Le Monde dans un Jeu Vidéo Otome est difficile pour la Populace – Tome 11
Table des matières
- Prologue : Partie 1
- Prologue : Partie 2
- Prologue : Partie 3
- Chapitre 1 : À la frontière : Partie 1
- Chapitre 1 : À la frontière : Partie 2
- Chapitre 1 : À la frontière : Partie 3
- Chapitre 2 : La maison Frazer : Partie 1
- Chapitre 2 : La maison Frazer : Partie 2
- Chapitre 3 : Les manigances de Mylène : Partie 1
- Chapitre 3 : Les manigances de Mylène : Partie 2
- Chapitre 3 : Les manigances de Mylène : Partie 3
- Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence : Partie 1
- Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence : Partie 2
- Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence : Partie 3
- Chapitre 5 : La représentante de la maison Fanoss : Partie 1
- Chapitre 5 : La représentante de la maison Fanoss : Partie 2
- Chapitre 5 : La représentante de la maison Fanoss : Partie 3
- Chapitre 6 : La petite sœur perdue depuis longtemps : Partie 1
- Chapitre 6 : La petite sœur perdue depuis longtemps : Partie 2
- Chapitre 7 : Le coureur de jupons : Partie 1
- Chapitre 7 : Le coureur de jupons : Partie 2
- Chapitre 8 : Attrape-les avant qu’ils ne t’attrapent : Partie 1
- Chapitre 8 : Attrape-les avant qu’ils ne t’attrapent : Partie 2
- Chapitre 8 : Attrape-les avant qu’ils ne t’attrapent : Partie 3
- Chapitre 9 : La baleine blanche : Partie 1
- Chapitre 9 : La baleine blanche : Partie 2
- Chapitre 9 : La baleine blanche : Partie 3
- Chapitre 9 : La baleine blanche : Partie 4
- Chapitre 9 : La baleine blanche : Partie 5
- Chapitre 9 : La baleine blanche : Partie 6
- Chapitre 10 : La ville submergée : Partie 1
- Chapitre 10 : La ville submergée : Partie 2
- Chapitre 10 : La ville submergée : Partie 3
- Chapitre 11 : La stratégie secrète de Roland : Partie 1
- Chapitre 11 : La stratégie secrète de Roland : Partie 2
- Chapitre 11 : La stratégie secrète de Roland : Partie 3
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Prologue
Partie 1
Un nombre croissant d’élèves étaient à la fois anxieux et excités à l’idée des prochaines vacances d’été à l’académie. Certains prévoyaient d’inviter leurs nouveaux camarades de classe chez eux. D’autres avaient déjà prévu de voyager pendant les vacances. Et d’autres encore n’avaient pas eu d’autre choix, pour diverses raisons, que de se lancer à corps perdu dans leur activité secondaire et de plonger dans le donjon situé sous la capitale. Il semblait que tout le monde vibrait d’impatience en fantasmant sur leur temps libre à venir.
Quant à moi, Léon Fou Bartfort, je devais être privé de ce luxe. Même si j’étais encore étudiant, j’étais aussi un duc pleinement reconnu. (Veuillez noter que ce rang m’avait été conféré entièrement contre ma volonté).
De plus, je méritais au moins un peu de sympathie pour mon sort ! Alors que d’autres étudiants passaient leurs vacances à s’amuser, on m’avait volé ce droit. Au lieu de cela, on m’obligeait à faire de la politique.
Par exemple, imaginez-moi en train de me préparer à me rendre au palais royal en enfilant un uniforme de chevalier avec mes multiples décorations de service. Devant un miroir vertical, j’avais longuement regardé la mine renfrognée que j’avais sur le visage.
« Pour qui se prend ce salaud de Roland pour me convoquer ainsi ? » soufflai-je. Je n’étais allé déterrer ce vieil uniforme que parce que le roi de notre pays, Roland Rapha Hohlfahrt, avait exigé ma présence au palais royal — sans se soucier d’ailleurs, comme d’habitude, de savoir si j’avais des projets. J’avais compris qu’il n’y avait rien de bon à bouder, mais je n’avais pas pu m’en empêcher.
« Tu sais exactement qui il est », dit Livia en épinglant mes médailles à mon uniforme. « C’est le roi de notre nation. » Elle avait eu la gentillesse de m’aider à me préparer, son visage ne trahissant jamais d’émotion. Même si elle savait que je ne faisais que me défouler, elle répondait fidèlement à mes jérémiades rhétoriques.
« Si c’est le roi, alors il devrait être plus respectable », avais-je dit.
« Eh bien, je ne peux pas dire le contraire. » Livia força un sourire, d’accord tacitement avec moi.
Notre roi était discrètement connu sous un certain nombre d’épithètes cinglantes : Roi clown, bon à rien, salaud et coureur de jupons. Les aristocrates nourrissaient un dédain particulier à son égard. S’il avait été un roi digne de ce nom, il aurait eu bien plus de respect de la part de la noblesse, qui n’aurait eu aucun mal à lui jurer fidélité. Au lieu de cela, Roland confiait ses fonctions à sa femme et reine, Mylène Rapha Hohlfahrt, pendant qu’il se faufilait dans la ville pour chasser toutes les jupes en vue. Il était impossible de respecter un tel homme.
Mais surtout, Roland était mon plus grand ennemi, sans aucun doute. Ce méprisable crétin était après tout responsable de ma série de promotions non désirées — toutes accordées au nom de la pure méchanceté. Si elles avaient été le fruit d’un malentendu, j’aurais pu me résoudre à lui pardonner, mais il m’avait fait ça en sachant que je ne voulais pas de cette reconnaissance. Il était tout à fait méprisable.
Livia fit une pause pour inspecter les médailles qu’elle avait attachées à mon uniforme avant de hocher la tête pour elle-même. « Très bien. C’est terminé, Monsieur Léon. Tu as l’air incroyable. »
« On dit que les vêtements font l’homme. » J’avais haussé les épaules. « C’est normal que je sois élégant dans un uniforme. »
Livia fit la grimace et soupira. « Tu pourrais prendre un compliment au pied de la lettre de temps en temps. »
J’avais inspecté mon reflet dans le miroir. Grâce à Livia, j’avais au moins la tête de l’emploi. Le changement s’était fait beaucoup plus rapidement avec son aide.
« Tu m’as fait une énorme faveur, pour de vrai. C’est un travail difficile de rentrer dans ce truc, avec toutes ses cloches et ses sifflets. »
« C’est parce que tu ne portes jamais de tenues formelles. J’ai l’impression de toujours te voir en pantalon et en tee-shirt. »
« C’est comme ça que j’ai été élevé. »
Les sourcils de Livia se froncèrent. « Tous les autres membres de ta famille s’habillent de façon appropriée à leur poste et ont l’air bien soignés. Je pense que c’est plutôt un problème personnel. »
Livia avait été plus dure avec moi ces derniers temps. Non, il n’y avait pas qu’elle — mes autres fiancées avaient-elles aussi cessé trop indulgentes avec moi. Je ne détestais pas cela, pour être clair. Pour le dire franchement, je préférais ça. Cela dit, je ne voulais pas qu’elle pense que j’étais l’unique plouc de la famille.
« Tu n’as pas vu mon frère et mon vieux dans leur élément », avais-je dit. « En été, nous, les hommes de Bartfort, sautons toujours dans le lac, en caleçon seulement. Nous sommes le summum de l’indécence. »
En fait, quand j’étais enfant, j’avais joué dans l’eau à poil. Colin avait fait la même chose l’année dernière, mais compte tenu du nombre de filles qui étaient passées par le domaine familial ces derniers temps, il avait mis des caleçons cette fois-ci.
Jusqu’à présent, Livia était restée imperturbable, mais dès qu’elle entendit cela, le sang lui était monté aux joues. « Je ne peux pas croire que tu fasses une chose pareille, surtout quand tu as des filles dans ta famille. »
J’avais fait une pause pour réfléchir à ses paroles. Il n’y avait que trois filles dans notre famille : Maman, Jenna et Finley. Aucune d’entre elles n’avait jamais semblé particulièrement surprise de nous voir nous déshabiller, et encore moins dérangée par cela.
« Personne ne s’en est soucié », avais-je dit. « De toute façon, nous sommes comme ça. Et tes parents ? »
Toujours en rougissant, Livia répondit : « Je n’ai pas de frères, alors je ne sais pas vraiment. »
C’est malheureux… Ou peut-être que c’est mieux ainsi, en fait ?
Livia porta une main fermée à sa bouche et se racla la gorge, essayant de jouer de son embarras. « Quoi qu’il en soit, tu es prêt à partir maintenant. Tu auras l’air parfaitement noble tant que tu te tairas, alors s’il te plaît, ne parles pas une fois que tu auras pénétré dans la salle du trône. »
Aïe. C’est un peu dur. Elle donnait l’impression que je me gênerais moi-même si je faisais le moindre bruit.
Me sentant tout à coup espiègle, j’avais placé un bras autour de Livia, l’attirant près de moi. « C’est dommage que tu me voies sous un jour aussi triste. Je sais que je suis souvent incompris, mais je pensais sincèrement que tu connaissais le vrai moi. »
Notre nouvelle proximité plongea Livia dans un état de panique. « M-Monsieur Léon ! Tu ne fais que me taquiner, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? » plaida-t-elle.
« Hmm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Livia avait essayé d’échapper à mon emprise, mais ses tentatives étaient faibles. Elle ne se débattait pas vraiment. C’était sans doute en partie parce qu’elle ne voulait pas salir mon uniforme, mais en même temps, je voyais bien qu’elle était beaucoup plus impliquée qu’elle ne le laissait paraître.
Je m’étais penché tout près d’elle. Résignée, Livia cessa de se tortiller et ferma les yeux dans l’expectative. Je lui avais soulevé le menton, prêt à déposer un baiser sur —
« C’est tout simplement parfait ! » s’était écrié quelqu’un, détruisant l’atmosphère romantique. « Continue comme ça ! Oui, comme ça ! J’enregistre chaque seconde, pour que ce moment soit préservé sur pellicule pour toujours, mais ne fais pas attention à moi ! »
Cette voix appartenait à l’IA Creare, bien sûr, qui semblait chroniquement incapable — ou peut-être, plus exactement, refusait catégoriquement — de lire cette foutue ambiance.
Le corps rond et robotique de Creare flottait dans l’air, la lentille bleue en son centre dirigée sur nous, son anneau extérieur s’élargissant et se rétrécissant tour à tour tandis qu’elle ajustait la mise au point tout en filmant.
Dès que Livia entendit Creare, ses yeux s’ouvrirent et son visage devint rouge comme une tomate. Son regard était un mélange d’embarras et de ressentiment. « Eary… » grommela-t-elle.
« Oh là là, c’est trop mignon ! Vous êtes vraiment embarrassés ! »
« Qu’est-ce que tu fais, tu nous espionnes ? », avais-je craqué, tout aussi troublé. « Fous le camp d’ici ! »
« Tu ne peux pas vraiment appeler ça de l’espionnage. Je suis là depuis le début », chanta Creare pour sa défense, sans se sentir le moins du monde coupable de son voyeurisme. Cette absence de conscience faisait qu’elle n’avait pas envie de partir, même quand on le lui demandait. « C’est toi qui as décidé de lui faire un câlin sans crier gare. Je n’ai rien fait de mal. »
« Vous, les IA, vous êtes vraiment des pédants experts, je vous l’accorde », avais-je dit.
« Oh, quel compliment ! »
Rien de ce que je disais ne semblait aboutir, ne serait-ce qu’un peu. Je menais une bataille perdue d’avance.
Si notre moment romantique devait vraiment être conservé sur pellicule pour toujours, je m’étais soudainement senti hésitant. J’avais essayé de m’éloigner de Livia, mais cette fois, son bras s’était enroulé autour de ma taille, m’attirant à nouveau.
« Livia ? Euh… »
Livia appuya son front sur ma poitrine pendant un moment avant de relever le menton. Elle me regarda timidement. Ses bras avaient alors quitté ma taille et elle avait levé les mains pour prendre mes joues. Il aurait été facile de la repousser, mais je m’étais retrouvé impuissant, captivé par ses yeux rosés.
« S’il te plaît, ne commence pas avant de t’arrêter », dit Livia d’un ton hésitant. « Je veux que tu ailles jusqu’au bout. »
« M-mais je…, » J’avais jeté un coup d’œil à Creare, dont la lentille bleue restait braquée sur nous.
« Wow, Liv, quelle audace ! » taquina Creare.
J’avais à moitié envie de la jeter comme un ballon de foot, mais j’avais refoulé ma colère et j’avais plutôt tourné mon regard vers Livia. « Euh, euh… d’accord. »
Nous rougissions tous les deux à ce moment-là, mais je m’étais penché, rapprochant nos lèvres.
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Partie 2
« À quoi pense mon stupide frère !? »
En ce moment même, Marie Fou Lafan était en train de pousser des cris d’orfraie dans le dortoir des filles. Elle était furieuse contre son grand frère — techniquement parlant, son ancien grand frère — qui ne s’était pas présenté à leur réunion. Au lieu de cela, Luxon, le partenaire de Léon, était venu la voir. Son petit corps rond et métallique flottait dans les airs, une seule lentille rouge nichée en son centre.
La voix robotique de Luxon semblait presque exaspérée lorsqu’il déclara : « On peut dire que le maître est moins paresseux ces jours-ci, ce qui, selon certains, est un signe de croissance, mais il prend de l’avance sur certaines choses. À l’heure où nous parlons, il est collé à Olivia comme du mucus, accroché à elle. »
Creare avait fait part de ce petit détail à Luxon, qui s’était empressé de le révéler à Marie. Cela n’avait fait qu’empirer l’humeur de cette dernière. Elle ne s’intéressait absolument pas à la vie amoureuse de son frère.
« Argh, dis au moins colle, pas mucus ! Ça a l’air complètement dégoûtant ! »
« Très bien. Permets-moi de modifier ma déclaration par souci d’exactitude : ils s’embrassent. »
Marie secoua vigoureusement la tête. « Ne me dis pas ce genre de choses ! » s’écria-t-elle.
Bien que ce soit difficile à discerner, Luxon semblait légèrement amusé. « Il est utile d’observer tes réactions à ce genre de choses », nota-t-il d’un ton détaché.
« Tu me prends pour qui, une expérience en cours ? De toute façon, est-ce qu’on va avoir cette discussion même si Grand Frère n’est pas là ? »
À l’origine, Léon et Marie avaient l’intention de discuter et d’exposer leurs plans pour l’avenir, Luxon étant là pour intervenir comme il le faisait toujours. Mais ce n’était manifestement pas le cas, et Marie s’inquiétait des derniers développements.
« Le saint royaume de Rachel a rassemblé un tas de ses voisins pour former une alliance et prévoit de nous envahir, c’est ça ? », lança Marie, qui n’était pas très au courant de tous les détails.
« D’un point de vue général, c’est exact, mais ils n’ont pas encore l’intention d’envahir, » corrigea Luxon.
« Mais ils finiront par le faire. »
« Tout dépend des pourparlers d’aujourd’hui. Le saint royaume de Rachel a envoyé un émissaire au royaume de Hohlfahrt et a demandé une audience avec le roi Roland. Le maître doit également y assister. »
Si un envoyé était ici, Marie comprenait pourquoi Roland avait convoqué Léon. Mais que dirait cet envoyé ? La curiosité avait poussé la noblesse du royaume à affluer vers la capitale sans invitation pour pouvoir l’écouter, impatiente de connaître la suite des événements.
« J’espérais pouvoir parler à Grand Frère avant que toute cette histoire n’arrive, mais ces derniers temps, il est devenu complètement fou de filles. Ce grand dadais. Il n’a pas le droit de critiquer le roi », grommela Marie.
Roland était un infâme coureur de jupons, et Léon le dénigrait presque quotidiennement. Il était donc ironique que Léon se concentre autant sur ses propres relations avec le beau sexe ces derniers temps. Plus précisément, ses trois fiancées.
« Les attentions du Maître ne sont prodiguées qu’aux femmes à qui il est promis — Anjelica, Olivia et Noëlle. Je ne vois aucun inconvénient à cela. »
Marie secoua la tête. « C’est comme s’il y avait mille problèmes à la fois ! Nous sommes à un moment critique, et il est occupé à aller à des rendez-vous, à prendre le thé, et à trouver toutes sortes d’excuses pour éviter de me rencontrer ! » Ses mains s’étaient envolées vers sa tête, serrant son crâne pendant qu’elle agonisait.
Luxon l’étudia, l’anneau central de sa lentille bougeant au fur et à mesure qu’il enregistrait sa réaction. « Te sens-tu peut-être seule ? Comme si ces femmes t’avaient volé ton frère ? »
« Non ! » Marie se redressa et attrapa un coussin qui se trouvait à proximité pour le lancer à Luxon. Il aurait pu facilement esquiver, mais jugeant qu’il ne s’agissait pas d’une menace réelle, Luxon laissa le coussin rebondir sur lui.
« Il est de la plus haute importance que le maître établisse de bonnes relations avec les femmes qu’il a juré d’épouser. En fait, il a été incroyablement négligent sur ce front jusqu’à récemment. »
« Je peux être d’accord avec ça, mais voyons. Ce qui est bizarre, c’est qu’il a trois fiancées. Je veux dire, vu sa personnalité, c’est un peu un miracle, mais quand même. »
Luxon lui lança un regard perçant. « Cela vient d’une femme qui a séduit cinq hommes ? »
« Argh ! » Marie poussa un cri étranglé — et quelque peu adorable — en s’agrippant à sa poitrine. Son visage se contorsionna sous l’effet de l’agonie, et ses genoux se dérobèrent. Elle tremblait là où elle s’effondrait, le sang s’écoulant de son visage. Les mots de Luxon étaient comme un poignard en plein cœur — un poignard qu’elle avait essayé d’utiliser sur Léon et qui s’était enfoncé dans sa poitrine à la place.
« Arrête, » gémit-elle. « Ne le dis pas. Je regrette mes actes, vraiment. Mais… mais… aucun d’entre eux n’essaie de partir ! Je veux plus que tout les libérer, mais aucun d’entre eux ne veut partir ! » Les larmes lui montèrent aux yeux.
Les hommes que Marie avait séduits étaient cinq (ex-) nobles scions et les intérêts amoureux du premier jeu vidéo otome. À un moment donné, elle avait essayé de les renvoyer chez eux. Pour une raison ou une autre, aucun d’entre eux n’avait jugé bon de la quitter.
« Bon, je pense que c’est assez de tes malheurs. Pourquoi ne pas revenir au sujet qui nous occupe ? » proposa Luxon. « Il est vrai que le maître a été distrait ces derniers temps. Il donne trop la priorité à ses fiancées et fait abstraction de tout le reste. » En d’autres termes, Léon était tellement bien placé en ce moment qu’il n’y avait guère de joie à le taquiner.
Marie releva la tête. « Mon frère est un énorme emmerdeur, n’est-ce pas ? Je pensais qu’il se reprenait enfin, mais au lieu de ça, il est devenu imbu de sa personne, et maintenant, il passe son temps à faire les yeux doux à ses filles. Crois-moi, un jour, l’une d’entre elles va le poignarder. En fait, c’est peut-être une bonne chose pour lui. Peut-être qu’alors, il ouvrira enfin les yeux. »
« C’est impossible. »
« Qu’est-ce qui te fait dire ça ? »
« Parce que je protégerai mon maître de tout danger de ce genre. »
Marie l’étudia et fit une grimace. « Tu sais, je commence à penser que tu es la plus grande douleur de toutes. »
« Moi, une douleur ? Cela n’a pas de sens. J’exige une explication en bonne et due forme. »
☆☆☆
La lumière du soleil pénétrait par l’énorme fenêtre de la salle du trône du palais royal. La température de la pièce était contrôlée par magie, mais tant d’aristocrates s’étaient entassés à l’intérieur pour assister à l’audience de l’émissaire avec le roi que l’air était oppressant. Un filet de sueur glissa le long de mon front, mais je l’avais à peine remarqué, trop concentré sur Roland et l’homme qui était venu lui parler.
L’envoyé avait une carrure délicate et était vêtu d’un costume. Sa voix insupportablement théâtrale résonnait dans la salle. Les participants étaient visiblement agacés.
« Son Éminence, le monarque divin du Saint Royaume de Rachel, déplore grandement les circonstances actuelles. Quand on pense que le chevalier-racaille détient un pouvoir aussi illimité, c’est une honte ! Il est la source de tous nos malheurs, il menace non seulement notre sécurité, mais aussi celle de toutes nos nations sœurs ! » Il jeta un coup d’œil vers le bord de la salle où j’écoutais tranquillement sur mon siège. Au même instant, l’attention de tout le monde s’était concentrée sur moi.
L’envoyé gesticula de façon spectaculaire en plaidant sa cause. « Votre Majesté, le roi de Hohlfahrt, je vous en conjure. Si vous êtes vraiment un champion de la paix, n’allez-vous pas confisquer les artefacts disparus du chevalier-racaille et les redistribuer à notre alliance ? »
Je ne savais pas exactement quand j’avais mérité cette épithète peu flatteuse, mais c’était assez agaçant d’apprendre que même les gens de Rachel l’utilisaient pour me désigner. Leur tentative de s’emparer de mes artefacts disparus était également exaspérante. Néanmoins, je m’étais dit qu’il valait mieux écouter ce type jusqu’au bout.
Roland me jeta un coup d’œil. Lorsqu’il comprit que j’allais garder le silence, il sourit d’une oreille à l’autre. Il aimait me voir me tortiller — il aimait voir la grimace amère sur mon visage.
« Oh ? » dit Roland. « En d’autres termes, vous exigez que nous cédions les artefacts disparus du duc à des puissances étrangères ? »
À côté de Roland était assise la reine Mylène. Elle étudiait en silence l’envoyé de Rachel, avec l’air digne que l’on peut attendre d’une femme de son rang. Son regard habituellement chaleureux était devenu d’une froideur arctique, lui donnant un air de reine des glaces. Honnêtement, je n’avais répondu à la maudite convocation de Roland au palais que pour pouvoir voir ce visage.
Ahh, elle est toujours aussi belle, avais-je pensé, avant de me réprimander rapidement. Ce n’était ni le moment ni l’endroit pour fantasmer.
L’envoyé me jeta un autre coup d’œil. Les commissures de ses lèvres se retroussèrent. « Non, je crains que cela ne soit pas suffisant. Nous insistons également pour que vous renonciez à l’Arbre sacré et à sa prêtresse, qu’il a tous deux saisis à la République d’Alzer. »
Des murmures éclatèrent. Les aristocrates s’étaient empressés d’exprimer leur soutien à mon égard.
« La prêtresse est l’une des fiancées du duc. »
« Trop audacieux ! Exiger d’un duc qu’il te remette sa propre future épouse ? »
« Ils ne peuvent même pas faire semblant de négocier ? »
L’un d’entre eux ne laissait transparaître aucune émotion sur son visage — le Duc Redgrave, le père d’Anjie. À ce stade, j’avais essentiellement coupé les ponts avec lui et sa maison. Même si cela ne faisait pas nécessairement de nous des ennemis, nos relations étaient devenues instables. Il semblait peu enclin à m’offrir son soutien, tout comme les autres.
Comme je ne faisais aucun geste pour commenter ces demandes, l’envoyé continua. « En fait, nous proposons que toutes ses fiancées soient réinstallées dans des nations étrangères pour être mises en sécurité. Le chevalier-ordure — oh, pardon, je devrais l’appeler le Seigneur Léon, n’est-ce pas ? — pourra leur rendre visite dans leurs nouvelles résidences. Nous le lui permettons, bien sûr. »
Quel culot ! J’étais resté sans voix, mais à l’intérieur, mon sang bouillonnait. Ils me demandaient de leur remettre absolument tout et de vivre une vie en leur faisant des courbettes dans une soumission abjecte.
Luxon flottait à mon épaule droite, son habituel dispositif d’occultation le gardant caché. Il m’avait parlé suffisamment doucement pour que personne ne puisse l’écouter. « Ils ne semblent pas du tout disposés à négocier. Leur confiance totale en leur victoire m’amène à me demander s’ils n’ont pas une sorte d’arme secrète à portée de main. »
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Partie 3
Le seul atout que nous savions assurement qu’ils possédaient était ces pseudoarmures démoniaques. Rachel avait un groupe d’élite de chevaliers sacrés à qui elle avait implanté des fragments d’une armure démoniaque. En échange de leur vie, ces chevaliers recevaient un immense pouvoir. Ce boost était cependant temporaire, ils utilisaient toute leur force vitale en une seule et glorieuse bataille. Le plus dégoûtant, c’est que ces chevaliers étaient fiers de leur sacrifice.
Cependant, peu importe le nombre de ces pseudoarmures démoniaques qu’ils me lanceraient, elles ne feraient pas le poids face à Luxon. Nous avions déjà affronté des tonnes d’armures démoniaques, et celles de Rachel étaient les plus faibles. Comparées au Brave de Fin — une armure démoniaque entièrement intacte —, elles n’étaient rien de plus que de la chair à canon. Même Luxon les considérait comme une menace nulle. C’est pourquoi il avait émis l’hypothèse d’une autre justification à leur arrogance.
Enfin, j’avais ouvert la bouche pour répondre aux demandes de l’envoyé, mais Mlle Mylène m’avait devancé.
« C’est inutile. » Sa voix était froide — probablement parce que le royaume de Rachel était un ennemi de longue date de son pays d’origine. « Il semble évident que la paix ne vous intéresse pas. »
Les yeux de l’envoyé brillèrent. « Si c’est votre réponse, alors je suppose que vous ne comprenez pas les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez. Le Saint Royaume de Rachel est le principal membre d’une alliance militaire qui encercle entièrement votre nation. Quelle que soit la force que le Seigneur Léon peut mettre en œuvre, il peut difficilement nous affronter sur tous les fronts à la fois. »
Certes, si l’ennemi nous attaquait de tous les côtés simultanément, même Luxon ne pourrait pas nous empêcher de subir des pertes. Mais c’était tout de même l’étendue de la menace. Nous perdrions des gens, certes, mais nous gagnerions quand même.
Le plus gros problème pour moi, ce sont les aristocrates qui protègent nos frontières. Un certain nombre de ceux qui s’étaient précipités vers la capitale pour assister à la visite de l’envoyé étaient également chargés de nous protéger contre ce genre d’invasion. Ces mêmes seigneurs étaient actuellement en proie à des expressions amères.
« Si l’ennemi devait donner suite à une telle attaque, ces seigneurs seraient contraints de défendre seuls leurs régions jusqu’à ce que je puisse arriver pour les aider », déclara Luxon. Il n’avait aucun mal à lire sur leurs visages. « Après tout, le royaume de Hohlfahrt ne serait pas en mesure d’envoyer suffisamment de renforts aux quatre coins de son territoire. »
En d’autres termes, ceux qui devraient défendre nos frontières seraient les plus durement touchés.
« Quelle impressionnante bravade », dit Mademoiselle Mylène. « Mais je postule que Rachel a bien plus peur de nous que nous de vous, étant donné que vous craigniez tellement le pouvoir de notre duc que vous avez cherché une alliance avec des puissances étrangères dans l’espoir de nous intimider. »
Le sourire plaqué sur le visage de l’envoyé se tendit. « Voulez-vous tester cette théorie ? » répliqua-t-il.
« Retourne auprès de vos compatriotes et préparez-vous au combat. »
Sur l’ordre de Mlle Mylène, les rideaux s’étaient fermés sur leur rencontre. L’envoyé de Rachel s’empressa de quitter les lieux. Un flot de bavardages gronda dans la pièce tandis que les nobles se tournaient vers leurs voisins pour discuter de ce qui s’était passé. La cacophonie était la couverture parfaite pour s’assurer que personne n’entende ma conversation avec Luxon.
« Mademoiselle Mylène ne se rend-elle pas compte que nos frontières sont en danger ? Cela me semble terriblement irréfléchi. Il vaudrait mieux réfléchir d’abord à la façon dont ils vont prendre cette nouvelle, non ? »
« Je suis certain qu’elle s’en rend compte », répondit Luxon, l’air confiant. « En fait, je crois qu’elle a délibérément ignoré la question. »
J’avais secoué la tête. « Elle ne ferait jamais quelque chose comme ça. »
« Maître, ta confiance en Mylène découle-t-elle de ta convoitise ? »
« Oh, allez. C’est grossier. Ne dis pas ce genre de choses. »
J’avais jeté un coup d’œil au trône où était assise Mylène. Ses yeux étaient fixés sur moi. D’habitude, elle dégageait cet air adorable et attachant, même lorsqu’elle essayait de le minimiser — mais curieusement, cela avait disparu. Elle m’offrit un faible sourire, mais son expression semblait quelque peu froide.
☆☆☆
Après l’audience avec l’envoyé, l’un des chevaliers du palais me prit à part et m’escortée dans une pièce séparée. Elle était richement meublée, mais le décor privilégiait la fonction à la mode. Le salon de réception du palais était bien plus ostentatoire.
Je m’étais vite rendu compte que j’avais déjà été convoqué ici.
« Oh, je me souviens. Oui, je suis venu ici une tonne de fois. »
Luxon déclara sobrement : « C’est la pièce que nous avons utilisée lorsque tu as accepté le poste de commandant en chef pendant le conflit avec la principauté. »
« Ouep. C’est celle-là. »
Pendant que nous partagions ce court échange, j’avais tourné mon regard vers Mylène, qui avait été celle qui m’avait convoqué ici. Je craignais que mon attitude décontractée ne l’offusque, mais elle souriait comme elle le faisait toujours. Elle était assise sur sa chaise, la main droite en coupe sur sa bouche, se remémorant les mêmes souvenirs.
« Tu as fait un travail magnifique sur ce terrain. Nous nous attendons à ce que tu fasses de même lorsque nous rencontrerons les forces de Rachel. » Le timbre de sa voix était doux, et ses mots étaient polis, mais quelque chose dans sa façon de parler mettait une nouvelle distance entre nous.
Je m’étais gratté l’arrière de la tête maladroitement. « À en juger par la façon dont les choses se sont déroulées avec cet envoyé, je suppose que les pourparlers de paix ne sont plus d’actualité ? »
« Il me semble clair qu’ils n’avaient aucune intention de s’engager un jour de bonne foi avec nous. Ils veulent simplement prétendre qu’ils ont tenté d’intenter un processus pour obtenir la paix et qu’ils n’ont échoué que parce que le royaume d’Hohlfahrt a refusé leurs gestes aimables. »
Oui, parce que leurs demandes avaient été complètement déraisonnables. Je supposais qu’il était logique que, comme le suggérait Mylène, tout cela ne soit que pure prétention et propagande. Cela me paraissait absurde. Il n’en restait pas moins qu’ils avaient envoyé un émissaire pour négocier, et c’était aussi un fait que nous les avions refusés d’emblée. Pour ceux qui n’étaient pas au courant des exigences exactes de Rachel, le royaume de Hohlfahrt pouvait très bien être présenté sous un jour négatif. C’était une pièce pourrie et sournoise. C’est ainsi que va le monde.
« Pour être honnête, je préférerais éviter une guerre à grande échelle si nous pouvons l’éviter », avais-je dit. « S’il y a un moyen de limiter les pertes au minimum, j’aimerais bien connaître ton avis. »
Ma demande de sagesse à la reine l’incita à sourire plus largement, comme si elle avait attendu que j’aborde ce sujet précis. « Parmi les nations voisines, seule Rachel représente une menace importante. En d’autres termes, tant que nous les tiendrons en échec, nous n’aurons que peu de raisons de nous inquiéter du reste de cette alliance. »
Elle n’avait pas tort. En dehors de Rachel, aucun des autres pays de leur alliance n’était assez puissant pour pouvoir lancer une guerre tout seul. La Principauté de Fanoss, que nous avions déjà battue et reconquise, était plus grande que la plupart des nations alignées contre nous.
La maison Fanoss, hein… ?
« Penses-tu que la maison Fanoss rejoindra l’alliance ennemie ? » demandai-je, le doute se frayant un chemin au fond de mon esprit.
Mlle Mylène poussa un petit soupir. « Lorsque la guerre éclatera, il y a de fortes chances qu’ils le fassent. Je ne doute pas une seconde qu’ils préféreront récupérer leur indépendance plutôt que de continuer à se soumettre à notre domination. »
Après avoir perdu contre nous, la maison Fanoss avait été contrainte de payer des réparations substantielles au royaume de Hohlfahrt. Nous pouvions difficilement les considérer comme des alliés. Il y a encore quelques années, nous étions des ennemis acharnés en conflit ouvert. S’ils avaient la possibilité de changer d’allégeance, ils la saisiraient probablement.
Je m’étais pris le menton, tombant en contemplation. « Dans ce cas, devrions-nous simplement prendre d’assaut les frontières de Rachel et les faire tomber, puisqu’ils sont à la tête de toute cette affaire ? »
Les yeux de Mlle Mylène s’étaient écarquillés devant ma proposition extrêmement simple d’esprit. Tout aussi rapidement, ses lèvres avaient laissé place à un sourire éclatant et elle s’était mise à rire. Je m’étais gratté la joue, gêné.
« Je te prie de m’excuser », dit-elle. « C’était tellement simple et direct que je n’ai pas pu m’empêcher d’être amusée. Tu as raison. Je suppose que ce serait une option pour toi. »
La plupart des gens ne pourraient pas faire une chose pareille, même s’ils le voulaient. Luxon était la seule raison pour laquelle j’avais pu proposer quelque chose qui serait autrement si absurde.
Mylène s’était rapidement dégrisée. « Si nous nous débarrassons de Rachel de cette façon, cela ne sera pris que comme une preuve supplémentaire du danger de ton pouvoir. Si cela se produit, il y a de fortes chances que l’empire fasse un geste. »
« L’empire, » répliquai-je pensivement, n’ayant pas imaginé le potentiel de leur intervention avant qu’elle n’en parle.
« Le Saint Empire magique de Vordenoit, pour être plus précis, » déclara Luxon. « Ils sont l’une des nombreuses nations ayant des liens avec le Saint Royaume de Rachel. »
« Exactement, » poursuit Mylène, « et l’Empire est bien plus grand que le royaume de Hohlfahrt. Même la République d’Alzer ne pourrait pas espérer les égaler. »
L’empire était la maison de Finn et de Mia. S’ils nous considéraient comme une menace et lançaient une invasion, nous serions dans une situation encore pire que celle dans laquelle nous nous trouvions déjà. Même s’ils n’envahissaient pas, ils pourraient tirer des ficelles et nous affaiblir indirectement. Si nous ne faisions pas attention, ils pourraient retourner tout le reste du monde contre nous. De plus, l’empire disposait d’une armure démoniaque entièrement fonctionnelle. Nous ne sortirions pas indemnes d’une guerre avec eux, même avec le pouvoir de Luxon. Non… Dans le pire des cas, nous pourrions même perdre.
« Ce serait vraiment dommage de s’en faire un ennemi, n’est-ce pas ? » avais-je demandé, juste pour confirmation.
Mylène acquiesça rapidement. « Oui, ce serait le cas. »
Luxon semblait légèrement agacé par cette ligne de pensée. « Si nous les éliminions tout simplement et d’un seul coup, tout problème potentiel serait instantanément résolu. »
C’était une suggestion peu surprenante, venant de Luxon, mais je n’avais pas l’habitude de blesser des innocents. « Ne plaisante pas avec ça », avais-je dit.
« Si tu es tout à fait honnête, Maître, tu admettrais que tu ne veux même pas détruire Rachel, n’est-ce pas ? Tu es bien trop naïf. »
Nous nous étions regardés l’un et l’autre.
Mylène tapa dans ses mains, attirant à nouveau notre attention sur elle. Elle continua de sourire, en inclinant légèrement la tête. « Compte tenu de ton dégoût pour la bataille, j’ai mis au point une stratégie spéciale, juste pour toi. »
« Une stratégie ? »
Mylène se leva de son siège. La fenêtre derrière elle la projetait en silhouette lumineuse tout en dessinant de longues ombres sur son visage. Cela lui donnait un air sinistre, surtout avec ce sourire.
J’aimerais vraiment qu’elle arrête de faire ça.
« J’aimerais que tu viennes avec Erica et moi chez le marquis Frazer. »
+++
Chapitre 1 : À la frontière
Partie 1
Le trafic des véhicules volant envahissait le port de la capitale, qui se trouvait sur une île flottante juste au-dessus de la capitale elle-même. Les vaisseaux étaient de toutes les formes et de toutes les tailles, tout comme les foules de gens qui se pressaient dans le port.
L’endroit semblait un peu exigu, surtout pour l’homme de cinquante ans qui venait d’arriver, une canne fermement tenue dans sa main gauche. Bien qu’il s’en serve pour marcher, son dos n’est pas voûté, mais bien droit. En fait, l’homme marchait avec une telle détermination et une telle aisance qu’il était difficile d’imaginer qu’il avait vraiment besoin de la canne. On ne pouvait que supposer qu’il s’agissait d’un effet de mode.
L’homme portait un chapeau sur la tête, ainsi qu’une paire de lunettes. Sous le chapeau, ses cheveux gris cendré étaient coiffés en arrière. Il enleva sa veste, la trouvant peut-être un peu chaude. Un sac de voyage était posé à ses pieds, qu’il ramassa rapidement avant d’avancer à grands pas, énergique pour son âge.
L’homme s’appelle Carl. Dans la chaleur étouffante du port, de la sueur s’était formée et avait coulé sur son front, et il avait rétréci les yeux en marmonnant : « Alors, quel genre d’individu est vraiment ce “chevalier-ordure” ? »
Carl avait fait tout le chemin jusqu’au royaume de Hohlfahrt pour déterminer la réponse par lui-même.
Il n’avait fait qu’un petit bout de chemin lorsque Finn était soudain apparu devant lui. Les lèvres de Carl s’étaient instantanément amincies. Ce n’est qu’en voyant Mia, qui accompagnait Finn, que son visage s’était détendu en un sourire. Mais ce sourire n’avait pas duré longtemps. Dès qu’il aperçut les mains de Finn et de Mia jointes l’une à l’autre — pour éviter qu’ils ne soient séparés par la foule affairée — l’humeur de Carl s’altéra.
Finn se renfrogna, pas très content de voir Carl.
Mia était la seule qui semblait véritablement heureuse de leur rencontre. « Tonton ! » s’écria-t-elle en agitant sa main libre avec enthousiasme.
Son expression innocente fit sursauter Carl, qui s’était ressaisi. Toute l’amertume qu’il avait pour Finn s’était évanouie lorsqu’il lui avait souri. « Salut, Mia », dit-il gentiment. « T’en sors-tu bien ? »
« Oui ! » Elle courut vers lui, aussi excitée qu’un chiot qui remue la queue.
Son accueil avait instantanément réchauffé le cœur de Carl. Hélas, ce moment fut vite interrompu.
« Pourquoi es-tu ici, vieil homme ? » demanda Finn.
L’expression de Carl s’était assombrie tandis qu’il jetait un coup d’œil à l’audace de ce garçon. « Tu n’es qu’un sale gosse. Ne sois pas si imbu de ta personne. »
Mia se jeta entre les deux, qui lui étaient tous deux chers. « Vous deux, pas de bagarre ! Mon oncle, ça veut dire que tu ne peux pas traiter Monsieur le Chevalier de “sale gosse”, d’accord ? Et Monsieur le Chevalier, ce n’est pas une façon de traiter mon oncle, pas après qu’il ait fait tout ce chemin pour nous voir. »
« Ah ha ha, je suppose que tu marques un point. Les injures étaient grossières. Je suppose qu’il est plus ou moins un chevalier, après tout », déclara Carl, prompt à s’excuser.
« Il n’y a pas de “plus ou moins”. C’est toi qui m’as adoubé. Et permets-moi d’être parfaitement clair : je suis toujours rancunier. » Finn croisa les bras sur sa poitrine, les lèvres dessinées en une ligne fine et serrée.
Brave avait l’air exaspéré par tout cet échange. Se doutant que cela ne les mènerait nulle part, il reprit : « Alors… votre… euh, je veux dire, M… Votre — euh, je veux dire, M. — pourquoi êtes-vous venu ici ? Je ne pensais pas que vous aviez l’intention de visiter Hohlfahrt. »
Carl jeta un rapide coup d’œil à Mia, puis posa sa main sur sa tête. Elle rayonna lorsqu’il lui caressa les cheveux. D’une voix calme, il dit à Finn et Brave : « Eh bien, je suis juste ici pour vérifier quelques petites choses pour moi-même. C’est tout. »
☆☆☆
Il était déjà plus de trois heures de l’après-midi lorsque j’avais regagné les résidences universitaires. Tout en me débarrassant de l’uniforme encombrant que j’avais porté toute la journée, j’avais parlé avec mes fiancées des événements de la journée.
L’une de mes fiancées était Noëlle Zel Lespinasse, une fille dont les cheveux étaient tirés en une queue de cheval sur le côté — une coiffure unique qui la distinguait. Bien que ses cheveux soient principalement blonds, ils devenaient progressivement roses à la pointe.
« Alors, » dit Noëlle, « Ceux de Rachel ont dit qu’ils voulaient voler tout ce qui est à toi, hein ? Il n’y a pas moyen que quelqu’un se laisse faire et joue le jeu avec ce genre de conditions. » Elle plaça ses mains sur ses hanches, n’essayant même pas de cacher à quel point elle était énervée par les exigences de l’envoyé.
Anjelica Rapha Redgrave — ou Anjie, comme nous l’appelions — croisa les bras sous ses seins généreux et garda un visage impassible. Elle avait l’air tout à fait calme, mais une flamme faisait rage dans ses yeux rouges, indiquant qu’elle était plutôt livide. Elle se tourna vers Noëlle et lui expliqua : « Je suis sûre qu’ils ne sont venus que pour nous faire comprendre qu’ils n’ont pas l’intention de s’engager de bonne foi. Si nous accédions à leurs demandes, ils en profiteraient pour lancer une invasion. Leur attitude condescendante est exaspérante, mais là encore, ils ont toujours été comme ça. »
Apparemment, Rachel avait toujours regardé Hohlfahrt de haut, qu’il s’agisse de paix, de guerre ou de quoi que ce soit d’autre.
J’avais remis ma veste sur un cintre en mettant fin à la conversation sur les exigences de l’envoyé. « Plus important encore, nous avons reçu une demande officielle du palais. Ils disent qu’ils veulent que je me rende sur le territoire de Frazer. »
La mâchoire d’Anjie s’était décrochée en entendant cela, mais elle avait retrouvé son calme tout aussi rapidement. Néanmoins, elle semblait déconcertée. « Ils vont te poster à la frontière avec Rachel ? Ce n’est pas une mauvaise décision, non, mais j’ai du mal à croire que la reine Mylène ait proposé ce plan. De qui viennent ces ordres ? »
Je soupire. « De Mylène. »
Anjie se mit à réfléchir.
À côté d’elle, les sourcils de Livia se froncèrent d’inquiétude en me regardant. « Hum, par Frazer, tu veux dire le marquis Frazer, c’est ça ? »
Le marquis Frazer et sa maison régnaient sur une région limitrophe du saint royaume de Rachel. Ils étaient une branche de la famille royale et, contrairement au duc Redgrave et à sa maison, qui détenaient un territoire sous la forme d’une énorme île flottante, les terres de Frazer étaient situées sur la terre ferme de Hohlfahrt. J’avais entendu dire qu’il possédait également un certain nombre d’îles flottantes, sur lesquelles il avait construit des tours pour renforcer sa défense de la frontière.
Anjie abandonna l’idée de déchiffrer les ordres de Mylène et se tourna vers Livia. Ses yeux se dirigèrent également vers Noëlle, suggérant qu’elle voulait qu’elles soient toutes deux attentives. « La maison Frazer porte le sang de la famille royale. Ils ont défendu notre frontière pendant de nombreuses années, empêchant Rachel de prendre pied sur nos terres. Mais si j’ai bien compris, ils ont souvent du mal à nous protéger des armes secrètes de Rachel. »
Le royaume de Rachel était un ennemi de Hohlfahrt depuis des lustres. Les troupes des Frazer étaient mal équipées pour faire face aux pseudoarmures démoniaques, bien qu’elles y soient parvenues jusqu’à présent. Cependant, ils n’avaient survécu aussi longtemps que grâce au soutien de Hohlfahrt.
« Alors ça veut dire qu’ils nous ont défendus pendant tout ce temps, non ? Ils devraient donc être de bons alliés dans ce combat », supposa Noëlle avec un sourire, l’air soulagé.
Alors qu’elle pensait que nous pouvions compter sur eux, je n’étais pas aussi confiant.
Anjie se passa la main sur le front, inquiète. « C’est vrai, ils ont tenu bon pendant un long moment maintenant, mais ils le doivent à un soutien annuel substantiel de Hohlfahrt. Nous devrions également remercier le pays d’origine de la reine Mylène — le Royaume-Uni de Lepart — puisqu’il se trouve de l’autre côté de Rachel. »
Noëlle acquiesça pensivement en réfléchissant à sa nouvelle compréhension de la situation. « En gros, le fait d’être pris en sandwich entre nous les a tenus en échec. »
« Oui, parce que Rachel en veut aussi au territoire de Lepart. »
Noëlle était retombée dans ses pensées, mais tout aussi rapidement, son visage s’était éclairé d’une idée. Elle hocha la tête à plusieurs reprises. « J’ai trouvé ! S’ils postent Léon à Frazer, Rachel aura beaucoup moins de chances de faire un geste. Pendant ce temps, nous pouvons nous occuper des autres pays de l’alliance. Ouais ! Je parie que ça va jouer en notre faveur. » Elle frappa ses mains l’une contre l’autre pour souligner son point de vue.
Malheureusement, l’expression d’Anjie resta troublée. « Oui, eh bien, je suis sûre que ce n’est pas forcément une mauvaise décision. »
Livia étudia le visage d’Anjie, sentant que quelque chose n’allait pas. « Qu’est-ce qui ne va pas avec le plan ? »
« Pensez-y du point de vue des aristocrates qui protègent le reste de notre frontière. Pour eux, Hohlfahrt a l’air de placer son principal atout militaire à un endroit précis, laissant le reste de nos défenses sans protection similaire. Ils auraient tout aussi bien pu dire à ces aristocrates qu’ils ne peuvent pas s’attendre à recevoir des renforts de la capitale », expliqua Anjie. Son ton suggérait une faible réticence à l’égard de la reine — celle qui avait lancé l’appel.
Ces mêmes maisons avaient subi de terribles pertes lors de la guerre avec l’ancienne principauté de Fanoss. Depuis, elles avaient été entraînées dans de nombreux conflits, qui avaient tous gravement diminué les réserves de l’armée de Hohlfahrt. Ils n’avaient pas regarni leurs rangs. Il n’est pas étonnant que les maisons situées le long de nos frontières se sentent mal à l’aise. Elles savaient qu’elles risquaient fort de ne pas recevoir d’aide appropriée, même si elles en faisaient la demande.
Anjie tourna son regard vers moi, les yeux remplis d’inquiétude. « Il y a un autre problème. En fin de compte, Léon sera probablement obligé de se battre avec Rachel. Si cela se produit, la bataille sera vraiment féroce. »
Livia et Noëlle baissèrent les yeux. Elles avaient probablement déjà envisagé cette possibilité, mais ce n’est que lorsqu’Anjie l’avait dit à voix haute que la réalité frappa. J’avais été touché par leur inquiétude, mais leurs visages sinistres m’avaient aussi laissée déprimé.
« Ne vous inquiétez pas », leur avais-je dit en me grattant l’arrière de la tête. « Mlle Mylène a dit qu’il était peu probable que nous ayons besoin de faire quelque chose comme ça. »
Les visages de Livia et de Noëlle s’illuminèrent. Anjie, elle, avait l’air surprise — comme si elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle entendait.
+++
Partie 2
« Qu’a dit exactement Sa Majesté ? Qu’elle n’a pas l’intention de t’envoyer à l’offensive ? »
« Ouaip. C’est ce qu’elle a dit. N’est-ce pas, Luxon ? » J’avais jeté un coup d’œil à mon partenaire, qui flottait vers mon épaule droite comme d’habitude.
« C’est exact », dit-il. « Mylène a l’intention de poster le Maître à la frontière pour garder le Saint Royaume de Rachel sous contrôle. Elle a précisé qu’elle n’avait pas l’intention d’employer mon pouvoir au nom de leur anéantissement. »
Luxon ne rapporterait pas une conversation de cette importance de façon incorrecte. Sachant cela, Anjie pressa une main sur sa bouche, soudainement agitée. « La patrie de Sa Majesté est confrontée à d’incroyables difficultés depuis de nombreuses années à cause des agressions de Rachel. Je ne peux pas imaginer qu’elle laisserait passer l’occasion de les anéantir, si elle en avait la possibilité. Et pourtant, elle n’a pas l’intention d’utiliser Léon pour y parvenir ? »
« Eh bien, Léon est l’un des favoris de la reine, alors c’est peut-être pour ça », dit Noëlle, déstabilisée par les marmonnements d’Anjie. « Mais je ne suis toujours pas d’accord avec ça. » Elle me lança un regard perturbé, comme pour souligner son mécontentement à l’égard de ma relation intime avec la reine. « Léon n’a pas arrêté de se battre, alors elle doit savoir qu’il est sous le coup d’une lourde charge mentale, n’est-ce pas ? Je parie qu’elle ne veut pas qu’il se surmène. »
Ma main s’était posée sur ma bouche, mes yeux s’embrumant. « Mlle Mylène s’inquiète pour moi ! Oh, je… Je ne sais pas si je peux supporter ça. Je suis tellement touché ! »
Les trois filles m’avaient jeté un regard noir. Enfin, je dis ça, mais une colère palpable émanait d’elles. Noëlle avait été la première à sourire en étudiant mon visage.
« Tu as l’air tellement content. C’est drôle, puisque tu as déjà trois fiancées ici même qui s’inquiètent pour toi. »
Livia m’avait également fixé du regard, bien que toute la lumière ait disparu de ses yeux. « C’est tout simplement parce que Monsieur Léon aime beaucoup Sa Majesté. N’est-ce pas ? »
Anjie avait froncé un sourcil en me regardant, l’expression tendue. « Tu es vraiment un parfait idiot. »
« D-Désolé… », avais-je marmonné faiblement.
Lorsque j’avais détourné le regard, mes yeux s’étaient posés sur Luxon. Il avait l’air tout aussi exaspéré et agitait son œil d’un côté à l’autre. « Et moi qui pensais que tu avais mûri, Maître. Il semble que je me sois complètement trompé. Je suis vraiment abasourdi — comment se fait-il que tu réussisses à répéter les mêmes erreurs ? »
« C’est juste la nature humaine », avais-je dit avec amertume.
« Oh ? Je croyais que c’était dans la nature humaine d’apprendre de ses erreurs et ainsi de les surmonter. »
Oui, eh bien, nous allons devoir nous mettre d’accord sur notre désaccord.
☆☆☆
Erica Rapha Hohlfahrt arriva au palais royal juste au moment où Léon en sortait. Dans sa vie précédente, la première princesse du royaume de Hohlfahrt avait été la fille de Marie, ce qui faisait d’elle la nièce de Léon. Comme son ancienne mère, ses cheveux avaient un volume enviable, et ils rebondissaient lorsqu’elle marchait. Cependant, alors que les cheveux de Marie étaient d’un blond doré, ceux d’Erica étaient d’un noir de corbeau. Sa peau était comme de la soie fine, sans aucune égratignure ni ride, et elle brillait à la lumière.
D’habitude, Erica arborait un sourire agréable et accueillant, mais ses traits habituellement doux s’étaient durcis en quelque chose de beaucoup plus sévère. Devant elle se tenait l’impénétrable reine, qui était la définition même de la sérénité.
Erica avait répondu à la convocation de sa mère, et alors qu’elle se tenait là, elle répéta les mots qu’elle venait d’entendre sortir des propres lèvres de la reine. « Toi et moi allons voyager pour rendre visite à la famille d’Elijah chez eux ? »
Au fond d’elle-même, Erica priait pour avoir mal entendu. Mais ses espoirs avaient été anéantis par la réponse professionnelle de Mylène.
« Oui, c’est ce que j’ai dit. Prépare-toi à notre départ en toute hâte. Selon la façon dont les choses se déroulent, il se peut que nous te fassions rejoindre leur famille plus tôt que prévu. »
Par « rejoindre », Mylène entendait bien sûr qu’Erica se marierait avec la famille Frazer. Erica avait reçu l’éducation due à une princesse, et elle avait aussi à sa disposition les expériences de sa vie précédente. Elle était parfaitement consciente qu’à cette époque, la royauté n’avait pas la liberté de se marier. Cependant, cela restait soudain et difficile à digérer pour elle.
« Même si la guerre est sur le point d’éclater ? » demanda Erica avec incrédulité.
« Parce que la guerre est sur le point d’éclater », corrigea Mylène. « Nous devons montrer à la maison Frazer que nous ne les avons pas abandonnés et que nous ne les abandonnerons pas. »
La maison Frazer se trouvait à la frontière du Saint Royaume, donc en cas de guerre, ils étaient les premiers dans la ligne de mire de Rachel et ils subiraient probablement le plus grand nombre de pertes. Le Royaume de Hohlfahrt devrait s’assurer qu’ils soient bien soutenus, approvisionnés et qu’ils ne soient pas encombrés par d’autres préoccupations pendant qu’ils se battraient. Procéder au mariage d’Erica avec Elijah serait un geste de sincérité de la part de la famille royale.
Le stylo de Mylène dansait sur un document avant de s’arrêter brusquement et de pousser un soupir. Son regard s’était concentré sur sa paperasse pendant tout ce temps, sans jamais jeter un coup d’œil au visage de sa fille. Pour un observateur, Mylène aurait semblé être une piètre excuse pour un parent, mais Erica pouvait lire les émotions de la reine.
Elle se sent coupable de me faire porter le chapeau.
Mylène était encore une mère, après tout. Cela lui faisait mal d’envoyer sa fille à l’endroit où se dérouleraient les pires combats. Peut-être même détestait-elle utiliser sa fille comme un outil politique.
Quoi qu’il en soit, Mylène reporta son attention sur son travail. « Dépêche-toi de faire tes préparatifs. Le duc Bartfort va nous transporter sur les terres des Frazer, nous voyagerons via l’Einhorn et son vaisseau partenaire. »
« Il amène les deux navires ? » demande Erica. Et est-ce qu’elle vient de l’appeler « Duc Bartfort » ? Ne l’ai-je pas toujours entendue l’appeler Léon… ?
Le choix des mots de Mylène montrait clairement qu’elle essayait de tracer une ligne entre eux. Mais Erica était plus troublée par le fait que sa mère ait l’intention de voyager non seulement avec l’Einhorn, mais aussi avec la Licorne.
« Ne devrait-on pas laisser l’un des navires ici, dans la capitale ? » demanda Erica. « Ils représentent le royaume de — ! »
Le regard froid de sa mère lui coupa l’herbe sous le pied, elle ne voulait pas discuter.
« Vas-y », dit Mylène en réitérant son ordre précédent. « Prépare-toi. »
Erica ferma la bouche et sortit rapidement de la pièce. Elle était la fille de sa mère, et elle sentait à la fois l’impatience de sa mère et la panique qui la sous-tendait.
☆☆☆
« Tu prends les deux navires et tu pars pour la frontière ? Hé, qu’en est-il de ton évaluation de l’état de Mia !? »
Après l’école, j’avais appelé Finn dans une salle de classe vide et je l’avais mis au courant de mes projets pour les vacances d’été. J’avais promis de me pencher sur la mystérieuse maladie de Mia, mais il ne semblait pas que je puisse tenir ma parole, pas avec la guerre à l’horizon.
« En vérité, nous avons le même équipement sur le vaisseau principal de Luxon, mais… » J’avais jeté un coup d’œil à mon partenaire. Il était à mon épaule comme d’habitude, mais il était occupé à jeter un coup d’œil à Brave.
« En aucun cas je ne permettrai à une armure démoniaque et à son pilote de monter à bord de mon corps principal. D’ordinaire, je préférerais qu’ils ne mettent pas non plus les pieds sur l’Einhorn ou la Licorne. »
Luxon était une IA construite par les « anciens humains ». Il était donc plutôt aigri à l’égard des armures démoniaques que les nouveaux humains avaient créées. Non, il serait peut-être plus juste de dire qu’il les détestait avec une passion brûlante. Il en allait de même pour les noyaux des armures démoniaques des nouveaux humains.
Brave tendit l’un de ses petits bras et pointa un doigt vers Luxon. « Comme si je pouvais confier Mia, et encore plus mon précieux partenaire, à un tas de ferraille comme toi ! Partenaire, je te jure qu’il prépare quelque chose. »
Pendant qu’ils se lançaient des regards furieux, Finn et moi poussions de gros soupirs. Finn était particulièrement découragé par la tournure des événements.
« Je ne peux pas supporter la bêtise totale du royaume de Rachel. Si Mia perd cette chance d’être soignée pour sa maladie, ce sera sur leur tête. C’est ridicule ! »
Une partie de lui semblait résignée, sachant qu’il ne servait à rien de se plaindre si Hohlfahrt était au bord de la guerre, mais cela ne rendait pas la perte plus facile à supporter. Il était furieux. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Il adorait Mia. L’idée que nous pourrions peut-être la guérir lui avait donné tant d’espoir. Évidemment, il en voudrait au royaume de Rachel d’avoir compromis son traitement. C’est pourquoi j’avais une proposition en tête.
« Dans ce cas, si vous veniez avec nous ? C’est les vacances d’été, après tout », avais-je dit.
« Tu veux que je traîne Mia sur la ligne de front ? » Bien que Finn ait eu l’air incrédule, il avait aussi l’air contemplatif.
Comme Mia et lui étaient des étudiants étrangers, il était fort probable qu’on leur dise de rentrer chez eux si la bagarre devenait trop violente. Mais s’ils laissaient passer la chance d’utiliser ma technologie, il était impossible de savoir s’ils parviendraient à mieux comprendre la maladie de Mia. Même si je savais que je demandais l’impossible, je voulais l’aider si je le pouvais.
Finn laissa échapper un long et lourd soupir. « Très bien. Nous t’accompagnerons. »
« Désolé pour ça. Je ferai tout mon possible pour que vous ne vous retrouviez pas dans le pétrin. » Je ne voulais vraiment pas les déranger davantage.
« Ne t’inquiète pas pour nous. » Finn secoua la tête. « C’est toi qui nous fais une faveur. Plus important, nous avons un invité qui vient de loin, je demanderais à ce qu’on nous permette de l’emmener. Veux-tu bien ? »
« Un invité ? »
Finn fit une grimace. « Eh bien, c’est un peu l’oncle chéri de Mia. Mais en ce qui me concerne, c’est une excuse d’un être humain. »
« Une vraie ordure, hein ? »
J’avais fait une pause pour réfléchir. Si cette personne était une connaissance de Mia, cela signifiait qu’elle était également originaire de l’empire, n’est-ce pas ? Il devait avoir beaucoup d’initiative pour avoir fait tout ce chemin jusqu’à Hohlfahrt. Une initiative audacieuse aussi, compte tenu de toute la violence dont Hohlfahrt avait été le théâtre ces derniers temps.
« Pourquoi ce type est-il venu au royaume ? Est-ce qu’il s’inquiétait pour Mia ? » demandai-je.
« Eh bien, cela en fait partie. »
« Et l’autre partie ? »
« Ce n’est… pas à moi de le dire. Mais je pense qu’il est peu probable qu’il te cause des ennuis. Probablement improbable. »
« Probablement improbable !? » avais-je crié. « Qu’est-ce que tu veux dire par “probablement improbable” ? Qu’est-ce qui ne va pas avec un simple oui ou non !? »
« Tout ce que je peux dire, c’est que c’est la lie de l’humanité et une vraie plaie, mais tant que Mia est dans les parages, il se comportera bien. De cela, tu peux être assuré. »
Son explication n’avait rien fait pour dissiper mes doutes. Au contraire, j’étais maintenant carrément perturbé.
+++
Partie 3
Le port militaire de Hohlfahrt était situé sur une île flottante près de la capitale. Il abritait un certain nombre de navires de guerre, ainsi que des vaisseaux somptueux spécifiquement réservés à l’usage royal. L’Einhorn et son navire jumeau, la Licorne, étaient amarrés aux jetées du port.
Un militaire de haut rang chargé de la surveillance du port se tenait à proximité, examinant les documents contenus dans le gros classeur qu’il tenait entre les mains tout en me jetant des coups d’œil furtifs. L’impressionnante moustache de l’homme dissimulait en partie son air renfrogné.
« D’ordinaire, l’un des navires de la réserve royale serait plus approprié pour ce voyage », déclara l’homme, ses paroles teintées d’une réelle hostilité. « Il ne serait normalement pas acceptable que des personnalités aussi éminentes montent à bord d’un navire comme le vôtre, aussi récent soit-il. Encore moins pour une visite officielle à — ! »
C’est à ce moment-là que je l’avais ignoré. Il avait raison de dire qu’il s’agissait d’une visite officielle. C’est précisément pour cette raison qu’il n’avait pas apprécié que la reine ait choisi d’utiliser l’Einhorn au lieu d’un navire de sa flotte.
« Oui, c’est vraiment dommage, hein », avais-je dit. « Alors, euh, quand est-ce que vous allez finir de charger leurs bagages ? »
« Tsk, un tel mépris pour les paroles des autres. » L’homme fronce les sourcils. Son mécontentement me procura une grande satisfaction.
Mais, comme pour gâcher intentionnellement le moment, Marie et sa brigade d’idiots se promenèrent à ce moment-là dans le port avec leurs propres bagages à la main. Je m’étais fait un devoir de grimacer.
Marie pointa un doigt vers moi et me cria dessus : « Arrête-toi là ! Ne t’avise pas de faire cette tête — comme si notre arrivée t’ennuyait ! »
« “Comme si” ? Je suis purement et simplement agacé. Qu’est-ce que vous faites là, hein ? » Mon regard se porta sur les deux personnes qui se trouvaient derrière elle. Comme d’habitude, Carla et Kyle étaient venus avec leurs propres sacs de voyage. En fait, ils me dérangeaient beaucoup moins que la présence extrêmement malheureuse des cinq anciens rejetons de la noblesse — ou des cinq éternelles pestes, comme je préférais les appeler — qui fermaient la marche.
Brad Fou Field portait dans ses mains une colombe blanche et un lapin, qu’il avait respectivement nommés Rose et Mary. « Léon, nous sommes tes serviteurs — tes subordonnés », expliqua-t-il. « As-tu oublié ? Si notre supérieur se dirige vers la frontière, il va de soi que nous devons le suivre. »
J’aurais été ému par ce sentiment s’il avait émané de n’importe quelle personne à peu près ordinaire. Mais ils étaient tombés des lèvres d’un homme qui berçait ses compagnons animaux comme de petits bébés. Un homme qui, de surcroît, jetait périodiquement des regards prudents à l’ancien prince héritier de Hohlfahrt, qui à son tour regardait lesdits bébés d’un air absolument vorace. Julian voulait-il vraiment manger les animaux de son ami ? De telles protestations de loyauté ne m’avaient guère ému. Au contraire, j’avais été choqué d’apprendre que la ligue des idiots se considérait comme telle.
« Si vous êtes vraiment mes subordonnés, ne devriez-vous pas me traiter avec un peu plus de respect au quotidien ? » avais-je demandé.
Julian s’empressa d’essuyer une vrille de bave sur son menton avant de se tourner vers moi. « S’il te plaît, nous te respectons évidemment. Tout récemment, je t’ai offert des brochettes en guise d’hommage. »
« Quel genre d’hommage est-ce là ? » avais-je crié. « Et écoute, tu es un prince, alors tu ne peux surtout pas servir sous mes ordres. »
Cela semblait être une révélation pour Julian, comme s’il s’était soudain souvenu qu’il n’était, en effet, pas juste un des gars. « Hein ? Oh, je suppose que je ne peux pas. »
Tout ce qu’il avait obtenu pour cette réponse anémique, c’est un regard froid de ma part.
Son frère adoptif, Jilk Fia Mamoria, n’avait pas tardé à prendre sa défense. « L’esprit l’emporte sur la matière. C’est l’état d’esprit qui compte vraiment. Mais en réalité, je suis plus curieux de savoir pourquoi il semble y avoir beaucoup plus de monde dans cette suite qu’on ne pourrait le penser. »
Jilk balaya les environs du regard, observant un groupe de servantes venues servir la reine et la princesse. Elles avaient été rejointes par un certain nombre de chevaliers et de soldats personnels de Sa Majesté. De plus, certaines des cargaisons transportées sur l’Einhorn et la Licorne étaient des armures officiellement commandées par l’armée du royaume de Hohlfahrt. En cas de besoin, elles seraient pilotées par les meilleurs éléments de la garde royale, qui avaient été spécialement sélectionnés pour nous accompagner.
Greg Fou Seberg se gratta la tête, ébouriffant ses cheveux d’un rouge flamboyant en étudiant la zone d’embarquement de la Licorne. Plusieurs chevaliers avaient été postés pour garder la passerelle. « Quoi ? La reine et sa suite font donc route à part ? »
Il était hors de question que je laisse la reine et la princesse monter sur le même navire que ces crétins, quelle que soit la noblesse de leur statut à une époque. « Cela devrait aller de soi. »
Creare était à bord de la Licorne, j’avais donc pensé qu’il n’y aurait pas de problème.
« Dans ce cas, je vais monter avec eux. Allez, vous deux ! » Marie se précipita vers la Licorne avec Kyle et Carla à sa suite. Elle voulait sans doute passer du temps avec Erica.
L’un des gardes l’arrêta sur la passerelle. « Nous ne pouvons pas vous permettre d’embarquer. »
« Pourquoi pas ? »
Pendant que Marie discutait avec le chevalier, Chris Fia Arclight se tourna vers moi. « Léon, j’ai entendu parler des détails, mais en es-tu certain ? »
« D’accord, quand tu poses des questions aussi vagues, comment suis-je censé répondre autrement que par un gros : “Hein ?”. »
« Je suis sûr que tu comprends ce que j’insinue », rétorqua-t-il en me lançant un regard noir.
Je m’étais gratté la joue. En apparence, tout le monde croyait que j’avais perdu le Partenaire, ce qui faisait de l’Einhorn une ressource militaire précieuse, tant pour moi que pour le royaume dans son ensemble.
Julian, qui avait écouté aux portes, ajouta : « Quitter la capitale avec les deux navires énervera les seigneurs qui gardent le reste de nos frontières. Ma mère doit certainement comprendre cela. » Même s’il n’était que l’ancien prince héritier, il pensait aussi à l’avenir de la nation. « Et c’est étrange que nous ne prenions pas plus de moyens militaires. »
Bien sûr, il y avait des armures dans la soute et des chevaliers pour les piloter, mais seulement quelques uns. Et encore, ils étaient là spécifiquement pour assurer la sécurité de Mylène et d’Erica. Ils ne pouvaient pas se battre contre Rachel. C’est ce que Julian trouvait si étrange.
« Elle a dit que nous prenions les deux vaisseaux pour coincer Rachel », avais-je expliqué, impatient de passer à autre chose.
« Vraiment ? Mais cela n’explique toujours pas pourquoi les deux navires doivent partir. Nous devrions vraiment en laisser au moins un derrière nous. »
« Comment pourrais-je savoir ce qu’elle pense ? »
Mylène et Erica étaient entrées dans le port à un moment fortuit. Le haut fonctionnaire militaire à qui j’avais parlé plus tôt et qui semblait très mal à l’aise en notre compagnie s’empressa de les accueillir. Je n’avais pas quitté des yeux Mylène qui montait à bord de la Licorne.
« Alors tout ça, c’est l’idée de maman, hein ? » marmonna Julian, les sourcils froncés. Il ne passa pas trop de temps à y réfléchir. Poussant un soupir, il renonça à essayer de comprendre la reine. De leur côté, les autres membres de la bande de clowns semblaient tout aussi déstabilisés.
Une rafale de pas résonna soudainement dans le port. Je m’étais tourné vers la source. Un garçon grassouillet vêtu d’un uniforme de l’académie se précipitait vers nous. Ses cheveux argentés coupés au bol rebondissaient lorsqu’il se déplaçait, et les extrémités de ses yeux vert émeraude s’effilaient, lui donnant l’air d’un gentil héritier, bien que fortuné — une impression que je savais être exact.
Le garçon de première année s’arrêta devant moi, voûté, et haletant. Entre deux bouffées d’air, il se présenta. « Vous êtes le duc Bartfort, n’est-ce pas ? Je m’appelle Elijah. Elijah Rapha Frazer. Je vous accompagnerai pendant — ! »
Elijah ? J’avais reconnu ce nom instantanément. Avant que le garçon ne puisse terminer, je le coupai en poussant un cri strident. « Quoi qu’on en dise, je refuse de vous reconnaître comme le fiancé d’Erica ! »
« Quoiiiii !? Pourquoi !? » s’écria à son tour Elijah, abasourdi par ma soudaine animosité.
+++
Chapitre 2 : La maison Frazer
Partie 1
L’Einhorn et la Licorne avaient quitté le port et ils s’étaient mis en route vers les terres du marquis Frazer. À un moment du voyage, je m’étais retrouvé dans la salle commune de l’Einhorn, assis sur un canapé à côté de Marie. Un Elijah nerveux et tremblant était assis sur le canapé en face de nous, de l’autre côté de la table basse. Des sueurs froides dégoulinaient sur son visage. Mais franchement, je m’en moque. À ce moment-là, Marie et moi faisions tout notre possible pour intimider et interroger le gamin.
« Bien sûr, Roland t’approuve », avais-je dit, « mais moi, je ne t’approuve pas du tout. »
La famille royale avait déjà officiellement reconnu les fiançailles d’Elijah avec Erica. Ils étaient parvenus à cet accord, il y a déjà un certain temps, et mon approbation ou mon absence d’approbation n’avait donc pas d’impact réel. Mais ce n’est pas une raison pour me taire. Erica était ma nièce ! Ou du moins, elle l’avait été dans mon ancienne vie. Erica avait été une nièce absolument exemplaire, puisqu’elle s’était occupée de ses parents dans leur vieillesse. Je ne voyais rien de mal à repousser les limites de l’étiquette dans ce monde pour assurer son bonheur. Non, plutôt, je ferais tout ce qu’il faut pour qu’elle connaisse une fin heureuse. À cette fin, je n’avais pas eu d’autre choix que d’évaluer Élie.
Rongé par la peur, Elijah tenta de protester. « Hum, m-mais pour ce qui est de l’approbation de la famille royale à notre — ! »
« Qu’est-ce que c’est que ça ! Est-ce que tu essaies de dire que tu ne te préoccupes que de l’opinion de la famille royale et pas de celle d’Erica !? »
« Non, ce n’est pas du tout ça ! Sa Majesté le roi Roland s’y est fortement opposé lors de nos fiançailles initiales, et je n’ai donc pas encore été pleinement accepté comme son futur mari. »
Huh. Donc, même si Roland s’y opposait, cela n’avait pas rompu leurs fiançailles. Vu le comportement de Roland envers Erica, je ne doutais pas que son affection pour elle était profonde et sincère. Il était donc logique qu’il s’enflamme à propos d’un mariage, peu importe avec qui il se déroulait.
Marie était assise, le dos fermement appuyé contre le coussin du canapé, et elle leva le menton pour fixer Elijah du bout du nez. « Plus important encore », dit-elle, « Es-tu vraiment Élie ? »
Cette question avait déconcerté Elijah. Pour être honnête, j’avais aussi pensé que c’était une chose absurde à demander.
« Hein ? Hum, tu veux dire… philosophiquement parlant ? »
Bien sûr, il n’avait aucune idée de ce à quoi elle voulait en venir. Moi non plus.
J’avais pris Marie par la nuque et je l’avais entraînée dans un coin de la pièce, en prenant soin de baisser la voix pour qu’Elijah ne puisse pas écouter.
« Ne pose pas de questions stupides », l’avais-je grondée.
« Non, non. Écoute-moi une seconde, grand frère. » Marie secoua la tête. « Le personnage d’Elijah dont je me souviens était totalement différent — d’une manière affreuse. On parle d’une bouille vraiment grosse et moche, et aussi d’une façon de parler super flippante. »
« Hein ? »
Nous avions tourné notre regard vers le garçon en question. Il s’agitait sur son siège. Certes, je n’avais pas envie de l’aimer, mais il n’avait pas l’air aussi mauvais que la description qu’en avait faite Marie. Je m’étais retourné vers elle et j’avais murmuré : « Mais pour le dire franchement, ce n’est pas un top model, mais il me semble plutôt moyen. »
« C’est ce qui est si bizarre ! Je te le dis, l’Elijah du jeu est une incorrigible brute qui se joint à Erica pour tourmenter la protagoniste. C’est un idiot et un méchant mineur dans l’ordre des choses. Erica le traite toujours d’inutile. C’est le genre d’individu qu’il est vraiment. »
Marie avait également partagé certains des détails les plus complexes de son personnage. Apparemment, dans le jeu, Elijah était incroyablement envieux des autres. Son complexe d’infériorité profondément ancré à l’égard des intérêts amoureux de la protagoniste le rendait vraiment ennuyeux et l’amenait à s’immiscer dans de nombreuses scènes romantiques du jeu.
« Ne dis pas du mal d’Erica », avais-je dit.
« Ce n’est pas comme si je voulais dire des choses terribles sur elle. Je te dis juste comment c’était dans le jeu. »
J’étais retombé dans mes pensées. « Erica nous a dit qu’Elijah avait perdu du poids. »
« Cela va au-delà du poids. Il est comme une personne différente ! Le gamin en face de nous n’est au fond qu’un sale gosse doux, gentil et riche — même s’il est un peu gâté. Ce n’est pas le gars du jeu. Sa peau est claire, pour commencer, et il… Je ne sais pas, il a l’air plus… propre ? »
Certes, le personnage qu’elle décrivait avait l’air d’avoir le genre d’apparence grossière et disgracieuse que seule une mère peut aimer. Mais quelque chose d’autre chez lui semblait également déplacé selon Marie.
« De plus, ce garçon est l’héritier d’un marquis. Il devrait imposer son statut à tout le monde, non ? Mais je n’ai pas entendu un seul mot prononcé contre lui à l’école. »
On dirait qu’elle s’était renseignée sur lui de son côté. Mais on dirait aussi qu’elle n’a rien trouvé.
« Donc, » dis-je, « pour résumer, le garçon a l’air bien plus beau que dans le jeu, il a cet air de pureté, et bien qu’il soit l’héritier d’un marquis, il ne fait pas étalage de son statut. »
Bien qu’il ne se soit pas démarqué à l’académie, Elijah n’avait pas l’air d’être un si mauvais gars que ça — un fait qui avait clairement frustré Marie.
« Nous devons trouver quelque chose qui nous permette de nous opposer au mariage », conclut-elle.
Cela nous laissa la tête entre les mains, nous creusant la tête pour trouver une solution — ou au moins une meilleure compréhension de ce qui se passait.
« Euh, euh… Est-ce que tout va bien ? » demanda Elijah d’un air inquiet.
« Ne crois pas que tu as déjà gagné ! » avais-je craqué avec amertume.
« C’est vrai ! Je n’accepterai pas non plus ton mariage avec Erica ! »
Vexés, Marie et moi avions rapidement quitté la salle commune. Elijah était resté figé sur le canapé, complètement confus.
☆☆☆
« Je n’ai toujours rien sur lui après tout ce que j’ai cherché. »
Ce soir-là, Noëlle était passée dans ma chambre. Je m’étais empressé de lui raconter ce qui s’était passé plus tôt dans l’après-midi. J’avais prévu de déterrer quelques défauts fatals qui prouveraient qu’Elijah n’était pas digne d’Erica, mais au lieu de cela, j’avais fui la scène sans que cela montre le moindre gain pour tous mes efforts.
Noëlle était allongée dans mon lit, la tête reposant sur un bras appuyé. Elle me jeta un regard exaspéré et soupira. Elle semblait me trouver assez insondable.
« Qui s’en soucie si tu ne trouves rien de mal chez lui ? » demanda-t-elle. « Et pour commencer, la meilleure question est de savoir pourquoi tu t’immisces dans les fiançailles de la princesse. Je sais que tu as un faible pour elle, mais tu vas trop loin. N’as-tu pas déjà une famille. »
Noëlle ne faisait que souligner l’évidence, mais ses mots m’avaient touché là où ça fait mal. La vérité, c’est que nous sommes une famille. Mais je ne pouvais pas le lui dire. Tout ce que je pouvais faire, c’était jouer la comédie.
« D’accord, mais son vrai frère, Julian, fait comme si ce n’était pas grave. Comment peut-il être aussi froid avec sa propre petite sœur ? » demandai-je.
« Je pense que toute cette histoire est plutôt normale pour les aristocrates et autres, tu ne crois pas ? Je veux dire, j’ai été fiancée quand j’avais cinq ans. Non pas que j’en savais quelque chose à l’époque. » Noëlle s’était mise sur le dos et avait regardé le plafond.
Noëlle était née dans une famille noble importante de la République d’Alzer, mais elle avait été élevée comme une roturière. Par conséquent, elle n’était pas très au fait des pratiques matrimoniales de la noblesse.
J’avais expiré lentement. « Bien sûr, pour la haute société, le mariage est plutôt un contrat entre familles. »
Le mariage était un moyen de renforcer les liens. Il n’y avait aucune considération pour les sentiments romantiques des parties impliquées. L’opinion d’un individu sur l’union n’avait aucune importance. Si le couple éprouvait des sentiments mutuels, c’était parfait, mais il n’était pas rare que les mariages politiques ne suscitent aucun amour. C’était un écart important par rapport à la norme de ma vie précédente. Mais ce monde est ainsi fait.
Noëlle leva ses jambes en l’air et les redescendit avec suffisamment d’élan pour propulser son corps à la verticale. Ensuite, elle tourna son regard vers moi. « Alors, quand tout est dit et fait, qu’est-ce que tu veux vraiment faire ici, Léon ? Vas-tu rompre les fiançailles de la princesse ? »
« Je ne suis pas — je veux dire… non. »
Ses paroles avaient touché une corde sensible. Mon objectif n’était pas vraiment de trouver des défauts à Elijah, mais de m’assurer qu’Erica sera heureuse.
« As-tu au moins demandé aux personnes concernées ce qu’elles veulent ? Cela vaut pour Élie, bien sûr, mais aussi pour la princesse. Si aucun des deux ne veut de ces fiançailles, alors je pense que leur prêter main forte est très bien. Mais s’ils sont tous les deux d’accord, alors tu ne feras que les gêner. »
« Argh ! »
Les mots de Noëlle avaient été comme un couteau en plein cœur. Je n’avais même pas pu dire quoi que ce soit pour me défendre.
« Quoi qu’il en soit, Rie a aussi été terriblement bizarre à ce sujet. Elle est toute remontée, elle dit qu’elle va mettre un terme au mariage de la princesse. Même Anjelica et Livia sont inquiètes. »
« Elles le sont ? »
Anjie et Livia n’avaient pas voyagé sur l’Einhorn avec nous, elles avaient rejoint le groupe sur la Licorne. Anjie avait demandé cet arrangement pour pouvoir essayer de parler à Mylène.
J’avais jeté un coup d’œil par la fenêtre en direction de la Licorne. Le navire blanc reflétait l’apparence de l’Einhorn, cette même corne caractéristique dépassant de sa proue.
Noëlle fronça les sourcils en m’étudiant. « Rie et toi avez tendance à manquer de perspicacité quand il s’agit de la princesse. Anjelica et moi nous demandions — y a-t-il une raison pour laquelle vous êtes si investis ? »
« Oui, il y a quelques raisons. »
Noëlle soupira. Elle ne semblait pas en colère, même si son sourire était forcé. « Je suppose qu’elle a la vie dure, entre sa position de princesse et les responsabilités qui en découlent. »
« Oui… »
Le mariage d’Erica avec la maison Frazer avait de nombreuses implications pour la famille royale et le royaume dans son ensemble. Ce n’était pas quelque chose qui pouvait être annulé uniquement sur la base de sentiments. Les conséquences seraient bien trop vastes et trop étendues. Si Erica avait exprimé son mécontentement, je n’aurais eu aucun mal à m’immiscer dans l’affaire et à y mettre fin. Mais au lieu de cela, il semblerait qu’elle ait accepté son sort.
« Si seulement je pouvais l’amener à s’ouvrir sur ce qu’elle ressent vraiment », m’étais-je lamenté.
☆☆☆
« Reine Mylène, pourquoi avez-vous décidé de poster Léon à la frontière ? » demanda Anjie. Elle avait rejoint la reine dans la salle commune de la Licorne pour converser. Bien qu’Anjie ne puisse pas discerner les véritables intentions de Mylène, elle trouvait suspects les ordres donnés par le palais.
Mylène porta à ses lèvres une tasse du lait chaud que Livia leur avait préparé et en prit une petite gorgée. Elle sourit. « Oh, c’est délicieux ! » Ce n’était pas vraiment une réponse à la question d’Anjie.
« Oh, pourquoi, merci. Mais, hum… » Livia jeta un coup d’œil à Anjie.
Mylène poussa un soupir et posa sa tasse sur la table devant elle. « Je l’ai posté à Frazer pour garder Rachel sous contrôle. Tu trouves ça bizarre ? »
« Est-ce que vous jouez avec moi ? » s’écria Anjie en se levant de son siège. « Le plus sage ici est évidemment de garder Léon en poste dans la capitale afin qu’il puisse réagir rapidement à n’importe quelle situation et se déplacer pour défendre nos frontières en cas de besoin. En vous concentrant uniquement sur Rachel, vous laissez le reste du royaume vulnérable ! »
S’ils ne parvenaient pas à protéger l’ensemble du pays, Hohlfahrt s’exposait à de terribles pertes. Anjie pensait donc que positionner Léon au centre des choses, où il pourrait mieux surveiller et se déplacer si nécessaire, était l’option manifestement supérieure. Refuser de le faire relevait presque de la négligence criminelle.
« Comme toujours, tu deviens myope quand tu t’énerves », dit Mylène. « Anjie — non, Anjelica — tu as négligé quelque chose d’incroyablement important. »
« Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez dire ? » C’est alors que la prise de conscience eut lieu. Anjie sursauta et se plaqua une main sur la bouche.
Le problème en question était largement sans importance d’un point de vue militaire, mais pour Anjie et ses collègues fiancées, il s’agissait d’une question de la plus haute importance.
Mylène rit. « Tu as rejeté ta famille uniquement pour protéger ton fiancé, n’est-ce pas ? Les nombreuses batailles du duc Bartfort semblent lui avoir fait perdre la tête. Si j’ai bien compris, il a besoin de médicaments quotidiens pour dormir. »
Anjie s’était figée, le visage livide. De qui a-t-elle entendu cela ? La princesse Erica ? Ou peut-être le prince Julian ?
Anjie s’inquiétait pour Léon. Bien sûr, elle voulait réduire son fardeau autant que possible. C’est juste que, stratégiquement parlant, les actions de Mylène avaient semblé incroyablement problématiques. Anjie avait donc dû l’interroger. Mais ce faisant, le choix de ses mots avait donné l’impression qu’elle voulait voir Léon au combat.
« Le duc est devenu un héros national à un âge très tendre, » dit Mylène. « Il n’est pas étonnant qu’il se débatte. Je l’ai posté à cette frontière en grande partie pour apaiser les craintes de la maison Frazer. Et tant que le duc est ici, Rachel ne peut pas envahir aussi facilement. »
À ce stade, Léon avait été au centre de multiples intrigues de Rachel. Cela ne s’était jamais bien terminé pour eux. À chaque fois, Léon avait non seulement déjoué leurs plans, mais les avait laissés dans un état pire que celui dans lequel ils se trouvaient. Il était difficile d’imaginer qu’ils seraient imprudents partout où il serait posté.
Anjie se creusait désespérément la tête, espérant trouver un moyen d’insister davantage auprès de la reine — pour vérifier les véritables intentions qui sous-tendaient ses paroles. Mais lorsque Mylène présenta cette décision comme étant dans l’intérêt de Léon, Anjie ne pouvait pas vraiment argumenter. Si elle continuait à insister, Mylène aurait des raisons de l’accuser d’essayer de forcer Léon à se battre. C’était la seule chose qu’Anjie ne pouvait pas supporter.
Elle est vraiment sournoise, pensa Anjie. Elle sait exactement comment me contrer. Anjie ne pouvait pas prétendre qu’elle voulait que Léon se batte, même pas sous forme de bluff pour provoquer la reine.
Alors qu’Anjie se taisait, Mylène traça le bord de sa tasse avec ses doigts, le lait chaud ondulant à l’intérieur.
« Je promets de ne rien faire qui puisse gêner indûment le duc dans cette affaire », dit la reine. « Je suis sûre que ni vous ni Mlle Olivia n’avez de scrupules à ce sujet. » Mylène jeta un coup d’œil à Livia et sourit.
« Oh, hum, eh bien… » Troublée, Livia balbutia, ne sachant pas comment répondre.
« Non », déclara fermement Anjie, qui répondit à sa place. « Nous n’avons aucun scrupule, tant que Léon n’a pas à se battre. Je dois quand même vous demander si vous pensez vraiment que cette stratégie nous apportera la victoire ? »
Pour commencer, Mylène avait-elle l’intention de remporter la victoire ?
Mylène dégrisa, le sourire disparaissant de son visage. « La guerre n’a aucun sens si l’on n’en sort pas vainqueur. As-tu oublié qui t’a enseigné cette leçon ? »
Je n’ai pas oublié. Celle qui m’a appris cela, c’est toi, reine Mylène.
+++
Partie 2
Les Frazer entretenaient un port militaire sur une petite île flottante, où l’Einhorn et la Licorne entraient au port. L’île était également dotée d’une forteresse, et les soldats du marquis n’hésitaient pas à pousser une clameur à l’arrivée de l’Einhorn.
« C’est donc le fameux Einhorn. »
« Regarde, il a une corne, là, à la proue. »
« C’est donc le vaisseau qui a abattu la République d’Alzer à lui tout seul. »
Ils contemplaient l’Einhorn avec une profonde admiration. Alors que j’observais le groupe, qui était déjà descendu, Luxon s’approcha et fit son rapport.
« Maître, nous avons fini de décharger la cargaison. Nous avons également remis les marchandises et les fournitures que nous avons apportées pour la maison Frazer. »
« Bon travail », avais-je dit.
« En es-tu certain ? »
J’avais froncé un sourcil. « À propos de quoi ? »
La lentille rouge de Luxon était fermement fixée sur Finn et Mia. Dès qu’elle débarqua, Mia s’empressa d’admirer le paysage, curieuse comme un chat. Finn regardait tranquillement, une expression douce sur le visage. Brave se tenait à proximité, repoussant comme toujours leurs remarques taquines. La seule chose qui ressortait vraiment de leur groupe était l’ajout d’un homme plus âgé, qui portait une canne.
« Oh, tu parles de Monsieur Carl ? Il a fait tout ce chemin depuis l’empire parce qu’il s’inquiétait pour Mia. C’est tout. En plus, Finn a dit qu’il ne poserait probablement pas de problème. Tu te souviens ? »
« Ta première erreur est de faire confiance à quelqu’un qui s’associe à une armure démoniaque. Ce sont tous des ennemis », dit Luxon d’un ton détaché.
« Oui, je suis sûr qu’ils le sont — pour toi. Mais ils ne le sont pas pour moi. » Luxon n’avait pas l’air très content de m’entendre dire ça, mais je l’avais ignoré, choisissant plutôt de profiter de cette occasion pour m’étirer. « Quoi qu’il en soit, il y a eu beaucoup de batailles depuis que j’ai commencé à fréquenter l’académie. J’ai l’impression d’avoir été pris dans l’une après l’autre depuis ma première année. »
« C’est parce que tu l’as fait », dit Luxon. « Puis-je te demander de reconsidérer ma proposition d’anéantir toute opposition étrangère ? Cela prendrait beaucoup moins de temps que l’alternative et résoudrait simultanément toutes les questions en suspens. »
Je secouai la tête. « Je suis un gars qui aime la paix. Pas de route du génocide pour moi, merci beaucoup. »
« Quelle ironie que tu aies une telle affection pour la paix alors qu’elle ne semble pas partager tes sentiments. Ton amour est tragiquement unilatéral. »
« D’accord, Siri. Tu pourrais te taire de temps en temps, tu sais, » avais-je ricané.
La paix ne m’aimait pas en retour, hein ? C’était une pensée assez dévastatrice. J’avais fait de mon mieux pour repousser la plaisanterie de Luxon.
Pendant que j’attendais, Mylène et Erica avaient descendu la passerelle, glissant sur un tapis rouge qui avait été disposé pour elles. L’homme qui se précipitait à leur rencontre était, je suppose, le marquis Frazer. Il avait les mêmes cheveux blonds qu’Elijah, et il avait l’air étonnamment rondouillard et sympathique pour un aristocrate chargé de défendre notre frontière.
« Nous sommes honorés de vous accueillir ici, reine Mylène, princesse Erica. C’est avec beaucoup d’impatience que nous attendions votre visite. »
« Nous sommes vraiment reconnaissants de l’accueil chaleureux, marquis, » dit Mylène. « Cependant, le temps presse. Je sais que le préavis est plutôt court, et je m’en excuse, mais je préférerais que nous nous asseyions pour une réunion tout de suite, si vous le voulez bien. »
Les yeux du marquis Frazer s’écarquillèrent devant sa demande soudaine. Elle avait à peine atterri qu’elle voulait déjà se mettre au travail. Mais sa surprise ne dura qu’un instant, et il acquiesça. « Oui, bien sûr, si tel est votre désir, Votre Majesté. Je dois mentionner que le diplomate du royaume uni de Lepart est également arrivé. »
Cette fois, c’était à mon tour d’être surpris.
« Lepart ? Comme dans le pays d’origine de Mylène ? » avais-je marmonné avec incrédulité.
« Le moment semble un peu opportun, » fit remarquer Luxon.
Je lui lançais un regard. « Oh, allez. Tu en fais trop. »
Tandis que Mylène et son entourage commençaient à quitter le port, Elijah se précipita hors de l’Einhorn et se dirigea droit sur moi.
« Mon seigneur ! Duc Bartfort ! Je vous servirai d’escorte ! »
Il semblait que l’héritier ait été chargé de s’occuper de moi pendant mon séjour. Le fait qu’un si haut personnage s’occupe de moi indiquait qu’il me témoignait une grande considération.
« Essaies-tu de marquer des points avec moi ? » demandai-je. « Je regrette de te le dire, mais ce n’est pas ça qui va me convaincre que tu es digne d’Erica — euh, je veux dire, de Son Altesse », m’étais-je corrigé, en essayant de ne pas paraître trop informel quand je parlais d’elle.
« Oh… Vraiment ? » Les épaules d’Elijah s’étaient affaissées en signe de déception. J’avais peut-être un peu exagéré.
« Quoi qu’il en soit, vas-tu me faire visiter la zone ? » demandai-je en me grattant maladroitement la tête.
« O-Oui, bien sûr ! »
☆☆☆
Sur l’ordre de Mylène, une réunion avait été rapidement convoquée dans l’une des salles d’assemblée des Frazer. Une longue table trône au milieu de la pièce. Le diplomate envoyé par le royaume de Lepart était assis en face d’un membre de la maison Frazer.
Pour sa part, le diplomate avait l’air d’un modèle — grand et élancé, avec une moustache bien entretenue et une apparence soignée impressionnante, notamment un costume et des cheveux gominés. Le regard de ce gentleman pimpant d’âge moyen était fixé sur Mylène, et il parlait comme s’il la connaissait très bien.
« Cela fait trop longtemps que nous ne nous sommes pas rencontrés, votre Majesté. Vous êtes toujours aussi belle. »
« Et vous êtes toujours autant flatteur », rétorqua la reine.
« Je ne parle que du fond du cœur. »
La façon dont elle lui avait souri avait confirmé mes soupçons. Ces deux-là se connaissaient bien. L’expression douce de Mylène se dissipa après les premières salutations, et la conversation s’orienta vers le sujet principal qui nous intéressait.
« Je vous prie de m’excuser pour cette tournure abrupte, mais je vous prie de m’informer de la position du Royaume-Uni sur la situation », dit Mylène. Le sourire qu’elle arborait quelques instants auparavant avait disparu.
Le diplomate sentit le changement dans l’air, il affina ses traits et laissa tomber le charme de la petite conversation. « Lepart n’a pas l’intention de rejoindre le concordat de défense armée, encore moins alors que Rachel est à sa tête. Chaque nation membre et son dirigeant ont droit à leurs sentiments individuels, mais, quel que soit leur apport, le peuple de Lepart ne supportera jamais une alliance avec notre vieil ennemi. »
Étant donné la mesure dans laquelle Rachel avait terrorisé Lepart et ses habitants — et les années durant lesquelles ils l’avaient fait — il n’était guère étonnant qu’ils n’aient pas envie de sauter dans leur girond. Mylène acquiesça, pas le moins du monde surprise par la nouvelle. Elle avait sans doute anticipé cette réponse.
« Je suis sûre qu’ils ne le feront pas », déclara-t-elle.
« Notre question est de savoir si le royaume de Hohlfahrt peut espérer surmonter cette crise. Dites-moi, ce royaume possède-t-il les moyens de triompher ? » Le diplomate me jeta un bref coup d’œil avant de reporter son regard sur la reine.
« Bien sûr que oui », répondit Mylène avec assurance. Elle ne ressemblait plus du tout à la femme qui avait parlé il y a un instant. « C’est pour cette raison que nous avons posté notre plus grande arme ici, à la frontière. » Cette fois, c’est elle qui me jeta un coup d’œil.
Les lèvres du diplomate se retroussèrent en un sourire. « Lorsque j’ai appris que l’Einhorn et son navire jumeau seraient positionnés à Frazer, j’ai eu le sentiment que je trouverais ici aussi le duc Bartfort. Alors c’est exactement ce que je soupçonnais. Voilà qui ne manquera pas de convaincre le parlement de Lepart de vos capacités. »
La conversation s’était poursuivie à un rythme soutenu, même si je n’avais pas prononcé un mot. Mylène et le pimpant diplomate poursuivaient leur discussion tandis que le marquis Frazer rayonnait joyeusement, heureux de voir les pourparlers se dérouler si harmonieusement. Personne n’avait tenté de couper la parole ou d’interrompre le diplomate ou la reine. Le marquis Frazer ayant décidé de ne pas faire de commentaires, Mylène poursuivit.
« Avez-vous reçu des informations sur les mouvements de Rachel ? » demanda-t-elle.
« Mais bien sûr. » Le diplomate acquiesça avec certitude. « En ce moment, ils rassemblent leurs navires de guerre dans la capitale. »
Face à cette révélation, le reste de la salle fut rempli par des chuchotements étouffés.
« À la capitale ? Pas dans leur port militaire ? »
« Oui, normalement, leurs forces ne devraient-elles pas se rassembler au front ? »
« Pourquoi la capitale ? Avant toutes leurs autres attaques, ils ont… »
Les séries de chuchotement furent coupées lorsque le diplomate pimpant haussa le ton. « En effet, la capitale. C’est là qu’ils renforcent leurs défenses. »
Après avoir établi le Concordat de défense armée, Rachel aurait dû se préparer à lancer une invasion simultanée du royaume de Hohlfahrt avec le reste de ses alliés. Au lieu de cela, ils renforçaient le front intérieur. À quoi pouvaient-ils bien penser ? Parmi tous les visages perplexes de la pièce, seule Mylène avait l’air complètement imperturbable. Je me doutais qu’elle avait prévu cela depuis le début.
La reine leva une main pour faire taire la salle. « Je suis sûre qu’ils se sont tournés vers leurs défenses par crainte du duc Bartfort. Ils ont l’intention de concentrer leurs forces dans la capitale pour se défendre et s’y terrer. »
« Mon Dieu ! Mais que pouvions-nous attendre d’autre de notre plus grand héros ! » s’écria le marquis Frazer, ravi, un peu trop enthousiasmé par le déroulement du conflit imminent. « Tant que nous aurons le duc Bartfort ici, ils ne mettront jamais le moindre pied dans mon domaine. Cette guerre se terminera sûrement par la victoire du royaume. »
Son point de vue était plutôt optimiste, mais il avait raison de dire que ma simple présence avait permis de repousser un ennemi autrement gênant. En supposant que rien d’imprévu ne se produise, notre puissance militaire supérieure assurerait la victoire de Hohlfahrt. Mais attention, les régions frontalières, à l’exception de celle de la maison Frazer, subiraient des pertes considérables.
« La princesse de Lepart n’a jamais manqué d’impressionner », déclara le diplomate. « Amener le plus grand héros du pays avec vous était astucieux. Maintenant, le royaume de Lepart et le royaume de Hohlfahrt peuvent dormir sur leurs deux oreilles. » Son mince sourire n’atteignit pas complètement ses yeux. « Affrontons cette crise ensemble. »
+++
Chapitre 3 : Les manigances de Mylène
Partie 1
Une fois la conversation terminée, Mylène emprunta l’une des salles de réception des Frazer pour une discussion privée avec celui que Léon avait appelé le « diplomate pimpant ». Son vrai nom était Ivan Soule Schira.
Ivan se tenait à une fenêtre et regardait dehors. De là, il pouvait distinguer l’île flottante et sa forteresse. En revanche, il ne voyait ni l’Einhorn ni son navire jumeau, même s’il était certain qu’ils étaient bien ancrés dans le port de l’île.
« À part ces deux vaisseaux, en possède-t-il d’autres de même calibre ? » demanda Ivan.
Mylène, qui était assise sur un canapé derrière lui, garda une expression vide. « Nous n’avons pas confirmé la présence d’un troisième. Je ne peux pas écarter la possibilité de son existence, mais nous ne devrions guère spéculer en l’absence de preuves, n’est-ce pas ? »
« Vous marquez un point. Ce qui compte le plus, c’est que le royaume de Rachel croit que le duc Bartfort les attend à la frontière. »
Mylène avait prévu que Rachel adopterait des manœuvres défensives si elle apprenait l’arrivée de Léon à Frazer.
« Je dois dire que vous êtes certainement une femme pécheresse. » Ivan lui lança un regard plein d’insinuations. « La rumeur dit que vous avez complètement envoûté le héros du royaume, le duc Bartfort, le chevalier-ordure. »
Le sourire de Mylène était mince. « Ce n’est qu’une rumeur. Les hommes préfèrent leurs femmes plus jeunes. De plus, il a trois jolies filles qu’il peut appeler ses fiancées. » Alors qu’elle prononçait ces mots, elle ressentit une douleur brève, faible et presque imperceptible au niveau du cœur. C’était comme si elle avait été piquée par une aiguille, et cela fit froncer les sourcils à Mylène.
Ivan restait insensible à ses sentiments et était plutôt amusé. « Quoi qu’il en soit, vous avez tout le mérite de l’avoir amené jusqu’à la frontière. Vos parents à Lepart seront ravis d’apprendre la nouvelle. »
« Cela me fait plaisir. »
« Tout de même, en êtes-vous certaine ? » Ivan lui lança un regard interrogateur. « Si vous gardez le duc ici, l’ennemi lancera une attaque sur vos autres frontières. Les aristocrates qui gardent ces territoires seront très mécontents. »
Malgré le fait qu’Ivan se montrait préoccupé par les vulnérabilités de Hohlfahrt, Mylène ne semblait pas le moins du monde troublée. Elle savait précisément ce qu’elle faisait. Elle savait que ces aristocrates seraient mis dans une situation difficile. Elle le savait et avait poursuivi son plan malgré tout.
« Il n’y a pas lieu de s’alarmer », déclara Mylène. « Cette approche est plus bénéfique pour le royaume dans son ensemble. »
Ivan haussa les épaules. « Vous avez toujours été terrifiante. Si vous étiez restée à Lepart, les gens auraient peut-être un jour vu en vous le véritable pouvoir, non pas derrière le trône, mais sur le trône. »
☆☆☆
« C’est impensable ! Insondable ! »
Les suspects habituels étaient réunis dans la salle commune, y compris moi, mes fiancées, Marie et sa brigade d’idiots. Finn s’était également joint à nous cette fois-ci, mais il était assis tranquillement sur le canapé, se contentant d’écouter pendant que le reste d’entre nous conversait. Il n’avait pas l’intention de partager ses opinions sur notre guerre. Je préférais qu’il en soit ainsi. Il n’avait aucun intérêt dans cette affaire.
Quant à celui qui criait à l’injustice, c’était Brad. Brad, dont la famille était également chargée de la défense et de l’entretien d’un territoire frontalier. Les aristocrates comme son père, à qui l’on confiait des terres aussi importantes, étaient honorés des plus hauts rangs de la noblesse : marquis ou duc. La taille de leur territoire était déterminée en fonction du titre honorable qui leur était attribué, ce qui les plaçait au-dessus des comtes et des barons en termes de richesse matérielle et de hiérarchie. Il était normal qu’ils reçoivent une compensation adéquate pour leur dangereuse responsabilité.
Dans notre groupe, Brad était le plus instruit en matière de défense des frontières. Au moment où j’avais partagé les détails de notre rencontre avec le diplomate pimpant, il était passé en mode panique totale. Dans ses efforts pour exprimer la gravité de la situation, il parlait autant avec ses mains et son corps qu’avec sa bouche.
« Je répugne à porter plainte contre les décisions de Sa Majesté, mais je ne peux tout simplement pas être d’accord avec la stratégie qu’elle a choisie. Si elle insiste pour que Léon reste ici à Frazer, le reste de nos frontières sera envahi par l’ennemi. »
Chris fronça les sourcils, perplexe. « J’admets que ce sera difficile pour les autres seigneurs régionaux, mais ils savent ce qui se prépare. N’ont-ils pas déjà fortifié leurs défenses ? Les choses seront plus difficiles pendant un certain temps, oui. Mais ce n’est pas comme si Léon était le seul atout militaire du royaume. Je soupçonne le palais d’envoyer des troupes supplémentaires. »
Le reste de la bande de crétins avait écouté cet échange avec des expressions discrètes. Chris était issu de la noblesse de cour. C’est tout ce qu’il avait toujours connu, et son éducation avait été principalement axée sur le maniement de l’épée. Il en savait également plus que le reste de la bande en matière de pratique et de stratégie militaires. Notamment, il ne semblait pas considérer cette situation comme une urgence génératrice de panique, même s’il ne prenait pas non plus la crise imminente à la légère.
« Dès que l’ennemi se rendra compte que Léon ne viendra pas les couvrir, il considérera que c’est un billet offert pour envahir avec toute la force de ses armées ! » beugla Brad. « Toutes ! Simultanément ! Crois-tu vraiment le palais capable d’envoyer des troupes supplémentaires sur chacun de ces fronts de bataille !? »
« N-Non, je suis d’accord que ce serait impossible », admit Chris d’un ton hésitant.
« Ce n’est pas non plus notre seul problème. » Brad s’affaissa sur le canapé, enfouissant sa tête dans ses mains. « Si les seigneurs régionaux croient que le palais les a abandonnés, certains ne manqueront pas de devenir des traîtres. »
« Crois-tu vraiment que cela puisse arriver ? » demanda Anjie. « J’ai du mal à croire qu’ils iront jusqu’à de telles extrémités, sachant que cela ferait aussi de Léon leur ennemi. »
Brad acquiesça. « Ils le feront s’ils pensent qu’ils n’ont pas d’autres options. Si le choix est entre se retourner contre Hohlfahrt et l’anéantissement, l’instinct de conservation passera en premier. Tôt ou tard, certains seigneurs régionaux laisseront l’ennemi traverser leur territoire sans encombre. Une fois que ce sera le cas, la violence se répandra comme une traînée de poudre. »
Greg était assis sur le canapé et croisa les bras sur sa poitrine. « Maintenant que tu en parles, j’ai entendu dire que les seigneurs le long de nos frontières ont leurs propres lignes de communication indépendantes avec les nations ennemies qui sont leurs voisines. »
Toute communication entre un seigneur régional et l’ennemi était considérée comme un acte de trahison. Ils devaient cependant avoir leurs raisons, comme l’indique la défense passionnée de cette pratique par Brad.
« Ils peuvent se battre âprement au combat, mais tous les ennemis ont besoin d’une opportunité de négociation », déclara Brad.
Lorsque des prisonniers de guerre étaient faits, les nations devaient pouvoir régler les frais d’otages et les échanges de prisonniers. La guerre n’était pas seulement menée sur le front. Parfois, la diplomatie est une nécessité. C’est la principale raison pour laquelle chaque région frontalière maintenait ces communications privées, même si elles risquaient de passer pour des collaborateurs aux yeux de tous ceux qui regardaient de l’extérieur.
« Les seigneurs ne sont pas les seuls à s’engager dans de tels accords. Parfois, le gouvernement central le fait aussi », indiqua Julian. Il semblait avoir une compréhension plus souple de la situation. « Quoi qu’il en soit, la question qui se pose est celle du jugement de ma mère. Pourquoi, à un moment pareil, a-t-elle choisi de poster Léon ici, à la frontière avec Rachel ? Cela me perturbe. »
Franchement, je n’étais pas non plus très heureux à l’idée que mon positionnement ait un impact aussi important sur le cours de la guerre.
« J’ai pitié de ces nations étrangères, mises en émoi par ta simple présence, Maître. Bien que l’ironie de la situation ne soit pas dénuée d’humour », dit Luxon.
« La responsabilité est un peu trop lourde à mon goût — beaucoup trop lourde, en fait. » Mon visage s’était froncé en disant cela, et Livia m’avait doucement donné un coup de coude sur le côté.
« Monsieur Léon, prends cela au sérieux, s’il te plaît », me gronda-t-elle.
J’avais fermé ma bouche.
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Partie 2
« La famille de Sa Majesté est chargée de diriger le Royaume-Uni de Lepart », expliqua Jilk. « Officiellement, ils sont les chefs du conseil du parlement de Lepart et supervisent simplement les dirigeants des Nations unies. En vérité, ils détiennent le plus grand pouvoir de toutes les monarchies constitutives. »
« Comme dans la République d’Alzer avec le président de l’assemblée, » dit Noëlle.
Jilk lui sourit. « Leur parlement est similaire à l’assemblée de la République, mais ils diffèrent en ce sens que la nation dirigeante de leur alliance détient la plus grande influence. C’est pourquoi Sa Majesté considère toutes les terres de Lepart comme sa patrie, et pas seulement la nation membre spécifique en son sein dont elle est originaire. »
« Et ? Et alors ? » Noëlle inclina la tête, ne comprenant pas vraiment.
« On ne peut pas écarter la possibilité qu’elle considère un certain degré de perte à Hohlfahrt comme un sacrifice nécessaire pour la protection de sa patrie. »
Nous lui avions tous jeté des regards furieux pour avoir osé lancer une accusation aussi honteuse, mais Jilk n’avait pas semblé gêné le moins du monde par notre désapprobation flagrante.
« Tu vas trop loin », l’avertit Julian. « Le royaume de Hohlfahrt est une seconde maison pour ma mère. »
« J’espère seulement que tu as raison. Mais tu ne peux pas nier que ses actions sont autrement inexplicables. » Jilk n’avait pas tardé à défendre son point de vue, et il ne s’était pas arrêté là. « Ce sera une période difficile pour les seigneurs régionaux, j’en suis sûr, mais je soupçonne les nobles de la cour d’être ravis du résultat. » Comme Chris, Jilk était lui aussi issu de ces rangs.
Le visage de Chris se crispa. « Ne m’associe pas à toi », s’emporta-t-il, sa voix s’élevant de quelques octaves en signe de mécontentement. « Je ne prends aucun plaisir à cette situation. Bien au contraire. »
« C’est uniquement parce que tu ne comprends pas », dit Jilk. « Pour les seigneurs de la cour, les seigneurs régionaux sont des ennemis en devenir. Tu aurais dû apprendre cette leçon pendant notre guerre contre l’ancienne principauté. »
Il est vrai que, par le passé, Hohlfahrt avait craint et détesté la noblesse régionale au point de promulguer des lois oppressives pour la soumettre.
Chris pinça les lèvres, incapable de contester le raisonnement de Jilk. Jilk en savait plus que lui sur les usages de la noblesse. Cela signifiait aussi qu’il savait comment remédier à cette situation précaire. Jilk se promena dans la salle commune, une main calant son bras tandis que l’autre caressait son menton.
Qu’est-ce que cette farce ? Essaie-t-il de se faire passer pour une sorte de détective célèbre ? Son air calme et posé me fait vraiment grincer des dents.
« Même en supposant que nous remportions la victoire dans ce combat, Hohlfahrt sera toujours obligé de faire face au problème de ces seigneurs régionaux et de leurs loyautés douteuses. Ces traîtres potentiels, en d’autres termes. Pour les seigneurs de la cour, c’est l’occasion rêvée d’affaiblir l’ennemi et ses futurs rivaux d’un seul coup », expliqua Jilk. C’était une théorie convaincante, notamment parce que Jilk parlait de sa propre cohorte.
« C’est exactement ce qui ne va pas avec vous, les nobles de la cour. Tout ce qui les intéresse, c’est la famille royale », se plaignit Brad, incapable de supporter les divagations de Jilk.
« En tant que l’un des leurs, j’aimerais pouvoir soutenir le contraire, mais tes mots sonnent douloureusement vrai. Cela me fait mal de penser à ton sort et à celui de ta famille, chargée de garder notre frontière. » Les mots de Jilk sonnaient comme des excuses, mais son sourire ne s’était jamais démenti. « Maintenant, passons à la résolution de ce problème urgent… ! »
Un grand grondement résonna dans la pièce, aspirant la tension de l’air. Furieux de cette interruption, Greg se leva de son siège.
« Qui était-ce !? Qui a l’estomac vide à un moment pareil, hein ? Ne savez-vous pas que nous sommes en pleine crise ? Ressaisissez-vous. » Il balaya la foule du regard tout en parlant, essayant de repérer le coupable.
Marie avait lentement levé la main pour admettre sa culpabilité, les yeux braqués sur ses genoux. Greg était resté bouche bée. Le reste d’entre nous s’était lentement tourné vers elle. Chagrinée, les lèvres serrées, Marie s’était rapidement détournée de nous. « Je suis désolée », cria-t-elle.
Au moment où nous avions réalisé à qui appartenait le ventre qui protestait, l’attitude de chacun fit un virage à 180 degrés.
« Dans ce cas, c’est à moi de briller. » Julian sortit un tablier et un hachimaki, comme s’il était sorti de nulle part. « Attends un peu, Marie. Je vais te préparer des brochettes de classe mondiale en un rien de temps. »
« Attends ! » Marie se mit à crier. « On n’a mangé que des brochettes hier, et même avant-hier ! Je veux autre chose. Hé ! écoute-moi quand je te parle ! »
Sans tenir compte de ses supplications, Julian avait bondi vers la sortie.
« Il n’y a pas de raison d’être gêné », lui assura Brad en prenant la main de Marie dans la sienne. « Ton estomac joue la plus mélodieuse musique du monde. Je te jure que je vais aussi sortir et te trouver quelque chose à grignoter. »
« Euh, d’accord. » Marie fronça les sourcils. Ce n’était pas vraiment un compliment que de voir son grognement d’estomac qualifié de mélodieux.
Brad s’était élancé à la suite de Julian.
« Si tous les autres vont s’occuper de te préparer un repas, je vais m’occuper de ton bain », décida Chris. La lumière frappa ses lunettes d’un éclat sinistre. « Oui. Oui, c’est ça. Je pars tout de suite puiser l’eau de ton bain, Marie ! »
« Désolée, mais, euh, je ne comprends pas en quoi un bain entre en ligne de compte », dit Marie en secouant la tête.
Chris balaya ses doutes en sortant lui aussi de la pièce.
Greg fut le prochain à s’approcher. Il y avait dans son expression une douceur qui était totalement absente il y a quelques instants, lorsqu’il avait craqué et sauté de son siège.
« Désolé pour tout ça, Marie. C’était vraiment mignon la façon dont ton estomac grognait. Je vais te chercher du poulet », proclama-t-il.
Comme les autres, il quitta la pièce à la poursuite de quelque chose qui l’intéressait plus personnellement que ce que Marie désirait réellement. Après leur départ, Marie était restée figée sur place, bouche bée.
« Ton fardeau ne semble jamais s’alléger, maîtresse », dit Kyle pour tenter de la consoler. « J’ai de la peine pour toi. »
Carla, elle aussi, semblait avoir pitié de Marie. Elle tamponna le bord de ses yeux avec un mouchoir. « Le plus malheureux, c’est qu’ils sont en fait meilleurs qu’avant. »
« Eh bien, » dit Jilk, le seul membre de l’équipe d’idiots encore présent dans la pièce. « Dans ce cas, je crois que je vais te préparer du thé pour accompagner — ! »
Anjie l’avait saisi par le col, l’arrêtant alors qu’il essayait de sortir de la pièce.
« Pas toi », dit-elle en le tenant fermement. « Si tu veux bien te rappeler, tu n’as pas fini de penser ! Maintenant, il y a un moyen de résoudre ce problème, n’est-ce pas ? »
Jilk était une détestable crapule, un tricheur sournois s’il en est. De toute la bande de crétins, c’est lui qui avait la pire réputation. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, il était aussi l’un des plus fiables.
Ceux d’entre nous qui restaient n’étaient pas très heureux que son petit numéro de détective ait été interrompu. Anjie l’avait arrêté dans son élan pour le forcer à cracher le reste de son intrigue. Malheureusement…
« S’il vous plaît, vous devriez me libérer. Pour l’instant, Marie est mon top priori — gah ! »
Lorsque Jilk avait essayé de se libérer, Anjie avait passé sa main sur sa joue. Pas d’hésitation. Le bruit sec de la peau frappant la peau résonna dans la pièce. La force de la gifle fit tomber Jilk par terre.
« C’était tout à fait déplacé ! » s’écria Jilk.
Anjie, Livia et Noëlle l’avaient encerclé pour l’empêcher de s’enfuir.
« Assez de pleurnicheries », s’emporta Anjie. « Continue. Maintenant. »
Jilk ricana. « Non, merci. Je refuse de me laisser intimider par la violence. » Sur ce, il tendit littéralement l’autre joue. Ses menaces n’avaient fait que le rendre rancunier.
Marie, qui avait observé tout cela en silence, me jeta un coup d’œil. Finalement, elle soupira. « Oh, dépêche-toi de tout déballer ! Tu nous as fait assez patienter. Ne nous laisse pas en plan. »
Finalement, Jilk acquiesça à contrecœur. « Si mademoiselle Marie le demande, je suppose que je n’ai pas le choix. » Ses yeux se posèrent sur moi alors qu’il se lançait dans son explication. « Je ne peux pas prétendre savoir exactement ce que Sa Majesté et le reste de la noblesse de la cour recherchent, mais il existe un moyen d’éviter de se mettre à dos les seigneurs régionaux. Pour l’accomplir, cependant, j’aurai besoin de ton vaisseau. »
+++
Partie 3
J’avais gardé le silence jusque-là, mais comme c’était mon navire qu’il voulait emprunter, je n’avais pas d’autre choix que de dire ce que j’avais à dire.
« Tu veux dire l’Einhorn ? » avais-je demandé en clarifiant.
« Ou la Licorne, l’un ou l’autre. As-tu encore ces précieux orbes que tu as reçus de la République d’Alzer ? »
« Oui, je les ai entreposés chez moi. Qu’est-ce que tu veux en faire ? »
« Pour servir de levier dans les négociations avec le Concordat de défense armée — c’est-à-dire les membres autres que Rachel. »
« C’est ridicule. » Tout l’intérêt antérieur avait disparu du visage d’Anjie, remplacé par une amère déception. « Nous avons déjà essayé de négocier. J’ai entendu dire que chaque tentative s’était soldée par un échec. »
« Oui, j’ai entendu la même chose », répondit Jilk, l’air toujours confiant. « Mais là où ils ont échoué, je réussirai. Et je commencerais par la nation la plus faible du lot. »
J’avais croisé les bras et j’avais réfléchi à sa proposition. Puis, après une pause, j’avais demandé : « D’accord. De quoi as-tu besoin ? »
« As-tu l’intention de faire confiance à Jilk ? » intervint Luxon, en secouant son objectif d’un côté à l’autre en signe d’exaspération. Malgré sa désapprobation, il n’avait pas vraiment essayé de m’arrêter.
« Si cela signifie éviter la guerre, alors ne penses-tu pas que nous nous devons d’essayer toutes les solutions qui nous tombent sous la main ? » avais-je demandé.
Mes fiancées étaient visiblement décontenancées, mais j’avais déjà décidé de faire confiance à Jilk.
« Alors je te demande de préparer un certain nombre de ces orbes qui serviront de monnaie d’échange », dit Jilk. « J’aimerais aussi amener quelques gardes du corps. Laisse-moi t’emprunter Greg et Chris. »
Tu as raison. Ils seraient parfaits pour ce travail.
« D’accord, » dis-je. « Je vais leur ordonner de venir avec toi. »
« De plus, » poursuit-il, non satisfait des exigences qu’il a déjà formulées, « J’aimerais emmener Brad. Il peut assurer la liaison avec les seigneurs frontaliers. De plus, il est plus à l’écoute de leurs sentiments et de leur façon de penser que n’importe qui d’autre. Je suis sûr qu’il fera un bon conseiller. »
J’avais haussé les épaules. « Je m’en fiche un peu, mais en gros, tu demandes pour tout le monde sauf pour Julian. »
« Oui, eh bien, ce n’est pas comme si je pouvais faire travailler Son Altesse jusqu’à l’os comme je le fais pour les autres », expliqua Jilk.
« Donc en gros, ce que tu dis, c’est que tu vas presser ces trois-là pour tout ce qu’ils valent, hein ? »
« Tout cela au nom de la nécessité de surmonter cette crise », m’assura-t-il. « Bien sûr, ils doivent aussi apporter leur juste part de travail. »
Je soupirai. Honnêtement, je n’aimais pas trop tout ça, mais il était vrai que les quatre cinquièmes de l’équipe de crétins devaient se rendre utiles.
« Très bien, » ai-je dit. « Je vais tout rassembler. Et je ferai tourner ces gars en bourrique pour ce que j’en ai à faire. »
Jilk était devenu pensif. Au bout d’un moment, il me sourit. C’était troublant.
« Qu’est-ce que tu as ? » avais-je demandé. « Fixer quelqu’un et sourire comme ça, c’est vraiment flippant. »
« Oh, rien. Je ne m’attendais tout simplement pas à ce que tu acceptes toutes mes demandes. Cela dit, je ferai tout mon possible pour m’acquitter de cette responsabilité et répondre aux attentes de mon supérieur. » Jilk se décolla finalement du sol et sortit de la pièce en valsant.
« Monsieur Léon, es-tu sûr que c’est une bonne idée ? » Le front de Livia était profondément plissé, signe de son inquiétude. « C’est de Monsieur Jilk dont nous parlons, tu te souviens ? »
Elle ne l’avait pas dit ouvertement, mais il était évident qu’elle ne faisait pas confiance à Jilk, aussi loin qu’elle pouvait y penser. Je ne pouvais guère la blâmer, compte tenu de tous les ravages qu’il avait causés par le passé.
« Elle a raison », acquiesça Noëlle. « C’est un salaud irrécupérable, d’après ce que j’ai entendu. Et n’a-t-il pas fait des choses assez terribles lorsqu’il était dans la République d’Alzer ? »
Anjie pressa une main sur son front. « Je respecterai ta décision, Léon, mais nous savons tous les deux qu’il va toujours trop loin. »
Personne ne semblait avoir la moindre foi en Jilk, mais je lui faisais confiance pour tenir sa parole. « Nous pouvons difficilement nous en sortir dans une position pire que celle dans laquelle nous nous trouvons déjà. En plus, Jilk est un magouilleur sournois. »
« Tu dis ça, et tu lui accordes quand même ta confiance ? » demanda Luxon en se retournant pour me regarder.
« C’est toi qui dis qu’être sournois est un compliment pour un combattant. »
Plutôt que de discuter davantage, Luxon céda et obéit à mon ordre. « Je prépare la Licorne pour le départ. »
☆☆☆
Le lendemain matin, Mylène arpentait les couloirs du château des Frazer. Son allure était si vive et si pressée qu’elle laissait ses servantes dans la poussière.
« Votre Majesté, attendez s’il vous plaît ! »
Son empressement ce matin était dû à un rapport désagréable qu’elle venait de recevoir. Sa destination était la salle réservée à Léon et à son groupe, où lui et ses fiancées pouvaient se reposer, se détendre et faire la causette.
Lorsque Mylène atteignit la porte, elle l’ouvrit violemment et entra en trombe. Elle n’y trouva qu’Anjie qui l’attendait. La jeune fille resta bouche bée devant l’arrivée inattendue de la reine.
« J’étais sur le point de demander une audience avec vous », déclara-t-elle.
Mylène rejeta le commentaire d’un revers de main. « J’ai reçu un rapport indiquant que la Licorne a quitté le port. Dis-moi, le duc était-il à bord ? » Dès que Mylène avait entendu parler du départ de la Licorne, elle avait été prise de frénésie, cherchant désespérément à confirmer les détails. Le départ de la Licorne ne faisait en aucun cas partie de sa stratégie actuelle.
Anjie haussa les épaules. « Léon a donné l’ordre, mais l’équipage est composé de Jilk et de ses amis. »
« Je n’arrive pas à y croire. » Mylène secoua la tête, déplorant la myopie de Léon. « Anjie, pourquoi ne l’as-tu pas arrêté ? Ne t’ai-je pas dit que nous avions besoin des deux vaisseaux si nous espérions coincer Rachel ? »
Léon avait promis de garder ses vaisseaux en attente sur le territoire de Frazer pour le moment. Comme il était revenu sur sa parole, son ire était sûrement justifiée.
Néanmoins, la priorité d’Anjie était Léon. « C’est lui qui a pris la décision, » dit-elle. « Je pensais que c’était la bonne, alors je n’ai pas fait d’objection. »
Mylène exhala un long et profond soupir. « Je suppose que cela veut dire que le duc est toujours ici, au château ? »
« Bien sûr. »
« Cela devrait suffire. Je vais expliquer la situation au diplomate de Lepart et au marquis Frazer. » Mylène se retourna promptement pour partir, bien qu’elle ait plissé ses sourcils et se soit mordu la lèvre inférieure. J’ai sous-estimé sa naïveté.
☆☆☆
Les quartiers que Carl s’était vu attribuer dans la résidence Frazer étaient généralement occupés par des domestiques. C’était comme une chambre d’hôtel bon marché — peu meublée et peu attrayante.
Finn était entré et avait trouvé Carl debout, la mine renfrognée. Il rit. « Cet endroit te va bien, mon vieux. »
« Tais-toi, sale gosse. Vraiment, pour qui ces gens me prennent-ils ? » renifla Carl, mécontent.
« Tu es venu ici déguisé, il n’est donc guère juste de s’appuyer sur ton statut. Tu ne peux pas rejeter la faute sur les Frazer. »
Même si Carl savait que Finn avait raison, son tempérament n’en était pas moins piqué. Malgré tout, Carl ferma la bouche et ne se plaignit plus lorsque Finn se dirigea vers le canapé et s’y assit.
« Alors, » dit Carl, « Qu’est-ce qui se passe avec le chevalier-ordure ? »
« Il essaie d’empêcher une guerre… » Finn fronça les sourcils. « Tu sais, mon vieux, je ne crois pas une seconde qu’il soit aussi mauvais que les rumeurs le laissent penser. En plus, c’est mon ami. »
« Comme c’est inattendu de la part d’un misanthrope aussi célèbre, » dit Carl d’un ton pensif en baissant le regard. « Mais c’est à moi de prendre la décision irrévocable. »
« C’est pas mal, venant du gars qui a abandonné ses responsabilités pour partir en vacances », rétorqua Finn en haussant les épaules.
« Tu aimes bien ouvrir ta bouche, n’est-ce pas, sale gosse ? Peu importe. Comment Mia tient-elle le coup ? »
« Elle fait du tourisme avec la princesse et son entourage. J’ai fait en sorte que Brave les accompagne, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter. »
Le sourire de Carl était presque imperceptible. « Vraiment ? Je suppose qu’elle a à peu près le même âge que la princesse de Hohlfahrt. C’est agréable de les voir s’entendre aussi bien. »
« Cela a été une bonne expérience pour elle », poursuivit Finn. « Elle a plus d’amis et elle a l’air de s’amuser. Mais j’ai été assez choqué de découvrir que la princesse s’était réincarnée ici comme nous l’avons fait. »
Carl acquiesça. « J’ai aussi été surpris quand j’ai lu ta lettre. Tsk. Je me demande… Pourquoi nous a-t-on tous amenés ici ? »
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Chapitre 4 : Les motivations de Son Éminence
Partie 1
La Capitale blanche du Saint Royaume de Rachel était une métropole située sur une île flottante au-dessus d’un énorme lac. Un château d’ivoire s’élevait en son centre, le reste de la ville s’étalant autour de lui. L’architecture était serrée, les bâtiments s’élevaient sur chaque centimètre carré de l’île. Chacun d’entre eux pâlissait en comparaison du château lustré. C’était la seule structure qui brillait d’un blanc pur et lumineux. Malgré cela, les citadins insistaient pour appeler leur chez-soi, la capitale blanche.
Le souverain de ce château était le saint roi — un homme âgé et rond avec de longs cheveux blancs et une longue barbe blanche. Cet homme, que beaucoup vénèrent comme un monarque divin, était assis dans la grande salle d’audience pour recevoir l’envoyé qu’il avait envoyé pour négocier avec le royaume de Hohlfahrt.
« Malheureusement, le royaume a choisi d’abandonner votre miséricorde, Votre Éminence. Ils se préparent à la guerre. » L’envoyé mit un genou à terre, la tête inclinée, alors que son discours était aussi grandiose que lorsqu’il avait dit alors qu’il était à Hohlfahrt.
Les nobles réunis dans la chambre s’indignèrent et ne tardèrent pas à exprimer leur désapprobation.
« Quels imbéciles ! »
« Je suppose que nous ne devrions pas attendre mieux de la part des sauvages. »
« On ne peut plus les sauver depuis si longtemps. »
La plupart d’entre eux parlaient avec une condescendance ouverte, mais le saint roi leva la main pour les faire taire. Il caressa sa barbe bien-aimée en signe de contemplation.
« Ils ne nous laissent pas le choix », déclara-t-il. « Nous devons également commencer nos préparatifs pour la bataille. »
Les nobles tombèrent à genoux dans une vague et baissèrent la tête en signe de révérence.
« Oui, Votre Éminence ! Que votre volonté soit faite ! »
☆☆☆
En sortant de la grande salle d’audience, le saint roi se rendit dans le salon adjacent où il s’enfonça dans un fauteuil incliné. Là, il fut rapidement entouré d’une ribambelle de belles femmes. Il souleva la lourde couronne de sa tête et la plaça de côté, puis il retira les couches de vêtements opulents dont il était revêtu. À la fin, après avoir enlevé ses chaussures, il n’avait plus que ses sous-vêtements.
Les femmes qui l’assistaient portèrent des fruits et un assortiment de boissons pour le roi. Au moment où il ouvrit la bouche, l’une des femmes glissa un fruit fraîchement pelé entre ses lèvres. Tout en mâchant, le roi jeta un coup d’œil à son Premier ministre, qui était entré quelques instants après lui.
« Alors ? Quelles nouvelles de l’ennemi ? » demande le roi. Par ennemi, il entendait bien sûr le royaume de Hohlfahrt.
Le Premier ministre avait joué son rôle avec toute la théâtralité requise lors de l’audience précédente, mais son comportement en privé était plus discret et plus professionnel.
« La princesse sournoise de Lepart — ou plutôt la reine Mylène, comme on l’appelle actuellement — a jugé bon d’emmener sa fille sur les terres des Frazer. Elle l’a fait escorter par le chevalier-ordure et ses deux dirigeables. »
Le roi ne semblait pas particulièrement paniqué par cette évolution. En fait, il souriait. « Elle a donc l’intention d’envoyer le chevalier-ordure faire le sale boulot pour nous détruire ? »
« La reine Mylène ne cautionnera pas une telle manœuvre », répondit le Premier ministre avec un sourire crispé. « Elle serait une adversaire bien moins redoutable si elle était assez coléreuse pour agir de façon aussi imprudente, mais hélas… »
Le roi renifla. « Roland aussi est pénible, cet excentrique. Mais cette sorcière intrigante n’est pas moins une épine dans notre pied. »
Le Premier ministre fronça le nez, partageant le dégoût du roi. « Roland ne semble pas vouloir nous contrer cette fois-ci, » dit-il. « C’est un peu déstabilisant. »
Roland était plutôt tristement célèbre auprès de ses ennemis. Malgré toute sa paresse, il était une telle nuisance qu’il avait gagné leur ire. Ils le qualifiaient d’excentrique pour ses stratégies peu conventionnelles. Mais malgré la menace qu’il représentait, le saint roi et son Premier ministre s’intéressaient davantage à Léon — le chevalier-ordure.
« Et que fait le chevalier-ordure maintenant qu’il est sur le territoire de Frazer ? » demanda le roi.
« D’après nos espions, il se tient prêt, conformément aux ordres de la reine », répondit le Premier ministre. « Il semble que les rumeurs concernant sa fixation sur elle soient vraies. »
La nouvelle de la relation de Léon avec la reine s’était même répandue jusqu’à Rachel. Le saint roi avait cependant du mal à le comprendre.
« Je suis vraiment choqué qu’un homme puisse trouver cette sorcière attirante », déclara-t-il.
Le Premier ministre hocha la tête en signe d’assentiment. « En effet. »
Ni l’un ni l’autre n’avait jamais considéré Mylène comme un objet d’une quelconque séduction. Non, en ce qui les concerne, elle n’était rien d’autre qu’une ennemie acharnée et le fléau de leur existence.
« Votre Éminence, » déclara le Premier ministre, « allons-nous continuer à rassembler nos militaires dans la capitale blanche comme prévu précédemment ? »
« Oui. »
« Nos nations alliées du Concordat de défense armée ont envoyé des émissaires pour demander notre participation aux batailles à venir, ainsi que des renforts pour leurs propres assauts. Que devons-nous leur répondre ? »
Le roi rétrécit les yeux. « Trouve des excuses et refuse de leur accorder une audience. Nous avons de bonnes raisons de le faire, avec le chevalier-ordure qui rôde à notre frontière. Dis-leur que nous avons besoin de toutes nos ressources pour le coincer. »
Le Saint Royaume de Rachel avait fait une impressionnante déclaration de guerre devant les émissaires de ses alliés, mais en vérité, ils n’avaient pas l’intention de procéder eux-mêmes à une quelconque invasion. Au contraire, ils se concentraient sur le renforcement de leurs défenses et prévoyaient de traiter avec Léon selon leurs propres termes.
« Je suis soulagé de vous entendre dire cela. » Le Premier ministre laissa échapper une longue respiration qu’il avait retenue. « Après tout, nous n’avons pas encore les moyens de nous passer de l’excuse à propos du chevalier-ordure. »
Le roi éclata de rire. Il bascula en avant dans son fauteuil inclinable, se penchant en avant. « Aussi sournoise que soit cette sorcière, elle ne serait pas assez téméraire pour nous envahir. Si elle le faisait, elle forcerait l’empire à répondre, et ils représentent une menace bien plus terrible que toutes celles que nous pourrions rassembler. »
Bien que Hohlfahrt et Rachel soient considérées comme des nations majeures, le Saint Empire magique de Vordenoit les éclipsait toutes les deux. Mylène n’était pas stupide au point de leur donner un prétexte pour entrer en guerre. Du moins, c’est ce que croyaient le saint roi et son Premier ministre. Ils étaient persuadés que Mylène était trop intelligente pour prendre de tels risques.
Le Premier ministre sourit. « Même le chevalier-ordure ne peut pas s’attaquer au monde entier, quelle que soit sa puissance. »
Si l’empire passait à l’action, tous ses pays vassaux s’aligneraient derrière lui. D’innombrables autres nations seraient entraînées dans leur sillage, car elles jugeraient trop dangereux de laisser un artefact disparu aussi puissant sous le contrôle de Hohlfahrt.
« Mais encore. » Une ride d’inquiétude plissa le front du Premier ministre. « Imaginez qu’il ait le pouvoir de faire de nous tous des ennemis. Il serait une force irrésistible. Ce que nous avons entendu de son pouvoir défie déjà l’imagination. »
Le saint roi acquiesça. Il partageait la prudence de son Premier ministre, même s’il n’était pas aussi inquiet.
« Si cet homme avait vraiment le pouvoir de conquérir le monde, il s’ensuit qu’il l’aurait déjà fait. C’est ainsi que fonctionne l’humanité. Puisqu’il ne l’a pas fait, cela signifie que, pour une raison ou une autre, il ne le peut pas. D’autant plus qu’il est jeune. Si tu donnes à un enfant un pouvoir qui échappe à son contrôle, que voudra-t-il en faire ? L’exhiber devant tout le monde. »
Le Premier ministre se caressa le menton. « Oui, ce schéma apparaît souvent dans les contes de fées. Quelqu’un met la main sur un artefact disparu, va trop loin et finit malheureux. »
« Nous n’avons pas besoin de terminer cette guerre en étant clairement vainqueurs », lui rappela le saint roi. « Si le chevalier-ordure se montre encore plus capable que nous ne le croyons déjà, cela ne fera que pousser d’autres nations à se joindre à nous. Grâce à leur puissance, nous aurons encore plus d’occasions de soumettre Hohlfahrt et leur “héros”. »
« Une stratégie judicieuse. D’une part, Hohlfahrt importe ses pierres magiques. J’ai entendu dire qu’ils souffraient déjà, puisqu’ils ne peuvent pas acheter cette ressource à la République d’Alzer. »
Le roi s’était de nouveau adossé à son fauteuil. « C’est pourquoi nous n’avons pas besoin de lever le petit doigt. Laissons les dés tomber, notre ligne de conduite la plus sage reste d’éviter toute confrontation directe avec le chevalier-ordure. Si, entre-temps, l’empire décide d’agir contre Hohlfahrt, tant mieux. »
« Ils ont aussi l’air de se méfier de lui », déclara le Premier ministre en souriant. « D’après ce que me disent les envoyés, ils s’intéressent déjà à cette guerre. »
« Le chevalier-ordure s’est mis trop en évidence. Grâce à lui, tout se déroule comme nous l’avions prévu. » Le roi ferma les yeux. « Oui, ses actions ont assuré notre victoire — même si nous ne tirons jamais un seul coup de feu. »
Le pouvoir de Léon était devenu si écrasant que bientôt, le monde entier le considérerait comme une menace.
+++
Partie 2
« C’est la meilleure destination touristique de toute la région ! » déclara Élie, qui nous avait amenés voir le lac de son territoire.
Le lac était entouré sur tous ses côtés par des glissières de sécurité. Marie s’y agrippa et se pencha en avant, s’abreuvant du spectacle. Elle était tellement émue par le paysage à couper le souffle qu’elle oublia complètement l’animosité qu’elle avait manifestée à l’égard d’Élie. « C’est un lac !? », couina-t-elle, ravie.
Ce n’était pas n’importe quel lac. Une petite île flottait à quelques centaines de mètres au-dessus de lui, et une énorme colonne d’eau jaillissait du lac jusqu’à elle. Lorsque l’île débordait, l’eau se déversait à nouveau dans les profondeurs. L’effet était celui d’une énorme fontaine d’eau naturelle. Du moins, c’était la meilleure façon d’expliquer ce que je voyais.
« Je dois admettre, » avais-je dit, « que c’est assez incroyable. »
« C’est incroyablement rare », dit Livia, les yeux pétillants. « Peu d’îles flottantes aussi petites peuvent aspirer l’eau de cette façon. C’est à se demander si l’île a été amenée ici spécifiquement ou si elle a simplement dérivé naturellement jusqu’à sa position. » Cette anecdote venait probablement d’un livre — Livia étant un vrai rat de bibliothèque — mais il semblait qu’elle n’avait jamais rien vu de tel en chair et en os.
Anjie porta une main à son menton. « Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’un si beau spectacle soit caché tout au fond d’une région frontalière. S’il était plus central, il pourrait devenir une destination encore plus impressionnante. » Elle ne pouvait s’empêcher de considérer la chose d’un point de vue plus pratique et aristocratique.
Noëlle lança un regard exaspéré à Anjie. Elle avait sans doute du mal à comprendre comment Anjie pouvait être prise par des pensées de monétisation au lieu d’apprécier ce que c’était déjà.
« N’es-tu pas le moins du monde émue ? » demanda Noëlle.
« Bien sûr », répondit Anjie. « Pourquoi demandes-tu cela ? »
« Je veux dire, je pense juste qu’il y a d’autres façons de s’exprimer. Par exemple, “Comme c’est bien !” ou “C’est beau !”. Tu sais, quelque chose comme ça. Je veux dire, regarde bien. On dirait qu’ils ont des bateaux pour les couples. »
J’avais regardé dans la direction indiquée par Noëlle. Comme elle l’avait dit, il semblait que des couples et des familles se trouvaient sur le lac dans des bateaux. Cela devait paraître un peu bizarre à la plupart d’entre eux, étant donné que la plupart des bateaux de ce monde flottaient dans l’air plutôt que sur l’eau.
Anjie fit la grimace. « Je n’ai aucun intérêt pour un bateau qui ne peut pas voler. »
Peut-être s’agissait-il effectivement d’un choc des cultures. De mon point de vue, les bateaux sont plus à leur place sur l’eau que dans le ciel.
Noëlle s’était brusquement accrochée à mon bras. Son visage s’était illuminé comme si elle avait eu un coup de génie. « Dans ce cas, tu ne vois pas d’inconvénient à ce que Léon et moi allions faire un tour ensemble, n’est-ce pas ? Tu viendras avec moi, n’est-ce pas, Léon ? »
« Bien sûr », avais-je répondu sans perdre une seconde.
Les deux autres filles étaient stupéfaites.
« Noëlle, fais la queue », gronde Anjie. « N’essaie pas de nous surpasser comme ça. »
Livia hocha la tête fermement. « Exactement. Ce n’est pas jouer franc jeu, mademoiselle Noëlle. »
☆☆☆
Marie fixa l’embarcadère où l’on louait des bateaux. Léon et Noëlle avaient déjà embarqué ensemble sur l’un d’eux, et même de loin, leur badinage résonnait.
« Un peu insouciant, si tu veux mon avis, » dit Marie. Elle s’appuyait sur la rambarde en les regardant, en soupirant.
Erica s’approcha d’elle par-derrière. « Oncle est devenu tellement plus audacieux. »
« Erica ? » Marie fut surprise. Elle balaya du regard leur environnement. « Et où est ce morveux d’Elijah ? »
Erica passa une main dans ses cheveux, repoussant quelques mèches derrière son oreille. « Je voulais te parler, maman, alors je l’ai envoyé faire une petite course. »
« Une course ? Il est toujours l’héritier d’un marquis, tu te souviens ? Es-tu sûre que ce n’est pas grave ? » Aussi critique que Marie soit à l’égard d’Élie, elle comprenait tout de même l’importance de son statut. Sa position le mettait au même niveau que sa brigade d’idiots — ou au niveau auquel ils auraient été, si leurs familles ne les avaient pas reniés. Sa présence douce et discrète permettait d’oublier qu’il était un noble rejeton.
Erica gloussa. « Bien sûr que oui. Je suis sa princesse. »
« D-D’accord, je suppose que tu marques un point. »
Le fait d’être une princesse signifiait que même si Erica faisait attendre Elijah pieds et poings liés, les gens riraient et passeraient outre. C’était d’autant plus vrai que leur relation était déjà bonne. Si ce n’était pas le cas, il pourrait y avoir des problèmes.
« Je sais que toi et mon oncle essayez de faire ce que vous pensez être le mieux pour moi. »
« Erica… ? » demanda Marie, mal à l’aise. Où cela allait-il nous mener ?
« Mais je vous l’ai déjà dit : j’ai accepté mes fiançailles avec Elijah. J’aimerais vraiment que vous deux ne vous en mêliez pas davantage. »
« C’est juste que… Je veux que tu sois heureuse ! Je veux que tu sortes avec quelqu’un avec qui tu veux être, que tu profites de ta jeunesse ! Et puis… Et puis…, » Marie balbutia, impuissante, désespérée que sa fille goûte au bonheur qu’elle n’avait pas pu lui donner dans leur vie précédente, ce qu’elle regrettait profondément. Tout ce qu’elle voulait, c’était qu’Erica puisse vivre une vie normale, avec tout le bonheur que cela impliquait.
« Si nous vivions dans une société dont les principes étaient plus proches des nôtres, cela aurait pu être possible. Mais je suis la princesse de Hohlfahrt. Je ne suis pas libre de simplement vivre ma vie comme je l’entends. »
« Mais Léon fera tout ce qu’il faut pour que tu puisses ! »
« Maman ? », s’étonna Erica.
« Peut-être que tu ne t’en rends pas compte, mais il a résolu tous les problèmes que j’ai eus », poursuit Marie avec enthousiasme. « Et si c’était pour ton bien, je sais qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour t’aider. Alors, s’il te plaît… Sois heureuse. » Marie baissa le regard, des larmes coulant sur ses joues. Désespérant d’éviter le regard inquisiteur de sa fille, elle se retourna vers le lac, où Léon et Noëlle profitaient toujours de leur promenade en bateau.
« Je suis heureuse », dit Erica.
« Erica, j’ai acheté le truc que tu voulais ! » brailla Elijah de loin, en se précipitant vers elles.
Marie lui jeta un coup d’œil et essuya ses larmes. Puis, elle se retourna vers sa fille. « Es-tu sûre que tu es d’accord avec lui ? Il y a une tonne de garçons plus séduisants. Tu pourrais avoir le choix. »
Erica avait répondu par un sourire troublé et avait rapidement secoué la tête. Il semblait que sa mère et elle avaient des goûts assez différents en matière d’hommes. « Je pense qu’il est mignon tel qu’il est », dit-elle. « Et puis, n’est-ce pas mieux de façonner ton homme pour qu’il corresponde à ton idéal ? »
« Hein ? », s’exclama Marie, abasourdie.
Erica se tourna vers Elijah, se déplaçant pour le rejoindre à mi-chemin. « Quoi, tu n’es pas d’accord ? Je pense qu’il est bien mieux de modeler un garçon pour qu’il corresponde à ce que tu veux plutôt que de perdre tout ce temps à essayer de trouver la personne parfaite. »
Maintenant que Marie avait pu mieux comprendre le point de vue de sa fille, tout s’était mis en place. C’est donc ça. Elle a transformé Elijah en une version plus acceptable de lui-même. D’une certaine façon, c’est… de mauvais augure ? Non, non. Voyons cela d’un œil positif. C’est la preuve de sa détermination.
Sur ce, Marie décida d’accepter leur relation et de leur donner sa bénédiction.
« Hé, toi, » dit-elle à Élie lorsqu’il les rejoignit.
« Oui ? »
« Tu as intérêt à faire des efforts. Je le pense vraiment. »
« Hein ? Hum… Oui, bien sûr. »
☆☆☆
Après avoir fait un tour avec Noëlle, puis Livia, ce fut enfin le tour d’Anjie. J’avais pensé qu’elle revendiquerait son droit à passer en premier, mais elle avait choisi de passer en dernier pour pouvoir discuter de quelque chose avec moi en privé.
Anjie se pencha hors de son siège et tendit la main pour laisser ses doigts effleurer la surface de l’eau. « J’ai parlé avec Sa Majesté, mais je n’ai pas réussi à la persuader. »
« Oui ? » Pendant que je ramais sur le bateau, je restais le plus souvent silencieux, écoutant Anjie parler.
« Elle semble fervente dans son sens des responsabilités. Envers sa patrie, envers Hohlfahrt… Mais en réalité, je pense qu’elle est principalement motivée par la famille royale. Elle essaie de t’utiliser pour renforcer leur position. »
Luxon était également avec nous. Il planait à la proue de notre petit bateau, son attention se concentrant sur notre cap. Il ne montrait aucun signe de vouloir s’immiscer dans la conversation.
« La guerre, la politique, c’est un peu lourd pour moi », avais-je dit. « En tout cas, comment s’est passée la conversation sur le départ de la Licorne ? »
« Je pense qu’elle était furieuse. Elle n’est pas ouvertement en colère contre toi, mais à l’intérieur, elle doit être furieuse. »
Je ne serais pas surpris qu’elle soit furieuse. J’avais envoyé la Licorne sans même en demander l’autorisation. Anjie m’avait dit que la reine était toujours aussi souriante en personne. Cette partie m’avait brisé le cœur. Je voyais bien que Mylène ne faisait qu’être prévenante et qu’elle cachait ses vraies émotions. Non, ce n’est pas vrai. C’était moins de la considération que l’impression que, lorsqu’il s’agissait de moi, elle marchait sur des œufs. Elle était beaucoup trop prudente.
J’étais tombé dans mes pensées tout en continuant à ramer.
Anjie ricana en me regardant. « Tu as le cafard parce que tu penses que l’affection de Sa Majesté pour toi s’est estompée. Est-ce qu’un baiser arrangerait les choses ? »
« Je n’ai pas le cafard », avais-je répondu en grommelant.
« Oh, allez, ne fais pas la tête. Oui, je veux me moquer un peu, mais je suis vraiment prête à t’offrir un peu de consolation, si cela peut t’aider. D’autant plus que tout cela t’a imposé un fardeau si lourd, une fois de plus. »
Une fois la guerre officiellement déclenchée, ceux qui avaient été adoubés — c’est-à-dire tous les aristocrates — devraient se battre pour le royaume, qu’ils le veuillent ou non.
Anjie retourna son regard vers l’eau. « La reine et toi vous dirigez dans des directions opposées. Si vous continuez sur cette trajectoire, vous finirez par vous retrouver dans des camps opposés. T’es-tu résolue à l’affronter en tant qu’ennemie ? »
« Je ne veux pas me battre contre elle. »
Je savais que j’avais l’air indécis. Anjie soupira et me lança un regard triste.
« La reine Mylène n’est pas aussi douce que tu sembles le croire », prévient Anjie. « N’oublie pas : elle est une adversaire redoutable. »
Mes relations avec la reine étaient tendues, et on aurait dit que c’était arrivé en un clin d’œil. Si l’on en croit les mises en garde d’Anjie, tôt ou tard, nous serions des rivaux politiques.
« Je ne sais pas. Est-ce que c’est vraiment comme ça que les choses doivent se passer ? Ne peux-tu pas trouver un moyen de résoudre tout cela pacifiquement, Anjie ? » avais-je demandé, en plaisantant à moitié.
Anjie s’était empressée de prendre de l’eau du lac et de m’éclabousser en plein visage. Un sourire se dessina sur ses lèvres, mais les émotions qui se reflétaient dans ses yeux n’étaient pas vraiment réjouissantes. L’agacement. Colère. « Me demandes-tu vraiment de m’occuper d’une autre femme à ta place ? »
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Partie 3
Pendant que Léon et ses fiancées s’amusaient à visiter le territoire des Frazer, la Licorne s’était rendue dans la baronnie de Bartfort, avait récupéré les précieux orbes qui y étaient entreposés et s’était dirigée vers l’un des petits États-nations participant au Concordat de défense armée. À peine la Licorne avait-elle touché le port qu’elle se retrouva entourée de chevaliers pilotant des armures.
Jilk traversa l’intimidante équipe de sécurité qui les accueillit. Greg et Chris le suivaient de près, ne cherchant pas à cacher leur mine renfrognée.
« Pourriez-vous tous les deux prendre cela un peu plus au sérieux ? » demanda Jilk en leur jetant un coup d’œil. « Cette négociation est d’une extrême importance. L’avenir du royaume est en jeu. »
Chris souffla et tourna la tête. « Je comprends, mais en quoi cela implique-t-il de nous traiter comme tes subordonnés ? Je dois dire que Léon a pris la mauvaise décision sur ce point. »
« Pire encore, tu nous as entraînés dans ce petit bout de rien du tout douteux que les gens d’ici appellent un pays. » Greg croisa les mains derrière la tête en balayant la région du regard. « Même si tu parvenais à convaincre une nation aussi mineure de changer de camp, ça ne changerait rien. »
Jilk sourit d’un air entendu. « Nous recherchons un effet d’entraînement. Cela dit, je dois te remercier pour le bon déroulement des pourparlers jusqu’à présent, Brad. »
Brad marchait à côté de Jilk avec une expression tendue. Étant né dans l’un des territoires frontaliers du royaume, il avait des liens naturels avec les autres maisons nobles qui défendaient les frontières de Hohlfahrt. Jilk s’en était servi pour organiser cette rencontre avec l’ennemi.
« Malheureusement, je n’ai aucun lien personnel avec ce pays », rappela Brad à Jilk. « Alors, s’il te plaît, ne suppose pas que ces discussions se dérouleront favorablement simplement parce que nous sommes arrivés jusqu’ici. »
« Oh, je n’en attends pas tant. »
« Tu n’en attends pas autant !? », s’emporta Brad. « Tu le dis comme si tu n’avais pas confiance en moi ! C’est exaspérant ! » Il était un fouillis de contradictions, il ne voulait pas que Jilk se fie trop à lui, mais être entièrement écarté était une grave offense.
« Ton heure viendra lorsque nous nous rendrons dans le duché de Fanoss pour y mener des négociations, » déclara Jilk.
« Fanoss ? Tu veux parler à Hertrude ? Mais c’est… » Brad s’était interrompu. Son visage se crispa, il avait du mal à se réjouir d’un tel obstacle.
« Il y a de fortes chances qu’ils se retournent contre nous, bien sûr, mais nous pourrions être surpris. Qui sait ? Ils seront peut-être prêts à nous prêter main-forte. » Le visage de Jilk respirait la confiance.
« Pourquoi penses-tu cela ? » demanda Brad en le regardant avec méfiance.
Jilk garda les yeux fixés droit devant lui et modéra son expression. « Oh, quand le moment sera venu, tu verras. »
☆☆☆
Pendant la réunion, Jilk demanda à ses camarades de rester en retrait pendant qu’il discutait personnellement avec l’un des ministres du pays mineur. Ils ne menaient pas ces négociations dans la salle d’audience du roi afin de se débarrasser d’emblée des affaires les plus fastidieuses.
Ce ministre accueillait généralement les diplomates Hohlfahrtiens d’un air modeste, mais étant donné l’avantage dont jouissait actuellement leur nation dans le cadre du Concordat de défense armée, il se prélassait sur le canapé d’en face, adossé aux coussins et débordant d’assurance.
« Je n’aurais jamais imaginé que Hohlfahrt enverrait quatre enfants pour nous rencontrer. De plus, j’ai cru comprendre que vous aviez été désavoués par vos maisons pour débauche. »
On ne s’attendait pas vraiment à ces coups de gueule, et Jilk les accueillit avec un sourire. « Vous savez certainement comment frapper un homme là où ça fait mal. »
« Alors ? Comment comptez-vous nous tenter cette fois-ci ? Le dernier ambassadeur qui a essayé d’acheter notre allégeance a proposé une somme exorbitante. »
C’est précisément ce que Jilk avait prévu. Cette minuscule nation avait rejeté l’offre, car elle prévoyait de s’enrichir en pillant Hohlfahrt une fois qu’elle l’aurait envahi. Aussi « exorbitante » qu’ait été l’offre de Hohlfahrt, elle ne serait qu’une bouchée de pain comparée à ce qu’ils pourraient voler. Du moins, c’est ce qu’ils sous-entendaient.
Jilk écarta les moqueries du ministre et garda un sourire désinvolte. Chaque chose en son temps, pensa-t-il. Une menace.
« Je suis venu vous informer que lorsque la guerre commencera, mon seigneur-lige — le duc Léon Fou Bartfort, donc — a l’intention d’anéantir votre nation en premier. »
Les yeux du ministre s’étaient écarquillés. Il cligna des yeux plusieurs fois, incrédule. Le simple fait de suggérer que le chevalier-ordure avait l’intention d’envahir et de détruire sa minuscule nation avait complètement brisé son sang-froid.
« Haha, vous devez bluffer », dit-il d’une voix tremblante. « Votre seigneur va forcément commencer par Rachel, ou par l’un des autres grands pays. Non, même avant cela, il devra s’occuper des envahisseurs qui parviendront à passer vos frontières. »
Bien que le ministre se soit empressé d’interpeller Jilk sur son intimidation, l’homme était encore ébranlé. La possibilité était trop terrifiante pour être écartée, même lorsqu’il essayait.
Jilk hocha la tête pendant que le ministre parlait, puis reprit son expression, le sourire s’évanouissant, lorsque l’homme eut terminé. « Mon seigneur a une phrase qu’il aime répéter : “Quand tu t’attaques à un ennemi, tu dois commencer par briser son maillon le plus faible”. Bien sûr, il fait souvent précéder cette phrase du fait qu’il préférerait ne pas avoir à détruire qui que ce soit, mais les circonstances étant ce qu’elles sont, il n’a pas vraiment le choix. Une fois que le combat a commencé, mon seigneur n’est pas du genre à laisser des choses en suspens. »
Une sueur froide s’était répandue sur le visage du ministre.
Jilk claqua des doigts. Se renfrognant, Greg s’approcha avec une boîte dans les bras, qu’il déposa sur la table. Le ministre et les autres bureaucrates étaient si troublés qu’ils n’essayèrent même pas de lui ordonner d’arrêter. Jilk déplia le couvercle fermé pour révéler un orbe blanc brillant à l’intérieur.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda le ministre. Les autres fonctionnaires étaient tout aussi perplexes.
« Il s’agit d’un orbe précieux, que mon seigneur a récupéré lors de ses batailles dans la République d’Alzer », expliqua Jilk. « N’avez-vous jamais entendu parler de ces objets ? Ils possèdent autant de pouvoir magique qu’une douzaine de pierres magiques. Si vous en réclamiez une, vous n’auriez jamais à vous inquiéter d’un déficit d’énergie. »
Son objectif était double : dépeindre le déchaînement de Léon à travers la République d’Alzer tout en les tentant avec un prix prometteur. Les regards du ministre et de ses fonctionnaires étaient uniformément rivés sur l’orbe.
« Il s’agit donc d’un de ces orbes précieux dont nous avons tant entendu parler… ! »
« Si vous acceptez de renoncer au Concordat ici et maintenant », poursuit Jilk, « cet orbe est à vous. Refusez, et vous inviterez votre propre destruction, car une fois la guerre commencée, mon seigneur enverra son dirigeable directement à votre porte. »
Les bureaucrates se pincèrent les lèvres. Le ministre, quant à lui, ferma les yeux et se pinça l’arête du nez.
☆☆☆
Après avoir mené à bien leurs négociations avec cette nation, Jilk et ses compagnons étaient retournés à la Licorne. Ils s’étaient rassemblés dans la salle à manger, se pressant autour de l’une des tables en réfléchissant avec allégresse à leur accomplissement.
« Je n’arrive pas à croire que tu aies réussi à les convaincre là où les diplomates du royaume ont échoué. » Chris secoua la tête. Il était véritablement impressionné par les capacités de persuasion de Jilk.
« C’est parce que nous sommes montés sur le navire jumeau de l’Einhorn et que nous avons directement employé le nom de Léon », expliqua Jilk avec un sourire satisfait. « Nos diplomates ne peuvent pas faire référence au duc avec autant de désinvolture. De plus, nous avons offert ce précieux orbe en guise de pot-de-vin. »
Dans l’esprit de Jilk, le succès était acquis.
Brad plissa les yeux. « En gros, tu as utilisé son nom pour les menacer, alors bien sûr, ils ont cédé. Cela mis à part, je suppose que tu as l’intention de continuer comme ça ? Distribuer de précieux orbes au reste de nos ennemis ? »
« Pourquoi ferais-je une chose pareille ? » Jilk inclina la tête, les sourcils froncés. « Ces orbes sont une ressource précieuse. »
« Hein ? Alors comment allons-nous mettre le Concordat de défense armée à genoux ? »
Jilk poussa un long soupir et se passa une main sur le front en secouant la tête. « Pas en gaspillant notre monnaie d’échange de façon aussi imprudente. Nous ne distribuerons ces orbes qu’à trois pays. Après cela, il nous suffira de répandre la nouvelle que certains pays ont changé de camp, puis les autres suivront naturellement. »
« Je suppose que c’est toi l’expert quand il s’agit de ce genre de choses. » Greg avait l’air déconcerté en se grattant le cou. C’était techniquement un compliment, mais il était miné par l’air irrité qu’il arborait. En fait, ce n’était probablement pas du tout un compliment.
Jilk n’y prêta pas attention. « Oh, s’il te plaît, tu n’as pas besoin de me flatter ainsi », dit-il. « De toute façon, nous devrons visiter quelques nations supplémentaires avant de nous rendre à la maison Fanoss. »
Brad hocha la tête plusieurs fois. « Très bien. Je vais informer ma maison de nos projets. »
Creare observa avec grand intérêt les quatre hommes s’affaler dans leur siège, soulagés que leur première négociation soit terminée. Son regard perçant sembla ébranler Jilk, qui se décala pour lui jeter un coup d’œil.
« Quelque chose ne va pas, Mlle Creare ? » demanda-t-il, toujours en gentleman — ce qui était quelque peu inutile lorsqu’il s’agissait d’une IA.
« Tu n’es qu’une ordure, » dit-elle. « Mais au moins, tu es utile. Je me demandais si je pouvais t’utiliser pour mes expériences après que tu aies manipulé le Maître, mais comme ce petit séjour a été couronné de succès, j’ai décidé de te pardonner. »
« Ah ha ha, eh bien, merci… » Jilk s’était interrompu alors que les implications de ses paroles se faisaient sentir. « Attends, tu as dit “expériences” ? »
Sa première réaction avait été automatique, il était habitué aux IA et à leurs remarques sarcastiques et pleines d’esprit. Mais il ne pouvait pas ignorer la suggestion d’un certain avenir sinistre.
D’un air un peu trop joyeux, Creare expliqua : « Depuis que j’ai perfectionné ma capacité à changer de sexe, j’ai terminé les préparatifs pour la prochaine étape de mes expériences. C’est un peu dommage que je ne puisse pas t’utiliser. Mais bon. Je suis au moins contente que tu sois sur la bonne voie pour atteindre les objectifs du maître. »
Les garçons avaient blanchi face à son explication étrangement enthousiaste. Cela leur donna une nouvelle et horrible raison de réfléchir. Qu’avait-elle prévu de leur faire s’ils échouaient… ?
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Chapitre 5 : La représentante de la maison Fanoss
Partie 1
Une fois qu’ils eurent reçu un accord officiel pour se rencontrer, Jilk et son groupe se rendirent au château des Fanoss, où une représentante, Hertrude Sera Fanoss, les reçut. Ses longs cheveux noirs lustrés et sa peau de porcelaine la distinguaient naturellement, mais son trait le plus distinctif était ses yeux rouge rubis, de la même teinte que ceux d’Anjie.
Hertrude semblait plus mûre que lors de leur dernière rencontre. Autrefois princesse d’une nation, elle était devenue chef d’une maison noble, supervisant le duché de sa famille en tant que dirigeante officielle de la maison Fanoss. Comme pour montrer qu’elle était devenue une femme, elle portait une robe noire chic qui mettait en valeur sa silhouette mince.
« Qu’est-ce que le duc Bartfort veut à la maison Fanoss ? » demanda Hertrude.
Ils se trouvaient dans la salle d’audience du château. Elle était assise sur ce qui avait été le trône de sa lignée royale, penchée sur le côté, le coude placé sur l’accoudoir. Ce n’était certainement pas une posture correcte. Rien que cela en disait long sur sa position à l’égard de leur visite : En bref, ils n’étaient pas les bienvenus.
Jilk leva les mains. « Ma Dame, nous venons à la demande du royaume de Hohlfahrt — ! »
« C’est un mensonge comme je n’en ai jamais entendu avant », l’interrompit-elle, pas du tout convaincue que Jilk soit ici au nom du gouvernement du royaume ou même de la famille royale.
Un certain nombre d’aristocrates du duché étaient également présents, ainsi qu’un surveillant qui avait été officiellement posté là par le royaume. Son rôle était de surveiller la maison Fanoss après sa défaite lors de la dernière guerre. À en juger par l’expression de son visage, l’homme ne semblait pas particulièrement à l’aise dans son rôle. Il était impossible de savoir quand la maison Fanoss déciderait de trahir Hohlfahrt. Pendant tout ce temps, le surveillant s’était montré arrogant avec son chef, il était donc probablement nerveux, se demandant quand il serait littéralement poignardé dans le dos.
« Je souhaite leur parler seul à seul. » Hertrude leva la main droite pour écarter ceux qui s’étaient rassemblés. « Vous autres. Laissez-nous. »
« Un instant ! » s’écria le surveillant. « Vous ne pouvez pas faire une telle — ! »
« J’ai dit, partez. »
Alors que le surveillant tenait autrefois la laisse, c’est Hertrude qui menait la danse. Les aristocrates de Fanoss s’étaient empressés d’attraper l’homme et de le traîner vers la sortie. Quelques nobles — des fidèles d’Hertrude qui s’inquiétaient de la laisser seule avec une compagnie d’hommes — proposèrent de rester, mais elle refusa.
Bientôt, les quatre ex-nobles de Hohlfahrt furent les seuls à rester dans la salle d’audience. Enfin, Hertrude ajusta sa posture et s’assit bien droite sur le trône.
« Je suis heureuse que vous soyez arrivé jusqu’ici. Si vous étiez arrivé plus tard, j’avais l’intention de me rendre moi-même chez le duc. » Cette fois, Hertrude souriait, alors que son attitude était aux antipodes de ce qu’elle était quelques instants plus tôt.
Jilk fut décontenancé, mais il fit de son mieux pour calmer son expression. « Alors, est-ce que j’ai raison de supposer que vous vous réjouissez de notre arrivée ? »
« Bien sûr. Même si je dois admettre que beaucoup de mes concitoyens, nobles comme roturiers, sont impatients de rembourser la rancune qu’ils vouent depuis des décennies au royaume de Hohlfahrt. Cependant, j’ai le plus grand respect pour les capacités du duc. » Ses yeux s’étaient rétrécis, son sourire en coin cachant quelque chose de plus profond —, et de potentiellement insidieux.
Jilk cacha son malaise du mieux qu’il put. Après la façon dont elle avait expulsé le surveillant, on pouvait dire qu’elle était devenue une véritable chef. Il sentait que cela affaiblissait leur position dans les négociations, mais il n’avait pas d’autre choix que d’aller jusqu’au bout.
« Dans ce cas, puis-je solliciter votre coopération ? » demanda Jilk.
« Pensez-vous vraiment que je vais simplement danser sur n’importe quel air que vous jouerez ? » demanda Hertrude. « J’ai reçu une lettre du Saint Royaume de Rachel nous demandant de nous joindre à leur Concordat de défense armée. Les conditions de notre acceptation sont favorables. Beaucoup de mes vassaux soutiennent cette démarche. »
« Comme c’est troublant. Si nous pouvons vous offrir quelque chose pour vous faire changer d’avis, parlez librement. Nous ferons tout notre possible pour vous satisfaire, tant que cela est en notre pouvoir. »
Hertrude croisa les bras sur sa poitrine et leva le menton pour fixer Jilk et ses compagnons du bout du nez. Son trône était déjà bien élevé, ce qui signifiait qu’ils devaient se pencher pour la regarder.
« Si vous souhaitez ma coopération », dit Hertrude, « Alors je vous demande une garantie d’indépendance vis-à-vis du royaume de Hohlfahrt. Nous aurons également besoin d’une aide financière et de renforts militaires. Voyons voir… Et si vous nous fournissiez trois navires de la même marque et du même modèle que l’Einhorn, ainsi qu’au moins une centaine de navires de guerre standard. Bien sûr, je m’attends également à des envois de fournitures en plus de cela. »
« Assez joué, » s’était emporté Brad, incapable de garder le silence face à la liste de conditions ridicules de la jeune femme.
Hertrude continua de sourire. Ses doigts effleurèrent ses lèvres peintes en rouge, et elle gloussa. « Dans ce cas, préférez-vous que nous soyons votre ennemi ? Bien que si la Maison Field est obligée de se concentrer sur l’occupation de Fanoss, je crains qu’elle ne soit pas en mesure de soutenir qui que ce soit d’autre. »
« Argh ! » Brad grogna et déglutit difficilement, incapable d’argumenter sur ce point.
Hertrude tourna à nouveau son regard vers Jilk. « Eh bien, qu’est-ce que ce sera ? Cela me semble être un petit prix à payer pour garantir notre amitié. »
« Vous plaisantez sûrement », dit Jilk en haussant les épaules. « Si j’accédais à ces demandes, Fanoss nous déclarerait sa propre guerre à la prochaine occasion. Même si vous essayiez de les dissuader en tant que chef de votre maison, je doute que votre noblesse recule. »
« C’est vrai », déclara Hertrude.
« Alors vous n’essaierez même pas de le nier. »
« J’essaie simplement de respecter les opinions de mes vassaux. Personnellement, si nous n’avons aucun espoir de gagner un jour un combat contre Hohlfahrt, je préférerais me concentrer sur notre développement intérieur. »
Ses paroles furent un grand soulagement pour Jilk. « Dans ce cas, » dit-il, « allez-vous nous donner votre parole que Fanoss ne rejoindra pas Rachel et ses alliés ? »
Hertrude sourit à nouveau, mais cette fois-ci, c’était manifestement forcé. « Il semblerait que vous distribuiez volontiers des orbes précieux en parcourant toutes ces petites nations. En avez-vous également préparé un pour Fanoss ? »
« Ce sont des ressources extrêmement précieuses, j’en ai peur, et nous n’en avons plus. »
« Quel dommage ! » Le sourire n’avait jamais quitté le visage d’Hertrude. « À propos, certains des nobles qui gardent vos frontières nous ont tendu la main. Il semblerait qu’ils soient déjà bien avancés dans les négociations avec Rachel. »
L’expression de Jilk ne trahissait aucune émotion à la suite de cette nouvelle, mais il n’en allait pas de même pour ses compagnons : Greg et Chris étaient visiblement ébranlés. Le premier portait toujours ses émotions sur sa manche, il pouvait donc difficilement cacher ce qu’il ressentait. Chris, quant à lui, était trop peu habitué aux discussions diplomatiques pour savoir ce qu’il en était.
Hertrude grimaça en s’imprégnant de leurs expressions. Lorsqu’elle reporta son attention sur Jilk, cependant, son visage était dépourvu de toute émotion. « C’est plutôt naïf, voire insensible, de demander à quelqu’un de se joindre à vous en ne lui offrant rien en retour. N’êtes-vous pas d’accord ? »
Après une longue pause, Jilk déclara : « Nous allons nous hâter de récupérer un orbe précieux pour Fanoss. »
« Un seul ne suffira pas. J’en veux au moins trois. De plus, j’exige la restitution de tous les navires de guerre confisqués chez nous. Et pendant que nous y sommes… J’aimerais que vous fassiez renvoyer tous les surveillants de nos terres. »
« Malheureusement, il ne me reste vraiment que deux orbes », déclara Jilk en se grattant la joue. « De plus, c’est le palais qui a confisqué ces navires. Je ne peux pas les rendre sans leur accord. Les surveillants ne font pas non plus partie de ma juri — ! »
Hertrude souffla. « Vous voyez ? Je savais que le duc Bartfort agissait de son propre chef. »
Jilk ferma la bouche. En effet, il avait donné le change et révélé qu’ils n’agissaient pas avec la permission du royaume. Ses camarades étaient également ébranlés. Il semblait que leurs négociations aient échoué.
« Bon d’accord. » Hertrude pressa une main sur sa bouche pour cacher son hilarité. « Fanoss accepte de ne pas rejoindre le royaume de Rachel, à condition que vous nous donniez les deux orbes restants. Cependant, une fois cette guerre terminée, j’attends que quelque chose soit fait concernant le retour de nos vaisseaux de guerre et le renvoi de ces surveillants. »
« En êtes-vous certaine ? Il n’y a aucune garantie que nous honorerons une telle promesse », prévint Jilk. Il était encore sous le choc de son brusque changement d’attitude.
Hertrude s’adossa au trône et contempla le plafond. « Je connais le duc, et je suis sûre qu’il honorera ces promesses…, » murmura-t-elle. « Et aussi, n’oubliez pas de transmettre mes amitiés à la fausse sainte, d’accord ? »
Jilk acquiesça fermement. « Bien sûr. Je ne manquerai pas de le faire. »
« Bien. Alors j’ai une dernière chose pour vous. Un cadeau pour le duc, si l’on peut dire. »
Sur ce, Hertrude offrit aux garçons une nouvelle information fascinante.
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Partie 2
J’étais d’une humeur massacrante, et cela se voyait sur mon visage. Luxon m’avait réveillé au milieu de la nuit, prétextant une urgence. Le temps que je me redresse, il projetait l’image du visage paniqué de Jilk sur le mur du fond.
« Qu’y a-t-il de si urgent pour que tu aies besoin de me le dire au milieu de la nuit ? » demandai-je en baillant.
Jilk n’avait pas fait de préambule et était allé droit au but, ce qui était une indication aussi bonne qu’une autre qu’il s’agissait vraiment d’une crise. « Le palais a l’intention d’abandonner complètement les régions frontalières et leurs seigneurs. »
« Peux-tu répéter ? »
Ma somnolence s’était rapidement dissipée, mais j’avais eu du mal à comprendre ce que Jilk venait de dire. Il semblait se rendre compte qu’une explication plus approfondie était nécessaire.
« Le gouvernement central de Hohlfahrt a décidé d’utiliser cette guerre pour éliminer les nobles régionaux qui pourraient les trahir. »
« Hein ? », avais-je lâché avec incrédulité.
À vrai dire, j’avais déjà eu l’impression qu’ils prévoyaient d’utiliser la guerre pour réduire la puissance militaire de la noblesse régionale, mais je n’avais jamais imaginé qu’ils agiraient réellement contre elle. Aussi sournois et complice que soit Jilk, il n’avait pas prévu cela non plus.
« Mais quel est l’intérêt de… ! » j’avais plaqué une main sur ma bouche.
J’avais l’intention de demander pourquoi ils feraient une telle chose, mais la réponse m’était immédiatement venue à l’esprit : Hohlfahrt avait peur de sa propre noblesse régionale.
Il n’y a pas si longtemps, le duc Redgrave avait comploté pour usurper le trône après que la famille royale eut perdu sa plus grande arme — son navire ancestral. D’autres complots encore étaient sûrement en cours sous la surface. Le royaume de Hohlfahrt se trouvait au bord d’un dangereux précipice. Je le savais ! Je pensais que la situation était réglée depuis que j’avais annoncé que je me rangeais du côté de la famille royale.
« Je suppose que le palais est sérieux à ce sujet », avais-je dit.
« Pour être plus précis, il s’agit du dessein de la famille royale. Je crois que la reine est au cœur de ce projet. »
J’avais plissé les yeux. « Où as-tu trouvé cette information ? » C’était une révélation tellement choquante que je devais m’assurer qu’elle était crédible.
« Dame Hertrude de la maison Fanoss », répondit Jilk, à mon grand étonnement. « Elle a appelé cette information son cadeau pour toi. »
« C’est Mlle Hertrude qui t’a dit ça ? Elle n’essaie pas de nous piéger, n’est-ce pas ? »
La maison noble de Fanoss nourrissait une longue et amère rancune à l’égard du royaume de Hohlfahrt. Et si tout cela n’était qu’un stratagème pour nous piéger et tourner la situation à leur avantage ? Suspicieux comme je l’étais, Jilk s’était empressé d’écarter cette idée.
« J’en doute. Lorsqu’elle a offert ces informations et demandé que nous vous les livrions, elle s’est montrée aussi timide qu’une adolescente en proie au béguin. »
« Qu’est-ce que tu viens de dire maintenant ? » avais-je répliqué, abasourdi.
Jilk soupira. « Tu es vraiment bête. Je disais juste que je crois qu’elle est tombée amoureuse de toi. »
« Oh. D’accord. »
J’avais répondu avec raideur parce que je n’avais à peu près aucune confiance dans la compréhension qu’avait Jilk des affaires romantiques. Il avait probablement mal interprété les choses.
« Tu ne me crois pas, n’est-ce pas ? » demanda-t-il. « Eh bien, quoi qu’il en soit, je n’ai pas encore de preuve pour étayer cette affirmation. Mais bien qu’il n’y ait aucune garantie de son exactitude, je parierais qu’il y a de bonnes chances qu’elle soit vraie. Brad a contacté sa famille pour jauger leur position, et je crains qu’il ne les soupçonne d’avoir perdu la foi dans le trône, ce qui n’augure rien de bon en effet. »
On dirait que les garçons avaient fait preuve de diligence raisonnable pour établir la véracité de ces informations. C’est pour cela qu’ils venaient me voir au milieu de la nuit — parce qu’ils avaient pris le temps de se renseigner pour me fournir un rapport correct.
« Est-ce que tu progresses bien dans la rupture du concordat de défense armée ? » avais-je demandé.
« Oui, tout cela se déroule comme prévu. Mais souhaites-tu que nous continuions ? Je pense qu’il serait plus sage de tourner notre attention vers le palais et ses actions. »
J’avais secoué la tête. « Je préfère d’abord réduire la force de notre ennemi. Continue comme nous l’avons prévu. Je trouverai un moyen de m’occuper du palais — non, attends une seconde. »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
J’avais fait une pause lorsque j’avais réalisé que je pouvais utiliser mes contacts personnels pour obtenir les informations que je désirais.
« La famille de Miss Clarisse fait partie de la noblesse de la cour, n’est-ce pas ? Et son père est un ministre actif. »
L’expression de Jilk se tordit. Il savait où je voulais en venir. « Si tu t’appuies trop souvent sur la maison Atlee, ils commenceront à attendre un remboursement — mais étant donné la situation, leur demander des informations n’est pas une mauvaise idée. Je crains juste les répercussions. »
En ce qui me concerne, quelle que soit la somme qu’ils voulaient en échange de leur aide, elle vaudrait bien le service qu’ils auront rendu. Je ne voyais pas pourquoi Jilk était si inquiet. Le plus important était d’obtenir autant d’informations précises que possible dans un laps de temps limité.
« Je suis prêt à les accueillir, même si leurs exigences sont un peu élevées », avais-je dit.
Il y eut une courte pause pendant laquelle il me regarda fixement. « Eh bien, » dit-il finalement, « si c’est ta position, alors je ne discuterai pas plus longtemps. »
« Tu continues à faire ce que tu fais et à saper l’alliance. Je vais m’occuper du problème avec le palais. »
Sur ce, je mis fin à la transmission.
Luxon s’approcha alors de moi. En prenant sa position habituelle, planant au-dessus de mon épaule, il m’étudia avec son unique lentille rouge. « Je m’interroge sur l’exactitude de toute information provenant uniquement de la maison Atlee. »
« Je comprends ce que tu dis, mais je n’ai pas beaucoup d’options. Ce n’est pas comme si je pouvais me tourner vers les Redgraves. Pas après qu’Anjie ait coupé les ponts. »
La lumière de la lentille de Luxon clignota à plusieurs reprises, comme pour indiquer qu’il y réfléchissait. « Je vais préparer les fonds nécessaires, alors pourquoi ne pas demander de l’aide à la maison Roseblade ? Le comte Dominic Fou Mottley est également une option. »
« Le comte Mottley fait partie de la faction des Redgraves. Penses-tu vraiment qu’il me prêtera de l’aide ? »
« Pourquoi ne le ferait-il pas ? Il s’est déclaré ton fan », me rappela Luxon.
« Oui, je comprends, mais… Ça ne peut pas faire de mal de lui envoyer une lettre. Qu’est-ce que tu vas faire ? »
« Pour l’instant, je suis en train de rassembler des informations sur le royaume de Rachel. Je dois également revenir sur la question des maux d’Erica et de Mia. Cela t’a peut-être échappé, Maître, mais je suis moi-même très occupé. » Comme pour enfoncer le clou, il rapprocha son corps de robot et me regarda fixement.
« D’accord, d’accord, j’ai compris. Pas besoin de jeter un regard de mort. »
Voilà, c’est fait. J’avais décidé de ma ligne de conduite : utiliser toutes les connexions à ma disposition pour comprendre ce qui se passait.
☆☆☆
Le lendemain matin, Mia passa un peu de temps dans le château des Frazer avant de se rendre à la salle à manger pour le petit déjeuner. Comme elle n’était pas considérée comme une aristocrate, on la laissait rejoindre les serviteurs à l’heure du repas, comme n’importe quel autre invité de même rang. Finn et Brave la rejoignirent comme d’habitude, mais ce jour-là, Carl était également avec eux.
Carl regarda Mia pendant qu’elle mangeait, en souriant. Franchement, c’était un peu gênant d’être dévisagé pendant qu’on engloutissait son petit déjeuner.
« Mon oncle, s’il te plaît, ne me regarde pas comme ça », déclara Mia en essayant d’avoir l’air mature. « Je suis une dame, tu sais. »
« Désolé pour ça », dit Carl avec un sourire encore plus grand. « Au fait, as-tu déjà des projets pour aujourd’hui ? Si ce n’est pas le cas, que dirais-tu de faire du tourisme avec moi, hmm ? »
Mia jeta un bref coup d’œil à Finn avant de baisser le regard. « Hum, je vais bientôt commencer le traitement pour ma maladie, alors je n’ai pas beaucoup de temps. » Finn et elle s’étaient mis d’accord pour solliciter l’aide de Léon afin d’enquêter sur la cause de son état.
Carl partageait leur inquiétude au sujet de sa maladie, et il était heureux d’apprendre qu’ils pourraient peut-être découvrir quelques indices sur ses origines. « Vraiment ? C’est dommage, mais tu dois donner la priorité à ta santé. »
« Oui. » Malgré ses excuses, Mia avait en fait un peu plus de temps qu’elle ne le laissait paraître. Elle se tourna vers Finn, qui était assis à côté d’elle. Ses joues s’échauffèrent. « Hum, Monsieur le Chevalier ! »
Finn prenait son petit déjeuner avec grâce et aplomb. Brave rôdait à proximité, recevant sa part de l’assiette de Finn. Hélas, le concept de bonnes manières n’existait pas pour Brave. Il engloutissait la nourriture dans son gosier comme un barbare. Cependant, lorsque Mia s’adressa à Finn, ils se tournèrent tous les deux vers elle.
« Hmm ? » dit Finn.
Le cœur de Mia battait avec force dans sa poitrine, le son résonnait dans ses oreilles alors qu’elle réussissait à lâcher : « Hum, et si on sortait ensemble aujourd’hui ? »
Carl fit la grimace, pas vraiment satisfait de la tournure des événements.
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Partie 3
Finn et Mia s’étaient rendus au célèbre lac des Frazer. Tandis que Finn contemplait la fontaine naturelle, il appréciait la réaction enthousiaste de Mia. Sa personnalité fougueuse lui rappelait la petite sœur qu’il avait eue dans sa vie précédente.
« Regarde là-bas, Monsieur le Chevalier ! Il y a des bateaux. Des bateaux ! J’aimerais bien monter sur l’un d’eux ! » Mia dirigea un doigt en direction de la jetée.
« Votre souhait est mon ordre, princesse », répondit Finn avec un sourire.
« Et voilà que tu recommences à me taquiner. » Les joues de Mia s’étaient remplies d’air, elle souffla et se détourna en faisant la moue.
Finn gloussa. « Je le dis parce que c’est ce que je ressens vraiment. Pour moi, tu n’es rien de moins qu’une princesse. » Ce n’était pas de la flatterie pour lui.
La ressemblance troublante de Mia avec sa jeune sœur avait frappé Finn dès leur première rencontre. Aujourd’hui encore, il se souvenait parfaitement du choc qu’il avait ressenti lors de leur rencontre. Il avait fondu en larmes. Mia avait été si inquiète qu’elle avait accouru. Déjà à l’époque, elle avait été aussi gentille qu’attentionnée.
Mia rougissait à vue d’œil, embarrassée. « Comment puis-je te regarder en face quand tu dis quelque chose comme ça ? » demanda-t-elle d’un air boudeur.
Brave secoua la tête avec exaspération en les observant. « Je me fiche pas mal de l’un ou l’autre, mais si on doit monter sur le bateau, autant s’y mettre. Et je vais à l’avant, partenaire ! »
« Bien sûr, je m’en fiche », dit Finn. « Ne tombe pas dedans, c’est tout. »
« Franchement ! Comment vais-je tomber ? Contrairement à vous deux, je flotte ! »
Le trio s’était rapidement rendu à l’embarcadère, où Finn avait payé les frais de location pour qu’ils puissent monter à bord d’un bateau.
☆☆☆
Carl utilisait des jumelles pour surveiller Finn et Mia à distance.
« Ce morveux », grogna-t-il. « S’il tente quoi que ce soit d’étrange avec Mia — quoi que ce soit —, j’aurai sa tête sur un plateau. »
Le bruit des pas qui s’approchaient attira son attention et il tourna la tête pour voir qui c’était. Léon se tenait derrière lui.
« Hmm ? Oh, Monsieur Carl, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous faites ici ? » demanda Léon. Son compagnon IA, Luxon, planait près de son épaule droite. L’anneau intérieur de la lentille rouge de Luxon tournait pendant qu’il regardait Carl. Cela donnait à Carl la nette impression d’être étudié au microscope, mais il répondit néanmoins aux questions de Léon avec un sourire.
« Mia est sur l’un de ces bateaux. Je me suis dit que j’allais veiller sur elle depuis ici. »
Léon s’était rapproché jusqu’à ce qu’il se tienne à côté de Carl. Il contempla l’eau et repéra assez rapidement le bateau de Finn et Mia. « Huh, je les vois. Et ils sont attachés à la hanche comme d’habitude, hmm ? La routine du chien de garde de Finn ne rate jamais son coup. »
Alors que Léon était manifestement agacé par les tendances collantes de Finn, son compagnon IA sauta sur l’occasion pour lui faire remarquer son hypocrisie. « Maître, je devrais peut-être faire remarquer que tu n’as absolument pas le droit de critiquer les autres à cet égard. Tu as encore passé toute la journée avec Noëlle, et tu as tourné autour d’elle à un point tel que tu pourrais également être qualifié de “surprotecteur”. »
Léon se renfrogna. « Oh, ferme-la. »
L’intérêt de Carl avait été piqué par leur interaction, et il se caressa le menton en observant. Léon n’avait pas tardé non plus à remarquer qu’il le fixait.
« Y a-t-il un problème ? » demanda Léon.
Carl secoua la tête. « Nan, je me disais juste que vous aviez l’air terriblement proches. Ce morveux — euh, Hering, c’est ça — et son partenaire Brave sont pareils, même si leur relation est un peu différente. J’ai trouvé ça amusant. »
Ni Léon ni Luxon ne semblent satisfaits de la situation. Ils s’étaient rapidement détournés l’un de l’autre.
« Ça fait mal de traiter avec une IA qui ne comprend pas le concept de loyauté », grommela Léon.
« Le fait d’avoir un bourru pour maître est encore plus lourd de conséquences », rétorqua Luxon.
Ils firent se remémorer beaucoup de choses familières à Carl. Il se sentait naturellement plus à l’aise. « On dirait que j’ai touché un point sensible. Je m’en excuse. Dans un autre ordre d’idées, on dirait que les choses s’enveniment sur le plan politique. Je ne pense pas que vous puissiez dire grand-chose à un étranger comme moi, mais est-ce que tout va bien ? »
Léon se gratta la joue et détourna le regard. Cela semblait être une indication aussi bonne que n’importe quelle autre qu’il n’avait pas l’intention de divulguer les détails les plus fins. Non pas qu’il puisse vraiment le faire dans ces circonstances. « Il y a beaucoup d’obstacles qui rendent les choses difficiles. Honnêtement, j’espère juste que nous pourrons en finir pacifiquement. »
« Pacifiquement, hein ? » Carl l’étudia. « Hering a laissé entendre que vous étiez vous-même assez puissant. Avec toutes les ressources dont vous disposez, ne pourriez-vous pas vous occuper du saint royaume de Rachel à vous tout seul ? »
Il avait dépassé les bornes. Luxon fut instantanément sur ses gardes, il devint complètement silencieux, sa lentille rouge collée à Carl, observant ses moindres mouvements. Carl était sûr que s’il bougeait le moins du monde, Luxon passerait à l’action. Mais alors que son instinct de survie hurlait à présent, Léon ne semblait pas particulièrement gêné par cette question intrusive. Avait-il baissé sa garde uniquement parce que Carl était une connaissance de Finn et Mia ?
« Je ne suis pas pour la domination violente et tout ça », déclara Léon. « Ça va peut-être vous surprendre, mais je suis en fait un pacifiste. »
« L’homme connu dans le monde entier comme le chevalier-ordure est un pacifiste ? » demanda Carl avec incrédulité, bien que ce soit plutôt une remarque taquine.
« On dirait que vous recherchez quelqu’un d’autre », répondit Léon en plaisantant. « Je ne suis pas une ordure, et je ne suis pas le genre de puissance que les gens doivent craindre. C’est juste qu’on m’appelle comme ça pour une raison ou une autre. »
« Je pense qu’il est plus juste de dire que c’est moins un surnom que l’impression que vous laissez dans votre sillage. Ceci mis à part, je dois demander… Quel est votre objectif ? Vous avez atteint un grand pouvoir. Il y a sûrement quelque chose que vous souhaitez acquérir par son biais. »
Statut, gloire, richesse, femmes — si Léon le souhaitait, il pouvait prétendre à n’importe laquelle de ces choses. Carl voulait savoir ce qui lui tenait le plus à cœur.
Léon se gratta l’arrière de la tête et fronça les sourcils. « Tout ce que j’ai de plus serait trop difficile à gérer. À l’origine, j’étais censé être un baronnet vivant une vie simple à la campagne. C’est à se demander ce que j’ai bien pu faire pour atterrir là où je suis, hein ? »
« N’avez-vous rien souhaité de tout cela ? » demanda Carl, les yeux écarquillés en regardant Léon. « Pas même un peu ? Tout homme a un peu d’ambition pour s’élever dans le monde, non ? »
« Pas moi. Je déteste les responsabilités — surtout toutes les conneries qui les accompagnent. Si le fait de gravir les échelons signifie que l’on m’impose plus de charges, je préfère rester au bas de l’échelle. »
Carl continua à le regarder fixement. Eh bien, il n’est sûrement pas totalement dépourvu de désir. Mais il est peut-être vrai qu’il n’a pas beaucoup d’ambition politique.
Leur conversation fut interrompue lorsque la tête de Léon se retourna d’un coup sec vers le lac. « Hé, n’avez-vous pas l’impression que quelque chose ne va pas là-bas ? »
« Hmm ? » Carl suivit son regard. « Quoi !? »
En bas de l’embarcadère, Mia avait débarqué du bateau et s’était éclipsée. Elle semblait sangloter. Derrière elle, Finn était resté sur place, tandis que Brave s’était lancé frénétiquement à la poursuite de Mia. Il n’était pas difficile de deviner ce qui s’était passé sur l’eau.
Carl fulminait. Ce sale gosse ! Comment ose-t-il faire pleurer ma précieuse Mia !
☆☆☆
Dès que Mia était revenue au château, elle s’était terrée dans sa chambre. Erica avait vite compris que quelque chose n’allait pas et s’était dirigée directement vers la chambre de Mia avec Elijah. Cependant, elle était entrée sans son fiancé. Comme il s’agissait d’une chambre de femme, Elijah avait choisi d’attendre à l’extérieur.
Entre ces quatre murs, Mia serrait ses genoux contre sa poitrine en sanglotant. Erica s’était assise à côté d’elle et s’était rapprochée.
« Je vois », dit-elle après avoir entendu les détails. « Tu as donc avoué tes sentiments. »
De grosses larmes roulaient sur les joues de Mia. « C’est juste que… J’aime Monsieur le Chevalier. Je lui ai dit que je voulais être avec lui pour toujours. Mais… mais il a dit qu’il ne pouvait pas me voir autrement que comme une petite sœur. »
Pour Mia, partager les sentiments qu’elle nourrissait depuis longtemps était un acte majeur qui changeait sa vie. Hélas, elle s’était heurtée à la froide réalité : Finn la considérait comme un frère ou une sœur. Il avait insisté sur le fait qu’il ne pouvait pas la considérer comme une partenaire romantique. Le choc l’avait frappée comme un raz-de-marée.
Brave se tenait dans un coin de la pièce, après s’être attardé pour garder un œil sur Mia. Depuis, il était agité et nerveux, et il s’était empressé de dire : « Ce n’est pas comme s’il te détestait ! C’est juste que… Je veux dire, vraiment, il… il tient à toi. Beaucoup. Mais pas dans un sens romantique… »
Comment pourrait-il l’expliquer d’une manière qui ne blesserait pas davantage son cœur ? Cette question pesait si lourdement sur Brave qu’il restait incapable de la consoler.
Erica caressa doucement le dos de Mia. « Je suis admirative de ton courage », dit-elle. « C’est incroyable que tu aies partagé tes sentiments avec autant d’honnêteté. Tu es une personne forte, Mia. »
Mia plaça ses bras autour d’Erica, s’accrochant à elle. « Oh, princesse, j’ai juste… J’aime vraiment… Waaaaah ! » Avant qu’elle n’ait pu terminer, elle s’était dissoute dans de violents sanglots.
Erica ne pouvait que tenir l’autre fille tandis qu’elle continuait à la consoler.
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Chapitre 6 : La petite sœur perdue depuis longtemps
Partie 1
« Tu es un crétin complet et absolu ! » hurla Marie à pleins poumons. « Quelle partie de Mia n’est pas assez bonne pour toi, hein ? Hein !? »
Au milieu de la nuit, Marie m’avait traîné dans la salle commune pour qu’elle puisse s’en prendre à Finn. Il était clairement déprimé, son front reposait sur ses doigts enfilés tandis qu’il fixait ses pieds.
« Si elle voulait autre chose, je le ferais sans hésiter », déclara-t-il. « Mais je ne peux pas être son amant. »
Il semblerait que Mia ait finalement avoué son amour pour lui plus tôt dans l’après-midi. Alors qu’elle était la protagoniste du troisième volet de cette série du jeu vidéo otome, Finn était comme moi — un personnage d’arrière-plan aléatoire. C’était flatteur, vraiment. Mais Finn l’avait repoussée. Je comprenais ce qu’il voulait dire.
« J’ai compris », avais-je dit avec assurance, en hochant la tête. « Tu as hésité parce que tu n’es pas l’un des intérêts amoureux du jeu, n’est-ce pas ? Juste un personnage d’arrière-plan aléatoire et oubliable. Oui, c’est vrai. Je te comprends, Finn. »
Finn avait finalement relevé son visage, seulement pour pencher la tête sur le côté. « Non, ça n’a vraiment rien à voir avec ça. »
« Ce n’est pas ça ? » J’avais fait la grimace, en ayant l’air d’un imbécile.
« Il serait peut-être sage de s’abstenir de supposer que tout le monde partage tes préoccupations insignifiantes, » déclara Luxon. « Tu as eu l’air si triomphant pendant un moment, et pourtant tes conclusions sont follement à côté de la plaque. N’as-tu pas honte ? »
Marie m’avait également jeté un regard noir. « Quel grand frère inutile ! Tu es la seule personne qui s’inquiéterait d’une chose aussi stupide. Je n’arrive pas à croire que tu aies même eu le culot de le dire. Rappelle-moi, qui ici a trois fiancées ? »
N’êtes-vous pas tous les deux un peu méchants !? Maintenant, c’est moi qui m’étais dégonflé.
« Euh, désolé », dit Finn en s’excusant. « Je veux dire que ce n’est pas parce que je suis un personnage de second plan. C’est toujours vrai que je ne pense pas que je convienne à Mia. Comment pourrais-je l’être, alors que je ne la vois pas comme ça ? »
J’avais été touché par sa chaleur et sa gentillesse.
Marie, par contre…
« Ne t’attache pas à ce genre de choses stupides », se moqua Marie. « Si tu l’aimes bien, alors tu l’aimes bien. Fin de l’histoire. »
Mais si Finn semblait indécis, il avait ses raisons. « Ce n’est tout simplement pas ce que je ressens. Mia est comme une petite sœur pour moi », insista-t-il. « Ma vraie petite sœur — celle de ma vie précédente, je veux dire — était gravement malade. Elle a passé toute sa vie à l’hôpital. »
À partir de là, il nous avait renseignés sur les moindres détails de cette vie et de cette sœur.
☆☆☆
Le soir était tombé lorsque le jeune homme terminait son travail à temps partiel. Un cadeau à la main, il se rendit à l’hôpital. Alors qu’il marchait dans des couloirs familiers en direction de la chambre de sa sœur, il inclinait la tête ici et là, saluant les infirmières qu’il croisait. À ce stade, il les connaissait toutes.
Après avoir ouvert la porte de la chambre de sa sœur, le jeune homme se dirigea vers le lit situé à l’extrémité, le plus proche de la fenêtre. Elle était en train de jouer à une console de jeu portable.
« Ça te plaît ? » demanda-t-il.
Elle releva la tête lorsqu’elle réalisa qu’il était venu lui rendre visite. Un sourire se dessina sur son visage. « Ouais ! »
Aussi brillante que soit son expression, elle avait l’air d’avoir perdu du poids. Il était sûr qu’elle était encore plus mince maintenant que lorsqu’elle avait été hospitalisée pour la première fois. La console qu’elle tenait dans ses petites mains avait l’air plus grosse. Cela lui brisait le cœur de voir cela, mais il ne pouvait pas montrer ses émotions. Elles ne feraient qu’abattre sa petite sœur. Il s’était donc forcé à sourire.
« Oui ? Heureux de l’entendre. » Il prit place sur la chaise à côté de son lit.
Sa petite sœur plaça sa console de côté. Le jeu auquel elle jouait était un jeu qu’il avait acheté pour elle. Il n’avait aucune idée des jeux qui étaient bons et de ceux qui ne l’étaient pas, alors il avait choisi un jeu vidéo otome au hasard. Heureusement, elle avait l’air d’apprécier le jeu. Et puisqu’elle aimait tant le jeu, il se mit à être curieux.
« De quel type de jeu s’agit-il ? »
Les joues de sa petite sœur avaient chauffé sous l’effet de l’embarras, mais elle avait expliqué avec empressement. « La protagoniste est inscrite dans une académie où elle développe des relations avec un groupe de garçons. C’est vraiment amusant, alors je l’ai rejoué plusieurs fois. »
Elle avait plus de temps libre qu’elle ne savait quoi en faire, étant coincée à l’hôpital. Il n’était pas surprenant qu’elle ait rempli ses journées en jouant encore et encore à son cadeau. Elle n’avait pas vraiment d’autres options, du moins jusqu’à ce qu’elle ait plus de jeux.
Le jeune homme fit une pause avant de dire : « Une fois que j’aurai été payé, je t’en achèterai un autre. Quel genre de jeu veux-tu ensuite ? »
« Tu n’as pas à faire ça », insista-t-elle avec un air coupable. « Les choses sont déjà assez serrées pour toi, n’est-ce pas ? »
« Ne t’inquiète pas pour ça. Je peux me permettre un seul jeu. Alors, qu’est-ce que tu veux ? »
Devant son insistance, elle marqua une pause pour jeter un coup d’œil à l’écran de sa console — noir, puisqu’il était en mode veille. « Si tu es sûr, alors je pense que j’aimerais un autre jeu de cette série. »
« Un autre jeu vidéo otome ? Tu les aimes vraiment, hein ? »
« Oui. Ça me donne l’impression d’aller moi-même à l’école. »
Bien qu’elle ait été optimiste jusqu’à présent, son expression s’était assombrie au moment où elle avait dit cela. À ce stade, cela faisait plusieurs années qu’elle n’avait pas pu aller à l’école. Le jeune homme serra le poing, prenant soin de ne pas le montrer, de peur qu’elle ne se rende compte à quel point cela le contrariait. Son expression restait vive et joyeuse malgré son trouble intérieur.
« Tout ira bien », lui assura-t-il. « Il te faudra peut-être un peu de temps pour récupérer suffisamment pour retourner à tes cours, mais tôt ou tard, tu y arriveras. »
Sa sœur le regarda dans les yeux, les siens remplis d’un espoir désespéré. Elle aurait tout aussi bien pu plonger un poignard dans son cœur.
« Tu le penses vraiment ? Je pourrai à nouveau jouer dehors ? Et aller à l’école ? »
« Oui, » avait-il menti. « Absolument. Tu seras capable de faire les deux. »
En vérité, on pouvait se demander si elle pourrait un jour quitter l’hôpital, mais il voulait qu’elle garde espoir.
Elle avait souri. « C’est un soulagement de t’entendre dire cela. »
Le jeune homme déglutit difficilement. « Eh bien, c’est vrai. Alors tu n’as qu’à te dépêcher de te soigner. »
« Ouais ! »
Cela lui faisait mal de la regarder directement dans les yeux.
☆☆☆
« Plusieurs mois après, c’était le jour de sortie du jeu que ma petite sœur voulait désespérément. Je l’ai acheté et je me suis rendu à l’hôpital. » En s’asseyant sur le canapé, Finn recommença à poser son front sur ses doigts entrelacés. Je ne pouvais pas voir son expression, mais sa voix était tendue alors qu’il se souvenait de ce jour douloureux.
Marie et moi nous étions retrouvés suspendus à chacun de ses mots, le souffle coupé. Même Luxon était resté silencieux pendant que Finn continuait.
« Oh, partenaire…, » murmura Brave en versant une larme.
« En chemin, mon téléphone a sonné. J’avais un mauvais pressentiment. Quand j’ai répondu, c’était l’hôpital. Je me suis précipité sur le reste du chemin. J’ai couru aussi vite que j’ai pu, mais… Je ne suis pas arrivé à temps. » Il s’était serré la poitrine, mettant en boule le tissu de sa chemise. Le chagrin d’amour et le désespoir étaient trop vifs, même maintenant. Sa petite sœur avait manifestement représenté quelque chose de très différent pour lui que la mienne pour moi.
Finn releva la tête et déclara la même chose que tout à l’heure. « Mia me rappelle tellement ma sœur. »
J’étais habitué à l’expression éternellement froide et posée de Finn, mais elle avait disparu maintenant, laissant place à la vulnérabilité qu’il cachait. Même si j’étais un garçon, cette différence flagrante m’avait poussé à faire preuve de gentillesse à son égard. Je ne pouvais qu’imaginer ce que le voir ainsi ferait à une fille. Cela déclencherait sûrement son instinct maternel, ou au moins une sorte de compassion féminine.
« Tu nous l’as déjà dit », lui avais-je rappelé. « C’est pour ça que tu tiens tant à la protéger, n’est-ce pas ? »
« Je veux dire qu’elles se ressemblent tellement qu’une partie de moi s’est demandé si ma petite sœur ne s’était pas réincarnée ici en Mia. Lorsque nous nous sommes rencontrées pour la première fois, elle jouait dehors, et elle était encore si énergique et pleine de vie. »
Je pouvais comprendre comment il s’était mis ça dans la tête. Sa sœur était morte dans son lit d’hôpital, il était donc probablement réconfortant de penser qu’elle aurait pu se réincarner dans un corps sain et plus athlétique. Mais ce n’était probablement qu’un vœu pieux.
Finn s’était couvert le visage avec ses mains. C’était difficile à dire, mais il semblait pleurer. « Et maintenant, Mia souffre d’une maladie inconnue… Ce n’est pas juste. Comment le destin peut-il être aussi cruel ? Je ferais absolument n’importe quoi pour elle. Si elle en avait besoin, je donnerais ma propre vie. » Finn s’était arrêté, avalant une bouffée d’air. « Mais… Je ne peux pas la voir comme autre chose qu’une sœur, aussi aimée soit-elle. »
Franchement, ses sentiments semblaient surpasser ceux que la plupart des gens ressentaient pour leurs amants. Dans son esprit, Mia faisait partie de la famille. Et pour cette raison, il ne pouvait pas la considérer comme une partenaire romantique potentielle.
« Eh bien, je suppose que tu ne peux rien y faire. Si elle te rappelle vraiment ta sœur à ce point, il est évident que tu ne vas pas développer ce genre de sentiments pour elle », avais-je dit.
« Exactement. Tu vois, tu comprends. Mais pour une raison ou une autre, elle est quand même tombée amoureuse de quelqu’un comme moi. Qu’est-ce que je suis censé faire ? » Finn se prit la tête dans les mains, complètement perdu.
Je ne savais pas trop quoi dire. Je venais de me résoudre à offrir quelques mots classiques de réconfort lorsque Marie m’interrompit d’une voix puissante, assez forte pour me faire bourdonner les oreilles.
« Je n’arrive pas à croire que j’étais assise là et que j’ai écouté toutes ces bêtises pleurnichardes — argh ! Si tu l’aimes bien, tu devrais lui dire ! »
Finn et moi avions penché la tête vers elle, atterrés.
« N’as-tu rien entendu de ce que je viens de dire ? » demanda Finn, abasourdi. « Pour moi, Mia est comme une — »
« Le fait que tu mêles ta vie passée à tout ça est vraiment flippant. Mets-toi ça dans le crâne : Mia n’est pas ta petite sœur. Tu as compris ? »
« O-oui, mais — ! »
« On s’en fiche qu’elle te rappelle ta petite sœur. Pour Mia, tu es son chevalier bien-aimé. Et tu as l’audace de lui dire que tu ne peux pas la voir autrement que comme ta sœur ? Réfléchis au moins à ta réponse avant de la débiter. Espèce de grosse tête stupide ! »
Finn avait ouvert la bouche pour argumenter, mais il l’avait refermée tout aussi rapidement et n’avait pas protesté davantage. Les mots de Marie avaient touché une corde sensible. Mia le voyait pour lui-même, mais lui la voyait comme quelqu’un d’autre. Ce n’était pourtant pas sa sœur. Mia était une personne à part entière.
Toujours indignée, Marie croisa ses jambes, les faisant rebondir d’irritation en s’asseyant. Sa colère était si palpable qu’elle n’avait même pas besoin de dire quoi que ce soit pour que je la ressente.
« Je te reconnais le mérite de vouloir être une sorte de grand frère gentil et idéal pour ta petite sœur, » dit Marie, plus calmement qu’avant. « Mais cela n’a absolument rien à voir avec Mia. Arrête d’essayer de la voir comme quelqu’un d’autre que ce qu’elle est. Ça me donne envie de vomir. »
Finn avait l’air dévasté. C’est compréhensible. Les hommes avaient tendance à prendre très mal le fait qu’une fille leur dise qu’ils étaient dégueulasses, sans parler de dégoût — ou pire encore, qu’ils leur donnaient « envie de vomir ». Oof. Je ne pouvais que rêver d’avoir le cœur assez dur pour supporter une telle brutalité. Même si je n’avais pas été la victime (cette fois-ci), je m’étais malheureusement retrouvé au plus bas.
« D’ailleurs, » poursuit Marie, bien décidée à porter le coup de grâce. « Tu sais qu’elle va entrer dans une capsule pour subir son examen physique, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qui te prend de provoquer un stress inutile à un moment aussi critique que celui-ci ? Est-ce que tu te soucies vraiment d’elle ? »
« Bien sûr que oui ! Du fond de mon cœur, je — ! »
« D’accord, mais en ce qui me concerne, on dirait que tu ne donnes la priorité qu’à toi-même. Tu ne t’occupes de Mia autant que tu le fais que parce que tu te sens coupable de ne pas avoir pu sauver ta petite sœur. »
Au début, Finn avait été furieux. Il serra la mâchoire, grinçant des dents de frustration. J’avais cru qu’il allait donner un coup, mais il avait serré les poings et s’était retenu. Il avait compris qu’il y avait une part de vérité dans ses paroles, qu’il était en tort lui aussi.
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Partie 2
Brave avait regardé en silence jusqu’à présent, mais il ne pouvait pas supporter l’insulte faite à son partenaire et il cria : « Ça suffit ! Ne l’intimide pas plus que tu ne l’as fait ! Défoule-toi plutôt sur moi ! » Il s’était jeté devant Finn et avait ouvert en grand ses petits bras, agissant comme un véritable bouclier.
Tu vois ? C’est ce que les partenaires doivent faire l’un pour l’autre. J’avais jeté un coup d’œil à Luxon. Il l’avait remarqué et n’avait pas eu de mal à deviner ce qui me passait par la tête.
« Je refuse de te pouponner, Maître », m’avait-il prévenu. « Ce ne serait pas dans ton intérêt. »
« Amusant. J’ai l’impression que tu es toujours sur mon dos et que tu n’offres jamais la moindre parcelle de gentillesse. »
Pendant que nous nous chamaillions, Marie avait regardé Brave de proche et avait dit : « Dégueulasse. »
Cette insulte avait provoqué un tel choc que Brave s’était laissé tomber au sol, des larmes coulant de ses yeux.
« C’est bon », marmonna-t-il dépité depuis le sol. « Je suis mignon. C’est mon partenaire qui le dit, et Mia aussi. »
Alors qu’il s’effondrait en sanglots, je m’étais surpris à marmonner : « Je suppose que les noyaux de l’armure démoniaque sont blessés dans leurs sentiments tout comme nous, hein ? »
Finn avait gardé le silence pendant un moment. Il se leva brusquement, arracha Brave du sol et sortit de la pièce.
« Où vas-tu ? » lui avais-je demandé.
« Pour voir Mia. Il faut que nous ayons une véritable conversation. »
Après qu’il soit parti, je lançais un regard noir à Marie. « Tu as dépassé les bornes. Aie un peu de compassion pour les sentiments d’un gars. »
« De quoi parles-tu ? Peu importe. C’est “Monsieur le Chevalier” qui est le problème ici — a lui donner tant de mal avant son examen médical ! Il aurait pu s’y prendre d’une centaine de façons différentes. Au moins, il aurait pu dire : “Je ne peux pas répondre tant que tout ça n’est pas fini”, ou quelque chose comme ça. »
Je secouai la tête. « Finn ne la voit que comme une petite sœur. Tu l’as entendu. Je sais exactement d’où il vient. Il n’y a aucune chance que je te voie un jour comme une partenaire romantique potentielle. » Juste pour le confirmer, j’avais scruté Marie de la tête aux pieds. Chez n’importe quelle autre femme, je serais immédiatement attiré par ses charmes, mais cela n’avait absolument rien fait sur moi.
Marie avait claqué ses bras sur sa poitrine et s’était retournée comme pour me cacher son corps. « Ne me regarde pas avec ces yeux de play-boy, espèce de raclure de frère ! »
« Oh, excuse-moi. Je n’avais pas réalisé que tu avais quelque chose à regarder. Comparée à mes filles, tu es plate comme un — brgh !? »
Le temps que je réalise ce qui se passe, Marie s’était élancée du canapé et avait franchi mes défenses. Elle enfonça son coude dans mon estomac. La douleur frappa comme un train de marchandises. Je m’étais effondré à genoux, les bras enroulés autour de mon ventre pour le protéger.
« P-pardon, » avais-je balbutié. « Je n’aurais pas dû dire ça. »
« C’est mieux comme ça. » Ayant accepté mes excuses, Marie tourna sur elle-même et retourna vers le canapé, où elle se percha sur l’un des accoudoirs. « De toute façon, l’inceste, ce n’est pas non plus mon truc. C’est totalement exclu pour moi. Il est hors de question que je voie un grand frère pourri de cette façon. Il n’y a même rien de mignon chez toi pour commencer. Même si tu étais le dernier homme au monde, je choisirais d’être célibataire pour toujours. »
Luttant toujours contre la douleur lancinante de mon plexus solaire, j’avais craché : « Je suppose qu’il est ironique que ton grand frère minable ait tes cinq intérêts amoureux à sa disposition. Oh, et as-tu oublié que c’est aussi moi qui finance tes dépenses quotidiennes ? »
« Argh, tu es vraiment la lie de l’humanité ! C’est exactement ce qui fait de toi un grand frère si minable ! »
Luxon déplaça son objectif d’un côté à l’autre — sa façon de secouer la tête. « Peu importe le temps qui passe, vous restez tous les deux exactement comme vous l’avez toujours été. Je ne sens pas le moindre signe de croissance chez l’un ou l’autre d’entre vous. »
☆☆☆
Ce soir-là, Anjie, Julian et Erica firent irruption dans la chambre de Mylène. La panique qui se lisait sur leurs visages avait permis à Mylène de deviner ce qui les avait amenés là à cette heure-là.
« Mon Dieu, comme vous avez grandi tous les trois. Quand je pense que vous débarquez soudain dans la chambre de quelqu’un, blancs comme des linges. » Mylène posa le livre qu’elle était en train de lire sur la table d’appoint et scruta leurs visages.
« Est-il vrai que le palais tente de réduire le pouvoir de la noblesse régionale ? » demanda Julian. « Mais pourquoi ? Pourquoi feriez-vous une telle chose maintenant, à n’importe quel moment ? » Il l’épingla d’un regard noir, indiquant clairement à quel point il détestait ces actions.
Mylène regarda son fils avec des yeux froids et insensibles. « C’est ainsi que fonctionne le royaume depuis un siècle, n’est-ce pas ? Nous n’avons tout simplement pas changé notre politique de base. Ni dans le passé ni aujourd’hui. »
« Mais les choses commençaient enfin à s’arranger. Quelle raison y a-t-il de remuer le couteau dans la plaie ? Maintenant que Léon s’est aligné sur notre maison, nous devrions nous donner la main pour — ! »
« Nous donner la main ? » interrompit Mylène, incrédule. « Ridicule. » Elle avait ri de cette idée, mais l’émotion disparut rapidement de son visage. « Es-tu en train de suggérer que la paix du moment est suffisante ? De tels choix ont des répercussions qui s’étendent bien au-delà de quelques années. Si tu te considères vraiment comme faisant partie de la famille royale, alors tu devrais considérer les effets d’entraînement qui s’étendent sur des décennies, voire des siècles. Ce n’est qu’à ce moment-là que tes paroles auront un sens. »
Julian serra la mâchoire.
« Mère, » intervint Erica, « Même en tenant compte de tout cela, tu vas trop loin. Si notre pays sombre dans le chaos, c’est le peuple qui en souffrira. Si cela se produit, aucune de nos actions n’aura de sens. S’il te plaît, je te supplie de reconsidérer ta décision. Il n’est pas trop tard. »
Ses paroles sonnaient juste : la noblesse n’était pas la seule à souffrir des actions de la reine. Ceux qui vivaient dans les zones frontalières, ou même à proximité subiraient également des pertes.
Mylène lança un regard noir à sa fille. « Je ne t’entendrai pas commenter la politique nationale avec des pensées aussi superficielles. Oui, il y aura des victimes à court terme. Mais qu’en est-il à long terme ? »
« Le long terme ? Hum, je… » Erica hésita, prise au dépourvu.
Mylène se leva de sa chaise. Elle se dirigea vers la fenêtre et regarda dehors. Tournant le dos à ses visiteurs, elle expliqua : « La noblesse Hohlfahrtienne désire depuis longtemps l’indépendance. Les qualifier de “descendants d’aventuriers” leur donne une image extrêmement positive. En vérité, ils ne sont rien de plus que des rêveurs idéalistes qui espéraient réussir avec un minimum d’efforts. La loyauté et les obligations ne signifient rien pour eux. Leur propre intérêt est toujours au premier plan, et cette propension s’est transmise de génération en génération. »
Ni ses enfants ni Anjie ne pouvaient le contester, tant ses paroles sonnaient juste.
Mylène se retourna vers eux. « Je vous ai appris notre histoire, n’est-ce pas ? Ou bien avez-vous oublié le chagrin que les seigneurs régionaux ont causé à ce royaume ? Pour Hohlfahrt en tant que nation, les nobles régionaux sont des ennemis latents. Je vous ai mis en garde à ce sujet. »
Au cours de la longue histoire du royaume, le pouvoir et l’influence de la noblesse régionale s’étaient considérablement affaiblis. Mais il suffisait de retracer leur ascendance pour constater que la majorité de ces seigneurs et dames descendaient de maisons qui s’étaient autrefois opposées au royaume. S’ils avaient plié le genou et prêté serment d’allégeance au trône, c’était uniquement à cause du navire ancestral de la famille royale et de son armée extrêmement puissante et très compétente. Malgré ces facteurs, beaucoup avaient depuis tenté de se rebeller et échangé des coups avec le royaume.
« Si, à l’origine, nous avons élevé les femmes au-dessus des hommes et opprimé les seigneurs régionaux, c’était pour réduire leur pouvoir. Cette politique n’a été rendue possible que par la puissance militaire dont nous disposions. Mais avec la disparition de notre navire royal, nous sommes à nouveau vulnérables. Nous ne savons pas quand la noblesse régionale se transformera en traître. »
« M-Mais quand même », avait essayé de dire Erica.
Mylène lui coupa la parole. « Réfléchissez à ce qui se passera une fois cette crise passée. Supposons que ces seigneurs idiots se laissent tenter par les nations voisines et déclarent leur indépendance. Combien de sang pensez-vous que la guerre civile qui s’ensuivra fera couler ? Si d’autres régions suivent le mouvement — et elles le feront inévitablement —, les combats ne feront que s’intensifier. Lorsque cela se produira, les citoyens ordinaires seront enrôlés dans le combat. »
Erica serra les lèvres.
« Nous avons Léon de notre côté », argumenta Anjelica, espérant toujours pouvoir persuader la reine là où les deux autres avaient échoué. « Même s’ils le regrettent, les seigneurs régionaux rentreront dans le rang si Léon s’aligne sur la couronne. Ils ne pourront pas déclarer leur indépendance dans ces circonstances. »
« C’est vrai, pour l’instant. Et ? Pendant combien de décennies le duc Bartfort vivra-t-il ? Pendant combien de temps assumera-t-il ce devoir ? Quelle garantie avons-nous que son successeur ne manigancera pas pour usurper le trône ? Le royaume existera-t-il dans cent ans ? » Mylène répondait à chaque argument par un des siens, refusant de prendre en compte leurs opinions.
À leurs yeux, elle ressemblait à une mule têtue.
« Tu as fait valoir ton point de vue », dit Julian, ayant renoncé à argumenter davantage. « Mais quel est ton objectif final ? Une fois cette guerre terminée, qu’est-ce que tu espères obtenir ? »
Il y eut une brève pause pendant que Mylène réfléchissait sérieusement à la question. Très vite, elle expliqua : « La victoire absolue est une entreprise téméraire. Si nous gagnons de façon trop décisive, ceux qui surveillent l’issue de cette guerre se méfieront encore plus de notre pouvoir. C’est particulièrement vrai pour l’empire. Il serait politiquement et militairement désavantageux à l’extrême d’en faire notre ennemi. »
En d’autres termes, Mylène avait l’intention d’éviter un conflit international en subissant délibérément des pertes, car une victoire totale ne ferait qu’invoquer l’ire des autres nations.
« Nous nous autoriserons un certain degré de sacrifice pour sauver les apparences. Ensuite, nous arracherons de justesse la victoire aux mâchoires de la défaite. Cela rassurera le monde entier. Idéalement, nous pourrons négocier des conditions favorables pour nous-mêmes et obtenir la paix avec nos voisins. » Les lèvres de Mylène se retroussèrent en un sourire sinistre. « Mais avant cela, Rachel doit être anéantie. J’ai posté le duc ici expressément pour m’assurer de leur disparition. À l’approche de la fin de la guerre, nous envahirons le pays et le détruirons. Sans leur chef, le Concordat de défense armée s’effondrera. Après cela, il ne restera plus qu’à négocier une trêve avec chaque nation individuellement. »
Les sourcils d’Anjie se plissèrent et elle lança un regard à la reine. « Vous voulez utiliser Léon à vos propres fins ? Vous m’aviez assuré que vous ne vouliez pas de lui sur le champ de bataille ! »
N’importe quelle personne ordinaire aurait tressailli ou aurait reculé sous l’intensité du regard mortel d’Anjie. Pas Mylène. Son expression était restée calme alors qu’elle se tournait vers Anjie. « La noblesse est née pour le combat. Leur statut n’a aucun sens sans ce droit de naissance. Il a juré fidélité à la couronne, alors je lui ferai respecter son vœu. De plus, il a affronté des combats plus sérieux. Il est certain que cela ne le dérangera pas. »
Tant que Mylène avait Léon à sa disposition, elle avait raison de penser que son plan se déroulerait sans encombre. Mais Anjie était bien plus préoccupée par le bien-être mental de Léon.
« Quelle froideur ! », dit Anjie. « Vous savez sûrement à quel point Léon vous respecte. À quel point il tient à vous. »
« Je t’ai mieux appris. Les émotions des uns et des autres n’ont aucun sens face à l’avenir du royaume. Tu dois comprendre que si on en est arrivé là, c’est à cause de vous — de vous tous. »
Le trio fut abasourdi. Ils la regardent avec une grande confusion. Aucun d’entre eux ne pouvait comprendre ce qu’elle voulait dire.
Le regard de Mylène se fixa sur Erica. « Je n’avais jamais prévu d’aller aussi loin, pas tant que tu épouserais le duc. L’héritier que tu aurais mis au monde aurait hérité de Luxon et apporté un nouveau pouvoir à la famille royale. »
Les joues d’Erica s’étaient vidées de leur sang. Elle se sentait maintenant personnellement responsable d’avoir trahi les souhaits de sa mère. Elle détourna son regard vers le sol, son corps tremblant.
« Si c’est de cela qu’il s’agit, il n’y a pas de raison que ce soit Erica », argumenta Julian, prompt à prendre la défense de sa sœur. « Tu pourrais faire la même chose en faisant en sorte que l’enfant de Léon et d’Anjie se marie avec notre famille. »
Mylène se moqua. « Après la façon dont chacun d’entre vous a insisté pour faire les choses à sa façon malgré la volonté de vos parents, vous forceriez vos enfants à faire un mariage politique à votre place ? Même si vous disiez que vous le feriez, je ne placerais pas ma confiance en vous. Pas après que vous ayez donné la priorité à vos sentiments plutôt qu’à vos responsabilités. »
Elle n’avait pas tort. Tous les trois avaient défié les arrangements politiques, choisissant plutôt d’honorer leurs sentiments. Même s’ils promettaient à leurs enfants des mariages politiques, rien ne garantissait qu’ils ne reviendraient pas plus tard sur leurs vœux. Il était normal que Mylène soit sceptique.
« C’est la dernière chose que je vous apprendrai », dit la reine avec un bref soupir. « Prenez la responsabilité de vos actes. Pendant que vous y êtes, assurez-vous de transmettre ces mots au duc de ma part : ceux qui ont un excès de pouvoir changent inévitablement le monde, qu’ils le veuillent ou non. »
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Chapitre 7 : Le coureur de jupons
Partie 1
« Cher et tendre Léon ! »
Un dirigeable de la maison Atlee était arrivé à bon port dans le port de transport public de Frazer. Clarisse Fia Atlee m’avait fait un signe excité depuis le pont. Elle avait été ma camarade de classe à l’académie, mais avait depuis obtenu son diplôme. Ses cheveux orange vif dansaient dans le vent et ses yeux émeraude étaient rivés sur mon visage.
J’avais envoyé une lettre à Miss Clarisse pour qu’elle me tienne au courant de l’évolution de la situation au palais. Je m’attendais à ce qu’elle me réponde simplement, mais vu son apparition soudaine, j’avais plutôt l’impression de l’avoir convoquée par inadvertance.
Je me sentais coupable qu’elle se soit donné du mal pour venir ici, mais le fait de voir la façon dont elle souriait en continuant à me faire des signes me soulagea.
Une fois la passerelle abaissée, Clarisse descendit à ma rencontre.
« Désolé de t’avoir fait faire tout ce chemin », avais-je dit.
« Oh ? N’es-tu pas content de me voir ? »
« Bien sûr que oui, mais ça n’a pas dû être facile de se rendre dans une région frontalière dans les circonstances actuelles. »
Nous étions sur le point d’entrer en guerre. Le pays tout entier avait été plongé dans le chaos. Commander des dirigeables était devenu beaucoup plus compliqué.
Alors que je m’éloignais du dirigeable de sa famille, Miss Clarisse se plaça à mes côtés d’une démarche aisée. « Frontière ou pas, je suis en sécurité tant que tu es là, n’est-ce pas ? D’ailleurs, j’ai pensé qu’il serait plus pratique de venir te parler directement », dit-elle.
Je penchais la tête. Qu’est-ce qui est pratique dans tout ça ?
Miss Clarisse avait fait volatiliser son expression, le sourire disparaissant de son visage. Elle n’allait pas tourner autour du pot. « Y a-t-il un endroit où nous pouvons aller sans être interrompus ? Ce dont je suis venue te parler n’est pas destiné à être entendu par quelqu’un d’autre. Je préférerais te parler seul à seul. »
Quoi qu’il en soit, cela doit être très important. J’avais jeté un coup d’œil à Luxon. « Qu’en penses-tu ? »
« Si vous menez votre discussion à bord de l’Einhorn, vous pouvez être sûrs que personne n’écoutera aux portes. Bien sûr, j’assisterai également à votre réunion. » Il regarda Miss Clarisse.
« C’est très bien. Cela ne me dérange pas. Après tout, tu es le familier de Léon. »
« Je ne suis rien de tel. Mon existence n’a rien de magique ni de mystique. Je suis l’incarnation de la réussite scientifique. »
Miss Clarisse avait souri alors même qu’il la corrigeait. « Bien sûr, désolée pour ça. »
☆☆☆
Nous étions montés à bord de l’Einhorn et nous nous étions dirigés vers la salle commune. Miss Clarisse s’était rapidement assise sur le canapé pour transmettre les dernières nouvelles du palais.
« Pour faire court, le gouvernement central a déjà commencé à procéder à un plan d’abandon des seigneurs régionaux et de leurs maisons. »
« Le ministre Bernard soutient-il cette démarche ? » avais-je demandé.
En plus d’être le père de Miss Clarisse, il était l’un des principaux ministres de Hohlfahrt. En tant que noble de la cour, il connaissait bien les rouages de la politique.
« Il s’est opposé à la mesure, mais il semble que Sa Majesté l’ait fait passer malgré tout. » Les sourcils de Miss Clarisse s’étaient froncés dès qu’elle mentionna la reine, apparemment par méfiance. « Mais je dois dire que ce n’est pas si surprenant. Elle est originaire de Lepart, et elle a une véritable dent contre Rachel. »
« De la rancune, tu dis ? »
Elle acquiesça. « Les États qui forment le Royaume-Uni de Lepart ne se sont unis qu’à cause des invasions incessantes de Rachel. Il y a longtemps, ils n’étaient qu’une bande de petits pays entassés sur un continent, constamment en conflit les uns avec les autres. Je crois savoir que Rachel leur a vraiment fait du tort. »
D’après la façon dont elle avait présenté les choses, on dirait que Rachel a l’habitude de se mettre à dos tout le monde dans le voisinage. Les qualifier de mauvais voisins est un euphémisme.
« C’est donc pour cela que Sa Majesté fera tout ce qu’il faut pour les écraser », avais-je dit.
« Oui, parce qu’ainsi, son pays d’origine, Lepart, pourra enfin dormir sur ses deux oreilles. Le royaume sera le plus mal en point, certes, mais la famille royale récoltera tout de même les fruits de ce résultat. »
C’était à mon tour de froncer les sourcils.
« Tu dois savoir que tout le monde n’est pas d’accord avec cette stratégie », ajouta rapidement Miss Clarisse. « En fait, Sa Majesté y était fortement opposée. »
« Roland était contre ? » Ma voix s’était étranglée sous l’effet de la surprise.
« Wôw. Je n’arrive pas à croire que vous vous tutoyez. Mais bon, tu es sans doute la seule personne du royaume à pouvoir s’en tirer comme ça. »
Même Roland n’avait pas pu m’arrêter. Quel roi inutile !
Miss Clarisse quitta son siège actuel pour s’installer à côté de moi. « Alors, qu’est-ce que tu veux faire ? »
« Si possible, j’aimerais conclure les choses avant qu’une véritable guerre n’éclate », avais-je dit.
Miss Clarisse détourna le regard. « Si c’était si facile, nous ne serions pas dans ce pétrin. Ce n’est pas comme si renverser le royaume de Rachel allait résoudre tous nos problèmes. Si tu dépasses les bornes, l’empire interviendra. Cet étudiant transféré — le chevalier impérial — c’est ton ami, non ? Si les choses tournent au vinaigre, tu pourrais te retrouver face à lui sur le champ de bataille. »
Je n’avais aucun moyen de savoir combien d’armures démoniaques l’empire avait en sa possession, mais même si la réponse était zéro, je ne cherchais pas à être ennemi de Finn. Surtout si je n’avais aucune garantie qu’il n’était pas le seul capable de combattre Arroganz à armes égales.
« Tu n’as pas tort », avais-je admis en baissant la tête en signe de déception.
Miss Clariss posa délicatement sa main sur la mienne. « Hé ! Et si nous ralliions la faction qui s’oppose à la reine ? Si nous nous donnons tous la main, Sa Majesté n’aura pas d’autre choix que de changer de cap. Au moins, nous pouvons garantir que la noblesse régionale ne sera pas abandonnée. »
« Pouvons-nous vraiment faire cela ? »
« Bien sûr. Cependant, j’exigerai une compensation en retour… »
J’avais eu du mal à suivre ses paroles. Avant que je m’en rende compte, son visage était juste à côté du mien. Nous étions si proches que nos nez s’étaient presque frôlés. J’avais cligné des yeux plusieurs fois, choqué par l’absence soudaine de distance entre nous.
« Anjelica est ici, » annonça Luxon.
« Hein ? » avais-je crié.
À peine avais-je regardé la porte qu’elle s’était ouverte en trombe. Anjelica se tenait sur le seuil, les épaules gonflées par l’effort. Elle avait dû sprinter jusqu’ici à toute vitesse. D’ailleurs, j’entendais des bruits de pas derrière elle. Livia et Noëlle étaient sur ses talons.
« Clarisse ! » avait rugi Anjie.
Miss Clarisse fit claquer sa langue en signe d’agacement et s’éloigna de moi. Pas très loin, cependant — à peine l’espace d’une main.
« Je ne faisais que plaisanter », dit-elle. « Ce n’est pas la peine de t’énerver comme ça. »
« Je ne peux vraiment pas baisser ma garde avec toi. Tu es comme le reste de la noblesse de la cour. Toujours en train de jouer au plus malin. »
« Ou bien est-ce que vous êtes comme tous les autres seigneurs régionaux ? Toujours aussi prompts à s’offenser », déclara Miss Clarisse d’une voix basse et menaçante.
Les filles se lancèrent des regards furtifs. Noëlle et Livia eurent juste le temps de les rattraper. Elles étaient bien plus essoufflées qu’Anjie, leurs visages étaient pincés par l’épuisement.
« Nous avons finalement réussi », souffla Livia.
« Anjelica, tu es trop rapide », déclara Noëlle.
Elles s’étaient effondrées sur le sol, complètement vidées de leur force.
J’avais lancé un regard à Luxon. « Tu leur as dit que j’avais rendez-vous avec Miss Clarisse ? »
« Bien sûr que je l’ai fait. »
☆☆☆
Après une petite pause, nous avions repris notre conversation précédente, mais avec mes fiancées. Miss Clarisse souriait d’une oreille à l’autre tandis que les filles la regardaient d’un air renfrogné. Leur mécontentement manifeste rendait l’atmosphère beaucoup moins confortable. Il fallait que j’en finisse.
« Quoi qu’il en soit, tu penses que nous pourrons faire en sorte que l’opposition accepte de bloquer le plan d’action actuel ? Même si cette démarche profite globalement à la noblesse de la cour ? » demandai-je.
Miss Clarisse me jeta un coup d’œil puis elle fit un petit signe de tête. « La cour est une créature compliquée. De nombreux seigneurs s’opposent à la reine, je pense donc que nous pouvons faire appel à leur coopération pour la bloquer. Honnêtement, elle s’est fait trop d’ennemis. On dirait qu’elle s’est impatientée et qu’elle a essayé de forcer son gambit, ce qui a laissé un certain nombre de personnes dans l’embarras. »
Anjie porta une main fermée à sa bouche tandis qu’elle considérait cette information. « Sa Majesté a dit que cette guerre est une excellente occasion de s’occuper des ennemis latents. Se débarrasser des traîtres fortifiera la base du pouvoir de la famille royale. »
« C’est logique. Compter sur l’influence de quelqu’un d’autre pour les maintenir au sommet nuirait à leur légitimité, après tout. » Miss Clarisse me jeta un coup d’œil en disant cela.
Ils n’avaient pas tort, j’étais le seul à pouvoir contrôler Luxon. Dans l’état actuel des choses, cela mettait la famille royale à ma merci. Si les choses continuaient ainsi, ils ne seraient royaux que de nom.
« Personnellement, j’aimerais quand même rester en bons termes avec eux », avais-je dit.
Miss Clarisse soupira et s’appuya sur le canapé. « C’est peut-être pour cela que Sa Majesté a tant de mal. Je veux dire, si Léon disait ouvertement qu’il voudrait être roi, il monterait sur le trône en une minute. Cette possibilité terrifie probablement la reine. »
« Moi ? Devenir roi ? Ce n’est pas possible. »
« C’est tout à fait vrai », insista Miss Clarisse. « Un certain nombre de seigneurs t’adorent tout simplement, ou bien ils sont prêts à promettre leur loyauté à ta maison. » Elle sortit rapidement une lettre et la posa sur la table basse. Plusieurs sceaux y étaient apposés. J’avais reconnu deux des emblèmes familiaux comme appartenant au comte Roseblade et au comte Mottley. Je ne connaissais pas les autres.
Anjie prit la lettre. « Tu es devenu populaire », dit-elle en me lançant un petit sourire.
J’avais donc le pouvoir de prendre le trône… J’avais même des hommes prêts à me promettre leur loyauté. Il semblait que j’avais tout ce qu’il fallait pour m’établir en tant que roi.
« C’est un peu effrayant que tant de gens m’apprécient après avoir été détesté à l’académie », avais-je dit.
« Ça te dérange si je jette un coup d’œil à l’intérieur ? » demanda Anjie.
J’avais secoué la tête et elle avait rapidement brisé le sceau de l’enveloppe pour en sortir la lettre. Après l’avoir parcourue, elle poussa un long soupir.
« Il est dit que certains seigneurs régionaux se préparent déjà à trahir le royaume. Une fois la guerre commencée, ils prévoient d’escorter l’ennemi directement à travers leurs terres afin qu’il puisse plus facilement frapper nos régions centrales. »
« Alors ils doivent déjà penser que le royaume les a abandonnés », dit Livia en laissant tomber son regard sur ses mains serrées, qui reposaient sur ses genoux.
« C’est parce que le royaume les a abandonnés, » déclara Miss Clarisse en insistant bien sur ses mots. « Ils le savent. C’est pourquoi ils se préparent à changer de camp. »
L’enveloppe contenait également une lettre de la maison Roseblade, qu’Anjie avait ensuite consultée. Elle en resta bouche bée. « Il semblerait que certains d’entre eux aient commencé à faire pression sur le baron Bartfort pour qu’il persuade Léon. Plusieurs envoyés ont été dépêchés pour lui parler. »
« Ils essaient de faire pression sur mon père !? » J’étais tellement choqué que j’avais bondi de mon siège.
« Les seigneurs qui complotent une trahison ont peur de Léon », conclut Miss Clarisse. Elle croisa les bras et soupira. « Si ce n’était pas le cas, ils n’hésiteraient probablement pas. »
Anjie poursuit : « Il semblerait que les Roseblades aient intercepté ces envoyés et rejeté leurs demandes de rencontrer ton père au nom des Bartforts. Compte tenu de tout cela, il semble que le mariage de Lord Nicks avec Dorothea ait été la bonne décision. »
C’était un grand réconfort de savoir que les Roseblades faisaient tout leur possible pour protéger ma famille. Mais mon soulagement fut de courte durée, le visage d’Anjie s’était durci.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je.
« C’est Deirdre qui a écrit cette lettre », dit-elle. « Elle dit qu’elle attend une récompense. »
« Ah oui ? Alors je vais devoir faire quelque chose de gentil pour elle. »
J’avais tendu la main pour prendre la lettre afin de la voir par moi-même, mais avant que j’en aie eu l’occasion, Anjie l’avait froissée et jetée par terre.
« Quoi ? » avais-je demandé.
« Tu n’as pas besoin de le lire », insista Anjie, visiblement enragée. Son ton ne laissait aucune place à l’argumentation.
Avant qu’elle ne l’écrase complètement, j’avais jeté un bref coup d’œil à la signature. On aurait dit qu’elle avait été scellée par un baiser au rouge à lèvres juste à la fin, mais peut-être que je l’avais seulement imaginé.
J’étais tombé dans une contemplation silencieuse, me grattant la tête en essayant de trouver une réponse. Comment allions-nous faire face à cette situation difficile ?
Noëlle remarqua mon expression troublée. « Alors… comment penses-tu répondre ? »
Si je voulais résoudre ce problème, je n’avais qu’un seul choix… « Je vais essayer de convaincre moi-même Mylène. Après cela, je consulterai Finn. »
Les sourcils d’Anjie s’étaient rapprochés. « J’admets que c’est un chevalier puissant, mais son statut ne semble pas assez important pour qu’il puisse donner un avis utile sur la position de l’empire. »
« Peut-être pas. Mais j’ai quand même besoin de lui parler. »
+++
Partie 2
Mylène se promenait dans le couloir, deux servantes la suivant de près. Elle s’arrêta devant une fenêtre, d’où elle aperçut la cour intérieure du château.
« Les Frazer ont certainement consacré beaucoup d’efforts à leurs jardins », avait-elle fait remarquer.
Il lui semblait que l’actuel chef de la maison s’était mis au jardinage comme passe-temps.
« Oui », avait convenu l’une des servantes, « apparemment, le marquis s’en occupe lui-même. »
« Cela explique pourquoi tout semble si particulier. » Mylène s’était approchée de la fenêtre pour pouvoir observer la cour depuis sa fenêtre du deuxième étage.
En bas, Ivan — le diplomate pimpant, comme l’appelait Léon — était engagé dans une conversation animée avec une femme plus jeune. Des rides s’étaient formées sur le front de Mylène. Elle poussa un petit soupir et toute émotion disparut de son visage.
« Il est tout aussi superficiel que dans mes souvenirs. »
Mylène et Ivan se connaissent depuis longtemps. Pour Ivan, flirter était aussi facile que de respirer. Il avait même essayé de faire les yeux doux à Mylène — bien plus d’une fois, en fait. L’attention qu’il portait à cette très jeune femme rappelait amèrement à la reine qu’elle vieillissait. C’était comme si le monde voulait lui rappeler que sa jeunesse s’était enfuie depuis longtemps. De telles images étaient douloureuses.
Mylène se décolla finalement de la fenêtre et poursuivit son chemin dans le couloir. Ses servantes furent les premières à remarquer que quelqu’un approchait.
« Lady Mylène », prévint l’une d’entre elles.
« Oui, je sais. »
Léon se dirigea vers eux à grands pas dans la direction opposée, Luxon à ses côtés, comme d’habitude. Il avait même apporté un cadeau.
« Votre Majesté, voulez-vous prendre du thé avec moi ? » demanda-t-il en s’adressant à elle avec tout le respect dû aux servantes de sa compagnie.
Mylène se força à sourire. « Malheureusement, un engagement antérieur requiert ma présence. Je vous prie de m’excuser. »
« C’est faux », interrompit Luxon. « Vous prétendez ne pas avoir de temps à consacrer à mon maître, mais votre prochain engagement n’est pas avant trois heures. »
« Quoi, sérieusement ? » La mâchoire de Léon s’était décrochée, mais son expression était vite devenue celle d’une amère déception. Non, pire encore, il avait l’air blessé. « Je suppose que vous devez alors me détester, hein ? » Son ton était plaisantin, mais l’expression blessée de son visage attisa la pitié de Mylène.
Après un long soupir, elle déclara : « D’accord, très bien. Je peux vous accorder un moment — un bref moment. »
Le visage de Léon s’illumina instantanément. « Merci. J’ai apporté des feuilles spéciales rien que pour vous. Elles feront un délicieux breuvage, vous pouvez compter là-dessus. »
Bien qu’il ait dit cela, Mylène savait qu’il avait une arrière-pensée pour lancer une invitation à un moment pareil. Elle se tourna vers ses servantes. « Veuillez prendre congé, s’il vous plaît. »
☆☆☆
J’étais aux anges. Ce serait la première fois que je prendrais le thé avec Mylène depuis longtemps. Pendant que je m’apprêtais à préparer le thé, Mylène entama la conversation.
« Tu as quelque chose à dire, n’est-ce pas ? »
Elle avait déjà deviné la raison pour laquelle je l’avais invitée. Néanmoins, j’avais continué à préparer notre thé en allant droit au but.
« Je n’aime pas l’idée que les choses échappent à tout contrôle dans le royaume. C’est pourquoi je pense à régler toute cette affaire le plus rapidement possible. »
J’avais versé sa part dans une tasse que je lui avais tendue. Elle regarda le liquide ondulant à l’intérieur, un sourire taquin sur les lèvres.
« Je crois t’avoir dit que nous ne serions pas dans ce pétrin si les choses étaient aussi simples », dit Mylène. « Anjie m’a informée que le combat entre toi et cet étudiant impérial transféré s’est soldé par un match nul. Il est fort possible qu’ils disposent de chevaliers et d’armes encore plus puissants. Si c’est le cas, penses-tu toujours pouvoir les vaincre ? »
« Je n’ai pas l’intention de me battre contre l’empire. »
« Tu ne souhaites peut-être pas les affronter, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne deviennent pas tes ennemis. Tout le monde craint ce qui est sensiblement plus puissant que soi. »
Mylène était tellement déterminée à suivre sa voie que même Anjie n’avait pas réussi à l’en dissuader. Il était hors de question qu’elle se mette d’accord avec moi, même si j’essayais d’aborder la question sous un angle politique. C’est pourquoi j’avais décidé de forcer le trait. Je n’allais pas lui laisser la possibilité d’argumenter.
« Jilk et les garçons s’emploient à faire s’écrouler le Concordat de défense armée. La maison Fanoss a également promis de ne pas devenir un traître », avais-je dit.
« Oui, et c’était une manœuvre d’ingérence tout à fait inutile. Il est difficile de croire qu’ils ont tous été déshérités de leur maison. » Mylène secoua la tête.
Je comprenais plus ou moins ce qu’elle essayait de dire. Ces jours-ci, ils se montraient tout à fait capables, et elle aurait sans doute souhaité qu’ils le fassent plus tôt — avant qu’ils ne perdent leur position dominante. Il était difficile de ne pas déplorer ce gâchis.
« Je me sens mal d’avoir agi derrière ton dos et tout ça, mais je déteste la guerre », avais-je dit.
Lorsque j’avais pris place à la table, Mylène avait levé la tête et m’avait fixé du regard. « C’est l’arrogance même dont seuls ceux qui ont une force exceptionnelle peuvent faire preuve. Sans ton artefact disparu et l’influence écrasante qu’il procure, tu n’aurais pas ce luxe. »
« Est-ce ce que tu penses ? »
« Oui. Tu as la possibilité d’arrêter une guerre sur un coup de tête. Si tu n’appelles pas ça de l’arrogance, comment l’appellerais-tu autrement ? »
J’avais compris où elle voulait en venir. Pour la plupart des gens, la guerre est une chose dans laquelle ils sont entraînés, qu’ils le veuillent ou non. J’avais le choix rare et exceptionnel de l’arrêter, si je le souhaitais. Je pouvais tout aussi bien déclencher une guerre, si c’était ce que je voulais. Avoir autant de choix était un véritable luxe.
« Dans ce cas, bien sûr, traite-moi d’arrogant. Je m’en fiche. » J’avais haussé les épaules. « Le fait est que ça sert à quoi de manipuler nos ennemis uniquement pour faire souffrir nos alliés, hein ? »
« N’avons-nous pas déjà discuté de ce sujet ? Le royaume — non, la famille royale en particulier — considère les seigneurs régionaux comme de futurs ennemis. »
« Oui, c’est ce que tu as dit. Mais pour l’instant, ils sont alliés, n’est-ce pas ? », avais-je souri allègrement.
Des rides s’étaient formées sur le front de Mylène. Elle n’était pas très enthousiaste à l’égard de mon attitude. « Duc, as-tu réfléchi à l’avenir ? As-tu imaginé le monde dans cent ans ? »
« Non. » J’avais secoué la tête. « Je ne serai pas en vie, donc ça n’a rien à voir avec moi. »
« Je vois. Eh bien, cela ne te concerne peut-être pas, mais la famille royale a le devoir de protéger les intérêts supérieurs de l’avenir de la nation. » Mylène m’avait regardé avec une consternation non dissimulée, visiblement décontenancée par ma réponse.
Le devoir, hein ? Je suis impressionné. Son sens des responsabilités est si fort. Je détendis mes épaules et sirotai mon thé avant de poser la tasse sur la table. « Je déteste la façon dont tu fais les choses. » Je l’avais regardée droit dans les yeux en parlant, « Alors je vais finir à ma façon. »
Les secondes s’écoulèrent lentement — trop pour que je puisse les compter. Mylène détourna enfin le regard, en se mordillant la lèvre inférieure. Elle était enfin en train d’acquiescer. « Si c’est ta décision, la famille royale n’a pas le pouvoir de t’en empêcher pour le moment. »
« Je suis désolé, mais je n’ai pas l’intention de régler cette affaire d’une manière qui causera d’autres problèmes à Hohlfahrt. »
Je ferais tout ce qu’il faut pour qu’aucun autre pays ne s’allie contre nous.
« Peux-tu vraiment faire ça ? » Mylène me regarda avec incrédulité. « Ce ne sera pas aussi simple que de simplement vaincre un ennemi. »
« Je trouverai un moyen. »
Je n’avais fourni aucune base pour ma confiance, c’est pourquoi ma déclaration avait semblé la déconcerter. Je savais que je ne pouvais pas faire mieux que Mylène dans une discussion lorsqu’il s’agissait de raison et de logique. La seule option était de refuser de céder.
Mylène ferma les yeux un instant. « Je t’envie, » murmura-t-elle, « pour la liberté et l’indépendance avec lesquelles tu vis ta vie. Si seulement j’avais eu plus de pouvoir, j’aurais aussi pu vivre comme je le voulais. »
« Il n’est pas trop tard pour cela », avais-je dit avec légèreté.
Mylène leva les yeux vers moi. La tension avait quitté son visage. Elle avait même l’air détendue. « Je voulais vraiment que tu épouses Erica », avait admis Mylène. « Je suis sûre qu’elle serait heureuse, si elle était avec toi. »
« Je déteste dire ça — vraiment — mais Son Altesse semble fixée sur le gars avec qui elle est déjà fiancée. »
Mylène hocha la tête d’un air pensif. « Il n’est pas mauvais, mais il n’est pas à la hauteur. Si elle t’épousait, son avenir et celui du pays seraient garantis. Malheureusement, mes souhaits n’ont pas été exaucés », dit-elle avec une évidente autodérision.
Il était impossible qu’elle sache qu’Erica avait été ma nièce, elle n’aurait sûrement pas essayé de nous mettre en couple si elle l’avait su. Mais il était hors de question que j’épouse ma nièce.
« Laisse-moi respirer, s’il te plaît », avais-je dit. « Je préfère t’épouser toi plutôt que la princesse. »
Mylène me regarda fixement, d’abord incapable de digérer ce que j’avais dit. Elle cligna des yeux plusieurs fois. Ce n’est que lorsque mes paroles finirent par être comprises que ses joues se mirent à rougir. « Tu as du culot de me taquiner dans un moment pareil », dit-elle en faisant la moue.
« Mais je ne te taquine pas du tout. »
« Je ne peux pas croire que tu puisses prétendre une telle chose après le nombre de fois où tu as fait venir Erica. Les hommes ne se donnent tant de mal que pour les jeunes femmes. »
Je l’avais regardée droit dans les yeux. « Pour moi, tu as bien plus d’attrait que n’importe quelle femme plus jeune. »
« Voilà que tu me taquines encore. » L’attitude froide et dure que Mylène avait adoptée avec moi ces derniers temps avait disparu. Elle était redevenue adorable comme d’habitude — la même Mylène dont je me souvenais depuis le jour où nous nous étions rencontrées pour la première fois.
« Non, j’ai insisté, je le pense vraiment ! »
« Vraiment !? »
Cela me troublait qu’elle pense que je n’étais pas sincère, alors j’avais répondu avec toute la solennité dont j’étais capable. « Je te préfère à la princesse Erica. Si je devais épouser l’une d’entre vous, je voudrais que ce soit toi, Mylène. »
Honnêtement, elle aurait été parfaite si elle n’avait pas été la reine. J’aurais vraiment aimé qu’elle n’épouse pas ce salaud de Roland.
Le rougissement de Mylène s’étendit jusqu’à ses oreilles. Embarrassée, elle attrapa avec vigueur sa tasse de thé et en avala jusqu’à la dernière goutte, essayant désespérément de retrouver son calme.
« Tu es vraiment un homme terrible, Duc — Léon », s’était-elle corrigée, m’appelant enfin à nouveau par mon prénom.
« Tu crois ? »
☆☆☆
Alors qu’Ivan se promenait dans l’un des couloirs du château, il remarqua un couple de servantes agitées. Hmm ? Ces deux-là ne sont-elles pas au service de la reine Mylène ? Elles se tenaient devant une porte fermée, s’agitant avec agitation. Ne pouvant ignorer sa curiosité, Ivan s’approcha.
« Quelque chose ne va pas ? » demanda-t-il.
Les servantes avaient l’air soulagées de le voir, et elles s’étaient empressées de divulguer la vérité de la situation.
« Sa Majesté nous a dit qu’elle voulait être seule avec le duc Bartfort. »
« D’ordinaire, il ne serait pas approprié que la reine se mette dans une telle situation, mais elle a dit que ce serait l’occasion idéale de persuader le duc de voir son point de vue. »
Pour une reine, être seule avec un homme autre que son mari n’était rien de moins qu’un scandale. Qu’il se soit réellement passé quelque chose n’avait rien à voir, faire des suppositions et répandre des rumeurs malveillantes n’est que la nature humaine. Néanmoins, Ivan reconnut qu’il s’agissait là d’une occasion en or.
« Vous n’avez pas à vous inquiéter », avait-il assuré aux servantes. « La reine Mylène est la dernière personne qui ferait quelque chose d’assez grossier pour nuire à sa réputation. »
Le garçon est naïf, et il est préoccupé par son sens de la justice. C’est pour cela qu’il a envoyé un de ses vaisseaux sans sa permission et qu’il montre une telle réticence à adhérer à son plan. Qu’à cela ne tienne. Sa Majesté est rusée. Elle le fera danser dans le creux de sa main. Ivan était certain que Mylène cajolerait le duc pour le bien de son pays d’origine.
Alors que l’impatience gonflait dans sa poitrine, la porte s’ouvrit. Les yeux d’Ivan s’écarquillèrent lorsque Mylène et Léon sortirent, sa mâchoire s’entrouvrant. Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ivan était un play-boy par nature et passait la plupart de ses journées à faire des avances aux femmes. Grâce à ses nombreuses années d’expérience, il avait appris à connaître les subtilités du langage corporel des femmes. Un seul coup d’œil suffit pour comprendre qu’il s’était passé quelque chose entre ces deux-là. Comme si cela ne suffisait pas, Léon tenait une des mains de Mylène dans les deux siennes.
« Tu n’as pas besoin de t’inquiéter. Je m’occupe de tout », lui dit Léon. « Votre Majesté — non, Mylène — je te promets de t’apporter de bonnes nouvelles en toute hâte. »
« Tu es certainement un camarade persuasif, je te l’accorde. J’attendrai ton rapport, même si mes attentes sont faibles. »
Ivan avait vu clair dans l’expression et les gestes de Mylène, jusqu’aux émotions qu’elle gardait enfouies au plus profond d’elle-même. Elle prétendait ne pas avoir d’espoir, mais ses joues étaient rouges. Elle détournait la tête de Léon, mais son corps était tourné vers lui. Elle se comportait exactement comme une jeune adolescente embarrassée dans les affres du premier amour.
De la sueur froide perla sur le front d’Ivan. C’est de la reine Mylène dont nous parlons ! La femme que les gens appellent une sorcière intrigante ! Mais elle se comporte comme une jeune fille amoureuse devant ce morveux !? Je l’ai complètement sous-estimé. Il n’est pas naïf. C’est clairement un coureur de jupons expérimenté !
Ivan trembla en regardant le duc et la reine hocher la tête l’un contre l’autre et se séparer, à la fois terrifié et stupéfait.
Les deux servantes s’étaient lancées à la poursuite de la reine, le laissant tout seul.
« C’est donc la reine Mylène qui a été cajolée ? » marmonna Ivan, incrédule.
+++
Chapitre 8 : Attrape-les avant qu’ils ne t’attrapent
Partie 1
« Oncle, comment as-tu exactement réussi à la persuader ? »
Quand Erica avait appris que Mylène, toujours têtue, avait changé de position, cela avait été un véritable choc. Elle s’était empressée de harceler Léon pour obtenir des réponses le lendemain matin.
Marie et Luxon se trouvaient également dans le couloir. De son côté, Léon inclina la tête en signe de confusion, ce qui provoqua instantanément une aigreur dans l’expression de Marie.
« Je l’ai juste persuadée de la même façon que n’importe qui le ferait », insista-t-il.
Marie s’était moquée de lui et s’était détournée. « Il a certainement fait quelque chose. Je peux te le promettre. » Elle n’avait à peu près aucune confiance en son frère.
« La vérité, s’il te plaît, mon oncle », plaida Erica, convaincue qu’il devait y avoir quelque chose de plus. Sinon comment expliquer autrement le changement d’avis spectaculaire de Mylène ? « Cette guerre a le potentiel de façonner l’avenir du royaume. C’est d’une importance capitale pour elle. Je ne peux pas me résoudre à croire qu’elle changerait si facilement d’avis. »
Le visage de Léon se pinça. Il leva son regard vers le plafond, perdu dans ses pensées pendant un moment. « Non, vraiment. Tout ce que je lui ai dit, c’est de me faire confiance et de me laisser m’en occuper », dit-il enfin. « Je ne pense pas avoir dit grand-chose d’autre. »
« Est-ce tout ce qu’il fallait ? » Erica était restée sans voix. Même si elle, son frère et Anjie avaient désespérément essayé d’influencer Mylène, la reine était restée fidèle à ses convictions. Pendant ce temps, Léon avait accompli ce qu’ils n’avaient pas réussi à faire en une seule réunion. Elle ne pouvait pas le comprendre.
Bien qu’Erica ne l’ait jamais dit à Léon, elle savait que ses compétences étaient, au mieux, moyennes lorsqu’il s’agissait de questions politiques et militaires. Après tout, il avait grandi comme le fils d’un humble baron dans une campagne paisible. Elle voyait bien qu’il ne s’intéressait pas non plus à la politique, il n’avait jamais manifesté la moindre envie de s’y impliquer auparavant.
« Très bien, alors, comment comptes-tu arrêter cette guerre ? » demanda Erica.
« Ça devrait être évident, non ? » répondit Léon sans perdre une seconde. « Je vais voler jusqu’à la capitale de Rachel et servir à leur saint roi un bon coup dans la gueule. »
Erica était restée sans voix. Qu’était-elle censée répondre à cela ? Léon avait complètement écarté le fait que s’ils résolvaient cette guerre rapidement et par la force, cela ne ferait que rendre les voisins de Hohlfahrt encore plus méfiants. D’un autre côté, Léon n’avait pas l’air d’avoir l’intention de faire la guerre à l’empire, même s’il savait que sa « solution » mènerait probablement tout droit à cette fin.
« Je sais que tu dois être inquiète, mais ce n’est pas la peine de t’y attarder », assura Marie à sa fille. Elle pouvait faire preuve d’empathie, ayant eu affaire à Léon aussi longtemps qu’elle. « Dans des moments comme celui-ci, Grand Frère a toujours réussi à s’en sortir, peu importe à quel point les choses semblaient mauvaises. »
« M-Mère ? Lui fais-tu vraiment confiance ? »
Marie détourna la tête, se sentant un peu gênée. « Je ne sais pas si j’appellerais ça de la confiance, mais plutôt… de l’intuition ? » Elle se gratta la joue. « Tout ce que je peux dire, c’est que je le connais depuis assez longtemps pour plus ou moins sentir où les choses vont… si ça a un sens. »
De l’avis d’Erica, Marie avait certainement confiance en Léon. Quoi qu’il en soit, elle sentait qu’un débat plus approfondi serait improductif, aussi se contenta-t-elle de poser une dernière question à Léon. « Mon oncle, es-tu sûr que tout ira bien ? »
« Aie un peu confiance en moi. » Léon plaqua sa main sur sa poitrine et sourit. « Au cas où tu l’aurais oublié, j’ai Luxon. »
L’IA en question ne semblait pas très enthousiaste à l’idée que son maître se décharge une fois de plus de toutes les responsabilités sur lui. « Tu vas donc utiliser mon pouvoir après tout. »
« Duh. Bien sûr. Tu es fou ? Qu’est-ce que je vais faire, arrêter une guerre tout seul ? »
Erica étudia le couple, sentant venir un mal de tête soudain. À cause de leur comportement, il était difficile de croire que l’avenir du royaume soit vraiment entre leurs mains.
☆☆☆
En retournant dans sa chambre, Erica avait croisé Mylène dans le couloir. Dès que Mylène la remarqua, elle tressaillit. Pourquoi avait-elle l’air si surprise ? Erica trouva cela étrange.
« Bonjour, maman. »
« O-Oui, bon matin. »
La maladresse de Mylène avait laissé Erica perplexe. Quelques jours auparavant, sa mère était à bout de nerfs, la tension l’avait suivie dans son sillage où qu’elle aille. D’ordinaire, elle était plus calme et plus digne. Bien qu’elle soit gentille, elle pouvait aussi être stricte à l’occasion. Mais devant Erica, elle semblait troublée — non, elle semblait désolée ?
« S’est-il passé quelque chose ? » demanda Erica.
« Discutons un peu. » Mylène fit signe à ses servantes de partir pour qu’elles puissent parler en privé. Les servantes reculèrent, disparaissant dans l’ombre des piliers qui bordaient le couloir.
« Erica, j’avais tort. »
« Mère, de quoi s’agit-il ? »
Franchement, Erica était restée bouche bée. Sa mère voulait-elle… s’excuser ?
Mylène grimaça. Elle était agacée, non pas contre Erica, mais contre elle-même, et elle avait du mal à l’expliquer. « Je parle de la guerre, bien sûr, mais aussi de ta relation avec Léon. Je pensais que cette union serait dans ton intérêt — qu’il te rendrait heureuse. Mais c’était un vœu pieux de ma part plutôt que ce que tu voulais. »
« Oui, parce que j’ai déjà Elijah. »
Mylène avait sincèrement envisagé d’annuler les fiançailles d’Erica avec l’héritier de la maison Frazer. Elle se sentait terriblement coupable à présent. « Je voulais que ma fille soit heureuse, mais tout ce que je faisais, c’était t’imposer ma propre vision de l’avenir. Pour être tout à fait honnête, je voulais vraiment que tu sois heureuse, même si tu étais liée à un mariage politique. »
Mylène elle-même avait été contrainte à un mariage politique avec Roland, et il aurait été extrêmement charitable de qualifier leur union d’heureuse. Cela allait dans les deux sens, Roland ne l’aimait guère. Telle était la nature de ces arrangements. Ni les sentiments ni les opinions des personnes impliquées n’entraient en ligne de compte. Même en sachant tout cela, Mylène avait espéré que sa fille serait au moins heureuse dans sa future union, et elle avait pensé que Léon serait l’homme idéal.
« Je réalise maintenant que c’était prétentieux de ma part. Je n’ai pas du tout tenu compte de tes sentiments. Au lieu de cela, je n’ai fait que te causer des ennuis. »
Erica comprenait où sa mère voulait en venir, c’est pourquoi elle ne pouvait pas lui en vouloir. Le royaume de Hohlfahrt était dans un état précaire. Chacun de leurs pas se faisait sur la glace la plus fine. En tant que reine, il incombait à Mylène de prendre des décisions cruciales, et le stress qui accompagnait ces fonctions était écrasant. Elle n’avait eu recours à ces mesures extrêmes que parce qu’elle n’avait pas d’autre choix.
« Je comprends que tu occupes une position difficile en tant que reine. » Erica s’était serré la poitrine en parlant. « Alors s’il te plaît, ne te trouble pas davantage. »
Les yeux de Mylène brillèrent. « Si seulement tu avais été une âme méchante, j’aurais pu t’élever pour que tu deviennes mon successeur. Au lieu de cela, tu es devenue une fille gentille et honnête, et je t’en suis très reconnaissante. » Bien qu’elle ait d’abord semblé gronder Erica, il est rapidement devenu évident qu’elle était fière de la croissance de sa fille — fière que sa fille ait réussi à se conduire avec une telle équanimité.
Tandis que Mylène essuyait ses larmes, Erica ne pouvait que fixer sa mère, stupéfaite. « Mère… ? »
« Ce n’est rien », insista Mylène. « J’ai juste réalisé à quel point toi et Julian avez mûri. Je n’ai pas pu vous élever autant que j’aurais dû, mais en voyant que ni l’un ni l’autre n’a plus besoin de moi, je me sens un peu seule. » Les siennes étaient des larmes de bonheur.
Voir sa mère dans cet état laissa Erica perplexe. Elle regrettait pour sa mère de ne pas avoir été une enfant normale — d’avoir des souvenirs d’une vie antérieure. En même temps, elle déplorait que ce petit échange soit mal adapté pour poser certaines questions importantes qui la taraudaient.
Je voulais avoir des détails sur sa rencontre avec mon oncle, mais je ne peux évidemment pas en parler maintenant.
☆☆☆
Il y avait un certain nombre de bancs au bord du lac des Frazer, car il s’agissait d’une destination touristique populaire. On pouvait s’y asseoir et profiter de la vue, et c’est exactement ce que faisait Monsieur Carl lorsque je m’étais assis à côté de lui.
« Cela ne vous dérange pas que je vous dise un mot, Votre Majesté Impériale ? »
L’empereur de Vordenoit me jeta un bref regard avant de reporter son regard sur le paysage. Sa couverture était grillée, mais il ne semblait pas le moins du monde dérangé. « Vous l’avez donc remarqué. Ou c’est ce morveux qui vous l’a dit ? »
J’avais secoué la tête. « Finn n’a pas dit un mot. J’ai juste rassemblé les bribes qu’il avait dites à l’école avec la façon dont il se comportait avec vous. Je suppose qu’on peut dire que c’était de l’intuition plus qu’autre chose. » J’avais trouvé ce Carl suspect dès le départ, c’est vrai, mais je n’avais pas pensé que l’empereur ferait tout ce chemin juste pour s’assurer de la santé de Mia. Ce n’est qu’en reconstituant les indices que Finn avait lâchés que j’en étais arrivé à la vérité — qu’il s’agissait de l’empereur qui, comme moi et Finn, s’était réincarné ici.
Mais franchement, c’est moi ou les dirigeants du monde entier sont beaucoup trop proactifs ?
« Alors vous vouliez me parler de quelque chose ? » demanda-t-il.
J’avais acquiescé. Pas de préambule, donc. « Je pense aller directement au royaume de Rachel et donner une bonne gifle à leur chef. Pensez-vous que vous pouvez passer outre cette fois-ci ? » C’était un vœu pieux, mais je devais essayer.
« Je ne peux pas simplement ignorer quelqu’un qui a le pouvoir de détruire à lui seul une nation entière. » L’empereur posa ses deux mains sur sa canne en regardant le lac. Sa bouche se plissa en un froncement de sourcils. « Tant que vous pouvez trouver une raison pour le justifier, vous seriez capable d’anéantir des civilisations entières. »
« En fait, » dis-je en redressant ma posture, « Je n’ai pas l’intention d’anéantir qui que ce soit. »
« Excusez-moi ? » L’empereur rétrécit ses yeux.
« Ce serait pénible d’anéantir toute une civilisation, sans parler de tous les gens qui me détesteraient. Nan, ce n’est pas à l’ordre du jour. Ça n’en a peut-être pas l’air, mais je le pense vraiment quand je dis que je suis pacifiste. »
+++
Partie 2
Luxon se tenait à distance. Bien que faiblement, je pouvais l’entendre marmonner : « Tu dois des excuses à tous les vrais pacifistes du monde pour avoir fait des affirmations aussi manifestement fausses. »
Mais je l’avais ignoré. « Donc pas de problème avec le fait de passer outre. »
L’empereur était resté silencieux pendant qu’il réfléchissait à mes paroles. Ce qui semblait être plusieurs longues minutes s’écoula avant qu’il ne relève enfin la tête. « Si vous pouvez résoudre les choses sans créer de vagues, je pourrai peut-être détourner mon regard. »
« Sans créer de vagues ? Que voulez-vous dire par là ? »
« Empereur, je le suis peut-être, mais même moi, je n’ai pas les coudées franches pour faire ce qui me plaît. Si les seigneurs qui me servent jugent que le royaume de Hohlfahrt est une menace et présentent un mouvement visant à vous détruire, je n’aurai d’autre choix que de prendre leur avis sérieusement en considération. Les ignorer serait source d’instabilité dans l’empire. »
« Votre position est-elle si faible ? »
L’empereur fronça le visage. « Même avec du pouvoir et de l’influence, une conduite dictatoriale a des conséquences. Vous vous souvenez de votre vie passée. Vous devriez en être conscient. »
« Eh bien, je suppose que oui. »
« Je vois. Vous êtes donc, en fait, un idiot. »
Le fait d’insulter carrément mon intelligence comme ça m’avait vraiment tapé sur les nerfs, mais quand j’avais jeté un coup d’œil à son visage, il avait l’air étonnamment joyeux. « Pourquoi souriez-vous ? » avais-je demandé.
« Oh, je réalisais juste à quel point il était ridicule de s’inquiéter autant pour un homme comme vous. »
« Un “homme comme moi”, hein ? »
« Mon peuple vous considère comme une menace », expliqua-t-il en soupirant.
Je l’avais regardé bouche bée. Ce n’était certainement pas quelque chose que je m’attendais à entendre.
« Oh, n’ayez pas l’air si surpris. Il ne vous a pas fallu longtemps pour vous hisser jusqu’à un duché. En plus de cela, lorsque vous êtes allé étudier à l’étranger dans la République d’Alzer, vous avez amené le pays au bord de la destruction. N’allez pas croire que vous pouvez convaincre qui que ce soit de votre pacifisme après tout ça. »
L’empire a vraiment eu une mauvaise impression de moi ! C’était aussi le cas de Finn. Évidemment, il fallait que je corrige ce malentendu.
« Rien de tout cela n’est de ma faute ! C’est cette ordure de Roland qui continue à me promouvoir, et la seule raison pour laquelle la République d’Alzer a subi autant de pertes, c’est parce que Rachel tirait les ficelles pour les pousser à la guerre civile ! » J’avais serré les dents de frustration. Ces abrutis du Saint Royaume, c’était vraiment une nuisance en complotant dans l’ombre comme ils le faisaient.
Sa Majesté Impériale hocha la tête en signe d’assentiment. « Oui, je sais tout cela. C’est pourquoi je pensais leur donner une leçon. »
« Oh ? »
« Écoutez, je n’aimerais rien de plus que de donner un coup de poing à ce saint roi. Cela fait des lustres qu’ils traitent l’empire comme un grand frère qui peut nettoyer n’importe quel désordre qu’ils font. Franchement, sans la complexité de toute cette affaire, je les aurais ignorés et je les aurais laissés subir les conséquences de leurs actes. »
En voyant l’empereur si renfrogné alors qu’il grommelait, j’avais compris que le royaume de Rachel était vraiment un fauteur de troubles.
« Pourtant, si vous dépassez les bornes, l’empire n’aura d’autre choix que de considérer Hohlfahrt comme un ennemi », m’avait-il prévenu en fronçant les sourcils.
« Dans ce cas, j’aimerais en savoir plus sur la limite à ne pas dépasser. Jusqu’où puis-je aller avant de dépasser les bornes ? Personnellement, je ne vois pas en quoi rayer le château de la carte est un problème, tant que le reste du pays est laissé intact. »
« Laissez-moi deviner — les gens vous disent toujours que vous avez une personnalité épouvantable. »
« C’est vrai ! Je ne sais pas comment j’ai fini par être aussi incompris », avais-je dit en secouant la tête.
☆☆☆
Plusieurs jours plus tard, la Licorne était finalement revenue sur le territoire de Frazer. Les garçons étaient encore en train de rendre visite aux membres du Concordat de défense armée lorsque je les avais rappelés. J’avais besoin d’eux pour mettre mon plan à exécution si nous voulions en finir au plus vite avec cette guerre.
J’avais attendu les quatre crétins au port militaire. Dès que la Licorne toucha le sol et qu’ils en sortirent, Julian se précipita à leur rencontre.
« Vous avez fait un travail incroyable ! Un rapport est arrivé du palais disant que les pays commencent à quitter l’alliance ennemie les uns après les autres. » Julian serra ses poings avec enthousiasme.
Jilk sourit au prince. « Ce n’était vraiment rien. Même si j’admets que nous devons remercier Léon de nous avoir fourni la Licorne et les orbes. »
Il s’est avéré que s’il avait demandé à emprunter la Licorne, c’était pour pouvoir l’utiliser pour menacer nos ennemis. Il est vraiment aussi sournois que je l’imaginais.
Contrairement à Jilk, les autres garçons avaient l’air fatigués.
« Rose, Mary, vous avez été mon seul salut pendant ce voyage », déclara Brad à ses amis les animaux en les berçant dans ses bras.
Greg débordait toujours d’énergie, pourtant même lui s’était affalé au sol, trop fatigué pour rester debout. « Je ne veux plus jamais travailler sous les ordres de Jilk », gémit-il.
S’est-il passé quelque chose d’horrible ?
Chris avait été le dernier à débarquer et à se diriger vers la passerelle. Toute trace de lumière avait disparu de ses yeux. Ils étaient vitreux, et un sourire étrange était plaqué sur son visage. « C’est vrai », marmonna-t-il, comme en transe, « je devrais prendre un bain. Les bains sont miraculeux. Si je trempe assez longtemps, je suis sûr que je peux laver les souvenirs de ce voyage. Rien ne vaut un bain. L’eau brûlante nettoiera les blessures de mon âme. »
Ils agissaient… bizarrement. Plus bizarres que d’habitude, en tout cas.
« D’accord, Jilk. » Je m’étais tourné vers lui et j’avais croisé les bras. « Qu’est-ce que tu leur as fait ? »
Jilk jeta un coup d’œil aux trois autres garçons et se passa une main sur le front en secouant la tête. Rien que ça, ça me mettait hors de moi. « Nous avons juste vécu une petite aventure, c’est tout. D’accord, ladite aventure n’incluait pas l’exploration de ruines anciennes ou la plongée dans les profondeurs d’un donjon — je ne leur ai fait utiliser qu’une fraction de leurs compétences dans chaque nation que nous avons visitée. »
Il était resté volontairement vague. Quoi qu’ils aient fait pendant leur absence, ce n’était apparemment pas quelque chose qu’ils se sentaient obligés de partager.
« Tout ce que j’entends, c’est qu’il est trop dangereux de te laisser libre cours. »
« Tu m’as blessé », souffla Jilk, une main sur sa poitrine. « Je n’ai fait qu’accomplir fidèlement la mission que tu m’as confiée. »
Bien sûr. Ça avait l’air louche, mais je l’avais ignoré pour l’instant.
« Quoi qu’il en soit, regardez-moi tous », dis-je paresseusement, en tapant dans mes mains pour attirer leur attention. Les garçons semblaient un peu perdus, mais ils avaient au moins jeté un coup d’œil dans ma direction. Leur comportement me donnait toujours la chair de poule. Je l’avais ignoré pour l’instant.
« J’ai réalisé que ce n’est pas mon style de traîner et d’adopter une approche indirecte comme celle-ci, alors j’ai décidé de me diriger directement vers Rachel. J’attends de vous que vous mettiez la main à la pâte. »
Jilk m’avait regardé fixement. « Attends un peu. Si c’est ton plan, alors qu’en sera-t-il de tous nos efforts laborieux ? »
Je leur avais confié la tâche de saper le Concordat de défense armée, mais si nous devions terminer la guerre rapidement, ce qu’ils avaient accompli était beaucoup moins important. C’est probablement ce que pensait Jilk, en tout cas. Et il avait raison.
J’avais haussé les épaules. « Désolé. Les choses ont changé. »
Brad, Chris et même Greg — qui avait réussi à se mettre debout il y a quelques instants — s’étaient agenouillés et avaient pleuré ouvertement. Il semblerait que Jilk les ait vraiment mis à rude épreuve.
« Quel était le but de toutes nos souffrances !? » s’écria Brad.
Greg secoua la tête en signe d’incrédulité. « Tous ces efforts… C’était pour rien !? »
« As-tu la moindre idée du nombre de fois où je me suis mordu la langue ? Combien de fois j’ai dû endurer !? », demanda Chris.
Regarder trois adultes réduits en larmes était pour le moins inconfortable. Je les avais ignorés et m’étais tourné vers Julian.
« Quoi qu’il en soit, Votre Altesse, tu vas devoir encore une fois rester en retrait. »
« Quoi !? Mais je — non, non. Tu as raison, bien sûr. Parce que je suis le prince. Je dois penser à ma position. Compris ! »
Oui, il a accepté cela un peu trop facilement, et c’est ainsi que j’ai deviné instantanément ce qu’il préparait.
☆☆☆
Nous nous étions rassemblés à l’intérieur de la salle de guerre d’Einhorn. Une table ronde trônait au centre, un cristal de la taille d’un ballon de football flottait au-dessus de la dépression au milieu. C’était un appareil de projection, mais expliquer ce que c’était aux autres était trop compliqué. Je leur avais simplement dit que c’était une boule de cristal.
Luxon et Creare étaient restés à mes côtés, jouant le rôle d’assistants. En plus de l’équipe habituelle, Finn et l’empereur — Monsieur Carl — étaient présents pour cette réunion. La brigade des idiots les considéra avec méfiance. Ils n’avaient accepté cette présence étrangère qu’à contrecœur, après que je leur ai assuré que Finn et Monsieur Carl avaient ma permission de participer.
Le dispositif de cristal projeta une image en 3D de la capitale blanche sur la table. J’avais l’intention de l’utiliser comme référence pendant que nous mettions au point notre tactique, mais dès qu’Anjie le vit, elle poussa un profond soupir.
« C’est bien que tu aies décidé de ne plus cacher l’étendue des capacités de Luxon, mais cela défie l’imagination, » dit-elle.
Livia étudiait la projection avec beaucoup d’intérêt. Curieuse, elle tendit la main pour toucher la version miniaturisée de la capitale de notre ennemi, avant d’être choquée de constater qu’il n’y avait rien de tangible. « Alors c’est en fait un dessin — ou plutôt une image comme tu l’as dit avant, n’est-ce pas ? C’est étrange. Ça a l’air si réaliste, et pourtant ce n’est pas vraiment là. »
« Donc leur capitale est une île flottant au-dessus d’un lac, » dit Noëlle, l’air impressionné. « C’est un peu comme ce lac touristique ici à Frazer. »
Alors que la projection avait enthousiasmé mes fiancées, Julian et compagnie m’avaient regardé avec des sentiments mitigés.
« Alors tu cachais encore quelques tours dans ta manche, n’est-ce pas ? » dit Julian.
+++
Partie 3
Les capacités technologiques de Luxon avaient également dépassé de loin leurs attentes. Le conseil des crétins n’était pas le seul à être surpris, Marie, Carla et Kyle étaient également abasourdis.
« Vous voyez bien maintenant qu’il est hors de question que j’utilise ce genre de choses en toute décontraction devant d’autres personnes. » J’avais croisé les bras. « Comprenez-vous enfin à quel point j’ai été prudent ? »
« Comment peux-tu dire que tu as été prudent ? » répondit Greg d’un air agacé.
« Pense ce que tu veux, mais j’ai été attentif. »
« Sérieusement !? »
Mylène, que j’avais également invitée à se joindre à nous, porta une main à sa joue en écoutant notre badinage et soupira. Malgré son exaspération, elle était, comme toujours, un chef-d’œuvre rendu à la vie.
« Avec toi, c’est un choc après l’autre », dit-elle. « Je ne peux qu’espérer que ce soit le dernier que tu aies en réserve. »
« Tee hee hee. » Creare ricana joyeusement. « Ne vous inquiétez pas, nous avons encore plus de surprises en réserve ! »
« Je savais déjà que les anciens étaient bien plus impressionnants que nous sur le plan technologique, mais je n’aurais jamais imaginé que nous étions aussi profondément dépassés », murmura Mylène. Un autre soupir s’échappa de ses lèvres.
Erica se tourna vers moi. « En tout cas, Duc, tu as dit que tu allais attaquer Rachel, n’est-ce pas ? Comment, précisément, comptes-tu t’y prendre ? »
Maintenant que l’attention de tout le monde était revenue sur moi, j’avais pointé du doigt le château d’ivoire au milieu de la capitale blanche. « Nous allons charger directement dans la ville et détruire l’armure démoniaque qui réside dans leur château. »
Ma proposition avait été accueillie avec enthousiasme par Luxon et Creare, qui avaient tous deux bougé leurs lentilles de haut en bas comme s’ils acquiesçaient.
« C’est une excellente décision », déclara Luxon. « Tout en privant Rachel de son arme la plus puissante, tu effaces simultanément de ce monde la tache qu’est l’armure démoniaque. Une décision louable et rationnelle — surtout venant de toi, Maître. »
« Je savais que tu avais ce qu’il fallait pour faire un appel aussi impressionnant ! », acquiesça Creare avec enthousiasme. « Tu as tout mon soutien sur ce coup-là ! »
Dès que j’avais mentionné la destruction d’une armure démoniaque, ils étaient tous les deux bien plus motivés que d’habitude.
« Ces gars-là n’hésitent pas à faire la guerre tant qu’ils peuvent mettre hors d’état de nuire une armure démoniaque », dit Brave en nous lançant un regard méfiant.
Finn s’appuyait contre le mur, les bras croisés en écoutant. « Silence. Nous sommes des invités ici », dit-il à son partenaire.
« Je le sais, mais ce serait tellement bien si on pouvait récupérer comme ça une armure démoniaque sans un noyau. » Brave fit une dernière remarque dépitée avant de fermer la bouche et de suivre l’ordre de Finn de rester silencieux.
Marie se pencha sur son cou, le visage crispé. « Je comprends l’idée de les privé de leur plus grosse arme et tout. C’est une bonne idée. Mais est-ce que ça va vraiment arrêter la guerre ? » Elle avait jeté un coup d’œil à Julian, comme si elle attendait une réponse de sa part plutôt que de la mienne.
« C’est possible », dit rapidement Julian, heureux qu’elle s’en remette à lui pour l’explication. « Après l’invasion de leur capitale et la disparition de leur principal atout, il est logique qu’ils perdent la volonté de se battre. Le plus gros problème sera les retombées diplomatiques avec les autres nations. »
« Léon est internationalement craint, après tout », ajouta Jilk. « Si le “chevalier-ordure” devient encore plus tristement célèbre qu’il ne l’est déjà, il y a de fortes chances que l’empire intervienne. »
Jilk jeta un coup d’œil méfiant à Finn. Semblant partager ses sentiments, Greg et Chris avaient également regardé Finn avec une méfiance non dissimulée. Finn resta immobile comme une statue, les bras croisés sur sa poitrine. On aurait dit qu’il comprenait leur méfiance et qu’il indiquait délibérément par ses actions — ou plutôt son inaction — qu’il n’avait pas l’intention de faire quoi que ce soit.
« Ils ont de vraies armures démoniaques, n’est-ce pas ? » me demanda Marie, le visage plissé par l’inquiétude. « On dirait que tu as eu beaucoup de mal à combattre le dernier. Es-tu sûr que ça va marcher ? On peut gagner, même si l’empire nous frappe, non ? »
Toutes les personnes présentes étaient préoccupées par la réaction de l’empire à notre invasion. Monsieur Carl écoutait tranquillement, les yeux fermés.
« Qui ferait quelque chose d’aussi stupide que de partir en guerre contre l’empire ? » Je m’étais mis à rire en secouant la tête. « Nous allons faire en sorte que le nombre de victimes du royaume de Rachel soit le plus réduit que possible. »
Mylène fronça les sourcils. Elle n’était sans doute pas très contente de cette décision, mais elle garda le silence.
« As-tu l’intention de les forcer à entamer des négociations diplomatiques ? », demanda Anjie, qui avait vite compris mon raisonnement.
« Tu l’as compris. Leur saint roi pompeux est probablement en coulisses, en train de se défouler et de s’amuser. Je vais y aller et lui donner un bon coup de poing dans la gueule avant de m’asseoir pour discuter de tout ça. »
« Placer le canon d’un pistolet sur la tête d’un homme est généralement considéré comme du chantage ou de la coercition plutôt que de la négociation, » déclara Luxon d’un ton détaché.
« Oui, eh bien, je fais tout ce qu’il faut pour éviter une guerre totale. »
« Un vrai pacifiste serait scandalisé s’il t’entendait. »
Maintenant, tout le monde savait ce que j’avais l’intention de faire, mais cela ne voulait pas dire que mon plan n’était pas sans faille.
« Je n’ai aucun scrupule à accepter cette proposition, mais nous ne pouvons pas espérer engager une conversation entre les nations à moins que cette autorité ne te soit officiellement confiée », fit remarquer Brad, en grimaçant. « Si tu fais cela sans l’autorisation de la cour, elle te coupera l’herbe sous le pied. »
C’était un argument solide. Je n’étais qu’un duc, après tout. Beaucoup m’en voudraient, ou seraient même courroucés, si j’ignorais toute la stratégie de la cour et réglais les choses selon mes propres termes.
« Sans compter que beaucoup de seigneurs régionaux — y compris ceux qui gardent nos frontières — ont déjà commencé à se préparer à se retourner contre nous. Que se passera-t-il si nous bouclons tout ça avant même que la guerre n’ait commencé ? » demanda Greg.
C’est un autre problème. La guerre n’avait pas encore officiellement démarré, mais des batailles se déroulaient déjà, même si ce n’était pas forcément sur le terrain. Tout le monde s’y mettait. La balle roulait déjà, leur dire d’arrêter ne servirait à rien à ce stade.
« J’ai bien peur de ne pas être d’une grande aide sur ce plan-là. » Julian passa une main sur son menton, les sourcils froncés. « En tant que simple prince, je n’ai aucune autorité pour négocier au nom du royaume. Mes paroles n’ont aucun poids auprès de la cour royale dans l’état actuel des choses. »
Toute l’équipe des idiots était étonnamment calme et posée pendant qu’ils exposaient leurs doutes. Mylène secoua tristement la tête, sortit un mouchoir et tamponna ses larmes. « Pourquoi ? Pourquoi n’avez-vous pas pu faire preuve d’une telle sagesse et d’une telle intelligence plus tôt ? »
Il était bien trop tard pour qu’ils puissent récupérer leurs statuts antérieurs. Par un cruel coup du sort, Julian avait même mûri au point d’être un candidat de choix pour devenir prince héritier.
Voir sa mère pleurer semblait mettre Julian mal à l’aise. Il se détourna et me regarda. « Devrions-nous maintenant retourner au palais ? Cela prendrait du temps, certes, mais une fois que tu auras obtenu l’autorité requise, nous pourrons recommencer. »
« Même si nous résolvons ce problème, je crains que nous ne puissions pas espérer rallier beaucoup de puissance militaire, » déclara Chris en remontant ses lunettes sur l’arête de son nez. « Les seuls vaisseaux que nous pouvons déployer pour cette opération sont l’Einhorn et la Licorne, n’est-ce pas ? L’ennemi nous submergera rapidement. »
Avec seulement deux vaisseaux de notre côté, il n’était pas déraisonnable que quelqu’un pense pouvoir nous surpasser en nombre. Le pire serait que ces pseudoarmures démoniaques sortent pour nous combattre en masse.
« Oui, je suis sûr que nous allons aussi nous battre contre leurs armures démoniaques. Et aucune armure ordinaire ne pourra les affronter à armes égales », dis-je. Aucune des armures dont disposaient les militaires royaux ou les Frazer ne serait d’une quelconque utilité face à un tel adversaire. « C’est pourquoi je compte sur vous quatre. » Je scrutai les visages de Jilk, Brad, Greg et Chris.
« Je veux dire, je ne vais pas dire qu’on ne peut pas le faire, mais… » Greg se gratta la tête en fronçant les sourcils. « La majorité de l’armée de l’ennemi se trouve dans sa capitale, n’est-ce pas ? Même si tu as juste besoin qu’on te fasse gagner du temps, ça n’est pas gagné. »
Même avec les armures que Luxon avait personnellement produites, nous serions en infériorité numérique. Notre plan actuel se heurtait à un problème après l’autre, nous laissant dans l’impasse. Je commençais à repenser à tout cela. Peut-être devrions-nous accepter quelques pertes après tout…
« Pourquoi n’aides-tu pas ? » demanda Monsieur Carl en jetant un coup d’œil à Finn.
Les yeux de Finn s’écarquillèrent. « Pardon ? Mais ce serait — ! »
« C’est très bien. Je t’accompagne aussi. Je devrais pouvoir être utile. »
« Es-tu sûr de toi ? Nous nous impliquerions ouvertement dans la guerre du royaume de Hohlfahrt. »
Monsieur Carl m’observa. « Si cela permet de réduire le nombre de victimes et d’éviter un véritable conflit, je ne vois rien de mal à leur prêter notre aide. »
Greg me regarda et hocha la tête en signe d’approbation. Il avait vu comment Brave avait réussi à écraser Arroganz. Entendre qu’ils seraient de notre côté et se battraient à nos côtés était rassurant.
Pendant ce temps, le regard de Mylène s’était focalisé dans celui de Monsieur Carl. À en juger par la façon dont ses yeux s’étaient soudainement élargis, elle avait probablement compris sa véritable identité.
« Très bien, » dit-elle. « Alors je vous accompagnerai pour participer aux prochaines négociations. Les fonctionnaires de la cour ne devraient pas avoir à se plaindre à ce sujet. »
Avec cela, nous avions effectivement éliminé tous les obstacles potentiels qui se dressaient sur notre chemin.
« Toutes les conditions nécessaires à la réalisation de notre plan sont réunies. Nous pouvons procéder dès que vous êtes prêts », annonça Luxon.
Les coins de mes lèvres s’étaient retroussés. « Alors, c’est réglé. J’espère que vous êtes tous prêts à vous rendre dans le royaume de Rachel pour donner une bonne raclée à ces abrutis pompeux ! »
+++
Chapitre 9 : La baleine blanche
Partie 1
Quand Ivan aperçut Mylène dans le couloir du château des Frazer, il savait que c’était la meilleure occasion qu’il avait de la persuader, malgré sa préoccupation quant à leur départ.
« Reine Mylène, un instant, s’il vous plaît », supplia-t-il en se précipitant. « Ne vous souvenez-vous pas de votre promesse ? Vous deviez pousser Rachel dans ses retranchements pour le bien de notre patrie. »
Le plan initial prévoyait que le royaume de Hohlfahrt ignore toutes les pertes qu’il subissait en mettant à genoux le saint royaume de Rachel. Comme l’armée de Hohlfahrt serait complètement épuisée, le Royaume Uni de Lepart interviendrait et prendrait le contrôle du territoire conquis à sa place. Hohlfahrt ne pourra pas protester, compte tenu de toutes les tensions qu’il aura subies après la guerre contre l’ancienne principauté de Fanoss et les autres conflits qui s’en seraient suivis.
Mylène avança rapidement dans le couloir, Ivan sur ses talons.
« Le duc a juré d’en finir rapidement et de limiter les pertes au minimum », déclara-t-elle sèchement.
« Et vous allez mettre votre foi dans de simples mots ? Votre Majesté, ouvrez les yeux, je vous en supplie. On ne peut pas faire confiance à cet homme ! »
Ivan était si persistant et semblait tellement vouloir la suivre où qu’elle aille que Mylène s’arrêta finalement et se retourna pour lui faire face.
« Si le duc a réussi à me tromper, alors j’ai perdu ma capacité à gouverner. D’ailleurs… Non, il n’y a rien de plus à dire. » Mylène secoua rapidement la tête. D’après ce qu’elle pouvait dire, Léon avait de bonnes chances de gagner, mais elle n’allait pas divulguer la raison de sa confiance. « Sachez simplement que, pendant cette bataille, nous allons éliminer l’arme secrète de Rachel. Je sais qu’elle a beaucoup fait souffrir notre patrie, alors n’oubliez pas de les prévenir. »
« Très bien. » Ivan baissa la tête. Il voyait bien qu’il était impossible de la persuader.
☆☆☆
Pendant ce temps, Finn emmena Brave et Carl avec lui pour visiter la chambre de Mia. La porte étant solidement fermée, il n’avait d’autre choix que de lui parler à travers elle. Il n’avait pas pu la rencontrer en personne, et encore moins lui parler, depuis qu’elle lui avait avoué ses sentiments pour lui.
« Mia, » commença-t-il en hésitant un instant. « On dirait que je vais aider Léon et ses compagnons dans la bataille à venir. »
Il n’y avait pas eu de réponse. Brave jeta un coup d’œil inquiet à son partenaire.
Le regard de Carl était également fixé sur Finn, bien que ce ne soit pas par inquiétude. Ses yeux étaient injectés de sang à cause de la colère refoulée qui menaçait de déborder. Il en voulait à Finn d’avoir blessé Mia, mais le fait de savoir que tout reposait sur les sentiments qu’elle éprouvait pour Finn le laissait perplexe. Si Mia n’en faisait qu’à sa tête, Finn et elle formeraient un couple. Carl ne voulait pas particulièrement qu’ils deviennent romantiques, mais il savait que Mia serait profondément blessée s’ils ne le faisaient pas. Il ne le voulait pas non plus.
« Léon a dit qu’ils procéderont à ton examen une fois que nous serons rentrés. La princesse Erica le subira en même temps. Mais pour l’instant, j’espère que tu resteras ici au château avec elle et que tu attendras notre retour. »
Même après tout cela, Finn ne rencontra que le silence de l’autre côté de la porte.
Qu’est-ce que je fais ? se demanda Finn. Je me suis juré de la protéger, mais tout ce que j’ai fait, c’est la blesser. Il ne pensait pas avoir mal agi, en soi, mais cela ne changeait rien au fait qu’il l’avait fait souffrir.
Lorsqu’il s’était retourné et avait commencé à s’éloigner, des pas précipités avaient résonné dans la pièce derrière lui. Mia se pressa contre la porte et appela Finn.
« Monsieur le Chevalier, tu reviendras vers moi, n’est-ce pas ? J’espère que tu ne me détestes pas ? »
Finn aspira une bouffée d’air. « Bien sûr que je reviendrai ! Et je ne pourrais jamais te détester. Même maintenant, tu es toujours la personne la plus importante pour moi. Je te jure que je reviendrai vers toi. »
La porte s’était ouverte et Mia jeta un coup d’œil à l’extérieur. Finn fut frappé par son visage hanté et décharné. Carl partagea son choc et sa consternation. En fait, Carl avait commencé à dire quelque chose, mais Brave avait rapidement posé une petite main sur ses lèvres — il ne voulait pas que quelqu’un interrompe ce moment.
Finn jeta ses bras autour de Mia et l’attira contre lui. « Je suis vraiment désolé. Je n’ai jamais rêvé que je t’avais fait autant de mal. »
Mia lui rendit son étreinte, ses doigts serrant fermement le tissu de sa chemise. « Tu n’es pas obligé de m’aimer », dit-elle, les yeux brillants de larmes. « Mais tu dois revenir vers moi. Quoi qu’il arrive. »
« Je ne peux pas te donner de réponse concrète, pas maintenant — mais même si cela me prend du temps, j’ai bien l’intention de prendre tes sentiments au sérieux. Peux-tu m’attendre jusque-là ? » Finn avait besoin de se remettre les idées en place avant même de commencer à penser à son cœur.
En sanglotant, Mia cria : « Je peux. »
☆☆☆
Pendant que Luxon s’assurait que toutes les fournitures nécessaires étaient chargées sur l’Einhorn et la Licorne au port militaire des Frazer, j’observais non loin de là Elijah qui me suppliait.
« Votre Grâce, je veux aussi me joindre à vous ! »
Il avait surgi de nulle part pour me supplier de l’autoriser à l’accompagner sur l’Einhorn et à participer à la bataille.
Je l’avais regardé d’un air renfrogné. « Bon sang, non. Tu es l’héritier de ta maison, n’est-ce pas ? S’il t’arrivait quelque chose là-bas, la faute retomberait sur mes épaules. Je ne veux pas prendre ce risque. »
Franchement, il ne serait rien d’autre qu’un fardeau, et j’essayais de m’appuyer sur le statut dans l’espoir qu’il recule. Sauf qu’il ne voulait rien entendre.
« Mais j’ai entendu dire que la reine allait venir. Alors il ne devrait pas y avoir de problème pour m’emmener aussi ! »
« Bien sûr qu’il y en a. » Je l’avais regardé fixement. « Je ne veux pas. »
Élie baissa son regard. « Je comprends que vous me détestiez, mais je souhaite tout de même vous accompagner. Je dois devenir un homme digne d’Erica. »
Marie et moi étions extrêmement protecteurs à l’égard d’Erica. Il avait vite compris que nous ne l’aimions pas trop, ce qui n’était pas vraiment surprenant. Nous n’avions même pas essayé de cacher notre désapprobation. Et maintenant, il était ici pour le bien d’Érica, essayant désespérément de se donner une chance de participer à notre mission.
« Je sais qu’il a été question de fiançailles entre vous deux », dit Elijah. « Je… je sais que certaines personnes pensent qu’il serait préférable pour l’ensemble du royaume que mes fiançailles avec Erica soient annulées et qu’elle se marie avec vous à la place. »
« Oui. Je suppose que c’était un peu sur la table », avais-je reconnu. Il ne semblait pas connaître toute l’histoire, en particulier la partie où j’avais personnellement refusé. Il n’avait probablement qu’une vague idée de la situation. « Pourquoi ne demandes-tu pas à Erica ce qu’elle en pense ? »
Elijah hésita, ses lèvres tremblent. « J’ai peur de… »
« Quoi ? »
« Si Erica devait dire qu’elle vous préfère à moi, je… Je ne pense pas que je m’en remettrai un jour. C’est pourquoi je suis si désespéré quant à me rendre digne d’elle. »
Quoi ? A-t-il voulu se joindre à nous dans la bataille parce qu’il était trop effrayé pour demander à Erica ce qu’il en était des rumeurs ? C’est si fondamentalement faux que je ne sais même pas par où commencer.
« Maître, » interrompit Luxon en s’approchant de moi.
« Hmm ? »
J’avais suivi son regard et j’avais remarqué qu’Erica se tenait à distance. Ses sourcils étaient plissés d’inquiétude tandis qu’elle fixait Elijah. J’avais respiré profondément. On dirait que je ne peux pas continuer à lui faire la tête. Si je le fais, Erica risque de se fâcher avec moi.
« Elijah Rapha Frazer ! » avais-je crié.
« Oui, monsieur !? »
« Je n’ai pas l’intention de te laisser monter sur mon navire. »
La mâchoire d’Elijah se crispa. Il serra les poings sur son côté, frustré. Désespéré, il balbutia : « Alors je vais plutôt prendre un des dirigeables de ma maison ! »
« Cela ne te servirait à rien. Tu ne rattraperais jamais ton retard. »
Même le plus remarquable des dirigeables des Frazer ne pouvait pas suivre le rythme de croisière de l’Einhorn et du Licorne. Mes vaisseaux surpassaient de loin tout ce dont il disposait en termes de performances de base.
Des larmes avaient commencé à couler sur les joues d’Elijah.
J’avais alors soupiré. « Tu es l’héritier de la maison Frazer, n’est-ce pas ? Alors, concentre-toi sur l’accomplissement de tes devoirs. »
« Mes devoirs ? »
J’avais pointé un doigt vers Erica.
Elijah tourna son regard et sursauta en la voyant. « Erica…, » murmura-t-il.
« En ce moment, toi et ta famille êtes les hôtes de la princesse et de mon invitée spéciale, Mia. Ton travail consiste donc à rester ici et à les protéger à tout prix. Si je trouve ne serait-ce qu’une égratignure sur l’une d’entre elles, je te battrai jusqu’au sang. »
« Refuses-tu toujours de leur donner ta bénédiction ? » demanda Luxon d’un ton taquin. « Les deux parties sont d’accord pour l’union, elle est donc totalement irréprochable, même si l’arrangement était politique à l’origine. »
« Peu importe ! Ce n’est pas parce que je comprends quelque chose logiquement que je peux l’accepter émotionnellement. Ce sont deux choses différentes ! » Je m’étais retourné vers Elijah, qui fronçait les sourcils. « Pour être franc, je n’aime toujours pas que vous soyez ensemble. Je ne veux pas que vous soyez ensemble. Mais, bon sang… elle pense que tu es assez bien, alors je n’ai pas le choix. Tu m’entends ? C’est uniquement parce que je n’ai pas d’autre choix que d’accepter votre relation. »
« Euh, euh… »
J’avais posé mes mains sur les épaules d’Elijah et je les avais serrées. « Tu vas rester derrière et faire ton travail ici. Laisse-nous faire le nôtre. Alors… je te fais confiance pour prendre bien soin de Son Altesse. »
Lorsqu’Elijah avait transformé ses mains en poings cette fois-ci, ce n’était pas par frustration, mais par détermination. Il hocha la tête fermement. « Oui, monsieur ! Je ne vous laisserai pas tomber ! »
« Mais… s’il arrive quelque chose à l’une d’elles…, » avais-je dit en enfonçant le clou une dernière fois, « je te ferai regretter le jour de ta naissance. »
De la sueur dégoulina sur le front d’Elijah, qui trembla de peur. « Oui, monsieur… »
+++
Partie 2
En plus de Creare, un certain nombre d’autres robots ouvriers étaient stationnés sur le pont de la Licorne, ainsi que…
« Léon, tu ne vas pas monter sur l’Einhorn ? » demanda Noëlle en penchant la tête.
Un petit soupir avait franchi mes lèvres. « Il n’est vraiment pas nécessaire que vous veniez toutes les trois. » J’avais demandé à mes fiancées de rester en sécurité, mais elles avaient insisté pour me rejoindre sur la Licorne.
« Es-tu en train de dire que nous ne ferions que te mettre des bâtons dans les roues ? » demanda Anjie, les mains sur les hanches.
« Non, non, je n’essaie pas du tout de dire ça… »
Anjie croisa les bras et poussa un soupir. « Bon, je t’accorde que je ne serai pas d’une grande utilité pour cette mission, mais Livia et Noëlle, c’est une autre paire de manches. » Elle leur jeta un coup d’œil en parlant.
Noëlle frappa sa poitrine du poing, l’écusson de la prêtresse bien visible sur le dos de sa main. « Nous assurons tes arrières. Nous n’avons peut-être pas l’air si coriaces que ça, mais crois-moi, nous nous rendrons utiles. Même si ce n’est que dans un rôle de soutien, dans mon cas. » Elle tourna son regard vers Livia, qui avait elle aussi posé une main sur sa poitrine.
« J’ai discuté du problème avec Cleary et j’ai demandé s’il y avait quelque chose que je pouvais faire pour aider », avait-elle admis nerveusement, en souriant. « Ne t’inquiète pas, je te promets que nous ne te gênerons pas. »
« Ce n’est pas quelque chose que tu aurais dû encourager. » J’avais lancé un regard noir à Creare. Comme on pouvait s’y attendre, elle ne semblait pas du tout intimidée.
« Oh ? Tout ce que j’ai fait, c’est écouter quand elles sont venues me voir, soucieuses d’être utiles. Allez, détends-toi. Elles t’aiment vraiment. Ce serait un vrai geste de crétin que de les repousser. »
J’étais reconnaissant quant au fait qu’elles soient si déterminées à m’aider, mais était-ce vraiment si mal de vouloir qu’elles restent dans un endroit sûr ? Je m’étais renfrogné.
« Monsieur Léon. » Livia se glissa à côté de moi et me prit le bras. « Je te promets que nous nous rendrons utiles. S’il te plaît, ne veux-tu pas nous faire un peu plus confiance ? »
« J’ai une foi absolue en toi, mais ce champ de bataille est une autre histoire. »
Je n’aurais pas hésité à les laisser se joindre à moi si nous partions à l’aventure ou si nous nous enfoncions dans un donjon. Mais quand il s’agit de faire la guerre ? Ce n’est pas que je les trouvais faibles ou quoi que ce soit d’autre, mais prendre la vie de quelqu’un est un lourd fardeau. Je le savais par expérience. Plus une personne était gentille, plus la blessure était profonde. Je pouvais le supporter, mais je n’étais pas vraiment à l’écoute de mes propres sentiments. Elles étaient toutes beaucoup plus sensibles à cet égard.
Livia m’avait offert un sourire gêné, semblant réaliser exactement ce qui me passait par la tête. « Je comprends que tu t’inquiètes pour nous, mais il n’y a pas de quoi s’angoisser. Tu participes à cette bataille pour mettre fin à une guerre, tu t’en souviens ? »
« Livia… »
Ce n’est que lorsqu’elle l’avait dit que la réalité s’était enfin imposée. Elle avait tout à fait raison. Je n’allais pas dans le royaume de Rachel pour me battre. J’y allais pour arrêter les combats. Notre plan était de faire tout ce que nous pouvions pour minimiser les pertes.
Livia avait pris mes mains dans les siennes et les avait serrées. Nos yeux s’étaient croisés. « Je crois en toi et en ce que tu fais. Alors, s’il te plaît, laisse-nous mettre la main à la pâte. »
« D’accord », dis-je enfin.
Au coin de la pièce, Carla, Kyle et Marie se tenaient maladroitement, ne se sentant pas tout à fait à l’aise dans l’atmosphère actuelle. Marie, en particulier, nous regardait avec un agacement non dissimulé.
« Nous sommes sur le point de partir au combat », dit-elle. « J’apprécierais que vous arrêtiez de vous chamailler comme des tourtereaux. »
« Oh, j’aimerais bien trouver un homme à moi », dit Carla avec nostalgie.
« Une fois que les choses se seront calmées, tu pourras en retrouver un à l’académie », lui assura Kyle.
Carla secoua la tête, des larmes perlant dans ses yeux. « J’espère que tu as raison, mais en ce moment, les garçons de troisième année sont terriblement froids et distants. »
Paniqué, Kyle fit de son mieux pour l’apaiser.
« Vous montez aussi sur la Licorne ? » avais-je demandé, en tenant toujours les mains de Livia.
Toutes les trois m’avaient jeté un coup d’œil après avoir agi comme si je venais seulement de les remarquer.
« Eh bien, excuse-nous ! », s’emporta Marie, les mains posées de manière hautaine sur ses hanches. Elle se pencha en avant et ricana. « C’est toi qui as exigé que je t’accompagne à cause de ma magie de guérison, n’est-ce pas ? Pourquoi fais-tu comme si tu ne t’en souvenais pas ? »
« Oui, oui, c’est ma faute. Je me suis juste dit que tu pourrais mettre un peu d’huile de coude de temps en temps, puisque je passe mon temps à nettoyer après toi. »
« C’est la moindre des choses que je fais ! Je me démène tout le temps pour toi. C’est toi qui refuses de me donner de la reconnaissance ! »
« Tu as vraiment la vie dure, Rie, » déclara Noëlle avec un sourire de pitié.
« Tu ferais mieux d’ouvrir les yeux bientôt, Noëlle, » Marie lui déclara cela. « Ce type est une vraie bête de somme. Le genre à attirer une fille, puis à la laisser en plan. Je te le dis, ça vous ferait du bien à tous les deux si tu lui mettais un coup de poing dans la figure de temps en temps. »
Noëlle me jeta un coup d’œil, et après un moment de réflexion sérieuse, elle déclara : « Je vais y réfléchir. »
J’étais resté bouche bée. « Quoi !? Vas-tu prendre ce qu’elle dit pour argent comptant comme ça !? »
Livia avait souri et avait resserré son emprise sur mes mains à un point presque douloureux. Anjie, elle aussi, m’avait jeté un regard significatif, comme si elle se retenait de dire quelques mots.
Pourquoi ai-je l’impression qu’elles me mettent au pied du mur ?
« C’est vraiment déroutant de voir comment il peut mûrir à certains égards et pourtant rester aussi inconscient que jamais », déclara Luxon.
« C’est peut-être un défaut, mais c’est ce qui fait de lui ce qu’il est », déclara Creare.
Vous n’avez vraiment pas une once de compassion, bande d’abrutis. Ça craignait déjà que l’IA ne soit pas de mon côté, mais le fait que mes fiancées s’allient à Marie et à sa bande avait encore aggravé les choses.
Désireux de battre en retraite précipitamment, je m’étais précipité hors de la Licorne pour me réfugier sur l’Einhorn.
☆☆☆
Le ciel au-dessus du château d’ivoire de la capitale blanche était ensoleillé et dégagé de tout nuage. Le saint roi se prélassait dans les chauds rayons en se promenant sur son balcon pour observer la ville en contrebas.
Le roi caressa sa chère barbe blanche. « Rien n’est plus satisfaisant que de regarder d’autres personnes s’échiner laborieusement comme ça. »
Le monarque de Rachel n’avait aucune tendresse pour ses sujets. Au contraire, il prenait plaisir à les faire souffrir. En ce qui le concerne, leur vie lui appartenait. Les sacrifices que ses saints chevaliers faisaient en son nom ne lui laissaient aucun remords, il ne ressentait rien pour leur perte. Et il se délectait de la ribambelle de belles femmes qui répondaient à ses moindres caprices.
Ce moment sublime fut interrompu lorsqu’un de ses gardes personnels se précipita soudainement sur le balcon. Le chevalier barbu tomba rapidement à genoux devant son roi, en baissant la tête.
« Votre Éminence, pardonnez mon impertinence à vous interrompre ! »
« Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda le roi avec colère, en jetant un coup d’œil au chevalier par-dessus son épaule.
Toute couleur avait disparu du visage de l’homme. « Un rapport urgent de nos alliés ! Ils ont envoyé un avis selon lequel le chevalier-ordure et ses deux navires ont quitté les terres des Frazers ! »
« Qu’as-tu dit ? » Le saint roi se retourna entièrement pour faire face au chevalier, comprenant la gravité de la situation.
« Nous devons encore le confirmer, mais le bruit court que le chevalier-ordure a l’intention de commettre le blasphème d’envahir le saint royaume de Rachel. Votre Éminence, veuillez vous préparer à évacuer immédiatement ! »
Les filles qui attendaient le roi sursautèrent. Elles tremblaient, devenant d’une pâleur mortelle. Le nom de Léon inspirait une grande crainte dans le Saint Royaume.
Le saint roi gloussa alors qu’il débattait de la question. Il saisit la balustrade du balcon à deux mains en regardant la file de navires de guerre rassemblés dans la capitale. Un large sourire se dessina sur son visage.
« Quelle raison avons-nous de fuir ? Bien plus de la moitié de notre armée est concentrée ici. Hohlfahrt s’est tiré une balle dans le pied avec cette manœuvre imprudente. Envoyez immédiatement un émissaire à l’empire. Une fois qu’ils auront appris les ambitions exacerbées de Hohlfahrt, l’empereur ne manquera pas de passer à l’action. »
L’assurance avec laquelle le saint roi s’exprimait apaisait grandement les craintes de ceux qui l’entouraient. Le chevalier en particulier était profondément ému par la bravoure de son roi.
« J’en déduis donc que vous allez rester ici, au château ? » demanda le chevalier.
« Bien sûr. Quelle que soit la force de ce chevalier pourri, nous avons les chevaliers sacrés — et pas seulement un ou deux, mais des dizaines. »
« Pardonnez mon intrusion, Votre Éminence. » Le chevalier baissa la tête avec respect. « Je vais retourner à mon poste. »
« Oui. Fais-le. »
Dès que le chevalier était parti, le saint roi se tourna vers ses plus proches serviteurs. « Commencez les préparatifs pour évacuer immédiatement. »
Les femmes furent choquées et le regardèrent avec incrédulité. N’avait-il pas dit exactement le contraire quelques instants auparavant ? Mais le saint roi n’avait pas tenu compte de leur surprise.
Nos forces peuvent au moins me faire gagner du temps pour m’échapper, pensa-t-il. Ses militaires et les chevaliers sacrés n’étaient rien de plus que des pions jetables pour lui. Leurs vies ne signifiaient rien. Tant qu’il était en sécurité, les occasions de se mettre Hohlfahrt à dos ne manqueraient pas plus tard.
Le saint roi caressa sa précieuse barbe en commençant à imaginer son prochain coup. C’est alors que l’une des beautés qui le servaient plaqua ses mains sur sa bouche, étouffant un cri.
« Là, au-dessus de nous ! Quelque chose brille ! »
Tous ceux qui se trouvaient sur le balcon levèrent le regard et découvrirent quelque chose qui se découpait sur le soleil. Les yeux du saint roi s’écarquillèrent. Son cœur battait à tout rompre dans ses oreilles. Il essaya de crier des ordres à ses assistants, mais ils semblaient tout aussi ébranlés par l’apparition soudaine de l’ennemi.
« Faites partir nos forces à leur rencontre ! Tous ! Tout de suite ! » hurla-t-il.
À peine a-t-il donné l’ordre qu’il se précipita loin du balcon et s’enfonça dans les profondeurs du château.
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Partie 3
L’Einhorn et la Licorne croisaient à haute altitude, la Licorne à l’avant. Je me tenais sur le pont de l’Einhorn, regardant avec inquiétude la scène qui s’offrait à moi.
« Nous sommes arrivés à destination. Pourquoi n’as-tu pas demandé à la Licorne de se replier ? Les filles sont sur ce navire, au cas où tu l’aurais oublié ! »
Mes cris furieux n’eurent que peu d’effet sur Luxon, qui semblait toujours aussi parfaitement calme. « Creare a proposé ce plan. La Licorne mènera l’attaque et nous protégera des tirs ennemis. J’ai déterminé que c’était le plan d’action le plus efficace, et j’ai donc mis en œuvre son idée. »
« Ne prends pas de telles décisions tout seul ! Comptes-tu sérieusement utiliser la Licorne comme bouclier à chair ? »
« En effet. »
J’avais levé le poing, prêt à le frapper, mais Finn m’attrapa le bras. Il était déjà vêtu d’une combinaison de pilote noire pour la mission.
« Ce n’est pas le moment de se battre ! » s’emporta Finn. « Je vais les protéger. Toi aussi, tu te concentres pour te préparer à partir. Kurosuke, tu es prêt quand tu veux, n’est-ce pas ? »
« Oui, bien sûr. Mais, partenaire, j’aimerais bien que tu m’appelles au moins de temps en temps Brave », dit Brave en faisant la moue.
« Bien sûr. La prochaine fois. »
« Tu dis ça à chaque fois, et tu finis quand même par m’appeler Kurosuke ! »
Finn avait à peine commencé à se diriger vers le hangar que Luxon lui coupa la parole.
« Ne vous mettez pas en travers du chemin », ordonna-t-il d’un ton laconique. « Il me semble que vous sous-estimez tous deux gravement ce dont ces trois filles sont capables. » Après une courte pause, Luxon annonça alors : « La Licorne entame sa descente. »
Il s’agissait moins d’une descente que d’un plongeon tête baissée dans la bataille, prenant une trajectoire diagonale en plongeant droit sur la capitale en contrebas.
« Merde ! »
J’étais prêt à quitter le pont en trombe et à m’envoler avec Arroganz lorsque je remarquais sur l’écran que les navires de guerre de Rachel venaient à notre rencontre. Ils étaient rejoints par plusieurs centaines d’Armures, parmi lesquelles j’ai repéré un certain nombre de pseudoarmures démoniaques. Des Armures portant des fusils étaient également stationnées sur les ponts des navires de guerre assez grands pour contenir des dizaines d’Armures. Et chacun d’entre eux avait l’œil rivé sur la Licorne.
« Des tirs ennemis arrivent. Licorne, déployez la barrière de champ de force. »
« Tu dois te moquer de moi », avais-je murmuré.
Je n’arrivais pas à croire ce que je voyais.
☆☆☆
Mylène était assise sur un siège spécialement préparé sur le pont de la Licorne, son regard attiré par la personne en face d’elle.
« Les humains peuvent-ils vraiment lancer une telle magie ? » se demande-t-elle à voix haute.
Leur vaisseau était pris pour cible par des armures et des tirs de fusil, mais Livia les avait tous bloqués grâce à son pouvoir. Elle se tenait au centre d’un appareil circulaire, enveloppée d’une faible lumière blanche. Des particules dorées dansaient autour d’elle, et le flux de mana faisait onduler ses mèches de manière fluide.
« Barrière de champ de force activée avec succès ! » annonça gaiement Creare, qui jouait le rôle de soutien auprès de Livia. « Il me semble qu’il s’agit de magie sacrée, alors pourquoi ne pas appeler cette barrière de protection, la Terre Consacrée ? »
La Terre Consacrée, comme Creare avait nommé le sort, entoura la Licorne d’une barrière sphérique d’énergie légèrement incandescente. Le motif d’un cercle magique se manifesta à sa surface.
« Garde le nom pour plus tard », dit Anjie à l’IA. Elle jouait le rôle de surveillante et d’observatrice sur le terrain. « Ce qui compte maintenant, c’est de tenir l’ennemi à distance ! Nous avons une pseudoarmure démoniaque qui dirige un peloton d’armures en approche tribord. »
« Oui, je les ai remarqués. Le problème va être de s’en débarrasser », dit Creare.
« N’en abats que le nombre absolument nécessaire. Notre objectif est de les intimider. »
« Tu demandes énormément, mais je suppose que c’est ce que veut le Maître, alors je suivrai tes ordres. »
La Licorne déploya une tourelle — essentiellement une mitrailleuse — qui était généralement rangée pendant le vol. Les balles s’abattirent sur l’ennemi.
Les mitrailleuses spécialisées pour les Armures n’avaient pas encore été inventées dans ce monde, principalement parce que la fabrication des balles était coûteuse. Les balles utilisées dans les armes de la taille d’une armure étaient des balles magiques spécialement infusées de mana pour être utilisées contre les navires de guerre et les autres armures. Les balles ordinaires perdaient la plupart de leur puissance lorsqu’elles traversaient une barrière magique. Les militaires n’avaient donc pas d’autre choix que de s’en remettre à la variété arcane, plus coûteuse. Avec de nombreuses balles dépensées à chaque bataille, le coût de la guerre pouvait atteindre des sommets vertigineux. Il était logique d’éviter les mitrailleuses au profit d’armes plus rentables offrant une meilleure visée et une plus grande puissance de feu. Compte tenu de tout cela, l’ennemi avait automatiquement supposé que la mitrailleuse de la Licorne devait tirer des cartouches ordinaires. Leurs pseudoarmures démoniaques avaient accéléré pour protéger leurs unités blindées moins puissantes.
« Vous êtes des imbéciles », grogna Anjie, la mâchoire serrée.
« Oh là là ! » Creare avait l’air plus enjoué que jamais, pas le moins du monde troublé par le destin tragique qui attendait leur ennemi. « On dirait que vous avez supposé qu’il s’agissait de balles ordinaires. Je suis désolée de vous le dire, mais ce sont les meilleures balles magiques que vous n’auriez jamais vues. »
Comme Creare l’avait supposé avec justesse, les balles magiques qui frappaient les pseudoarmures démoniaques infligeaient des dégâts incroyables. Cette attaque aurait complètement démoli une armure ordinaire, mais pseudo ou non, ces armures démoniaques étaient une force avec laquelle il fallait compter. Leur blindage était bien supérieur à celui d’un modèle ordinaire, et elles étaient imprégnées d’une puissante magie comme protection supplémentaire. Même les balles magiques ne pouvaient pas percer facilement ces défenses, du moins pas normalement. Cependant, une grêle de centaines, voire de milliers, de ces mêmes balles ébranlerait progressivement leur armure.
Les armures démoniaques n’avaient pas pu résister longtemps à l’assaut. Très vite, les balles avaient commencé à déchirer leurs couches de protection. Un liquide noir gicla dans l’air tandis que les armures dégringolaient vers le sol. Les Armures qui les suivaient furent plongées dans le chaos et se dispersèrent, fuyant la ligne de front.
« Hmm. Je suppose que c’est assez bien pour les Armures, mais c’est beaucoup plus difficile avec les dirigeables. Si nous ne faisons pas attention, nous allons les couler », dit Creare.
Ils se battaient dans le ciel, juste au-dessus de la capitale blanche. Si l’un des dirigeables de l’ennemi coulait, il tomberait sur la ville, où il provoquerait une explosion massive et des dégâts considérables. Noëlle ne pouvait pas supporter cela. Agacée, elle tendit sa main droite vers Livia. Son écusson de prêtresse émit une douce lumière verte. Elle injecta l’énergie stockée dans l’Arbre sacré directement dans Livia, lui fournissant du mana. Livia avait déjà dépensé la majeure partie de son énergie pour déployer la barrière.
« Cela irait à l’encontre de l’objectif de cette mission. Je compte sur toi pour gérer les choses, Olivia », dit Noëlle.
Livia acquiesça. « Je ne te laisserai pas tomber ! »
Les yeux fixés devant elle, Livia tendit la main devant elle. Des centaines de cercles magiques se manifestèrent dans l’air autour de la Licorne, chacun d’entre eux faisant plusieurs dizaines de mètres de large. Ils pivotèrent simultanément et se dirigèrent droit vers le bas.
Mylène l’observa avec intérêt, essayant de comprendre les intentions de Livia. Elle va lancer une attaque à partir de ces cercles magiques, n’est-ce pas ? Mais la capitale de Rachel se trouve juste en dessous de nous. Si elle fait ça, elle va raser la ville. Elle avait immédiatement rejeté cette idée. Il était impossible que Livia puisse faire une chose pareille.
Même si la déduction de Mylène était juste, elle ne pouvait pas imaginer comment Livia prévoyait réellement d’utiliser ses cercles magiques.
La main de Livia forma un poing, qu’elle ramena en arrière avant de le balancer tout droit vers le bas. « Ça risque d’être un peu cahoteux, alors accrochez-vous bien ! » dit-elle, sachant parfaitement que l’ennemi ne pouvait pas l’entendre. Elle avait presque l’air de s’excuser.
Mylène fronça les sourcils. Elle trouvait cette remarque excessivement naïve pour quelqu’un qui se trouvait sur le champ de bataille. Mais bon…
« Quoi !? », grinça la reine, toute idée de gronder Livia s’évanouissant.
Lorsque Livia abattit son poing, chacun de ses cercles magiques traversa l’air, se dirigeant directement vers les navires de guerre gargantuesques de Rachel. Les cercles magiques s’abattirent sur eux comme un énorme filet, stoppant net leur ascension. À partir de là, les vaisseaux de guerre entamèrent une descente beaucoup plus douce, poussés par l’élan de la magie de Livia.
À un moment donné, Mylène s’était soulevée de sa chaise en regardant. Une sueur froide coula le long de son dos lorsqu’elle réalisa ce que Livia était réellement en train de faire. « Elle fait physiquement reculer l’ennemi avec ses cercles magiques ? C’est de la folie ! »
Avant même d’être mariée, Mylène avait appartenu à une famille royale. Elle avait été initiée aux principes fondamentaux de la magie dès son plus jeune âge. Si quelqu’un lui avait demandé de reproduire ce que faisait Livia, elle aurait insisté sur le fait que c’était impossible — et aurait mis en doute la santé mentale de son interlocuteur. Elle avait du mal à croire qu’une chose aussi incompréhensible se déroulait sous ses yeux.
« Qu’en pensez-vous, Votre Majesté ? » demanda Anjie à côté de Mylène, avec un sourire triomphant. Elle était fière des réalisations impressionnantes de Livia. « Vous avez personnellement approuvé son inscription à l’académie en tant que boursière. Alors comment évalueriez-vous ses capacités ? »
Lorsque la décision avait été prise de permettre à un roturier d’entrer à l’académie grâce à une bourse, Mylène ne s’y était pas opposée, mais elle n’avait pas non plus participé au processus de sélection. Elle n’avait fait que signer les formulaires demandant son approbation.
« Ce n’est pas comme si c’était moi qui l’avais choisie », dit Mylène en secouant la tête. « Je n’ai donné mon feu vert que parce qu’elle avait une recommandation. Je n’aurais jamais imaginé que les responsables de l’école avaient trouvé quelqu’un d’aussi puissant. »
En fait, Mylène se sentait un peu troublée par l’ampleur monstrueuse des capacités de Livia. Elle aurait applaudi de joie à une démonstration de force ordinaire, mais Livia avait largement dépassé ce stade. Aux yeux de Mylène, elle représentait désormais une menace. Sans la puissance écrasante de Léon et de Luxon, qui dépassait de loin la sienne, Mylène aurait probablement tourné ses craintes vers Livia.
« Livia, » appela Anjie, « Continue de les repousser. Léon s’occupera du reste. »
« Nous allons faire gagner du temps à Monsieur Léon jusqu’à ce qu’il puisse tout régler de son côté. » En parlant, Livia avait utilisé le mot « nous » au lieu de « je », ce qui indiquait clairement qu’elle avait compris qu’il s’agissait d’un effort de groupe et non d’un combat qu’elle menait seule.
L’effort unifié entre les filles et l’IA Creare était si incroyable qu’il dépassait l’entendement. Mylène se sentait étourdie.
« Il semble que je vous ai complètement sous-estimées », avoua-t-elle aux filles. « Ou plutôt, je n’ai pas du tout compris vos capacités. »
« Votre Majesté ? »
« Anjie, tu es devenue une femme forte. Cela rend d’autant plus douloureux le fait que je t’ai perdue en tant que belle-fille. »
Anjie secoua la tête. « Non, vraiment, Livia et Noëlle sont les plus incroyables. »
Bien qu’elle ait protesté contre l’éloge, Mylène souriait. « La capacité à reconnaître correctement les forces des autres est une preuve de la sienne. De plus, c’est une chose rare que de nourrir des liens si étroits que vous êtes capables de vous coordonner si harmonieusement et d’accomplir tant de choses. Chérissez ces liens. »
Anjie se pinça les lèvres et acquiesça.
« Je n’ai plus rien à t’apprendre. À un moment donné, tu m’as surpassée — bien surpassée », murmure Mylène avec autodérision. Ses paroles étaient si silencieuses que le grondement de la bataille les noyait complètement.
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Partie 4
Mylène n’était pas la seule à regarder la magie de Livia en action, Marie surveillait la bataille depuis son coin. Elle avait trop honte de se tenir avec les autres quand Mylène était sur le pont. Sa Majesté avait l’habitude de jeter un regard noir à Marie dès qu’elle l’apercevait, en raison du rôle joué par Marie dans la séduction de Julian et du reste de la bande de crétins. Elle avait décidé de se tenir à l’écart, mais même sans être aux premières loges, elle avait réalisé l’énormité terrifiante du pouvoir de Livia.
« Lady Marie, regarde s’il te plaît. » Carla lui montra la fenêtre. « L’ennemi est repoussé. Ils perdent de l’altitude. »
Kyle était lui aussi collé à la fenêtre, observant attentivement Livia et les filles repousser l’ennemi. « Ils ont l’air de paniquer — on dirait qu’ils ont été pris complètement au dépourvu. La victoire devrait être un jeu d’enfant à ce rythme, non ? Qu’en pensez-vous, maîtresse ? »
Marie n’avait pas de réponse à lui donner. Ses yeux étaient rivés sur Livia. Je suppose que j’aurais dû m’attendre à cela de la part de la première protagoniste du jeu. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelait OP. Olivia était assez impopulaire à cause de sa personnalité et de son comportement, mais bon sang si elle n’est pas une alliée fiable sur le champ de bataille.
Dans le premier volet de la trilogie, la protagoniste était considérée comme tout aussi surpuissante que le chevalier noir. Marie le savait déjà — elle savait qu’Olivia avait ce pouvoir en elle — mais c’était différent de voir ce pouvoir en personne. Elle avait été stupéfaite. Elle n’aurait peut-être pas apprécié l’ampleur des capacités d’Olivia si elle ne s’était pas elle-même lancée dans l’étude de la magie.
J’ai beau travailler, je ne serai jamais aussi bonne que la protagoniste. Marie pouvait utiliser la magie de guérison, mais elle n’avait qu’un talent inné minime. Elle s’était blessée, et avait libéré une tonne de sueur et de larmes pour en arriver là. Personnellement, elle était fière des efforts qu’elle avait déployés, mais elle se rendait compte qu’aucune quantité de travail n’arriverait jamais à la cheville des aptitudes naturelles dont Livia avait été dotée.
En y repensant, je n’arrive pas à croire que j’ai cherché à me battre avec elle. Si les choses s’étaient passées différemment — s’ils avaient emprunté un autre chemin — cette fille aurait très bien pu devenir une ennemie plutôt qu’une alliée. Cette pensée fit frissonner Marie. Grand frère, c’est vraiment un soulagement que tu aies réussi à la garder de notre côté !
☆☆☆
À l’intérieur du hangar d’Einhorn, plusieurs Armures spécialement créées par Luxon étaient alignées les unes après les autres. À proximité, la brigade des idiots — sans Julian, bien sûr — surveillait la situation à l’extérieur grâce à un moniteur. Ils étaient d’abord restés sans voix face à la puissance écrasante de Livia.
Brad jeta un coup d’œil à ses compagnons et grimaça. « Hé, les gars… vous pensez qu’on pourrait vraiment la battre dans un combat ? »
« Si c’était un contre un à l’extérieur de ce navire, les chances de victoire seraient très certainement en notre faveur, » dit Chris avec un sourire, en fermant les yeux. « Mais sinon, nous n’aurions aucune chance. »
Greg croisa les bras. « Franchement, je ne veux pas me battre contre elle. Nous perdrions à coup sûr, cela ne fait aucun doute pour moi. »
La Licorne disposait déjà d’un arsenal vicieux, mais la magie de Livia était encore plus néfaste. Elle avait la capacité d’immobiliser et de neutraliser une flotte entière de vaisseaux de guerre sans la moindre sueur. Si jamais ils s’opposaient à elle, elle pouvait détruire leur vaisseau avant même qu’ils ne fassent un geste.
« Ces défenses sont horribles. » Toute couleur avait disparu du visage de Jilk. Il plaqua une main sur sa bouche. « Il n’y a aucun moyen de lui résister. La meilleure stratégie serait d’éviter de l’affronter à tout prix. »
Alors qu’ils parvenaient à une conclusion commune, des bruits de pas résonnèrent, annonçant l’approche de quelqu’un. Lorsque les garçons regardèrent par-dessus leur épaule pour voir qui était venu les rejoindre, ils furent accueillis par un mystérieux homme masqué — un chevalier qu’ils avaient déjà rencontré à maintes reprises.
« Des sentiments si pitoyables à entendre de la part de guerriers si puissants, » déclara-t-il. « Nous n’avons même pas encore posé le pied sur le champ de bataille, et déjà votre moral s’effrite. C’est à se demander si vous pouvez même espérer gagner. »
Ces provocations n’avaient pas plu aux garçons, même si le chevalier qui se tenait devant eux avait certainement une force importante.
« Espèce de salaud. De quel coin t’es-tu échappé ? », demanda Greg en lançant un doigt en direction du chevalier masqué.
Chris sortit son épée de son fourreau et pointa la pointe de la lame directement sur le chevalier. « Encore toi, » siffla-t-il.
« Je dois me faire l’écho de la requête de Greg : où te cachais-tu au juste ? Tu es pratiquement un rat. » Jilk brandissait son arme, pointant le canon directement sur l’homme.
« Quelle impudence ! » beugla le chevalier masqué, qui semblait particulièrement offensé par le commentaire de Jilk. « Ces réactions sont inacceptables et injustifiées, surtout si l’on considère que j’ai fait tout ce chemin pour me battre à vos côtés. » Il croisa les bras.
Le chevalier masqué était encore plus équipé que la dernière fois. Il arborait une toute nouvelle tenue, comprenant un masque et une cape. Sous tout cela, on pouvait apercevoir une combinaison de pilote cachée, indiquant qu’il était prêt à monter dans son Armure à tout moment.
Brad jeta un coup d’œil à l’entrée du hangar. « Léon arrive. C’est bien. Maintenant, on peut enfin arracher ce masque et te jeter hors du vaisseau pour de bon. »
Loin d’être intimidé, le chevalier masqué semblait triomphant, comme s’il était persuadé que Léon passerait outre sa présence.
« Soyez mes invités. Demandons à Sa Seigneurie ce qu’il en pense. Seigneur Léon ! Priez pour que l’on me prépare une armure à moi aussi. Vous avez cette impressionnante Armure faite spécialement pour le prince Julian, n’est-ce pas ? »
En effet, l’Armure blanche fabriquée pour le prince Julian avait été chargée à bord, même si le prince lui-même n’était pas venu pour cette mission. Comme toutes les autres, elle était assise sur les genoux, comme prête à accepter son pilote. Les quatre idiots avaient trouvé cela étrange, en fait. Pourquoi Léon avait-il apporté cette armure alors qu’il n’y avait personne pour la piloter ?
Léon était entré à grands pas dans le hangar, Finn à ses côtés. Il jeta un bref coup d’œil au chevalier masqué. « Fais ce que tu veux », dit-il d’un ton indifférent. « Mais si tu la détruis, tu vas le payer. »
Le chevalier masqué tressaillit. « Je-je te jure que je ferai tout mon possible pour qu’il sorte intact de la bataille. »
Léon l’ignora et se dirigea directement vers le cockpit d’Arroganz. Une fois à l’intérieur, il ne s’arrêta qu’un instant pour dire : « Livia et la Licorne nous ont donné une bonne ouverture. C’est à nous de finir ce qu’elle a commencé. »
Les garçons avaient échangé des regards et avaient hoché la tête.
« J’aurais honte d’annoncer que nous avons échoué après que nos compagnes se soient donné tant de mal pour nous accorder cette opportunité », déclara Brad. « Je donnerai tout ce que j’ai. »
Léon avait souri et avait claqué son écoutille.
☆☆☆
« Analyse du fuselage terminée. L’Arroganz est tout vert et prêt à se déployer quand tu en donneras l’ordre », annonça Luxon.
Sur ce, j’avais manœuvré mon armure vers l’avant, en direction de l’écoutille du hangar. La bande d’idiots avait déjà grimpé dans leurs armures et me suivait.
« Et toi, Finn ? » avais-je demandé. Il n’avait toujours pas fusionné avec Brave.
Finn haussa les épaules. « J’équiperai Kurosuke une fois dehors, alors ne t’inquiète pas pour moi. Ouvre simplement la trappe et jette-moi dehors. »
C’est un peu comme si tu disais n’importe quoi. Je n’avais jamais été très enthousiaste à l’idée de sauter en parachute, même dans ma vie précédente. Je devais au moins le féliciter pour son courage.
« N’as-tu pas peur ? »
« Non. J’ai mon partenaire avec moi. » Finn jeta un coup d’œil à Brave, qui gonfla avidement son torse, heureux d’avoir la confiance de Finn.
« Ha ha, vous faites une bonne équipe, » dis-je. « D’accord, Luxon, allons-y. »
« Compris. J’ouvre la trappe. »
Les portes extérieures s’étaient ouvertes à l’instant où Luxon avait accusé réception de mon ordre. Des rafales furieuses firent irruption dans le hangar, mais même si elles avaient secoué Finn, il était resté parfaitement calme.
À l’extérieur, l’ennemi n’opposait qu’une faible résistance. Les navires de guerre étaient totalement incapables de bouger. La majorité des Armures encore en vol tentaient d’attaquer la Licorne, mais la barrière de protection de Livia les repoussait facilement. Ils ne pouvaient littéralement pas lever le petit doigt contre la Licorne et mes fiancées. Au milieu de tout cela, j’avais détecté un certain nombre de cibles ennemies qui s’approchaient de l’Einhorn.
« Faisons-le. »
Les boosters du sac à dos d’Arroganz se mirent en marche, dégorgeant des flammes tandis que nous quittions le hangar et volions à la rencontre des Armures ennemies qui arrivaient. Leurs voix résonnaient autour de moi, captées par le système sonore externe d’Arroganz.
« Nous t’avons trouvé, chevalier-ordure ! »
« Cet homme est notre ennemi juré ! Abattez-le, chevaliers sacrés ! »
« Pour notre belle patrie ! Pour Son Éminence ! »
La façon dont ils parlaient les désignait comme des pseudoarmures démoniaques. Étant donné qu’ils ne pouvaient livrer qu’une seule bataille avant de perdre la vie, ils se sacrifiaient littéralement pour le bien de leur pays. Une telle décision ne me convenait pas vraiment, mais j’hésitais à les écarter pour cette raison. Tout ce que je pouvais faire, c’était mettre fin au concept même de leur existence.
« Aujourd’hui, les Chevaliers Saints prennent fin », avais-je dit en réaffirmant ma conviction.
J’avais manœuvré les manches de commande d’Arroganz, les pieds fermement appuyés sur les pédales pour augmenter l’accélération. Je m’étais déplacé en hélice, descendant rapidement pour réduire la distance qui me séparait des chevaliers sacrés.
« Il y a un moyen de les sauver, n’est-ce pas ? » demandai-je à Luxon, connaissant déjà la réponse.
« Non. » Au moins, il l’avait dit sans aucun de ses sarcasmes habituels.
« C’est ce que je me suis dit. Sors le fusil. »
« Éjection du fusil. »
Arroganz avait saisi le fusil qui avait jailli du conteneur arrière et était passé en mode tir. L’écran fit un zoom avant, me donnant une vue plus claire des pseudoarmures démoniaques auxquelles je faisais face. J’avais visé et appuyé sur la gâchette. La balle transperça la tête de l’ennemi.
Je m’étais demandé un instant s’il allait se régénérer, mais des fissures avaient traversé l’ensemble de son corps, partant du point d’impact. Il s’était brisé, réduit en miettes.
« Ce fusil est encore plus impitoyable que le précédent, » dis-je. « Tu as fait plus qu’augmenter sa puissance, je suppose ? »
C’était une question rhétorique, en fait. Les armures démoniaques avaient d’incroyables pouvoirs de régénération, mais ce fusil en avait éliminé une d’un seul coup.
« J’ai amélioré les capacités de ses combinaisons anti-démoniaques en me basant sur les données de combat recueillies jusqu’à présent. En particulier, les balles peuvent percer plus efficacement les défenses des armures démoniaques », expliqua Luxon.
Au lieu de perdre le moral en voyant l’un de leurs compagnons si facilement éliminés, les chevaliers sacrés furent galvanisés. Ils s’attaquèrent de nouveau à Arroganz, animés d’une colère nouvelle. Après l’insertion d’éclats d’armures démoniaque dans leur corps, ils deviendront de plus en plus instables mentalement.
« Tu vas payer pour la mort de notre camarade ! »
Arroganz repoussa sans effort une unité qui se dirigeait à toute vitesse vers lui. Quelle que soit leur vitesse, leur trajectoire était prévisible. Je n’avais rien à craindre d’eux.
« Beaucoup trop prévisible ! » avais-je dit.
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Partie 5
J’avais visé et tiré alors que l’unité tournoyait dans les airs sous la force du coup de pied d’Arroganz, essayant désespérément de se redresser. Un liquide noir avait jailli de sa blessure ouverte, des gouttelettes s’éparpillant dans l’air alors qu’il plongeait vers le château d’ivoire — le symbole de la capitale blanche.
Bien qu’ils aient perdu plusieurs camarades, les pseudoarmures démoniaques restantes avaient continué à me foncer dessus, bien décidées à abattre celui qu’elles ne connaissaient que sous le nom de « chevalier-ordure ».
« Pour notre glorieux royaume ! »
Le prochain ennemi qui chargeait était armé d’un énorme marteau. Brandissant cette arme lourde, il s’approcha rapidement, tournoyant dans les airs, presque comme un tourbillon. Pour une tactique offensive, il s’agit d’une tactique imprudente.
« Désolé, mais tes discours patriotiques sont un peu inutiles pour moi », je lui avais répondu tout en esquivant.
La combinaison qui tournait encore décrivit un arc dans les airs, presque comme un boomerang, et s’était dirigée une fois de plus vers moi.
« Lance un missile ! » avais-je crié à Luxon. « Il faut juste que nous stoppions son élan. »
« Lancement en cours. »
Un missile avait jailli du conteneur situé dans le dos d’Arroganz, percutant la pseudoarmure démoniaque et la déséquilibrant. La vitesse de sa révolution étant ralentie, il vacilla dans les airs, instable. J’avais levé mon fusil et j’avais tiré. Ce tir le toucha en pleine poitrine. Il cessa de bouger et chuta vers la ville.
L’attaque suivante était un effort coordonné entre trois unités. D’après leur synchronisation, je m’étais dit qu’il s’agissait de certains des membres les plus puissants de leur ordre. Leur compétence était apparente non seulement dans leur travail d’équipe sans faille, mais aussi dans leur sang-froid et leur maîtrise, malgré les éclats enfouis en eux.
« Si nous ne pouvons pas t’abattre en un contre un, alors nous devrons t’abattre ensemble ! »
Ces pseudoarmures démoniaques avaient généralement opté pour des attaques chronométrées — frappant rapidement et revenant en arrière — ce qui était encore plus pénible lorsqu’il s’agissait d’une offensive coordonnée et sur plusieurs fronts. Arroganz les surpassait en termes de performance pure, mais je voulais éviter les dégâts si je le pouvais. Lorsque le suivant s’approcha, je plaçai ma paume gauche dans leur direction. « Toi d’abord. »
Arroganz déclencha son attaque caractéristique et la combinaison implosa. Un liquide noir éclaboussa, mon armure, tombant comme de la pluie.
« Lorsque nous reviendrons de cette mission, Arroganz aura besoin d’une stérilisation complète, » dit Luxon avec aigreur. C’était un peu étrange pour une IA d’être aussi pointilleuse sur la propreté, mais sa haine pour les armures démoniaques était assez stupéfiante. Je me demandais pourquoi les anciens humains avaient délibérément créé des IA dotées d’émotions aussi humaines.
« Frère ! Tu vas payer pour ça ! » hurla l’un des chevaliers restants. Apparemment, je venais d’éliminer un membre de sa famille. Il s’était élancé vers moi, mais je l’avais repoussé d’un coup de pied, profitant de l’occasion pour viser son autre camarade. Tout semblant de travail d’équipe était oublié, perdu au profit de la rancœur.
« Ça fait deux. Tu es le dernier qui reste. »
Le seul homme debout — le frère qui voulait se venger — devint de plus en plus instable. Sa forme gonfla et se contorsionna, incapable de conserver sa forme humaine d’origine. Elle devint sphérique, avec une énorme bouche et des ailes de chauve-souris démesurément petites.
« Je vais te pulvériser ! »
L’armure malformée hurla en se jetant sur moi, la gueule béante. Ses dents en forme de scie oscillaient et parvinrent à attraper le bras de mon armure, le serrant jusqu’au coude. Un crissement de métal fendit l’air alors que ses lames tentaient de fendre le blindage extérieur d’Arroganz. Des étincelles jaillirent de sa bouche.
« Arrête de tergiverser », me réprimanda Luxon. « Ou bien cela t’a-t-il dérangé ? »
Il avait lu en moi un peu trop facilement. Le désespoir de ce type pour venger son frère mort avait touché une corde sensible en moi. Je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer Nicks et Colin. Si j’étais à sa place, j’étais sûr que je voudrais aussi me venger.
Le bruit du métal qui grinçait s’éteignit lentement, et c’est alors que l’armure démoniaque ouvrit la bouche. Arroganz avait subi quelques égratignures, mais il était par ailleurs indemne. Les impressionnantes dents de l’ennemi, en revanche, avaient été réduites en poussière.
« Achève-le », avais-je dit.
« Très bien. »
Arroganz avait alors émis une puissante onde de choc qui avait déchiré l’armure malformée. Il n’y avait pas de temps à perdre à se complaire dans l’émotion. J’avais scruté le ciel, à la recherche de ma prochaine cible. Je réfléchirais plus tard, lorsque la bataille serait terminée.
« Suivant ! » avais-je crié de toute urgence.
« D’autres pseudoarmures démoniaques ont été lancées depuis la ville. Il semblerait que l’ennemi ait déployé des unités nettement moins entraînées dans l’espoir de nous retarder. »
Le royaume de Rachel était tellement paniqué à l’idée de se défendre qu’ils avaient fait appel à des apprentis sans formation — de simples garçons. Ce n’était pas une supposition de ma part, cela se voyait dans les formes que prenaient les armures. Chacun d’entre eux s’était déjà contorsionné dans des formes peu naturelles.
« Descendons-les rapidement, puis allons chercher la véritable armure démoniaque qui se cache derrière tout ça. »
« Ce ne sera pas nécessaire, » dit Luxon.
Une équipe d’Armures colorées était passée en trombe devant moi, plongeant à vive allure à la rencontre des unités ennemies qui arrivaient. Julian — ou son alter ego, le chevalier masqué — menait l’assaut dans une Armure blanche, suivi de près par une Armure rouge et un bleu. Ils avaient découpé l’ennemi déformé.
Une pseudoarmure démoniaque les avait dépassés et s’était dirigée vers moi. Jilk, qui utilisait sa propre armure verte, l’avait abattu de loin avec son fusil. Peu de temps après, il envoya une transmission. « Nous pouvons nous occuper de tout ici. Vas-y. »
« Vous êtes en fait plutôt utiles quand vous le voulez, hein ? »
« J’aimerais que tu nous accordes un peu plus de crédit », répondit Jilk en douceur à ma taquinerie. « Une fois que les choses se seront calmées, j’apprécierais que tu en profites pour évaluer plus précisément mes contributions. »
Seul Jilk profiterait de cette occasion pour réclamer plus de reconnaissance, et spécifiquement pour lui. Il avait totalement omis de mentionner les autres gars. J’aurais parié qu’il ne se souciait pas non plus de savoir si je les réévaluais.
Jilk avait abattu d’autres pseudoarmures démoniaques lorsqu’elles avaient été lancées sur nous. Il les abattait avec une telle facilité que je devais supposer qu’il était équipé du même type de fusil qu’Arroganz.
Alors que j’étais sur le point de descendre, une véritable armure démoniaque dotée d’ailes impressionnantes — la forme fusionnée de Finn et Brave — était apparue à mes côtés. Son arrivée avait provoqué une onde de choc chez les chevaliers sacrés.
« L’un des nôtres nous a-t-il trahis !? »
« Qui est-ce, d’ailleurs !? »
« Oui, je n’ai jamais vu une aussi belle armure ! »
Ils avaient été décontenancés, car ils avaient supposé qu’il s’agissait d’un camarade, alors qu’en vérité, l’armure démoniaque de Finn était la propriété de l’empire. Finn n’avait même pas pris la peine de s’adresser aux pilotes des pseudoarmures.
« Léon, » dit-il, « Kurosuke dit qu’il sent une forte présence de l’armure démoniaque depuis le fond du lac. »
« Pas le château ? »
« Non, c’est bien le lac », répondit Brave à la place de Finn.
J’avais jeté un coup d’œil à Luxon, à côté de moi. Sa lentille rouge s’était mise à clignoter. « J’ai confirmé l’emplacement de l’armure démoniaque. De plus, une personne correspondant à la description du saint roi est montée à bord d’un dirigeable pour tenter de fuir. »
« Devons-nous d’abord nous occuper de lui ? »
« Non, » dit Luxon, l’air ennuyé. « Il semblerait que quelque chose de plus gênant requiert notre attention. » Pour une fois, son exaspération n’était pas dirigée contre moi, mais plutôt contre la situation elle-même.
« Attention ! » s’écria Finn en poussant Arroganz hors du chemin.
J’avais retenu mon souffle lorsque quelque chose avait jailli du lac en contrebas dans un énorme panache d’eau. En fait, ce n’est pas quelque chose, mais des choses. Il y en avait des dizaines. Finn avait dégainé son épée et s’était attaqué à eux. Ce n’est qu’en le regardant que j’avais réalisé que ces objets mystérieux étaient en fait d’énormes graines, chacune aussi grosse qu’un humain adulte. De plus en plus d’exemplaires jaillissaient du lac, l’une après l’autre.
La lentille de Luxon émit alors une lueur inquiétante. « Demande la permission de tirer des missiles. »
« Fais-le », avais-je dit sans perdre une seconde.
L’écoutille du conteneur arrière d’Arroganz s’était ouverte, lançant une batterie de missiles qui s’étaient verrouillés sur les graines. Ils explosèrent à l’impact et les restes carbonisés retombèrent dans le lac d’où elles avaient émergé.
« Mais quel genre de graines sont-elles ? » avais-je demandé.
Finn secoua la tête. « Aucun indice. Kurosuke ? »
« Ce qui les a créées a eu beaucoup de temps pour développer ses propres caractéristiques uniques, alors je ne peux même pas commencer à l’imaginer. La seule chose que je peux dire, c’est qu’il s’agit vraisemblablement d’une sorte de plante. »
Des lianes s’étaient déployées à partir du lac où se trouvait l’armure démoniaque. À l’extrémité de chaque liane se trouvait une sorte de bourgeon — sphérique et rappelant étrangement une palourde. Ils étaient difficiles à décrire. J’étais sûr de les avoir vus dans ma vie précédente. Des aiguilles sinistres sortaient des bourgeons, qui s’ouvraient au milieu, presque comme une bouche. Il y en avait six au total.
« Je sais ! » J’avais claqué des doigts, me sentant triomphant. « C’est un piège à mouches de Vénus. »
« Maintenant que tu le dis, ça y ressemble, » déclara Finn d’un ton pensif. « Mais ce n’est qu’une ressemblance passagère. Il ne s’agit probablement pas exactement de la même espèce. »
L’énorme piège à mouches de Vénus avait commencé à attaquer indistinctement tout ce qui se trouvait à sa portée, serrant ses mâchoires autour de l’une des pseudo armures démoniaques qui se trouvaient à proximité.
« M-mais pourquoi !? Nous sommes dans le même camp ! »
Les cris du pilote furent interrompus lorsque le piège se referma autour de lui, faisant fondre la chose dans ses mâchoires.
« Il est en train de se déchaîner ! » dis-je.
« Probablement parce qu’il a été activé de force », expliqua Luxon. « Quel ennemi vraiment gênant. Cela dit, il semblerait que les graines qu’il a projetées soient leur propre problème. »
Les graines que nous n’avions pas réussi à éliminer pendant qu’elles étaient dans les airs avaient atterri dans la ville proprement dite et avaient fait pousser six pattes sous chacune. Leurs coques s’étaient également fendues pour former d’énormes bouches. Ces créatures végétales s’étaient ensuite jetées sur les citoyens vulnérables. Mon estomac s’était emballé lorsqu’elles avaient commencé à engloutir des gens.
« Je suppose qu’il faut d’abord s’occuper de ceux-là. » J’avais ajusté ma prise sur les manettes de contrôle d’Arroganz, prêt à descendre pour aider, mais quelqu’un d’autre m’avait devancé. Une armure violette arborant six lances sur son dos s’est posée dans les rues.
« Ne crains rien. Je vais m’en occuper », dit Brad en prenant la pose la plus nulle que l’on puisse trouver chez un superhéros d’un spectacle pour enfants.
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Partie 6
Brad tenait dans sa main droite une lance conique de même facture que celles qu’il portait dans le dos. Il s’agissait apparemment de ses seules armes.
Alors qu’il observait la situation depuis son cockpit, Brad remarqua qu’Arroganz et Brave tiraient sur d’autres graines qui s’élançaient hors du lac. Celles qui parvenaient à échapper à leurs balles se retrouvaient dans la ville, où elles s’écrasaient et se transformaient en monstres.
Brad enfonça sa lance dans le sol, posant ses mains sur le pommeau. Pour un observateur extérieur, il aurait semblé bien trop calme et détendu, comme s’il ne faisait que se montrer, mais il ne jouait pas. Il grimace devant la scène qui s’offrait à lui.
« Quelle honte ! En tant que noble et chevalier, je ne peux tolérer qu’un pays inflige de telles souffrances aux personnes mêmes qu’il devrait protéger. »
Toutes émotions avaient disparu de son visage. Brad serra fortement ses baguettes de contrôle, y déversant du mana. Le cockpit était équipé d’un capteur de mana qui dirigeait le flux d’énergie vers les lances situées dans le dos de son armure. Elles s’étaient alors déployées, dansant dans l’air. Le mana de Brad transmettait ses ordres à ses armes, qui s’empressaient d’exécuter sa volonté.
« Mon armure est équipée de façon unique pour maîtriser plusieurs ennemis à elle seule. Je crains que vous n’en trouviez aucune mieux placée pour vous éliminer. »
L’ennemi ne donna aucune réponse, bien sûr, mais cela n’empêcha pas Brad de divaguer avec ses affirmations personnelles.
Léon avait prétendu que les lasers installés dans ces lances étaient de nature « magique », mais Brad n’était pas dupe — il pouvait voir que ce pouvoir n’était pas de type arcane.
Les lances de Brad s’étaient élancées vers l’ennemi, émettant des rayons qui avaient transpercé les créatures végétales et les avaient instantanément incinérées. Les six lances s’étaient ensuite réassemblées, tournoyant dans les airs avec leurs pointes dirigées vers le sol.
« Je vais vous exterminer jusqu’au dernier d’entre vous. »
Comme Brad l’avait promis, les lances avaient tiré une fois de plus, dévastant l’ennemi. Les citoyens observèrent la scène, bouche bée. Certains commencèrent à s’agglutiner autour de l’Armure de Brad, jusqu’à ce qu’il crie : « Fuyez pendant que vous le pouvez encore ! » depuis son cockpit.
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Honnêtement, j’étais un peu inquiet lorsque Brad avait fait son show en atterrissant, mais il avait rapidement expédié l’ennemi et protégé les gens, ce qui avait été un énorme soulagement.
« Tu vois, il peut y arriver s’il s’y met à fond », avais-je dit. Normalement, je n’aurais pas épargné un mot d’éloge pour lui ou ses copains, mais je me sentais généreux.
« Son armure a été spécialement conçue pour affronter plusieurs ennemis, mais de telles capacités requièrent des compétences considérables de la part du pilote », expliqua Luxon. « Bien que Brad semble naturellement compatible avec de tels stratagèmes de combat, je dois saluer sa performance. »
« On dirait que je peux faire confiance à la brigade des idiots pour s’occuper des choses ici. Nous allons nous occuper de l’armure démoniaque. »
Finn avait découpé d’autres graines pendant que j’évaluais la situation au sol. Sa voix avait retenti dans le cockpit. « Es-tu sûr que tu es d’accord pour laisser partir le roi ? On dirait qu’il essaie de s’enfuir. »
« Les autres peuvent s’occuper de lui. Ce qui nous préoccupe le plus, c’est de trouver comment démolir cette chose. »
Cette armure démoniaque avait pris le contrôle d’un énorme piège à mouches de Vénus pour nous attaquer depuis la sécurité de sa demeure engloutie. D’une manière ou d’une autre, nous devions le sortir de là. Je m’étais creusé la tête pour trouver des idées.
« Je suppose que nous pouvons cisailler les tentacules et voir ce qu’il fait ensuite. »
J’avais remis mon fusil dans le conteneur sur le dos d’Arroganz, et je l’avais échangé contre une hache de guerre.
« Argh », gémit Brave dès qu’il la vit. « Je déteste vraiment ta hache de guerre. Les sons qu’elle émet sont à faire frémir les oreilles. »
Cette hache était spécialement équipée d’une lame à haute fréquence, dont l’oscillation la rendait plus efficace pour couper directement les liens moléculaires. Les ondes sonores stridentes qu’elle émettait étaient certes rudes pour les oreilles, mais c’était la meilleure option pour faire face à notre adversaire actuel.
« Si nous lui coupons les membres, il faudra bien qu’il sorte la tête, non ? » dis-je.
« Je ne dispose pas des informations nécessaires pour faire une prédiction précise. »
Je m’étais précipité vers le lac, et deux des pièges de l’ennemi s’étaient ouverts en grand en arrivant sur moi à tour de rôle. J’avais réussi à esquiver en accélérant, mais l’accélération était si intense qu’elle avait repoussé mon corps dans mon siège. Ces manœuvres intenses avaient mis le pilote à rude épreuve.
« Il y en a un à terre ! » avais-je crié, tranchant un tentacule alors que je faisais une embardée pour éviter une attaque imminente. Il plongea dans le lac.
La tige restante s’agita, pulvérisant un liquide noir de son extrémité coupée. Me considérant désormais comme une menace, la plante concentra ses pièges restants sur moi. Pendant ce temps, Finn en avait abattu un autre avec son épée longue, faisant preuve d’une finesse gracieuse. L’envergure de ses ailes s’élargit tandis qu’il s’élança dans les airs vers les pièges les uns après les autres, les éliminant à une vitesse incroyable.
« Tu sais, une armure démoniaque ne me semble pas si mal, » dis-je en l’observant. « Je veux dire, si nous parlons purement du point de vue de la performance de l’armure, il nous surpasse complètement, n’est-ce pas ? »
« Tu devrais songer à te concentrer sur ton travail au lieu de perdre ton temps en remarques stupides, » déclara sèchement Luxon. « D’ailleurs, si tu souhaites nous comparer, tu devrais le faire en évaluant l’ensemble de nos performances plutôt qu’un seul aspect. Arroganz est équipé de nombreuses pièces interchangeables, ce qui lui permet de s’adapter facilement à n’importe quelle situation. Il est absurde de penser qu’une armure démoniaque puisse un jour le surpasser. » Ces mots étaient sortis dans un élan de colère. J’avais vraiment marché sur une mine antipersonnel.
« D’accord, désolé. Ne sois pas si énervé. »
« Je ne suis certainement pas “énervé” », s’était-il emporté. « Maître, nous arrivons d’en bas. »
Je m’étais élancé, prenant de l’altitude pour éviter les nouveaux pièges qui avaient jailli du lac. Ils étaient apparus en succession rapide, l’un après l’autre. Continuer à les abattre se transformait en un exercice futile.
« Tout ce travail et nous n’avons toujours rien à montrer. »
« Confirmation que nos cibles antérieures se sont régénérées, et en plus, elles semblent se multiplier. » Luxon marqua une pause avant d’ajouter : « Il semblerait également que l’ennemi ait choisi d’activer cette armure démoniaque d’une manière que tu trouverais particulièrement désagréable. »
« Qu’est-ce que ça veut dire ? » Je fronçais les sourcils. Mes émotions étaient engourdies grâce à l’adrénaline de la bataille, mais cela ne suffisait pas à étouffer le sentiment d’affaissement que j’avais dans les tripes. « De toute façon, qu’est-ce qu’on va faire ? »
« Arroganz peut fonctionner sur n’importe quel champ de bataille. Je vais déployer du matériel pour un engagement aquatique à partir de l’Einhorn. Reste dans les airs et échangeons ces pièces avec ton dispositif actuel. »
« Mais je n’ai aucune expérience des combats sous l’eau », avais-je protesté.
Pendant que je chipotais, les pièges s’étaient regroupés autour de moi. J’avais tiré un missile et j’en avais incinéré quelques-uns, découpant les autres avec ma hache de guerre.
« Une bataille subaquatique, hmm ? Je n’en ai fait l’expérience qu’une seule fois. » Finn s’était joint à la conversation alors même qu’il était préoccupé par des tonnes de pièges qui volaient vers lui.
« Eh bien, au moins tu as un peu d’expérience. Ça te dérange si je te laisse le reste ? Je suis à peu près prêt à rentrer chez moi maintenant. » Combattre une armure démoniaque capable de manipuler ces monstrueux membres végétaux dans un lac ? Bien sûr que non.
« C’est ta guerre, pas la nôtre ! » s’insurgea Brave. « N’as-tu pas oublié que mon partenaire n’est là que pour t’aider, pas pour te porter tout le long du chemin, n’est-ce pas ! »
« Ta participation est tout à fait étrangère, » déclara froidement Luxon. « La victoire du maître est assurée, même sans votre intervention. Il serait plus approprié de dire que nous vous avons gracieusement permis de nous accompagner. »
« Même en pleine bataille, tu restes un détestable tas de ferraille ! »
« Pourquoi ferais-je preuve de cordialité à l’égard d’un noyau d’armure démoniaque ? Dans ce cas, je crois que les humains diraient : “Si tu es une telle mauviette, rentre ta queue entre tes jambes et rentre chez toi en pleurant”. Si tu trouves cette bataille insurmontable, tu es plus que bienvenu pour te retirer. »
« Graaah ! Je déteste vraiment ta stupidité de tas de ferraille ! Allez, partenaire, on le fait ! »
C’était d’ailleurs assez adorable de voir comment les moqueries de Luxon chauffaient Brave à blanc.
« Du calme, Kurosuke, » dit Finn, exaspéré. « Si tu nous envoies en bas, nous ne pourrons pas faire face aux attaques ici. En fait, c’est toi qui as parlé avec tant de force de mettre fin à cette guerre avant qu’elle ne commence, alors pourquoi ne pas t’en occuper toi-même, Léon ! »
En réalité, je ne pouvais pas me retirer de cette bataille, pas après avoir promis à Monsieur Carl de régler cette guerre pacifiquement. Attends une seconde. Vu à quel point il semblait détester Finn, peut-être que ça me ferait gagner des points ? Il serait probablement aux anges si je revenais lui dire que j’avais fait vivre l’enfer à Finn ici.
Pendant que je nourrissais ces pensées, Luxon analysait le champ de bataille. Une fois qu’il eut terminé, il déclara : « Les cinq autres sont surchargés. C’est à nous qu’il incombe de détruire l’armure démoniaque par nos propres moyens. »
« Bien sûr. Pourquoi serait-ce différent cette fois-ci ? Je me retrouve toujours avec le pire rôle », avais-je grommelé en secouant la tête.
Je m’étais élancé dans les airs, en essayant d’éviter à la fois les tentacules sans tête et ceux qui étaient encore équipés de pièges adéquats. Les pièces que l’Einhorn avait déployées approchaient à grands pas. Le problème, c’est que les équiper dans les airs ne serait pas une mince affaire, et la poursuite persistante de l’ennemi ne faisait que compliquer les choses. Je courais pour échapper aux griffes de l’ennemi, les pièces me poursuivant, mais je ne trouvais pas l’occasion de les échanger.
« Euh, c’est moi, ou c’est presque impossible ? » J’avais tranché quelques tentacules avec ma hache. Malheureusement, les pointes sectionnées se régénéraient instantanément et reprenaient leur assaut. « Je suppose qu’il faut que je prenne de la distance pour l’instant… »
Alors que j’essayais de le faire, Finn était apparu à mes côtés et trancha les lianes avec son épée longue, puis se positionna parfaitement pour me protéger.
« Finn ! » avais-je crié de soulagement.
« Je vais les occuper. Dépêche-toi juste d’en finir. »
« Je te remercie ! Quand nous serons de retour à Hohlfahrt, je te rembourserai. »
« Bien sûr que oui. Je ne retiendrai pas mon souffle », plaisanta-t-il en taillant dans les tentacules qui s’approchaient.
Finn ayant distrait l’ennemi, j’avais mis un peu de distance entre nous et j’avais commencé le processus d’échange de l’équipement d’Arroganz.
« Purge du conteneur arrière et des attaches des jambes », déclara Luxon.
Les jambes s’étaient détachées en premier, à partir du genou. Vint ensuite le conteneur arrière, qui contenait le booster qui donnait à Arroganz sa vitesse impressionnante. Les nouvelles jambes étaient beaucoup plus volumineuses — apparemment, elles avaient été spécialement conçues pour un usage aquatique — et la nouvelle pièce arrière ressemblait à des fusées jumelles. J’avais également été équipé d’un tout nouveau harpon. Une fois toutes les nouvelles pièces arrimées, Luxon procéda à une analyse rapide.
« Échange terminé. »
N’ayant plus rien à faire que de me jeter à l’eau, je m’étais laissé tomber en chute libre, dégringolant vers l’eau.
Tandis que le ciel défilait, je soupirais pour moi-même. « Si j’avais su qu’on en arriverait là, j’aurais fait au moins un essai sous l’eau. »
La plupart des batailles dans ce monde étaient confinées au ciel, c’est pourquoi j’avais évité d’être submergé, en supposant que je n’aurais jamais à m’en préoccuper. Je regrette maintenant cette décision.
Lorsqu’Arroganz avait percé la surface de l’eau, Luxon m’avait regardé fixement. « As-tu réévalué ta position précédente sur les capacités de performance d’Arroganz ? »
« Es-tu toujours rancunier ? Passe à autre chose, mec. »
Il était terriblement rancunier pour une IA.
☆☆☆
Pendant que Léon et ses camarades étaient enfermés dans une bataille subaquatique, le saint roi s’était rendu au quai caché des dirigeables du château d’ivoire, où un vaisseau l’attendait. Celui-ci avait été spécialement construit pour être rapide, afin que le roi puisse s’échapper si le besoin s’en faisait sentir. De nombreux trésors se trouvaient déjà à bord. Les passagers se composaient de membres de la famille royale et d’un équipage squelettique. Bien sûr, les belles femmes que le saint roi affectionnait étaient également les bienvenues à bord.
Alors que le saint roi se dirigeait vers la passerelle, le Premier ministre était sur ses talons, ayant suivi dans l’espoir de s’échapper lui aussi.
« Votre Éminence ! Je vous en prie, je vous en supplie, emmenez-moi ! » Il s’accrocha désespérément au roi.
Le chevalier-ordure et son entourage avaient surgi de nulle part, neutralisant instantanément tous les navires de guerre de Rachel. Le Premier ministre était à juste titre terrifié, son visage blanc comme un linge.
Furieux, le roi repoussa le Premier ministre. Se tournant vers l’homme, il lui dit d’un ton sec : « Tu vas prendre le commandement et tu resteras ici jusqu’à la fin. » Cela étant réglé, en ce qui le concerne, il monta à bord du navire et commença à aboyer des ordres à l’équipage. « Décollez immédiatement. Notre destination est le Saint Empire magique de Vordenoit. »
« Oui, Votre Éminence ! »
Cela signifiait qu’il devait abandonner ses alliés, ainsi que ceux qui se battaient encore, au nom de sa propre préservation. Mais en tant que membre de la famille royale, c’était la bonne décision. Bien que mécontent, le saint roi n’était pas si paniqué que cela.
« Rachel pourra être restaurée tant que je survivrai, peu importe le nombre de fois où ils nous démoliront. Imbéciles Hohlfahrtiens, savourez votre victoire tant qu’elle dure — car je vous promets qu’elle sera de courte durée. »
Il avait l’intention de demander l’asile à l’Empire, où il pourrait à nouveau comploter la chute du royaume de Hohlfahrt et rallier le monde entier à sa cause. Hélas, son plan avait pris fin avant même d’avoir commencé. Alors que son dirigeable s’apprêtait à sortir du passage secret et à s’envoler, il fut frappé par une violente secousse.
« Qu’est-ce que cela signifie ? », demanda le saint roi.
Son équipage s’était empressé de consulter ses écrans pour confirmer la situation. Ce qu’ils avaient vu, c’est un dirigeable blanc et lumineux qui leur barrait la route : la Licorne. Il était à l’affût depuis tout ce temps.
« N-non, ce n’est pas possible. Comment ont-ils pu connaître cette issue de secours !? »
La panique et le chaos s’emparèrent de l’équipage, mais bientôt, une voix sèche retentit autour d’eux.
« Cela se termine ici. Rendez-vous, Votre Éminence. »
Le saint roi reconnut instantanément cette voix. Ses jambes se dérobèrent sous lui et il s’écrasa sur les fesses. « Cette sorcière intrigante… La princesse sournoise de Lepart. »
+++
Chapitre 10 : La ville submergée
Partie 1
J’avais difficilement cru à ce que nous avions trouvé sous le lac.
« Qu’est-ce qu’une ville peut bien faire ici ? »
Équipée de pièces taillées sur mesure pour un environnement aquatique, Arroganz coula jusqu’à s’immobiliser au fond du lac. Son atterrissage avait perturbé les sédiments. Des masses de vase s’étaient déployées en éventail autour de nous, réduisant considérablement la visibilité.
« Je l’ai remarqué bien avant toi, » déclara Luxon d’un ton très froid.
« Mince, comme c’est utile ! »
La lumière d’Arroganz s’était alors allumée, éclairant notre environnement. Cela avait confirmé ce que j’avais entrevu auparavant — une ville tentaculaire qui s’étendait au fond du lac. Des poissons sortaient des bâtiments abandonnés.
La lentille de Luxon clignota en rouge tandis qu’il analysait la zone. « Cette ville semble avoir été submergée il y a quelque temps. Sans enquête plus poussée, je ne peux pas dire si c’est dû à une catastrophe naturelle ou à une action délibérée. »
« Désolé, mais nous n’avons pas le temps pour cela. »
Sur l’écran, j’avais repéré les racines ondulantes des vignes qui nous avaient attaqués plus tôt. Si la visibilité était si mauvaise, c’est sans doute parce que les lianes avaient fortement perturbé le lit du lac. La plante ne s’était pas souciée des vestiges de la ville, détruisant les bâtiments au fur et à mesure qu’elle se déplaçait.
Plusieurs drones avaient jailli du sac à dos d’Arroganz et s’étaient dispersés dans l’eau.
« Ces drones vont commencer l’analyse de l’armure démoniaque ennemie, » annonça Luxon.
Les données qu’ils avaient compilées avaient été immédiatement transférées à Arroganz.
« J’ai lu ça dans un livre, mais je suppose que cette chose est l’armure démoniaque que l’empire a envoyée à Rachel dans le passé, n’est-ce pas ? Pourquoi l’ont-ils coulé ? »
« Selon toute vraisemblance, son pouvoir dépassait leur capacité de contrôle, et ils n’ont eu d’autre choix que de l’entreposer ici. À en juger par ce que nous avons vu, il semblerait qu’ils aient subi des pertes considérables chaque fois qu’ils sont venus extraire un éclat. »
Je n’avais pas compris ce qu’il voulait dire au début, mais les lianes avaient heurté quelque chose qui continuait à se tortiller, le propulsant dans l’eau. En étudiant l’objet, je m’étais rendu compte qu’il ressemblait à la ruine brisée de quelque chose qui ressemblait à un sous-marin. La quantité de rouille et l’érosion générale indiquaient qu’il était là depuis un certain temps.
« Cette chose est manifestement au-dessus de leurs forces. Pourquoi essaieraient-ils encore de la manipuler à leurs propres fins ? Sont-ils stupides ? »
« Je suppose que l’on pourrait qualifier de progrès humain le fait de tenter de soumettre une ressource incontrôlable comme celle-ci », déclara Luxon.
J’avais tenu mon fusil de chasse à portée de main et j’avais accéléré. Les fusées sur le dos d’Arroganz et ses nouvelles pattes fournissaient la propulsion adéquate, mais la sensation différait considérablement de celle à laquelle j’étais habitué dans les airs.
« Les déplacements semblent si lents ici. »
« Tel est le dilemme des batailles subaquatiques. Veille bien à t’acclimater à toute vitesse. »
C’est facile à dire pour toi. C’était comme si Arroganz se faisait écraser, avec son temps de réaction à la traîne. Néanmoins, j’avais continué à m’approcher. Une fois plus près, j’avais pu mieux observer la situation. L’armure démoniaque ne se déplaçait pas vraiment, elle manipulait plutôt la plante pour qu’elle exécute ses ordres.
« Alors il faut juste qu’on enlève ce truc rapidement, et puis on a fini, hein ? » Je me sentais plutôt bien maintenant — soulagé que ça ait l’air d’être facile.
C’était du moins le cas jusqu’à ce que je voie mieux l’armure. Le choc me frappa comme un coup de poing dans le ventre. J’étais resté sans voix. Je comprenais maintenant ce que Luxon avait dit plus tôt. Je n’avais pas besoin de son analyse pour savoir exactement ce que je voyais — je pouvais facilement faire le lien entre les deux.
« S’enthousiasmer pour le pouvoir d’une armure démoniaque est le comble de la folie. Après l’avoir constaté par toi-même, pourrions-nous nous dispenser de lambiner, raser cette nation et en finir ? » demanda Luxon avec espoir.
J’étais tellement dégoûté par ce que je voyais que, pour une fois, j’avais été tenté de lui donner le feu vert.
☆☆☆
Le saint roi se retrouva dans le hangar de la Licorne, entouré d’une escouade de drones autonomes. Il n’appréciait guère les menottes qui lui liaient les mains dans le dos.
« Elles sont trop serrées », se plaignit-il, alors qu’il était irascible même après sa capture. « Enlevez-les. »
Anjie le fit se figer en lui jetant un regard noir. Sa voix baissa de plusieurs octaves et cela se transforma en un grognement bas. « Il semblerait que vous ne compreniez pas bien votre situation. Je vous conseille de commencer à agir comme le prisonnier que vous êtes. »
Le saint roi grogna. Au contraire, il se sentait enhardi par sa capture. « N’adopte pas une attitude aussi hautaine avec moi, petite fille. Je suis le saint roi de Rachel ! Contrairement à vous, les sauvages, je viens d’un royaume à l’histoire riche et aux traditions ancestrales. Le sang noble d’innombrables générations glorieuses coule dans ces veines. Je n’ai absolument pas l’intention de faire preuve de condescendance pour m’attirer les faveurs de personnes comme vous ! »
« Si votre sang est vraiment si précieux, alors vous devriez l’honorer en acceptant gracieusement votre défaite », l’interrompit Mylène, s’avançant devant Anjie pour prendre le commandement. Elle fixa froidement le roi. « De plus, vous allez immédiatement cesser de faire fonctionner l’armure démoniaque que vous gardez cachée sous le lac. Cette bataille est terminée. Ne résistez plus. »
« Imbéciles ! Comme si j’avais les moyens de l’arrêter », cracha le saint roi en se détournant.
« Qu’est-ce que vous avez dit ? » Mylène fronça les sourcils, les mains se crispant de rage.
Le roi ricana de façon maniaque. « Le reste de nos chevaliers sacrés a été sacrifié pour alimenter l’armure démoniaque — ainsi que les candidats restants. Oh, mais pas seulement eux, non… Je savais que cela ne suffirait pas. J’en ai envoyé beaucoup d’autres avec eux — tous ceux qui étaient là ! Avec toutes ces âmes qui le nourrissent, son estomac doit être plein à craquer. Il ne s’arrêtera pas maintenant. Même si Rachel tombe, il continuera. » Même après que son rire se soit éteint, sa voix était teintée d’une hilarité triomphante. Il avait sacrifié toutes ces vies pour faire que l’armure démoniaque se déchaîne.
Anjie fut d’abord stupéfaite, mais elle reprit vite son sang-froid. Rongée par la rage, elle grogna : « Vous, le bas du front — ! »
« Anjie, s’il te plaît, contrôle-toi. » Livia avait saisi Anjie par le bras avant qu’elle ne puisse s’en prendre au roi.
Anjie hésita, retenant momentanément son souffle. « Mais comment pouvons-nous rester les bras croisés après un aveu aussi odieux ? » argumenta-t-elle, son visage se contorsionnant sous l’effet de toute une gamme d’émotions.
Livia partageait sa douleur.
Mylène ferma les yeux, tombant dans une contemplation silencieuse. Carl observait les femmes de loin, les mains toujours agrippées à sa canne. Il tira sur le bord de son chapeau, le rabattant pour mieux cacher son visage.
Quelle ordure que nous avons là devant nous, se disant un humain ! Sans les relations de longue date entre nos deux pays, je n’aurais jamais rien eu à faire avec lui. Malgré tout, Hohlfahrt, ton avenir sera déterminé par la façon dont tu décideras de gérer cette affaire.
Carl gardait un œil attentif sur la situation, surveillant non seulement Léon, mais aussi le reste de son entourage qui déterminait comment réagir à cette situation. S’ils se laissaient emporter par leurs émotions et tuaient carrément le saint roi, cela suggérerait qu’ils étaient incapables de retenue logique. Cela les conduirait inévitablement à devenir une menace pour le reste du monde. Léon possédait un pouvoir considérable, et Carl devait s’assurer qu’il ait la maîtrise de soi nécessaire pour le gérer.
Alors que tout le monde était occupé, une femme seule s’approcha du roi et lui asséna un coup de poing au visage.
« Quoi !? » s’écria Carl, trop surpris pour se retenir.
Noëlle se tenait là, les épaules soulevées, la respiration erratique. Le saint roi gisait à ses pieds, gémissant.
« Je déteste absolument les gars comme toi, qui pensent toujours que tu peux regarder de haut tous les autres ! » Trop furieuse pour contrôler son volume, Noëlle hurla à pleins poumons. « Comment oses-tu traiter les gens comme s’ils étaient sacrifiables ! Pour qui te prends-tu au juste, hein !? »
« Sale gosse indisciplinée ! Je suis le saint roi de Rachel ! » cracha-t-il.
C’était assez pathétique qu’il pense pouvoir l’intimider avec son titre à ce stade.
« Oui ? Et alors ? » Noëlle avait de nouveau mis ses mains en poing. « Je suis Noëlle — juste Noëlle, pour info, pas de titres ronflants, rien du tout. Ne crois pas que tu puisses continuer à te la jouer hautain et puissant juste parce que tu es un roi ! » Elle se jeta sur lui, lui assénant un nouveau coup de poing au visage.
À l’intérieur, Carl serra ses poings, alors qu’il était fier que la jeune fille ait fait ce que les autres n’avaient pas fait. Quel crochet du droit impressionnant !
Alors que Noëlle assommait le pauvre roi, Anjie et Livia reprirent rapidement leurs esprits et la détachèrent de lui.
Le regard de Carl se tourna alors vers le plafond, son visage étant enveloppé dans l’ombre de son chapeau. Alors, chevalier-ordure, comment vas-tu réagir ?
+++
Partie 2
Une énorme fleur s’épanouissait au fond du lac. Ses pétales étaient d’une couleur terreuse, et des fissures la traversaient de part en part. En son centre reposait l’armure démoniaque, qui mesurait environ six mètres de haut. Avec la fleur elle-même, elle devait faire plus de trente mètres en tout. Les tentacules en forme de vigne dépassaient de sa base, s’élançant hors de l’eau.
L’armure démoniaque avait conservé sa forme originale, bien que sa surface soit parsemée d’égratignures et d’entailles. Il était évident que les gens de Rachel avaient scié des éclats pour les utiliser à d’autres fins. Un certain nombre de sous-marins, plus intacts que celui que j’avais vu plus tôt, gisaient éparpillés autour de la fleur au fond du lac. Ils étaient de conception primitive et, malgré l’absence d’usure, ils portaient des dommages importants.
Ce qui m’avait vraiment retourné l’estomac, ce sont les innombrables visages qui tapissaient la surface de l’armure démoniaque, et qui semblaient tous bouger et se contorsionner dans l’angoisse. J’avais ravalé ma nausée, risquant de vomir si je ne le faisais pas.
« Les racines de l’armure démoniaque s’étendent dans le sol », déclara Luxon après avoir terminé son analyse.
« La plante en fait donc partie. »
« Ils l’ont probablement poussé dans un état de berserk en sacrifiant des dizaines de vies. »
J’avais relâché ma prise sur les manettes de contrôle et j’avais fait craquer mes articulations. Ces gens ont-ils une seule goutte de compassion humaine ? Je commençais à en douter.
« Finissons-en rapidement », avais-je dit.
« Oui, je crois que ce serait la ligne de conduite la plus prudente. Je te l’accorde, je ne dispose pas de suffisamment de données sur les batailles subaquatiques. Tout ce que je peux dire, c’est que ce ne sera pas la même chose qu’une bataille aéroportée, alors soit prudent. »
« Je suis totalement novice en la matière. Réduis tes attentes. »
J’avais appuyé mes pieds sur les pédales, augmentant l’accélération d’Arroganz dans l’eau. En levant mon fusil, j’avais visé et tiré, décochant une des flèches métalliques spécialement conçues par Luxon. J’avais enchaîné avec deux autres tirs, et les trois avaient atteint leur cible — s’enfonçant dans les tentacules semblables à du lierre. Ce n’est qu’après avoir été blessé qu’il me reconnut comme ennemi et se dirigea en masse vers Arroganz.
« Trop peu, trop tard. Tu aurais dû me tomber dessus au moment où je suis entré dans l’eau. »
Luxon s’était empressé de me corriger. « Quel que soit leur timing, le résultat serait en grande partie inchangé. »
J’avais esquivé l’une des attaques, après quoi les tentacules vinyliques avaient commencé à subir une sorte de transformation. Les flèches que je leur avais plantées étaient imprégnées de magie, et aux endroits où elles dépassaient, la couleur des lianes changeait rapidement. Les tentacules se tortillaient comme s’ils agonisaient. Ce qui provoquait ce changement brutal se propagea au reste de la plante. Bientôt, l’armure démoniaque au centre de la fleur se tordit à son tour.
Je jetai un coup d’œil à Luxon. « Qu’as-tu fait exactement à ces flèches ? »
« Comme il s’agit d’une plante, j’ai décidé de tester du poison. »
« Poison !? »
« Herbicide », précisa-t-il. « J’ai en fait préparé plusieurs variétés différentes. Il semble que ce soit le plus efficace. » Le fait qu’il ait réussi à trouver cela si rapidement après avoir découvert que notre ennemi était une plante était assez déconcertant.
J’avais tiré au hasard d’autres flèches. « Pas vraiment besoin de viser si c’est le cas ! »
« Je ne m’attends pas à une quelconque précision de ta part, Maître. Je t’en prie, soit mon invité. »
Je m’étais étouffé. « Est-ce que tu dois vraiment être aussi méchant et sarcastique dans chacune de nos conversations ? J’aimerais que tu prennes exemple sur Brave. »
« C’est tout à fait inutile. »
Mon chargeur s’était retrouvé à court de munitions pendant que je me chamaillais avec Luxon. J’avais rapidement rechargé, en manœuvrant les sticks de contrôle pour m’aider à prendre de la distance avec l’armure démoniaque.
Les tentacules déchaînés s’étaient finalement écrasés, défonçant la ville sous-marine. Du sable et des débris volèrent, troublant encore plus l’eau. Une fois de plus, ma vision était fortement réduite.
« Se battre alors que je ne vois rien ? Tu dois te moquer de moi. »
« Cela aurait été plus facile si nous l’avions achevé plus tôt, » approuva Luxon. « Hélas, il semblerait que cette bataille ne sera pas aussi simple. »
Lorsque l’herbicide avait pénétré pour la première fois dans le système de la plante, les tentacules avaient pris une couleur violette obsédante, avant de brunir et de se ratatiner. Une fois qu’ils furent incapables de bouger, la fleur elle-même commença à s’effriter. L’armure démoniaque, ayant perdu son perchoir, bougea ses bras. L’un d’eux gonfla soudain, devenant énorme.
Les armures démoniaques étaient incapables de conserver leur forme humanoïde une fois qu’elles devenaient incontrôlables. Généralement, ils prenaient plutôt une forme monstrueuse.
J’avais continué à piloter Arroganz à travers l’eau tout en tirant furtivement des coups de mon fusil à carreaux. Les flèches s’étaient enfouies dans l’armure démoniaque, mais sa couleur était restée la même, ce qui suggérait que le poison était inefficace.
« Il semblerait qu’il ait déjà développé une certaine résistance, malgré le peu de temps écoulé, » observa Luxon.
« Et si tu essayais un nouveau poison ? »
« Même en supposant que cela s’avère efficace pendant un certain temps, ce serait surtout inutile. L’armure démoniaque ne ferait que développer une nouvelle résistance tout aussi rapidement. »
« Dans ce cas… » Je rangeai le fusil de chasse, laissant les mains d’Arroganz complètement vides. « Nous n’aurons qu’à le maîtriser comme nous le faisons toujours. »
« Oui, la barbarie semble te convenir le mieux, maître. »
« Tu sais quoi ? Je vais m’en souvenir. » Il me traitait comme si j’étais une sorte de sauvage.
Avec un seul bras gargantuesque à sa disposition, l’armure démoniaque chargea. Des nageoires s’étaient déployées sur son corps, lui permettant de se déplacer librement dans l’eau. Cependant, sa forme encombrante le déséquilibrait, si bien que ses mouvements étaient sauvages et imprévisibles. J’avais eu l’impression qu’il était en train de s’enfoncer dans l’eau. J’avais réussi de justesse à esquiver son élan et j’en avais profité pour m’agripper à lui.
« Verrouillage réussi. »
« Maintenant, fais-le voler en éclats ! » avais-je ordonné, en poussant la paume ouverte d’Arroganz contre la masse de l’armure ennemie.
La lentille de Luxon brilla. « Impact. »
La surface de l’armure démoniaque s’illumina de rouge lorsque notre attaque la frappa, mais l’instant d’après, je m’étais retrouvé éjecté plus loin dans l’eau.
« Qu’est-ce que c’est ! »
Au même instant où nous avions déclenché notre onde de choc, le recul nous avait fait reculer.
« Pourquoi es-tu si calme ? »J’ai serré les poings autour des manettes de contrôle, en jetant un regard noir à Luxon.
« La puissance de l’attaque est réduite sous l’eau. Nous n’avons pas pu l’endommager au degré nécessaire à sa destruction. »
Son ton monocorde me tapait vraiment sur les nerfs, même si c’était moins le cas que la persistance de notre ennemi. J’avais ravalé l’envie de jurer et j’avais examiné les dégâts. Nous avions réussi à faire sauter un morceau de notre adversaire, mais l’armure était encore parfaitement fonctionnelle. Et bien sûr, il pouvait simplement régénérer ce qu’il avait perdu, même si ses proportions déformées et inquiétantes n’en paraissaient que plus sinistres.
Peu importe. Le problème principal, c’est que personne ne m’avait dit que ma plus grande arme serait inefficace ici !
« Bon sang ! J’en ai vraiment marre de me battre sous l’eau. Et si on se tirait d’ici et qu’on prenait l’air ? L’Einhorn est-il prêt à aller à la pêche ? »
Luxon me jeta un regard en coin, un exploit impressionnant pour une IA. « Maître, tu continues à sous-estimer les performances d’Arroganz au niveau le plus élémentaire. »
« Sérieusement ? Est-ce vraiment le moment de se plaindre à ce sujet ? »
« C’est une question des plus troublantes, alors oui. Même avec tes piètres aptitudes au pilotage, tu n’as qu’à compter sur les spécifications impressionnantes d’Arroganz pour prendre l’avantage. »
Je m’étais renfrogné. « Tu sais, tu n’as pas besoin de faire le con pour ça ! »
Pendant toute la durée de notre discussion — ou de notre dispute, en fait —, j’avais dû esquiver les assauts continus de l’ennemi. Mais j’aurais tout aussi bien pu rester là. L’armure démoniaque avait été optimisée pour les combats subaquatiques. Dans une compétition de vitesse, j’étais complètement dépassé. Ironiquement, plus sa forme se déformait et changeait, plus elle s’adaptait à son environnement, à un moment donné, elle avait même perdu ses jambes pour une queue de poisson. L’entité avait, en somme, pris l’apparence de quelque chose qui s’apparentait à une sirène maudite.
J’avais alors vérifié quelles armes Arroganz possédait encore et j’avais remarqué que Luxon avait préparé quelques torpilles. C’est parfait. Je les avais lancées immédiatement. Quatre torpilles avaient été lancées à la poursuite de l’armure démoniaque. Il agita son bras hypertrophié, tirant ce qui semblait être des aiguilles, qui étaient entrées en collision avec les torpilles. Des explosions secouèrent le lac.
« Alors ça ne va pas marcher non plus, hein ? »
J’étais de nouveau en train de me creuser la tête pour essayer de trouver un autre moyen de combattre cette chose.
« Ce n’est pas comme si Creare et moi étions restés inactifs depuis notre dernière bataille contre les armures démoniaques », déclara Luxon. « Nous avons notamment commencé à apporter des améliorations à Arroganz après l’apparition de Brave. »
J’étais trop occupé à esquiver l’ennemi pour répondre à Luxon.
« Maître, utilise l’ancre. »
Sans perdre un instant, j’avais fait ce qu’on m’avait conseillé. L’ancre vola vers l’avant, transperçant l’armure démoniaque. Un fil rétractable la reliait au conteneur arrière, si bien qu’une fois accrochée, la sirène malformée commença à m’entraîner avec elle.
J’avais serré les dents. « Il me domine complètement. »
« Soutiens tes jambes. »
Une fois de plus, j’avais fait ce que Luxon m’avait dit et je m’étais recroquevillé, atterrissant sur le sol du lac. J’avais abaissé mes hanches, et finalement, la créature s’était immobilisée d’un coup sec. Au moment où Arroganz était entré en contact avec une surface solide, des pointes étaient sorties de la plante de ses pieds pour le bloquer sur place.
« Est-ce que ça a marché ? » demandai-je avec espoir.
« Augmente maintenant la puissance de sortie. »
Le ronronnement sourd d’une machine résonna dans le cockpit, et la résistance des manettes de commande et des pédales changèrent. Ils étaient devenus plus sensibles, le moindre contact produisait une réaction plus rapide que je n’en avais jamais vu. Le moindre appui sur les pédales faisait grimper le compteur.
« Ça va être difficile de piloter comme ça. »
« Fais de ton mieux », me déclara Luxon, sans se préoccuper de mes difficultés.
Je n’avais pas vraiment les moyens d’argumenter à ce stade. Mon attention était totalement fixée sur le pilotage.
+++
Partie 3
L’armure démoniaque ne semblait pas comprendre ce qui se passait. Depuis la surprise de l’ancre, il avait commencé à se débattre. J’avais saisi le fil rétractable et je l’avais tiré vers moi. Ne pouvant plus dominer Arroganz, l’armure fut emportée, impuissante à résister.
« Tu ne peux pas m’échapper ! »
« Affaiblissons-le », suggéra Luxon.
Quelques torpilles supplémentaires furent lancées depuis le conteneur arrière d’Arroganz. Maintenant que l’armure démoniaque ne pouvait plus les neutraliser, elles frappèrent leur cible. D’autres explosions déchirèrent l’eau et un liquide noir d’encre s’échappa du lieu de l’impact. Le câble se détendit. On dirait que ça a marché.
« En avant, Arroganz ! »
J’avais claqué des pieds sur les pédales, les poussant au maximum pour accélérer vers la surface. Arroganz s’était élancé à toute vitesse. Même si son chargement actuel n’était pas idéal pour les combats aériens, il réussit tout de même à s’envoler, bien qu’avec une manœuvrabilité considérablement réduite. J’avais entraîné l’armure démoniaque hors du lac avec moi. Il se tortillait sur le fil comme un poisson sur un hameçon.
« On va finir ça sur la terre ferme », dis-je en mettant Arroganz en vrille. Je n’allais pas donner l’avantage à l’armure démoniaque en laissant ce combat retomber sous l’eau.
« Une décision judicieuse. »
L’armure démoniaque tournoya violemment dans les airs, avec Arroganz au centre de ce mouvement. J’avais utilisé cet élan et j’avais relâché l’ancre, lançant l’armure démoniaque à la manière d’un lancer de marteau d’athlétisme. Elle traversa les airs et s’écrasa violemment sur le château d’ivoire.
Les murs extérieurs volèrent en éclats, des débris furent projetés partout tandis que l’intérieur du château était laissé à découvert. Le château était célèbre pour sa teinte ivoire, mais je pouvais voir maintenant que la couleur avait été obtenue avec de la peinture, et qu’il n’y avait aucune pierre naturelle de couleur ivoire en vue. Au début, c’était tellement radieux, mais maintenant, j’avais l’impression que les couleurs s’étaient estompées.
L’armure démoniaque s’agita davantage, agissant encore plus comme un poisson hors de l’eau, aggravant les dommages causés au château à chaque spasme.
J’avais éjecté le conteneur arrière d’Arroganz et j’avais lentement dérivé vers l’armure démoniaque. Des épines s’étaient manifestées à sa surface. Plusieurs d’entre elles étaient sorties pour tenter d’empaler Arroganz, mais elles s’étaient brisées contre le revêtement extérieur de mon armure au moment de l’impact.
« Il se serait peut-être battu de façon plus impressionnante avec un vrai pilote », déclara Luxon, en considérant probablement cette bataille en fonction de nos rencontres précédentes. « Même si j’imagine que l’intention était de fuir pendant que cette chose se déchaînait, c’était une décision irréfléchie. Le roi semble n’avoir aucun scrupule à mettre en danger la vie de son peuple. Si nous n’avions pas été là, l’armure aurait rasé toute la capitale. »
« On dirait que c’est le saint roi qui est la vraie ordure ici. »
L’armure démoniaque se débattait encore, alors je lui avais asséné un coup de poing, puis j’avais fait claquer ma paume ouverte vers le bas, la clouant sur place.
« Impact. »
Arroganz émit alors une onde de choc qui se répercuta dans la créature. Elle se tordit d’angoisse, ses entrailles gonflant encore plus. Le temps qu’elle se gonfle complètement, je m’étais lancé dans le ciel pour prendre de la distance. Incapable de supporter la pression plus longtemps, l’armure démoniaque implosa, pulvérisant de la bouillie noire sur chaque centimètre du château d’ivoire.
Ah bon, me suis-je dit. Tant que personne ne me demande de couvrir les dégâts matériels, tout va bien.
« Ouf, c’est terminé. Enfin ! »
Toute cette histoire m’avait laissé un mauvais goût dans la bouche. C’est toujours le cas. Rares étaient les batailles qui me laissaient un véritable sentiment de victoire. Au lieu de cela, je semblais toujours en proie à des réserves persistantes.
Luxon m’étudia, lisant les émotions sur mon visage. « C’est le royaume de Rachel qui est fautif quant à ces sacrifices inutiles, Maître, pas toi », dit-il d’un ton apaisant — un geste rare de sa part. « Tu n’es en aucun cas responsable de ces pertes. »
« Sauf que rien de tout cela ne serait arrivé si je n’étais pas venu ici. » Rachel n’aurait eu aucune raison de recourir à de telles mesures si je n’avais pas été là.
Luxon déplaça son objectif d’un côté à l’autre, comme s’il secouait la tête en signe d’exaspération. « Maître, si tu ne les avais pas combattus ici, sur leur sol, c’est Hohlfahrt et son peuple qui auraient souffert. Ensuite, la dévastation se serait probablement étendue à d’autres nations. En faisant cela, tu as limité les pertes humaines au minimum. Cette perspective ne peut-elle pas te réconforter ? Il me semble que tu souffres d’un esprit tragiquement inflexible. »
Il essayait sans doute de me contrarier dans l’espoir de me remonter le moral. C’était sa façon d’être gentil. Il était comme ça après une bagarre.
« On a gagné, mais ça fait tellement creux », avais-je marmonné en penchant la tête en arrière.
À un moment donné, alors que j’étais perdu dans mes pensées, les cinq idiots et Finn s’étaient rassemblés autour de moi.
« Magnifique travail, Seigneur Léon », dit Julian — ou le chevalier masqué, comme il tenait à être appelé. « Vous êtes vraiment à la hauteur de votre réputation héroïque. »
« Euh, oui… »
Toute cette histoire de chevalier masqué m’avait quand même fait chier. Tout d’abord, c’était une farce totale de la part de Julian. Deuxièmement, et ce qui me laissait le plus perplexe, c’est qu’aucun de ses amis n’avait jamais fait semblant de savoir que c’était lui. Ils devaient être parfaitement au courant et faisaient semblant pour son bien, n’est-ce pas ? Mais j’avais hésité à le faire remarquer, parce qu’ils semblaient vraiment inconscients.
Supposons un instant qu’ils jouent le jeu et que je leur dise : « Hé, les gars, ce type masqué est en fait Julian. » Comment réagiraient-ils ? Ils me regarderaient tous d’un air mauvais et me diraient : « On le sait. On le laisse juste s’amuser. Lis l’ambiance pour une fois. »
Ce n’était pas comme si j’avais besoin de m’inquiéter de la brigade des idiots. Mais je devais quand même me demander s’ils étaient vraiment aussi paumés ou s’ils se laissaient simplement emporter par la mascarade. Je n’en étais vraiment pas sûr.
Franchement, cela m’avait un peu énervé d’avoir joué le jeu pendant tout ce temps et de n’avoir rien dit. J’étais aussi assez irrité par leur comportement — je ne pouvais absolument pas savoir s’ils avaient compris, ce qui me laissait coincé dans ce vide silencieux. J’aurais aimé que quelqu’un mette un terme à tout cela !
Brave posa une main sur l’épaule d’Arroganz. « C’était une belle façon de finir, » dit Finn dans une transmission privée. Je suppose qu’il ne voulait pas que les autres entendent.
J’avais haussé les épaules. « Je n’ai pas pu l’achever dans l’eau. Il faudra que je demande à Luxon de concevoir une arme capable de pulvériser mes adversaires dans l’eau. »
« La meilleure chose à faire serait d’éviter complètement les batailles subaquatiques. Digressions mises à part, la Licorne a le saint roi sous sa garde. »
Creare et les filles avaient donc réussi à le capturer. C’est bien. Cela signifie que nous avons réussi à atteindre la plupart de nos objectifs jusqu’à présent.
Soulagé, j’avais poussé un petit soupir.
« Ne baisse pas déjà ta garde », prévint Finn. « Ce vieux bougre est peut-être une vraie mauviette quand il s’agit de Mia, mais quand il s’agit de politique, il n’y va pas par quatre chemins. » La façon dont il avait décrit Monsieur Carl suggérait que l’empereur ne nous accorderait pas de considération spéciale pour des sentiments amicaux. Il s’agirait d’affaires pures — ou de politique, pour être précis.
« J’ai compris. Il ne reste plus que les négociations. Mylène s’en chargera. »
Je n’avais pas l’intention de m’impliquer, car je ne ferais que marcher sur les plates-bandes de Mylène en essayant. Mais Finn n’avait pas l’air très satisfait de mon approche désinvolte.
« Vas-tu sérieusement laisser la partie la plus importante à quelqu’un d’autre ? »
« Ben oui. C’est parce que c’est tellement important que Mylène est la meilleure personne pour s’en occuper. Elle est assez incroyable, tu sais. Incroyablement intelligente et super compétente — mais en plus, c’est un vrai canon. Si elle n’était pas la reine, je serais à genoux en train de la supplier de me donner sa main. »
Je ne faisais que déconner maintenant que la bataille était terminée, mais Finn semblait me prendre au sérieux. « Maintenant, tout s’explique. Tu aimes les femmes plus âgées. Je me suis toujours demandé pourquoi tu semblais si froid avec tes fiancées. Je vois, je vois. »
« Hé, tu retires ce que tu as dit ! » Je m’étais redressé sur mon siège. « Quand est-ce que j’ai été froid avec les filles ? »
Luxon détourna son regard en flottant près de mon épaule. « En effet, le fait que tu ne te souviennes pas est révélateur du problème. »
« Et d’ailleurs, de quel côté es-tu ? » demandai-je en tournant la tête.
« Tu as toujours l’air tellement plus heureux quand tu interagis avec Sa Majesté », poursuivit Finn.
« Assez de fausses accusations ! La vraie question est de savoir si tu t’es décidé sur ce que tu vas dire à Mia ! »
« Ça n’a rien à voir avec ça ! »
J’avais secoué la tête avec véhémence. « C’est sûr que c’est le cas ! Tu veux parler de filles et d’autres choses ? Eh bien, allez-y, monsieur ! »
« Ne fais pas comme si nous étions sur la même longueur d’onde ! »
Pendant que nous nous chamaillions, l’Einhorn et la Licorne se approchèrent.
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Chapitre 11 : La stratégie secrète de Roland
Partie 1
Une fois la bataille terminée, les navires de guerre de Rachel avaient été mis hors tension et laissés à la dérive à la surface du lac. Toutes les armures restantes avaient été alignées sur les ponts et les soldats avaient été forcés de débarquer. Brad s’était posté au-dessus de leur tête pour surveiller et s’assurer que personne ne tentait d’opposer la moindre résistance.
Étrangement, les habitants de la ville regardaient son armure avec révérence, offrant d’ardentes prières. L’avaient-ils pris pour une sorte d’intervention divine ? En bon narcissique qu’il était, je supposais que Brad serait ravi, mais à ma grande surprise, il ne l’était pas.
« Ils me vénèrent. Je ne sais pas quoi faire. Pourquoi cela se produit-il ? » dit-il.
Même Brad était déconcerté. Je pense qu’il n’était pas surprenant que les gens soient reconnaissants après tous les efforts qu’il avait déployés pour leur sauver la vie. Par les temps qui courent, il serait également compréhensible qu’ils nous en veuillent de nous considérer comme des envahisseurs étrangers. Le bon côté des choses était peut-être que nous avions évité le pire des scénarios. S’ils nous détestaient, les négociations diplomatiques auraient été bien plus difficiles.
J’avais écouté les marmonnements anxieux de Brad par le biais d’un émetteur à distance, mais je n’avais pas pris la peine de répondre. J’avais du travail à faire. Et par travail, j’entendais assister à des entretiens avec le saint roi.
Après avoir enfilé une tenue plus confortable, je m’étais dirigé vers la salle de réunion de la Licorne. Dès que j’avais franchi les portes, tout le monde avait eu les yeux rivés sur moi. Le saint roi était sur le pont, ainsi qu’un autre représentant du royaume de Rachel. Mylène représentait Hohlfahrt, ainsi qu’Anjie et moi. Quelqu’un d’autre devait se joindre à nous, mais il n’était pas encore là.
« C’était terriblement rapide. Pourquoi ne t’es-tu pas reposé un peu avant de nous rejoindre ? » demanda Anjie, inquiète.
Je m’étais assis sur mon siège. « Je me suis dit que je devais en finir rapidement pour pouvoir me détendre après. Quoi qu’il en soit, où en es-tu dans ta discussion avec Sa Sainteté ? »
Le saint roi avait été libéré de ses menottes et était perché sur son siège, les bras fermement croisés sur sa poitrine. Il se renfrogna et releva le menton pour me fixer du bout du nez. Pour ce qui est de la première impression, c’était le comble du comble.
« Vous êtes donc le chevalier-ordure, si j’ai bien compris. » L’homme secoua la tête. « Hohlfahrt est vraiment tombé bien bas, en vantant les mérites d’un tel morveux comme champion. »
J’avais reniflé. « Et votre royaume vient de perdre contre ce champion, hmm ? »
Son visage devint rouge de rage.
Tu vois, c’est ce qui rend les gars instables si pathétiques. Il était heureux de chercher la bagarre, mais il ne pouvait pas supporter ce qu’il distribuait. L’instigation n’est pas vraiment une tactique efficace si tu perds en premier ton sang-froid.
Cette scène avait été interrompue par l’arrivée tardive de Julian. Il ne jeta qu’un coup d’œil au visage du saint roi avant de se tourner vers moi. « Je vois que tu as encore dit quelque chose. »
« Une petite conversation, c’est tout. »
Bien que Julian ait eu l’air de vouloir répondre, il s’était tu et s’était assis.
À côté du saint roi, dont l’attitude pétulante était restée inchangée même dans la défaite, se trouvait un homme dont le bras semblait avoir été blessé, puisqu’il était enroulé dans une écharpe. Il semblait être une sorte d’aristocrate et paraissait bien plus nerveux que son monarque.
« Tout le monde est-il là ? » demanda le fonctionnaire.
Mylène sourit. « Oui, c’est tout le monde, monsieur le premier ministre. Commençons par les négociations et voyons une fois pour toutes pour arriver à la fin de ce conflit. »
Comme elle l’avait dit, une guerre n’est pas vraiment terminée une fois que quelqu’un a remporté la victoire sur le terrain. Il y avait toujours la diplomatie et les négociations qui suivaient. Le perdant était désavantagé lorsqu’il s’agissait de discuter des conditions, mais heureusement, Hohlfahrt était le grand vainqueur.
Mylène semblait savourer le moment. C’était probablement l’euphorie due à la défaite tant attendue d’un ennemi juré, ainsi qu’au fait de pouvoir voir l’ennemi conquis en personne. Étrangement, on aurait pu s’attendre à ce que le saint roi soit un peu plus réservé, étant donné la position difficile dans laquelle nous l’avions mis, mais un sourire effronté s’affichait sur son visage.
« Célébrez pour l’instant », déclara-t-il, « mais le véritable vainqueur n’est pas déterminé par une seule bataille, mais par la guerre. Ne croyez pas que cette modeste réussite signifie que vous vous situez d’une quelconque manière au-dessus de moi. »
Mylène continua de sourire, ses yeux se rétrécissant en fentes. Son attitude lui mettait la puce à l’oreille. À côté de moi, le visage d’Anjie se tordait de mépris.
« À la lumière de votre défaite actuelle, cette attitude ne semble guère appropriée pour cette discussion », déclara Anjie.
« Le royaume de Hohlfahrt est une nation fondée par des perdants qui ont autrefois fui Rachel. Quel besoin y a-t-il pour quelqu’un de mon rang de faire preuve de civilité à l’égard d’un tel pays ou de son peuple ? »
Tandis que le saint roi ignorait les conseils d’Anjie au profit d’une plus grande condescendance, le Premier ministre devenait de plus en plus pâle. Son silence et son refus de réprimander le roi suggèrent toutefois qu’il n’était pas forcément en désaccord.
Creare planait au-dessus de mon épaule gauche, étudiant le saint roi avec un intérêt intense. « C’est un divertissement de premier ordre. Tu es en train de dire que tu penses que le passé lointain t’est utile aujourd’hui, n’est-ce pas ? Mais dans le présent, tu as perdu, totalement et complètement. Tu t’es fait laminer par mon maître et ses copains. J’aimerais bien voir comment le fait de s’accrocher à la gloire du passé se transforme en victoire. Qu’est-ce que tu attends ? Alors vas-y ! »
Je m’étais dit que son intérêt était probablement sincère, mais la façon dont elle l’avait formulé n’avait fait qu’énerver le roi. Il avait fermé la bouche, mais son visage était encore plus rouge qu’avant.
« Si les guerres pouvaient être gagnées en vertu des gloires passées, le monde serait beaucoup plus simple », déclara Luxon. Il semblait d’abord admonester Creare, mais sa véritable cible devint rapidement évidente. « Tout ce qu’il fait, c’est essayer de se faire des illusions. Compte tenu du manque total de responsabilité dont il a fait preuve jusqu’à présent, il fera un piètre négociateur dans les procédures à venir. Pourquoi ne pas exiger un remplaçant plus pondéré ? »
Je ne peux pas vous laisser faire. Quel comportement horrible ! Où diable avez-vous appris cela ?
Incapable de se retenir, Anjie éclata de rire. Mylène avait elle aussi éclaté de rire. Le saint roi semblait encore plus contrarié par les rires de ces femmes. Il tapa du poing sur la table.
« Osez-vous vous moquer de moi ? Je ne dis que la vérité. Votre passé est celui du camp des perdants. » Sa voix perdit de son élan tandis qu’il rétractait son poing, qu’il massait lentement.
« Je suis d’accord. Il s’agit d’un manquement alarmant à la bienséance », déclara le premier ministre.
Une partie de moi voulait faire valoir que nous n’avions pas été les premiers à enfreindre le décorum ici, mais qui avait le temps de perdre son temps avec des querelles insignifiantes ?
« C’est vrai, » concéda Mylène, qui partagea mon sentiment. Il était temps de passer à autre chose. « Je vous prie de m’excuser. Maintenant, terminons ces discussions en toute hâte. Nous commencerons par demander au royaume de Rachel de démanteler le Concordat de défense armée. »
Le saint roi et le Premier ministre s’étaient assis tranquillement, attendant qu’elle continue.
« Ensuite, vous paierez des réparations à Hohlfahrt pour les troubles que vous avez causés. Je crois que nous devrions également imposer des restrictions à votre armée. » Elle parcourut la liste de nos conditions — ou peut-être plus exactement de nos exigences — assez rapidement, ne leur laissant que peu de temps pour faire des commentaires. Notre victoire avait été suffisamment écrasante pour qu’elle y ait droit.
Curieusement, plus elle en disait, plus les lèvres du Premier ministre se retroussaient.
« Cela ne vous convient-il pas ? » demanda Mylène en fronçant les sourcils.
« Oh, je me suis simplement demandé pendant un instant si vous étiez vraiment la femme autrefois redoutée sous le nom de princesse sournoise. Pardonnez-moi, je suppose que vous êtes une reine maintenant, n’est-ce pas ? »
Ce n’était pas un surnom très flatteur.
Mylène avait souri, mais ce sourire n’avait pas atteint ses yeux. « Insinuez-vous que je suis un imposteur ? »
« Votre vision est tout simplement si étroite — vous ne parvenez pas à voir la situation dans son ensemble. En fait, c’est nous qui allons demander une compensation financière au royaume d’Hohlfahrt. »
« Pouvez-vous répéter ? »
J’étais tout aussi surpris que Mylène, je n’aurais jamais imaginé qu’ils fassent une demande aussi farfelue.
« C’est vous qui avez envahi nos terres et infligé d’innombrables dégâts à la capitale blanche », poursuit le Premier ministre. « Sans parler de l’état atroce de notre château d’ivoire. Vous pouvez vous attendre à une somme astronomique lorsque nous présenterons notre demande pour réparation. »
Le saint roi croisa les bras et hocha la tête avec empressement. « Oui, bien dit. »
« Il semblerait que vous ne comprenez toujours pas votre position », dit Mylène avec un profond soupir.
« Je vous l’accorde, vous êtes puissant », dit le saint roi avec un grand sourire. « Mais cette force ne vous rapportera rien d’autre que des ennemis encore plus grands. Vous vous êtes trop concentré sur ce qui se trouvait directement devant vous sans prendre en compte les implications plus larges. Nous ne sommes pas les seuls à nous sentir menacés par vos victoires continues. » Il lui lança un regard perçant, comme s’il s’attendait à ce qu’elle comprenne.
J’avais penché la tête. « Je ne sais pas de quoi vous parlez. »
Anjie me jeta un coup d’œil et murmura : « Franchement, Léon… »
« Comme je m’en doutais. La force, c’est tout ce que tu as pour toi, sale gosse. » Le saint roi secoua la tête avec consternation. « Permettez-moi de vous éclairer : le saint royaume de Rachel partage une relation des plus amicales avec une puissance encore plus grande — celle du Saint Empire magique de Vordenoit. »
J’avais haussé les épaules. « Bien sûr, mais peu importe. »
« Tu es vraiment ignorant », dit le roi en serrant la mâchoire. « Si une superpuissance comme l’empire décidait de vous attaquer, Hohlfahrt n’aurait aucun espoir de victoire. L’empire a collecté de nombreux artefacts disparus au cours de sa longue histoire. La puissance de leur armée dépasse l’imagination humaine. » Il s’était adossé à sa chaise, bombant triomphalement le torse. « Alors ? Comprenez-vous enfin lequel d’entre nous va payer le prix de cette guerre ? Si vous ne parvenez pas à attirer mes faveurs, vous en souffrirez. »
« On dirait qu’il pense qu’il peut gagner en citant des noms, » observa Creare. « N’est-il pas incroyable qu’il ait oublié son humiliante défaite ? Il se la joue hautain et puissant maintenant ! »
« Eh bien, il a certainement un point de vue valable, » déclara Anjie en ricanant.
Le saint roi la regarda avec méfiance.
Julian sourit malgré lui. « En effet, c’est le cas. Si l’empire devait faire la guerre à Hohlfahrt, nous essuierions une défaite. »
Mylène souleva son éventail pour couvrir le sourire froid et calculateur qui s’étalait sur ses lèvres.
« Si l’empire choisissait d’agir, on ne sait pas ce qui se passerait. Cependant, il est insensé de supposer que nous n’avons accordé aucune considération à cette possibilité. »
+++
Partie 2
Comme à l’improviste, un homme franchit les portes de la salle de réunion. Finn le suivit d’un pas, se tenant avec la grâce et le décorum que l’on attend d’un chevalier. Quant à Monsieur Carl, il souleva son chapeau de sa tête et le pressa contre sa poitrine.
« Vous êtes terriblement audacieux », dit-il au saint roi. « Et toujours aussi astucieux de brandir le nom d’un autre pays au cours d’une négociation. »
Le saint roi ricana. « Qui est ce vieillard disgracieux ? Éloignez de moi ce roturier indiscipliné. Il n’est pas digne de ma présence. »
Bien que son attitude nous ait fait rire quelques instants plus tôt, nous avions vite dégrisé. Le saint roi était-il sérieux ? Monsieur Carl m’avait dit qu’ils s’étaient rencontrés en personne à plusieurs reprises.
Finn se pencha vers l’empereur. « Votre Majesté impériale, pourrais-je vous recommander de modifier votre apparence ? Son éminence semble avoir du mal à vous reconnaître. Je crains que si vous ne faites rien, il reste ignorant de votre véritable statut. »
« C’est ce qu’il semblerait. » Monsieur Carl posa son chapeau sur la table et enleva les lunettes qu’il avait utilisées pour mieux se déguiser. « Je suppose que nous devrions être plus consciencieux quant à notre apparence. »
Il tapa sa canne sur le sol et la lumière tourbillonna autour de lui — une séquence de transformation honnêtement très magical girl. Je ne peux qu’être reconnaissante de ne pas avoir eu droit à du fan service. Je n’avais vraiment pas besoin que cette image soit gravée dans mon esprit.
Lorsque la lumière s’était dissipée, l’empereur se tenait debout, vêtu d’une radieuse tenue impériale ornée de pierres précieuses et de parures d’or et d’argent. C’était tellement opulent et luxueux que je ne pouvais m’empêcher de penser au prix que cela devait coûter. Pour couronner le tout, il portait une cape rouge garnie de fourrure blanche.
« Hmph. Est-ce le moment où nous demandons : “Avez-vous oublié mon visage impérial ?” » demanda Monsieur Carl — euh, euh, Sa Majesté Impériale en se caressant le menton. Il faisait référence à une réplique d’un vieux feuilleton historique diffusé dans les années soixante-dix et quatre-vingt au Japon, que seuls Finn et moi avions compris.
Maintenant que l’empereur avait changé d’apparence, le saint roi et le Premier ministre restèrent bouche bée.
« Empereur Carl ? » balbutia le saint roi, incrédule, un tremblement parcourant sa voix. « Qu’est-ce que vous faites ici ? »
Sa Majesté Impériale plissa ses sourcils, jetant un regard noir. « Nous sommes venus pour déterminer par nous-même quel genre d’homme est vraiment ce “chevalier ordure”. Grâce à cela, nous avons pu mieux comprendre votre comportement. Il semblerait que vous fassiez étalage du nom de notre empire à votre convenance. »
Finn plissa les yeux et jeta un regard mécontent à l’empereur. Bien qu’il n’ait rien dit, je pouvais lire dans ses pensées : Menteur. Tu es seulement venu ici pour voir comment allait Mia. Ce n’était qu’un travail d’appoint.
J’avais accepté.
« Votre Éminence, nous n’avons aucun moyen de garantir que cet homme est vraiment Sa Majesté Impériale, » dit le Premier ministre qui, malgré sa démonstration de bravade, tremblait encore.
« Tu as tout à fait raison ! »
Malheureusement pour eux, l’empereur s’était préparé à une telle réponse. Il se mit à rire. « Si vous en êtes si sûrs, envoyez un appel de détresse à l’Empire. Ce sera notre test : qu’ils répondent à votre détresse ou non. Accordé… » Il se rapprocha du saint roi, le fixant d’un regard glacial. « Si vous le faites, nous vous ferons punir comme il se doit pour avoir détourné notre nom. »
L’empereur poursuit. « Soit dit en passant, il y a aussi la question de l’armure démoniaque que nous vous avons envoyée comme symbole de notre bonne volonté, et qui vient d’être détruite. Nous espérons que vous comprenez ce que nous pourrions ressentir en vous voyant ne pas la traiter avec le respect et le soin qui s’imposent. »
Le saint roi et le Premier ministre tremblaient sur leur siège, leur fanfaronnade s’était presque évanouie. Cet homme était-il vraiment l’empereur ? Ou n’en était-il pas un ? Ils avaient du mal à se décider.
« On dirait qu’ils sont là », fit remarquer l’empereur en jetant un coup d’œil par la fenêtre. Un dirigeable arborant l’emblème impérial s’approchait de la Licorne. À mon insu, il semblerait que monsieur Carl ait contacté son pays d’origine.
Le saint roi et le Premier ministre s’étaient transformés en gelée, glissant directement de leurs sièges et sur le sol. Finn m’avait fait un clin d’œil. Il était probablement en train d’applaudir notre victoire intérieurement. J’avais levé la main pour lui faire un signe de la main, en guise de remerciement pour le rôle qu’il avait joué.
L’empereur tourna son regard vers moi. « C’était un peu — non, c’était extrêmement désordonné, mais nous vous accordons la note de passage. »
« Je vous suis profondément reconnaissant pour votre magnanimité », avais-je dit, me levant pour pouvoir lui faire une révérence digne de ce nom.
De sa place sur le sol, le saint roi nous regarda tous les deux. Il secoua la tête, incrédule. « Ce n’est pas possible… Vous avez pris contact avec l’empereur et vous avez organisé tout ça sans que nous le sachions !? »
En vérité, cet arrangement m’était tombé dessus comme par hasard. Je n’avais pas vraiment le temps de fréquenter secrètement une puissance étrangère. J’avais tout de même pris le temps de jubiler, en affichant un sourire à l’intention de Son Éminence. Oh, et j’ai veillé à ce que ce soit un sourire malicieux — le genre de sourire que l’on trouve généralement sur le visage d’un super-vilain.
« Si vous voulez gagner, n’est-il pas naturel d’y aller à fond ? » Je ne l’avais pas dit à haute voix, mais le message implicite était clair : c’est de ta faute si tu es trop arrogant pour faire de même.
« Sale gosse… » Cette fois, le saint roi tremblait d’une fureur tranquille. « Tu es exactement comme cet excentrique de Roland ! Attends… »
Mon visage s’était déformé à la mention de ce porc.
Son Éminence m’étudia de près. Son regard scrutateur était si inconfortable que je m’étais renfrogné, mais il s’était contenté de hocher la tête. « Les actions malveillantes, les remarques désobligeantes… Je le vois maintenant ! Tu es le bâtard de Roland ! »
« Qu’est-ce que tu dis ? »
Au début, les mots n’avaient pas vraiment été compris. Le bâtard de Roland ? Comme son enfant ? Moi ? Comme dans un monde où cette racaille de seigneur serait mon père ? Oh, non. Absolument pas.
Hélas, son éminence s’en était déjà convaincue. « J’ai toujours trouvé cela étrange. Aussi impressionnantes qu’aient pu être tes réalisations, la façon dont tu as gravi les échelons était si inhabituelle — et jusqu’à un duché ! Sans compter que la famille royale t’a confié une autorité totale, encore et encore. Mais si on remet les choses dans leur contexte, à savoir que tu es son fils illégitime, tout s’explique. Je n’aurais jamais imaginé perdre face à l’enfant de ce fou… »
Mes mains étaient crispées, tremblant d’une rage incontrôlée. « Si tu essaies de m’énerver, tu — ! »
« Je n’arrive pas à y croire. Tu es mon grand frère, Léon !? » Julian s’était levé de sa chaise et s’était tourné vers moi, l’air bien trop sérieux pour plaisanter.
Est-ce que cet idiot entend ce qu’il dit ?
« Vas-tu prendre sa parole pour parole d’évangile ? » J’avais craqué en piétinant vers lui et en lui enfonçant un doigt dans la poitrine. « Qu’est-ce qui peut bien te faire croire que je suis vraiment ton frère, et encore plus l’aîné ? As-tu quelque chose qui vaut la peine d’être gardé entre ces deux oreilles ? »
Julian n’en revint toujours pas. Il recula de quelques pas en balbutiant : « Je n’ai pas… Je veux dire, connaissant mon père, c’est parfaitement possible. »
« Quel enfer ! »
« Mais réfléchis un peu. Si tu étais mon frère aîné, tu serais un prince. N’est-ce pas ? Alors en gros… tu pourrais être le prochain roi. En fait, ne serait-il pas préférable pour tout le royaume que nous suivions l’histoire, même si nous ne sommes pas réellement liés par le sang ? »
« Non ! C’est une idée terrible ! Pourquoi ces mots sortent-ils même de ta foutue bouche princière ! »
« Mais c’est une bonne idée. »
Malgré ma dénégation véhémente de l’accusation du saint roi, le reste de la salle s’était mis à réfléchir en considérant la plausibilité de l’accusation.
Monsieur Carl et Finn avaient échangé un regard en chuchotant.
« Qu’en penses-tu ? » demanda Monsieur Carl. « D’après ce que je sais de Roland, ce n’est pas exagéré. »
« Avec tout le respect que je dois à Léon, le roi de Hohlfahrt est un sacré coureur de jupons », répondit Finn, suggérant qu’il le trouvait également crédible.
Je m’étais retourné pour faire face à Anjie, espérant qu’au moins elle serait une voix de la raison. « Anjie, tu dois… A- Anjie ? »
La main d’Anjie avait pris son menton en coupe tandis qu’elle retournait cette pensée dans son esprit, en marmonnant pour elle-même. « C’est certainement possible. Étant donné la facilité avec laquelle Sa Majesté fait monter Léon en grade, il semble insensé de rejeter l’idée du revers de la main. Essayait-il peut-être d’accorder à Léon un statut convenable dans la haute société ? »
Oh, merde. Elle aussi a perdu les pédales.
« Ouvre les yeux, Anjie ! Mon père est Balcus, un baron ordinaire de l’arrière-pays ! Il est impossible que je sois l’enfant illégitime du roi. Tu le sais très bien. En plus, ce connard est le dernier homme au monde que je voudrais avoir comme père ! »
Hypothétiquement parlant — et à supposer que ce soit vrai — je ne reconnaîtrais jamais Roland comme mon père.
Je m’étais ensuite tourné vers Mylène pour constater qu’elle s’était passé les mains sur le visage et qu’elle sanglotait ouvertement. « Oh, Léon, jamais dans mes rêves les plus fous je n’aurais imaginé que tu étais le fils d’une telle limace inutile. »
« Mylène ! » avais-je crié, désespéré. « S’il te plaît, reprends tes esprits. Ma mère n’est pas du genre à tromper son mari ! » Il fallait au moins que ce soit clair — pour l’honneur de ma mère.
Pendant ce temps, Luxon et Creare se comportaient comme d’habitude.
« Toute cette situation pourrait être facilement rectifiée par un test ADN », déclara Luxon.
« Oui, d’accord, mais imagine la tête de Roland quand il entendra ça. » Creare frissonna d’impatience. « Ça, c’est un spectacle à voir ! »
Vous êtes totalement inutiles ! Vous devriez m’aider activement à laver mon nom ! Ou le nom de ma mère, en tout cas.
« Roland, tu es un méchant crétin. Tes manigances n’ont-elles pas de limites ? Je n’aurais jamais pu prévoir que tu utiliserais ton propre fils illégitime comme une arme », marmonna Son Éminence, pleinement convaincue de sa propre théorie, quelles que soient mes protestations.
Alors, le visage dénué de toute émotion, j’avais marché vers le roi… et j’avais brandi mon poing.
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Partie 3
Plusieurs semaines plus tard, les nobles de Hohlfahrt s’étaient réunis dans le palais royal pour une réunion. Ils étaient venus pour entendre parler de la conclusion de la guerre avec Rachel. Le duc Redgrave était arrivé dans la salle du trône pour siéger lui aussi à l’assemblée.
À ce moment-là, la nouvelle de l’invasion de la capitale de Rachel par Léon et de la capture réussie du saint roi qui s’en était suivie s’était répandue. Les gens étaient venus pour entendre les détails précis. Certains étaient soulagés que la crise soit terminée, tandis que d’autres étaient plus inquiets qu’avant. Ces derniers avaient en grande partie des liens avec des nations ennemies et s’étaient préparés à devenir des traîtres. Aucun d’entre eux n’avait prévu que Léon mettrait Rachel à genoux.
Même moi, je n’aurais pas pu prédire que ce sale gosse sortirait l’empereur de sa manche comme ça. Je suppose que je devrais le féliciter sincèrement pour ce qu’il a accompli cette fois-ci, pensa Roland. Prendre contact avec l’empereur et discuter de ses objectifs au préalable avait permis à Léon d’éviter le risque de voir l’empire rejoindre la guerre. Roland était vraiment impressionné par ce plan.
Le bureaucrate qui avait officiellement évalué la situation à Rachel entra enfin dans la salle du trône. Il s’agenouilla devant le roi et, lorsqu’il parla, sa voix s’éleva avec une excitation non contenue pour les nouvelles qu’il partageait.
« Réjouissez-vous, Votre Majesté ! Le duc Bartfort a abattu le marteau du jugement sur le saint royaume de Rachel et a démantelé nos ennemis, le Concordat de défense armée. Sa Majesté nous rassure également sur le fait que l’empire n’a pas l’intention de prendre les armes contre nous. »
Impressionnés, les aristocrates avaient crié pour partager leurs sentiments.
« Je vois que le duc Bartfort est toujours aussi fiable ! »
« Encore une autre réalisation notable à son actif. »
« Le roi ne peut pas lui offrir un titre plus important pour ses actes. Ils le récompenseront sûrement d’une autre manière. »
Le duc Redgrave garda une mine renfrognée tout au long de la journée. Léon avait rompu tous les liens avec lui, et ses nouvelles réalisations avaient laissé Vince dans un état de conflit, c’est le moins que l’on puisse dire.
Roland se souleva du trône et joignit les mains, applaudissant Léon. « Les actes du duc Bartfort sont certainement dignes d’éloges. Je me dois de lui adresser des mots de gratitude. Cependant, ses accomplissements éclipsent de loin l’héritage de n’importe quel héros de l’histoire de notre nation. Peut-être devrions-nous le récompenser en lui donnant le titre d’archiduc ? »
À un moment donné, la maison Fanoss s’était vu accorder le titre d’archiduc, et on l’avait appelée l’archiduché de Fanoss jusqu’à ce qu’elle fasse sécession du royaume. Aucun archiduc n’avait été nommé depuis, mais Roland proposait maintenant de conférer le prestigieux titre à Léon.
Je le pensais vraiment quand j’ai dit qu’il méritait une reconnaissance sincère. Mais la récompense est une question tout à fait distincte. Puisque tu as travaillé si dur, petit, pourquoi ne pas t’élever encore plus, hmm ? Roland ricana intérieurement. Le simple fait d’imaginer la tête de Léon lorsqu’il apprendrait son nouveau titre procura au roi une joie immense. Léon allait absolument détester ça.
D’une certaine manière, Roland connaissait Léon mieux que quiconque.
Le bureaucrate qui avait rapporté la nouvelle regarda le roi, l’air encore plus stupéfait que le public. Il semblait avoir quelque chose en tête.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » Roland rétrécit les yeux. « Qu’y a-t-il d’autre à signaler ? »
« N -non. Rien qui ne doive retenir votre attention, votre Majesté. »
Mais le choix des mots du bureaucrate laissait entendre qu’il y avait effectivement une certaine forme d’information, et qu’elle était très probablement de nature scandaleuse. La première pensée de Roland fut, bien sûr, qu’il s’était passé quelque chose entre Léon et Mylène.
Ce petit morveux. Ne me dis pas qu’il a vraiment essayé de la draguer ! Je ne peux même pas le taquiner à propos de quelque chose comme ça. Oui, je me doutais bien qu’il finirait par tomber aussi bas, mais à ce moment critique ? C’est un mauvais moment à passer.
Si la reine et le duc entretenaient une relation illicite, comme Roland le soupçonnait à présent, le châtiment traditionnel serait l’exécution. Cependant, Roland envisageait une approche différente.
Sans lui, je serais vraiment dans l’embarras, alors je ne peux pas le laisser mourir. Au lieu de cela, lorsque les aristocrates réclameront sa tête, je serai généreux et ferai preuve de clémence. Ma réputation risque d’en pâtir, mais c’est un petit prix à payer pour ce genre de levier.
C’était une grande gêne pour un homme de la haute société d’être cocu. Ce scénario avait été répandu parmi les maisons nobles inférieures jusqu’à récemment, mais Roland était un roi. Si son nom était terni, la nation entière serait déshonorée. Les nobles exigeraient sûrement la mort de Léon.
Roland se remit le scénario en tête. Heh heh, c’est la fin pour toi, petit con ! Après ça, tu devras me faire des courbettes pour le reste de ta vie. Je parie que tes fiancées te font déjà vivre un enfer pour avoir osé les tromper. J’ai hâte que tu retournes à la capitale.
Roland ne pouvait pas imaginer Anjie — ou Livia ou Noëlle, d’ailleurs — rester les bras croisés si elles avaient vent de l’adultère de Léon avec la reine. L’imaginer le rendait presque euphorique. Ahh, j’aimerais pouvoir le convoquer à l’instant même pour me moquer de lui dans sa misère.
« Ma curiosité est piquée », dit Roland au bureaucrate après une longue contemplation. « Parle. Raconte-moi tout, et n’épargne aucun détail. »
Le bureaucrate ne pouvait pas refuser un ordre direct. Tandis qu’il parlait, son regard errait, regardant partout sauf le roi. « Cette information n’a pas encore été confirmée. Il s’agit simplement d’une rumeur qui circule dans le royaume de Rachel. Je vous demande humblement de garder cela à l’esprit, votre majesté. »
Son préambule prenait trop de temps. Il hésitait incroyablement à donner de la voix à tout ce qu’il savait.
« Ça suffit. Viens-en au fait », ordonna Roland en reprenant son siège. Je sais déjà qu’il s’agit de ce morveux et de Mylène. Que leurs liaisons aient été confirmées n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est que la nouvelle se répande déjà ailleurs. Il s’agita sur le trône, impatient d’entendre tout cela à haute voix.
« Très bien. Je vous prie d’excuser d’avance mon manque de courtoisie. Une rumeur se répand dans le saint royaume de Rachel… selon laquelle le duc Bartfort serait en fait l’enfant illégitime de Votre Majesté ! »
Roland avait déjà croisé les bras et acquiescé, s’attendant à ce que quelque chose de tout à fait différent, sorte de la bouche du bureaucrate. « Oui, Léon est mon fils illégitime — quoi ? » Sa tête se releva d’un coup.
Les nobles avaient gardé un silence de mort.
« Rien n’a confirmé la rumeur, comme je l’ai dit », poursuit le bureaucrate nerveusement. « Mais elle continue de circuler. Il paraît que c’est le saint roi lui-même qui l’a suggéré le premier, lors des négociations qui ont suivi la défaite de Rachel — c’est alors que le duc Bartfort a perdu son sang-froid et a frappé le roi du poing. »
Ce cadrage semblait donner plus de légitimité à la rumeur — que Léon était devenu furieux lorsque le saint roi avait découvert la vérité. À Rachel, le peuple était convaincu que Léon était bien l’enfant illégitime de Roland.
Une sueur froide dégoulina sur le visage de Roland, qui tremblait de rage. « A-Assez ! Je… Je ne veux pas entendre de telles bêtises ! Ce petit morveux ingrat, mon enfant ? Il n’y a rien de drôle dans une telle suggestion ! Qui a fait cette proposition ? Le saint roi, dis-tu ? Amenez-le-moi immédiatement. Je ferai mettre sa tête sur une pique et je la monterai au centre de la capitale blanche ! »
En bon coureur de jupons qu’il était, Roland avait fait l’objet de nombreuses rumeurs de descendance illicite, mais jamais il n’avait éclaté de fureur comme cela. Les nobles n’étaient pas non plus habitués à le voir exprimer quelque chose avec une telle émotion. Des murmures se répandirent dans la foule.
« Sa Majesté est ébranlée. Serait-ce donc vrai ? »
« Je suppose que le duc Bartfort a le même âge que le prince Julian. »
« Oui, je suppose que ce serait une raison pour cacher sa naissance, n’est-ce pas ? »
Toutes ces années auparavant, le prince Julian avait été nommé prince héritier en vertu du fait qu’il était le fils aîné de Roland et de sa reine consort. Un fils illégitime de naissance royale aurait plongé la cour dans le chaos. Certains se seraient jetés dans la bataille pour soutenir la revendication de Léon. Pour eux, cela aurait été un motif suffisant pour que Roland cache la vérité.
« N -non », bégaya Roland en secouant vigoureusement la tête. « Réfléchissez tous à cela. Il ne me ressemble pas le moins du monde, n’est-ce pas ? » Malgré ses protestations, sa voix était si faible que personne ne l’entendit.
Vince se tourna vers le ministre Bernard, qui était à ses côtés, l’expression solennelle. « Est-ce vrai ? Ne me dis pas que tu savais et que tu me l’as caché ? »
« N-non, bien sûr que non. »
« Mais lorsque le duc Bartfort n’était qu’un baron, tu as tiré les ficelles pour qu’il accède à de plus hauts sommets. »
« C’était seulement parce que je pensais qu’il serait un meilleur parti pour ma fille s’il avait un rang plus élevé », protesta Bernard. « Il n’y avait pas de sens plus profond à mes actions. D’ailleurs, tu l’as aussi soutenu, n’est-ce pas ? »
« Hmm, c’est assez vrai. Je l’ai soutenu à l’époque. »
Ils faisaient référence au deuxième trimestre de Léon en tant qu’étudiant de première année, lorsqu’il avait vaincu une bande de pirates de l’air. Bernard avait été impressionné par Léon après qu’il soit intervenu pour aider Clarisse, la fille de Bernard, à se remettre d’un chagrin d’amour. C’est pourquoi il avait tout fait pour que Léon soit promu. Au début, cela paraissait suspect aux yeux de Vince — comme si Bernard connaissait la vérité sur la naissance de Léon depuis tout ce temps.
« Si tu ne savais vraiment pas, alors les rumeurs sont-elles fausses après tout ? » se demanda Vince en se caressant le menton.
Bernard tamponna la sueur qui dégoulinait abondamment sur son front avec un mouchoir blanc. « Nous ne pouvons pas complètement exclure cette possibilité. »
« On ne peut pas ? »
« À l’époque où le duc Bartfort a été conçu, Sa Majesté avait une relation avec plusieurs femmes différentes — ce qui signifie qu’il y a de fortes chances que ce soit vrai. De plus, il s’est éclipsé du palais pour visiter les territoires ruraux du royaume un nombre incalculable de fois. »
Le visage de Vince se tordit. Il ne savait plus où donner de la tête. Quelle était la vérité ?
Trop de nobles soutenaient également que la rumeur était parfaitement viable, la situation était devenue incontrôlable.
« Espèce de sale gosse ! » hurla Roland en rejetant la tête en arrière comme pour gémir vers les cieux. Sa voix résonna dans toute la salle du trône. « Comment oses-tu répandre des mensonges aussi éhontés ! »
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