Le Monde dans un Jeu Vidéo Otome est difficile pour la Populace – Tome 11
Table des matières
- Prologue : Partie 1
- Prologue : Partie 2
- Prologue : Partie 3
- Chapitre 1 : À la frontière : Partie 1
- Chapitre 1 : À la frontière : Partie 2
- Chapitre 1 : À la frontière : Partie 3
- Chapitre 2 : La maison Frazer : Partie 1
- Chapitre 2 : La maison Frazer : Partie 2
- Chapitre 3 : Les manigances de Mylène : Partie 1
- Chapitre 3 : Les manigances de Mylène : Partie 2
- Chapitre 3 : Les manigances de Mylène : Partie 3
- Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence : Partie 1
- Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence : Partie 2
- Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence : Partie 3
- Chapitre 5 : La représentante de la maison Fanoss : Partie 1
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Prologue
Partie 1
Un nombre croissant d’élèves étaient à la fois anxieux et excités à l’idée des prochaines vacances d’été à l’académie. Certains prévoyaient d’inviter leurs nouveaux camarades de classe chez eux. D’autres avaient déjà prévu de voyager pendant les vacances. Et d’autres encore n’avaient pas eu d’autre choix, pour diverses raisons, que de se lancer à corps perdu dans leur activité secondaire et de plonger dans le donjon situé sous la capitale. Il semblait que tout le monde vibrait d’impatience en fantasmant sur leur temps libre à venir.
Quant à moi, Léon Fou Bartfort, je devais être privé de ce luxe. Même si j’étais encore étudiant, j’étais aussi un duc pleinement reconnu. (Veuillez noter que ce rang m’avait été conféré entièrement contre ma volonté).
De plus, je méritais au moins un peu de sympathie pour mon sort ! Alors que d’autres étudiants passaient leurs vacances à s’amuser, on m’avait volé ce droit. Au lieu de cela, on m’obligeait à faire de la politique.
Par exemple, imaginez-moi en train de me préparer à me rendre au palais royal en enfilant un uniforme de chevalier avec mes multiples décorations de service. Devant un miroir vertical, j’avais longuement regardé la mine renfrognée que j’avais sur le visage.
« Pour qui se prend ce salaud de Roland pour me convoquer ainsi ? » soufflai-je. Je n’étais allé déterrer ce vieil uniforme que parce que le roi de notre pays, Roland Rapha Hohlfahrt, avait exigé ma présence au palais royal — sans se soucier d’ailleurs, comme d’habitude, de savoir si j’avais des projets. J’avais compris qu’il n’y avait rien de bon à bouder, mais je n’avais pas pu m’en empêcher.
« Tu sais exactement qui il est », dit Livia en épinglant mes médailles à mon uniforme. « C’est le roi de notre nation. » Elle avait eu la gentillesse de m’aider à me préparer, son visage ne trahissant jamais d’émotion. Même si elle savait que je ne faisais que me défouler, elle répondait fidèlement à mes jérémiades rhétoriques.
« Si c’est le roi, alors il devrait être plus respectable », avais-je dit.
« Eh bien, je ne peux pas dire le contraire. » Livia força un sourire, d’accord tacitement avec moi.
Notre roi était discrètement connu sous un certain nombre d’épithètes cinglantes : Roi clown, bon à rien, salaud et coureur de jupons. Les aristocrates nourrissaient un dédain particulier à son égard. S’il avait été un roi digne de ce nom, il aurait eu bien plus de respect de la part de la noblesse, qui n’aurait eu aucun mal à lui jurer fidélité. Au lieu de cela, Roland confiait ses fonctions à sa femme et reine, Mylène Rapha Hohlfahrt, pendant qu’il se faufilait dans la ville pour chasser toutes les jupes en vue. Il était impossible de respecter un tel homme.
Mais surtout, Roland était mon plus grand ennemi, sans aucun doute. Ce méprisable crétin était après tout responsable de ma série de promotions non désirées — toutes accordées au nom de la pure méchanceté. Si elles avaient été le fruit d’un malentendu, j’aurais pu me résoudre à lui pardonner, mais il m’avait fait ça en sachant que je ne voulais pas de cette reconnaissance. Il était tout à fait méprisable.
Livia fit une pause pour inspecter les médailles qu’elle avait attachées à mon uniforme avant de hocher la tête pour elle-même. « Très bien. C’est terminé, Monsieur Léon. Tu as l’air incroyable. »
« On dit que les vêtements font l’homme. » J’avais haussé les épaules. « C’est normal que je sois élégant dans un uniforme. »
Livia fit la grimace et soupira. « Tu pourrais prendre un compliment au pied de la lettre de temps en temps. »
J’avais inspecté mon reflet dans le miroir. Grâce à Livia, j’avais au moins la tête de l’emploi. Le changement s’était fait beaucoup plus rapidement avec son aide.
« Tu m’as fait une énorme faveur, pour de vrai. C’est un travail difficile de rentrer dans ce truc, avec toutes ses cloches et ses sifflets. »
« C’est parce que tu ne portes jamais de tenues formelles. J’ai l’impression de toujours te voir en pantalon et en tee-shirt. »
« C’est comme ça que j’ai été élevé. »
Les sourcils de Livia se froncèrent. « Tous les autres membres de ta famille s’habillent de façon appropriée à leur poste et ont l’air bien soignés. Je pense que c’est plutôt un problème personnel. »
Livia avait été plus dure avec moi ces derniers temps. Non, il n’y avait pas qu’elle — mes autres fiancées avaient-elles aussi cessé trop indulgentes avec moi. Je ne détestais pas cela, pour être clair. Pour le dire franchement, je préférais ça. Cela dit, je ne voulais pas qu’elle pense que j’étais l’unique plouc de la famille.
« Tu n’as pas vu mon frère et mon vieux dans leur élément », avais-je dit. « En été, nous, les hommes de Bartfort, sautons toujours dans le lac, en caleçon seulement. Nous sommes le summum de l’indécence. »
En fait, quand j’étais enfant, j’avais joué dans l’eau à poil. Colin avait fait la même chose l’année dernière, mais compte tenu du nombre de filles qui étaient passées par le domaine familial ces derniers temps, il avait mis des caleçons cette fois-ci.
Jusqu’à présent, Livia était restée imperturbable, mais dès qu’elle entendit cela, le sang lui était monté aux joues. « Je ne peux pas croire que tu fasses une chose pareille, surtout quand tu as des filles dans ta famille. »
J’avais fait une pause pour réfléchir à ses paroles. Il n’y avait que trois filles dans notre famille : Maman, Jenna et Finley. Aucune d’entre elles n’avait jamais semblé particulièrement surprise de nous voir nous déshabiller, et encore moins dérangée par cela.
« Personne ne s’en est soucié », avais-je dit. « De toute façon, nous sommes comme ça. Et tes parents ? »
Toujours en rougissant, Livia répondit : « Je n’ai pas de frères, alors je ne sais pas vraiment. »
C’est malheureux… Ou peut-être que c’est mieux ainsi, en fait ?
Livia porta une main fermée à sa bouche et se racla la gorge, essayant de jouer de son embarras. « Quoi qu’il en soit, tu es prêt à partir maintenant. Tu auras l’air parfaitement noble tant que tu te tairas, alors s’il te plaît, ne parles pas une fois que tu auras pénétré dans la salle du trône. »
Aïe. C’est un peu dur. Elle donnait l’impression que je me gênerais moi-même si je faisais le moindre bruit.
Me sentant tout à coup espiègle, j’avais placé un bras autour de Livia, l’attirant près de moi. « C’est dommage que tu me voies sous un jour aussi triste. Je sais que je suis souvent incompris, mais je pensais sincèrement que tu connaissais le vrai moi. »
Notre nouvelle proximité plongea Livia dans un état de panique. « M-Monsieur Léon ! Tu ne fais que me taquiner, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? » plaida-t-elle.
« Hmm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Livia avait essayé d’échapper à mon emprise, mais ses tentatives étaient faibles. Elle ne se débattait pas vraiment. C’était sans doute en partie parce qu’elle ne voulait pas salir mon uniforme, mais en même temps, je voyais bien qu’elle était beaucoup plus impliquée qu’elle ne le laissait paraître.
Je m’étais penché tout près d’elle. Résignée, Livia cessa de se tortiller et ferma les yeux dans l’expectative. Je lui avais soulevé le menton, prêt à déposer un baiser sur —
« C’est tout simplement parfait ! » s’était écrié quelqu’un, détruisant l’atmosphère romantique. « Continue comme ça ! Oui, comme ça ! J’enregistre chaque seconde, pour que ce moment soit préservé sur pellicule pour toujours, mais ne fais pas attention à moi ! »
Cette voix appartenait à l’IA Creare, bien sûr, qui semblait chroniquement incapable — ou peut-être, plus exactement, refusait catégoriquement — de lire cette foutue ambiance.
Le corps rond et robotique de Creare flottait dans l’air, la lentille bleue en son centre dirigée sur nous, son anneau extérieur s’élargissant et se rétrécissant tour à tour tandis qu’elle ajustait la mise au point tout en filmant.
Dès que Livia entendit Creare, ses yeux s’ouvrirent et son visage devint rouge comme une tomate. Son regard était un mélange d’embarras et de ressentiment. « Eary… » grommela-t-elle.
« Oh là là, c’est trop mignon ! Vous êtes vraiment embarrassés ! »
« Qu’est-ce que tu fais, tu nous espionnes ? », avais-je craqué, tout aussi troublé. « Fous le camp d’ici ! »
« Tu ne peux pas vraiment appeler ça de l’espionnage. Je suis là depuis le début », chanta Creare pour sa défense, sans se sentir le moins du monde coupable de son voyeurisme. Cette absence de conscience faisait qu’elle n’avait pas envie de partir, même quand on le lui demandait. « C’est toi qui as décidé de lui faire un câlin sans crier gare. Je n’ai rien fait de mal. »
« Vous, les IA, vous êtes vraiment des pédants experts, je vous l’accorde », avais-je dit.
« Oh, quel compliment ! »
Rien de ce que je disais ne semblait aboutir, ne serait-ce qu’un peu. Je menais une bataille perdue d’avance.
Si notre moment romantique devait vraiment être conservé sur pellicule pour toujours, je m’étais soudainement senti hésitant. J’avais essayé de m’éloigner de Livia, mais cette fois, son bras s’était enroulé autour de ma taille, m’attirant à nouveau.
« Livia ? Euh… »
Livia appuya son front sur ma poitrine pendant un moment avant de relever le menton. Elle me regarda timidement. Ses bras avaient alors quitté ma taille et elle avait levé les mains pour prendre mes joues. Il aurait été facile de la repousser, mais je m’étais retrouvé impuissant, captivé par ses yeux rosés.
« S’il te plaît, ne commence pas avant de t’arrêter », dit Livia d’un ton hésitant. « Je veux que tu ailles jusqu’au bout. »
« M-mais je…, » J’avais jeté un coup d’œil à Creare, dont la lentille bleue restait braquée sur nous.
« Wow, Liv, quelle audace ! » taquina Creare.
J’avais à moitié envie de la jeter comme un ballon de foot, mais j’avais refoulé ma colère et j’avais plutôt tourné mon regard vers Livia. « Euh, euh… d’accord. »
Nous rougissions tous les deux à ce moment-là, mais je m’étais penché, rapprochant nos lèvres.
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Partie 2
« À quoi pense mon stupide frère !? »
En ce moment même, Marie Fou Lafan était en train de pousser des cris d’orfraie dans le dortoir des filles. Elle était furieuse contre son grand frère — techniquement parlant, son ancien grand frère — qui ne s’était pas présenté à leur réunion. Au lieu de cela, Luxon, le partenaire de Léon, était venu la voir. Son petit corps rond et métallique flottait dans les airs, une seule lentille rouge nichée en son centre.
La voix robotique de Luxon semblait presque exaspérée lorsqu’il déclara : « On peut dire que le maître est moins paresseux ces jours-ci, ce qui, selon certains, est un signe de croissance, mais il prend de l’avance sur certaines choses. À l’heure où nous parlons, il est collé à Olivia comme du mucus, accroché à elle. »
Creare avait fait part de ce petit détail à Luxon, qui s’était empressé de le révéler à Marie. Cela n’avait fait qu’empirer l’humeur de cette dernière. Elle ne s’intéressait absolument pas à la vie amoureuse de son frère.
« Argh, dis au moins colle, pas mucus ! Ça a l’air complètement dégoûtant ! »
« Très bien. Permets-moi de modifier ma déclaration par souci d’exactitude : ils s’embrassent. »
Marie secoua vigoureusement la tête. « Ne me dis pas ce genre de choses ! » s’écria-t-elle.
Bien que ce soit difficile à discerner, Luxon semblait légèrement amusé. « Il est utile d’observer tes réactions à ce genre de choses », nota-t-il d’un ton détaché.
« Tu me prends pour qui, une expérience en cours ? De toute façon, est-ce qu’on va avoir cette discussion même si Grand Frère n’est pas là ? »
À l’origine, Léon et Marie avaient l’intention de discuter et d’exposer leurs plans pour l’avenir, Luxon étant là pour intervenir comme il le faisait toujours. Mais ce n’était manifestement pas le cas, et Marie s’inquiétait des derniers développements.
« Le saint royaume de Rachel a rassemblé un tas de ses voisins pour former une alliance et prévoit de nous envahir, c’est ça ? », lança Marie, qui n’était pas très au courant de tous les détails.
« D’un point de vue général, c’est exact, mais ils n’ont pas encore l’intention d’envahir, » corrigea Luxon.
« Mais ils finiront par le faire. »
« Tout dépend des pourparlers d’aujourd’hui. Le saint royaume de Rachel a envoyé un émissaire au royaume de Hohlfahrt et a demandé une audience avec le roi Roland. Le maître doit également y assister. »
Si un envoyé était ici, Marie comprenait pourquoi Roland avait convoqué Léon. Mais que dirait cet envoyé ? La curiosité avait poussé la noblesse du royaume à affluer vers la capitale sans invitation pour pouvoir l’écouter, impatiente de connaître la suite des événements.
« J’espérais pouvoir parler à Grand Frère avant que toute cette histoire n’arrive, mais ces derniers temps, il est devenu complètement fou de filles. Ce grand dadais. Il n’a pas le droit de critiquer le roi », grommela Marie.
Roland était un infâme coureur de jupons, et Léon le dénigrait presque quotidiennement. Il était donc ironique que Léon se concentre autant sur ses propres relations avec le beau sexe ces derniers temps. Plus précisément, ses trois fiancées.
« Les attentions du Maître ne sont prodiguées qu’aux femmes à qui il est promis — Anjelica, Olivia et Noëlle. Je ne vois aucun inconvénient à cela. »
Marie secoua la tête. « C’est comme s’il y avait mille problèmes à la fois ! Nous sommes à un moment critique, et il est occupé à aller à des rendez-vous, à prendre le thé, et à trouver toutes sortes d’excuses pour éviter de me rencontrer ! » Ses mains s’étaient envolées vers sa tête, serrant son crâne pendant qu’elle agonisait.
Luxon l’étudia, l’anneau central de sa lentille bougeant au fur et à mesure qu’il enregistrait sa réaction. « Te sens-tu peut-être seule ? Comme si ces femmes t’avaient volé ton frère ? »
« Non ! » Marie se redressa et attrapa un coussin qui se trouvait à proximité pour le lancer à Luxon. Il aurait pu facilement esquiver, mais jugeant qu’il ne s’agissait pas d’une menace réelle, Luxon laissa le coussin rebondir sur lui.
« Il est de la plus haute importance que le maître établisse de bonnes relations avec les femmes qu’il a juré d’épouser. En fait, il a été incroyablement négligent sur ce front jusqu’à récemment. »
« Je peux être d’accord avec ça, mais voyons. Ce qui est bizarre, c’est qu’il a trois fiancées. Je veux dire, vu sa personnalité, c’est un peu un miracle, mais quand même. »
Luxon lui lança un regard perçant. « Cela vient d’une femme qui a séduit cinq hommes ? »
« Argh ! » Marie poussa un cri étranglé — et quelque peu adorable — en s’agrippant à sa poitrine. Son visage se contorsionna sous l’effet de l’agonie, et ses genoux se dérobèrent. Elle tremblait là où elle s’effondrait, le sang s’écoulant de son visage. Les mots de Luxon étaient comme un poignard en plein cœur — un poignard qu’elle avait essayé d’utiliser sur Léon et qui s’était enfoncé dans sa poitrine à la place.
« Arrête, » gémit-elle. « Ne le dis pas. Je regrette mes actes, vraiment. Mais… mais… aucun d’entre eux n’essaie de partir ! Je veux plus que tout les libérer, mais aucun d’entre eux ne veut partir ! » Les larmes lui montèrent aux yeux.
Les hommes que Marie avait séduits étaient cinq (ex-) nobles scions et les intérêts amoureux du premier jeu vidéo otome. À un moment donné, elle avait essayé de les renvoyer chez eux. Pour une raison ou une autre, aucun d’entre eux n’avait jugé bon de la quitter.
« Bon, je pense que c’est assez de tes malheurs. Pourquoi ne pas revenir au sujet qui nous occupe ? » proposa Luxon. « Il est vrai que le maître a été distrait ces derniers temps. Il donne trop la priorité à ses fiancées et fait abstraction de tout le reste. » En d’autres termes, Léon était tellement bien placé en ce moment qu’il n’y avait guère de joie à le taquiner.
Marie releva la tête. « Mon frère est un énorme emmerdeur, n’est-ce pas ? Je pensais qu’il se reprenait enfin, mais au lieu de ça, il est devenu imbu de sa personne, et maintenant, il passe son temps à faire les yeux doux à ses filles. Crois-moi, un jour, l’une d’entre elles va le poignarder. En fait, c’est peut-être une bonne chose pour lui. Peut-être qu’alors, il ouvrira enfin les yeux. »
« C’est impossible. »
« Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »
« Parce que je protégerai mon maître de tout danger de ce genre. »
Marie l’étudia et fit une grimace. « Tu sais, je commence à penser que tu es la plus grande douleur de toutes. »
« Moi, une douleur ? Cela n’a pas de sens. J’exige une explication en bonne et due forme. »
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La lumière du soleil pénétrait par l’énorme fenêtre de la salle du trône du palais royal. La température de la pièce était contrôlée par magie, mais tant d’aristocrates s’étaient entassés à l’intérieur pour assister à l’audience de l’émissaire avec le roi que l’air était oppressant. Un filet de sueur glissa le long de mon front, mais je l’avais à peine remarqué, trop concentré sur Roland et l’homme qui était venu lui parler.
L’envoyé avait une carrure délicate et était vêtu d’un costume. Sa voix insupportablement théâtrale résonnait dans la salle. Les participants étaient visiblement agacés.
« Son Éminence, le monarque divin du Saint Royaume de Rachel, déplore grandement les circonstances actuelles. Quand on pense que le chevalier-racaille détient un pouvoir aussi illimité, c’est une honte ! Il est la source de tous nos malheurs, il menace non seulement notre sécurité, mais aussi celle de toutes nos nations sœurs ! » Il jeta un coup d’œil vers le bord de la salle où j’écoutais tranquillement sur mon siège. Au même instant, l’attention de tout le monde s’était concentrée sur moi.
L’envoyé gesticula de façon spectaculaire en plaidant sa cause. « Votre Majesté, le roi de Hohlfahrt, je vous en conjure. Si vous êtes vraiment un champion de la paix, n’allez-vous pas confisquer les artefacts disparus du chevalier-racaille et les redistribuer à notre alliance ? »
Je ne savais pas exactement quand j’avais mérité cette épithète peu flatteuse, mais c’était assez agaçant d’apprendre que même les gens de Rachel l’utilisaient pour me désigner. Leur tentative de s’emparer de mes artefacts disparus était également exaspérante. Néanmoins, je m’étais dit qu’il valait mieux écouter ce type jusqu’au bout.
Roland me jeta un coup d’œil. Lorsqu’il comprit que j’allais garder le silence, il sourit d’une oreille à l’autre. Il aimait me voir me tortiller — il aimait voir la grimace amère sur mon visage.
« Oh ? » dit Roland. « En d’autres termes, vous exigez que nous cédions les artefacts disparus du duc à des puissances étrangères ? »
À côté de Roland était assise la reine Mylène. Elle étudiait en silence l’envoyé de Rachel, avec l’air digne que l’on peut attendre d’une femme de son rang. Son regard habituellement chaleureux était devenu d’une froideur arctique, lui donnant un air de reine des glaces. Honnêtement, je n’avais répondu à la maudite convocation de Roland au palais que pour pouvoir voir ce visage.
Ahh, elle est toujours aussi belle, avais-je pensé, avant de me réprimander rapidement. Ce n’était ni le moment ni l’endroit pour fantasmer.
L’envoyé me jeta un autre coup d’œil. Les commissures de ses lèvres se retroussèrent. « Non, je crains que cela ne soit pas suffisant. Nous insistons également pour que vous renonciez à l’Arbre sacré et à sa prêtresse, qu’il a tous deux saisis à la République d’Alzer. »
Des murmures éclatèrent. Les aristocrates s’étaient empressés d’exprimer leur soutien à mon égard.
« La prêtresse est l’une des fiancées du duc. »
« Trop audacieux ! Exiger d’un duc qu’il te remette sa propre future épouse ? »
« Ils ne peuvent même pas faire semblant de négocier ? »
L’un d’entre eux ne laissait transparaître aucune émotion sur son visage — le Duc Redgrave, le père d’Anjie. À ce stade, j’avais essentiellement coupé les ponts avec lui et sa maison. Même si cela ne faisait pas nécessairement de nous des ennemis, nos relations étaient devenues instables. Il semblait peu enclin à m’offrir son soutien, tout comme les autres.
Comme je ne faisais aucun geste pour commenter ces demandes, l’envoyé continua. « En fait, nous proposons que toutes ses fiancées soient réinstallées dans des nations étrangères pour être mises en sécurité. Le chevalier-ordure — oh, pardon, je devrais l’appeler le Seigneur Léon, n’est-ce pas ? — pourra leur rendre visite dans leurs nouvelles résidences. Nous le lui permettons, bien sûr. »
Quel culot ! J’étais resté sans voix, mais à l’intérieur, mon sang bouillonnait. Ils me demandaient de leur remettre absolument tout et de vivre une vie en leur faisant des courbettes dans une soumission abjecte.
Luxon flottait à mon épaule droite, son habituel dispositif d’occultation le gardant caché. Il m’avait parlé suffisamment doucement pour que personne ne puisse l’écouter. « Ils ne semblent pas du tout disposés à négocier. Leur confiance totale en leur victoire m’amène à me demander s’ils n’ont pas une sorte d’arme secrète à portée de main. »
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Partie 3
Le seul atout que nous savions assurement qu’ils possédaient était ces pseudoarmures démoniaques. Rachel avait un groupe d’élite de chevaliers sacrés à qui elle avait implanté des fragments d’une armure démoniaque. En échange de leur vie, ces chevaliers recevaient un immense pouvoir. Ce boost était cependant temporaire, ils utilisaient toute leur force vitale en une seule et glorieuse bataille. Le plus dégoûtant, c’est que ces chevaliers étaient fiers de leur sacrifice.
Cependant, peu importe le nombre de ces pseudoarmures démoniaques qu’ils me lanceraient, elles ne feraient pas le poids face à Luxon. Nous avions déjà affronté des tonnes d’armures démoniaques, et celles de Rachel étaient les plus faibles. Comparées au Brave de Fin — une armure démoniaque entièrement intacte —, elles n’étaient rien de plus que de la chair à canon. Même Luxon les considérait comme une menace nulle. C’est pourquoi il avait émis l’hypothèse d’une autre justification à leur arrogance.
Enfin, j’avais ouvert la bouche pour répondre aux demandes de l’envoyé, mais Mlle Mylène m’avait devancé.
« C’est inutile. » Sa voix était froide — probablement parce que le royaume de Rachel était un ennemi de longue date de son pays d’origine. « Il semble évident que la paix ne vous intéresse pas. »
Les yeux de l’envoyé brillèrent. « Si c’est votre réponse, alors je suppose que vous ne comprenez pas les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez. Le Saint Royaume de Rachel est le principal membre d’une alliance militaire qui encercle entièrement votre nation. Quelle que soit la force que le Seigneur Léon peut mettre en œuvre, il peut difficilement nous affronter sur tous les fronts à la fois. »
Certes, si l’ennemi nous attaquait de tous les côtés simultanément, même Luxon ne pourrait pas nous empêcher de subir des pertes. Mais c’était tout de même l’étendue de la menace. Nous perdrions des gens, certes, mais nous gagnerions quand même.
Le plus gros problème pour moi, ce sont les aristocrates qui protègent nos frontières. Un certain nombre de ceux qui s’étaient précipités vers la capitale pour assister à la visite de l’envoyé étaient également chargés de nous protéger contre ce genre d’invasion. Ces mêmes seigneurs étaient actuellement en proie à des expressions amères.
« Si l’ennemi devait donner suite à une telle attaque, ces seigneurs seraient contraints de défendre seuls leurs régions jusqu’à ce que je puisse arriver pour les aider », déclara Luxon. Il n’avait aucun mal à lire sur leurs visages. « Après tout, le royaume de Hohlfahrt ne serait pas en mesure d’envoyer suffisamment de renforts aux quatre coins de son territoire. »
En d’autres termes, ceux qui devraient défendre nos frontières seraient les plus durement touchés.
« Quelle impressionnante bravade », dit Mademoiselle Mylène. « Mais je postule que Rachel a bien plus peur de nous que nous de vous, étant donné que vous craigniez tellement le pouvoir de notre duc que vous avez cherché une alliance avec des puissances étrangères dans l’espoir de nous intimider. »
Le sourire plaqué sur le visage de l’envoyé se tendit. « Voulez-vous tester cette théorie ? » répliqua-t-il.
« Retourne auprès de vos compatriotes et préparez-vous au combat. »
Sur l’ordre de Mlle Mylène, les rideaux s’étaient fermés sur leur rencontre. L’envoyé de Rachel s’empressa de quitter les lieux. Un flot de bavardages gronda dans la pièce tandis que les nobles se tournaient vers leurs voisins pour discuter de ce qui s’était passé. La cacophonie était la couverture parfaite pour s’assurer que personne n’entende ma conversation avec Luxon.
« Mademoiselle Mylène ne se rend-elle pas compte que nos frontières sont en danger ? Cela me semble terriblement irréfléchi. Il vaudrait mieux réfléchir d’abord à la façon dont ils vont prendre cette nouvelle, non ? »
« Je suis certain qu’elle s’en rend compte », répondit Luxon, l’air confiant. « En fait, je crois qu’elle a délibérément ignoré la question. »
J’avais secoué la tête. « Elle ne ferait jamais quelque chose comme ça. »
« Maître, ta confiance en Mylène découle-t-elle de ta convoitise ? »
« Oh, allez. C’est grossier. Ne dis pas ce genre de choses. »
J’avais jeté un coup d’œil au trône où était assise Mylène. Ses yeux étaient fixés sur moi. D’habitude, elle dégageait cet air adorable et attachant, même lorsqu’elle essayait de le minimiser — mais curieusement, cela avait disparu. Elle m’offrit un faible sourire, mais son expression semblait quelque peu froide.
☆☆☆
Après l’audience avec l’envoyé, l’un des chevaliers du palais me prit à part et m’escortée dans une pièce séparée. Elle était richement meublée, mais le décor privilégiait la fonction à la mode. Le salon de réception du palais était bien plus ostentatoire.
Je m’étais vite rendu compte que j’avais déjà été convoqué ici.
« Oh, je me souviens. Oui, je suis venu ici une tonne de fois. »
Luxon déclara sobrement : « C’est la pièce que nous avons utilisée lorsque tu as accepté le poste de commandant en chef pendant le conflit avec la principauté. »
« Ouep. C’est celle-là. »
Pendant que nous partagions ce court échange, j’avais tourné mon regard vers Mylène, qui avait été celle qui m’avait convoqué ici. Je craignais que mon attitude décontractée ne l’offusque, mais elle souriait comme elle le faisait toujours. Elle était assise sur sa chaise, la main droite en coupe sur sa bouche, se remémorant les mêmes souvenirs.
« Tu as fait un travail magnifique sur ce terrain. Nous nous attendons à ce que tu fasses de même lorsque nous rencontrerons les forces de Rachel. » Le timbre de sa voix était doux, et ses mots étaient polis, mais quelque chose dans sa façon de parler mettait une nouvelle distance entre nous.
Je m’étais gratté l’arrière de la tête maladroitement. « À en juger par la façon dont les choses se sont déroulées avec cet envoyé, je suppose que les pourparlers de paix ne sont plus d’actualité ? »
« Il me semble clair qu’ils n’avaient aucune intention de s’engager un jour de bonne foi avec nous. Ils veulent simplement prétendre qu’ils ont tenté d’intenter un processus pour obtenir la paix et qu’ils n’ont échoué que parce que le royaume d’Hohlfahrt a refusé leurs gestes aimables. »
Oui, parce que leurs demandes avaient été complètement déraisonnables. Je supposais qu’il était logique que, comme le suggérait Mylène, tout cela ne soit que pure prétention et propagande. Cela me paraissait absurde. Il n’en restait pas moins qu’ils avaient envoyé un émissaire pour négocier, et c’était aussi un fait que nous les avions refusés d’emblée. Pour ceux qui n’étaient pas au courant des exigences exactes de Rachel, le royaume de Hohlfahrt pouvait très bien être présenté sous un jour négatif. C’était une pièce pourrie et sournoise. C’est ainsi que va le monde.
« Pour être honnête, je préférerais éviter une guerre à grande échelle si nous pouvons l’éviter », avais-je dit. « S’il y a un moyen de limiter les pertes au minimum, j’aimerais bien connaître ton avis. »
Ma demande de sagesse à la reine l’incita à sourire plus largement, comme si elle avait attendu que j’aborde ce sujet précis. « Parmi les nations voisines, seule Rachel représente une menace importante. En d’autres termes, tant que nous les tiendrons en échec, nous n’aurons que peu de raisons de nous inquiéter du reste de cette alliance. »
Elle n’avait pas tort. En dehors de Rachel, aucun des autres pays de leur alliance n’était assez puissant pour pouvoir lancer une guerre tout seul. La Principauté de Fanoss, que nous avions déjà battue et reconquise, était plus grande que la plupart des nations alignées contre nous.
La maison Fanoss, hein… ?
« Penses-tu que la maison Fanoss rejoindra l’alliance ennemie ? » demandai-je, le doute se frayant un chemin au fond de mon esprit.
Mlle Mylène poussa un petit soupir. « Lorsque la guerre éclatera, il y a de fortes chances qu’ils le fassent. Je ne doute pas une seconde qu’ils préféreront récupérer leur indépendance plutôt que de continuer à se soumettre à notre domination. »
Après avoir perdu contre nous, la maison Fanoss avait été contrainte de payer des réparations substantielles au royaume de Hohlfahrt. Nous pouvions difficilement les considérer comme des alliés. Il y a encore quelques années, nous étions des ennemis acharnés en conflit ouvert. S’ils avaient la possibilité de changer d’allégeance, ils la saisiraient probablement.
Je m’étais pris le menton, tombant en contemplation. « Dans ce cas, devrions-nous simplement prendre d’assaut les frontières de Rachel et les faire tomber, puisqu’ils sont à la tête de toute cette affaire ? »
Les yeux de Mlle Mylène s’étaient écarquillés devant ma proposition extrêmement simple d’esprit. Tout aussi rapidement, ses lèvres avaient laissé place à un sourire éclatant et elle s’était mise à rire. Je m’étais gratté la joue, gêné.
« Je te prie de m’excuser », dit-elle. « C’était tellement simple et direct que je n’ai pas pu m’empêcher d’être amusée. Tu as raison. Je suppose que ce serait une option pour toi. »
La plupart des gens ne pourraient pas faire une chose pareille, même s’ils le voulaient. Luxon était la seule raison pour laquelle j’avais pu proposer quelque chose qui serait autrement si absurde.
Mylène s’était rapidement dégrisée. « Si nous nous débarrassons de Rachel de cette façon, cela ne sera pris que comme une preuve supplémentaire du danger de ton pouvoir. Si cela se produit, il y a de fortes chances que l’empire fasse un geste. »
« L’empire, » répliquai-je pensivement, n’ayant pas imaginé le potentiel de leur intervention avant qu’elle n’en parle.
« Le Saint Empire magique de Vordenoit, pour être plus précis, » déclara Luxon. « Ils sont l’une des nombreuses nations ayant des liens avec le Saint Royaume de Rachel. »
« Exactement, » poursuit Mylène, « et l’Empire est bien plus grand que le royaume de Hohlfahrt. Même la République d’Alzer ne pourrait pas espérer les égaler. »
L’empire était la maison de Finn et de Mia. S’ils nous considéraient comme une menace et lançaient une invasion, nous serions dans une situation encore pire que celle dans laquelle nous nous trouvions déjà. Même s’ils n’envahissaient pas, ils pourraient tirer des ficelles et nous affaiblir indirectement. Si nous ne faisions pas attention, ils pourraient retourner tout le reste du monde contre nous. De plus, l’empire disposait d’une armure démoniaque entièrement fonctionnelle. Nous ne sortirions pas indemnes d’une guerre avec eux, même avec le pouvoir de Luxon. Non… Dans le pire des cas, nous pourrions même perdre.
« Ce serait vraiment dommage de s’en faire un ennemi, n’est-ce pas ? » avais-je demandé, juste pour confirmation.
Mylène acquiesça rapidement. « Oui, ce serait le cas. »
Luxon semblait légèrement agacé par cette ligne de pensée. « Si nous les éliminions tout simplement et d’un seul coup, tout problème potentiel serait instantanément résolu. »
C’était une suggestion peu surprenante, venant de Luxon, mais je n’avais pas l’habitude de blesser des innocents. « Ne plaisante pas avec ça », avais-je dit.
« Si tu es tout à fait honnête, Maître, tu admettrais que tu ne veux même pas détruire Rachel, n’est-ce pas ? Tu es bien trop naïf. »
Nous nous étions regardés l’un et l’autre.
Mylène tapa dans ses mains, attirant à nouveau notre attention sur elle. Elle continua de sourire, en inclinant légèrement la tête. « Compte tenu de ton dégoût pour la bataille, j’ai mis au point une stratégie spéciale, juste pour toi. »
« Une stratégie ? »
Mylène se leva de son siège. La fenêtre derrière elle la projetait en silhouette lumineuse tout en dessinant de longues ombres sur son visage. Cela lui donnait un air sinistre, surtout avec ce sourire.
J’aimerais vraiment qu’elle arrête de faire ça.
« J’aimerais que tu viennes avec Erica et moi chez le marquis Frazer. »
+++
Chapitre 1 : À la frontière
Partie 1
Le trafic des véhicules volant envahissait le port de la capitale, qui se trouvait sur une île flottante juste au-dessus de la capitale elle-même. Les vaisseaux étaient de toutes les formes et de toutes les tailles, tout comme les foules de gens qui se pressaient dans le port.
L’endroit semblait un peu exigu, surtout pour l’homme de cinquante ans qui venait d’arriver, une canne fermement tenue dans sa main gauche. Bien qu’il s’en serve pour marcher, son dos n’est pas voûté, mais bien droit. En fait, l’homme marchait avec une telle détermination et une telle aisance qu’il était difficile d’imaginer qu’il avait vraiment besoin de la canne. On ne pouvait que supposer qu’il s’agissait d’un effet de mode.
L’homme portait un chapeau sur la tête, ainsi qu’une paire de lunettes. Sous le chapeau, ses cheveux gris cendré étaient coiffés en arrière. Il enleva sa veste, la trouvant peut-être un peu chaude. Un sac de voyage était posé à ses pieds, qu’il ramassa rapidement avant d’avancer à grands pas, énergique pour son âge.
L’homme s’appelle Carl. Dans la chaleur étouffante du port, de la sueur s’était formée et avait coulé sur son front, et il avait rétréci les yeux en marmonnant : « Alors, quel genre d’individu est vraiment ce “chevalier-ordure” ? »
Carl avait fait tout le chemin jusqu’au royaume de Hohlfahrt pour déterminer la réponse par lui-même.
Il n’avait fait qu’un petit bout de chemin lorsque Finn était soudain apparu devant lui. Les lèvres de Carl s’étaient instantanément amincies. Ce n’est qu’en voyant Mia, qui accompagnait Finn, que son visage s’était détendu en un sourire. Mais ce sourire n’avait pas duré longtemps. Dès qu’il aperçut les mains de Finn et de Mia jointes l’une à l’autre — pour éviter qu’ils ne soient séparés par la foule affairée — l’humeur de Carl s’altéra.
Finn se renfrogna, pas très content de voir Carl.
Mia était la seule qui semblait véritablement heureuse de leur rencontre. « Tonton ! » s’écria-t-elle en agitant sa main libre avec enthousiasme.
Son expression innocente fit sursauter Carl, qui s’était ressaisi. Toute l’amertume qu’il avait pour Finn s’était évanouie lorsqu’il lui avait souri. « Salut, Mia », dit-il gentiment. « T’en sors-tu bien ? »
« Oui ! » Elle courut vers lui, aussi excitée qu’un chiot qui remue la queue.
Son accueil avait instantanément réchauffé le cœur de Carl. Hélas, ce moment fut vite interrompu.
« Pourquoi es-tu ici, vieil homme ? » demanda Finn.
L’expression de Carl s’était assombrie tandis qu’il jetait un coup d’œil à l’audace de ce garçon. « Tu n’es qu’un sale gosse. Ne sois pas si imbu de ta personne. »
Mia se jeta entre les deux, qui lui étaient tous deux chers. « Vous deux, pas de bagarre ! Mon oncle, ça veut dire que tu ne peux pas traiter Monsieur le Chevalier de “sale gosse”, d’accord ? Et Monsieur le Chevalier, ce n’est pas une façon de traiter mon oncle, pas après qu’il ait fait tout ce chemin pour nous voir. »
« Ah ha ha, je suppose que tu marques un point. Les injures étaient grossières. Je suppose qu’il est plus ou moins un chevalier, après tout », déclara Carl, prompt à s’excuser.
« Il n’y a pas de “plus ou moins”. C’est toi qui m’as adoubé. Et permets-moi d’être parfaitement clair : je suis toujours rancunier. » Finn croisa les bras sur sa poitrine, les lèvres dessinées en une ligne fine et serrée.
Brave avait l’air exaspéré par tout cet échange. Se doutant que cela ne les mènerait nulle part, il reprit : « Alors… votre… euh, je veux dire, M… Votre — euh, je veux dire, M. — pourquoi êtes-vous venu ici ? Je ne pensais pas que vous aviez l’intention de visiter Hohlfahrt. »
Carl jeta un rapide coup d’œil à Mia, puis posa sa main sur sa tête. Elle rayonna lorsqu’il lui caressa les cheveux. D’une voix calme, il dit à Finn et Brave : « Eh bien, je suis juste ici pour vérifier quelques petites choses pour moi-même. C’est tout. »
☆☆☆
Il était déjà plus de trois heures de l’après-midi lorsque j’avais regagné les résidences universitaires. Tout en me débarrassant de l’uniforme encombrant que j’avais porté toute la journée, j’avais parlé avec mes fiancées des événements de la journée.
L’une de mes fiancées était Noëlle Zel Lespinasse, une fille dont les cheveux étaient tirés en une queue de cheval sur le côté — une coiffure unique qui la distinguait. Bien que ses cheveux soient principalement blonds, ils devenaient progressivement roses à la pointe.
« Alors, » dit Noëlle, « Ceux de Rachel ont dit qu’ils voulaient voler tout ce qui est à toi, hein ? Il n’y a pas moyen que quelqu’un se laisse faire et joue le jeu avec ce genre de conditions. » Elle plaça ses mains sur ses hanches, n’essayant même pas de cacher à quel point elle était énervée par les exigences de l’envoyé.
Anjelica Rapha Redgrave — ou Anjie, comme nous l’appelions — croisa les bras sous ses seins généreux et garda un visage impassible. Elle avait l’air tout à fait calme, mais une flamme faisait rage dans ses yeux rouges, indiquant qu’elle était plutôt livide. Elle se tourna vers Noëlle et lui expliqua : « Je suis sûre qu’ils ne sont venus que pour nous faire comprendre qu’ils n’ont pas l’intention de s’engager de bonne foi. Si nous accédions à leurs demandes, ils en profiteraient pour lancer une invasion. Leur attitude condescendante est exaspérante, mais là encore, ils ont toujours été comme ça. »
Apparemment, Rachel avait toujours regardé Hohlfahrt de haut, qu’il s’agisse de paix, de guerre ou de quoi que ce soit d’autre.
J’avais remis ma veste sur un cintre en mettant fin à la conversation sur les exigences de l’envoyé. « Plus important encore, nous avons reçu une demande officielle du palais. Ils disent qu’ils veulent que je me rende sur le territoire de Frazer. »
La mâchoire d’Anjie s’était décrochée en entendant cela, mais elle avait retrouvé son calme tout aussi rapidement. Néanmoins, elle semblait déconcertée. « Ils vont te poster à la frontière avec Rachel ? Ce n’est pas une mauvaise décision, non, mais j’ai du mal à croire que la reine Mylène ait proposé ce plan. De qui viennent ces ordres ? »
Je soupire. « De Mylène. »
Anjie se mit à réfléchir.
À côté d’elle, les sourcils de Livia se froncèrent d’inquiétude en me regardant. « Hum, par Frazer, tu veux dire le marquis Frazer, c’est ça ? »
Le marquis Frazer et sa maison régnaient sur une région limitrophe du saint royaume de Rachel. Ils étaient une branche de la famille royale et, contrairement au duc Redgrave et à sa maison, qui détenaient un territoire sous la forme d’une énorme île flottante, les terres de Frazer étaient situées sur la terre ferme de Hohlfahrt. J’avais entendu dire qu’il possédait également un certain nombre d’îles flottantes, sur lesquelles il avait construit des tours pour renforcer sa défense de la frontière.
Anjie abandonna l’idée de déchiffrer les ordres de Mylène et se tourna vers Livia. Ses yeux se dirigèrent également vers Noëlle, suggérant qu’elle voulait qu’elles soient toutes deux attentives. « La maison Frazer porte le sang de la famille royale. Ils ont défendu notre frontière pendant de nombreuses années, empêchant Rachel de prendre pied sur nos terres. Mais si j’ai bien compris, ils ont souvent du mal à nous protéger des armes secrètes de Rachel. »
Le royaume de Rachel était un ennemi de Hohlfahrt depuis des lustres. Les troupes des Frazer étaient mal équipées pour faire face aux pseudoarmures démoniaques, bien qu’elles y soient parvenues jusqu’à présent. Cependant, ils n’avaient survécu aussi longtemps que grâce au soutien de Hohlfahrt.
« Alors ça veut dire qu’ils nous ont défendus pendant tout ce temps, non ? Ils devraient donc être de bons alliés dans ce combat », supposa Noëlle avec un sourire, l’air soulagé.
Alors qu’elle pensait que nous pouvions compter sur eux, je n’étais pas aussi confiant.
Anjie se passa la main sur le front, inquiète. « C’est vrai, ils ont tenu bon pendant un long moment maintenant, mais ils le doivent à un soutien annuel substantiel de Hohlfahrt. Nous devrions également remercier le pays d’origine de la reine Mylène — le Royaume-Uni de Lepart — puisqu’il se trouve de l’autre côté de Rachel. »
Noëlle acquiesça pensivement en réfléchissant à sa nouvelle compréhension de la situation. « En gros, le fait d’être pris en sandwich entre nous les a tenus en échec. »
« Oui, parce que Rachel en veut aussi au territoire de Lepart. »
Noëlle était retombée dans ses pensées, mais tout aussi rapidement, son visage s’était éclairé d’une idée. Elle hocha la tête à plusieurs reprises. « J’ai trouvé ! S’ils postent Léon à Frazer, Rachel aura beaucoup moins de chances de faire un geste. Pendant ce temps, nous pouvons nous occuper des autres pays de l’alliance. Ouais ! Je parie que ça va jouer en notre faveur. » Elle frappa ses mains l’une contre l’autre pour souligner son point de vue.
Malheureusement, l’expression d’Anjie resta troublée. « Oui, eh bien, je suis sûre que ce n’est pas forcément une mauvaise décision. »
Livia étudia le visage d’Anjie, sentant que quelque chose n’allait pas. « Qu’est-ce qui ne va pas avec le plan ? »
« Pensez-y du point de vue des aristocrates qui protègent le reste de notre frontière. Pour eux, Hohlfahrt a l’air de placer son principal atout militaire à un endroit précis, laissant le reste de nos défenses sans protection similaire. Ils auraient tout aussi bien pu dire à ces aristocrates qu’ils ne peuvent pas s’attendre à recevoir des renforts de la capitale », expliqua Anjie. Son ton suggérait une faible réticence à l’égard de la reine — celle qui avait lancé l’appel.
Ces mêmes maisons avaient subi de terribles pertes lors de la guerre avec l’ancienne principauté de Fanoss. Depuis, elles avaient été entraînées dans de nombreux conflits, qui avaient tous gravement diminué les réserves de l’armée de Hohlfahrt. Ils n’avaient pas regarni leurs rangs. Il n’est pas étonnant que les maisons situées le long de nos frontières se sentent mal à l’aise. Elles savaient qu’elles risquaient fort de ne pas recevoir d’aide appropriée, même si elles en faisaient la demande.
Anjie tourna son regard vers moi, les yeux remplis d’inquiétude. « Il y a un autre problème. En fin de compte, Léon sera probablement obligé de se battre avec Rachel. Si cela se produit, la bataille sera vraiment féroce. »
Livia et Noëlle baissèrent les yeux. Elles avaient probablement déjà envisagé cette possibilité, mais ce n’est que lorsqu’Anjie l’avait dit à voix haute que la réalité frappa. J’avais été touché par leur inquiétude, mais leurs visages sinistres m’avaient aussi laissée déprimé.
« Ne vous inquiétez pas », leur avais-je dit en me grattant l’arrière de la tête. « Mlle Mylène a dit qu’il était peu probable que nous ayons besoin de faire quelque chose comme ça. »
Les visages de Livia et de Noëlle s’illuminèrent. Anjie, elle, avait l’air surprise — comme si elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait.
+++
Partie 2
« Qu’a dit exactement Sa Majesté ? Qu’elle n’a pas l’intention de t’envoyer à l’offensive ? »
« Ouaip. C’est ce qu’elle a dit. N’est-ce pas, Luxon ? » J’avais jeté un coup d’œil à mon partenaire, qui flottait vers mon épaule droite comme d’habitude.
« C’est exact », dit-il. « Mylène a l’intention de poster le Maître à la frontière pour garder le Saint Royaume de Rachel sous contrôle. Elle a précisé qu’elle n’avait pas l’intention d’employer mon pouvoir au nom de leur anéantissement. »
Luxon ne rapporterait pas une conversation de cette importance de façon incorrecte. Sachant cela, Anjie pressa une main sur sa bouche, soudainement agitée. « La patrie de Sa Majesté est confrontée à d’incroyables difficultés depuis de nombreuses années à cause des agressions de Rachel. Je ne peux pas imaginer qu’elle laisserait passer l’occasion de les anéantir, si elle en avait la possibilité. Et pourtant, elle n’a pas l’intention d’utiliser Léon pour y parvenir ? »
« Eh bien, Léon est l’un des favoris de la reine, alors c’est peut-être pour ça », dit Noëlle, déstabilisée par les marmonnements d’Anjie. « Mais je ne suis toujours pas d’accord avec ça. » Elle me lança un regard perturbé, comme pour souligner son mécontentement à l’égard de ma relation intime avec la reine. « Léon n’a pas arrêté de se battre, alors elle doit savoir qu’il est sous le coup d’une lourde charge mentale, n’est-ce pas ? Je parie qu’elle ne veut pas qu’il se surmène. »
Ma main s’était posée sur ma bouche, mes yeux s’embrumant. « Mlle Mylène s’inquiète pour moi ! Oh, je… Je ne sais pas si je peux supporter ça. Je suis tellement touché ! »
Les trois filles m’avaient jeté un regard noir. Enfin, je dis ça, mais une colère palpable émanait d’elles. Noëlle avait été la première à sourire en étudiant mon visage.
« Tu as l’air tellement content. C’est drôle, puisque tu as déjà trois fiancées ici même qui s’inquiètent pour toi. »
Livia m’avait également fixé du regard, bien que toute la lumière ait disparu de ses yeux. « C’est tout simplement parce que Monsieur Léon aime beaucoup Sa Majesté. N’est-ce pas ? »
Anjie avait froncé un sourcil en me regardant, l’expression tendue. « Tu es vraiment un parfait idiot. »
« D-Désolé… », avais-je marmonné faiblement.
Lorsque j’avais détourné le regard, mes yeux s’étaient posés sur Luxon. Il avait l’air tout aussi exaspéré et agitait son œil d’un côté à l’autre. « Et moi qui pensais que tu avais mûri, Maître. Il semble que je me sois complètement trompé. Je suis vraiment abasourdi — comment se fait-il que tu réussisses à répéter les mêmes erreurs ? »
« C’est juste la nature humaine », avais-je dit avec amertume.
« Oh ? Je croyais que c’était dans la nature humaine d’apprendre de ses erreurs et ainsi de les surmonter. »
Oui, eh bien, nous allons devoir nous mettre d’accord sur notre désaccord.
☆☆☆
Erica Rapha Hohlfahrt arriva au palais royal juste au moment où Léon en sortait. Dans sa vie précédente, la première princesse du royaume de Hohlfahrt avait été la fille de Marie, ce qui faisait d’elle la nièce de Léon. Comme son ancienne mère, ses cheveux avaient un volume enviable, et ils rebondissaient lorsqu’elle marchait. Cependant, alors que les cheveux de Marie étaient d’un blond doré, ceux d’Erica étaient d’un noir de corbeau. Sa peau était comme de la soie fine, sans aucune égratignure ni ride, et elle brillait à la lumière.
D’habitude, Erica arborait un sourire agréable et accueillant, mais ses traits habituellement doux s’étaient durcis en quelque chose de beaucoup plus sévère. Devant elle se tenait l’impénétrable reine, qui était la définition même de la sérénité.
Erica avait répondu à la convocation de sa mère, et alors qu’elle se tenait là, elle répéta les mots qu’elle venait d’entendre sortir des propres lèvres de la reine. « Toi et moi allons voyager pour rendre visite à la famille d’Elijah chez eux ? »
Au fond d’elle-même, Erica priait pour avoir mal entendu. Mais ses espoirs avaient été anéantis par la réponse professionnelle de Mylène.
« Oui, c’est ce que j’ai dit. Prépare-toi à notre départ en toute hâte. Selon la façon dont les choses se déroulent, il se peut que nous te fassions rejoindre leur famille plus tôt que prévu. »
Par « rejoindre », Mylène entendait bien sûr qu’Erica se marierait avec la famille Frazer. Erica avait reçu l’éducation due à une princesse, et elle avait aussi à sa disposition les expériences de sa vie précédente. Elle était parfaitement consciente qu’à cette époque, la royauté n’avait pas la liberté de se marier. Cependant, cela restait soudain et difficile à digérer pour elle.
« Même si la guerre est sur le point d’éclater ? » demanda Erica avec incrédulité.
« Parce que la guerre est sur le point d’éclater », corrigea Mylène. « Nous devons montrer à la maison Frazer que nous ne les avons pas abandonnés et que nous ne les abandonnerons pas. »
La maison Frazer se trouvait à la frontière du Saint Royaume, donc en cas de guerre, ils étaient les premiers dans la ligne de mire de Rachel et ils subiraient probablement le plus grand nombre de pertes. Le Royaume de Hohlfahrt devrait s’assurer qu’ils soient bien soutenus, approvisionnés et qu’ils ne soient pas encombrés par d’autres préoccupations pendant qu’ils se battraient. Procéder au mariage d’Erica avec Elijah serait un geste de sincérité de la part de la famille royale.
Le stylo de Mylène dansait sur un document avant de s’arrêter brusquement et de pousser un soupir. Son regard s’était concentré sur sa paperasse pendant tout ce temps, sans jamais jeter un coup d’œil au visage de sa fille. Pour un observateur, Mylène aurait semblé être une piètre excuse pour un parent, mais Erica pouvait lire les émotions de la reine.
Elle se sent coupable de me faire porter le chapeau.
Mylène était encore une mère, après tout. Cela lui faisait mal d’envoyer sa fille à l’endroit où se dérouleraient les pires combats. Peut-être même détestait-elle utiliser sa fille comme un outil politique.
Quoi qu’il en soit, Mylène reporta son attention sur son travail. « Dépêche-toi de faire tes préparatifs. Le duc Bartfort va nous transporter sur les terres des Frazer, nous voyagerons via l’Einhorn et son vaisseau partenaire. »
« Il amène les deux navires ? » demande Erica. Et est-ce qu’elle vient de l’appeler « Duc Bartfort » ? Ne l’ai-je pas toujours entendue l’appeler Léon… ?
Le choix des mots de Mylène montrait clairement qu’elle essayait de tracer une ligne entre eux. Mais Erica était plus troublée par le fait que sa mère ait l’intention de voyager non seulement avec l’Einhorn, mais aussi avec la Licorne.
« Ne devrait-on pas laisser l’un des navires ici, dans la capitale ? » demanda Erica. « Ils représentent le royaume de — ! »
Le regard froid de sa mère lui coupa l’herbe sous le pied, elle ne voulait pas discuter.
« Vas-y », dit Mylène en réitérant son ordre précédent. « Prépare-toi. »
Erica ferma la bouche et sortit rapidement de la pièce. Elle était la fille de sa mère, et elle sentait à la fois l’impatience de sa mère et la panique qui la sous-tendait.
☆☆☆
« Tu prends les deux navires et tu pars pour la frontière ? Hé, qu’en est-il de ton évaluation de l’état de Mia !? »
Après l’école, j’avais appelé Finn dans une salle de classe vide et je l’avais mis au courant de mes projets pour les vacances d’été. J’avais promis de me pencher sur la mystérieuse maladie de Mia, mais il ne semblait pas que je puisse tenir ma parole, pas avec la guerre à l’horizon.
« En vérité, nous avons le même équipement sur le vaisseau principal de Luxon, mais… » J’avais jeté un coup d’œil à mon partenaire. Il était à mon épaule comme d’habitude, mais il était occupé à jeter un coup d’œil à Brave.
« En aucun cas je ne permettrai à une armure démoniaque et à son pilote de monter à bord de mon corps principal. D’ordinaire, je préférerais qu’ils ne mettent pas non plus les pieds sur l’Einhorn ou la Licorne. »
Luxon était une IA construite par les « anciens humains ». Il était donc plutôt aigri à l’égard des armures démoniaques que les nouveaux humains avaient créées. Non, il serait peut-être plus juste de dire qu’il les détestait avec une passion brûlante. Il en allait de même pour les noyaux des armures démoniaques des nouveaux humains.
Brave tendit l’un de ses petits bras et pointa un doigt vers Luxon. « Comme si je pouvais confier Mia, et encore plus mon précieux partenaire, à un tas de ferraille comme toi ! Partenaire, je te jure qu’il prépare quelque chose. »
Pendant qu’ils se lançaient des regards furieux, Finn et moi poussions de gros soupirs. Finn était particulièrement découragé par la tournure des événements.
« Je ne peux pas supporter la bêtise totale du royaume de Rachel. Si Mia perd cette chance d’être soignée pour sa maladie, ce sera sur leur tête. C’est ridicule ! »
Une partie de lui semblait résignée, sachant qu’il ne servait à rien de se plaindre si Hohlfahrt était au bord de la guerre, mais cela ne rendait pas la perte plus facile à supporter. Il était furieux. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Il adorait Mia. L’idée que nous pourrions peut-être la guérir lui avait donné tant d’espoir. Évidemment, il en voudrait au royaume de Rachel d’avoir compromis son traitement. C’est pourquoi j’avais une proposition en tête.
« Dans ce cas, si vous veniez avec nous ? C’est les vacances d’été, après tout », avais-je dit.
« Tu veux que je traîne Mia sur la ligne de front ? » Bien que Finn ait eu l’air incrédule, il avait aussi l’air contemplatif.
Comme Mia et lui étaient des étudiants étrangers, il était fort probable qu’on leur dise de rentrer chez eux si la bagarre devenait trop violente. Mais s’ils laissaient passer la chance d’utiliser ma technologie, il était impossible de savoir s’ils parviendraient à mieux comprendre la maladie de Mia. Même si je savais que je demandais l’impossible, je voulais l’aider si je le pouvais.
Finn laissa échapper un long et lourd soupir. « Très bien. Nous t’accompagnerons. »
« Désolé pour ça. Je ferai tout mon possible pour que vous ne vous retrouviez pas dans le pétrin. » Je ne voulais vraiment pas les déranger davantage.
« Ne t’inquiète pas pour nous. » Finn secoua la tête. « C’est toi qui nous fais une faveur. Plus important, nous avons un invité qui vient de loin, je demanderais à ce qu’on nous permette de l’emmener. Veux-tu bien ? »
« Un invité ? »
Finn fit une grimace. « Eh bien, c’est un peu l’oncle chéri de Mia. Mais en ce qui me concerne, c’est une excuse d’un être humain. »
« Une vraie ordure, hein ? »
J’avais fait une pause pour réfléchir. Si cette personne était une connaissance de Mia, cela signifiait qu’elle était également originaire de l’empire, n’est-ce pas ? Il devait avoir beaucoup d’initiative pour avoir fait tout ce chemin jusqu’à Hohlfahrt. Une initiative audacieuse aussi, compte tenu de toute la violence dont Hohlfahrt avait été le théâtre ces derniers temps.
« Pourquoi ce type est-il venu au royaume ? Est-ce qu’il s’inquiétait pour Mia ? » demandai-je.
« Eh bien, cela en fait partie. »
« Et l’autre partie ? »
« Ce n’est… pas à moi de le dire. Mais je pense qu’il est peu probable qu’il te cause des ennuis. Probablement improbable. »
« Probablement improbable !? » avais-je crié. « Qu’est-ce que tu veux dire par “probablement improbable” ? Qu’est-ce qui ne va pas avec un simple oui ou non !? »
« Tout ce que je peux dire, c’est que c’est la lie de l’humanité et une vraie plaie, mais tant que Mia est dans les parages, il se comportera bien. De cela, tu peux être assuré. »
Son explication n’avait rien fait pour dissiper mes doutes. Au contraire, j’étais maintenant carrément perturbé.
+++
Partie 3
Le port militaire de Hohlfahrt était situé sur une île flottante près de la capitale. Il abritait un certain nombre de navires de guerre, ainsi que des vaisseaux somptueux spécifiquement réservés à l’usage royal. L’Einhorn et son navire jumeau, la Licorne, étaient amarrés aux jetées du port.
Un militaire de haut rang chargé de la surveillance du port se tenait à proximité, examinant les documents contenus dans le gros classeur qu’il tenait entre les mains tout en me jetant des coups d’œil furtifs. L’impressionnante moustache de l’homme dissimulait en partie son air renfrogné.
« D’ordinaire, l’un des navires de la réserve royale serait plus approprié pour ce voyage », déclara l’homme, ses paroles teintées d’une réelle hostilité. « Il ne serait normalement pas acceptable que des personnalités aussi éminentes montent à bord d’un navire comme le vôtre, aussi récent soit-il. Encore moins pour une visite officielle à — ! »
C’est à ce moment-là que je l’avais ignoré. Il avait raison de dire qu’il s’agissait d’une visite officielle. C’est précisément pour cette raison qu’il n’avait pas apprécié que la reine ait choisi d’utiliser l’Einhorn au lieu d’un navire de sa flotte.
« Oui, c’est vraiment dommage, hein », avais-je dit. « Alors, euh, quand est-ce que vous allez finir de charger leurs bagages ? »
« Tsk, un tel mépris pour les paroles des autres. » L’homme fronce les sourcils. Son mécontentement me procura une grande satisfaction.
Mais, comme pour gâcher intentionnellement le moment, Marie et sa brigade d’idiots se promenèrent à ce moment-là dans le port avec leurs propres bagages à la main. Je m’étais fait un devoir de grimacer.
Marie pointa un doigt vers moi et me cria dessus : « Arrête-toi là ! Ne t’avise pas de faire cette tête — comme si notre arrivée t’ennuyait ! »
« “Comme si” ? Je suis purement et simplement agacé. Qu’est-ce que vous faites là, hein ? » Mon regard se porta sur les deux personnes qui se trouvaient derrière elle. Comme d’habitude, Carla et Kyle étaient venus avec leurs propres sacs de voyage. En fait, ils me dérangeaient beaucoup moins que la présence extrêmement malheureuse des cinq anciens rejetons de la noblesse — ou des cinq éternelles pestes, comme je préférais les appeler — qui fermaient la marche.
Brad Fou Field portait dans ses mains une colombe blanche et un lapin, qu’il avait respectivement nommés Rose et Mary. « Léon, nous sommes tes serviteurs — tes subordonnés », expliqua-t-il. « As-tu oublié ? Si notre supérieur se dirige vers la frontière, il va de soi que nous devons le suivre. »
J’aurais été ému par ce sentiment s’il avait émané de n’importe quelle personne à peu près ordinaire. Mais ils étaient tombés des lèvres d’un homme qui berçait ses compagnons animaux comme de petits bébés. Un homme qui, de surcroît, jetait périodiquement des regards prudents à l’ancien prince héritier de Hohlfahrt, qui à son tour regardait lesdits bébés d’un air absolument vorace. Julian voulait-il vraiment manger les animaux de son ami ? De telles protestations de loyauté ne m’avaient guère ému. Au contraire, j’avais été choqué d’apprendre que la ligue des idiots se considérait comme telle.
« Si vous êtes vraiment mes subordonnés, ne devriez-vous pas me traiter avec un peu plus de respect au quotidien ? » avais-je demandé.
Julian s’empressa d’essuyer une vrille de bave sur son menton avant de se tourner vers moi. « S’il te plaît, nous te respectons évidemment. Tout récemment, je t’ai offert des brochettes en guise d’hommage. »
« Quel genre d’hommage est-ce là ? » avais-je crié. « Et écoute, tu es un prince, alors tu ne peux surtout pas servir sous mes ordres. »
Cela semblait être une révélation pour Julian, comme s’il s’était soudain souvenu qu’il n’était, en effet, pas juste un des gars. « Hein ? Oh, je suppose que je ne peux pas. »
Tout ce qu’il avait obtenu pour cette réponse anémique, c’est un regard froid de ma part.
Son frère adoptif, Jilk Fia Mamoria, n’avait pas tardé à prendre sa défense. « L’esprit l’emporte sur la matière. C’est l’état d’esprit qui compte vraiment. Mais en réalité, je suis plus curieux de savoir pourquoi il semble y avoir beaucoup plus de monde dans cette suite qu’on ne pourrait le penser. »
Jilk balaya les environs du regard, observant un groupe de servantes venues servir la reine et la princesse. Elles avaient été rejointes par un certain nombre de chevaliers et de soldats personnels de Sa Majesté. De plus, certaines des cargaisons transportées sur l’Einhorn et la Licorne étaient des armures officiellement commandées par l’armée du royaume de Hohlfahrt. En cas de besoin, elles seraient pilotées par les meilleurs éléments de la garde royale, qui avaient été spécialement sélectionnés pour nous accompagner.
Greg Fou Seberg se gratta la tête, ébouriffant ses cheveux d’un rouge flamboyant en étudiant la zone d’embarquement de la Licorne. Plusieurs chevaliers avaient été postés pour garder la passerelle. « Quoi ? La reine et sa suite font donc route à part ? »
Il était hors de question que je laisse la reine et la princesse monter sur le même navire que ces crétins, quelle que soit la noblesse de leur statut à une époque. « Cela devrait aller de soi. »
Creare était à bord de la Licorne, j’avais donc pensé qu’il n’y aurait pas de problème.
« Dans ce cas, je vais monter avec eux. Allez, vous deux ! » Marie se précipita vers la Licorne avec Kyle et Carla à sa suite. Elle voulait sans doute passer du temps avec Erica.
L’un des gardes l’arrêta sur la passerelle. « Nous ne pouvons pas vous permettre d’embarquer. »
« Pourquoi pas ? »
Pendant que Marie discutait avec le chevalier, Chris Fia Arclight se tourna vers moi. « Léon, j’ai entendu parler des détails, mais en es-tu certain ? »
« D’accord, quand tu poses des questions aussi vagues, comment suis-je censé répondre autrement que par un gros : “Hein ?”. »
« Je suis sûr que tu comprends ce que j’insinue », rétorqua-t-il en me lançant un regard noir.
Je m’étais gratté la joue. En apparence, tout le monde croyait que j’avais perdu le Partenaire, ce qui faisait de l’Einhorn une ressource militaire précieuse, tant pour moi que pour le royaume dans son ensemble.
Julian, qui avait écouté aux portes, ajouta : « Quitter la capitale avec les deux navires énervera les seigneurs qui gardent le reste de nos frontières. Ma mère doit certainement comprendre cela. » Même s’il n’était que l’ancien prince héritier, il pensait aussi à l’avenir de la nation. « Et c’est étrange que nous ne prenions pas plus de moyens militaires. »
Bien sûr, il y avait des armures dans la soute et des chevaliers pour les piloter, mais seulement quelques uns. Et encore, ils étaient là spécifiquement pour assurer la sécurité de Mylène et d’Erica. Ils ne pouvaient pas se battre contre Rachel. C’est ce que Julian trouvait si étrange.
« Elle a dit que nous prenions les deux vaisseaux pour coincer Rachel », avais-je expliqué, impatient de passer à autre chose.
« Vraiment ? Mais cela n’explique toujours pas pourquoi les deux navires doivent partir. Nous devrions vraiment en laisser au moins un derrière nous. »
« Comment pourrais-je savoir ce qu’elle pense ? »
Mylène et Erica étaient entrées dans le port à un moment fortuit. Le haut fonctionnaire militaire à qui j’avais parlé plus tôt et qui semblait très mal à l’aise en notre compagnie s’empressa de les accueillir. Je n’avais pas quitté des yeux Mylène qui montait à bord de la Licorne.
« Alors tout ça, c’est l’idée de maman, hein ? » marmonna Julian, les sourcils froncés. Il ne passa pas trop de temps à y réfléchir. Poussant un soupir, il renonça à essayer de comprendre la reine. De leur côté, les autres membres de la bande de clowns semblaient tout aussi déstabilisés.
Une rafale de pas résonna soudainement dans le port. Je m’étais tourné vers la source. Un garçon grassouillet vêtu d’un uniforme de l’académie se précipitait vers nous. Ses cheveux argentés coupés au bol rebondissaient lorsqu’il se déplaçait, et les extrémités de ses yeux vert émeraude s’effilaient, lui donnant l’air d’un gentil héritier, bien que fortuné — une impression que je savais être exact.
Le garçon de première année s’arrêta devant moi, voûté, et haletant. Entre deux bouffées d’air, il se présenta. « Vous êtes le duc Bartfort, n’est-ce pas ? Je m’appelle Elijah. Elijah Rapha Frazer. Je vous accompagnerai pendant — ! »
Elijah ? J’avais reconnu ce nom instantanément. Avant que le garçon ne puisse terminer, je le coupai en poussant un cri strident. « Quoi qu’on en dise, je refuse de vous reconnaître comme le fiancé d’Erica ! »
« Quoiiiii !? Pourquoi !? » s’écria à son tour Elijah, abasourdi par ma soudaine animosité.
+++
Chapitre 2 : La maison Frazer
Partie 1
L’Einhorn et la Licorne avaient quitté le port et ils s’étaient mis en route vers les terres du marquis Frazer. À un moment du voyage, je m’étais retrouvé dans la salle commune de l’Einhorn, assis sur un canapé à côté de Marie. Un Elijah nerveux et tremblant était assis sur le canapé en face de nous, de l’autre côté de la table basse. Des sueurs froides dégoulinaient sur son visage. Mais franchement, je m’en moque. À ce moment-là, Marie et moi faisions tout notre possible pour intimider et interroger le gamin.
« Bien sûr, Roland t’approuve », avais-je dit, « mais moi, je ne t’approuve pas du tout. »
La famille royale avait déjà officiellement reconnu les fiançailles d’Elijah avec Erica. Ils étaient parvenus à cet accord, il y a déjà un certain temps, et mon approbation ou mon absence d’approbation n’avait donc pas d’impact réel. Mais ce n’est pas une raison pour me taire. Erica était ma nièce ! Ou du moins, elle l’avait été dans mon ancienne vie. Erica avait été une nièce absolument exemplaire, puisqu’elle s’était occupée de ses parents dans leur vieillesse. Je ne voyais rien de mal à repousser les limites de l’étiquette dans ce monde pour assurer son bonheur. Non, plutôt, je ferais tout ce qu’il faut pour qu’elle connaisse une fin heureuse. À cette fin, je n’avais pas eu d’autre choix que d’évaluer Élie.
Rongé par la peur, Elijah tenta de protester. « Hum, m-mais pour ce qui est de l’approbation de la famille royale à notre — ! »
« Qu’est-ce que c’est que ça ! Est-ce que tu essaies de dire que tu ne te préoccupes que de l’opinion de la famille royale et pas de celle d’Erica !? »
« Non, ce n’est pas du tout ça ! Sa Majesté le roi Roland s’y est fortement opposé lors de nos fiançailles initiales, et je n’ai donc pas encore été pleinement accepté comme son futur mari. »
Huh. Donc, même si Roland s’y opposait, cela n’avait pas rompu leurs fiançailles. Vu le comportement de Roland envers Erica, je ne doutais pas que son affection pour elle était profonde et sincère. Il était donc logique qu’il s’enflamme à propos d’un mariage, peu importe avec qui il se déroulait.
Marie était assise, le dos fermement appuyé contre le coussin du canapé, et elle leva le menton pour fixer Elijah du bout du nez. « Plus important encore », dit-elle, « Es-tu vraiment Élie ? »
Cette question avait déconcerté Elijah. Pour être honnête, j’avais aussi pensé que c’était une chose absurde à demander.
« Hein ? Hum, tu veux dire… philosophiquement parlant ? »
Bien sûr, il n’avait aucune idée de ce à quoi elle voulait en venir. Moi non plus.
J’avais pris Marie par la nuque et je l’avais entraînée dans un coin de la pièce, en prenant soin de baisser la voix pour qu’Elijah ne puisse pas écouter.
« Ne pose pas de questions stupides », l’avais-je grondée.
« Non, non. Écoute-moi une seconde, grand frère. » Marie secoua la tête. « Le personnage d’Elijah dont je me souviens était totalement différent — d’une manière affreuse. On parle d’une bouille vraiment grosse et moche, et aussi d’une façon de parler super flippante. »
« Hein ? »
Nous avions tourné notre regard vers le garçon en question. Il s’agitait sur son siège. Certes, je n’avais pas envie de l’aimer, mais il n’avait pas l’air aussi mauvais que la description qu’en avait faite Marie. Je m’étais retourné vers elle et j’avais murmuré : « Mais pour le dire franchement, ce n’est pas un top model, mais il me semble plutôt moyen. »
« C’est ce qui est si bizarre ! Je te le dis, l’Elijah du jeu est une incorrigible brute qui se joint à Erica pour tourmenter la protagoniste. C’est un idiot et un méchant mineur dans l’ordre des choses. Erica le traite toujours d’inutile. C’est le genre d’individu qu’il est vraiment. »
Marie avait également partagé certains des détails les plus complexes de son personnage. Apparemment, dans le jeu, Elijah était incroyablement envieux des autres. Son complexe d’infériorité profondément ancré à l’égard des intérêts amoureux de la protagoniste le rendait vraiment ennuyeux et l’amenait à s’immiscer dans de nombreuses scènes romantiques du jeu.
« Ne dis pas du mal d’Erica », avais-je dit.
« Ce n’est pas comme si je voulais dire des choses terribles sur elle. Je te dis juste comment c’était dans le jeu. »
J’étais retombé dans mes pensées. « Erica nous a dit qu’Elijah avait perdu du poids. »
« Cela va au-delà du poids. Il est comme une personne différente ! Le gamin en face de nous n’est au fond qu’un sale gosse doux, gentil et riche — même s’il est un peu gâté. Ce n’est pas le gars du jeu. Sa peau est claire, pour commencer, et il… Je ne sais pas, il a l’air plus… propre ? »
Certes, le personnage qu’elle décrivait avait l’air d’avoir le genre d’apparence grossière et disgracieuse que seule une mère peut aimer. Mais quelque chose d’autre chez lui semblait également déplacé selon Marie.
« De plus, ce garçon est l’héritier d’un marquis. Il devrait imposer son statut à tout le monde, non ? Mais je n’ai pas entendu un seul mot prononcé contre lui à l’école. »
On dirait qu’elle s’était renseignée sur lui de son côté. Mais on dirait aussi qu’elle n’a rien trouvé.
« Donc, » dis-je, « pour résumer, le garçon a l’air bien plus beau que dans le jeu, il a cet air de pureté, et bien qu’il soit l’héritier d’un marquis, il ne fait pas étalage de son statut. »
Bien qu’il ne se soit pas démarqué à l’académie, Elijah n’avait pas l’air d’être un si mauvais gars que ça — un fait qui avait clairement frustré Marie.
« Nous devons trouver quelque chose qui nous permette de nous opposer au mariage », conclut-elle.
Cela nous laissa la tête entre les mains, nous creusant la tête pour trouver une solution — ou au moins une meilleure compréhension de ce qui se passait.
« Euh, euh… Est-ce que tout va bien ? » demanda Elijah d’un air inquiet.
« Ne crois pas que tu as déjà gagné ! » avais-je craqué avec amertume.
« C’est vrai ! Je n’accepterai pas non plus ton mariage avec Erica ! »
Vexés, Marie et moi avions rapidement quitté la salle commune. Elijah était resté figé sur le canapé, complètement confus.
☆☆☆
« Je n’ai toujours rien sur lui après tout ce que j’ai cherché. »
Ce soir-là, Noëlle était passée dans ma chambre. Je m’étais empressé de lui raconter ce qui s’était passé plus tôt dans l’après-midi. J’avais prévu de déterrer quelques défauts fatals qui prouveraient qu’Elijah n’était pas digne d’Erica, mais au lieu de cela, j’avais fui la scène sans que cela montre le moindre gain pour tous mes efforts.
Noëlle était allongée dans mon lit, la tête reposant sur un bras appuyé. Elle me jeta un regard exaspéré et soupira. Elle semblait me trouver assez insondable.
« Qui s’en soucie si tu ne trouves rien de mal chez lui ? » demanda-t-elle. « Et pour commencer, la meilleure question est de savoir pourquoi tu t’immisces dans les fiançailles de la princesse. Je sais que tu as un faible pour elle, mais tu vas trop loin. N’as-tu pas déjà une famille. »
Noëlle ne faisait que souligner l’évidence, mais ses mots m’avaient touché là où ça fait mal. La vérité, c’est que nous sommes une famille. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Tout ce que je pouvais faire, c’était jouer la comédie.
« D’accord, mais son vrai frère, Julian, fait comme si ce n’était pas grave. Comment peut-il être aussi froid avec sa propre petite sœur ? » demandai-je.
« Je pense que toute cette histoire est plutôt normale pour les aristocrates et autres, tu ne crois pas ? Je veux dire, j’ai été fiancée quand j’avais cinq ans. Non pas que j’en savais quelque chose à l’époque. » Noëlle s’était mise sur le dos et avait regardé le plafond.
Noëlle était née dans une famille noble importante de la République d’Alzer, mais elle avait été élevée comme une roturière. Par conséquent, elle n’était pas très au fait des pratiques matrimoniales de la noblesse.
J’avais expiré lentement. « Bien sûr, pour la haute société, le mariage est plutôt un contrat entre familles. »
Le mariage était un moyen de renforcer les liens. Il n’y avait aucune considération pour les sentiments romantiques des parties impliquées. L’opinion d’un individu sur l’union n’avait aucune importance. Si le couple éprouvait des sentiments mutuels, c’était parfait, mais il n’était pas rare que les mariages politiques ne suscitent aucun amour. C’était un écart important par rapport à la norme de ma vie précédente. Mais ce monde est ainsi fait.
Noëlle leva ses jambes en l’air et les redescendit avec suffisamment d’élan pour propulser son corps à la verticale. Ensuite, elle tourna son regard vers moi. « Alors, quand tout est dit et fait, qu’est-ce que tu veux vraiment faire ici, Léon ? Vas-tu rompre les fiançailles de la princesse ? »
« Je ne suis pas — je veux dire… non. »
Ses paroles avaient touché une corde sensible. Mon objectif n’était pas vraiment de trouver des défauts à Elijah, mais de m’assurer qu’Erica sera heureuse.
« As-tu au moins demandé aux personnes concernées ce qu’elles veulent ? Cela vaut pour Élie, bien sûr, mais aussi pour la princesse. Si aucun des deux ne veut de ces fiançailles, alors je pense que leur prêter main forte est très bien. Mais s’ils sont tous les deux d’accord, alors tu ne feras que les gêner. »
« Argh ! »
Les mots de Noëlle avaient été comme un couteau en plein cœur. Je n’avais même pas pu dire quoi que ce soit pour me défendre.
« Quoi qu’il en soit, Rie a aussi été terriblement bizarre à ce sujet. Elle est toute remontée, elle dit qu’elle va mettre un terme au mariage de la princesse. Même Anjelica et Livia sont inquiètes. »
« Elles le sont ? »
Anjie et Livia n’avaient pas voyagé sur l’Einhorn avec nous, elles avaient rejoint le groupe sur la Licorne. Anjie avait demandé cet arrangement pour pouvoir essayer de parler à Mylène.
J’avais jeté un coup d’œil par la fenêtre en direction de la Licorne. Le navire blanc reflétait l’apparence de l’Einhorn, cette même corne caractéristique dépassant de sa proue.
Noëlle fronça les sourcils en m’étudiant. « Rie et toi avez tendance à manquer de perspicacité quand il s’agit de la princesse. Anjelica et moi nous demandions — y a-t-il une raison pour laquelle vous êtes si investis ? »
« Oui, il y a quelques raisons. »
Noëlle soupira. Elle ne semblait pas en colère, même si son sourire était forcé. « Je suppose qu’elle a la vie dure, entre sa position de princesse et les responsabilités qui en découlent. »
« Oui… »
Le mariage d’Erica avec la maison Frazer avait de nombreuses implications pour la famille royale et le royaume dans son ensemble. Ce n’était pas quelque chose qui pouvait être annulé uniquement sur la base de sentiments. Les conséquences seraient bien trop vastes et trop étendues. Si Erica avait exprimé son mécontentement, je n’aurais eu aucun mal à m’immiscer dans l’affaire et à y mettre fin. Mais au lieu de cela, il semblerait qu’elle ait accepté son sort.
« Si seulement je pouvais l’amener à s’ouvrir sur ce qu’elle ressent vraiment », m’étais-je lamenté.
☆☆☆
« Reine Mylène, pourquoi avez-vous décidé de poster Léon à la frontière ? » demanda Anjie. Elle avait rejoint la reine dans la salle commune de la Licorne pour converser. Bien qu’Anjie ne puisse pas discerner les véritables intentions de Mylène, elle trouvait suspects les ordres donnés par le palais.
Mylène porta à ses lèvres une tasse du lait chaud que Livia leur avait préparé et en prit une petite gorgée. Elle sourit. « Oh, c’est délicieux ! » Ce n’était pas vraiment une réponse à la question d’Anjie.
« Oh, pourquoi, merci. Mais, hum… » Livia jeta un coup d’œil à Anjie.
Mylène poussa un soupir et posa sa tasse sur la table devant elle. « Je l’ai posté à Frazer pour garder Rachel sous contrôle. Tu trouves ça bizarre ? »
« Est-ce que vous jouez avec moi ? » s’écria Anjie en se levant de son siège. « Le plus sage ici est évidemment de garder Léon en poste dans la capitale afin qu’il puisse réagir rapidement à n’importe quelle situation et se déplacer pour défendre nos frontières en cas de besoin. En vous concentrant uniquement sur Rachel, vous laissez le reste du royaume vulnérable ! »
S’ils ne parvenaient pas à protéger l’ensemble du pays, Hohlfahrt s’exposait à de terribles pertes. Anjie pensait donc que positionner Léon au centre des choses, où il pourrait mieux surveiller et se déplacer si nécessaire, était l’option manifestement supérieure. Refuser de le faire relevait presque de la négligence criminelle.
« Comme toujours, tu deviens myope quand tu t’énerves », dit Mylène. « Anjie — non, Anjelica — tu as négligé quelque chose d’incroyablement important. »
« Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? » C’est alors que la prise de conscience eut lieu. Anjie sursauta et se plaqua une main sur la bouche.
Le problème en question était largement sans importance d’un point de vue militaire, mais pour Anjie et ses collègues fiancées, il s’agissait d’une question de la plus haute importance.
Mylène rit. « Tu as rejeté ta famille uniquement pour protéger ton fiancé, n’est-ce pas ? Les nombreuses batailles du duc Bartfort semblent lui avoir fait perdre la tête. Si j’ai bien compris, il a besoin de médicaments quotidiens pour dormir. »
Anjie s’était figée, le visage livide. De qui a-t-elle entendu cela ? La princesse Erica ? Ou peut-être le prince Julian ?
Anjie s’inquiétait pour Léon. Bien sûr, elle voulait réduire son fardeau autant que possible. C’est juste que, stratégiquement parlant, les actions de Mylène avaient semblé incroyablement problématiques. Anjie avait donc dû l’interroger. Mais ce faisant, le choix de ses mots avait donné l’impression qu’elle voulait voir Léon au combat.
« Le duc est devenu un héros national à un âge très tendre, » dit Mylène. « Il n’est pas étonnant qu’il se débatte. Je l’ai posté à cette frontière en grande partie pour apaiser les craintes de la maison Frazer. Et tant que le duc est ici, Rachel ne peut pas envahir aussi facilement. »
À ce stade, Léon avait été au centre de multiples intrigues de Rachel. Cela ne s’était jamais bien terminé pour eux. À chaque fois, Léon avait non seulement déjoué leurs plans, mais les avait laissés dans un état pire que celui dans lequel ils se trouvaient. Il était difficile d’imaginer qu’ils seraient imprudents partout où il serait posté.
Anjie se creusait désespérément la tête, espérant trouver un moyen d’insister davantage auprès de la reine — pour vérifier les véritables intentions qui sous-tendaient ses paroles. Mais lorsque Mylène présenta cette décision comme étant dans l’intérêt de Léon, Anjie ne pouvait pas vraiment argumenter. Si elle continuait à insister, Mylène aurait des raisons de l’accuser d’essayer de forcer Léon à se battre. C’était la seule chose qu’Anjie ne pouvait pas supporter.
Elle est vraiment sournoise, pensa Anjie. Elle sait exactement comment me contrer. Anjie ne pouvait pas prétendre qu’elle voulait que Léon se batte, même pas sous forme de bluff pour provoquer la reine.
Alors qu’Anjie se taisait, Mylène traça le bord de sa tasse avec ses doigts, le lait chaud ondulant à l’intérieur.
« Je promets de ne rien faire qui puisse gêner indûment le duc dans cette affaire », dit la reine. « Je suis sûre que ni vous ni Mlle Olivia n’avez de scrupules à ce sujet. » Mylène jeta un coup d’œil à Livia et sourit.
« Oh, hum, eh bien… » Troublée, Livia balbutia, ne sachant pas comment répondre.
« Non », déclara fermement Anjie, qui répondit à sa place. « Nous n’avons aucun scrupule, tant que Léon n’a pas à se battre. Je dois quand même vous demander si vous pensez vraiment que cette stratégie nous apportera la victoire ? »
Pour commencer, Mylène avait-elle l’intention de remporter la victoire ?
Mylène dégrisa, le sourire disparaissant de son visage. « La guerre n’a aucun sens si l’on n’en sort pas vainqueur. As-tu oublié qui t’a enseigné cette leçon ? »
Je n’ai pas oublié. Celle qui m’a appris cela, c’est toi, reine Mylène.
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Partie 2
Les Frazer entretenaient un port militaire sur une petite île flottante, où l’Einhorn et la Licorne entraient au port. L’île était également dotée d’une forteresse, et les soldats du marquis n’hésitaient pas à pousser une clameur à l’arrivée de l’Einhorn.
« C’est donc le fameux Einhorn. »
« Regarde, il a une corne, là, à la proue. »
« C’est donc le vaisseau qui a abattu la République d’Alzer à lui tout seul. »
Ils contemplaient l’Einhorn avec une profonde admiration. Alors que j’observais le groupe, qui était déjà descendu, Luxon s’approcha et fit son rapport.
« Maître, nous avons fini de décharger la cargaison. Nous avons également remis les marchandises et les fournitures que nous avons apportées pour la maison Frazer. »
« Bon travail », avais-je dit.
« En es-tu certain ? »
J’avais froncé un sourcil. « À propos de quoi ? »
La lentille rouge de Luxon était fermement fixée sur Finn et Mia. Dès qu’elle débarqua, Mia s’empressa d’admirer le paysage, curieuse comme un chat. Finn regardait tranquillement, une expression douce sur le visage. Brave se tenait à proximité, repoussant comme toujours leurs remarques taquines. La seule chose qui ressortait vraiment de leur groupe était l’ajout d’un homme plus âgé, qui portait une canne.
« Oh, tu parles de Monsieur Carl ? Il a fait tout ce chemin depuis l’empire parce qu’il s’inquiétait pour Mia. C’est tout. En plus, Finn a dit qu’il ne poserait probablement pas de problème. Tu te souviens ? »
« Ta première erreur est de faire confiance à quelqu’un qui s’associe à une armure démoniaque. Ce sont tous des ennemis », dit Luxon d’un ton détaché.
« Oui, je suis sûr qu’ils le sont — pour toi. Mais ils ne le sont pas pour moi. » Luxon n’avait pas l’air très content de m’entendre dire ça, mais je l’avais ignoré, choisissant plutôt de profiter de cette occasion pour m’étirer. « Quoi qu’il en soit, il y a eu beaucoup de batailles depuis que j’ai commencé à fréquenter l’académie. J’ai l’impression d’avoir été pris dans l’une après l’autre depuis ma première année. »
« C’est parce que tu l’as fait », dit Luxon. « Puis-je te demander de reconsidérer ma proposition d’anéantir toute opposition étrangère ? Cela prendrait beaucoup moins de temps que l’alternative et résoudrait simultanément toutes les questions en suspens. »
Je secouai la tête. « Je suis un gars qui aime la paix. Pas de route du génocide pour moi, merci beaucoup. »
« Quelle ironie que tu aies une telle affection pour la paix alors qu’elle ne semble pas partager tes sentiments. Ton amour est tragiquement unilatéral. »
« D’accord, Siri. Tu pourrais te taire de temps en temps, tu sais, » avais-je ricané.
La paix ne m’aimait pas en retour, hein ? C’était une pensée assez dévastatrice. J’avais fait de mon mieux pour repousser la plaisanterie de Luxon.
Pendant que j’attendais, Mylène et Erica avaient descendu la passerelle, glissant sur un tapis rouge qui avait été disposé pour elles. L’homme qui se précipitait à leur rencontre était, je suppose, le marquis Frazer. Il avait les mêmes cheveux blonds qu’Elijah, et il avait l’air étonnamment rondouillard et sympathique pour un aristocrate chargé de défendre notre frontière.
« Nous sommes honorés de vous accueillir ici, reine Mylène, princesse Erica. C’est avec beaucoup d’impatience que nous attendions votre visite. »
« Nous sommes vraiment reconnaissants de l’accueil chaleureux, marquis, » dit Mylène. « Cependant, le temps presse. Je sais que le préavis est plutôt court, et je m’en excuse, mais je préférerais que nous nous asseyions pour une réunion tout de suite, si vous le voulez bien. »
Les yeux du marquis Frazer s’écarquillèrent devant sa demande soudaine. Elle avait à peine atterri qu’elle voulait déjà se mettre au travail. Mais sa surprise ne dura qu’un instant, et il acquiesça. « Oui, bien sûr, si tel est votre désir, Votre Majesté. Je dois mentionner que le diplomate du royaume uni de Lepart est également arrivé. »
Cette fois, c’était à mon tour d’être surpris.
« Lepart ? Comme dans le pays d’origine de Mylène ? » avais-je marmonné avec incrédulité.
« Le moment semble un peu opportun, » fit remarquer Luxon.
Je lui lançais un regard. « Oh, allez. Tu en fais trop. »
Tandis que Mylène et son entourage commençaient à quitter le port, Elijah se précipita hors de l’Einhorn et se dirigea droit sur moi.
« Mon seigneur ! Duc Bartfort ! Je vous servirai d’escorte ! »
Il semblait que l’héritier ait été chargé de s’occuper de moi pendant mon séjour. Le fait qu’un si haut personnage s’occupe de moi indiquait qu’il me témoignait une grande considération.
« Essaies-tu de marquer des points avec moi ? » demandai-je. « Je regrette de te le dire, mais ce n’est pas ça qui va me convaincre que tu es digne d’Erica — euh, je veux dire, de Son Altesse », m’étais-je corrigé, en essayant de ne pas paraître trop informel quand je parlais d’elle.
« Oh… Vraiment ? » Les épaules d’Elijah s’étaient affaissées en signe de déception. J’avais peut-être un peu exagéré.
« Quoi qu’il en soit, vas-tu me faire visiter la zone ? » demandai-je en me grattant maladroitement la tête.
« O-Oui, bien sûr ! »
☆☆☆
Sur l’ordre de Mylène, une réunion avait été rapidement convoquée dans l’une des salles d’assemblée des Frazer. Une longue table trône au milieu de la pièce. Le diplomate envoyé par le royaume de Lepart était assis en face d’un membre de la maison Frazer.
Pour sa part, le diplomate avait l’air d’un modèle — grand et élancé, avec une moustache bien entretenue et une apparence soignée impressionnante, notamment un costume et des cheveux gominés. Le regard de ce gentleman pimpant d’âge moyen était fixé sur Mylène, et il parlait comme s’il la connaissait très bien.
« Cela fait trop longtemps que nous ne nous sommes pas rencontrés, votre Majesté. Vous êtes toujours aussi belle. »
« Et vous êtes toujours autant flatteur », rétorqua la reine.
« Je ne parle que du fond du cœur. »
La façon dont elle lui avait souri avait confirmé mes soupçons. Ces deux-là se connaissaient bien. L’expression douce de Mylène se dissipa après les premières salutations, et la conversation s’orienta vers le sujet principal qui nous intéressait.
« Je vous prie de m’excuser pour cette tournure abrupte, mais je vous prie de m’informer de la position du Royaume-Uni sur la situation », dit Mylène. Le sourire qu’elle arborait quelques instants auparavant avait disparu.
Le diplomate sentit le changement dans l’air, il affina ses traits et laissa tomber le charme de la petite conversation. « Lepart n’a pas l’intention de rejoindre le concordat de défense armée, encore moins alors que Rachel est à sa tête. Chaque nation membre et son dirigeant ont droit à leurs sentiments individuels, mais, quel que soit leur apport, le peuple de Lepart ne supportera jamais une alliance avec notre vieil ennemi. »
Étant donné la mesure dans laquelle Rachel avait terrorisé Lepart et ses habitants — et les années durant lesquelles ils l’avaient fait — il n’était guère étonnant qu’ils n’aient pas envie de sauter dans leur girond. Mylène acquiesça, pas le moins du monde surprise par la nouvelle. Elle avait sans doute anticipé cette réponse.
« Je suis sûre qu’ils ne le feront pas », déclara-t-elle.
« Notre question est de savoir si le royaume de Hohlfahrt peut espérer surmonter cette crise. Dites-moi, ce royaume possède-t-il les moyens de triompher ? » Le diplomate me jeta un bref coup d’œil avant de reporter son regard sur la reine.
« Bien sûr que oui », répondit Mylène avec assurance. Elle ne ressemblait plus du tout à la femme qui avait parlé il y a un instant. « C’est pour cette raison que nous avons posté notre plus grande arme ici, à la frontière. » Cette fois, c’est elle qui me jeta un coup d’œil.
Les lèvres du diplomate se retroussèrent en un sourire. « Lorsque j’ai appris que l’Einhorn et son navire jumeau seraient positionnés à Frazer, j’ai eu le sentiment que je trouverais ici aussi le duc Bartfort. Alors c’est exactement ce que je soupçonnais. Voilà qui ne manquera pas de convaincre le parlement de Lepart de vos capacités. »
La conversation s’était poursuivie à un rythme soutenu, même si je n’avais pas prononcé un mot. Mylène et le pimpant diplomate poursuivaient leur discussion tandis que le marquis Frazer rayonnait joyeusement, heureux de voir les pourparlers se dérouler si harmonieusement. Personne n’avait tenté de couper la parole ou d’interrompre le diplomate ou la reine. Le marquis Frazer ayant décidé de ne pas faire de commentaires, Mylène poursuivit.
« Avez-vous reçu des informations sur les mouvements de Rachel ? » demanda-t-elle.
« Mais bien sûr. » Le diplomate acquiesça avec certitude. « En ce moment, ils rassemblent leurs navires de guerre dans la capitale. »
Face à cette révélation, le reste de la salle fut rempli par des chuchotements étouffés.
« À la capitale ? Pas dans leur port militaire ? »
« Oui, normalement, leurs forces ne devraient-elles pas se rassembler au front ? »
« Pourquoi la capitale ? Avant toutes leurs autres attaques, ils ont… »
Les séries de chuchotement furent coupées lorsque le diplomate pimpant haussa le ton. « En effet, la capitale. C’est là qu’ils renforcent leurs défenses. »
Après avoir établi le Concordat de défense armée, Rachel aurait dû se préparer à lancer une invasion simultanée du royaume de Hohlfahrt avec le reste de ses alliés. Au lieu de cela, ils renforçaient le front intérieur. À quoi pouvaient-ils bien penser ? Parmi tous les visages perplexes de la pièce, seule Mylène avait l’air complètement imperturbable. Je me doutais qu’elle avait prévu cela depuis le début.
La reine leva une main pour faire taire la salle. « Je suis sûre qu’ils se sont tournés vers leurs défenses par crainte du duc Bartfort. Ils ont l’intention de concentrer leurs forces dans la capitale pour se défendre et s’y terrer. »
« Mon Dieu ! Mais que pouvions-nous attendre d’autre de notre plus grand héros ! » s’écria le marquis Frazer, ravi, un peu trop enthousiasmé par le déroulement du conflit imminent. « Tant que nous aurons le duc Bartfort ici, ils ne mettront jamais le moindre pied dans mon domaine. Cette guerre se terminera sûrement par la victoire du royaume. »
Son point de vue était plutôt optimiste, mais il avait raison de dire que ma simple présence avait permis de repousser un ennemi autrement gênant. En supposant que rien d’imprévu ne se produise, notre puissance militaire supérieure assurerait la victoire de Hohlfahrt. Mais attention, les régions frontalières, à l’exception de celle de la maison Frazer, subiraient des pertes considérables.
« La princesse de Lepart n’a jamais manqué d’impressionner », déclara le diplomate. « Amener le plus grand héros du pays avec vous était astucieux. Maintenant, le royaume de Lepart et le royaume de Hohlfahrt peuvent dormir sur leurs deux oreilles. » Son mince sourire n’atteignit pas complètement ses yeux. « Affrontons cette crise ensemble. »
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Chapitre 3 : Les manigances de Mylène
Partie 1
Une fois la conversation terminée, Mylène emprunta l’une des salles de réception des Frazer pour une discussion privée avec celui que Léon avait appelé le « diplomate pimpant ». Son vrai nom était Ivan Soule Schira.
Ivan se tenait à une fenêtre et regardait dehors. De là, il pouvait distinguer l’île flottante et sa forteresse. En revanche, il ne voyait ni l’Einhorn ni son navire jumeau, même s’il était certain qu’ils étaient bien ancrés dans le port de l’île.
« À part ces deux vaisseaux, en possède-t-il d’autres de même calibre ? » demanda Ivan.
Mylène, qui était assise sur un canapé derrière lui, garda une expression vide. « Nous n’avons pas confirmé la présence d’un troisième. Je ne peux pas écarter la possibilité de son existence, mais nous ne devrions guère spéculer en l’absence de preuves, n’est-ce pas ? »
« Vous marquez un point. Ce qui compte le plus, c’est que le royaume de Rachel croit que le duc Bartfort les attend à la frontière. »
Mylène avait prévu que Rachel adopterait des manœuvres défensives si elle apprenait l’arrivée de Léon à Frazer.
« Je dois dire que vous êtes certainement une femme pécheresse. » Ivan lui lança un regard plein d’insinuations. « La rumeur dit que vous avez complètement envoûté le héros du royaume, le duc Bartfort, le chevalier-ordure. »
Le sourire de Mylène était mince. « Ce n’est qu’une rumeur. Les hommes préfèrent leurs femmes plus jeunes. De plus, il a trois jolies filles qu’il peut appeler ses fiancées. » Alors qu’elle prononçait ces mots, elle ressentit une douleur brève, faible et presque imperceptible au niveau du cœur. C’était comme si elle avait été piquée par une aiguille, et cela fit froncer les sourcils à Mylène.
Ivan restait insensible à ses sentiments et était plutôt amusé. « Quoi qu’il en soit, vous avez tout le mérite de l’avoir amené jusqu’à la frontière. Vos parents à Lepart seront ravis d’apprendre la nouvelle. »
« Cela me fait plaisir. »
« Tout de même, en êtes-vous certaine ? » Ivan lui lança un regard interrogateur. « Si vous gardez le duc ici, l’ennemi lancera une attaque sur vos autres frontières. Les aristocrates qui gardent ces territoires seront très mécontents. »
Malgré le fait qu’Ivan se montrait préoccupé par les vulnérabilités de Hohlfahrt, Mylène ne semblait pas le moins du monde troublée. Elle savait précisément ce qu’elle faisait. Elle savait que ces aristocrates seraient mis dans une situation difficile. Elle le savait et avait poursuivi son plan malgré tout.
« Il n’y a pas lieu de s’alarmer », déclara Mylène. « Cette approche est plus bénéfique pour le royaume dans son ensemble. »
Ivan haussa les épaules. « Vous avez toujours été terrifiante. Si vous étiez restée à Lepart, les gens auraient peut-être un jour vu en vous le véritable pouvoir, non pas derrière le trône, mais sur le trône. »
☆☆☆
« C’est impensable ! Insondable ! »
Les suspects habituels étaient réunis dans la salle commune, y compris moi, mes fiancées, Marie et sa brigade d’idiots. Finn s’était également joint à nous cette fois-ci, mais il était assis tranquillement sur le canapé, se contentant d’écouter pendant que le reste d’entre nous conversait. Il n’avait pas l’intention de partager ses opinions sur notre guerre. Je préférais qu’il en soit ainsi. Il n’avait aucun intérêt dans cette affaire.
Quant à celui qui criait à l’injustice, c’était Brad. Brad, dont la famille était également chargée de la défense et de l’entretien d’un territoire frontalier. Les aristocrates comme son père, à qui l’on confiait des terres aussi importantes, étaient honorés des plus hauts rangs de la noblesse : marquis ou duc. La taille de leur territoire était déterminée en fonction du titre honorable qui leur était attribué, ce qui les plaçait au-dessus des comtes et des barons en termes de richesse matérielle et de hiérarchie. Il était normal qu’ils reçoivent une compensation adéquate pour leur dangereuse responsabilité.
Dans notre groupe, Brad était le plus instruit en matière de défense des frontières. Au moment où j’avais partagé les détails de notre rencontre avec le diplomate pimpant, il était passé en mode panique totale. Dans ses efforts pour exprimer la gravité de la situation, il parlait autant avec ses mains et son corps qu’avec sa bouche.
« Je répugne à porter plainte contre les décisions de Sa Majesté, mais je ne peux tout simplement pas être d’accord avec la stratégie qu’elle a choisie. Si elle insiste pour que Léon reste ici à Frazer, le reste de nos frontières sera envahi par l’ennemi. »
Chris fronça les sourcils, perplexe. « J’admets que ce sera difficile pour les autres seigneurs régionaux, mais ils savent ce qui se prépare. N’ont-ils pas déjà fortifié leurs défenses ? Les choses seront plus difficiles pendant un certain temps, oui. Mais ce n’est pas comme si Léon était le seul atout militaire du royaume. Je soupçonne le palais d’envoyer des troupes supplémentaires. »
Le reste de la bande de crétins avait écouté cet échange avec des expressions discrètes. Chris était issu de la noblesse de cour. C’est tout ce qu’il avait toujours connu, et son éducation avait été principalement axée sur le maniement de l’épée. Il en savait également plus que le reste de la bande en matière de pratique et de stratégie militaires. Notamment, il ne semblait pas considérer cette situation comme une urgence génératrice de panique, même s’il ne prenait pas non plus la crise imminente à la légère.
« Dès que l’ennemi se rendra compte que Léon ne viendra pas les couvrir, il considérera que c’est un billet offert pour envahir avec toute la force de ses armées ! » beugla Brad. « Toutes ! Simultanément ! Crois-tu vraiment le palais capable d’envoyer des troupes supplémentaires sur chacun de ces fronts de bataille !? »
« N-Non, je suis d’accord que ce serait impossible », admit Chris d’un ton hésitant.
« Ce n’est pas non plus notre seul problème. » Brad s’affaissa sur le canapé, enfouissant sa tête dans ses mains. « Si les seigneurs régionaux croient que le palais les a abandonnés, certains ne manqueront pas de devenir des traîtres. »
« Crois-tu vraiment que cela puisse arriver ? » demanda Anjie. « J’ai du mal à croire qu’ils iront jusqu’à de telles extrémités, sachant que cela ferait aussi de Léon leur ennemi. »
Brad acquiesça. « Ils le feront s’ils pensent qu’ils n’ont pas d’autres options. Si le choix est entre se retourner contre Hohlfahrt et l’anéantissement, l’instinct de conservation passera en premier. Tôt ou tard, certains seigneurs régionaux laisseront l’ennemi traverser leur territoire sans encombre. Une fois que ce sera le cas, la violence se répandra comme une traînée de poudre. »
Greg était assis sur le canapé et croisa les bras sur sa poitrine. « Maintenant que tu en parles, j’ai entendu dire que les seigneurs le long de nos frontières ont leurs propres lignes de communication indépendantes avec les nations ennemies qui sont leurs voisines. »
Toute communication entre un seigneur régional et l’ennemi était considérée comme un acte de trahison. Ils devaient cependant avoir leurs raisons, comme l’indique la défense passionnée de cette pratique par Brad.
« Ils peuvent se battre âprement au combat, mais tous les ennemis ont besoin d’une opportunité de négociation », déclara Brad.
Lorsque des prisonniers de guerre étaient faits, les nations devaient pouvoir régler les frais d’otages et les échanges de prisonniers. La guerre n’était pas seulement menée sur le front. Parfois, la diplomatie est une nécessité. C’est la principale raison pour laquelle chaque région frontalière maintenait ces communications privées, même si elles risquaient de passer pour des collaborateurs aux yeux de tous ceux qui regardaient de l’extérieur.
« Les seigneurs ne sont pas les seuls à s’engager dans de tels accords. Parfois, le gouvernement central le fait aussi », indiqua Julian. Il semblait avoir une compréhension plus souple de la situation. « Quoi qu’il en soit, la question qui se pose est celle du jugement de ma mère. Pourquoi, à un moment pareil, a-t-elle choisi de poster Léon ici, à la frontière avec Rachel ? Cela me perturbe. »
Franchement, je n’étais pas non plus très heureux à l’idée que mon positionnement ait un impact aussi important sur le cours de la guerre.
« J’ai pitié de ces nations étrangères, mises en émoi par ta simple présence, Maître. Bien que l’ironie de la situation ne soit pas dénuée d’humour », dit Luxon.
« La responsabilité est un peu trop lourde à mon goût — beaucoup trop lourde, en fait. » Mon visage s’était froncé en disant cela, et Livia m’avait doucement donné un coup de coude sur le côté.
« Monsieur Léon, prends cela au sérieux, s’il te plaît », me gronda-t-elle.
J’avais fermé ma bouche.
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Partie 2
« La famille de Sa Majesté est chargée de diriger le Royaume-Uni de Lepart », expliqua Jilk. « Officiellement, ils sont les chefs du conseil du parlement de Lepart et supervisent simplement les dirigeants des Nations unies. En vérité, ils détiennent le plus grand pouvoir de toutes les monarchies constitutives. »
« Comme dans la République d’Alzer avec le président de l’assemblée, » dit Noëlle.
Jilk lui sourit. « Leur parlement est similaire à l’assemblée de la République, mais ils diffèrent en ce sens que la nation dirigeante de leur alliance détient la plus grande influence. C’est pourquoi Sa Majesté considère toutes les terres de Lepart comme sa patrie, et pas seulement la nation membre spécifique en son sein dont elle est originaire. »
« Et ? Et alors ? » Noëlle inclina la tête, ne comprenant pas vraiment.
« On ne peut pas écarter la possibilité qu’elle considère un certain degré de perte à Hohlfahrt comme un sacrifice nécessaire pour la protection de sa patrie. »
Nous lui avions tous jeté des regards furieux pour avoir osé lancer une accusation aussi honteuse, mais Jilk n’avait pas semblé gêné le moins du monde par notre désapprobation flagrante.
« Tu vas trop loin », l’avertit Julian. « Le royaume de Hohlfahrt est une seconde maison pour ma mère. »
« J’espère seulement que tu as raison. Mais tu ne peux pas nier que ses actions sont autrement inexplicables. » Jilk n’avait pas tardé à défendre son point de vue, et il ne s’était pas arrêté là. « Ce sera une période difficile pour les seigneurs régionaux, j’en suis sûr, mais je soupçonne les nobles de la cour d’être ravis du résultat. » Comme Chris, Jilk était lui aussi issu de ces rangs.
Le visage de Chris se crispa. « Ne m’associe pas à toi », s’emporta-t-il, sa voix s’élevant de quelques octaves en signe de mécontentement. « Je ne prends aucun plaisir à cette situation. Bien au contraire. »
« C’est uniquement parce que tu ne comprends pas », dit Jilk. « Pour les seigneurs de la cour, les seigneurs régionaux sont des ennemis en devenir. Tu aurais dû apprendre cette leçon pendant notre guerre contre l’ancienne principauté. »
Il est vrai que, par le passé, Hohlfahrt avait craint et détesté la noblesse régionale au point de promulguer des lois oppressives pour la soumettre.
Chris pinça les lèvres, incapable de contester le raisonnement de Jilk. Jilk en savait plus que lui sur les usages de la noblesse. Cela signifiait aussi qu’il savait comment remédier à cette situation précaire. Jilk se promena dans la salle commune, une main calant son bras tandis que l’autre caressait son menton.
Qu’est-ce que cette farce ? Essaie-t-il de se faire passer pour une sorte de détective célèbre ? Son air calme et posé me fait vraiment grincer des dents.
« Même en supposant que nous remportions la victoire dans ce combat, Hohlfahrt sera toujours obligé de faire face au problème de ces seigneurs régionaux et de leurs loyautés douteuses. Ces traîtres potentiels, en d’autres termes. Pour les seigneurs de la cour, c’est l’occasion rêvée d’affaiblir l’ennemi et ses futurs rivaux d’un seul coup », expliqua Jilk. C’était une théorie convaincante, notamment parce que Jilk parlait de sa propre cohorte.
« C’est exactement ce qui ne va pas avec vous, les nobles de la cour. Tout ce qui les intéresse, c’est la famille royale », se plaignit Brad, incapable de supporter les divagations de Jilk.
« En tant que l’un des leurs, j’aimerais pouvoir soutenir le contraire, mais tes mots sonnent douloureusement vrai. Cela me fait mal de penser à ton sort et à celui de ta famille, chargée de garder notre frontière. » Les mots de Jilk sonnaient comme des excuses, mais son sourire ne s’était jamais démenti. « Maintenant, passons à la résolution de ce problème urgent… ! »
Un grand grondement résonna dans la pièce, aspirant la tension de l’air. Furieux de cette interruption, Greg se leva de son siège.
« Qui était-ce !? Qui a l’estomac vide à un moment pareil, hein ? Ne savez-vous pas que nous sommes en pleine crise ? Ressaisissez-vous. » Il balaya la foule du regard tout en parlant, essayant de repérer le coupable.
Marie avait lentement levé la main pour admettre sa culpabilité, les yeux braqués sur ses genoux. Greg était resté bouche bée. Le reste d’entre nous s’était lentement tourné vers elle. Chagrinée, les lèvres serrées, Marie s’était rapidement détournée de nous. « Je suis désolée », cria-t-elle.
Au moment où nous avions réalisé à qui appartenait le ventre qui protestait, l’attitude de chacun fit un virage à 180 degrés.
« Dans ce cas, c’est à moi de briller. » Julian sortit un tablier et un hachimaki, comme s’il était sorti de nulle part. « Attends un peu, Marie. Je vais te préparer des brochettes de classe mondiale en un rien de temps. »
« Attends ! » Marie se mit à crier. « On n’a mangé que des brochettes hier, et même avant-hier ! Je veux autre chose. Hé ! écoute-moi quand je te parle ! »
Sans tenir compte de ses supplications, Julian avait bondi vers la sortie.
« Il n’y a pas de raison d’être gêné », lui assura Brad en prenant la main de Marie dans la sienne. « Ton estomac joue la plus mélodieuse musique du monde. Je te jure que je vais aussi sortir et te trouver quelque chose à grignoter. »
« Euh, d’accord. » Marie fronça les sourcils. Ce n’était pas vraiment un compliment que de voir son grognement d’estomac qualifié de mélodieux.
Brad s’était élancé à la suite de Julian.
« Si tous les autres vont s’occuper de te préparer un repas, je vais m’occuper de ton bain », décida Chris. La lumière frappa ses lunettes d’un éclat sinistre. « Oui. Oui, c’est ça. Je pars tout de suite puiser l’eau de ton bain, Marie ! »
« Désolée, mais, euh, je ne comprends pas en quoi un bain entre en ligne de compte », dit Marie en secouant la tête.
Chris balaya ses doutes en sortant lui aussi de la pièce.
Greg fut le prochain à s’approcher. Il y avait dans son expression une douceur qui était totalement absente il y a quelques instants, lorsqu’il avait craqué et sauté de son siège.
« Désolé pour tout ça, Marie. C’était vraiment mignon la façon dont ton estomac grognait. Je vais te chercher du poulet », proclama-t-il.
Comme les autres, il quitta la pièce à la poursuite de quelque chose qui l’intéressait plus personnellement que ce que Marie désirait réellement. Après leur départ, Marie était restée figée sur place, bouche bée.
« Ton fardeau ne semble jamais s’alléger, maîtresse », dit Kyle pour tenter de la consoler. « J’ai de la peine pour toi. »
Carla, elle aussi, semblait avoir pitié de Marie. Elle tamponna le bord de ses yeux avec un mouchoir. « Le plus malheureux, c’est qu’ils sont en fait meilleurs qu’avant. »
« Eh bien, » dit Jilk, le seul membre de l’équipe d’idiots encore présent dans la pièce. « Dans ce cas, je crois que je vais te préparer du thé pour accompagner — ! »
Anjie l’avait saisi par le col, l’arrêtant alors qu’il essayait de sortir de la pièce.
« Pas toi », dit-elle en le tenant fermement. « Si tu veux bien te rappeler, tu n’as pas fini de penser ! Maintenant, il y a un moyen de résoudre ce problème, n’est-ce pas ? »
Jilk était une détestable crapule, un tricheur sournois s’il en est. De toute la bande de crétins, c’est lui qui avait la pire réputation. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, il était aussi l’un des plus fiables.
Ceux d’entre nous qui restaient n’étaient pas très heureux que son petit numéro de détective ait été interrompu. Anjie l’avait arrêté dans son élan pour le forcer à cracher le reste de son intrigue. Malheureusement…
« S’il vous plaît, vous devriez me libérer. Pour l’instant, Marie est mon top priori — gah ! »
Lorsque Jilk avait essayé de se libérer, Anjie avait passé sa main sur sa joue. Pas d’hésitation. Le bruit sec de la peau frappant la peau résonna dans la pièce. La force de la gifle fit tomber Jilk par terre.
« C’était tout à fait déplacé ! » s’écria Jilk.
Anjie, Livia et Noëlle l’avaient encerclé pour l’empêcher de s’enfuir.
« Assez de pleurnicheries », s’emporta Anjie. « Continue. Maintenant. »
Jilk ricana. « Non, merci. Je refuse de me laisser intimider par la violence. » Sur ce, il tendit littéralement l’autre joue. Ses menaces n’avaient fait que le rendre rancunier.
Marie, qui avait observé tout cela en silence, me jeta un coup d’œil. Finalement, elle soupira. « Oh, dépêche-toi de tout déballer ! Tu nous as fait assez patienter. Ne nous laisse pas en plan. »
Finalement, Jilk acquiesça à contrecœur. « Si mademoiselle Marie le demande, je suppose que je n’ai pas le choix. » Ses yeux se posèrent sur moi alors qu’il se lançait dans son explication. « Je ne peux pas prétendre savoir exactement ce que Sa Majesté et le reste de la noblesse de la cour recherchent, mais il existe un moyen d’éviter de se mettre à dos les seigneurs régionaux. Pour l’accomplir, cependant, j’aurai besoin de ton vaisseau. »
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Partie 3
J’avais gardé le silence jusque-là, mais comme c’était mon navire qu’il voulait emprunter, je n’avais pas d’autre choix que de dire ce que j’avais à dire.
« Tu veux dire l’Einhorn ? » avais-je demandé en clarifiant.
« Ou la Licorne, l’un ou l’autre. As-tu encore ces précieux orbes que tu as reçus de la République d’Alzer ? »
« Oui, je les ai entreposés chez moi. Qu’est-ce que tu veux en faire ? »
« Pour servir de levier dans les négociations avec le Concordat de défense armée — c’est-à-dire les membres autres que Rachel. »
« C’est ridicule. » Tout l’intérêt antérieur avait disparu du visage d’Anjie, remplacé par une amère déception. « Nous avons déjà essayé de négocier. J’ai entendu dire que chaque tentative s’était soldée par un échec. »
« Oui, j’ai entendu la même chose », répondit Jilk, l’air toujours confiant. « Mais là où ils ont échoué, je réussirai. Et je commencerais par la nation la plus faible du lot. »
J’avais croisé les bras et j’avais réfléchi à sa proposition. Puis, après une pause, j’avais demandé : « D’accord. De quoi as-tu besoin ? »
« As-tu l’intention de faire confiance à Jilk ? » intervint Luxon, en secouant son objectif d’un côté à l’autre en signe d’exaspération. Malgré sa désapprobation, il n’avait pas vraiment essayé de m’arrêter.
« Si cela signifie éviter la guerre, alors ne penses-tu pas que nous nous devons d’essayer toutes les solutions qui nous tombent sous la main ? » avais-je demandé.
Mes fiancées étaient visiblement décontenancées, mais j’avais déjà décidé de faire confiance à Jilk.
« Alors je te demande de préparer un certain nombre de ces orbes qui serviront de monnaie d’échange », dit Jilk. « J’aimerais aussi amener quelques gardes du corps. Laisse-moi t’emprunter Greg et Chris. »
Tu as raison. Ils seraient parfaits pour ce travail.
« D’accord, » dis-je. « Je vais leur ordonner de venir avec toi. »
« De plus, » poursuit-il, non satisfait des exigences qu’il a déjà formulées, « J’aimerais emmener Brad. Il peut assurer la liaison avec les seigneurs frontaliers. De plus, il est plus à l’écoute de leurs sentiments et de leur façon de penser que n’importe qui d’autre. Je suis sûr qu’il fera un bon conseiller. »
J’avais haussé les épaules. « Je m’en fiche un peu, mais en gros, tu demandes pour tout le monde sauf pour Julian. »
« Oui, eh bien, ce n’est pas comme si je pouvais faire travailler Son Altesse jusqu’à l’os comme je le fais pour les autres », expliqua Jilk.
« Donc en gros, ce que tu dis, c’est que tu vas presser ces trois-là pour tout ce qu’ils valent, hein ? »
« Tout cela au nom de la nécessité de surmonter cette crise », m’assura-t-il. « Bien sûr, ils doivent aussi apporter leur juste part de travail. »
Je soupirai. Honnêtement, je n’aimais pas trop tout ça, mais il était vrai que les quatre cinquièmes de l’équipe de crétins devaient se rendre utiles.
« Très bien, » ai-je dit. « Je vais tout rassembler. Et je ferai tourner ces gars en bourrique pour ce que j’en ai à faire. »
Jilk était devenu pensif. Au bout d’un moment, il me sourit. C’était troublant.
« Qu’est-ce que tu as ? » avais-je demandé. « Fixer quelqu’un et sourire comme ça, c’est vraiment flippant. »
« Oh, rien. Je ne m’attendais tout simplement pas à ce que tu acceptes toutes mes demandes. Cela dit, je ferai tout mon possible pour m’acquitter de cette responsabilité et répondre aux attentes de mon supérieur. » Jilk se décolla finalement du sol et sortit de la pièce en valsant.
« Monsieur Léon, es-tu sûr que c’est une bonne idée ? » Le front de Livia était profondément plissé, signe de son inquiétude. « C’est de Monsieur Jilk dont nous parlons, tu te souviens ? »
Elle ne l’avait pas dit ouvertement, mais il était évident qu’elle ne faisait pas confiance à Jilk, aussi loin qu’elle pouvait y penser. Je ne pouvais guère la blâmer, compte tenu de tous les ravages qu’il avait causés par le passé.
« Elle a raison », acquiesça Noëlle. « C’est un salaud irrécupérable, d’après ce que j’ai entendu. Et n’a-t-il pas fait des choses assez terribles lorsqu’il était dans la République d’Alzer ? »
Anjie pressa une main sur son front. « Je respecterai ta décision, Léon, mais nous savons tous les deux qu’il va toujours trop loin. »
Personne ne semblait avoir la moindre foi en Jilk, mais je lui faisais confiance pour tenir sa parole. « Nous pouvons difficilement nous en sortir dans une position pire que celle dans laquelle nous nous trouvons déjà. En plus, Jilk est un magouilleur sournois. »
« Tu dis ça, et tu lui accordes quand même ta confiance ? » demanda Luxon en se retournant pour me regarder.
« C’est toi qui dis qu’être sournois est un compliment pour un combattant. »
Plutôt que de discuter davantage, Luxon céda et obéit à mon ordre. « Je prépare la Licorne pour le départ. »
☆☆☆
Le lendemain matin, Mylène arpentait les couloirs du château des Frazer. Son allure était si vive et si pressée qu’elle laissait ses servantes dans la poussière.
« Votre Majesté, attendez s’il vous plaît ! »
Son empressement ce matin était dû à un rapport désagréable qu’elle venait de recevoir. Sa destination était la salle réservée à Léon et à son groupe, où lui et ses fiancées pouvaient se reposer, se détendre et faire la causette.
Lorsque Mylène atteignit la porte, elle l’ouvrit violemment et entra en trombe. Elle n’y trouva qu’Anjie qui l’attendait. La jeune fille resta bouche bée devant l’arrivée inattendue de la reine.
« J’étais sur le point de demander une audience avec vous », déclara-t-elle.
Mylène rejeta le commentaire d’un revers de main. « J’ai reçu un rapport indiquant que la Licorne a quitté le port. Dis-moi, le duc était-il à bord ? » Dès que Mylène avait entendu parler du départ de la Licorne, elle avait été prise de frénésie, cherchant désespérément à confirmer les détails. Le départ de la Licorne ne faisait en aucun cas partie de sa stratégie actuelle.
Anjie haussa les épaules. « Léon a donné l’ordre, mais l’équipage est composé de Jilk et de ses amis. »
« Je n’arrive pas à y croire. » Mylène secoua la tête, déplorant la myopie de Léon. « Anjie, pourquoi ne l’as-tu pas arrêté ? Ne t’ai-je pas dit que nous avions besoin des deux vaisseaux si nous espérions coincer Rachel ? »
Léon avait promis de garder ses vaisseaux en attente sur le territoire de Frazer pour le moment. Comme il était revenu sur sa parole, son ire était sûrement justifiée.
Néanmoins, la priorité d’Anjie était Léon. « C’est lui qui a pris la décision, » dit-elle. « Je pensais que c’était la bonne, alors je n’ai pas fait d’objection. »
Mylène exhala un long et profond soupir. « Je suppose que cela veut dire que le duc est toujours ici, au château ? »
« Bien sûr. »
« Cela devrait suffire. Je vais expliquer la situation au diplomate de Lepart et au marquis Frazer. » Mylène se retourna promptement pour partir, bien qu’elle ait plissé ses sourcils et se soit mordu la lèvre inférieure. J’ai sous-estimé sa naïveté.
☆☆☆
Les quartiers que Carl s’était vu attribuer dans la résidence Frazer étaient généralement occupés par des domestiques. C’était comme une chambre d’hôtel bon marché — peu meublée et peu attrayante.
Finn était entré et avait trouvé Carl debout, la mine renfrognée. Il rit. « Cet endroit te va bien, mon vieux. »
« Tais-toi, sale gosse. Vraiment, pour qui ces gens me prennent-ils ? » renifla Carl, mécontent.
« Tu es venu ici déguisé, il n’est donc guère juste de s’appuyer sur ton statut. Tu ne peux pas rejeter la faute sur les Frazer. »
Même si Carl savait que Finn avait raison, son tempérament n’en était pas moins piqué. Malgré tout, Carl ferma la bouche et ne se plaignit plus lorsque Finn se dirigea vers le canapé et s’y assit.
« Alors, » dit Carl, « Qu’est-ce qui se passe avec le chevalier-ordure ? »
« Il essaie d’empêcher une guerre… » Finn fronça les sourcils. « Tu sais, mon vieux, je ne crois pas une seconde qu’il soit aussi mauvais que les rumeurs le laissent penser. En plus, c’est mon ami. »
« Comme c’est inattendu de la part d’un misanthrope aussi célèbre, » dit Carl d’un ton pensif en baissant le regard. « Mais c’est à moi de prendre la décision irrévocable. »
« C’est pas mal, venant du gars qui a abandonné ses responsabilités pour partir en vacances », rétorqua Finn en haussant les épaules.
« Tu aimes bien ouvrir ta bouche, n’est-ce pas, sale gosse ? Peu importe. Comment Mia tient-elle le coup ? »
« Elle fait du tourisme avec la princesse et son entourage. J’ai fait en sorte que Brave les accompagne, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter. »
Le sourire de Carl était presque imperceptible. « Vraiment ? Je suppose qu’elle a à peu près le même âge que la princesse de Hohlfahrt. C’est agréable de les voir s’entendre aussi bien. »
« Cela a été une bonne expérience pour elle », poursuivit Finn. « Elle a plus d’amis et elle a l’air de s’amuser. Mais j’ai été assez choqué de découvrir que la princesse s’était réincarnée ici comme nous l’avons fait. »
Carl acquiesça. « J’ai aussi été surpris quand j’ai lu ta lettre. Tsk. Je me demande… Pourquoi nous a-t-on tous amenés ici ? »
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Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence
Partie 1
La Capitale blanche du Saint Royaume de Rachel était une métropole située sur une île flottante au-dessus d’un énorme lac. Un château d’ivoire s’élevait en son centre, le reste de la ville s’étalant autour de lui. L’architecture était serrée, les bâtiments s’élevaient sur chaque centimètre carré de l’île. Chacun d’entre eux pâlissait en comparaison du château lustré. C’était la seule structure qui brillait d’un blanc pur et lumineux. Malgré cela, les citadins insistaient pour appeler leur chez-soi, la capitale blanche.
Le souverain de ce château était le saint roi — un homme âgé et rond avec de longs cheveux blancs et une longue barbe blanche. Cet homme, que beaucoup vénèrent comme un monarque divin, était assis dans la grande salle d’audience pour recevoir l’envoyé qu’il avait envoyé pour négocier avec le royaume de Hohlfahrt.
« Malheureusement, le royaume a choisi d’abandonner votre miséricorde, Votre Éminence. Ils se préparent à la guerre. » L’envoyé mit un genou à terre, la tête inclinée, alors que son discours était aussi grandiose que lorsqu’il avait dit alors qu’il était à Hohlfahrt.
Les nobles réunis dans la chambre s’indignèrent et ne tardèrent pas à exprimer leur désapprobation.
« Quels imbéciles ! »
« Je suppose que nous ne devrions pas attendre mieux de la part des sauvages. »
« On ne peut plus les sauver depuis si longtemps. »
La plupart d’entre eux parlaient avec une condescendance ouverte, mais le saint roi leva la main pour les faire taire. Il caressa sa barbe bien-aimée en signe de contemplation.
« Ils ne nous laissent pas le choix », déclara-t-il. « Nous devons également commencer nos préparatifs pour la bataille. »
Les nobles tombèrent à genoux dans une vague et baissèrent la tête en signe de révérence.
« Oui, Votre Éminence ! Que votre volonté soit faite ! »
☆☆☆
En sortant de la grande salle d’audience, le saint roi se rendit dans le salon adjacent où il s’enfonça dans un fauteuil incliné. Là, il fut rapidement entouré d’une ribambelle de belles femmes. Il souleva la lourde couronne de sa tête et la plaça de côté, puis il retira les couches de vêtements opulents dont il était revêtu. À la fin, après avoir enlevé ses chaussures, il n’avait plus que ses sous-vêtements.
Les femmes qui l’assistaient portèrent des fruits et un assortiment de boissons pour le roi. Au moment où il ouvrit la bouche, l’une des femmes glissa un fruit fraîchement pelé entre ses lèvres. Tout en mâchant, le roi jeta un coup d’œil à son Premier ministre, qui était entré quelques instants après lui.
« Alors ? Quelles nouvelles de l’ennemi ? » demande le roi. Par ennemi, il entendait bien sûr le royaume de Hohlfahrt.
Le Premier ministre avait joué son rôle avec toute la théâtralité requise lors de l’audience précédente, mais son comportement en privé était plus discret et plus professionnel.
« La princesse sournoise de Lepart — ou plutôt la reine Mylène, comme on l’appelle actuellement — a jugé bon d’emmener sa fille sur les terres des Frazer. Elle l’a fait escorter par le chevalier-ordure et ses deux dirigeables. »
Le roi ne semblait pas particulièrement paniqué par cette évolution. En fait, il souriait. « Elle a donc l’intention d’envoyer le chevalier-ordure faire le sale boulot pour nous détruire ? »
« La reine Mylène ne cautionnera pas une telle manœuvre », répondit le Premier ministre avec un sourire crispé. « Elle serait une adversaire bien moins redoutable si elle était assez coléreuse pour agir de façon aussi imprudente, mais hélas… »
Le roi renifla. « Roland aussi est pénible, cet excentrique. Mais cette sorcière intrigante n’est pas moins une épine dans notre pied. »
Le Premier ministre fronça le nez, partageant le dégoût du roi. « Roland ne semble pas vouloir nous contrer cette fois-ci, » dit-il. « C’est un peu déstabilisant. »
Roland était plutôt tristement célèbre auprès de ses ennemis. Malgré toute sa paresse, il était une telle nuisance qu’il avait gagné leur ire. Ils le qualifiaient d’excentrique pour ses stratégies peu conventionnelles. Mais malgré la menace qu’il représentait, le saint roi et son Premier ministre s’intéressaient davantage à Léon — le chevalier-ordure.
« Et que fait le chevalier-ordure maintenant qu’il est sur le territoire de Frazer ? » demanda le roi.
« D’après nos espions, il se tient prêt, conformément aux ordres de la reine », répondit le Premier ministre. « Il semble que les rumeurs concernant sa fixation sur elle soient vraies. »
La nouvelle de la relation de Léon avec la reine s’était même répandue jusqu’à Rachel. Le saint roi avait cependant du mal à le comprendre.
« Je suis vraiment choqué qu’un homme puisse trouver cette sorcière attirante », déclara-t-il.
Le Premier ministre hocha la tête en signe d’assentiment. « En effet. »
Ni l’un ni l’autre n’avait jamais considéré Mylène comme un objet d’une quelconque séduction. Non, en ce qui les concerne, elle n’était rien d’autre qu’une ennemie acharnée et le fléau de leur existence.
« Votre Éminence, » déclara le Premier ministre, « allons-nous continuer à rassembler nos militaires dans la capitale blanche comme prévu précédemment ? »
« Oui. »
« Nos nations alliées du Concordat de défense armée ont envoyé des émissaires pour demander notre participation aux batailles à venir, ainsi que des renforts pour leurs propres assauts. Que devons-nous leur répondre ? »
Le roi rétrécit les yeux. « Trouve des excuses et refuse de leur accorder une audience. Nous avons de bonnes raisons de le faire, avec le chevalier-ordure qui rôde à notre frontière. Dis-leur que nous avons besoin de toutes nos ressources pour le coincer. »
Le Saint Royaume de Rachel avait fait une impressionnante déclaration de guerre devant les émissaires de ses alliés, mais en vérité, ils n’avaient pas l’intention de procéder eux-mêmes à une quelconque invasion. Au contraire, ils se concentraient sur le renforcement de leurs défenses et prévoyaient de traiter avec Léon selon leurs propres termes.
« Je suis soulagé de vous entendre dire cela. » Le Premier ministre laissa échapper une longue respiration qu’il avait retenue. « Après tout, nous n’avons pas encore les moyens de nous passer de l’excuse à propos du chevalier-ordure. »
Le roi éclata de rire. Il bascula en avant dans son fauteuil inclinable, se penchant en avant. « Aussi sournoise que soit cette sorcière, elle ne serait pas assez téméraire pour nous envahir. Si elle le faisait, elle forcerait l’empire à répondre, et ils représentent une menace bien plus terrible que toutes celles que nous pourrions rassembler. »
Bien que Hohlfahrt et Rachel soient considérées comme des nations majeures, le Saint Empire magique de Vordenoit les éclipsait toutes les deux. Mylène n’était pas stupide au point de leur donner un prétexte pour entrer en guerre. Du moins, c’est ce que croyaient le saint roi et son Premier ministre. Ils étaient persuadés que Mylène était trop intelligente pour prendre de tels risques.
Le Premier ministre sourit. « Même le chevalier-ordure ne peut pas s’attaquer au monde entier, quelle que soit sa puissance. »
Si l’empire passait à l’action, tous ses pays vassaux s’aligneraient derrière lui. D’innombrables autres nations seraient entraînées dans leur sillage, car elles jugeraient trop dangereux de laisser un artefact disparu aussi puissant sous le contrôle de Hohlfahrt.
« Mais encore. » Une ride d’inquiétude plissa le front du Premier ministre. « Imaginez qu’il ait le pouvoir de faire de nous tous des ennemis. Il serait une force irrésistible. Ce que nous avons entendu de son pouvoir défie déjà l’imagination. »
Le saint roi acquiesça. Il partageait la prudence de son Premier ministre, même s’il n’était pas aussi inquiet.
« Si cet homme avait vraiment le pouvoir de conquérir le monde, il s’ensuit qu’il l’aurait déjà fait. C’est ainsi que fonctionne l’humanité. Puisqu’il ne l’a pas fait, cela signifie que, pour une raison ou une autre, il ne le peut pas. D’autant plus qu’il est jeune. Si tu donnes à un enfant un pouvoir qui échappe à son contrôle, que voudra-t-il en faire ? L’exhiber devant tout le monde. »
Le Premier ministre se caressa le menton. « Oui, ce schéma apparaît souvent dans les contes de fées. Quelqu’un met la main sur un artefact disparu, va trop loin et finit malheureux. »
« Nous n’avons pas besoin de terminer cette guerre en étant clairement vainqueurs », lui rappela le saint roi. « Si le chevalier-ordure se montre encore plus capable que nous ne le croyons déjà, cela ne fera que pousser d’autres nations à se joindre à nous. Grâce à leur puissance, nous aurons encore plus d’occasions de soumettre Hohlfahrt et leur “héros”. »
« Une stratégie judicieuse. D’une part, Hohlfahrt importe ses pierres magiques. J’ai entendu dire qu’ils souffraient déjà, puisqu’ils ne peuvent pas acheter cette ressource à la République d’Alzer. »
Le roi s’était de nouveau adossé à son fauteuil. « C’est pourquoi nous n’avons pas besoin de lever le petit doigt. Laissons les dés tomber, notre ligne de conduite la plus sage reste d’éviter toute confrontation directe avec le chevalier-ordure. Si, entre-temps, l’empire décide d’agir contre Hohlfahrt, tant mieux. »
« Ils ont aussi l’air de se méfier de lui », déclara le Premier ministre en souriant. « D’après ce que me disent les envoyés, ils s’intéressent déjà à cette guerre. »
« Le chevalier-ordure s’est mis trop en évidence. Grâce à lui, tout se déroule comme nous l’avions prévu. » Le roi ferma les yeux. « Oui, ses actions ont assuré notre victoire — même si nous ne tirons jamais un seul coup de feu. »
Le pouvoir de Léon était devenu si écrasant que bientôt, le monde entier le considérerait comme une menace.
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Partie 2
« C’est la meilleure destination touristique de toute la région ! » déclara Élie, qui nous avait amenés voir le lac de son territoire.
Le lac était entouré sur tous ses côtés par des glissières de sécurité. Marie s’y agrippa et se pencha en avant, s’abreuvant du spectacle. Elle était tellement émue par le paysage à couper le souffle qu’elle oublia complètement l’animosité qu’elle avait manifestée à l’égard d’Élie. « C’est un lac !? », couina-t-elle, ravie.
Ce n’était pas n’importe quel lac. Une petite île flottait à quelques centaines de mètres au-dessus de lui, et une énorme colonne d’eau jaillissait du lac jusqu’à elle. Lorsque l’île débordait, l’eau se déversait à nouveau dans les profondeurs. L’effet était celui d’une énorme fontaine d’eau naturelle. Du moins, c’était la meilleure façon d’expliquer ce que je voyais.
« Je dois admettre, » avais-je dit, « que c’est assez incroyable. »
« C’est incroyablement rare », dit Livia, les yeux pétillants. « Peu d’îles flottantes aussi petites peuvent aspirer l’eau de cette façon. C’est à se demander si l’île a été amenée ici spécifiquement ou si elle a simplement dérivé naturellement jusqu’à sa position. » Cette anecdote venait probablement d’un livre — Livia étant un vrai rat de bibliothèque — mais il semblait qu’elle n’avait jamais rien vu de tel en chair et en os.
Anjie porta une main à son menton. « Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’un si beau spectacle soit caché tout au fond d’une région frontalière. S’il était plus central, il pourrait devenir une destination encore plus impressionnante. » Elle ne pouvait s’empêcher de considérer la chose d’un point de vue plus pratique et aristocratique.
Noëlle lança un regard exaspéré à Anjie. Elle avait sans doute du mal à comprendre comment Anjie pouvait être prise par des pensées de monétisation au lieu d’apprécier ce que c’était déjà.
« N’es-tu pas le moins du monde émue ? » demanda Noëlle.
« Bien sûr », répondit Anjie. « Pourquoi demandes-tu cela ? »
« Je veux dire, je pense juste qu’il y a d’autres façons de s’exprimer. Par exemple, “Comme c’est bien !” ou “C’est beau !”. Tu sais, quelque chose comme ça. Je veux dire, regarde bien. On dirait qu’ils ont des bateaux pour les couples. »
J’avais regardé dans la direction indiquée par Noëlle. Comme elle l’avait dit, il semblait que des couples et des familles se trouvaient sur le lac dans des bateaux. Cela devait paraître un peu bizarre à la plupart d’entre eux, étant donné que la plupart des bateaux de ce monde flottaient dans l’air plutôt que sur l’eau.
Anjie fit la grimace. « Je n’ai aucun intérêt pour un bateau qui ne peut pas voler. »
Peut-être s’agissait-il effectivement d’un choc des cultures. De mon point de vue, les bateaux sont plus à leur place sur l’eau que dans le ciel.
Noëlle s’était brusquement accrochée à mon bras. Son visage s’était illuminé comme si elle avait eu un coup de génie. « Dans ce cas, tu ne vois pas d’inconvénient à ce que Léon et moi allions faire un tour ensemble, n’est-ce pas ? Tu viendras avec moi, n’est-ce pas, Léon ? »
« Bien sûr », avais-je répondu sans perdre une seconde.
Les deux autres filles étaient stupéfaites.
« Noëlle, fais la queue », gronde Anjie. « N’essaie pas de nous surpasser comme ça. »
Livia hocha la tête fermement. « Exactement. Ce n’est pas jouer franc jeu, mademoiselle Noëlle. »
☆☆☆
Marie fixa l’embarcadère où l’on louait des bateaux. Léon et Noëlle avaient déjà embarqué ensemble sur l’un d’eux, et même de loin, leur badinage résonnait.
« Un peu insouciant, si tu veux mon avis, » dit Marie. Elle s’appuyait sur la rambarde en les regardant, en soupirant.
Erica s’approcha d’elle par-derrière. « Oncle est devenu tellement plus audacieux. »
« Erica ? » Marie fut surprise. Elle balaya du regard leur environnement. « Et où est ce morveux d’Elijah ? »
Erica passa une main dans ses cheveux, repoussant quelques mèches derrière son oreille. « Je voulais te parler, maman, alors je l’ai envoyé faire une petite course. »
« Une course ? Il est toujours l’héritier d’un marquis, tu te souviens ? Es-tu sûre que ce n’est pas grave ? » Aussi critique que Marie soit à l’égard d’Élie, elle comprenait tout de même l’importance de son statut. Sa position le mettait au même niveau que sa brigade d’idiots — ou au niveau auquel ils auraient été, si leurs familles ne les avaient pas reniés. Sa présence douce et discrète permettait d’oublier qu’il était un noble rejeton.
Erica gloussa. « Bien sûr que oui. Je suis sa princesse. »
« D-D’accord, je suppose que tu marques un point. »
Le fait d’être une princesse signifiait que même si Erica faisait attendre Elijah pieds et poings liés, les gens riraient et passeraient outre. C’était d’autant plus vrai que leur relation était déjà bonne. Si ce n’était pas le cas, il pourrait y avoir des problèmes.
« Je sais que toi et mon oncle essayez de faire ce que vous pensez être le mieux pour moi. »
« Erica… ? » demanda Marie, mal à l’aise. Où cela allait-il nous mener ?
« Mais je vous l’ai déjà dit : j’ai accepté mes fiançailles avec Elijah. J’aimerais vraiment que vous deux ne vous en mêliez pas davantage. »
« C’est juste que… Je veux que tu sois heureuse ! Je veux que tu sortes avec quelqu’un avec qui tu veux être, que tu profites de ta jeunesse ! Et puis… Et puis…, » Marie balbutia, impuissante, désespérée que sa fille goûte au bonheur qu’elle n’avait pas pu lui donner dans leur vie précédente, ce qu’elle regrettait profondément. Tout ce qu’elle voulait, c’était qu’Erica puisse vivre une vie normale, avec tout le bonheur que cela impliquait.
« Si nous vivions dans une société dont les principes étaient plus proches des nôtres, cela aurait pu être possible. Mais je suis la princesse de Hohlfahrt. Je ne suis pas libre de simplement vivre ma vie comme je l’entends. »
« Mais Léon fera tout ce qu’il faut pour que tu puisses ! »
« Maman ? », s’étonna Erica.
« Peut-être que tu ne t’en rends pas compte, mais il a résolu tous les problèmes que j’ai eus », poursuit Marie avec enthousiasme. « Et si c’était pour ton bien, je sais qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour t’aider. Alors, s’il te plaît… Sois heureuse. » Marie baissa le regard, des larmes coulant sur ses joues. Désespérant d’éviter le regard inquisiteur de sa fille, elle se retourna vers le lac, où Léon et Noëlle profitaient toujours de leur promenade en bateau.
« Je suis heureuse », dit Erica.
« Erica, j’ai acheté le truc que tu voulais ! » brailla Elijah de loin, en se précipitant vers elles.
Marie lui jeta un coup d’œil et essuya ses larmes. Puis, elle se retourna vers sa fille. « Es-tu sûre que tu es d’accord avec lui ? Il y a une tonne de garçons plus séduisants. Tu pourrais avoir le choix. »
Erica avait répondu par un sourire troublé et avait rapidement secoué la tête. Il semblait que sa mère et elle avaient des goûts assez différents en matière d’hommes. « Je pense qu’il est mignon tel qu’il est », dit-elle. « Et puis, n’est-ce pas mieux de façonner ton homme pour qu’il corresponde à ton idéal ? »
« Hein ? », s’exclama Marie, abasourdie.
Erica se tourna vers Elijah, se déplaçant pour le rejoindre à mi-chemin. « Quoi, tu n’es pas d’accord ? Je pense qu’il est bien mieux de modeler un garçon pour qu’il corresponde à ce que tu veux plutôt que de perdre tout ce temps à essayer de trouver la personne parfaite. »
Maintenant que Marie avait pu mieux comprendre le point de vue de sa fille, tout s’était mis en place. C’est donc ça. Elle a transformé Elijah en une version plus acceptable de lui-même. D’une certaine façon, c’est… de mauvais augure ? Non, non. Voyons cela d’un œil positif. C’est la preuve de sa détermination.
Sur ce, Marie décida d’accepter leur relation et de leur donner sa bénédiction.
« Hé, toi, » dit-elle à Élie lorsqu’il les rejoignit.
« Oui ? »
« Tu as intérêt à faire des efforts. Je le pense vraiment. »
« Hein ? Hum… Oui, bien sûr. »
☆☆☆
Après avoir fait un tour avec Noëlle, puis Livia, ce fut enfin le tour d’Anjie. J’avais pensé qu’elle revendiquerait son droit à passer en premier, mais elle avait choisi de passer en dernier pour pouvoir discuter de quelque chose avec moi en privé.
Anjie se pencha hors de son siège et tendit la main pour laisser ses doigts effleurer la surface de l’eau. « J’ai parlé avec Sa Majesté, mais je n’ai pas réussi à la persuader. »
« Oui ? » Pendant que je ramais sur le bateau, je restais le plus souvent silencieux, écoutant Anjie parler.
« Elle semble fervente dans son sens des responsabilités. Envers sa patrie, envers Hohlfahrt… Mais en réalité, je pense qu’elle est principalement motivée par la famille royale. Elle essaie de t’utiliser pour renforcer leur position. »
Luxon était également avec nous. Il planait à la proue de notre petit bateau, son attention se concentrant sur notre cap. Il ne montrait aucun signe de vouloir s’immiscer dans la conversation.
« La guerre, la politique, c’est un peu lourd pour moi », avais-je dit. « En tout cas, comment s’est passée la conversation sur le départ de la Licorne ? »
« Je pense qu’elle était furieuse. Elle n’est pas ouvertement en colère contre toi, mais à l’intérieur, elle doit être furieuse. »
Je ne serais pas surpris qu’elle soit furieuse. J’avais envoyé la Licorne sans même en demander l’autorisation. Anjie m’avait dit que la reine était toujours aussi souriante en personne. Cette partie m’avait brisé le cœur. Je voyais bien que Mylène ne faisait qu’être prévenante et qu’elle cachait ses vraies émotions. Non, ce n’est pas vrai. C’était moins de la considération que l’impression que, lorsqu’il s’agissait de moi, elle marchait sur des œufs. Elle était beaucoup trop prudente.
J’étais tombé dans mes pensées tout en continuant à ramer.
Anjie ricana en me regardant. « Tu as le cafard parce que tu penses que l’affection de Sa Majesté pour toi s’est estompée. Est-ce qu’un baiser arrangerait les choses ? »
« Je n’ai pas le cafard », avais-je répondu en grommelant.
« Oh, allez, ne fais pas la tête. Oui, je veux me moquer un peu, mais je suis vraiment prête à t’offrir un peu de consolation, si cela peut t’aider. D’autant plus que tout cela t’a imposé un fardeau si lourd, une fois de plus. »
Une fois la guerre officiellement déclenchée, ceux qui avaient été adoubés — c’est-à-dire tous les aristocrates — devraient se battre pour le royaume, qu’ils le veuillent ou non.
Anjie retourna son regard vers l’eau. « La reine et toi vous dirigez dans des directions opposées. Si vous continuez sur cette trajectoire, vous finirez par vous retrouver dans des camps opposés. T’es-tu résolue à l’affronter en tant qu’ennemie ? »
« Je ne veux pas me battre contre elle. »
Je savais que j’avais l’air indécis. Anjie soupira et me lança un regard triste.
« La reine Mylène n’est pas aussi douce que tu sembles le croire », prévient Anjie. « N’oublie pas : elle est une adversaire redoutable. »
Mes relations avec la reine étaient tendues, et on aurait dit que c’était arrivé en un clin d’œil. Si l’on en croit les mises en garde d’Anjie, tôt ou tard, nous serions des rivaux politiques.
« Je ne sais pas. Est-ce que c’est vraiment comme ça que les choses doivent se passer ? Ne peux-tu pas trouver un moyen de résoudre tout cela pacifiquement, Anjie ? » avais-je demandé, en plaisantant à moitié.
Anjie s’était empressée de prendre de l’eau du lac et de m’éclabousser en plein visage. Un sourire se dessina sur ses lèvres, mais les émotions qui se reflétaient dans ses yeux n’étaient pas vraiment réjouissantes. L’agacement. Colère. « Me demandes-tu vraiment de m’occuper d’une autre femme à ta place ? »
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Partie 3
Pendant que Léon et ses fiancées s’amusaient à visiter le territoire des Frazer, la Licorne s’était rendue dans la baronnie de Bartfort, avait récupéré les précieux orbes qui y étaient entreposés et s’était dirigée vers l’un des petits États-nations participant au Concordat de défense armée. À peine la Licorne avait-elle touché le port qu’elle se retrouva entourée de chevaliers pilotant des armures.
Jilk traversa l’intimidante équipe de sécurité qui les accueillit. Greg et Chris le suivaient de près, ne cherchant pas à cacher leur mine renfrognée.
« Pourriez-vous tous les deux prendre cela un peu plus au sérieux ? » demanda Jilk en leur jetant un coup d’œil. « Cette négociation est d’une extrême importance. L’avenir du royaume est en jeu. »
Chris souffla et tourna la tête. « Je comprends, mais en quoi cela implique-t-il de nous traiter comme tes subordonnés ? Je dois dire que Léon a pris la mauvaise décision sur ce point. »
« Pire encore, tu nous as entraînés dans ce petit bout de rien du tout douteux que les gens d’ici appellent un pays. » Greg croisa les mains derrière la tête en balayant la région du regard. « Même si tu parvenais à convaincre une nation aussi mineure de changer de camp, ça ne changerait rien. »
Jilk sourit d’un air entendu. « Nous recherchons un effet d’entraînement. Cela dit, je dois te remercier pour le bon déroulement des pourparlers jusqu’à présent, Brad. »
Brad marchait à côté de Jilk avec une expression tendue. Étant né dans l’un des territoires frontaliers du royaume, il avait des liens naturels avec les autres maisons nobles qui défendaient les frontières de Hohlfahrt. Jilk s’en était servi pour organiser cette rencontre avec l’ennemi.
« Malheureusement, je n’ai aucun lien personnel avec ce pays », rappela Brad à Jilk. « Alors, s’il te plaît, ne suppose pas que ces discussions se dérouleront favorablement simplement parce que nous sommes arrivés jusqu’ici. »
« Oh, je n’en attends pas tant. »
« Tu n’en attends pas autant !? », s’emporta Brad. « Tu le dis comme si tu n’avais pas confiance en moi ! C’est exaspérant ! » Il était un fouillis de contradictions, il ne voulait pas que Jilk se fie trop à lui, mais être entièrement écarté était une grave offense.
« Ton heure viendra lorsque nous nous rendrons dans le duché de Fanoss pour y mener des négociations, » déclara Jilk.
« Fanoss ? Tu veux parler à Hertrude ? Mais c’est… » Brad s’était interrompu. Son visage se crispa, il avait du mal à se réjouir d’un tel obstacle.
« Il y a de fortes chances qu’ils se retournent contre nous, bien sûr, mais nous pourrions être surpris. Qui sait ? Ils seront peut-être prêts à nous prêter main-forte. » Le visage de Jilk respirait la confiance.
« Pourquoi penses-tu cela ? » demanda Brad en le regardant avec méfiance.
Jilk garda les yeux fixés droit devant lui et modéra son expression. « Oh, quand le moment sera venu, tu verras. »
☆☆☆
Pendant la réunion, Jilk demanda à ses camarades de rester en retrait pendant qu’il discutait personnellement avec l’un des ministres du pays mineur. Ils ne menaient pas ces négociations dans la salle d’audience du roi afin de se débarrasser d’emblée des affaires les plus fastidieuses.
Ce ministre accueillait généralement les diplomates Hohlfahrtiens d’un air modeste, mais étant donné l’avantage dont jouissait actuellement leur nation dans le cadre du Concordat de défense armée, il se prélassait sur le canapé d’en face, adossé aux coussins et débordant d’assurance.
« Je n’aurais jamais imaginé que Hohlfahrt enverrait quatre enfants pour nous rencontrer. De plus, j’ai cru comprendre que vous aviez été désavoués par vos maisons pour débauche. »
On ne s’attendait pas vraiment à ces coups de gueule, et Jilk les accueillit avec un sourire. « Vous savez certainement comment frapper un homme là où ça fait mal. »
« Alors ? Comment comptez-vous nous tenter cette fois-ci ? Le dernier ambassadeur qui a essayé d’acheter notre allégeance a proposé une somme exorbitante. »
C’est précisément ce que Jilk avait prévu. Cette minuscule nation avait rejeté l’offre, car elle prévoyait de s’enrichir en pillant Hohlfahrt une fois qu’elle l’aurait envahi. Aussi « exorbitante » qu’ait été l’offre de Hohlfahrt, elle ne serait qu’une bouchée de pain comparée à ce qu’ils pourraient voler. Du moins, c’est ce qu’ils sous-entendaient.
Jilk écarta les moqueries du ministre et garda un sourire désinvolte. Chaque chose en son temps, pensa-t-il. Une menace.
« Je suis venu vous informer que lorsque la guerre commencera, mon seigneur-lige — le duc Léon Fou Bartfort, donc — a l’intention d’anéantir votre nation en premier. »
Les yeux du ministre s’étaient écarquillés. Il cligna des yeux plusieurs fois, incrédule. Le simple fait de suggérer que le chevalier-ordure avait l’intention d’envahir et de détruire sa minuscule nation avait complètement brisé son sang-froid.
« Haha, vous devez bluffer », dit-il d’une voix tremblante. « Votre seigneur va forcément commencer par Rachel, ou par l’un des autres grands pays. Non, même avant cela, il devra s’occuper des envahisseurs qui parviendront à passer vos frontières. »
Bien que le ministre se soit empressé d’interpeller Jilk sur son intimidation, l’homme était encore ébranlé. La possibilité était trop terrifiante pour être écartée, même lorsqu’il essayait.
Jilk hocha la tête pendant que le ministre parlait, puis reprit son expression, le sourire s’évanouissant, lorsque l’homme eut terminé. « Mon seigneur a une phrase qu’il aime répéter : “Quand tu t’attaques à un ennemi, tu dois commencer par briser son maillon le plus faible”. Bien sûr, il fait souvent précéder cette phrase du fait qu’il préférerait ne pas avoir à détruire qui que ce soit, mais les circonstances étant ce qu’elles sont, il n’a pas vraiment le choix. Une fois que le combat a commencé, mon seigneur n’est pas du genre à laisser des choses en suspens. »
Une sueur froide s’était répandue sur le visage du ministre.
Jilk claqua des doigts. Se renfrognant, Greg s’approcha avec une boîte dans les bras, qu’il déposa sur la table. Le ministre et les autres bureaucrates étaient si troublés qu’ils n’essayèrent même pas de lui ordonner d’arrêter. Jilk déplia le couvercle fermé pour révéler un orbe blanc brillant à l’intérieur.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda le ministre. Les autres fonctionnaires étaient tout aussi perplexes.
« Il s’agit d’un orbe précieux, que mon seigneur a récupéré lors de ses batailles dans la République d’Alzer », expliqua Jilk. « N’avez-vous jamais entendu parler de ces objets ? Ils possèdent autant de pouvoir magique qu’une douzaine de pierres magiques. Si vous en réclamiez une, vous n’auriez jamais à vous inquiéter d’un déficit d’énergie. »
Son objectif était double : dépeindre le déchaînement de Léon à travers la République d’Alzer tout en les tentant avec un prix prometteur. Les regards du ministre et de ses fonctionnaires étaient uniformément rivés sur l’orbe.
« Il s’agit donc d’un de ces orbes précieux dont nous avons tant entendu parler… ! »
« Si vous acceptez de renoncer au Concordat ici et maintenant », poursuit Jilk, « cet orbe est à vous. Refusez, et vous inviterez votre propre destruction, car une fois la guerre commencée, mon seigneur enverra son dirigeable directement à votre porte. »
Les bureaucrates se pincèrent les lèvres. Le ministre, quant à lui, ferma les yeux et se pinça l’arête du nez.
☆☆☆
Après avoir mené à bien leurs négociations avec cette nation, Jilk et ses compagnons étaient retournés à la Licorne. Ils s’étaient rassemblés dans la salle à manger, se pressant autour de l’une des tables en réfléchissant avec allégresse à leur accomplissement.
« Je n’arrive pas à croire que tu aies réussi à les convaincre là où les diplomates du royaume ont échoué. » Chris secoua la tête. Il était véritablement impressionné par les capacités de persuasion de Jilk.
« C’est parce que nous sommes montés sur le navire jumeau de l’Einhorn et que nous avons directement employé le nom de Léon », expliqua Jilk avec un sourire satisfait. « Nos diplomates ne peuvent pas faire référence au duc avec autant de désinvolture. De plus, nous avons offert ce précieux orbe en guise de pot-de-vin. »
Dans l’esprit de Jilk, le succès était acquis.
Brad plissa les yeux. « En gros, tu as utilisé son nom pour les menacer, alors bien sûr, ils ont cédé. Cela mis à part, je suppose que tu as l’intention de continuer comme ça ? Distribuer de précieux orbes au reste de nos ennemis ? »
« Pourquoi ferais-je une chose pareille ? » Jilk inclina la tête, les sourcils froncés. « Ces orbes sont une ressource précieuse. »
« Hein ? Alors comment allons-nous mettre le Concordat de défense armée à genoux ? »
Jilk poussa un long soupir et se passa une main sur le front en secouant la tête. « Pas en gaspillant notre monnaie d’échange de façon aussi imprudente. Nous ne distribuerons ces orbes qu’à trois pays. Après cela, il nous suffira de répandre la nouvelle que certains pays ont changé de camp, puis les autres suivront naturellement. »
« Je suppose que c’est toi l’expert quand il s’agit de ce genre de choses. » Greg avait l’air déconcerté en se grattant le cou. C’était techniquement un compliment, mais il était miné par l’air irrité qu’il arborait. En fait, ce n’était probablement pas du tout un compliment.
Jilk n’y prêta pas attention. « Oh, s’il te plaît, tu n’as pas besoin de me flatter ainsi », dit-il. « De toute façon, nous devrons visiter quelques nations supplémentaires avant de nous rendre à la maison Fanoss. »
Brad hocha la tête plusieurs fois. « Très bien. Je vais informer ma maison de nos projets. »
Creare observa avec grand intérêt les quatre hommes s’affaler dans leur siège, soulagés que leur première négociation soit terminée. Son regard perçant sembla ébranler Jilk, qui se décala pour lui jeter un coup d’œil.
« Quelque chose ne va pas, Mlle Creare ? » demanda-t-il, toujours en gentleman — ce qui était quelque peu inutile lorsqu’il s’agissait d’une IA.
« Tu n’es qu’une ordure, » dit-elle. « Mais au moins, tu es utile. Je me demandais si je pouvais t’utiliser pour mes expériences après que tu aies manipulé le Maître, mais comme ce petit séjour a été couronné de succès, j’ai décidé de te pardonner. »
« Ah ha ha, eh bien, merci… » Jilk s’était interrompu alors que les implications de ses paroles se faisaient sentir. « Attends, tu as dit “expériences” ? »
Sa première réaction avait été automatique, il était habitué aux IA et à leurs remarques sarcastiques et pleines d’esprit. Mais il ne pouvait pas ignorer la suggestion d’un certain avenir sinistre.
D’un air un peu trop joyeux, Creare expliqua : « Depuis que j’ai perfectionné ma capacité à changer de sexe, j’ai terminé les préparatifs pour la prochaine étape de mes expériences. C’est un peu dommage que je ne puisse pas t’utiliser. Mais bon. Je suis au moins contente que tu sois sur la bonne voie pour atteindre les objectifs du maître. »
Les garçons avaient blanchi face à son explication étrangement enthousiaste. Cela leur donna une nouvelle et horrible raison de réfléchir. Qu’avait-elle prévu de leur faire s’ils échouaient… ?
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Chapitre 5 : La représentante de la maison Fanoss
Partie 1
Une fois qu’ils eurent reçu un accord officiel pour se rencontrer, Jilk et son groupe se rendirent au château des Fanoss, où une représentante, Hertrude Sera Fanoss, les reçut. Ses longs cheveux noirs lustrés et sa peau de porcelaine la distinguaient naturellement, mais son trait le plus distinctif était ses yeux rouge rubis, de la même teinte que ceux d’Anjie.
Hertrude semblait plus mûre que lors de leur dernière rencontre. Autrefois princesse d’une nation, elle était devenue chef d’une maison noble, supervisant le duché de sa famille en tant que dirigeante officielle de la maison Fanoss. Comme pour montrer qu’elle était devenue une femme, elle portait une robe noire chic qui mettait en valeur sa silhouette mince.
« Qu’est-ce que le duc Bartfort veut à la maison Fanoss ? » demanda Hertrude.
Ils se trouvaient dans la salle d’audience du château. Elle était assise sur ce qui avait été le trône de sa lignée royale, penchée sur le côté, le coude placé sur l’accoudoir. Ce n’était certainement pas une posture correcte. Rien que cela en disait long sur sa position à l’égard de leur visite : En bref, ils n’étaient pas les bienvenus.
Jilk leva les mains. « Ma Dame, nous venons à la demande du royaume de Hohlfahrt — ! »
« C’est un mensonge comme je n’en ai jamais entendu avant », l’interrompit-elle, pas du tout convaincue que Jilk soit ici au nom du gouvernement du royaume ou même de la famille royale.
Un certain nombre d’aristocrates du duché étaient également présents, ainsi qu’un surveillant qui avait été officiellement posté là par le royaume. Son rôle était de surveiller la maison Fanoss après sa défaite lors de la dernière guerre. À en juger par l’expression de son visage, l’homme ne semblait pas particulièrement à l’aise dans son rôle. Il était impossible de savoir quand la maison Fanoss déciderait de trahir Hohlfahrt. Pendant tout ce temps, le surveillant s’était montré arrogant avec son chef, il était donc probablement nerveux, se demandant quand il serait littéralement poignardé dans le dos.
« Je souhaite leur parler seul à seul. » Hertrude leva la main droite pour écarter ceux qui s’étaient rassemblés. « Vous autres. Laissez-nous. »
« Un instant ! » s’écria le surveillant. « Vous ne pouvez pas faire une telle — ! »
« J’ai dit, partez. »
Alors que le surveillant tenait autrefois la laisse, c’est Hertrude qui menait la danse. Les aristocrates de Fanoss s’étaient empressés d’attraper l’homme et de le traîner vers la sortie. Quelques nobles — des fidèles d’Hertrude qui s’inquiétaient de la laisser seule avec une compagnie d’hommes — proposèrent de rester, mais elle refusa.
Bientôt, les quatre ex-nobles de Hohlfahrt furent les seuls à rester dans la salle d’audience. Enfin, Hertrude ajusta sa posture et s’assit bien droite sur le trône.
« Je suis heureuse que vous soyez arrivé jusqu’ici. Si vous étiez arrivé plus tard, j’avais l’intention de me rendre moi-même chez le duc. » Cette fois, Hertrude souriait, alors que son attitude était aux antipodes de ce qu’elle était quelques instants plus tôt.
Jilk fut décontenancé, mais il fit de son mieux pour calmer son expression. « Alors, est-ce que j’ai raison de supposer que vous vous réjouissez de notre arrivée ? »
« Bien sûr. Même si je dois admettre que beaucoup de mes concitoyens, nobles comme roturiers, sont impatients de rembourser la rancune qu’ils vouent depuis des décennies au royaume de Hohlfahrt. Cependant, j’ai le plus grand respect pour les capacités du duc. » Ses yeux s’étaient rétrécis, son sourire en coin cachant quelque chose de plus profond —, et de potentiellement insidieux.
Jilk cacha son malaise du mieux qu’il put. Après la façon dont elle avait expulsé le surveillant, on pouvait dire qu’elle était devenue une véritable chef. Il sentait que cela affaiblissait leur position dans les négociations, mais il n’avait pas d’autre choix que d’aller jusqu’au bout.
« Dans ce cas, puis-je solliciter votre coopération ? » demanda Jilk.
« Pensez-vous vraiment que je vais simplement danser sur n’importe quel air que vous jouerez ? » demanda Hertrude. « J’ai reçu une lettre du Saint Royaume de Rachel nous demandant de nous joindre à leur Concordat de défense armée. Les conditions de notre acceptation sont favorables. Beaucoup de mes vassaux soutiennent cette démarche. »
« Comme c’est troublant. Si nous pouvons vous offrir quelque chose pour vous faire changer d’avis, parlez librement. Nous ferons tout notre possible pour vous satisfaire, tant que cela est en notre pouvoir. »
Hertrude croisa les bras sur sa poitrine et leva le menton pour fixer Jilk et ses compagnons du bout du nez. Son trône était déjà bien élevé, ce qui signifiait qu’ils devaient se pencher pour la regarder.
« Si vous souhaitez ma coopération », dit Hertrude, « Alors je vous demande une garantie d’indépendance vis-à-vis du royaume de Hohlfahrt. Nous aurons également besoin d’une aide financière et de renforts militaires. Voyons voir… Et si vous nous fournissiez trois navires de la même marque et du même modèle que l’Einhorn, ainsi qu’au moins une centaine de navires de guerre standard. Bien sûr, je m’attends également à des envois de fournitures en plus de cela. »
« Assez joué, » s’était emporté Brad, incapable de garder le silence face à la liste de conditions ridicules de la jeune femme.
Hertrude continua de sourire. Ses doigts effleurèrent ses lèvres peintes en rouge, et elle gloussa. « Dans ce cas, préférez-vous que nous soyons votre ennemi ? Bien que si la Maison Field est obligée de se concentrer sur l’occupation de Fanoss, je crains qu’elle ne soit pas en mesure de soutenir qui que ce soit d’autre. »
« Argh ! » Brad grogna et déglutit difficilement, incapable d’argumenter sur ce point.
Hertrude tourna à nouveau son regard vers Jilk. « Eh bien, qu’est-ce que ce sera ? Cela me semble être un petit prix à payer pour garantir notre amitié. »
« Vous plaisantez sûrement », dit Jilk en haussant les épaules. « Si j’accédais à ces demandes, Fanoss nous déclarerait sa propre guerre à la prochaine occasion. Même si vous essayiez de les dissuader en tant que chef de votre maison, je doute que votre noblesse recule. »
« C’est vrai », déclara Hertrude.
« Alors vous n’essaierez même pas de le nier. »
« J’essaie simplement de respecter les opinions de mes vassaux. Personnellement, si nous n’avons aucun espoir de gagner un jour un combat contre Hohlfahrt, je préférerais me concentrer sur notre développement intérieur. »
Ses paroles furent un grand soulagement pour Jilk. « Dans ce cas, » dit-il, « allez-vous nous donner votre parole que Fanoss ne rejoindra pas Rachel et ses alliés ? »
Hertrude sourit à nouveau, mais cette fois-ci, c’était manifestement forcé. « Il semblerait que vous distribuiez volontiers des orbes précieux en parcourant toutes ces petites nations. En avez-vous également préparé un pour Fanoss ? »
« Ce sont des ressources extrêmement précieuses, j’en ai peur, et nous n’en avons plus. »
« Quel dommage ! » Le sourire n’avait jamais quitté le visage d’Hertrude. « À propos, certains des nobles qui gardent vos frontières nous ont tendu la main. Il semblerait qu’ils soient déjà bien avancés dans les négociations avec Rachel. »
L’expression de Jilk ne trahissait aucune émotion à la suite de cette nouvelle, mais il n’en allait pas de même pour ses compagnons : Greg et Chris étaient visiblement ébranlés. Le premier portait toujours ses émotions sur sa manche, il pouvait donc difficilement cacher ce qu’il ressentait. Chris, quant à lui, était trop peu habitué aux discussions diplomatiques pour savoir ce qu’il en était.
Hertrude grimaça en s’imprégnant de leurs expressions. Lorsqu’elle reporta son attention sur Jilk, cependant, son visage était dépourvu de toute émotion. « C’est plutôt naïf, voire insensible, de demander à quelqu’un de se joindre à vous en ne lui offrant rien en retour. N’êtes-vous pas d’accord ? »
Après une longue pause, Jilk déclara : « Nous allons nous hâter de récupérer un orbe précieux pour Fanoss. »
« Un seul ne suffira pas. J’en veux au moins trois. De plus, j’exige la restitution de tous les navires de guerre confisqués chez nous. Et pendant que nous y sommes… J’aimerais que vous fassiez renvoyer tous les surveillants de nos terres. »
« Malheureusement, il ne me reste vraiment que deux orbes », déclara Jilk en se grattant la joue. « De plus, c’est le palais qui a confisqué ces navires. Je ne peux pas les rendre sans leur accord. Les surveillants ne font pas non plus partie de ma juri — ! »
Hertrude souffla. « Vous voyez ? Je savais que le duc Bartfort agissait de son propre chef. »
Jilk ferma la bouche. En effet, il avait donné le change et révélé qu’ils n’agissaient pas avec la permission du royaume. Ses camarades étaient également ébranlés. Il semblait que leurs négociations aient échoué.
« Bon d’accord. » Hertrude pressa une main sur sa bouche pour cacher son hilarité. « Fanoss accepte de ne pas rejoindre le royaume de Rachel, à condition que vous nous donniez les deux orbes restants. Cependant, une fois cette guerre terminée, j’attends que quelque chose soit fait concernant le retour de nos vaisseaux de guerre et le renvoi de ces surveillants. »
« En êtes-vous certaine ? Il n’y a aucune garantie que nous honorerons une telle promesse », prévint Jilk. Il était encore sous le choc de son brusque changement d’attitude.
Hertrude s’adossa au trône et contempla le plafond. « Je connais le duc, et je suis sûre qu’il honorera ces promesses…, » murmura-t-elle. « Et aussi, n’oubliez pas de transmettre mes amitiés à la fausse sainte, d’accord ? »
Jilk acquiesça fermement. « Bien sûr. Je ne manquerai pas de le faire. »
« Bien. Alors j’ai une dernière chose pour vous. Un cadeau pour le duc, si l’on peut dire. »
Sur ce, Hertrude offrit aux garçons une nouvelle information fascinante.
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