Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 5

Table des matières

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Chapitre 1 : Le vent qui souffle au nord

Partie 1

J’avais donné un coup de pied au sol, poussant mon corps en avant. Je m’étais élancée dans la forêt parsemée d’obstacles, me faufilant entre les rangées d’arbres à ma gauche et à ma droite. Je pouvais sentir le vent me frôler la joue, née de mon sprint plutôt que d’une source naturelle.

Ce vent était le seul que je pouvais sentir. La pression de l’air donnait l’impression qu’elle me poussait vers l’arrière, même si j’avançais. Je me déplaçais rapidement, anormalement, mais j’avais accepté cette anomalie comme faisant partie de moi. Je ne pouvais pas protéger les choses que je voulais si je ne le faisais pas. Alors j’avais couru. J’avais simplement continué à courir. J’avais utilisé les émotions brûlantes en moi comme carburant et j’avais donné un coup de pied au sol assez fort pour faire exploser mon propre corps.

Très vite, j’avais vu l’énorme forteresse appelée le Fort d’Ebenus. C’était l’une des têtes de pont de l’humanité contre la menace constante des monstres des Terres forestières, une forêt spéciale riche en mana qui empiétait constamment sur le sud.

Elle était la même que lorsque j’avais quitté les lieux. J’étais heureuse de la voir inchangée, et peut-être… c’était exactement la raison pour laquelle je trouvais cela si impardonnable. J’avais apaisé la rancœur qui montait en moi et j’avais couru les kilomètres restants jusqu’à la forteresse.

 

 ◆ ◆

« H-Huh ? Ce n’est pas… Iino ? Es-tu de retour !? »

Cela faisait plusieurs minutes que j’avais été introduite dans la forteresse. Je ne pouvais pas vraiment courir dans un bâtiment rempli de gens, mais j’avais quand même parcouru rapidement les couloirs alors que plusieurs connaissances me saluaient. Tous étaient mes camarades, membres de l’équipe d’exploration.

Il y a environ quatre mois, nous avions été projetés dans ce monde incompréhensible. Nous nous étions retrouvés au fin fond d’une forêt isolée de la société humaine, où des monstres logiquement impossibles nous avaient dévoilé les crocs.

Jusqu’à ce jour, nous avions vécu nos vies en paix. Mais dans ce nouveau monde, sans aucun moyen de nous défendre, tout ce que nous pouvions faire était de mourir. Nous n’avions survécu que parce que, pour une raison inconnue, certains d’entre nous avaient obtenu en venant dans ce monde des pouvoirs qui défiaient le bon sens. Nous appelons ces pouvoirs des triches. Nous les avions utilisés pour repousser les monstres et protéger nos camarades impuissants, nous tenant debout pour que tout le monde puisse être à l’aise et trouver un moyen de vivre.

C’est ainsi que l’équipe d’exploration avait été formée. J’en étais membre depuis sa création, et je m’étais jetée en première ligne de la bataille. Parmi les presque trois cents tricheurs, mes pouvoirs étaient considérablement forts. J’étais la plus rapide de l’équipe d’exploration, une force qui s’enorgueillissait déjà de capacités physiques écrasantes. La Skanda, Iino Yuna — c’était mon identité.

Alors que je continuais dans les couloirs, d’autres membres de l’équipe d’exploration m’avaient appelée.

« Hé, qu’est-ce qui se passe ? »

« Où est cet idiot de Watanabe ? Et Juumonji ? »

« Nous n’avons pas eu de nouvelles du Fort de Tilia, alors nous étions un peu inquiets… »

Sans m’arrêter, j’avais dit. « Désolée, je dois en parler au président — je veux dire, à notre chef. Il vous donnera probablement les détails plus tard. »

Je passai devant les gens qui me parlaient et me hâtai vers ma destination. Les membres de l’équipe d’exploration avaient reçu l’usage de plusieurs pièces dans le Fort d’Ebenus. Je me dirigeais vers la chambre de notre chef. Je réprimai mon envie de courir et me faufilai rapidement dans les couloirs.

« Attends, Iino ! Notre chef a des invités en ce moment, » déclara l’écolier qui était sur mes talons. Son nom était Kouzu Asahi.

Je fronçai les sourcils. « Désolée, Kouzu. Cet invité est probablement le comte Untel ou un serviteur du vicomte Untel de l’Empire venu présenter ses salutations ou autre, non ? Ce n’est pas le moment pour ce genre de choses. »

« N-Non. Ce n’est pas ce qu’ils sont… »

Nous étions arrivés à la chambre en question. La porte était si haut de gamme qu’on ne pouvait pas penser que nous étions dans un complexe militaire. C’était la preuve de la courtoisie avec laquelle ils traitaient notre chef ici, en aucun cas inférieur aux officiers de la forteresse.

J’avais senti des gens de l’autre côté de la porte, mais avant que je puisse poser ma main sur la poignée, elle s’était ouverte de l’intérieur. Un homme, de près de deux mètres de haut, se tenait de l’autre côté. Ce n’était pas celui que je cherchais. Il s’agissait vraisemblablement de l’invité dont Kouzu avait parlé. L’homme dégageait un air solennel, comme s’il était la forteresse elle-même. Il semblait avoir un peu plus de trente ans. Ses épaules étaient larges, et il avait un corps volumineux et bien entraîné. L’armure digne qu’il portait était différente de celles portées par les chevaliers impériaux et les soldats stationnés ici.

J’avais été un peu surprise que les traits de son visage ressemblent aux nôtres. J’avais déjà entendu quelque part que ce monde n’était peuplé que de ce que nous appelons les Caucasiens. Cependant, ses traits profondément ciselés ressemblaient un peu à ceux d’un Japonais. Il avait presque l’air d’être de sang mêlé, si cela avait plus de sens. Il me regardait avec des yeux noisette, mais ses cheveux courts et soignés étaient d’un noir familier.

Il était accompagné d’un autre homme de grande taille. Celui-ci était chauve et avait la peau foncée, plus claire que ce que l’on pouvait voir dans notre monde, mais inhabituelle pour un local. En tout cas, je n’avais jamais vu cette couleur de peau au Fort d’Ebenus ou au Fort de Tilia. Cependant, les différences de structure osseuse et de couleur de peau pourraient n’être qu’une question d’individualité ici.

Quoi qu’il en soit, si j’avais eu le temps d’observer les deux hommes ainsi, c’est parce qu’ils s’étaient également arrêtés pour m’observer. Une paire d’yeux noisette me fixait sous d’épais sourcils. Ce n’était pas le regard d’un homme vulgaire observant une femme — si cela avait été le cas, j’aurais mis mon poing dans son visage de pierre — mais plutôt comme s’il évaluait mon être même.

Ses yeux me rappelaient ceux de mon père, qui travaillait comme policier — ce dont j’étais très fière. C’était le regard qu’il me lançait chaque fois que je faisais quelque chose de mal alors que j’étais une enfant. Cette sévérité quelque peu nostalgique m’avait fait grimacer.

« Excusez-moi, madame. »

Voyant que j’avais fait un bond en arrière et ouvert la voie, l’homme avait porté la main à sa poitrine et s’était incliné poliment devant moi. Il avait finalement détourné les yeux, et j’avais laissé échapper le souffle que j’avais inconsciemment retenu. Puis l’homme à la présence terrifiante et solennelle était parti dans le couloir. Alors que je surveillais ses arrières, une voix à côté de moi m’avait ramenée à la raison.

« Que fais-tu ici ? »

Une grande fille portant un uniforme scolaire se tenait à l’entrée de la porte.

« Kuriyama… »

Kuriyama Moeko. Elle avait un an de plus que moi et travaillait comme assistante et garde du corps du chef de l’équipe d’exploration. Ses yeux intelligents sous des lunettes sans monture nous regardaient tour à tour, moi et Kouzu.

« Et qu’est-ce que tu crois faire ici, Kouzu ? Je crois que je t’ai donné un travail à faire ? » dit-elle.

« Oh, uh, euh… »

« Eh bien ? »

« Désolée, je m’y remets tout de suite. »

Kuriyama avait repoussé Kouzu d’un regard froid, puis elle s’était tournée vers moi. Je m’étais sentie un peu mal pour lui, mais je l’avais gardé pour moi.

« Iino, n’es-tu pas censée être au Fort de Tilia pour secourir les survivants de la Colonie ? Je crois me souvenir que tu devais y rester et aider aux missions de sauvetage jusqu’à ce qu’un autre ordre arrive. »

« O-Oui, je l’étais. Je viens juste de revenir. J’ai quelque chose à dire à notre chef, alors peux-tu me laisser passer ? »

Je n’étais pas vraiment douée pour traiter avec cette fille plus âgée. Dans notre monde, elle était très douée et avait d’excellentes notes. Elle avait pour objectif d’intégrer le département de médecine d’une université nationale et de réussir dans l’entreprise familiale. Elle était en fait très intelligente et couvrait souvent la tendance de notre chef à lésiner sur les détails. Pourtant, elle me semblait vraiment froide.

J’avais soudain remarqué les pensées qui traversaient mon esprit et je m’étais réprimandée. Je ne pouvais pas faire ça. Elle était une membre de l’équipe d’exploration. C’était une camarade courageuse qui avait décidé de voyager vers l’est pour protéger tous les élèves de notre école. Par-dessus tout, notre chef avait reconnu ses capacités et l’avait gardée à ses côtés. C’était suffisant pour que je la considère comme l’une des personnes les plus dignes de confiance qui soient. Il avait sûrement vu en elle une vertu que je ne pouvais pas voir. Même s’il y en avait une, j’aurais probablement toujours des problèmes à la gérer.

« Cette voix… C’est toi, Iino ? » J’avais été un peu soulagée d’entendre la voix d’un garçon venant de l’intérieur de la pièce. « Laisse-la entrer, Moeko. Il y a un tas de choses que je veux lui demander. »

« Très bien. Iino, entre, s’il te plaît. »

Kuriyama s’était écartée et elle m’avait laissée entrer. J’avais franchi la porte, en restant conscient de sa présence derrière moi. Dans le coin de la pièce spacieuse, il y avait une petite table et deux canapés qui se faisaient face. Les invités étaient vraisemblablement assis là il y a quelques instants. Notre chef, Nakajima Kojirou, était toujours assis sur l’un des canapés.

C’était un très beau garçon, même de mon point de vue de personne habituée à le voir. Il possédait un visage doux qui semblait appartenir à un membre d’un groupe d’idoles. Il avait un front déterminé, et il portait des vêtements de ce monde autour de son corps grand et serré.

Certains membres de l’équipe d’exploration avaient porté ce genre de vêtements, tandis que d’autres étaient restés en uniforme. Je faisais partie de ces derniers, simplement parce que c’était plus confortable à porter. D’un autre côté, notre chef aimait la facilité avec laquelle on pouvait enfiler ces vêtements, il s’était donc débarrassé de son uniforme et de toutes ses autres affaires.

Il déclarait son intention de s’assimiler, à sa façon. Vu sa position, il devait tout le temps rencontrer des personnes importantes de ce monde et leurs messagers. Plusieurs des gars de l’équipe d’exploration l’avaient imité à cet égard. La veille de mon départ pour le Fort de Tilia, j’avais discuté avec mes amis de la stupidité des garçons. Bien sûr, on ne les détestait pas pour autant.

« Je suis content que tu sois rentré, Iino. Tout le monde s’est inquiété pour toi. »

Il s’était levé du canapé et s’était dirigé vers moi. Il n’en fallait pas plus pour changer l’atmosphère de la pièce. Le simple fait d’entendre sa voix m’avait apporté un sentiment de soulagement. Je suppose que c’est ce que les gens appellent le charisme. Je m’étais rendu compte que j’avais perdu ma concentration et je m’étais réprimandée.

« Désolée, je n’ai pas pu te contacter, Prez — je veux dire, Chef. »

« Tu sais, tu peux m’appeler Prez si tu le veux. »

Cela faisait longtemps que nous n’avions pas eu cette discussion. Nous faisions tous deux partie du même club de kendo dans notre monde. Nos activités avaient bien sûr été divisées par sexe, mais nous nous étions quand même rencontrés en tant que junior et senior du même club.

En y repensant, il aurait pu être différent des autres étudiants, même à l’époque. Sans lui, nous nous serions dispersés quelques jours après notre arrivée dans ce monde. Cela s’appliquait même à moi à l’époque.

J’avais ces pouvoirs incroyables depuis le tout premier jour. J’avais essayé de protéger tout le monde des monstres qui nous attaquaient, mais ça ne suffisait pas. Et c’est notre chef qui m’avait donné un vrai but.

Seule une centaine de personnes étaient conscientes de leur triche à ce moment-là. Ils avaient tous erré dans la région par leurs propres moyens et avaient rencontré des monstres à plusieurs reprises. Nous aurions dû être plus prudents. Nous n’étions pas encore un groupe organisé, et nous n’avions aucune expérience du combat. Nous n’étions qu’une bande de gamins téléportés ici depuis le Japon. Et nous n’avions pas eu le loisir de réfléchir autant.

« C’est sans espoir ! Partons d’ici, Yu ! »

« Ce n’est pas vrai, Todo ! Ce n’est pas… Ce n’est pas possible… Vous vous moquez de moi. »

***

Partie 2

Le tumulte de la bataille avait attiré plus de monstres. Puis cette bataille avec les nouveaux monstres avait attiré encore plus de monstres. Avant que nous le sachions, les choses semblaient désespérer. À l’époque, je pouvais déjà courir anormalement vite, plus vite que quiconque. J’étais aussi habituée à manier l’épée grâce à mon expérience dans le club de kendo. Néanmoins, même moi, j’avais désespéré.

J’aurais pu m’échapper toute seule, mais les monstres s’avançaient vers des centaines d’étudiants impuissants. Il était évident, même pour un œil non averti, que je ne serais pas en mesure de tous les protéger. L’avenir semblait sans espoir, et j’avais été frappée par le chagrin de ma propre impuissance.

Je savais que quoi que je fasse, je n’aurais rien pu accomplir. Pourtant, je croyais que je devais me battre. J’avais forcé mes jambes affaiblies à courir vers les monstres. Cependant, juste à ce moment-là, il était arrivé avec une force de tricheurs derrière lui. Il avait fait face aux monstres des Profondeurs, se frayant un chemin à travers eux avec son épée dorée brillante à la main, la lame née de sa capacité inhérente. Il m’avait alors tapé sur l’épaule alors que je tremblais devant les événements tragiques arrivant.

« Soit fière de toi, Iino Yuna. Peu importe qui pourrait le nier, même si tu ne l’admets pas toi-même, je reconnaîtrai toujours la valeur derrière tes intentions. Et cela ne s’applique pas seulement à Iino. Est-ce tout ce que vous valez, vous autres ? Croyez-vous que c’est déjà fini ? Je ne l’accepterai pas. Je n’accepterai pas un “game over” comme celui-là ! N’abandonnez jamais ! Après moi ! »

En brandissant son épée dorée, qui avait déjà attiré l’attention, il avait attiré les monstres vers lui et les avait éloignés des étudiants impuissants situés loin derrière. Il s’en était suivi une furieuse démonstration de vigueur et un flot d’exploits glorieux. Grâce à son immense pouvoir, à son bon jugement et, surtout, à son cœur inébranlable, il avait vaincu bien plus de monstres que quiconque. Chaque fois que les autres élèves se trouvaient dans une situation difficile, il les couvrait. À l’époque, seules cinquante personnes avaient participé, mais grâce à ses seuls efforts, notre puissance avait été multipliée.

Au moment où la bataille s’était terminée, il était naturellement devenu notre noyau dur. C’est alors que, sur sa suggestion, l’équipe d’exploration avait pris forme. Au début, nous n’avions que cinquante membres, mais de plus en plus de personnes nous avaient rejoints. Nous avions protégé les étudiants qui ne pouvaient pas se battre et avions commencé à construire des logements temporaires dans la forêt — la Colonie. Nous avions continué à éclairer le chemin de la survie dans ce monde.

Même avec le pouvoir, nous n’étions qu’une bande d’étudiants désordonnés. C’est lui qui nous avait rassemblés, notre héros, l’Épée de Lumière, Nakajima Kojirou.

 

 ◆ ◆

« Honnêtement, c’est bien que tu sois venue, » déclara notre chef après que nous nous soyons assis face à face sur les canapés des invités. « Il s’est passé beaucoup de temps depuis que nous avons perdu le contact avec le Fort de Tilia. Lorsque la technologie de communication magique qu’ils utilisent cesse de fonctionner, les informations voyagent beaucoup trop lentement. D’un autre côté, avec la Skanda là-bas, il n’y avait aucune raison d’envoyer imprudemment plus de personnes. Pourtant, j’avais presque envie d’y aller moi-même. »

« Ce serait un problème, Capitaine, » dit Kuriyama, debout derrière lui. « Tu dois rester et renforcer les bases des étudiants ici. »

« Comme tu peux le voir… Moeko a été assez bruyante à ce sujet. Puisque je ne peux pas partir d’ici, c’est plutôt utile que tu sois revenue. »

« Dans tous les cas, n’est-ce pas une chance qu’elle soit revenue à ce moment-là ? » demanda Kuriyama.

« Oh, tu as raison. Il y a ça aussi. Je suis content que tu sois arrivée à temps. »

« Attendez. Attendez une seconde. De quoi parlez-vous exactement ? » Avais-je dit, en interrompant leur conversation. « Oh. Maintenant que j’y pense, je n’ai pas vu beaucoup de membres en venant ici. Ont-ils tous quelque chose à faire tout d’un coup ? Une sorte d’opération de nettoyage à grande échelle ? »

J’avais fait une conjecture basée sur ce qu’il avait dit. La dernière fois que j’étais venue ici, l’équipe d’exploration avait entrepris de supprimer les monstres de la région.

Il était de coutume que l’Église de la capitale, située dans la région nord de l’Empire, invite les habitants d’autres mondes à venir la visiter. Cependant, l’équipe d’exploration n’avait pas accepté leur offre. Nous ne pouvions pas aller jusqu’à la capitale alors que nous devions sauver les étudiants abandonnés de la Colonie. Ce n’est pas comme si l’équipe d’exploration avait accepté à l’unanimité, mais notre chef avait décidé que nous resterions au Fort d’Ebenus. Mais comme nous ne pouvions pas rester à ne rien faire en restant ici, nous nous occupions les monstres de la région. Alors bien sûr, notre chef serait heureux que la Skanda soit revenue à temps pour une opération majeure.

« Ces deux invités avaient-ils quelque chose à voir avec cela ? Ils ne semblaient pas être des gens ordinaires. »

« Ils seraient sûrement heureux d’entendre de tels éloges de la part de la Skanda. En tout cas, tu as à moitié raison. C’est lié à eux, mais ça n’a rien à voir avec une quelconque opération. »

« Alors… »

« Ce sont des chevaliers du Saint Ordre. Tu en as au moins entendu parler d’eux, non ? »

« Le Saint Ordre… ? La force militaire la plus puissante, celle qui se bat aux côtés des sauveurs ? »

« Ouais. Ils en ont eu assez d’attendre, alors ils ont fini par venir nous examiner directement. Le commandant lui-même en l’occurrence. »

« Nous examiner ? »

« C’est l’une de leurs tâches. Ils doivent vérifier si les sauveurs qui sont apparus sont bien réels. »

Je m’étais souvenue du regard de l’homme. Ces yeux noisette avaient mesuré mon être même. C’était donc de cela qu’il s’agissait… Honnêtement, je ne me sentais pas très bien, mais pour les gens de ce monde, les visiteurs venus de loin tenaient le destin de l’humanité entre leurs mains. Je pouvais comprendre pourquoi ils voulaient s’assurer que nous étions bien réels.

« Bref, ils ont dit qu’ils étaient juste là pour vérifier. Donc cet entretien s’est terminé. Je suis content que ça se soit passé sans problème. »

« Nous venons d’un autre monde, c’est évident, mais je pense que c’est une bonne chose que rien de mal ne soit arrivé. »

« Tu as raison… mais il sera plus difficile pour nous de rester ici plus longtemps. »

« Ce qui veut dire… que tu as accepté leur invitation à te rendre dans la capitale ? »

« Ouais. On dirait que c’est plutôt gênant pour eux que nous ne soyons pas encore partis. Ça a quelque chose à voir avec la politique, mais je ne comprends pas vraiment ce genre de choses. Mais on ne peut pas continuer à les ignorer alors qu’ils s’occupent de nous comme ça. L’équipe d’exploration va donc quitter le Fort d’Ebenus. »

Notre chef avait froncé les sourcils en expliquant la situation. Il avait manifestement des sentiments mitigés à ce sujet.

« C’est juste que, eh bien, il semble que leurs plans ont été en quelque sorte contrariés. Nous sommes ici à Ebenus depuis presque deux mois. Compte tenu du fait qu’il faut plus d’un mois pour arriver ici depuis la capitale, il est logique qu’ils aient eu un peu de retard pour venir ici. »

« En retard ? » avais-je demandé en penchant la tête.

« Il y a soixante-trois membres de l’équipe d’exploration ici en ce moment, » répondit Kuriyama. « C’est environ la moitié de la force d’expédition. Ils se préparent tous à quitter la forteresse. Les autres ne sont plus là. »

« Ne sont plus là… ? Alors où sont-ils allés ? »

« Qui sait ? Peut-être la capitale, peut-être ailleurs, » répondit-elle indifférente.

J’avais compris ce qu’elle voulait dire, mais j’avais eu besoin d’un moment pour comprendre.

« Es-tu en train de me dire que nous avons des déserteurs !? » avais-je demandé, me projetant involontairement en avant.

« Ce n’est pas tout à fait ça, Iino, » répondit notre chef en secouant la tête. « Ils sont partis de leur propre gré. Nous ne sommes pas ici par obligation. Lorsque nous avons été envoyés ici, nous avons dû nous battre juste pour traverser cette crise. Les appeler “déserteurs” ne tient pas compte de ce que nous avons ressenti à cette époque. »

« Je sais, mais… »

« Nous avons tellement lutté pour arriver à ce stade. N’est-il pas naturel que certains veuillent désormais vivre comme ils l’entendent ? Je suis heureux de les voir partir et je leur souhaite le meilleur dans leurs projets. D’ailleurs, j’ai juste agi de manière volontaire, en disant que nous devions sauver ceux qui étaient restés dans la colonie. Tout comme j’agis par ma propre volonté, ils peuvent vivre comme ils veulent par la leur. »

C’était vraiment approprié venant de lui. Il respectait la volonté de chacun. C’était peut-être ainsi qu’il avait mené plus d’une centaine d’étudiants dans un voyage sans fin, nous amenant si loin. Je ne pouvais rien dire d’autre sur ce sujet.

« En d’autres termes, » ajouta Kuriyama, « On pourrait dire que les dissidents sont partis maintenant, n’est-ce pas ? » Elle n’avait pas fait attention quand j’avais froncé le visage et continué. « Les seuls qui restent sont ceux qui partagent les idéaux du capitaine. Je crois que cela s’applique également à toi, n’est-ce pas Iino ? »

« Elle a raison. J’aimerais que tu viennes avec nous à la capitale, Iino. Je ne peux pas t’y forcer, bien sûr… mais je serais heureux que tu le fasses. »

« Je… »

J’avais hésité pendant un moment. Cependant, mon cœur était déjà décidé. Je savais ce que je devais faire avant même d’arriver ici.

« Désolé, Chef. Je ne peux pas vous accompagner. »

« Je vois. Puis-je demander pourquoi ? En fait, avant cela, je n’ai toujours pas entendu parler de ce qui s’est passé au Fort de Tilia. »

« Je vais t’expliquer, mais en bref, il y a quelqu’un que je dois aller attraper, » avais-je dit en serrant les poings. « Alors que je me dirigeais vers les Profondeurs avec les Chevaliers Impériaux pour sauver les éventuels survivants, des monstres ont attaqué le Fort de Tilia. Beaucoup de gens sont morts. Ils disent que c’est quelqu’un qui vient de notre monde qui a fait ça. Je ne peux pas lui pardonner. Je vais certainement lui faire subir le jugement de la loi. »

« Je vois… Alors le Fort de Tilia était vraiment… »

Les yeux de notre chef s’étaient légèrement écarquillés en écoutant mon histoire. Cependant, il avait probablement déjà deviné que quelque chose comme cela s’était produit, vu la perte de contact avec le Fort de Tilia. Il n’avait pas réagi davantage.

« Alors ? » avait-il insisté.

« Je pense quitter la forteresse tout de suite pour poursuivre le coupable. »

« Le coupable, hein ? Sais-tu qui a fait ça ?

« Les informations à ce sujet semblent être aléatoires. Je n’ai pas été en mesure de rencontrer les Chevaliers de l’ Alliance qui sont au courant de ce qui s’est passé. Cependant, j’ai entendu les noms de deux suspects possibles. L’un est Kudou Riku, mais malheureusement, on ne sait pas où il se trouve. Il semble qu’il se cache dans les bois… »

« Les bois sont vastes. Je suppose que tu le laisses pour plus tard. Donc tu poursuivras l’autre suspect ? »

« Oui, » avais-je répondu d’un signe de tête. J’avais réprimé la rancœur dans mon cœur alors que je mâchais pratiquement son nom. « C’est Majima Takahiro. Je pense le poursuivre d’ici. »

***

Chapitre 2 : La fille de mes rêves, toi ici même

Partie 1

« Veux-tu venir observer les étoiles ? »

C’est ainsi que Kaneki Mikihiko, mon ami depuis le collège, m’avait invité à sortir. C’était en avril, et nous venions juste d’entrer au lycée. Le musée des sciences local organisait une soirée d’observation des étoiles à l’école ce soir-là. C’était l’un des nombreux événements destinés à nous aider à faire connaissance dans notre nouvelle école, en profitant du ciel nocturne étoilé pendant le week-end. Il y avait plus de trente participants et deux enseignants. Heureusement, Mikihiko et moi avions gagné la tombola pour y assister, et nous avions donc pu y participer.

Ce soir-là, nous nous étions tous réunis sur le toit de l’école. Nous avions commencé par apprendre à reconnaître les étoiles. Je n’étais là que parce que j’avais été invité, donc je n’avais pas vraiment d’intérêt au départ. En fait, la plupart des participants ne s’y intéressaient pas non plus, mais les organisateurs de l’événement semblaient en être conscients, si bien que leurs explications étaient plutôt bien pensées et amusantes.

Après cela, nous avions pu regarder la lune et les autres planètes dans un télescope. Nous avions pour mission de trouver les corps célestes désignés. Nous avions utilisé un appareil photo numérique pour prendre des photos des étoiles, et les enseignants responsables avaient réprimandé les élèves qui faisaient des bêtises et se mettaient en travers de la photo.

C’était une scène extraordinaire — et pourtant tout à fait ordinaire — hors de notre quotidien. Alors pourquoi quelque chose gonflait-il dans mon cœur ? C’était soi-disant la première fois que je voyais le toit de l’école, mais je me sentais nostalgique. C’était le monde dans lequel nous vivions. Je n’avais même pas besoin de le confirmer. Du moins, je n’aurais pas dû en avoir besoin.

Et pourtant… tout semblait si loin. Tout ce dont j’essayais de ne pas me souvenir débordait par inadvertance des recoins de mon esprit. Les émotions que j’avais emballées et scellées étaient sur le point d’éclater. Mais je ne pouvais pas verser de larmes.

Lorsque j’avais réalisé que je ressentais des émotions que je n’avais pas ressenties à ce moment-là, mon rêve s’était facilement effondré. J’avais compris qu’il s’agissait d’un souvenir enfoui profondément dans mon esprit. Même si je ne l’avais pas réalisé, ce rêve était de toute façon sur le point de se terminer. Le monde disparaissait peu à peu du bord de ma vision.

Je ne pouvais plus voir les étoiles. Et juste à ce moment-là, une des filles qui se tenait sur le toit s’était tournée vers moi. Elle avait un beau visage.

Ça, c’est bien le lycée. Il y a même une jolie fille comme ça dans le coin. Je me souvenais avoir été bizarrement surpris lorsque les participants s’étaient réunis. Elle était dans une classe différente de la mienne, et nous n’avions pas vraiment de points communs, donc il était peu probable que je lui parle un jour.

Mais quand nos regards s’étaient croisés, elle avait souri. Le clair de lune s’était déversé sur ses cheveux fins et flottants, les rendant presque blancs — et ma vision s’était obscurcie.

 

 ◆ ◆

« Oh, Maître. Es-tu réveillé ? »

La première chose que j’avais vue en me réveillant avait été Lily se tournant vers moi, portant un uniforme d’école et assise au bout de mon lit. La lumière du soleil matinal entrait à peine par la fenêtre, illuminant ses cheveux de lin. Ils ressortaient dans la pièce sombre. La lumière du soleil les rendait presque transparents. C’était comme une scène sortie tout droit d’un tableau.

« Bonjour, Maître. »

Nos regards s’étaient croisés, et Lily m’avait offert un sourire affectueux et doux. Pendant un instant, j’avais eu l’impression que son sourire se superposait à une image que j’avais vue une fois auparavant.

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

« Rien, c’est juste que… » J’étais sorti du lit et j’avais pressé ma main contre mon front. « Je crois… que j’ai fait un rêve nostalgique. »

La vague sensation propre aux rêves me semblait déjà si lointaine. Tout ce que je pouvais ressentir dans mes pensées léthargiques était une étrange impression de déjà vu.

« Un rêve ? Quel genre ? » me demanda Lily, en clignant des yeux avec curiosité. « Un mauvais rêve ? »

Elle tendit ses doigts et toucha mon front. Ils étaient légèrement froids, mais avaient une chaleur familière. C’était Lily. Bien sûr que c’était elle. C’était évident.

Je lui avais fait un léger sourire. « Non, pas vraiment. En tout cas, je vois que tu es de retour. »

« Oh, ouais, » dit Lily en retirant sa main et en hochant la tête. « Je viens juste d’arriver. Je fais une petite pause. »

« Où sont les autres ? » avais-je demandé.

« Rose était là il y a un instant, mais elle a échangé avec moi pour aller voir Katou. Après m’avoir aidée, Gerbera a fait une sieste ici, mais elle s’est levée un peu plus tôt. Elle a dit qu’elle allait faire une promenade avec Ayame. »

« Une promenade… ? Est-ce que ça va aller ? »

« Tu es tellement anxieux. » Les lèvres de Lily s’étaient relâchées, à la fois par exaspération et par affection. Réalisant que j’avais commencé à me renfrogner avant même de le savoir, je m’étais senti un peu mal à l’aise. « C’est bon. Je suis aussi un peu inquiète pour Ayame, mais j’ai dit à Gerbera de la surveiller. »

« Vraiment ? Merci. »

« Vas-tu aussi sortir, non ? Va te changer. Je vais aller demander le petit-déjeuner. »

Avec ça, Lily avait quitté la pièce. J’avais commencé à m’habiller pendant ce temps. J’avais enlevé mon pyjama et j’avais tendu le bras vers les vêtements que Gerbera avait faits pour moi, ils étaient pliés à côté de moi. Une vigne avait jailli du dos de ma main et les avait tirés vers moi.

« Merci, Asarina. »

« Maîttttre ! »

Mon plan pour la journée était de me changer, de prendre un petit-déjeuner, puis de rencontrer Shiran et de lui demander quelle était la situation actuelle. Deux jours s’étaient écoulés depuis qu’un autre dompteur de monstres, Kudou Riku, avait manipulé une armée de monstres pour qu’ils attaquent le Fort de Tilia, où dix étudiants — dont moi-même — séjournaient.

Après cet incident, on m’avait donné l’usage d’un étage entier dans la zone résidentielle de la forteresse. Tous mes serviteurs, y compris Rose et Gerbera, y séjournaient avec moi. Même si certaines zones de la forteresse avaient été détruites, en raison du grand nombre de victimes, il y avait plus qu’assez de chambres pour nous.

Trois organisations militaires étaient stationnées au Fort de Tilia : l’armée impériale du Sud, la deuxième compagnie des Chevaliers impériaux et la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. Actuellement, la forteresse abritait environ trois cents survivants de l’Armée impériale du Sud, cinquante des Chevaliers de l’Alliance et une centaine de non-combattants. À l’exception des chevaliers qui avaient accompagné Iino Yuna dans les Profondeurs pour sauver d’autres étudiants, la deuxième compagnie des Chevaliers Impériaux avait été anéantie lors de la trahison de Juumonji. Si l’on considère que le Fort de Tilia avait autrefois été rempli de plus de deux mille personnes, les pertes étaient catastrophiques.

Dans une guerre entre humains, il aurait pu avoir l’option de se rendre et d’éviter de telles pertes. Mais contre des monstres, et dans un siège avec nulle part où aller, les dommages avaient été catastrophiques.

Parmi les étudiants séjournant à la forteresse, le principal responsable de l’incident, Juumonji Tatsuya, son complice, Sakagami Gouta, ainsi que Watanabe Yoshiki, de l’équipe d’exploration, et huit membres de l’équipe locale de la Colonie étaient tous morts. Les seuls survivants étaient moi-même, Mikihiko, Miyoshi Taichi, les trois amis de Miyoshi Taichi, Iino Yuna — qui n’était pas susceptible de revenir des Profondeurs avant un certain temps — et Kudou Riku.

« Hé, Senpai. Veux-tu joindre tes forces aux miennes ? »

Ce jour-là, j’avais refusé la main de mon camarade-dompteur. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais abandonné tout ce à quoi j’avais tenu jusqu’à présent et je serais devenu le même genre de monstre que lui. Je le savais, mais comme il l’avait dit, il n’avait pas l’intention de m’abandonner. Nous allions sûrement nous revoir. Comment se présenterait-il devant moi la prochaine fois ? Que m’arriverait-il alors ? Je ne pouvais même pas l’imaginer pour l’instant.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Maître ? »

Avant que je ne le sache, Lily était revenue. Elle tenait un plateau avec ce qui semblait être des rations d’urgence — des légumes et de la viande hachés, mélangés dans une sorte de gruau. Elle posa le plateau sur une table ronde près de la fenêtre et me regarda avec curiosité. J’avais alors remarqué que mes mains s’étaient complètement immobilisées.

« O-Oh, désolé. Je me suis juste un peu assoupi. »

J’en avais ri et j’avais chassé la vague anxiété que je ressentais à propos de mon avenir. J’avais rapidement fini de me changer et m’étais assis sur la chaise en face de Lily. Il y avait une portion en face de moi.

« Ne manges-tu pas ? » avais-je demandé en hochant la tête.

« Bon sang. Dors-tu encore, Maître ? J’ai déjà bien mangé, tu te souviens ? Ne t’ai-je pas dit que je suis revenue pour faire une pause ? »

Lily avait donné une bonne claque à son estomac. Je m’étais surpris à baisser les yeux, mais j’avais immédiatement détourné mon regard. Même si nous étions en privé, elle restait une fille. Ce n’était pas bon de trop la fixer.

« Oh oui, tu l’as fait… Comment se passe le nettoyage ? »

« Hmmm. D’hier à aujourd’hui ? Environ un tiers pendant la journée ? »

Rose avait été ma garde de la nuit dernière jusqu’à ce matin pendant que Lily travaillait sur quelque chose qu’elle seule pouvait faire. Le Fort de Tilia avait réussi à surmonter une crise sans précédent, mais les survivants n’avaient pas eu le temps de se reposer, car ils avaient dû faire face aux conséquences de cette crise.

Les hauts gradés responsables de la forteresse avaient tous fait partie du plan de contre-offensive construit à la hâte, et ils avaient été anéantis par la magie de Juumonji lorsqu’il avait dévoilé sa véritable nature. Petit à petit, la commandante des Chevaliers de l’Alliance prenait les choses en main et s’occupait du nettoyage, mais le plus gros problème était le nombre stupéfiant de soldats décédés.

Les Terres forestières étaient riches en mana. Les cadavres laissés à l’air libre étaient susceptibles de se transformer en goules. Si on ne s’en occupait pas dans les jours qui suivent, le Fort de Tilia risquait d’être déchiré de l’intérieur par les morts-vivants, même s’il avait déjà surmonté une crise majeure.

Même si cela ne se produisait pas, les cadavres pourriraient s’ils étaient laissés ainsi, ce qui pourrait entraîner des maladies. C’était leur priorité pour le moment, mais il n’y avait pas que des cadavres humains. Les monstres qui avaient déferlé dans la forteresse pendant l’attaque gisaient morts un peu partout.

***

Partie 2

J’avais demandé aux chevaliers de me permettre d’aider à cela. Il y avait quelques raisons pour lesquelles nous voulions nous occuper de ce travail, mais la raison principale était basée sur les informations que nous avions obtenues de Kudou. Dans ce monde, on pouvait gagner du mana en battant d’autres êtres qui en possédaient aussi. Par ailleurs, cela n’était pas nécessairement limité aux monstres. De plus, selon Kudou, manger la viande des morts était plus efficace que de simplement les tuer. C’est pourquoi Kudou avait récupéré les cadavres des étudiants qui avaient de grandes quantités de mana. Cette loi s’appliquait également à la consommation de monstres.

Il suffisait de dire qu’il y avait beaucoup à gagner en s’occupant nous-mêmes de tous les cadavres de monstres, et Lily était la plus apte à le faire.

C’était un slime. Sa nature même était la prédation. Elle avait joué à frapper son ventre, mais avec sa biologie indéfinie, il n’y avait rien en elle comme un estomac qui limitait la quantité qu’elle pouvait manger. Sans limites, elle pouvait devenir encore plus forte. En outre, elle était un slime mimétique. Elle pouvait imiter les capacités de tous les monstres qu’elle mangeait.

En tout cas, c’est pourquoi j’avais demandé à Lily de nettoyer tous les monstres. J’avais également demandé à Gerbera de transporter les cadavres dans la pièce que Lily utilisait pour cela. Le fait que Gerbera soit dehors en ce moment en train de se promener signifiait qu’elle avait atteint un bon point pour faire une pause.

« Alors un tiers, hein ? Ça va plus vite que je ne le pensais, » avais-je dit.

« Je donne la priorité à ceux qui pourrissent avec le temps, et il se trouve aussi qu’ils se digèrent plus vite. »

« Je vois. »

J’avais accompagné Lily pendant une partie de son travail hier. Je m’étais souvenu de tous les monstres que j’avais vus pendant ce temps. La capacité d’un slime à digérer et absorber la matière faisait partie de leur spécialité en tant que monstres. Cependant, cela prenait un certain temps en fonction de questions telles que la compatibilité. Il y a deux jours, nous avions évité autant que possible d’engager des monstres, donnant la priorité à la lutte contre les tricheurs. Il y avait de nombreux monstres que nous n’avions jamais vus auparavant et qui semblaient prendre du temps à digérer. Par exemple, il y avait des golems en argile ressemblant à des poupées, des élémentaires de feu rouge foncé qui étaient des amalgames de polyèdres, de grandes fourmis d’acier avec des carapaces métalliques, et d’énormes tortues blindées.

« Eh bien, j’aurai probablement terminé dans quelques jours, » dit Lily.

« Je vois. Alors, concentre-toi sur cela un peu plus longtemps. Je suis sûr que c’est difficile avec tout ce qu’il y a… »

« C’est bon. Ce n’est pas vraiment gênant. C’est la première fois depuis que je suis née que j’ai autant à manger. En fait, c’est un peu… »

Lily avait léché ses lèvres. Sa langue rouge était séduisante. Par inadvertance, j’avais arrêté ma cuillère à mi-chemin de ma bouche.

« Hé, Maître… ? » dit-elle avec un charmant sourire. « Je suis, tu sais, un slime, non ? C’est normal que je mange, que je grossisse et que je me sépare pour me multiplier. »

« Ouais. Qu’est-ce qu’il y a ? En fait, Lily, qu’est-ce que tu as ? Tu sembles un peu… »

Lily semblait étrangement érotique. J’avais un peu hésité, et Lily m’avait fait un signe de tête.

« Rien de particulier. Je suis normale. Ouaip, c’est normal… Je veux dire, manger signifie se multiplier. Et se multiplier, c’est se multiplier. »

En d’autres termes, la biologie originelle de Lily en tant que slime avait une influence sur sa disposition en tant que fille mimétique. Elle s’était levée et s’était penchée sur la petite table. Son visage adorable et légèrement rougi s’était rapproché de moi alors que ses doigts touchaient ma joue. Son doux parfum chatouilla mon nez. Cette adorable invasion de mon espace personnel était un droit spécial qu’elle seule possédait.

« Maître… »

Le sourire envoûtant de Lily était juste devant mon visage, et j’avais dégluti.

« Qu’est-ce que tu essaies de me faire faire à la première heure ? » avais-je dit, en lui donnant une tape sur le front.

« Owie. »

Lily s’était rassise, se tenant le front. Je l’avais regardé.

« Je vais voir Shiran aujourd’hui. Je n’ai pas le temps de paresser. »

« D’accorrrrrdd… »

Lily continuait à se tenir le front en se prosternant sur la table, même si c’était mal vu de le faire. En la regardant agir sans défense, je m’étais secrètement senti soulagé.

C’était proche. Juste un peu plus et je l’aurais fait… C’était un peu effrayant qu’une partie de moi regrette de ne pas l’avoir fait. Si je restais ici plus longtemps, cette étincelle dans ma poitrine pourrait s’enflammer à tout moment. J’avais rapidement englouti le reste de mon petit-déjeuner et je m’étais levé de mon siège.

« Allez, on y va. »

« Hm, bien… Hé, Maître ? »

Elle était étonnamment docile. Elle restait prostrée sur la table, ne me regardant qu’en bougeant les yeux. Je m’étais mis sur la défensive pour ce qui allait suivre.

« Si quelque chose te préoccupe, tu sais que tu peux compter sur moi quand tu veux, n’est-ce pas ? »

À ce moment-là, j’avais soudain réalisé que mes inquiétudes au sujet de Kudou s’étaient évanouies alors que j’avais une conversation aussi stupide avec elle.

« Lily… »

Elle m’avait souri gentiment. Je n’étais vraiment pas de taille pour elle. C’est ce que j’avais honnêtement pensé quand j’avais vu son sourire.

« Je le sais, » avais-je dit en me grattant la tête.

J’avais tendu ma main vers elle. Son sourire s’était accentué, et elle avait pris ma main pour se lever. Cependant, je ne m’étais pas arrêté là. Les choses n’étaient pas très équilibrées si j’étais celui avec qui on jouait tout le temps. J’avais tiré sur sa main.

« Wôw ! »

Elle ne semblait pas s’y attendre, et j’avais pu l’attraper plus facilement que prévu. Avec ma bien-aimée dans mes bras, je m’étais imprégné de la chaleur de son corps et de sa tendresse. J’avais l’impression d’être un simplet, mais je ne pensais pas que c’était une mauvaise chose, pas le moins du monde.

« Alors, on y va ? » avais-je demandé.

« Hm. »

Nous avions échangé des sourires et quitté la pièce ensemble.

 

 ◆ ◆

Des membres des Chevaliers de l’Alliance étaient postés à l’étage que nous utilisions à tout moment. Après être sortis de notre chambre, Lily et moi avions demandé à l’un des chevaliers du couloir de nous escorter jusqu’à l’endroit où se trouvait Shiran.

Nous avions avancé dans les couloirs en ruine. Les imposants murs de pierre s’étaient effondrés ici et là, et des fragments brisés gisaient à quelques pas de là. Ils n’avaient pas encore eu le temps de s’occuper de ces choses.

« Oh oui, » déclara Lily en chemin. « Rose a mentionné quelque chose avant de quitter la pièce. Il y a quelque chose qu’elle veut de toi, Maître. »

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Elle aimerait voir plus de types de pierres runiques. »

Les pierres runiques étaient des pierres spéciales capables de manifester des phénomènes magiques tels que la création d’eau ou de lumière. Chacune était taillée de manière unique en fonction de son utilisation. Certaines nécessitaient un entraînement spécial pour être utilisées, mais fondamentalement, elles fonctionnaient avec du mana et ne nécessitaient pas nécessairement que l’utilisateur ait des compétences en magie. Cependant, il semblerait que leurs effets soient plutôt limités. De plus, à l’exception des simples pierres runiques qui circulaient couramment, il n’y avait pratiquement plus d’artisans capables de les sculpter, et celles fabriquées par ces artisans étaient extrêmement chères. Selon le type de pierre, certaines étaient gardées sous clé et ne quittaient jamais leurs coffres. Il y avait aussi des pierres runiques dont les méthodes de fabrication avaient été perdues, comme les pierres runiques de barrière qui protégeaient les cabanes dans les Profondeurs.

« Plus de pierres runiques… ? Oh oui, elle avait l’air de s’y intéresser. »

Lorsque l’attaque du Fort de Tilia avait été réglée avec la mort de Juumonji et l’évasion de Kudou, Rose était retournée à la forteresse avec nous. Elle avait montré un grand intérêt pour la technologie qu’elle voyait pour la toute première fois. En tant que marionnette magique qui créait des outils magiques, les technologies inconnues suscitaient son intérêt. Elle avait apparemment détaché la pierre runique d’illumination dans sa chambre et l’avait examinée.

« Elle veut voir des types autres que la pierre runique d’illumination. Si possible, elle veut aussi en voir avant qu’elles ne soient sculptées. »

« Des pierres runiques non traitées ? A-t-elle l’intention d’essayer d’en fabriquer elle-même ? »

« Elle veut essayer, mais elle a dit que ça ne la dérangeait pas même si elle peut juste jeter un coup d’œil. Il y a d’autres choses dont elle est apparemment curieuse. »

« C’est terriblement vague venant de Rose. »

« On dirait qu’elle n’est pas entièrement sûre d’elle-même. En fait, n’est-ce pas parce qu’elle n’est pas sûre qu’elle veut te demander et vérifier un tas de choses ? »

C’est logique. J’avais fait un signe de tête à Lily. « OK, je demanderai après que nos discussions avec Shiran soient terminées. »

« Hm. S’il te plaît, fais-le. »

Tout en discutant, nous étions arrivés à la pièce située au bout du couloir. Nous avions remercié le chevalier qui nous avait accompagnés et nous nous apprêtions à entrer dans la pièce lorsque plusieurs chevaliers en étaient sortis. La fille qui les avait raccompagnés s’était ensuite tournée vers nous. Ses cheveux blonds étaient attachés en queue de cheval, laissant apparaître ses oreilles pointues, et elle portait un cache-œil. La jeune fille elfe, qui n’avait plus qu’un seul œil bleu, avait repéré Lily et moi qui nous tenions là.

« Vous êtes là, Takahiro. Bonjour à vous. »

« Bonjour, Shiran. Tu sembles occupée. »

Après avoir échangé des salutations, je m’étais installé à côté de Lily sur la chaise vers laquelle Shiran nous avait guidés.

« Rien de tel. La commandante est bien plus occupée que moi. Je viens de finir de distribuer les ordres pour la journée. Comment va ta condition ? »

« La fatigue est passée. Et toi ? »

« Je vous remercie de vos préoccupations. Il n’y a pas eu de désagréments particuliers pour l’instant. »

Shiran avait souri, mais je ne m’étais pas senti soulagé. Shiran et moi avions surmonté le même carnage, oscillant entre la vie et la mort, mais nos circonstances étaient différentes. Elle avait après tout été tuée dans la bataille il y a deux jours. Ce n’était pas vraiment une question d’hésitation pour elle, elle était tombée complètement du côté de la mort. Après cela, elle s’était réveillée en tant que monstre mort-vivant grâce à son énorme volonté. Bien qu’elle ne soit qu’une goule sans esprit, elle avait retrouvé sa conscience de soi et était maintenant capable de sourire comme elle le faisait maintenant.

***

Partie 3

La Tragédie du roi mort-vivant Carl racontait l’histoire d’un puissant monstre mort-vivant appelé liche qui avait gardé le sens de la raison tout en étant roi. Ce n’est actuellement rien de plus qu’un conte de fées, mais l’existence de Shiran prouvait que cela aurait pu être vrai. Elle était actuellement quelque part entre une liche et une goule… une demi-liche, pour ainsi dire. Il n’y avait pas de précédent pour cela, donc une inspection de suivi était nécessaire.

« Il n’y a pas besoin de s’inquiéter. Comme tu peux le voir, je peux maintenant même appeler l’esprit. » Elle montra une petite boule qui flottait au-dessus d’elle et qui ressemblait à une poupée qu’un enfant aurait fabriquée avec de l’argile.

 

 

Parmi les elfes, certains pouvaient communiquer avec les esprits, une capacité unique à leur race. On les appelait les spiritualistes. Shiran était l’une de ces spiritualistes, et la petite boule flottant au-dessus d’elle était un esprit avec lequel elle avait passé un contrat. Juste après s’être transformée en demi-liche, elle avait dit qu’elle ne pouvait pas faire appel aux esprits à cause de l’instabilité de son mana, mais deux jours plus tard, elle avait apparemment retrouvé leur usage. De telles capacités étaient révélatrices de son titre de chevalier le plus fort des forêts du Nord.

« Bien que, je suis gênée en disant qu’en appeler l’un d’entre eux est le mieux que je puisse faire, et il ne semble pas que je puisse lui demander de fouiller la zone. Je vais devoir m’adapter progressivement à cette question. »

« Tant que tout va bien… Fais-moi savoir si quelque chose arrive. Il y a peut-être quelque chose pour laquelle je peux aider. »

Shiran avait conservé la personnalité qu’elle avait dans la vie, même en tant que monstre mort-vivant. Mais bien qu’elle soit un monstre avec une volonté, sa situation était différente de celle des autres filles, et je ne pouvais pas l’appeler ma servante. Cependant, en même temps, son être même était de la même nature que la leur. Il était possible que je puisse aider d’une manière ou d’une autre si un problème survenait.

Elle était ma servante, et pourtant elle ne l’était pas. Pourtant, mon désir de l’aider était aussi fort que pour toutes les autres. C’était la façon dont je pensais à cette noble fille.

« Merci beaucoup, » dit Shiran, en me faisant un large sourire avant de passer à l’essentiel. « Alors, ai-je raison de penser que tu es venu aujourd’hui pour entendre parler de la situation actuelle de la forteresse ? »

« Oui. D’après ce que la commandante a dit avant-hier, ils étaient encore en train de décider des plans jusqu’à aujourd’hui. Peux-tu me donner les détails ? »

« Compris. » Shiran avait hoché la tête, puis elle avait commencé à nous parler de la situation. « Tout d’abord, concernant l’enterrement des morts. Il semble que cela prendra plusieurs jours, comme nous l’avions prévu. L’armée est principalement chargée de s’en occuper, mais vu que les ressources sont limitées et qu’il faut faire attention à la présence des goules, cela prend du temps à accomplir. »

« C’est à peu près inévitable… Y a-t-il eu des épidémies de goules ? »

« Deux corps se sont transformés en goules hier. Les deux ont été traités sur place. Les chevaliers de l’ Alliance se sont immédiatement précipités sur le site, il n’y a donc pas eu de victimes. »

« Je vois. »

Peut-être que les choses auraient pu se passer différemment si j’avais été là. Cette pensée m’avait traversé l’esprit… mais un cas exceptionnel comme celui de Shiran avait peu de chances de se reproduire. De plus, cela ne vaudrait pas la peine de multiplier le nombre de victimes en essayant de retenir les goules jusqu’à ce que j’arrive, pour que cela ne fonctionne pas. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs. Shiran était une exception. Il semblerait que je n’avais pas d’autre choix que d’abandonner à cet égard.

« D’autres épidémies de goules se produiront au fil du temps, » poursuit Shiran, « nous devons donc nous débarrasser des cadavres aussi vite que possible. Cela me contrarie que nous ne puissions pas leur offrir un service funéraire digne de ce nom… »

« Y a-t-il quelque chose que nous pouvons faire pour vous aider ? »

« Non, c’est un peu… »

Shiran s’était éloignée, alors que son expression était sombre. Il semblerait que j’ai dit quelque chose d’irréfléchi.

« Je suis désolé. Je ne voulais pas te déranger, » lui avais-je dit.

« C’est moi qui devrais m’excuser. Je sais que c’est plutôt impoli de notre part… »

« Ne t’excuse pas. Ce n’est pas de ta faute, » avais-je dit en me grattant maladroitement la tête. « D’ailleurs… C’est vrai. Il est important de connaître la situation actuelle. C’est le moment ou jamais. Pourrais-tu me dire ce que les survivants pensent de moi ? »

Tous ceux qui étaient restés ici savaient que j’avais la capacité d’apprivoiser les monstres. Cela s’appliquait naturellement aux chevaliers de l’Alliance qui avaient combattu à nos côtés, et plusieurs autres personnes nous avaient vus lorsque nous nous déplacions dans la forteresse. Nous avions largement dépassé le stade de la dissimulation.

Les gens de ce monde voyaient les monstres comme leurs plus grands ennemis. Ils craignaient les monstres depuis si longtemps que cette peur était devenue instinctive. Ils étaient également la cible de la haine et du ressentiment de tous ceux qui avaient perdu un être précieux pour eux. La race elfique avait produit des spiritualistes en grand nombre, et en raison de la croyance que les esprits étaient une sous-espèce des monstres, ils avaient été persécutés comme des traîtres à l’humanité. Pour les gens d’ici, accepter un dompteur de monstres serait impensable, et ce n’était pas quelque chose que je pouvais changer en un ou deux jours.

En tant que spiritualiste elfe, Shiran le comprenait mieux que quiconque. Elle m’avait souri tristement. « En vérité, je crois que beaucoup sont déconcertés par la situation. La capacité de faire des monstres des compagnons est totalement inconnue, même pour les légendaires sauveurs venus d’autres mondes. »

J’avais pensé à une balance instable. Toute tentative de la stabiliser pourrait la faire basculer dans l’autre sens. Nous ne pouvions pas l’ajuster sans réfléchir. C’était une autre raison pour laquelle j’avais voulu me débarrasser des cadavres des monstres. Les chevaliers de l’ Alliance se plieraient à la volonté de leur commandante, mais nous ne pouvions pas travailler aux côtés des soldats impériaux. Nous étions isolés dans la forteresse et sous la garde constante des chevaliers de l’Alliance parce que nous étions des sortes de VIP. Ils constituaient pour ainsi dire une zone tampon entre nous et les soldats.

« Eh bien, dans la longue histoire des visiteurs venus de loin, seuls Kudou et moi avons eu ce genre de pouvoir, » avais-je dit. « Je peux comprendre pourquoi ils ne m’acceptent pas facilement. Je m’étais préparé à cela dès le début, et ça se passe en fait beaucoup mieux que je ne le pensais. »

Les humains n’étaient pas des machines. Ils avaient un cœur. Les gens de ce monde avaient leur propre sens des valeurs. Je ne pouvais pas simplement dire « quand on est à Rome, faite comme les romains » et laisser les choses telles qu’elles étaient, mais essayer de les forcer à m’accepter ne ferait qu’engendrer le chaos et potentiellement le malheur de toutes les personnes impliquées. Ce serait tout simplement égoïste. Au moins, ils n’allaient pas interférer tant que je ne faisais rien d’étrange. C’était plus que suffisant.

« En fait, je pensais qu’ils allaient me rejeter purement et simplement, » avais-je dit.

« Vous avez après tout sauvé beaucoup d’entre eux après la bataille. »

Comme Shiran l’avait dit, après avoir confirmé que Kudou était parti il y a deux jours, nous avions aidé les Chevaliers de l’Alliance dans leurs activités de sauvetage. Lily avait utilisé sa magie de guérison sur certains des survivants, et Gerbera avait tiré certains d’entre eux des débris tombés, bien qu’ils aient crié tout le temps.

« En battant Juumonji Tatsuya et en mettant en déroute Kudou Riku, vous êtes techniquement responsable du sauvetage de toutes les personnes actuellement dans la forteresse… Mais il semble que votre aide directe aux efforts de sauvetage joue un rôle plus important. Je ne peux pas prétendre qu’aucun d’eux ne vous porte de l’animosité, mais vous pouvez les considérer comme une minorité. Les Chevaliers de l’Alliance peuvent vous aider à cet égard. Cependant, c’est tout ce que nous sommes capables de faire. »

« C’est plus que suffisant. Maintenant que tu le dis, y a-t-il des chevaliers de l’ Alliance qui ne sont pas satisfaits de cela ? »

« Tous les membres de la troisième compagnie ont été sélectionnés par la commandante, » dit Shiran avec un sourire en coin, mais fier. « De plus, elle a fait de moi, un elfe, son lieutenant. Dès le départ, quiconque serait mécontent maintenant ne serait pas membre. En fait, à cause de cela, la commandante est considérée dans certaines régions comme une amoureuse des elfes et une excentrique. »

« Je vois. C’est donc ça qui vous a rendu amoureux, Mikihiko et toi, hein ? »

J’avais haussé les épaules. Shiran avait souri en signe d’accord, puis m’avait regardé avec un regard doux.

« Takahiro, que comptes-tu faire à partir de maintenant ? »

« Hm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Une fois les morts enterrés, nous abandonnons le Fort de Tilia. »

J’avais dégluti devant cette révélation. « Je vois. La commandante a donc pris sa décision. »

« Oui. Actuellement, seuls deux tiers des survivants peuvent se déplacer correctement. Seulement la moitié d’entre eux peuvent se battre. Indépendamment de ce que j’ai dit tout à l’heure, s’il y avait effectivement quelqu’un qui voulait te nuire, tout le monde est épuisé au point de ne pas avoir l’énergie nécessaire pour agir. »

Ce monde possédait un pouvoir miraculeux qui n’existait pas dans le nôtre : la magie de guérison. Cependant, elle n’était pas illimitée. Par exemple, la magie de guérison de rang 3 de Lily pouvait même rattacher un membre selon les circonstances, mais elle ne pouvait pas reformer un membre si, par exemple, un monstre l’avait dévoré. Il y avait de nombreux cas où il était trop tard pour une quelconque guérison, et certains nécessitaient une rééducation avant même que le combat ne soit envisagé. La magie de rang 3 était également le niveau le plus élevé que les habitants de ce monde pouvaient espérer atteindre. Au départ, il n’y avait que quelques praticiens dans la forteresse, dont Shiran, mais elle avait perdu la capacité de le faire lorsqu’elle s’était transformée en monstre mort-vivant.

***

Partie 4

« De plus, la trahison des estimés sauveurs… surtout Juumonji Tatsuya, que beaucoup de soldats connaissaient, a été un énorme choc. Beaucoup sont consternés, disant qu’une telle chose ne peut pas être vraie. »

« Mais c’est vraiment arrivé. »

« Oui. Nous, les Chevaliers de l’Alliance, l’avons vu de nos propres yeux, et il y a plusieurs soldats qui ont survécu à l’effondrement sur les remparts. C’est précisément pourquoi beaucoup d’entre eux sont mentalement dépassés. »

Les visiteurs venus de loin étaient traités ici comme des sauveurs. Ils étaient des symboles d’espoir, à la limite des piliers religieux qui soutenaient moralement toute la population. Les réalités de ce monde étaient si dures que les gens ne pouvaient pas continuer à vivre s’ils n’avaient pas l’espoir qu’ils appelaient des sauveurs. Ainsi, lorsque ces sauveurs utilisaient leurs pouvoirs extraordinaires contre le peuple pour des raisons égoïstes, le choc et la confusion étaient parfaitement naturels. Il était compréhensible que cela déchire leurs cœurs.

Il y avait encore la chaleur résiduelle de la bataille et la menace imminente des épidémies de goules, alors ils avaient réussi à garder leur calme. Cependant, nous ne savions pas combien de temps cela pouvait durer. C’était en fait stupéfiant qu’ils soient capables de faire leur travail comme ça.

Une grande partie de cela était probablement due aux capacités de la commandante. Elle n’avait même pas laissé aux soldats le temps de tomber à genoux et de gémir. Au lieu de cela, elle les avait grondés en disant. « Et vous vous appelez les avant-gardes qui protègent l’humanité ? » À première vue, elle semblait plutôt dure, mais elle mettait tout en place pour l’évacuation pendant qu’ils pouvaient encore bouger, afin d’éviter d’autres victimes.

« Toutes les installations de la forteresse ont été pratiquement détruites, » poursuit Shiran. « Il faudra des réparations à grande échelle impliquant des milliers de personnes, plusieurs années et un plan de réorganisation détaillé. Il n’y a rien que nous puissions faire dans l’état actuel des choses. »

« Veux-tu dire qu’il n’y a aucun moyen pour une centaine de personnes de protéger une forteresse criblée de trous ? »

« Exactement. Nous avons déjà envoyé un messager pour demander des secours, mais il faudra encore trois ou quatre jours pour qu’ils atteignent le village le plus proche à cheval. Rassembler des soldats et organiser l’armée prendra encore plus de temps que cela avant de pouvoir les envoyer. Rester ici plus longtemps ne fera qu’augmenter le nombre de victimes sans le moindre but. »

« D’où l’évacuation. »

Shiran hocha la tête alors qu’une ombre de chagrin s’abattit sur elle. Jusqu’à présent, elle avait risqué sa vie en combattant au Fort de Tilia, un mur construit pour protéger le monde des humains. Abandonner une telle forteresse était certainement déchirant pour elle et les chevaliers.

« Heureusement, le nombre de monstres dans la zone immédiate a fortement diminué, pour l’instant. De nouveaux monstres arriveront sans doute des régions environnantes d’ici dix jours, mais nous devrions pouvoir évacuer à temps. »

« Kudou a lancé tous les monstres qu’il avait rassemblés contre nous, donc il a probablement épuisé la région. »

« Nous ne pouvons pas nous permettre que la forteresse devienne un repaire de monstres morts-vivants, les corps doivent donc être enterrés. Une fois que ce sera fait, la commandante a décidé de partir. » Shiran avait pris une profonde inspiration. Son expression était raide en raison de la tension. « À ce moment-là, nous aimerions que vous veniez avec nous, Takahiro. »

« Si vous voulez que je vous aide, alors j’ai bien sûr l’intention d’accepter. »

Maintenant, je comprends pourquoi elle m’avait demandé quels étaient mes plans. Évacuer les survivants signifiait déplacer près de cinq cents personnes. La route traversant les Terres forestières était entretenue pour l’usage de l’armée, donc sa sécurité était apparemment garantie dans une certaine mesure. Cependant, cela ne signifiait pas qu’ils ne rencontreraient pas de monstres en déplaçant autant de personnes à la fois. Les forces du Fort de Tilia étaient celles qui maintenaient la sécurité de la route en premier lieu, donc avec ces patrouilles paralysées, le voyage deviendrait de plus en plus dangereux. De plus, parmi les cinq cents survivants, beaucoup étaient des non-combattants ou n’étaient plus capables de se battre. Nous pourrions être en mesure d’aider à réduire le nombre de victimes en allant avec eux.

Cependant, le sourire de Shiran semblait troublé. « Je suis bien sûr heureuse d’avoir ta coopération, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. »

J’avais plissé les sourcils en raison de la curiosité alors que Shiran continuait.

« La commandante a dit qu’elle aimerait t’inviter dans notre pays. »

« Hein… ? »

« La chute du Fort de Tilia est un incident majeur. La commandante sera sans doute indisposée, devant expliquer la situation à tous. Avant cela, elle prévoit de rentrer chez elle pour faire son rapport à son père, Sa Majesté le Roi. À ce moment-là, elle aimerait que tu sois également présent, Takahiro. »

Je ne comprends pas… J’avais en fait entendu dire que la commandante était la princesse d’un certain pays. La maison à laquelle Shiran faisait référence était probablement la capitale de ce pays, mais…

« Pourquoi voudrait-elle que je sois là ? »

« Avons-nous besoin d’une autre raison que celle de vouloir inviter un invité d’honneur d’un autre monde à une réception chaleureuse ? De plus, tu es notre bienfaiteur. Tu nous as sauvé la vie en affrontant Juumonji Tatsuya, et tu as combattu à nos côtés sur le champ de bataille. Si tu as d’autres plans, cependant, je n’ai pas l’intention d’insister sur ce point. »

« Non, je n’ai pas vraiment de projets… »

« Il est de coutume d’inviter les grands sauveurs dans la capitale impériale pour leur réserver un accueil hospitalier. Les autres visiteurs s’y rendront sûrement. Cependant, tu n’iras pas avec eux, n’est-ce pas ? »

« Compte tenu de mes capacités, il serait difficile de vivre comme un grand héros ici. Dès le départ, je n’avais même pas la moindre intention de le faire. »

Je n’avais pas menti quand j’avais parlé à Kudou il y a deux jours. La chose la plus importante pour moi était de vivre avec les filles en tant que leur maître. Je n’avais pas l’intention de devenir un sauveur du monde.

« Tout ira bien tant que je pourrai trouver un endroit où vivre en paix aux côtés de Lily et des autres. »

« Si c’est le cas, alors je crois que c’est une bonne proposition pour toi. Que dirais-tu de prendre le temps de réfléchir à tes options tout en consultant la commandante pendant ton séjour dans notre pays d’origine ? »

Ce n’était pas une mauvaise idée. Mon but était de trouver un endroit sûr où vivre. Cependant, il était difficile d’agir dans ce monde quand je ne connaissais rien à l’environnement. J’avais besoin de contacts. Même si nous devions nous contenter de provisions et de vivre dans les Terres forestières, nous devions encore élaborer et exécuter un plan en partant de zéro, ce qui ne manquerait pas d’être un chemin épineux. Consulter une princesse pourrait élargir considérablement mes options.

Nous avions le choix entre nous aventurer dans un pays étranger sans aucune aide ou commencer quelque part où j’avais déjà un allié rassurant. Il n’y avait pas besoin de dire quelle était la meilleure option. Il ne restait plus qu’à décider si l’on pouvait faire confiance à la commandante…

J’avais jeté un coup d’œil à Lily, qui m’avait souri en réponse.

« Compris, » avais-je dit en hochant la tête. « J’accepte l’offre. Je vais en discuter avec mes compagnons, mais je ne pense pas qu’ils s’y opposeront. »

« Merci mon Dieu. J’en informerai la commandante par la suite, » répondit Shiran avec un large sourire.

« Ah oui, qu’est-ce que tu comptes faire, Shiran ? Je suppose que tu vas aussi retourner avec la commandante dans ton pays ? »

La position de Shiran était extrêmement délicate en ce moment. Personne ne pouvait dire au premier coup d’œil qu’elle était un monstre mort-vivant. Elle était légèrement pâle, mais c’était à peu près tout. Les seuls à connaître sa situation, à part nous, étaient les membres des Chevaliers de l’Alliance qui avaient été témoins de son déchaînement lorsqu’elle était redevenue une goule. Les chevaliers qui avaient combattu côte à côte dans les régions boisées avaient un sens aigu de la camaraderie. Ils n’auraient même pas envisagé de répandre des rumeurs sur le secret de leur lieutenant. Il était assez peu probable que cela se sache. Cela dit, cela pourrait causer des problèmes à la compagnie si cela venait à se savoir.

Shiran semblait troublée, mais elle souriait toujours joyeusement. « Honnêtement, je suis en conflit… mais heureusement, la commandante m’a dit de continuer à servir en tant que chevalier. Elle m’a grondée, disant que j’aurais dû le savoir du simple fait que je n’avais pas été renvoyé comme lieutenant. »

« C’est tout à fait son genre. »

J’avais pu constater par moi-même que le lien qui unissait ces deux femmes en tant que compagnes d’armes était bien plus profond que leur simple lien de lieutenant et de commandant. Il était hors de question que la commandante laisse sa subordonnée de confiance s’inquiéter de son avenir.

« Je suis vraiment bénie. »

Shiran avait l’air un peu amère en sortant quelque chose qui pendait d’une chaîne autour de son cou. C’était une bague avec une gemme rouge à l’intérieur. Après s’être transformée en goule, elle ne pouvait même pas la mettre devant quelqu’un, mais elle ne pouvait pas la jeter. C’était la preuve qu’elle était un chevalier.

« Je suis un chevalier, comme avant. Je me battrai pour le bien de ceux que je dois protéger. Je ne remercierai jamais assez la commandante. »

La pierre runique dans l’anneau devenait bleue pour un humain et jaune pour une goule. La gemme rouge dans l’anneau de Shiran était la preuve qu’elle était une demi-liche. Cependant, elle était un chevalier avant tout cela.

Shiran était forte. Même en tant que monstre mort-vivant, elle avait encore beaucoup de soucis, mais elle maintenait d’une manière inébranlable ce qu’elle était censée être. C’était cette conscience de soi en tant que chevalier qui la soutenait tant.

« Je te suis bien sûr reconnaissante à toi aussi, Takahiro. Je suis très heureuse que nous nous soyons rencontrés. »

« De même. Il semble que nous soyons ensemble pour un moment encore. Faisons de notre mieux. »

Shiran avait souri de bon cœur, la moitié de son visage étant cachée par un cache-œil.

Nous avions donc décidé de laisser le Fort de Tilia derrière nous pour aller dans le pays de Shiran.

***

Chapitre 3 : Tendre la main vers le bonheur

Partie 1

Cinq jours s’étaient écoulés depuis que Shiran m’avait parlé des plans de la commandante. Bien que nous ayons subi plus de pertes à cause des épidémies sporadiques de goules, les dernières crémations avaient eu lieu hier.

Shiran avait dit que les soldats avaient droit à un jour de repos avant de quitter la forteresse demain. Le traitement du grand nombre de cadavres de monstres progressait également sans problème grâce aux efforts continus de Lily. Elle m’avait signalé ce matin qu’elle allait avoir terminé dans la journée.

Je vais laisser de côté ce qui s’est passé à ce moment-là… Elle avait été très occupée à tout faire avant notre départ, aussi les matins étaient-ils les seuls moments où elle pouvait prendre une pause. Pendant ces moments, elle avait inconsciemment cherché une compensation. L’échange quotidien d’attaque et de défense tôt le matin était devenu de plus en plus périlleux à mesure que l’attaque se renforçait et que la défense s’affaiblissait.

Je n’avais pas eu beaucoup d’occasions d’interagir avec d’autres personnes que les chevaliers de l’Alliance. Je ne pouvais que regarder de loin. Les préparatifs semblaient se dérouler sans accroc. Cependant, il y a une chose que j’avais vue et que j’avais trouvée plutôt surprenante. Ce monde avait des « automobiles ».

« Cependant, elles sont différentes des boîtes d’acier mobiles de votre monde, » dit Shiran.

Ils ressemblaient à de simples chariots couverts, mais il n’y avait pas de cheval pour les tirer. Une pierre runique utilisait le mana circulant sous la terre comme source d’énergie pour déplacer le véhicule. Ils les appelaient manamobiles. Ils ne se déplaçaient pas si vite que ça. Leur vitesse maximale était à peu près celle d’un sprint normal, mais leur vitesse normale était de l’ordre de la marche. La collecte de mana en mouvement était insuffisante, alors ils stockaient du mana pendant la nuit quand ils étaient immobiles, de cette façon ils pouvaient se déplacer pendant toute la journée.

« Des manamobiles, hein ? La technologie magique est vraiment étonnante ici, » avais-je marmonné.

« C’est écologique, n’est-ce pas ? » dit Lily. « Je n’en ai entendu parler que par des souvenirs, mais c’est un peu comme une voiture solaire. Bon, la seule raison pour laquelle les manamobiles ne bougent pas pendant la nuit, c’est pour des raisons de sécurité, donc c’est un peu différent. »

« Je trouve ton monde bien plus étonnant, Takahiro. Vous avez une technologie qui procure du mana à partir de la lumière du soleil, non ? Mikihiko m’en a parlé, » dit Shiran.

« C’est un peu différent de ça… mais c’est bien de l’interpréter de cette façon, » avais-je répondu. Il serait difficile d’expliquer la différence, alors j’étais resté quelque peu évasif.

Par ailleurs, il y avait des chevaux dans ce monde, mais on ne les utilisait pas beaucoup dans les régions forestières. Les animaux avaient peur de cette région, il fallait donc un entraînement spécial pour les y amener. C’est pourquoi le transport de biens non essentiels se faisait généralement par manamobiles. Même en dehors des Terres forestières, ces véhicules nécessitaient moins de travail pour leur entretien que les chevaux, ils étaient donc assez largement utilisés.

Cette fois-ci, ils devaient transporter des soldats en détresse souffrant de séquelles de blessures, ils utilisaient donc les manamobiles pour le faire. Ils nous avaient également prêté l’usage d’un de ces véhicules. En effet, il serait gênant pour Gerbera, Rose ou Ayame d’être repérées sur notre chemin. J’avais accepté leur gentillesse avec reconnaissance.

Après avoir entendu les détails du départ de demain matin, j’étais allé voir Rose. Lily devait encore finir son travail, alors nous nous étions séparées devant la chambre de Rose. Il y avait un chevalier qui nous accompagnait, donc nous avions gardé le flirt au minimum. J’avais serré son corps délicat dans mes bras, puis j’avais fait un signe d’adieu. Maintenant seul, je m’étais retourné et j’avais frappé à la porte.

« Rose, c’est moi. » Mes coups étaient raides, et ils résonnaient dans le couloir comme une manifestation de la tension qui m’habitait.

« Bonjour, Maître. »

Ce qui m’avait accueilli… n’était pas un mannequin sans visage, mais une femme aux cheveux gris portant des vêtements qu’elle avait empruntés à Lily et un masque couvrant son visage. Je n’étais pas encore familier, mais c’était ce à quoi Rose ressemblait maintenant. Le jour où le Fort de Tilia avait été attaqué, avant que nous ne poursuivions Sakagami, j’avais rencontré Rose et j’avais découvert qu’elle était déjà habillée de la sorte. Le masque qu’elle portait maintenant était tout neuf. Il y avait un trou à la place de son œil droit, mais rien qu’en regardant l’œil restant à travers son masque, il était clair que son visage n’était plus plat et immobile.

Apparemment, Rose avait secrètement modifié son corps en entier. D’après son comportement habituel, j’avais compris qu’elle me le cachait parce qu’elle ne voulait pas que je le voie avant d’être satisfaite de ce qu’elle avait fait. C’était une fixation de sa part en tant que créatrice.

Le visage de Rose avait été endommagé lorsqu’elle avait rencontré les monstres qui s’étaient abattus sur le Fort de Tilia. C’était déjà un travail en cours, alors elle ne voulait le montrer à personne. C’est pourquoi je n’avais pas encore vu le visage qu’elle cachait sous ce masque. Néanmoins, je pouvais facilement l’imaginer. Elle avait un visage humain fabriqué de manière complexe, pratiquement impossible à distinguer d’un vrai visage. Je pouvais en être sûr grâce à l’œil unique que je pouvais à peine voir. J’avais été très choqué quand je l’avais vue comme ça cette nuit-là. Elle était avec Katou, mais elle avait l’air d’une parfaite inconnue. Pourtant, je pouvais dire qu’il s’agissait bien de Rose à ce moment-là grâce à notre cheminement mental.

Actuellement, le corps de Rose était toujours celui d’une marionnette à partir du cou. Ses articulations au-delà de ses manches et sous l’ourlet de sa jupe étaient clairement visibles. La couleur de sa peau était également la même que celle d’un mannequin inorganique, elle n’avait donc pas vraiment l’air humaine. Cependant, en même temps, elle était incomparablement plus féminine qu’elle ne l’était auparavant.

D’une certaine manière, elle avait la beauté d’une poupée. Ce mélange de substance inorganique et de féminité avait une douceur unique qui la faisait briller. J’étais tout à fait d’accord pour dire qu’elle ressemblait à la « jolie poupée » qu’elle avait mentionné vouloir fabriquer.

Ses cheveux gris tombaient dans son dos et étaient attachés en une tresse. Elle portait une robe qui couvrait son corps. Même le regard sérieux qu’elle portait sous son masque était complètement féminin, un contraste frappant avec son apparence asexuée précédente.

C’est peut-être pour cela que je me sentais un peu perdu en lui parlant maintenant. La fille devant moi était Rose. Ma précieuse Rose. Rien de tout cela n’avait changé. Cependant, il y avait quelque chose de mêlé à cette perception maintenant, quelque chose que j’avais auparavant négligé. C’était probablement parce que j’étais maintenant conscient que Rose était une fille.

Si j’en parlais à quelqu’un, il serait étonné que je ne m’en aperçoive que maintenant. J’avais passé beaucoup de temps avec Rose, et je l’avais vue acquérir la capacité de parler et passer d’une simple marionnette sculptée à un mannequin. Ce processus m’avait permis de savoir que l’esprit de Rose était féminin, et j’avais découvert dans sa relation avec Katou qu’elle avait un côté plus proche de celui d’une adolescente.

Cependant, le changement qu’elle avait subi cette fois-ci était décidément différent d’une certaine manière. Pour la première fois, j’étais conscient que Rose était une membre du sexe opposé, bien que je sois censé le savoir auparavant. C’était probablement la cause de ma perplexité.

Il n’y avait bien sûr aucune raison d’être déconcerté par le fait qu’elle soit du sexe opposé. Elle était ma précieuse compagne, comme toujours. C’était censé être ainsi, mais une telle logique ne m’aidait pas à me sentir moins perplexe. C’était plutôt troublant.

Après avoir frappé, Rose avait ouvert la porte et j’étais entré dans la pièce. Il y avait une autre fille à l’intérieur portant un uniforme d’école, avec des cheveux noirs qui descendaient jusqu’à ses épaules.

« Bonjour. Tu as l’air d’aller mieux, Katou. »

« Bonjour, Senpai. Grâce à toi, j’ai complètement récupéré maintenant. »

Katou était assise confortablement sur le tapis au milieu de la pièce. Il y avait une pile de sculptures en bois sur le coin du tapis. Il semblait que Katou s’était entraînée à ressentir le flux de mana en s’appuyant sur Rose pendant qu’elle créait des outils magiques. Elle essayait d’apprendre la magie de cette façon, pour le moment.

« Maî — ttttt — trre ! »

« Bonjour, Asarina. Tu as l’air en forme aujourd’hui. »

Asarina, qui se comportait habituellement de manière docile lorsque nous étions à l’extérieur, s’était étirée du dos de ma main tandis que Katou la saluait et jouait avec elle. J’avais regardé la charmante scène se dérouler et j’avais pris place à la table près de la fenêtre. Katou s’était levée, avait tapoté la poussière de sa jupe, puis s’était assise sur le lit.

J’avais fait signe à Rose de s’asseoir sur la chaise en face de moi. Elle m’avait regardé d’un seul œil sous son masque. Je lui avais fait un signe de tête, et elle s’était assise, bien qu’hésitante. Le visage de Katou avait affiché un très petit sourire en regardant Rose.

Jusqu’à présent, de ce que j’avais vu indirectement, Katou ne semblait pas se forcer. Elle avait une peur morbide des hommes. Avant que Lily et moi ne nous dirigions vers la forteresse, alors que nous étions sur le point de rencontrer le groupe d’étudiants et de chevaliers sur le chemin des Terres forestières, son état s’était fortement détérioré. Après cela, Katou était restée derrière avec Rose et Gerbera.

Le jour de l’attaque du Fort de Tilia, je les avais emmenées toutes les deux avec moi pour coincer le loup à deux têtes Berta et j’avais laissé Katou avec les Chevaliers de l’Alliance. J’avais appris plus tard qu’elle s’était effondrée une fois de plus alors qu’elle se réfugiait avec eux dans les Terres forestières. Elle avait l’air d’aller bien avant que nous nous séparions, mais elle avait apparemment joué la comédie pour ne pas nous inquiéter. Se forcer comme ça avait fini par lui coûter cher, et elle était restée au lit pendant plusieurs jours.

J’étais le seul homme qu’elle ne craignait pas ou qu’elle ne rejetait pas, peut-être parce que je lui avais fait une certaine impression lorsque j’avais décidé de m’occuper d’elle, ou à cause du temps que nous avions passé à voyager ensemble dans les Terres forestières. Quoi qu’il en soit, j’étais anxieux quand j’étais venu la voir après avoir entendu qu’elle s’était effondrée à cause de la proximité des hommes. J’étais soulagé de pouvoir lui parler comme ça, même maintenant.

J’étais soudain conscient de ce que je ressentais. Avant, je n’aurais pas reconnu ou même accepté ce sentiment de soulagement. Il semblait que le changement qui s’était produit dans mon cœur depuis mon arrivée au Fort de Tilia avait également fait évoluer ma relation avec Katou dans le bon sens.

À ce moment-là, Katou avait regardé dans ma direction en réalisant quelque chose. « Hein ? Maintenant que j’y pense, Kei n’est pas avec toi aujourd’hui ? »

« Non, elle est occupée aujourd’hui à cause des préparatifs du départ de demain. »

Jusqu’à hier, Kei, la nièce de Shiran, m’accompagnait chaque fois que je venais ici. Nous lui avions demandé de nous dire beaucoup de choses, des choses qui étaient connues de tous dans ce monde. Nous étions après tout sur le point de mettre le pied dans le monde où l’humanité vivait. Nous avions des alliés, donc les choses étaient encore positives pour l’instant, mais nous ne savions pas ce qui pouvait arriver jusqu’à ce que nous nous assurions un moyen de subsistance stable. Nous devions être aussi bien préparés que possible. Plus nous avions de connaissances, mieux c’était. Il se trouve qu’au cours des cinq derniers jours, je n’avais pas pu vraiment aider dans la forteresse en raison de ma position délicate, et j’avais donc beaucoup de temps à perdre. C’est pourquoi j’avais demandé à Kei de nous enseigner pendant ce temps. Cependant, étant donné le départ de demain, Kei était occupée aujourd’hui.

Les épaules de Katou s’étaient légèrement affaissées. « Je vois… C’est malheureux. »

Lorsque Katou s’était effondrée l’autre jour, les seules femmes à proximité étaient Shiran et Kei. Kei avait aidé Katou à ce moment-là, et elle avait également aidé à prendre soin d’elle lorsqu’elle était alitée dans la forteresse, si bien que toutes deux avaient fini par bien s’entendre. Tant que Katou craignait les hommes, la présence d’une fille comme Kei était rassurante. Un lien naturel s’était formé entre Katou, Kei et Rose. C’était agréable de les voir discuter toutes les trois.

« Oh, c’est vrai, » dit Katou, en levant soudainement les yeux vers Rose. « Désolée, tu voulais parler de quelque chose avec Majima-senpai, n’est-ce pas ? »

« Mana, cela ne me dérange pas d’attendre que ta conversation soit terminée. »

Rose devait attendre qu’on atteigne un bon point d’arrêt.

« Hm ? De quoi voulais-tu parler, Rose ? » avais-je dit, en la poussant à continuer.

« La première concerne les pierres runiques que j’ai empruntées, » répondit Rose avec respect.

« Oh ? As-tu trouvé quelque chose ? »

***

Partie 2

Rose avait emprunté aux Chevaliers de l’Alliance plusieurs outils magiques à base de pierres runiques. Ils étaient tous placés sur le tapis au milieu de la pièce. Il y avait une gourde qui créait de l’eau à partir de mana, un briquet qui pouvait créer une petite flamme, un anneau de chevalier utilisé pour différencier un humain d’une goule, un sac magique avec un espace de stockage étendu et des effets de conservation, et quelques autres outils divers. Nous avions également reçu les pierres runiques non traitées que nous espérions obtenir. Elles étaient gardées en stock pour fabriquer plus d’anneaux pour les chevaliers. Elles n’avaient pas beaucoup de valeur en tant que pierres runiques, nous avions donc la permission de les manipuler comme bon nous semblait.

« Comme tu le sais, il est possible de manifester les mêmes effets que la magie en permettant au mana de circuler dans une pierre runique. J’ai eu beaucoup d’intérêt dans ce domaine. J’ai pensé que je serais capable de créer quelque chose qui te serait utile, Maître. »

J’y avais moi-même aussi pensé. Même si je pouvais manipuler le mana, je ne pouvais pas utiliser la magie. J’avais choisi d’apprendre à renforcer mon corps à la place. Je ne regrettais pas d’avoir donné la priorité à ma capacité d’éviter une crise, mais je ne me plaindrais pas de pouvoir compléter ma force avec des pierres runiques. C’était des biens précieux, mais si Rose pouvait apprendre à les faire elle-même, c’était une autre affaire. Le problème était de savoir si cela était possible.

« Je dois comprendre la structure des pierres runiques avant de pouvoir les créer. J’ai essayé de demander à Kei, mais malheureusement, elle ne s’y connaît pas beaucoup. »

« J’ai aussi demandé à Shiran ce qu’elle en pensait. Elle a dit que les pierres runiques ont été créées pour les gens qui ne pouvaient pas utiliser la magie, donc ils n’ont pas besoin de savoir comment ça marche pour pouvoir les utiliser. »

Il était important que les biens largement répandus puissent être utilisés sans que l’on connaisse les principes qui les sous-tendent. Par exemple, je connaissais l’énergie solaire, mais je ne pouvais pas expliquer son fonctionnement à Shiran. De même, presque personne ne connaissait la théorie du fonctionnement des pierres runiques, à l’exception des personnes qui participaient à leur création. Puisque la méthode de fabrication des pierres runiques de barrière avait été complètement perdue, peut-être que ces techniques avaient été cachées exprès.

De plus, contrairement à notre monde, ils ne disposaient pas de livres publiés par dizaines de milliers disponibles en un seul endroit, ni d’internet, véritable trésor débordant d’informations. Il ne serait pas étrange que seuls certains cercles aient connaissance des technologies magiques.

« J’ai essayé d’utiliser les pierres runiques, mais je n’arrivais pas à comprendre la théorie qui se cache derrière. Après ça, j’ai essayé de demander à Lily ce qu’elle en pensait. »

« Lily ? »

« Oui. Elle peut utiliser à la fois les pierres runiques et la magie, donc j’ai pensé qu’elle pourrait comprendre quelque chose en les comparant. »

J’avais hoché la tête, mais j’avais immédiatement réalisé que ce n’était pas une mauvaise idée. Mes sens étaient déréglés après avoir passé plus de deux mois dans les Terres forestières, mais après y avoir réfléchi, Lily venait des Profondeurs, une région invivable. Elle pouvait aussi utiliser de la magie de niveau 3. Les gens du coin ne pouvaient pas utiliser de magie plus élevée que ça, donc elle était en fait la personne parfaite à consulter.

« Alors, qu’est-ce qu’elle a dit ? »

« Selon elle, la pierre runique agit comme un complément pour la construction d’un glyphe. »

« Un complément pour un glyphe ? »

Sa réponse était décourageante. Elle ne me disait pas grand-chose. Je n’avais aucune idée de ce qu’était vraiment un glyphe. C’était comme expliquer un terme technique par un autre terme technique. Rose semblait prendre ma réaction en considération et continuait à m’expliquer les choses avec diligence.

« C’est ce que ma sœur m’a dit. Pour utiliser la magie, il faut être capable de manipuler le mana. Cependant, cela ne suffit pas en soi. »

« Oui. Si c’était tout, je serais aussi capable d’utiliser la magie. »

« En partant de la conclusion de Lily, la magie nécessite que le mana se déplace selon un flux particulier. En procédant ainsi, le phénomène correspondant se produit. De telles lois existent dans ce monde. Dans le cas de la magie, le flux se manifeste sous une forme visible connue sous le nom de glyphe. Ces lois ne s’appliquent pas seulement aux mécanismes de la magie. Les capacités inhérentes aux monstres suivent les mêmes lois. »

« Hm ? Cela ne veut-il pas dire que les humains peuvent utiliser les mêmes capacités que les monstres ? » avais-je demandé, happé par ce détail.

« C’est vrai. S’ils peuvent forcer leur mana à circuler de la même manière, alors je pense que c’est théoriquement possible, » répondit Rose d’un signe de tête avant de secouer la tête. « Cependant, dans la pratique, les humains et les autres monstres ne peuvent pas utiliser les capacités inhérentes à une certaine espèce. Chaque espèce individuelle de monstre possède après tout un flux de mana unique. »

« Je vois. Maintenant que j’y pense, l’anneau utilisé pour identifier les goules fonctionne en reconnaissant la différence entre la façon dont le mana circule chez les humains et les goules. »

« Même Lily ne réalisait pas l’existence de telles lois avant d’essayer d’utiliser une pierre runique. Elle a utilisé la magie par instinct. Je crée des outils magiques de la même manière. »

C’était la même chose que l’histoire de la pomme tombant de l’arbre. Quelqu’un dans le passé avait réalisé que faire couler le mana d’une certaine manière provoquait un phénomène correspondant. Ils avaient ensuite utilisé cette théorie pour créer des pierres runiques.

Katou avait elle aussi eu l’air de se souvenir de quelque chose.

« Quand je t’ai fait remarquer que la façon dont tu créais des outils magiques à partir de bois était mystérieuse, tu m’as répondu que tu ne savais pas ce que je trouvais de mystérieux là-dedans, n’est-ce pas ? Parfois, les choses sont si naturelles que l’on ne sait pas soi-même comment elles fonctionnent. »

Rose lui avait répondu d’un signe de tête.

« Ce qui veut dire que les pierres runiques reproduisent ce flux particulier de mana ? » avais-je demandé.

Imaginez qu’il s’agit d’un canal utilisé pour diriger l’écoulement de l’eau. Normalement, le canal lui-même devait être créé à la main pour reproduire un certain débit. Dans le cas d’une pierre runique, cependant, le canal avait déjà été creusé, il suffisait donc que le mana y circule. Peut-être que les pierres runiques de traduction nécessitaient un entraînement spécial parce que ces canaux étaient divisés en segments.

« Rose, as-tu réussi à en sculpter un ? » avais-je demandé avec une lueur d’espoir dans la voix.

Les mécanismes derrière une pierre runique étaient clairs maintenant. Ensuite, il fallait vérifier si elle pouvait en fabriquer une elle-même.

« Non, malheureusement pas. J’ai bien essayé de le faire, mais je n’y suis pas arrivée. »

Rose s’était levée et avait récupéré plusieurs objets sur le tapis avant de revenir. Quatre pierres runiques tombèrent de sa main sur la table. Trois d’entre elles étaient taillées de façon similaire aux pierres précieuses utilisées dans les bagues des chevaliers, et la dernière était une pierre non taillée. Elles étaient toutes noires.

« Comme je l’ai déjà dit, une pierre runique reproduit un flux particulier de mana. En tant que tel, pour créer une pierre runique, il faut savoir comment la sculpter et comment le mana est censé circuler à travers elle. Cela s’est avéré plus difficile que prévu. Il semble que chaque pierre runique brute ait ses propres idiosyncrasies. Dans trois ans… non, deux, je devrais être capable de les maîtriser par essais et erreurs, mais les circonstances actuelles rendent la chose difficile à accomplir maintenant. »

« Je vois. Je suppose qu’on ne peut pas faire grand-chose de plus que ça pour le moment, » avais-je dit avec un petit soupir.

« Oui. Par conséquent, j’ai essayé de le faire à ma façon. »

« Quoi… ? »

Rose avait posé sur la table ce qu’elle tenait dans sa main opposée. Il s’agissait de pierres bleues taillées — ou du moins c’est ce qu’elles semblaient être, mais leurs surfaces avaient un motif de grain de bois.

« Ce sont celles que j’ai faites à partir de rien. Je suppose que vous pourriez les appeler des imitations de pierres runiques. »

« Imitations… ? »

« Comme je l’ai déjà dit, les monstres, la magie et les pierres runiques utilisent tous le même principe. En bref, en préparant un flux particulier du mana, même sans pierre runique, il est possible de manifester de la magie. De plus, je possède ma propre capacité à créer des outils magiques. Je ne connais pas grand-chose aux pierres, mais je m’y connais en bois. »

Lorsque Rose avait touché l’une des pierres runiques en bois, une petite giclée d’eau avait jailli de sa surface et avait mouillé la table. C’était sans aucun doute une reproduction de la magie de l’eau.

« Il s’agit encore d’un prototype, donc il y a des zones où j’ai coupé les coins, mais je crois que je devrais être capable un jour de reproduire le même niveau de magie qu’une vraie pierre runique. »

« C’est… incroyable. »

« Merci beaucoup. J’ai acquis beaucoup d’expérience en fabriquant toutes sortes de choses conformément à tes ordres. De plus, je crois que c’est une chance que j’aie créé des œuvres délicatement détaillées ces derniers temps. C’est un travail difficile, mais j’ai en quelque sorte réussi à atteindre le stade où je peux terminer un prototype. »

Rose avait posé sa main sur la joue de son masque et avait tourné son regard vers le coin de la pièce. La boîte qui s’y trouvait était remplie d’une montagne de copeaux de bois provenant de tentatives ratées.

« Cependant, il y a un problème avec mes imitations de pierres runiques. Comme je ne peux pas utiliser la magie, je dois examiner une vraie pierre runique pour comprendre son flux de mana. Les seules imitations de pierres runiques que je peux faire sont limitées à des copies de pierres runiques que j’ai réellement utilisées. »

« Je vois. C’est quand même plus que suffisant. »

J’avais pris l’imitation de pierre runique humide que Rose m’avait passée et j’avais essayé de canaliser mon propre flux de mana à travers elle. Cette pierre runique était utilisée dans la vie quotidienne, mais j’avais entendu parler de pierres runiques destinées au combat. Si nous pouvions les copier, il y avait d’innombrables façons de les utiliser. Je voulais vraiment en obtenir, d’une manière ou d’une autre.

« Je pense que nous pouvons discuter progressivement de la manière de l’utiliser, » déclara Rose.

« J’ai compris. Je vais aussi y réfléchir. C’est moi qui veux les utiliser et tout… »

En parler à Mikihiko semblait être une bonne idée. Il était familier avec les jeux et autres, donc je pensais qu’il était plus apte à faire ce genre de choses que moi.

« Merci pour ton rapport. J’aimerais que tu continues tes recherches, » avais-je dit à Rose.

« Comme tu le veux. »

« C’était la première chose, alors de quoi d’autre voulais-tu parler ? » J’avais reposé l’imitation de pierre runique sur la table et j’avais encouragé Rose à continuer.

« Kei m’a dit que tu as appris à utiliser une épée avec la femme qui est devenue ta nouvelle servante, Shiran. »

« Hein ? Ouais. Je n’ai pas encore eu beaucoup de leçons. » J’étais quelque peu confus par sa question. Je ne m’attendais pas à entendre le nom de Shiran. « Si j’en ai l’occasion, j’aimerais apprendre davantage d’elle, et j’ai l’intention de lui demander de m’enseigner. Qu’en est-il ? »

« Cela ne me dérange pas si c’est seulement quand elle a le temps, mais pourrais-tu lui demander de nous enseigner aussi à nous ? »

« C’est soudain… Ça ne me dérange pas de le lui demander. »

« Merci beaucoup, » dit Rose en s’inclinant.

« Qu’est-ce qui a amené ça tout d’un coup ? » avais-je demandé avec curiosité.

« L’autre jour, j’ai croisé le fer avec la doppelqueen nommée Anton… Ses pouvoirs étaient redoutables. Je n’ai pas pu couper la voie de retraite de l’ennemi et n’ai donc pas rempli le devoir que tu m’avais confié. »

Rose avait l’air excessivement sérieuse et frustrée. Je n’avais pas l’intention de la critiquer pour cela. Au contraire, c’était ma faute pour avoir mal interprété la situation et avoir négligé la possibilité qu’Anton soit à l’affût. Cependant, les pensées personnelles de Rose étaient une tout autre affaire. Elle avait un sens aigu de la loyauté, et le fait de ne pas avoir accompli son devoir était certainement une source de regret.

***

Partie 3

« Anton n’est qu’un des monstres que Kudou contrôle. De plus, cet homme nommé Juumonji était de force égale avec Gerbera, et elle a dû faire de son mieux pour se battre. Lily m’a dit qu’elle n’a même pas pu le retenir une seconde. Ma sœur aînée est plus forte que moi, et elle n’était pas capable de faire ça. Il est clair que je n’aurais pas été capable de faire quoi que ce soit. »

C’est ce qu’elle disait, mais Rose n’était en aucun cas faible. Elle était un monstre rare des Profondeurs, et elle était devenue plus forte lorsqu’elle avait refait son corps. Son équipement était également puissant. Ce sont toutes des choses qu’elle avait acquises grâce à des efforts constants.

Cependant, il lui serait toujours difficile de combattre un tricheur de front. Je pensais m’être également préparé, mais leur violence était terriblement écrasante. Il était bien sûr préférable de ne jamais en arriver à un tel conflit, mais la situation actuelle ne permettait pas de telles hypothèses. Il y avait Kudou, dont on ne savait pas où il se trouvait, ainsi que le membre mystérieux du corps expéditionnaire qui avait relié Juumonji à lui.

Même sans tout cela, notre position dans ce monde était très instable. Malgré les amis des Chevaliers de l’Alliance, nous ne pouvions pas nous endormir. Nous devions préparer nos forces autant que possible au cas où l’imprévu se produirait.

« Nous devons devenir plus forts par tous les moyens, » déclara Rose.

« Et c’est là que Shiran entre en jeu, hein ? » J’avais répondu en soupirant de compréhension.

« Ce n’est pas tout, bien sûr. Tout comme je l’ai signalé plus tôt concernant l’utilisation pratique des pierres runiques d’imitation, je pense effectivement que nous devrions explorer les moyens de les utiliser. Cependant… »

« Je sais. L’apprentissage des techniques de combat est un moyen particulièrement efficace pour devenir plus fort. »

« En effet. Essentiellement, nous, les monstres, possédons des physiques puissants, et nous laissons le combat à notre force, notre vitesse, les instincts avec lesquels nous sommes nés, et l’expérience du combat que nous acquérons en survivant dans la forêt. Il n’y a pas de technique. Cela dit, systématiser nous-mêmes une sorte de technique prendrait beaucoup trop de temps. »

Une chose dans laquelle les humains excellaient par rapport aux monstres des Terres forestières était leur capacité à transmettre des connaissances et des techniques à travers les générations. Que ce soit par tradition orale ou par écrit, l’accumulation de connaissances était une arme formidable. C’est sur ce point que se concentrait la proposition de Rose.

« Acquérir des techniques de combat qui sont soutenues par une longue histoire d’utilisation devrait être un avantage majeur… » Rose avait continué avec passion, mais elle avait soudainement tourné la tête sur le côté. « Du moins, c’est ce que Mana a suggéré. »

J’avais suivi le regard de Rose jusqu’à l’endroit où Katou était assise, complètement étonné.

« Hein… ? Rose !? » Katou était restée abasourdie pendant quelques secondes, puis elle s’était levée du lit en panique. De façon inhabituelle, son expression était remplie de consternation. « N’avons-nous pas discuté que ce serait ta suggestion !? »

« Mais c’est un plan vraiment utile. Je suis heureuse que tu souhaites me céder un tel exploit, mais je persiste à penser que nous ne devons pas cacher que c’était ta proposition au départ. »

« Quoi, alors c’est Katou qui a pensé à ça ? » avais-je demandé.

« Oui, » répondit Rose, en se retournant vers moi et en hochant la tête. « J’ai décidé qu’il était préférable que tu le saches, Maître. »

Rose avait raison. J’avais déjà une grande dette envers Katou. Je ne voulais pas profiter de sa gentillesse sans le savoir. De plus, il était important qu’elle soit reconnue pour ce qu’elle avait accompli. Rose semblait être du même avis et parlait de Katou d’un ton significatif.

« Mana a vraiment réfléchi à toutes sortes de choses. En fait, elle m’a aussi fait plusieurs suggestions concernant les pierres runiques d’imitation. »

« Hmm. Vraiment ? »

J’avais lancé une réponse appropriée et j’avais regardé Katou, mais elle avait immédiatement couvert son visage. Cependant, je pouvais quand même voir qu’elle rougissait.

« Non. Hum. Je n’ai pas vraiment fait grand-chose. Quelqu’un d’autre aurait fini par le mentionner… »

« Je ne pense pas, » lui avais-je dit. « Il vaut mieux dire ce genre de choses le plus tôt possible. Tu es d’une grande aide. »

Je me sentais un peu mal pour elle, mais j’avais fini par sourire. La voir troublée et timide, agissant comme une fille de son âge, était plutôt rafraîchissant. Honnêtement, j’avais trouvé ça plutôt charmant.

« Merci, Katou. N’hésite pas à me faire savoir si tu penses à autre chose. »

« Bien… »

Katou cachait toujours son visage, mais elle avait fait un rapide signe de tête. Elle souriait timidement, ce qui mettait de côté l’ombre qui planait toujours sur son expression. Devant moi se trouvait maintenant une fille tout à fait normale qui se sentait gênée d’être remerciée. D’après sa réaction, je pouvais sentir que notre relation était en train de changer. Cela me rendait heureux. Mais cela m’avait aussi fait regretter ce qui allait suivre.

« Cependant, je suppose que je ne peux plus trop compter sur toi à partir de maintenant, » avais-je ajouté.

« Hein… ? »

« Contrairement à toi, nous n’irons pas à la capitale impériale. Tu nous as beaucoup aidés jusqu’à présent, alors il va falloir se ressaisir. »

Shiran avait mentionné que tous les étudiants survivants autres que moi allaient à la capitale impériale. En effet, quiconque n’avait pas la capacité d’apprivoiser les monstres était sûr de recevoir un accueil chaleureux là-bas. Naturellement, cela s’appliquait également à Katou, et nous devions donc faire nos adieux à la fille avec laquelle nous avions voyagé à travers les Terres forestières.

Je regrettais que nous devions nous séparer de la fille qui était devenue l’amie de Rose. Je le ressentais aussi parce que je commençais à peine à construire ma relation avec elle. Cependant, je devais tenir la promesse que j’avais faite lors de notre première rencontre — lui trouver un endroit sûr. Et maintenant, j’étais enfin en mesure de lui rendre la pareille pour ce qu’elle avait fait pour moi, même si ce n’était qu’un peu.

« Il ne reste plus beaucoup de temps, mais continue à t’entendre avec Rose, » avais-je dit.

Katou avait lentement relevé la tête. Le rouge de ses joues s’était déjà estompé.

« D’accord… »

C’était comme si son existence même s’effaçait. Ça m’avait laissé perplexe. C’était à cause du sourire sur son visage. Il était différent de celui qu’elle m’avait montré il y a quelques secondes. C’était un sourire sec. L’ombre qui avait disparu était revenue dans son expression. Je savais instinctivement que les mots que je venais de prononcer en étaient la cause. Mais je ne savais pas pourquoi. En tant que tel, je ne savais pas quoi dire d’autre. J’avais cessé de parler et j’avais détourné mon regard de son faible sourire. Un silence gênant s’est installé entre nous.

« Maître, » déclara une voix calme. Rose me regardait d’un air tranquille. « Il y a encore un sujet dont j’aimerais discuter. Puis-je ? »

Maintenant qu’elle l’avait mentionné, nous étions toujours en train de parler.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« J’ai une requête. Pourrions-nous emmener Mana dans le pays que nous allons visiter ? »

Du coin de l’œil, j’avais vu la tête de Katou se lever.

« Emmener Katou… ? » répétai-je, perplexe devant cette suggestion soudaine.

Rose avait acquiescé. « Oui. Elle ne s’est effondrée que récemment, comme tu le sais. Si elle était soudainement entourée d’inconnus dans un tel état, ne serait-elle pas sans défense ? »

C’est parfaitement logique. Les Chevaliers de l’Alliance connaissaient également l’état de Katou. Si elle se rendait à la capitale impériale, ils étaient certains de l’aider, par exemple en la faisant accompagner par une femme. Cependant, même s’ils faisaient cela, cela ne changerait rien au fait qu’elle serait entourée d’étrangers. Le cœur de Katou était déjà dans un état fragile. Elle était émotionnellement instable, dans un sens. Je ne pouvais pas imaginer à quel point la présence de Rose était importante pour elle. Les séparer ne semblait pas être une bonne idée.

« Si possible, j’aimerais également rester aux côtés de Mana… De même, quand c’est possible, j’aimerais que tu sois aussi avec elle, Maître. »

« Moi… ? »

Je n’avais pas vraiment compris. J’étais différent de Rose, avec qui Katou avait passé de nombreuses heures heureuses dans les Terres forestières. Il n’y avait pas beaucoup d’intérêt à ce que quelqu’un comme moi soit près de Katou… Ou peut-être qu’il y en avait un. Dans son état actuel où elle craignait tous les hommes, avoir quelqu’un comme moi avec qui elle allait bien à proximité avait de la valeur pour elle, même si c’était une coïncidence provoquée par le cours des événements.

« Je comprends ce que tu essaies de dire, » avais-je répondu en hochant la tête, « mais venir avec nous est un peu problématique. »

« Y es-tu opposé, Maître ? »

« Ce n’est pas ce que je veux dire. C’est juste que, en tant que dompteur de monstres, ma position est extrêmement instable. Je ne peux pas promettre que Katou ne sera pas prise dans une sorte de problème simplement en étant avec nous. »

« Donc si Mana le souhaite tout en étant pleinement consciente de telles circonstances, alors tu l’emmèneras avec nous ? »

J’y avais réfléchi, puis j’avais dit. « Oui, si c’est ce qu’elle veut. »

Si Katou le voulait, je n’avais aucune objection à une telle demande.

Après avoir confirmé ce que j’avais dit, Rose s’était tournée vers Katou. « Il a accepté. Que vas-tu faire, Mana ? »

« Je… je veux… »

Katou avait détourné son regard. Elle avait l’air frêle. En la voyant comme ça, Rose s’était levée de son siège. Elle s’était agenouillée devant Katou, puis elle avait pris ses mains serrées dans les siennes.

« Tu te souviens, Mana ? Je parle de ce que je t’ai dit à l’époque. » Son ton était d’une douceur que je n’avais jamais entendue auparavant. « Tu fais partie de mon bonheur. N’oublie pas ça. »

Les yeux de Katou s’étaient ouverts en grand en raison de l’étonnement. « Rose… »

« Ou peut-être as-tu l’intention de me rendre triste ? »

« Dit comme ça, c’est injuste… » Katou avait fait la moue, mais elle s’adressait à une amie qui connaissait son cœur.

Rose semblait sourire sous son masque. « Ça ne me dérange pas si c’est injuste. Tu dois atteindre le bonheur pour toi-même. Dis-le, je t’en prie. Exprime tes sentiments honnêtes. Si tu lui fais un appel sincère, mon maître te répondra assurément. »

Je ne pouvais pas comprendre leur conversation, mais je savais que c’était important pour elles.

Katou avait regardé Rose avec un regard implorant, puis elle s’était timidement tournée vers moi.

« S-Senpai… »

Elle était clairement effrayée. Cependant, c’était bien mieux que le sourire sombre qu’elle m’avait montré il y a quelques instants. Sa peur était juste le signe qu’elle luttait contre sa propre lâcheté.

« Je voudrais… aller avec toi… Senpai, » dit-elle d’une voix faible et instable. « Je pourrais te retenir. Je pourrais finir par être une gêne. Alors je sais que je ne devrais pas dire ça. Mais… Mais je… »

« Tu n’es pas vraiment une… »

J’avais fait une pause, réalisant soudainement quelque chose. Ce n’était pas ce qu’elle voulait que je dise. Pour la première fois, Katou avait agi délibérément devant moi. Même si elle craignait d’être rejetée, elle avait fait sa demande avec sérieux.

Alors qu’est-ce que je devais faire ? Comment pouvais-je répondre à ses sentiments ?

Rose avait regardé dans ma direction. Son regard était rempli d’une confiance illimitée.

« Compris, » avais-je dit avec un léger sourire.

Après avoir réfléchi, aller à la capitale impériale ne garantissait pas la sécurité de Katou. Quelqu’un comme Juumonji pourrait se cacher parmi le rassemblement d’étudiants. Même l’équipe d’exploration était problématique. Si elle restait à portée de main, je pourrais au moins essayer de la protéger de mes propres mains.

« Katou, viens avec nous. »

Son expression heureuse était si belle qu’elle m’avait complètement envoûté.

***

Chapitre 4 : Abandonner le Fort de Tilia

Partie 1

J’étais arrivé au sommet des remparts extérieurs avec Lily. Les murs étaient encore profondément marqués par l’attaque de l’autre jour. La zone autour du Fort de Tilia, la forteresse enchâssée dans la zone nord des Régions forestières, avait été dégagée pour offrir une vue dégagée en cas d’approche de monstres. En regardant depuis les murs, la frontière entre le terrain dégagé et la forêt verte démontrait clairement l’existence de ce domaine humain.

Cette frontière semblait maintenant être empiétée par quelque chose. Ce n’était pas seulement mon imagination. Des arbres poussaient déjà sur ce qui était censé être un sol infertile. Même si je n’étais qu’un visiteur d’un autre monde, je pouvais dire que cette croissance n’était pas naturelle. C’était les Terres forestières, une forêt spéciale riche en mana. Les arbres y poussaient rapidement. Cela s’appliquait encore plus au territoire qui n’était plus humain.

Maintenant que la forteresse était perdue, la forêt était déjà en train de l’envahir. L’autre jour, Kei nous avait dit que c’était comme si la forêt savait que les humains avaient été vaincus et qu’ils allaient bientôt se retirer, alors elle avait accéléré la croissance de ses arbres pour reprendre le terrain. En voyant cela sous mes yeux, la forêt était devenue un monstre à part entière. Cela m’avait donné des frissons.

« C’est donc ici que vous étiez, Takahiro. »

Lily et moi nous étions tournés vers la voix qui m’avait interpellé. Se tenait là un grand chevalier à la carrure ferme, la femme qui dirigeait la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. À côté d’elle se trouvait Mikihiko.

« Je vais aller devant. Occupez-vous de l’arrière, » dit la commandante.

« Compris, » avais-je répondu.

La commandante était partie après m’avoir rapidement dit ça. Son dos large portait le poids de centaines de vies. C’est comme si chaque pas qu’elle faisait portait ce poids.

« La commandante a l’air un peu fatiguée. Est-ce qu’elle va bien ? » avais-je demandé.

Mikihiko fronça les sourcils. « Certaines personnes ont dit que nous devrions attendre le retour des gars qui sont allés dans les Profondeurs pour cette opération de sauvetage… Surtout Iino Yuna. Elle a fini par perdre beaucoup de temps à les convaincre du contraire. Elle est déjà super occupée avant ça, bon sang. »

La Skanda Iino Yuna avait conduit quelques Chevaliers Impériaux dans les Profondeurs pour secourir les survivants de la Colonie et de ces cabanes protégés par des pierres de barrière. Cela faisait dix jours qu’ils étaient partis.

Shiran avait déjà dirigé une force de Chevaliers de l’Alliance pour rassembler les survivants dans les cabanes relativement proches, alors Iino vérifiait celles qui étaient plus éloignées. Elle avait suggéré qu’ils visitent un grand nombre de cabanes en une seule fois et qu’ils s’arrêtent sur le site de la Colonie, donc ce qui devait initialement être un voyage de vingt jours s’était transformé en quelque chose qui prendrait probablement plus d’un mois.

J’étais désolé pour Iino et les Chevaliers Impériaux, mais la forteresse n’avait pas le loisir d’attendre aussi longtemps. Heureusement, ils étaient avec la Skanda, dont les capacités de combat se distinguaient même au sein de l’équipe d’exploration. Leur sécurité était à peu près garantie. Les chevaliers avaient transporté de précieux outils magiques qui ressemblaient à des sacs ordinaires, mais qui avaient une capacité bien plus grande que leur apparence le laissait supposer. Ils préservaient également leur contenu, donc les provisions n’étaient pas non plus un problème.

La décision de la commandante d’abandonner la forteresse était le choix approprié. Cependant, même si elle l’était, cela ne signifiait pas que tout le monde l’accepterait facilement. Iino était une visiteuse venue de loin, elle était considérée comme une sauveuse de ce monde. Il était naturel que certains veuillent attendre son retour, aussi la commandante avait-elle eu du mal à convaincre tout le monde.

« En plus, en pensant à ce qui va arriver… » Mikihiko avait ajouté en ébouriffant ses cheveux. « Quand un incident majeur se produit, il faut bien que quelqu’un prenne ses responsabilités. Mais les responsables du Fort de Tilia ont été massacrés jusqu’au dernier… »

« Veux-tu dire que la responsabilité est rejetée sur la commandante ? »

« Le seul travail des chevaliers était de réprimer les monstres dans les Terres forestières, pas de défendre la forteresse. En fait, la commandante ne pouvait même pas parler de la façon dont la forteresse était gérée. Comme il ne reste plus personne, il est possible que cette responsabilité lui soit imposée. Je suis ici depuis plus longtemps que toi, alors je sais à quel point la position des Chevaliers de l’Alliance est précaire ici. »

Mikihiko avait poussé un soupir de lassitude, avait pris une grande inspiration et avait serré le poing.

« Je dois faire plus d’efforts pour que cela n’arrive pas, » avait-il poursuivi. « Il faut que j’y aille aussi. Oh oui, je passerai le soir, alors fais-le savoir à Rose et aussi, hum, à Katou. »

J’avais déjà discuté des pierres d’imitation avec Mikihiko. Il n’avait que brièvement écouté ce que Rose avait à dire jusqu’à présent, mais il semblait avoir déjà quelques idées. Elle allait discuter avec lui un peu plus, dès qu’elle en aurait le temps. Katou allait également assister à la conversation. C’était quelque chose qu’elle avait demandé, comme une forme de réhabilitation pour son androphobie pendant qu’elle aidait avec les pierres runiques. En tout cas, Katou ne s’était pas effondrée ce matin lorsque Mikihiko était dans la pièce pour parler à Rose. À ce rythme, je sentais qu’elle irait mieux avec le temps.

« Désolé de t’avoir fait supporter notre présence alors que tu es si occupé. »

« Ha ha. Pas besoin de dire des choses comme ça. D’ailleurs, je m’amuse bien. »

« Ah oui, tu aimes aussi fabriquer des choses, hein ? »

Mikihiko était un homme aux nombreux hobbies. Il avait souvent travaillé à temps partiel sans le dire à l’école afin d’économiser de l’argent pour acheter des modèles en plastique, entre autres choses. Les capacités artisanales de Rose avaient apparemment touché sa corde sensible. Il avait l’air complètement absorbé et avait même tremblé d’excitation lorsqu’il avait parlé avec elle.

« Eh bien, c’est vrai. Mais ce n’est pas tout, » dit Mikihiko en agitant la main avec un sourire. « Je pensais justement à l’aisance avec laquelle tu agis depuis le temps que je ne t’ai pas vu. »

« Est-ce à propos de Lily… ? Ou peut-être Gerbera ? »

J’avais évoqué le nom de l’autre fille qui était affectueuse avec moi, mais Mikihiko avait secoué la tête.

« Non. Enfin, il y a celle-là aussi, mais je parle plutôt de Katou. Je veux dire, elle est si douce, n’est-ce pas ? Elle se débrouille avec moi dans le coin parce que je suis ton ami, non ? Sa motivation à essayer de ne pas te retenir montre à quel point ses sentiments sont forts. »

« Eh bien… c’est vrai qu’elle a confiance en moi. »

Les mots de Mikihiko m’avaient rappelé comment Katou avait demandé si elle pouvait se joindre à nous pendant la consultation de Rose avec Mikihiko. Lorsque je lui avais demandé si cela lui convenait, elle avait répondu. « Si tu es là avec moi, Senpai, » en rougissant. La description que Mikihiko avait faite de sa douceur était tout à fait correcte.

« Mais ce n’est pas comme ça pour elle, » avais-je ajouté.

Katou était différente de Gerbera. Sans connaître les circonstances, il serait facile de se méprendre sur elle. Cependant, telle qu’elle était maintenant, elle n’avait pas le loisir d’être folle de joie. Elle luttait contre un cas sévère d’androphobie. Elle ne serait pas capable de voir un homme de cette façon.

Mikihiko ne connaissait pas tous les détails, il était donc normal qu’il se méprenne. Cela dit, c’était un moment difficile pour elle, et je ne voulais pas qu’il se moque d’elle à ce sujet… C’est ce que j’avais essayé de lui dire indirectement, mais Mikihiko avait eu une expression de doute exquise et s’était tourné vers Lily.

« Lily, j’ai de sérieuses questions à te poser. Comment as-tu fait tomber ce crétin ? »

« Se laisser porter par le courant en faisait partie… Mais voyons voir… Il répond à une approche sincère et sérieuse, tu sais ? »

« Hmm ? Hmmmmm ? Ahh… J’ai compris. En résumé, tu l’as poussé et tu l’as saisi ? » dit Mikihiko en claquant des doigts.

« Quel genre d’interprétation est-ce là ? » J’avais plaisanté en plissant les sourcils.

En fait, ça s’est passé… un peu comme ça… En fait, ça s’est passé exactement comme ça. En y repensant maintenant, je n’étais jamais passé à l’offensive de mon propre chef, n’est-ce pas ? Au contraire, c’était comme si j’étais toujours repoussé… ? J’étais resté là, choqué, car je venais de réaliser l’état de ma virilité.

« Ce sont toutes de bonnes filles, alors traites-les bien, d’accord ? Eh bien, je suppose que tu n’as pas besoin que je te le dise, » dit Mikihiko.

« Oui, bien sûr. »

Je lui avais fait un signe de tête, et Mikihiko m’avait fait un énorme sourire.

« Je vois. Bon alors, je dois y aller… Aah ! Bon sang ! Je veux la chaleur de la commandante ! » cria Mikihiko.

« Mikihiko ! » Un cri répondit de loin. « Quelle sorte d’absurdité cries-tu si fort !? »

« Merde ! Elle m’a entendu !? Désolé, Commandante ! Je déconnais, mais je suis sérieux ! »

Elle lui avait crié dessus, mais il avait continué à courir vers la commandante tout en débitant d’autres absurdités.

« Tiens bon, Mikihiko, » avais-je marmonné en regardant mon ami s’enfuir.

Mikihiko était au Fort de Tilia depuis plus longtemps que nous et était bien connu dans la forteresse. Sa situation n’était pas délicate comme la mienne, il pouvait donc utiliser sa position de sauveur pour soutenir la commandante.

La commandante s’était retrouvée dans une position de leader parmi les survivants du Fort de Tilia par circonstance. Elle était, tout au plus, la commandante de la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. Pour les impériaux qui constituaient la grande majorité des survivants, elle n’était rien de plus qu’une étrangère. Avoir Mikihiko à ses côtés avait fait une énorme différence dans la facilité avec laquelle elle avait pu agir. Il faisait du mieux qu’il pouvait. J’avais l’impression de ne pas vouloir perdre contre lui, peut-être parce que nous étions amis.

Nous avions regardé du haut des murs les lignes de soldats qui commençaient à marcher sur le pont temporaire devant la porte principale. Ils marchaient en colonnes avec un espace au milieu pour que les manamobiles puissent circuler sous surveillance.

Les chevaliers de l’Alliance, dans leur armure gris terne, menaient la marche. La moitié de leurs effectifs étaient présents dans cette avant-garde. Parmi eux se trouvait l’armure blanche de Shiran. Même si elle avait perdu sa capacité à détecter les ennemis, elle était toujours le chevalier le plus fort des Forêts du Nord.

Les autres chevaliers de l’ Alliance défendaient le centre du groupe. C’était la force que la commandante dirigeait. Déplacer environ cinq cents personnes sur une route conduisait naturellement à une ligne étendue. La route elle-même traversait la forêt et était entourée de monstres diaboliques. La force de la commandante supervisait l’ensemble du groupe tout en protégeant le centre de la colonne. Mikihiko était juste à côté d’elle, portant une armure de cuir par-dessus son uniforme scolaire.

***

Partie 2

« On dirait que nous allons pouvoir partir sans retard, » avais-je fait observer.

J’avais surveillé tout le départ d’en haut, mais au moins, il n’y avait aucun signe d’un quelconque monstre. Il semblerait que l’enthousiasme de chacun resterait élevé au lieu d’être interrompu juste après le départ.

« OK, allons-y aussi. »

Nous avions pris le rôle de l’arrière-garde. Moins d’yeux seraient braqués sur nous dans cette position si le pire devait arriver et que mes serviteurs devaient agir. De plus, les véhicules dans lesquels se trouvaient les non-combattants étaient rassemblés à l’extrémité de la ligne. Leur position reposait sur nos forces, prouvant ainsi que la commandante nous faisait confiance. Tel était le plan qu’elle avait pris soin d’assembler pour garantir un maximum de survivants.

Nous avions traversé un bâtiment du haut du mur et nous nous étions dirigés vers la porte d’entrée. Toutes les manamobiles étaient à peu près parties à ce moment-là. Une seule d’entre elles ne bougeait pas. J’avais sauté sur ce dernier véhicule à la place du conducteur. J’avais attrapé Lily dans mon bras alors qu’elle sautait après moi, puis je m’étais retourné et j’avais ouvert la toile qui était en place pour que personne ne puisse voir à l’intérieur. Le reste de mon groupe et Kei avaient une discussion amicale à l’intérieur.

« Nous allons bientôt partir, » leur avais-je dit tandis que Lily et moi prenions place côte à côte à la place du conducteur.

Les manamobiles étaient fondamentalement les mêmes que les calèches, sauf qu’elles utilisaient le mana comme source d’énergie au lieu des chevaux. Les sièges avant étaient suffisamment larges pour que trois hommes de taille moyenne puissent s’asseoir confortablement ensemble et étaient équipés d’un repose-pieds incliné pour aider à stabiliser le corps. Un garde-boue incurvé était installé à l’avant qui remontait jusqu’à la poitrine du conducteur, et il était garni d’une pierre runique grise de la taille d’un poing, juste à portée de main. Une sculpture représentant une tête de cheval était fixée au sommet du garde-boue, orientée vers l’extérieur comme la figure de proue d’un bateau.

J’avais touché la pierre runique apposée près de son cou. Faire fonctionner la manamobile était assez simple. Tout ce que j’avais à faire était de toucher la pierre runique et d’y canaliser mon mana. Cela fonctionnait comme un interrupteur d’allumage. Il utilisait le mana qu’il stockait dans l’environnement comme source d’énergie, il n’était donc pas nécessaire de lui fournir constamment le mien. J’avais demandé ce qui décidait du mouvement en avant ou en arrière, mais la pierre runique principale ne pouvait que faire avancer la voiture en ligne droite.

Une force magique tirait sur le cadre, mais cela n’avait pas affecté directement ce qui était chargé à bord. Le départ était un peu glissant. Les roues grinçaient et commençaient à bouger, s’entrechoquant contre le sol tandis que la manamobile s’agitait. Je ne peux pas dire que c’était confortable, mais vu l’état de la route, c’était plutôt inévitable. Il semblerait que ce serait difficile pour quelqu’un qui avait le mal des transports.

« Takahiro, comment va ma sœur ? »

Juste au moment où nous nous étions mis en mouvement, suivant la manamobile devant nous, Kei avait surgi de l’arrière entre moi et Lily. Quiconque l’aurait vue agir comme un gentil chiot en sourirait. Elle avait des cheveux courts, du même blond magnifique que ceux de Shiran, qui étaient attachés en tresses courtes aujourd’hui. C’était probablement l’œuvre de Katou. Elle avait l’habitude de changer la coiffure de Rose tout le temps.

« Shiran fait un travail splendide en dirigeant le groupe. De quoi parliez-vous tout à l’heure ? »

« À propos de ma ville natale. Gerbera a dit qu’elle voulait en entendre parler. »

« En effet. Après tout, je n’ai pas encore entendu de telles histoires. »

La fille en blanc avait ensuite surgi, m’attrapant les deux épaules par-derrière et plaçant sa tête à côté de la mienne. Elle m’avait regardé de côté. Je m’y étais habitué maintenant, mais sa beauté captivante était encore plus proche de moi que l’innocente petite Kei. On aurait dit qu’une petite secousse du véhicule aurait fait tomber nos joues l’une contre l’autre. Ses cheveux blancs et soyeux, qui ressemblaient à des fils d’araignée, frôlaient mon cou et me chatouillaient.

« Fais attention, Gerbera, » avais-je dit, en jetant un coup d’œil à ses joyeux yeux rouges. « Le bas de ton corps ressort. Ce sera mauvais si quelqu’un te repère par accident. Allez, regarde, Ayame est même en train de t’imiter. »

La petite renarde avait sauté et s’était posée sur mes genoux quand Gerbera avait jeté un coup d’œil. Ayame s’était installée confortablement. Son nez était agité, peut-être à cause de l’odeur qui changeait constamment dans l’air lorsque le véhicule se déplaçait.

« Je le sais. Avec seulement le haut de mon corps qui dépasse comme ça, je ne suis pas différente d’une humaine. Ayame ne peut pas non plus être vue quand elle est assise sur tes genoux. »

Apparemment, elle y avait au moins réfléchi. Ça me convenait tant qu’elle comprenait, mais Gerbera était une fille négligente. C’était mieux d’enfoncer le clou jusqu’au bout.

« Désolé, mais quand nous atteindrons le village, reste cachée. Tu es déjà très attirante comme ça. Attirer l’attention inutilement serait dangereux quand on garde des secrets. »

« Gerbera est super jolie, après tout. N’est-ce pas, Takahiro ? » ajouta Kei.

« Oui. »

« H-Hmm ? Vraiment ? » dit Gerbera en portant sa main à sa joue.

J’avais arraché mon regard de sa réaction mignonne et m’étais retourné vers Kei.

« Bref, tu parlais de ta ville natale ? Qu’as-tu à en dire ? »

« Euh, voyons voir… »

 

 ◆ ◆

La plus grande nation de ce continent était officiellement appelée l’Empire d’Eryx. C’était une nation féodale dirigée par un empereur, et des nobles gouvernaient ses territoires. L’Empire avait également vassalisé un groupe de petites nations désignées comme l’Alliance. Ce nom était une relique de l’époque où elles avaient uni leurs forces pour s’opposer à l’Empire. Cela s’était passé il y a des siècles, à peu près à la même époque que la Tragédie du Roi Mort-Vivant Carl.

Malgré ses vastes territoires, seule une petite partie de l’Empire bordait les Terres forestières. En revanche, les pays de l’Alliance donnaient tous sur la dangereuse forêt. Tel était le contexte historique de cette planète.

Chaque pays de l’Alliance avait évidemment son propre nom. Par exemple, la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance était envoyée depuis un pays appelé Aker. Les pays de l’Alliance situés à la limite sud de l’Empire, face à la région nord des Terres forestières, étaient appelés les Cinq Royaumes du Nord. Ces pays étaient situés à l’ouest du Fort de Tilia. Les pays de l’Alliance situés à l’est étaient appelés les Trois Royaumes de l’Est. Incidemment, on disait que la forêt s’étendait jusqu’aux extrémités ouest et sud du continent, mais personne ne l’avait jamais confirmé.

Le pays où la commandante nous avait invités était Aker, l’un des cinq royaumes du Nord. Il n’était composé que d’une poignée de localités assez grandes pour être appelées villes. Le reste de la petite nation était constitué de villages.

Environ un tiers du territoire d’Aker était couvert de montagnes abruptes, et certaines parties de son territoire occupaient également des régions où les Terres forestières avaient été défrichées. La nation était pauvre, mais elle débordait d’esprit militariste comme forme de caractère national. Les enfants des villages de reconquête, comme celui d’où venait Kei, apprenaient à se battre à l’épée dès leur plus jeune âge. Ils n’auraient probablement pas été en mesure de survivre autrement.

Vu que leur petit territoire bordait les Terres forestières, la menace des monstres était sérieuse. C’est pourquoi l’organisation mère de la troisième compagnie, l’Ordre de la défense nationale, était dirigée par la royauté. Les chevaliers couraient d’est en ouest à l’intérieur de leurs frontières, combattant activement les monstres.

Ce genre de situation était censé être normal dans les cinq royaumes du Nord. L’image que j’avais des rois ressemblait davantage à la royauté dans les jeux, où un vieil homme était assis confortablement dans une vaste pièce avec un tapis rouge dans un grand vieux château. Les membres de la royauté des pays de l’Alliance, en revanche, étaient en fait plus proches des commandants militaires de la période Sengoku du Japon. C’est pourquoi une princesse comme la commandante allait sur les champs de bataille avec des chevaliers.

Les survivants du Fort de Tilia, menés par la commandante, suivaient la route vers le nord qui traversait les Terres forestières. Cette route menait au comté de Lorenz, dans le sud de l’Empire. La ville la plus proche du Fort de Tilia était la ville commerciale Serrata située au centre de ce territoire. Nous commencions par aller vers le nord jusqu’à ce que nous atteignions cette ville.

La commandante avait l’intention de rapporter les événements du Fort de Tilia à chaque région à partir de là. Serrata disposait d’un moyen de communication longue distance qui était relié au Fort de Tilia et au Fort d’Ebenus. Cependant, l’appareil du Fort de Tilia avait été perdu lors de l’attaque des monstres, ils devaient donc utiliser le plus proche disponible. Un cheval rapide avait déjà été envoyé à Serrata le lendemain de l’attaque, mais il n’y avait aucune garantie que l’information passerait sans encombre à travers les Terres forestières. De plus, le rapport aurait plus de poids s’il était transmis par une personne de haut rang.

Après cela, elle allait laisser les soldats impériaux aux soins du noble impérial, le comte Lorenz. Puis elle devait ramener les chevaliers de l’Alliance dans son pays et faire un rapport à son père en personne. Notre plan était de l’accompagner. Aker était situé au sud-ouest de Serrata, ce qui signifiait que nous prenions une route quelque peu détournée pour y arriver, mais nous n’avions pas vraiment le choix.

De toute façon, l’important maintenant était de traverser les Terres forestières en toute sécurité. Nous devions rester concentrés.

 

 ◆ ◆

« Yaaah ! »

Un seul cri, une seule frappe.

Une lance noire avait traversé l’air comme une balle, se plantant dans l’une des six têtes d’un énorme serpent, une petite hydre. Le monstre avait tenté d’attaquer les soldats qui protégeaient la file de voitures. Une adolescente — ou plutôt un monstre qui en imite une, ma servante Lily — avait retiré la pointe ensanglantée de la lance. Elle avait facilement esquivé une autre tête qui essayait de planter ses crocs empoisonnés en elle, puis elle avait écrasé dans le sol la tête qui s’élançait.

« Taaah ! »

Elle utilisa son pied pour pivoter et tourner sur elle-même. Sa jupe blanche s’agita tandis que sa longue jambe décrivait un bel arc de cercle dans l’air, délivrant un coup de pied circulaire dans le cou de l’une des têtes de la petite hydre. L’impact fut bien plus dévastateur que son apparence délicate ne le laissait supposer. La tête du serpent s’envola dans l’obscurité de la forêt avec un craquement humide et disparut.

« Quel unilatéralisme… ! Ce n’est qu’un monstre des confins, mais quand même, » m’étais-je murmuré.

« N’est-elle pas géniale ? »

Je m’étais assis sur le siège du conducteur de la manamobile arrêtée. Gerbera tenait le tissu derrière moi, se penchant en avant avec amusement en me secouant les épaules.

Les mouvements de Lily étaient d’un niveau supérieur à ce qu’ils étaient auparavant. Non seulement elle avait gagné beaucoup de mana en mangeant la montagne de cadavres de monstres du Fort de Tilia, mais une partie de ses organes sensoriels étaient maintenant améliorés par le mimétisme, et il en était de même de son odorat après avoir mangé le premier croc de feu. En conséquence, non seulement elle avait une vue d’ensemble de la situation autour d’elle, mais elle connaissait même tous les détails de son propre corps, ce qui lui donnait un bien meilleur contrôle qu’auparavant.

***

Partie 3

Ce n’était pas tout non plus. Un glyphe rouge avait pris forme dans la main gauche de Lily. C’était une magie de feu de niveau 2. La boule de feu jaillit et explosa, brûlant l’une des faces de l’énorme serpent. Il cria et se pencha en arrière alors qu’une lance s’enfonçait dans sa gorge.

Lily pouvait maintenant utiliser une nouvelle magie après avoir mangé des monstres comme les élémentaires de feu. Elle pouvait lancer des magies de feu et de terre de niveau 2. Elles étaient plus faibles que les magies d’eau et de vent qu’elle pouvait déjà utiliser, mais cela élargissait vraiment son arsenal tactique. Elle utilisait de manière proactive sa magie nouvellement acquise afin de s’y habituer.

La petite hydre avait touché le sol en un rien de temps. Mais avec tous ces yeux autour sur elle, elle ne pouvait pas vraiment la manger. Si Lily s’était battue seule, c’est parce que nous pensions que cela serait moins stimulant pour les soldats qui nous accompagnaient, vu son apparence humaine. Si elle devait agir comme un monstre, cela irait à l’encontre de nos intentions.

Lily avait déjà mangé une petite hydre pendant le nettoyage du Fort de Tilia de toute façon, donc il n’y avait pas vraiment de raison de manger celle-ci. C’était bien de la laisser. Elle était revenue vers nous en se prélassant dans les regards étrangement passionnés des soldats qu’elle avait sauvés. J’avais demandé à Gerbera, qui s’était cachée dans le véhicule, de transmettre la situation aux autres.

« Je suis de retour ! »

« Bon travail là-bas. »

Lily s’était assise à côté de moi à l’avant de la manamobile. J’avais essuyé le sang de serpent sur sa joue avec un chiffon, et Lily avait souri timidement, de bonne humeur. Je ne savais même pas combien de fois cela faisait maintenant que je l’avais dorlotée de cette façon.

C’était le sixième jour depuis que nous avions quitté le Fort de Tilia. Nous avions rencontré des monstres à plusieurs reprises depuis lors. D’après ce que Mikihiko avait dit lors de notre dernière conversation, nous tombions sur plus de monstres que prévu. C’était presque une évidence, vu que les chevaliers n’avaient pas été capables de nettoyer les environs des monstres depuis le siège.

Les capacités de détection de Shiran étant actuellement indisponibles, nous étions les seuls à pouvoir prendre des mesures préventives contre les monstres en utilisant l’odorat de Lily et Ayame. Comme Lily n’avait pas l’air différente d’un humain et que sa force de combat était excellente, elle finissait par sauter de notre véhicule plusieurs fois par jour.

Elle ne pouvait cependant couvrir que l’extrémité arrière de la ligne. Je n’avais pas pu le constater moi-même, mais Shiran faisait manifestement le travail d’une centaine de personnes à l’avant. Il y avait quand même une limite à ce qu’elles pouvaient couvrir toutes les deux. Les chevaliers de l’ Alliance et les soldats repoussaient les monstres restants. Chaque fois que des monstres apparaissaient, les soldats formaient des colonnes de part et d’autre des véhicules et préparaient leurs boucliers.

Ils avaient essentiellement adopté une politique défensive. Leur seule tâche consistait à protéger les manamobiles transportant les blessés. La participation directe à la bataille était le travail des chevaliers de l’ Alliance les plus expérimentés. Ils chargeaient avec leurs grands boucliers prêts à l’emploi, protégeant leurs camarades à l’arrière tandis qu’ils cherchaient des ouvertures et sortaient leurs armes.

Une fois qu’ils avaient immobilisé un monstre avec cette approche, les soldats le bombardaient continuellement de flèches et de magie. L’armée impériale n’était pas faible. Même si elle n’avait pas la force d’affronter directement les monstres, sa capacité à les affaiblir et à les tuer à distance était un avantage qu’elle avait sur les Chevaliers de l’Alliance. Leur nature était de travailler en grandes formations comme celle-ci, ce qui était difficile à faire dans les Terres forestières. Cela contrastait avec les chevaliers, qui privilégiaient la force de combat individuelle.

Les soldats préféraient tirer des flèches et de la magie de loin quand ils le pouvaient. S’ils devaient s’engager dans un combat rapproché, ils formaient un mur de lances pour terrasser les monstres. Leur style de combat était basé sur l’hypothèse qu’ils mènent des batailles défensives à l’intérieur d’une forteresse ou dans des champs dégagés. Ils pratiquaient la tactique digne de confiance de la violence par le nombre. C’était simplement la façon dont ils étaient formés.

Une grande armée de monstres, comme celle que Kudou avait envoyée, était le pire ennemi de l’armée impériale. Contrairement à ce qui s’était passé lorsqu’ils avaient combattu la première vague du siège et avaient échoué, les soldats avaient été capables d’opposer une résistance significative dans les couloirs de la forteresse, où ils pouvaient être plus nombreux que leurs ennemis.

Peut-être que si toute la garnison de la forteresse avait affronté directement Juumonji, ils auraient pu le vaincre. Mais cela aurait entraîné de lourdes pertes, et Juumonji n’aurait jamais accepté un tel combat. De toute façon, les soldats n’auraient pas été capables de tirer leurs flèches contre un sauveur.

En tout cas, les forces armées de ce monde étaient plus puissantes que je ne le pensais. Grâce à cela, nous pourrions limiter les pertes au minimum et traverser la région boisée. Une fois que les soldats qui avaient été blessés pendant la bataille contre la petite hydre avaient été soignés, la ligne de manamobiles qui s’était arrêtée s’était remise en marche.

Nous avions dû attendre que tous les autres véhicules partent, car nous étions les derniers dans la file. Voyant que je n’avais rien à faire, Asarina avait sorti sa tête. Je lui avais tenu compagnie tandis qu’elle m’interpellait comme si elle disait. « Joue avec moi ! Joue avec moi ! » Peu de temps après, j’avais entendu un gémissement à côté de moi.

« Quoi de neuf, Lily ? »

« Je pensais juste au fait que ça ne se passe pas aussi bien que je l’avais espéré. »

Lily baissait les yeux sur sa main droite sur ses genoux avec une expression sérieuse. Je n’avais aucune idée de ce dont elle parlait. Juste à ce moment-là, un changement soudain s’était produit au bout de ses doigts.

« Hein… ? »

Ses doigts minces s’étaient agrandis, et des poils avaient recouvert la peau. C’était la patte d’un ours. Je pouvais dire que c’était la main d’un lapin rugueux, un monstre des Profondeurs.

« Argh, » Lily avait gémi. Sa main d’ours commença à s’agiter comme si quelque chose en elle était en train de s’emballer. Lily se mordit légèrement la lèvre et fronça les sourcils, apparemment incapable de le contrôler. « Ah !? »

L’instant d’après, la main de Lily avait repris sa forme gluante.

« Vas-tu bien ? »

« Hm. Je vais bien, je vais bien. »

J’avais attrapé son poignet en panique. Une masse gluante avait gonflé, mais avait repris la forme d’une main de fille après un petit moment. J’avais tenu sa main avec les deux miennes et j’avais poussé un soupir de soulagement.

« Qu’est-ce que c’était ? » avais-je demandé.

« Une… expérience ? Oh, Maître, la manamobile devant nous bouge. » Lily avait attendu que je fasse bouger le véhicule, puis elle avait commencé à expliquer. « Il semble que mon mimétisme ait une limite. »

« Une limite ? »

« Mhm. Je ne peux imiter qu’un seul type de monstre à la fois. »

« N’as-tu pas déjà été mi-slime, mi-humain ? »

« Maître. Le slime est mon corps réel, pas une imitation. »

Lily avait levé sa main et avait transformé ses doigts en palpeurs gluants.

 

 

Maintenant qu’elle en parle, je n’avais jamais vu Lily changer une partie de son corps en autre chose qu’un slime en imitant une fille humaine. Ce n’était pas un acte de mimétisme, elle en défaisait simplement une partie. C’est ce qui rendait cela possible. Je l’avais regardé remuer ses palpeurs pour m’en convaincre.

« J’ai, bien sûr, utilisé les capacités d’autres monstres sous cette forme. C’est de là que vient l’odorat du croc de feu, et j’ai aussi utilisé la force physique d’un lapin rugueux. Même la magie de feu et de terre que je peux utiliser maintenant est faite de cette façon. Mais peu importe ce que je fais, les capacités se détériorent à cause de cela. »

« Elles se détériorent ? »

« Oui. Je peux faire ressortir environ 80 % des capacités d’un monstre lorsque j’utilise sa forme. Si je le fais sous une autre forme, ça peut aller jusqu’à 60 %, mais en général, je suppose que ça tourne autour de 40 %, non ? Il y a aussi des capacités spécialisées que je ne peux pas du tout utiliser sous cette forme. »

Le mimétisme de Lily ne pouvait pas reproduire parfaitement les capacités des monstres qu’elle copiait. Je le savais d’avance.

« Le mimétisme n’est pas la vraie chose. Il y a un gouffre entre le faux et le vrai qui ne peut être franchi, » dit Lily d’une voix feutrée. « Mais je ne peux pas abandonner juste à cause de ça, n’est-ce pas ? Si je ne peux pas franchir cette frontière, je dois simplement trouver un moyen de faire en sorte que ça marche sans avoir à le faire. »

« Et c’est pour ça qu’il y avait ce mimétisme partiel ? »

C’était logique maintenant. Je n’avais pas demandé pourquoi elle pensait soudainement à de telles choses. Rose n’était pas la seule à se sentir en danger après avoir été témoin du pouvoir des tricheurs. Lily réfléchissait également aux moyens de s’améliorer. Rose avait suggéré d’apprendre les arts martiaux, tandis que Lily pensait à tirer parti de sa spécialité de monstre. Je ne pouvais pas être négligent alors que mes serviteurs faisaient de gros efforts. Je devais fournir plusieurs fois plus d’efforts en tant que leur maître.

« Hé, Maître ? » Lily murmura, presque comme si elle se parlait à elle-même. « En suivant cette logique… Pourquoi ne puis-je pas utiliser de triches ? »

« Hein ? »

« Je suis vraiment juste une… » Au milieu de son discours, Lily remarqua quelque chose et se mit soudain à cligner des yeux. « Maître. Là-bas. »

Lily avait montré du doigt le changement abrupt de paysage. Des lignes d’arbres interminables nous avaient entourés pendant tout ce temps, mais nous étions maintenant arrivés devant un solide mur de pierre. Un profond fossé et une digue l’encerclaient. Ce n’était pas tout à fait la taille du Fort de Tilia, mais cette apparence de fort n’était pas ce à quoi je m’attendais. Nous étions enfin arrivés au village de récupération le plus proche du Fort de Tilia.

***

Chapitre 5 : Le chevalier et le sauveur

Partie 1

Un sifflement strident avait retenti dans l’air. Il s’agissait de l’alarme du gardien de la tour de guet. Des hommes en tenue imposante étaient apparus les uns après les autres pour surveiller les remparts qui entouraient le village. On m’avait dit que l’armée était stationnée ici. Ces hommes étaient vraisemblablement des soldats. En regardant de plus près, ils avaient le même équipement que ceux qui nous accompagnaient.

Cela avait fait de ceux qui étaient sortis après eux la garde de la ville. Leurs armures étaient abîmées, les pièces métalliques étaient usées et montraient des signes de réparations fréquentes. Beaucoup d’entre eux étaient équipés de ce qui semblait être des pièces détachées de l’armée, mais certains portaient des armures de cuir faites maison. Leurs armes manquaient d’uniformité, mais toutes semblaient bien entretenues.

C’était une bonne chose d’être arrivés à ce village, mais il était inutile de s’y introduire en si grand nombre et de les rendre méfiants. Il avait été décidé que la commandante et quelques-uns de ses chevaliers iraient en premier pour expliquer la situation.

Leur rencontre s’était terminée sans problème. D’après ce que j’avais entendu plus tard, le chevalier qui était parti devant nous en tant que messager avait réussi à arriver plusieurs jours plus tôt et avait déjà fourni une explication simple. Une fois les discussions terminées, environ la moitié des chevaliers restants avaient été invités dans le village avec les étudiants. Le village n’avait pas la capacité d’accueillir près de cinq cents personnes.

Shiran était venue me chercher, et j’avais conduit notre manamobile dans le village. Les murs étaient en pierre, mais les maisons du village étaient en bois. Nous avions emprunté un chemin qui passait entre de vastes champs, traversant plusieurs portes et murs de défense.

En regardant les champs à mes côtés, je pouvais voir plusieurs villageois rassemblés de façon sporadique qui nous regardaient passer. Il semblait qu’ils étaient conscients que nous étions des visiteurs d’un autre monde — leurs sauveurs, dans leur esprit du moins.

L’anxiété et la curiosité se mêlaient à la nostalgie et à la foi. Leurs regards se mettaient mal à l’aise. Shiran s’était assise à mes côtés sur le siège du conducteur, nous servant de guide. Elle avait commencé à nous parler des détails généraux des villages de récupération, peut-être par considération lorsqu’elle avait senti ce qui se passait dans mon esprit.

« La remise en état des Terres forestières commence par la construction de murs à l’intérieur du territoire défriché. Des pierres sont importées de carrières lointaines pour construire un périmètre défensif solide. Au fur et à mesure de l’avancée du peuplement, d’autres murs sont construits pour l’expansion. C’est ainsi que le village se développe petit à petit. »

« Oh, c’est donc pour ça qu’il y a plusieurs couches de murs ? »

« Précisément. La pierre importée étant principalement utilisée pour les murs, les maisons sont généralement construites en bois, qui est en extrême abondance. Plusieurs fois par an, l’armée organise la vente du bois excédentaire obtenu par le défrichement des forêts. »

« Les villages vivent-ils de la sylviculture ? »

« Oui. Le sol de la région boisée est pauvre pour les cultures. On dit que c’est parce que la densité du mana dans la terre empêche tout ce qui peut pousser à part les arbres. Pour cette raison, la récolte de chaque champ est minime. Ils compensent le déficit en nourriture en l’achetant ailleurs avec l’argent des ventes de bois. »

« Ta ville natale est aussi comme ça, Shiran ? »

« En effet. Il ne fait qu’un cinquième de sa taille et est un peu plus pauvre, mais l’atmosphère est similaire, » dit Shiran avec un sourire affectueux, se souvenant de sa propre ville natale. « Ce village sert d’escale pour le Fort de Tilia, il est donc plus grand pour un village de récupération. »

Pendant que nous parlions, en attirant l’attention des villageois, notre manamobile avançait progressivement. Ils ne pouvaient pas deviner qu’il y avait des monstres à l’intérieur. Le village n’était pas au courant de ma situation. Nous ne faisions que passer, il avait donc été décidé qu’il n’était pas nécessaire de sortir de notre chemin pour semer les graines du chaos. Les seuls à entrer dans le village étaient les chevaliers de l’Alliance, nous n’avions donc pas à craindre que quelqu’un divulgue mon secret. Même si le village l’apprenait, il ne pourrait rien y faire, vu l’importance de la force avec laquelle nous étions venus.

Nous étions arrivés à un bâtiment à deux étages près du centre du village. Il était un peu plus prestigieux que les autres bâtiments que nous avions vus et avait un panneau d’affichage accroché à son toit. Shiran m’avait dit que c’était une auberge pour les voyageurs qui servait également de taverne. Je lui avais laissé le véhicule et étais descendu avec Lily.

« Salut, Majima. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, » déclara Miyoshi Taichi. Son groupe d’amis qui avait réussi à survivre dans le Fort de Tilia venait de sortir d’une autre manamobile. « Je t’ai observé en chemin. Tu as joué un grand rôle dans la protection de tous les soldats, hein ? »

« Eh bien, c’est plutôt Lily qui l’a fait. Je n’ai rien fait du tout. »

Miyoshi était venu de lui-même pour parler. Après l’attaque du Fort de Tilia, mes serviteurs et moi nous étions en quelque sorte cachés, et nous n’avions pas eu grand-chose à faire avec les autres élèves pendant le voyage, donc cela faisait environ un demi-mois que Miyoshi et moi n’avions pas parlé.

« Comment vont-ils ? Ils ont l’air plutôt pâles là-bas, » avais-je demandé, en jetant un regard à ses amis épuisés.

« Oh, ne t’inquiète pas pour eux. Ils sont juste malades en voiture, » répondit Miyoshi avec un sourire en coin.

Les chevaliers nous avaient appelés et nous étions entrés dans la taverne. La salle spacieuse était bordée de tables. Deux des amis de Miyoshi souffrant de malaise étaient allés se reposer dans les chambres du deuxième étage, tandis que Lily, Miyoshi, une fille appelée Tada Ryouko — le dernier membre du groupe de Miyoshi — et moi-même avaient pris place à une table. Des mouchetures noires tachaient le plateau de la table après de longues années d’utilisation. C’était probablement là que les villageois passaient leur temps libre. Malheureusement pour eux, l’endroit était vide aujourd’hui et personne ne pouvait y entrer.

Les chevaliers qui étaient entrés avec nous avaient refusé de se joindre à nous à table, disant qu’il était de leur devoir de monter la garde. Ils nous avaient apporté quatre portions de nourriture. C’était des repas simples avec du pain et une soupe de légumes. Il y avait aussi des alcools disponibles, mais j’avais refusé. Lily pouvait probablement boire, mais elle avait refusé, voyant que je n’en prenais pas non plus.

J’avais vérifié auprès de Shiran quand elle était passée, et il s’est avéré qu’elle avait fait des préparations pour que les mêmes repas soient envoyés à Gerbera et Katou, qui étaient toujours dans la manamobile. Kei leur apportait leur nourriture pendant que les Chevaliers de l’Alliance surveillaient les environs. Il n’y avait pas lieu de s’inquiéter de leur rencontre avec les villageois. Ainsi, je n’avais pas hésité à commencer mon repas.

Les seuls qui avaient parlé pendant que nous mangions étaient Miyoshi et moi. J’avais pris le petit déjeuner avec le groupe de Miyoshi une fois au Fort de Tilia, mais l’ambiance avait été complètement différente à l’époque. Ils savaient maintenant que Lily était un monstre. Ils ne savaient pas comment le prendre. Miyoshi évitait de lui parler, tandis que Tada ne parlait pas du tout.

Miyoshi nous avait raconté des histoires sur la capitale impériale pendant tout ce temps. Il les avait entendues en chemin des soldats. Ayant juste survécu à l’incident du Fort de Tilia, il ne serait pas inhabituel qu’il soit inquiet que la même chose se produise à l’avenir.

Au milieu de notre repas, la commandante était arrivée à la tête de quelques chevaliers. Elle avait également amené un vieil homme qui faisait office de chef de ce village de récupération. Il nous avait accueillis si formellement qu’il s’était pratiquement prosterné devant nous. Cela m’avait mis mal à l’aise, alors j’avais rapidement fini ma nourriture pour me donner une excuse pour partir. Heureusement, la commandante avait compris cette partie de ma nature, et elle s’était arrangée pour qu’on nous montre notre chambre immédiatement.

« Fatigué ? » Shiran m’avait demandé en souriant quand j’étais entré dans la pièce et que j’avais poussé un énorme soupir.

« Juste un peu. C’est surtout de la fatigue mentale. »

« Il y a un bain public dans le village. Que dirais-tu d’y aller avec Lily ? Je suis sûre qu’ils t’autoriseront à l’utiliser si nous demandons. »

On avait frappé à la porte juste à ce moment-là.

« Excusez-moi d’interrompre votre repos, mais puis-je avoir un moment ? »

C’était la commandante, accompagnée de Mikihiko. Elle avait commencé par nous remercier d’avoir protégé les soldats des monstres sur le chemin, puis elle était passée directement aux choses sérieuses.

« Notre plan initial était de quitter ce village tout de suite, mais il y a eu un petit changement dans notre programme. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« Nous envisageons de rester ici toute la journée de demain. À cet effet, j’aimerais avoir également votre consentement. »

Marcher continuellement dans les bois pendant plusieurs jours tout en surveillant les attaques potentielles de monstres avait épuisé les soldats plus que prévus. De plus, on craignait que l’abandon du Fort de Tilia n’entraîne une augmentation des attaques de monstres sur ce village. Il y avait déjà des signes de ce qui se passait, et cela rendait les villageois inquiets. Ainsi, pendant que les soldats se reposaient toute la journée de demain, la commandante allait diriger une partie des chevaliers qui pouvaient encore se battre pour supprimer les monstres dans les environs.

« Compris. Si vous le souhaitez, Lily et moi pouvons également participer. »

« Je ne pouvais demander mieux. Je vous en prie. »

Un sourire s’était dessiné sur le visage fatigué de la commandante. Elle avait ensuite expliqué les détails de la zone que nous avions prévu de patrouiller demain. Nous devions entrer dans la forêt en début d’après-midi. Dans ce cas, j’avais décidé de faire une demande.

« Si nous avons le temps demain matin, j’aimerais que tu aides Rose et les autres à s’entraîner, Shiran. »

« Comme nous en avons discuté plus tôt ? Ça ne me dérange pas, mais… »

Shiran avait regardé la commandante, qui lui avait fait un signe de tête. « Cela ne me dérange pas non plus. Nous sommes très redevables à Takahiro, y compris pour la patrouille de demain. Je n’ai pas de travail pour toi avant cela. Fais comme bon te semble. »

« Très bien. Alors, Takahiro, je serai heureuse d’accéder à ta demande. »

« Super. Merci, Shiran, » avais-je dit en souriant avant d’ajouter une dernière chose. « Oh oui. Si on a le temps, je pourrais aussi m’entraîner ? »

« Oh ? Tu vas t’entraîner, Takahiro ? Si oui, peut-être que je peux aussi me joindre à vous ? J’aimerais essayer d’utiliser un peu plus une épée longue, » dit Mikihiko en levant la main.

En le voyant comme ça, la commandante avait souri faiblement. Un air harmonieux circulait dans la pièce… mais une personne réagissait différemment. Pour une raison inconnue, l’expression de Shiran avait complètement changé. Un profond pli s’était formé entre ses sourcils.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Shiran ? » demande la commandante.

« À propos de ça, Takahiro… » Shiran s’était arrêtée. Son regard avait vacillé. Elle serra son poing contre sa poitrine et pinça les lèvres. « C’est peut-être une bonne occasion de te le dire, » murmura-t-elle, puis elle me regarda dans les yeux avec détermination. « Takahiro. Comme je l’ai dit, j’accepte ta demande de former tous tes serviteurs. Cela ne me dérange pas non plus d’entraîner Mikihiko. Cependant, pourrions-nous mettre un terme à ton propre entraînement ? »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé, en la fixant assez grossièrement sans le vouloir.

Ce serait une chose si elle n’avait pas le temps de nous aider à nous entraîner, mais aider tous mes serviteurs et Mikihiko tout en me laissant de côté n’avait aucun sens. Je pensais qu’elle plaisantait peut-être, mais son unique œil bleu semblait tout à fait sérieux.

« Takahiro. Tu ne devrais pas te battre plus longtemps, » dit-elle.

« Je ne me bats pas vraiment parce que je le veux… » Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Je ne pouvais pas cacher la perplexité dans ma voix. « Mais je ne peux pas faire marche arrière, n’est-ce pas ? Si je ne balaie pas les braises qui tombent sur moi, je vais me brûler. Pour éviter cela, je dois acquérir la force de me battre. »

« Même si le simple fait d’acquérir ladite force est un danger en soi ? »

Lily avait tressailli à ces mots. Elle ne pouvait pas ignorer une déclaration suggérant une sorte de danger pour mon bien-être.

***

Partie 2

« Hé, Shiran. Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda-t-elle avec raideur.

« C’est exactement ce que j’ai dit. Les capacités de Takahiro comportent un risque. »

« Attends, » avais-je dit en reprenant la conversation. Les choses qu’elle disait étaient arbitraires et troublantes. J’avais écarté les bras en signe de protestation. « Que veux-tu dire par risque ? En quoi exactement suis-je en danger ici ? »

« Je vois. Donc tu n’y as pas non plus prêté attention. » L’œil de Shiran s’était concentré sur mon bras gauche tendu. Asarina, qui s’étirait langoureusement de là, sursauta. « Et où peut-on trouver un humain avec un monstre qui pousse dans sa main ? »

« Eh bien… Je veux dire, si c’est juste une question d’apparence… »

« Ce n’est pas une simple question d’apparence, » dit Shiran avec conviction. « Ton bras gauche n’a-t-il pas été affecté d’une manière ou d’une autre par la présence d’Asarina à l’intérieur ? »

Dans ce cas, mon silence équivalait à un aveu. Je ne pouvais pas la réfuter. Immédiatement après la naissance d’Asarina, j’avais ressenti une gêne dans ma main gauche. C’était assez naturel. Ses racines se répandaient dans mes muscles. Il serait étrange que ma main ne soit pas affectée. Au début, je pensais que la gêne disparaîtrait avec le temps. C’est toujours possible, mais… Je ne pouvais pas oublier ce que j’avais fait.

J’avais réalisé la technique de mouvement que j’avais utilisée de nombreuses fois pendant le siège du Fort de Tilia en faisant en sorte que les racines d’Asarina s’étendent jusqu’à la moitié de mon avant-bras afin qu’elle puisse tirer mon corps. Cependant, ses racines traversant mon poignet avaient quelque peu entravé ma mobilité. De plus, le bras humain s’était avéré être un organe sensible. Plus ses racines s’enfonçaient, plus les effets secondaires étaient importants. C’était inévitable.

« Tenir un bouclier est une chose, mais tu ne peux pas déjà utiliser ton bras pour un travail plus dextre, non ? »

« C’est très malin de ta part... » avais-je dit, en souriant avec amertume. Lily et Mikihiko m’avaient regardé avec anxiété. J’avais secoué la tête. « Ce n’est pas grave. Mes doigts sont juste un peu plus maladroits. Je suis droitier de toute façon. En termes de force pure, mon bras gauche est en fait plus fort. »

« Ce n’est pas tout, » poursuit Shiran en maintenant son expression sérieuse à moitié cachée par son cache-œil. « Si c’était le cas, je ne te dirais pas ça. Mais… Tu te souviens, Takahiro ? Quand je t’ai aidée pour la première fois à t’entraîner au Fort de Tilia, je t’ai dit que ta façon d’utiliser le mana était particulière. »

« Oui… Maintenant que tu le dis, tu l’as fait. Qu’est-ce qu’il y a ? »

C’était arrivé le deuxième jour de mon séjour au Fort de Tilia. Shiran l’avait mentionné quand elle avait vu la façon dont j’utilisais le mana pour renforcer mon corps. À l’époque, j’avais caché ma capacité et j’avais eu des sueurs froides en pensant qu’elle m’avait découvert.

« Je suis convaincue maintenant après en avoir entendu parler plus en profondeur. La façon dont ton mana circule lorsque tu renforces ton corps est la même que celle de la légendaire Grande Araignée Blanche. C’est particulier, mais peut-être naturel dans ce sens. »

« Oui. C’est vrai. C’est elle qui m’a appris à utiliser le mana en premier lieu… »

« C’est ça le problème, Takahiro. »

« Quoi ? »

Shiran se plongea dans les détails alors que je grimaçais. « Takahiro, tu sais que les anneaux que nous, chevaliers, utilisons pour identifier les goules fonctionnent en distinguant la différence de flux de mana entre les humains et les goules, n’est-ce pas ? Les goules ont un flux caractéristique de leur mana. Cela s’applique également aux humains et à tous les autres monstres. Nous disons “caractéristique” parce que ça ne peut pas être reproduit. En toute normalité, cela devrait être le cas. »

Maintenant qu’elle l’avait mentionné, Rose avait dit quelque chose de similaire assez récemment. Personne, pas même une autre espèce de monstre, ne pouvait utiliser les capacités inhérentes d’un monstre. Seule cette espèce de monstre pouvait reproduire le flux particulier de mana nécessaire.

« Te souviens-tu de l’autre chose que j’ai mentionnée quand je t’ai vu utiliser du mana pour la première fois ? »

« Je pense… Normalement, le mana ne circule pas comme ça ? »

« Exactement. Il devrait être impossible pour toi d’imiter le flux de mana de Gerbera. »

Je pouvais faire quelque chose que Shiran prétendait impossible… C’est ce qu’elle considérait apparemment comme un problème.

« La plupart du mana qui est en moi vient de Gerbera, donc… »

« Quand bien même. Le mana se trouve dans l’âme. Les âmes des humains et des monstres sont très différentes. Le mana coule à travers l’âme, ce qui signifie que si le flux change… »

Le regard de Shiran suggérait vivement ses derniers mots.

« C’est donc là que tu veux en venir. »

J’avais laissé échapper un long soupir. En y repensant maintenant, les filles m’avaient même soigné en utilisant une transfusion de mana. Tout le mana de mon corps avait été échangé avec celui de Gerbera pendant un moment. Il est possible qu’une sorte de changement irréversible se soit produit à l’époque. Combiné avec les racines d’Asarina qui avaient creusé dans mon corps, cela pourrait avoir été un tournant majeur dans ma vie.

« À ce rythme, je pourrais me transformer en monstre. C’est ce que tu essaies de me dire ? »

« J’aimerais que ce soit tout, » répondit Shiran, ses cheveux blonds se balançant dans l’air tandis qu’elle secouait la tête. « Takahiro, je ne sais pas ce qui va t’arriver. Personne ne le sait. Il est possible que tu te transformes en quelque chose qui n’est ni humain ni monstre. »

« C’est une affirmation horrifiante. »

« Ce n’est pas une menace, Takahiro. Je ne sais vraiment pas ce qui pourrait arriver si tu continues, » dit Shiran, son œil me transperçant. « C’est pourquoi je crois que tu devrais abandonner ta lame. »

En raison des particularités de son fonctionnement avec chacun de mes serviteurs, le cheminement mental ne transmettait pas beaucoup d’émotions lorsqu’il s’agissait de Shiran. Néanmoins, je pouvais dire qu’elle était vraiment inquiète pour moi à son expression sérieuse. Je me sentais un peu désolé pour cela, mais ma réponse avait été décidée depuis cette nuit que j’avais passée avec Lily au Fort de Tilia.

« Désolé, mais je ne peux pas accepter ça. »

« Takahiro ! »

« Si je continue à n’être rien de plus qu’un fardeau, n’importe laquelle d’entre elles pourrait se faire tuer en raison de ma faute. Il serait alors trop tard pour regretter. Je ne veux jamais penser, “Si seulement j’avais fait ça”, après avoir perdu quelqu’un de précieux pour moi. »

C’était un scénario catastrophe que je ne voulais même pas envisager. C’était la situation que je devais éviter à tout prix. J’avais déjà connu la solitude de tout perdre d’un coup, alors je refusais catégoriquement de laisser les liens que j’avais acquis me glisser entre les doigts.

« Cela dit… Ce n’est pas comme si je voulais suivre le chemin de ma propre destruction, » avais-je poursuivi. Même si j’ignorais la suggestion extrême de Shiran de me retirer complètement de la bataille, je devais traiter ce changement survenant dans mon corps avec plus de prudence. « Cela implique ma propre tricherie. Les visiteurs qui viennent de l’autre monde comprennent leurs capacités par instinct. Tant que je suis prudent, je devrais être capable de sentir la ligne dangereuse avant de la franchir. »

Par exemple, j’étais totalement convaincu qu’il n’y avait aucun problème à acquérir plus de serviteurs par des moyens normaux. En revanche, lorsque Gerbera m’avait fourni du mana, lorsqu’Asarina avait grandi dans mon corps… et lorsque j’avais fait de Shiran ma servante, j’avais su qu’il y avait des risques à agir de manière aussi imprudente. Il était important de connaître pleinement mes propres limites. J’étais reconnaissant à Shiran, son avertissement m’avait appris cela.

« J’aurais pu continuer à faire des choses déraisonnables sans le savoir si tu ne l’avais pas signalé maintenant. C’est — . »

Ma gratitude était restée coincée dans ma gorge.

« S’il te plaît, reconsidère ta décision, Takahiro. »

Sa voix sérieuse avait frappé mon oreille. La force surgissant de ses émotions m’avait fait sursauter. Elle m’avait regardé de son œil bleu. Il était comme une flamme de saphir. Notre cheminement mental ne transmettait normalement pas beaucoup de ses émotions, mais en ce moment, il me disait la passion de son cœur. Je pouvais sentir un zèle brûlant en elle qui contrastait totalement avec son corps froid de mort-vivant. C’était comme si elle pouvait se perdre dans une telle chaleur.

« Shiran… ? »

Qu’est-ce qui l’avait poussée à ce point ? En ce moment, j’avais l’impression qu’elle était acculée par quelque chose… Ce n’était pas caractéristique d’elle.

« Takahiro, tu… »

« Arrête, Shiran, » dit calmement la commandante, lui coupant la parole avant qu’elle ne dise autre chose. « Takahiro a déjà pris sa décision. Ce n’est pas à toi de le contredire. »

« Mais, Commandante ! »

Shiran s’était retournée vigoureusement pour dire quelque chose, mais elle avait retenu sa langue. Le regard calme de la commandante avait tué son élan et l’avait ramenée à la raison.

Shiran avait rapidement retrouvé son calme et avait dit. « Mes excuses… J’ai perdu mon sang-froid. J’ai dépassé les bornes… J’ai besoin de prendre l’air. » Elle inclina la tête, puis se leva de sa chaise. « Je t’enseignerai correctement demain, Takahiro. »

« Shiran. Si tu ne veux pas, alors je ne te forcerai pas… »

« Non. Ce n’est pas que je ne veux pas. Ce n’est pas du tout le cas. »

« Es-tu vraiment d’accord avec ça ? »

« Takahiro, tu as déjà décidé de te battre, n’est-ce pas ? Même si je ne t’apprends pas à utiliser une épée, tu entreras quand même dans la mêlée. Dans ce cas, je voudrais que tu apprennes au moins à te battre correctement. » Elle m’avait regardé avec sérieux. Elle était redevenue aussi fiable que d’habitude. « Cependant, je suis un instructeur strict, comme tu le sais. »

« Je ne voudrais pas qu’il en soit autrement. »

« Tu ne le feras pas, n’est-ce pas ? Oui… C’est comme ça que tu es… »

Shiran avait souri et avait quitté la pièce. La commandante lui avait dit au revoir, puis elle avait baissé la tête vers moi.

« Veuillez pardonner le comportement impoli de ma subordonnée. »

J’avais secoué la tête. « C’est bon. En fait, je vous en suis reconnaissant. »

J’avais pensé qu’il y avait quelque chose d’étrange dans son comportement, mais après y avoir réfléchi, Shiran était assez proche de moi en âge. C’était normal qu’elle perde le contrôle de ses émotions de temps en temps. Je ne pouvais pas me plaindre quand elle était juste inquiète pour moi.

« Cela peut sembler étrange venant de moi, mais essayez de la comprendre. Elle s’inquiète vraiment pour vous du plus profond de son cœur. » La commandante m’avait regardé, avec une expression anxieuse présente sur son visage dur. « Takahiro, savez-vous quel genre d’existence nous sommes, nous les chevaliers ? »

« Quel genre d’existence… ? » demandai-je en penchant la tête.

« En effet, » répondit la commandante sur un ton courtois. « Nous sommes des sujets de notre nation, mais nous ne consacrons pas tout à notre pays. Nous sommes bien sûr loyaux, mais cela n’a rien à voir avec le fait d’être chevalier. La raison pour laquelle nous prenons l’épée est différente de celle des soldats de l’armée. »

« Ummm ? »

« En bref, » dit Mikihiko en le coupant, « la chevalerie ici est différente du code des samouraïs. La loyauté n’est pas leur pilier. »

La commandante acquiesça. « C’est ainsi. Nous consacrons nos épées uniquement aux idéaux de justice et au salut des faibles. En un sens, nous sommes un peu comme les sauveurs qui descendent sur ce monde… Il y a bien sûr des chevaliers pour qui cela ne s’applique pas. Il y a ceux qui privilégient la gloire, ceux qui sont corrompus, et récemment, j’ai entendu dire qu’il y avait même ceux qui étaient simplement assoiffés de sang pour la bataille. Cependant, Shiran est différente d’eux. » Elle m’avait regardé avec une expression sérieuse presque effrayante. « C’est un chevalier. J’aimerais que vous gardiez cela à l’esprit, Takahiro. »

Son ton était sérieux. Cela démontrait à quel point c’était important pour elle.

« Compris, » avais-je dit en hochant la tête.

« Merci beaucoup. » La commandante avait souri avec un certain soulagement. Il y avait une quantité inattendue d’affection maternelle dans son expression. « Continuez à prendre soin de Shiran, Takahiro. »

***

Chapitre 6 : Les bains publics du village de récupération ~Point de vue de Katou Mana~

« Il y a un bain commun dans ce village. Voulez-vous toutes venir avec moi ? » proposa Kei d’un ton excité. Elle venait de rentrer après avoir emporté la vaisselle.

« Cela semble bien. On y va ? » Répondis-je.

Le visage de Kei avait éclaté en un sourire innocent. Ses expressions honnêtes étaient l’une de ses charmantes vertus. Son petit sourire pur m’avait même donné envie de sourire moi-même.

Elle se tourna ensuite vers Rose, qui travaillait avec son couteau magique. « Rose, et toi ? » demande-t-elle.

« Moi ? » Les mains de Rose s’étaient arrêtées comme si elle trouvait cela plutôt inattendu. « Je suis reconnaissante de l’invitation, mais je ne crois pas que cela ait beaucoup de sens que j’y aille. »

Le corps de Rose, à partir du cou, était celui d’un mannequin lisse et dur. Elle n’avait aucune sorte de métabolisme humain, donc elle n’avait pas besoin de se laver.

« Mais ton corps n’a-t-il pas été sali par le voyage ? Tu devrais aussi te laver les cheveux. »

« Ça ne me dérange pas de frotter mes pièces dans un seau d’eau. »

« S’il te plaît, ne le dis pas comme si tu lavais du linge… »

Kei était assez agitée, mais Rose n’avait aucune mauvaise intention. Elle avait des sensibilités différentes de celles des humains. Si elle voulait être propre, elle pouvait enlever son bras depuis l’épaule et le laver entièrement. Si nécessaire, elle pouvait aussi refaire complètement n’importe lequel de ses membres.

Kei avait l’air plutôt excitée à l’idée de se baigner avec tout le monde. Voyant ses épaules s’affaisser, j’avais décidé de lui lancer une bouée de sauvetage.

« Rose, je ne suis pas sûre que ce soit le cas. »

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Rose, en se tournant vers moi avec un mouvement de tête.

J’avais levé mon doigt et j’avais dit. « Allez, le jour viendra où tu laveras le dos de Senpai, non ? »

« Lui laver le dos ? »

« Ne serait-il pas gênant de ne pas savoir comment faire le moment venu ? »

Rose avait sombré dans une réflexion sous son masque. Avec ça, j’avais juste besoin de donner un coup de pouce supplémentaire.

« D’ailleurs, j’aimerais aussi prendre un bain avec toi, Rose, » avais-je ajouté.

Après un bref moment de réflexion, elle déclara. « Très bien. Si tu le dis, Mana. » Puis elle retourna son regard vers Kei. « Puisque c’est un bain commun, les autres villageois ne seront-ils pas là ? »

« Oh. C’est parfait ! Shiran a fait des préparatifs pour que vous puissiez tous l’utiliser ! »

Rose avait acquiescé. « Alors il n’y a pas de problème. Que vas-tu faire, Gerbera ? »

« Hm ? Moi ? » Gerbera s’était tournée vers nous, Ayame toujours assise au sommet de sa tête. « Hmm. Cela semble plutôt amusant. Je vais aussi y aller. »

J’avais trouvé que sa raison d’y aller était étrange, mais Gerbera nous avait fait un signe de tête. Ainsi, toutes celles qui étaient restées dans la manamobile avaient décidé d’aller au bain.

 

 ◆ ◆

Le bâtiment des bains publics était tout aussi splendide que l’auberge. Selon Kei, cette installation était un lieu de détente au même titre que la taverne. Il n’y avait pas beaucoup d’endroits pour se divertir dans le village, alors avoir un endroit pour soigner sa fatigue était l’un des rares plaisirs à leur disposition. Cependant, comme ce village de récupération était une étape pour l’armée sur le chemin du Fort de Tilia, ce genre d’installations était entretenu avec des fonds militaires. En général, elles étaient un peu plus compactes que celle-ci.

Par ailleurs, la grande quantité d’eau et de chaleur nécessaire au bain provenait de pierres runiques d’eau et de feu installées à plusieurs endroits. Majima-senpai avait souvent mentionné que la technologie de ce monde prenait une direction différente de la nôtre. Cependant, elle n’était pas nécessairement moins sophistiquée.

Après être arrivée au vestiaire, j’avais enlevé les vêtements locaux qu’on m’avait donnés au Fort de Tilia. Je les avais pliés et les avais placés sur une étagère près du mur. Rose avait observé mes actions et m’avait copiée. Après avoir terminé, elle avait enlevé son masque et l’avait placé sur ses vêtements pliés. Son visage, qui avait été endommagé par l’attaque d’un lapin rugueux, n’avait plus une seule égratignure.

« Wooow… » s’exclama Kei sous le choc, en regardant Rose.

« Oh ouais. Est-ce la première fois que tu vois le visage de Rose ? » avais-je demandé.

« O-Oui. Elle est vraiment jolie, n’est-ce pas ? Presque effrayante… »

Je pouvais comprendre où elle voulait en venir. Sans son masque, Rose était belle, comme une poupée froide et inorganique. Elle avait décidé que les expressions maladroites seraient disgracieuses, alors elle n’avait pas d’expressions du tout. Cela la faisait ressembler encore plus à une poupée. Elle avait l’intention de le dévoiler à Majima-senpai, mais seulement après avoir atténué l’étrangeté de son expression. Cela allait prendre plus de temps pour l’accomplir.

« Si cela vous dérange, alors peut-être que je devrais porter mon masque après tout ? »

« C’est bon ! »

Kei avait secoué la tête alors qu’Ayame courait vers ses pieds. Elle s’était retournée pour voir que Gerbera était aussi là sans ses vêtements.

« Wooow… »

La réaction de Kei était exactement la même qu’avant, mais c’était à prévoir. Le corps nu de Gerbera était pratiquement divin. Sa peau blanche presque transparente, sans la moindre tache, mettait en valeur ses proportions équilibrées. Ses seins, plus gros que la moyenne, se balançaient doucement dans l’air. La ligne féminine de son dos dessinait une belle courbe, se perdant dans une masse de poils de l’araignée blanche à sa base.

« Tout le monde est incroyable…, » murmura Kei.

J’étais d’accord. Cependant, j’avais également considéré la petite Kei comme une beauté.

« Qu’est-ce que tu regardes, Kei ? Ou plutôt, tu ne vas pas te déshabiller ? » demanda Gerbera.

« Oh. Oui. Désolée. »

Kei avait soudainement repris ses esprits et avait remis ses mains en mouvement. Elle enleva rapidement son armure de cuir et ses vêtements. Son corps exposé était encore celui d’une enfant sans réelles courbes. Cependant, peut-être à cause de son entraînement quotidien à l’épée, son corps semblait ferme malgré sa minceur. Ses seins, bien que petits, étaient un peu gros pour son âge. Vu l’apparence de Shiran, elle était sûre de devenir une véritable beauté dans le futur.

« OK ! On y va ! »

Kei avait pris la tête et s’était dirigée vers le bain. Une vague de vapeur s’était abattue sur nous, suivie d’une voix venant de l’intérieur.

« Oh. Vous êtes aussi toutes venues ici. »

Une autre invitée était venue avant nous. Lily était seule à l’intérieur d’une baignoire qui semblait assez grande pour que nous y soyons toutes confortablement installées, y compris Gerbera. En la voyant nous faire signe, les yeux de Kei étaient devenus aussi grands que des soucoupes.

« Hwah ? Je ne savais pas que tu étais ici, Lily. »

« Mhm. Je suis presque sûre d’avoir laissé mes vêtements dehors. Ne l’as-tu pas remarqué ? »

« Hein ? J’ai dû les manquer. »

« Je vois. La loge est assez grande et tout. Notre maître était aussi là il y a quelques instants. »

« Euh… Takahiro… ? Waaah !? » Kei avait crié de façon mignonne. « Ce n’était pas loin. On s’est presque retrouvé ensemble… »

Voyant Kei devenir rouge vif, Gerbera inclina la tête avec curiosité. « Y a-t-il quelque chose à craindre si notre seigneur te voit ? » Elle insinuait pratiquement qu’elle préférait qu’il la voie alors qu’elle s’approchait de la baignoire et plongeait son doigt dans l’eau. « Hmm, c’est donc un bain. C’est la première fois que je fais un détour pour me plonger dans de l’eau chaude comme ça. »

« Oh. Gerbera, arrête. Tu vas salir le bain, » avais-je dit en la retenant.

Je lui avais dit qu’elle devait d’abord se laver, et je lui avais demandé de laver Ayame pendant qu’elle y était. La petite renarde n’avait aucune idée de la raison pour laquelle nous étions là, mais dès qu’elle avait compris ce qui allait se passer, elle avait détalé avec une vigueur incroyable… et avait été capturée à moins d’un mètre. Nous avions commencé à nous laver en écoutant ses jolis jappements.

« Rose… C’est un bain, alors pourquoi ne pas enlever ton bras pour le laver ? » avais-je dit.

« Mais ça sera plus propre comme ça. »

« Et si tu n’enlevais pas ton bras pour le laver ? » avais-je répété.

 

 

« Très bien… Oh oui, je dois m’entraîner à laver les dos, » avait déclaré Rose.

« Hein ? Oh, c’est vrai. C’est vrai que nous avons parlé de ça. »

« N’est-ce pas toi qui en as parlé ? »

« Tee hee. Je suppose que oui. Alors tu peux te servir de moi pour t’entraîner. »

« Merci beaucoup. Ton corps est très doux, et ta peau est si fragile. Je ne devrais pas y mettre trop de force, n’est-ce pas ? Est-ce bien comme ça ? »

« Oui. Aah… Tu es plutôt bonne à ça, Rose. On se sent bien. Hee hee. Il semble que certaines personnes sont vraiment bonnes à tout… Ah ! Attends ! Rose !? Mon devant est bien ! Je peux le faire moi-même ! Et s’il te plaît, laisse cette partie à Senpai quand tu te baigneras avec lui ! »

« Hm… ? C’est une pratique pour laver le dos de mon maître, alors ne devrais-je pas aussi le faire ici ? »

« Awawawawawa ! »

« Oh, Rose, » commença Gerbera, ignorant ma situation, « Quand tu auras terminé, puis-je te demander de faire la même chose pour moi ? Il y a des endroits que mes bras ne peuvent atteindre. »

En tout cas… Nous nous étions toutes lavées, malgré un peu d’agitation, et étions entrées dans le bain. J’avais progressivement plongé ma jambe dans l’eau chaude avec Kei, supportant la sensation de picotement sur ma peau. Gerbera, par contre, ne s’était pas souciée de ce niveau de chaleur et avait sauté dans l’eau sans hésiter, faisant un grand plouf.

« Hwah !? » cria Kei.

Je n’avais pas eu le temps de faire de même, car Rose m’avait attirée contre elle et protégée.

« Oh… Merci. »

« Je l’ai un peu réchauffé parce qu’il était un peu froid, mais peut-être que je suis allée trop loin ? » déclara Lily en riant.

Elle était dans la baignoire pendant tout le temps où nous nous étions lavées, mais malgré la rougeur sexy de ses joues, elle n’avait montré aucun signe d’étourdissement. Elle était également restée là tout le temps avec Majima-senpai… Les monstres étaient vraiment des êtres robustes.

Alors que je me plongeais jusqu’aux épaules, j’avais soudainement réalisé quelque chose. Majima-senpai était dans ce bain il y a quelques instants. Ça ne voulait rien dire, mais j’en étais légèrement consciente…

« Qu’est-ce qu’il y a, Katou ? » demanda Lily.

« Oh, rien. »

J’avais fini par attirer l’attention parce que je pensais à des choses inutiles. J’avais secoué la tête alors qu’elle me regardait avec curiosité.

« Lily, ça fait déjà un bon moment que tu es ici, non ? Aimes-tu les bains ? » avais-je demandé en réponse.

« Hmmm. On dirait bien, » répondit-elle en étirant ses bras pour se détendre. « Je peux utiliser la magie du feu maintenant, et je pouvais déjà utiliser la magie de l’eau, donc si Rose peut façonner quelque chose comme une grande baignoire, nous pourrions probablement même prendre des bains pendant la route. »

« Ça pourrait aussi marcher si je faisais une imitation de pierre runique pour la magie du feu. C’est peut-être une bonne idée d’en fabriquer une pendant qu’on y est, » ajouta Rose.

« Hee hee. Peut-être bien. Que diriez-vous d’une source chaude ? » avais-je demandé. « Je me demande s’ils en ont dans ce monde. Hé Kei, sais-tu quelque chose à ce sujet ? »

La conversation s’était animée avec Lily au centre. Cependant, j’étais restée en dehors de ça. Je m’étais contentée de regarder, hébétée. Sa silhouette se superposait à celle d’une fille avec laquelle je m’entendais très bien. Elle m’avait aussi dit qu’elle aimait les bains. Nous avions même parlé de partir avec tous les membres du club pour un voyage aux sources chaudes à la fin de l’année. Mais nos projets étaient tombés à l’eau après avoir été téléportés ici.

« Y a-t-il un problème, Mana ? »

Rose semblait avoir remarqué le changement subtil de mon état. Elle me regardait de ses yeux inorganiques, assise épaule contre épaule à mes côtés. Son expression semblait froide, mais je savais parfaitement à quel point elle pensait à moi.

« Non, ce n’est rien. »

J’avais secoué la tête et m’étais appuyée sur l’épaule de la fille qui était toujours restée à mes côtés. Cela avait mis fin à mes pensées émotionnelles. N’importe qui pouvait aimer les bains. La raison pour laquelle je m’étais même souvenue d’une chose aussi triviale était simplement parce que j’avais été influencée par l’apparence de Lily. Il n’y avait aucune signification à tout cela. En premier lieu, cette fille n’était pas si bien dotée.

 

 

J’avais baissé mon regard. Les gros seins de Lily flottaient dans l’eau. Même si elle avait le même visage, les deux étaient totalement différentes à cet égard. En fait, j’avais l’impression que c’était un critère de comparaison injuste. Les siens étaient probablement plus petits que ceux de Kei. Les miens n’étaient pas vraiment du côté des petits, mais ils n’étaient pas du tout comparables à ceux de Lily.

Je suppose que Majima-senpai préfère vraiment les grandes… Si c’est le cas, je suppose que nous devons en tenir compte pour le remodelage de Rose…

J’étais plongée dans mes pensées quand Lily avait ramené la conversation sur moi.

« Oh oui, Katou. Il y a une chose sur laquelle j’aimerais te consulter. Puis-je avoir un peu de ton temps plus tard ? »

« Avec moi… ? Bien sûr, ça ne me dérange pas. »

« Merci. »

Lily souriait comme elle le faisait toujours, mais ses yeux présentaient une lueur sérieuse. Elle avait apparemment quelque chose d’assez sérieux à me demander. Voyant que j’avais compris, Lily avait fait un sourire. Puis elle avait soudainement tourné son regard vers la porte qui donnait sur la loge.

« Hm ? Il y a quelqu’un ici. »

Peu après, Shiran était entrée avec un « Excusez-moi ».

« Oh. Shiran. Vas-tu te joindre à nous ? » demanda Kei.

« J’ai quelque chose à faire, je m’amuserai plus tard. »

« Shiran, merci d’avoir accepté ma demande de participer à tes séances d’entraînement, » dit Rose. « Je serai sous ta responsabilité demain. »

« Bien sûr. Je m’efforcerai de faire de mon mieux, alors travaillons dur ensemble. »

Les yeux de Shiran s’étaient baladés dans ma direction. J’avais détourné mon regard par réflexe. Je n’en avais pas l’intention, mais il serait maladroit de regarder en arrière maintenant que je l’avais fait. Elle avait semblé trouver mon comportement anormal quelque peu étrange, mais elle avait immédiatement changé de rythme et elle avait regardé ailleurs.

« Gerbera. Puis-je avoir un moment ? »

« Moi ? »

Les yeux rouges de Gerbera s’étaient ouverts en grand en raison de la surprise. C’était apparemment la raison principale de la visite de Shiran. Ces deux-là n’avaient normalement pas grand-chose en commun.

« J’ai quelque chose dont j’aimerais te parler, donc Takahiro et moi nous retrouverons à la manamobile plus tard. »

Curieuses de savoir de quoi il s’agissait, nous avions toutes échangé des regards.

***

Chapitre 7 : L’araignée blanche et l’Otaku ~Point de vue de Gerbera~

« Hrmmm. »

J’avais laissé échapper un gémissement et j’avais croisé les bras. Je me trouvais à l’extérieur du village de récupération, à une courte distance de la route, dans la forêt. Notre seigneur nous avait fait sortir tous ensemble du village. Je ne pouvais pas les voir d’ici, mais Lily et Rose recevaient des leçons d’arts martiaux de Shiran un peu plus loin dans la forêt.

Lily aurait été correcte, mais Rose devait éviter tout regard humain. Il n’y avait aucun endroit dans le village où elle pouvait recevoir des leçons, alors nous avions dû sortir. De mon côté, je m’étais creusé les méninges en regardant une variété d’armes posées sur le sol en ligne devant moi.

Toutes ces armes provenaient de l’armurerie du Fort de Tilia. Ils avaient pensé que c’était un gaspillage de les laisser derrière eux dans une forteresse abandonnée, alors ils en avaient emballé autant qu’ils pouvaient dans les manamobiles. La majorité d’entre elles appartenaient aux chevaliers de l’Alliance, mais certaines appartenaient également aux chevaliers impériaux qui avaient été anéantis pendant le siège.

La raison pour laquelle elles étaient couchées sur le sol était liée à la raison pour laquelle Shiran m’avait rendu visite hier. Lorsqu’ils avaient parlé d’enseigner à Lily et Rose, Shiran avait dit : « Il y a toutes sortes de lances et de haches, alors pourquoi ne pas en examiner un assortiment en même temps ? » Mon seigneur avait alors commenté, « Dans ce cas, pourquoi ne pas demander à Gerbera d’essayer aussi quelques armes ? »

Lily et Rose n’étaient pas les seules à rechercher plus de force. Ce tricheur qui venait des mêmes terres que mon seigneur, Juumonji Tatsuya, avait été un ennemi redoutable. Il m’avait fallu tout ce que j’avais juste pour le retenir. J’étais le monstre le plus fort parmi les serviteurs de mon seigneur. Ainsi, la défaite n’était pas une option pour moi.

Je n’avais pas hésité à accepter sa suggestion. Utiliser des outils pour devenir rapidement plus fort était une idée caractéristique des humains. Lorsqu’ils manquaient de puissance, ils imaginaient des moyens d’utiliser des outils pour pallier leurs lacunes. Donc, si je me trouvais en manque, ce n’était pas une mauvaise idée de suivre le même principe. Mais tout cela m’était trop étranger. J’étais honnêtement troublée par mon manque de connaissances dans ce domaine.

« As-tu trouvé quelque chose qui te plaît ? » demanda Kei en sortant de la manamobile à côté de moi.

La petite elfe avait un tas d’armes dans ses bras. Elle s’entraînait pour devenir chevalier, elle était donc assez forte malgré son jeune âge. Elle était également familière avec les armes et m’avait donc aidée aujourd’hui.

« Malheureusement non… » lui avais-je dit.

« Hmm. Donc, celles-ci ne sont pas bonnes. Nous en avons déjà regardé un tas, mais rien ne semble correspondre, hein ? »

« En effet. »

J’avais ramassé une des armes devant moi. C’était une épée semblable à celle que mon seigneur utilisait. J’avais donné un coup avec et j’avais fait la grimace. Pour être franche, elle ne me convenait pas. Je ne pouvais pas m’imaginer devenir plus forte en la brandissant. Mes instincts de bête pendant de nombreuses années me disaient que ça ne marcherait pas. Ces outils avaient été faits pour des mains humaines. C’est peut-être pour cela qu’ils ne me convenaient pas.

Cela ne s’appliquait pas seulement aux armes. Par exemple, Lily et Rose essayaient d’apprendre les arts martiaux, mais il ne semblait pas que je puisse devenir plus forte en faisant de même. Pensez à appliquer la même logique à Ayame ou Asarina, aucune d’entre elles ne pouvait apprendre les arts martiaux. En un sens, j’étais plus proche d’elles à cet égard. Le haut du corps d’un arachnéen ressemble à celui d’un humain, mais c’est en fait le bas du corps qui est important au combat.

Le bas de mon corps n’était pas différent de celui d’une araignée. La façon dont il bougeait était totalement différente de celle d’un corps humain. Pour que j’apprenne ce soi-disant principe fondamental de l’épée, Shiran ne pouvait pas simplement réarranger les choses pour les adapter à mon physique. Elle devait établir une toute nouvelle forme d’arts martiaux à partir de ses racines. Cela pourrait facilement prendre des décennies pour accomplir cela. Nous n’avions pas ce genre de temps.

« Tu es déjà complète en tant que combattante, Gerbera, » dit Kei en se mettant à genoux et en posant les armes qu’elle tenait dans ses bras sur le sol, une par une. « Par exemple, c’est comme si un chevalier de première classe essayait de devenir un mage sans jamais prendre une seule leçon. Ce n’est pas du tout efficace. C’est pourquoi nous essayons de trouver une arme qui convient déjà à ton style de combat, plutôt que d’essayer de conformer ton style de combat à une arme. » Kei marqua une pause, puis tira timidement la langue. « Du moins, c’est ce que ma sœur a dit. »

« Je suis désolée de t’obliger à me tenir compagnie avec un tel travail. »

« C’est bon. Je suis à peu près la seule à avoir du temps à perdre. De plus, c’est la demande de Takahiro, » répondit-elle joyeusement.

« Tu es à peu près la seule, dis-tu ? » J’avais incliné la tête avec curiosité. « Dis, Kei, ça fait un moment que je veux te demander… N’as-tu pas peur de moi ? »

Les soldats et les chevaliers qui nous accompagnaient ne s’étaient pas montrés ouvertement hostiles à notre égard. En fait, les chevaliers nous traitaient gentiment à cause des ordres de leur commandante. En fait, quelques-uns d’entre eux étaient à proximité et faisaient le guet pour que personne ne nous voie. C’était ceux qui avaient combattu aux côtés de mon seigneur au Fort de Tilia.

Cependant, c’était, tout au plus, par respect pour mon seigneur. Ils lui faisaient confiance. Agir de manière amicale envers ses serviteurs était une autre affaire. Parmi nous toutes, seule Lily, qui ne pouvait pas être distinguée d’un humain par son apparence, pouvait interagir avec les gens de ce monde.

Il n’y avait personne d’autre comme Kei qui essayait d’être proactivement ami avec moi. Je ne m’en étais rendu compte que récemment, mais c’était en fait assez stupéfiant. C’est pourquoi je lui avais posé une telle question.

« Je veux dire, tu es le serviteur de Takahiro, » répondit Kei avec aisance, ramassant les armes que je venais de regarder et se levant avec un grognement mignon. « Quand Shiran s’est transformée en goule, Takahiro m’a dit de le laisser faire. Il ne mentait pas. Il a vraiment, vraiment sauvé ma sœur. Alors… »

« Je vois. Alors tu crois en mon seigneur. »

« Oui. C’est pourquoi j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai essayé de parler à Rose, et j’avais vu qu’elle était une bonne personne… ou, un bon monstre ? De toute façon, vous aviez aussi l’air de bien vous entendre… Oh. » Kei était en train de parler avec un grand sourire quand elle avait soudainement remarqué quelqu’un. « Takahiro ! »

Son bonheur était évident. Je pouvais dire qu’il venait par sa présence et je m’étais également tournée vers lui.

Monseigneur était arrivé à travers les arbres, prêtant son épaule à Mikihiko. Tous deux étaient censés échanger des coups avec des épées et des boucliers d’entraînement, mais contrairement à Mikihiko, qui respirait difficilement, mon seigneur semblait avoir un surplus de sang-froid.

« Mikihiko est à terre pour le compte. Désolé Kei, peux-tu t’occuper de lui ? » dit-il.

« Compris. Peux-tu le faire asseoir là-bas ? »

Kei était retournée aux manamobiles, les armes dans son bras s’entrechoquant à chaque pas. Mon seigneur avait déposé Mikihiko au pied d’un arbre, puis s’était tourné vers moi.

« Comment ça se passe, Gerbera ? Crois-tu que tu vas trouver une arme qui te convient ? » m’avait-il demandé.

« Malheureusement non. Il y a tellement de types que j’en ai le vertige… »

« Continue comme ça. Quand tu auras trouvé quelque chose qui te plaît, Rose pourra te le fabriquer. »

Juste à ce moment-là, Kei était revenue avec une gourde.

Monseigneur s’était relevé. « Ok alors, je vous laisse le reste, » dit-il. « Je vais aller voir Lily et Rose. »

« T-Tu pars déjà, Takahiro ? » demanda Mikihiko, complètement épuisé.

« Shiran a promis de s’occuper de ma formation, après tout, » répondit mon seigneur en haussant les épaules.

« Attends… Je vais aussi y aller, » dit Mikihiko.

« Tu ne peux rien faire dans ton état. Viens après ta guérison. »

Monseigneur avait fait un sourire forcé à Mikihiko et l’avait laissé derrière lui. Il avait l’air un peu triste, mais il n’avait pas le choix, vu que mon seigneur avait des choses à accomplir. Alors, j’avais décidé de faire ce que je devais aussi faire. J’avais passé un certain temps à ramasser et à regarder des armes lorsque Mikihiko s’était redressé.

J’avais eu de multiples occasions d’interagir avec l’ami de mon seigneur. Dès qu’il en avait le temps, il venait à notre véhicule et discutait de toutes sortes de choses avec Rose. Les outils étranges qu’elle fabriquait ces derniers temps étaient probablement dus à son influence. Quand j’en avais l’occasion, je lui parlais aussi de temps en temps.

« Ce type est vraiment énergique…, » murmura Mikihiko, une pointe d’émotion dans la voix.

Ils se connaissaient tous les deux avant de venir dans ce monde. Il était clair qu’il y avait beaucoup de choses qui se bousculaient dans son esprit quand il voyait mon seigneur maintenant.

« Il est meilleur que toi dans l’utilisation du mana, après tout, » avais-je dit en reposant la hache que j’avais en main sur le sol et en me tournant vers Mikihiko. « Pourtant, d’après ce que j’ai vu, tu sembles avoir plus de talent pour le combat. »

J’avais jeté un coup d’œil à leur entraînement plus tôt. Épée et bouclier en main, Mikihiko avait combattu de manière irrégulière avec deux épées flottantes en utilisant son pouvoir inhérent. Avec cela, il avait poussé sur mon seigneur malgré un ou deux pas de retard dans le renforcement de son corps avec le mana. Mon seigneur avait fini par le repousser à cause de cette différence de force.

« Je suis désolée de dire cela à propos de mon propre seigneur, mais il y a simplement une différence dans le talent naturel. »

« Ha ha. Alors la légendaire Grande Araignée Blanche dit que j’ai du talent. Peut-être que je ne suis pas qu’un déchet. »

« Pour l’instant, mon seigneur possède plus d’habileté avec une épée, mais si tu devenais aussi capable que lui de manipuler ton mana pour renforcer ton corps, je suis sûre que tu serais en mesure de rattraper rapidement ton retard. »

« Hmm, vraiment ? Ce serait bien. Je vois. Si je peux égaler sa force, hein… ? N’est-ce pas un gros obstacle ? »

« Eh bien, c’est vrai. »

La force que mon seigneur avait obtenue était due à son expérience de survie dans les bois. Il ne serait pas si facile pour Mikihiko d’égaler les progrès de mon seigneur.

« On dirait que je ne vais pas le rattraper avant un moment… Eh bien, je suppose que c’est un peu évident, » dit Mikihiko avec un petit soupir. « Honnêtement, quand j’ai entendu parler de l’entraînement qu’il a suivi jusqu’à maintenant, j’ai un peu flippé… Je suppose qu’il ne peut pas protéger ce qui est important pour lui s’il ne va pas au moins aussi loin, hein… »

Mikihiko était sérieux. Les yeux sous ses lunettes montraient un respect honnête pour son ami.

« J’ai entendu dire que les triches sont les souhaits sincères des visiteurs auxquels on donne une forme, » avait-il poursuivi. « Je peux vraiment le voir maintenant. Vos existences sont des miracles qu’il a souhaités. Bien sûr, il est prêt à tout pour vous protéger. Je peux voir pourquoi il se surpasse sans se soucier de la façon dont les autres le perçoivent. Avoir quelque chose de si grand dans son cœur… Mec… Je suis un peu jaloux. »

J’avais trouvé quelque chose de plutôt étrange à ce sujet. « C’est ce que tu dis, Mikihiko, mais ton propre pouvoir ne s’est-il pas aussi manifesté ? Ne seriez-vous pas pareils ? »

« Mon souhait… n’était probablement pas aussi splendide que le sien…, » dit Mikihiko en s’ébouriffant les cheveux et en souriant avec amertume. « J’ai une nature assez irresponsable et tout. Plutôt qu’un souhait venant du cœur, c’était plus comme… »

« Plus comme quoi ? »

« Non… Oublie ça. » Mikihiko avait secoué la tête et s’était levé. « Bon. C’est assez de repos. Je devrais y aller. Merci, Kei. » Il lui avait rendu la gourde, puis s’était soudainement tourné vers moi une fois de plus. « Oh oui, Gerbera. À propos de cette chose que tu m’as demandée, j’ai fini, donc tu peux l’avoir maintenant. »

« Vraiment ? »

Je m’étais braquée alors que Mikihiko hochait la tête avec un sourire. « Oui. Et voilà. »

Il avait sorti un morceau de papier blanc de sa poche. En voyant les nombreuses lignes parallèles fines qui le traversaient, Kei s’était approchée avec intérêt.

« Cela vient-il de ton monde, monsieur ? » avait-elle demandé.

« Ouaip. C’est du papier à feuilles mobiles. Il ne m’en reste pas tant que ça, donc c’est plutôt précieux. J’ai fini par faire des folies puisque c’est la demande de Gerbera. »

« Une demande… ? Oh, il y a un dessin dessus… Waouh ! C’est incroyable ! » Les yeux de Kei s’étaient écarquillés en regardant le papier.

Mikihiko s’était gratté le nez fièrement. « Eh bien, oui. J’ai mis toute mon âme dans ce dessin. J’en suis très fier. J’ai passé toute la nuit dessus, alors franchement, je suis un peu épuisé aujourd’hui. »

« Est-ce peut-être la raison pour laquelle tu n’as pas été capable de te battre contre Takahiro… ? » demanda innocemment Kei.

« Ta ha ha ha ! À bientôt ! Gerbera, fais-moi savoir si tu as besoin d’autre chose. »

Mikihiko a ri du commentaire de Kei et s’est enfui.

« Mes remerciements, Mikihiko ! Ce sera une excellente référence ! » avais-je crié.

J’avais reporté mon regard sur le papier. Il y avait la photo d’une fille avec de longs cheveux tressés.

« C’est vraiment bien dessiné, » dit Kei. « Je ne savais pas que Mikihiko était un peintre. »

« Il a mentionné qu’il voulait devenir un “illustrateur”, » avais-je dit, corrigeant Kei alors que je gardais mon regard fixé sur le dessin. « Il a également dit, “J’ai encore un long chemin à parcourir. Il y a beaucoup d’otaku qui peuvent dessiner comme ça avec juste un peu d’habileté”. »

« Hmm. Je ne comprends pas vraiment, mais être capable de dessiner si bien malgré le fait que l’on ne soit pas peintre montre vraiment à quel point la culture du monde de Takahiro et Mikihiko est riche, » dit Kei en admiration. Puis elle avait penché la tête. « Alors… qu’est-ce que c’est ? Mikihiko a dit que tu avais demandé ça. Parlais-tu d’art ? »

« Non, pas du tout. En vérité, on m’a demandé de faire des vêtements pour Rose. J’ai eu du mal à décider quelle sorte de vêtements faire. »

Rose avait fait la demande avant de retrouver notre seigneur, juste avant que nous soyons pris dans la grande armée de monstres qui se précipitait sur le Fort de Tilia.

« Je l’avais oublié dans toute cette agitation, mais je me suis récemment souvenu de sa demande. Nous faisons un voyage assez relaxant, alors j’ai pensé qu’il était temps pour moi de commencer à travailler dessus. »

« Et tu as demandé conseil à Mikihiko ? »

« En effet. Je ne savais pas quelle sorte de vêtements serait appropriée. »

« Ummm. C’est Rose qui a demandé, non ? Elle n’avait pas de demandes particulières ? »

« J’ai complètement oublié de le lui demander. Il y avait beaucoup de choses à faire à ce moment-là. »

Tout un tas, tout un tas…

« Gaaaaaaah ! »

« Qu’est-ce qu’il y a, Gerbera !? Tu es rouge vif ! »

J’avais ressuscité un souvenir dont je ne voulais pas me souvenir. J’avais bercé ma tête. D’ailleurs, si je ne pouvais toujours pas demander à Rose ce qu’il en était, c’est parce que je ne voulais pas me souvenir de l’affaire du cocon, de l’œuf ou de ce que c’était, comme je le faisais maintenant.

« Rien. Ce n’est rien. Par pitié, s’il te plaît, ne sois pas plus indiscrète. »

« O-Okay… »

J’avais fait un signe de la main à Kei qui était assise là, clignant des yeux dans un état second, puis j’avais rapidement changé de sujet.

« Dans tous les cas, j’ai choisi Mikihiko comme conseiller parce qu’il est l’ami de mon seigneur. Il connaît sûrement le genre de vêtements que mon seigneur préfère. Ainsi, Rose ne devrait pas avoir à se plaindre. »

« Et c’est ce que c’est… Hmm. C’est mignon, n’est-ce pas ? Cela signifie-t-il que Takahiro aime les vêtements comme ceux-là ? »

« Hm. C’est censé être un vêtement que tous les hommes du monde de Mikihiko préfèrent. Comment l’appelait-il déjà… ? » Les mots que j’essayais de prononcer s’étaient soudainement coincés dans ma gorge. « Hm ? »

J’avais levé mon regard du papier. J’avais entendu des bruits de pas. Ils ne venaient pas de la direction dans laquelle les autres s’entraînaient. Plusieurs présences s’étaient rapprochées de la route que les chevaliers étaient censés surveiller. J’avais pensé que c’était peut-être les chevaliers eux-mêmes, mais les pas étaient trop légers. Étaient-ils des villageois du village de récupération ? Non, si c’était le cas, les chevaliers les auraient arrêtés. J’avais ruminé les possibilités et m’étais tournée vers les présences qui arrivaient quand une voix excitée avait frappé mon oreille.

« Oh ! Il y a vraiment un monstre ici ! »

Il y avait trois paires d’yeux qui me fixaient avec une certaine grossièreté.

***

Chapitre 8 : L’araignée blanche et les vêtements de la marionnette ~Point de vue de Gerbera~

Partie 1

Deux garçons et une fille étaient apparus.

« Vous êtes… »

Ils me semblaient familiers. C’était des visiteurs de l’autre monde, un peu comme mon seigneur. Leurs noms étaient… comment déjà ? Je ne m’en souviens pas. Il est possible que je n’aie jamais entendu leurs noms. Je ne m’étais jamais vraiment impliquée avec eux. Pourquoi étaient-ils ici ? J’étais plus perplexe que méfiante.

« Putain de merde. C’est la première fois que je vois un monstre de si près. »

Les garçons avaient l’air extrêmement joyeux en me regardant fixement. Je n’avais senti aucune sorte de malice. Leur attitude était en fait plutôt favorable. Cependant, assez mystérieusement, je trouvais leurs regards étrangement désagréables.

« Wôw. C’est vraiment un monstre. »

« Attendez, n’est-ce pas dangereux ? »

« Je te le dis, c’est bon. C’est le monstre de Majima, non ? La fille elfe est là aussi. Elle serait déjà partie si c’était dangereux. »

Le groupe s’était rapproché pendant qu’ils discutaient. Les deux garçons avaient le visage rouge. Une odeur particulière émanait d’eux.

« Je me demande s’ils sont ivres… ? » murmura Kei à mes côtés.

J’avais froncé les sourcils. Je ne comprenais pas vraiment ce que signifiait « ivre », mais je comprenais à peu près la situation. Les Chevaliers de l’Alliance avaient nettoyé cet endroit de toute personne. Ni les soldats ni les villageois ne pouvaient s’approcher. Cependant, les chevaliers ne pouvaient pas refuser les visiteurs — les sauveurs. En fait, il y avait quelques chevaliers déconcertés qui se tenaient derrière eux.

Il semblerait que les garçons aient perdu leur sens de la raison. C’était probablement un effet de ce qu’ils appelaient « l’alcool ». Boire trop faisait apparemment faire des choses que l’on ne ferait pas normalement. Cela dit, je n’avais toujours pas la moindre idée de la raison pour laquelle ils étaient venus ici.

« Qu’est-ce que vous… ? »

« C’est vraiment une demi-araignée. »

J’avais essayé de demander pourquoi ils étaient là, mais les garçons n’écoutaient pas.

« Yo, regarde ça. »

Au contraire, l’un des garçons s’était approché juste à côté de moi et avait tendu sa main vers moi. Son comportement était si grossier que je ne m’y attendais pas, et ma réaction avait été retardée. Sa main présomptueuse était sur le point de toucher le bas de mon corps d’araignée à moitié couverte de poils blancs.

Un homme est sur le point de toucher mon corps ? Un homme autre que mon seigneur ?

J’avais tressailli. Le dégoût physiologique m’avait donné des frissons dans tout le corps. Mes poils d’araignée s’étaient hérissés. Mes jambes s’étaient tortillées par réflexe, et puis…

« Qu’est-ce que tu crois faire ? »

Un rugissement de réprimande avait percé à travers la forêt silencieuse.

La main du garçon s’était arrêtée brusquement. Toutes les personnes présentes avaient tourné leur regard en même temps. Une petite fille se dirigeait vers nous en piétinant, les épaules bien droites.

« Katou… ? »

J’avais prononcé son nom. Katou était censée observer l’entraînement de Rose. Elle avait dû revenir pour une raison inconnue. Personne n’avait pu réagir lorsqu’elle s’était arrêtée et avait jeté un regard furieux aux garçons qui tentaient de me toucher.

« J’ai dit, qu’est-ce que tu penses faire en essayant de toucher le corps d’une fille sans son consentement !? »

« Une fille ? C’est un monstre. »

« Et alors ? C’est toujours une fille ! Enfoncez ça dans vos crânes épais et pensez à l’absurdité de ce que vous faites ! »

Les garçons avaient l’air complètement découragés. La colère de Katou avait soufflé le vent hors de leurs voiles.

« Espèce de petit… »

Ils avaient réalisé qu’ils avaient perdu leurs sang-froid à cause d’une fille, petite de surcroît. La honte qu’ils avaient ressentie était le signe que leur raison fonctionnait à nouveau correctement. Même moi, je pouvais dire que leur fierté insignifiante était en feu. Les choses avaient atteint un point d’ébullition. Ayant senti cela, mes jambes avaient glissé tandis que je redressais ma posture. J’avais l’intention de les arrêter si nécessaire, même si je devais être un peu brutale.

« Les gars, arrêtez ça, » déclara la fille du groupe en panique.

« Tada ? »

« Partons, d’accord ? Nous sommes allés trop loin. C’est notre faute. »

Les yeux de la fille étaient fixés sur l’objet qui pendait à la taille de Katou. C’était un couteau assez grand. Rose l’avait fabriqué l’autre jour pour l’autodéfense de Katou. Sa lame ultra fine était légère pour sa taille et avait un tranchant redoutable. La main gauche de Katou reposait sur sa poignée, le couteau étant toujours dans son fourreau.

« Nous sommes désolés, d’accord ? »

Katou avait maintenu sa posture imposante à une courte distance de nous, leur signifiant du regard de dégager d’ici. L’autre fille avait forcé un sourire et s’était enfuie, complètement pâle. Les garçons avaient suivi le mouvement, malgré leur air mécontent. Les chevaliers, qui avaient l’air de s’excuser, étaient partis après eux.

Je laissais enfin échapper mon souffle. Mes poils d’araignée s’étaient rabaissés. Ils étaient vraiment une bande impolie. C’était une expérience désagréable. Mais heureusement, tout s’était terminé sans incident. Si moi, un monstre, j’avais eu recours à la violence, quelles que soient les circonstances, cela affecterait la position de mon seigneur. Même moi, je pouvais le voir. C’est grâce à l’intervention de Katou que nous avions pu nous en sortir sans aggraver la situation.

« Tu as mes remerciements, Katou. »

Elle n’avait pas répondu. J’avais penché la tête et l’avais regardée de plus près. Son visage, qui avait habituellement l’air innocent, était maintenant d’une pâleur mortelle.

« Katou… ? »

Elle n’avait pas réagi à mes appels et s’était effondrée sur le sol.

 

 ◆ ◆

Heureusement, l’état de Katou ne semblait pas être grave. Elle s’était effondrée parce qu’elle se sentait mal, mais elle avait dit qu’elle irait mieux avec un peu de repos, alors je l’avais laissée s’allonger un moment. Après que Kei ait replacé plusieurs fois la serviette humide couvrant son front, Katou s’était redressée.

« Désolée de vous avoir causé des ennuis…, » dit-elle.

« Tout cela n’est pas grave, » avais-je répondu. Les humains sont si fragiles. Le simple fait de la regarder était mauvais pour mon cœur. J’avais laissé échapper un soupir de soulagement et j’avais haussé les épaules. « C’était assez imprudent de ta part, Katou. »

D’après ce qu’elle m’avait raconté par la suite, si Katou s’était arrêtée là, c’est parce qu’elle ne pouvait pas se forcer à faire un pas de plus. Si elle avait gardé la main sur le couteau à sa taille, ce n’était pas parce qu’elle était prête à attaquer à tout moment, mais parce qu’elle s’était accrochée à l’objet que mon seigneur lui avait offert et que Rose avait fabriqué pour elle. Elle savait qu’elle était imprudente.

Katou avait l’air un peu mal à l’aise quand elle avait dit. « Eh bien… J’ai pensé que c’était important d’intervenir, » dit-elle.

« Je t’en suis très reconnaissante. »

Je pouvais honnêtement l’admettre. Mes jambes s’étaient arrêtées par réflexe. Si Katou n’avait pas forcé le passage, on ne pouvait pas savoir comment les choses se seraient terminées une seconde plus tard. Je ne pouvais même pas prétendre que mon corps n’aurait pas agi sans le vouloir. Ce serait une chose si j’avais fait un saut en arrière brusquement, mais il était tout à fait possible que je puisse déchiqueter les garçons impolis en morceaux. Ça m’avait donné des frissons dans le dos.

« Il est compréhensible qu’une fille ait le réflexe de s’emporter contre quelqu’un du sexe opposé qui tente de toucher son corps…, » dit Katou avec un sourire en coin. « Mais tu es dans une autre dimension, tu aurais peut-être fini par les blesser un peu. »

« Oui… peut-être un peu. »

J’avais détourné mon regard. Nous voyions les choses avec une échelle différente, mais j’avais décidé de ne pas en parler.

Voyant ma réaction, Katou avait continué avec une expression légèrement curieuse. « Eh bien, je ne me serais pas vraiment souciée s’ils avaient été blessés. Quelles que soient leurs intentions, ce n’était que du harcèlement sexuel. Ça leur ferait du bien de ressentir une certaine douleur, mais… »

« Il en résulterait un trouble pour mon seigneur. »

« C’est comme ça que ça se passe, » acquiesça Katou avec un hochement de tête. « C’est une bonne chose que ça se soit terminé sans incident. »

« C’est… Qu’est-ce qu’ils avaient exactement ? » avais-je grommelé en faisant une grimace.

Un pli s’était également formé entre les sourcils de Katou. « C’est parce qu’ils étaient ivres. Ils sont probablement venus ici sans y réfléchir. » Son ton était clairement en colère et dirigé vers les garçons irréfléchis. « Je pense qu’ils vous regardent de haut, toi et les autres, parce que vous êtes les serviteurs de Majima-senpai, alors qu’ils sont des visiteurs tout comme lui. C’est probablement pour ça qu’ils ont fait quelque chose d’aussi grossier, même si l’alcool n’a pas aidé. »

Je m’étais soudain souvenue des deux monstres qui obéissaient à l’autre dompteur de monstres, Kudou Riku. Il traitait ces filles, qu’il appelait Anton et Berta, comme de simples pions. La raison pour laquelle j’étais dégoûtée par ces deux garçons était peut-être similaire.

Une curiosité présomptueuse. Un contact physique sans le moindre soupçon de considération. Ce n’était pas correct simplement parce qu’ils n’avaient pas de mauvaises intentions. Pour dire les choses clairement, ces garçons me regardaient seulement comme un objet. Les visiteurs de l’autre monde ne possédaient pas une haine profonde envers les monstres comme les citoyens d’ici. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils nous traitent sur un pied d’égalité. Notre rencontre fortuite avec notre seigneur avait été une bénédiction à nulle autre pareille.

« Bien que, » Continua Katou, « une fois qu’ils auront dessoûlé, je suis sûre qu’ils réaliseront leur erreur. Ils n’ont après tout pas l’intention de se battre avec Majima-senpai. De plus, d’après ce que j’ai entendu, Miyoshi-senpai est en fait un assez bon chef. Cet incident s’est produit alors qu’il n’était pas là, et s’il l’apprend, il prendra probablement des mesures pour préserver sa relation avec Majima-senpai. En un sens, ce serait une bonne chose de prévenir Miyoshi-senpai le plus tôt possible. Si une telle chose arrivait à Rose, je me sentirais trop coupable pour lui faire face. »

« Tu marques un point là. Contrairement à moi, Rose est calme. Même si une telle chose lui arrivait, elle pourrait tranquillement les laisser la toucher afin d’éviter tout conflit. »

« S’il te plaît, ne dis pas de telles choses. Senpai est le seul à pouvoir toucher Rose. »

Katou avait l’air de détester sérieusement ce que j’avais dit. Elle était vraiment proche de Rose.

« Hrm ? »

J’avais soudainement levé la tête. Quelqu’un s’approchait à nouveau. Je m’étais levée par réflexe, peut-être parce que les récents événements avaient, sans le savoir, un effet persistant sur moi. Heureusement, c’était une anxiété inutile de ma part. La personne qui s’avançait vers nous à pas feutrés était une elfe aux cheveux blonds ondulants, à l’armure blanche et au cache-œil sur un œil : Shiran.

Elle était la plus récente servante de mon seigneur, mais elle avait vécu comme une humaine avant cela, alors il la traitait comme une amie plutôt que comme sa servante. Le reste d’entre nous avait imité son comportement à cet égard. Je ne la voyais pas comme ma nouvelle petite sœur, mais comme la grande sœur de Kei et la compagne de mon seigneur.

« Oh ? Shiran ? Pourquoi es-tu là ? » demanda Kei avec curiosité.

« J’ai entendu de mon subordonné qu’il y avait une sorte de problème ici, » répondit Shiran avec une expression sinistre en regardant autour d’elle et en s’approchant de nous. « Bien qu’il ne se soit rien passé de grave, juste une quasi-querelle, il semble que cela ait touché une corde sensible chez vous toutes. Je suis venue voir comment vous alliez et m’excuser. »

« Il n’y a pas besoin de t’excuser, Shiran. Les chevaliers n’étaient pas en faute, et tu n’étais même pas impliquée, » dit Katou.

« Mais Mana… »

« Je vais bien. J’ai juste été un peu malade. Kei a pris soin de moi, » répondit Katou avec un sourire qui contrastait avec l’expression sévère de Shiran. J’avais trouvé ça étrange. Le sourire de Katou me semblait rigide. « Hm. Je devrais être capable de me déplacer maintenant. Merci, Kei. »

« Tu n’as pas besoin de me remercier. Je n’ai rien pu faire…, » répondit Kei, dépitée.

« C’est bon. Les enfants ne devraient pas s’inquiéter de ce genre de choses. »

***

Partie 2

Katou avait doucement effleuré la tête de Kei et s’était levée. Même de mon point de vue, elle n’avait pas l’air de se forcer. Elle ne faisait pas semblant d’être courageuse, elle avait vraiment récupéré en si peu de temps. Il lui avait fallu beaucoup moins de temps qu’avant. C’est peut-être le résultat de sa rééducation, celle à laquelle Mikihiko l’avait aidée. Ou peut-être que sa relation favorable avec monseigneur avait eu une influence positive sur son esprit.

Shiran avait continué à fixer Katou. Remarquant son regard, les yeux de Katou s’étaient agrandis par curiosité. Elle lui avait retourné un joli sourire. « Qu’est-ce qu’il y a, Shiran ? » demanda-t-elle.

« Non, hum, ça pourrait être juste mon imagination, mais…, » déclara Shiran, en ayant l’air un peu mal à l’aise. « J’ai l’impression qu’il y a une sorte de mur entre nous, Mana. Ai-je fait quelque chose qui t’a offensée ? »

C’est ce que j’avais moi-même trouvé étrange, et il semblerait que Shiran était du même avis. Eh bien, même moi je l’avais remarqué, donc c’était aussi évident pour tous les autres.

« Si je l’ai fait, alors je voudrais m’excuser. »

L’attitude de Shiran était sincère, incarnant les vertus d’un chevalier.

« Non, tu n’as pas…, » Katou avait commencé, mais elle s’était arrêtée quand elle avait remarqué que Kei et moi la regardions. Ses yeux s’étaient légèrement agrandis et un sourire ambigu s’était dessiné sur ses lèvres. « Est-ce que ça se voyait tant que ça ? »

« Même moi, je peux le dire, » lui avais-je dit.

« Oh. C’est déprimant. » Les épaules de Katou s’étaient affaissées. Elle s’était tournée vers Shiran. « Désolée. Je n’étais pas vraiment consciente de moi-même… »

« Ne le sois pas. Il n’y a pas besoin de s’excuser pour ça. »

« Est-ce une affaire personnelle ? » avais-je demandé.

« C’est quelque chose de pathétique…, » déclara Katou, souriant avec amertume. « Je suis heureuse qu’il s’inquiète pour moi maintenant. Je suis heureuse qu’il me fasse confiance maintenant. Mais si possible, je voulais être celle qui ait provoqué ce changement en lui… C’est tout… » Elle avait laissé échapper un soupir. « Ça ne sert à rien d’être rancunier. Mon esprit comprend, mais mon cœur, c’est une autre paire de manches. »

Katou était plutôt vague, mais j’avais l’impression de savoir exactement de qui elle parlait. Elle était tellement heureuse ces derniers temps que même moi, je pouvais le dire, même si je suis assez ignorante en la matière.

« Alors, Shiran, je ne te déteste pas du tout. Au contraire, je t’aime bien. Je serais heureuse si nous pouvions nous entendre, » dit Katou amicalement.

Même si Katou trouvait ça pathétique, elle était quand même jalouse. Le cœur humain ne fonctionne pas comme on le voudrait. Quoi qu’il en soit, elle essayait de résoudre son malaise à sa façon.

Je ne savais pas comment Shiran voyait cela, mais elle avait soudainement souri.

« Je comprends très bien ton envie… Bien sûr, ça ne me dérange pas. J’espère que nous pourrons nous entendre aussi bien, » avait-elle répondu.

Katou avait fait un grand sourire. C’était beaucoup plus naturel qu’avant.

« D’après Takahiro, tu essaies d’apprendre la magie, n’est-ce pas ? Je peux peut-être t’aider. »

« Vraiment ? Merci beaucoup. J’ai enfin réussi à sentir le mana récemment, alors je me disais qu’il était temps de passer à l’étape suivante. »

« Alors pourquoi pas après le dîner ? Je peux passer à la manamobile. »

Kei les regardait joyeusement toutes les deux. Je les regardais aussi, avec quelques frissons, mais maintenant j’étais soulagée. Et juste à ce moment-là…

« Ah oui… ce qui me fait penser, » dit Shiran en mettant la main dans sa poche. « J’ai oublié de demander. Mana, tu sais ce que c’est ? »

« Oh ! » Shiran me tendit le bout de papier que Mikihiko venait de me donner. « Où as-tu trouvé ce… ? » avais-je demandé.

« Je l’ai ramassé en venant ici. Il soufflait dans le vent. J’ai tout de suite su que c’était quelque chose de l’autre monde, alors j’ai pensé que ça appartenait à Mana. C’est à toi, Gerbera ? »

« En effet. Il semble que je l’ai accidentellement laissé tomber pendant l’agitation de tout à l’heure. »

« Je vois. Alors, tiens. »

« Mes remerciements. »

J’avais pris le papier plié et j’avais soupiré de soulagement. C’était proche. J’avais presque gaspillé la bonne volonté de Mikihiko. Je devais m’assurer de ne pas la perdre à nouveau.

« Hm… Bien. Je suppose que c’est une bonne occasion. » J’étais sur le point de ranger le papier, mais je m’étais soudainement tournée vers Katou. « Il y a quelque chose que j’aimerais que tu regardes. »

« Moi ? »

J’avais hoché la tête profondément. « Hm. À propos des vêtements que Rose a demandé que je fasse pour elle. J’ai demandé de l’aide à Mikihiko. »

« Hein… ? Kaneki-senpai ? Est-ce bien ça, ce papier ? »

L’expression de Katou ne changeait pas beaucoup d’habitude, mais là, il était étrangement clair qu’elle trouvait cela douteux.

« Hmm… Kaneki-senpai… J’ai un mauvais pressentiment à ce sujet. »

« Qu’est-ce que tu dis ? Mikihiko a dit qu’il était fier de ça, et Kei a dit que c’était mignon. Regarde avant de dire de telles choses. »

« C’est vrai. OK, peux-tu me le montrer ? »

« Hm. »

J’avais déplié le papier et le lui avais tendu. Katou l’avait regardé, et en un instant, ses yeux s’étaient ouverts en grand.

« Hein ? Une tenue de soubrette !? » s’écria-t-elle en désignant le papier.

 

 

« Oooh. Alors tu es au courant, non ? »

J’avais laissé échapper un soupir d’admiration. Il s’est avéré que c’était une sorte de tenue célèbre. L’expression de surprise de Katou était plus que ce que j’avais espéré. Mikihiko était l’ami de mon seigneur, j’avais donc eu raison de lui confier cela.

« On m’a dit que c’est quelque chose que tous les hommes du monde de Mikihiko aiment. Je suis sûre que mon seigneur sera satisfait de cela. Je devrais être en mesure de satisfaire la demande de Rose. »

Cependant, juste au moment où je débordais de confiance, j’avais levé la tête avec curiosité. La seule personne aux yeux brillants était la jeune Kei. Les deux autres avaient réagi faiblement, surtout Katou. Je voulais croire qu’elle pressait sa main contre son front parce qu’elle était profondément émue, mais il semblait que ce n’était pas le cas.

« N’est-ce pas incroyable, Shiran ? » Kei demanda ça avec enthousiasme. « Il y a tellement de froufrous et de dentelle ! C’est si mignon ! »

« Oui, en effet, mais n’est-ce pas un excès de décoration ? Ce sont… des vêtements pour une assistante, non ? J’ai l’impression que ça manque de praticité, et que c’est un peu trop voyant… »

« Oh, maintenant que tu le dis… Je n’y ai pas vraiment réfléchi. »

Hmmmmm… ? La conversation entre les sœurs elfes, en particulier les impressions rébarbatives de la sœur aînée, m’avait donné des sueurs froides sur la joue.

« La jupe est trop courte, et elle montre trop de décolletés. C’est peut-être impoli de le dire comme ça, mais je trouve que c’est un peu obscène… »

Est-ce qu’il m’a vraiment piégée ? Non, non, non… Ça ne peut pas être…

« Gerbera ? » Katou m’avait appelée.

Mes jambes avaient sursauté. J’avais timidement examiné l’expression de Katou… et j’avais presque hurlé de terreur.

« As-tu l’intention de faire porter ça à Rose ? » demanda-t-elle.

Sa voix calme était en fait terrifiante. Ses poings tremblaient légèrement.

Oh non… Celui-là est hors de question…

« S’il te plaît, calme-toi, Katou. Je n’ai pas dit que je voulais que ce soit comme ça. »

Troublée, j’avais essayé de trouver des excuses alors que Katou s’approchait à pas feutrés. Elle était restée complètement silencieuse en regardant les trous dans le papier dans ma main. J’avais eu peur. Les souvenirs de ce qu’elle m’avait fait auparavant ressurgissaient, provoquant une crise de vertige. Je devais faire quelque chose à ce sujet. Cette seule pensée m’avait poussé à essayer de dire quelque chose n’importe quoi pour la calmer.

« Ce n’est rien de plus qu’un concept. En fait, étant donné l’occasion, je voulais te demander ton avis, tout comme je le fais maintenant. Je ne peux pas nier que je ne te l’aurais pas montré si l’occasion ne s’était pas présentée, et je n’ai pas d’autres idées… Mais… ! »

« En fait, les vêtements de bonne ne sont peut-être pas une mauvaise idée, hein ? »

J’étais curieusement stupéfaite. Qu’est-ce que Katou venait de dire ?

« Donne-moi ça, » dit-elle en m’arrachant le papier des mains.

« Ah. »

Elle l’avait regardé profondément dans ses pensées.

« Es-tu sérieuse, Mana ? » demanda Shiran avec incrédulité. « Des vêtements normaux de préposée, c’est une chose, mais ça, c’est… Je ne sais pas comment sont les choses dans ton monde, mais n’y aurait-il pas des problèmes à porter ça tous les jours ? »

« Ne te méprends pas. Ce ne sont pas non plus des vêtements de tous les jours dans notre monde. Cependant, je ne connais pas le monde de “Kaneki-senpai”. »

« Ne venez-vous pas tous les deux du même monde ? »

« Oui, c’est le cas, mais nous pensons profondément différemment… Je n’y connais pas grand-chose moi-même. Comment puis-je le dire ? Il s’agit d’un uniforme de magasins qui répondent à un certain type d’intérêt… »

Je ne comprenais pas grand-chose à ce que Katou disait, mais il y avait un fait établi ici. Il semblait que j’avais réussi à échapper à la condamnation à mort. C’était tout ce que j’avais besoin de savoir. J’avais laissé échapper un soupir de soulagement, puis j’avais tourné un regard sérieux vers Katou.

« Alors est-ce bon de faire ça ? » avais-je demandé.

« Non. C’est hors de question. »

« Oh ? »

C’était comme si j’avais été frappée d’un seul coup. Shiran hochait aussi la tête. C’était donc hors de question.

« Ce genre de vêtements mignons, énergiques et pervers ne convient pas à Rose. Elle a besoin de quelque chose de plus chic, avec un design plus mature. En fait, c’est tout à fait hors de question. Il a mis trop de ses propres goûts dans cette affaire. Il est probablement en train d’en rire parce qu’il sait ce qu’il a fait… »

Katou avait l’air exaspérée en pliant soigneusement le papier et en le mettant dans sa poche.

« Je vais rédiger un projet, » avait-elle dit.

« Je crois que c’est une bonne idée, » avait convenu Shiran.

Kei avait également hoché la tête à plusieurs reprises. C’était le moment où le travail minutieux de Mikihiko, rempli de sa passion virile, était mis de côté. Honnêtement, c’était un peu triste pour moi.

« En utilisant tes fils, tout deviendra blanc, n’est-ce pas ? » Katou continua. « Ce serait bien si nous pouvions trouver des teintures une fois que nous aurons atteint une ville. »

« Je peux m’en occuper, » dit Shiran. « Les chevaliers qui s’occupent de ces marchandises doivent connaître des magasins. »

« Merci, Shiran. Ah oui, tant qu’on y est, ça pourrait être une bonne idée de faire des gants longs et des chaussettes aux genoux. »

« Oh ! Comme ça, on peut naturellement cacher les articulations du corps de Rose ! » s’exclama Kei.

« Ouaip. Si tout se passe bien, Rose pourra peut-être se promener en ville avec Majima-senpai… Hee hee. Ça devient amusant. »

J’avais haussé les épaules en écoutant leur conversation harmonieuse. Je me sentais un peu mal pour Mikihiko, mais… Oh et bien. Ce n’est pas comme si son idée avait été purement et simplement rejetée. C’était un bon point de référence, alors j’avais décidé de le remercier moi-même plus tard.

Par exemple, je pourrais… Bien, ça va marcher. J’avais pensé à une idée géniale. Je pourrais envoyer la tenue qu’il avait dessinée à cette femme vaillante dont il était épris. Mikihiko avait jugé que mon seigneur serait ravi si je confectionnais de tels vêtements pour Rose, alors il en serait de même pour l’homme lui-même. Il serait certainement heureux de cela.

« Bon, alors. Maintenant que nous sommes arrivés à une conclusion, il est temps de s’y remettre, Gerbera, » dit Katou, mettant fin à mes pensées sur l’avenir.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé avec curiosité.

« Je veux dire que tu dois choisir ton arme, » dit-elle comme si c’était parfaitement évident. « En premier lieu, je suis revenue ici pour t’aider avec ça. »

***

Chapitre 9 : L’araignée blanche et la fille qui continue d’avancer ~Point de vue de Gerbera~

Partie 1

« Pour référence, pourrais-tu me dire tes impressions jusqu’à présent ? » demanda Katou.

« Voyons voir… Pour l’instant, j’ai essayé une épée ressemblant beaucoup à celle qu’utilise mon seigneur, mais combattre en restant consciente de la direction de la lame est difficile. Je peux le faire, mais je sens que cela m’affaiblirait réellement. »

« Alors une épée ne sert à rien. »

« J’ai aussi essayé une hache, mais je ne l’ai pas du tout apprécié. J’essaie maintenant une lance, mais je n’y vois pas beaucoup d’espoir. J’ai l’impression que ce serait mieux de déraciner cet arbre là-bas et de le balancer. »

« Tu sais qu’il n’y a pas d’arbres qui poussent partout une fois que tu as quitté la forêt, n’est-ce pas ? »

« Ne puis-je pas simplement en porter un sur moi ? »

« Je ne sais même pas par où commencer avec celle-là… »

Nous étions retournés à la recherche d’une arme pour moi. Katou s’était dirigée vers la manamobile avec Kei, où toutes les armes étaient stockées.

« Il y a beaucoup de variété, non ? » commenta Katou. « J’ai l’impression de les avoir tous vus d’une manière ou d’une autre dans des films ou des mangas. »

« Vraiment ? » dit Kei. « Il semble qu’il y ait un bon nombre d’armes de ton monde qui n’existent pas ici. Par exemple… c’est vrai. J’ai entendu dire qu’il y avait dans ton monde des guerriers qui vivaient dans l’obscurité depuis les temps anciens et qu’on appelait des “ninjas”, et qu’ils étaient armés de “shurikens”, de “kunai” et autres. C’est malheureux, mais nous n’en avons pas ici. »

« Qui t’a dit ça… ? Oh. Je suppose que je n’ai pas besoin de demander. Je le sais déjà. »

« Ummm ? »

« Je suis sûre qu’il ne faisait que se moquer de toi, Kei… Oh. Bien. Cela pourrait en fait être quelque chose que nous pouvons utiliser. »

« Ninja ? »

« Non. Ça n’a rien à voir avec ça. Je viens de penser à une idée. Ne t’inquiète pas pour ça. Commençons par regarder ce que nous avons. »

La raison pour laquelle Katou était venue ici au lieu d’assister à l’entraînement de Rose était qu’elle avait prédit que j’aurais des difficultés avec ma tâche. Elle est vraiment très perspicace. Cependant, elle n’avait probablement jamais pensé qu’elle rencontrerait ces autres visiteurs.

« Je ne sais pas si ton timing était bon ou mauvais, » avais-je dit.

« Je pense que c’était bien, » répondit Katou depuis l’intérieur de la manamobile. « Puisqu’ils te regardaient de haut comme ils le faisaient, il valait mieux que quelqu’un dans la même position qu’eux les détournent. »

Je pouvais entendre le cliquetis d’objets durs derrière la voix de Katou. Contrairement à Kei, qui avait pris des armes au hasard dans la pile, Katou cherchait quelque chose de précis. Pendant ce temps, Shiran était déjà retournée aux côtés de mon seigneur.

« De plus, même s’ils finissent par nourrir une quelconque rancune, elle sera dirigée contre moi, pas contre Majima-senpai. »

« Est-ce une bonne chose ? »

« C’est vrai. Vu que je ne peux pas me battre, il n’y a pas grand-chose que je puisse faire pour lui. Si je ne fais pas au moins quelque chose comme ça, alors je ne sais pas pourquoi je reste avec lui. »

Je m’étais tournée vers le véhicule, mais malheureusement, je ne pouvais pas voir Katou d’ici. À la place, j’avais vu Kei sortir avec d’autres armes dans ses bras. J’avais remis les lances, les haches et autres sur le sol. Kei les avait récupérées et les avait remplacées par une nouvelle gamme pour moi.

« Si je pouvais au moins m’éveiller à un certain pouvoir en tant que visiteur, ce serait une autre histoire, » avait poursuivi Katou.

« Une triche ? Maintenant que tu le dis, Lily semble avoir la même chose en tête. »

« Oh, donc tu es au courant de ça ? En fait, Lily est venue me demander conseil à ce sujet hier. Elle se demandait si elle pouvait utiliser de telles capacités. »

« Est-ce que cela semble possible ? »

« Je me pose la question… J’y ai beaucoup réfléchi, » dit-elle d’un ton prévenant. « Lily ne fait qu’imiter Mizushima-senpai, elle n’est pas vraiment une visiteuse. Elle pense que c’est la raison pour laquelle elle ne peut pas utiliser une triche. Elle ne peut pas faire quelque chose que la vraie chose pourrait faire puisqu’elle est une fausse. C’est normal qu’elle pense de cette façon… »

« Est-ce naturel ? »

« Lily a un peu de complexes à ce sujet. On dirait qu’elle a vaincu son anxiété de disparaître un jour d’à côté de Majima-senpai, mais je suppose qu’un complexe d’infériorité ne disparaît pas si facilement. »

« Hrm ? Un… complexe d’infériorité ? »

Rien de ce que Katou disait n’avait de sens. Pour moi, Lily était la grande sœur forte qui veillait sur nous. Je ne pouvais même pas l’imaginer s’inquiéter de ses propres problèmes. Cependant, peut-être que c’était une façade qu’elle gardait constamment. Katou était avec mon seigneur avant que je devienne son serviteur. C’est pourquoi elle avait eu l’occasion de voir le côté plus immature de Lily.

« Ce que dit Lily a du sens, » ajouta Katou. « C’est vrai que son imitation est inévitablement plus faible que l’original. De plus, Mizushima-senpai est décédée avant que sa tricherie ne se manifeste. Donc même si Lily pouvait le reproduire, il n’y a pas de triche à l’origine. »

« C’est certainement vrai. »

« Mais il y a aussi un point d’incertitude ici, » continua Katou. Le cliquetis s’était arrêté. « Ce n’est pas parce que le mimétisme de Lily provoque une certaine dégradation qu’elle ne peut pas. C’est plutôt “elle peut, mais c’est incomplet”. Je trouve ça bizarre que la seule chose qu’elle ne puisse pas imiter soit les capacités des visiteurs. D’ailleurs, même si Mizushima-senpai n’avait aucune sorte de triche, elle était une visiteuse, donc elle avait au moins le potentiel pour en avoir une. »

« Hm… Donc, en résumé, c’est ce que tu veux dire par là ? Le mimétisme de Lily devrait être capable de reproduire la capacité d’un visiteur ? Hmmm. Si c’est le cas, il doit y avoir une autre raison pour laquelle elle est incapable de manifester une sorte de pouvoir. »

« Je pense seulement que cette possibilité existe. Je veux dire, je ne me suis pas non plus éveillé à un quelconque pouvoir, non ? »

« Maintenant que tu le dis, ces garçons plus tôt sont dans la même situation. Donc c’est un peu hâtif de supposer que Lily ne peut pas manifester un pouvoir à cause des limites de son mimétisme. »

« C’est ce que je pense. Ça ne fait pas de mal de l’examiner un peu plus… » La voix de Katou donnait progressivement l’impression qu’elle se parlait à elle-même. « Le pouvoir d’un visiteur est le reflet du souhait de cette personne. Donc, si aucun souhait ne jaillit du fond de son cœur, ou si les sentiments derrière son souhait sont trop faibles, aucune capacité ne se manifestera. »

Je m’étais souvenue de mon seigneur. Il fut un temps où lui aussi ne possédait aucun pouvoir. Lily était la seule à connaître cette époque, mais d’après ce que j’avais entendu, il était dans un état terrible quand il l’avait rencontrée.

C’est exactement pour cela qu’il s’était éveillé à ses capacités. À l’inverse, s’il n’avait pas traversé une telle épreuve, il n’aurait jamais pu acquérir sa triche. Cela m’avait donné des sentiments mitigés. Le malheur de notre seigneur était, en un sens, lié à notre bonheur, non pas qu’il veuille que nous le voyions de cette façon. Les malheurs du passé étaient des malheurs. Les bénédictions d’aujourd’hui étaient des bénédictions. Il était là comme il était maintenant, et moi aussi. C’était plus que suffisant.

« La grande majorité des visiteurs n’ont probablement pas un souhait assez fort pour s’éveiller à un quelconque pouvoir, mais je ne pense pas que ce soit nécessairement le cas pour tous. »

Katou semblait s’enfoncer de plus en plus dans ses propres pensées. Son ton était sincère, montrant à quel point elle avait réfléchi sérieusement à la question. Cela ne s’appliquait pas seulement à ce cas spécifique. Son esprit tournait à plein régime sur de nombreux sujets. Quelque chose en elle la poussait à le faire.

« En y réfléchissant, il y a certains aspects de la triche que je ne peux pas vraiment dire que je comprends entièrement. Pour commencer, pourquoi les visiteurs possèdent-ils de telles capacités ? Non… Peut-être que ce n’est pas la bonne façon de le dire… »

« Dis-moi, Katou ? » Je l’avais appelée.

« Oh… Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Katou avait soudainement repris ses esprits. Je ne savais pas ce que je devais faire. Un certain doute m’était venu à l’esprit en la regardant, mais je ne savais pas s’il était approprié de le mentionner. J’avais conclu que je pouvais puisque c’était Katou. Elle était beaucoup plus intelligente que moi. C’était absurde pour moi de tourner inutilement mes pensées sur de telles choses.

Ainsi, j’avais demandé exactement ce que j’avais à l’esprit. « Pourquoi ne te jettes-tu pas sur mon seigneur et ne le prends-tu pas ? »

Un énorme bruit et un fracas arrivèrent de l’intérieur du véhicule. Il semblerait que Katou avait renversé les armes qu’elle portait dans la panique.

« Vas-tu bien, Mana !? » Kei avait crié de l’intérieur.

J’étais assez inquiète, mais Katou avait rapidement gémi, « Je vais bien… »

Je m’étais sentie soulagée et je lui avais parlé à nouveau. « Fais attention quand tu manipules des armes, Katou. Tu peux te blesser. »

« C’est toi qui dis ça ! » Katou avait crié, sortant en trombe de la manamobile. Elle était rouge jusqu’à la base de son cou fin. « Gerbera ? Qu’est-ce que tu voulais dire exactement… à l’instant… ? »

***

Partie 2

« Hmm ? Est-ce que j’ai dit quelque chose d’étrange ? » avais-je demandé avec curiosité. « J’aimerais bondir sur mon seigneur. Tes sentiments ne sont-ils pas les mêmes ? »

« Tu es trop franche ! »

« Et tu es trop troublée. Je le pense depuis un moment maintenant, mais quand il s’agit de mon seigneur, n’es-tu pas un peu trop facilement secouée ? »

« Argh… »

Katou avait titubé. Derrière elle, Kei avait regardé hors du véhicule, les deux mains sur ses joues rouge vif, marmonnant quelque chose à propos d’une conversation d’adultes et se cachant à l’intérieur. Je m’étais retournée pour faire face à Katou une fois de plus. Le fait que je sois calme alors que Katou était complètement déstabilisée était une situation assez inhabituelle. J’étais un peu émue par cette situation et j’avais penché la tête.

« Mais tel que je vois la situation actuelle, mon seigneur ne te verra pas de cette façon à moins que tu ne te jettes toi-même sur lui. »

« Tu es étonnamment vive, compte tenu de ton ignorance habituelle… »

« Cependant, je ne crois pas que le fait d’être vive ait beaucoup à voir avec cela. Je suis connectée à mon seigneur par notre cheminement mental, donc je peux le savoir juste en le regardant de près. Quand il s’agit de passion pour mon seigneur, je n’ai pas l’intention de perdre face à l’une de mes sœurs. »

D’après ce que je savais, mon seigneur ne voyait pas Katou comme une partenaire potentielle. Ce n’était pas un homme insensible, loin de là. Il avait probablement une vague idée de ses sentiments. Cependant, il n’avait montré aucun signe d’arriver à la bonne réponse. Pourquoi cela ? Je m’étais souvenue de la vue de Katou s’effondrant lorsqu’elle avait parlé à ces hommes.

« Eh bien, je suppose que c’est tout à fait naturel. Face à une faible humaine qui finit comme ça rien qu’en parlant avec des hommes, il est difficile d’imaginer mon seigneur te ravir par sa propre volonté, même s’il le voulait. »

« Désolée, Gerbera. Peux-tu s’il te plaît arrêter d’utiliser ton propre vocabulaire comme s’il s’appliquait à tout le monde ? »

« Mais c’est ce à quoi tout mène à la fin, n’est-ce pas ? C’est pourquoi Monseigneur est si loin de la réponse. C’est précisément parce qu’il est si sincère et honnête qu’il n’envisage pas d’agir comme une bête, même à un degré infime. On pourrait même dire qu’il est presque tabou pour lui de te considérer comme un membre du sexe opposé. » J’avais fait une pause, laissant échapper un soupir. « Tu devrais déjà le savoir sans que je le mentionne. »

Cette fille m’avait battue à plate couture quand j’étais l’araignée blanche. Même maintenant, j’avais un peu peur d’elle. Si c’était quelque chose que je pouvais comprendre par moi-même sans aide, je pensais qu’elle le maîtrisait déjà parfaitement.

« C’est pourquoi je daigne demander. Tu as les mêmes sentiments que moi, donc es-tu vraiment d’accord avec ça ? »

J’avais poussé ma question sur elle une fois de plus, et Katou avait finalement lâché un gros soupir comme si elle se résignait.

« Les mêmes sentiments, hein ? Laisse-moi juste te dire maintenant, je n’ai pas vraiment envie de me jeter sur lui comme tu le fais, » dit-elle en plaisantant avant de sourire de façon douce-amère. « Mais je n’aurais jamais pensé que tu te rendrais compte de mes sentiments. »

« Ne l’ai-je pas déjà dit ? Je n’ai pas l’intention de céder face à l’une de mes sœurs lorsqu’il s’agit d’observer mon seigneur avec passion. Cependant, tu l’as observé presque autant que moi. »

Nous regardions la même chose. Il serait étrange de ne pas remarquer ses sentiments. Et, bien sûr, je ne pouvais pas laisser son comportement indiscutable après l’avoir constaté.

« Pourquoi ne lui transmets-tu pas ce sentiment dans ton cœur ? » lui avais-je demandé. « Tu t’es tenue sans crainte devant moi. Tu ne peux pas avoir la frousse à ce sujet. »

« C’est exactement ce que c’est, Gerbera. »

« Quoi ? »

Katou m’avait fait un sourire en coin. C’était assez inattendu. Je l’avais imaginée sans peur. On pourrait même la décrire comme une sorte de monstre. Cependant, la fille devant moi disait le contraire. L’ai-je mal interprétée ? Non, ce n’est pas non plus tout à fait ça. La première fois que je l’avais rencontrée, elle était certainement un monstre terrifiant. Mais maintenant, elle était différente. Quelque chose avait changé.

Alors que j’arrivais à cette conclusion, Katou avait souri d’une manière agréable. « Il fut un temps, en effet, où je n’avais peur de rien. J’avais complètement abandonné. J’avais absolument tout perdu, je ne possédais absolument rien, et donc, je pouvais tout faire. C’est pourquoi je n’avais pas peur de toi quand tu étais notre ennemie. C’est pourquoi j’ai été capable de lui être utile. » Katou avait laissé échapper un soupir. « Et pourtant… Rose m’a dit… que je ne devais pas abandonner. » Son sourire était maintenant anxieux, mais heureux. « Maintenant, j’ai peur de faire quoi que ce soit. »

« J’ai l’impression que tu fais tout ce que tu faisais avant, » avais-je fait remarquer.

« Hee hee. Tu as raison. C’est contradictoire, n’est-ce pas ? » Katou avait hoché la tête, puis elle avait fermé les yeux. « Mais qu’est-ce que je peux faire ? À cause de Rose, Senpai m’a dit “tu m’as vraiment sauvé” et “merci”. Le voir heureux me rend heureuse. Sa confiance me rend heureuse. Tu comprends, n’est-ce pas ? Alors je finis par penser que je dois continuer à faire des efforts. » Son sourire s’estompa et elle porta la main à sa poitrine, comme pour vérifier l’émotion qui s’y trouvait. « Le cœur humain ne fonctionne pas vraiment comme on le voudrait. Même si j’ai tout abandonné, j’ai maintenant une raison de ne pas abandonner du tout. C’est pourquoi… »

« Je vois. »

Ce qui voulait dire que c’était sa lâcheté qui la poussait en avant maintenant. J’avais laissé échapper un soupir. C’est exactement pourquoi les choses iraient mieux si elle transmettait simplement ses sentiments. Mais elle ne pouvait pas. C’était extrêmement effrayant pour elle. Elle avait peur de perdre tout ce qu’elle avait finalement réussi à gagner en allant de l’avant. Elle doutait de chacun de ses pas. Elle avait besoin de temps pour rassembler son courage avant de pouvoir le lui dire.

Peu importe, elle n’allait pas arrêter sa marche continue. La marionnette qu’elle avait autrefois menée par la main la guidait maintenant progressivement vers l’avant. Sa vitesse était vraiment vexante pour moi, mais elle avançait toujours. En fait, j’avais toujours peur de cette fille. Son corps et son cœur étaient si faibles, mais elle était si forte. Je n’arrivais pas à comprendre comment elle pouvait être comme ça. J’avais soudainement souri. En fait, je trouvais cet aspect d’elle plutôt sympathique.

« Je comprends maintenant, » avais-je dit. Une description de son comportement m’était venue à l’esprit, et je lui avais fait un rapide signe de tête. « Tu es une épave seulement quand il s’agit de mon seigneur. »

« Je suis surprise que tu connaisses cette expression… »

« C’est Mikihiko qui me l’a dit. »

« Ce type… » Katou avait l’air épuisée, son expression était amère. « Peu importe. C’est parce que je suis comme ça que je peux aider Senpai d’une certaine façon… Bref, que dis-tu de ça ? »

« Hm ? »

« Il a roulé quand j’ai tout renversé. Penses-tu que tu peux utiliser ça ? »

Katou s’était approchée et avait soulevé une arme lourde pour moi.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Ce n’était pas une épée ou une hache. Il s’agissait d’une perche de la longueur de mon bras surmontée d’une grosse boule de métal. Il y avait des pointes solides qui dépassaient de la boule, ce qui la rendait bien plus inquiétante qu’une épée.

« C’est une masse, » dit Kei en s’approchant en courant. « C’est une arme que vous utilisez en frappant vos adversaires avec le bout pointu. Il y a beaucoup de monstres coriaces qu’on ne peut pas couper avec des lames dans les environs de Viscum, l’un des trois royaumes de l’Est, donc ils utilisent beaucoup ces armes là-bas. »

« Rose n’a fait que des armes blanches tranchantes et perforantes jusqu’à présent. Je parie que tu n’as jamais envisagé d’utiliser une arme contondante, non ? » ajouta Katou. « Qu’en penses-tu ? Je pense personnellement que ce serait mieux que de déraciner un de ces arbres pour en faire une massue improvisée. »

« C’est vrai. Au moins, il semble que je n’aurai pas à me soucier de l’orientation de la lame. »

J’avais hoché la tête alors que l’arme dans ma main disparaissait à moitié de mon esprit.

Avec ça, peut-être que je peux le faire…

Je m’étais éloignée de Katou et Kei.

« Shyaaah ! »

J’avais renforcé ma prise et j’avais balancé la masse de toutes mes forces. L’air s’était transformé en coup de vent et avait éclaté autour de moi. J’avais senti une réaction dans ma main et j’avais souri. C’était bon. C’était familier. Par-dessus tout, c’était simple. Et pourtant, c’était amusant de voir qu’il avait plus de puissance qu’un simple bâton.

En utilisant le poids de la tête, il créait facilement une force centrifuge. Je pouvais m’attendre à une bonne dose de puissance destructrice rien qu’en la balançant, mais si je maîtrisais son utilisation grâce aux arts martiaux, cela lui conférerait un tout autre niveau.

« Si je devais me plaindre, je dirais que c’est beaucoup trop léger. » C’était probablement très bien pour un usage humain, mais c’était insuffisant pour moi. « J’aimerais quelque chose de plus lourd. Plus long aussi. Je suppose que nous pouvons consulter Rose à ce sujet. » Un sentiment agréable parcourut ma poitrine et un sourire me vint naturellement. « Hehehe... C’est devenu plutôt amusant. »

« Euh, Gerbera ? »

« Qu’est-ce qu’il y a, Katou ? »

Je m’étais tournée vers elle, mécontente, pour constater qu’elle me regardait d’un air renfrogné.

« Le manche de cette masse est-il courbé ? »

« Euh… »

J’avais laissé échapper un gémissement de stupéfaction. Je m’étais emportée et j’avais utilisé toute ma force, ce qui avait fait que la masse s’était courbée. Cela m’avait laissée dans un état de panique totale.

 

 ◆ ◆

Après avoir essayé de remettre la masse en forme et de déformer encore plus le manche, nous étions allés ensemble voir mon seigneur pour lui faire un rapport et nous excuser. C’était une sacrée expérience. Cela dit, nous avions au moins un plan maintenant. Il ne restait plus qu’à en discuter avec Rose. Katou avait aussi apparemment pensé à quelque chose et faisait un geste de son côté.

Trouver une arme à utiliser avait été un vrai calvaire. Je n’avais pas pu retenir un long soupir. Le fait que j’aie demandé à Rose de « faire quelque chose de solide et de lourd », la laissant complètement désemparée sur ce qu’elle devait faire, est une histoire pour une autre fois.

***

Chapitre 10 : La route vers la Cité du Commerce

Partie 1

Les chevaliers, avec la coopération des villageois locaux, avaient réussi à supprimer les monstres dans les environs du village de récupération. Aucune perte n’avait été subie. Lily et moi avions également participé à la demande de la commandante.

Il y avait, en effet, une augmentation de l’activité des monstres, ce qui avait conduit à des rencontres plutôt effrayantes. Cependant, avec Shiran à l’avant et Lily à l’arrière, tout en faisant office de gardes, ainsi que les chevaliers expérimentés, nous avions réussi à tout affronter de front et à nous frayer un chemin à travers les menaces.

C’était aussi une occasion précieuse pour moi d’accumuler de l’expérience au combat. Malheureusement, je n’avais pas trouvé de nouveaux serviteurs. Mais même si j’en avais trouvé, cela aurait été difficile à expliquer aux villageois qui nous accompagnaient, alors c’était peut-être mieux ainsi.

Après avoir terminé notre tâche, nous étions retournés au village de récupération et avions passé la nuit. Il ne s’était rien passé de particulier ce soir-là, si ce n’est que Miyoshi avait fait venir ses deux amis — les garçons qui s’étaient soûlés et avaient mal agi — pour s’excuser auprès de nous.

Le matin venu, nous avions laissé le village derrière nous. Les villageois s’étaient rassemblés pour nous voir partir, pour voir partir leurs sauveurs.

La commandante avait déjà envoyé la nouvelle de la chute du Fort de Tilia en avant à cheval, mais nous ne savions pas à quelle vitesse l’Empire serait capable de réagir. Dans le pire des cas, les gens d’ici devraient abandonner ce village de récupération et se réfugier au nord.

Malgré cette situation, les visages des villageois étaient plus remplis d’espoir que d’anxiété. L’arrivée des sauveurs était imminente. À leur avis, qu’est-ce qui avait forcé l’évacuation du Fort de Tilia en premier lieu, les mettant dans cette situation désespérée ?

Cela m’avait donné des sentiments mitigés. Les villageois ne connaissaient pas les actes de Juumonji Tatsuya et de Kudou Riku. Ces détails ne pouvaient pas être rendus publics sans réfléchir, aussi la commandante avait-elle seulement rapporté que le Fort de Tilia était tombé à cause d’une attaque massive de monstres. Je me demandais comment ils nous regarderaient exactement s’ils connaissaient la vérité. Je n’avais pas pu m’empêcher de me concentrer sur les regards dirigés vers nous par-derrière alors que notre manamobile quittait le village.

 

 ◆ ◆

La commandante avait laissé certains des chevaliers qui pouvaient encore se battre au village pour se préparer au pire, et notre voyage s’annonçait donc un peu plus difficile. Heureusement, le repos que nous avions obtenu au village, en restaurant notre endurance et notre volonté, avait équilibré les choses de manière assez égale.

La monotonie du paysage forestier allait s’estomper, mais nous ne pouvions pas encore baisser nos gardes. Notre voyage s’était poursuivi en repoussant de nouvelles attaques de monstres. Trois jours après notre départ, un changement soudain s’était produit. Je m’attendais à ce qu’il y ait de moins en moins d’arbres autour de nous à mesure que nous avancions. Cependant, je ne pensais pas que le changement serait si évident.

« L’air est différent… »

Quelque chose avait disparu de l’air — quelque chose qui nous avait constamment entourés, comme si nous avions été sous l’eau, mais que nous n’avions pas remarqué parce que nous avions toujours été immergés. La sursaturation avait paralysé nos sens. Une fois que c’était parti, cependant, je l’avais finalement réalisé. C’était les Terres forestières.

C’était comme si ces arbres denses en mana avaient créé un autre royaume. C’était la raison pour laquelle certains animaux, comme les chevaux, évitaient les régions boisées. Ils étaient sensibles à ce changement d’atmosphère.

J’avais laissé le contrôle de la manamobile à Lily et je m’étais mis debout sur le siège du conducteur. Notre véhicule venait de commencer à descendre une légère pente alors que les freins grinçaient pour ralentir notre descente. Avec mon point d’observation plus élevé, je pouvais voir la situation devant nous à travers les lignes d’arbres. La densité de la forêt diminuait, révélant une grande prairie qui s’étendait à l’avant.

Je pouvais voir ce qui ressemblait à un petit village de récupération. Au loin, j’avais vu un dense amas de verdure. Était-ce une forêt normale ? Ou bien était-ce l’un de ces fragments de forêts laissés en friche qu’ils appelaient les Bois Sombres ? J’avais plissé les yeux alors que le vent soufflait contre moi. Même l’odeur du vent était différente.

« Senpai, à l’instant… »

Alors que je restais là à regarder le paysage devant moi, Katou avait sorti sa tête de la voiture. Elle avait aussi senti le changement. Il y avait de l’espoir dans ses yeux.

Je lui avais répondu d’un signe de tête. « Oui. Il semble que nous soyons sortis des Terres forestières. »

Un air de soulagement s’était répandu parmi les deux colonnes de soldats en marche. La voix de la commandante, qui donnait l’ordre à tout le monde, de ne pas baisser sa garde, était même parvenue jusqu’à nous, tout au fond.

« Enfin… » Katou murmura, sa voix contenant un mélange d’émotions alors qu’elle se penchait en avant sur le siège du conducteur.

Katou était restée captivée par le paysage pendant un moment. Elle ne semblait pas se rendre compte qu’elle était beaucoup plus proche de moi que d’habitude à cause de la façon dont elle était penchée en avant. Après avoir été envoyés dans ce monde, nous avions été captifs des Terres forestières. Maintenant, nous avions finalement réussi à sortir de la forêt. Il y avait vraiment un torrent d’émotions indescriptibles qui débordait de son cœur.

Juste à ce moment, Katou avait attrapé l’ourlet de mes vêtements. Elle semblait le faire inconsciemment en regardant la prairie. Si je le lui faisais remarquer, cependant, elle risquait de me lâcher. Ce faisant, j’avais l’impression de détruire ce temps précieux qu’elle avait. J’avais donc fait semblant de ne pas le remarquer et j’avais à nouveau regardé au loin.

Cette route menait au comté de Lorenz, à la ville commerciale de Serrata.

 

 ◆ ◆

Les survivants du Fort de Tilia marchaient sur la route, le pas beaucoup plus léger. Après avoir quitté les Terres forestières, nous étions entrés dans le comté de Lorenz. D’après ce que Kei m’avait dit au préalable, le mépris des elfes était particulièrement fort dans ces terres.

La partie sud de l’Empire, y compris le comté de Lorenz, était plus discriminatoire envers les elfes que le reste de la nation, qui n’avait pas de frontière avec les forêts du nord. Leur aversion était probablement une raison pour laquelle les elfes étaient relégués aux forces défensives.

En revanche, les cinq royaumes du Nord, dont Aker, la patrie de Kei et Shiran, n’avaient jamais fait de discrimination à l’encontre des elfes. Cependant, ces pays étaient à moitié engloutis par les Terres forestières. Dans tous les cas, les elfes avaient une vie difficile.

En y repensant, lorsque nous nous préparions à quitter le Fort de Tilia, la commandante avait toujours géré les soldats impériaux avec Mikihiko à ses côtés, tandis que Shiran s’était consacrée à la direction des Chevaliers de l’Alliance. La majorité des soldats de l’armée impériale du Sud venait du comté de Lorenz. C’était la raison de la division du travail entre la commandante et Shiran. Quoi qu’il en soit, nous devions prendre en compte ce détail sur la région.

La nuit venue, nous avions installé le camp à une petite distance des soldats afin d’éviter toute friction inutile. Kei était restée avec nous en tant que gardienne. Shiran et Mikihiko nous rejoignaient habituellement, mais ils n’étaient pas venus aujourd’hui.

« Kei, peux-tu venir ici une seconde ? » lui avais-je demandé.

« Qu’y a-t-il, Takahiro ? »

Kei, qui avait parlé à Gerbera, s’était approchée de moi. Elle portait Ayame dans ses bras. La façon dont la petite renarde balançait paresseusement ses pattes était si mignonne. Mais quand elle avait croisé mon regard, Ayame avait commencé à s’agiter. On aurait dit qu’elle voulait venir vers moi.

 

 

Je l’avais attrapée alors qu’elle s’échappait des bras de Kei, sa queue touffue s’agitant vigoureusement et ses pattes battant l’air.

« J’ai quelque chose pour toi, » avais-je dit à Kei.

« Pour moi ? »

« Oui. Rose, s’il te plaît, donne-lui ce que tu viens de me montrer. »

« Oui, Maître. » Rose hocha la tête, puis tendit l’objet dans ses mains à Kei.

« Nous avons emprunté quelques pierres runiques aux chevaliers pour nos recherches, tu te souviens ? Nous avons fini d’analyser certaines des plus simples, alors j’ai demandé à Rose de les utiliser comme référence pour faire quelques copies. »

L’objet que Rose lui avait tendu était un bracelet simplement orné, incrusté d’une imitation de pierre runique de couleur crème.

« C’est une imitation de pierre runique de flash, » avais-je dit en effleurant la tête d’Ayame.

« Hein ? » La main de Kei s’était arrêtée au moment où elle s’apprêtait à mettre le bracelet. « Par pierre runique de flash, veux-tu parler la pierre runique à usage unique ? »

« Tout à fait. Celle-là. »

Certaines pierres runiques étaient limitées dans leur utilisation. Les pierres de flash ne possédaient aucune force létale, elles étaient seulement destinées à aveugler leurs cibles. Une pierre pouvait créer une lumière puissante, mais elle se désintégrait après une seule utilisation. En ce sens, elle était différente d’une pierre runique d’illumination, bien qu’elle crée également de la lumière. La différence résidait dans la qualité de la pierre runique de base et dans son niveau de puissance de sortie. Plus la qualité est élevée, plus elle peut tenir longtemps. Plus le rendement était élevé, plus elle était consommée rapidement.

Kei avait paniqué et avait essayé de rendre le bracelet. « Je ne peux pas accepter quelque chose d’aussi précieux ! »

Les pierres runiques de flash n’utilisaient généralement pas de matériaux de haute qualité, elles étaient donc relativement bon marché dans l’ensemble. Néanmoins, les citoyens ordinaires allaient reculer devant le prix d’un produit à usage unique. Cependant, ce n’était pas une pierre runique ordinaire. C’était une imitation de pierre runique.

« Ne t’inquiète pas pour ça, Kei. Rose l’a fait à partir de rien, donc il n’y a pas de réel coût matériel. Tu devras pardonner son usage unique. Elle ne peut toujours pas faire quelque chose de plus que ça. »

***

Partie 2

La durabilité et le rendement des imitations de pierres runiques de Rose étaient encore assez faibles. Elle était actuellement dans une période d’essai et d’erreur, donc ces limitations étaient à prévoir. En outre, il y avait une autre limitation technique.

Les pierres runiques pouvaient être divisées en deux catégories : celles qui nécessitent du mana de la part de l’utilisateur et celles qui n’en nécessitent pas. La gourde qui se remplit toute seule et le briquet sont de bons exemples des premières, tandis que la manamobile, qui puise son mana dans la terre, est un bon exemple des secondes.

Ce dernier type de pierres runiques était équipé d’une fonction d’absorption du mana. Un exemple extrême de cela était le dispositif de contention qu’ils utilisaient sur les prisonniers qui étaient jetés en prison. Dans notre monde, il suffisait de désarmer une personne pour la rendre impuissante, mais ici dans ce monde, il y avait ceux qui pouvaient renforcer leur corps et manipuler la magie sans aucune arme. Ils pouvaient s’échapper de prison en étant complètement nus, s’ils le voulaient. Ce monde avait des outils qui pouvaient sceller le mana comme contre-mesure contre de telles personnes. S’ils essayaient d’utiliser le mana, le dispositif de retenue l’absorbait et le dispersait. Ainsi, une fois retenue, aucune personne normale ne pouvait s’échapper.

Il y avait, bien sûr, des limites. Les êtres vivants résistaient naturellement à toute interférence extérieure avec leur mana. Tant qu’ils étaient conscients et avaient la volonté de s’y opposer, personne ne pouvait appliquer les restrictions et les activer. De plus, les contraintes n’étaient pas assez fortes pour capturer un sauveur spécialisé dans le combat, comme un guerrier. Néanmoins, ces outils avaient contribué à maintenir l’ordre public ici.

Malheureusement, ces types de pierres runiques devaient absorber le mana d’une manière ou d’une autre, sans tenir compte de la fonction qu’elles étaient censées remplir. Cela les rendait trop complexes pour Rose au stade actuel de ses essais. Elle voulait créer sa propre manamobile, mais cela nécessitait une pierre runique qui absorbe le mana de l’atmosphère et qui soit assez durable pour produire de l’énergie en permanence. Elle avait été assez déprimée de constater que ces deux éléments étaient trop difficiles à réaliser dans sa situation actuelle.

« D’accord, mais pourquoi me la donner ? » demanda Kei. La façon dont ses mains manipulaient nerveusement le bracelet était un peu étrange.

J’avais souri à cela. « J’ai entendu dire que les elfes n’étaient pas très appréciés en territoire impérial. Il n’y a pas de mal à avoir autant de moyens d’autodéfense que possible au cas où tu serais pris dans des problèmes, non ? »

« Il est vrai que le mépris des elfes est fort au sein de l’Empire, mais ce n’est pas comme s’ils allaient soudainement se mettre à nous jeter des pierres, vous savez ? Les gens n’oppriment pas non plus vraiment les elfes dans le comté de Lorenz… J’ai cependant entendu parler de telles choses dans le margraviat de Maclaurin, au nord. »

« Le margraviat de Maclaurin… Veux-tu dire Maclaurin, le Haïsseur des elfes ? »

J’en apprenais progressivement de plus en plus sur ce monde. D’après les leçons de Kei, trois maisons nobles très influentes qui possédaient également une grande force militaire géraient les nobles de la région sud de l’Empire.

Le Margrave Maclaurin était l’un de ces nobles. Son territoire était vaste, à la mesure de son grand titre. D’après la carte que j’avais vue de la région au nord des Terres forestières, il était plus grand que les Cinq Royaumes du Nord réunis. Même si ces royaumes étaient tous de petits pays au départ, il était un peu étrange qu’un seul noble contrôle plus de territoire que tous les royaumes réunis. Les territoires des grandes maisons de l’Empire étaient en fait des pays à part entière.

Mikihiko avait décrit l’empereur comme le noble le plus puissant. Il avait une lignée ancienne et honorable, et il était soutenu par la Sainte Église qui vénérait le sauveur. Mikihiko avait insisté sur le dernier point, ce qui signifiait que si l’Église avait des problèmes avec un empereur, elle pouvait simplement le remplacer par un nouveau.

Ce point de vue était caractéristique de Mikihiko, qui détestait le concept de sauveur et voyait donc l’Église d’un mauvais œil. Il décrivait cependant assez bien l’essence des choses. Il y avait en effet un précédent où l’Église avait soutenu un autre noble pour usurper l’empereur.

Les nobles de l’Empire possédaient un grand pouvoir qui dépassait parfois même celui de l’empereur. Le margraviat de Maclaurin n’était pas seulement vaste, il abritait aussi de nombreuses mines qui produisaient des pierres runiques non traitées, ce qui lui conférait une situation économique exceptionnelle. Le margraviat n’étant pas situé directement à la frontière des Terres forestières, la menace des monstres était relativement faible, ce qui signifie que sa grande force militaire, soutenue par un important soutien financier, avait subi très peu de pertes. Son surnom calomnieux, Maclaurin le Haïsseur des Elfes, provenait de son mépris ouvert pour les elfes en tant que puissant noble du sud. Il n’avait aucun besoin de leur force, et les traitait donc mal.

« Une fois nos affaires terminées à Serrata, nous quitterons immédiatement le comté de Lorenz et retournerons à Aker, » dit Kei. « Nous n’avons pas l’intention d’aller jusqu’au margraviat de Maclaurin, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter. Les soldats du margraviat sont généralement envoyés au Fort d’Ebenus, ils n’ont donc de toute façon rien à faire au Fort de Tilia. »

« C’est peut-être le cas, mais quand même, il n’y a personne qui peut aider si quelque chose arrive pendant que nous sommes dans l’Empire, non ? Ça ne fera pas de mal de le porter. Tu nous as été d’une grande aide à bien des égards, alors considère cela comme un cadeau de remerciement. »

Kei avait l’air un peu troublée, voyant que je n’avais pas l’intention de reculer.

« N’est-ce pas bien d’accepter son cadeau ? » déclara Katou, en frappant les deux épaules de Kei et en regardant son visage. « Senpai est juste inquiet pour toi… cependant, je pense qu’il est un peu trop anxieux. »

« Tee hee. Tu as raison. »

Katou avait souri en regardant Kei tenir doucement le bracelet sur sa poitrine. En voyant Katou comme ça, j’avais plissé un sourcil.

« Pourquoi parles-tu comme si ça n’avait rien à voir avec toi ? » avais-je demandé.

« Hein ? »

« J’en ai aussi un pour toi. »

J’avais jeté un coup d’œil à Rose, qui tendait un autre bracelet à Katou.

Les yeux de Katou s’étaient élargis sous le choc. « Tu m’as donné ce couteau l’autre jour… »

« Ne m’as-tu pas entendu ? Il n’y a pas de mal à avoir autant de moyens d’autodéfense que possible. »

Je n’avais pas oublié la petite complication qui s’était produite pendant que nous étions au village de récupération. Il était stupide de détériorer inutilement les relations, aussi avais-je dit à Miyoshi de ne pas s’en inquiéter lorsqu’il était venu s’excuser. Néanmoins, je n’avais pas l’obligation de leur faire suffisamment confiance pour laisser passer ça sans préparer l’avenir.

« Mais… »

« Prends-le, Katou, » dit Lily en la coupant. « Comme tu l’as dit, il est un peu anxieux, non ? »

« Pas vraiment… Je fais juste attention, » m’étais-je plaint.

Lily m’avait enlacé par-derrière et m’avait touché la joue alors que je grimaçais. Elle avait gloussé, voyant complètement ma tentative de cacher mon embarras par mon mécontentement.

 

 ◆ ◆

Notre voyage s’était poursuivi. Nous étions passés par des villages de récupération, nous nous étions renseignés sur leur situation et nous nous étions parfois arrêtés pour nous reposer tout en avançant vers le nord. Assez rapidement, nous étions arrivés à une grande prairie.

Nous étions maintenant près du centre du comté de Lorenz. Cette région était utilisée pour les pâturages, nous avions donc vu des vaches mâcher l’herbe et des bouviers les conduire. Ils travaillaient en grands groupes et portaient des armures sous leurs grands manteaux d’apparence robuste. Ils étaient même armés de toutes sortes d’armes. Peu importe comment je les regardais, ils ressemblaient plutôt à des mercenaires musclés.

Dans ce monde infesté de monstres, les éleveurs de bétail de l’Empire du Sud étaient apparemment connus comme un groupe armé. Ils n’étaient affiliés à aucune communauté ou colonie agricole. Ils vivaient dans les prairies dangereuses et étaient considérés avec mépris, d’une manière totalement différente des elfes. Cela avait du sens. Même à mes yeux, ils avaient l’air de vivre dans leur propre monde.

Ceux qui avaient passé toute leur vie dans les villages où ils étaient nés trouvaient ce mode de vie étrange. Ce n’était pas une question de bien ou de mal, ils trouvaient simplement cela étrange. En un sens, la position des bouviers n’était pas si différente de celle des visiteurs. Le respect inconditionnel n’était après tout pas différent d’une forme de préjugé.

 

 ◆ ◆

Un jour, nous avions vu un innombrable banc de poissons. J’avais douté de mes yeux au début. Les poissons se déplaçaient sur la terre ferme. C’était manifestement des monstres. On les appelait les tripdrills et ils ressemblaient à de petits marlins colorés. Ils formaient des bancs et utilisaient leurs nageoires pectorales pour voler dans le ciel comme s’ils étaient dans la mer. La vue était comme une œuvre d’art.

« Ce sont donc des monstres migrateurs…, » avais-je marmonné.

« Oui. Les tripdrills sont particulièrement réputés pour se déplacer en groupes énormes entre les plus grands bois sombres du continent nord et les Franges, » dit Kei en jetant un coup d’œil hors de la voiture. « L’ensemble de la meute prend une route particulière, donc les villages et les villes sont construits de manière à éviter leur chemin. Ils sont en principe en sécurité tant que nous évitons leurs migrations. »

« En principe ? »

« Chaque année, des meutes de tripdrills se détachent de la meute et font un grand nombre de victimes. Le véritable problème est que les monstres qui s’attaquent aux tripdrills empruntent la même route vers le nord et se dispersent pour chasser les traînards. »

Avec une telle masse, il était assez courant que les petites meutes se séparent. Des monstres beaucoup plus forts sortaient des bois en force chaque année pour s’attaquer à ces petits groupes.

« Au passage, un seul tripdrill est considéré comme faible, même dans les Franges. Les meutes ne sont pas non plus hors de contrôle, donc elles ne sont pas traitées comme une catastrophe. »

« Avec autant de… ? »

Même une magie de niveau 5 ne ferait qu’effacer une petite partie de la meute. Nous ne pouvions rien faire contre eux. Ce serait fini si nous étions pris dans le flux, alors nous avions attendu que les tripdrills passent.

Trois jours plus tard, nous étions arrivés à notre destination : la ville commerciale de Serrata.

***

Chapitre 11 : Le garçon qui cherche la force ~Point de vue de Kaneki Mikihiko~

Partie 1

« Commandante, tu as l’air bien pâle. Te sens-tu bien ? »

Après être sorti du bâtiment d’une certaine société commerciale dans les faubourgs de Serrata, j’avais jeté un coup d’œil au visage de la commandante qui marchait à côté de moi.

« Dors-tu suffisamment ? Oh, je sais. Si tu as du mal à dormir, je peux te tenir compagnie la nuit. »

« Ne sois pas stupide. Je ne suis pas faible au point de m’effondrer à cause de ça, » répondit-elle, exaspérée. « D’ailleurs, en cas de besoin, je peux utiliser la magie du sommeil sur moi-même. Je peux effectivement lancer plusieurs magies de rang 2, malgré les apparences. »

« N’est-ce pas mauvais d’utiliser la magie du sommeil trop souvent ? L’oreiller de corps Mikihiko est bien plus sain. Pour les nuits solitaires, il est même doté d’une fonction de chat. »

« C’est sain, mais ce n’est pas sain, n’est-ce pas ? Il y a trop de fonctions inutiles. Essaie de le vendre après t’être débarrassé de toutes tes arrière-pensées. »

« OK, alors que dirais-tu d’un massage des épaules ? Pas de mauvaises intentions. »

« La façon dont tu as pris soin de le mentionner m’incite à moins te faire confiance. Rejeté. »

« Pff. Ta garde est bien trop coriace, commandante. »

J’étais en fait secrètement soulagé de la voir agir de façon désagréable. Elle semblait exaspérée, mais il y avait un léger sourire sur ses lèvres. Je savais que c’était une femme forte de corps et d’esprit, mais depuis l’attaque du Fort de Tilia, elle était constamment sur les nerfs. On aurait dit qu’elle pouvait s’effondrer à tout moment. Si me parler la détendait un peu, alors je jouerais les idiots pour elle autant qu’elle le voudrait.

Nous étions montés à bord de la manamobile garée à l’extérieur du bâtiment. Il y avait plusieurs chevaliers en attente à l’intérieur. La commandante avait fait signe au chauffeur, et la manamobile s’était mise en marche lentement.

« En tout cas, » lui avais-je dit, « c’est une bonne chose que nous en ayons trouvé un par hasard, hein ? »

« Oui, une bonne chose en effet. »

Nous étions arrivés un peu en avance, mais la commandante avait prévu de rendre visite au comte Lorenz à Serrata. Contrairement aux villages où nous avions séjourné jusqu’à présent, la grande ville de l’Empire, Serrata, comptait plus de dix mille habitants et avait donc suffisamment de place pour accueillir temporairement les centaines de survivants du Fort de Tilia. La commandante allait discuter de la manière de gérer les soldats impériaux survivants avec le comte et donner son rapport sur la chute du Fort de Tilia aux hauts gradés de l’armée impériale. Elle estimait que cela prendrait au moins trois jours, au plus une semaine entière.

Pendant ce temps, tous les visiteurs venus de loin, y compris Takahiro, allaient rester dans une aire de repos pour voyageurs dans les faubourgs de la ville. Cependant, vu que plusieurs des serviteurs de Takahiro ne pouvaient pas cacher leur identité de monstres, il leur serait difficile de se détendre dans une auberge ordinaire. C’est pourquoi la commandante était passée par une société commerciale qui avait des liens étroits avec les Chevaliers de l’Alliance pour louer une maison vacante. C’était la raison de notre visite de tout à l’heure.

« Takahiro a rendu les services les plus distingués pendant la défense du Fort de Tilia. De plus, nous lui avons été redevables pendant tout le voyage jusqu’ici. Je n’ai aucune idée du nombre de pertes que nous aurions subies s’il n’avait pas été avec nous. Je ne crois pas que ce soit suffisant pour le rembourser. C’est une question d’honneur que nous l’accommodions du mieux que nous pouvons. »

« Sérieusement. Lily est super forte, hein ? »

« Vous avez entendu, commandante ? » avait répondu l’un des chevaliers. C’était l’un des vétérans, ce qui soulignait à quel point il était compétent. Le personnel des chevaliers avait un taux de rotation élevé en raison de blessures ou de décès. « On dit que, parmi les soldats, certains admirent Lily d’une manière indigne de leur âge. »

« Hmm. »

« Non pas que je trouve ça si incroyable que ça. Même si c’est un monstre, elle est incroyablement attirante, et elle est si vaillante au combat. Elle a aussi sauvé pas mal de soldats avec sa magie de guérison. En plus, elle a de gros nichons. Honnêtement, je suis jaloux. »

« Ne sois pas si vulgaire, » l’avertit la commandante avec une grimace.

J’étais redevable à ce vieux vétéran de toutes sortes de façons. Il était doué pour s’occuper des autres et avait bon caractère. Ses seuls défauts étaient sa tendance à râler et son langage grossier…

« Ne dis pas ça devant Takahiro, » avais-je ajouté. « Sinon, ne te plains pas s’il te bat pour ça. »

« Ha ha. Ces deux-là sont-ils si intimes, hein ? Je serais tellement mort. »

« Sérieusement, fais attention, ok ? »

Takahiro était si sérieux et patient de nature que je me demandais souvent pourquoi il était ami avec quelqu’un d’aussi désinvolte que moi. En même temps, il était du genre à être très effrayant quand il était en colère. Nous nous étions retrouvés dans ce monde étrange, mais il était toujours mon précieux ami, tout comme avant.

Tous les chevaliers que je connaissais, je ne les avais rencontrés qu’en venant ici. C’était mes camarades, et ils idolâtraient tous la commandante. Je n’aimais pas l’idée que leur relation avec mon ami devienne bizarre, alors j’avais fait en sorte d’insister sur mon point de vue.

« Je ne plaisante pas. Fais attention, d’accord ? Il n’en a peut-être pas l’air, mais il est plutôt fort. »

« Hein ? Vraiment ? » Il avait l’air surpris, mais après avoir réfléchi, il avait compris. « Oh, je comprends. Maintenant que vous le dites, il a protégé des points clés de la forteresse pendant le siège de manière totalement indépendante du groupe de la commandante, n’est-ce pas ? »

Tous les chevaliers ici, y compris ce vétéran, avaient combattu dans des endroits différents à l’époque. En fait, les chevaliers qui avaient combattu avec la commandante à l’époque avaient reçu l’ordre de rester plus près de Takahiro maintenant. C’était parce qu’ils étaient plus susceptibles de voir Takahiro sous un jour favorable depuis qu’ils avaient surmonté cette bataille à ses côtés.

« Pendant la bataille contre Juumonji Tatsuya, j’ai entendu dire que Takahiro donnait des ordres à ses serviteurs dans une lutte commune avec le lieutenant. Voulez-vous dire qu’il a aussi combattu à l’époque ? Est-il plus fort que vous ? »

« Eh bien, oui. » Nous avions eu quelques combats simulés jusqu’à présent, mais même avec mon précieux chevalier aérien, je n’avais pas gagné un seul combat malgré le fait que Takahiro n’ait pas utilisé Asarina. « Je ne suis même pas de taille face à lui. »

« Hmmm. Est-ce bon, hein ? » dit-il en se penchant en avant.

Cet homme avait vraiment un grand intérêt pour ces sujets, ce qui correspondait aux longues années qu’il avait passées à risquer sa vie au combat. Les autres chevaliers avaient également été attirés par notre conversation.

« C’est assez pathétique. Je suis loin de pouvoir le battre. »

« C’est bon, » dit un des autres chevaliers. « Vous avez du talent, monsieur. Vous le rattraperez bientôt. »

« Je me demande si… »

Il y avait un petit goût amer dans ma bouche. En réalisant cela, j’avais compris que j’avais fait une erreur. Comme prévu, les chevaliers me regardaient avec curiosité. Je leur avais fait un signe de la main en leur disant que ce n’était rien, et je m’étais forcé à agir normalement en changeant de sujet.

 

 ◆ ◆

« Bon, je m’en vais. Je serai de retour dans un instant. Je suis sûr que tu te sentiras seule, mais attends-moi s’il te plaît. »

« Il n’y a pas besoin de se presser. Il me faudra de toute façon du temps pour distribuer les ordres ici. »

« Euh… commandante ? Je suis blessé quand tu ignores si ouvertement la partie sur la solitude, tu sais ? »

Après cet échange réconfortant, j’étais descendu du véhicule. De là, je m’étais dirigé vers une colline légèrement dégagée, à une courte distance de la ville. Les survivants du Fort de Tilia y avaient installé leur camp. Ils venaient de commencer à construire des défenses en cas d’attaque de monstres et s’affairaient. Ayant enfin atteint Serrata, ils se sentaient libérés et soulagés de leur pénible voyage. Cela se voyait dans leurs expressions joyeuses.

J’avais marché jusqu’à la limite du campement. Là, une manamobile était garée à côté de la forêt qui occupait la moitié de la colline. Après avoir échangé des salutations avec les chevaliers qui montaient la garde à une petite distance, j’avais appelé les personnes à l’intérieur du véhicule.

« C’est Mikihiko. Il y a quelqu’un ? »

« Mikihiko ? Je t’en prie, entre. »

Avec la permission de Rose, j’avais soulevé le tissu pour entrer dans la manamobile.

« Oh, attends. N’entre pas encore, » dit Katou en panique.

Mais c’était bien trop tard. J’avais déjà fait un pas à l’intérieur.

« Hwuh ? »

J’avais été accueilli par un sein.

C’était une surprise heureuse et embarrassante… sauf que ça ne l’était pas du tout. C’était une bonne chose que ça ne le soit pas, Takahiro m’aurait tué. Mais bien que je ne sois pas tombé sur une des filles nues, il y avait en fait un sein sur le sol.

Ouaip, je n’ai aucune idée de ce qui se passe.

« Est-ce que je dors suffisamment… ? »

Je m’étais frotté les yeux, mais ce n’était pas une hallucination. C’était évident. J’avais certes un intérêt extraordinaire pour la poitrine de la commandante, mais tout de même, je n’étais pas anormalement affamé au point de voir une telle hallucination. Il y avait en fait un sein sur le sol de la manamobile. Un énorme en plus. Ceux de Lily étaient suffisamment splendides pour qu’on puisse les voir à travers ses vêtements, mais celui-ci semblait encore plus gros.

Cependant, en regardant de plus près, elle était un peu déformée. Franchement, ce n’était pas vraiment sexy. Comment pourrais-je même le décrire ? C’était comme si un élève de primaire obsédé par le sexe, mais n’ayant jamais vu la réalité avait essayé de créer un dessin en trois dimensions entièrement guidé par la libido… Quelque chose d’à peine croyable comme ça. Non pas que cette analogie ait vraiment un sens.

Au premier coup d’œil, cela ressemblait à un sein, mais la texture du matériau était clairement différente. De plus, les seins vont généralement par paire, mais il n’y en avait qu’un seul ici. J’étais encore totalement confus alors que Katou récupérait l’objet mystérieux avec agitation.

« Hum, est-ce ton sein ? » avais-je demandé par réflexe.

Qu’est-ce que tu demandes, abruti ?

« Ce n’est pas le cas. »

Katou l’avait évidemment nié. Sa voix tremblait très légèrement et elle s’était immédiatement dirigée vers Rose. Elle s’était ensuite blottie contre la marionnette, qui était assez grande pour une femme, et avait regardé dans ma direction, se cachant à moitié derrière elle.

Si on ne connaissait pas les circonstances, on pourrait trouver son comportement grossier, mais c’était juste la façon dont je parlais avec Katou. Ça ne m’avait pas dérangé. Vu qu’elle semblait prête à s’effondrer à tout moment lors de notre première conversation, c’était en fait une grande victoire pour elle. Je pouvais vraiment sentir combien elle aimait sincèrement Takahiro et Rose.

« Oh, j’ai oublié de me nettoyer. Je suis contente que mon maître n’ait pas vu ça, » dit Rose en prenant le faux sein de Katou et en le mettant dans un sac.

« Hé, Rose. Qu’est-ce que c’était ? » avais-je demandé.

Elle avait tourné son visage masqué vers moi. « Si tu veux créer un corps de type humain, les seins sont importants. C’est ce que Mana m’a dit. »

« Hein ? Eh bien, tu marques un point là. Je pense qu’ils sont super importants, non ? »

« J’ai essayé de créer une poitrine de femme dans l’espoir de l’adapter à l’avenir à mon propre corps. Ce n’était rien de plus qu’un prototype, destiné à être jeté avant de créer ma propre poitrine, mais le résultat était plutôt médiocre. Mana a dit que plus c’est gros, mieux c’est, mais créer une partie du corps humain entièrement basée sur mon imagination s’est avéré plutôt difficile. »

« Je parie que oui. Cependant, je ne pense pas que Takahiro ait vraiment un penchant pour les gros seins ou autre. »

« Vraiment ? Alors Mikihiko, quelle sorte de poitrine penses-tu que mon maître aimera ? »

***

Partie 2

Hein ? Est-ce à moi que tu demandes ça ? Je l’avais dévisagée, mais Rose attendait sérieusement une réponse. Elle était pondérée par nature, mais elle pouvait aussi être tête en l’air. De toute façon, comment me suis-je retrouvé à parler à une fille des préférences sexuelles de mon ami ? Les yeux de Katou me disaient de ne rien dire d’étrange. Elle n’avait pas l’air de pouvoir supporter une autre conversation. Et moi non plus. Mon seul choix était de régler ça de la manière la plus sûre possible.

« Uhhh… Voyons voir… N’est-il pas préférable de choisir ce que tu penses être le mieux ? Je veux dire, c’est comme donner un cadeau que tu penses être le plus approprié selon toi. »

Ce n’était pas tout à fait la même chose, mais Rose était apparemment convaincue.

« Je vois. Ce que je pense être le mieux, dis-tu ? » Les yeux sous son masque s’étaient tournés vers Katou pour confirmation.

« Il a raison, » ajouta Katou. « Si tu fais ce que tu penses être le plus mignon, ça pourrait être le meilleur choix. De plus, il semble qu’il y ait une limite à ce que l’on peut faire en se basant uniquement sur l’imagination. Il serait préférable d’enquêter un peu plus avant de faire quoi que ce soit. »

Rose s’était retournée vers moi avant même que Katou ne remarque le regard étrange qu’elle avait dirigé vers elle.

« Merci beaucoup, Mikihiko. Cela a été utile. »

Elle avait incliné la tête courtoisement. Je n’avais pas vraiment compris, mais il semblerait que les choses étaient réglées. J’avais l’impression qu’il pouvait encore y avoir quelques problèmes malgré la conclusion sûre, mais c’était probablement juste mon imagination. Ce qui allait se passer ensuite n’avait rien à voir avec moi.

« Au fait, pourquoi es-tu ici, Mikihiko ? » demanda Rose en levant la tête.

« Oh, c’est vrai. Je ne vois Takahiro nulle part. Sais-tu où il se trouve ? »

« Mon maître est sorti un peu avec Lily et Gerbera. »

« Je vois. OK alors, je vais aller jeter un coup d’œil. »

J’avais remercié Rose, puis j’avais laissé la manamobile derrière moi.

 

 ◆ ◆

J’avais trouvé Takahiro dans la forêt derrière la manamobile. Ils étaient hors de vue parce que Gerbera était avec eux. Je pouvais deviner ce qu’ils étaient en train de faire. J’avais levé la main alors que Lily se tournait vers le bruit de mes pas, puis j’étais entré dans la petite clairière de la forêt. Si on ne connaissait pas les circonstances, la scène devant moi aurait ressemblé à un monstre tuant un garçon.

« Shyaaah ! »

La Grande Araignée Blanche était passée à l’attaque. La simple présence qu’elle dégageait était de la puissance pure. Cela frappa ma peau et paralysa mon corps tout entier. Je m’y attendais, mais j’avais l’impression d’être sur le point de hurler de façon pitoyable, alors je m’étais mordu la lèvre. J’avais sincèrement pensé qu’ils étaient étonnants. À la fois Gerbera… et le gars qui lui faisait face.

« Oooh ! »

Takahiro poussa un rugissement et se positionna debout sans aucune hésitation dans ses mouvements. Il repoussa une patte avec son épée, en repoussa une autre avec son bouclier, puis sauta sur place pour éviter la suivante.

Bien qu’elle se soit retenue, les attaques de Gerbera avaient beaucoup de force en elles. Un coup d’éclat l’avait fait basculer. Le coup de grâce était ensuite venu avec une patte d’araignée qui s’était écrasée au sol. Takahiro avait réussi de justesse à rouler hors de la trajectoire. Il se remit immédiatement sur ses pieds, mais il fut accueilli par une série d’attaques sans merci. Takahiro s’en était bien sorti, mais l’un des coups avait quand même touché son bras supérieur.

Les griffes de Gerbera étaient repliées, mais c’était à peu près la même chose que d’être frappé avec un marteau. Takahiro avait poussé un cri étouffé en perdant la prise sur son épée. Elle était tombée sur le sol. Néanmoins, il n’avait pas laissé la douleur émousser son jugement. Takahiro capta la prochaine frappe avec son bouclier et utilisa l’impact pour sauter en arrière et prendre de l’espace. Il baissa la taille, se préparant à l’attaque suivante, même si son bras droit pendait librement.

« C’est assez ! Maître ! Ça suffit ! » cria Lily en frappant ses mains l’une contre l’autre.

Takahiro et Gerbera avaient tous deux dissipé leur esprit combatif. Lily déploya un glyphe de guérison et courut immédiatement à ses côtés.

« Aah... Bon sang. Comme c’est pathétique. J’ai en quelque sorte manqué le dernier, » grommela Takahiro.

« Tu commences après tout à être fatigué, » dit Gerbera. « Mais quand même, c’était une performance impressionnante pour ne pas avoir l’aide d’Asarina. D’ailleurs, j’ai trouvé ta réaction à la fin plutôt impressionnante, juste pour que tu le saches. »

« Plus important, » coupa Lily, « Vas-tu bien, Maître ? Le dernier coup t’a bien touché. »

« Ce n’est rien de grave. Je pense que ce n’est pas cassé, » répondit Takahiro. « Oh, hein. Tu es aussi ici, Mikihiko ? »

La lumière blanche de la magie de guérison avait illuminé le visage de Takahiro, soulignant son teint plutôt pâle. Même si le dernier coup n’avait pas brisé d’os, il en avait à tous les coups fissuré certains.

« As-tu besoin de me parler ? » demanda Takahiro.

« Oui. J’ai un message de la commandante. »

Je commençais à marcher vers Takahiro quand j’avais remarqué l’épée qu’il avait laissé tomber. Je m’étais baissé pour la ramasser… et j’avais vu ma paume couverte de sueur.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Takahiro.

« Ce n’est rien. »

J’avais rapidement essuyé ma main contre mes vêtements et ramassé l’épée, puis j’avais couru vers lui.

 

 ◆ ◆

Après avoir informé Takahiro de la maison que nous avions réussi à acquérir dans les faubourgs et fait le point avec le chevalier qui devait les guider, j’étais retourné auprès de la commandante. Elle m’avait demandé où en était le campement et m’avait informé des ordres qu’elle avait donnés pendant mon absence. Puis nous étions montés dans une manamobile et avions pris la direction de Serrata. La ville était à environ une demi-journée de cheval.

« Commandante, tu as l’air un peu pâle. Que dirais-tu de faire une sieste jusqu’à ce que nous atteignions Serrata ? » Je le lui avais suggéré sur un ton un peu plus fort que la dernière fois.

Elle était presque blanche comme un linge maintenant. Peu importe comment je voyais les choses, elle se poussait trop.

« Il y a encore beaucoup de choses auxquelles je dois réfléchir avant de parler avec le comte. »

« Dans ce cas, si je te faisais au moins un massage des épaules ? Avec de sales intentions ? »

« “Avec de sales intentions” est clairement hors de question. »

« Ouaip. Donc si tu ne veux pas de ce massage, alors s’il te plaît, dors un peu. Si tu parles dans cet état, tu ne seras peut-être même pas capable d’avoir une conversation correcte. »

Elle y avait un peu réfléchi, puis elle avait hoché la tête. « Alors, juste pour un court moment. »

La commandante avait croisé les bras, s’était adossée à son siège et avait fermé les yeux. J’avais laissé échapper un soupir de soulagement. Je lui avais jeté un regard lorsqu’elle s’était assise à côté de moi. Elle était plus grande que moi, et son corps était musclé. Elle avait vraiment le corps d’un chevalier endurci… mais il y avait quand même une limite à cette robustesse. Il y avait beaucoup à faire et pas assez de mains pour le faire. Dans ce monde, il était impossible de commander des gens en action sans un certain niveau de statut. Avec les hauts gradés du Fort de Tilia anéantis, la commandante était la seule parmi les survivants à pouvoir donner des ordres.

Naturellement, elle avait fini par se concentrer sur son travail. Elle avait rassemblé les forces dévastées de l’armée et s’était occupée de tout ce qui devait être fait pour évacuer le Fort de Tilia. Une fois cela terminé, elle avait déplacé un grand groupe de non-combattants et de soldats blessés à travers les dangereuses forêts. Sans Shiran à l’avant et Takahiro à l’arrière, elle se serait probablement effondrée en chemin.

C’était honnêtement très frustrant. Contrairement à ces deux-là, je ne pouvais pas la protéger autrement qu’en utilisant mon statut de sauveur.

Est-ce que je peux devenir fort comme lui ? Je n’arrêtais pas de me dire. Heureusement, j’avais soi-disant un talent pour le combat. Je ne l’aurais jamais remarqué dans notre monde, mais lorsque je tenais une épée ou une lance, j’avais des instincts mystérieusement bons. Cependant, c’était différent de la capacité inhérente d’un visiteur. C’était plutôt comme si tous les rouages en moi s’engageaient parfaitement. En fait, Gerbera m’avait dit la même chose.

« D’après ce que j’ai vu, tu sembles avoir plus de talent pour le combat. »

Cette affaire impliquait son précieux seigneur. Elle ne mentait certainement pas. Je pouvais dire que je me rapprochais des compétences de Takahiro à l’épée à un rythme significatif, mais je ne savais pas quelle signification il y avait derrière cela.

Je m’étais souvenu de l’entraînement de Takahiro plus tôt. Il y était allé en supposant qu’il allait verser son propre sang. Les os cassés étaient bien dans les limites permises. Si quelqu’un devait subir un entraînement aussi sévère dans notre monde, cela entraverait sa croissance. C’était seulement possible ici grâce à la magie de guérison.

Takahiro se poussait aussi loin qu’il le pouvait. Il était sûr de devenir plus fort. Même tel qu’il était maintenant, il était déjà plus fort que moi et que tous ceux qui m’entouraient. Une petite différence dans le talent naturel ne signifie rien. Dans ce cas, si j’étais aussi…

« Ne te fais pas d’idées, Mikihiko. » Avant que je ne le sache, la commandante avait légèrement ouvert les yeux. « Je crois que je sais exactement à quoi tu penses. »

« Que veux-tu dire… ? »

« Ne fais pas l’idiot. Depuis un moment maintenant, après être allé voir Takahiro, tu as parfois l’air de ruminer quelque chose. Je peux au moins deviner à quoi tu penses. Alors, laisse-moi te le dire maintenant. Oublie ça. » Malgré son regard froid, sa voix était plutôt un avertissement inquiet. « Pour une fois, j’ai aussi assisté à l’entraînement de Takahiro. »

« Toi aussi ? Il peut s’entraîner comme ça parce que ce monde a une magie de guérison, non ? »

« Oui, tu as raison. Pourtant, même si c’est possible, personne ne le fait de cette façon. Personne n’y penserait normalement, et même s’ils y pensaient, ils n’essaieraient pas vraiment. Et s’ils l’essayaient quand même, ils ne pourraient pas le faire sans conviction. Sans parler de le faire de manière continue… Ce n’est tout simplement pas possible sans un maître de la magie curative de haut niveau comme Lily à proximité. Même parmi les chevaliers… Eh bien, même eux ne le feraient pas. »

La raison pour laquelle elle tournait en rond était probablement due à ce que Shiran avait fait dans le passé pour devenir plus forte. J’en avais entendu parler avant quand un des chevaliers était ivre et un peu bavard.

« Commandante… »

« J’en ai un peu trop dit. Je vais me rendormir. »

Elle avait fermé les yeux une fois de plus. Cette fois, elle s’était vraiment endormie. Je pouvais entendre sa respiration changer tout de suite. Son corps robuste s’était appuyé contre le mien.

 

 

Mon cœur brûlait sous le poids de ce qui m’était cher. Mais dans l’état actuel des choses, c’était la seule façon de la soutenir…

« Je vais aussi devenir plus fort, commandante. »

À ma façon, sans perdre face à lui. Pour qu’un jour, je puisse au moins te soutenir.

J’avais renforcé ma détermination alors que la manamobile continuait à rouler. À ce moment-là, je ne savais toujours pas quel sort m’attendait.

***

Chapitre 12 : Temps calme dans les faubourgs

Partie 1

Après nous être séparés des survivants du Fort de Tilia, qui nous avaient accompagnés jusqu’ici, nous nous étions arrêtés sur une aire de repos pour voyageurs dans les faubourgs de Serrata. Nous étions logés dans une maison louée que la commandante avait préparée pour nous par l’intermédiaire d’un des fournisseurs des Chevaliers de l’Alliance.

J’avais reçu quelques leçons de Shiran, puis je m’étais lavé de ma sueur et étais retourné dans ma chambre. La satisfaction et un agréable sentiment de fatigue m’avaient envahi. Depuis que Shiran avait commencé à m’enseigner l’art de l’épée, je commençais à ressentir une réelle amélioration avec une lame. C’était très différent de la simple acclimatation à l’acte de combattre. Encouragé par la croissance frappante de Mikihiko, qui dépassait de loin la mienne, je ne me sentais pas seulement comblé par l’entraînement, mais véritablement heureux.

« Mon Seigneur, regarde. N’est-ce pas amusant ? »

Alors que j’essuyais mes cheveux mouillés avec une serviette, Gerbera s’était approchée joyeusement de moi.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« C’est Rose qui me l’a donné, » dit Gerbera en tenant dans sa main un bâton noir d’une vingtaine de centimètres de long. « Hyup ! »

Elle balança le bâton avec un cri enjoué, et un tuyau plus fin sauta à l’extrémité. Le tuyau s’était fixé en place par friction et était resté complètement étendu. C’était un bâton extensible.

« Oh, oui. J’ai entendu dire qu’elle avait fait quelque chose comme ça. »

C’était une des suggestions de Katou. Elle n’y connaissait pas grand-chose elle-même, donc la connaissance de son fonctionnement interne venait de Mikihiko. Rose était au milieu d’une période d’essai et d’erreur pour de nombreuses choses différentes. Dans le cadre de cette période, elle mettait activement en pratique les nouvelles connaissances et les nouveaux concepts. Elle gardait à l’esprit toute application pour une utilisation future, mais pour l’instant, elle fabriquait des choses sans se demander si elles nous étaient utiles. La plupart de ces objets avaient fini par devenir des jouets pour Gerbera et Kei. Ces deux-là trouvaient que les petits gadgets étaient un vrai mystère, tout comme n’importe quel objet lié à la magie me touchait.

« Et aussi ! Regarde ça ! J’ai même eu ce petit truc ! »

Gerbera avait sorti une poupée en bois de la taille de sa paume. C’était une boule de dix centimètres avec des traits tels qu’un visage, des cheveux, des vêtements et des mains gravés sur sa surface. Il semblait être une caricature de Lily.

« Comme c’est mignon, » avais-je dit.

« Mhm. Mais ce n’est pas tout. Regarde, ça s’ouvre ici. »

La poupée s’était séparée en deux au niveau de l’estomac avec un bruit sec. L’intérieur des deux morceaux était creux, révélant une plus petite Lily à l’intérieur.

« Une poupée matriochka ? »

Qu’est-ce que Mikihiko a appris à Rose… ? Je trouvais cela un peu douteux, mais en voyant Gerbera s’amuser autant, j’avais décidé que c’était une bonne chose. Gerbera avait ouvert la plus petite Lily et en avait sorti une petite poupée-renarde. Celle-ci était Ayame.

« Hehehe. C’est mignon, n’est-ce pas ? »

À en juger par son apparence, Gerbera avait le même âge que moi, si ce n’est un peu plus. Normalement, je me serais demandé comment elle pouvait apprécier ce genre de choses autant que Kei, mais…

« Attention à ne pas le casser… »

Voir l’étincelle enfantine dans ses yeux rouge sang me rendait heureux. C’était un peu différent de regarder Kei de bonne humeur, mais c’était tout de même charmant. Ce n’était pas tout, cependant. J’avais l’impression que je pouvais éternellement contempler ce sourire.

Un sourire s’était naturellement dessiné sur mes lèvres alors que je jetais un coup d’œil à la pièce. En plus de Gerbera, Lily et Shiran étaient également présentes. Rose, Katou et Kei étaient dans la pièce voisine. J’avais entendu dire qu’elles avaient réussi à acheter des teintures ici l’autre jour en utilisant les chevaliers comme intermédiaires. Elles m’avaient dit qu’elles fabriquaient des vêtements. Cependant, je n’avais pas été informé des détails.

J’entendais faiblement leurs voix joyeuses à travers les murs minces. Cela m’avait fait comprendre à quel point cette période était tranquille. Je m’étais demandé si cela deviendrait un événement quotidien une fois que nous aurions atteint la maison de la commandante à Aker. Le simple fait de l’imaginer me donnait des frissons dans le cœur. Je pouvais imaginer un avenir heureux pour nous tous.

 

 ◆ ◆

Il y avait trois chevaliers qui logeaient avec nous dans cette maison, dont Shiran. Les autres se partageaient entre la garde des autres élèves et la permanence des soldats de l’armée dans le campement.

Quant à la commandante, après nous avoir aidés à obtenir cette maison, elle avait emmené quelques chevaliers avec elle à Serrata. Mikihiko l’accompagnait aussi. Ils étaient partis il y a deux jours. Elle devait s’occuper de toutes sortes de procédures et de négociations, comme le transfert des soldats, donc au minimum, j’avais entendu dire que cela allait prendre trois jours. Le plan était de partir immédiatement pour Aker une fois qu’elle aurait terminé. Il était temps pour nous de retrouver nos esprits.

« Aah, zut. Encore un échec… »

Lily avait haussé la voix juste au moment où Gerbera était partie dans la pièce voisine à la demande de Katou. J’étais en train de parler à Shiran du contenu de l’entraînement d’aujourd’hui et des conseils qu’elle devait donner à mes serviteurs à l’avenir. Lily, qui était assise sur le lit, avait levé les deux mains et était tombée en arrière.

Pour être plus précise, elle avait jeté ses deux bras en l’air. Ils se terminaient actuellement par des moignons au niveau du poignet. Elle n’était pas blessée. Elle avait juste essayé de maintenir sa forme humaine tout en imitant une créature totalement différente avec ses mains. Cette seconde forme mimétique s’était effondrée. Dernièrement, Lily avait mis tous ses efforts pour essayer d’actualiser un mimétisme partiel. Mais ça n’allait pas dans son sens.

De la gelée avait jailli de ses deux moignons et avait pris la forme de mains humaines. Lily était restée allongée sur le lit, regardant le plafond avec une expression maussade.

« Ne te pousse pas trop, » avais-je dit en prenant place sur le lit à côté d’elle et en poussant le pli entre ses sourcils.

« Aie. Bon sang… Maître ? »

« Et si tu faisais déjà une pause ? »

« Dois-je préparer du thé ? » demanda Shiran en se levant.

« Oh. Dans ce cas, je vais t’aider, » dit Lily en se relevant.

Mais Shiran secoua la tête. « Tu ne sais toujours pas comment le faire, n’est-ce pas ? S’il te plaît, vas-y doucement, Lily. »

Shiran quitta la pièce en souriant agréablement. Ses pas avaient descendu l’escalier. Maintenant que nous étions seuls, Lily s’était blottie contre moi.

« Hmmm, mmmmrgh... Peut-être que c’est inutile après tout. »

Lily se blottissait souvent contre moi, mais aujourd’hui, c’était plutôt comme si elle s’appuyait sur moi. Elle était complètement sans force.

« Lily. »

J’avais pris le corps doux de Lily dans mes bras. Elle n’avait pas du tout résisté. Elle glissa son corps épuisé vers le bas, se tortilla pour ajuster sa position. Puis elle posa sa tête sur mes genoux.

 

 

« Hmmm... »

Elle avait frotté sa joue avec gentillesse contre ma cuisse, comme un chat.

« Hey, Lily, » avais-je dit, en jouant avec sa frange.

« Oui ? »

« Peut-être te sens-tu sérieusement déprimée par cette situation ? »

« Peut-être, » avait-elle dit en se retournant. Elle m’avait fait un faible sourire. « Je le savais déjà… Peut-être que c’est juste ma limite en tant que slime mimétique… »

La première fois qu’elle avait parlé de mimétisme partiel, c’était peu après avoir quitté le Fort de Tilia, avant d’atteindre le premier village de récupération. C’était il y a vingt jours, et le succès n’était toujours pas au rendez-vous.

Lily laissa échapper un petit soupir. « Même si je dois réussir pour que mes capacités de monstre s’épanouissent pleinement… »

« Je comprends ce que tu essaies de dire… »

Si elle y parvenait, elle serait en mesure d’utiliser toutes ses capacités sans aucun inconvénient. Par exemple, aucun monstre normal ne pourrait combattre la Grande Araignée Blanche des Profondeurs dans un combat direct. En termes de force, de résistance, de vitesse, de récupération, et de tout ce qui concerne le combat, Gerbera était dans la classe ultime. Il serait difficile de rivaliser avec elle dans un seul de ces domaines. Même si c’était possible, on serait dépassé dans tous les autres domaines.

Mais si Lily pouvait imiter des parties de son corps ? Alors elle pourrait utiliser les meilleures parties de chaque monstre. Peut-être qu’elle pourrait même repousser Gerbera… Si c’était possible, bien sûr.

« Hey, Lily. Ça ne sert à rien de déprimer, n’est-ce pas ? » avais-je dit en touchant sa joue. « Les humains peuvent sauter en l’air, mais nous ne pouvons pas voler dans le ciel. Nous pouvons utiliser nos mains pour nager, mais nous ne pouvons pas descendre à des milliers de mètres dans les profondeurs. Il y a des choses que nous pouvons et ne pouvons pas faire. Tu es un monstre, mais il y a quand même une limite, non ? »

« Mais les humains peuvent voler et plonger dans les profondeurs. »

Lily avait l’air d’une enfant qui cherchait des excuses. Cela avait fait naître un sourire en coin sur mon visage. Elle s’était toujours comportée comme la grande sœur parmi tous mes serviteurs, il était donc étrange qu’elle se comporte de manière si déprimée. Elle avait toujours été celle qui me soutenait, j’étais donc heureux qu’elle dépende de moi comme ça.

« Je veux dire, c’est seulement en utilisant des avions et des sous-marins, » avais-je dit.

« Hm… C’est vrai, mais tu sais… »

J’avais caressé son front pour la réconforter. Lily ferma les yeux. Notre temps seul s’était écoulé tranquillement.

Après un moment, Lily murmura. « Mais Maître ? »

« Oui ? »

« Même s’ils doivent s’appuyer sur des machines, il est toujours possible de voler et de plonger dans les profondeurs, non ? »

***

Partie 2

Pour une raison inconnue, j’avais senti un frisson me parcourir l’échine. Peut-être était-ce parce que j’associais l’expression excessivement calme de son visage, les yeux fermés, à celle d’un ecclésiastique martyrisé.

« Lily ? »

Elle ouvrit lentement les yeux, puis… elle commença à cligner des yeux de surprise.

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a, Maître ? »

Lily leva les yeux vers moi avec une expression curieuse. C’était la Lily habituelle. J’avais perdu les mots que je m’apprêtais à dire et je m’étais gratté la joue.

« Non… Ce n’est rien. »

« Bizarre. » Lily gloussa, puis se redressa. « Merci de m’avoir dorlotée. Je me sens un peu mieux maintenant. »

« C’est vrai ? Très bien alors. »

Elle était redevenue comme avant. J’étais heureux d’être utile quand elle se sentait déprimée.

« De plus, il n’est pas encore décidé que c’est impossible. Si ça l’est, je peux juste penser à un autre moyen de le faire. Hm. Je vais continuer un peu plus longtemps. »

« Ne t’épuise pas trop, d’accord ? » Je l’avais prévenue alors qu’elle serrait légèrement les poings.

C’était bien qu’elle ait retrouvé son énergie, mais tout cela n’aurait servi à rien si elle s’était encore surmenée.

Après y avoir réfléchi, j’avais fait une suggestion. « Oh oui. Que dirais-tu de sortir en ville pour changer d’air ? »

« Un changement de rythme ? »

« Oui. Ça pourrait être une bonne idée de sortir dîner ou autre. »

Lily avait réfléchi, puis elle m’avait fait un signe de tête ferme.

 

 ◆ ◆

Nous travaillons actuellement avec les chevaliers. De ce fait, ils s’occupaient directement de tous nos repas et de nos besoins. Nous n’avions pas vraiment le choix, compte tenu de Rose et Gerbera, mais je sentais que nous ne pouvions pas laisser faire.

En un sens, c’était l’occasion parfaite pour Lily et moi de sortir et de découvrir comment les gens vivaient dans ce monde. Nous avions cependant besoin de quelqu’un qui pouvait utiliser une pierre runique de traduction pour nous accompagner. Shiran devait attendre un contact régulier de la part des chevaliers du campement, elle ne pouvait donc pas venir avec nous. C’est pourquoi nous avons emmené Kei.

Comme nous étions si proches de la ville commerciale de Serrata, l’agitation des gens dans ces faubourgs était beaucoup plus vive que dans les villages que nous avions traversés auparavant. J’entendais des poulets qui faisaient du bruit au loin. Le son des employés joyeux appelant les clients à l’extérieur des magasins serrés les uns contre les autres résonnait par-dessus le bruit de la population.

Plus de la moitié des personnes que nous avions vues avaient des épées à la taille. Ils portaient généralement des vêtements de voyage, mais certains semblaient clairement être des locaux. L’autodéfense était nécessaire tant que la menace des monstres existait, mais la vue de personnes portant ouvertement des armes comme si c’était tout à fait normal était quelque chose à laquelle je n’étais pas habitué en tant que citoyen japonais.

Nous avions continué à discuter de ce genre de choses et Kei m’avait adressé un sourire amical. « Une fois que nous aurons atteint Aker, je suis sûr que vous serez surpris. »

Apparemment, ça allait être encore plus incroyable là-bas. J’avais entendu dire qu’il y avait une forte éthique militariste, alors peut-être que ça avait quelque chose à voir avec ça. Alors que mes pensées dérivent vers un pays que je n’avais pas encore vu, je continuais à marcher dans les rues et à écouter Kei.

Pendant ce temps, je sentais les regards se poser sur nous de temps en temps. La moitié d’entre eux regardaient l’elfe Kei, l’autre moitié nous regardait, Lily et moi. Les traits de notre visage en tant que visiteurs différaient de ceux des humains ici. Bien sûr, nous attirions l’attention. En fait, j’avais l’impression que notre statut de visiteurs allait provoquer un énorme tumulte, mais heureusement, cela ne s’était pas produit.

Il y avait une raison à cela. Certaines personnes dans ce monde avaient ce qu’ils appelaient du sang béni. Le nom était assez explicite. Nous appelions nos pouvoirs inhérents des tricheries, mais ici ils les appelaient des bénédictions tout au long de leur histoire. Le sang béni était un surnom né de cela. En bref, ils étaient les descendants des visiteurs.

Ce monde avait vu des visiteurs une fois par siècle depuis des lustres. Plusieurs d’entre eux étaient morts au combat sans laisser d’enfants, mais beaucoup avaient vécu une vie bien remplie. Naturellement, leurs descendants vivaient toujours. Il y avait des Asiatiques parmi les sauveurs, alors en raison de cela, même si nous marchions dans la ville comme ça, nous n’étions rien de plus qu’une apparition rare.

Quoi qu’il en soit, j’avais essayé d’ignorer les regards et j’avais continué ma promenade dans la ville. J’avais vu un bon nombre d’enseignes en métal accrochées aux bâtiments. Lily et moi avions deviné de quel genre de magasins il s’agissait en nous basant sur les panneaux, et Kei nous avait indiqué si nous avions raison. Nous avions eu raison pour environ un tiers d’entre eux. Les panneaux comportaient des illustrations pour indiquer le type de magasin, mais nous ne pouvions pas identifier certains des symboles les plus radicaux, et parfois Kei ne pouvait même pas expliquer pourquoi ces panneaux identifiaient leurs magasins. Je m’étais assuré de ne pas gâcher cette opportunité et j’avais mémorisé toutes les informations nécessaires.

Nous avions fini par déjeuner dans une boutique au hasard. J’avais utilisé l’argent que la commandante m’avait donné en récompense de mon service de garde pour acheter des pains plats et du rôti salé. C’était aussi une expérience d’apprentissage. Je connaissais déjà les différents types de monnaies et leur utilisation, mais il fallait en dépenser réellement pour s’y habituer. Il était également important d’avoir une idée de la quantité d’argent dont nous avions besoin pour acheter du pain.

Nous avions porté notre nourriture jusqu’à une place en ville. Nous étions allés à l’extérieur, là où nous ne gênerions pas la circulation, et nous avions pris notre repas. De là, nous avions une vue sur Serrata, où la commandante était censée être maintenant.

Les Terres forestières envahissaient le comté de Lorenz par le sud, et les Bois Sombres le bloquaient par le nord. À l’ouest se trouvaient les régions céréalières du comté de Longue. L’est bordait le pays de Viscum, l’un des Trois Royaumes de l’Est. La route principale entrait le comté de Longue et Viscum passait par Serrata, et avec le margraviat de Maclaurin près du nord, c’était l’un des principaux centres de distribution des marchandises dans le sud de l’Empire. C’est pourquoi Serrata était appelée la ville du commerce.

Cependant, l’apparence de la ville allait à l’encontre de son nom. D’imposants murs garnis de tours défensives couraient sur tout le périmètre de la ville. C’était une ville fortifiée, pour ainsi dire. La position de Serrata était élevée, et elle était entourée de deux couches circulaires de murs. Cela donnait un aperçu de la croissance et de l’expansion de la ville.

Ce type de paysage était apparemment assez commun dans ce monde. Ils pouvaient utiliser la magie de la terre pour les constructions ici. De plus, en raison de la menace des monstres, le génie civil était au centre des avancées technologiques. Les murs défensifs des villages de récupération étaient impressionnants, mais ils semblaient bien maigres comparés à ceux de Serrata.

À quelques exceptions près, les grandes villes de ce monde avaient été construites autour de telles forteresses qui avaient déjà rempli leur fonction. Étant donné qu’elles devaient toujours être prêtes à faire face à une attaque de monstres, il était parfaitement naturel que les villes prennent une telle forme.

Le fort de Serrata est actuellement occupé par le seigneur féodal des terres, la Maison Lorenz. Ses troupes et une partie de l’armée impériale du Sud y étaient en garnison. La commandante avait choisi de visiter d’abord la ville la plus proche, car le Fort de Tilia avait perdu ses moyens de communication à longue distance. Le Fort de Serrata était le même type de forteresse que le Fort de Tilia et disposait du même équipement.

Après avoir terminé mon repas, j’avais contemplé la majesté du Fort de Serrata et j’avais attendu que Kei ait fini de manger.

« Hé, Maître ? » Lily déclara tout d’un coup. J’avais trouvé cela étrange. Il y avait un léger soupçon de tension dans sa voix. « N’est-ce pas un peu bruyant par là ? »

Elle regarda vers une ruelle étroite qui menait à cette place. Je ne pouvais rien entendre, mais je ne pensais pas que Lily se faisait des idées. Ses organes sensoriels étaient bien plus aiguisés que ceux d’un humain.

« C’est… Oui, mais pourquoi… ? »

Son expression devenait de plus en plus sinistre. Il était clair que quelque chose était en train de se passer. J’avais inconsciemment vérifié le bouclier sur mon dos et l’épée à ma taille. S’il y avait le moindre soupçon de danger, nous devions être capables de nous enfuir à tout moment. C’est ce qui m’était immédiatement venu à l’esprit, mais les mots suivants de Lily m’avaient fait retirer ces pensées immédiatement.

« Je pense… qu’un des chevaliers de l’Alliance est poursuivi par un grand groupe de personnes. »

« Quoi ? »

« Poursuivi !? Qu’est-ce que tu veux dire !? » hurla Kei, laissant tomber son pain à moitié mangé sous le choc.

« Je ne sais pas… Que devons-nous faire, Maître ? » demanda Lily après avoir secoué la tête.

Honnêtement, c’était beaucoup trop soudain. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait, mais je n’avais pas le temps de m’asseoir ici et d’y réfléchir.

« Nous ne pouvons pas le laisser faire. De plus, cela pourrait être dangereux pour nous si nous ignorons la situation. »

Nous avions une dette envers les Chevaliers de l’Alliance. De plus, je restais dans cette ville avec Rose et Gerbera. S’il y avait une sorte d’urgence avec les Chevaliers de l’Alliance, cela pourrait les mettre en danger.

« Kei, tu restes ici… »

« J’y vais aussi ! » Kei m’avait coupé la parole.

J’avais hésité un instant, me demandant si je devais essayer de la convaincre du contraire, mais il n’y avait personne à proximité avec qui la laisser, alors il valait mieux la garder à portée de main.

« OK. Lily, emmène-nous là-bas. »

Lily m’avait fait un signe de tête et avait pris la tête alors que nous courions vers l’agitation.

***

Chapitre 13 : Un changement soudain

Nous avions couru en file indienne dans l’étroite ruelle. Les gens que nous croisions avaient l’air de se demander pourquoi nous étions si pressés. La ruelle devenait de moins en moins peuplée à mesure que nous avancions. L’atmosphère désolée était probablement due au fait que le chevalier en fuite dont Lily avait parlé essayait d’éviter le regard du public. Plusieurs minutes plus tard, j’avais moi-même commencé à entendre le tumulte.

« Saisissez-le ! » Quelqu’un avait crié.

Nous avions tourné le coin et avions trouvé ce qui semblait être un groupe d’une douzaine de soldats qui pointaient leurs lances sur un seul homme. Il ne portait pas d’armure, mais j’avais reconnu son visage. Il était certainement l’un des chevaliers de l’Alliance.

Ses mouvements étaient raides, peut-être à cause d’une blessure. C’est pourquoi les soldats ici présents avaient réussi à le rattraper. Plusieurs soldats gémissaient et gisaient sur le sol de cette ruelle un peu plus large. Si ce chevalier avait vaincu quelques soldats malgré cette grande différence de nombre, ses compétences étaient plutôt impressionnantes. Pourtant, une telle résistance ne faisait que provoquer leur colère.

« Espèce de fils de… ! »

Un des soldats s’était jeté sur le chevalier avec sa lance. Leurs ordres avaient été de saisir le chevalier, mais devant une résistance aussi féroce, l’un d’entre eux s’était laissé aller à la rage et s’était déchaîné. Dans un sens, c’était presque un accident. Le chevalier avait désespérément tordu son corps, mais la pointe de la lance s’était impitoyablement enfoncée dans ses muscles. Il était tombé en arrière, gravement blessé.

Kei avait haleté. J’avais aussi senti le sang me monter à la tête en voyant quelqu’un que je connaissais se faire attaquer. En même temps, je savais que je devais garder mon calme. Nous étions confrontés à douze soldats entraînés. Le chevalier avait été gravement blessé. Sa blessure nécessitait des soins immédiats. Il était déjà trop faible pour résister davantage, mais l’élan des événements ne pouvait être arrêté maintenant qu’ils étaient en marche.

Les soldats s’étaient jetés en avant avec leurs lances comme une vague déferlante. Il n’y avait pas le temps de leur demander de s’arrêter. Si je devais intervenir, je devais commencer par arrêter de force leur attaque tout en abritant et en soignant le chevalier, en protégeant Kei à l’arrière, et en rendant tous ces soldats impuissants. Arrivant à cette conclusion, j’avais crié mes ordres.

« Tir de couverture ! Puis traite-le et protège-le ! »

Les soldats nous avaient remarqués quand j’avais crié. Ils avaient regardé dans notre direction — et avaient été immédiatement assaillis par le vent. C’était la magie du vent de grade 2 de Lily. Nous ne connaissions pas la situation, donc je lui avais demandé de se retenir de les tuer. C’était, tout au plus, un tir de couverture. C’était simplement pour les distraire.

Je trottinais sur leur chemin, mais j’avais passé la vitesse supérieure, laissant Kei derrière moi. J’avais déjà renforcé mon corps avec du mana. Malgré le fait que je courais aussi vite que je le pouvais, Lily était en avance sur moi. Elle avait couru vers le chevalier tombé, l’avait ramassé et avait fait un bond en arrière. J’étais passé devant elle et j’avais pris les devants. Lily pouvait soigner la blessure mortelle du chevalier. Elle était la seule capable de le soigner et de le garder tout en protégeant Kei.

Naturellement, cela signifiait que la tâche de s’occuper des douze soldats me revenait de droit. J’avais croisé le regard du chevalier alors que Lily reculait devant moi, le portant toujours. Il avait l’air de ne pas pouvoir y croire. S’il pouvait parler, il me dirait probablement d’arrêter. Je ne pouvais pas nier l’implication derrière son regard. J’étais faible. C’était la vérité. Il serait beaucoup plus approprié de laisser ce rôle à Lily.

Cependant, j’étais le seul à pouvoir le faire. Je devais le faire. De plus, ce chevalier opérait sous un grand malentendu. Majima Takahiro était certainement faible. Je le savais mieux que quiconque. Je m’étais entraîné dur chaque jour pour ne pas être un obstacle pour Gerbera, Lily et Rose. Je voulais au moins gagner assez de force pour être capable de me protéger.

Je ne voulais pas rester un fardeau. Je m’étais toujours inquiété de cela. Actuellement, c’était tout ce que j’étais pour ces filles. Cependant, mon manque de force était une question relative. Alors à quel point Majima Takahiro était-il faible exactement ? C’est ce que le chevalier avait mal compris.

« Oooooh ! »

Je m’étais jeté au milieu des soldats qui n’avaient pas encore repris pied à cause de la magie du vent de Lily, puis j’avais enfoncé mon épée au fourreau dans les côtes du soldat devant moi. J’avais ressenti la désagréable sensation que ses os craquaient à travers ma paume. Je m’étais débarrassé de cette sensation et j’avais retiré mon épée, l’enfonçant immédiatement dans l’estomac du soldat à côté de lui.

Voyant ses deux collègues s’évanouir sous la douleur, un autre soldat s’était mis en garde contre moi. J’avais passé ses défenses et lui avais asséné mon fourreau dans la mâchoire. J’avais vu l’un des soldats qui étaient tombés à cause de la magie de Lily essayer de se relever et je lui avais donné un bon coup de pied dans le ventre. Ça fait quatre de moins. Avec eux hors du tableau, je m’étais élancé une fois de plus.

Je n’étais rien d’autre qu’une gêne pour mes serviteurs. J’étais largement inférieur à Lily et Rose, et il n’était même pas nécessaire de mentionner Gerbera. Cependant, ces filles étaient des monstres provenant de l’une des régions les plus dangereuses du monde, les Profondeurs des Terres forestières. De plus, elles étaient toutes des spécimens supérieurs : un haut monstre, un monstre unique et un monstre rare. À l’exception des tricheurs et des chevaliers comme Shiran, presque toute l’humanité était plus faible qu’elles.

Une fois, j’avais vaincu un croc de feu blessé, un monstre des Profondeurs, avec l’aide d’Asarina et d’Ayame. Notre voyage avait duré un mois depuis lors. Pendant tout ce temps, j’avais continué mon dur entraînement avec Gerbera et pris des leçons d’épée avec Shiran. En revanche, les soldats de ce monde — même si ceux d’ici étaient aussi forts que ceux du Fort de Tilia — ne pouvaient combattre les monstres des Franges qu’en formation. Même sans l’aide d’Asarina ou d’Ayame, j’étais plus fort qu’eux en combat singulier.

Cependant, il y a quelque chose que je ne pouvais pas oublier ici. Les soldats de l’armée étaient forts lorsqu’ils combattaient en formation. Il me serait difficile de m’attaquer à plus de dix d’entre eux en même temps dans un affrontement frontal. C’est pourquoi j’avais ordonné à Lily d’utiliser sa magie en premier. En venant ici, j’avais observé la façon dont les soldats impériaux du Fort de Tilia se battaient, et j’avais appris que la coordination était leur meilleure arme. Donc, j’avais commencé par leur enlever ça.

Cela dit, je n’avais pas de temps à perdre. J’avais l’avantage uniquement grâce à l’attaque préventive de Lily. Je devais en finir rapidement avant qu’ils ne puissent se reformer. Je ne pouvais pas me retenir.

« Gaargh !? »

J’avais mis un autre soldat à terre et frappé un autre avec mon bouclier. Même si j’avais pris des leçons de maniement de l’épée avec Shiran, mon entraînement pratique avec Gerbera avait favorisé mon style de combat. Même si j’étais armé d’une épée dans la main droite et d’un bouclier dans la main gauche, tout comme les chevaliers, la façon dont nous nous battions était différente. Les chevaliers s’efforçaient de se placer en position défensive, avec un grand bouclier et une armure lourde. Je me concentrais sur la mobilité, en me basant sur ma capacité à éviter le danger, un sens ancré dans ma chair et mes os par mon entraînement. Je ne faisais pas non plus une fixation sur l’utilisation exclusive de mon épée.

« Haaaah ! »

J’avais pris mon élan et j’avais poussé le soldat vers le sol. J’avais renforcé mon corps autant que je le pouvais et j’avais renversé le soldat derrière lui. C’était vraiment grossier, mais ça n’avait pas d’importance tant que ça marchait. J’avais achevé le soldat d’un coup de pied, lui cassant la jambe, puis je m’étais retourné et j’avais chargé un autre groupe.

J’avais remarqué que deux soldats s’étaient ressaisis et se rapprochaient de moi. Ils n’arrivaient pas à se débarrasser de leur agitation et se jetaient désespérément sur moi avec leurs lances. Mais à ce moment-là, j’étais déjà prêt. J’avais utilisé mes capacités athlétiques pour sauter par-dessus les soldats et atterrir derrière eux.

Je m’étais retourné en balançant mon épée rengainée horizontalement, brisant le fémur d’un soldat et l’envoyant au sol en hurlant. L’autre soldat s’était retourné, mais j’étais trop près. Il ne pouvait pas manier son épée ou sa lance correctement à cette distance. Le soldat était resté indécis un instant, et j’avais enfoncé mon coude dans sa gorge.

Il en reste trois. Avec tout ce temps, les soldats restants s’étaient naturellement mis en formation et étaient prêts à se battre.

« M_Merde ! Qu’est-ce qu’il a ce type ? Il est comme une bête ! »

« Ne faiblissez pas ! Il vient par ici ! Restez sur vos gardes ! »

Leur plan était d’attendre et de m’intercepter. Ça allait être un peu dur, mais je n’avais pas le choix. J’avais chargé. Les trois soldats devant moi s’étaient alignés et avaient préparé leur garde — quand celui qui était au bout de la ligne avait soudainement crié en se penchant et en tombant sur le sol. Quelque chose avait volé dans son estomac.

Les deux autres étaient agités maintenant. Ils n’avaient aucune idée de ce qui venait de se passer. Lily avait jeté une pierre de la taille d’un poing. Elle soignait le chevalier avec de la magie de guérison tout surveillant la façon dont elle pouvait me soutenir. J’étais reconnaissant pour cela alors que je me rapprochais des soldats secoués.

« Espèce de salaud ! »

Les deux soldats restants m’avaient maudit en brandissant leurs lances. Leurs attaques étaient parfaitement synchronisées, mais deux personnes ne pouvaient pas former un mur de lances correct. Je pouvais m’en occuper facilement. J’avais paré une lance et saisi l’autre par la poignée.

« Pas possible !? » cria l’un d’eux.

Il semblait avoir une bonne dose de confiance dans son maniement de la lance. Malheureusement pour lui, il était mal assorti dans ce combat. Affronter des lances était en fait ma spécialité. Je veux dire, ma partenaire d’entraînement normale étant ce qu’elle était… aucune lance ne pouvait rivaliser avec un seul coup de n’importe laquelle des pattes de la Grande Araignée Blanche.

J’avais renforcé ma prise et tiré sur sa lance. Mon corps était constamment renforcé par le mana. Mon bras était plusieurs fois plus fort que la normale.

« H-Hwah !? » glapit le soldat en étant déséquilibré.

J’avais enfoncé mon genou dans son estomac. Et après avoir assommé le dernier soldat restant, la zone avait été entièrement calmée.

 

 ◆ ◆

« Kei, tu peux utiliser la magie du sommeil, non ? » avais-je demandé. « Ça ne me dérange pas si c’est juste pour un moment, mais pourrais-tu mettre ces soldats hors service ? »

« B-Bien sûr. »

Après avoir donné des ordres à Kei, je m’étais approché du chevalier. Il avait l’air de n’avoir aucune idée de ce qui venait de se passer.

« Lily, comment va sa blessure ? »

« Il va bien maintenant. Le pire est passé. »

« Je vois. C’est un soulagement, » avais-je dit en soupirant.

« U-Um, merci pour votre aide, monsieur… Alors c’est vrai que vous êtes assez fort, hein ? » dit le chevalier.

« Je n’ai réussi que grâce au soutien de Lily. »

J’avais réussi à m’en sortir parce que je m’étais lancé alors qu’ils étaient tous désorientés. J’avais encore un long chemin à parcourir. Lily aurait pu s’attaquer à dix misérables soldats et les rendre impuissants à elle seule, quel que soit leur état de préparation. De plus, elle aurait pu le faire sans infliger de blessures graves. En ce sens, elle était bien plus appropriée pour le rôle que j’avais pris. Mais comme la blessure du chevalier était trop grave, nous n’avions pas d’autre choix que de faire ce que nous avions fait.

Je pouvais un peu me battre maintenant, mais il y avait encore un grand écart entre nous en termes de potentiel de combat. Je voulais au moins devenir assez fort pour ne pas mourir sur place lorsqu’un tricheur attaquait, mais le chemin allait être long.

« Plus important encore, que se passe-t-il exactement ? » avais-je demandé, en m’agenouillant près du chevalier encore hébété. « Pourquoi ces soldats vous ont-ils attaqué ? »

« O-Oh, d’accord. Je dois vous informer de la situation. » Il avait échappé de justesse à la mort. Son esprit était encore étourdi. Il cligna des yeux plusieurs fois comme pour se réveiller, puis commença désespérément à expliquer la situation. « Les choses sont devenues plutôt sérieuses. Des forces armées sont descendues de Fort de Serrata et arrêtent les chevaliers à l’extérieur de la ville ! »

« Quoi ? »

Maintenant, c’était mon tour d’être étourdi.

« J’étais juste en train de faire un rapport régulier, et j’ai réussi à m’échapper, » continua le chevalier. « Quoi qu’il en soit, je devais vous informer, alors je me suis débarrassé de mon armure pour éviter d’être repéré, mais j’ai fait des erreurs en cours de route. Je ne pouvais pas non plus tuer des soldats impériaux sans raison valable… Bon, j’aurais peut-être pu faire quelque chose contre eux en un contre un dans un combat loyal, mais ils ont impitoyablement décoché des flèches sur moi, me réduisant à cet état. »

Les choses étaient devenues incontrôlables. Même avec la force des chevaliers de l’Alliance, nous ne pouvions pas affronter toute la puissance militaire d’une si énorme forteresse avec seulement une cinquantaine de personnes. Il valait mieux supposer que tous les chevaliers en dehors de la ville aient déjà été arrêtés.

« U-Um, Takahiro, » dit Kei, le visage pâle. Son travail était terminé, et tous les soldats étaient profondément endormis. « Cela aurait-il été mieux de garder au moins un d’entre eux éveillé ? Nous aurions pu demander ce qui se passe. »

« Non, c’est bon. Nous ne savons même pas ce que ces grognards savent, et il est douteux qu’ils nous disent honnêtement quelque chose. Nous ferions mieux d’utiliser ce temps pour nous éloigner d’ici. »

Nous ne savions pas pourquoi les forces armées du Fort de Serrata arrêtaient les chevaliers. Pour l’instant, je voulais recueillir des informations. De plus, considérant que cela pouvait s’aggraver infiniment, il était préférable pour nous de retrouver mes autres serviteurs.

« En fait, Rose et les autres vont-ils bien… ? » avais-je marmonné.

« Seules quelques personnes en dehors des chevaliers de l’Alliance connaissent l’existence de la maison. Je ne crois pas qu’ils la trouveront si facilement, » dit Kei.

« C’est vrai. Tu as raison. »

J’avais fait un signe de tête à Kei, mais je ne pouvais pas me sentir à l’aise avant de les voir en sécurité de mes propres yeux. Ainsi, nous avions laissé les soldats endormis comme ils étaient et nous étions partis.

 

 ◆ ◆

Nous avions couru jusqu’à la maison tout en surveillant si nous avions des poursuivants. J’étais soulagé de voir que tout était identique à ce que nous avions quitté. J’avais fait un pas à l’intérieur et j’avais trouvé quelqu’un d’inattendu qui m’attendait.

« Takahiro ! Dieu merci ! Tu es là ! »

Mon ami aux cheveux ébouriffés, qui aurait dû être au Fort de Serrata, m’avait salué en entrant. Mikihiko respirait difficilement, peut-être venait-il d’arriver lui-même. Derrière lui, Shiran et d’autres chevaliers avaient une expression grave. J’avais un mauvais pressentiment.

« Takahiro. Calme-toi, et écoute-moi, » dit Mikihiko avec un regard extrêmement sévère. « La commandante a été arrêtée. »

***

Chapitre 14 : À chacun son chemin

Partie 1

« Alors ? Qu’est-ce qui se passe, bon sang ? »

En entendant l’agitation, tout le monde s’était rassemblé, et nous étions allés au salon pour entendre les détails de Mikihiko. Selon lui, après que lui et la commandante aient quitté les faubourgs, ils étaient arrivés au Fort de Serrata en une demi-journée environ. Ils avaient pris rendez-vous avec le comte Lorenz et avaient été introduits dans la forteresse.

À ce moment-là, Mikihiko avait été emmené dans une pièce séparée de celle de la commandante. Bien qu’il ait été personnellement investi dans le résultat, il n’était pas concerné. Il y avait des choses qu’ils ne pouvaient pas dire devant des étrangers, donc il n’avait pas eu d’autre choix que de se retirer. La commandante avait également donné son accord, et Mikihiko avait accepté à contrecœur.

Cependant, la commandante n’était pas revenue, peu importe combien de temps il a attendu. Il avait essayé d’interroger une personne du comte, mais on l’avait balayé d’un revers de main avec des réponses vagues. Le matin venu, il avait finalement réussi à obtenir l’histoire d’un préposé. La commandante et tous ses chevaliers étaient assignés à résidence dans la forteresse. Jugeant qu’il ne pouvait pas rester, Mikihiko avait habilement utilisé son statut de sauveur pour s’échapper de la forteresse et s’était rendu jusqu’ici tout en surveillant ses poursuivants.

« Bon travail pour être venu jusqu’ici, » lui avais-je dit.

« Hm. C’était si soudain. J’étais super confus, et je ne savais pas trop quoi faire… Mais juste après avoir pris rendez-vous, on nous a envoyé attendre un peu en ville. C’est alors que la commandante m’a fait savoir ce qu’il fallait faire au cas où cela se produirait. »

« Attends. Elle a prédit ça ? »

« Je me demande… Elle a ri comme si c’était ridicule, comme si ça lui était venu à l’esprit en chemin… »

Quoi qu’il en soit, elle avait fait l’effort d’en parler et de donner des instructions à Mikihiko, ce qui l’avait conduit ici.

« Je veux dire, je t’en ai déjà parlé, non ? Toute la responsabilité de la chute du Fort de Tilia pourrait lui être imputée. Je n’ai pas été autorisé à la voir après qu’elle ait été assignée à résidence, et je n’ai pas pu obtenir d’informations de quiconque savait ce qui se passait, donc je ne peux rien dire avec certitude… Mais je ne pense pas qu’il y ait d’autres raisons pour qu’ils l’arrêtent. »

« Rien d’autre ne te vient à l’esprit, hein ? »

« Mais Mikihiko, » dit Shiran, « quelles que soient les circonstances, les actions du Seigneur Lorenz ne sont-elles pas trop autoritaires ? » Son expression, à moitié cachée par son cache-œil, était sensiblement rigide. « La commandante est la princesse d’Aker. C’est certes un petit pays, et il possède une faible puissance nationale par rapport à l’Empire, mais nous ne sommes pas si faibles au point d’accepter un tel comportement. Les autres des Cinq Royaumes du Nord ne manqueront pas de compatir aussi avec nous. Sans parler du fait que le Seigneur Lorenz est responsable de la cité marchande de Serrata, qui profite largement du commerce avec l’Alliance. Je ne pense pas qu’il soit du genre à agir avec autant de force… »

« Quel genre de personne est le Comte Lorenz ? » J’avais demandé à Shiran, en essayant de comprendre la situation. Elle donnait un bon point, mais les gens au pouvoir n’étaient pas toujours rationnels, surtout si l’on considère la société féodale ici.

« Je ne l’ai pas rencontré personnellement, mais j’ai entendu dire qu’il a la réputation d’être prudent dans tout ce qu’il fait, » répondit Shiran, en choisissant ses mots avec soin.

« La commandante a dit que c’était un opportuniste qui n’aimait pas faire de vagues, » ajouta Mikihiko. « C’est pourquoi elle a balayé cela comme assez peu probable. »

J’avais froncé les sourcils. C’était facile de supposer qu’ils l’avaient mal interprété, mais quelque chose ne collait pas. Peut-être que quelque chose d’incroyable se passait à l’abri des regards. Cette mauvaise prémonition m’avait fait bondir.

« Je ne peux rien affirmer avec certitude, mais il y a une chose qui me préoccupe, » dit Mikihiko en aiguisant son regard sous ses lunettes. « Je ne l’ai découvert qu’en recueillant des informations pendant l’enfermement de la commandante. Le margrave Maclaurin est apparemment à Serrata en ce moment. »

« Le margrave Maclaurin… Tu veux dire le grand noble impérial qui est célèbre pour détester les elfes ? » avais-je demandé, plutôt perplexe devant ce nom inattendu.

Mikihiko avait hoché la tête. « Malheureusement, je suppose que oui. Il est possible qu’il ait entendu la nouvelle de la chute du Fort de Tilia et qu’il soit venu ici pour en profiter. »

« Profiter ? Suggères-tu que le margrave est celui qui a ordonné l’arrestation ? »

« C’est juste mon avis. »

Mikihiko avait jeté un coup d’œil à Shiran pour lui demander son avis. Elle avait hésité à répondre pendant un moment, puis avait hoché la tête. « La maison Maclaurin est en désaccord avec les cinq royaumes du Nord depuis des générations. Leurs relations difficiles remontent à l’époque où l’Empire et l’Alliance étaient en guerre. En fait, la maison Maclaurin a reçu le titre de margrave spécifiquement pour servir de force militaire contre l’Alliance. Les deux sont des ennemis politiques jusqu’à aujourd’hui. »

La guerre entre l’Empire et l’Alliance avait eu lieu il y a plusieurs siècles. Les souvenirs de ce conflit étaient loin dans le passé. Cependant, de tels faits historiques pouvaient jeter des ombres sur les relations entre les pays loin dans le futur. La différence avec laquelle l’Empire et l’Alliance traitaient les elfes n’était qu’un des fossés qui les séparaient.

« Si on lui en donne l’occasion, il en profitera certainement avec plaisir, » ajouta Shiran. « En fait, je le vois bien ouvrir davantage la plaie, aussi lentement que possible. De plus, même si c’est étrange pour moi de le dire moi-même, la commandante est souvent ridiculisée comme étant une amoureuse des elfes, alors… »

Les paroles de Shiran avaient renforcé l’opinion de Mikihiko. Cela explique-t-il tout pour l’instant ? Je ne connaissais pas bien le tempérament de Maclaurin. Compte tenu de la position de Shiran en tant qu’ancienne citoyenne d’Aker, il était possible que ses critiques contiennent une bonne dose de préjugés. Mais même en tenant compte de cela, il y avait définitivement un fossé entre Maclaurin et l’Alliance. La commandante avait fait un mauvais calcul en oubliant qu’un noble qui ne se souciait pas de la détérioration des relations avec Aker se trouvait actuellement à Serrata.

« J’ai compris l’essentiel, » avais-je dit. Il y avait encore plusieurs points qui me dérangeaient, mais il était inutile d’y réfléchir davantage. J’avais décidé de mettre un terme à toute investigation supplémentaire pour le moment. « Alors, que va-t-il arriver à la commandante ? »

L’attaque du Fort de Tilia avait fait plus de mille morts parmi l’Armée impériale du Sud, la deuxième compagnie des Chevaliers impériaux et la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. Qui plus est, un point stratégique important pour toute l’humanité avait été perdu et abandonné. Je ne pouvais même pas imaginer ce qui arriverait à la personne tenue pour responsable de cela.

« Ne me dis pas qu’ils ont l’intention d’exécuter… »

Je m’étais arrêté à mi-chemin au moment de le dire. J’avais vu l’expression de Shiran se déformer avec tristesse. Je n’aurais pas dû dire quelque chose d’aussi irréfléchi.

« Non, je suis presque sûr que c’est hors de question, » dit Mikihiko, écartant heureusement cette possibilité. « La famille royale d’Aker est aimée de ses citoyens. Être assigné à résidence est une chose, mais aller jusqu’à exécuter l’un de ses membres royaux déclencherait une guerre contre Aker. Les autres nations des Cinq Royaumes du Nord ne resteraient pas non plus tranquilles, pensant qu’elles seraient les prochaines. Même pour le grand patron de l’Empire du Sud, perturber toute la frontière des forêts du Nord pour une telle chose le mettrait dans une position misérable. Au pire, le Saint Ordre pourrait même prendre des mesures. »

« Le Saint Ordre ? »

« Oui. Leur rôle principal est de défier les Terres forestières aux côtés des sauveurs, mais ils maintiennent aussi l’ordre mondial. Ils sont la force militaire la plus puissante du monde. L’Église accorde à toutes leurs actions une légitimité religieuse. S’ils font un geste, même un margrave va tomber en ruine. »

Un tel risque serait impensable, sauf s’il avait l’intention de détruire l’héritage de sa famille. La seule raison pour laquelle Maclaurin s’était manifesté pour cet incident alors qu’il n’était pas vraiment impliqué était uniquement pour harceler un ennemi politique détesté. Il serait stupide de perdre tout ce qu’il avait pour quelque chose d’aussi insignifiant.

« Eh bien, c’est une connaissance de seconde main venant de la commandante. De toute façon, le margrave ne peut pas ordonner une exécution à sa propre discrétion. »

« Donc… nous n’avons pas à nous inquiéter de sa sécurité ? »

Mikihiko avait acquiescé, mais il avait un regard sombre. « Pourtant… Tant qu’elle est confinée comme ça, je crois qu’il va lui faire porter le chapeau autant que possible. Peu importe ce qui s’est réellement passé, elle est en position de porter le chapeau. Elle va probablement être envoyée sous bonne garde dans la capitale impériale, subir un procès et être condamnée. »

« Être condamné à quoi, précisément ? »

« D’après ses suppositions… Elle sera renvoyée en tant que commandante de la troisième compagnie. »

« Ce n’est pas possible ! » Shiran avait pratiquement crié.

Même si Mikihiko avait regardé avec sympathie le visage affligé de Shiran, il avait expliqué les choses jusqu’au bout.

« Tant que la commandante n’est pas là, la troisième compagnie sera obligée de se dissoudre. Même s’ils arrivent à se reformer, il est hors de question qu’elle soit celui qui les dirige. Qui sait s’ils seront vraiment capables de se reformer. Tu as vu ce qui s’est passé au Fort de Tilia. Tant que les sauveurs de l’époque actuelle seront là, les hautes sphères de l’Empire vont retirer un maximum de réalisations à leurs rivaux. »

« La troisième compagnie… sera dissoute… ? » dit Shiran, sa voix tremblante et creuse. En voyant cela, son comportement habituel de calme ressemblait presque à un mensonge. « C’est impossible… Ce n’est pas possible… »

Shiran avait titubé, marmonnant dans son délire. Sa posture normalement digne semblait maintenant fragile. Elle parvint à garder suffisamment de maîtrise d’elle-même pour ne pas s’effondrer, mais il semblait qu’elle pouvait tomber à tout moment.

Elle s’était toujours efforcée d’être un chevalier. C’était l’équivalent de perdre sa place dans la vie. Ce n’était pas tout. Parce qu’elle était maintenant un monstre mort-vivant à cause de sa bataille contre Juumonji, il lui serait difficile de continuer à être un chevalier si elle devait servir sous quelqu’un d’autre que la commandante.

« Je suis un chevalier, comme avant. Je me battrai pour le bien de ceux que je dois protéger. Je ne remercierai jamais assez la commandante. »

C’est ce qu’elle m’avait dit un jour en souriant. À quel point serait-ce un choc pour elle de perdre sa place de chevalier ? Cette simple pensée m’avait fait mal au cœur.

« Mikihiko… Que dois-je faire ? » J’étais inquiet pour Shiran, mais pour l’instant, nous devions faire face au problème qui se présentait à nous. J’avais tué mon envie d’appeler Shiran et j’avais interrogé Mikihiko à la place. « La raison pour laquelle tu es venu me voir directement, c’est parce que la commandante voulait que je fasse quelque chose, non ? »

« Cela rend les choses plus rapides. »

« Non pas que je pense pouvoir faire quoi que ce soit. »

Je ne savais même pas si je pouvais lui être utile. Elle avait garanti ma sécurité pendant tout ce temps. Les chevaliers qui la soutenaient pleinement, connaissant notre situation, avaient tant fait pour nous. Si elle n’était plus là, ma position dans ce monde deviendrait considérablement plus instable.

« Désolé, mais il n’y a pas grand-chose que je puisse faire. Tu ne vas pas me demander de t’aider à défoncer la porte du Fort de Serrata pour la reprendre, n’est-ce pas ? »

« Ha ha. Ne serait-ce pas excitant ? Ce serait génial si on pouvait, mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Même si nous pouvions le faire, cela ne ferait que compliquer davantage les choses, » avait dit Mikihiko, me montrant un sourire pour la première fois aujourd’hui. « Takahiro, la demande de la commandante concerne Shiran. »

« À propos de moi… ? » dit Shiran avec un souffle de surprise.

Mikihiko lui avait jeté un regard compatissant et avait dit. « Elle veut que tu raccompagnes Shiran dans sa ville natale. »

***

Partie 2

Selon l’homme que j’avais sauvé, les chevaliers à l’extérieur de la ville avaient été retenus par précaution contre toute tentative de sauvetage de la commandante. Tant qu’ils se rendraient docilement, aucun mal ne lui serait fait et elle resterait en résidence surveillée. Il y avait un gros problème, cependant — Shiran.

En tant que lieutenante de la compagnie de la commandante, Shiran lui servait de bras droit. Les personnes qui avaient arrêté la commandante voulaient retenir Shiran avant tout le monde. Mais ce serait un développement terrible.

Shiran était maintenant un monstre mort-vivant. Si une tierce partie devait la capturer, elle découvrirait très probablement ce fait. Il n’était pas certain que ses circonstances atténuantes soient prises en compte, surtout si le haïsseur d’elfes Maclaurin était impliqué.

En ce sens, c’était une chance que Shiran soit restée avec nous dans ce faubourg. La commandante avait préparé ce bâtiment pour nous, mais il n’appartenait pas aux Chevaliers de l’Alliance. Cela le plaçait hors de la vue de Maclaurin. Sinon, il l’aurait déjà envahi.

« La commandante ne peut pas t’accompagner, » dit Mikihiko, « mais une fois le procès terminé, elle rentrera vraisemblablement chez elle. En attendant, elle veut que tu emmènes Shiran et Kei et que tu les attendes dans leur village. »

Je ne pouvais pas laisser Shiran seule, et je n’avais de toute façon aucune destination en tête. J’avais accepté la demande de la commandante, j’avais immédiatement rassemblé nos bagages et je m’étais mis en route. Nous n’avions pas eu le temps de faire tous les préparatifs nécessaires pour le voyage, mais heureusement, les chevaliers avaient encore un surplus de provisions pour le voyage qu’ils nous avaient cédé. Nous pouvions simplement acheter ce dont nous avions besoin à la prochaine ville, et si besoin était, nous pouvions aussi chasser des monstres pour nous nourrir. J’avais aussi l’argent que la commandante m’avait donné en récompense de nos services et que je pouvais utiliser comme frais de voyage.

« Nous avons quitté la ville plus facilement que je ne le pensais…, » avais-je marmonné depuis le siège conducteur de la manamobile.

« Je suis sûr qu’ils sont occupés avec les chevaliers en dehors de la ville, » dit Mikihiko depuis l’intérieur de la voiture. « Il y a cinquante chevaliers à leur connaissance. Ils ont dû utiliser une quantité importante de personnel dans le cas improbable où les chevaliers résisteraient. Ils n’ont plus assez d’hommes pour fermer les routes. »

Lorsque nous avions quitté la ville, nous avions vu un marchand passer devant nous en faisant tout un plat à propos d’une tonne de soldats descendant de Serrata. Comme l’avait dit Mikihiko, Maclaurin avait envoyé la majorité des forces à sa disposition pour protéger les chevaliers.

Ces soldats étaient probablement en train d’escorter les chevaliers jusqu’à Serrata. Même si la nouvelle de la fuite du chevalier et de notre intervention leur parvenait, Serrata était à une demi-journée de voyage du faubourg. Ils ne seraient pas en mesure de nous empêcher de partir.

Nous nous étions mêlés au flot des colporteurs qui quittaient la ville et avions pris la route vers le sud. Aker, l’un des cinq royaumes du Nord, était un petit pays situé au sud-ouest du comté de Lorenz. Pour s’y rendre en toute sécurité, il fallait d’abord prendre la route vers l’ouest et traverser le comté de Longue, dont la région sud bordait Aker. Cependant, la moitié de cette frontière était couverte par les Bois Sombres, et l’autre moitié par les montagnes escarpées de Kitrus, il était donc dangereux de se diriger vers le sud depuis le Comté de Longue. C’est pourquoi la route typique, celle qu’utilisent les colporteurs, prenait un chemin détourné plus à l’ouest jusqu’au comté de Cornisch. Elle suivait ensuite une route parallèle à la rivière Aralia, un grand fleuve qui coulait au centre du continent et se ramifiait au sud-est vers Aker.

Cependant, comme il s’agissait de la route établie et sûre, il était possible que des poursuivants viennent nous chercher. C’est pourquoi nous avions commencé par nous diriger vers le sud pour prendre une route différente vers le sud-ouest. Cette suggestion avait également été faite par la commandante. Contrairement aux marchands ordinaires, nous pouvions sacrifier une partie de notre sécurité sans trop de problèmes. Notre voyage à travers les terres les plus dangereuses de ce monde, les Terres forestières, n’était pas juste pour le spectacle.

Cette nuit-là, nous avions installé le camp le long de la route. Emmitouflé dans un manteau, je m’étais assis contre un arbre, sentant le poids et la chaleur corporelle de Lily qui se blottissait contre moi pour me protéger. J’étais bien réveillé. Mes yeux étaient fixés sur Gerbera, qui dormait profondément sous le clair de lune, nos bagages dans les bras, tandis qu’Ayame, ronflant paisiblement, était recroquevillée en boule sur son ventre d’araignée.

J’avais soudain senti un regard sur moi. Shiran, également enveloppée dans un manteau, regardait dans ma direction de son œil bleu. Sa peau blanche ressortait dans l’obscurité de la nuit, mais pas autant que celle de Gerbera.

« Est-ce que ça te convient vraiment ? » avait-elle demandé.

Une petite question. Elle était restée silencieuse depuis notre départ, toujours plongée dans ses pensées — ici dans son corps, mais pas dans son esprit. C’était simplement le grand choc que cela représentait pour elle. Maintenant, cependant, elle semblait calme. Il n’y avait aucun tremblement dans sa voix. Elle avait apparemment réussi à récupérer au cours de la seconde moitié de la journée… au moins au point de pouvoir sauver les apparences.

« Est-ce que tout va bien ? » avais-je demandé.

« M’emmener dans ma ville natale. Si mon identité est découverte, cela deviendra très gênant pour toi, Takahiro. »

« Ne t’inquiète pas pour ça, » lui avais-je dit en haussant les épaules. Enfin, l’épaule. Lily était collée à l’autre. « Partir avec toi n’est pas un si mauvais choix pour moi. Nous ne sommes pas encore familiers avec ce monde, après tout. Il serait difficile pour nous de chercher un endroit paisible où vivre, en trébuchant jusqu’à ce que nous le trouvions. De plus, je ne peux pas utiliser une pierre runique de traduction. Je serai totalement impuissant si je ne peux communiquer avec personne. »

« Dans ce cas, tu aurais pu simplement prendre Kei avec toi. Elle sait très bien s’en servir, » dit Shiran en jetant un coup d’œil à sa nièce qui dormait profondément à côté d’elle. « Elle est encore inepte à certains égards, mais elle devrait te servir plus que… »

« Shiran. »

Je lui avais coupé la parole. Elle avait regardé le sol. Elle n’était vraiment pas encore revenue à son état normal. C’était parfaitement compréhensible, vu les circonstances. Je ne pouvais pas la laisser seule dans un tel état.

« Je me trimballe avec une bombe depuis le début. Rien ne change du fait de t’avoir avec moi. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter pour quelque chose d’aussi insignifiant. »

Même si ce n’était pas le cas, je doutais de pouvoir abandonner cette elfe. L’abominable conflit que Juumonji avait causé n’avait apporté que des pertes. S’il y avait une chose que je pouvais dire que j’avais gagnée, c’était le lien de confiance que j’avais maintenant avec ces filles. Il n’y avait aucune chance que je puisse le trahir.

« De plus, la commandante m’a demandé directement de le faire avant que tout cela n’arrive, » avais-je marmonné.

« Directement, dis-tu ? » demanda Shiran en levant les yeux vers moi.

« Oui. Mais je ne sais pas si elle s’attendait à ce que ça se passe comme ça. »

« S’il vous plaît, continuez à prendre soin de Shiran, Takahiro. »

Les mots qu’elle m’avait dits cette nuit-là dans le village de récupération m’étaient revenus à l’esprit. Je ne connaissais pas son intention à ce moment-là. Plutôt que de les dire en prévision de ces événements, elle les avait peut-être prononcés par simple souci de l’avenir de Shiran. La seule chose dont j’étais certain, c’est qu’elle m’avait confié Shiran. Je n’avais pas l’intention de trahir cette confiance.

 

 ◆ ◆

L’aube s’était levée sans incident. Nous étions restés sur nos gardes, mais aucun poursuivant n’était venu nous chercher. Soit c’était le bon choix de prendre la route vers le sud, soit il n’y avait pas de poursuivants.

Après avoir pris le petit-déjeuner, nous avions rapidement terminé nos préparatifs pour partir. J’étais monté à bord de la manamobile, mais j’avais rapidement baissé la tête.

« Mikihiko ? »

Du siège du conducteur, j’avais regardé mon ami, qui se tenait dans sa tenue de voyage avec trois chevaliers.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Monte. Tu n’es pas en train de me dire que tu veux marcher, n’est-ce pas ? »

La manamobile ne se déplaçait qu’au rythme de la marche, mais elle réduisait vraiment la fatigue des déplacements sur de longues distances. Il n’y avait aucune raison de faire un détour pour marcher.

« Oui, c’est exactement ce que je vais faire, » dit Mikihiko en hochant la tête. « Pour Serrata, c’est ça. »

C’était plutôt abrupt, mais je n’étais pas surpris. Peut-être que je savais quelque part en moi qu’il ferait ça.

« Si quelqu’un s’en prenait à nous, » continua-t-il, « je pense pouvoir les en dissuader d’une manière ou d’une autre, vu que je suis connu comme un sauveur même au Fort de Serrata… Il semble que ce ne soit plus nécessaire. »

« Vas-tu auprès de la commandante ? »

« C’est mieux d’avoir ne serait-ce qu’une personne de plus qui peut la défendre, non ? Mon statut de sauveur me donne envie de hurler… mais je vais l’utiliser du mieux que je peux. »

Mikihiko m’avait fait un sourire. Le chevalier qui se tenait à côté de lui avait également souri effrontément en levant la main.

« Soyez tranquille, monsieur. Nous allons l’accompagner. Nous ne pouvons pas permettre que quelque chose arrive sur le chemin de Serrata, après tout. »

« Marcus… ? Et vous deux aussi ? » murmura Shiran.

Elle était sortie de la manamobile, les yeux écarquillés par le choc. Elle ne trouvait pas les mots à le dire et restait simplement là, le poing serré sur sa poitrine en armure. Leur détermination était forte. Il était clair qu’il n’y avait pas moyen de les convaincre du contraire.

« Ne me regarde pas comme ça, Takahiro, » dit Mikihiko en riant. « Je suis sûr que tu te sentiras seul, mais ce ne sera pas notre dernier adieu. »

Son ton était frivole, mais ce n’était pas parce qu’il était irréfléchi. Je le savais très bien, aussi avais-je réussi à lui rendre son sourire, bien que faiblement.

« Ouais. Ce n’est pas la fin… »

Dans ce monde plein de dangers, il était certain que je me séparerais de certaines des personnes que je rencontrais et que je ne les reverrais jamais. C’était différent du monde d’où nous venions. Ici, les transports et les communications étaient moins que satisfaisants. Des monstres attendaient à l’extérieur de chaque ville, et le simple fait de se déplacer d’une ville à l’autre était un risque mortel. Même avec notre groupe, qui avait assez de force pour surmonter de telles difficultés, nous devions faire face à nos propres circonstances. Il ne serait pas étrange que nous soyons obligés de nous séparer à un moment donné.

Mikihiko et moi étions pleinement conscients de cela. Nos retrouvailles après la destruction de la colonie étaient au départ déjà un miracle.

Quoi qu’il en soit, je lui avais dit. « Je vais y aller. Finis-en bien avec tous les détails et reviens-nous vite. »

La commandante avait sauvé la vie de Mikihiko. Il faisait toujours de son mieux pour lui être utile. C’était sa façon de faire. Tout comme j’avais décidé de vivre en tant que maître de Lily, il s’était résolu à vivre pour le bien de la commandante. Dans ce cas, nous ne perdrions pas courage si facilement.

« C’est ça. Nous nous reverrons. »

Mikihiko m’avait fait un signe de tête appuyé, puis avait souri en se retournant et en faisant un signe de la main.

J’allais aller à Aker, tandis que Mikihiko se dirigeait vers Serrata. Nous avions chacun commencé à suivre notre propre chemin.

***

Chapitre 15 : Une petite épine dans le voyage

Partie 1

Après nous être séparés de Mikihiko et des chevaliers, nous avions pris la route vers le sud, dans la direction opposée à celle de Serrata. Notre voyage s’était déroulé sans incident. Lorsque nous allions vers le nord, notre vitesse avait été influencée par le grand groupe avec lequel nous nous déplacions, ce qui avait également permis aux monstres de nous trouver plus facilement. Ce n’était pas le cas cette fois-ci. Nous ne nous étions arrêtés dans aucun village en chemin, si ce n’est pour nous réapprovisionner, si bien que nous n’avions mis que deux tiers du temps qu’il faudrait normalement pour parcourir la même distance.

Shiran avait d’abord été choquée par la dissolution potentielle de son unité, mais elle avait réussi à retrouver son calme habituel à la fin de la journée. Elle était en fait inspirée maintenant, considérant qu’il était de son devoir de m’amener à Aker. La seule fois où nous avions repéré des monstres au loin, elle avait foncé et les avait vaincus en un instant. Elle n’était pas tout à fait de retour à la normale, mais au moins, c’était un soulagement de la voir ainsi plutôt que comme une enveloppe vide.

Nous étions arrivés à une halte pour voyageurs relativement grande, pas tout à fait de la taille de celle du faubourg de Serrata — où les routes menant dans toutes les directions cardinales se rencontraient. Nous avions fait le plein de provisions et avions ensuite pris la route vers l’ouest. Au sud-ouest du comté de Lorenz se trouvait Cedrus, l’un des cinq royaumes du Nord. Notre destination était située à l’ouest de là.

La frontière entre le comté de Lorenz et le Cedrus n’était pas proche des parties abruptes des montagnes Kitrus, mais nous devions tout de même traverser quelques routes montagneuses. Elles étaient anciennes, ayant été le théâtre de la bataille entre l’Empire et l’Alliance il y a des siècles, mais maintenant elles étaient rarement utilisées.

Le risque de rencontrer des monstres dans les régions proches des Terres forestières était élevé. Aucun marchand ne s’aventurerait à traverser un flanc de montagne escarpé juste pour se rendre dans un petit pays éloigné. Et comme personne n’utilisait ces routes de montagne, les monstres y étaient pratiquement laissés en liberté. Par conséquent, les montagnes de Kitrus étaient une zone dangereuse où vivaient de nombreux monstres. Cela dit, en tant que dompteur de monstres, cette terre était plutôt relaxante pour moi. Le fait d’être une zone dangereuse signifiait qu’il y avait beaucoup moins d’attention de la part des humains.

J’étais assis sur le siège du conducteur comme toujours, dirigeant lentement la manamobile à travers les montagnes de Kitrus. La route était étroite, presque comme si elle était forcée de se faufiler entre les arbres. Les secousses bruyantes du véhicule soulignent à quel point l’état de la route est mauvais. Contrairement à notre trajet depuis le Fort de Tilia, où toutes les routes étaient entretenues pour un usage militaire, ces chemins vers les villages de récupération éloignés avaient été créés pour le transport de marchandises. Il était logique qu’ils soient défavorables en comparaison.

J’avais écouté le bruit des roues et une pensée a naturellement dérivé dans mon esprit. Je m’étais souvenu de l’image du visage de mon ami lorsque nous nous étions séparés il y a dix jours. S’il avait réussi à retrouver la commandante, ils étaient probablement en train de se déplacer de Serrata à la capitale impériale. Vu la personnalité de Mikihiko, il était même possible qu’il ait demandé l’aide de Miyoshi Taichi et des autres étudiants du faubourg.

« Oh, Maître. Est-ce bien ça ? » dit Lily, assise à côté de moi.

Nous nous étions retrouvés à un embranchement déroutant. D’après ce que nous avions entendu dans un autre village, nous pouvions suivre un de ces embranchements jusqu’au village le plus proche de la route de montagne que nous visions. Après cela, il n’y aurait plus de villages humains, ce qui signifie que c’était notre dernier point de ravitaillement jusqu’à Aker. La traversée d’une chaîne de montagnes allait prendre un certain temps, aussi je voulais m’assurer d’un maximum de provisions.

« Espérons qu’ils nous vendront des provisions. Le dernier village n’a rien voulu nous vendre, même avec notre argent… » avais-je grommelé.

« Eh bien, ils ont leurs propres circonstances à gérer, » commenta Lily. « Il n’y a pas de raison de se sentir mal si ce n’est pas le cas. Si le pire devait arriver, je pourrais aller à la chasse. »

« Je préfère cependant ne pas revenir à un régime de croc de feu… »

Lily, Kei et moi étions allés à pied chercher des provisions, tandis que les autres attendaient dans la manamobile. Les seuls qui pouvaient se montrer devant des humains et qui possédaient une force de combat considérable étaient Shiran et Lily. L’une d’entre elles était partie avec nous, tandis que l’autre était restée derrière pour que nous n’ayons pas à nous inquiéter d’être vus même en cas d’attaque de monstres.

La raison pour laquelle Kei était avec moi était qu’elle et Shiran étaient les seules à pouvoir utiliser les pierres runiques de traduction. Elle marchait derrière nous, le capuchon de son manteau rabattu sur sa tête.

« Hein ? Maître, quelqu’un court par ici. »

Cela faisait un certain temps que nous nous étions séparés des filles dans la manamobile, les laissant dans la forêt en dehors de la route. Lorsque nous étions sortis sur le chemin étroit menant au village, un homme avait couru vers nous, l’air désespéré.

« O-Oh ! Vous êtes des voyageurs ? Quel mauvais timing pour venir ici ! »

L’homme avait prétendu être un résident du village de récupération voisin. Il était sorti avec ses compagnons pour couper des arbres, mais ils avaient rencontré des monstres. Après cela, il avait couru jusqu’ici pour sauver sa vie. Contrairement aux Terres forestières, les forêts d’ici ne possédaient pas beaucoup de mana. Cela dit, les Franges n’étaient qu’à une heure de marche, il n’était donc pas étrange que des monstres se trouvent dans la région.

Après avoir persuadé l’homme, qui ne cessait de nous dire de nous enfuir, nous nous étions précipités vers le village de récupération. Là, nous avions trouvé un géant de plus de trois mètres de haut — un ogre sauvage. Il avait des jambes courtes et de longs bras comme un gorille, mais son corps musclé était pratiquement dépourvu de poils. Sa peau exposée était verte, et il portait une fourrure enroulée autour de sa taille. Sa tête chauve, relativement petite par rapport à sa taille ressemblait à celle d’un humain, mais ses oreilles étaient pointues et deux grands crocs sortaient de son énorme mâchoire inférieure.

L’ogre sauvage errait autour du village, comme s’il guettait une ouverture dans ses défenses. De temps en temps, il fonçait sur les murs. À chaque fois qu’il le faisait, les personnes qui s’occupaient des défenses déversaient de la magie concentrée depuis les remparts. Ils n’utilisaient que de la magie de niveau 2, donc il n’y avait pas beaucoup de force derrière les attaques. Cependant, concentrées ensemble, elles étaient suffisantes pour faire vaciller l’ogre sauvage. Combinées aux flèches qu’ils décochaient en tandem, elles ciselaient lentement le monstre.

Cependant, ce n’était pas suffisant pour porter un coup décisif. Les ogres sauvages étaient même plus puissants que les chenilles-taureaux. On disait qu’ils étaient l’un des monstres les plus puissants des Franges. Ce serait bien s’il abandonnait simplement son attaque et partait, mais si l’ogre sauvage se déchaînait à cause de ses blessures mineures et se frayait un chemin jusqu’au village, il causerait certainement un certain nombre de pertes.

Même s’il n’entrait pas dans le village, il pouvait endommager les murs en lançant un arbre déraciné avec ses bras massifs. Ces murs étaient le lien vital du village, et les endommager pouvait également entraîner de graves blessures pour quiconque se trouvait à proximité. Je n’avais rien à voir avec ce village, mais je ne pouvais pas les laisser faire.

« Lily, c’est un peu loin, mais peux-tu l’avoir ? »

Je lui avais implicitement dit de ne pas foncer. Elle ne serait probablement pas blessée par la pluie de magie et de flèches, mais elle se ferait un peu trop remarquer.

« Ouaip. Je vais essayer, » avait-elle répondu, comprenant ce que je voulais dire en faisant tourner sa lance d’un signe de tête.

« Qu-Qu’est-ce que vous faites… ? » demanda l’homme qui nous avait guidés en regardant curieusement Lily tenir sa lance noire dans une prise inversée. « A-Au fait, nous devrions courir un — »

« C’est bon. Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter, » lui avait dit Lily.

Un glyphe était apparu dans sa main droite. C’était une magie du vent de grade 2. Elle s’est abstenue d’utiliser une magie de grade 3, car c’était le grade le plus élevé que les gens de ce monde pouvaient utiliser. Nous ne voulions pas attirer inutilement l’attention en public. Ce serait une autre affaire si nous étions dans une situation d’urgence, cependant. Inversement, cela signifiait que Lily avait jugé que la magie de grade 2 serait suffisante pour gérer cette situation. Elle fit deux pas en avant pour s’aligner, puis s’avança une fois de plus à pleine puissance.

« Yaaaah ! »

Elle envoya sa lance. L’arme avait déjà beaucoup de force en elle, mais elle profita du vent qu’elle avait déclenché, la propulsant plus rapidement et la guidant vers sa cible. Le vent avait également repoussé les flèches à proximité et l’arme avait plongé directement dans le visage de l’ogre sauvage.

Un cri perçant l’oreille perça l’air. La pointe acérée de la lance avait déchiré son globe oculaire, et les vents turbulents qui s’enroulaient autour de la poignée avaient déchiré son visage. Du sang bleu avait jailli comme une fontaine. Ayant perdu la vue, l’ogre sauvage tituba. Son corps massif avait subi de sérieux dommages.

Les villageois étaient abasourdis par cette attaque soudaine, mais ils avaient vite compris qu’il s’agissait d’une formidable opportunité. Des hommes armés étaient sortis du village en poussant un cri de guerre. Le villageois avec nous avait regardé du début à la fin, tombant à genoux sous le choc du moment. Il leva les yeux vers Lily qui m’avait fait un sourire et lui avait lancé un signe de paix.

 

 ◆ ◆

Les villageois avaient été très amicaux envers nous après que nous les ayons aidés avec le monstre qui les attaquait. Par conséquent, nous avions réussi à nous approvisionner en toute sécurité. Nous avions fini par acheter des pommes de terre et de la viande séchée. J’étais reconnaissant d’avoir pu reconstituer nos provisions, même si ce n’était qu’un peu.

« Nous ne pouvons vraiment pas vous remercier assez, » m’avait dit un vieil homme en nous raccompagnant aux portes du village.

« Ne vous inquiétez pas pour ça. Vous avez beaucoup fait pour nous aussi. »

« Mais penser qu’une si gentille petite dame pouvait délivrer un coup aussi intense. »

Le chef du village, qui avait plus de rides que son âge ne le laissait supposer, souriait agréablement tout en continuant à louer les compétences de Lily. Il était le plus sympathique des villageois. Son côté bavard était probablement dû au fait qu’il considérait la discussion avec les invités comme une forme de divertissement. Pour cette raison, nous avions fini par rester plus longtemps que prévu. Nous avions réussi à acquérir tout ce dont nous avions besoin, proportionnellement au temps passé ici, du moins — tant en termes de fournitures que d’informations.

D’après ce qu’il nous avait dit, le chef du village avait emprunté le chemin de montagne vers lequel nous nous dirigions lorsqu’il était jeune. Il nous avait appris les points de repère que nous pouvions utiliser sur le chemin. Cette information datait de plusieurs dizaines d’années, il n’était donc pas garanti que les repères soient toujours là, mais c’était mieux que de ne rien savoir.

De plus, il y avait soi-disant une brume spéciale qui couvrait la route de montagne de temps en temps. Le chef du village ne l’avait jamais vu de ses propres yeux, mais son prédécesseur l’avait prévenu. En bref, on lui avait dit de se méfier du chemin de montagne lorsqu’un brouillard dense s’en dégageait.

Eh bien, tout cela était parfaitement logique. Descendre une route de montagne avec une visibilité limitée par le brouillard était imprudent et dangereux. Néanmoins, il était bon de savoir ce genre de choses à l’avance. Satisfaire sa curiosité en échange d’une information aussi précieuse en valait la peine.

« Excusez-moi, mais êtes-vous peut-être originaire du nord ? De la région autour de la capitale impériale ? » nous avait-il demandé d’une voix basse et exagérée. C’était comme si cela devait être un secret.

« Eh bien… Quelque chose comme ça, » avais-je répondu.

« Oooh, je pensais bien que ce serait le cas, » poursuit le chef en hochant profondément la tête. « Alors vous deux êtes vraiment de sang béni ? »

De nombreux descendants des sauveurs vivaient apparemment dans l’Empire du Nord, autour de la capitale impériale. C’était bien qu’il ait mal compris sans que nous ayons à en parler nous-mêmes. De leur point de vue, il était hors de question que les sauveurs partent en voyage en petit groupe. Ce serait une autre histoire si la nouvelle de la génération actuelle de sauveurs était parvenue jusqu’ici, mais il semblerait qu’elle n’ait pas encore atteint une région aussi éloignée.

« Mais pour venir jusqu’ici… Pourquoi exactement vous —, » commença le chef, mais il se douta soudain de quelque chose et ravala ses paroles. « Non, ce n’est pas grave. Je vais prier pour que votre voyage se passe bien. »

« Merci. »

J’avais forcé un sourire. Il y avait un certain nombre de personnes de sang béni qui avaient des titres de noblesse. Les sauveurs eux-mêmes n’avaient pas de tels titres de noblesse, mais ils avaient de nombreuses occasions de se mêler aux personnes de haut statut social. Les nobles impériaux ajoutaient aussi proactivement du sang de sauveur dans leurs familles, de sorte que la proportion de descendants de sauveur qui étaient nobles était plutôt élevée.

Il y en avait bien sûr beaucoup à qui cela ne s’appliquait pas. Mais rencontrer quelqu’un de sang béni dans une région aussi éloignée était rare. Il n’était pas étrange pour le chef du village de supposer que nous étions des nobles.

Il avait probablement pensé que nous étions des personnes de haut rang se déguisant en voyageurs. Les nobles, qui pouvaient recevoir une formation avancée dès leur plus jeune âge, et les gardes chargés de protéger ces nobles possédaient évidemment les compétences nécessaires pour vaincre un ogre sauvage. J’étais reconnaissant qu’il se soit convaincu de cela, je n’avais pas eu besoin d’inventer des mensonges.

« Il est temps pour nous d’y aller, » avais-je dit, voyant là l’occasion de mettre fin à notre conversation. Si je faisais attendre les autres trop longtemps, Gerbera risquait de faire des histoires. Cela ne me dérangeait pas de l’écouter se plaindre, mais ce serait gênant si elle commençait à bouder.

« OK, vous êtes toutes les deux prêts à… hm ? »

J’avais commencé à m’adresser à Lily et Kei, mais je m’étais arrêté. Kei ne réagissait pas à mes paroles. Je n’avais pas pu voir son visage parce qu’elle portait une capuche et regardait ailleurs, mais elle semblait fixer quelque chose, hébétée. J’avais regardé dans la même direction, là où gisait le cadavre de l’ogre sauvage.

Les villageois n’avaient enterré que la moitié de l’ogre sauvage, et ils avaient placé un tas de foin à côté. Le mal devait être brûlé et purifié, d’où ce rituel. Les moindres détails différaient d’un village à l’autre, mais c’était une coutume courante dans ce monde. Ce n’était pas nécessairement le cas pour les monstres qui avaient une fourrure ou une viande utile, mais l’ogre sauvage n’avait pas cette utilité. Cette vue n’aurait pas dû être inhabituelle.

« Kei ? » Je l’avais appelée une fois de plus.

« Oh. Oui ? » Elle m’avait finalement remarqué et s’était tournée vers moi. « D-Désolée. J’étais dans la lune. »

Elle semblait un peu troublée, peut-être parce qu’elle pensait avoir fait une erreur. Elle avait souri comme pour l’effacer. L’instant d’après, ses traits enfantins s’étaient colorés de surprise. Un petit garçon avait soudainement couru dans notre direction. Il avait l’air d’avoir cinq ou six ans. Ses parents étaient probablement trop occupés à gérer l’élimination de l’ogre sauvage. Il nous avait regardés, Lily et moi, avec des yeux brillants. Ses pas étaient imprudents et peu fiables. Juste au moment où je pensais ça…

« Oh. »

***

Partie 2

Je n’ai même pas eu le temps de crier un avertissement. Le pied du garçon s’est accroché à quelque chose et il a trébuché.

« Vas-tu bien ? »

Kei était la plus proche d’entre nous et avait couru vers le garçon. Elle s’était agenouillée et l’avait remis debout. Je pensais qu’il allait pleurer, mais il ne l’avait pas fait. C’était une différence fondamentale entre les enfants de cinq ans que je connaissais et ceux élevés dans ces villages. Cela dit, les enfants restaient des enfants.

« Merci, madame. »

Il avait levé les yeux vers le visage encapuchonné de Kei. Son sourire était apaisant pour quiconque le voyait…

« Hein ? »

Mais ses yeux s’étaient soudainement transformés en soucoupes alors qu’il élevait la voix avec curiosité. Il fixa Kei d’un regard vide, puis il se retourna et regarda le cadavre de l’ogre sauvage.

« Hm ? »

Il avait encore élevé la voix, puis s’était retourné vers Kei. À cette distance, il pouvait voir sous sa capuche.

« Hé, madame, vos oreilles sont bizarres. Elles sont comme celles de ce monstre. »

Ses mots innocents avaient complètement gelé le sourire de Kei.

 

 ◆ ◆

Nous avions quitté le village et avions immédiatement poursuivi notre route. Nous ne pouvions pas atteindre la route de montagne dans la journée, alors nous nous étions préparés à camper pour la nuit avant la tombée de la nuit.

« Excuse-moi, Takahiro. Puis-je t’emprunter un peu de ton temps ? » demanda Shiran au milieu de nos préparatifs. Son expression était sinistre.

Shiran m’avait emmené à une petite distance des autres. Lily m’avait jeté un regard, mais je lui avais fait signe de ne pas s’inquiéter, en lui disant qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Après avoir été assez loin pour que les autres ne puissent pas nous entendre, elle était allée droit au but.

« Kei s’est comportée de manière plutôt étrange ces derniers temps. Quelque chose s’est produit-il au village ? »

« Oh… Oui, juste un petit quelque chose. »

J’avais jeté un coup d’œil à Kei, qui portait un pot vers le feu. Son expression n’avait clairement pas son éclat habituel. Depuis que nous avions quitté le village, il était clair comme le jour qu’elle se sentait déprimée. Il était naturel que son tuteur soit inquiet. J’avais brièvement expliqué à Shiran ce qui s’était passé.

« Je vois… C’est donc ce qui s’est passé…, » murmura Shiran avec un soupir de compréhension.

« Je suis presque sûr que le gamin n’avait pas de mauvaises intentions. »

Le garçon du village nous avait remerciés et était retourné chez ses parents. C’est pourquoi il avait couru pour nous voir. C’était un bon garçon au fond. Il avait simplement dit exactement ce qu’il pensait en voyant les oreilles de Kei. C’était un peu cruel de lui reprocher un manque de considération. Si je devais le dire, je dirais que la mauvaise personne l’avait salué au mauvais moment.

« Honnêtement, je ne pensais pas que Kei recevrait un tel choc, » avais-je ajouté.

Cela montrait à quel point elle était inquiète. Peut-être que la fille joyeuse était en fait étourdie parce qu’elle était elle-même concentrée sur les oreilles de l’ogre sauvage.

« Il y a beaucoup de monstres dans ce monde qui ressemblent aux humains, » dit Shiran sans enthousiasme. « Une grande majorité d’entre eux ont des oreilles comme nous, les elfes. » Elle avait touché ses oreilles effilées. C’était le trait caractéristique de sa race qui la séparait du reste de l’humanité. « Il y a ceux qui nous calomnient à cause de ces faits. »

« Oh, je comprends maintenant. C’est donc pour ça que la réaction de Kei était trop sensible. »

« Oui. Du point de vue de ces personnes, nous, les elfes, ne sommes rien de plus que des monstres étranges qui peuvent parler la langue humaine. » Shiran marqua une pause avant que son œil unique ne s’écarquille soudainement. « C’était un lapsus. Veux-tu bien me pardonner. »

C’était une description très précise de mes serviteurs. Shiran avait baissé la tête en s’excusant alors que je l’ignorais.

« Ne t’inquiète pas pour ça. Je sais que ce n’est pas ce que tu voulais dire. Pour commencer, même, ce ne sont pas tes mots, non ? En tout cas, c’est terriblement déraisonnable. »

Le racisme résumait assez bien la situation. Il y avait aussi des monstres qui ressemblaient à des humains et qui avaient des oreilles rondes. Gerbera, qui jouait avec Ayame en ce moment, était l’un de ces cas. Elle était une exception extrême parmi les arachnides, mais il y avait d’autres monstres avec de telles caractéristiques corporelles, aussi peu nombreux soient-ils. Les humains qui dénigraient les elfes de la sorte fermaient les yeux sur tout ce qui pouvait nuire à leurs revendications. En fait, cela n’avait pas vraiment d’importance pour eux. Ils pensaient que ceux qui différaient de la majorité étaient étranges.

Cela ne s’appliquait pas seulement aux elfes. Par exemple, il y avait aussi les éleveurs de bétail que nous avions vus errer dans le sud du comté de Lorenz. J’avais entendu dire que les gens les regardaient de haut, comme s’ils étaient inférieurs à tous les autres. À la base, la répulsion envers ceux qui sont différents de soi est une chose très physiologique. Ces personnes étaient irrationnelles. De leur point de vue, cela n’avait pas d’importance tant qu’ils pouvaient trouver une faute d’une manière ou d’une autre.

Par conséquent, Kei était excessivement sensible à ses oreilles distinctives. L’essence du problème n’avait rien à voir avec le garçon qui l’avait innocemment fait remarquer. En comprenant cela, j’avais froncé les sourcils en voyant à quel point le problème était profondément enraciné.

Shiran, en revanche, l’avait traité plutôt légèrement. « Si ce n’était que ça, il n’y a pas besoin de s’inquiéter pour elle. »

« Es-tu sûre ? Kei m’a l’air plutôt déprimée. »

J’avais trouvé cela plutôt inattendu de sa part. Shiran était stricte, mais elle semblait être très douce avec Kei. Je pensais qu’elle serait plus inquiète avec Kei se sentant déprimée comme ça, mais Shiran avait secoué la tête.

« Pour toute personne née en tant qu’elfe, déprimer pour quelque chose d’aussi simple rendrait impossible de gagner sa vie en dehors de sa maison. »

Il y avait un sentiment de réalité dans ses paroles, ce qui m’avait fait hésiter un instant.

« Alors… tu as vraiment toi-même surmonté une telle chose ? »

« Mon cas était un peu spécial, » répondit Shiran avec un sourire amer. « Quand j’avais à peu près son âge, je me suis engagée comme chevalier et j’ai perdu mon frère aîné. Je n’avais pas le temps de m’inquiéter de la façon dont les autres me voyaient. Tout ce qui m’importait était de le rattraper. En y repensant maintenant, je suis sûre que j’ai causé à la commandante une bonne dose d’anxiété… »

Le frère aîné de Shiran était le père de Kei. J’avais entendu dire qu’il était mort au milieu d’une mission. Je pouvais lire dans le comportement de Shiran qu’il avait eu un effet énorme sur le développement de sa personnalité.

« En tout cas, ce serait une chose si elle devait passer toute sa vie au village, mais si elle souhaite devenir chevalier, c’est une épreuve qu’elle doit surmonter. »

« N’est-il pas normal d’en parler au moins avec elle ? »

Je n’étais pas persistant parce que je pensais que Shiran avait tort ou autre. Elle avait son point de vue. Il n’y avait aucun doute sur sa logique. Pourtant, c’était difficile d’avoir raison parfois. Je savais combien il était difficile pour une personne moyenne de rester forte toute seule. J’étais moi-même plutôt faible, après tout.

C’était précisément grâce à Lily et aux autres filles que je m’accrochais à la vie et que je gardais un cœur solide. Cela ne s’appliquait peut-être pas à Shiran, mais je pensais au moins que la jeune Kei avait besoin du soutien des autres. Sa tante était la personne la plus apte à remplir ce rôle. Cependant, Shiran était d’un avis différent.

« Je ne peux pas être là à ses côtés pour toujours. »

Sa voix était comme les vents du nord. Il y avait une froideur derrière elle, mais elle n’était pas dirigée contre Kei. C’était dirigé contre elle-même. Avant que je puisse dire quoi que ce soit, l’expression de Shiran avait complètement changé et elle m’avait fait un sourire.

« Bien que… Je suppose qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter. »

Son sourire était rempli de chaleur et de bonheur. Je ne savais pas ce qui la rendait si heureuse.

« Pour commencer, » continua-t-elle, « Cette affaire n’a été un choc pour elle que par sa soudaineté et parce que tu étais là pour en être témoin, Takahiro. »

« Moi ? Pourquoi ? »

« Parce qu’elle place une grande partie de sa foi et de ses faveurs en toi. Je suis sûre qu’elle aurait préféré que tu ne sois pas témoin d’une scène aussi désagréable. »

Est-ce donc ainsi ? Je me l’étais demandé. Je n’ai pas vraiment compris. À mes yeux, Kei semblait bien plus attachée émotionnellement à Katou, et Gerbera était bien plus une amie pour elle. Je n’étais toujours pas convaincu.

Le sourire de Shiran s’élargit encore plus. « D’ailleurs, il semble que je n’ai rien à faire. »

« Que veux-tu dire ? »

« Il semble que tu ne sois pas le seul à prêter attention à ses besoins, » répondit Shiran, déplaçant son regard vers Kei. Elle était réunie avec tout le monde alors qu’elles cuisinaient ensemble sur le pot.

 

 ◆ ◆

Tout le monde à l’exception d’Ayame et Asarina avait naturellement remarqué que le plus jeune membre de notre groupe se sentait déprimé. Alors qu’elles préparaient le dîner, Lily n’avait cessé de discuter avec elle.

Lily était plutôt douée pour les activités ménagères. Faire du camping en plein air était une compétence totalement différente, mais elle se débrouillait bien dans ce domaine également. Elle semblait aussi aimer ce genre de travail, et même si nous avions assez de mains pour tout le monde, elle était très active dans la préparation de nos repas.

Après m’avoir poliment chassé, Lily et Katou avaient préparé le dîner tout en engageant Kei. À une courte distance de là, j’avais fait une simulation de combat avec Rose. Lorsque nous avions examiné les différents types d’armes, Rose avait décidé de changer son équipement. Elle ne maniait plus une hache de guerre à une main.

Rose tenait une seule énorme hache à deux mains. C’était une hache appelée bardiche. Une grande lame courbée sur environ un tiers de la poignée. Elle avait attaché un tissu sur le bord pour notre bataille. C’était une précaution contre les accidents, vu qu’il n’y avait pas un aussi grand écart entre Rose et moi qu’avec Gerbera. Aussi, elle n’était pas encore habituée à sa nouvelle arme.

« Dans ce cas, prépare-toi, » déclara Rose.

Notre séance d’entraînement commença. J’avais repoussé de justesse son coup vigoureux avec mon bouclier et j’avais frappé avec mon épée. Elle l’avait esquivé de justesse à son tour. À première vue, j’avais l’air de me battre contre elle, mais Rose révisait chaque mouvement qu’on lui avait enseigné, et elle retenait ses coups. J’étais plus ou moins capable de me battre maintenant, mais j’avais encore un long chemin à parcourir.

Shiran, les bras croisés, surveillait notre échange d’attaque et de défense. Rose voulait aussi être guidée dans les bases des arts martiaux, c’est pourquoi je n’avais pas combattu Shiran dernièrement. Au lieu de cela, elle nous surveillait comme ça et faisait remarquer tout ce qu’elle remarquait. Cela dit, elle semblait un peu agitée aujourd’hui. J’en connaissais la raison, donc je ne lui en avais pas voulu. Malgré ce qu’elle avait dit, Shiran n’était pas aussi stricte qu’elle le laissait entendre.

Par ailleurs, je continuais mon entraînement pratique avec Gerbera en plus de ce combat plus traditionnel, mais cela se passait tôt le matin. Gerbera passait la plupart de ses soirées en ce moment à jouer avec Ayame.

Petite parenthèse, Gerbera ne savait pas cuisiner. En dehors de tout ce qui concerne les vêtements, elle n’était pas très douée. Elle pouvait manger toutes ses proies crues, donc elle ne comprenait pas vraiment la nécessité de cuisiner. Cela avait conduit à un manque total d’intérêt. Quant à Rose, elle avait beaucoup d’autres tâches à accomplir, mais même sans cela, elle ne savait pas non plus cuisiner. Lily était en fait la plus étrange à pouvoir cuisiner malgré son statut de monstre.

J’avais terminé mon entraînement juste au moment où le dîner était prêt. Après que tout le monde se soit réuni pour le repas, il était temps d’étudier. J’avais demandé à Shiran de me donner un cours sur la magie. Katou avait également participé à ce cours.

Peu de temps après, une acclamation stridente avait éclaté à une petite distance. Il semblait que Rose avait sorti l’un de ses travaux d’essai-erreur devant le groupe. Elles étaient toutes réunies autour d’un simple télescope.

« Donc il est possible de fabriquer un télescope à partir de rien, hein ? » avais-je marmonné en regardant Lily regarder la lune à travers le télescope.

« On dirait bien. Cependant, il n’a pas l’air d’avoir beaucoup de grossissement, » répondit Katou de mon côté.

« Nous avons récupéré la lentille qu’elle utilise en achetant des colorants, » ajouta Shiran. « Il ne correspond pas tout à fait à la qualité de ce qui est disponible dans votre monde, alors j’avais peur qu’il ne fonctionne pas. Je suis soulagée de voir qu’elle a réussi. »

« Y a-t-il des télescopes ici aussi ? » avais-je demandé.

« Il y en a. Ceux qui fonctionnent bien sont utilisés comme équipement militaire. Ils sont assez inutiles dans les bois avec tous les arbres qui bloquent la vue, donc ils n’étaient pas disponibles au Fort de Tilia. Je n’en ai jamais tenu un pour moi-même. »

« Dans ce cas, que dirais-tu d’aller les rejoindre ? »

Comme d’habitude, Gerbera était la plus excitée. Kei s’amusait aussi énormément. J’avais jeté un coup d’œil sur elles tandis que Shiran les observait avec l’œil d’un gardien.

 

 

« Ça ne me dérange pas vraiment si nous sautons un jour de cours, » avais-je suggéré.

« C’est vrai. Ça ne me dérange pas non plus, » ajouta Katou.

Shiran avait secoué la tête. « Non. Je m’abstiens pour l’instant. Passer du temps avec tes serviteurs comme ça va sûrement encourager Kei. Je crois qu’il serait préférable que je ne me joigne pas à elles. »

« Je vois… »

J’ai plus ou moins compris où Shiran voulait en venir. Pour la jeune Kei, passer du temps avec des êtres bien plus inhumains qu’elle pouvait aider à renverser son complexe. D’un autre côté, passer du temps avec une jeune fille comme Kei était également bon pour mes serviteurs.

C’était mieux si Shiran et moi n’étions pas là. C’était un peu triste, mais c’était ce que cela signifiait de veiller à leur croissance. Alors que je pensais ça, quelque chose d’autre avait soudainement attiré mon attention.

Katou regardait fixement Shiran alors que nous deux surveillions les autres.

« Quelque chose ne va pas, Mana ? » demanda Shiran.

« Non… Ce n’est rien. » Katou secoua la tête et détourna le regard. « C’est probablement juste mon propre malentendu… »

 

 ◆ ◆

Le jour suivant, nous avions pris la route de la montagne vers midi. Nous étions arrivés jusqu’ici sans incident, il n’y avait donc pas lieu de s’inquiéter d’une poursuite de l’Empire. S’ils avaient envoyé quelqu’un de Serrata, ils nous auraient déjà rattrapés. La probabilité que cela se produise maintenant était plutôt faible. Un tel jugement était parfaitement sain… du moins en ce qui concerne les poursuivants impériaux.

***

Chapitre 16 : La confession d’une bête

Partie 1

La route à travers les montagnes de Kitrus était accidentée. Pour éviter les changements rapides d’altitude, la route serpentait autour des falaises. De ce fait, la distance que nous devions parcourir était plusieurs fois supérieure à celle d’une ligne droite vers notre destination. Mais malgré la configuration de la route, nous avions rencontré de nombreuses pentes que la manamobile ne pouvait pas surmonter avec sa puissance, nous obligeant à sortir et à pousser.

Le seul point positif était que les routes étaient larges. C’était une relique de l’époque de la guerre entre l’Empire et l’Alliance, lorsqu’ils avaient entretenu cette route. Pourtant, les pentes raides n’étaient que la partie émergée de l’iceberg. Des arbres tombés gisaient en travers de la route, la verdure envahissait notre chemin, et des années de glissements de terrain obstruaient notre passage.

Si nous étions à pied, au pire, nous pourrions forcer le passage directement sur la montagne avec la force des filles. Cependant, cela ne fonctionnait pas avec un véhicule. Cela aurait été bien s’il y avait eu des détours à prendre, mais il n’y avait rien d’aussi pratique à portée de main.

Cela dit, nous pouvions techniquement abandonner la manamobile, mais la commandante nous l’avait prêté. Même si ce n’était pas le cas, une fois la montagne franchie, certains d’entre nous avaient besoin du véhicule pour se dissimuler aux yeux de tous. Dans notre monde, nous aurions été obligés d’abandonner et de faire demi-tour.

J’avais regardé le énième obstacle de notre voyage. Plus bas sur la falaise se trouvaient des arbres renversés, creusés par la pourriture, d’où poussaient des champignons vénéneux. Ils avaient dû tomber lors d’un glissement de terrain il y a des années. Vu le peu de voyageurs qui empruntaient ce chemin, le manque d’entretien était prévisible. Nous avions dû faire quelques réparations pour passer.

« Lily, j’ai fini de vérifier l’avant, » dit Shiran, revenant après avoir fait des repérages toute seule.

Elle avait à nouveau revêtu son armure de chevalier, ayant jugé qu’aucun poursuivant de l’Empire ne venait. Sa silhouette vaillante s’arrêta de l’autre côté de la route brisée.

« Je ne sens personne à proximité. Nous sommes prêts à traverser dès que tu es prête, » avait-elle rapporté.

Nous n’avions encore croisé personne, mais cette route n’était pas entièrement désaffectée. Chaque fois que nous voulions faire quelque chose de voyant, nous devions nous assurer que personne n’était là pour le voir.

Lily était à genoux et regardait le sol. « D’accord, c’est parti, » dit-elle en se redressant et en tendant sa main droite.

Un glyphe jaune avait pris forme au bout de ses doigts. C’était une magie de terre de grade 2, l’un des éléments qu’elle avait acquis en mangeant un grand nombre de monstres au Fort de Tilia. La terre s’était soulevée sur la route ravagée par les glissements de terrain. Lily fit cela plusieurs fois, comblant les trous.

La magie de terre qu’elle venait d’acquérir était extrêmement utile dans des moments comme celui-ci. Même en venant ici, Lily avait pratiqué ses nouveaux tours en déplaçant les arbres qui étaient sur le chemin et en réparant les nids de poule.

Elle avait ses limites, bien sûr. La magie de terre était polyvalente, mais même pour un œil non exercé, il était clair que les exploits de Lily n’étaient pas particulièrement avancés. Par exemple, il y avait des spécialistes de la magie affiliés à l’armée qui étaient employés comme ouvriers du bâtiment.

Dans le cas de Lily, elle pouvait créer de la terre pour combler les trous, mais elle ne pouvait pas la rendre dure et solide comme la route originale. Les manamobiles avaient été conçues en partant du principe qu’elles se déplacent sur un sol plat, et passer sur une surface aussi accidentée risquait d’endommager le véhicule. Quoi qu’il en soit, ce qui ne pouvait être accompli par une seule personne pouvait l’être avec l’aide d’une autre. Le chemin était maintenant ouvert grâce à Lily. Il n’y avait pas d’obstacles, et nous avions une stabilité raisonnable. C’est juste que ça ne convenait pas à la manamobile.

« D’accord, Gerbera, vas-y, » dit Lily.

« Hm. »

Gerbera acquiesça et se baissa, fixant ses huit jambes en place. Elle tendit le bras et saisit le parechoc à l’avant du véhicule. La manamobile avait grincé, et Gerbera l’avait soulevée du sol sans effort. À la vue du véhicule, on pouvait se demander s’il n’était pas en papier, mais le véhicule robuste était aussi lourd qu’il en avait l’air. Son châssis, que Rose avait renforcé au préalable, grinçait même sous son propre poids.

Les jambes de Gerbera étaient restées stables alors qu’elle marchait sur le sol accidenté que la magie de Lily avait créé. Elle avait gardé les mouvements verticaux au minimum, portant la voiture absolument à niveau avec des mouvements étrangement doux. Sa force physique était impressionnante, et son sens de l’équilibre était également extraordinaire. Ayant fait cela plusieurs fois déjà, il n’y avait aucune incertitude dans son travail de transport.

« Prendre un véhicule et se promener avec, c’est un peu comme mettre la charrue avant les bœufs, » avais-je marmonné.

« C’est vrai. Tu n’as pas tort, » répondit Katou en ricanant et en se tenant à côté de moi.

Rose, qui supervisait le travail à côté de Katou, avait donné des instructions à l’araignée blanche. « Gerbera, ça penche un peu sur la droite. S’il te plaît, fais attention. »

« Oh. Affirmatif. De toute façon, ce véhicule a été modifié par tes mains, donc je ne crois pas qu’il se brisera pour une telle bagatelle. »

« C’est quand même mieux de garder la charge au minimum, non ? »

« Hmm. C’est aussi vrai, » répondit Gerbera avec un sourire.

Je ne m’en étais rendu compte que récemment, mais Gerbera, magnanime, mais un peu distraite, équilibrait très bien Rose, sérieuse et méthodique.

Gerbera laissa échapper un rire et manipula la manamobile avec une dextérité inattendue, l’empêchant de trembler alors qu’elle levait les yeux vers lui.

« Eh bien, je suppose que je devrais être plus prudente que d’habitude. Je veux dire, Kei est toujours à l’intérieur. »

« J’ai confiance en toi, Gerbera, » avait répondu une voix enfantine et joyeuse depuis l’intérieur du véhicule.

« Comment est la vue de là-haut ? »

« C’est un peu étrange. Il n’y a pas de vibration ou autre. C’est nouveau et intéressant ! »

« Tant que tu t’amuses. »

Les deux filles avaient continué à bavarder. Gerbera avait suggéré que Kei reste à l’intérieur de la manamobile. En conséquence, le travail fastidieux consistant à le déplacer par-dessus les obstacles était devenu une attraction impromptue. Leur plaisir était contagieux. Le simple fait de les regarder agir ainsi m’avait diverti.

Faire face à ces barrages routiers était devenu une routine. Même si nous avions le loisir de nous amuser ainsi maintenant, cela avait été un sérieux problème lorsque nous avions commencé à emprunter ce chemin de montagne. En fin de compte, Gerbera devait souvent transporter le véhicule. Nous avions pu continuer en faisant cela, mais avec toutes les secousses de la route inégale, la manamobile n’était pas adaptée à la conduite.

Cependant, lorsque nous étions sortis pour marcher, les pentes étonnamment raides avaient sapé notre endurance. Contrairement à moi, maintenant que je pouvais utiliser le mana, et à Kei, qui s’était entraînée pour devenir chevalier malgré son jeune âge, Katou ne pouvait pas du tout suivre. Les routes étaient suffisamment mauvaises pour que Rose doive la porter assez souvent.

Selon les circonstances, sécuriser un chemin assez large pour la manamobile pouvait nous faire perdre plusieurs heures. Il y avait aussi eu des moments où le véhicule s’était retourné, nous laissant tous pâles, et d’autres où nous avions passé une demi-journée à réparer une roue cassée.

De temps en temps, nous avions rencontré des monstres. Il était dangereux de subir une attaque sur un chemin aussi étroit, et nous devions protéger le véhicule et la route elle-même pour qu’ils ne subissent pas de dommages pendant la bataille.

Nous n’étions pas vraiment pressés, nous allions donc à notre propre rythme. Pourtant, avant de nous en rendre compte, près de dix jours s’étaient écoulés depuis que nous avions commencé à emprunter cette route de montagne. Si le chef du dernier village de récupération que nous avions visité avait raison, l’un des bras de la rivière Aralia traversait les montagnes de Kitrus à mi-chemin. Maintenant que nous étions habitués à traverser la montagne, il était possible que la seconde moitié de notre voyage passe plus vite.

Nous avions réussi à nous réapprovisionner au dernier village de récupération, donc nous avions encore un surplus de nourriture. Il semblerait que nous allions traverser cette chaîne de montagnes sans incident. C’est ce que je croyais. Je n’avais pas su à quel point je me trompais jusqu’au lendemain.

 

 ◆ ◆

Le malaise était apparemment quelque chose que l’on pouvait ressentir même en dormant.

C’était le matin. J’avais ouvert mes paupières lourdes et j’avais vu des yeux rouges qui me regardaient. Ils semblaient presque envoûtés.

Ce n’était pas Lily. Rencontrer son regard quand je me réveillais était un événement assez courant, mais dans la plupart des cas, c’était parce que je me réveillais dans ses bras. J’étais un dormeur plutôt agité. J’avais passé un temps assez long à dériver dans et hors de la conscience en serrant son corps légèrement froid contre le mien. Ainsi, trouver cette fille bien-aimée juste en face de moi lorsque j’avais ouvert les yeux n’était pas surprenant.

Cependant, les choses étaient différentes ce matin. Sans aucun avertissement, à bout portant, j’avais vu un beau visage qui pourrait même faire honte à une déesse. Son expression ensorcelée s’était figée au moment où j’avais croisé son regard. Quelque chose ne tournait pas rond.

Aah, c’est tout à fait son genre, m’étais-je dit, en essayant d’échapper à la réalité qui s’offrait à moi.

« Oh. Uhhh… »

Son souffle choqué avait chatouillé la peau sensible autour de mes lèvres. Cette sensation avait servi d’interrupteur pour relancer ma conscience bloquée.

« Que fais-tu, Gerbera ? »

L’araignée blanche était totalement raide, penchée sur mon corps allongé. Une main touchait ma poitrine, et l’autre se pressait contre ma joue. Ses cheveux blancs éblouissants pendaient, dont une touffe s’était présomptueusement glissée dans le col de mes vêtements. Une jambe d’araignée était plantée de chaque côté de ma tête, soutenant le haut de son corps penché. Sa posture criait pratiquement qu’elle allait me voler un baiser.

« Tu… tu te trompes, mon Seigneur, » dit-elle avec raideur. « Tu te trompes vraiment. »

J’étais presque sûr d’avoir tout compris. Il n’y avait pas beaucoup de place pour l’interprétation, étant donné la situation. Je l’avais regardée d’un air dubitatif, ce à quoi elle avait répondu par un débit rapide.

« Je me tiens correctement. »

Je n’avais pas besoin de demander ce qu’elle tenait. Ce serait en fait plus gênant si elle me le disait.

« Te voir dormir si paisiblement, tout seul, depuis l’aube… N’est-ce pas une chose merveilleuse ? »

À en juger par la couleur du ciel, c’était environ une heure après l’aube. Ce qui signifiait qu’elle venait d’avouer qu’elle pouvait fixer mon visage aussi longtemps sans se lasser, mais elle ne semblait pas y prêter attention. De plus, sa confession n’était pas terminée.

« Et, alors que je continuais à te fixer, je suis tombée dans un état second. Avant de m’en rendre compte, ton visage était juste là devant moi… Je ne l’ai pas fait exprès. Je n’essayais certainement pas de t’agresser dans ton sommeil. Quant à suivre le courant et voler un contact avec tes lèvres… Je l’ai peut-être imaginé… juste un peu. »

« D’accord. C’est suffisant. J’ai compris l’essentiel. » J’avais réussi à l’arrêter là. J’étais de plus en plus embarrassé à mesure que je l’écoutais. « De toute façon, laisse-moi un peu d’espace. »

« Oh. C’est vrai. Désolée. »

Gerbera s’était un peu retiré, et j’avais enfin compris ce qui m’entourait. Il était encore tôt le matin. Les seules personnes à proximité étaient Kei, Katou et Ayame, qui dormaient toutes profondément. La seule personne qui s’était réveillée à cause de notre conversation était Ayame, qui avait levé son museau pour renifler l’air, puis s’était recouchée comme si elle disait. « Non, ce n’est pas encore l’heure du petit-déjeuner. »

« Où sont les autres ? »

« Il y a peu de temps, Lily m’a laissée m’occuper de ta sécurité et est allée vérifier le travail de Rose. Shiran n’était pas là quand je me suis réveillée, mais Lily a mentionné qu’elle était allée vérifier notre environnement. »

« Je vois. »

Je fronçais les sourcils. Lily essayait probablement d’aborder le mimétisme partiel sous un angle nouveau. J’espérais qu’elle ne se poussait pas au-delà de ses moyens. Sa vitalité en tant que slime était stupéfiante, mais pour moi, c’était une fille précieuse. Je ne pouvais pas m’empêcher de m’inquiéter.

Shiran avait aussi tendance à se surmener, alors je m’inquiétais aussi pour elle. Cela dit, j’avais l’impression qu’elle avait réussi à se calmer dernièrement. Lorsque nous avions quitté Serrata, elle avait toujours foncé comme une flèche dès qu’elle avait repéré un monstre. Après avoir atteint cette route de montagne, elle avait cédé ce rôle à Gerbera, maintenant que nous n’avions plus à nous inquiéter autant d’être vus.

Il semblait que Shiran se poussait à bout dès que je la quittais des yeux, donc je devais vérifier qu’elle allait bien, mais Lily était celle dont je devais m’occuper le plus tôt possible. Si l’occasion se présentait, ce serait une bonne idée de l’interpeller… Mais d’abord, je devais m’occuper de Gerbera.

« Hum, Gerbera ? »

« Qu’est-ce qu’il y a, mon Seigneur ? »

Gerbera m’avait regardé comme un enfant surpris à faire quelque chose de mal. J’avais souri ironiquement.

« Je ne suis pas vraiment en colère, alors n’aie pas l’air d’avoir peur. »

***

Partie 2

Je ne pouvais pas vraiment lui reprocher de se détendre à l’abri des regards des autres et de tomber dans un état d’hébétude en regardant le visage endormi de son bien-aimé. C’était normal pour une jeune fille en pleine croissance. Gerbera semblait un peu gênée de me voir sous un tel jour, mais ça ne faisait pas de mal. La façon dont elle avait commencé par inadvertance à se retourner vers moi lui ressemblait vraiment. Le fait qu’elle s’empêchait de franchir cette dernière ligne tout en le faisant était légèrement étonnant, mais il n’y avait pas de quoi se mettre en colère.

« Mais… ça ne me dérangerait pas si au moins tu me détaches. »

« Te détacher… ? »

Gerbera pencha la tête. Je l’avais guidée avec mon regard vers mon propre corps. Ses yeux avaient suivi les miens, et elle avait repéré comment j’étais enveloppé dans ses fils. Je ne pouvais pas du tout bouger. J’étais complètement ligoté.

« Hwah !? » Gerbera poussa un cri hystérique. Elle n’avait vraiment pas remarqué. J’avais plutôt bien deviné que c’était le cas. « D-Désolée. Je l’ai fait inconsciemment, ou je veux dire, instinctivement, je veux dire, je ne l’ai pas fait parce que je pensais à… »

« Je t’ai dit que je ne suis pas en colère. Tu n’as pas besoin de t’excuser. »

J’avais forcé un sourire, me sentant un peu mal à l’aise face à l’état de panique dans lequel elle se trouvait.

« Mais fais attention à partir de maintenant, » lui avais-je dit alors qu’elle prenait ses fils dans un élan pour me détacher. « Attendre que quelqu’un dorme et l’attacher est quelque chose qui doit être fait entre amoureux. »

Ses doigts s’étaient arrêtés d’un coup.

« Amoureux… ? » murmura-t-elle. Ses fins sourcils s’étaient plissés à cette idée.

« Gerbera ? »

Ses mains s’étaient complètement arrêtées, me laissant toujours attaché.

« Maintenant que j’y pense… il est plutôt rare que nous puissions parler tout seuls. C’est peut-être une bonne occasion, » marmonna Gerbera, puis hocha la tête. « Je suis allée dire fièrement à quelqu’un d’autre : “Pourquoi ne pas dire à mon seigneur ce que tu ressens ?”. Donc, je serais désespérée si je laissais passer une telle opportunité… D’accord ! »

Gerbera s’était relevée et avait tourné ses yeux rouges vers mon visage. Le temps que je comprenne, l’effrayante araignée géante s’était abattue sur moi.

« Hein ? »

Attaché comme je l’étais, je n’avais même pas pu m’échapper par réflexe. Avant que je ne le sache, ses bras souples étaient enroulés autour de mon cou. La sensation d’un tissu soyeux effleura le côté gauche de mon visage. Les deux bourrelets à l’intérieur du tissu avaient poussé sur moi avec une élasticité sans comparaison. Tout mon champ de vision était dominé par le décolleté dans ses vêtements blancs, mettant la peau lisse de son décolleté à portée de main.

« Quoi — !? »

Au moment où j’avais réalisé ce qui était pressé contre mon visage, mon cœur avait battu la chamade. Il devait y avoir une limite aux attaques-surprises. Ma gorge s’était asséchée en un instant.

« Monseigneur… »

Le coup final. Sa voix sérieuse avait léché mon oreille. Le poids des sentiments contenus dans son ton rauque avait écrasé ma poitrine.

« Tu sais, Monseigneur ? Je ne comprends pas grand-chose aux humains. Je ne connais pas leurs faiblesses ni les forces qui peuvent naître de ces faiblesses… Hm. Je ne comprends tout simplement pas. Je ne peux pas comprendre. Je ne peux le saisir qu’après que quelqu’un me l’ait dit. »

Je pouvais sentir le cœur de Gerbera battre comme un marteau dans sa poitrine. Elle semblait être assez nerveuse. Ou peut-être qu’excité était le meilleur terme. Je pouvais entendre ses jambes sautiller.

« Fondamentalement, je suis une bête. Donc, en fin de compte, je ne peux que transmettre mes mots à la manière d’une bête. C’est ce que je crois. »

« Transmettre… quoi ? »

J’avais finalement réussi à ouvrir la bouche, et Gerbera avait resserré son étreinte sur moi.

« Tu vois, Monseigneur, même maintenant, je veux te prendre dans mes propres mains. »

J’avais hoché la tête sans le vouloir. Les émotions dans ses mots m’avaient forcé à le faire. J’étais bien sûr conscient de ses sentiments pour moi. Je le savais depuis notre séjour dans le nid de l’arachnide. Nous avions aussi le cheminement mental. Mais même sans cela, son comportement habituel ne l’avait jamais caché, donc ses sentiments étaient très clairs. Même avant ça, elle m’avait dit en face qu’elle voulait me prendre. C’était cependant d’un tout autre niveau.

« Je veux te ravir, mon Seigneur. » Franche, honnête et directe… C’était la façon de Gerbera de se confesser. « Si possible, je voudrais que tu répondes à mes sentiments. »

Gerbera s’appelait elle-même une bête. Maintenant que j’y pense, il y avait une certaine vérité à cela. Cependant, en même temps, ce n’était qu’une fille, extraordinairement attirante en plus. Si je lui rendais son étreinte dans cette situation… j’étais certain que mes freins ne fonctionneraient plus du tout.

« Ne suis-je… pas assez bien pour toi ? » demanda Gerbera, en reculant très légèrement.

« Gerbera… »

J’étais fasciné par son regard fiévreux. J’avais l’impression que mon sens de la raison s’évaporait. Mon corps tout entier était engourdi comme s’il était dans un rêve. Je pouvais sentir son tremblement anxieux contre ma peau. Le son d’un scintillement constant chatouillait mes oreilles. Son corps était dangereusement doux, et son arôme doux flottait sur mon nez.

« Si c’est non, alors montre-moi une preuve. Si tu me rends mon étreinte, alors je… »

Sa voix était bien trop passionnée, et elle avait fait fondre toute résistance qui me restait…

 

 ◆ ◆

J’écoutais le claquement intermittent des roues heurtant la surface rugueuse de la route. Nous avions descendu le chemin sinueux qui serpentait autour de la montagne. Il y avait un mur de roche à notre droite. Sa surface exposée semblait fragile. Nous avions déjà dû dégager deux glissements de terrain aujourd’hui.

Sur notre gauche se trouvait une rivière rapide au bas d’une pente raide. On disait que l’Aralia était une énorme rivière qui traversait le centre du continent. L’une de ses branches traversait les montagnes de Kitrus, qui était la rivière que nous voyions en dessous de nous en ce moment. D’après ce qu’on m’avait dit, elle continuait à couler au-delà de la chaîne de montagnes et bifurquait vers notre destination, Aker. Elle traversait ensuite les Bois Sombres au nord, dans le comté de Longue.

Les Bois Sombres, vestiges intacts des Terres forestières, étaient tous habités par de puissants monstres. C’est la raison pour laquelle ils étaient restés intacts. La rivière traversait une région dont on disait qu’elle était le domaine d’un monstre légendaire appelé la Rage de la Terre. Il était possible que nous ayons l’occasion d’aller voir une fois que nous serons installés à Aker.

Alors que je pensais à de telles choses, Lily, qui marchait à côté de moi, m’appela à voix basse. « Hé, Maître ? » Elle ne regardait pas dans ma direction, elle se concentrait sur les autres derrière nous, près de la manamobile en mouvement. « Gerbera a l’air vraiment déprimée. Est-ce que quelque chose est arrivé ? »

« Je suppose qu’on pourrait dire que quelque chose a… ou n’a pas ? » avais-je répondu vaguement, en jetant moi-même un coup d’œil en arrière.

Rose tirait la manamobile de l’avant comme un pousse-pousse, tandis que Gerbera se traînait à côté d’elle.

Aah, elle est en assez mauvais état. C’était facile à voir en un coup d’œil. Je m’étais gratté la joue, ne sachant pas quoi faire.

Au final, il ne s’était rien passé entre nous deux. Nous ne nous étions pas embrassés. Nous ne nous étions même pas enlacés.

« Si c’est non, alors montre-moi une preuve. Si tu me rends mon étreinte, alors je… »

Sa voix passionnée m’avait poussé à le faire. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais physiquement pas… Mes deux bras avaient été attachés par ses fils. Lorsque je l’avais informée que je ne pourrais rien faire, tant qu’elle ne m’aurait pas détaché, elle n’avait pas pu supporter plus longtemps cette atmosphère gênante. L’humeur était importante pour de telles questions. Une fois qu’elle avait repris ses esprits, il était difficile de continuer.

Accablée de chagrin, Gerbera avait murmuré. « Pourquoi ? Pourquoi suis-je comme ça… ? » Elle avait l’air presque d’une philosophe. Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander exactement la même chose. Elle avait eu une telle opportunité, mais l’avait complètement gâchée au moment crucial. C’était vraiment approprié venant d’elle.

« Je peux deviner ce qui s’est passé en vous regardant tous les deux, » dit Lily en me regardant. « D’un autre côté, vu comme elle est déprimée, cela veut dire qu’elle a dû être très proche, hein ? »

Cela avait fait bondir mon cœur, mais l’expression de Lily était restée douce.

« Je ne pense pas avoir besoin de te le dire, mais accepte-la correctement, d’accord, Maître ? »

À part les détails, Lily semblait vraiment savoir ce qui s’était passé. C’était plus son intuition féminine que quelque chose à voir avec notre cheminement mental. Ou peut-être que Gerbera et moi étions juste trop faciles à lire.

« Es-tu d’accord avec ça, Lily ? » avais-je demandé à l’improviste.

« Hmm, je comprends ce que tu essaies de dire, mais tu rates un peu l’essentiel, » répondit Lily avec une expression troublée. « Nous ne sommes pas des humains de ton monde… En fait, nous ne sommes pas des humains du tout. De notre point de vue, de telles pensées ne sont pas sincères. Pour commencer, nous sommes toutes tes serviteurs, mais tu es notre seul maître. J’ai les souvenirs de Miho Mizushima, mais les autres n’ont probablement aucune idée de ce qui te préoccupe. »

« Mais tu le comprends, non ? »

« Je comprends, mais je n’en ai pas vraiment de raison d’accepter ça. Ce sont les valeurs de Miho Mizushima, pas les miennes, » dit-elle d’un ton clair, puis elle haussa les épaules. « Je sais que tu n’es pas du genre à changer de fille au gré de tes envies. Honnêtement, j’étais un peu inquiète… Mais d’après ce que je vois, les choses se passent bien. Si elle s’est rapprochée, alors c’est juste un peu plus loin, non ? »

Tout ce que Lily avait dit était raisonnable. Si j’avais répondu aux sentiments de Gerbera, ne serait-ce qu’un peu, j’avais l’impression que ça aurait été un coup décisif. C’était à quel point j’étais attiré par elle. Sa confession franche avait assez de force destructrice pour me faire prendre conscience de la force de mes sentiments pour elle. Maintenant que je le savais, je ne pouvais pas fermer les yeux et prétendre que je ne savais pas.

Lily m’avait lancé un regard alors que je laissais échapper un petit gémissement et souriait. « Tee hee. Gerbera est une fille très directe, après tout. Elle est maladroite, et elle ne prend pas de détours, mais peut-être que c’est ce qui lui permet d’arriver à destination le plus rapidement possible. Je suis sûre que lorsque c’est le plus important, ce côté d’elle te sera d’une grande aide. Je veux dire, dans un sens différent de sa force pure. » Lily murmura ensuite lentement. « Avec ça, je pense que je peux aussi me sentir à l’aise. »

Je n’avais pas vraiment compris sa dernière déclaration. Je m’étais tourné pour regarder le profil de Lily. Elle affichait un sourire fugace. Je pensais l’avoir déjà vu auparavant. Cela m’avait rappelé ce faubourg à l’extérieur de Serrata. Elle avait souri de la sorte lorsque nous étions seuls dans la maison. J’avais instinctivement senti que je ne pouvais pas laisser passer ça. Cependant, la situation avait pris une tournure inattendue.

« Qu’est-ce que… »

C’est arrivé au moment précis où j’avais commencé à lui demander des précisions. Mes pensées avaient tout de suite changé d’orientation. Même si nous nous y étions habitués, la montagne comportait de nombreux dangers. Par exemple, il y avait des glissements de terrain et des attaques de monstres. Nous devions nous assurer de maintenir un certain niveau de vigilance.

J’avais entendu un bruit à environ dix mètres devant nous. Une présence était soudainement apparue à côté du bruit. Je n’avais pas réalisé qu’elle était là jusqu’à maintenant, ce qui signifie qu’il s’était caché pour que nous ne le remarquions pas. Je doutais que quiconque ait une bonne raison de le faire. Ainsi, il n’y avait qu’un seul moyen d’y faire face. Nous n’avions pas besoin de nous donner d’instructions les uns aux autres. Lily avait pris les devants et s’était positionnée de manière à me protéger. J’avais mis la main sur mon épée et j’avais rapidement fait un pas en arrière.

« Je t’ai finalement rattrapé. »

En entendant la voix en face de moi, j’avais réalisé que ma compréhension de la situation était à moitié juste et à moitié fausse. J’avais raison sur ses mauvaises intentions. Elle me bloquait le passage, l’air hostile. Cependant, j’avais tort sur le fait qu’elle cachait sa présence pour se rapprocher de nous. Elle n’avait rien fait de la sorte. Il n’y avait pas besoin de le faire. Elle était forte, elle n’avait pas besoin de recourir à des méthodes aussi sournoises. Elle n’avait probablement jamais pensé à le faire. Elle était simplement si rapide qu’on aurait dit qu’elle était apparue soudainement. Elle était venue ici à une vitesse que personne d’autre ne pouvait égaler.

« Iino… Yuna… »

Le membre le plus rapide de l’équipe d’exploration, la Skanda Iino Yuna, se tenait juste devant nous.

***

Chapitre 17 : Le vent soufflant de Serrata ~ Point de vue d’Iino Yuna~

Partie 1

Une semaine après avoir quitté le Fort de Tilia à la tête de l’élite des Chevaliers Impériaux, j’étais arrivée à la Colonie. J’avais été choquée par le changement complet qu’avait subi notre installation temporaire, mais j’avais tout de même passé la semaine suivante à récupérer les survivants qui s’étaient réfugiés dans les cabanes voisines. Une vingtaine de jours s’étaient écoulés pendant que nous les protégions sur le chemin du retour.

« Ce n’est pas possible… »

Quarante jours s’étaient écoulés depuis notre départ pour les Profondeurs. En revenant de mon opération de sauvetage, j’avais été accueillie par la vue inattendue du Fort de Tilia en ruines. J’étais complètement déstabilisée par cette situation inexplicable. Où étaient passés les défenseurs ? Où étaient mes camarades de classe ? Les réponses étaient claires rien qu’en regardant la forteresse détruite, mais je ne pouvais pas l’accepter tout de suite. Le choc m’avait presque fait tomber à genoux. Je ne pouvais pas montrer une telle faiblesse devant les camarades dont je m’occupais, bien sûr. Cette seule pensée m’avait soutenue, me permettant à peine de garder mon calme.

Après avoir bien examiné la forteresse, nous avions réussi à comprendre certaines choses. D’abord, les traces de destruction indiquaient une attaque de monstres à grande échelle. En témoignent les morceaux pourris de monstres morts laissés sur les murs et les sols. Quel genre de monstre aurait pu attaquer une forteresse ? Une section des solides murs intérieurs s’était même effondrée comme si elle avait été frappée par une magie de grande envergure. Personne ne pouvait faire une telle chose, à part les tricheurs de l’équipe d’exploration… Je n’avais pu réprimer un frisson à cette idée.

En tant que Skanda, je m’étais spécialisée dans la vitesse, il m’était donc difficile de faire des ravages à cette échelle. Juumonji et Watanabe, en revanche, étaient tous deux parfaitement capables de le faire. En d’autres termes, ils auraient dû être capables de s’occuper des « ennemis » qui avaient attaqué la forteresse.

Il y avait encore de l’espoir. Je ne pouvais pas abandonner. Même si l’impatience dominait mon cœur, je m’étais dirigée vers le nord pour quitter les Terres forestières. Nous avions plus de vingt nouveaux étudiants sous notre responsabilité. Les mettre en sécurité était notre priorité numéro un.

Nous avions réussi à recueillir quelques informations auprès du village de récupération voisin. Le Fort de Tilia avait vraiment été attaqué par une énorme force de monstres. La plupart de sa garnison avait été perdue, et les survivants avaient été contraints d’abandonner la forteresse. Cependant, les chevaliers qui m’accompagnaient avaient déclaré que c’était impossible. Il était impossible qu’autant de monstres attaquent en même temps. Les villageois devaient se tromper.

Mais il n’y avait aucun doute sur la vérité. Peu importe combien ils la niaient, ils ne pouvaient pas changer le passé. La seule lueur d’espoir dans toute cette obscurité était que tous les habitants de la forteresse n’avaient pas été tués sans pitié. Il semblait que certains survivants avaient décidé que la forteresse ne pouvait plus être défendue, ils l’avaient donc abandonnée et ils avaient fait tout le chemin jusqu’à ce village de récupération. Après avoir nettoyé les environs des monstres, ils avaient continué vers le nord.

On avait également appris que des visiteurs se trouvaient parmi eux. Je devais les retrouver quoi qu’il arrive. Après être sûre de la sécurité de mes camarades, je devrais déterminer ce qui s’était passé exactement à la forteresse. Les survivants se dirigeaient apparemment vers Serrata. J’étais déjà passée par cette ville lorsque je me rendais au Fort de Tilia depuis le Fort d’Ebenus.

Après avoir quitté les Terres boisées, j’avais jugé que la situation était sûre et j’avais laissé mes camarades de classe aux soins des Chevaliers impériaux. Une pierre de traduction à la main, j’avais pris la route de Serrata par mes propres moyens. Même en réprimant ma vitesse, j’étais plus rapide qu’une chaîne de chevaux dressés qui s’alternent lorsque chacun se fatigue. J’atteignis Serrata en deux jours et demandai une rencontre avec son seigneur féodal, le comte Lorenz. Heureusement, le lieutenant des Chevaliers Impériaux avec qui j’étais partie dans les Terres forestières était un parent du comte. Grâce à leur lettre de recommandation, j’avais pu voir le comte Lorenz sur-le-champ.

L’intérieur du Fort de Serrata était beaucoup plus ostentatoire que Tilia ou Ebenus. On m’avait fait entrer dans une pièce luxueuse où deux personnes m’attendaient. La première était un homme portant un uniforme militaire. Son corps musclé ne présentait aucun signe d’excès de graisse, ce qui indique la rigueur avec laquelle il se disciplinait. Il avait des cheveux blonds courts et uniformément coupés, et son expression était plutôt nerveuse et sérieuse.

L’autre était un homme excentrique aux cheveux bruns. Il était le plus mince des deux, mais il était aussi visiblement musclé. Il portait une armure décorée, mais son expression décontractée lui donnait l’élégance d’un ménestrel plutôt que celle d’un chevalier.

« Qui êtes-vous tous les deux ? » avais-je demandé avec un regard perplexe.

Selon le lieutenant, le chef de la maison Lorenz était un homme dont l’abondance rayonnait sur son corps. En d’autres termes, il était probablement corpulent et gros. Aucun des hommes devant moi ne correspondait à cette description.

« C’est un plaisir de vous rencontrer, madame. Je m’appelle Louis Bard, » dit le grand homme en s’inclinant. « Je sers le chef de la maison Maclaurin, Lord Glantri Maclaurin, et on m’a confié une partie de l’armée du margraviat. Et voici… »

« On m’a confié la charge de la quatrième compagnie du Saint Ordre. Mon nom est Travis Mortimer. C’est un plaisir de faire votre connaissance, Mlle Yuna, » dit l’autre homme en s’inclinant doucement.

Ses gestes raffinés et pompeux me rappelaient un acteur d’Hollywood. Il était facile de deviner qu’il était populaire auprès des femmes. Cependant, ce n’était pas la partie sur laquelle je me concentrais.

« Louis et Travis, c’est ça ? Pourquoi le subordonné d’une des grandes maisons de l’Empire du Sud et un officier du Saint Ordre sont-ils ensemble jusqu’ici ? »

J’avais déjà entendu parler du Margrave Maclaurin par le lieutenant. C’était un noble de la région sud, réputé pour être un homme audacieux qui menait son armée régionale dans la suppression des monstres malgré son statut élevé. Pourquoi le subordonné d’une telle personne serait-il dans le comté de Lorenz ?

Louis avait affronté mon regard suspicieux de face et m’avait donné sa réponse. « Mon seigneur est l’un des responsables de la stabilité de l’Empire du Sud. Il est donc très préoccupé par la calamité qui s’est abattue sur le Fort de Tilia. Il s’agit de la sécurité de nos sauveurs sacrés, après tout. Il y a des facettes de cette question qui ne peuvent être gérées par un comte. C’est pourquoi il a agi de son propre chef, et le Seigneur Lorenz a accepté son offre avec joie. »

Louis se tourna ensuite vers le chevalier à ses côtés et poursuit. « Sire Mortimer était en route pour le Fort de Tilia afin d’accueillir les sauveurs qui sont venus dans notre monde. Au cours de son long voyage depuis la capitale impériale à travers le margraviat, la nouvelle de la chute du Fort de Tilia est parvenue à ses oreilles, et il a offert à mon seigneur sa main pour régler ces questions. »

Il avait ensuite reporté son regard sur moi. « Quant à moi, je séjourne à Serrata en tant que représentant de mon seigneur et on m’a confié la charge des soldats qui se sont échappés du Fort de Tilia. »

« Oh ! Cela inclut-il mes camarades !? »

Je n’avais pu réprimer mon excitation. Cela faisait déjà plus de dix jours que j’avais vu l’état désastreux du Fort de Tilia. Je me sentais impatiente depuis tout ce temps. J’allais enfin pouvoir obtenir des informations concernant la sécurité des étudiants.

« Connaissez-vous les détails de l’attaque du Fort de Tilia ? » avais-je demandé avec frénésie. « S’il vous plaît, dites-moi ! Que s’est-il passé exactement là-bas ? Où sont les autres élèves ? »

« Calmez-vous, madame, » dit Louis en me retenant des deux mains alors que je me rapproche. « Je vous dirai tout ce que je sais. Laissez-moi le temps de le faire. »

« D-D’accord… »

J’avais calmé mes esprits et écouté.

 

 ◆ ◆

« Pas possible. Ce n’est pas possible… »

J’étais sans voix. Selon Louis, un groupe d’étudiants mal intentionnés avait détruit le Fort de Tilia.

« Je n’arrive pas à y croire… »

« Je suis désolé de vous dire que c’est la vérité, » répondit Louis d’un ton lourd. « Le Fort de Tilia a subi une attaque de la part de quelqu’un qui a le pouvoir de manipuler les monstres. Plusieurs témoignages l’attestent, et à en juger par la situation, il est impossible de le nier. »

J’avais vu les traces de destruction de la forteresse abandonnée par moi-même. Je n’avais pas eu le temps de les examiner en détail, mais de nombreux signes indiquaient la présence d’une horde de monstres. À l’exception de choses comme une horde de tripdrills, un mouvement d’une telle ampleur ne s’était pratiquement jamais produit dans toute l’histoire de ce monde. C’est pourquoi les Chevaliers Impériaux qui m’avaient accompagnée doutaient de leurs yeux.

Selon eux, la dernière fois qu’une telle chose s’était produite, c’était il y a plusieurs siècles, lorsqu’un sauveur avait mené une grande campagne dans les Abysses. Si une telle chose était plus courante, ils n’auraient pas dépensé autant d’efforts pour construire une si grande forteresse. Peu importe la solidité des murs, des attaques répétées de cette ampleur ne pouvaient être tenues en échec. Cela ne vaudrait pas la peine que la forteresse tombe immédiatement après son achèvement.

Et maintenant, un événement aussi rare s’était produit alors que nous étions à la forteresse, par pure coïncidence ? C’était hors de question. Même moi, je pouvais voir que quelqu’un qui se trouvait dans la forteresse à ce moment-là avait fait cela. C’était d’autant plus vrai si l’on considère les capacités que nous possédions. C’était tout à fait possible.

« Impardonnable… »

J’avais serré les dents. Louis m’avait dit combien de personnes étaient mortes. Les deux compagnons avec lesquels j’avais traversé les bois, Juumonji et Watanabe, avaient tous deux été tués. La majorité des autres élèves que j’étais censée protéger étaient également morts. Même la plupart des gens de la forteresse qui nous avaient traités si gentiment avaient perdu la vie.

Les dégâts étaient bien trop importants. On ne pouvait pas s’en remettre. La pensée de ces personnes mourant dans la peur et le regret me faisait mal au cœur. J’avais ressenti un malaise déconcertant envers le coupable ainsi qu’un sentiment irrépressible de colère.

« Je ne les laisserai certainement, certainement pas s’échapper ! »

Je les attrapais et leur faisais réaliser exactement ce qu’ils avaient fait. C’était le moins que je pouvais faire pour les victimes.

« Oui. C’est un acte impardonnable, » dit Louis en acquiesçant. « De nombreuses vies ont été perdues à cause du pouvoir crapuleux de manipuler des monstres. Nous ne pouvons pas laisser un tel mal en liberté. »

Il avait mis sa force dans ses doigts, les entrelaçant sur ses genoux. Ce geste témoignait d’un sentiment insupportable d’indignation juste, comme si ses os et ses muscles craquaient de manière audible.

« Le mal doit être détruit. La justice doit être appliquée. Même si je dois mourir misérablement sur le champ de bataille, il y a des maux qui ne peuvent tout simplement pas être négligés. Je n’ai pas l’intention de pardonner à ceux qui manipulent les monstres ou à ceux qui conspirent avec eux. »

La pression que j’avais ressentie de la part de cet homme, qui était censé être physiquement plus faible que moi, m’avait obligée à retenir ma respiration. Chaque mot qui sortait de sa bouche était empreint d’une émotion terrifiante et lourde. Pourtant, je pouvais compatir avec lui à cet égard. J’étais impressionnée, mais pas mécontente.

« Madame, je voudrais vous demander de nous prêter votre force afin que nous puissions débarrasser le monde de ce mal. »

« Avec plaisir, » avais-je répondu d’un signe de tête rassurant.

J’avais ensuite demandé à Louis de me dire tout ce qu’il savait. Cela dit, il n’y avait pas grand-chose à dire. L’information était désordonnée. Presque personne ne connaissait tous les détails, si bien que des rumeurs folles se répandaient de manière irresponsable.

« Il y en a qui disent que votre collègue de l’équipe d’exploration, Juumonji, est l’un des coupables de l’attaque du Fort de Tilia. »

« Ce n’est pas possible ! »

« Je ne crois pas à de telles inepties, bien sûr. Ce ne sont que des rumeurs sans fondement. »

C’était un soulagement d’entendre cela, mais cela prouvait à quel point l’information était déformée.

« Notre société, qui nous oblige à prendre les armes dans une lutte permanente contre les monstres, est très fragile. Le moindre événement est susceptible de déchirer nos cœurs bien avant de briser nos lames. L’effet est encore plus grand lorsqu’il est lié aux sauveurs sacrés qui nous servent de piliers moraux. Nous ne pouvons pas permettre que de telles informations irréfléchies circulent. Mon seigneur m’a ordonné d’abriter les soldats survivants du Fort de Tilia tout en empêchant les informations indésirables de se répandre. »

***

Partie 2

La perte d’une base importante du Fort de Tilia. La mort de plusieurs visiteurs. Le fait qu’un groupe de visiteurs soit à l’origine de l’attaque. Chaque nouvelle était trop sensationnelle et cela aurait un effet trop important sur la population. De plus, il y avait des rumeurs sans fondement qui ne pouvaient pas atteindre la lumière du jour. Les ordres du Margrave Maclaurin donné à Louis étaient appropriés.

Le margrave lui-même avait déjà quitté Serrata. Les seules personnes censées connaître tous les détails des événements étaient les membres des Chevaliers de l’Alliance. Ils étaient partis en même temps que le margrave. Louis avait conduit l’armée du margrave à Serrata, tandis que son seigneur l’avait précédé avec la cavalerie. Le temps de le rattraper, le margrave avait donné ses ordres et était immédiatement parti, si bien que Louis n’avait même pas eu la chance de rencontrer les chevaliers de l’Alliance.

« Très bien. Donc si je vais voir le Margrave Maclaurin, je devrais pouvoir en apprendre plus… Oh, mais est-ce que je pourrai le rencontrer même si je le rattrape ? »

C’était un noble. J’avais la recommandation d’un parent du comte Lorenz, le lieutenant des Chevaliers Impériaux avec qui j’étais allée dans les Terres forestières, et j’avais donc pu rencontrer le comte Lorenz. Mais il n’était pas certain que je puisse rencontrer un margrave sans aucune relation.

« Cela devrait aller. Mon seigneur est sûr de rencontrer n’importe quel sauveur qui lui rend visite, » dit Louis.

J’avais hoché la tête à ce sujet. « Quel genre d’individu est-il ? »

« Voyons voir… » Louis s’était plongé dans ses pensées pendant un court instant avant de répondre. « Pour le résumer brièvement, c’est un homme qui a un sens aigu de la justice. Il a consacré une grande partie de sa vie à combattre le mal connu sous le nom de monstres. Son esprit de décision dans l’action lui a valu de nombreux ennemis politiques et la cible de calomnies sans fondement de la part de ceux qui ne le comprennent pas. Néanmoins, il ne laisse pas sa conviction vaciller. »

Je pouvais entendre le respect que Louis avait pour cet homme à travers la gravité de sa voix.

« C’est aussi un homme d’une profonde compassion. En vérité, je viens d’un village qui a subi des dommages dévastateurs suite à l’attaque d’un monstre. »

« Hein ? Vraiment… ? » Je ne savais pas quoi répondre à sa soudaine confession.

Louis sourit légèrement à ma réponse vague. « Si Lord Maclaurin était arrivé un instant plus tard avec son armée, je ne serais pas en vie. En plus de cela, il a accordé à un orphelin comme moi, qui n’avait nulle part où aller, un emploi pour s’occuper des affaires diverses de son armée. »

Ce qui signifie que Louis devait sa vie à cet homme. Je pouvais maintenant comprendre pourquoi j’avais entendu un tel respect dans sa voix.

« Lors d’une dévastation généralisée des cultures il y a environ dix ans, il a pris de nombreuses mesures et utilisé ses fonds personnels pour éviter la famine. Je n’avais pas encore de grade à l’époque, mais je suis très fier d’avoir travaillé dans l’armée en son nom à l’époque. »

J’avais laissé échapper un soupir de soulagement. Même si cela venait de son subordonné, il semblait que ce Margrave Maclaurin était un homme bon.

« Étant donné sa nature, si un sauveur qui souhaite terrasser le mal cherchait à le rencontrer, je suis sûr qu’il accepterait. Cependant…, » Louis avait fait une pause en fronçant les sourcils. « Mon seigneur a quitté la ville il y a dix jours. Il faudrait du temps pour le rattraper. De plus, le temps que j’arrive, il était déjà parti. Si je sais qu’il se dirige vers la capitale impériale, je ne sais pas quelle route il emprunte. »

J’avais gémi. S’il était parti il y a dix jours, je pouvais le rattraper en deux ou trois jours, mais sans connaître la route qu’il empruntait, je devais toutes les vérifier. Ce n’était pas totalement impossible, mais cela prendrait du temps.

« Que voulez-vous faire ? Si besoin est, je peux adresser une lettre au Seigneur Maclaurin pour vous. »

« Non… C’est bon. »

J’avais fait un signe de la main et j’avais décliné son offre. Il était important d’en savoir plus sur l’attaque du Fort de Tilia de la part du margrave, mais je devais poursuivre le coupable de l’attaque tout de suite. Plus j’attendrais pour traquer le suspect en fuite, plus ce serait difficile. Je ne pouvais pas perdre de temps.

« Très bien. Dans ce cas, revenez me voir quand vous serez de retour à Serrata. Si je découvre de nouvelles informations, je vous les transmettrai. »

« Merci beaucoup. »

Rassurée par l’existence d’un allié qui pensait comme moi, j’avais laissé Serrata derrière moi. J’avais déjà obtenu les informations dont j’avais besoin, et je connaissais maintenant quelqu’un qui pouvait m’aider. C’était une rencontre qui en valait la peine.

Il y avait juste une petite épine qui me piquait le cœur. Elle concernait l’officier du Saint Ordre, Travis. Pendant tout le temps où je parlais avec Louis, il était resté silencieux et nous observait avec un sourire. Son expression était terriblement suffisante pour un homme aux manières douces. Cependant, je sentais qu’il y avait plus que cela…

N’allons pas… Il n’y a pas de raison de s’inquiéter pour ça. Même si Travis s’était secrètement moqué du sens immature de la justice que Louis et moi possédions, cela ne changeait rien à ce qui devait être fait. Je devais écraser le mal et sauver les faibles. C’est tout.

J’avais quitté Serrata et j’avais couru jusqu’au Fort d’Ebenus. Peu importe ce que je faisais, je devais d’abord transmettre toutes les informations nécessaires au chef de l’équipe d’exploration, Nakajima Kojirou. Ce dernier avait été chargé d’abriter les soldats survivants du Fort de Tilia tout en empêchant la diffusion d’informations irresponsables. Craignant toute fuite, Louis avait refusé d’utiliser le dispositif de communication à longue portée du Fort de Serrata pour transmettre des informations au Fort d’Ebenus. En parlant directement avec notre chef, cependant, il n’y avait pas besoin de s’inquiéter à ce sujet.

Après avoir rencontré Nakajima, j’étais retournée directement à Serrata, puis j’avais pris la direction du sud. Il y avait beaucoup de détails incertains, mais nous savions avec certitude qu’un tricheur qui manipulait des monstres avait attaqué le Fort de Tilia.

Il y avait deux rapports confirmés concernant ce point crucial. Le premier était Kudou Riku. Honnêtement, je ne me souvenais pas de son visage, mais je me rappelais qu’il y avait un étudiant de première année parmi les membres de l’équipe locale au Fort de Tilia. L’autre était Majima Takahiro, un étudiant de deuxième année comme moi.

Il n’y avait aucun indice sur l’endroit où se trouvait Kudou. On pensait qu’il se cachait dans les Terres forestières, mais il était également possible qu’il se soit faufilé dans la société humaine. En revanche, on savait que Majima Takahiro avait récemment séjourné dans une banlieue proche de Serrata.

Il avait audacieusement quitté le Fort de Tilia avec les survivants. Après cela, Majima Takahiro s’était caché. D’après Louis, il était fort probable qu’il se dirige vers Aker, l’un des cinq royaumes du Nord. Fuir l’Empire, qui s’enorgueillit de sa force militaire, et se réfugier dans un petit pays pour attendre que les choses se calment était vraiment un choix compréhensible.

Louis avait déjà fait les préparatifs pour couvrir la route sûre à travers le comté de Longue vers l’ouest. Je l’avais donc laissé faire et m’étais dirigée vers le sud de Serrata pour étudier l’ancien chemin de montagne à travers les montagnes de Kitrus.

Il s’agissait apparemment d’une route oubliée depuis longtemps qui n’était pas utilisée normalement, mais avec les tricheries d’un visiteur, il n’était pas si difficile de se frayer un chemin. Il était bien sûr possible qu’il n’aille pas par là, mais c’était la nature du travail de division. En tant que Skanda, j’étais à peu près la seule à pouvoir rattraper quelqu’un après un départ aussi tardif que celui-ci. Vu le danger du chemin lui-même, personne d’autre n’était apte à faire ce travail. Si je devais être un peu gourmande, j’aurais aimé avoir la capacité de pister les empreintes…

« Si seulement Todo était là. »

Je m’étais souvenue de ma meilleure amie, avec qui j’avais toujours fait équipe jusqu’à mon départ avec le corps expéditionnaire. Elle était restée dans la colonie, et je n’avais pas pu la retrouver pendant mes opérations de sauvetage. Elle était à peu près aussi forte que moi, alors elle allait probablement bien tant qu’elle ne rencontrait pas quelque chose d’excessivement mauvais là-bas. Si elle était avec moi, elle serait capable de mettre ses capacités en valeur.

Mais je ne pouvais rien faire pour quelqu’un qui n’était pas là. J’avais donc accéléré ma poursuite et continué à recueillir des informations dans les villages sur le chemin. Heureusement, j’avais réussi à trouver quelqu’un qui avait repéré un homme qui ressemblait à Majima Takahiro. Tout ce que j’avais à faire maintenant était de le rattraper. J’étais bien consciente de l’émotion qui brûlait de plus en plus fort dans mon cœur.

Majima Takahiro.

J’avais parlé avec lui au Fort de Tilia. Honnêtement, il ne m’avait pas laissé une grande impression. C’était un garçon qui semblait sérieux et sincère. C’est à peu près tout ce que j’avais pensé de lui. Cependant, associés à la fille Miho Mizushima, ils avaient tous les deux laissé une forte impression.

Je connaissais Miho Mizushima avant de venir dans ce monde. Mais je n’avais appris son existence qu’en arrivant au Fort d’Ebenus. Un garçon avait réussi à traverser les bois tout seul pour nous apporter la nouvelle de la destruction de la colonie. C’était l’ami d’enfance de Miho Mizushima, Takaya Jun, qui avait un an de moins que nous.

En raison de sa longue marche forcée, le corps robuste de guerrier et le cœur de Takaya étaient en lambeaux. Néanmoins, il avait réussi à atteindre le Fort d’Ebenus pour nous supplier de sauver sa précieuse amie d’enfance. À l’époque, je lui avais serré la main, lui avais dit de s’en remettre à moi et m’étais dirigée vers le Fort de Tilia. C’est pourquoi j’avais ressenti à la fois du soulagement et un peu de colère lorsque j’avais vu Miho Mizushima avec Majima Takahiro.

Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est vrai ? Et pour Takaya ? m’étais-je dit. Mais je m’étais rendu compte que leur triangle amoureux ne me regardait pas. Je savais déjà que Miho Mizushima ne voyait en Takaya qu’un ami d’enfance. C’est pourquoi j’avais arrêté de leur dire que Takaya était vivant.

Je mentirais si je disais que je ne m’étais pas sentie un peu méchante en le faisant. Cependant, tout de suite, j’avais su que ça n’avait pas d’importance. Ils s’étaient si bien entendus tous les deux. J’étais sûre qu’ils avaient surmonté une grande épreuve main dans la main. Il y avait un air autour d’eux comme si c’était parfaitement naturel que l’autre soit là. Rien de ce que je pourrais faire ne ferait s’écrouler cela.

En tant que fille, j’avais trouvé cela assez merveilleux… et je ne pouvais pas me pardonner maintenant de le penser. Ce n’était qu’un mensonge. La personne à côté de Majima Takahiro n’était pas Miho Mizushima. C’était un monstre maléfique qui ne faisait qu’imiter son apparence.

Un slime mimétique. On dit que c’est un monstre spécial qui peut tout imiter de ce qu’il mange. Le fait qu’un tel monstre ait pris la forme de Miho Mizushima signifiait que Majima Takahiro l’avait tuée, et ensuite…

Je devais en être sûre. Je devais être sûre qu’un tel acte inhumain avait eu lieu. Si Majima Takahiro était en fait un meurtrier cruel, je devais l’attraper, même si cela signifiait le frapper. C’est pour cela que je possédais le pouvoir de la Skanda, après tout.

Avec cette pensée dans mon cœur, j’avais couru à travers la route de montagne… et je l’avais repéré.

« Je t’ai finalement rattrapé. »

Il était sur un mince chemin de montagne. J’avais utilisé la force de mes jambes pour traverser une falaise pratiquement verticale et lui couper la route.

« Iino… Yuna… » Majima Takahiro murmura en ouvrant les yeux.

Miho Mizushima — le monstre imitant sa forme — s’était avancée comme pour le protéger. La fille derrière lui portant un masque semblait être un monstre de type marionnette, à en juger par ses membres. Il y avait aussi une belle arachnéenne avec le bas du corps d’une araignée, et un bébé renard gonflé sur sa tête. Un monstre de type liane s’étendait sur le dos de la main gauche de Majima Takahiro comme un serpent.

Il était également accompagné d’une écolière que je ne connaissais pas et de deux elfes qui semblaient être des habitantes du coin. Aucune d’entre elles ne m’importait pour l’instant. Elles étaient complètement ignorables. L’important ici était que la capacité de Majima Takahiro à manipuler les monstres était bien réelle. Cela dit, cela ne signifiait pas qu’il était nécessairement mauvais.

« Je ne demande qu’une chose, » avais-je dit. Je devais le confirmer pour la dernière fois. « Majima. As-tu donné Mizushima en pâture au monstre que tu manipules ? »

Le visage de Majima Takahiro s’était raidi. À cet instant, j’avais décidé qu’il était à tous les coups mon ennemi.

 

***

Chapitre 18 : La jeune fille au sprint

« Majima. As-tu donné Mizushima en pâture au monstre que tu manipules ? »

Ses mots avaient eu l’effet d’un impact direct sur mon cœur. Je savais qu’un jour, quelque part, quelqu’un poserait cette question. J’y avais déjà pensé. Je savais que je serais dénigré, dédaigné et dénoncé pour cela. Une telle réaction serait parfaitement naturelle. Cependant, l’arrivée d’Iino Yuna était trop soudaine, et je n’avais pas eu le temps de me préparer. Je n’avais même pas eu le temps de réfléchir à la meilleure chose à faire. Mon esprit n’avait pas trouvé le moyen de la tromper. Par conséquent, ma réaction était devenue une réponse en soi.

« On dirait que j’ai raison. »

Iino avait manifestement trouvé à redire à la façon dont je me tenais là, bouche bée, car ses yeux brillaient avec la netteté de l’acier nu.

« Tu es un être maléfique. »

J’avais eu des sueurs froides. Je voulais demander pourquoi elle était là et pourquoi elle me poursuivait, mais ma bouche s’était figée. La peur s’était accumulée en moi au point que je ne pouvais même plus respirer. Tout le sang s’était vidé de mon visage et mes extrémités s’étaient engourdies sous l’effet du froid. L’animosité qu’elle me portait me serrait le cœur.

Cette fille devant moi était écrasante. Même si elle n’avait pas encore dégainé l’épée qu’elle portait à la taille, le cœur de mon être criait au danger qui se rapprochait de moi. Peut-être que c’est ce que ressent une souris quand un lion rugissant l’épingle.

Le fait qu’une telle comparaison me soit venue à l’esprit a accentué le fossé qui nous séparait. Je pouvais le sentir instinctivement. Bien que je puisse me battre un peu maintenant, c’était loin d’être suffisant pour lui échapper. Elle était l’une des rares personnes à avoir gagné un surnom au sein de l’équipe d’exploration. Vu que Juumonji Tatsuya n’en avait pas, sa force était insondable.

« Monseigneur ! »

Naturellement, mes serviteurs n’allaient pas regarder tranquillement cette crise se dérouler. Elles étaient toutes entrées dans une frénésie pour éliminer le danger devant moi. Elles n’avaient pas non plus réagi de façon excessive. Quelqu’un était apparu de nulle part et avait soudainement appelé son maître avec des intentions clairement hostiles. Vu l’écart entre nos forces, c’était comme si quelqu’un avait soudainement pointé une mitraillette sur moi.

Personne n’avait eu le temps de réfléchir. Je pouvais devenir du fromage à trou dans la prochaine seconde, après tout. C’est pourquoi leur contre-attaque était pratiquement un réflexe.

« Shaaah ! »

Le premier à attaquer Iino fut la plus forte de mes servantes, la Grande Araignée Blanche. Laissant la manamobile derrière elle, elle chargea avec une force massive. Elle utilisa sa spécialité, profita de l’élan de sa charge, et plongea sa jambe dans la gorge d’Iino.

Du moins, c’est ce à quoi ça ressemblait. Je savais au fond de moi que ça ne se terminerait pas si facilement. Iino était bien trop rapide. Elle avait juste l’air d’avoir été frappée. Iino s’était déplacée juste avant que Gerbera ne puisse entrer en contact. Son corps svelte avait atteint la vitesse maximale en un instant.

« Haaa ! »

Iino s’était penchée sur le côté, évitant la patte de l’araignée et la coupant avec son épée. Je ne l’avais même pas vue la dégainer. Elle avait ensuite pivoté avec son pied gauche pour donner un coup de pied circulaire directement à l’arrière de la tête de Gerbera.

« Gah !? »

Frappée par-derrière au milieu de sa charge, Gerbera ne pouvait pas arrêter son élan. Elle s’était écrasée sur le sol, passant devant Iino.

« Tu résistes ? » demanda Iino. « Eh bien, je m’en fiche un peu. Cela veut juste dire que je dois te mettre à terre. »

J’avais plein de choses à dire, mais je n’avais pas eu l’occasion de glisser un seul mot. Iino avait foncé sur moi. Je l’avais vu se battre une fois auparavant. Ses mouvements étaient absurdement rapides. Ils avaient dépassé mes connaissances à ce moment-là. Cependant, je pouvais utiliser le mana mieux que je ne le pouvais à l’époque. Cela signifie que je pouvais également renforcer mon corps mieux qu’avant. Grâce à cela, je pouvais maintenant voir les mouvements de la Skanda… mais c’est tout ce que je pouvais faire.

Je l’avais vue se précipiter vers moi. Je l’avais vue brandir son poing, son épée toujours serrée dans sa main. Elle avait même surpassé Lily, qui ne pouvait même pas se mettre entre nous.

Un choc soudain avait traversé mon corps, et j’avais volé en arrière. J’avais perdu conscience pendant un moment.

« M-Maître ! »

« Senpai ! »

Je pouvais entendre Rose et Katou juste à côté de moi. Il y avait une sensation de dureté contre mon dos. Rose m’avait manifestement attrapé. Quelque chose de visqueux coulait de mon nez. C’est alors que j’avais réalisé que j’avais reçu un coup de poing en plein visage.

« Hein ? Ça aurait dû être suffisant pour assommer un chevalier. Tu es étrangement robuste, hein ? » dit Iino avec curiosité. « Eh bien, peu importe. Si ça ne suffit pas, je n’ai qu’à te frapper plus fort. Si nécessaire, je peux continuer à te frapper toute la journée. »

« Iino, tu… »

Je ne pouvais rien dire d’autre. Mon cerveau tremblait. Je n’arrivais pas à penser correctement. Néanmoins, j’avais serré les dents et levé les yeux au ciel quand Lily s’était avancée pour attaquer.

« Argh ! Hnngh... »

« Oh, c’est vrai. Laisse-moi te dire maintenant. C’est inutile, peu importe à quel point tu essaies, d’accord ? »

Iino tenait nonchalamment la lance noire de Lily de sa main gauche — elle l’avait arrêtée à mi-course. Lily la tenait si fermement que ses mains tremblaient. Elle y mettait toute sa force, mais la pointe ne bougeait pas.

« Je suis spécialisé dans la vitesse, donc je n’ai qu’une force physique moyenne parmi l’équipe d’exploration… mais je suis quand même un tricheur. »

Elle avait gardé son regard fixé sur moi tout le temps. À première vue, le style de combat d’Iino était entièrement axé sur la vitesse. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle manquait de force. En fait, on pourrait dire qu’elle était faible, mais seulement par rapport à la puissance de ses jambes. Dès le départ, ses normes étaient hors de contrôle.

« Hwah !? »

Iino avait tiré sur la lance et avait tiré Lily en avant, brisant son équilibre. Elle avait esquivé Lily alors qu’elle tombait en avant. Puis Iino avait négligemment jeté la lance de côté avant de se retourner vers moi.

J’étais à bout de nerfs. À ce rythme, Iino nous piétinerait avant que nous puissions faire quoi que ce soit. Je devais faire quelque chose… n’importe quoi. Bien que je sois encore désorienté, j’essuyai le sang de mon nez et fixai Iino.

« Hmm, donc tu n’abandonnes pas ? » dit Iino, en rétrécissant son regard.

« Bien sûr que non. »

J’avais dégainé mon épée de la main droite et tendu la gauche. Ma tête tremblait encore, et je n’arrivais pas à penser correctement, mais je n’avais pas d’autre choix. On m’attaquait, je devais donc riposter. Je ne pouvais pas rester là et la laisser me tuer pour Dieu sait quelle raison.

« Maî — tre ! »

« Grawr ! »

Asarina s’était vigoureusement élancée de ma main tandis qu’Ayame avait couru jusqu’à mes pieds et avait craché une boule de feu pour la soutenir.

« Dégagez le passage. »

Sa lame mince avait coupé à la fois la boule de feu et Asarina. Cela n’avait pas d’importance. Mon véritable objectif était venu après ça.

« Faites-le ! »

Rose était passée devant moi et avait attaqué Iino par devant. Elle avait balancé sa bardiche à deux mains pour essayer de couper Iino en deux au niveau de la taille. Au même moment, Gerbera avait suivi son timing et avait attaqué Iino par l’arrière.

 

 

Peu importe qu’elle ait essayé d’attraper l’attaque de Rose ou de l’esquiver, nous visions l’ouverture créée lorsqu’elle l’avait fait. Pour être doublement sûre, Lily frappa ses deux mains contre le sol, comme si se lever était une perte de temps, et donna un coup de talon à Iino alors qu’elle se mettait en équilibre sur les mains.

C’était mes serviteurs. N’importe laquelle d’entre elles aurait été mortelle contre un adversaire moyen. Mais au moment où je pensais que cela réglerait les choses… J’avais haleté devant le spectacle qui s’offrait à moi.

L’attaque de Lily avait été la première à atteindre. Iino avait facilement attrapé le talon de Lily avec sa paume.

« Hwah !? »

Iino avait jeté avec désinvolture le corps tendu de Lily sur le côté. Ayant retiré Lily avec un minimum d’effort, Iino avait calmement fait face aux attaques de Rose et Gerbera. Elle avait fait un seul pas énergique. Il semblait qu’elle s’exposait à la lame de Rose, mais elle s’était penchée sur le côté et avait évité le coup. En même temps, elle avait tordu son corps et libéré son poing.

« Gyah !? »

Elle avait donné un coup terrifiant sur le côté de Rose. Le bruit du bois qui craquait et se fendillait résonna alors que le corps de Rose s’écrasait contre la falaise. L’impact fit s’écrouler des mottes de terre de la falaise en lambeaux, qui semblait vouloir s’effondrer à tout moment. Libérée des mains de son manieur, la bardiche s’enfonça dans le sol. Iino avait vaincu Rose en un clin d’œil.

Juste à ce moment, l’attaque de Gerbera par-derrière était arrivée. C’était notre véritable intention. C’était censé être un assaut inévitable. Cependant, parce qu’Iino avait fait un pas en avant en interceptant Rose, ce qui était censé être une chaîne de coups étroitement liés avait été décalé d’un temps. Le temps que Gerbera fasse ce pas supplémentaire, la Skanda s’était retournée et lui avait fait face à la vitesse de l’éclair.

« Shaaah ! »

Gerbera avait perdu son avantage, mais elle n’était pas du genre à hésiter sur ce point. Parce qu’Iino venait de se retourner, sa position défensive n’était pas parfaite. En tant que tel, il n’y avait pas d’autre choix que de pousser. Les griffes au bout des pattes de Gerbera s’étaient refermées pour déchirer Iino. Iino était restée debout où elle était et avait répondu avec l’épée mince dans sa main.

« Haaah ! »

L’expression d’Iino s’était crispée, et elle avait laissé échapper un cri plein d’esprit de combat. Il y avait une puissance dans ses yeux qui montrait le feu éblouissant qui brûlait dans sa poitrine. La façon dont elle se battait vaillamment avec la lame froide et tranchante dans sa main délicate… brillait vraiment d’un éclat digne d’un sauveur.

De mon point de vue, cependant, c’était un spectacle cauchemardesque. Gerbera était forte. Ses huit jambes étaient chacune comme de remarquables lances. Elle pouvait manipuler librement ses fils spéciaux pour lier son ennemi. Elle était assez forte au combat pour traquer Juumonji avec acharnement. Pourtant, elle ne pouvait pas du tout suivre Iino.

« Yaaa ! »

Nous étions vraiment dans le domaine de la vitesse de la Skanda. La scène qui se déroulait devant moi expliquait ce que signifiait pour un tricheur de gagner le surnom de ses pairs. L’expression de Gerbera s’était raidie aux innombrables éclairs argentés de la main droite d’Iino.

Mes yeux pouvaient à peine voir leur échange d’attaque et de défense. La seule chose que je pouvais dire, c’est qu’Iino avait paré chacune des poussées de Gerbera, tandis que la pointe de sa lame d’argent avait sculpté la carapace couverte de poils de Gerbera en un clin d’œil.

« Tu es plutôt bonne. Mais je ne vais pas perdre contre un monstre manipulé par un être maléfique ! »

« Espèce de petite effrontée… ! »

Les jambes blanches et robustes de Gerbera étaient visiblement en lambeaux à cause des innombrables coupures. Il était clair que les choses tournaient au pire.

« Merde ! »

J’avais lancé Asarina sur le flanc d’Iino pour essayer de soutenir Gerbera, mais Iino avait abattu le parasite rampant dans les moments libres qu’elle avait pour s’occuper de Gerbera. Je n’avais même pas pu gagner une seule seconde. Pendant ce temps, une, puis deux pattes d’araignée étaient tombées au sol.

« Agh… Argh… »

En moins de dix secondes, Gerbera avait perdu l’équilibre. Iino avait coupé deux jambes à sa gauche et une à sa droite, Gerbera ne pouvait plus continuer son flux vicieux d’attaque et de défense.

« C’est fini, » dit Iino en se tournant vers moi.

« Pas encore ! »

Les yeux d’Iino s’étaient légèrement agrandis. Elle pensait que Gerbera était en train de basculer, mais l’araignée s’était résolument agrippée à Iino alors même qu’elle tombait.

« Je ne te laisserai pas toucher à monseigneur ! »

Gerbera avait déjà combattu Juumonji de front. Elle ne pouvait pas égaler Iino en vitesse, mais sa force physique pouvait peut-être rivaliser avec la Skanda.

« Ooooh ! »

L’expression de Gerbera était désespérée, comme si elle disait que c’était sa dernière chance. Mais même cela n’était pas suffisant pour la vitesse du Skanda. Iino avait laissé échapper un petit cri et avait glissé devant Gerbera comme par magie. Les bras puissants de Gerbera n’avaient fait qu’attraper de l’air.

« Guargh !? »

Elle s’était retournée en panique et avait rencontré l’uppercut d’Iino. C’était un coup net. Le corps de Gerbera avait dessiné un grand arc dans l’air. L’araignée blanche géante, à laquelle il manquait maintenant plusieurs pattes, s’écrasa derrière Shiran et Kei, où elle percuta la manamobile et s’arrêta finalement.

« Gerbera ! » Katou avait crié en courant vers elle.

Iino avait apparemment tout de suite compris que Katou ne représentait aucune menace. Elle ne lui avait accordé qu’un seul regard avant de porter sa main à sa poitrine et de laisser échapper un soupir.

« Celle-là m’a un peu surprise… »

C’est tout ce à quoi l’attaque de Gerbera s’était résumée. J’avais été choqué par la monstruosité d’Iino. Gerbera gémissait des nombreuses blessures qu’elle avait subies. Lily avait lancé deux attaques, mais n’avait rien pu faire du tout. Rose titubait alors que son corps craquait sous l’effet des fissures qui le traversaient.

Nous n’étions pas en mesure de riposter. À ce rythme, nous serions anéantis. Quelque chose… Il devait y avoir quelque chose que nous pouvions faire, un moyen de nous sortir de cette situation. J’avais désespérément mis mes pensées en mouvement, mais ce n’était pas pratique — .

« Hm… ? »

Peut-être que mon cerveau avait commencé à se remettre du coup que j’avais pris. Alors que je cherchais désespérément un moyen de m’en sortir, un certain détail avait soudain attiré mon attention. Quelque chose ne semblait pas à sa place ici. Cependant, je ne pouvais pas dire exactement ce que c’était. Je n’avais pas eu le temps d’approfondir la question.

« En fait, tout à l’heure, c’était comme si c’était sérieusement…, » murmura Iino pour elle-même, mais elle ravala ses prochains mots.

« Yaaaah ! »

Lily était là devant elle, fonçant avec rien d’autre que ses mains.

***

Chapitre 19 : Comment vaincre un héros

Partie 1

« Yaaaah ! »

Lily avait chargé à mains nues sur Iino, bien qu’Iino ait été bien au-delà des efforts combinés de tous mes serviteurs. Elle n’avait pas sa lance noire préférée en main. Iino l’avait arrachée lors de sa précédente attaque, et elle n’avait pas eu l’occasion de la récupérer.

« Que peux-tu faire sans arme ? » demanda Iino avec étonnement.

Elle ne regardait pas Lily. Elle me regardait moi… Pour une raison inconnue, Iino n’avait parlé qu’à moi pendant tout ce temps. Ces mots étaient destinés à Lily, mais étaient plutôt dirigés vers moi. Après avoir vu ça plusieurs fois maintenant, j’avais finalement réalisé ce que j’avais trouvé étrange. C’est comme si Iino ne reconnaissait pas l’individualité des filles. Elle ne reconnaissait pas que les monstres pouvaient agir indépendamment.

Maintenant que j’y pense, quand Iino avait affronté Gerbera, elle avait crié. « Je ne perdrai pas contre un monstre manipulé par un être maléfique. » La capacité à manipuler les monstres… Je m’étais souvenu de la différence définitive entre Kudou et moi. Était-ce vraiment une simple coïncidence ? Pourquoi Iino nous attaquait-elle en premier lieu ?

Elle nous avait accablés si complètement, sans aucune place pour le débat, que je n’avais pas vraiment eu le temps d’y réfléchir. Peut-être qu’elle comprenait très mal quelque chose.

« Ah !? »

Avant que je puisse exprimer mes doutes en mots, j’avais vu Iino enfoncer son pied dans l’estomac de Lily. Sans arme à la main, Lily n’avait d’autre choix que d’encaisser sans défense le coup dans son ventre. Cependant, c’est Lily qui avait affiché un sourire, tandis qu’Iino semblait légèrement choquée.

« Qu’est-ce que c’est ? C’est quoi ce sentiment… ? »

Le pied d’Iino s’était enfoncé profondément dans le ventre de Lily. C’était comme si les entrailles de Lily avaient été complètement écrasées, mais ce n’est pas ce qui s’était passé. J’avais soudainement compris quel était le but de Lily. Elle avait partiellement défait son mimétisme pour retransformer une partie de son corps en slime. La substance gélatineuse était à la fois légère et tenace. Elle pouvait absorber un simple coup.

« Je t’ai eu. »

Profitant de l’ouverture momentanée du choc d’Iino, Lily avait attrapé la jambe d’Iino. Elle avait rassemblé son mana sur place. Un glyphe vert avait pris forme. C’était une magie du vent de grade 3. Sa portée effective était étroite, mais cela ne faisait que la rendre plus dense comme attaque.

La magie s’activa, enveloppant à la fois Iino et Lily. Lily la contrôlait du mieux qu’elle pouvait pour éviter de se frapper, mais elle ne pouvait pas éviter entièrement sa propre magie. Cette attaque mettait sa propre vie en danger. Il n’y avait aucune chance qu’elle n’endommage pas Iino.

Enfin, c’est ce que je pensais. Iino avait légèrement plié ses genoux. Avant même que je puisse penser « pas question », elle avait déjà agi. Sa jambe s’était levée, et elle avait donné un coup de pied au sol avec la puissance de saut de la Skanda. Elle avait décollé avec une force massive.

« Vous vous moquez de moi !? » Lily cria alors que ses deux jambes se décollaient du sol.

Il n’y avait plus rien pour supprimer la vitesse de la Skanda. Iino s’était retiré de la portée de la magie de Lily en un éclair. Le pari résolu de Lily n’avait déchiré que l’air.

« Tu es vraiment cruel, Majima, » m’avait dit Iino en secouant Lily de sa jambe. « Même s’ils ne sont que des jouets, utiliser tes monstres comme des pions sacrificiels est juste… »

Je pouvais voir une rage brûlante au fond de ses yeux. En la voyant comme ça, j’étais sûr qu’elle avait mal compris quelque chose.

« Iino Yuna ! »

À ce moment-là, une voix aiguë s’était interposée entre nos regards. Même Iino, qui semblait prête à se jeter sur moi et à me frapper à tout moment, avait levé un sourcil. Elle s’était ensuite tournée vers la propriétaire de la voix. C’était une réaction parfaitement normale, mais c’était la première fois qu’elle nous laissait respirer un moment depuis qu’elle était apparue devant nous.

« Ummm, tu es… »

« Je sers en tant que lieutenant de la troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance. Je m’appelle Shiran. »

« Oh, c’est vrai. Lieutenant Shiran. Nous avons déjà parlé une fois, si je me souviens bien. »

Sa réaction était clairement différente de celle qu’elle avait eue avec Lily et les autres filles. Son expression était encore un peu froide, mais au moins, Iino conversait avec Shiran. En d’autres termes, elle avait totalement ignoré tout ce que les autres avaient dit, ce qui signifie que tout ce désastre qu’elle avait apporté était né de son incompréhension.

« Pourquoi nous attaquer soudainement ? J’aimerais connaître vos intentions. »

Shiran avait parlé avec véhémence, comme si elle forçait son chemin entre nous. Elle ne pouvait pas cacher la critique dans son ton. Son expression confiante était un peu raide, probablement parce qu’elle comprenait à quel point la situation était mauvaise. Même si elle apportait son soutien, le résultat ne pourrait pas être renversé. C’est dire à quel point la différence entre Iino et nous était écrasante.

« Je veux savoir pourquoi vous voyagez avec Majima Takahiro, » répondit Iino d’une voix épineuse. « C’est lui qui a manipulé les monstres pour qu’ils attaquent le Fort de Tilia, vous savez ? »

L’œil de Shiran s’était ouvert, tandis que j’avais rétréci le mien et froncé les sourcils. Je savais que mes soupçons étaient fondés maintenant. Pas que je puisse être heureux à ce sujet. Mais avec ça, j’avais compris l’essentiel de la situation. Il y a environ deux mois, Iino avait quitté le Fort de Tilia pour se rendre dans les Profondeurs. Si tout se passait comme prévu, elle devait revenir un mois plus tard, ce qui signifie qu’elle aurait vu le Fort de Tilia, maintenant en ruines. Elle aurait dû avoir une bonne idée de ce qui s’était passé en se basant uniquement sur cela.

Cependant, ce n’était rien de plus qu’une idée. Elle ne comprenait pas entièrement les événements qui s’étaient déroulés. Les ouï-dire manquaient de détails, et il était possible que des erreurs aient été incluses dans les informations qu’elle avait entendues. Néanmoins, c’était de la désinformation à un degré cruel.

Je ne savais pas ce qui s’était passé, mais Iino avait l’impression que j’étais le coupable de l’attaque. Si elle avait ignoré tout ce que Lily et les autres filles disaient, c’est parce qu’elle pensait qu’elles n’étaient rien de plus que des monstres manipulés. C’était certainement un énorme malentendu. Le problème, c’est qu’il était très difficile de réparer un malentendu de cette taille.

« Qu… !? Vous vous trompez, Yuna, » dit Shiran, son expression changeant complètement.

« Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » répondit Iino, le regard fort.

« Le dompteur de monstres qui a attaqué le Fort de Tilia était Kudou Riku, pas Takahiro. »

« J’ai entendu parler de Kudou… »

« A-Alors cela rend les choses faciles ! Takahiro n’avait rien à voir avec l’attaque. En tout cas, c’est Takahiro qui a vaincu l’assaillant du Fort de Tilia, Juumonji Tatsuya, et mis en déroute le dompteur de monstres Kudou Riku, qui travaillait en coulisse ! »

Tout était vrai. Shiran n’avait pas dit un seul mensonge. Mais Iino avait secoué sa tête.

« Je n’ai rien entendu à ce sujet. »

« Ce n’est pas possible… ! »

Du point de vue d’Iino, ce qu’elle avait entendu auparavant et ce que Shiran lui disait maintenant étaient tous deux des ouï-dire d’étrangers. En tant que tel, il s’agissait de savoir à qui elle faisait le plus confiance. Shiran m’accompagnait, donc ce n’était pas étrange qu’Iino doute de ses affirmations.

« De plus, Juumonji a attaqué la forteresse ? » Le regard d’Iino s’était aiguisé. « J’ai entendu dire qu’il y avait des gens qui répandaient des rumeurs aussi stupides. On dirait que c’est vrai. »

Juumonji était un membre du premier corps expéditionnaire et le compagnon d’Iino lors de leur voyage à travers les régions forestières. Il était difficile pour elle de croire qu’il était un coupable. De plus, Iino avait entendu parler de ces « rumeurs stupides » à l’avance. Elle n’allait pas prêter attention à de telles affirmations, peu importe qui lui en parlait maintenant. Cela ne ferait qu’empirer l’impression qu’elle avait de nous.

Iino savait que j’avais donné Miho Mizushima à Lily. Elle pourrait même croire que c’est moi qui l’ai tuée. Je n’avais rien fait de tel, bien sûr, mais je n’avais aucune preuve du contraire. Même si je parvenais à prouver mon innocence d’une manière ou d’une autre, cela ne changeait rien au fait que j’avais fait manger son cadavre à Lily.

Même si c’était nécessaire pour ma propre survie, ce n’était pas une excuse valable. Majima Takahiro était mauvais, il était donc logique qu’il attaque le Fort de Tilia. Tant qu’elle le croira, Iino ne reculera pas.

Il était impossible de vaincre la Skanda dans une confrontation directe. Même si Shiran était une tierce partie, ses paroles ne pouvaient pas atteindre Iino. C’était sans espoir. Nous étions bloqués dans toutes les directions. Si j’étais seul, je me résignerais simplement à mourir ici.

« Hé, tu peux déjà te rendre ? » Iino avait détourné son regard de Shiran et s’était adressée à moi, l’air fatigué. « Tu peux déjà dire que tu ne peux pas gagner, non ? »

Iino avait jeté un coup d’œil sur le côté où Lily accumulait son mana.

« Lily… » avais-je murmuré.

Il y avait une force dans son expression qui différait de celle d’Iino. C’était un signe de sa volonté tenace. Lily n’avait pas encore abandonné. Je pouvais dire à travers notre cheminement mental que toutes les autres ressentaient la même chose. En tant que tel — même si ce n’était pas le cas —, je ne pouvais pas non plus me permettre d’abandonner. Pourtant, alors que je prenais ma résolution, quelque chose de complètement inattendu s’était produit.

« Waaaah ! »

Quelqu’un avait crié. Ce n’était pas moi. Ce n’était pas Lily, ou Gerbera, ou Rose.

***

Partie 2

« K-Katou !? » avais-je crié.

Celle qui avait crié en s’abandonnant et était passée devant moi en courant était la fille qui était censée être totalement impuissante. Elle descendait en courant le sentier de montagne qui s’accrochait au flanc de la falaise, tenant un couteau dans une prise inversée. Ses foulées étaient lentes et irrégulières. C’était tellement inattendu que tout le monde avait réagi tardivement, mais la Skanda était quand même la plus rapide à se déplacer.

 

 

« Urk. »

Iino avait maîtrisé Katou en un instant.

« Qu’est-ce que vous essayez de faire ? D’après ce que je peux dire, vous ne vous êtes pas réveillé de votre tricheur ou autre… »

Le visage de Katou s’était tordu de douleur. Iino l’avait regardée de plus près et avait soudainement froncé les sourcils.

« Hein ? Tu es… Katou Mana ? »

« Me… connaissez-vous… ? Agh. »

Katou avait laissé échapper un gémissement étouffé quand Iino lui avait tordu la main dans le dos, la forçant à lâcher le couteau spécialement fabriqué par Rose. Iino avait arrêté le reste d’entre nous avec son regard alors que nous nous étions presque précipités vers Katou par réflexe.

« J’ai eu des nouvelles de Takaya. Ta stature est similaire à ce qu’il a décrit. »

« Oh. Maintenant que vous le dites, Takaya a retrouvé le corps expéditionnaire, n’est-ce pas ? »

« C’est déconcertant… D’après ce que Takaya m’a dit, tu es la cadette de Mizushima et tu t’entends très bien avec elle. Alors pourquoi es-tu avec Majima ? Il a fait manger Mizushima à son monstre. »

« Qui sait ? N’est-ce pas parce que mes critères d’évaluation sont différents des vôtres ? »

Bien que son expression se soit raidie en raison de la douleur, Katou avait répondu de manière plutôt désinvolte. Je ne pouvais pas la comprendre, d’une manière totalement différente de celle d’Iino.

« Iino, je crois que ce que vous dites est vrai, » poursuivit Katou. Elle n’agissait pas comme une fille au bout du rouleau. « Ce que l’homme, Majima a fait est mal. C’est pour ça que c’est un méchant… Je comprends. Vous devez être très vertueuse pour dire une telle chose. En plus, vous débordez de sens de la justice. Même si nous n’étions pas traités comme des sauveurs ici, je suis sûre que vous auriez agi exactement de la même manière. Les gens comme vous pourraient vraiment être de vrais héros. »

« Qu’est-ce que tu essaies de… »

« Mais quand même, c’est Majima-senpai qui m’a sauvée. Pas vous. » Iino avait hésité quand Katou avait renforcé son regard. « De mon point de vue, c’est vous qui êtes une personne maléfique pour l’avoir blessé. »

« Je… suis… maléfique… ? »

« Oui. Peu m’importe que vous soyez vertueuse ou non… Oh, peut-être que si. Je suppose que vous pourriez dire que c’est plutôt pratique pour moi. »

Son choix de mots était étrange. Iino l’avait regardée, se demandant ce qu’elle voulait dire.

« Iino, vous vous êtes retenu tout ce temps, n’est-ce pas ? »

« Hein ? »

Katou continua, ignorant mon souffle étonné. « Je veux dire, si vous étiez si encline à le faire, vous auriez pu décapiter tout le monde maintenant, non ? »

Qu’est-ce qu’elle dit ? m’étais-je dit. Mais maintenant qu’elle en parlait, malgré le fossé qui nous séparait, personne n’était encore mort. La seule personne qu’Iino avait frappée avec son épée était Gerbera, et même là, elle lui avait seulement coupé les jambes.

« Même si vous savez que ce sont des monstres, vous vous abstenez d’utiliser votre épée quand ils ressemblent à des humains ? Avec Majima-senpai aussi. Vous auriez dû être capable de l’abattre au lieu de simplement le frapper. »

« Qu-Qu’est-ce que tu dis !? Il est mort ! » répondit Iino d’un ton effaré.

J’avais été surpris par la différence de perception. Après y avoir réfléchi, cependant, Iino avait seulement dit qu’elle allait « me battre ». Tout ce qu’elle m’avait fait, c’était de me frapper au visage. Elle l’avait fait avec son épée, mais elle ne m’avait pas coupé. J’étais désespéré, pensant que j’allais être tué, alors qu’Iino se battait sans intention de le faire. J’avais pensé que la situation devant moi était sans espoir, mais ce n’était pas ainsi que Katou l’avait interprétée.

« Vous avez raison. Ce serait mauvais s’il mourait, hein ? Vous êtes vraiment un vrai héros. Je suis contente que vous le soyez. Vraiment contente. »

Une sueur froide avait coulé sur le visage de Katou alors qu’elle endurait la douleur et forçait un sourire sûr d’elle.

« N’oubliez pas, » continua-t-elle. « Comme vous l’avez dit, je ne suis pas plus qu’un humain normal. Je n’ai aucune force. Je ne peux pas me battre. Je n’ai aucun moyen de survivre si quelque chose m’arrive. Je ne suis pas non plus opposée à l’idée de profiter des faiblesses des autres. Je suis un humain faible, après tout. »

« Qu’est-ce que tu…, » commençait à dire Iino, quand elle avait soudainement relevé la tête.

« Hee hee… Hee hee hee. Katou, je trouve vraiment que tu es la plus terrifiante de toutes. »

Le regard d’Iino était fixé sur Gerbera, qui avait été vaincue de manière assez spectaculaire quelques instants auparavant. Gerbera avait apparemment réussi à se ressaisir pendant que Katou gagnait du temps.

« Je doute sincèrement de ta santé mentale, » dit Gerbera à Katou.

« Comment dire ? Je te l’ai déjà dit, n’est-ce pas ? Je suis en fait un peu une poule mouillée. »

« C’est précisément pourquoi tu es terrifiante. »

Gerbera avait enfoncé les serres qui lui restaient dans le sol. Elle tenait d’une main la manamobile qu’elle avait percutée.

Iino la regarda d’un air quelque peu exaspéré. « C’est assez grossier, n’est-ce pas ? »

« Ne sois pas comme ça. C’est ce type d’arme qui me convient le mieux, pour ton information. »

Gerbera maniait le véhicule comme une massue. Cela aurait dû mettre une bonne quantité de stress sur le cadre, mais Rose avait personnalisé cette manamobile. Même s’il grinçait, il ne se brisait pas. Il pourrait être utilisé comme une arme contondante. Mais cela ne semblait pas être suffisant pour faire face à Iino. Peu importe la puissance d’une arme, ça ne veut rien dire si elle ne peut pas toucher. Son efficacité serait également entravée par les jambes manquantes de Gerbera.

« Majima, je sais que celle-ci est ton plus fort atout, mais peu importe comment tu le présentes, il n’est pas raisonnable de s’y fier maintenant. »

C’était normal qu’elle pense ainsi, mais j’avais autre chose en tête. Gerbera était… eh bien, Gerbera. C’est pourquoi je sentais que quelque chose n’allait pas. Katou et Rose s’entendaient très bien, ce qu’Iino ne pouvait pas savoir. Malgré ça, Katou ne s’était pas précipitée aux côtés de Rose quand elle s’était écrasée contre la falaise. Au lieu de cela, elle avait couru vers Gerbera en premier.

Il semblait que Katou avait perdu son sang-froid, mais si c’était le cas, elle serait allée voir Rose tout de suite. Puisqu’elle ne l’avait pas fait, alors, cela ne veut-il pas dire le contraire ? Katou ne paniquait pas. Elle avait calmement analysé la situation avec une tête froide et avait ensuite agi. La raison pour laquelle elle était allée voir Gerbera était qu’elle avait un but précis en le faisant.

« Avec ça, c’est fini, » avait déclaré Iino, en s’élançant vers Gerbera.

Gerbera avait répondu en balançant la manamobile de toutes ses forces. Il n’y avait aucune chance qu’une attaque aussi grossière atteigne la Skanda au pied léger. C’est pourquoi Gerbera ne visait pas Iino.

« Quoi — !? »

La manamobile avait quitté la main de Gerbera, avait volé au-dessus des têtes de Shiran et Kei, et était entrée en collision avec le flanc de la falaise qui surplombait la route. Iino ne s’était pas encore approchée de Gerbera, elle n’avait donc aucun moyen de l’arrêter.

Le flanc de la falaise était déjà assez fragile pour s’effondrer lorsque Rose s’y était écrasée. Maintenant, la puissante Grande Araignée Blanche avait lancé de toutes ses forces un véhicule robuste sur la falaise. La force de l’impact était terrifiante, brisant à la fois le véhicule et la falaise. En conséquence, un phénomène naturel s’était produit, un phénomène qui nous avait arrêtés dans notre voyage de nombreuses fois maintenant — un glissement de terrain. Un torrent de roches et de terre s’était déversé sur la route de montagne.

Naturellement, la Skanda ne subira aucun dommage. Avec sa vitesse, il lui serait facile de s’écarter du chemin. Oui. Ce sera très facile, pour elle en tout cas.

« Qu-Quoi… ? »

Iino était complètement décontenancée. Elle se souvenait certainement de ce que Katou venait de lui dire.

« N’oubliez pas. Comme vous l’avez dit, je ne suis qu’un humain normal. Je n’ai aucune force. Je ne peux pas me battre. Je n’ai aucun moyen de survivre si quelque chose m’arrive. »

« Pas question ! »

Iino avait crié et s’était retournée. Katou se tenait là, la main tendue et souriante. Je n’avais pu réprimer un frisson à l’idée de ce qui se passait dans la tête de Katou. Nous ne pouvions pas échapper à Iino en provoquant un glissement de terrain. Iino avait au moins l’intention de me capturer. Mais dans cette situation, avec une fille fragile et sans force sur le point de mourir devant elle, que ferait-elle ?

« T-Tu es une idiote ! »

Iino n’avait pas hésité. Elle s’était lancée dans un sprint avec toute la puissance de la Skanda. Cependant… Iino avait mal compris. Katou n’avait certes pas la force de participer directement à un combat, mais elle n’était en rien faible.

 

 

Son arme était sa détermination. Son chemin n’était pas la justice, mais ça ne la rendait pas mauvaise. Katou Mana agissait simplement par désespoir. C’est pourquoi la main qu’elle tendait ne cherchait pas l’aide d’Iino. Le bracelet à son poignet était un outil magique que je lui avais donné pour sa propre défense. La gemme qui y était enchâssée était une imitation de pierre runique de flash. Elle ne pouvait être utilisée qu’une seule fois pour créer une lumière aveuglante non mortelle.

« Je ne suis pas non plus opposé à l’idée de profiter des faiblesses des autres. »

C’est ce que Katou avait dit, et c’est ce qu’elle faisait avec Iino. Une lumière blanche aveuglante enveloppa la falaise en ruine.

« Attends ! »

Iino n’aurait jamais pu deviner que la fille qu’elle essayait de sauver lancerait une attaque-surprise contre elle. Elle avait fini par plonger dans la lumière.

« Est-ce une blague !? »

Ainsi, la Skanda était tombée en poussant un cri.

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Illustrations

 

Fim du tome.

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