où j’essayais de demander des précisions, une autre voix m’avait interpellé. Kei s’était arrêtée et avait levé les yeux vers moi, puis vers Katou.

« Oh, désolé. Me suis-je peut-être mis en travers du chemin ? »

« Pas du tout, » dit Katou en relevant soudainement la tête. Le soulagement colorait ses joues légèrement rougies. « Nous ne faisions que bavarder. Bon alors, je vais aller aider Rose. »

Katou m’avait fait un rapide salut et était partie en vitesse. Kei lui avait dit au revoir, puis avait levé les yeux vers moi.

« Hum, est-ce que je ne suis vraiment pas dans le chemin ? » demanda-t-elle.

« Pas du tout. »

Je me demandais encore de quoi il s’agissait, mais poursuivre Katou et lui demander des explications ne ferait que la déconcerter. Bien que je ne sois pas satisfait du résultat, j’avais décidé de passer à autre chose.

« Alors ? De quoi avais-tu besoin ? » avais-je demandé à Kei.

« Oh, c’est vrai. C’est à propos des provisions que nous avons récupérées, » répondit-elle promptement. « Nous n’avons pas beaucoup de nourriture sous la main, donc le plan est de cuisiner en priorité ce que nous pouvons récupérer. Cela te convient-il ? »

« Ça a l’air bien. Cependant, une partie est probablement gâchée. Jette tout ce qui a l’air mauvais. »

« Gerbera a dit que ce serait du gâchis, alors elle va juste les manger. »

« Non, jetez-les. »

Je savais que l’estomac de Gerbera était solide, mais je ne voulais pas faire manger de la nourriture pourrie à une fille alors que nous n’étions même pas dans une situation d’urgence.

« Très bien, » dit Kei avec un hochement de tête. Puis elle avait soudainement eu l’air de réaliser quelque chose. « Oh, encore une chose. Il y a quelque chose dont j’aimerais parler à… ou je suppose, te consulter. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

Kei avait regardé autour d’elle. Après avoir vérifié que personne ne nous écoutait, elle avait levé les yeux vers moi. L’anxiété soulignait ses traits enfantins.

« C’est à propos de Shiran, » dit-elle à voix basse.

***

Chapitre 3 : La consultation et le résultat

Partie 1

Le jour suivant, Iino était partie comme elle l’avait dit. Son plan était de retourner à la cité marchande Serrata dans le comté de Lorenz, de faire pression sur le subordonné du Margrave Maclaurin, Louis, pour obtenir des réponses, puis de retrouver l’équipe d’exploration, qui était en route pour la capitale.

Nous n’avions aucune raison de nous prélasser. Nous avions repris notre voyage dans la direction opposée à celle d’Iino, vers la ville natale de Shiran et Kei à Aker. Nous nous trouvions actuellement dans les montagnes de Kitrus, une chaîne de montagnes abruptes qui longeait l’un des bras de la rivière Aralia. Les montagnes perçant le ciel dessinaient une frontière entre le comté de Lorenz de l’Empire du Sud et Cedrus des Cinq Royaumes du Nord.

Les montagnes continuaient vers l’ouest et séparaient le comté de Longue de celui d’Aker. Jusqu’à présent, nous nous étions dirigés vers le nord-ouest à travers les montagnes de Kitrus de Cedrus. Il était temps que la frontière change.

Si nous devions continuer à aller vers le nord-ouest, les montagnes prendraient fin et le bras de la rivière Aralia prendrait sa place comme frontière nationale. La rivière séparait les deux pays l’un de l’autre, et on m’avait dit que l’une des Forêts Sombres, un reliquat des Terres forestières, s’étendait sur cette région.

Dans de nombreux cas, les Forêts Sombres avaient été laissées là parce que des monstres puissants y résidaient. Ils étaient ce qu’on appelle des monstres rares, des monstres-reines ou de hauts monstres. En d’autres termes, ils étaient des cibles viables pour devenir mes serviteurs.

J’avais vraiment envie de rendre visite à la Forêt Sombre. Cependant, vu la façon dont j’avais rencontré Gerbera, il y avait un certain risque à rencontrer des monstres puissants. Il serait préférable d’entrer dans la Forêt Sombre après s’être installé à Aker et s’être suffisamment préparé. Pour l’instant, notre priorité numéro un était d’atteindre Aker.

Heureusement, notre voyage s’était poursuivi sans encombre. Nous n’avions pas eu de mauvais temps, et il n’y avait pas eu d’autres accidents comme l’attaque de la Skanda. Ce serait un sérieux problème si quelque chose de cette ampleur continuait à se produire.

Il n’y avait plus personne avec qui j’avais du karma — comme j’en avais eu avec Takaya Jun — et maintenant qu’Iino n’était plus hostile à mon égard, nous n’aurions probablement plus de problèmes avec l’équipe d’exploration. S’il y avait une chose qui traînait encore là-bas, c’était l’autre dompteur de monstres, Kudou Riku. D’après l’impression qu’il m’avait donnée lors de notre dernière rencontre, il n’avait pas encore l’intention de montrer ses crocs.

En fait, les seules choses qui nous attaquaient en chemin étaient des monstres communs. Notre taux de rencontre était assez élevé, mais c’était simplement parce que le chemin de montagne était inutilisé. Cela, combiné à la proximité du chemin avec les Terres forestières, avait entraîné une augmentation de la population de monstres dans les environs.

Gerbera était de bonne humeur en s’occupant d’eux tous, il n’y avait donc aucun problème de ce côté-là. Cependant, la voir si enthousiaste m’avait fait me demander si elle n’allait pas déraper d’une manière ou d’une autre, alors j’étais un peu sur les nerfs la plupart du temps. Mais jusqu’à présent, elle n’avait pas provoqué de glissement de terrain ou autre.

Nous avions également Shiran, qui pouvait rechercher les ennemis à proximité à l’aide de son esprit, et Ayame, qui avait un odorat très développé. Avec elles, notre voyage ne présentait aucun danger, il était donc temps de réfléchir à ce que nous allions faire.

 

 ◆ ◆

Tôt le matin, après l’entraînement à l’épée, ma partenaire d’entraînement Rose était partie, et je m’étais retrouvé seul avec Shiran.

« Se séparer en deux groupes, quitter les montagnes et aller en ville… dis-tu ? » dit Shiran. Elle était entièrement en armure et me regardait avec surprise.

« Maintenant que nous nous sommes rapprochés d’Aker, je pense que nous devrions nous séparer en deux groupes. En fait, nous n’avons pas d’autre choix. Je veux dire, nous n’avons plus de manamobile. »

« Oh, c’est ce que tu veux dire par là. Il est certain que sans manamobile, nous ne pourrons pas garder Gerbera et Ayame cachées. C’était une chose sur les chemins de montagne inutilisés, mais c’est une autre affaire une fois que nous sommes sur la route principale, et encore moins près de villages. »

« De plus, Lily a encore besoin de temps pour récupérer. Dans tous les cas, nous avons besoin d’un groupe qui puisse entrer en ville et nous procurer une nouvelle manamobile. »

« C’est donc pour ça que tu dis qu’on devrait se séparer. »

« Ça devrait être plus rapide comme ça. En plus, nous pourrons nous approvisionner. »

Même si nous avions récupéré une partie de ce qui avait été emporté par la rivière, nos provisions étaient en grande difficulté. Nous étions obligés de revenir à un mode de vie de survie nostalgique.

De plus, à cause des séquelles de la bataille contre la Bête folle, Lily était toujours en convalescence, donc son mimétisme était plutôt limité pour le moment. Son rythme de marche en tant que slime était extrêmement lent, donc Gerbera la tirait actuellement avec nos bagages dans un chariot improvisé que Rose avait fabriqué. Cela limitait également notre vitesse, et nous ne pouvions pas utiliser les routes principales.

Le plan était de se diviser en deux groupes et d’aller chercher une nouvelle manamobile. Pendant que nous le ferions, le groupe de Lily pourrait prendre son temps pour nous suivre.

« Nous avons les fonds que la commandante nous a donnés, donc nous devrions être en mesure d’acquérir une nouvelle manamobile, » dit Shiran d’un ton prudent. « Cependant, il pourrait être difficile de trouver quelque chose de la même taille et de la même robustesse. La manamobile que nous avions était destinée à un usage militaire. De plus, Aker est beaucoup plus rural que l’Empire, donc la plupart des véhicules sont des modèles d’occasion des générations précédentes. »

« C’est bon. Nous n’avons même pas vraiment besoin du véhicule entier. »

« Comment ça ? »

« Et bien. Rose a analysé la manamobile, tu te souviens ? Elle est allée assez loin dans ses recherches pour que, tant que nous avons la pierre runique qui la fait bouger, elle puisse fabriquer le reste elle-même. »

« C’est… plutôt étonnant. »

« Elle est cependant un peu déprimée de ne pas pouvoir en faire un à partir de rien. »

Après que j’avais essayé de la réconforter, Rose s’était ressaisie et avait déclaré qu’elle ferait quelque chose qui pourrait égaler la vitesse des voitures de mon monde. Elle avait également affirmé qu’elle le rendrait incassable, même si Gerbera l’attrapait et le balançait. J’avais trouvé cette partie de Rose plutôt mignonne. Ça m’avait fait oublier de dire qu’une voiture n’était pas une arme contondante.

« Je comprends tes intentions, » dit Shiran, qui avait un peu réfléchi avant de relever la tête. « Alors, es-tu là pour me demander de t’accompagner ? »

« C’est vrai. Si nous y allons par nous-mêmes, nous ne pourrons parler à personne. »

Parler avec Shiran comme ça m’avait presque fait oublier que c’était un autre monde. Sans la pierre runique de traduction, nous ne pouvions même pas converser avec les habitants. En fait, nous prenions des leçons sur la façon d’utiliser une pierre runique de traduction, mais il était honnêtement difficile de dire si nous allions y arriver à temps avant d’atteindre une ville.

« D’ailleurs, en tant que natif d’Aker, je me suis dit que tu pourrais nous aider à acquérir la pierre runique dont nous avons besoin. »

Les coutumes différaient selon les pays. Ce monde était totalement différent du mien. Avec l’aide de Shiran, qui connaissait les coutumes locales, il serait beaucoup moins difficile d’accomplir ce que nous voulions faire. En fait, pendant notre voyage depuis l’Empire, Shiran nous avait appris toutes sortes de choses, de la façon de se débrouiller sur une aire de repos pour voyageurs aux achats sur les marchés. C’est pourquoi je m’étais fié à elle pour ce qui est de la société humaine ici.

« Peux-tu faire ça pour moi ? » avais-je demandé.

« C’est un peu… »

Cependant, Shiran ne m’avait pas donné une réponse favorable. Un nuage était apparu sur son visage et elle avait détourné les yeux. Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’elle refuse, j’étais donc un peu déconcerté.

« Es-tu peut-être opposée à l’idée d’aller en ville avec nous ? » avais-je demandé.

« Non, ce n’est pas le cas, mais… »

Elle n’avait apparemment pas d’objection. Si c’était le cas, elle était du genre à me convaincre que c’était une mauvaise idée sans faire semblant. Mais dans ce cas, j’étais encore plus confus. Elle n’était pas opposée à mon idée, donc elle n’avait aucune raison d’être aussi vague. Y avait-il un problème ?

J’avais continué à fixer le visage pâle de Shiran, et je m’étais naturellement rappelé ce qui s’était passé il y a quelques jours.

***

Partie 2

« Shiran agit bizarrement, » dit Kei. « Je suis un peu inquiète… Alors je voulais venir te demander conseil ! »

« Attends un peu. »

J’avais posé mes mains sur les petites épaules de Kei pour la retenir alors qu’elle se rapprochait de moi. Gerbera et les autres filles regardaient dans notre direction depuis l’endroit où elles lavaient nos affaires, se demandant ce qui se passait. Je leur avais fait signe que ce n’était rien, puis je m’étais retourné pour faire face à Kei.

« Calme-toi, Kei. D’abord, tu dois me raconter toute l’histoire. »

« D-D’accord. Désolée. J’ai pris de l’avance. »

« Alors ? Shiran agit bizarrement ? Dans quel sens, précisément ? »

« Plus précisément… C’est un peu difficile à dire. »Les sourcils de Kei s’étaient affaissés tandis qu’elle tâtonnait sur ses mots. « Comment puis-je le dire ? Hmm. D’une certaine manière, ces derniers temps, elle n’est pas elle-même… Hm, comme, ma sœur est habituellement très fiable, non ? »

« Elle l’est. On ne croirait pas que nous sommes de la même génération. »

« Oui, ça. » Kei avait serré ses petits poings devant elle et avait hoché la tête à plusieurs reprises, puis avait pris une expression pensive. « Et pourtant, ces derniers temps, elle ne fait que zapper tout le temps. C’est comme si elle était toujours distraite, comme si elle était toujours plongée dans ses pensées. »

Au milieu de la conversation, les épaules de Kei s’étaient affaissées avec découragement. Elle était vraiment inquiète pour Shiran. En la voyant si abattue, j’y avais réfléchi. Il y avait plusieurs choses auxquelles je pouvais penser qui feraient agir Shiran bizarrement.

Shiran était morte au Fort de Tilia. Elle avait surmonté la mort et était revenue en tant que Demiliche. Elle avait perdu la compagnie de chevaliers à laquelle elle était affiliée. Je l’avais vue se surmener tout le temps, surtout juste après l’arrestation de la commandante et notre fuite de Serrata. J’avais aussi remarqué que Shiran agissait différemment, d’une manière qui pouvait devenir dangereuse, et je l’avais surveillée.

Cependant, je n’avais rien ressenti de tel de la part de Shiran maintenant. Elle s’était calmée au moment où nous avions atteint les montagnes de Kitrus. En fait, à ce moment-là, elle avait laissé le combat à Gerbera, maintenant que nous n’avions plus à nous soucier d’être vus par les autres.

Elle avait réussi à se remettre du choc mental de tout ce qui s’était passé. Shiran était forte, et pas seulement physiquement, son cœur l’était aussi. La fierté qu’elle avait cultivée en tant que chevalier la soutenait maintenant. Le fait qu’elle se soit opposée à la violence au Fort de Tilia sans faiblir, malgré sa transformation en monstre mort-vivant, n’était pas juste une démonstration. Cela dit, je ne pouvais pas l’ignorer maintenant que Kei était venue me demander conseil. Peut-être y avait-il quelque chose d’autre auquel je n’avais pas encore pensé.

« Takahiro, » dit Kei, me tirant de mes pensées. « Peux-tu faire quelque chose pour ma sœur ? » Elle m’avait regardé avec des yeux suppliants, en tremblant. « Elle ne veut pas me montrer ses défauts… Si je le lui demande, elle élude la question. Mais si tu lui demandes, je sens que ça va s’arranger d’une manière ou d’une autre… »

« J’ai compris. » Il n’y avait aucun moyen de refuser sa demande. J’avais mis un peu de force dans ma prise sur ses épaules. « Alors, n’aie pas l’air si triste. »

« Takahiro… »

Kei était venue me voir parce qu’elle me faisait confiance. Je devais être à la hauteur. En outre, si elle avait raison, je partageais ses inquiétudes au sujet de Shiran.

« Je chercherai une occasion d’en parler avec elle, » avais-je dit.

 

 ◆ ◆

Peut-être que ma récente conversation avec Kei m’influençait, mais il y avait vraiment quelque chose de bizarre dans le comportement de Shiran. C’était probablement une bonne idée de sonder un peu.

« Hé Shiran. Quelque chose t’a troublée ? » lui avais-je demandé.

Elle s’était retournée pour me faire face, ses beaux traits elfiques sans tache à moitié cachés par un cache-œil. Tout ce que je pouvais voir était le côté gauche de son visage sans sang. Un seul œil bleu sans émotion me fixait, soulignant sa peau presque translucide. Après un court instant, elle avait détendu son expression et avait incliné la tête.

« Est-ce que Kei a dit quelque chose ? » demanda-t-elle.

« Eh bien… »

« C’est ce que je pensais, » dit-elle avec un soupir avant de s’incliner devant moi. « Je dois m’excuser à propos de cette fille pour t’avoir dérangé. »

J’avais tout gâché. Il n’y avait aucune raison qu’elle s’excuse auprès de moi. Quoi qu’il en soit, je devais dire ce que j’avais en tête.

« S’il te plaît, ne blâme pas Kei. Elle est juste inquiète pour toi. »

« Je n’ai pas l’intention de…, » Shiran avait commencé, mais elle s’était arrêté à mi-chemin. « Non. Je suppose que tu as raison. Je devrais pour commencer réfléchir à la façon dont j’ai causé son inquiétude. »

Elle avait secoué la tête comme si elle était épuisée.

« Shiran… ? »

« J’ai supposé que je devrais mentionner cela plus tôt que tard. C’est peut-être une bonne occasion. » L’attitude de Shiran avait complètement changé. Elle m’avait regardé avec son habituel regard perçant. « En fait, mon corps ne semble pas aller très bien ces derniers temps, » avait-elle dit d’un ton digne.

« Quoi… ? » Ma tête était devenue complètement vide pendant un instant. « Ne pas aller bien ? Vas-tu bien ? »

Je n’avais pas compris et j’avais involontairement fait un pas de plus vers elle.

À l’inverse, Shiran était parfaitement détendue. « Oui. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Ce n’est rien de grave. C’est juste qu’avec un corps comme celui-ci, tout est mal équilibré. Je peux encore me battre, mais ma force s’est détériorée d’une certaine manière. »

Shiran avait fait une pause et avait formé un poing avant de poursuivre.

« Je n’ai rien dit parce qu’il y a une possibilité que tout rentre dans l’ordre. Je me suis dit que j’allais attendre et voir pendant un petit moment. Je ne pouvais pas laisser tout le monde s’inquiéter pour moi inutilement, alors j’ai gardé le silence pour voir comment les choses allaient évoluer… Je suis vraiment désolée. »

« C’était donc ça, » avais-je dit, puis j’avais soudain réalisé quelque chose. « C’est peut-être pour cela que tu n’as pas pris les devants dans les combats ces derniers temps ? »

« Oui. Cela dit, je devrais quand même être capable de me battre au même niveau que Rose. Néanmoins, je m’inquiétais de la tournure que prendraient les choses après une série de batailles, j’ai donc décidé qu’il serait plus sûr de rester à l’arrière, à moins que l’on ait besoin de moi. »

Pendant le chaos au Fort de Tilia, Juumonji Tatsuya avait poignardé Shiran dans la poitrine. Elle s’était transformée en un monstre mort-vivant. Plusieurs désagréments avaient accompagné cette transformation.

Par exemple, après avoir perdu le sens de la raison et s’être transformée en goule, elle n’avait pas été capable d’utiliser les esprits dès qu’elle avait retrouvé son cœur. Il était donc parfaitement logique que son potentiel de combat ait chuté à cause des instabilités de son corps.

En fait, depuis le début, je m’inquiétais d’un changement inattendu dans le corps de Shiran. La raison pour laquelle je ne l’avais jamais remarqué jusqu’à maintenant était qu’elle n’en avait montré aucun signe.

À l’inverse, même si c’était un peu un problème en combat, c’était suffisamment insignifiant pour ne pas entraver sa vie quotidienne. Je savais qu’elle n’était pas du genre à mentir et à causer des problèmes à tout le monde quand c’était vraiment important, donc elle avait probablement estimé avec précision qu’elle pouvait se battre au même niveau que Rose. Elle n’avait en premier lieu aucune raison de mentir sur sa condition.

Le désagrément dont elle parlait n’était pas urgent, ce qui m’avait soulagé un instant. Je devais faire plus attention à elle maintenant, bien sûr, mais c’était au moins une chance que nous n’ayons pas à résoudre quelque chose tout de suite.

« Merci de me l’avoir dit, Shiran. J’ai compris l’essentiel, » avais-je dit en laissant échapper un petit soupir de soulagement. « Mais si tu remarques un quelconque changement, fais-le-moi savoir. Je me fiche de savoir si c’est insignifiant. Kudou et moi sommes les seuls à avoir des pouvoirs liés aux monstres. Je pourrais t’être utile. »

« Merci beaucoup. » Shiran avait baissé la tête. « Au fait, Takahiro, que devrions-nous faire pour aller en ville ? Comme je l’ai mentionné, mon potentiel de combat s’est détérioré. Si seulement Kei et moi devions t’accompagner, je pense qu’il y aurait des inquiétudes concernant notre force de combat. »

« Hm… ? Oh, ça. »

Sa réponse timide à ma proposition était due au fait qu’elle s’inquiétait pour notre sécurité. Maintenant que je l’avais compris, je l’avais corrigée.

« Tout ira bien. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter à ce sujet. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« Vous deux n’êtes pas les seuls à venir avec moi. J’envisage de demander à Rose et Katou de venir aussi. De plus, je compte demander à Berta de nous escorter sur une partie du chemin. »

D’ailleurs, même après avoir chassé Takaya Jun, Berta nous protégeait toujours. Quand Gerbera s’était complètement remise, Berta était retournée auprès de Kudou. Elle avait dit qu’elle reviendrait, et il était temps pour elle d’arriver, c’est pourquoi j’avais décidé que nous devions nous préparer à nous séparer en deux groupes. Si je pouvais lui faire faire un tour à Katou, notre rythme s’améliorerait considérablement. Je ne savais pas si elle serait d’accord, mais à en juger par l’impression qu’elle nous avait donnée jusqu’à présent, je m’attendais à ce qu’elle le fasse si on le lui demandait.

« Dans ce cas, ça devrait aller, » dit Shiran.

Maintenant qu’elle savait que nous aurions de la compagnie, elle semblait soulagée.

« Alors… »

« Oui, » répondit Shiran avec un sourire compréhensif. « Je vais t’accompagner en ville. »

***

Chapitre 4 : Les sentiments de la marionnette ~ Point de vue de Rose ~

Partie 1

« D’accord, il est temps que j’y aille, » annonça Lily au milieu de la cuisson alors que je travaillais comme d’habitude avec mon couteau à la main. « Désolée Kei, peux-tu surveiller le feu pour moi ? »

« Bien sûr. »

Le petit déjeuner d’aujourd’hui était composé des restes du dîner d’hier — une soupe avec de la viande de monstre que Berta nous avait apportée à son retour. Lily avait préparé quelques herbes sauvages comestibles et les avait utilisées pour garnir la soupe, elle laissa donc le reste à Kei, qui se réveillait encore avec un joli bâillement. Lily avait l’air d’être de bonne humeur.

« Ma sœur, vas-tu voir notre maître ? » lui avais-je demandé.

« Hm ? Oui, c’est le plan. »

Avec une serviette et un seau en main, elle s’était approchée de l’endroit où j’étais assise. Mais au lieu de bruits de pas, j’avais entendu quelque chose glisser sur le sol. Le bas du corps de ma sœur était toujours celui d’un slime. Le haut de son corps avait, en fait, les courbes voluptueuses d’une femme, mais elle ne pouvait pas en distinguer les moindres détails. Elle se remettait encore du dépassement de ses limites lors de la bataille contre la Bête folle.

« Son entraînement matinal devrait être terminé maintenant, » dit-elle. « Je pensais au moins lui apporter une serviette. »

« Notre maître s’est entraîné encore plus ces derniers temps. Veille à t’occuper de lui du mieux que tu le peux. »

« Bien sûr. Oh, je sais. Voulez-vous aussi venir toutes les deux ? »

« J’ai du travail à faire, » avais-je répondu.

C’était en partie une excuse. Je ne voulais pas me mettre en travers du temps qu’ils passaient ensemble.

« Je m’abstiendrai également, » répondit Mana avec un sourire doux-amer. Elle était en train d’apprendre à utiliser une pierre runique de traduction. « Ce n’est même pas encore le petit déjeuner. Je vais faire une overdose de sucre si j’y vais, » ajouta-t-elle en plaisantant, tout en brossant Ayame.

« Kuuu... »

Ayame était un peu plus docile ces derniers temps. Elle était recroquevillée sur les genoux de Mana, les oreilles repliées, laissant tranquillement Mana la brosser encore et encore.

« Mrgh. Tu sais que tu n’as pas à être aussi prévenante avec moi, n’est-ce pas ? » déclara Lily, puis elle leva soudainement les yeux. « Oh, c’est Gerbera. »

La partenaire d’entraînement de notre maître pour la matinée, Gerbera, venait vers nous.

« Leur entraînement du matin est-il terminé ? » demanda Lily.

« C’est ce qu’il semblerait, » avais-je répondu.

« D’accord. Alors, je m’en vais, » dit-elle en se retournant.

Le bas de son corps s’était glissé sur le sol tandis qu’elle se tournait à la taille et me souriait. C’était un sourire doux, comme si les sentiments chaleureux au fond de sa poitrine suintaient. Sa silhouette m’avait captivée. Assez mystérieusement, malgré l’état de son corps, son charme féminin semblait plus puissant qu’auparavant.

« Lily a changé, hein ? » murmura Mana, ressentant probablement la même sensation que moi.

« Elle a… »

Avant cela, ma sœur n’avait jamais vraiment aimé sa vraie nature de slime. Cependant, même si elle ne pouvait pas cacher son corps gluant en ce moment, il n’y avait pas la moindre ombre sur son visage. La voir se blottir contre notre maître était l’incarnation même du bonheur. Son état mental avait à tous les coups changé d’une manière ou d’une autre.

Peut-être influencée par ce changement, Lily s’était comportée différemment qu’avant. Par exemple, elle pouvait être proche de notre maître sans se soucier de sa silhouette gluante. Elle avait également utilisé de manière proactive son temps de récupération pour apprendre la langue de ce monde. Elle voulait lire des livres locaux. De plus, jusqu’à présent, seul mon maître avait parlé aux autres visiteurs. Mais avant qu’Iino Yuna ne parte, ma sœur avait conversé avec elle à plusieurs reprises. Je les avais moi-même aperçues en train de parler plusieurs fois. Je ne savais pas ce qui avait provoqué ce changement en elle, mais en la voyant si heureuse, j’étais certaine que c’était une bonne chose.

« Et maintenant… »

Après avoir suivi du regard ma sœur, j’étais retournée à mon travail et j’avais pris mon couteau magique en main. Actuellement, je travaillais sur diverses pièces pour une manamobile. Il avait été décidé que j’irais en ville avec mon maître. Si nous pouvions acquérir la pierre runique nécessaire, je nous fabriquerais une manamobile. C’est pourquoi j’avais décidé à l’avance de fabriquer des pièces faciles à transporter.

J’étais à peu près à la moitié de l’analyse de la mécanique d’une manamobile. En conséquence, j’avais compris qu’il y avait plusieurs pierres runiques secondaires installées à divers endroits du véhicule. La taille du véhicule, ainsi que l’ampleur et la direction de la force motrice utilisée pour pousser le châssis, déterminait la taille de la pierre runique nécessaire, de sorte que je pouvais simplement les fabriquer pour qu’elles correspondent à ce que nous avions. J’avais du mal à analyser la pierre runique principale, qui servait de force motrice au véhicule, mais tout le reste, je pouvais déjà le reproduire avec des pierres runiques d’imitation.

Quelques jours après que la Skanda Iino Yuna se soit séparée de nous, j’avais appris que j’allais en ville avec mon maître. Mon travail avait progressé depuis, et même si les pièces que j’avais fabriquées étaient petites, il y en avait un bon nombre. Plus précisément, même en tenant compte des pièces de rechange, il y en avait assez pour quatre véhicules.

Peut-être que j’en ai fait trop… Elles devenaient lourdes aussi, alors il serait peut-être bon de commencer à travailler sur autre chose que des pièces de manamobile. Par exemple, nous avions un objet qui était plus pratique que tout ce que nous portions — le sac magique. Elle avait une capacité accrue, donc même s’il semblait petit à l’extérieur, il pouvait contenir plusieurs fois sa taille. Il était donc logique d’en fabriquer un pour tout le monde.

Le sac que j’utilisais pour tous mes outils devenait plutôt grand, alors quelque chose d’assez petit pour être accroché à ma taille serait plutôt pratique. J’aurais besoin de temps pour affiner la pierre runique, mais il me semblait utile d’essayer certaines choses par tâtonnement.

Alors que je réfléchissais à la manière de procéder, Gerbera s’était avancée vers moi. Elle s’était arrêtée à une courte distance du feu de camp et avait replié ses jambes pour place. J’avais commencé à travailler sur la taille et la conception d’un sac magique pour mes outils pendant que j’en discutais avec Mana. Peu de temps après, j’avais commencé à entendre des gémissements silencieux. La voix était de plus en plus forte. J’avais arrêté mon travail et j’avais levé les yeux. Gerbera se tenait la tête dans ses mains, gémissant sur ce qui semblait être un problème difficile.

« Gerbera, quelque chose ne va pas ? » demanda Mana.

« Hrm ? » Gerbera avait levé le visage, les yeux écarquillés. « Oh. Je ne t’avais pas vue, Katou. »

« Je suis là depuis le début…, » dit Mana avec étonnement.

« Vraiment ? Désolée pour ça. Je n’avais pas remarqué. » Gerbera avait fait une pause et elle pencha la tête. « Alors ? Qu’est-ce que c’est ? »

« Quoi… ? C’est moi qui te le demande. Tu n’as pas l’habitude de revenir juste après la fin de l’entraînement de Senpai. De plus, tu gémis à propos de quelque chose depuis tout ce temps. » Mana lui avait jeté un regard inquiet, puis elle avait demandé : « Quelque chose te préoccupe ? »

« Hrmm. Oui. En fait, il y a quelque chose, » déclara Gerbera, un peu hésitante au début, mais elle l’avait admis honnêtement. Elle nous avait fait un signe de tête grave, et son front s’était plissé. « Il y a quelques jours, j’ai fait promettre à mon seigneur d’avoir un rendez-vous galant avec moi. »

« Devrais-tu me dire ça ? »

Mana avait été prête à donner des conseils, mais maintenant ses yeux étaient à moitié fermés en signe d’exaspération.

« Hm, Katou, attends un moment. Ne tire pas de conclusions hâtives. »

« Alors tu dis… »

« J’aimerais avoir ton avis. »

Gerbera avait l’air sérieusement troublée. Pourtant, je comprenais l’envie de Mana de rouler des yeux.

« C’est quand même désagréable d’entendre tout ce que tu as entrepris de sale, » déclara Mana.

« Soit à l’aise. Je n’ai pas encore entrepris de tels projets. Je ne pourrais pas t’en parler même si je le voulais. »

« Maintenant que tu le dis, tu as raison. Tu n’as fait que “promettre” jusqu’à présent, hein ? » murmura Mana, en mettant un doigt sur sa lèvre.

Gerbera avait hoché la tête avec joie. « Oui, c’est vrai. Mon seigneur m’a dit que nous flirterions quand nous serions seuls. »

« Euh. C’est un peu inattendu. C’est Majima-senpai qui l’a dit de cette façon ? »

« Hm ? Non. C’est peut-être moi qui ai dit ça. »

« Donc il ne t’a pas du tout dit ça… »

« C’est peut-être vrai, mais il m’a pris dans ses bras ! Il a aussi dit qu’il était désolé de m’avoir fait attendre ! »

« Hmm. Senpai a dit que…, » Mana s’était tournée vers moi pendant un moment. « Donc il pense finalement de cette façon. C’est une bonne chose. »

« En effet. Alors après, il va prendre du temps pour moi. »

« Haah... C’est vrai ? Félicitations. Mais je suis déjà à ma limite là. Vas-tu continuer à te vanter ? Honnêtement, tout ce sucre va me donner des caries. » Sur ce, Mana avait souri ironiquement, mais son regard était doux. « Il ne te reste plus qu’à faire avancer les choses, non ? Si tu as du mal à passer du temps seule avec lui, je te donnerai un coup de main. »

Je savais très bien que Mana était douée pour s’occuper des autres.

« Hrmm. Si possible, j’aimerais faire cela. Cependant, il y a un petit problème, » dit Gerbera.

« Un problème ? » demanda Mana.

Le ton de Mana était gentil, mais ce n’était pas pour encourager Gerbera à se confesser si honnêtement. Gerbera l’avait fait quand même.

***

Partie 2

« En effet. Il semble que lorsque je suis excitée, je ne peux plus réguler ma force. Je risque d’écraser mon seigneur dans mon étreinte par accident. Que penses-tu que je doive faire ? »

Mana avait fixé Gerbera, avait louché sur elle, puis s’était tournée vers moi. Les mots « Elle est une cause perdue » étaient écrits sur son visage.

« Rose, il semble que nous devons absolument empêcher Senpai d’être seule avec Gerbera. »

« Katou !? » Les yeux de Gerbera s’étaient ouverts en grand en signe de désespoir.

En voyant les épaules de Gerbera s’affaisser, j’avais décidé de me joindre à la conversation.

« Mana ne faisait que plaisanter. Tout ira bien tant que tu ne feras rien toi-même, n’est-ce pas ? »

« Hm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Gerbera.

« Si tu ne l’enlaces pas, tu ne pourras pas l’écraser. »

Ce n’était qu’une solution de fortune, mais c’était mieux que rien. Plus important encore, la vie de notre maître en dépendait.

« Je… je vois. En d’autres termes… Je dois devenir un bloc ! » Gerbera avait crié joyeusement.

« C’est probablement ça, » avais-je dit avec un vague hochement de tête en la regardant serrer les poings. « Cependant, je ne comprends pas vraiment. »

« Moi non plus, » dit Gerbera. « N’est-ce pas comme notre seigneur ? »

« Ne dis pas ça. »

« C’est bon, non ? C’est du passé. Ces derniers temps, notre seigneur s’est plutôt affirmé. »

« Vraiment ? »

« Attends Gerbera, » interrompit soudainement Mana. « Comment sais-tu cela ? »

« J’ai de bons yeux et de bonnes oreilles. De temps en temps, je vois et j’entends toutes sortes de choses. Comme ceci et cela avec Lily… Je pensais que tu le savais, Katou. N’as-tu pas rencontré une telle scène toi-même dernièrement ? »

« Qu-Qu-Qu-Quoi - !? J- Je ne fixais pas ou quoi que ce soit ! Donc je n’ai aucune idée si Senpai est proactif ! »

« Oh. C’est vrai. Maintenant que j’y pense, tu es partie immédiatement après les avoir vus. »

« C-Comment sais-tu ça ! ? »

« Comme je l’ai dit, j’ai de bons yeux et de bonnes oreilles. »

Maintenant que j’y pense, Mana était allée se soulager un soir, et elle était revenue toute rouge. Elle avait dit qu’elle ne pouvait pas dormir, et je lui avais prêté mes genoux. Elle avait été étrangement nécessiteuse ce soir-là, ce qui était plutôt mignon à mon avis. Apparemment, c’était la raison de son comportement.

« En tout cas, c’est logique. Jouer calmement peut être une option, » dit Gerbera, ignorant le Mana maintenant rouge vif et se levant d’un coup. « Très bien ! Je vais être un bas maintenant ! »

« J’ai l’impression que tes perspectives viennent de s’amenuiser à force de crier cela si vigoureusement…, » plaisanta Mana, l’air épuisé.

« Peut-être, mais c’est la seule façon que je connaisse de me conduire, » répondit Gerbera, puis se tourna vers Mana avec un regard sérieux. « Dis, Katou. Je n’ai pas l’intention d’arrêter ma marche en avant, tu sais ? »

Je n’avais aucune idée de ce que ces mots impliquaient, mais Mana avait retourné le regard pesant de Gerbera.

« Et toi, Katou ? » Gerbera continua. « Combien de temps comptes-tu rester une épave ? »

« Je… »

« Eh bien, je comprends que tu aies ton propre rythme, » dit Gerbera avec un sourire soudain, enlevant toute la tension dans l’air. « Il n’y a pas de raison de forcer les choses. Mais sache que je veux aussi t’encourager. »

« Gerbera… »

« Après tout, tu es ma camarade dans la volonté de ravir mon seigneur ! »

« Ne t’ai-je pas dit la dernière fois que tu avais tort ? »

Mana était de nouveau cramoisie.

« Oh, oui, tu l’as fait. Cela signifie-t-il que tu veux qu’il se jette sur toi à la place ? »

« Où as-tu trouvé une idée pareille ? Tu te trompes ! Je t’ai dit de surveiller ton vocabulaire la dernière fois aussi ! »

« Oh, désolée. Hmm… Alors tu aimerais partager une étreinte, t’embrasser, le toucher et être touchée par lui, n’est-ce pas ? »

« Pourquoi es-tu si précise ? Oh, merde… »

C’était étrange de voir Gerbera pousser Mana dans un coin comme ça. À ce moment-là, Mana avait soudainement réalisé quelque chose et s’était tournée vers moi, encore toute rouge.

« C’est la première fois que j’entends parler de ça, » avais-je dit en hochant la tête. « Mana, souhaites-tu que mon maître se jette sur toi ? »

Elle avait poussé un cri strident. Sa bouche s’était ouverte et refermée comme une sorte de poisson hors de l’eau. Cela avait duré quelques secondes avant qu’elle ne tourne la tête vers Gerbera.

« Gerbera… ? »

« O-Oui ! ? Ai-je dit quelque chose que je n’aurais pas dû ? »

Gerbera avait eu des sueurs froides devant le regard larmoyant de Mana. Son traumatisme passé était encore bien vivant à ce jour, semble-t-il.

« Bon ! Cela mise à part..., » Gerbera marmonna en tournant ses yeux rouges vers moi comme pour échapper à Mana. « Rose, tu parles comme si cela n’avait rien à voir avec toi. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé avec curiosité.

« C’est simple. Je pense que tu partages également les mêmes sentiments que nous. »

« Quels sentiments ? »

Elle n’était pas logique du tout. Gerbera semblait aussi s’en rendre compte et me regardait d’un air dubitatif.

« Rose, j’ai entendu dire que tu voulais que notre Seigneur te prenne dans ses bras. Pour y arriver, tu t’es transformée en une jolie poupée. »

« Oui. »

« Donc, tu désires évidemment ce qui vient après, n’est-ce pas ? »

« Non. »

Mon ton avait dû traduire ma confusion totale, car Gerbera avait l’air de ne pas me croire. Non pas que je sache pourquoi.

« Oh là là. Alors… quoi ? Tu ne désires vraiment pas ce qui vient après ça ? » demande-t-elle.

« Je n’y ai même pas pensé. Si notre maître le souhaite, alors j’ai évidemment l’intention de m’y conformer, quoi qu’il en soit. » J’y avais réfléchi un moment, puis j’avais dit : « Mais n’est-ce pas impossible ? »

« Attends juste un moment, Rose, » dit Gerbera en se pinçant le front. Puis elle s’était tournée vers Mana. « Dis-moi, Katou… Qu’est-ce qui se passe ici ? Il me semble que Rose est sérieuse. »

« J’ai fait de mon mieux pour aider, malgré ce résultat, » avait répondu Mana.

« Je vois. Alors c’est comme ça… »

Gerbera s’était retournée vers moi avec un regard troublé.

« Rose ? Je pense beaucoup à toi en tant que sœur aînée. Alors, permets-moi de te dire ceci. Ne manques-tu pas de… désir ? »

« Ce n’est pas vrai. L’affection de notre maître n’appartient qu’à Lily, après tout. »

Je voulais revivre la nuit que j’avais passée dans les bras de mon maître. Je voulais revenir à cette rencontre de rêve. J’étais pleinement consciente que ce simple souhait était le comble de l’insolence. Alors souhaiter plus ? Honnêtement, ce serait comme si le ciel me tombait sur la tête. On peut dire que ma conviction était inébranlable.

« Mais, Rose, » reprit Gerbera, « tu dis que c’est impossible, mais notre seigneur désire maintenant une telle chose de moi aussi, tu sais ? »

À cet instant, mes pensées s’étaient arrêtées net.

 

 ◆ ◆

Les mots de Gerbera m’avaient fait penser à des choses que je n’avais jamais envisagées auparavant. C’était comme elle l’avait dit, la situation avait changé. Mon maître avait décidé d’accepter les sentiments de Gerbera. Le ciel était déjà tombé. L’impossible n’existe pas.

Si c’est le cas… Si oui… alors… quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Des pensées inutiles avaient commencé à tourner dans ma tête. Notre conversation était terminée, mais tout était encore flou pour moi. En fait, Kei nous avait écoutées parler tout le temps pendant qu’elle regardait le feu, et comme notre conversation avait été trop stimulante, elle avait fini par s’évanouir et nous avions été obligés de nous arrêter.

Le petit déjeuner était maintenant terminé, et nous étions en train de nettoyer et de nous préparer au départ. Je rassemblais nos bagages, mais les choses avançaient à pas de tortue. J’étais bien consciente d’avoir été secouée jusqu’au plus profond de moi-même, mais je ne comprenais pas pourquoi j’étais si secouée. Enfin, c’était un peu faux. J’en avais une vague idée. En d’autres termes, tout comme Lily et Gerbera, peut-être que je désirais aussi que notre maître m’aime.

Avais-je vraiment souhaité une chose aussi scandaleuse ? Je ne le savais pas. Le concept même ne m’avait jamais traversé l’esprit. C’est pourquoi je n’y avais jamais pensé auparavant, et je ne pouvais pas l’imaginer maintenant que j’y pensais.

Cependant, il est vrai que j’étais agitée rien qu’en me demandant si je souhaitais « ça ». Dans mon corps exsangue, il y avait une émotion semblable à un feu qui couvait. Elle avait toujours été là. C’est ce qui m’avait poussée à vouloir que mon maître me prenne dans ses bras. Je n’en avais pas conscience, mais j’avais finalement saisi cette sensation. Qu’est-ce que je désire vraiment ? m’étais-je demandé.

« Rose. »

Avant que je ne m’en rende compte, Mana se tenait juste en face de moi. Elle était déjà habillée pour le voyage. J’avais alors remarqué que mes mains s’étaient complètement arrêtées.

« D-Désolée, Mana. Est-ce que j’ai fait attendre tout le monde ? »

« Pas du tout. Nous avons encore du temps. J’étais un peu pressée de me préparer, c’est tout. »

« Vraiment ? » J’étais soulagée d’entendre ça, mais je m’étais rendu compte que quelque chose m’avait échappé. « Tu étais pressée ? »

« Ouaip. Il y a quelque chose dont je voulais te parler, » avait répondu Mana d’un signe de tête, puis elle était entrée dans le vif du sujet. « C’est à propos de Majima-senpai. »

J’avais sursauté. Je ne pouvais pas cacher mon trouble à l’évocation soudaine du nom de mon maître. Si Mana avait remarqué ma déconfiture, elle fit semblant de ne pas voir et continua.

« Nous accompagnons Senpai dans la prochaine ville, n’est-ce pas ? »

« Oui, qu’en est-il ? »

« Je pense que c’est une bonne occasion, » dit-elle avec un léger sourire. « Rose, voudrais-tu profiter de cette chance pour sortir avec lui ? »

***

Chapitre 5 : Ce qu’il faut pour entrer dans la ville

Partie 1

Je me tenais au sommet d’une petite falaise, seul. Cet endroit, sporadiquement entouré d’arbres, était suffisamment large pour que je puisse me déplacer. J’entendais faiblement mes compagnons préparer le dîner au-dessous de moi.

« D’accord, » avais-je marmonné, en levant mon bras gauche. « Asarina, renforce-moi. »

« Maît — tttrree ! »

Asarina avait crié de sa voix grinçante et s’était enroulée autour de mon bras gauche, qui était encore couvert des cicatrices de brûlure que j’avais reçues lors d’une attaque de renard souffleur dans le passé. Une fois que son corps de liane s’était complètement enroulé autour de mon bras, j’avais ramassé le bouclier que j’avais laissé sur le sol.

« Bien. C’est très léger. On dirait que c’est une réussite. »

« Iiii ! Tre ! »

Asarina avait acquis cette capacité pendant la bataille contre la Bête folle. Elle pouvait maintenant fonctionner comme un exosquelette de renforcement. Nous avions réussi à le répliquer ici parfaitement. À l’époque, je devais l’utiliser en conjonction avec le mana de Gerbera, mais maintenant je pouvais le faire sans. Ce mana me donnait une puissance massive, mais il m’épuisait considérablement, il était donc beaucoup plus pratique de ne pas l’utiliser. Nous avions testé cela plusieurs fois pour nous habituer à la sensation, et en cet instant, Asarina l’avait parfaitement maîtrisé.

J’avais essayé d’attraper mon épée avec ma main gauche et de la faire tourner. Lors du combat contre la Bête folle, je n’avais eu besoin que d’encaisser son coup, donc je n’avais fait qu’améliorer ma force physique. Je ne savais pas si l’exosquelette gênait mes mouvements. À première vue, il ne semblait pas y avoir de problème. En balançant mon épée, je pouvais sentir les lianes se resserrer autour de mon bras, mais mes mouvements étaient en fait plus fluides et plus précis qu’auparavant.

Asarina avait senti ma volonté et avait suivi mes mouvements. Comme ses racines s’enfonçaient dans mon corps, notre connexion par le cheminement mental était plus profonde que celle de mes autres serviteurs. J’avais voulu en tirer profit, nous nous étions donc entraînés à transmettre des instructions par la voie mentale pour les utiliser au combat. Nous avions accompli cet exploit grâce à cet entraînement.

« On dirait qu’on peut utiliser ça dans un vrai combat. Aussi… bien. On pourrait te faciliter la tâche en… Hm ? »

« Trrreee ? »

Asarina et moi nous étions arrêtés. J’avais jeté un coup d’œil autour de moi. Peu de temps après, j’avais repéré une araignée avec le haut du corps d’une fille qui marchait dans ma direction.

« Mon Seigneur. »

C’était Gerbera, le visage crispé dans une expression extrêmement sérieuse. Ses yeux rouges sang avaient regardé Asarina.

« J’ai quelque chose dont j’aimerais te parler. Est-ce que le moment est mal choisi ? » avait-elle demandé.

« Hm ? Oh, pas vraiment. Asarina, arrêtons là pour aujourd’hui. »

« Trrrreee ! »

Asarina avait déroulé son corps et s’était retirée en moi par considération.

« Alors ? Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je demandé.

« Hm. Je suis venue pour remplir notre promesse, » déclara nerveusement Gerbera.

Je n’étais pas stupide au point de ne pas comprendre ce qu’elle voulait dire. C’était sans aucun doute à propos de notre promesse de passer du temps seul quand nous le pourrions. Une partie de moi s’était demandé quand on en arriverait là. Quand même, c’était embarrassant de l’entendre comme ça.

« Je vois. »

À la fin, je n’avais pu que me contenter d’un bref remerciement.

« A-Alors, à propos de ça… J’ai une requête, » continua Gerbera, sa peau presque transparente se teintant de rouge. Elle parlait considérablement plus vite que d’habitude. « Récemment, je t’ai presque écrasé à mort dans mes bras, tu te souviens ? »

« Oui. »

« Même maintenant, je n’ai pas la confiance nécessaire pour m’empêcher de le faire au milieu de l’acte. »

« Hein ? »

J’avais levé un sourcil. C’était de mauvais augure.

« Eh bien, écoute, » dit Gerbera, remarquant ma perplexité et me tendant la main. « Il semblerait que je sois incapable de contenir ma force lorsque je suis excitée. Je crois que tu le sais déjà. Par conséquent, je ne ferai rien. »

« Rien du tout ? »

« Exactement. Si je tente imprudemment de te tenir dans mes bras, je risque de te faire éclater dans le processus. Ainsi, je deviendrais inerte, splash. »

« Splash… »

Ce n’était pas vraiment un effet sonore qu’on entendait pendant l’acte. En tout cas, elle était en train de donner du sens à tout ça.

« Je comprends où tu veux en venir, » avais-je dit.

« Très bien. Maintenant, viens vers moi comme tu le veux ! »

Gerbera avait vigoureusement gonflé sa poitrine. Le sujet étant ce qu’il était, le rebondissement vif et souple de ses seins avait attiré mon regard. J’essayais habituellement de ne pas y prêter trop d’attention, mais la tenue de Gerbera était vraiment osée. Ses seins étaient à peu près de la même taille que ceux de Lily, et son décolleté constamment visible était honnêtement du poison pour mes yeux. Les courbes sinueuses que dessinaient son ventre et son dos la rendaient plus féminine que toutes les autres personnes que je connaissais. La moitié arachnéenne qui se trouvait en dessous, de ses poils blancs à sa forme, était également magnifique. Elle inspirait la crainte à tous ceux qui la voyaient. Cela n’enlevait rien à sa beauté.

Son comportement enfantin habituel qui compensait sa sensualité avait maintenant disparu derrière ses joues rougies et ses mouvements agités. Elle ferma les yeux, sans défense, alors qu’elle se présentait, son visage à la beauté suspecte, devant moi.

« Bon… »

Je m’étais approché et j’avais posé mes mains sur ses épaules. Sa peau était soyeuse et douce sous ma paume.

« Hmm… »

Les sourcils de Gerbera avaient tressailli, et ses jambes avaient légèrement gratté le sol. Elle s’était mordu la lèvre. La voir se retenir avait attisé quelque chose qui dormait au fond de moi. J’avais lentement enroulé mes bras autour de son dos et m’étais rapproché d’elle, son parfum féminin se répandant sur moi.

Sa respiration irrégulière, stimulée par sa nervosité et son excitation, frôlait ma peau. Je pouvais la sentir trembler légèrement dans mes bras. Mes yeux s’étaient naturellement fermés alors que je rapprochais lentement mes lèvres… quand j’avais entendu un bruit de tonnerre.

« Hein ? »

Gerbera s’était débarrassée de mes bras et avait sauté dans les airs. Elle s’était éloignée de moi de plusieurs mètres en un instant, ses jambes traçant des ornières dans le sol.

« G-Gerbera ? »

Le choc du rejet m’avait figé sur place.

« Mon Seigneur…, » dit Gerbera en relevant son visage baigné de larmes. « Après tout, je ne peux pas faire ça ! »

« Hein ? »

« Si tes lèvres avaient continué et touché les miennes, j’ai l’impression que… ça aurait été complètement inutile ! »

Je ne comprenais pas vraiment, mais je n’avais pas l’impression qu’elle me rejetait. Je m’étais senti légèrement soulagé alors que Gerbera continuait à trembler.

« Un baiser est une chose si dangereuse…, » avait-elle murmuré. « Mon corps et mon cœur étaient sur le point de fondre. Il n’y a aucune chance que j’aie pu garder un peu de bon sens. »

Ses jambes avaient glissé. C’était un de ses tics quand elle se retenait.

« Évidemment, je ne peux pas continuer à être inerte ! »

« Même si tu me dis que… »

« Est-ce que tout le monde surmonte un obstacle aussi difficile ? » avait-elle murmuré, étonnée.

Elle avait probablement tort à ce sujet dans une certaine mesure…

Alors qu’elle continuait à se creuser la tête, j’avais poussé un petit soupir.

 

 ◆ ◆

« Qu’est-ce qui se passe, Maître ? J’ai entendu un cri. »

Lily était venue après avoir entendu le vacarme. Elle ne pouvait toujours pas utiliser son mimétisme correctement, alors elle s’était glissée sur le sol vers moi. Elle m’avait regardé avec son visage gluant, puis avait incliné tout son corps sur le côté.

« Hein ? Où est Gerbera ? N’était-elle pas avec toi ? »

« Elle a dit : “C’est inutile pour moi maintenant ! Mais je n’abandonnerai pas !” et elle s’est enfuie quelque part. »

« Aah... Je vois que l’opération Inerte a échoué. »

Ses traits étaient encore un peu flous, mais je pouvais clairement voir son sourire en coin.

« Étais-tu au courant ? » avais-je demandé.

« Mhm. C’était l’idée de Rose. J’ai moi-même pensé que c’était une assez bonne idée. »

« Elle a aussi dit : “Je m’en souviendrai”. Je veux dire, pourquoi me dire ça ? »

« Aha ha... »

« Tout irait bien si je pouvais résister à sa force. Je me sens un peu désolé pour elle. »

« Hmm, je me pose la question. Ça va dans les deux sens, n’est-ce pas ? » dit Lily, comprenant où je voulais en venir alors que je me grattais la tête. « Nous sommes une espèce différente de toi, Maître. Il y aura des obstacles à surmonter. C’est certainement difficile, mais je ne pense pas que Gerbera perdra courage pour autant. C’est l’un de ses points forts, non ? Je suis sûre que tu aimes aussi cette partie d’elle. »

Lily avait fait une pause, jetant un coup d’œil à mon expression et gloussant.

« C’est quoi ce visage, Maître ? Es-tu toujours inquiet à ce sujet ? Je t’ai déjà dit que ça ne me dérange pas, quoi qu’il arrive entre vous deux. »

« Je le sais, mais… »

« Eh bien, c’est une question de sensibilité et de sentiments, donc je peux comprendre que tu te laisses entraîner par instinct. » Lily s’était rapprochée et avait posé sa tête sur ma poitrine. « Le simple fait de pouvoir faire ça est plus que suffisant pour moi. »

« Lily… »

« Si tu dois passer du temps à t’inquiéter de ces choses, je serais plus heureuse si tu le passais avec moi. Je veux dire, nous ne pourrons pas nous voir pendant un certain temps. »

Lily s’était glissée en douceur au-delà de la ligne que Gerbera n’avait pas pu franchir.

« Hmm. »

Elle avait pressé son corps à la fois féminin et monstrueux contre le mien, puis avait rencontré mes lèvres avec les siennes. Elle ne portait aucun vêtement, alors la sensation de sa pression contre moi était très vive. Elle était collante parce qu’elle se sentait seule à l’idée de devoir se séparer un peu. Stimulé par l’amour qui gonflait dans mon cœur, j’avais posé ma main sur sa joue.

Nous avions partagé un baiser profond, et nos silhouettes n’avaient fait qu’une, se fondant l’une dans l’autre. Lily avait surmonté les obstacles qui la retenaient. La distance entre nous était minuscule.

Le jour suivant, nous nous étions séparés du groupe de Lily et nous avions descendu la montagne.

***

Partie 2

« Le nombre de villes d’Aker qui abritent plus de mille personnes se compte sur les doigts d’une seule main, » dit Shiran, assise sur ses semelles.

Elle portait ses vêtements de voyage et avait étalé devant elle une carte simpliste indiquant les routes et les villes principales. La carte que nous avions reçue des Chevaliers de l’Alliance avait été emportée par la rivière lors de l’attaque de la Skanda, alors Shiran avait dessiné celle-ci à partir de rien. J’y avais noté les noms de chaque point de repère en katakana.

« D’après ce qu’on nous a dit avant de pénétrer dans les montagnes de Kitrus, cette route débouche près de la ville de Zaquo. Ce qui veut dire… »

Shiran avait tracé son doigt le long de la carte.

« Nous sommes probablement quelque part par ici. La grande ville la plus proche est Diospyro. C’est la plus grande ville de l’est d’Aker et le centre de distribution des marchandises pour les villages et villes environnants, donc je pense que ce sera une destination acceptable pour nos objectifs. »

« Combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre Diospyro ? »

« Voyons voir… Je pense que nous devrions y arriver dans trois jours. Selon Berta, il y a une colonie à proximité. Nous pouvons demander des détails là-bas. »

Il nous avait fallu trois jours pour descendre la montagne, donc en tenant compte du temps nécessaire pour nous approvisionner en ville, un voyage aller-retour nous prendrait environ deux semaines. Cela correspondait largement à notre programme préexistant.

« Deuxième Roi. »

Peut-être en réaction à son propre nom, Berta, qui était couchée sur le sol près de nous, avait rejoint notre conversation. Elle avait levé ses deux énormes têtes de loup.

« Il y a des yeux humains dont il faut se méfier à partir de maintenant. Je n’irai pas plus loin. »

« Ah, oui. Merci Berta. »

« Je l’ai déjà dit plusieurs fois, mais je ne fais rien d’autre que de suivre les ordres de mon roi, » dit-elle en détournant ses deux paires d’yeux intelligents. « On m’a ordonné de vous protéger pendant un certain temps. C’est la seule raison pour laquelle je vous accompagne. Par conséquent, je n’ai pas besoin de vos remerciements. Je ne suis pas votre foutu compagnon ou quoi que ce soit d’autre. »

Elle était terriblement froide. Son comportement était le même que d’habitude, mais quelque chose m’avait paru étrange cette fois-ci. Depuis qu’elle était retournée à Kudou puis qu’elle était revenue, Berta se comportait étrangement. Je m’étais demandé si quelque chose s’était passé.

Parce qu’elle nous avait aidés à récupérer Lily, je ne pouvais pas détester cette énorme louve. Je n’avais pas oublié qu’elle avait trompé Sakagami Gouta et l’avait mangé, mais Kudou l’avait forcée à le faire. Quand je l’avais pressée de répondre à la question de savoir si elle avait trompé Sakagami, j’avais vu de la culpabilité dans ses yeux.

Maintenant que j’avais eu l’occasion d’interagir davantage avec elle, j’avais vu qu’elle était en fait assez douée pour s’occuper des autres, malgré son attitude brusque. Fondamentalement, elle avait un bon cœur. Cependant, je ne savais pas si c’était une bonne chose pour elle en tant que servante de Kudou.

« Nous devrions atteindre la colonie dans l’après-midi. Je vous garderai jusque là, » dit Berta à voix basse. « Après cela, je retournerai chez le slime et l’araignée. Après sept jours, je reviendrai ici et je vous attendrai. Est-ce tout ? »

« Oui. Merci. Tu es d’une grande aide. »

« Je n’arrête pas de vous dire… »

Berta avait commencé à dire quelque chose, mais s’était tue. Elle avait compris qu’il était inutile de me dire continuellement de ne pas la remercier. La voir agiter sa queue et ses tentacules d’un air boudeur m’avait fait sourire.

« Bon, c’est tout pour nos plans jusqu’à ce que nous atteignions le village, » avais-je dit en me retournant pour faire face aux deux elfes assises en face de moi. « Après cela, nous allons beaucoup compter sur vous deux. Nous pourrions finir par être une gêne, mais nous serons sous votre responsabilité. »

« Compris. »

« Laissez-nous faire ! »

« Tout ce qu’il reste à faire est… Hmm, Katou et Rose prennent vraiment leur temps. »

Après avoir déterminé nos plans, j’avais jeté un coup d’œil aux alentours. Je ne pouvais pas voir les deux filles quelque part.

« Elles se sont excusées après que nous ayons terminé le petit déjeuner. Je devrais aller les chercher ? » proposa Shiran en hochant la tête.

« Non, c’est bon. »

Je pouvais dire à travers le cheminement mental qu’elles n’étaient pas allées loin. Elles étaient sûres de revenir avant notre départ, donc il n’y avait pas besoin de sortir de notre chemin pour les chercher. Et juste au moment où je pensais cela, des pas étaient venus vers nous avec un timing parfait.

« Je suis revenue, Maître, » dit Rose.

Je m’étais retourné avec désinvolture. « Aah, bienvenue ba —»

Mon salut était resté coincé dans ma gorge. Ma bouche s’était ouverte et j’avais regardé la personne devant moi. C’était une fille que je ne connaissais pas. Ses cheveux argentés foncés se balançaient derrière elle en une tresse. Elle était grande pour une femme, et elle portait une robe bleu foncé avec un col.

La jupe de la robe se drapait gracieusement sur ses jambes, et à en juger par le tissu épais dont elle était faite, elle était à la fois pratique et belle. De plus, elle portait un grand tablier, ce qui rendait son expression plus posée que mignonne. Elle portait de longs gants qui couvraient ses deux bras, et ses chaussettes montaient jusqu’à ses cuisses. Sa tenue n’exposait que très peu de sa peau.

La seule partie de son corps qui ressortait vraiment était son visage anormalement beau et angélique. Ses traits étaient si délicats qu’ils ressemblaient presque à du verre forgé. Je n’avais jamais rien vu de tel auparavant.

 

 

Elle avait l’air complètement différente, mais j’avais immédiatement su qui elle était.

« Rose… ? »

« O-Oui. »

Rose avait souri maladroitement, peut-être à cause de la tension du moment. Mon cœur battait la chamade en la regardant faire de son mieux pour courber ses lèvres. Cela m’avait complètement déstabilisé et m’avait fait agir encore plus bizarrement.

À ce moment-là, Katou était sortie de derrière Rose et avait dit : « Allez, ne reste pas planté là. »

Ces mots m’avaient fait réaliser que nous étions debout, immobiles, face à face, comme si nous étions à une sorte d’entretien de mariage.

En me voyant comme ça, Katou avait souri de satisfaction et avait poussé le dos de Rose. Rose avait marché dans ma direction, mais ses mouvements étaient saccadés et raides. Katou l’avait probablement poussée comme ça jusqu’ici.

Une fois que Rose s’était approchée de moi, elle s’était assise, comme si un interrupteur s’était déclenché en elle.

« Wôw ! Tu es superbe ! Ça te va si bien, Rose ! » s’écria Kei avec un regard émerveillé. « C’est la tenue que tu as préparée pour pouvoir aller en ville, n’est-ce pas !? »

Avec les mots de Kei, j’avais finalement compris la situation. Rose avait apparemment préparé ces vêtements pour qu’elle puisse aller en ville. J’avais pensé que ce ne serait pas bien qu’elle se promène avec son masque et ses articulations exposés, alors quand j’avais demandé à Rose et Katou de m’accompagner en ville, j’avais aussi demandé si quelque chose pouvait être fait pour l’apparence de Rose. Elles m’avaient simplement répondu qu’elles se prépareraient elles-mêmes. Je leur avais fait confiance pour trouver une solution et les avais laissées faire, mais je n’aurais jamais pensé qu’elles feraient autant d’efforts. Il leur avait fallu beaucoup de temps pour préparer ce projet, et c’est maintenant qu’il était dévoilé.

« Ça te va bien, Rose, » dit Shiran.

« C’est vrai. Elle est si jolie, » avait ajouté Kei en signe d’approbation. Ses yeux brillaient d’admiration quand elle s’était tournée vers moi. « Pas vrai, Takahiro ? »

« Oui. J’ai finalement réalisé que je n’avais moi-même rien dit. Elle a raison. Je pense que ça te va bien. »

La plus ennuyeuse des phrases était sortie de ma bouche. Cela m’irritait de ne pas l’avoir félicitée d’une meilleure façon. Je ne pouvais pas vraiment exprimer ma perplexité en premier lieu.

« Tu es si jolie que ça m’a choqué. » C’est le mieux que j’ai pu faire.

L’instant d’après, toute expression avait disparu du visage de Rose. Elle ressemblait maintenant à une poupée inorganique. Le changement était si soudain qu’il m’avait fait sursauter. Ai-je dit quelque chose de mal ? Ou ne l’ai-je pas assez félicitée ? De nombreuses pensées avaient traversé mon esprit.

Avec le recul, je m’étais rendu compte que toutes mes suppositions étaient fausses. On m’avait dit plus tard que Rose n’était pas très douée pour les expressions faciales. Comme son visage était à l’origine sans traits, c’était parfaitement logique. Elle avait fait beaucoup d’efforts pour paraître moins inhumaine. Mais même maintenant, une partie de cette gêne subsistait. Chaque fois que son attention était dirigée ailleurs, tous ces traits disparaissaient entièrement, laissant une expression froide qu’aucun humain ne pouvait avoir.

C’était exactement ce qui s’était passé. Cependant, je ne l’avais pas trouvé disgracieux. J’étais peut-être un peu partial, mais les traits de Rose étaient si délicats que son expression inhumaine et froide lui allait plutôt bien. Elle était comme un ange.

Toujours sans expression, la Rose éthérée… s’était effondrée en arrière avec un bruit sourd.

« Uhhh… »

Pour commencer, pourquoi Rose avait-elle perdu son expression ? En bref, dès qu’elle avait entendu mes louanges enfantines, elle avait perdu sa présence d’esprit.

« R-Rose !? » cria Katou.

Shiran et Kei s’étaient levées d’un bond. Une des têtes de Berta avait bâillé et elle avait fermé les yeux comme si cela n’avait rien à voir avec elle.

Nous avions dû attendre un certain temps avant que Rose ne se remette de son « évanouissement », pour reprendre un terme humain, et que nous puissions partir.

***

Chapitre 6 : Les villages d’Aker

Nous étions arrivés au village situé au pied de la montagne en début d'après-midi. Dans ce monde, où les attaques de monstres étaient une menace constante, il était typique de voir des murs défensifs et un fossé autour de tels établissements. Les villages de récupération situés sur les chemins qui coupent les Terres forestières avaient des murs de pierre, mais d'autres villages utilisaient des rondins épais attachés entre eux par des cordes de paille. Même si nous étions passés de l'Empire à Aker, cela n'avait pas changé. Les modestes maisons en bois étaient un peu plus miteuses, mais à première vue, elles semblaient construites de la même façon. La réaction des gens qui vivaient ici était cependant totalement différente.

« Oooh, je reconnais cette armure. Êtes-vous un des chevaliers de l'Alliance ? »

Un vieil homme avec une épée bien usée à la hanche nous avait salués. Dès qu'il avait vu Shiran, il s'était précipité vers nous avec un grand sourire.

« Oui. Je voudrais une chambre dans une auberge pour la nuit, » répondit Shiran.

« Je vois. Malheureusement, il n'y a pas d'auberges dans un village aussi rustique que le nôtre. Si vous le souhaitez, je peux vous offrir ma maison. »

« Vous le ferez ? Je vous en serais très reconnaissante. »

« N'y pensez pas. Je n'aurais jamais pensé qu'un chevalier de l'Alliance visiterait notre village. Êtes-vous en mission ? »

« Oui, eh bien, quelque chose comme ça. Je m'excuse de vous avoir surpris avec notre visite soudaine. »

« Il n'y a pas besoin de ça. C'est un honneur de vous avoir. »

Ils ne nous recevaient pas comme de simples voyageurs, ils nous accueillaient à bras ouverts. Je pouvais voir d'autres villageois nous observer un peu plus loin, et je pouvais même les entendre appeler leurs amis pour qu'ils regardent. Ce genre de réaction n'aurait pas eu lieu dans l'Empire.

« Les chevaliers de l'Alliance sont célèbres à Aker, » me dit Kei, voyant ma confusion. « Le titre de chevalier est considéré comme prestigieux, même au-delà de nos frontières. C'est particulièrement vrai dans les cinq royaumes du Nord, où l'on trouve un fort esprit militariste. Les chevaliers sont extrêmement populaires parmi le peuple. L'armée royale et l'ordre de la défense nationale protègent le pays sous le commandement de la famille royale, mais les chevaliers de l'Alliance, qui défendent l'humanité au Fort de Tilia, sont reconnus à un tout autre niveau. »

Il n'était pas si étrange que les chevaliers qui s'aventuraient dans les Terres forestières pour exterminer des monstres soient un symbole de respect. De plus, dans ce pays, le fait que Shiran soit une elfe ne semblait pas poser de problème. La commandante était une princesse ici, cela allait de soi. Même maintenant, Shiran continuait à avoir une conversation animée avec le vieil homme.

« Au fait, je me suis demandé pendant tout ce temps..., » dit le vieil homme. « Êtes-vous par hasard Lady Shiran ? »

« Comment pouvez-vous le savoir ? » demanda Shiran.

« Oh, donc vous l'êtes vraiment. C'est ce que je pensais, vu la jeune elfe que vous êtes. Des rumeurs vous concernant se sont même répandues dans ces terres lointaines. »

Il s'est avéré que les chevaliers de l'Alliance n'étaient pas les seuls à être célèbres. Shiran était populaire à elle seule. C'était parfaitement logique. Shiran était une lieutenante parmi les déjà prestigieux Chevaliers de l'Alliance, et elle était même connue comme le chevalier le plus fort des Terres forestières du nord.

Néanmoins, il semblerait que Shiran n'était pas consciente de sa popularité. Depuis qu'elle avait commencé au Fort de Tilia et qu'elle était devenue célèbre, elle n'était jamais retournée dans son pays d'origine, c'est donc probablement la première fois qu'elle subissait ce traitement.

Shiran s'était retournée et m'avait jeté un regard troublé. Sur ce, l'homme qui lui parlait avait finalement remarqué notre présence.

« Dame Shiran, qui sont-ils ? » avait-il demandé.

« Ils sont de sang béni. Je les escorte actuellement. »

« Oh là là ! Je suis terriblement désolé pour mon comportement ! »

Le teint de l'homme avait vraiment changé. Les personnes de sang béni étaient des descendants de visiteurs. En d'autres termes, ils étaient les descendants de héros légendaires. Les visiteurs fréquentaient souvent les hautes sphères de la société, prenant des épouses parmi les nobles. Par conséquent, de nombreuses personnes de sang béni étaient également des nobles.

Parmi les visiteurs, certains avaient des traits asiatiques, alors Katou et moi avions fait semblant d'être de sang béni pendant notre voyage. Nous avions pensé que ce serait moins gênant que de dire aux gens que nous étions vraiment des visiteurs. De plus, nous avions une autre raison de mentir ainsi.

« Mais notre village n'a pas d'endroit assez luxueux pour accueillir les personnes de sang béni..., » dit l'homme.

« Il n'y a pas besoin de s'inquiéter pour ça, » avais-je répondu. « Tant qu'il y a un toit, je ne vais pas me plaindre de n'importe quelle vieille cabane qui traîne. »

« Ce n'est pas possible ! Alors, permettez-moi de vous guider. S'il vous plaît, suivez-moi. »

À l'invitation de l'homme, nous étions entrés dans le village. Il y avait une légère tension dans l'air. Après avoir fait quelques pas, je m'étais retourné pour regarder derrière moi. Rose marchait gracieusement à la fin de notre file, ses cheveux tressés se balançant derrière elle. Elle faisait semblant d'être une accompagnatrice pour Katou et moi. Il était normal pour les personnes de haut rang d'avoir quelqu'un pour s'occuper d'elles. Ce n'était pas suspect pour une personne de sang béni d'avoir un assistant autour d'elle. Du moins, Shiran nous l'avait assuré.

De plus, bien que Gerbera ait fait ses vêtements, Katou, Shiran et Kei avaient aidé à la conception. Shiran avait supervisé le tout, donc non seulement ils cachaient la majorité du corps de Rose, mais ils étaient aussi assortis aux vêtements de ce monde pour ne pas se faire remarquer.

Néanmoins, je ne pouvais m'empêcher de me sentir un peu nerveux maintenant que nous faisions un essai. Mais comme aucun des villageois ne semblait soupçonner que Rose était un monstre, je m'étais finalement détendu.

« On dirait que Rose va s'en sortir, » m'avait chuchoté Katou.

« Ouais. On dirait qu'on n'a pas besoin de s'inquiéter, » avais-je murmuré.

Nous avions continué à marcher, regardant les champs qui s'étendaient sur nos côtés, lorsque nous avions remarqué l'une des principales différences entre ce village d'Aker et ceux que nous avions vus dans l'Empire. La sécurité autour du périmètre était armée de lances et d'arcs et portait des armures de cuir, tout comme la sécurité dans l'Empire. Cependant, tous les villageois ici, hommes ou femmes, y compris les personnes âgées, étaient armés d'épées courtes. Même les villageois qui travaillaient dans les champs avaient des ensembles complets d'armes et d'armures à portée de main sous des bâches en toile à côté de leur lieu de travail.

Plutôt que de ressembler à des villageois armés, ils ressemblaient davantage à des soldats effectuant des travaux de terrain. Compte tenu de la petite taille du village et de l'absence de fort dans la région, les rencontres avec des monstres devaient être nombreuses ici. De plus, ils étaient probablement toujours à court de bras lorsqu'il s'agissait de se battre. Pourtant, il ne semblait pas y avoir une grande différence entre les moyens de subsistance et le combat. C'était comme si leur vie et le combat étaient dos à dos.

« Hey Kei ! Est-ce considéré comme un village normal à Aker, non ? » avais-je demandé.

« Oui. Qu'en est-il ? »

« L'air est étrangement lourd. »

« Oh, tu pourrais avoir cette impression en le voyant pour la première fois, » dit Kei d'un ton joyeux, mais triomphant. « À Aker, même les fermiers sont tous des combattants. On dit qu'un sauveur proche d'Aker a transmis ce mode de vie il y a plusieurs siècles. »

« Est-ce différent de l'Empire, hein ? C'est comme s'ils étaient prêts à ce que des monstres attaquent à tout moment. Même les enfants et les personnes âgées. »

« Il serait difficile pour les enfants ou les personnes âgées de vaincre un monstre, mais s'ils peuvent endommager l'épaule du monstre ou autre en échange de leur vie, cela réduirait d'autant plus le danger pour tous les autres. »

Kei avait parlé comme si ce n'était pas grave, mais c'était une explication assez redoutable. Elle avait déjà mentionné qu'Aker avait un esprit militariste, mais je n'en avais compris l'étendue que maintenant.

En continuant à parler, nous étions arrivés à un bungalow un peu plus grand que les autres maisons de la région. Après avoir échangé des salutations avec sa famille, l'homme nous avait guidés vers nos chambres.

« Je viendrai vous chercher quand le dîner sera prêt, » m'avait-il dit. Lorsque je lui avais remis le paiement pour le logement, il avait ajouté nerveusement : « Nous avons des chambres libres, alors utilisez celle-ci avec votre femme. Lady Shiran et sa soeur peuvent utiliser celle qui est là-bas.» Puis il était parti précipitamment.

Les personnes de sang béni étaient des descendants de sauveurs, des visiteurs qui étaient vénérés avec une ferveur religieuse, et ils étaient aussi souvent des nobles. Le comportement effronté de l'homme me fit sourire amèrement, mais quelque chose de bien plus étrange que tout cela me frappa.

« Ma... femme ? »

De quoi parlait-il ? Un instant plus tard, nous nous étions tous retournés en même temps et avions croisé le regard de Katou.

« Oh. »

Elle avait également réalisé le malentendu de l'homme au même moment. Son visage était devenu rouge en un clin d'œil. Mais son erreur n'était pas surprenante. J'étais le seul homme dans ce groupe. Shiran et sa soeur Kei avaient été assignées à une chambre séparée. À l'exception de Rose, qui était habillée comme une préposée, il ne restait qu'une seule personne.

« Uhh... Désolé, » avais-je dit.

« Ne sois pas... »

Katou avait couvert son visage écarlate et avait remué ses nattes. Un air agité nous enveloppait.

« Parlons à l'intérieur pour l'instant, » avait proposé Shiran sans réfléchir.

J'étais très reconnaissant de son intervention. Nous étions tous entrés dans la pièce ensemble.

« En tout cas, on dirait que tu es assez célèbre, Shiran, » dis-je, prenant l'initiative de changer de sujet et d'éloigner cette atmosphère étrange. « Je suis un peu surpris. »

« Moi aussi, Takahiro, » répondit Shiran en prenant place sur un lit à côté de Kei et en forçant un sourire. « Ce pays est mon foyer, je sais donc à quel point ils considèrent les Chevaliers de l'Alliance, mais je vois qu'il y a des choses que tu ne comprends pas tant qu'elles ne te concernent pas directement. »

« Je suppose que tu admirais aussi beaucoup les chevaliers quand tu étais enfant alors ? »

« Oui, eh bien, presque tous les enfants nés à Aker admirent les chevaliers au moins une fois dans leur vie. » Il y avait un regard nostalgique dans ses yeux maintenant. « Dans mon cas, cependant, mon admiration était un peu plus spécifique. Mon frère aîné a servi comme lieutenant dans les Chevaliers de l'Alliance, alors je me suis jurée de devenir chevalier un jour. »

Une ombre s'était alors soudainement abattue sur l'expression de Shiran.

« Cependant, je me sens un peu mal d'avoir trompé cet homme, alors qu'il était si ravi de la visite d'un chevalier de l'Alliance. J'ai gardé le silence parce que ça ne nous sert à rien de le répandre inconsidérément, mais maintenant que la commandante est en état d'arrestation, à toutes fins utiles, notre compagnie est dissoute. Je ne suis même pas sûre de pouvoir m'appeler un chevalier maintenant. Cet homme ne sait pas... »

« Shiran... »

« Désolée. Ce n'était pas nécessaire, » dit Shiran en secouant la tête et en se ressaisissant. Elle tourna son œil bleu vers moi, le regard honnête. « Plus important, Takahiro, nos plans étaient de rassembler des provisions et de collecter des informations sur les environs, n'est-ce pas ? »

« Ouais. Nous devons confirmer que c'est proche de Diospyro. »

« Dans ce cas, nous n'avons pas beaucoup de temps. Terminons nos discussions avec les habitants avant la fin de la journée. »

Shiran s'était levée avec confiance. L'anxiété qui planait sur elle il y a quelques instants avait disparu.

« Hé Shiran, » je l'avais appelée juste avant qu'elle ne quitte la pièce. « Même si ton unité a été dissoute, même si tu n'es plus chevalier, cela ne signifie pas que tu as perdu ce que tu voulais accomplir en étant chevalier, d'accord ? »

« Takahiro ? » Shiran s'était arrêtée et s'était retournée dans l'embrasure de la porte.

« Je ne pense pas que tu aies trompé cet homme. »

Elle avait l'air surprise. Après un court instant, elle m'avait adressé un léger sourire.

« Merci beaucoup. »

Sur ce, Shiran avait quitté la pièce et je l'avais suivie. Au moment où j'étais entré dans le couloir, quelqu'un avait attrapé ma main. J'avais baissé les yeux pour voir Kei qui me souriait. Je lui avais rendu son sourire, puis j'avais couru après Shiran.

***

Chapitre 7 : Une rencontre inattendue

Il nous avait fallu trois jours de traversée de villages pour atteindre notre destination. Diospyro était une ville d’environ deux mille habitants, elle n’était donc pas si grande à l’échelle des choses. Néanmoins, c’était un centre commercial vital pour Aker, aussi ses défenses étaient-elles relativement lourdes, et ses murs étaient en pierre.

L’armée royale possédait une force défensive permanente stationnée ici, et j’avais donc vu de nombreux soldats portant des tenues assorties. Dès qu’il y avait des problèmes dans les villages voisins, ils étaient envoyés pour apporter de l’aide.

La route que nous avions empruntée pour venir ici continuait à traverser la ville en tant qu’artère principale. La plupart des bâtiments de chaque côté de la rue avaient deux étages. La ville commerciale Serrata, que nous avions visitée dans l’Empire, était à l’origine une forteresse, mais elle s’était agrandie à mesure que les gens affluaient pour y trouver la sécurité. Diospyro, quant à elle, avait commencé comme une halte pour les voyageurs le long de la route et s’était développée pour devenir une colonie. Cette route divisant la ville en deux s’étendait au-delà de ses murs jusqu’à Evernasia, la capitale d’Aker. Le village de récupération que Shiran appelait sa maison se trouvait également dans cette direction.

Quoi qu’il en soit, notre objectif ici était d’acquérir la pierre runique dont nous avions besoin pour faire bouger une manamobile. Je voulais que ce soit fait le plus rapidement possible avant de retourner auprès des autres.

« D’abord, nous devons trouver l’auberge, » dit Shiran.

Des regards de partout s’étaient posés sur elle. Je ne pouvais même pas compter combien de fois où j’avais admiré la popularité des chevaliers de l’Alliance à Aker. Si nous traînions et laissions les gens nous approcher, nous finirions par être coincés ici. Au lieu de cela, Shiran avait marché d’un pas vif et nous avait conduits dans les rues. Nous avions rapidement trouvé le panneau de l’auberge qu’un des villages que nous avions traversé nous avait indiqué.

« On dirait que c’est ici. »

Nous avions suivi Shiran à travers les portes. Il y avait une réception à l’avant, et un restaurant à gauche où plusieurs clients prenaient leur repas. Un homme d’âge moyen dodu, qui semblait être l’aubergiste, était assis à la réception. Un garçon se tenait en face de lui. Il était grand, avec des cheveux et des yeux noirs.

« Hrm ? »

En entendant la porte s’ouvrir, le garçon s’était retourné avec désinvolture, mais quand il nous avait vus, il avait haussé la voix en signe de suspicion. Il nous avait regardés durement.

C’était la définition même d’un coup de tonnerre. Mes pieds s’étaient arrêtés net. Je ne m’étais pas figé de peur à cause de son regard fixe ou autre. Même s’il portait des vêtements de ce monde, ce garçon n’avait pas l’air d’être d’ici.

Cette rencontre inattendue avait fait se raidir tous les muscles de mon corps. Pourtant, je ne pouvais pas encore être sûr. J’avais résisté à l’envie de laisser transparaître mon agitation. Vu que j’étais ici à prétendre être de sang béni alors que j’étais un véritable visiteur, il était possible que quelqu’un de sang béni puisse aussi ressembler à un visiteur.

« Qu’est-ce qu’un visiteur à part moi peut bien faire ici ? »

Le marmonnement du garçon y avait mis fin. C’était vraiment un visiteur. Nous avions aussi exactement la même question en tête. Pourquoi y aurait-il un visiteur ici à part nous ?

Il y avait une forte lueur dans les yeux du garçon. Ce n’était pas amical, loin de là. Voyant cela, Shiran s’était tenue prête à se battre, bien qu’elle n’ait pas sorti son arme. Derrière nous, Rose était entrée avec Katou, et après avoir confirmé la situation par-dessus mon épaule, elle s’était également mise en garde. Notre regard fixe avait duré plusieurs secondes.

« Monsieur… ? » dit l’aubergiste, déconcerté.

Le garçon avait rapidement détourné les yeux. « Ce n’est rien. Prolongez mon séjour. Je paye d’avance, d’accord ? »

Il avait pris quelques pièces dans une sacoche en cuir et les avait déposées sur le bureau de la réception. Puis il avait fait semblant de ne pas nous voir et s’était dirigé vers l’escalier.

« Ça n’a rien à voir avec moi. »

Je l’avais entendu marmonner alors qu’il montait les escaliers. Nous n’avions même pas eu le temps de lui dire quoi que ce soit, et nous n’avions aucune raison de le poursuivre. J’avais levé les yeux vers l’escalier, comme s’il venait de pleuvoir sur nous.

Après avoir confirmé que le garçon était parti, Rose avait murmuré d’une voix tendue : « Maître, était-ce vraiment… ? »

Avec ça, j’avais finalement laissé échapper le souffle que j’avais retenu.

« Ouais. On dirait bien. »

C’était un visiteur. À en juger par la forte présence de mana qui avait suinté de lui pendant un seul instant, c’était probablement un tricheur. Nous devions être prudents avec lui.

« Non pas qu’il ait semblé s’intéresser à nous. »

Il avait un regard aigre, mais je n’avais pas eu l’impression qu’il était activement hostile. C’était plutôt comme si c’était son comportement normal. De plus, d’après la façon dont il avait agi, je pouvais dire qu’il voulait rester en dehors de tout problème. Si c’est le cas, il n’était pas si différent de moi à cet égard.

« Que devons-nous faire, Takahiro ? » demanda Shiran.

« Hmm… »

Iino m’avait dit que l’équipe d’exploration du Fort d’Ebenus se dirigeait vers la capitale impériale. Alors pourquoi y avait-il un tricheur à part moi à Aker ? Je mentirais si je disais que je n’étais pas curieux. Pourtant, creuser trop profondément dans ses circonstances serait un peu comme pousser un serpent dans un buisson.

« Si nous décidons tous les deux de ne pas nous mêler des affaires des autres, alors nous pourrons l’ignorer, » avais-je conclu.

Je ne voulais pas non plus m’impliquer avec les visiteurs si je pouvais l’éviter. Tant qu’il ne nous voulait pas de mal, nous n’avions pas besoin d’agir.

« Très bien, » déclara Shiran. « Dans ce cas, pouvons-nous aller de l’avant et organiser notre hébergement ici ? »

« Oui, allons-y. »

Je m’étais adressé à l’aubergiste, qui semblait assez curieux de notre groupe. Comme d’habitude, il avait mal compris ma relation avec Katou, mais nous avions obtenu nos chambres sans problème. Pendant ce temps, le garçon était redescendu par l’escalier, nous avait jeté un bref regard, puis avait quitté l’auberge. On aurait vraiment dit qu’il ne voulait rien avoir à faire avec nous.

Nous avions essayé de demander à l’aubergiste, juste pour être sûrs, et nous avions découvert que le garçon mentait également sur le fait d’être de sang béni. Il logeait aussi avec quelqu’un d’autre, mais son compagnon de voyage n’était pas de sang béni — ce qui signifiait qu’il n’était pas un visiteur.

S’il était membre de l’équipe d’exploration, il n’aurait pas besoin de cacher son identité. D’après Iino, quelques personnes s’étaient retirées du groupe, il était donc possible qu’il soit l’un d’entre eux. Si c’était le cas, c’était un peu étrange qu’il ait atteint Aker avant nous. Malheureusement, il ne semblait pas que nous allions en savoir plus sur lui. J’avais arrêté de penser à la situation et j’avais fait ce qui devait être fait.

Une fois nos chambres réservées, j’avais quitté l’auberge avec Shiran et m’étais dirigé vers le quartier général de l’armée royale dans cette ville. Apparemment, l’un des anciens compagnons chevaliers de Shiran y travaillait. Les chevaliers de l’Alliance qui devaient se retirer de leur poste et rentrer chez eux étaient souvent invités à être instructeurs pour l’armée. Leur expérience du combat dans la région la plus dangereuse du monde était inestimable. Ils recommandaient également des soldats prometteurs pour l’adoubement. L’un de ces chevaliers travaillait à Diospyro, aussi Shiran avait-elle proposé que nous commencions par lui demander comment acquérir une manamobile.

L’installation dans laquelle nous étions arrivés était un bâtiment solide en pierre. Les bâtiments de ce type étaient utilisés comme abris en cas d’urgence.

« Oh, Shiran. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu. »

Le jeune homme afficha un large sourire en voyant Shiran, puis se présenta comme Adolf. Il était assez petit, mais son corps était tout de même bien formé. Il lui manquait cependant son bras gauche. C’était la raison pour laquelle il avait dû arrêter d’être chevalier.

Une fois les présentations faites, il nous avait guidés vers une autre pièce plus loin dans le bâtiment.

« Je vois, donc l’unité est fichue… »

Comme il était un ancien membre des Chevaliers de l’Alliance, Shiran lui avait raconté ce qui s’était réellement passé au Fort de Tilia. Elle avait gardé secrètes sa transformation en monstre mort-vivant et ma capacité inhérente, mais elle lui avait tout dit sur les pertes importantes que la compagnie avait subies et sur l’arrestation de la commandante par le Margrave Maclaurin. Une fois qu’elle eut terminé, Adolf porta sa main à son front, une expression grave sur son visage. Cela concernait les camarades à qui il avait confié sa vie au combat. Tout cela, y compris l’arrestation de la commandante, ne pouvait qu’affliger son cœur.

« Merci de me l’avoir dit, Shiran, » avait-il dit après un court instant. S’étant ressaisi, il m’avait adressé un sourire de considération. « Je comprends la situation. Si c’est pour l’homme qui a protégé les chevaliers de la compagnie… et un sauveur estimé de surcroît, j’apporterai toute l’aide que je peux. »

« Merci, Adolf, » dit Shiran.

« Ne pense pas à ça. Je suis sûr que tu as traversé beaucoup d’épreuves. Évidemment, je t’aiderais, » répondit Adolf en secouant la tête. « Tu as l’air beaucoup plus pâle qu’avant. Ça a dû être dur. »

« Eh bien…, » marmonna Shiran, un vague sourire traversant son visage de demi-liche exsangue.

« Laisse-moi m’occuper de la pierre runique. Je vais essayer de passer par les connexions de l’armée. Avec mon autorité, il serait un peu difficile de préparer une manamobile à usage militaire, mais si tu n’as besoin que de la pierre runique, je devrais pouvoir m’arranger. »

« Ce serait formidable. C’est un grand soulagement pour moi. »

« Malheureusement, je suis un peu occupé en ce moment et je ne peux pas faire avancer les choses tout de suite. Peux-tu attendre quelques jours ? »

« Bien sûr… S’est-il passé quelque chose ? »

« En fait, les villages voisins ont signalé plusieurs observations de monstres. C’est assez courant par ici, mais l’un des rapports est un peu inquiétant. Nous avons décidé d’envoyer un groupe d’éclaireurs, et je dois choisir qui va partir en mission. »

« Inquiétant comment ? » demanda fermement Shiran.

Peut-être par habitude, du temps où il travaillait comme chevalier de l’Alliance, Adolf avait immédiatement répondu, bien que sa voix soit amère.

« Un dragon. »

« En es-tu certain, Adolf… ? » L’expression de Shiran s’était considérablement aiguisée.

La première chose à laquelle j’avais pensé était le monstre qui nous avait attaqués immédiatement après notre arrivée dans ce monde. L’image d’un étudiant agitant ses bras et faisant exploser la tête du dragon en un instant avait laissé une sacrée impression, mais c’était parce que le pouvoir d’un tricheur était si anormal. Normalement, ça ne se passe pas comme ça.

Les dragons étaient généralement des monstres très puissants. Ils pouvaient parcourir de grandes distances grâce à leurs ailes énormes. En de rares occasions, ils quittaient les Terres forestières et semaient le chaos dans la société humaine.

« Si c’est vraiment un dragon, ne devriez-vous pas demander des renforts à l’Ordre de la défense nationale ? » demanda Shiran.

« Oui, mais le dragon a été repéré assez loin d’ici par un habitant d’un village éloigné. Aucun mal n’a été fait pour l’instant, et s’il y a un nid, il sera probablement au fond de la forêt, à une bonne distance. Dans ce cas, il sera difficile pour nous de le localiser. Pour commencer, le témoin l’a aperçu de loin, donc on ne sait pas encore s’il s’agit vraiment d’un dragon. »

« Mais cette information ne peut être ignorée. »

« Exactement. C’est pourquoi nous envoyons une équipe d’éclaireurs, » dit Adolf avec un hochement de tête grave. « Je ne pense pas avoir besoin de le mentionner, mais fais attention en quittant la ville. Je ne veux pas perdre d’autres de mes camarades. »

 

 ◆ ◆

Adolf avait promis qu’il parlerait à l’un des marchands avec lesquels l’armée traite le lendemain. S’il pouvait nous obtenir une pierre runique, ce ne serait pas avant au moins le jour suivant. Nous avions discuté d’un sujet quelque peu troublant à la fin, mais il n’y avait pas vraiment quelque chose que nous pouvions faire à ce sujet. Cela signifie que notre programme pour demain était ouvert toute la journée.

« Puisque nous avons le temps, ne serait-il pas préférable de le passer à se détendre et à se reposer ? » suggéra Shiran une fois que nous étions rentrés à l’auberge.

« Si tu es d’accord, j’espérais pouvoir m’entraîner un peu, » avais-je répondu.

« C’est tout à fait toi, Takahiro, mais tu dois te reposer de temps en temps, tu sais ? »

« Elle a raison, Senpai, » déclara Katou en se joignant à elle, puis elle jeta un coup d’œil à Rose et frappa dans ses mains. « Oh, que diriez-vous d’aller faire un tour en ville demain ? »

« M-Mana… ? »

Rose semblait un peu secouée, mais Katou ne lui avait pas prêté attention et avait continué.

« C’est bien de temps en temps, non ? Je veux dire, nous avons visé directement notre destination tout ce temps, donc nous n’avons pas vraiment eu la chance de prendre notre temps et de regarder autour de nous. »

« Alors tu veux faire du tourisme ? » avais-je demandé.

« C’est une idée merveilleuse, » dit Shiran en souriant. « Je dois aller voir Adolf demain, mais les autres devraient se reposer et visiter la ville. »

J’y avais un peu réfléchi. Honnêtement, ça ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Ce n’était pourtant pas une mauvaise idée. Il n’y avait de toute façon pas vraiment quelque chose à faire demain. Dans ce cas, c’était peut-être bien de jeter un coup d’œil à cette ville du pays de Shiran pour changer d’air.

« J’ai compris. C’est ce que nous allons faire, » avais-je dit.

« Merci beaucoup, » répondit Katou, l’air extrêmement satisfait.

***

Chapitre 8 : Le premier rendez-vous de la marionnette ~ Point de vue de Rose ~

Partie 1

Nous avions prévu de faire une promenade dans Diospyro le lendemain, mais ce matin-là, nous avions rencontré un léger problème.

« Désolée, Senpai. C’était mon idée, mais je me suis retrouvée comme ça… »

Après son réveil, Mana s’était plainte de ne pas se sentir bien.

« Je ne me sens pas très bien, alors ne t’inquiète pas trop pour moi. »

Même si elle me disait ça, son teint n’était pas si mauvais. C’était probablement juste l’épuisement de notre voyage continu.

Mana se redressa dans son lit, souriant tristement. « Ça ne sert à rien que je sorte et que j’aggrave la situation. Alors à la place… »

« Bien sûr. C’est malheureux, mais nous allons annuler nos plans, » déclara mon maître.

« Tu ne peux pas ! » cria Mana, paniquée.

Compte tenu de son mauvais état, elle avait l’air plutôt enjouée à l’instant. Mon maître l’avait dévisagée avec curiosité alors qu’elle émettait une petite toux, les joues légèrement rougies.

« Je me sentirais mal de gâcher les plans de tout le monde au moment où vous étiez sur le point de vous lancer. Ne vous inquiétez pas pour moi. S’il vous plaît, jetez un coup d’œil à la ville. »

« Hein… ? Mais je… »

Mon maître avait l’air perplexe, mais Mana ne lui avait pas laissé le temps de parler.

« Il n’y a pas besoin de s’inquiéter. J’ai demandé à Kei de rester avec moi au cas où quelque chose arriverait. »

« Oui ! Laissez-moi faire ! » Kei avait crié joyeusement en levant la main en l’air.

Mana avait été avec moi toute la matinée… alors quand avait-elle trouvé le temps de demander à Kei de faire ça ? Je ne l’avais même pas remarqué. Mana était vraiment au top des choses, comme toujours. C’est comme si elle savait que ça allait arriver dès le début. De toute façon, Kei était douée pour prendre soin des autres. Je pouvais me sentir en confiance en lui laissant cette tâche.

Après avoir réfléchi jusqu’à ce point, j’avais soudainement penché la tête. Mana était en mauvaise santé. Kei allait s’occuper d’elle. Shiran avait d’autres plans. Ce qui veut dire…

Mana avait souri comme si elle lisait dans mes pensées. « Senpai, Rose, profitez de votre journée. »

 

 ◆ ◆

Mana avait convaincu mon maître d’aller en ville et lui avait demandé de m’attendre au premier étage. Certains détails me laissaient plutôt perplexe, mais je devais d’abord vérifier l’état de Mana.

« Mana, ta santé ne s’aggrave-t-elle vraiment pas ? » avais-je demandé.

Ses yeux s’élargirent et elle échangea un regard avec Kei, la seule autre personne restante dans la pièce.

« Hein ? Rose ? N’as-tu pas remarqué ? » demanda Mana en réponse.

« Remarquer quoi ? »

« Nous avons parlé du fait que tu ailles à un rendez-vous avec Senpai, n’est-ce pas ? »

« Qu’en est-il ? »

Nous en avions certainement discuté, mais selon les plans d’hier, nous devions tous voir la ville ensemble. Sans cette coïncidence, je n’aurais pas pu y aller seule avec mon maître.

« Non, je veux dire, dès le départ, j’avais prévu de faire ça, » dit Mana. « C’est pourquoi Kei a aussi aidé à préparer le terrain. »

« Hein ? »

« Tu n’as vraiment pas remarqué. C’est tout à fait toi, pourtant, » dit-elle en ricanant. « Eh bien, ce n’est pas un mensonge total. Je suis un peu fatiguée par tous ces voyages. Je n’ai pas d’endurance, alors il vaut mieux que je me repose quand je peux. »

« Dans ce cas, n’aurais-tu pas pu dès le départ, proposer à mon maître et moi de nous promener seuls dans la ville ? »

« Si j’avais fait ça, je me suis dit que tu t’abstiendrais par considération. Nous savions d’avance que Senpai voulait s’entraîner quand il en avait le temps. Nous n’avions donc pas d’autre choix que de t’attaquer par surprise comme ça. »

Mana m’avait vraiment bien comprise. Elle avait vu que je n’avais rien pour la contrer à ce stade, alors elle s’était tournée vers Kei.

« Désolée de t’avoir fait rester avec moi, Kei. ».

« Il n’y a pas besoin de s’excuser ! » dit Kei en secouant vigoureusement la tête. « Je soutiens aussi Rose ! Mais… es-tu toi-même d’accord avec ça, Mana ? »

« D’accord avec quoi ? »

« C’était enfin une chance pour toi de sortir et de jouer avec Takahiro. »

« Oh, ça. C’est très bien comme ça, » répondit Mana, souriant doucement à la jeune fille innocente et secouant la tête. « Le temps passé comme ça est une nécessité pour Rose. »

« Mana… »

Elle avait certainement raison. Il y avait beaucoup de choses que j’ignorais. J’avais voulu que mon maître me prenne dans ses bras, mais l’impulsion initiale ne suffisait plus. Quand j’avais appris que ce qui se trouvait au-delà d’un câlin était maintenant possible, j’avais été profondément secouée.

Mais qu’y avait-il au-delà ? Mon maître était la chose la plus importante au monde pour moi. Quel genre de relation voulais-je avec lui ? Il n’y avait aucun moyen de trouver la réponse en un ou deux jours seulement. Mais une journée entière passée en sa compagnie comme celle-ci pourrait être un pas vers la découverte de cette réponse.

C’est ce que Mana disait. Et je voulais répondre à ses attentes attentionnées. Le but de Mana était d’amener mon maître à vouloir me serrer dans ses bras, à être plus conscient de moi, même si ce n’était qu’un peu. Par conséquent, ce rendez-vous devait réussir.

« Hein… ? De toute façon, qu’est-ce que je suis censé faire à ce rendez-vous ? » avais-je demandé, en remarquant une énorme faille dans le plan.

« Détends-toi, j’ai bien réfléchi, » répondit Mana avec un sourire tendre.

Son expression était vraiment gentille… Cependant, ce jour-là, j’avais appris que la gentillesse n’impliquait pas nécessairement l’indulgence.

 

 ◆ ◆

Un peu plus tard…

« Toi… tu veux que je fasse quoi !? » Je m’étais exclamée. « M-Mana. A- Attends une minute. C’est impossible pour moi. »

« Allez, dépêche-toi. Senpai attend en bas. »

Mana s’était levée du lit et m’avait poussée dans le couloir.

« Mana… »

« Fais de ton mieux. »

Elle avait commencé à fermer la porte derrière moi. Je pouvais voir son sourire réservé. Il lui allait vraiment bien. Il était modeste, mais aussi implacable. Il n’y avait pas un soupçon de pitié derrière. Quelle était l’expression utilisée dans le monde de mon maître pour décrire cela ? Un lion qui jette son petit du haut d’une falaise ?

La porte s’était refermée avec un claquement définitif. J’étais restée immobile et hébétée dans le couloir vide pendant plusieurs secondes. J’avais baissé les yeux vers ma paume, où je tenais une pierre de traduction. J’avais appris à l’utiliser pour des occasions comme celle-ci.

Seul le minutage de cette opportunité m’avait prise au dépourvu. Tout ce dont j’avais besoin était déjà prêt. Par-dessus tout, je ne pouvais pas faire attendre mon maître. Ainsi, j’avais durci ma résolution et j’avais marché vers l’escalier.

 

 ◆ ◆

« Je suis désolée de t’avoir fait attendre. »

Après avoir descendu l’escalier, j’avais trouvé mon maître et Shiran qui m’attendaient. Les deux avaient manifestement tué le temps en parlant jusqu’à ce que j’arrive.

« Oh ? Rose, prête à partir ? » demanda mon maître avec un sourire troublé.

Était-il mécontent de devoir sortir seul avec moi ? J’étais un peu inquiète maintenant.

« Très bien, Takahiro. Je vais me retirer ici, » dit Shiran.

« Désolé de t’avoir gardée. »

« N’y pense pas. Faites attention à vous deux. »

Maintenant que j’étais arrivée, Shiran avait quitté l’auberge. Elle avait l’intention de se rendre directement à l’installation militaire qu’ils avaient visitée hier. Maintenant, j’étais seule avec mon maître.

« E-Euh, Maîttshre. »

Je m’étais mordu la langue dès le début. Enfin, pour être précise, je n’avais pas d’organes vocaux, donc c’était plutôt comme si j’avais perdu le contrôle de moi-même, mais c’était quelque chose de similaire. J’étais bien trop consciente de ce qui se passait.

J’avais calmé la tension en moi et m’étais corrigée. « Maître. Pardonne-moi. Cela t’ennuie-t-il d’aller en ville avec moi ? »

« Hm ? Oh. Pas du tout. C’est un peu différent de ce que nous avions prévu, donc je suis un peu confus, c’est tout… Maintenant que j’y pense, pourquoi t’excuses-tu ? » dit-il, puis sourit maladroitement. « On y va ? »

« Oui, » avais-je répondu en hochant rapidement la tête.

 

 ◆ ◆

La ville appelée Diospyro était le centre de distribution des marchandises dans l’est d’Aker. Des boutiques bordaient la rue principale, et de nombreuses personnes se promenaient. Je suivais mon maître à travers la foule, un pas derrière lui.

« Tu m’écoutes, Rose ? »

Je m’étais spontanément rappelé ce que Mana m’avait dit.

« Majima-senpai ne reconnaît pas ça comme un rendez-vous. D’abord, tu dois faire en sorte qu’il soit conscient de toi, même si c’est juste un peu. Pour ce faire… »

J’avais serré avec force ma main, maintenant couverte d’un long gant blanc. Il était temps. J’avais lentement tendu la main.

« Très bien, Rose, » dit mon maître en se retournant soudainement.

J’avais rapidement baissé ma main.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » avais-je répondu.

« Hein ? Je n’ai pas encore pris de petit-déjeuner, alors je pensais trouver un endroit pour manger… »

À ce moment-là, il s’était raidi. C’était comme s’il venait de réaliser quelque chose de grave.

« Y a-t-il un problème, Maître ? »

« Je n’appellerais pas vraiment ça un problème…, » il répondit avec un regard gêné. « Je pensais choisir un restaurant au hasard, mais tu ne peux pas manger, non ? »

« Je ne peux pas. »

Mon corps n’avait pas la fonction pour traiter la nourriture. Je l’avais envisagé, mais il y avait d’autres priorités, alors j’avais décidé de laisser ça pour plus tard.

« Il n’y a pas besoin de faire attention à moi, » avais-je dit. « Je peux attendre que tu aies fini de manger. »

« Entrer dans un restaurant ensemble et te demander de me servir est un peu… »

« N’est-il pas autorisé ? »

Maintenant que j’y pense, Mana m’avait dit qu’il était essentiel que nous fassions des choses ensemble pour que cette histoire de rendez-vous fonctionne. Mais mon maître et moi ne pouvions pas partager un repas. Est-ce que ça veut dire… que j’avais trébuché dès le départ ?

Oh non… Je venais juste de réaliser que je ne pouvais pas participer à un soi-disant rendez-vous déjeuner. Une option d’activité était jetée par la fenêtre avant même que nous ayons commencé. C’était un inconvénient majeur, non ? Étais-je une partenaire de rencontre défectueuse ? L’impact de cette possibilité m’avait laissée choquée. Quelle malchance ! Que devais-je faire ? Est-ce que c’était ça, « avoir envie de pleurer » ? Non pas que je puisse produire des larmes.

« Il n’y a pas de règle interdisant de faire ça dans un restaurant ou quoi que ce soit, » dit mon maître, incitant ma perception du temps à bouger à nouveau. « Je pensais juste que ce serait ennuyeux pour toi. De toute façon, je vais prendre quelque chose que je peux manger sur le pouce. D’après Shiran, il y a plusieurs échoppes qui servent ce genre de nourriture à un pâté de maisons de la rue principale. Allons-y. »

« Très bien. »

Mon maître avait tourné dans la rue principale, et je l’avais rapidement suivi. De toute évidence, j’avais tiré de mauvaises conclusions. Des pensées pessimistes avaient envahi ma tête. Ça ne marcherait pas. Bien que mon maître soit en partie responsable de cette situation.

Je veux dire, rien de ce que je pourrais faire avec lui ne pourrait être ennuyeux. Cependant, il ne l’avait pas vraiment compris. Néanmoins, son intérêt pour moi m’avait donné l’impression de flotter sur un nuage. C’était une chose si simple, et pourtant, avant même que je m’en rende compte, cette envie de pleurer avait complètement disparu.

***

Partie 2

Nous avions traversé une ruelle étroite et débouché sur une rue plus petite. Il y avait des lignes et des lignes d’étals serrés les uns contre les autres. Chacun vendait une variété de produits. Il y avait des pommes de terre tordues empilées comme des montagnes, des légumes de toutes les couleurs, de la viande enrobée de sauces juteuses, des vêtements d’occasion, des armes et des armures usées… C’était un peu étourdissant.

« D’accord, j’en ai pour une seconde. »

« Oh, Maître. Veux-tu bien attendre un moment. »

Je l’avais arrêté alors qu’il allait acheter quelque chose sur un étal au hasard.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-il.

« Pourrais-tu me permettre d’y aller à ta place ? »

« Ça ne me dérange pas vraiment, mais pourquoi le veux-tu ? » demanda-t-il, les yeux écarquillés.

« J’aimerais essayer d’utiliser ce truc d’argent. »

Mon maître avait froncé les sourcils.

« Je ne peux pas ? » avais-je demandé.

« Non, tu peux, » dit-il, en sortant un porte-monnaie de sa poche. « En fait, c’est plutôt une bonne idée. Vu ce qui t’attend, il vaut mieux que tu acquières cette expérience. Enfin, je dis ça, mais je n’ai pas l’habitude de gérer l’argent ici… Quoi qu’il en soit, je m’en remets à toi pour cette fois. »

« Merci beaucoup. J’en ai pour une minute. »

Il m’avait tendu le sac, et je m’étais dirigée vers une échoppe, sentant son regard dans mon dos. Je me tenais à l’arrière d’une longue file de personnes. C’était la première fois que je faisais la queue. J’avais jeté un coup d’œil derrière moi pendant que j’attendais et j’avais rencontré les yeux de mon maître. Il avait l’air un peu agité. Contrairement à ce qu’il voulait faire croire aux autres, il avait tendance à être plutôt surprotecteur.

Il était certainement prêt à m’aider si je rencontrais des difficultés, mais ce serait un peu pathétique de ma part. Heureusement, j’avais déjà étudié la valeur des devises, et j’avais donc réussi à terminer ma première tentative d’achat sans problème. J’étais retournée en trottinant aux côtés de mon maître.

« Voilà, Maître. »

« Merci. »

J’avais rendu le porte-monnaie avec la brioche à la vapeur que j’avais achetée. Il avait souri et j’avais fait de mon mieux pour le lui rendre, même si mon expression était encore maladroite. Nous avions continué à marcher pendant que mon maître mangeait.

« Est-ce que ça a bon goût ? » avais-je demandé.

« La texture est un peu particulière, je n’y suis pas vraiment habitué, mais ce n’est pas mauvais. Après ce mode de vie de survie, à peu près tout a bon goût. »

Le petit pain n’était pas si grand, et au fil de notre conversation, il était devenu beaucoup plus petit en un rien de temps.

« Les brioches à la vapeur ne sont généralement pas faites avec du pain. Ils utilisent de la viande durcie à l’intérieur d’un… Eh bien, je suppose que tu ne comprends pas ce que je dis, hein ? »

« J’ai déjà vu cette pâte dans ton repas d’hier soir à l’auberge. Cependant, il n’y avait pas de viande dedans. »

« Apparemment, ils utilisent principalement des pommes de terre ici. D’après Shiran, c’est l’aliment de base d’Aker. Si nous devons nous installer ici, je suppose que je vais devoir apprendre à les cuisiner. »

« Même si tu ne le fais pas, je pense que Lily et Mana seront proactives pour apprendre. Elles pourraient plutôt te dire de ne pas leur voler leur travail. »

« Tu as raison. Je ne suis pas de taille pour elles quand il s’agit de cuisiner, alors peut-être que c’est plus sûr de les laisser faire… »

Mon maître s’était tu pendant quelques secondes, plongé dans ses pensées.

« S’installer à Aker, hein… ? » murmura-t-il. « Que vas-tu faire, Rose ? »

« Que veux-tu dire ? »

« Veux-tu essayer d’ouvrir une boutique quelconque ? » dit-il, en regardant une échoppe avec de nombreux ustensiles en métal suspendus. « Cela pourrait être un peu difficile puisque les outils magiques en bois seront un peu voyants… mais avec tes compétences et un peu d’étude, je suis sûr que tu peux contourner cela dans une certaine mesure. Dans ce cas, tu pourrais envisager de faire quelque chose comme ça. »

Je n’avais pas répondu tout de suite. Je n’y avais jamais pensé auparavant. Alors, au lieu de répondre, j’avais posé ma propre question.

« Que comptes-tu faire, Maître ? »

« Hmm… Je n’y ai pas vraiment réfléchi, » dit-il en ralentissant le pas et en se concentrant sur ses pensées. « Même si je sais un peu mieux manier l’épée maintenant, je n’ai appris que pour me défendre. Ce serait bien si je pouvais gagner ma vie en cultivant un champ ou autre chose… »

Bien qu’il ait désiré une vie trop simple pour être un rêve d’avenir, sa voix sonnait comme une prière. Tant que nous, les serviteurs, l’accompagnions, il n’était pas certain qu’il puisse avoir un moyen de subsistance stable où que ce soit dans ce monde. Nous étions venus dans le pays de la commandante, mais les possibilités ici étaient à peine meilleures qu’ailleurs. Nous n’avions aucune garantie. Peut-être que tous les incidents chaotiques impliquant des visiteurs dérivaient dans l’esprit de mon maître. Ou peut-être ne pouvait-il pas rejeter tout ça. Bien qu’il n’ait pas la force anormale de beaucoup d’autres visiteurs, son mode de vie était ferme et inébranlable. C’était exactement la raison pour laquelle je pensais que je devais le protéger.

« Quand ce moment viendra…, » avais-je commencé à dire, parlant avant même de m’en rendre compte. « Quand ce moment viendra, permets-moi de t’aider avec le travail de terrain. »

Mon maître s’était tourné vers moi avec un regard déconcerté, puis avait éclaté en un sourire. « Oui… Peut-être que ça pourrait marcher. »

Nous savions tous deux qu’un tel avenir pouvait ne pas se réaliser. Néanmoins, nous avions ignoré les difficultés et les épreuves qui se dressaient sur notre chemin et nous avions simplement envisagé les possibilités. Il était sûrement nécessaire de passer le temps comme ça de temps en temps.

J’avais rendu le sourire de mon maître avec une courbure maladroite de mes lèvres. Même au milieu de la foule bruyante, on avait l’impression qu’un air de tranquillité nous enveloppait.

« Euh… Maître ? » avais-je dit. Pour l’instant, je me sentais capable de le faire. « Puis-je emprunter ta main ? »

« Hm ? Pour quoi faire ? »

Mon maître s’était arrêté et m’avait regardée avec curiosité, mais il avait tout de même tendu sa main droite immédiatement.

« Excuse-moi, » avais-je dit en lui prenant la main.

« Une poignée de main ? »

« Je l’ai mal fait. »

Quel était l’intérêt de le tenir avec ma main droite ? C’était difficile. Je devais me calmer. Je continuais à me persuader d’aller jusqu’au bout en lâchant sa main, puis en saisissant son bras.

« H-Hey, » mon maître avait bégayé, sa voix s’était légèrement voilée.

Je n’avais plus le courage de lui répondre. Je me blottissais contre lui, imitant ce que ma sœur aînée faisait toujours, bien que mes mouvements soient extrêmement raides et maladroits. C’était la mission que Mana m’avait confiée. J’étais envahie par un sentiment d’accomplissement.

« Rose… ? »

Ce n’était cependant pas mon objectif final.

« A-A-A-A-A… » J’avais bégayé.

« Ah ? »

« Es-tu… mécontent ? »

« Non. Pas du tout. Mais pourquoi tout d’un coup ? »

« Je suis ta garde aujourd’hui. Je dois faire la même chose que ma sœur fait toujours. »

Peut-être que je forçais un peu les choses, mais en me rappelant l’attitude de Gerbera, j’avais décidé de surmonter cette épreuve avec vigueur.

« On y va ? » avais-je dit.

Mon maître ne m’avait pas rejetée. Quand j’avais commencé à marcher, il avait suivi mon rythme. Nous faisions à nouveau partie de la foule en mouvement. Les choses avaient en quelque sorte réussi à se dérouler comme prévu. Cela dit, je ne savais pas quoi faire ensuite. Quand elle m’avait envoyée, Mana m’avait dit que mon maître ne reconnaissait pas ça comme un rendez-vous. Lier les bras comme ça était un moyen de lui faire comprendre que c’en était un.

Mais j’étais vraiment mal à l’aise. J’avais l’air humaine, mais mon corps n’était encore que celui d’une marionnette. Presque toutes les parties de mon corps étaient dures et froides. C’était douloureusement évident pour quiconque me touchait.

Avait-il conscience que j’étais une marionnette, ou un membre du sexe opposé ? Est-ce que cela avait eu l’effet inverse de ce que j’avais prévu ? J’avais regardé le visage de mon maître. Ses joues étaient… un peu rouges, peut-être. Était-ce un succès ? Je ne pouvais pas vraiment le dire.

« Hé, Rose ? » dit mon maître, un soupçon de perplexité dans la voix.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Est-ce que je suis trop dur ? Est-ce que ça fait mal ? »

J’avais baissé les yeux sur ma propre poitrine. En raison de la forme du corps féminin, lorsque l’on se tenait par le bras, les deux protubérances de la poitrine se pressaient contre l’autre personne. J’avais créé mon corps en prenant Mana comme référence, donc je n’avais pas les courbes notables que Lily ou Gerbera avaient. Pourtant, la carrure de Mana n’était pas non plus miteuse. Par conséquent, j’avais des seins de taille moyenne. Je suppose que ce serait douloureux d’avoir deux objets durs pressés contre son bras. J’avais essayé d’en tenir compte avant d’ajuster mes membres. J’avais jugé qu’il serait correct de les presser ainsi contre mon maître… mais peut-être n’avais-je pas été assez loin dans mon travail ?

« Pardonne-moi, » avais-je dit. « Je pensais les avoir préparés pour qu’ils ne causent aucune douleur. »

« Non, ça ne fait pas mal. Rien n’est dur. En fait, c’est doux… »

« Vraiment ? Merci mon Dieu. J’ai demandé de l’aide à Mana à ce sujet. »

« L’aide… de Katou ? »

« Oui, » avais-je répondu énergiquement.

C’était mon projet commun avec Mana. Ma vaillante amie avait tant fait pour notre bien. Elle n’aimait tout simplement pas revendiquer quelque chose comme étant sa propre réalisation, c’était donc une occasion précieuse pour moi d’informer mon maître de ses grands efforts. Même sans un tel prétexte, je trouvais véritablement amusant de parler de mon amie.

« Je ne savais pas quel genre de sensation ou de forme avaient les seins humains féminins, » avais-je poursuivi d’un ton vif. « J’avais besoin de les voir, de les toucher et de les étudier soigneusement. »

« Voir, toucher… »

Mon maître s’était arrêté.

« Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé avec curiosité.

« Non… C’est juste que… Je suis un mec, tu sais ? »

Qu’est-ce que le sexe a à voir avec tout cela ? Mon maître baissait la tête et utilisait sa main gauche libre pour se donner quelques coups durs sur le front. On aurait dit qu’il essayait de chasser les pensées oiseuses de son esprit, mais je n’étais pas sûre que ce soit le cas. Je ne comprenais pas les subtilités entre les hommes et les femmes.

Malgré mon manque de compréhension, j’y avais quand même réfléchi. Mana m’avait dit un jour que les femmes devaient être douces. Il me semblait qu’en tant qu’homme, mon maître n’avait pas été satisfait.

« Pardonne-moi, Maître. Je pensais avoir fait une réplique parfaite. Est-ce que quelque chose ne va pas avec eux ? »

« Ce n’est pas le problème. Il n’y a aucun problème. Attends… une réplique ? »

« Oui. Qu’en est-il ? »

« Je ne pense pas pouvoir regarder Katou en face quand nous reviendrons… »

Qu’est-ce que cela signifiait ? J’étais encore confuse sur beaucoup de choses, mais je n’avais pas eu l’occasion de demander des éclaircissements. Mon maître murmura d’un air hébété et leva la tête, puis son expression devint soudainement sinistre. L’atmosphère autour de nous avait immédiatement changé. Je m’étais également crispée.

« Oh ? »

Contrairement à notre réaction, la voix que nous avions entendue semblait légère et insouciante. Un jeune homme inconnu regardait dans notre direction. À côté de lui se trouvait le visiteur que nous avions rencontré à l’auberge l’autre jour, l’air terriblement mécontent de quelque chose.

***

Chapitre 9 : L’avenir de la marionnette ~ Point de vue de Rose ~

Partie 1

Le jeune homme qui marchait sur notre chemin avec le visiteur avait un comportement doux. Ses doux cheveux châtain clair et ses traits aimables complétaient ses manières douces. Cependant, son corps svelte était celui d’un combattant. Je pouvais voir ses muscles trempés sous l’unique couche de vêtements qu’il portait.

J’avais vu ce type de vêtement, un tissu drapé sur le torse qui se terminait par une gaine lâche, de temps en temps depuis que nous étions entrés dans Diospyro. C’était la tenue indigène du nord d’Aker, d’après Shiran. Une épée à un seul tranchant pendait à sa taille, et plusieurs décorations en bois ressemblant à une sorte de créature pendaient à son cou.

Pour une raison inconnue, au moment où nos regards s’étaient croisés, j’avais ressenti une étrange sensation. Ce n’était pas nécessairement inconfortable, mais c’était suffisamment fort pour que je ne puisse l’ignorer. Avant que je puisse comprendre ce que c’était, cependant, le jeune homme s’était tourné vers le garçon qui se tenait à côté de lui.

« Dis-moi, Aketora, n’est-ce pas le compatriote dont tu parlais hier ? »

« Comme si j’en avais quelque chose à foutre… »

Le garçon que nous avions rencontré à l’auberge l’autre jour, qui avait déjà une expression grincheuse, se renfrogna encore plus.

« Et voilà que tu recommences à agir d’une manière qui ne manquera pas de te faire plus d’ennemis, » répondit le jeune homme à la fois dans la réprobation et l’exaspération. Mais malgré son ton, ses manières restaient douces.

 

 

« N’étais-tu pas inquiet de ce que faisaient tes compatriotes ? » poursuit le jeune homme. « Pourquoi gaspiller une opportunité comme celle-ci ? »

Alors que le visiteur semblait ne rien vouloir faire avec nous, cet homme semblait plutôt intéressé. Il avait souri et avait suivi notre chemin. Je n’avais pas ressenti d’hostilité ni de malaise. Son comportement était en fait agréable. Mais j’étais toujours la garde de mon maître aujourd’hui. Quelle que soit l’attitude de cet homme, je devais rester vigilante.

Je restai collée à mon maître et glissai ma main dans une grande poche à l’intérieur de mon tablier. Mes doigts se posèrent sur la poignée de ma hache. Tant que j’étais aux côtés de mon maître, je devais rester armée. Cette poche fonctionnait comme un sac magique dans la mesure où sa capacité était étendue, je pouvais donc sortir mon arme à tout moment.

Ayant peut-être remarqué ma méfiance, l’homme s’était arrêté avant de s’approcher trop près.

« C’est un plaisir de vous rencontrer. Je m’appelle Thaddeus, » dit-il, puis il regarda calmement le garçon à côté de lui. « Celui qui a l’air grincheux ici, c’est Fukatsu Aketora. Je dois dire que je ne m’attendais pas à rencontrer quelqu’un de son espèce dans ce pays. »

« Qu’est-ce que vous voulez ? » répondit prudemment mon maître. Il ne montrait pas ouvertement son mécontentement comme l’avait fait le visiteur — Fukatsu Aketora — mais il était tout de même sur ses gardes. Mais c’était une réaction normale lorsqu’un parfait inconnu vous interpelle en plein milieu de la ville.

D’un autre côté, Thaddeus était tout sourire. « Rien de grave, » répondit-il. « Je me demandais quel destin vous amenait, vous, une personne issue des mêmes terres lointaines qu’Aketora, ici en même temps que nous. Auriez-vous une minute pour discuter ? Oh, je vous en prie, soyez à l’aise. Je connais vos… circonstances, dans une certaine mesure. »

« Dans quelle mesure ? »

« Que vous êtes apparu dans la forêt ! Que vous possédez le pouvoir ! Que vous êtes venus en grand nombre, ce qui était auparavant impensable ! »

Thaddeus avait gardé ses mots un peu vagues, probablement au cas où quelqu’un nous aurait entendus. Pourtant, il était clair qu’il parlait de visiteurs venus de loin.

« De quoi voulez-vous parler ? » demanda mon maître.

« En clair, j’aimerais savoir ce que font les compatriotes d’Aketora. »

« Donc vous voulez juste des informations ? »

« Eh bien, ce n’est pas tout. » Thaddeus gloussa, un sourire rafraîchissant se répandant sur ses lèvres. « Je souhaiterais aussi simplement parler avec vous. Comme je l’ai déjà dit, une sorte de destin nous a réunis. Si possible, j’aimerais devenir ami avec vous. Heureusement, vous n’avez pas l’air d’être de mauvaises personnes. »

Il n’avait pas l’air de mentir, alors j’avais pensé que je pouvais lui parler. Cependant, c’était à mon maître de prendre cette décision. J’avais attendu de voir ce qu’il allait faire, mais il semblait hésiter. Il était curieux de savoir pourquoi un autre visiteur était ici à Aker. Et comme ils nous avaient abordés de manière si amicale, il n’y avait aucune raison de ne pas discuter avec eux.

« Alors, cela vous dérangerait-il de nous parler un peu ? » Thaddeus continua, sentant que mon maître n’était pas complètement opposé à l’idée. « Bien sûr, je ne vais pas enquêter sur votre situation. Si vous pouviez nous dire ce que vous êtes prêt à partager, ce serait un grand… »

Juste à ce moment-là, un rugissement irrité avait résonné dans la rue.

« Thaddeus ! »

« Aketora… »

L’air surpris, Thaddeus se tourna vers son compagnon.

« Laisse tomber, Thaddeus, » dit Fukatsu Aketora, attirant l’attention des gens autour de nous. « Il est inutile de s’impliquer avec eux. »

Il semblait ne pas nous aimer du tout. Il crachait pratiquement de l’hostilité dans notre direction. Il m’avait alors rapidement jeté un coup d’œil alors que je restais blottie contre mon maître.

« De toute façon, ce type est une ordure comme les autres. Traîner une bande de filles comme des trophées en est la preuve. »

« Insolent — » j’avais commencé, ma main se crispant autour de la poignée de ma hache par réflexe.

« Arrête, Rose. »

Même si ce Fukatsu Aketora le ridiculisait, mon maître m’avait empêchée de faire quoi que ce soit d’irréfléchi en me saisissant le bras, celui qui était encore enroulé autour du sien.

« Très bien… »

J’avais lâché ma hache. Bien qu’il soit imprudent de ma part de perdre mon sang-froid, j’agissais en tant que garde de mon maître, et je n’avais pas l’intention de me lancer dans la bataille poussée par mes seules émotions.

« Hmph. »

Fukatsu Aketora avait grogné et avait tourné les talons. Son attitude m’agaçait, mais je ne pouvais pas exposer mon maître au danger. J’étais restée là et l’avais regardé s’éloigner en silence. Une fois qu’il était parti, le brouhaha de la foule était revenu.

Thaddeus poussa un profond soupir. « Je suis vraiment désolé pour le comportement impoli d’Aketora. »

« C’est bon. Ça ne me dérange pas vraiment. »

Comme il l’avait dit, mon maître n’avait pas l’air particulièrement offensé. Il n’avait probablement pas apprécié que Fukatsu Aketora se moque de lui comme ça, mais il avait quand même fait preuve d’indifférence. Mon maître était parfois comme ça. Peut-être que ses expériences dans ce monde avaient façonné son caractère.

« Il m’a vu avec une de mes autres compagnes hier, une fille que l’aubergiste avait prise pour ma femme, » avait expliqué mon maître. « Ce n’était qu’un malentendu, mais maintenant il me voit me promener avec une autre fille. Je vois bien comment il pouvait avoir une mauvaise impression de moi. »

« Je suis vraiment désolé, » répondit Thaddeus. L’attitude indifférente de mon maître l’avait poussé à la culpabilité, et il avait l’air encore plus désolé qu’avant. « Aketora s’est lassé de l’attitude des autres visiteurs, alors il les a fuis. »

« Vraiment ? »

« Oui. C’est ce qu’il m’a dit, mais je n’aurais jamais pensé qu’il détesterait à ce point ses compatriotes. J’ai agi trop vite… »

Thaddeus n’en était probablement pas conscient, mais il nous avait appris de nouvelles informations intéressantes. Ce garçon était un tricheur, mais il ne faisait pas partie de l’équipe d’exploration pour le moment. Iino Yuna nous avait dit que certains des tricheurs du Fort d’Ebenus avaient quitté l’équipe d’exploration, alors peut-être était-il l’un d’eux.

« Je ne peux pas laisser Aketora tout seul, alors je vais prendre congé. Il n’a pas de pierre runique de traduction avec lui pour le moment, vous voyez. »

« D’accord. »

« Quel dommage, » ajouta Thaddeus avec un soupir. « Je voulais vraiment vous parler un peu plus. »

« Pourquoi faites-vous une fixation sur le fait de nous parler ? » demanda mon maître avec méfiance.

« Hm ? Oh, je vois. Je suppose que c’est un peu étrange, » répondit Thaddeus, l’air embarrassé comme s’il ne s’en rendait compte que maintenant. « Pour une raison inconnue, je n’ai pas l’impression que nous sommes faits pour être des étrangers. »

Mon maître n’avait pas répondu.

« Désolé de dire quelque chose de si étrange. Si le destin le permet, rencontrons-nous à nouveau. »

Même quand il s’était séparé, Thaddeus n’était rien d’autre que doux.

 

 ◆ ◆

Une fois que Thaddeus avait disparu dans le flot de la foule, je m’étais enfin détendue. Ces deux-là avaient vraiment laissé une sacrée impression. L’attitude de Fukatsu Aketora était une chose, mais Thaddeus avait aussi une aura particulière.

« Comme c’est étrange, » murmura mon maître.

Toujours accrochée à son bras, je m’étais tournée pour le regarder.

« Maître, es-tu également curieux de connaître cette personne, Thaddeus ? »

Il avait l’air perplexe. « Hm ? Non, je parle de la pierre runique de traduction. »

« La pierre runique de traduction… ? Qu’en est-il ? »

« À l’instant, Thaddeus a dit que Fukatsu n’en portait pas, non ? Cela implique que Thaddeus l’a. Je suis juste un peu accroché à ce détail. »

« Ce n’est pas si étrange que ça. Même dans notre groupe, Shiran et Kei ont toutes deux une pierre runique de traduction, non ? »

« C’est parce qu’elles étaient les seules à pouvoir les utiliser à l’époque. Mais maintenant, tu le peux aussi. »

« Oui, parce que j’ai appris à le faire. »

« C’est vrai, » répondit mon maître en hochant la tête. « Et il n’y a pas que toi. J’ai entendu dire que Katou est presque au niveau où elle peut en utiliser une. Avec le temps, les visiteurs peuvent apprendre à utiliser une pierre runique de traduction. Fukatsu devrait aussi savoir comment le faire. Je veux dire, il était tout seul hier. »

« Maintenant que tu le dis… »

Lorsque nous avions rencontré Fukatsu Aketora l’autre jour, Thaddeus n’était pas avec lui. Peut-être était-il dans leur chambre ou avait-il déjà quitté l’auberge. Quoi qu’il en soit, Fukatsu avait été en mesure de converser avec l’aubergiste. Cela signifie qu’il pouvait utiliser une pierre runique de traduction.

« S’il peut s’en servir, il serait plus logique qu’il le porte sur lui, » avais-je conclu. « Je suis surpris que tu aies réussi à le remarquer si rapidement. »

« J’ai dû faire attention à ne pas rester coincé tout seul en ville, après tout. Lorsque j’ai appris l’existence des pierres de traduction dans le Fort de Tilia, j’ai passé beaucoup de temps à me creuser la tête pour savoir comment communiquer à l’avenir. Comment pourrais-je apprendre à en utiliser une ? Et même avant cela, comment pourrais-je en obtenir une ? » Mon maître avait fait une pause, réalisant soudain quelque chose. « Attends… Comment en ont-ils obtenu une ? »

« Si je me souviens bien, les pierres runiques de traduction ne sont pas vraiment en circulation. »

« Oui. Ils ne sont normalement utilisés que pour communiquer avec les visiteurs, donc il n’y a pas de demande générale pour eux. La Sainte Église devrait tous les avoir puisque c’est leur travail de travailler avec les sauveurs. J’ai entendu dire que l’Empire en avait en réserve, car son territoire est si vaste qu’il est plus probable qu’il établisse le premier contact avec les visiteurs. Encore, ils ne sont que dans les installations militaires, et nous sommes à Aker. »

« Peut-être que Thaddeus est de l’Empire ? », avais-je suggéré.

« Dans ce cas, pourquoi serait-il habillé comme un autochtone akérien ? »

« C’est vrai… Peut-être est-il dans une position similaire à celle de Shiran et Kei ? »

« Eh bien, nous ne pouvons pas l’exclure. Notre situation n’est pas si différente de celle de Fukatsu. » Mon maître acquiesça, même s’il semblait encore avoir quelque chose en tête. « Il a probablement beaucoup de choses à faire. Il semble détester les visiteurs avec ferveur. Je suis sûr qu’il a vu des choses. »

Quelque chose avait dû arriver à Fukatsu, et ça n’avait pas pu être bon. Ou alors, il se pourrait que Fukatsu Aketora soit simplement une personne lunatique.

« Si tu es curieux, alors nous devrions aller les chercher et les sonder pour obtenir plus d’informations ? » Je l’avais suggéré.

J’étais réticente à l’idée de permettre à mon maître de continuer à interagir avec quelqu’un qui le méprisait à ce point, mais si c’était nécessaire, alors je devais le laisser faire. Cependant, mon maître avait rejeté ma suggestion presque immédiatement.

« Non, ne le faisons pas. Même si Thaddeus est amical, Fukatsu semble vraiment me détester. Il n’y a pas besoin de marcher sur la queue d’un tigre. »

« Un tigre ? Caresser le museau d’un dragon et marcher sur la queue d’un tigre. C’est un idiome de ton monde, n’est-ce pas ? »

« Hein, je suis surpris que tu sois au courant. Je ne connaissais pas la première partie avec le dragon. Est-ce Katou qui te l’a racontée ? »

« Oui. Je pense que Mana l’a entendu de Miho Mizushima. D’après Mana, c’était une grande lectrice… ou plutôt, une lectrice sans discernement. »

« Oh, vraiment ? Cela me rappelle que lorsque nous vivions dans les Terres forestières, Lily m’a appris beaucoup de choses que je ne connaissais pas en utilisant les connaissances de Mizushima. »

***

Partie 2

Par respect pour les morts, il était difficile d’interroger Mana sur Miho Mizushima, aussi mon maître n’avait-il pas eu beaucoup d’occasions d’en savoir plus sur elle. Il n’avait aucune idée de ses hobbies.

« Je me demande pourquoi Mizushima connaissait la façon de vider le sang du gibier… » dit mon maître. « Je suppose que c’est la raison. »

Petite parenthèse, la raison pour laquelle la viande de monstre dont il s’était nourri dans les Terres forestières avait si mauvais goût était que Lily, ou plutôt Miho Mizushima, savait que le sang devait être drainé, mais n’avait aucune idée de la façon de le faire. Depuis, Shiran nous avait enseigné ce qu’était la rigidité cadavérique et ce qu’était la salaison de la viande pour lui donner une bonne saveur. Lorsqu’elle était correctement traitée, la viande de monstre était considérée comme un mets délicat dans les forteresses des Terres forestières.

« Nous nous sommes égarés, » déclara mon maître. « Eh bien, c’est l’essentiel. Nous ferions mieux de ne pas les pousser plus que ça. »

« Compris. »

« De plus, c’est une rare occasion pour moi de passer du temps seul avec toi. Ce serait du gâchis de perdre ça. »

Il avait ajouté cette dernière partie en plaisantant, probablement parce qu’il ne me voyait pas comme une femme. Pourtant, c’était un peu injuste de sa part de le dire si facilement.

« Nous devons nous amuser, » avait-il ajouté.

« Oui. »

J’étais tellement heureuse que j’avais peur de perdre ma concentration et que toute expression disparaisse de mon visage. Je devais me concentrer fortement pour garder le contrôle.

 

 ◆ ◆

Après avoir fait le tour des étals, nous étions retournés dans la rue principale bordée de boutiques. C’était la première fois que j’entrais dans un magasin. Non seulement c’était une nouvelle expérience de faire le tour des magasins d’articles généraux et d’armes, mais c’était aussi une excellente opportunité d’apprentissage pour moi en tant qu’artisan.

« Oh ! Maître ! On dirait qu’ils vendent des pierres runiques ici ! »

Combien de fois cela s’était-il produit maintenant ? Nous étions entrés dans un autre magasin, et j’avais vu des pierres runiques et des outils magiques sur les étagères. Cependant, ils ne vendaient pas d’outils magiques puissants pouvant être utilisés en combat. Ils avaient surtout des pierres runiques simples pour la vie de tous les jours et les outils magiques avec lesquels elles pouvaient être utilisées.

J’étais captivée par tout ce que je voyais. Dans le monde de mon maître, la production de masse était assurée par l’industrialisation mécanique, mais ici, la plupart des objets étaient fabriqués à la main. Rien qu’en regardant tout cela, j’avais l’impression que je pouvais améliorer mes compétences artisanales.

« Maître ! Là-bas —, » j’avais commencé à dire, en me retournant avec vigueur, quand j’avais rencontré les yeux de mon maître. « Oh… »

Ça n’avait pas l’air d’être une coïncidence. Il me regardait plus que les marchandises sur les étagères. Depuis combien de temps était-il comme ça ? Depuis que nous étions entrés dans le magasin ? Ou peut-être même avant ça ?

« P-Pardonne-moi, Maître. J’ai perdu mon sang-froid. »

Il m’avait vue m’emporter. Maintenant que j’y pense, j’étais complètement absorbée depuis un moment. Je me rappelle vaguement lui avoir tiré le bras et l’avoir traîné d’une boutique à l’autre. Mon corps s’était crispé d’embarras.

« Ne t’inquiète pas pour ça, » déclara mon maître en haussant les épaules. « Je m’amuse aussi. Je veux dire, nous n’avons jamais eu l’occasion de regarder tranquillement les magasins avant. Et puis… c’est amusant de te voir t’exciter comme une enfant, Rose. »

« S’il te plaît, ne dis pas de choses aussi étranges. »

Si mon corps était capable de rougir, j’aurais sûrement viré au rouge.

« Passons à la boutique suivante, » avais-je dit en tirant sur le bras de mon maître comme pour le distraire de mon comportement précédent.

« D’accord, mais donne-moi juste une seconde. Peux-tu m’attendre dehors ? »

« Hein ? Oui, bien sûr. »

« Je suis à toi tout de suite. »

J’avais fait ce qu’il m’avait dit et j’avais quitté le magasin. Mon maître était sorti peu après, et nous étions passés à la boutique suivante. Finalement, nous avions marché dans la ville jusqu’à ce que le soleil commence à se coucher.

« Je pense que nous devrions commencer à rentrer, » dit mon maître.

« Très bien. »

Notre sortie avait été à la fois amusante et bénéfique. Nous avions marché au milieu d’une grande foule et avions vu tant de nouveaux types d’outils. Nous avions également réussi à acheter plusieurs marchandises nécessaires à notre voyage, ainsi que quelques livres de ce monde pour Lily.

Nous étions sortis de la dernière boutique et avions décidé de retourner à l’auberge.

« Hein… ? » dit mon maître, confus.

« Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé.

« Je pensais avoir vu Shiran à l’instant. »

« Shiran ? Pardonne-moi, je n’ai rien remarqué. »

J’avais regardé dans la rue bondée, mais je n’avais pas pu repérer ses cheveux blonds et son armure blanche. Shiran était une servante unique, nous ne pouvions pas partager grand-chose par le biais du cheminement mental ou détecter l’emplacement de l’autre.

« Je me trompe peut-être, » dit mon maître. « Je n’ai eu qu’une impression. Elle ne devrait pas être ici, de toute façon. »

Pendant que nous faisions les boutiques, nous avions descendu la rue principale jusqu’à la limite de la ville. Nous pouvions même voir la solide porte en fer d’ici, menant à l’extérieur. Au milieu de l’agitation, les marchands entraient dans la ville en boitant, fatigués.

« Shiran se dirigeait vers cette installation militaire que tu as visitée hier, non ? » avais-je demandé.

« C’est ce qu’elle a dit. C’est plus proche du centre de la ville. »

« Il y a beaucoup de bâtiments le long des murs à des fins défensives. Peut-être qu’elle et l’homme qu’elle rencontrait avaient une raison de venir ici ? »

« Peut-être, peut-être pas. Je pourrais avoir juste vu des choses. »

Nous avions continué à marcher bras dessus bras dessous et à parler. J’étais très consciente de la présence de mon maître à mes côtés. Après avoir passé toute une journée comme ça, je m’étais habituée à être si proche de lui. Parmi mes émotions étourdissantes, je pouvais sentir quelque chose de chaud se répandre progressivement en moi. Malheureusement, je savais que cette journée allait finir par s’achever.

« Hum, Maître. Puis-je avoir un moment de ton temps ? »

Je m’étais arrêtée au moment où l’auberge était apparue. Le soleil couchant donnait à la ville une teinte rosée. J’avais fouillé dans la poche de mon tablier et donné ce qu’il y avait dedans.

« Qu’est-ce que c’est que ça… ? » demanda-t-il, l’air surpris.

Je lui avais donné une paire de bracelets noirs. Le design de chacune était légèrement différent. Le bracelet gauche avait des accents jaunes et bleus, tandis que le droit avait des accents rouges et verts.

Actuellement, mon maître gardait un bandage autour de son bras gauche pour cacher Asarina. Le bandage était fait à partir de fils de Gerbera, il offrait donc une assez bonne protection, mais il avait tout de même ses limites. Ces bracelets étaient quelque chose que j’avais imaginé au cours de mes diverses conversations avec Mikihiko.

« Pourrais-tu vérifier s’ils te vont ? » avais-je demandé.

« Bien sûr… Oui, ça colle parfaitement. »

Nous ne pouvions pas exposer Asarina au grand jour comme ça, alors pour l’instant, il avait placé le bracelet par-dessus son bandage. Mais même sans, le bracelet avait été conçu de telle manière qu’il couvre le dos de sa main.

« J’ai fait ces bracelets d’Asarina pour qu’Asarina puisse se déplacer librement. La partie sur le dos de ta main bouge, lui permettant de sauter à tout moment. Il y a d’autres astuces aussi, donc je te donnerai une explication complète de son fonctionnement plus tard. Et aussi, une dernière chose… »

J’avais remis la main dans la poche de mon tablier pour en sortir mon prochain cadeau.

« Une épée courte… ou je suppose, une dague ? » dit mon maître.

Même avec la poignée, elle ne mesurait que trois largeurs de main. Mon maître avait sorti la dague à moitié de son fourreau. L’éclat envoûtant de la lame semblait le captiver, stoppant net ses mouvements.

« C’est assez étonnant, » avait-il dit. « Est-ce que c’est peut-être encore mieux que ton épée en pseudoacier de Damas ? »

« Je peux dire en toute confiance que c’est la plus grande œuvre que j’ai jamais réalisée. Cependant, j’ai utilisé des matériaux spéciaux, je dois donc m’excuser pour sa longueur limitée. »

« Matériaux spéciaux ? As-tu utilisé une sorte d’arbre bizarre ? »

« Eh bien, quelque chose comme ça. »

J’essayais de faire cette dague depuis un moment. Je l’avais basée sur les conseils de Mana.

« Appelle là la dague rosette. »

Mana avait choisi le nom, et je n’avais aucune objection. Il n’y avait pas d’autre nom à lui donner. Je l’avais créé, et j’avais aussi fourni les matériaux. Mon corps était celui d’une marionnette. Il était fait de bois, et pouvait donc être utilisé pour mon art.

Mana avait suggéré l’idée. Comme toujours, elle avait trouvé un concept étonnant. Si mon corps pouvait protéger mon maître à tout moment comme ça, alors il n’y avait rien de plus que je pouvais souhaiter. J’avais subi de nombreux dommages, il y avait donc plusieurs pièces détachées que je pouvais utiliser comme matière première. La dague que tenait mon maître avait été fabriquée à partir des morceaux de ma moitié inférieure qui s’étaient brisés pendant l’attaque de Takaya Jun. Le matériau était difficile à travailler, et j’avais échoué plusieurs fois, mais le résultat final était le plus grand travail de ma vie.

« C’est insuffisant pour ton armement principal, mais je l’ai fabriqué dans l’espoir qu’il te protège. »

« Merci. Je le garderai précieusement, » déclara mon maître avant de me faire un sourire en coin. « Tu as une longueur d’avance sur moi ici. »

« Maître ? »

« J’ai aussi quelque chose à te donner. »

Il avait rangé la dague et avait enroulé ses deux mains autour des miennes. Quand il les avait retirées, un joli pendentif était resté dans ma paume. J’étais raide de choc.

« Est-ce que c’est… un pendentif magique ? » avais-je demandé.

« Pour commémorer le jour. Eh bien, ce n’est pas si grandiose. Cette pierre runique augmente ton endurance, au moins un peu. À Aker, on s’en sert apparemment pour décorer la lame d’un chevalier. L’effet est pratiquement inexistant, il s’agit donc plutôt d’un porte-bonheur. C’est un pendentif décoratif fait dans ce but. » Mon maître avait fait une pause, se grattant la joue. « Désolé. Je voulais t’acheter quelque chose de plus joli, mais il ne semble pas qu’ils vendent quelque chose de ce genre ici. Il semble un peu minable comparé à ton cadeau… »

« Pas du tout ! » Je m’étais exclamée en secouant la tête. Mes cheveux tressés se balançaient derrière moi. « Ce n’est pas vrai du tout. Je suis heureuse. Vraiment, vraiment heureuse… »

Était-ce vraiment normal qu’un tel bonheur m’arrive ? J’avais baissé les yeux sur le pendentif dans ma paume. C’était une gemme circulaire attachée à un cercle de ficelle. La gemme était rose garance et ressemblait à une cristallisation du soleil couchant d’aujourd’hui.

« Merci beaucoup ! »

J’avais tenu le pendentif près de mon cœur et j’avais chéri ce moment.

 

 ◆ ◆

Il y a une chose que j’avais comprise de cette expérience, je souhaitais vraiment ce qui venait après un câlin de mon maître. Je ne savais toujours pas ce que c’était exactement. Je ne savais même pas quel genre de relation je voulais avec lui.

Néanmoins, je ne voulais pas qu’aujourd’hui soit une chose unique. Pour cela, il fallait d’abord que mon maître me prenne dans ses bras. Je devais tout apprendre jusqu’à ce moment-là pour savoir ce qui allait suivre. Je devais me battre pour que ce jour arrive. J’avais l’impression que le pendentif rouge qui pendait sur ma poitrine me soutenait dans cette démarche.

 

 ◆ ◆

Deux jours plus tard, nous avions quitté Diospyro, une ville désormais bien ancrée dans mes souvenirs. Finalement, nous n’avions jamais su pourquoi Fukatsu Aketora et Thaddeus étaient là. Nous n’avions pas eu l’occasion de leur reparler. Thaddeus nous avait dit : « Si le destin le permet, nous nous reverrons. » Peut-être que cela signifiait qu’il n’y avait pas de destin entre nous. C’est ce que je croyais, en tout cas.

Quelques jours plus tard, cependant, ma perception allait changer. À partir de ce moment-là, nos chemins étaient destinés à se croiser. Notre première rencontre avait été une coïncidence, mais dans un certain sens, elle était inévitable. Avant que cela ne se produise, cependant, nous devions faire une autre rencontre inévitable.

C’était imprévisible… Enfin, pas vraiment. Nous avions été prévenus. Mais avec tout ce qui s’était passé depuis, nous avions simplement oublié. Non pas que s’en souvenir aurait changé quelque chose. Nous n’avions jamais pensé que l’avertissement impliquerait une telle chose, et nous n’aurions jamais pu imaginer que les choses se termineraient comme elles l’avaient fait.

Nous avions quitté la ville pour rejoindre les autres, ignorant totalement ce qui nous attendait.

***

Chapitre 10 : La soirée du renard et du loup, partie 1 ~ Point de vue d’Ayame ~

Je vais protéger tout le monde ! En pensant cela, je m’étais enfuie au milieu de la nuit. Suivant le clair de lune, j’avais couru à travers les nombreux buissons qui recouvraient la montagne.

Normalement, c’était l’heure de se coucher, mais j’avais déjà bien dormi plus tôt en étant sur le ventre de Gerbera. Tout était prêt. Je n’étais pas du tout fatiguée. Désolée, c’était un peu un mensonge. J’étais un peu fatiguée. Mais j’avais beaucoup d’énergie. Mon plan était parfait.

La raison pour laquelle je me faufilais dans la nuit était d’exposer les plans d’un certain méchant. Je reniflais l’air pour suivre ma proie. J’étais toute seule dans l’obscurité, mais ce n’était pas du tout effrayant. Désolée, c’était un autre mensonge.

Mon ennemi était énorme et terrifiant. Je veux dire, elle était énorme et avait deux têtes. Quand je l’avais vue l’autre jour, il y avait aussi toutes ces choses rampantes et frétillantes. C’était effrayant. Rien que de m’en souvenir, j’en tremblais.

Pourtant, je ne pouvais pas me cacher dans la peur. Je devais faire de mon mieux pour protéger tout le monde. J’étais la seule à pouvoir le faire. Mon maître n’était pas vraiment en garde contre elle. Lily et Gerbera avaient imité son comportement.

Allez ! Elle est dangereuse ! Elle fait peur ! J’avais laissé échapper un soupir indigné. Je le savais. Je me souvenais de la première fois que nous l’avions rencontrée. C’était à l’époque où je me cachais dans le ventre de Lily pour qu’on puisse aller dans un endroit ou un autre. Une tonne de monstres avaient attaqué, et je ne savais pas vraiment ce qui se passait, mais c’était un grand désastre. Et puis elle était arrivée.

Au moment où j’avais entendu un grognement, les personnes en métal étaient tombées sur le sol. J’avais essayé de protéger Kei, comme mon maître me l’avait demandé, mais je m’étais tout de suite fait gifler par une patte avant. Lily m’avait soignée, mais la douleur m’avait crispé la queue et les oreilles pendant un moment.

Elle est dangereuse ! J’étais la seule à le savoir. J’étais la seule à pouvoir protéger tout le monde. Cette pensée avait brûlé mon cœur. Je m’étais encouragée, en supprimant la terreur et les tremblements, et j’avais continué à courir dans la montagne.

Chaque nuit, elle s’égarait quelque part toute seule pour faire quelque chose. Elle ne préparait vraiment rien de bon. Je n’avais aucune idée de ce que c’était exactement, mais elle préparait manifestement une sorte de mal impensable. Je devais la démasquer.

Elle est proche… J’y suis presque. Je m’étais soigneusement faufilée à travers un buisson. Mon petit corps était idéal dans ces moments-là. C’était aussi pratique pour les caresses. Mon maître ne pourrait pas me transporter si je grossissais.

Attends. Non. Stop. Je dois me concentrer. D’accord ! Je m’assurai de ne pas me révéler par mon odeur et jetai un coup d’œil à la scène de l’autre côté du buisson. Et juste là se trouvait ma proie, la silhouette ensanglantée du méchant loup.

Un énorme monstre gisait sur le sol, le museau du loup fouillant dans son ventre. Je pouvais entendre le bruit des os qui se brisaient et des muscles qui se déchiraient. C’était si choquant que mon esprit s’était éteint. Je n’aurais probablement pas dû faire ça.

« Qui est là ? »

Une des têtes du loup s’était relevée et s’était tournée dans ma direction, entraînant des entrailles avec elle. La viande avait giclé, mouillant le sol de sang noir. J’avais haleté de peur, mon souffle étant aussi chaud que les flammes de l’enfer, tandis que l’odeur de la mort me submergeait.

Six yeux brûlants me fixaient. Je les avais tous rencontrés… et j’avais compris que c’était ici que j’allais mourir.

« Tu es… »

Elle avait essayé de dire quelque chose, mais je n’avais rien entendu. J’avais seulement entendu des bruits à mes pieds, et ensuite toutes mes forces avaient quitté mon corps.

« Kuu… »

Tout était devenu noir.

 

 ◆ ◆

J’avais l’impression d’avoir fait un mauvais rêve. J’avais ouvert les yeux, et j’avais immédiatement réalisé que quelque chose n’allait pas. Je ne pouvais pas sentir les autres personnes à proximité. Quelque chose s’était-il produit ? J’avais essayé de me souvenir, quand une voix m’avait soudainement appelée.

« Tu es réveillée. »

Elle était juste à côté de moi — le loup gris à deux têtes, Berta. J’avais glapi, manquant de m’évanouir une seconde fois. Une tête de loup géante était assez proche pour me dévorer à la moindre extension du cou.

Effrayant ! Tellement, tellement effrayant ! Ma queue s’était enroulée entre mes pattes. J’avais échoué. Je ne pouvais pas la battre toute seule. Je savais que je devais rester invisible. J’allais mourir maintenant. Elle allait me manger. Si je suis mangée, je ne pourrais plus voir personne. Je ne voulais pas ça.

Maître… Gerbera… J’avais laissé échapper un gémissement en voyant leurs deux visages me revenir à l’esprit, mais ils n’étaient pas là avec moi. Je me sens seule… J’ai peur…

« Si tu es debout, alors retournes-y. »

Berta avait dit quelque chose en me regardant trembler sur le sol.

Je vais être mangée… Nooon… Attends. Quoi ?

« Vas-y. Cette grosse araignée va encore s’inquiéter si elle le remarque. »

« Hein… ? » J’avais marmonné. Avais-je mal entendu ? « Ne vas-tu pas me tuer ? »

« Pourquoi diable voudrais-je tuer des individus comme toi ? »

Uuuh ? Hm ? C’est différent de ce que j’attendais ?

« Pourquoi pas ? » avais-je demandé.

« Je viens de te le dire. Je n’ai aucune raison de le faire. »

Hmm ? J’avais penché la tête et Berta m’avait regardée d’un air exaspéré.

« Pourquoi as-tu fait tout ce chemin pour me poursuivre si tu as si peur que tu t’es mouillée ? »

« J-Je n’ai pas fait pipi ! »

Quelle grossièreté ! J’avais commencé à grogner en signe de défi. Berta ne semblait pas vraiment s’en soucier.

« Tu l’as fait. C’est la deuxième fois. Te souviens-tu de la première fois ? Après la bataille contre la Bête folle, je suis sorti pour vous rencontrer tous, et tu as glapi, tu t’es mouillée et tu t’es évanouie. »

« T-T-T-Tu as tort ! »

Pourquoi dire une telle chose ? J’ai finalement, ENFIN ! OUBLIÉ ! À cause de cela, tous mes souvenirs de l’époque avaient disparu. Le matin venu, je m’étais retrouvée allongée dans les bras de Kei, avec Lily et Gerbera à proximité. C’était une terrible défaite, alors j’avais essayé de l’effacer de mon esprit. Et pourtant ! Et pourtant… ! Hnnnngh ! Je m’étais levée d’un bond et j’avais fixé Berta.

« Plus important encore ! Tu t’es faufilé dehors la nuit et tu as fait quelque chose ! Tu ne peux pas changer de sujet sur moi ! »

« C’est toi qui essaies de changer ce foutu sujet…, » répondit Berta, exaspérée comme jamais et tournant la tête. « Peu importe. J’allais juste chercher à manger. »

Elle n’avait pas l’air de paniquer. C’était comme si elle disait simplement la vérité.

« À manger… ? »

Je m’étais tournée pour regarder dans la même direction, repérant le monstre mort à moitié mangé. Je n’avais pas réalisé à cause du choc de tout à l’heure. C’est un type de monstre que nous avions commencé à voir une fois que nous étions entrés dans ces montagnes. Si je me souviens bien…

« Cette chose que mon maître appelle une petite salamandre ? »

« Hmm. En as-tu déjà vu une ? »

« Mhm. Gerbera lui a donné un grand coup avec ses fils, et il a fait vlan ! »

« Tu fais paraître ça tellement simple. Ce n’est pas un monstre faible. Au moins, il est parmi les plus forts des montagnes de Kitrus. » Berta avait fait une pause pour secouer une de ses têtes. « Je suppose que du point de vue de cette araignée, tous les monstres des montagnes sont les mêmes. »

Hm ? Est-ce qu’elle vient de faire l’éloge de Gerbera ? Elle l’a fait, non ? Eheh heh… Oui, Gerbera est incroyable. Eheh heh… Elle pouvait être un peu négligente, mais j’étais très fière qu’elle soit ma grande sœur. Berta était libre de l’encenser jusqu’à la lune.

« Ah, attends, » avais-je dit, reprenant soudainement mes esprits, « nous parlons de tes plans diaboliques ici ! »

Elle avait presque réussi à me tromper là.

« Et je te dis qu’il n’y a rien de ce genre. »

Tu ne peux pas me tromper ! lui dis-je en la regardant fixement. Berta avait rétréci ses yeux et m’avait regardée.

« Hmm, je vois. Je suppose que c’est de ma faute. »

« Hwuh ? A- Alors, tu fais vraiment quelque chose. »

« Non. Je pense à la façon dont je t’ai blessée lors d’une attaque-surprise. C’est normal que tu te méfies de moi. »

« Euh ? »

« Tout d’abord, je crois qu’il est approprié de te présenter des excuses concernant cet incident. Heureusement, les relations entre mon roi et le tien se sont apaisées, pour l’instant. Il est préférable de s’excuser quand on en a l’occasion. »

La queue de Berta s’agita négligemment dans l’air.

« Je suis désolée de t’avoir fait du mal, » continua-t-elle. « C’était inévitable, vu que c’était un ordre de mon roi, mais je m’en veux. S’il te plaît, pardonne-moi. »

Est-ce qu’elle vient vraiment de s’excuser ? S’est-elle vraiment sentie désolée ? Je continuais à la regarder fixement, mais elle ne faisait rien d’autre que de me retourner lentement le regard.

Hmm… C’est vrai ? En fait, elle a l’air un peu seule ? Elle n’aime pas blesser les gens ? Elle n’aime pas être détestée ? C’est ce que j’avais ressenti. Alors, que devais-je faire ? Que ferait mon maître ?

Mrrgh ! Je déteste penser à des choses compliquées !

« Si tu es vraiment désolée, je te pardonnerai, » avais-je dit.

« Merci. »

Elle l’avait dit doucement, mais elle avait l’air un peu heureuse. J’avais aussi remué ma queue, moi aussi un peu heureuse.

« Mais dans ce cas, qu’est-ce que tu fais ici ? » avais-je demandé.

« Je te l’ai déjà dit. Je suis en train de prendre un repas. Je chasse, pour ainsi dire. »

« Je peux le dire en regardant ça, » j’avais jeté un rapide coup d’œil à la petite salamandre morte. « Mais tu disparais chaque nuit, n’est-ce pas ? Chasses-tu toujours la nuit ? »

Berta était un mauvais monstre. C’est ce que j’avais pensé, mais la raison pour laquelle j’avais douté d’elle était que sa disparition nocturne était suspecte. Je ne doutais plus d’elle, mais j’avais encore des questions.

« As-tu si faim que ça ? Le dîner ne suffit-il pas ? »

« Ce n’est pas ça. »

« Alors pourquoi ? »

Berta avait un peu réfléchi, puis elle avait dit. « Pour devenir plus forte. » C’était une réponse simple, et elle l’avait dit avec sérieux. « Mon roi a découvert la loi qui consiste à tuer les êtres qui possèdent du mana et à les manger pour obtenir encore plus de mana… C’est le chemin le plus rapide pour devenir plus fort. En tant que pion de mon roi, je dois devenir plus forte. »

« Est-ce pour ça que tu vas à la chasse tous les soirs ? »

« C’est exact. »

Je vois. Elle est toujours avec nous pendant la journée, donc elle ne peut pas aller à la chasse, hein ?

« Ai-je dissipé tes soupçons ? » avait-elle demandé.

« Oui. »

« C’est bien, » avait-elle dit. Le soulagement dans sa voix ne ressemblait pas à un mensonge. « Alors, retournes-y. Cette inquiétante araignée va être furieuse à ce rythme. »

« Hm. D’accord. »

« Oh, attends un moment. Je vais te ramener. C’est très dangereux de rester seul. »

Berta s’était levée du sol.

Mrrgh. Me traitait-elle comme un enfant ? Tout le monde me traitait comme une enfant. Même Gerbera. Je peux aussi me battre ! Uhhh… cependant, je suis la plus faible des serviteurs de mon maître…

« Laisse-moi une minute pour nettoyer tout ça, » dit Berta, en retournant vers le monstre mort.

« Attends. » Je l’avais appelée pour qu’elle s’arrête avant de se remettre au travail. « Hé, Berta ? Puis-je aussi en manger ? »

« Hm ? As-tu faim ? »

« Hmm, pas vraiment ? »

« Alors, pourquoi ? »

« Je pense que je veux aussi devenir plus forte. Manger des monstres me rendra plus forte, non ? Je veux aussi être utile à mon maître. »

« Je vois. » On aurait dit que les yeux de Berta étaient devenus un peu plus doux. « Très bien. Fais comme tu veux. »

« Vraiment !? »

Hourra ! J’avais remué ma grande queue duveteuse en signe de remerciement. Peut-être que Berta était un monstre vraiment gentil. Je ne suis pas attirée par la nourriture, d’accord !?

Je veux dire, même si elle me traitait comme une enfant, elle disait qu’elle me reprendrait comme si c’était la chose la plus évidente à faire. Maintenant que j’y pense, j’avais entendu dire que Berta obéissait absolument à son maître. Peut-être qu’il y avait des moments où elle devait faire des choses qu’elle ne voulait pas faire. Dans ce cas, peut-être que la Berta qui m’avait blessée n’était pas la vraie Berta.

Alors, comment était la vraie Berta ? Ma curiosité à son sujet avait commencé à faire des bulles. J’étais un monstre de curiosité par nature. Si je voyais quelque chose de pétillant devant moi, j’étais du genre à sauter dedans avant de penser à autre chose. J’avais totalement peur d’elle avant ça, alors je ne lui avais jamais parlé. Maintenant que je l’avais fait, j’étais curieuse.

« Hé, Berta ? »

« Quoi ? » Berta avait répondu sans ménagement, mais je ne la trouvais plus effrayante. « Va manger. »

On avait continué à parler tout en mangeant le monstre mort. « Berta, tu es devenue plus forte en tuant et en mangeant, non ? »

« Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Est-ce ainsi que tu as obtenu cette forme que j’ai vue ? »

Je pensais qu’elle allait détourner ma question, mais Berta avait tourné une de ses têtes vers moi.

« Alors tu m’as vue. »

« Eh bien, je suppose que oui ? »

J’avais penché la tête sur le côté. Par « cette forme », je voulais dire ce que j’avais vu juste avant de perdre conscience. Malgré l’évanouissement, mes souvenirs étaient encore intacts. Lorsque j’avais aperçu Berta à travers les buissons, six yeux s’étaient tournés vers moi. Berta n’avait pas qu’une seule tête de loup, ce qui signifie qu’elle n’avait pas que deux yeux. Mais avec deux têtes, elle aurait dû avoir quatre yeux. Dans ce cas, les deux autres étaient…

« Si tu l’as déjà vu, je suppose que ce n’est pas la peine de rester ainsi plus longtemps, » murmura Berta.

Son dos avait fait un bruit étonnant. Une sorte de tige blanche couverte d’une substance gluante avait traversé sa fourrure. Tendue vers le ciel, elle ressemblait à un bras humain.

***

Chapitre 11 : La soirée du renard et du loup, partie 2 ~ Point de vue d’Ayame ~

Partie 1

Des fluides corporels avaient giclé. Quelque chose ressemblant à un bras humain avait jailli du dos de Berta. Je m’étais demandé si ça faisait mal, car un autre bras avait jailli. Les deux bras avaient saisi les poils gris du loup, et s’élevant avec un plouf comme s’il brisait la surface d’un lac, il y avait… le haut du corps d’une fille humaine.

« C’est vraiment plus confortable comme ça, » murmura-t-elle en se tournant vers moi.

J’avais vu cette forme plus tôt. Si je ne l’avais pas vue, j’aurais été complètement abasourdie. Jusqu’à présent, Berta était un grand loup avec des tentacules sortant de sa taille. Maintenant, elle ressemblait plus à une fille qui s’était transformée en monstre avec le bas du corps d’un loup avec des tentacules.

Je suppose qu’elle est un peu comme Gerbera, non ? Cela m’avait donné un peu d’affection pour elle. Ses cheveux noirs mouillés pendaient librement sur son visage sans expression alors qu’elle tournait vers moi ses yeux. Ses pupilles claires et bronzées étaient vraiment jolies. Elle avait probablement à peu près le même âge que mon maître et les autres. Les traits de son visage ressemblaient plus aux siens qu’à ceux de Shiran. Cela la rendait un peu différente de Gerbera.

« Est-ce ta vraie forme, Berta ? » avais-je demandé.

« Oui. Mon roi m’appelle Scylla, » répondit-elle calmement.

Malgré son comportement, mes moustaches picotaient. Quelque chose en moi avait très peur. Elle n’était probablement pas au niveau de Gerbera ou de Lily, mais je pouvais deviner qu’elle était très forte. Si je l’avais vue comme ça avant de lui parler aujourd’hui, j’aurais probablement frissonné sans arrêt. Mais maintenant, je savais que Berta n’était pas un mauvais monstre, alors il n’y avait pas de raison d’avoir peur.

« Tu es plus courageuse que je ne le pensais », avait dit Berta avec une légère admiration alors que je la regardais fixement.

« Que veux-tu dire ? »

« Ce n’est pas grave si tu ne comprends pas. » Elle secoua légèrement la tête, ses tentacules gluants s’agitant et accompagnant ses mouvements. « Plus important encore, tu as arrêté de manger. »

Ah, oui. C’est l’heure du repas.

« Il y a un peu de brume dans l’air. Ce n’est pas un obstacle pour nous étant donné nos nez, mais c’est quand même dangereux si notre vision est gênée. Mange vite. »

Comme Berta l’avait dit, un flou blanc commençait à couvrir notre environnement. Il y avait beaucoup de nuages dans le ciel aujourd’hui. Je pouvais revenir en utilisant mon nez, mais c’était un peu risqué si je ne pouvais pas voir. J’avais décidé de me concentrer sur le repas en face de moi.

Les têtes de loup de Berta s’étaient également remises à manger. De temps en temps, elle utilisait ses mains d’humaine pour retirer quelques peaux inutiles. Comme c’est bien… Ça a l’air super pratique. Les pattes n’étaient pas vraiment utiles pour ce genre de choses.

« Hé, hé, Berta ? »

Une fois que j’avais commencé à me sentir rassasiée, j’avais recommencé à parler à Berta. Elle avait l’air de pouvoir encore manger beaucoup, vu qu’elle était beaucoup plus grosse que moi, alors j’avais pensé que nous pourrions discuter en attendant.

« Tu as mangé beaucoup pour devenir plus fort, non ? »

« Oui. Ce n’est pas tout, bien sûr. »

« As-tu acquis cette forme en devenant plus forte ? »

« Oui. »

« Alors ! Alors ! Puis-je aussi devenir comme toi aussi !? »

Sa tête de loup était restée concentrée sur le repas tandis que sa moitié humaine s’était tournée vers moi.

« Veux-tu devenir comme moi ? » avait-elle demandé.

« Ouaip. Je pensais que ça rendrait peut-être mon maître heureux. »

« Heureux… ? » dit Berta en plissant les yeux. « Pourquoi ton roi serait-il heureux si tu devenais comme moi ? »

« Hmm… Si nous devenons de jolies filles, notre maître sera heureux, apparemment. »

J’avais entendu cela il y a quelque temps, alors que je me reposais sur les genoux de Mana et que je l’écoutais parler avec Rose. J’étais à moitié endormie à ce moment-là, alors je ne connaissais pas vraiment tous les détails, mais je me souvenais de quelque chose de ce genre.

« Hmm… Alors ce genre de roi existe, » murmura Berta.

Je pouvais à peine l’entendre. Elle devait se parler à elle-même. J’avais penché la tête avec curiosité. D’après la façon dont sa queue s’affaissait et se balançait, on aurait dit qu’elle était envieuse, mais cela n’avait duré qu’une seconde.

« Ton roi n’est-il pas un humain ? S’accommoderait-il d’une forme aussi maudite que la mienne ? »

« Il le ferait. »

J’étais sûre que ça ne le dérangerait pas. Ce serait bien si je pouvais devenir comme Lily, mais me transformer en quelque chose comme Berta ferait aussi l’affaire. Je savais que Gerbera, qui avait aussi la moitié inférieure d’un monstre, s’entendait bien avec notre maître ces derniers temps.

« Je suis sûre que ça le surprendrait. Est-ce que c’est possible que je puisse faire ça ? »

« Hmm. Je me demande… »

Berta avait sombré dans la réflexion. Elle avait gémi alors que son expression était sombre. En la voyant comme ça, j’avais trouvé que même si elle ressemblait à Gerbera, sa personnalité était plus proche de celle de Rose. Elle était super sérieuse. Je pouvais dire en la regardant qu’elle y réfléchissait beaucoup. Cependant, ses têtes de loup continuaient à manger.

Le bruit de la mastication avait duré un moment, jusqu’à ce qu’elle dise. « Il serait inutile de faire exactement la même chose que moi. Cette forme est caractéristique pour moi. »

« Oh… »

Quelle tristesse ! Les choses n’allaient pas se passer comme je l’avais espérée.

« Mais… J’ai combattu de nombreux monstres et mangé leurs cadavres. Parmi eux, il y avait ceux qui pouvaient transformer leur corps en utilisant la magie de mirage pour falsifier leurs formes. »

« Comme un sosie ? »

« Oui. Ce serait un exemple. La capacité caractéristique d’un sosie est puissante et permet de se transformer en tout ce qu’il a vu. Il existe également des monstres qui ne peuvent se transformer qu’en une seule forme spécifique. Par exemple, ceux qui transforment une petite partie de leur corps en métal, se font pousser des ailes ou modifient leur structure squelettique. Parmi eux, il y a ceux qui peuvent prendre une forme humaine. »

« Une forme spécifique… Est-ce comme ça que fonctionne ta capacité ? »

« C’est le cas. Transformer son corps est une spécialité assez unique. Sinon… C’est vrai. J’ai vu d’autres monstres de type renard utiliser la magie de l’illusion. Avec de l’entraînement, il est possible que tu puisses faire quelque chose de similaire à ta manière. »

« Vraiment !? »

« Oui. Que dirais-tu de faire un essai ? »

« Ouais ! »

J’avais sauté en l’air et remué ma queue duveteuse. C’était excitant ! Mon maître serait-il choqué si je ressemblais à un humain ?

D’accord ! Il est temps de tout donner !

 

 ◆ ◆

« Tu n’as aucun talent… »

« Noooonnn ! »

Après avoir terminé son repas, Berta m’avait donné son avis. Mes oreilles et ma queue s’étaient dressées sous le choc.

« Ça veut-il dire que je ne pourrais pas l’utiliser du tout ? »

« Non. Ton mana se déplace un peu. Il ne semble pas que tu sois née sans en avoir la capacité. »

Berta avait continué à m’aider pendant qu’elle mangeait. Elle m’avait parlé des capacités de toutes sortes de monstres qu’elle avait combattus, et elle m’avait regardée essayer les choses qu’elle avait mentionnées et m’avait apprises si j’avais un don pour cela. Nous avions exclu les options qui semblaient sans espoir, pour arriver à la conclusion que je pourrais peut-être transformer une partie de mon corps. C’est alors qu’elle m’avait dit que je n’avais aucun talent.

« Ce n’est pas que tu sois incapable de te transformer, » continua-t-elle. « Ton flux de mana est juste trop faible. »

« Donc je n’ai aucun talent ? Oh, bien…, » cela avait du sens. Ma queue était toute frétillante maintenant. « Je n’ai aucun talent. Je suis la plus faible des serviteurs de mon maître… »

« Il n’y a pas lieu de déprimer, » dit Berta, d’une voix un peu plus douce qu’auparavant. « D’ailleurs, la faiblesse n’a rien à voir avec tout ça. C’est dommage que tu n’aies pas pu atteindre ton but, mais ne te méprends pas. Nous n’avons parlé que de transformation et d’illusion. Ce n’est pas forcément le cas pour tout le reste. »

« Tu le penses ? Mais je suis vraiment faible, tu sais ? »

« Pour l’instant, tu l’es. Tu n’as pas vécu très longtemps, donc tu n’as pas encore assez de mana. Avec le temps, tu vas sûrement gagner en puissance et surpasser cette satanée araignée. »

« Hwuh !? »

Ma queue tombante s’était soudainement redressée.

***

Partie 2

« Pourquoi es-tu si surprise ? Par exemple, le pouvoir de mon roi est de faire des autres ses pions. Mais il ne peut pas soumettre ce qui a un esprit trop fort pour qu’il le domine. Ce ne sont que des exceptions. En d’autres termes, il peut dominer toute chose sans volonté, quelle que soit sa force. »

Berta s’était arrêtée là, comme si elle se souvenait de quelque chose.

« Le pouvoir de ton roi est à l’opposé. Sa capacité fait de tout monstre assez fort pour posséder une volonté son serviteur. Tu as rempli cette condition malgré ton jeune âge, cela signifie donc que tu dois avoir l’étoffe d’un puissant monstre. »

« U-Uhhh ? »

Ça devenait trop compliqué pour moi. Je voyais bien qu’elle me félicitait, mais je ne comprenais pas la plupart de ce qu’elle disait.

« Malgré ton jeune âge, tu as déjà vu un bon nombre de carnages. Être liée à ton roi à ton âge a probablement eu une influence positive sur ta croissance. S’il y a quelqu’un qui peut surpasser ton potentiel… Je suppose que ce parasite dans le bras de ton roi est à peu près le seul. »

« Asarina ? »

« Oui. C’est à cause du sol unique dans lequel ce parasite se développe. Cette chose est fondamentalement un être miraculeux. »

Oh. Je ne comprends pas, mais Asarina est incroyable… Eh bien, mon cerveau était pratiquement à bout de souffle à ce stade. Berta n’avait aucun moyen de le savoir, bien sûr, alors elle avait continué à expliquer.

« Cependant, un tel lieu de naissance a aussi ses limites. Tant que le sol est faible, le talent du parasite ne s’épanouira pas. Les monstres de type plante ont généralement une aptitude pour la magie de charme, donc il pourrait être possible pour… Hm ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Prise de vertige, j’avais gémi, et Berta avait arrêté son explication.

« Oh, désolée. Était-ce un peu trop compliqué pour toi ? » demanda Berta avec un sourire crispé. « Dans tous les cas, je suis sûre que tu seras un jour capable de te transformer. Même si tu ne te spécialises pas dans ce domaine, tu as le potentiel pour au moins l’accomplir. »

Le ton qu’elle avait employé à la fin était celui d’un professeur. Honnêtement, je n’avais toujours pas compris la moitié de ce qu’elle disait. En bref, je devais juste faire de mon mieux, non ? Dans ce cas, c’était simple.

« D’accord, » avais-je déclaré, en levant mon museau en l’air.

« Je suis sûre que cela prendra beaucoup de temps, mais continue à t’efforcer de t’améliorer. »

« Je me demande si mon maître sera heureux. »

Les pensées sur l’avenir avaient fait danser mon cœur. Le simple fait de l’imaginer me faisait remuer la queue. Le futur avait l’air si amusant. Je ne pouvais pas attendre ! Berta avait dit que cela prendrait beaucoup de temps, mais combien de temps voulait-elle dire exactement ? Un jour ? Deux jours ? Peut-être trois ? Hmm… Qu’y a-t-il après trois ? Je ne sais pas vraiment. Peut-être que ça prendrait encore plus de temps ?

« Hé, hé, Berta ? Puis-je te demander quelque chose ? Hein ? Berta ? »

Je l’avais appelée joyeusement, puis j’avais penché la tête. Berta semblait dans les vapes. Elle ne réagissait pas à ma voix.

Remarquant la curiosité dans mes yeux, elle avait finalement cligné des yeux et repris ses esprits.

« Oh, désolé. Il semble que je me sois assoupi. »

« Quelque chose ne va pas ? » avais-je demandé d’un ton inquiet.

« Non. Ce n’est rien de grave, » répondit Berta en secouant sa tête d’humaine. « Je trouve juste ton roi mystérieux de se réjouir de vous voir tous vous transformer en humains. »

« Mystérieux ? Pourquoi ? »

J’avais laissé échapper un gémissement curieux, et Berta avait répondu avec diligence, malgré sa propre hésitation.

« Mon roi n’aime pas cette forme…, » dit-elle en mettant la main sur sa poitrine nue. « Je pensais que c’était normal. C’est pourquoi j’ai été surprise quand tu as dit que ton roi était différent. »

« Hmm ? Est-ce que c’est… ? C’est bizarre. »

J’avais à nouveau hoché la tête. Berta était, en fait, plutôt effrayante, mais je ne pensais pas que c’était une raison pour la détester. Chacun son truc… Je suppose…

« Uhh… Donc… tu as caché cette forme parce que… »

« Oui. C’était un ordre de mon roi, » dit Berta en hochant la tête. « Cela dit, moi-même, je n’aime pas vraiment cette forme. »

« Hein ? Vraiment ? »

Je l’avais regardée avec étonnement. Berta avait dit qu’elle avait obtenu cette forme en devenant plus forte. Si c’était le cas, elle aurait dû en être fière. Mais ce n’était pas le cas, apparemment.

« Chaque fois que je me regarde comme ça, je me souviens de mon passé, » dit Berta, en baissant les yeux sur sa main à cinq doigts. Il y avait quelque chose qui se balançait au fond de ses yeux bronzés. « C’est un souvenir d’échec, avant que je n’aie un nom. Je suis remplie de regrets chaque fois que je m’en souviens. Pourquoi n’ai-je pas pu être Anton ? Pourquoi suis-je Berta ? Je sais que le regretter ne veut rien dire à ce stade… »

Elle parlait surtout à elle-même. Je n’avais pas compris grand-chose. Anton était Anton. Berta était Berta. Berta ne pouvait pas être Anton, et Anton ne pouvait pas être Berta. Ça n’avait pas de sens de regretter ça.

Ses paroles avaient-elles un autre sens ? Je ne savais même pas pourquoi elle se rappelait le passé quand elle se voyait ainsi. Je ne savais rien. Je ne pouvais rien dire pour la réconforter.

Tout ce que je savais, c’est que quand je l’écoutais… j’avais mal à la poitrine. Berta regrettait vraiment quelque chose du fond de son cœur. Ça, même moi je pouvais le comprendre. Je ne pouvais pas la consoler à cause de mon ignorance, mais j’avais quand même mal. Alors je n’avais rien dit. Je m’étais approchée d’une des têtes de loup baissées de Berta et j’avais léché son museau.

Berta s’était levée en sursaut. Ses deux têtes de loup et sa tête humaine au-dessus d’elles m’avaient regardée en état de choc. J’avais dû la faire sursauter, vu que tous ses yeux étaient grands ouverts.

H-Hein ? L’ai-je mise en colère ? Je voulais la réconforter… L’ai-je mal fait ? Awawawawa… J’avais commencé à paniquer, mais l’expression humaine de Berta avait changé. Ses lèvres s’étaient légèrement courbées. Sa queue s’était mise à remuer. Ses tentacules s’agitèrent. L’atmosphère autour d’elle avait complètement changé.

« Merci… » déclara Berta, en brossant ses cheveux noirs en arrière pour essayer de feindre la sérénité. « Je suis également désolée de t’avoir fait écouter mes plaintes insignifiantes. C’est la première fois que je révèle cette forme à quelqu’un d’autre que mon roi et ses serviteurs, alors j’étais un peu déstabilisée. »

Ouf. Merci mon Dieu. On dirait que Berta était revenue à la normale maintenant. Elle était brusque et avait l’air effrayante, mais maintenant je savais qu’elle était en fait bonne pour s’occuper des autres. Je n’aimais pas la voir souffrir.

« Nous devrions y aller bientôt, » dit-elle. « Le brouillard s’épaissit. »

« D’accord. »

J’avais acquiescé docilement, soulagée de la voir redevenir normale, et je l’avais suivie quand elle était partie.

Oh… J’ai oublié de dire quelque chose.

« Attends. » Je l’avais appelée alors qu’une brume commençait à recouvrir complètement la montagne.

« Quoi ? »

« J’aime cette forme que tu as. »

La moitié humaine de Berta s’était retournée, ses yeux bronzés ressemblant à des soucoupes.

« Je trouve ça, tu sais, super cool, » avais-je ajouté.

« Je vois. »

Sa réponse avait été brève, mais la queue de Berta avait légèrement remué. Alors j’avais aussi remué ma queue. Notre petit échange était amusant. Toutes les deux, nous avions marché ensemble à travers la montagne brumeuse pour rejoindre tous les autres.

« Hé, hé, Berta ? »

« Quoi ? »

« Peux-tu m’aider à pratiquer la transformation plus tard ? »

« Tu demandes ça, mais tu espères juste avoir plus de nourriture, n’est-ce pas ? »

« Pas du tout ! Je serais cependant heureuse s’il y avait de la nourriture. »

« Alors, allons-nous chasser ensemble la prochaine fois ? Les renards souffleurs sont d’habiles chasseurs. Il y a peut-être des choses que je peux apprendre de toi. »

Alors que nous parlions, le brouillard autour de nous devenait de plus en plus épais. De plus en plus blanc. La brume nous enveloppait entièrement comme si elle nous tenait dans son étreinte. Je n’avais pas du tout remarqué dans quoi nous nous engagions.

***

Chapitre 12 : Mystifié

Trois jours s’étaient rapidement écoulés après notre départ de Diospyro. La nuit précédente, nous étions arrivés à l’entrée du chemin menant aux monts Kitrus. Aujourd’hui, nous avions emprunté le chemin lui-même et avions environ une demi-journée d’avance sur le programme.

Nous étions en tête parce que nous avions accéléré le rythme ces deux derniers jours. Il y avait une raison pour laquelle nous devions le faire. Berta, avec qui nous avions prévu de nous retrouver hier, n’était nulle part. Y avait-il une sorte de problème qui se préparait ?

Inquiet, j’avais accéléré le rythme, mais pas au point de pousser Katou et Kei à bout. Cependant, après être entrés dans les montagnes, nous n’avions eu d’autre choix que de ralentir. Un épais brouillard dominait tout le chemin.

« Je peux à peine voir devant nous, » marmonna Katou en montant sur le dos de Rose. Notre visibilité était si mauvaise que nous avions décidé qu’il serait plus sûr que Katou le fasse au cas où nous rencontrerions un monstre. « C’est comme si nous marchions dans les nuages. »

« Ouais. On nous avait déjà prévenus, mais je ne pensais pas que ce serait aussi grave… » J’avais gémi amèrement.

Lorsque nous étions encore en territoire impérial, avant de pénétrer dans les montagnes de Kitrus, un chef de village nous avait mis en garde contre une brume spéciale qui recouvrait de temps en temps le chemin de montagne. Les routes ici étaient dans un état de délabrement total, alors avec une brume aussi épaisse qui obscurcissait notre vision, un mauvais pas pouvait nous faire dévaler une pente. Nous devions être très prudents.

Le brouillard devenait de plus en plus dense au fur et à mesure que nous avancions. Ce n’était pas vraiment un problème tant que nous étions prudents, mais je commençais à m’impatienter à cause de la situation actuelle. Je voulais confirmer que l’autre groupe était en sécurité dès que possible.

« Senpai, on devrait faire une petite pause ? » dit Katou, incapable de voir mon irritation croissante. « Nous marchons depuis ce matin. Je suis sûre que tout le monde est fatigué. Et puis… Je pense que ce serait mieux si tu te détendais un peu. »

J’avais réfléchi un moment, puis j’avais accepté. Je savais que je commençais à paniquer, alors j’avais obéi à sa suggestion. J’avais trouvé une zone légèrement dégagée, je m’étais assis et j’avais sorti une gourde de la pochette qui pendait à ma taille.

Rose avait fabriqué les deux objets en utilisant ses pierres runiques d’imitation. La pochette était une réplique d’un sac magique, avec une capacité de transport accrue et des effets de conservation. Récemment, Rose avait réussi à reproduire des pierres runiques d’eau, de feu, de terre et de vent. La gourde utilisait une imitation de pierre runique pour créer de l’eau en y versant du mana.

Après que nous nous soyons tous reposés, et que ceux d’entre nous qui en avaient besoin aient étanché leur soif et mâché de la viande séchée, Kei avait soudainement pris la parole.

« Quelque chose ne va pas, Shiran ? »

Les sourcils de Shiran étaient froncés, et elle semblait profondément réfléchie.

« J’ai l’impression d’oublier quelque chose…, » dit Shiran.

« Oublier quoi ? »

« J’ai déjà entendu parler de cette situation… »

L’œil bleu de Shiran s’était soudainement ouvert en grand. Elle s’était tournée vers l’esprit qui était toujours à ses côtés. Normalement, il flottait tranquillement, mais maintenant son corps en forme de boule tournait sur lui-même. L’atmosphère était soudainement devenue tendue.

« Un ennemi ? » avais-je demandé.

L’esprit pouvait détecter les ennemis. En le voyant réagir, nous avions tous pris nos armes, à l’exception de Shiran, qui était au courant de cette présence avant nous. À la place, elle avait levé son bras.

« Non… Ça ne semble pas être un ennemi. »

Elle avait désigné une ombre qui traversait le voile de brume. Le temps que nous nous tournions pour lui faire face, l’ombre était retournée d’où elle venait. À cause de l’épais brouillard, je n’avais vu que sa silhouette. Elle ressemblait à un animal à quatre pattes.

« Un chien… ? » avais-je tenté de deviner.

« Non, Takahiro. Ce n’était pas un chien, » dit Shiran. Comme elle avait remarqué la présence en premier, elle avait aussi eu le temps de l’identifier. « C’était Berta. »

« Quoi ? Vraiment !? »

Nous étions censés la retrouver hier, alors ma voix était devenue stridente à l’annonce de la nouvelle.

« Elle est probablement allée appeler les autres, » répondit Shiran avec un sourire soulagé. « Elle n’avait pas l’air d’être blessée. »

Nous avions immédiatement réalisé que Shiran avait raison. Alors que nous marchions vers l’endroit où Berta avait disparu, une autre présence s’était rapprochée de nous. Cette ombre était beaucoup plus petite et s’était précipitée vers moi. Nous avions tout de suite su que c’était notre mignonne petite renarde.

« Ayame ! »

« Kuu ! »

J’avais attrapé la renarde sauteuse dans mes bras.

« Ayame ! Vas-tu bien !? »

« Kuu ? »

Après l’avoir vue agiter ses pattes en l’air pour m’atteindre, je m’étais senti un peu mal à l’aise de l’élever à hauteur d’yeux et de l’inspecter du bout de son nez à l’extrémité de sa queue. Elle n’avait aucune blessure, et ne montrait aucun signe de stress. Ses jolis yeux étaient simplement remplis de la joie de me retrouver. Après avoir confirmé qu’elle allait bien, j’avais finalement serré son petit corps contre le mien.

« Bien… Donc il ne s’est rien passé. »

Je m’étais senti rassuré alors qu’Ayame me léchait la joue.

« Dieu merci, n’est-ce pas Senpai ? » déclara Katou avec un sourire, toujours sur le dos de Rose.

Je lui avais rendu son sourire. J’étais soulagé du fond de mon cœur.

« Ouais. Maintenant que nous sommes réunis, tout est… »

Je m’étais arrêté au milieu de la conversation et j’avais fait la grimace.

« Maître ? Est-ce que quelque chose ne va pas ? » demanda Rose avec curiosité.

« Quelqu’un d’autre a-t-il trouvé cette conversation étrange à l’instant ? » avais-je demandé, en me tournant vers elle.

« Que veux-tu dire ? »

« Je ne sais pas. Je ne peux pas vraiment le dire avec des mots… »

Quelque chose dans ma conversation avec Shiran semblait déplacé. Qu’est-ce que c’était ? J’avais cherché dans mon esprit pendant quelques secondes, mais je n’avais rien trouvé. Peut-être aurait-il été préférable de l’ignorer et de supposer que c’était mon imagination, mais je ne pouvais pas. C’était comme si quelque chose brouillait mes pensées, tout comme ce brouillard brouillait ma vision.

Ayant perçu ces sentiments par le biais du cheminement mental, Rose m’avait regardé placer une main sur ma tête. Puis elle avait répondu à ma question avec une expression digne.

« Je ne comprends pas vraiment, mais on dirait que quelque chose t’inquiète, » dit-elle en s’approchant de moi, Katou toujours sur son dos. « Tout va bien se passer. Même si je dois me débarrasser de ce corps, je te protégerai, Maître. »

C’était une déclaration sincère et puissante. Son expression était pleine de détermination, même si elle s’inquiétait pour moi.

« Rose… »

Je m’étais souvenu de la première fois où j’étais venu aux Terres forestières. Rose s’était tellement transformée par rapport à la première fois que je l’avais rencontrée, mais il y avait des parties d’elle qui n’avaient pas du tout changé. J’avais détendu mes muscles tendus et laissé échapper un petit soupir. Je devais rester calme si je voulais réfléchir à la situation. Il n’y avait pas de quoi paniquer. J’avais ces filles fiables avec moi, après tout.

« Merci, » avais-je dit.

J’avais repris mes esprits, et Rose m’avait fait un sourire radieux. J’avais sursauté et je l’avais regardée fixement pendant un moment.

« Maître… ? »

Rose avait cligné des yeux, l’air complètement confus. Elle avait échangé un regard avec Katou. J’avais froncé les sourcils une fois de plus. C’était vraiment comme je l’avais pensé.

« Hey, Rose. D’une certaine manière, il semblerait que… »

« Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« N’es-tu pas… plus mignonne que d’habitude aujourd’hui ? »

Rose avait titubé, et Katou avait crié.

« Ah !? D-Désolée, Mana. »

Rose avait perdu l’équilibre et avait failli tomber. Elle s’était immédiatement penchée en avant et avait appuyé ses mains contre le sol pour se stabiliser. Le seul dommage était la saleté sur ses gants après avoir touché le sol humide.

« M-Maître… ? » dit Rose d’une voix tremblante.

« Oh, hum, désolé pour ça. »

J’avais été moi-même quelque peu secoué. Sérieusement… Qu’est-ce que j’étais en train de dire ?

« Que faites-vous tous les deux… ? » demanda Shiran. Elle avait aussi l’air étonnée.

Rose s’était relevée, et Ayame avait levé les yeux vers moi et avait gloussé gentiment. Juste à ce moment-là, une voix traversa le brouillard.

« Mon Dieu. S’enfuir toute seule comme ça… »

Je m’étais retourné quand une nouvelle silhouette était apparue. C’était une fille d’un blanc pur, sa forme se fondant pratiquement dans la brume blanche. Une fois qu’elle nous avait repérés, elle avait éclaté dans le plus pur des sourires.

« Oooh ! Mon Seigneur ! Et tous les autres aussi ! »

Ses beaux cheveux traînaient derrière elle alors qu’elle courait vers nous avec un léger bruit de pas. Tout comme Ayame, elle ne semblait pas être blessée. J’avais soupiré de soulagement, heureux de voir sa silhouette familière.

« Dieu merci, tu es saine et sauve, » avais-je dit.

« Hm ? Oh, c’est vrai. C’est bien que nous nous soyons réunis en toute sécurité. »

Gerbera n’avait aucune idée que nous étions inquiets pour elle. Elle m’avait regardé avec curiosité, mais elle avait décidé que cela n’avait pas d’importance et s’était concentrée sur la célébration de nos retrouvailles.

« Une dizaine de jours, comme prévue. Honnêtement, ça m’a paru assez long, » avait-elle déclaré.

« J’ai ressenti la même chose… Où est Lily ? » avais-je demandé.

« Elle t’attend avec les autres. »

« Je vois. C’est bien. »

J’étais sincèrement soulagé que tout le monde ait été confirmé sain et sauf.

« Hm. Alors, laissez-moi vous montrer le chemin. Suivez-moi. »

Gerbera avait commencé à marcher. Ayame s’était échappée de mes bras et avait couru devant elle.

« Ah ! Allons, Ayame ! Ne t’en va pas toute seule ! » Gerbera avait crié, mais Ayame l’avait ignorée. La petite renarde disparut dans le brouillard en un instant. « Bon sang… »

Gerbera avait soupiré devant le comportement enfantin d’Ayame. C’était un spectacle agréable. Après avoir été séparé d’elles pendant un court moment, je l’avais ressenti d’autant plus. Après avoir passé le dernier jour à m’inquiéter pour elles, cela avait guéri mon esprit épuisé… Enfin, c’était censé l’être. J’avais toujours l’impression que quelque chose n’était pas à sa place.

« Hé, Gerbera ? »

« Hm ? »

Gerbera s’était retournée. En voyant son corps grand et mince, j’avais essayé de dire quelque chose, mais je n’avais pas pu.

« Non… Laisse tomber. »

L’un de ses élégants sourcils s’était relevé, puis elle avait souri.

« Es-tu fatigué, mon Seigneur ? »

« Oui, peut-être que je le suis… »

J’étais pressé depuis hier, pensant que quelque chose était arrivé à ces filles. Bien sûr, je serais fatigué. Katou et Kei allaient bien, c’était donc pathétique que je sois le plus épuisé d’entre nous. Je n’avais pas été capable de me calmer, donc j’étais plus épuisé mentalement que je ne l’avais prévu.

« Je vois. Si c’est le cas, tu devrais peut-être te ménager pour aujourd’hui, » dit Gerbera.

« Je vais le faire. »

Nous ne pouvions pas bouger avant que Rose ne construise une nouvelle manamobile, de toute façon. Nous en avions besoin pour cacher Gerbera et les autres des yeux des humains une fois que nous serions hors des montagnes. C’était une bonne idée d’utiliser ce temps pour se détendre.

« Hm. Les choses se sont bien passées, » ajouta Gerbera joyeusement. « Nous avons trouvé un endroit merveilleux. Lily et les autres attendent là-bas maintenant. »

« Veux-tu dire une grotte ou alors un endroit dans le genre ? »

J’étais habitué à vivre dans des grottes depuis le temps que nous avions passé dans les Terres forestières. C’était plus relaxant que de dormir à la belle étoile. Cependant, Gerbera jeta un coup d’œil en arrière par-dessus son épaule et secoua la tête avec un sourire.

« Pas du tout, » avait-elle répondu. « C’est bien mieux qu’une grotte minable. »

« Que veux-tu dire ? »

« Regarde. Tu devrais être capable de le voir maintenant. »

J’avais regardé devant nous, repérant une ombre vague au large de la route. Comme nous nous rapprochions, elle était devenue progressivement plus claire. J’avais sursauté. Il y avait un bâtiment en bois de deux étages juste devant moi, avec une enseigne accrochée à son avant-toit, comme une sorte d’auberge.

***

Chapitre 13 : Maintenant ! Bizarre !

« Une… auberge ? »

J’étais resté bouche bée devant ce spectacle inattendu. C’était les montagnes escarpées de Kitrus, près d’une route abandonnée. Le trafic était pratiquement inexistant. C’était aussi proche des Terres forestières, ce qui signifie que de nombreux monstres habitaient la région. Trouver une auberge ici était tellement —

« — chanceux, n’est-ce pas ? »

J’avais commencé, en reprenant mes esprits, et je m’étais retourné. Shiran parlait avec Gerbera, son expression était un peu plus douce que d’habitude.

« Puisqu’on ne peut pas bouger, » poursuivit-elle, « Je pensais que nous devrions passer quelques jours à dormir dehors. C’est vraiment une chance inouïe de trouver une auberge ici. »

« C’est vrai ? Oui ? » répondit Gerbera avec enthousiasme. « Avec ça, tu peux reposer ton corps en paix, n’est-ce pas mon Seigneur ? »

« J-Je suppose… que oui ? »

J’avais acquiescé lorsqu’elle avait soudainement orienté la conversation vers moi. Ces deux-là étaient parfaitement sensées. Un sens absolument parfait… Une auberge était bien meilleure pour le repos du corps et de l’esprit que de dormir dehors ou dans une grotte. C’était évident. Nous avions eu la chance d’en trouver une. Tellement de chance que j’avais perdu ma voix… J’avais l’impression que quelque chose glissait dans mes paumes, mais je semblais être le seul à ressentir cette mystérieuse sensation.

« Je n’avais pas du tout remarqué qu’il y avait une auberge quand nous sommes passés par ici, » dit Katou.

« Moi non plus. Quelle gaffe, » répondit Rose.

Maintenant debout sur ses deux pieds, Katou souriait et discutait joyeusement avec Rose. Shiran et Kei souriaient également en raison de notre bonne chance. Gerbera, qui nous avait guidés ici, souriait joyeusement.

« Il n’y a pas besoin de rester ici. Lily et les autres nous attendent. On y va ? »

Gerbera avait encouragé tout le monde et avait avancé. Cela m’avait beaucoup effrayé. Elle allait vers la porte de l’auberge. L’araignée blanche, Gerbera, entrait dans une auberge comme si c’était tout à fait naturel.

« H-Hey ! Attends un peu, Gerbera ! »

Gerbera se dirigeait vers la porte, mais elle s’était arrêtée et s’était tournée vers moi avec curiosité.

« Hm ? Quelque chose ne va pas, mon Seigneur ? »

« Tu n’as pas besoin que je te le dise, n’est-ce pas ? » avais-je répondu avec étonnement. Je n’arrivais pas à croire sa réaction insouciante et irréfléchie. « Si tu entres dans une auberge, les gens à l’intérieur vont… »

« Vont… quoi ? »

« H-Hein… ? »

En voyant Gerbera me fixer d’un regard vide, j’avais perdu ce que j’avais à dire. Qu’est-ce que c’était ? Ça semblait terriblement important, mais je ne pouvais pas me rappeler…

« Mon Seigneur ? » demanda Gerbera, en trottinant vers moi. Comme lorsqu’elle nous avait rejoints, le doux bruit de ses pas l’accompagnait. « Y a-t-il quelque chose qui ne va pas chez moi ? »

Elle s’était arrêtée devant moi. Comme je l’avais confirmé auparavant, elle n’était pas différente de la normale. Son visage était beau, même si elle me regardait avec inquiétude. Elle avait des yeux rouge sang. Ses courbes voluptueuses étaient tout juste couvertes par les vêtements blancs drapés sur ses formes. Ses seins étaient étonnants, ses bras exposés étaient presque transparents, sa taille était si fine, et en dessous de ça… En dessous, elle avait deux jambes longues et minces. Si elle entrait dans une auberge comme ça… alors… quoi ? Il n’y avait pas de problème du tout ?

« Désolé… Je devais penser à autre chose, » avais-je marmonné.

« Mon Seigneur, tu sembles vraiment épuisé, » dit-elle d’un air inquiet en me prenant la main. « En tout cas, tu devrais te reposer tout de suite. D’accord ? »

Avant de m’en rendre compte, tout le monde me regardait avec anxiété. Ma vision avait soudainement tremblé. Je m’étais pincé le front pour essayer de me concentrer.

« Oui… Tu as raison… Je vais le faire. »

C’est tout ce que je pouvais dire de plus.

 

 ◆ ◆

Je devais avouer que j’étais vraiment dans un sale état. J’avais besoin de me reposer tout de suite, comme on me l’avait recommandé. J’étais entré dans l’auberge en m’appuyant sur Gerbera. La cloche fixée à la porte carillonnait au-dessus de moi. L’intérieur du bâtiment avait l’air vieux, mais il était propre et bien rangé.

« Oh là là. Bienvenue, » dit une voix derrière la réception.

C’était une jeune femme. Elle était petite, mais pas autant que Katou, et avait un air doux. Elle couvrait les courbes féminines de son corps avec des vêtements amples. Ses longs cheveux bruns dorés étaient attachés, retombant sur ses épaules et drapant ses seins galbés. Elle me regardait avec des yeux gentils et légèrement tournés vers le bas.

« Est-ce le maître dont vous avez parlé ? » avait-elle demandé à Gerbera.

« En effet. Il est enfin revenu. »

« Hee hee. Une arrivée tant attendue pour vous, n’est-ce pas ? »

Après leur échange amical, Gerbera s’était tournée vers moi.

« Mon Seigneur, c’est la propriétaire de l’auberge. Elle gère tout ça toute seule. »

« Bonjour à vous. Bienvenue dans mon auberge. »

La femme m’avait fait un rapide signe de tête. Elle était plutôt jeune pour posséder une auberge. D’après ce que j’avais pu voir, elle avait tout au plus une vingtaine d’années. De mon point de vue, en tant que visiteur d’un autre monde, elle était comme un étudiant universitaire. Cela dit, vingt ans, c’est bien l’âge adulte ici. Normalement, une femme de cet âge avait un ou deux enfants. Il était inhabituel qu’elle gère une auberge toute seule, mais pas complètement hors de question.

« Je crois que vous aviez des chambres disponibles, » dit Gerbera. « Nous aimerions aussi des chambres pour tout le monde ici pour quelques jours. Il y avait une sorte de procédure pour s’inscrire, n’est-ce pas ? »

« Oui, oui, tout de suite, » répondit la femme joyeusement. Elle avait sa place et m’avait adressé un sourire accueillant et chaleureux. « Alors, maintenant. Puis-je vous demander de signer ici pour moi, mon cher ? »

« Bien sûr. »

J’avais signé mon nom comme on me l’avait demandé. J’avais appris à écrire mon nom dans la langue locale pour éviter les problèmes dans des moments comme celui-ci. J’avais ensuite écrit les noms de tous les autres avec des traits de stylo maladroits.

« Combien de chambres désirez-vous ? » La propriétaire avait demandé après avoir confirmé tous nos noms. « En excluant Ayame et Berta, quatre chambres à deux lits devraient convenir parfaitement. Ou bien voulez-vous une chambre pour vous seul ? »

« Non. Quatre chambres suffiront, » avais-je répondu.

« Certainement. Les chambres sont juste là, au deuxième étage. »

« Très bien, allons-y, mon Seigneur. Lily et les autres attendent, » dit Gerbera en me tirant le bras. « Ces deux-là ne t’ont pas vu depuis un moment. Je suis sûre qu’elles sont impatientes de le faire. »

« Oui, tu as raison. »

J’avais hoché la tête et j’avais monté les escaliers avec tous les autres.

« Profitez de ce moment de rêve, » dit la voix de la propriétaire derrière nous.

 

 ◆ ◆

« C’est simple, mais il y a une bonne atmosphère dans cette auberge, n’est-ce pas ? » commenta Shiran alors que nous montions l’escalier.

Comme Shiran l’avait dit, c’était une auberge frugale sans décorations splendides, mais l’atmosphère était terriblement relaxante. Je me sentais plutôt mal aujourd’hui, alors me reposer dans une auberge comme celle-ci me semblait une excellente idée. De toute façon, tout ce que j’avais à faire pour la journée était de me reposer. Mais avant cela, je voulais voir le visage de Lily.

« Oh, oui. Comment va Lily, Gerbera ? »

« Soit à l’aise. Je suppose qu’on peut même dire qu’elle est en pleine forme ? »

« Vraiment ? C’est bien. »

« Pardonne-lui de ne pas être venue vous voir. Dès que nous avons entendu que tu étais arrivé, Ayame s’est enfuie, donc quelqu’un a dû la poursuivre immédiatement. Mais même si c’est une auberge, nous sommes dans les montagnes où les monstres sévissent. Nous ne pouvions pas laisser quelqu’un qui ne sait pas se battre tout seul ici, alors Lily et Berta ont décidé de rester derrière. »

« Je vois. »

C’était logique, alors j’avais acquiescé avec désinvolture. Quelques secondes plus tard, j’avais réalisé que quelque chose clochait dans ce que Gerbera venait de dire.

« Quelqu’un qui ne sait pas se battre… ? » avais-je murmuré.

Y avait-il quelqu’un comme ça dans notre groupe ? La chair de poule avait parcouru ma peau. J’avais descendu la montagne avec Rose, Katou, Shiran et Kei. Gerbera, Lily, Ayame, et Berta étaient restées derrière. Il n’y avait personne qui ne savait pas se battre dans ce dernier groupe. Les nombres ne correspondaient même pas en premier lieu.

Nous étions arrivés en haut de l’escalier, et j’avais regardé, hébété, Gerbera tendre la main vers la porte. La gêne que j’avais ressentie par petites touches s’était abattue d’un seul coup.

Oui… je comprends maintenant… Plus tôt, Gerbera avait dit : « Ces deux-là ne t’ont pas vu depuis un moment. Je suis sûr qu’elles sont impatientes de le faire. » Pourtant, j’avais déjà retrouvé Ayame et Berta. Ce qui signifie que la seule autre personne dans la pièce était Lily.

De plus, la propriétaire avait dit que quatre chambres doubles nous conviendraient parfaitement, sans Ayame et Berta. Sans ces deux dernières, mon groupe se composait de moi, Lily, Rose, Katou, Gerbera, Shiran et Kei. Ça fait sept. Cela n’avait pas de sens de dire que quatre chambres doubles nous conviendraient parfaitement. Il n’y avait pas non plus de raison de demander si nous avions besoin d’une chambre supplémentaire pour moi. Avait-elle mal compté ? C’était difficile à croire, vu qu’elle avait tous les noms sous les yeux dans le registre.

De plus, quand Gerbera nous avait rejointes à l’auberge, elle avait dit : « Lily attend avec les autres. » Ayame était dans mes bras à ce moment-là, et c’est Berta qui nous avait trouvés. La façon dont elle l’avait dit n’avait de sens que si une autre personne nous attendait dans les montagnes, à part elle-même, Lily, Ayame et Berta.

« Que fais-tu, mon Seigneur ? » demanda Gerbera. La porte était ouverte avant même que je ne le réalise. « Ne reste pas là. Entre. »

« D-D’accord… »

J’avais fait ce qu’on m’avait dit et j’étais entré dans la pièce, bien que mes pas soient instables.

« Oh, Maître. »

Lily était assise sur l’un des deux lits. Quand elle m’avait vu, elle avait fait un beau sourire. Malgré la gêne que je ressentais, le soulagement avait rempli mon cœur. Cependant, au moment où j’avais aperçu l’autre fille assise à côté de Lily, ce soulagement s’était brisé en millions de morceaux.

C’était comme s’il y avait un miroir là. Elle avait les mêmes cheveux de lin que Lily. Du sommet de sa tête jusqu’au bout de ses orteils, elle lui ressemblait. Elles étaient comme des pois dans la même cosse.

« Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, Majima, » dit la fille en me souriant intimement et en me faisant signe de la main.

« Mizushima… ? » répondis-je d’une voix rauque.

Après avoir changé mes vêtements de voyage, je m’étais allongé pour me reposer.

« Vas-tu bien, Maître ? »

Lily s’était assise sur le lit et m’avait regardé avec inquiétude. En face d’elle, un visage identique me regardait.

« Hmm, il a peut-être de la fièvre ? » déclara Mizushima en penchant la tête.

C’était une sensation étrange d’avoir des visages identiques qui me regardaient des deux côtés. C’était encore plus étrange que je trouve ça bizarre. Après tout, nous avions voyagé ensemble pendant tout ce temps. Elles avaient le même visage, les mêmes cheveux, le même corps… Enfin, une partie de leur corps était différente, mais Mizushima était très gênée à ce sujet, alors nous n’en avions jamais parlé. Quoi qu’il en soit, c’était étrange que je ne sois pas habitué à cette scène à présent.

« Ça ne ressemble pas à de la fièvre, » déclara Mizushima après avoir posé sa main sur mon front.

La chaleur et la tendresse pressées contre ma peau m’avaient fait sentir coupable.

« Je me sens juste un peu à l’ouest. Pas besoin de s’inquiéter, » lui avais-je dit.

Comment ai-je pu l’oublier ? Elle avait voyagé avec nous tout ce temps. Je ne pouvais pas croire que je sois ainsi.

« Je vais faire une petite sieste, » avais-je poursuivi. « Désolé, mais pourriez-vous me réveiller à l’heure du dîner ? »

Lily et Mizushima avaient échangé un regard.

« Hm, bien sûr. Vas-y doucement, Maître. »

« Allez, Aya, Berry, on y va. »

Elles s’étaient rapidement levées, et Ayame et Berta les avaient suivies hors de la pièce en remuant la queue. En les regardant partir, j’avais soudainement remarqué Berta. Quand je l’avais vue un instant à travers le brouillard, je l’avais prise pour un chien normal. C’était logique. Par exemple — et vraiment, ce n’était qu’un exemple — disons que Berta avait un corps aussi grand qu’un ours et avait deux têtes ou quelque chose comme ça. J’aurais certainement vu cette silhouette comme un monstre et j’aurais su que c’était elle. Je n’aurais jamais confondu une telle silhouette avec un chien. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

« Woof. »

Berta avait remarqué mon regard et avait aboyé. C’était un grand chien dont la race pouvait être vue n’importe où dans notre monde — un chien-loup, quelque chose comme un husky sibérien. J’ai mal à la tête…

« D’accord, Maître. À plus tard. »

Après que tout le monde ait quitté la pièce, j’avais poussé un profond soupir et fixé le plafond.

« Qu’est-ce que c’est que ce malaise que je ressens ? » m’étais-je demandé en ronchonnant.

Il n’y avait rien de bizarre du tout. C’était censé être le cas, mais quelque chose ne tournait pas rond. Le malaise était certain, mais tout le reste semblait vague. C’était comme si j’errais toujours dans cette brume.

Ce n’était probablement que mon imagination. Pour preuve, aucun de mes compagnons ne semblait trouver la situation actuelle inhabituelle. Ils étaient probablement tous en train de se détendre dans leur propre chambre à présent. J’étais le seul à être troublé par cette mystérieuse sensation.

« Aah, bon sang. »

Je n’avais pas l’impression de pouvoir dormir, alors je m’étais assis.

« Suis-je le seul à me sentir comme ça… ? »

Ma voix était plus fragile que je ne le pensais, ce qui m’avait valu un sourire amer.

« Je suis vraiment épuisé mentalement… »

J’avais secoué la tête. Grommeler n’y changerait rien. Je ne pensais pas pouvoir m’endormir, mais j’avais décidé de me forcer à essayer. En faisant cela, je pourrais apaiser cet épuisement et me débarrasser de ce malaise.

Juste au moment où je m’étais convaincu de cela, ma main gauche avait palpité.

« Maiii - ttttt - trree. »

Une voix grinçante m’avait appelé. Asarina s’était étirée du dos de ma main et s’était glissée dans mon champ de vision.

« Quoi de neuf, Asarina ? »

« Trrreee… »

Asarina avait secoué sa tête semblable à un piège à mouche de Vénus. C’était comme si elle essayait d’attirer mon attention sur quelque chose. J’étais plus étroitement lié à elle qu’à n’importe lequel de mes autres serviteurs. Pourtant, je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle essayait de dire. Asarina le savait aussi, mieux que quiconque. C’était précisément la raison pour laquelle —

« Maiiiii — tttttt — ttrreee ! C’est ça ! Toi ! C’est ça ! »

— elle avait utilisé des mots pour me le transmettre.

« Maintenant ! Bizarre ! Tous — un ! Bizarre ! »

« Asarina… »

« Maiii - trrrreee ! »

J’avais écouté, hébété, les cris d’Asarina. Ce n’était pas seulement moi… Je ne suis pas le seul à me sentir bizarre dans cette situation ! Apparemment, cela m’avait beaucoup dérangé. Je sentais la joie monter en moi. Cependant, je ne pouvais pas l’exprimer pour le moment.

« TTTTrrrreeee ? » Asarina ronronna, en faisant tourner son corps de serpent. « Maaiiiiii -ttttrrree ? Quoi ? Faux ? »

« Désolé… Donne-moi un peu de temps. »

J’avais écouté l’étrange voix rauque d’Asarina, j’étais retombé dans le lit et j’avais gémi. Je savais maintenant que je n’étais pas le seul à sentir que quelque chose n’était pas à sa place ici. Je le savais parce qu’Asarina me l’avait dit. Je m’étais senti soulagé, mais aussi mal à l’aise à un niveau sans précédent. J’avais tourné autour du pot pendant un moment encore.

***

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