Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 12

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Prologue

Fagrahvél avait huit ans lors de sa première rencontre avec Sigrdrífa.

C’était la première fois que Fagrahvél visitait le palais de Valaskjálf, et le souvenir de la majesté et de la grandeur de ce palais était toujours aussi frais aujourd’hui.

Sigrdrífa était une nouveau-née à l’époque, âgée d’environ deux semaines seulement.

« Maman, qui est-ce ? » demanda la jeune Fagrahvél en regardant le bébé qu’elle tenait dans ses bras. « Ce n’est pas Ríg, n’est-ce pas ? »

Il était immédiatement évident qu’il ne s’agissait pas de Ríg, le jeune frère biologique de Fagrahvél, qui était né il y a deux semaines — et était mort il y a trois jours.

En effet, alors que tous les bébés se ressemblaient pour Fagrahvél, celui-ci était très clairement différent.

Ses cheveux et sa peau étaient d’un blanc pur, avec une étrange translucidité qui semblait presque magique.

C’est peut-être un ange envoyé par les dieux.

C’est la pensée qui avait traversé le jeune esprit de Fagrahvél — cette première impression était une autre chose qui est restée un souvenir vivace même à l’âge adulte.

« Tu as raison, ce n’est pas Ríg. C’est l’enfant le plus sacré des Þjóðann. »

« Le Þjóðann !? » Prise de court, Fagrahvél ne pouvait que répéter ces mots.

Huit ans, c’était un âge suffisant pour avoir acquis une compréhension de base de certaines choses concernant le monde dans lequel leur famille vivait.

Fagrahvél était l’enfant d’un fonctionnaire de bas niveau, et comprenait très bien que leur famille avait un statut social différent de celui des personnes en tenue étincelante qui vivaient dans ce magnifique palais.

Fagrahvél avait également compris que le Þjóðann était le plus noble et le plus puissant de toutes les personnes de la cour impériale, quelqu’un de tellement au-dessus de la position de Fagrahvél que le rencontrer aurait normalement été impossible.

La mère de Fagrahvél avait rapidement clarifié la situation. « J’ai reçu l’ordre d’être la nourrice de cette enfant, à partir d’aujourd’hui. »

« Qu’est-ce qu’une nourrice ? » Pour un enfant de huit ans qui n’était pas né dans une famille de la haute société, c’était un mot qui ne lui était pas familier.

« Il s’agit de quelqu’un qui donne du lait à un bébé à la place de sa mère. »

« Oh, d’accord. Mais pourquoi la mère de ce bébé ne peut-elle pas elle-même lui donner du lait ? Est-elle morte ? »

« Non, elle est vivante, » répondit la mère de Fagrahvél, avec un sourire gêné.

Il existait une coutume transmise de génération en génération selon laquelle les mères des familles nobles confiaient leurs nouveau-nés à une nourrice pour qu’elle les élève pendant leur enfance, plutôt que de les élever elles-mêmes. Cependant, un enfant de huit ans pourrait trouver cette explication particulièrement difficile à comprendre…

« Il y a eu quelques problèmes, alors maintenant je vais l’élever à sa place. Assure-toi de t’occuper d’elle comme si c’était ta propre sœur, d’accord ? Comme tu l’aurais fait… pour Ríg…, » sa voix avait commencé à s’étrangler.

Elle avait perdu son nouveau-né bien-aimé il y a seulement trois jours, sa réaction était donc naturelle.

« Pour Ríg ? » La jeune Fagrahvél répéta d’un air perplexe et regarda à nouveau le bébé.

Comme indiqué précédemment, ce bébé ne ressemblait pas du tout au jeune frère de Fagrahvél.

Et pourtant…

Le bébé avait souri avec éclat, et à cet instant, tout le corps de Fagrahvél avait frissonné.

« … ! »

Ça semblait si adorable, si précieux.

« D’accord ! » dit Fagrahvél en hochant la tête. Il n’y avait pas la moindre trace d’hésitation ou d’incertitude dans cette réponse.

Fagrahvél n’avait rien pu faire pour empêcher la mort de Ríg, mais cet enfant allait être gardé en sécurité quoi qu’il arrive.

Ce nouveau serment résonnait fortement dans le cœur de la jeune Fagrahvél — et même des années plus tard, à l’époque actuelle, il continuait à vivre.

 

***

Chapitre 1 : Acte 1

Partie 1

 

« Quoi… !? E-Es-tu sûr de ça !? »

En recevant le rapport de son messager, le patriarche du Clan du Frêne, Douglas, avait écarquillé les yeux comme des soucoupes, et il avait élevé la voix en panique sans se soucier de son image.

C’était quelqu’un qui régnait sur un clan entier, et naturellement, cela signifiait que c’était un homme aux nerfs solides.

Et pourtant, même lui ne pouvait s’empêcher de frissonner en entendant le chiffre qu’il venait d’entendre.

« Trente mille !? D’où vient ce nombre absurde !? En premier lieu, où ont-ils bien pu trouver autant de soldats !? »

« Des bannières ont été aperçues, indiquant que nous avons là le Clan des Nuages, le Clan des Crocs, celui de l’Épée, de la Lance et du Casque. Les forces ennemies semblent être les armées combinées de cinq clans, monseigneur ! »

« Rrgh… » Douglas avait gémi et s’était mordu la lèvre inférieure. « Je pensais que le Clan de l’Épée allait nous envahir, mais pas aussi le Clan de la Lance et le Clan du Casque… »

Même après avoir rassemblé tous les soldats disponibles dans leur territoire, il n’en avait qu’environ quatre mille au total. En entendant qu’il devait faire face à un ennemi presque huit fois plus nombreux, Douglas pouvait sentir son visage se vider de son sang.

Le messager poursuit. « Monseigneur, l’ennemi est actuellement en marche vers le château de Dauwe ! On estime qu’ils l’atteindront dans environ deux jours. »

Le château de Dauwe était une forteresse aux murs très épais qui avait été construite à l’extrémité est du territoire du Clan du Frêne pour se protéger de la menace des puissants Clan des Nuages et Clan des Crocs.

Au cours des longues années qui avaient vu se succéder les générations, elle avait connu une accumulation constante de renforcements et d’améliorations défensives, et c’était maintenant l’une des forteresses les plus solides de toute la région de Bifröst.

De plus, comme Yuuto avait prédit que plusieurs de leurs nations voisines organiseraient une tentative d’invasion combinée, ils avaient pris des contre-mesures appropriées à l’avance.

Une garnison complète de trois mille hommes — presque quatre-vingts pour cent des combattants disponibles du Clan du Frêne — était stationnée dans la forteresse, ainsi qu’un grand nombre d’armes, de nourritures et de fournitures. De plus, la forteresse était commandée par Hrymr, le général le plus compétent du Clan du Frêne. C’était sans aucun doute le meilleur ensemble de préparations défensives qu’ils auraient pu mettre en place.

Cependant, le fait que leurs ennemis soient aussi nombreux était quelque chose qui dépassait toutes leurs prévisions.

« Est-ce qu’on va pouvoir tenir jusqu’à l’arrivée des renforts de Père… !? »

Douglas déglutit nerveusement.

Le rideau se levait maintenant sur une nouvelle bataille, une bataille d’une ampleur dépassant de loin tout ce qui avait été vu dans l’histoire d’Yggdrasil.

« P… Père ! Il y a un message urgent du Clan du Frêne. Ils demandent des renforts immédiats ! »

Lorsque l’enfant subordonné du patriarche du Clan de la Griffe, Botvid, avait fait irruption dans son bureau avec la nouvelle, la première réponse de Botvid avait été un sourire amer.

« Hmph, alors c’est finalement en train d’arriver. Pour l’instant, calmez-vous. Allez-y, buvez un peu d’eau. » Il fit un geste du menton, dirigeant l’homme paniqué vers le pichet d’eau sur son bureau.

Il était complètement calme.

Il savait déjà, grâce à des discussions antérieures avec Yuuto, que plusieurs des clans voisins allaient tenter en tandem de faire la guerre au Clan de l’Acier. Et grâce à son propre réseau de renseignements indépendant, il avait reçu des rapports indiquant que les clans de l’Épée, des Crocs et des Nuages avaient participé à une cérémonie de réconciliation, jurant une nouvelle alliance entre eux.

En tant que tel, il savait parfaitement que cette situation allait arriver, et il n’avait aucune raison de perdre son sang-froid à cause d’elle maintenant.

Grâce à sa capacité à se présenter comme imperturbable et maître de la situation dans des situations comme celles-ci, il avait obtenu le soutien et le respect de ses subordonnés.

C’était un exemple de la perspicacité de Botvid, et c’est cette perspicacité qu’il avait utilisée pour se frayer un chemin vers le pouvoir.

« Alors, quelle est l’importance des forces ennemies ? »

Botvid aborda la question après avoir attendu un moment que son subordonné reprenne son souffle.

Il s’agissait de quelque chose sur lequel il avait déjà demandé à ses espions d’enquêter.

L’ennemi devait probablement déployer environ quinze mille hommes.

En comparaison, le Clan du Frêne ne serait même pas capable de rassembler 5 000 personnes.

Avec ces chiffres, la bataille s’annonçait difficile…

« Trente mille. »

« Quoi !? C’est absurde, qu’est-ce que vous dites !? Je n’ai jamais entendu parler d’une armée de cette taille ! Êtes-vous sûr que ce chiffre n’est pas juste un bluff pour nous démoraliser !? »

Botvid avait complètement oublié les calculs mentaux qu’il était en train de faire et s’était penché pour interroger son subordonné.

Pris par surprise avec un nombre deux fois supérieur à ce qu’il avait prévu, l’homme connu dans le monde entier comme la Vipère de Bifröst avait perdu le contrôle de soi pour lequel il était connu.

« Je ne peux pas dire que j’en suis certain, monseigneur… Cependant, l’information provient du Clan du Frêne, et je ne pense pas qu’ils raconteraient délibérément un mensonge qui risque de nous démoraliser, nous, leur allié. »

« Hrmh… » Botvid fronça les sourcils.

Il y avait déjà un accord sous serment avec le patriarche Douglas du Clan du Frêne pour envoyer des renforts une fois l’ennemi envahi.

Cependant, à l’heure actuelle, le Clan de la Griffe ne pouvait envoyer qu’environ trois mille soldats, et même selon les estimations les plus généreuses, le Clan du Frêne n’avait même pas cinq mille soldats mobilisés.

« Contre trente mille, il est douteux que nous soyons même capables de tenir assez longtemps pour que les renforts de l’armée principale du Clan de l’Acier arrivent, » marmonna Botvid, frustré.

Selon ses estimations préalables, avec un ennemi de quinze mille personnes, le célèbre château de Dauwe, imprenable, était un élément sur lequel ils pouvaient compter.

Il s’était dit que se terrer dans la forteresse et attendre un siège leur ferait gagner assez de temps. Mais maintenant…

« … Il semblerait que, pour la première fois depuis un bon moment, je vais être coincé dans une bataille difficile. »

L’invasion à grande échelle de la coalition d’encerclement du Clan de l’Acier commençait également du côté ouest du territoire du Clan de l’Acier.

La scène de cette bataille particulière était le Fort Kisaganeka, situé à l’extrémité nord du territoire du Clan de la Panthère.

« Monseigneur, un grand nombre de cavaliers sont apparus à l’horizon ! Nous avons confirmé leurs bannières — ce sont des forces appartenant au faux patriarche ! »

« Alors ils sont là. » Le commandant avait simplement marmonné ces mots en réponse au rapport d’une voix détachée, sans même hausser un sourcil.

À première vue, il y avait quelque chose de troublant, voire de sinistre, chez cet homme.

Son visage était d’une pâleur mortelle et ses joues étaient creuses, comme s’il souffrait d’une quelconque maladie. Pourtant, ses yeux étaient comme ceux d’un faucon, brillants d’une lumière vive.

Il s’appelait Skáviðr.

À l’origine, il avait été l’assistant du commandant en second du Clan du Loup, mais Yuuto l’avait reconnu à la fois pour sa loyauté et ses nombreuses réalisations, et lui avait attribué le poste de patriarche du Clan de la Panthère, qui contrôlait une bande de territoire dans l’ouest d’Álfheimr.

« Héhé, je vois que même après avoir été si complètement vaincus par mon seigneur, ils refusent toujours d’apprendre, » déclara Skáviðr, et afficha un sourire venimeux qui donna des frissons à tous ceux qui le virent.

Les attaquants étaient les restes de l’ancien Clan de la Panthère, qui avaient fui vers le nord lorsque le Clan de l’Acier les avait conquis et absorbés. Naturellement, ils ne reconnaissaient pas Skáviðr ou le Clan de la Panthère, filiale du Clan de l’Acier, comme légitimes.

Ils avaient choisi leur propre nouveau patriarche et s’étaient proclamés le véritable Clan de la Panthère. Cependant, Skáviðr avait officiellement reçu le droit de succession du précédent patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr. Et, en tant que patriarche de son nouveau Clan de la Panthère, Skáviðr ne pouvait évidemment pas se permettre d’accorder une quelconque validité aux vestiges de l’ancien Clan de la Panthère.

Afin de les délégitimer, il les appelait dédaigneusement « le faux patriarche et ses alliés ».

Honnêtement, cela semblait être le genre de geste transparent qui ne tromperait personne, et ce n’était pas non plus son style. Mais c’était comme ça que la politique fonctionne.

« C’est l’opportunité parfaite pour nous. Si nous les éliminons ici et maintenant, je pourrai m’appeler le patriarche du Clan de la Panthère sans plus d’opposition. De plus, cela éliminera la menace qui pèse sur notre nord, et rendra la reconstruction de notre territoire beaucoup plus facile. »

La main de Skáviðr se dirigea vers la poignée de l’épée à sa taille, et la chaise en bois grinça lorsqu’il se leva lentement.

Des termes tels que « vestiges » ou « le faux patriarche et ses alliés » donnaient l’impression que les restes de l’ancien Clan de la Panthère n’étaient rien de plus qu’un petit groupe de rebelles, mais la vérité était qu’ils étaient encore assez nombreux pour fonctionner comme un clan à part entière, et qu’ils contrôlaient une large étendue de territoire dans l’ouest de Miðgarðr. Ils étaient toujours une nation ennemie.

En l’espace de moins d’un an, le Clan de la Panthère était passé d’un simple clan nomade parmi tant d’autres à Miðgarðr à la plus grande superficie de tous les clans d’Yggdrasil. Tout cela était dû à l’incroyable habileté de leur cavalerie armée d’élite. Leur nombre total avait peut-être été réduit, mais les cavaliers qui restaient constituaient certainement une menace redoutable en tant qu’ennemis.

Ils ne pouvaient pas être sous-estimés.

« Tuez le traître Lágastaf ! »

« Rendez à ces salauds sans honneur la justice qu’ils méritent ! »

« Frappez-les au nom des dieux ! Ils se sont retournés contre Sa Majesté le Þjóðann ! »

Des cris de colère et des malédictions fusaient dans l’air de toutes les directions.

Il s’agissait d’un petit château fort dans la périphérie ouest du territoire du Clan du Blé. Les soldats du Clan du Sabot l’avaient complètement encerclé.

« Mon Dieu, ils sont vraiment pleins d’énergie. »

Dans le hall central de la forteresse était assise une femme d’une beauté captivante qui gloussait pour elle-même comme si elle ne tenait aucun compte de l’air tendu qui enveloppait l’endroit.

C’était le patriarche du Clan du Blé, Lágastaf, la femme même dont les soldats dehors réclamaient le sang.

Le Clan du Blé était autrefois une filiale du Clan du Sabot. Lorsque le patriarche du Clan du Sabot, Yngvi, était mort au combat, ils avaient rapidement fait alliance avec le Clan du Loup de Yuuto, celui qui l’avait tué.

Pour les gens du Clan du Sabot, c’était une trahison du Serment du Calice du Clan du Blé, une offense impardonnable de déloyauté.

Bien sûr, les soldats du Clan du Sabot n’étaient pas là à crier comme ça juste parce qu’ils étaient en colère.

***

Partie 2

Avec la validation d’un motif juste de leur côté, ils criaient pour augmenter leur propre moral au combat et épuiser la volonté de riposte de leur ennemi. Il s’agissait, en fait, d’une tactique standard utilisée lors d’une offensive de siège.

« Donnez-nous Lágastaf ! Donnez-la-nous et nous épargnerons le reste de vos vies ! »

« C’est une sale prostituée qui a ouvert ses jambes à l’ennemi juré de son frère ! »

« Si elle veut tellement un homme, on sera tous très heureux de lui donner ce qu’elle veut ! »

« Hee heh heh, on va jouer avec elle jusqu’à ce qu’elle casse ! »

Les railleries et les cris avaient commencé à devenir de plus en plus vulgaires.

C’était une époque où, après la prise de villes et de villages, il était normal que les soldats envahisseurs pillent à leur guise.

À Yggdrasil, le pillage après une victoire au combat était coutumier, considéré pratiquement comme un droit. De tels actes étaient considérés comme une juste récompense pour les soldats qui avaient risqué leur vie sur le champ de bataille.

La beauté sensuelle de Lágastaf était bien connue même dans le Clan du Sabot, et les soldats à l’extérieur étaient apparemment excités de la prendre comme partie de leur récompense.

« Oh, mon Dieu, je ne peux pas écouter ça plus longtemps. »

Lágastaf avait posé une main sur sa joue et avait souri, sans avoir l’air d’avoir été blessée par ce qu’elle entendait.

C’était une femme qui occupait la position honorable de patriarche, de seigneur d’un clan. Aussi douce qu’elle soit, elle était clairement quelqu’un avec des nerfs extraordinaires.

Et la vue de son incroyable sang-froid la faisait paraître fiable et forte aux yeux des gens qui l’entouraient.

« Votre calme est toujours aussi rassurant, Mère. Même dans une situation aussi grave, vous êtes toujours la même. »

« Je crains que ce ne soit nous, les hommes, qui nous laissions paniquer. J’en ai honte. »

« Oui, nous devons prendre exemple sur vous. »

Fortement impressionnés, les officiers exécutifs du clan avaient tous acquiescé.

Cependant, au fond de son cœur, Lágastaf ne pouvait pas ignorer le désespoir croissant qu’elle ressentait.

Alors qu’elle semblait assez jeune, peut-être dans la vingtaine au plus, elle avait en fait plus de quarante ans.

À Yggdrasil, les normes en matière de santé, de nutrition et de connaissances médicales étaient abyssales par rapport à l’ère moderne. En d’autres termes, Lágastaf était déjà à un âge où il ne serait pas inhabituel qu’elle meure.

De plus, en tant que femme, elle devait faire face à de nombreuses difficultés supplémentaires pour unir et contrôler les hommes du clan.

Elle ne souhaitait rien d’autre que de prendre sa retraite en tant que patriarche et de laisser la position entre les mains d’un successeur, mais son problème était qu’il était pratiquement impossible de trouver un homme capable de répondre aux normes élevées qu’elle avait fixées.

Je sais qu’un homme avec un esprit et une présence aussi dignes que le seigneur Yuuto est incroyablement rare, et je ne serais pas injuste au point de demander la même chose. Mais… si seulement un seul de ces hommes avait la moitié de la grandeur qu’il a en lui…

Son père juré Yuuto avait commencé comme patriarche du Clan du Loup, et le Clan du Loup avait autrefois été un petit clan comme le sien. Et pourtant, le Clan du Loup de Yuuto avait été béni par un assortiment de chefs puissants, intelligents et talentueux. Pourquoi son Clan du Blé était-il si pauvre en talents ?

Lágastaf jeta un autre coup d’œil aux visages de ses officiers, et tout en prenant soin de ne pas les laisser remarquer, elle laissa échapper un petit soupir déçu.

Je me sens mal pour mon défunt mari, mais je me demande si je ne devrais pas simplement demander à Père s’il pourrait m’accorder un peu de sa semence pour avoir un héritier.

Elle savait parfaitement que ce n’était pas le moment, mais alors qu’elle était assise là, elle se surprenait à y réfléchir sérieusement.

Gimlé.

C’était une ville construite près de l’intersection des rivières Körmt et Élivágar.

Ce bassin fluvial fertile s’appelait Iðavöllr, un nom qui signifie « les champs brillants », et c’était l’une des rares régions céréalières d’une telle ampleur dans tout Yggdrasil. Gimlé était déjà prospère depuis longtemps grâce à sa situation géographique, mais depuis qu’elle était devenue la capitale du Clan de l’Acier, une nation qui se développait à un rythme effréné, la ville avait vu son trafic augmenter et s’épanouir comme jamais auparavant.

De longues files d’attente s’étendaient depuis les portes d’entrée du mur extérieur, avec des marchands et des voyageurs attendant d’entrer dans la ville, et l’artère principale était bordée d’étals vendant toutes sortes de marchandises, si serrés qu’il n’y avait plus d’espace entre eux.

En effet, les rues de la capitale du Clan de l’Acier débordaient d’énergie et de vie — en revanche, les visages des plus hauts responsables administratifs du clan actuellement réunis au cœur de la ville étaient tous plutôt sombres.

« Père m’avait expliqué les choses au préalable, et je pensais donc m’être préparé à affronter cette situation, mais le fait de voir les choses se dérouler réellement de cette manière reste un choc… »

Jörgen avait poussé un soupir de détresse en regardant le contenu des trois messages qu’il tenait dans ses mains.

C’était un homme au visage incroyablement féroce, avec des cicatrices sur la joue et en travers d’un sourcil, et il avait le genre de présence imposante et intimidante qui ferait fuir de peur le voyou moyen de la rue.

Il avait aussi le rang qui correspondait à cette apparence : il était le patriarche du Clan du Loup, le clan largement considéré comme la famille la plus distinguée du Clan de l’Acier. De plus, il était l’assistant du commandant en second du Clan de l’Acier, le troisième membre le plus haut placé dans l’administration du clan.

En face de Jörgen, Linéa fronça les sourcils. « Oui, et la situation dans toutes ces régions est pire que ce que nous avions prévu. C’est peut-être la preuve que nos ennemis nous considèrent comme une menace, qu’ils mettent toutes leurs ressources dans le combat pour ne pas gâcher cette opportunité. »

L’apparence de Linéa donnait l’impression qu’elle n’était rien d’autre qu’une adorable petite fille, mais elle était en fait la supérieure de Jörgen, le commandant en second du Clan de l’Acier.

Du point de vue de Jörgen, la fille était pratiquement une enfant en ce qui concerne son âge, mais il ne se permettait pas de la sous-estimer le moins du monde à cause de son apparence.

D’une part, il n’avait pas l’intention de mettre en doute le jugement de Yuuto, qui l’avait spécifiquement choisie pour ce poste, et d’autre part, il avait vu de ses propres yeux comment elle avait géré personnellement toutes les affaires administratives d’une grande nation comme le Clan de l’Acier, et il reconnaissait pleinement son incroyable perspicacité.

« Avons-nous pris des mesures pour informer Père ? » demanda Jörgen.

« J’ai déjà fait faire des copies de ces documents et je les ai envoyés à cheval », avait répondu Linéa. « Nous avons également fait construire des postes provisoires de base le long de la route de Gashina. Les rapports devraient arriver entre aujourd’hui et demain. »

« C’est un travail rapide. » Les lèvres de Jörgen s’étaient retroussées en un sourire.

Jusqu’à il y a quelques jours, le Fort Gashina et ses environs étaient le territoire du Clan de la Foudre, et il était donc impossible d’y envoyer des informations par pigeon voyageur. La raison en est que le système de pigeons voyageurs utilisait l’instinct de retour des oiseaux pour les envoyer à leur destination, et le Clan de l’Acier n’avait pas encore de pigeons provenant d’un poulailler installé à Fort Gashina.

Cela signifiait qu’envoyer un messager à cheval était la meilleure option restante, mais les chevaux étaient aussi des créatures vivantes, et ne pouvaient pas supporter d’être forcés à courir continuellement sur de grandes distances.

La solution consistait à placer des postes à intervalles fixes le long d’un itinéraire — en d’autres termes, il fallait que des chevaux de remplacement soient prêts et attendent à chacun de ces postes. De cette façon, les informations pouvaient être envoyées par messager à cheval rapidement sur de longues distances. C’est ce qu’on appelle le système des postes.

Yuuto avait eu l’idée de mettre en place ce système sur tout le territoire du Clan de l’Acier en prévision d’urgences comme celle qui se produisait actuellement, et actuellement la plupart des routes entre les principales villes du Clan de l’Acier étaient reliées par des postes. Cependant, ce fut une surprise pour Jörgen d’entendre que des postes avaient déjà été installés pour les relier à Gashina, une région qu’ils avaient capturée il y a seulement quelques jours.

« Le temps est essentiel en ce moment, » dit Linéa. « Plus tôt nous transmettrons cette information à Père, plus de vies supplémentaires pourront être sauvées. »

« En effet, c’est exactement comme vous le dites. » Jörgen avait hoché la tête profondément, avec une expression humble et révérencieuse. « Père est après tout un dieu de la guerre réincarné. Je n’ai aucun doute que même cette crise sans précédent est quelque chose qu’il sera capable d’écarter. »

Yuuto était déjà apparenté à un être divin aux yeux de Jörgen. Il croyait vraiment que le jeune homme avait été envoyé par la déesse Angrboða pour sauver son peuple.

« Oui, » dit Linéa, « j’en suis aussi certaine… Cependant, si nous laissons à Père le soin de tout résoudre, alors à quoi bon nous accorder ces postes extrêmement honorables et de haut rang ? »

« Ha ha ha, c’est vrai. Il faudra au moins quatre jours de plus pour que Père retourne à Gimlé. Nous devrions faire tout ce que nous pouvons pendant ce temps. »

« Oui, et j’apprécierais beaucoup si vous pouviez m’instruire de manière appropriée. »

« Pardon ? » Jörgen avait froncé les sourcils en trouvant ça suspect.

Cette remarque lui avait paru étrange. Si l’on prend comme exemple la discussion précédente sur les postes de relais provisoires, la compétence de cette fille était claire comme le jour. Quel besoin aurait-elle pour qu’il lui apprenne quoi que ce soit à ce stade ?

« Jörgen, j’ai entendu les histoires des nombreuses fois où vous avez dirigé des troupes sur le champ de bataille dans votre jeunesse. Jusqu’au retour de Père à la capitale, je suis commandante en chef de l’armée du Clan de l’Acier à sa place, mais à ma grande honte, je dois admettre que je n’ai aucune confiance en moi lorsqu’il s’agit de stratégie sur le champ de bataille. »

Pendant une seconde, Jörgen n’avait pas compris ce qu’il venait d’entendre. Une fois qu’il l’avait fait, il n’avait pas pu retenir un rire. « … Pffhaha, c’est une sacrée chose à dire à haute voix ! »

La relation entre la commandante en second d’un clan et le commandant en second adjoint n’était pas simple.

En tant que membres de deuxième et troisième rangs de l’administration d’une nation, ils étaient des rivaux politiques pour le poste de successeur du patriarche, et la lutte pour le pouvoir dans les coulisses était une histoire commune dans de nombreux clans.

Bien sûr, Jörgen n’était pas aussi ambitieux que la plupart des gens à cet égard — d’une part, en raison de son âge, il était presque certain qu’il allait mourir bien avant Yuuto — mais il avait toujours un certain désir pour le poste de commandant en second, car il lui accordait également l’honneur d’être l’« aîné » du père juré qu’il aimait et respectait.

Montrer sa faiblesse devant lui ne pouvait pas être considéré comme un geste sage de la part de Linéa.

Mais Linéa avait été élevée avec une éducation à la politique et au leadership dès son plus jeune âge. Il n’y avait aucun moyen pour elle d’ignorer la dynamique désordonnée qui accompagne leurs positions.

En d’autres termes, il pouvait supposer que Linéa savait parfaitement à quel point il était insensé de lui montrer des faiblesses, mais elle avait quand même choisi de le faire pour demander son expertise.

***

Partie 3

Plus que probablement — non, sans aucun doute — c’était parce qu’elle voulait prendre les meilleures décisions pour le bien du Clan de l’Acier, et qu’elle faisait passer cela avant toute autre chose.

Hahah, je ne suis pas de taille contre elle, se dit Jörgen. Il venait de voir la preuve de la différence de leur caractère… et une partie de lui trouvait cela rafraîchissant.

Yuuto et Linéa étaient tous deux encore si jeunes, seulement adolescents.

Plus que toute jalousie, le sentiment le plus fort dans le cœur de Jörgen était de loin celui du soulagement. Il savait qu’il pouvait leur confier l’avenir du Clan de l’Acier.

Pendant que Jörgen réfléchissait à ces émotions, Linéa continua. « … Pour commencer, je pensais que je devrais envoyer immédiatement les forces du Clan de la Corne en attente sur les territoires du Clan de la Panthère et du Clan du Blé. Y a-t-il des problèmes avec ce choix de stratégie ?? »

Jörgen ne pouvait pas trouver de défauts significatifs, du moins.

En fait, s’il était obligé de la critiquer d’une manière ou d’une autre, il pourrait dire qu’elle était peut-être trop exempte de problèmes, trop prévisible et sûre, mais c’était le point fort de Linéa en un sens.

Yuuto était du genre à avoir des idées incroyables qui allaient au-delà du bon sens, et donc quelqu’un comme elle était sûrement le meilleur type de personne pour le soutenir.

« Je crois que ce serait un bon plan. Je suis sûr qu’ils attendent de recevoir des renforts aussi vite que nous pouvons les envoyer. »

« Très bien, dans ce cas… »

« J’ai un peu de mal avec ça. » Alors que Linéa et Jörgen semblaient être parvenus à un consensus, une troisième voix s’était fait entendre depuis la direction du mur voisin.

« Ngh… » Le visage de Jörgen se tordit dans une manifestation évidente de dégoût, et il se tourna pour fixer l’homme appuyé contre le mur — un homme portant un masque noir qui cachait la moitié supérieure de son visage, ce qui lui donnait une apparence suspecte.

« Quel est le problème, oncle Hveðrungr ? » demanda Linéa, sans mauvaise volonté apparente dans sa question.

Hveðrungr était l’ancien patriarche de l’ancien Clan de la Panthère, un homme qui avait pris le contrôle de la tribu des nomades du nord et transformé leur clan en une puissante nation conquérante sous son règne. Et, après avoir été vaincu par Yuuto lors la guerre, il faisait maintenant partie du Clan de l’Acier, le jeune frère juré de Yuuto et le commandant du Régiment de Cavalerie Indépendant.

Cependant, chaque fois que Jörgen regardait Hveðrungr, il ne pouvait s’empêcher de penser à un certain autre homme.

L’homme qui, il y a des années, avait servi de commandant en second du Clan du Loup, bénéficiant de la confiance et du respect de tous, pour ensuite se perdre dans la jalousie alors que Yuuto gravissait rapidement les échelons. L’homme qui, au final, avait tué son propre père juré, l’ancien patriarche du Clan du Loup, Fárbauti, un crime qui ne pourra jamais être pardonné.

« Y a-t-il quelque chose d’inadéquat dans ma stratégie telle qu’elle est actuellement ? » demanda Linéa.

« Oh, je ne dirais pas inadéquat, exactement, juste que peut-être vous n’avez pas besoin de diviser vos forces en premier lieu. »

Hveðrungr avait parlé d’un ton agréable et facile à vivre.

C’était l’homme qui avait supervisé un massacre total dans la capitale du Clan du Sabot, Nóatún, et dirigé une stratégie de terre brûlée sur son propre territoire capturé lorsque le Clan de l’Acier l’avait envahi. Il était tristement célèbre pour sa violence et sa cruauté, et sa conquête avait laissé les peuples de l’ouest d’Yggdrasil ébranlés. Sans parler de son apparence suspecte. Sa nonchalance était un peu rebutante par contraste. Cependant, en même temps, elle était très familière pour Jörgen.

Il ressemble vraiment à Loptr…

C’était difficile de dire que c’était juste une ressemblance fortuite. Il y avait trop de similitudes.

Pourtant, Yuuto avait prêté le serment du calice de la fratrie avec cet homme. Jörgen ne pouvait pas simplement sortir et lui demander s’il était le tueur de la famille qui avait fui le Clan du Loup.

Il avait besoin de preuves plus solides d’abord.

« Le patriarche du Clan de la Panthère, Skáviðr, est l’un des plus grands commandants vétérans du Clan de l’Acier, » poursuit Hveðrungr. « En particulier, il excelle dans les combats défensifs. De plus, il a des wagons blindés prêts à être utilisés pour la tactique du mur de wagons. Même si vous ne lui envoyez aucun renfort, je doute que l’ennemi ait la moindre chance de le briser. »

« Hm. »

« D’un autre côté, le Clan du Blé est plus petit et plus faible. Je n’ai pas non plus entendu parler de généraux particulièrement talentueux dans leurs rangs. Comme je le vois, si nous ne donnons pas la priorité à un soutien adéquat, il y a de fortes chances qu’ils soient vaincus et que leur territoire nous soit confisqué. De plus, du point de vue stratégique du Clan de l’Acier, le territoire du clan du Blé fait partie de notre grenier à blé, tandis que le territoire du Clan de la Panthère vient à peine de commencer à se reconstruire et à se remettre de la dernière guerre. Je dirais qu’il est clair quand auquel des deux nous porterait un coup plus dur s’il était capturé, n’est-ce pas ? »

« Hmm… » Linéa fronça les sourcils.

Selon l’évaluation de Jörgen, Linéa était semblable à Yuuto dans le sens où elle était une personne gentille. Trop gentille, en fait, pour quelqu’un en charge de diriger un clan.

De nombreuses personnes sur le territoire du Clan de la Panthère avaient perdu leurs maisons et leurs moyens de subsistance lors de la dernière guerre, et elle n’avait sûrement pas envie de prendre une décision qui permettrait d’ajouter encore plus de misère à la souffrance que ces personnes avaient déjà endurée.

Cependant, il faut parfois sacrifier les besoins de quelques-uns pour le bien de tous. Cela faisait partie des responsabilités de celui qui dirigeait un clan en tant que patriarche.

La région du nord-ouest d’Álfheimr actuellement attaquée par les restes de l’ancien Clan de la Panthère était une large bande de terre en termes de taille, mais elle était éloignée des principaux fleuves et n’offrait pas beaucoup de promesses pour la production de nourriture.

Si l’on considère chaque option en tenant compte uniquement des gains ou des pertes possibles du Clan de l’Acier, l’évaluation de Hveðrungr était correcte, et leur priorité évidente devrait être d’aider le Clan du Blé.

Et, quelle que soit la gentillesse de Linéa, elle n’était pas le genre de leader qui laisserait un sentiment lui faire prendre une mauvaise décision.

« … Très bien. Je vais envoyer toutes les troupes du Clan de la Corne pour aider le Clan du Blé. Êtes-vous d’accord avec cela aussi, Jörgen ? »

« Oui, je le suis. Je dirais que c’est notre meilleur plan d’action pour le moment. »

Jörgen n’avait aucun problème avec la décision elle-même.

Il y avait cependant un autre point qui le dérangeait.

« Au fait, oncle Hveðrungr. J’ai été surpris que vous en sachiez autant sur les compétences de Frère Ská en matière de guerre défensive. »

Essayant de masquer sa remarque comme n’étant rien de plus qu’une conversation normale, Jörgen avait essayé de tirer le fil.

Cet homme n’avait soi-disant affronté Skáviðr que deux fois, d’abord à la bataille de Náströnd, puis lors de la dernière campagne du Clan de l’Acier pour vaincre l’ancien Clan de la Panthère.

Comment pouvait-il savoir que Skáviðr était un maître de la guerre défensive à partir de ces deux seules batailles ?

Hveðrungr avait répondu par un rire joyeux. « C’était le général chargé de défendre Myrkviðr, n’est-ce pas ? Lorsque mes forces ont essayé de l’attirer hors de la ville, il n’a jamais mordu à l’hameçon, mais il semblait toujours faire ce qui était nécessaire pour maintenir la défense de la ville. Il était la pire sorte d’ennemi que nous pouvions affronter. »

Il n’avait pas l’air d’avoir été effrayé par la question.

Bien sûr, s’il était vraiment Loptr, une simple question comme celle-ci n’aurait pas non plus suffi à le faire déraper. Ce n’était pas un homme facile à manipuler.

« Dans tous les cas, cela signifie que le Clan de la Panthère et le Clan du Blé sont couverts pour le moment, mais le problème restant est le Clan du Frêne. »

Hveðrungr avait changé de sujet en douceur.

Bien que, en vérité, Jörgen les avait initialement éloignés du sujet avec sa question soudaine, et Hveðrungr les ramenait sur le sujet, donc ses actions n’étaient pas particulièrement inhabituelles dans ce cas.

Jörgen hocha à contrecœur la tête en signe de reconnaissance et laissa la discussion se poursuivre. Le fait est que ce n’était pas le moment de gaspiller ses pensées sur autre chose.

« C’est vrai, » dit Linéa. « J’ai l’intention de demander au Clan de la Griffe, tout proche, d’envoyer des troupes pour les renforcer, mais même dans ce cas, je ne suis pas sûre qu’ils puissent tenir jusqu’à l’arrivée de la force principale. »

La planification du Clan de l’Acier avait prévu l’invasion du Clan de l’Épée, mais la participation supplémentaire des Clans de la Lance et du Heaume était inattendue.

Le nombre de troupes qu’ils avaient — trente mille — était scandaleux, assez pour faire tourner la tête de Jörgen.

Auparavant, l’ancien Clan de la Panthère et le Clan de la Foudre avaient uni leurs forces pour attaquer le Clan du Loup, et à l’époque, leur nombre avait poussé le Clan du Loup au bord du gouffre, mais même à ce moment-là, ils étaient moins de vingt mille.

Et cette fois, en plus de l’invasion massive venant de l’est, il y avait les restes de l’ancien Clan de la Panthère qui attaquaient par le nord et le Clan du Sabot qui attaquait par l’ouest, obligeant le Clan de l’Acier à diviser ses forces afin de répondre.

Le Clan de l’Acier avait tellement plus de force économique et militaire que le seul Clan du Loup à cette époque, mais même là, en additionnant simplement les chiffres, c’était une crise encore plus désespérée.

« J’ai l’intention de prendre le régiment de cavalerie indépendant et de leur venir en aide. Les tactiques d’attaque et de repli de ma cavalerie sont difficiles à contrer pour quelqu’un qui n’y a jamais été confronté. Cela devrait nous permettre de gagner du temps. »

« … Oui. » Il y avait un léger retard dans la réponse de Jörgen, né de la méfiance.

Jörgen s’occupait des affaires administratives pendant les guerres avec l’ancien Clan de la Panthère, et il ne les avait donc pas vus au combat de ses propres yeux, mais il avait entendu de nombreuses histoires sur l’horreur de leur cavalerie en tant qu’ennemi.

Ainsi, ils feraient les meilleurs atouts en tant qu’alliés.

***

Partie 4

Une force de trois mille de ces cavaliers nomades était mieux que ce qu’il pouvait espérer en termes de renforts… et pourtant, il ne pouvait toujours pas se défaire de ses soupçons que cet homme pourrait en fait être Loptr.

« Erm… Je comprends que cela va être impoli de ma part, mais pourriez-vous envisager de m’accorder une requête ? »

« Hm ? »

Jörgen avait renforcé sa résolution et avait fait son choix. « Seriez-vous prêt à me montrer le visage sous ce masque ? Je m’excuse de demander, mais nous sommes alliés dans la guerre, et je ne peux pas confier ma vie à quelqu’un dont je ne connais même pas le visage. »

Sur le champ de bataille, la peur de la mort était un ennemi de plus qu’il fallait combattre sans relâche.

Il y avait déjà l’énorme pression qui provenait de leur énorme désavantage numérique. S’il devait gérer la peur de la trahison en plus de cela, son cœur ne pourrait pas le supporter.

La question de Jörgen impliquait une question de vie ou de mort, mais…

« Alors vous n’avez tout simplement pas besoin de me confier votre vie, oui ? »

Hveðrungr l’avait sèchement rejeté.

 

 

« Avez-vous une grande blessure que vous cachez ? Je suis un vétéran de nombreuses batailles, vous savez. J’ai vu ma part d’horribles blessures dues au combat et à la torture. Je peux au moins vous promettre que je ne vous regarderai pas bizarrement. Pourriez-vous me montrer votre visage ? »

« Il ne s’agit pas vraiment de ce que vous promettez… » Hveðrungr s’était gratté l’arrière de la tête d’une main, comme s’il était un peu agacé par la difficulté de traiter avec lui.

Son discours et son langage corporel étaient dépourvus de toute sincérité réelle, presque comme s’il considérait les autres comme des êtres inférieurs. Cette sorte de désinvolture dans toutes ses manières correspondait, encore une fois, à l’homme dans les souvenirs de Jörgen.

En fait, tout ce qui s’était passé jusqu’à présent n’avait fait que renforcer les soupçons de Jörgen.

« Même après vous avoir autant supplié, vous ne pouvez toujours pas ? »

« Hmm, voyons voir. Si vous voulez vraiment voir mon visage, alors voyez ça avec Grand Frère. S’il m’ordonne de vous le montrer, j’y réfléchirai. »

La seule personne que Hveðrungr pouvait appeler « Grand Frère » était Yuuto.

En d’autres termes, il disait que sans un ordre direct du réginarque, il n’allait pas enlever son masque pour qui que ce soit.

C’est à ce moment que Jörgen avait eu une réalisation soudaine.

Yuuto avait été prêt à prêter directement le serment du calice de la fratrie avec cet homme. Il était difficile d’imaginer que Yuuto ne savait pas qui il était vraiment.

« … Alors, Père sait-il à quoi ressemble votre visage ? »

« Oh, je pense qu’il le sait. »

« Kh… ! » La réponse immédiate de Hveðrungr était révélatrice, et Jörgen répondit par un grognement sans mot.

Yuuto était complice de cette affaire.

Je pensais m’être habitué aux actions téméraires que Père aime souvent entreprendre, mais celle-ci doit être la plus téméraire de toutes.

Les implications de cette situation donnaient mal à la tête de Jörgen. Il baissa le visage et massa ses doigts contre ses tempes.

Les questions relatives au Calice étaient centrales dans la société clanique d’Yggdrasil, et tuer son parent juré était l’un des plus grands actes de péché. Yuuto avait choisi d’ignorer ce crime et, de plus, avait accordé à son auteur une nomination à un poste clé du pouvoir. C’était un énorme écart par rapport aux normes acceptées.

Il n’en reste pas moins vrai que notre situation actuelle ne nous permet pas de faire la fine bouche avec nos ressources. En ce moment, le Clan de l’Acier n’a pas besoin de gens au cœur pur et aux mains propres. C’est de gens avec du pouvoir et des compétences.

L’habileté de cet homme à l’épée était égale à celle de Sigrún et Skáviðr, les deux plus grands combattants du Clan de l’Acier. Quant à ses capacités de commandant, il avait fait passer sous son règne le Clan de la Panthère de simple clan mineur dans les steppes de Miðgarðr à l’une des nations les plus fortes d’Yggdrasil. Ses réalisations exceptionnelles en tant que leader n’avaient d’égal que celles de Yuuto.

Le Clan de l’Acier étant entouré d’ennemis, il était exactement le genre de talent qu’ils voulaient absolument avoir à leurs côtés.

« Hrrgh… » Jörgen poussa un long soupir et jeta un regard noir à Hveðrungr. « Si c’est comme ça, alors je n’ai plus rien à dire sur le sujet, » s’exclama-t-il amèrement.

L’ancien patriarche du Clan du Loup que Loptr avait assassiné, Fárbauti, avait été le premier père juré de Jörgen, et quelqu’un avec qui il avait partagé les joies et les peines de presque vingt ans.

C’était quelqu’un que Jörgen avait admiré avec respect, adoration et beaucoup de gratitude.

Et maintenant, son assassin se tenait juste ici, et Jörgen devait le laisser partir impunément. Rien ne pouvait être plus frustrant pour lui, même s’il savait pourquoi il devait réfréner la main.

« … En fait, il y a une chose que je dois vous dire. Si vous visitez Iárnviðr, je vous conseille de ne pas y rester trop longtemps. Je ne peux pas garantir votre sécurité là-bas. »

« Héhé. J’ai compris. » Avec un sourire en coin, Hveðrungr avait hoché la tête.

Cette réponse intrépide et insolente était suffisante pour faire tressaillir d’irritation les tempes de Jörgen. Jörgen avait serré les poings, incapable de supprimer complètement sa colère.

« Je dois m’occuper de la préparation des troupes, je vais donc prendre congé. » Avec ces quelques mots d’adieu, Jörgen avait rapidement quitté la pièce, l’indignation inexprimée se lisant sur son visage.

Linéa regarda Jörgen partir, la colère s’échappant de lui dans ses pas lourds et son langage corporel grossier. Une fois qu’il était parti, elle s’était tournée vers Hveðrungr.

« Y a-t-il une sorte de rancune personnelle entre vous et Jörgen ? » avait-elle demandé.

Le Jörgen que Linéa connaissait était un homme dont l’allure farouche cachait une personnalité aimable et sincère, et une affinité pour prendre soin des autres.

Elle ne l’avait vu exprimer ouvertement ce genre de colère qu’une seule fois auparavant : lorsqu’elle avait abordé le sujet de Botvid, le patriarche du Clan de la Griffe. Cependant, il avait semblé cette fois-ci encore plus furieux qu’à l’époque.

Jörgen et Hveðrungr étaient sur le point d’aller à la guerre ensemble, luttant contre la force d’invasion de l’Alliance des Clan Anti-Acier de trente mille personnes attaquant de l’est. Elle avait de bonnes raisons d’être anxieuse et de se demander si tout irait bien pour eux.

« Heh heh, on dirait qu’il m’a confondu avec quelqu’un d’autre, » dit Hveðrungr, jouant les idiots d’une manière si évidente que c’en était presque insultant.

Son obscurcissement plutôt éhonté était particulièrement approprié pour un homme qui cachait son visage derrière un masque de fer.

Cependant, après qu’il ait fait un tel démenti direct, il y avait peu de choses que Linéa pouvait faire pour l’interroger davantage.

Linéa laissa échapper un petit soupir. « Très bien, alors. Cependant, faites de votre mieux pour vous entendre avec lui. Je vous demande de ne pas oublier que c’est un moment critique pour nous. »

Elle décida qu’il valait mieux laisser l’affaire de côté pour l’instant. Sans comprendre exactement ce qui se passait entre eux, mettre son nez au milieu de tout ça ne ferait que les exaspérer davantage, et elle ne pouvait pas prendre ce risque.

« Vous devriez peut-être dire cela à Jörgen, » dit Hveðrungr, ses lèvres se retroussant en un sourire sarcastique. « Maintenant, je vais aussi y aller. » Il se retourna et quitta la pièce.

Linéa avait attendu qu’il soit parti, puis elle avait secoué la tête et elle s’était dit à voix haute : « Je suppose que je n’ai pas d’autre choix que d’interroger Père à ce sujet plus tard. Franchement, cet homme… »

Elle lui avait déjà dit et répété qu’il devait être ouvert avec elle, son second, sur tout ce qui se passait d’important, que ce soit politique ou personnel. Pourtant, il y avait un secret de plus qui n’attendait que d’exploser violemment comme une de ces bombes tetsuhau.

En raison de sa position, Linéa serait la personne responsable de la plus grande partie du travail nécessaire pour gérer les retombées de ce genre de choses.

« Je vais devoir m’assurer qu’il me donne beaucoup d’attention plus tard pour compenser. Ce n’est que justice, » dit-elle en hochant la tête.

Dans le Clan de la Corne, son Chef des Subordonnés, Rasmus, était ce qu’elle avait de plus proche d’une figure paternelle après la mort de son père biologique… mais Rasmus était déjà très vieux. Il ne lui restait plus beaucoup d’années, et Linéa voulait pouvoir lui faire le cadeau de voir ses enfants.

Plus encore, elle voulait avoir les enfants de l’homme qu’elle aimait.

Elle se serait retenue et aurait mis ces désirs de côté si Mitsuki, la femme de Yuuto, était toujours sans enfant, mais elle était déjà enceinte, donc il n’y avait pas de problème.

« Bien que, je suppose que dans ces circonstances, je ne devrais pas penser à de telles choses. »

Après quelques instants de réflexion, elle s’était levée, s’était approchée de la fenêtre et avait regardé dehors.

Même en regardant la ville comme ça, on pouvait sentir son énergie, sa prospérité.

Elle était florissante à une échelle incomparable à ce qu’elle était il y a seulement deux ans.

Et c’était effrayant.

Comme pour la ville de Gimlé, le Clan de l’Acier s’était développé à une vitesse fulgurante — et il était devenu trop grand, trop vite.

Lorsque des personnes issues de cultures différentes et possédant des valeurs fondamentales différentes se rencontraient, il leur fallait un certain temps avant d’apprendre à vivre ensemble dans une relative harmonie.

En ce moment, les personnes de pas moins de sept clans différents se mélangeaient chaotiquement en tant que Clan de l’Acier, et les résultats pouvaient difficilement être appelés unité.

Même un homme chaleureux et amical comme Jörgen gardait son inimitié pour le patriarche du Clan de la Griffe, Botvid, et le commandant du régiment de cavalerie indépendant, Hveðrungr.

Il y avait sûrement beaucoup d’autres problèmes de ce genre qui se cachent juste sous la surface.

Linéa savait que s’inquiéter trop était une mauvaise habitude pour elle, mais elle sentait le malaise monter lentement en elle.

Le régiment de cavalerie indépendant avait son quartier général principal sur un haut plateau herbeux, à environ une heure de route au sud-est de Gimlé.

Actuellement, Gimlé connaissait toujours un afflux important et régulier de nouveaux résidents, et avec l’augmentation de la population, il n’était tout simplement pas possible de prendre les dispositions nécessaires pour disposer des installations appropriées pour accueillir trois mille cavaliers et leurs chevaux.

De plus, le plateau était, logiquement, un choix plus approprié pour leur quartier général en ce qui concerne l’approvisionnement en nourriture, les exercices et l’entraînement des chevaux.

Comparé aux plaines près de la rivière, plus près de Gimlé, le plateau était beaucoup plus froid et l’air beaucoup plus réduit, mais pour ces hommes qui avaient grandi comme des nomades dans les steppes de Miðgarðr, ce n’était pas un problème.

***

Partie 5

Le climat se rapprochait plutôt de celui de leur pays d’origine et nombre d’entre eux s’y sentent plus à l’aise et chez eux que dans une ville.

« Bienvenue, Père. »

Lorsque Hveðrungr était entré dans la base, il avait été accueilli par un jeune homme aux traits nets et nobles, une rareté parmi les visages sauvages et couverts de blessures des nomades du Nord.

« Ah, Narfi, comment se passent les préparatifs de départ ? » Hveðrungr ne perdit pas de temps, posant la question sans même descendre de sa monture.

Narfi était un Einherjar portant la rune Skinfaxi, la crinière brillante, et il avait été le général de confiance et le confident de Hveðrungr depuis l’époque où Hveðrungr était le patriarche du Clan de la Panthère.

Narfi avait été capturé pendant la campagne du Clan de l’Acier contre le Clan de la Panthère, et avait ensuite passé un certain temps en prison. Cependant, tout comme cela avait été le cas pour Hveðrungr, Narfi avait été gracié et libéré dans le cadre de la commémoration du mariage du réginarque Yuuto.

Après cela, il avait été choisi comme vice-commandant du nouveau régiment de cavalerie indépendant, et c’est ainsi qu’il s’était retrouvé ici.

« Nous sommes entièrement préparés et prêts à partir, monsieur. Nous pouvons nous mobiliser à n’importe quel moment. Mais si je peux me permettre, qui sont ces gens derrière vous ? »

Le regard de Narfi s’était porté sur les cavaliers armés alignés derrière Hveðrungr.

Ils étaient à cheval, mais leurs vêtements et leur comportement étaient clairement très différents de ceux des nomades qui composaient le régiment.

« Ah, c’est vrai. Il semblerait que certains membres des forces spéciales de Múspell soient si généreux qu’ils se donnent la peine de me servir d’escorte et de garde personnelle. »

Hveðrungr avait haussé les épaules d’un air affecté.

Bien sûr, il n’y avait aucune chance qu’ils soient juste là pour monter la garde. Ils étaient là pour le surveiller.

Ils observeraient de près tout ce qu’il ferait, attendant qu’il fasse le moindre geste ou donne le moindre ordre qui leur semblerait suspect.

C’était un peu ennuyeux de les avoir dans le coin, mais vu ce qu’il avait fait dans le passé, il comprenait que c’était quelque chose qu’ils devaient faire.

Si Yuuto avait été assez naïf pour l’envoyer sans que personne ne le surveille, Hveðrungr aurait été plutôt déçu.

« Cependant, c’est une situation assez épineuse », avait-il dit, laissant échapper un petit rire ironique.

L’incident avec Jörgen plus tôt était révélateur. La route allait être longue et difficile pour essayer de gagner la confiance des autres membres du clan.

Bien sûr, ce n’est pas comme s’il avait commencé à se soucier de ce que les autres pensaient de lui. Cependant, il ne souhaitait rien de plus que de se débarrasser de la position plutôt étouffante dans laquelle il se trouvait à cause de cette méfiance.

« Eh bien, je suppose que c’est une occasion parfaite. Je vais ajouter quelques victoires à mon crédit et améliorer mon futur statut. » Hveðrungr éleva alors la voix, attirant l’attention de ses hommes. « Très bien, alors ! Régiment de cavalerie indépendant, montez et partez ! »

 

***

« Monseigneur, nos hommes sont prêts et en formation ! Nous pouvons partir sur vos ordres ! »

« Je vois, bien. »

Le patriarche du Clan de l’Épée, Fagrahvél, fit un léger signe de tête en réponse au rapport du soldat, puis se retourna pour faire face aux autres personnages autour de la table.

En face et à droite étaient assis le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard, et le second adjoint du Clan de la Lance, Hermóðr, tandis qu’en face et à gauche se trouvaient le patriarche du Clan des Crocs, Sígismund, et le second du Clan du Casque, Ollerus.

Il s’agissait du quartier général de campagne au centre de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier, installé au nord du château de Víðríðr.

Sa construction était très simple — quatre poteaux de bois enfoncés dans la terre, qui soutenait une tente en feutre de laine de mouton — mais elle suffisait à protéger des éléments, et n’importe quel soldat dirait que c’est mieux que rien.

Bien sûr, cela ne signifiait pas nécessairement qu’un soldat de base serait à l’aise dans cet espace.

Toutes les personnes réunies ici en conseil étaient des dirigeants d’une stature incroyable, après tout. Et qui plus est, ils n’étaient pas vraiment ici dans un esprit de fraternité. Chacun d’entre eux était ici pour les intérêts de sa propre nation, et malgré leur alliance, ils faisaient divers mouvements dans les coulisses, se surveillant les uns les autres.

Cet ensemble délicat de relations se reflétait dans l’atmosphère à l’intérieur de cette tente. Il y avait une tension lourde, presque douloureuse, comme si la violence pouvait éclater à tout moment.

« Le… ah… » Le soldat s’était tu et avait commencé à se figer, apparemment submergé par la pression intense provenant des personnes autour de la table.

Fagrahvél s’adressa à lui d’une voix douce. « Qu’en est-il des soldats de l’ennemi ? Comment vous ont-ils paru ? »

Cela avait semblé réveiller le soldat et lui rappeler son devoir, et il avait dûment repris son rapport. « L’ennemi semble être bien préparé pour une défense prolongée en siège, mon seigneur. D’après mon évaluation, leurs soldats semblent également avoir un moral élevé. »

« Eh bien, surprenant, » dit Fagrahvél, les yeux légèrement rétrécis, avec un ton de voix qui était clairement impressionné. « Ils gardent donc le moral malgré le fait qu’ils connaissent sûrement la situation dans laquelle ils se trouvent. »

Les espions que Fagrahvél avait envoyés à l’avance étaient revenus avec des estimations approximatives selon lesquelles le château de Dauwe abritait un peu plus de trois mille soldats, certainement loin de quatre mille, même selon les estimations les plus élevées.

Les soldats du château de Dauwe étaient donc confrontés à une armée d’attaque presque dix fois plus nombreuse qu’eux. Maintenir le moral dans une situation aussi désespérée serait incroyablement difficile, voire impossible.

En temps normal, de telles chances écraseraient la volonté de se battre, et il ne serait pas inhabituel pour certains soldats de défier les ordres et de se rendre.

« Il semblerait que les rumeurs soient vraies, et que le commandant de la forteresse soit un général très compétent, » dit Fagrahvél. « Il est digne de son poste dans une forteresse d’une telle importance stratégique. »

Fagrahvél n’avait fait que parler franchement, restant fidèle à une politique personnelle consistant à traiter les personnes talentueuses et compétentes avec le respect qui leur est dû, qu’elles soient alliées ou ennemies.

« Ouais, assez doué pour me faire chier. Maudit soit ce Hrymr ! » Gerhard avait craché les mots avec dégoût.

« Oui, j’ai été obligé de souffrir de la honte un grand nombre de fois à cause de lui. » Sígismund était d’accord, des lignes profondes se dessinant sur son front.

Ces deux-là étaient les patriarches des clans adjacents au Clan du Frêne, et d’après ce qu’on peut voir, ils avaient tous deux combattu contre ce général ennemi et n’en avaient gardé que des souvenirs amers.

Fagrahvél avait une connaissance personnelle de leurs forces en tant que patriarches, car le Clan de l’Épée leur faisait la guerre depuis de nombreuses années. Il n’y avait aucun doute quant à leurs capacités.

Donc, si le général du Clan du Frêne pouvait susciter ces réactions de la part des deux, alors il était certainement un ennemi redoutable.

« Hm. Maintenant que j’y pense un peu plus, son nom m’a déjà été mentionné une fois. »

Fagrahvél avait cherché dans une mer de souvenirs, mais n’avait pu se rappeler aucun détail particulier, juste que le nom de Hrymr lui était familier. Donc, il était juste assez talentueux comme général pour que son nom soit parvenu aux oreilles de Fagrahvél, mais rien de plus.

Techniquement, le Clan de l’Épée partageait aussi une partie de sa frontière avec le Clan du Frêne, mais cela n’aurait pas eu beaucoup d’importance pour le nom de Hrymr. Fagrahvél se concentrait principalement sur les affaires et la politique du centre d’Yggdrasil, et considérait simplement qu’un petit clan comme le Clan du Frêne était peu menaçant. Après tout, il était peu probable qu’ils fassent quelque chose d’aussi insensé que d’attaquer une nation puissante comme le Clan de l’Épée et de s’attirer sa colère.

« Quelle sorte d’homme est Hrymr ? » demanda Fagrahvél sans ambages, en s’adressant aux deux patriarches. « J’aimerais avoir des détails plus concrets sur ce qu’il est en tant que général. »

La guerre, en particulier la guerre de siège à long terme, s’apparentait souvent à une bataille psychologique.

Chaque commandant avait des forces et des faiblesses particulières, ou des tactiques qu’il préférait ou évitait, et le fait de connaître ces éléments sur l’ennemi pouvait modifier considérablement la meilleure stratégie à adopter.

Ces deux hommes avaient en fait combattu contre Hrymr, et Fagrahvél avait donc toutes les raisons de leur demander ce qu’ils savaient.

« Bien sûr, » répondit Gerhard. « Je sais que je me répète, mais c’est une vraie plaie à combattre. À part ça, je ne sais pas grand-chose. » Gerhard avait affaissé ses épaules.

« Vous ne savez pas ? » répéta Fagrahvél.

« Ouais. Ou plutôt, je ne le comprends pas vraiment. Si je devais l’exprimer en mots, c’est comme si son style était qu’il n’a pas de style particulier. Il est compétent à la fois en combat offensif et défensif, donc il n’y a rien à exploiter. Il peut commencer par essayer d’attaquer vos flancs et vos points faibles, puis passer à une attaque frontale énergique juste après. Selon les circonstances, il passe à volonté de tactiques fondamentales et fiables à des tactiques nouvelles, mais risquées. »

« Je vois, » dit Fagrahvél avec un sourire en coin. « C’est certainement une douleur à combattre. »

Les gens avaient une tendance naturelle à essayer de reproduire leurs succès passés en s’appuyant sur les mêmes méthodes qu’ils avaient utilisées auparavant. Et donc, ils répètaient leurs stratégies gagnantes sur le champ de bataille.

Aussi redoutable que soit la stratégie d’un ennemi, savoir exactement ce qui se prépare permet de concevoir un certain nombre de contre-stratégies. Cependant, il semblerait que l’adversaire de Fagrahvél était cette fois-ci une exception à cette règle particulière.

Il n’y avait aucun moyen de savoir à l’avance ce qu’il pourrait essayer, mais il était au moins certain que, quelle que soit la stratégie qu’il déciderait d’utiliser, elle serait exécutée avec une grande compétence.

Il allait être un ennemi difficile, en effet.

Fagrahvél posa les deux coudes sur la table et resta un moment pensif, le visage partiellement caché derrière les mains jointes, puis, enfin, murmura à voix basse : « Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps à lambiner ici. »

« Oui, c’est vrai. Si nous prenons trop de temps, et que nous ne pouvons pas capturer leur forteresse avant que leur armée principale n’arrive ici, je pense que même nous pourrions trouver les choses un peu difficiles. »

À côté de Fagrahvél, une voix volage s’était fait entendre, parlant d’une manière inhabituelle et légère qui semblait s’étirer tous les deux mots. Elle était tout à fait déplacée au regard de l’atmosphère tendue qui étouffait cette tente militaire.

La voix appartenait à une femme nommée Bára, l’un des hauts officiers du Clan de l’Épée, proche confidente et bras droit de Fagrahvél. Sa vive intelligence et sa ruse étaient connues de tous, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’administration, et certains avaient pris l’habitude de l’appeler « le Stiletto ».

« Si les soldats du château voient les renforts arriver, ils sauront que l’armée principale est venue à leur secours à temps, et leur énorme regain de moral rendra la capture de l’endroit encore plus difficile, non ? »

« Oh, mon Dieu, Erna, c’était en fait assez intelligent venant de toi. »

« Qu’est-ce que tu veux dire, “de moi” !? »

Du côté opposé de Fagrahvél, l’autre jeune femme — Erna — avait élevé la voix en signe de protestation.

 

***

Partie 6

Elle était encore jeune, et son apparence juvénile combinée à sa façon de réagir la faisait paraître à première vue moins que fiable pour un officier de clan, mais la réalité était qu’elle était un général compétent et une combattante puissante. Comme Bára, Erna faisait partie des Demoiselles des Vagues, une unité d’élite de neuf Einherjars qui servait directement sous les ordres de Fagrahvél, à la fois comme garde personnelle et comme unité de forces spéciales, et la rumeur disait que l’habileté d’Erna à l’épée la plaçait comme peut-être la plus forte parmi ses membres.

« Bien, en mettant cela de côté, qu’allez-vous faire, mon seigneur ? » Bára avait demandé à Fagrahvél, ignorant complètement la colère d’Erna.

Erna semblait avoir encore beaucoup de choses à dire, mais elle était consciente de l’endroit où ils se trouvaient, alors elle s’était mordu la lèvre et était restée silencieuse.

Bien sûr, c’était exactement comme ça que Bára voulait que les choses se passent. Bára parlait d’une manière douce et détendue, mais elle avait en fait un côté assez sadique.

« Eh bien, plus que tout, nous devons capturer le château de Dauwe avant que les renforts de l’ennemi n’arrivent, » dit Fagrahvél.

« Mais nous n’avons plus beaucoup de temps pour faire ça. »

Bára avait dit une chose importante.

Les messages avertissant de leur attaque étaient sûrement déjà en route vers la capitale du Clan de l’Acier, Gimlé.

La distance entre Dauwe et Gimlé était d’environ deux cents lieues (environ quatre cents kilomètres), et la marche moyenne de l’armée couvrait environ dix lieues en un jour.

Le gros de l’armée du Clan de l’Acier se trouvait actuellement en dehors de ses frontières, sur le territoire du Clan de la Foudre. En considérant cela, il faudrait environ trente jours, à peu près, pour que leur force arrive dans cette zone.

Le château de Dauwe était réputé pour être une forteresse imprenable, et même avec une armée forte de trente mille hommes, le capturer en moins d’un mois n’allait pas être facile, loin de là.

« Il est peut-être tôt, mais je vais utiliser mon atout maintenant. »

« … À en juger par ces yeux, je ne peux pas vous persuader du contraire, n’est-ce pas ? »

« En effet. J’ai pris ma décision. »

« Mais, si vous utilisez ça avec trente mille soldats, vous pourriez mourir, vous savez ? »

Il y avait de l’inquiétude dans la voix de Bára. Mais Fagrahvél avait simplement gloussé et haussé les épaules sans se soucier de rien.

« Héhé. J’ai renoncé à ma vie il y a longtemps lorsque je l’ai consacrée au service de Sa Majesté. De plus, mon ennemi dans cette guerre est censé être la réincarnation d’un dieu de la guerre, n’est-ce pas ? Dans ce cas, je ne peux pas me permettre de ne pas utiliser tout ce que j’ai. »

« Père ! L’ennemi attaque ! On dirait qu’ils vont essayer de nous prendre par la force brute ! »

« Oh, vraiment ? »

Les yeux du vieil homme s’étaient ouverts. Il s’était assoupi sur sa chaise.

Son corps était maigre et dépenaillé, ses cheveux étaient complètement blancs, et son visage et ses mains étaient couverts de rides.

« Je n’arrive même pas à faire une sieste », grommela-t-il pour lui-même. Il s’était servi d’une canne pour se hisser sur ses pieds.

Après avoir atteint 70 ans, les muscles de ses jambes et de son dos avaient commencé à s’affaiblir, et il avait maintenant besoin de sa canne pour marcher régulièrement.

Il était sûr que lorsque les gens le regardaient pour la première fois, leur impression était probablement quelque chose du genre « Il est plus petit que je ne le pensais ». « Il était déjà petit au départ, et maintenant que son dos était souvent voûté, il semblait encore plus petit. »

Cependant, ce vieil homme à l’air faible était en fait le général qui avait semé la terreur dans le cœur des patriarches des Clans des Nuages et des Crocs, sa renommée étant telle que tous les habitants de la région de Bifröst connaissaient son nom : Hrymr.

« Je suis étonné que vous puissiez même dormir à un moment pareil, Père. Je n’arrive même pas à garder ma nourriture en moi. »

« Hmm ? Comment peux-tu dire quelque chose d’aussi pathétique ? Tu es celui qui prendra ma place un jour, et ce sera ton travail de protéger cette forteresse. J’ai peur pour l’avenir si tu parles comme ça. »

« Pardonnez-moi, Père. Mais aussi honteux que cela puisse être, après avoir vu leur énorme armée… »

« Hoh hoh hoh ! » Le vieil homme gloussa. « Peu importe qu’ils aient trente mille hommes ou cinquante mille. Ils ne prendront pas le château de Dauwe. »

Depuis l’âge de trente ans, Hrymr protégeait cet endroit depuis quarante ans maintenant, repoussant ceux qui le menacent un nombre incalculable de fois.

Le château de Dauwe était situé entre plusieurs barrières naturelles. Les invasions venant du sud étaient contrariées par des rivières aux courants puissants et violents, et au nord s’élevaient les montagnes Himinbjörg, dont les sommets étaient si hauts qu’ils étaient connus sous le nom de « toit d’Yggdrasil ».

Puisque la zone à l’ouest était le territoire du Clan du Frêne, attaquer par l’est était la seule avenue restante pour les envahisseurs — et cette restriction signifiait qu’une armée massive ne pouvait pas tirer parti de sa taille.

Pendant ce temps, le Clan du Frêne pouvait concentrer toutes ses forces pour défendre son côté est.

Peu importe la force de cette armée ennemie, Hrymr ne voyait pas la nécessité de la craindre.

« Envoie un message aux archers. Dis-leur de faire pleuvoir une grêle de flèches sur nos ennemis, chacun d’entre eux ! Il n’y a pas de meilleure occasion que maintenant pour tester la puissance de ces “arcs composites” que le Clan de l’Acier nous a fournis », ajouta-t-il avec un sourire satisfait.

On savait depuis longtemps que le château de Dauwe deviendrait un champ de bataille lorsque l’Alliance du Clan Anti-Acier attaquerait, ils avaient donc pu faire tous les préparatifs nécessaires.

« Maintenant, je suppose que je vais aller voir par moi-même. » S’appuyant sur sa canne, Hrymr se dirigea vers les remparts à pas lents et délibérés.

À son âge, monter des escaliers était une tâche plutôt ardue en soi.

Il avait tout de même réussi à se frayer un chemin jusqu’en haut, et alors qu’il se tenait sur les remparts et balayait du regard les soldats ennemis qui avançaient, un souffle impressionné s’était échappé de ses lèvres.

« Eh bien, regardez ça ! Ils tirent beaucoup plus loin ! » Il s’exclama, la voix étourdie, d’une manière qui ne correspondait pas à ce que l’on attendrait d’un homme de son âge.

Comme expliqué précédemment, il avait passé quarante ans de sa vie à protéger cette forteresse. La distance que parcouraient les flèches tirées du haut de ces remparts était depuis longtemps gravée dans sa mémoire.

Les flèches lancées par ces nouveaux modèles d’arcs volaient facilement bien au-delà de cette portée.

« Nous avons mis la main sur quelque chose de vraiment bien, ici. » Hrymr se caressa la barbe, hochant la tête et souriant de satisfaction. « Au cas où ce ne serait qu’un prêt, nous ferions mieux d’en mettre de côté un, afin de le démonter et d’apprendre à le fabriquer nous-mêmes. »

Cela améliorerait de façon permanente les armes des soldats ici, rendant le château de Dauwe encore plus imperméable aux attaques.

Pendant que Hrymr réfléchissait à ces plans, les archers du château de Dauwe continuaient à tirer des volées de flèches dans la masse de l’infanterie ennemie qui arrivait.

Cependant, alors que les soldats étaient frappés par les flèches et tombaient, les uns après les autres, ceux qui étaient encore debout piétinaient simplement les cadavres frais de leurs alliés et continuaient leur charge sans relâche.

« Qu’est-ce que c’est ? J’avais supposé que cette attaque n’était rien de plus qu’un simple coup d’ouverture pour tâter le terrain avec nous… Se pourrait-il qu’ils essaient vraiment de s’introduire pour de bon, dès le début ? »

Dauwe se trouvait dans une région entourée de portions du Toit d’Yggdrasil, les trois plus hautes chaînes de montagnes du royaume. La géographie de cette région était rude et complexe, pleine de montagnes et de vallées. Actuellement, si l’on voulait pénétrer dans la région occidentale de Bifröst depuis Ásgarðr ou Miðgarðr, on ne pouvait le faire qu’en passant par le passage gardé par cette forteresse.

En d’autres termes, il n’y avait aucun moyen pour l’armée ennemie de contourner et d’atteindre le côté ouest du château de Dauwe, et donc aucun moyen de l’encercler et de la couper. Dauwe pouvait compter sur le fait d’être libre de recevoir des fournitures en provenance du territoire allié.

L’endroit était difficile à attaquer, facile à défendre, et les stratégies de siège à long terme établies n’étaient pas efficaces ici.

C’est ce qui en faisait une forteresse imprenable. En effet, si l’on se demandait pourquoi une petite nation comme le Clan du Frêne avait jusqu’à ce jour toujours échappé à la destruction par ses puissants voisins, les Clans de l’Épée, des Crocs et des Nuages, c’était bien sûr en partie grâce au leadership et aux efforts inlassables de Hrymr, mais la majeure partie de sa survie était due aux incroyables avantages offerts par sa situation géographique.

« Eh bien, je suis sûr que, de leur point de vue, ils veulent absolument prendre le contrôle de cet endroit avant que les renforts du Clan de l’Acier n’arrivent. Donc, ils n’ont plus beaucoup de temps à perdre. Néanmoins, cela montre qu’ils m’ont vraiment sous-estimé. »

Les yeux de Hrymr s’étaient ouverts en grand, et son visage était soudainement différent. Il avait le regard d’un général au cœur féroce, vétéran d’innombrables batailles.

La lumière qui brillait dans ses yeux ne montrait aucun signe d’affaiblissement avec l’âge. En fait, c’était la lumière d’une intelligence rusée, du genre de celle qui ne s’accumule qu’avec les années d’expérience.

Le vieil homme au caractère bien trempé d’il y a quelques instants n’était plus là.

« Seigneur Hrymr ! » L’un des archers avait crié à tue-tête. » Ils ont amené un bélier ! »

Dans Yggdrasil, le bélier était une arme de siège très largement utilisée.

Bien sûr, l’appeler une « arme de siège » était peut-être un peu exagéré pour quelque chose d’extrêmement primitif — en vérité, ce n’était rien de plus qu’un gros rondin coupé dans un tronc d’arbre.

Une équipe de personnes transportait le bélier jusqu’à la porte d’une fortification et l’ouvrait en l’enfonçant avec le plus d’élan possible.

Naturellement, dans une telle situation, le côté défensif ne resterait jamais assis et ne laisserait pas une telle chose se produire, et cela signifiait que les personnes portant le bélier recevraient un barrage d’attaques concentrées directement sur eux. Ce n’était pas une mince affaire que d’essayer de porter un objet aussi lourd tout en résistant à de telles attaques.

« Ne les laissez pas s’approcher de nous ! » cria Hrymr.

Un par un, les soldats ennemis portant le bélier avaient été transpercés par les flèches et s’étaient effondrés.

« Ne vous inquiétez pas du nombre de flèches qu’il vous reste, continuez à tirer ! Continuez de tirer ! » La voix d’Hrymr s’élevait avec un volume que l’on n’aurait jamais imaginé venant d’un vieil homme.

Le but de son camp dans cette bataille n’était pas de vaincre complètement les forces adverses ni de pousser leur armée à se retirer. Le véritable objectif de Hrymr était de garder le contrôle du château de Dauwe jusqu’à ce que les renforts de l’armée principale du Clan de l’Acier arrivent.

***

Partie 7

Cependant, au lieu de se retenir afin de rationner ses ressources pour l’avenir, il avait l’intention de lancer cette contre-attaque en utilisant tout ce qu’il avait. Cela enverrait un message à l’ennemi : pour chaque attaque qu’il tenterait, il recevrait la même réponse féroce, et avec cette crainte ancrée dans leur esprit, ils seraient moins enclins à lancer de telles attaques à l’avenir. Du moins, c’est ce qu’il avait prévu… Cependant…

« Nnghh… ! » Des plis profonds se formèrent sur les sourcils de Hrymr, et il ne put étouffer un gémissement.

Pour chaque personne soutenant le bélier qui était abattue, une autre prenait rapidement sa place. Ils se rapprochaient régulièrement de la porte.

Cependant, ce qu’Hrymr avait trouvé de si choquant dans cette scène, ce n’était pas leur avancée continue.

« Par les dieux… Ces soldats… ! »

Quelque chose était clairement anormal à leur sujet.

Comme tout le monde le sait, vouloir éviter la mort était une partie fondamentale de la nature humaine.

Même pour les soldats sur le champ de bataille, une personne prête à foncer vers ce qu’elle savait être une mort certaine était en effet rare.

En fait, la majorité des batailles de campagne se terminaient avec moins de dix pour cent de morts dans les deux camps. Une fois que la dynamique de la bataille favorisait suffisamment un camp pour le désigner comme le vainqueur final, les combattants du camp perdant se tournaient et couraient, ne voulant pas participer à ce qui les amènerait inévitablement à gâcher leur propre vie.

Et pourtant, les soldats qu’Hrymr regardait maintenant étaient complètement différents.

Même s’ils étaient assaillis par une pluie incessante de flèches, même s’ils voyaient leurs camarades tomber morts autour d’eux l’un après l’autre, ils avaient tous continué à avancer vers la porte du château sans même hésiter une seconde.

C’était quelque chose qui aurait été normalement considéré comme impossible.

Normalement, même si leur commandant leur ordonnait de continuer à avancer, il y aurait des soldats qui ne suivraient pas un ordre aussi téméraire, et essayer de les forcer risquerait la mutinerie.

« Rrraaaghh !! »

Et pourtant, ces hommes s’élançaient vers l’avant en élevant la voix dans des cris de guerre retentissants, débordant de la volonté de se battre, se faisant pratiquement la course pour être le premier.

Hrymr déglutit et sentit un frisson le parcourir.

Il était un vétéran de plus de cinquante ans de combat, et c’était la première fois qu’il voyait des adversaires aussi troublants.

Wham !

La distance avait été comblée. Le bélier avait donné sa première et lourde frappe contre la porte. La force de l’impact s’était propagée jusqu’à l’endroit où se tenait Hrymr.

Naturellement, la porte de cette forteresse n’était pas si faible qu’elle puisse être brisée par un ou deux coups de bélier.

Cependant, aussi épaisse qu’elle soit, la porte principale était toujours en bois. Si elle était frappée au même endroit plus de vingt ou trente fois, elle était certaine de se fissurer, puis de se briser.

« Bien ! Rassemblez nos lanciers devant la porte ! Les archers doivent continuer à tirer ! Ne lâchez pas ! Que les soldats des escadrons de ravitaillement continuent à apporter plus de flèches pour les archers ! Maintenant, allez-y, et dépêchez-vous ! »

Hrymr avait aboyé des ordres à ses subordonnés en succession rapide.

Même lorsqu’il se trouvait dans une situation qui défie le bon sens, il était capable de prendre des décisions rapides et réfléchies.

On pourrait peut-être dire que c’était quelque chose de très basique pour un homme dans sa position, mais en vérité, c’était quelque chose que peu de gens pouvaient suivre. C’est l’une des raisons pour lesquelles il était si largement reconnu comme un général compétent.

Après plusieurs dizaines de coups ininterrompus du bélier, l’un des nombreux impacts fut accompagné d’un bruit terrible, un bruit qui indiqua aux soldats du château que le pire scénario s’était réalisé — le bruit du bois épais de la porte qui se fendait en une longue fissure.

Wham ! Crack !

Au coup suivant, le bois autour de la fissure s’était fendu et cassé, laissant un trou.

Après ça, le reste s’était passé rapidement. Les deux frappes suivantes réduisirent la porte en miettes, et les troupes du Clan Anti-Acier se mirent à déferler avec une énergie incroyable, comme si elles avaient reçu la promesse de se venger en cet instant des attaques qu’elles avaient subies jusqu’à présent…

… Mais, ils avaient été immédiatement accueillis par des lanciers qui étaient prêts et attendaient, alignés pour les attaquer de face, ainsi que des deux côtés.

« Gwahh ! »

« Gyaah ! »

« Guagh… ! »

L’un après l’autre, les soldats de l’armée de l’Alliance du Clan Anti-Acier avaient poussé leur dernier cri.

Fondamentalement, une formation d’escouade de l’armée était conçue pour attaquer et vaincre les ennemis situés directement devant elle, et était particulièrement vulnérable aux attaques venant directement des côtés.

Et, le facteur qui détermine le momentum dans une bataille armée, par-dessus tout, était la différence de nombre.

Dans ce cas, les attaquants entraient dans la forteresse par la porte, un goulot d’étranglement étroit que seul un nombre limité d’entre eux pouvait franchir en même temps. Profitant de cette situation, les défenseurs s’étaient disposés dans l’espace plus large entourant l’entrée, créant une situation dans laquelle ils entouraient leur ennemi sur trois côtés.

Ainsi, à cet endroit précis, le déséquilibre « numérique » entre le Clan du Frêne qui se défendait et l’Alliance du Clan Anti-Acier qui attaquait avait été complètement inversé.

« Hmph, ne soyez pas trop fier de vous juste parce que vous avez réussi à briser le… Quoi !? »

C’était arrivé avant même que Hrymr ait pu finir sa fanfaronnade.

Les soldats ennemis qui venaient d’être poignardés par ses lanciers ne s’étaient pas laissés abattre. Des deux mains, ils s’agrippaient fermement aux lances qui leur transperçaient le corps, les maintenant immobiles.

Les soldats du château avaient essayé en toute hâte de retirer leurs lances, mais elles ne bougeaient pas d’un pouce, et par extension, les lanciers ne pouvaient pas bouger non plus.

Et dans ce moment de retard, une deuxième vague d’envahisseurs se précipita dans le château et commença à abattre les lanciers du château avec leurs épées.

Au début, Hrymr n’avait pas cru ses yeux. Puis il avait douté de sa santé mentale. Enfin, il s’était demandé si ce n’était pas la réalité, mais plutôt une sorte de mauvais rêve.

« Qu’est-ce qu’ils sont ? »

C’était comme s’ils étaient possédés par les esprits vengeurs des morts — c’était la seule façon dont il pouvait le rationaliser. Les ennemis qu’il combattait ne lui semblaient plus humains.

En un rien de temps, les envahisseurs avaient pris le contrôle de la zone autour de l’entrée.

À ce stade, les défenseurs n’avaient que peu de recours, car ils se trouvaient dans une situation de désavantage numérique absolument écrasante.

Ainsi, ce jour marquait la fin de la légende du château de Dauwe en tant que forteresse imprenable.

« Sieg Þjóðann ! Sieg Þjóðann ! »

Le château de Dauwe était décoré partout d’innombrables bannières de l’Alliance du Clan Anti-Acier, et les murs résonnaient de leurs cris de victoire.

L’odeur du sang était encore épaisse dans l’air, preuve des combats acharnés qui venaient de se terminer il y a peu.

« Quand je pense qu’ils ont réussi à percer leur chemin avec un assaut frontal… » Le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard, se murmura à lui-même, en fronçant les sourcils, alors qu’il observait les conséquences.

Gerhard avait fait un certain nombre de tentatives sur cet endroit au cours des dix dernières années, et à chaque fois il avait été repoussé — il comprenait mieux que quiconque à quel point le château de Dauwe était résistant à la capture.

Le Clan des Nuages était une nation de nomades qui contrôlait une grande partie de l’est de la région de Miðgarðr.

Ils avaient grandi en apprenant à survivre dans l’environnement naturel difficile de Miðgarðr, et leurs deux principales sources de revenus étaient la chasse et le pillage des terres des autres. C’était un clan de guerriers nés et élevés, et on disait que même leurs femmes et leurs enfants pouvaient manier l’épée et l’arc avec une grande habileté.

Leur dirigeant, Gerhard, était également connu au sein du clan et à l’extérieur comme un grand leader. Il avait complètement vaincu deux clans rivaux jusqu’à présent, élargissant la sphère d’influence de sa nation bien au-delà de ce qu’elle était à l’époque de son prédécesseur.

Et pourtant, même un héros comme Gerhard, à la tête d’une armée de guerriers d’élite du Clan des Nuages, n’avait jamais été capable de faire la moindre avancée contre le Château de Dauwe.

Fagrahvél l’avait prise en une demi-journée seulement.

Certes, cela avait été fait en utilisant une armée qui était parmi les plus grandes de l’histoire d’Yggdrasil.

Cependant, la forteresse était située dans un endroit où la géographie annulait les avantages d’une grande armée.

En fait, elle avait forcé son camp à se retrouver dans une situation où ses troupes attaquantes étaient en surnombre par rapport aux défenseurs.

Et malgré un désavantage aussi écrasant, les troupes de Fagrahvél avaient été celles qui avaient complètement écrasé l’ennemi.

« Voilà donc le pouvoir de la rune dite des rois… Gjallarhorn, l’appel à la guerre. J’ai entendu dire que le premier empereur divin Wotan la possédait aussi. Avec ce genre de pouvoir, je comprends comment il a pu unir Yggdrasil sous son règne. »

Grâce au pouvoir de cette rune, des hommes qui n’étaient guère plus que des soldats de rang et de peu de valeur avaient été instantanément transformés en guerriers puissants et courageux, chacun d’entre eux étant un héros vaillant qui se battait avec une vigueur et une ténacité incroyables.

Même si Gerhard avait assisté à tout ce qui s’était passé, c’était tellement incroyable qu’il ne pouvait se défaire du doute qu’il avait peut-être tout simplement rêvé.

« Bien que, étant donné ce qui se passe en ce moment, il ne semble pas que ce soit un pouvoir qui puisse être utilisé trop librement. »

Gerhard s’était retourné pour regarder le plus grand bâtiment intérieur au centre du parc du château.

Fagrahvél, le commandant en chef de l’armée de l’Alliance du Clan Anti-Acier, était actuellement alité après avoir vu sa santé physique décliner terriblement.

Einherjar ou non, l’exploitation d’une telle quantité de puissance était encore trop loin des limites de ce qu’une seule personne devrait être capable de faire. De toute évidence, l’utilisation de cette puissance avait un coût important.

Après tout, si ce n’était pas le cas, les Clans des Nuages et des Crocs auraient sûrement été conquis et absorbés depuis longtemps par le Clan de l’Épée.

« Hmph, le Clan de l’Acier a beau être mon ennemi, j’ai de la peine pour eux, » marmonna Gerhard.

Fagrahvél n’avait pas hésité à utiliser le pouvoir de Gjallarhorn lors de cette première bataille. Il était également prévu de l’utiliser lors de la bataille décisive contre Yuuto et le gros de l’armée du Clan de l’Acier.

Le seul problème possible était qu’il ne semblait pas pouvoir être utilisé successivement dans un court laps de temps, mais il restait encore beaucoup de temps avant l’arrivée des forces du Clan de l’Acier.

Fagrahvél aurait pris en compte le temps qu’il lui faudrait pour récupérer suffisamment de force et aurait pris la décision de l’utiliser en croyant qu’il y avait assez de temps pour le faire.

« Je me fiche qu’on l’appelle “Cœur de Lion”, ou un dieu de la guerre, ou n’importe quelle autre absurdité. La série de victoires de ce garçon va s’arrêter ici même. »

Les mots de Gerhard ne venaient pas d’une simple confiance. Il affirmait simplement ce qu’il croyait maintenant être une certitude.

Il est vrai que, jusqu’à présent, le Clan de l’Acier avait grandi en taille et en puissance à une vitesse rapide.

Les forces armées du Clan de l’Acier étaient probablement aussi une force avec laquelle il fallait compter.

Cependant, en fin de compte, c’était une armée composée de personnes — d’humains ordinaires.

Quelle que soit leur force, il était impossible d’imaginer que le Clan de l’Acier puisse tenir tête à des troupes transformées en machines à tuer puissantes et sans peur.

***

Chapitre 2 : Acte 2

Partie 1

Cla-Clack, Cla-Clack…

Les roues de la calèche claquaient en semi-rythme tandis qu’elle roulait rapidement à travers le désert aride, tirée par un attelage de trois chevaux.

Le paysage environnant était jonché de rochers, grands et petits, pas le genre de route qu’une charrette tirée par un cheval pourrait normalement emprunter. Mais bien que le chariot ait oscillé dans tous les sens, les roues avaient tenu bon et avaient continué à rouler.

Il s’agissait de roues en fer, beaucoup plus dures et résistantes que leurs homologues en bois, de sorte qu’un mauvais sol ne leur posait pas vraiment de problème.

Cependant, à cette époque particulière de l’histoire, il n’y avait qu’une très petite poignée de nations dans le monde ayant la capacité de raffiner le fer.

L’un d’entre eux était l’empire hittite d’Asie centrale, censé être la première civilisation de l’histoire à avoir développé une technologie d’affinage du fer.

À part cela, les seuls autres étaient peut-être le Clan de l’Acier et le Clan de la Flamme d’Yggdrasil, deux nations dirigées par des patriarches de clan qui étaient des voyageurs venus d’un lointain avenir.

« Zzz… »

Quant au chef du Clan de l’Acier, celui que ses sujets appellent du titre de Réginarque (« Grand Seigneur »), il était confortablement endormi, utilisant le corps d’un loup blanc géant comme oreiller.

C’était un jeune homme aux cheveux noirs et lisses, et au visage qui conservait encore un peu de jeunesse dans ses traits.

En regardant son visage endormi, on aurait du mal à croire qu’il était un héros-roi conquérant qui, en l’espace de deux ans, avait jeté les bases d’une nation superpuissante qui régnait sur les terres allant de Bifröst à l’est à Álfheimr à l’ouest.

« Je ne peux pas croire qu’il puisse dormir si profondément dans cette situation… Il y a si peu de personnes qui voyagent avec lui pour le protéger. »

La fille qui avait murmuré ces mots, moitié exaspérée, moitié admirative, était Hildegard.

Une jeune fille aux cheveux noués en jolies nattes tressées, elle était une Einherjar portant la rune Úlfhéðinn, la peau de loup.

Elle était une nouvelle membre des Forces Spéciales de Múspell, la force de combat d’élite du Clan de l’Acier qui servait directement sous les ordres de Yuuto. Peu de jours s’étaient écoulés depuis qu’elle avait été admise dans la Múspell, et elle n’était donc qu’une recrue, mais elle avait été choisie pour faire partie de l’escorte de Yuuto cette fois-ci en raison de ses extraordinaires sens de l’odorat et de l’ouïe.

« Je suppose que c’est ce à quoi je dois m’attendre de la part de quelqu’un d’aussi grand. Je suppose qu’“imperturbable” est une façon de le dire, non ? Mais c’est aussi pour cela qu’il a été capable de faire face à ce monstre à l’époque. »

Hildegard frissonna à ce souvenir.

 

 

Le « monstre » dont elle parlait était le patriarche du Clan de la Flamme, Nobunaga — c’est-à-dire l’Oda Nobunaga, qui avait été convoqué à Yggdrasil depuis la période Sengoku du Japon.

Son aura avait été si puissante que le simple fait d’y repenser lui donnait un frisson de terreur et menaçait de lui faire vider sa vessie.

Actuellement, l’entourage de Yuuto rentrait chez lui, sur le territoire du Clan de l’Acier, après la rencontre et les négociations de Yuuto avec Nobunaga.

« C’était vraiment un homme d’une force impensable, » répondit Félicia, un sourire amer effleurant ses lèvres tandis qu’elle baissait les épaules. « Pour l’instant, du moins, je suis honnêtement soulagée que nous ayons pu éviter d’en faire notre ennemi. »

Félicia était une femme dans la force de l’âge, aux cheveux dorés et aux yeux bleus vifs, et sa beauté était si séduisante que même Hildegard, une autre femme, avait été surprise en la voyant pour la première fois.

De plus, Félicia possédait des connaissances approfondies sur une grande variété de sujets, et personne d’autre ne semblait pouvoir se mesurer à sa combinaison d’intelligence et de beauté. En plus de sa position d’officier le plus haut gradé du Clan de l’Acier, elle était également l’adjuvante de Yuuto, une personne en qui il avait personnellement une grande confiance.

Pour Hildegard, Félicia était quelqu’un de tellement supérieur à elle, à bien des égards, qu’elle pourrait aussi bien vivre dans un autre monde. Et pourtant, même elle avait été frappée d’une peur profonde en réponse à la présence écrasante de Nobunaga.

« Pourtant, à cause de l’ordre d’assujettissement impérial qui a été émis contre le Clan de l’Acier, nos nations voisines ont déjà commencé à prendre des mesures en tant qu’Alliance des Clans Anti-Acier. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être optimistes dans cette situation… »

« Seigneur Réginarque ! Seigneur Réginarque ! »

Alors que l’inquiétude de Félicia pour l’avenir commençait à obscurcir son expression, un soldat messager à cheval s’approcha d’eux, comme pour confirmer ses sentiments sur le champ.

À en juger par son langage corporel paniqué, il ne faisait aucun doute que son rapport était urgent.

« Je suppose que quelqu’un a finalement fait son choix ? » déclara Yuuto en se redressant. Apparemment, il avait senti que quelque chose n’allait pas.

Les traces de jeunesse innocente que l’on pouvait voir sur son visage endormi quelques instants plus tôt avaient disparu, ne laissant que le visage d’un commandant d’armée.

« M-M-Monseigneur, c’est une situation d’urgence ! » Le messager balbutia, sa voix était stridente et cassante. « Nous avons reçu la nouvelle que les clans environnants ont tous fait des déclarations de guerre formelles contre nous et ont commencé des invasions, et qu’ils l’ont tous fait simultanément, comme s’ils s’étaient mis d’accord entre eux ! »

Il semblait avoir vraiment perdu son sang-froid, mais c’était tout à fait compréhensible.

La prédiction de Yuuto selon laquelle les clans environnants conspireraient pour attaquer le Clan de l’Acier en une seule fois était quelque chose qu’il n’avait partagé qu’avec les officiers exécutifs de son administration, il était donc impossible qu’un soldat au bas de la chaîne de commandement soit au courant.

Pour quelqu’un qui n’avait pas cette connaissance préalable, rencontrer soudainement cette situation sans avoir le temps de s’y préparer mentalement et sans perdre son sang-froid serait bien plus étrange.

« Je vois. » Yuuto était, par contraste, tout à fait calme.

Et c’était, peut-être, tout à fait naturel.

Après tout, pour commencer, la campagne punitive sur le territoire du Clan de la Foudre était en fait un piège que Yuuto avait tendu dans le but d’attirer ses ennemis dans une action ouverte. Il n’y avait pas une seule chose qui le surprenait dans cette nouvelle.

Cependant, du point de vue du jeune soldat servant de messager, le fait qu’une crise aussi terrible et sans précédent n’ait absolument rien fait pour perturber le calme de Yuuto était une nouvelle preuve de sa grandeur en tant que réginarque.

Le messager était rempli d’un sentiment de grande révérence pour son seigneur, et ses yeux pétillaient alors qu’il continuait à faire son rapport. « Actuellement, les Clans de la Panthère, du Blé et du Frêne sont attaqués. En particulier, le Clan du Frêne est envahi par une armée massive composée de soldats des Clans de l’Épée, du Croc, des Nuages, du Casque et de la Lance. Ils sont trente mille ! »

« Vraiment ? » Les yeux de Yuuto s’étaient légèrement élargis. « On dirait que notre appât a fait une sacrée prise. »

Elle dépassait largement ses prévisions initiales, qui avaient estimé une force d’une vingtaine de milliers de personnes tout au plus.

Il avait espéré qu’un ou deux clans ne parviendraient pas à se coordonner avec les autres, mais il semblerait que ce n’était qu’un vœu pieux.

Pourtant, avant que tout cela ne commence, Yuuto avait initialement prévu d’envahir la capitale impériale, Glaðsheimr, avant la fin de l’année. C’était donc tous des adversaires qu’il aurait eu à combattre de toute façon.

Il était certain qu’il ne restait plus beaucoup de temps avant qu’Yggdrasil ne commence à sombrer dans l’océan, alors avoir la chance d’éliminer ces obstacles maintenant lui convenait parfaitement.

« Ceci contient tous les détails, monseigneur. » Le messager avait tendu un document à Yuuto.

« Ah, permettez-moi, » intervint Félicia. « Je vais le lire à haute voix. »

« Merci. Je t’en prie, » déclara Yuuto.

En vérité, Yuuto avait participé aux sessions d’étude de Mitsuki, et il avait déjà atteint le point où il pouvait lire et écrire la langue d’Yggdrasil — c’était en grande partie grâce au fait que l’Yggdrasilien utilisait des caractères phonétiques dans son écriture — mais il savait que Félicia aimait faire des choses comme ça pour lui, et il ne voulait pas lui enlever ça.

Il avait donc décidé de ne rien dire et de la laisser continuer à lire et à écrire pour lui.

« Informez le Seigneur Yuuto, réginarque du Clan de l’Acier. Je suis Hrymr, chef des subordonnés de la fratrie du Clan du Frêne et maître du château de Dauwe. » Félicia commença à réciter à haute voix le contenu du rapport.

La taille et la composition de l’armée ennemie, l’état du moral des soldats de Hrymr et d’autres aspects pertinents de la situation militaire avaient tous été enregistrés dans les moindres détails.

Le rapport datait d’il y a deux jours.

À cette époque, la norme pour la livraison rapide d’informations détaillées sur de longues distances était encore un messager conduisant une charrette tirée par des chevaux — qui aurait mis au moins dix jours complets pour lui apporter ce même document. En tenant compte de cela, deux jours, c’était exceptionnellement rapide. Anormalement, en fait.

Cependant, deux jours c’était toujours deux jours.

Yuuto n’était qu’un humain, et il n’avait donc aucun moyen de savoir qu’à ce moment précis, le château de Dauwe était tombé aux mains de l’ennemi.

Yuuto se dirigea rapidement vers la formation principale de son armée, où la voix ravie de Sigrún fut l’une des premières choses qui l’accueillit.

« Ah… ! Bienvenue, Père ! »

C’était une femme d’une beauté si exceptionnelle que ceux qui la voyaient en restaient bouche bée, une beauté que l’on pouvait à juste titre qualifier d’unique en son genre.

Sa silhouette était mince et élégante, et ses bras minces étaient si délicats qu’on aurait pu penser qu’elle aurait du mal à tenir une épée, mais elle était en fait la plus puissante guerrière du Clan de l’Acier, et l’un de ses plus valeureux généraux.

***

Partie 2

« Je suis sûr que vous avez déjà entendu la nouvelle par un de mes hommes, mais… »

« Oui, nos ennemis ont tous commencé leurs invasions, exactement au même moment. »

« En effet, c’est exactement comme tu l’avais prédit, Père. Je ne cesse d’être étonné par l’acuité et la sagesse de ta perception des choses. »

« C’est assez de flatteries. Plus important encore, comment se passent les préparatifs ? Sommes-nous prêts à commencer le voyage de retour ? »

« Oui, Père. Aussi, j’ai pris la liberté d’ordonner à l’arrière-garde et aux unités de soutien de marcher tôt, donc ils sont déjà en mouvement. »

« Joli ! Tu as fait du bon travail. » Yuuto tapota la tête de Sigrún et lui ébouriffa les cheveux.

Le château de Dauwe était menacé par une armée massive de trente mille hommes, les renforts devaient donc leur parvenir le plus rapidement possible.

Chaque minute de temps gagné était précieuse.

« Je n’ai rien fait de spécial, » dit Sigrún. Cependant, malgré ses paroles, elle souriait joyeusement.

Pour Sigrún, il n’y avait pas de plus grande récompense qu’une tape sur la tête par Yuuto.

Lorsque la main de Yuuto s’était finalement retirée, Sigrún avait eu l’air triste pendant un court instant, puis elle avait rapidement pris une expression plus sérieuse et avait demandé : « Alors, qu’en est-il de la demande de prêter le serment du Calice avec le patriarche du Clan de la Flamme ? Comment se sont déroulées les négociations ? »

« Hm ? Ah oui, c’est vrai. Nous n’avons pas fini par prêter le serment du Calice, mais j’ai au moins réussi à lui faire accepter une non-agression mutuelle avec nous pour le moment. »

« C’est bon à entendre. » Sigrún poussa un petit soupir de soulagement.

Sigrún était peut-être jeune, mais elle était en fait un général militaire très accomplie, un vétéran endurci de très nombreux conflits violents.

Il était impossible qu’elle ne sache pas exactement à quel point il serait dangereux pour le Clan de l’Acier en ce moment, assailli par des invasions sur trois fronts, si le puissant Clan de la Flamme devenait lui aussi leur ennemi.

Une marche de retraite, en particulier, était l’un des moments les plus dangereux pour une armée en mouvement. Elle avait sûrement dû être soulagée d’apprendre qu’ils n’auraient pas à s’inquiéter d’être attaqués par-derrière pendant qu’ils rentraient chez eux.

« Au fait, quel genre de personne était le patriarche du Clan de la Flamme ? »

Sigrún n’était pas du genre à mâcher ses mots, et elle faisait rarement la conversation au-delà du nécessaire. Ce genre de question était rare de sa part. D’ordinaire, pour elle, entendre parler de la promesse de non-agression aurait été suffisant pour la satisfaire sur le sujet.

Cependant, le patriarche du Clan de la Flamme avait été responsable de la mort du guerrier sans égal Steinþórr, le Tigre Affamée de Batailles. Elle était intéressée de savoir quel genre de personne aurait pu se débarrasser du Dólgþrasir avec une telle facilité.

« En un mot, incroyable. Je ne veux absolument pas faire de ce type notre ennemi. » Les mots de Yuuto venaient directement de son cœur, sans réserve et sans fioriture.

Il était vraiment l’homme qui s’était élevé au-dessus de tous les autres pendant la période Sengoku du Japon, une époque et un lieu de l’histoire remplie de personnages légendaires, et qui avait presque rassemblé tout le Japon sous son règne. Il était différent des gens ordinaires. La simple force de sa présence était titanesque, pratiquement écrasante.

« Il doit vraiment être incroyable pour inspirer des mots comme ceux-là de votre part, Père. »

« Ouais. Rien que d’imaginer ce qui se serait passé si le Clan de la Flamme était aussi contre nous… Ça me glace le sang. Honnêtement, je pense que ce serait la fin pour nous. »

« Même ainsi, je suis sûre que tu trouveras toujours un moyen de nous sauver, Père. »

« Et je suis sûr que tu me donnes beaucoup trop de crédit. »

Avec un sourire en coin, Yuuto avait haussé les épaules.

Sigrún avait toujours eu tendance à surestimer les capacités de Yuuto, mais récemment, Yuuto avait le sentiment que cela devenait encore plus extrême.

Il ressentait un tel écart entre cette situation et l’évaluation qu’il faisait de lui-même que c’était honnêtement un peu désorientant.

« Dans tous les cas, nous avons peut-être évité le pire scénario possible, mais cela ne change rien au fait que la situation est plutôt mauvaise pour nous. »

Avec une expression sévère, Sigrún hocha la tête. « Oui. J’ai moi-même douté de mes oreilles lorsque j’ai entendu pour la première fois le nombre trente mille. »

Le Clan de l’Acier avait mobilisé un total de seize mille soldats pour la campagne contre le Clan de la Foudre — le plus grand nombre qu’ils aient jamais réussi jusqu’à présent — mais l’ennemi en avait encore presque le double.

Et ce n’était que l’armée qui attaquait depuis l’est. Actuellement, leurs territoires occidentaux étaient attaqués par les armées de deux autres clans : le Clan du Sabot et le Clan de la Panthère du Nord.

Bien que la pire situation potentielle ait été évitée, il ne fait aucun doute qu’il s’agit du scénario le plus dangereux et le plus menaçant auquel Yuuto ait jamais été confronté, même en incluant ses premiers jours en tant que patriarche du Clan du Loup.

« Oui, le château de Dauwe est peut-être célèbre pour être impossible à capturer, mais contre une force de cette taille, il est possible qu’ils ne tiennent pas très longtemps. Et sur cette note, il y a une mission importante que j’aimerais te confier, Rún. »

« Oui, Père ! Donne-moi tes ordres ! Aurais-je raison de supposer que tu vas me faire chevaucher devant tous les autres, et effectuer des opérations de perturbation sur l’ennemi ? »

Les « opérations de perturbation » consistaient à passer à cheval devant les patrouilles de guetteurs ennemis pour lancer des attaques surprises sur leur camp avant que les guetteurs ne puissent les alerter, puis à s’enfuir aussi vite que le vent au moment où les soldats ennemis retrouvaient l’ordre et préparaient leur contre-attaque.

Ce n’était qu’une des tactiques du champ de bataille dans lesquelles les Forces Spéciales Múspell de Sigrún étaient compétentes, et elle avait été utilisée avec grand effet pendant la guerre contre le Clan du Sabot il y a un an, semant le chaos parmi l’armée ennemie et retardant leur avance.

Comme la situation actuelle présente des similitudes avec celle de l’époque, il était raisonnable qu’elle ait supposé que ce serait sa mission.

Cependant, Yuuto avait secoué sa tête. « Non, la mission que j’ai pour toi cette fois-ci n’implique pas de combat. »

« Hein ? » Sigrún le fixa avec une grande perplexité, les yeux écarquillés.

Elle n’était pas quelqu’un qui laissait souvent ses émotions transparaître sur son visage, ayant souvent l’air aussi inexpressif qu’une statue, c’était donc un spectacle rare de sa part.

 

 

Les forces spéciales de Múspell étaient reconnues, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, comme l’unité d’élite la plus puissante du Clan de l’Acier, et elles avaient toujours combattu en première ligne.

Sigrún n’avait pas imaginé qu’on leur confierait une mission qui n’impliquait pas de chevaucher dans la bataille.

« C’est quelque chose que toi seule peux faire. En fait, il ne serait pas exagéré de dire que l’issue de cette guerre dépend entièrement de ta capacité à faire cela. »

Les lèvres de Yuuto s’étaient retroussées en un sourire malicieux.

C’était la tête qu’il faisait toujours quand il avait trouvé un plan particulièrement astucieux.

« L-Le château de Dauwe est tombé !? »

En recevant la terrible nouvelle, le patriarche du Clan du Frêne Douglas oublia momentanément qu’il était en train de recevoir officiellement un invité en sa qualité de patriarche et éleva la voix dans un cri de panique, sans aucun sens de la honte ou des convenances.

L’ennemi attaquait avec une armée massive de trente mille hommes. Il avait bien sûr envisagé la possibilité qu’au pire, la forteresse puisse être capturée. Mais…

« Peu importe comment on voit les choses, c’est arrivé beaucoup trop vite ! »

Il y a seulement deux jours, il avait appris que l’ennemi s’approchait de la forteresse.

Même avec l’utilisation de pigeons voyageurs et de messager à cheval entre les postes, des méthodes de communication rapides dont ne disposaient pas les autres nations, ce rapport n’aurait que maintenant parcouru une distance suffisante pour atteindre l’armée principale du Clan de l’Acier.

De Gimlé à la capitale du Clan du Frêne, Vígríðr, un voyage normal en chariot tiré par des chevaux prendrait dix jours. Pour l’infanterie en marche, chargée par le poids supplémentaire des armes et des armures, cela prendrait deux fois plus de temps.

Sans compter que le corps principal de l’armée du Clan de l’Acier se trouvait actuellement au-delà de la frontière, dans le territoire du Clan de la Foudre, encore plus à l’ouest que Gimlé.

En d’autres termes, une estimation normale du temps nécessaire à l’arrivée des renforts se situerait autour de trente jours.

Maintenant que la protection du château de Dauwe avait disparu, c’était un chiffre qui n’évoquait que des sentiments de désespoir.

« Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Quel genre de stratagème l’ennemi a-t-il utilisé pour faire ça !? »

Sautant de sa chaise, Douglas saisit les épaules du soldat qui avait apporté le message et commença à le secouer pour l’interroger.

Douglas savait tout de la résistance du château de Dauwe, et il savait aussi à quel point Hrymr était compétent et respecté — un héros pour ses hommes, et une force avec laquelle il fallait compter en tant que stratège.

Il ne pouvait pas imaginer que l’un ou l’autre puisse être vaincu par quelque chose qui ressemblait à des méthodes de guerre normales et rationnelles.

« Ils ont utilisé une attaque frontale, mon seigneur. »

« Quoi ? » La mâchoire de Douglas s’était décrochée.

Au bout d’un moment, son corps tout entier se mit à trembler et il s’écria : « Ne sois pas ridicule ! Même s’ils avaient trente mille hommes, il n’y a aucune chance que cela fonctionne contre cette forteresse, et surtout pas contre le vieux Hrymr ! »

« Oui. Ce serait une chose s’ils avaient cet engin que Père a inventé, le… ça s’appelait le “trébuchet”, je crois ? Mais j’ai du mal à vous croire si vous dites qu’ils ont renversé Dauwe sans rien de ce genre. »

La voix qui avait interrompu la conversation provenait d’un homme un peu corpulent, au froncement de sourcils perplexe, assis en face de la table où Douglas était assis.

Il s’agissait de Botvid, le patriarche de la nation voisine du Clan du Frêne, le Clan de la Griffe.

Conformément à l’accord qu’ils avaient conclu au préalable, une fois l’attaque lancée, Botvid était venu ici avec trois mille soldats en renfort du Clan du Frêne.

***

Partie 3

« C’est peut-être le cas, mais voici la vérité… Peu importe le nombre de volées de flèches que nous avons fait pleuvoir sur eux, même après les avoir encerclés sur trois côtés et les avoir embrochés avec nos lances… ils ne s’arrêtaient pas. Même après avoir subi des blessures qui auraient dû être fatales, ils se sont jetés sur nous et ont massacré tout le monde. C’était comme s’ils ne craignaient pas la mort, ou même ne s’en souciaient pas — comme s’ils étaient une armée d’hommes possédés par des esprits, ou une armée de morts… ils ont poussé en avant avec une telle vigueur que nous avons été tout simplement submergés… »

Le visage du soldat avait perdu toute couleur, et il avait commencé à trembler — il était probablement en train de se remémorer ce dont il avait été témoin lors de la prise de la forteresse.

Apparemment, cela avait été une expérience assez effrayante.

« Hmm… Frère Douglas, il ne me semble pas qu’il mente. »

« C’est ce qu’il semblerait. Quand même, une “armée des morts”, c’est ça ? Cette phrase a une consonance terrifiante. »

« Hmm, » se dit Botvid pendant une seconde. « En entendant sa description, je ne peux m’empêcher de penser à cet homme. »

« “Cet homme” ? » demanda Douglas, ignorant à qui Botvid faisait référence.

Botvid eut un petit rire ironique et haussa les épaules. « Je veux dire le Dólgþrasir, Steinþórr. »

« Ah, le défunt patriarche du Clan de la Foudre qui a été tué au combat il y a quelques jours ? »

Douglas n’avait jamais rencontré Steinþórr en face à face, et encore moins sur le champ de bataille, mais ce nom ne lui était que trop familier.

Steinþórr était un homme d’une force si absurde que personne d’autre, aussi grand guerrier soit-il, ne pouvait espérer l’égaler au combat, et sur le champ de bataille, il était considéré comme invincible.

On disait que lorsque Steinþórr menait une charge, rien ne pouvait l’arrêter.

Et aussi…

« C’est vrai, il a été dit que les soldats menés par le Dólgþrasir se transformeraient en une meute de berserkers fous de guerre, » se souvient Douglas. « Hm, je vois, il y a certainement une similitude. »

« Oui. Mais j’ai l’impression qu’il y a un fanatisme encore plus puissant derrière ces soldats. Le problème est que si nos ennemis se sont transformés en de tels monstres, il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire pour les arrêter, à nous deux. »

« Nngrh… » Le visage de Douglas se crispa et il poussa un grognement de frustration comme une bête acculée.

Il avait stationné la plupart de ses soldats au château de Dauwe, et il ne lui restait donc plus qu’un millier d’hommes à sa disposition. Avec les trois mille du Clan de la Griffe, ils arrivaient à peine à un grand total de quatre mille.

Il supposait que certains des survivants qui s’étaient échappés du château de Dauwe finiraient par revenir vers lui. Mais le soldat messager de tout à l’heure était un exemple en tant que tel, et à en juger par la profondeur de la peur et du traumatisme de ses expériences qui l’avaient pénétré jusqu’au plus profond de lui-même, il était douteux que l’un des autres survivants soit utile au combat à l’avenir.

Si ses soldats ne pouvaient pas rivaliser avec l’ennemi en termes de force individuelle, et s’il ne pouvait pas non plus s’approcher du nombre de ses ennemis, alors ce n’était pas seulement un problème d’incapacité à les vaincre. Il allait être presque impossible de tenir jusqu’à ce que Yuuto et l’armée principale arrivent.

Mais alors que les sentiments de désespoir avaient commencé à engloutir son cœur, la voix d’un autre homme s’était glissée dans leur conversation depuis la direction de l’entrée de la pièce.

« Héhé. Ainsi, j’ai entendu dire que vous aviez besoin de quelques soldats supplémentaires ? »

Douglas et Botvid s’étaient tournés vers le propriétaire de la voix et avaient vu un homme qu’ils n’avaient jamais vu auparavant. Cependant, c’était aussi quelqu’un qu’ils avaient tous deux reconnu instantanément.

« Ohh, Oncle Hveðrungr ! » Douglas se leva à nouveau de sa chaise et ouvrit grand les bras en signe de bienvenue.

Le massacre qu’il avait commis à Nóatún, et la stratégie de la terre brûlée qu’il avait utilisée pour ravager ses propres terres… la réputation de cet homme s’était construite sur des actes que l’on pouvait difficilement qualifier de bons.

Cependant, cette même réputation provenait aussi de ses succès. Il avait pris le Clan de la Panthère et l’avait transformé de rien de plus qu’un petit clan nomade en l’un des clans les plus puissants du royaume en l’espace d’un an. Et, à la bataille de Gashina, il avait réussi à coincer Suoh-Yuuto, le « dieu de la guerre » lui-même, et avait failli vaincre et anéantir les forces de Yuuto.

Les cavaliers nomades qui avaient combattu en tant que cavalerie armée sous les ordres de Hveðrungr étaient également réputés pour être des combattants experts de grande qualité, à l’égal des forces spéciales Múspell du Clan de l’Acier.

Dans une situation comme celle-ci, il n’y avait pas d’allié plus fiable que l’on puisse espérer.

« Il semble que les dieux aient décidé de nous donner l’occasion parfaite de montrer ce dont nous sommes capables ! »

De retour au campement du régiment, Hveðrungr avait lancé ces mots excités à ses subordonnés.

Cependant, personne ne lui avait répondu. Malgré le fait que leur chef soit revenu, aucun de ses hommes ne s’était levé pour le saluer. Ils étaient tous allongés sur le sol, à plat sur le dos, leurs poitrines se soulevant et s’abaissant en un rythme lent.

D’ordinaire, Hveðrungr n’aurait jamais pardonné un tel manque de respect de la part des subordonnés envers leur maître, mais dans le cas d’aujourd’hui, il avait fait une exception spéciale.

Ils avaient tous voyagé directement depuis Gimlé, sans arrêt, sans dormir ni se reposer.

Même pour les cavaliers d’élite hautement entraînés du Régiment de Cavalerie Indépendante, il était logique qu’une marche forcée aussi rapide épuise complètement leur endurance.

En fait, on pourrait plutôt dire que c’est uniquement parce qu’ils étaient si forts qu’ils avaient pu se forcer à faire tout le chemin jusqu’ici en seulement trois jours.

« Je vais vous expliquer la situation actuelle. Vous pouvez continuer à vous reposer, mais écoutez bien, et soyez très attentif. »

Hveðrungr avait commencé à dire à ses hommes ce qu’il avait appris de Douglas et Botvid.

Ils étaient tous originaires de terres très éloignées d’ici, dans la moitié ouest de la région nord du Miðgarðr, et ne pouvaient donc pas vraiment comprendre l’importance de la chute du château de Dauwe. Cependant, lorsqu’il avait décrit les soldats ennemis qui se battaient comme des morts-vivants, il avait pu voir qu’ils étaient tous intéressés, et plusieurs d’entre eux avaient commencé à prendre la parole.

« J’ai déjà vu quelque chose comme ça avant. »

« Oui, je me disais la même chose. À Gashina, quand le Seigneur Yuuto Cœur de Lion a chevauché sur les lignes de front du Clan du Loup, les soldats du Clan du Loup sont devenus comme ça, non ? »

« Oui, oui, exactement. Je me souviens qu’ils se battaient avec cette force folle, comme s’ils étaient possédés, et ça m’a fait peur. »

« En fait, oui, moi aussi. »

Lorsque les nomades avaient commencé à confirmer leurs expériences les uns avec les autres, ils avaient grimacé en se rappelant ces moments désagréables.

Des soldats qui pouvaient être transpercés par des flèches, ou tailladés par une épée, et qui continuaient à vous poursuivre, sans se soucier d’autre chose que de mettre fin à votre vie.

Personne n’avait envie de se battre une seconde fois contre de tels ennemis, mais ils en étaient arrivés à la conclusion que les personnes qu’ils allaient combattre ici étaient à peu près les mêmes.

« Non, apparemment ceux de cette fois sont encore plus fous, » ajouta Hveðrungr, refusant d’épargner à ses hommes la cruelle vérité.

« Vous plaisantez… »

« Eh bien, ça me donne froid dans le dos. »

Les nomades grimaçaient à nouveau, la peur et le dégoût se lisaient sur leur visage. Hveðrungr, quant à lui, affichait un large sourire, les dents en évidence.

En vérité, ses lèvres étaient tordues en un rictus confiant et maléfique.

« Qu’est-ce que vous dites tous ? Cela signifie simplement qu’ils serviront d’autant mieux de proies. »

C’était au cœur de la nuit qu’un grondement sourd se fit entendre dans toute la zone entourant le château de Dauwe. C’était si fort, et si soudain, que les soldats de l’armée du Clan Anti-Acier qui campaient dans la zone avaient été tirés de leur sommeil par la force.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

« Est-ce une attaque de l’ennemi ? »

Fwip-fwip-fwip !

Un grand nombre de flèches avaient commencé à tomber du ciel, bien que personne ne leur ait ordonné de se préparer à une quelconque bataille.

« Uwagh ! »

« Aagh !? »

« Une attaque venue de nulle part !? Personne n’a déclenché les gongs d’alarme ! »

« Merde ! Qu’est-ce que les guetteurs font, bordel !? »

Des cris de panique et de confusion s’élevaient tout autour d’eux.

Et leur tourment ne faisait qu’augmenter. Des silhouettes fantômes se dirigeaient vers leur camp à une vitesse effrayante, tout en tirant une grêle de flèches.

« Quoi ? C-Cheval !? »

« Oh non, ils arrivent si vite ! A- Attendez, attendez-attendez-attendez ! »

« Je ne suis pas prêt à — gyaghh ! »

« N-Nonnn, je ne veux pas mourir… ggh… ! »

« Sauvez-moi… gaah ! »

Avant que les soldats n’aient eu la possibilité de faire autre chose que de paniquer, l’homme à la tête de la bande de cavaliers armés avait foncé sur eux, les frappant impitoyablement de gauche à droite avec la lame de sa lance.

C’était un homme étrange et sinistre, dont la moitié du visage était masquée par un masque noir de jais.

« Parfait, ils ont été complètement balayés ! » cria l’homme masqué. « Maintenant, ne gâchez pas cette opportunité — ravagez-les ! » Il leva sa lance, dégoulinante de sang, en l’air.

« Rraaaaghh ! » Les cavaliers derrière lui poussèrent un cri de guerre et le dépassèrent de chaque côté.

Ils étaient comme une meute de bêtes féroces.

Pour ce que ça vaut, les soldats du Clan Anti-Acier avaient été informés qu’il existait une unité de soldats au sein du Clan de l’Acier qui pouvaient se battre à cheval, ils savaient donc qu’ils devaient se préparer mentalement à les combattre.

Cependant, maintenant qu’ils étaient confrontés à de tels cavaliers en chair et en os, ce sentiment de préparation était rapidement écrasé.

D’abord, ils étaient tous si grands.

***

Partie 4

Avec la taille et le poids combinés du cheval et de son cavalier, ils formaient un ennemi de taille. C’était comme être attaqué par les membres de la race des géants tout droit sortis des vieilles histoires sur l’époque de la création du monde.

Et pourtant, quelque chose d’aussi grand fonçait sur eux à plus de deux fois la vitesse à laquelle un humain peut courir.

Et ce qui était encore pire, ils avaient même des armes étranges et effrayantes.

Ils étaient capables de briser l’épée d’un homme d’un seul coup, ou de transpercer son bouclier et son armure aussi facilement qu’une brochette de fromage.

Comment quelqu’un était-il supposé se battre contre quelque chose comme ça !?

Face à une différence de puissance absolument écrasante, les soldats de l’armée du Clan Anti-Acier avaient senti leur cœur écrasé par le désespoir.

« L’ennemi attaque ! Attaque ennemie ! »

Les cris stridents emplissaient l’air, ainsi que le son fort et métallique des gongs de guerre en bronze.

« Hm… Huh ? Qu’est-ce que c’est ? »

Bára, qui dormait dans son fauteuil, avait lentement ouvert les yeux et, comme toujours, avait parlé d’un ton qui ne traduisait aucune tension.

Quelle que soit la situation, elle ne semblait jamais se départir de cette attitude trop facile.

En d’autres termes, cela signifie que peu importe ce qui se passe, elle ne paniquait jamais.

Cet aspect de sa personnalité était quelque chose que le patriarche du Clan de l’Épée, Fagrahvél, avait reconnu en elle, et c’était en partie pour cela qu’on lui avait confié les postes importants d’adjuvant et de conseiller militaire en chef.

« Une attaque ennemie ? … Ngh ! »

Allongée dans son lit, Fagrahvél avait réalisé ce qui se passait et avait immédiatement essayé de se lever, mais n’avait pas eu la force de rester debout et s’était effondrée sur le sol…

… Ou l’aurait fait, si Bára n’avait pas déjà prédit cette tournure exacte des événements et s’était rapidement déplacée pour attraper Fagrahvél d’un seul mouvement fluide.

« Maintenant, non, non, ne te pousse pas à bout. Tu dois rester en forme. » Bára parlait comme si elle réprimandait gentiment un petit enfant.

Bára était souvent troublée par le fait que son patriarche ait la mauvaise habitude de prendre seul tellement de responsabilités que cela finissait souvent par être trop lourd à gérer.

« Nous sommes attaqués en ce moment même. Je suis le commandant de cette armée — comment pourrais-je être absent ? »

Les paroles de Fagrahvél étaient fermes et courageuses, mais la lumière de la lampe montrait un visage encore maladif et pâle, manifestement encore épuisé par la tension subie lors de la dernière bataille.

« Qui penses-tu tromper avec ce discours ? Tu ne peux même pas te tenir sur tes deux pieds maintenant. »

« Ngh, non, ce n’est rien… »

Fagrahvél avait repoussé le corps de Bára et avait essayé de se lever sans aide.

Cependant, cela n’avait conduit qu’à une autre chute, en arrière cette fois, et à une autre réception gracieuse de Bára.

« Et voilà. Tu vois, tu ne peux pas du tout le faire. »

« Kh… Une bagatelle, et pourtant mon corps ne veut pas faire ce que je dis… Quelle faiblesse… ! » cracha Fagrahvél avec amertume.

« Qu’est-ce que tu dis ? Ce n’était pas du tout une “bagatelle”. » Bára avait eu un petit rire ironique à la réaction de Fagrahvél.

La rune de Fagrahvél, Gjallarhorn, avait le pouvoir d’élever le moral d’un allié jusqu’à sa limite absolue et de tirer toute la force latente que cette personne possédait.

On pourrait certainement dire qu’il s’agissait de la rune la plus puissante possible entre les mains d’un commandant talentueux, mais elle présentait également un inconvénient puissant et inévitable.

Plus le nombre de personnes auxquelles son pouvoir était appliqué était important, plus l’effet était précieux, mais le tribut physique qu’il imposait à son utilisateur augmentait en proportion.

Jusqu’à présent, Fagrahvél ne l’utilisait normalement que sur les soldats de l’armée du Clan de l’Épée, qui étaient environ dix mille. Même cela suffisait à épuiser Fagrahvél au point qu’il était à peine capable de rester debout pendant un moment. Cette fois, la cible de l’effet était une armée trois fois plus nombreuse.

Fagrahvél avait de la chance d’avoir encore la force d’être consciente en ce moment.

« Tu t’assieds et tu nous laisses faire, d’accord ? »

« M-Mais, c’est… »

« Repose-toi seulement. Hárbarth a dit que lorsque nous avons commencé notre attaque, le Clan de l’Acier était toujours à Gashina, tu te souviens ? En d’autres termes, ça ne peut pas être leur armée. »

« Eh bien, maintenant que tu le dis… »

Les yeux de Fagrahvél s’étaient élargis en réalisant que Bára avait raison.

D’ordinaire, une telle chose n’aurait pas échappé au patriarche du Clan de l’Épée. Fagrahvél était vraiment complètement vidée de son corps et de son esprit.

« Notre véritable ennemi dans cette guerre est le “dieu de la guerre” Suoh-Yuuto, n’est-ce pas ? Tu dois garder tes forces pour le moment où tu l’affronteras. En attendant, laisse-moi nettoyer le champ de bataille. »

« … C’est ça. »

Enfin, Fagrahvél avait semblé l’accepter et avait hoché la tête en signe d’assentiment.

Bára avait ramené Fagrahvél dans son lit, puis avait quitté la pièce. Une fois dehors, elle posa pensivement son index sur sa lèvre et, nonchalamment comme toujours, se murmura à elle-même.

« J’ai entendu dire que le Clan de l’Acier a un groupe de personnes qui se battent à cheval. Ce doit être eux. Maintenant, je me demande si Erna s’occupe des choses comme on lui a ordonné de le faire ? »

« Maintenant, c’est étrange. »

Du haut de son cheval, Hveðrungr regardait la suspicion dans les yeux, les soldats ennemis qui fuyaient dans toutes les directions, désespérés.

D’après le briefing qu’on lui avait donné, ces hommes étaient censés être des ennemis puissants, indomptables et sans peur de la mort… mais ils s’étaient brisés facilement.

Beaucoup trop facilement, en fait.

En comparaison, même les soldats de l’armée du Clan du Sabot qu’il avait autrefois vaincus avaient opposé une résistance bien plus forte que celle-ci.

Au train où vont les choses maintenant, il semblerait que lui et le régiment soient capables de les mettre en déroute sans aucune aide.

« Alors, est-ce un piège ? »

La première chose qu’il soupçonnait était que c’était un stratagème : feindre la faiblesse pour rendre son ennemi trop confiant et le tenter d’aller trop loin, puis l’encercler complètement et l’anéantir.

Avec les pouvoirs d’observation que Yuuto appréciait tant, les yeux de Hveðrungr scrutaient la bataille qui se jouait autour de lui.

Cependant, il n’avait vu aucun signe qu’une telle tactique était actuellement employée.

Si c’était le cas, il y aurait un peu plus de cohérence dans les mouvements et les actions de chaque soldat. Leurs expressions de peur totale étaient indubitablement réelles.

« Cela dit, il n’en reste pas moins qu’ils ont capturé ce château en l’espace d’une seule journée. Nous ne pouvons pas baisser notre garde. »

Comme la zone à l’ouest du château de Dauwe était le territoire du Clan de la Cendre, il n’y avait pas de structures défensives de ce côté, ce qui rendait l’infiltration du camp ennemi plutôt facile. Mais s’ils avaient été derrière les hauts murs du château, même Hveðrungr aurait été stoppé net dans son élan.

Le récit des soldats qui se battaient comme des morts-vivants était probablement exagéré dans une certaine mesure, mais il avait du mal à croire que c’était un mensonge complet.

« Ainsi, pousser plus loin dans leurs rangs serait un peu dangereux. Mais laisser passer une si bonne occasion l’est aussi… !? »

Tout à coup, Hveðrungr avait ressenti une intense sensation d’intention meurtrière venant de sa droite, et immédiatement après, une rafale de flèches vola vers lui.

Il se retourna et balança sa lance pour les dévier, et dans l’ouverture créée par cette action, une petite silhouette s’approcha de lui, se déplaçant bas comme si elle glissait sur le sol.

« Je t’ai eu ! » Hveðrungr avait rapidement fait tournoyer sa lance dans les airs et la déplaça vers le bas sur la silhouette de l’ombre.

Mais le personnage avait facilement esquivé son attaque, s’était approché de son cheval et, sans une seconde de pause, lui avait tranché la jambe avant.

L’appui d’une de ses jambes ayant soudainement disparu, le cheval s’était effondré, et Hveðrungr avait été emporté avec lui, heurtant violemment le sol.

« Khh ! » Une onde de choc de douleur traversa son corps, mais il n’avait pas un instant à perdre à penser à cela.

Une lame s’abattit sur lui depuis le ciel, qu’il parvient à esquiver en roulant sur le côté.

Il utilisa l’élan de sa roulade pour se remettre sur ses pieds, et en se relevant, il regarda bien son adversaire.

C’était une femme, plutôt jeune d’ailleurs.

Cependant, l’intensité de l’air qui l’entourait, la pression qu’il sentait émaner d’elle et, surtout, les mouvements habiles dont elle avait fait preuve il y a une seconde à peine, tout cela lui disait qu’elle était tout sauf ordinaire.

« Prenez garde ! Je suis Erna, commandante de la force d’assaut spéciale du Clan de l’Épée ! Vous êtes le chef de ces forces, n’est-ce pas !? Je vais maintenant prendre votre tête ! »

Après s’être annoncée, elle quitta le sol d’un coup de pied et s’élança vers lui.

« Quoi !? » Hveðrungr hurla d’étonnement, les yeux écarquillés.

Elle était si rapide ! La force de ses jambes et son jeu de jambes étaient extraordinaires.

Il avait déjà affronté d’autres Einherjars au combat à plusieurs reprises, mais c’était la première fois qu’il voyait un adversaire se rapprocher de lui d’un mouvement aussi vif et rapide.

 

 

« Haaah ! »

« Gh… ! »

Elle avait déclenché une attaque tranchante visant son cou, et il avait senti son sang se glacer.

Il n’avait pas eu le temps de le bloquer.

La connaissance de sa mort prochaine avait traversé son esprit. Cependant, l’attaque de son ennemi avait soudainement ralenti.

Non. L’ennemi n’était pas devenu plus lent.

Son propre esprit s’accélérait.

En se concentrant sur la menace d’une mort imminente, il avait ouvert la porte du royaume de la vitesse divine, la technique ultime qu’il avait volée à Sigrún.

« Grrggh ! »

Hveðrungr avait forcé son corps à se déplacer dans un air qui semblait aussi lourd que s’il était sous l’eau. Il avait dirigé la lame de son arme pour qu’elle se glisse dans la trajectoire de l’épée de son ennemi.

Avec son sens du temps ralenti, ses propres mouvements semblaient incroyablement lents d’une manière qui le rendait anxieux et impatient, mais même ainsi, son adversaire était encore plus lent.

Il avait ressenti un petit pincement au cœur alors que son épée était forcée de s’arrêter.

Il avait tout juste bloqué l’attaque à temps.

« Quoi !? »

Cette fois, c’était au tour de son adversaire d’être étonné.

Erna regarda fixement la lame qu’elle tenait dans sa main tandis qu’une fissure se formait et parcourait son chemin. L’instant d’après, elle se fendit en deux.

***

Partie 5

L’épée de Hveðrungr était un nihontou, avec une lame faite de fer qui avait été raffiné en ajoutant juste la bonne quantité de carbone traité, et trempé encore et encore jusqu’à ce qu’il devienne une arme en acier.

La force et la dureté de cet acier étaient telles que les armes et armures de bronze ordinaires de cette époque ne pouvaient même pas s’y comparer. En le frappant avec autant de force qu’elle l’avait fait, il n’était que raisonnable que son épée se brise comme elle l’avait fait.

Bien sûr, même si ce n’était que raisonnable, il n’y avait aucun moyen pour qu’elle puisse le savoir.

Son épée était une arme qu’elle connaissait bien et à laquelle elle avait confié sa vie. Qu’elle se brise soudainement au milieu d’un combat était quelque chose qui ne devrait jamais arriver.

Pendant une fraction de seconde, elle s’était figée sous le choc.

Hveðrungr n’était pas le genre d’homme à manquer une telle ouverture.

« Hhn ! »

Il contre-attaqua avec une frappe diagonale aérienne, visant l’épaule droite de son adversaire.

Je t’ai eu ! Il pensait, certain de sa victoire. Cependant…

« Khh ! »

Son adversaire avait frappé le sol de toutes ses forces et avait fait un bond en arrière.

Malgré les tentatives d’évitement de son adversaire, Hveðrungr avait poursuivi son swing, et peu après…

Il avait senti la résistance de sa lame qui se connectait et tranchait quelque chose de dur. Il avait fait une profonde entaille dans son armure de poitrine — mais il n’y avait pas de sang qui jaillissait.

« Tch. Trop peu profond. »

Faisant claquer sa langue en signe d’irritation, Hveðrungr s’était avancé vers elle et avait lancé une attaque de suivi.

Cependant, son adversaire avait fait un nouveau bond en arrière, et sa lame ne l’avait même pas effleurée.

La série d’attaques de Hveðrungr avait été réalisée dans le royaume de la vitesse divine, un état supérieur qui lui permettait de dépasser les limites habituelles de son corps. Selon lui, il s’agissait des attaques les plus rapides et les plus puissantes qu’il ait jamais faites de toute sa vie.

Et le mouvement de son ennemi les avait encore facilement dépassés.

« Je dirais que cela signifie qu’elle est un Einherjar avec des pouvoirs axés sur l’amélioration de la force de ses jambes. »

La force des bras dont elle avait fait preuve jusqu’à présent n’avait rien d’exceptionnel, mais la force de ses jambes était probablement égale à celle du monstre Steinþórr, le Tigre assoiffé de combat.

Si Hveðrungr n’avait pas possédé le royaume de la vitesse divine, il serait très certainement un cadavre à l’heure actuelle.

Elle était sans aucun doute une ennemie puissante.

« Yeaaaaah ! Les Demoiselles des Vagues sont là ! »

« Nous sommes sauvés ! Les Demoiselles des Vagues valent cent soldats ! Non, mille ! »

« Tout le monde, attaquez immédiatement et repoussez-les ! »

Tout à coup, des acclamations jubilatoires avaient commencé à s’élever des troupes ennemies autour de lui. C’était comme si la vie et l’énergie étaient soudainement revenues en eux.

Hveðrungr regarda, les yeux écarquillés, l’un de ses cavaliers se faire transpercer par une lance et tomber de son cheval, puis un autre, et encore un autre.

Il gloussa amèrement pour lui-même. « Keh-heh, je dois admettre que penser que nous pourrions tous les éliminer nous-mêmes était vraiment les sous-estimer. »

Il avait cherché dans les données qu’il avait méticuleusement classées dans son cerveau, en tirant les informations pertinentes.

Les Demoiselles des Vagues… S’il se souvenait bien, il s’agissait de neuf guerriers d’élite Einherjar, la fierté du Clan de l’Épée.

Si l’on en juge par le fait qu’ils étaient à pied et qu’ils terrassaient une cavalerie qui aurait dû avoir un avantage considérable sur eux pour avoir combattu à cheval, leur réputation était méritée.

Il avait entendu le cri strident d’un cheval de son côté gauche, ainsi que le bruit sourd et lourd de son grand corps tombant sur le sol.

« Oho, voilà quelqu’un que je n’ai pas vu depuis un moment. »

Le propriétaire de la voix apparut, un homme aux traits sauvages, vêtu de fourrures grises faites à partir de peaux de loups.

Il avait une carrure large et musclée, mais il y avait aussi un sens de l’équilibre et de la symétrie tonique dans son physique. Un simple coup d’œil suffisait à dire que cet homme avait à la fois une force musculaire impressionnante et une agilité aiguisée.

Il avait peut-être l’air d’avoir passé la fleur de l’âge, entre la trentaine et la quarantaine, mais il portait une énorme lance plus longue que sa propre taille, qu’il maniait avec une apparente facilité. Il ne semblait pas que l’âge ait entamé sa force.

« C’est vrai, ça fait un moment, Gerhard. »

« Hmph, je pensais que tu étais mort après ta défaite aux mains de ce morveux du Clan de l’Acier, et maintenant je découvre que tu as en fait courbé la tête devant lui et que tu es devenu à la place son chien fidèle. On dirait que tu as parcouru un long chemin — vers le bas, bien sûr ! »

Le patriarche du Clan des Nuages avait ricané.

Cependant, Hveðrungr n’était pas prêt à se laisser prendre à une telle raillerie. Il avait calmement évalué sa situation actuelle.

L’ennemi s’était sorti de son état de panique et avait retrouvé sa volonté de combattre.

À ce stade, même si les membres du Régiment de Cavalerie Indépendant avaient un avantage écrasant sur eux en termes de compétences individuelles de combat, la différence en nombre était trop importante.

C’était le moment de se retirer.

« Père ! »

« Héhé, tu arrives au bon moment. »

Le subordonné de Hveðrungr s’était précipité vers lui à cheval. Hveðrungr avait saisi sa main tendue, avait donné un coup de pied au sol et s’était habilement hissé derrière lui sur le cheval.

« On se replie, Narfi ! »

« Oui, monsieur ! »

Narfi lui donna une réponse vive et tira sur les rênes, faisant tourner le cheval sur place.

C’était une magnifique performance équestre, suffisante pour même impressionner Hveðrungr — mais c’était aussi une ouverture, une ouverture que le patriarche du Clan des Nuages n’était pas assez débutant pour négliger.

« Je ne pense pas ! » hurla-t-il, et il déclencha une attaque de poussée visant le flanc du cheval avec la force d’un éclair.

Mais Hveðrungr l’avait vu venir.

Sa lame avait fendu l’air aussi vite qu’un éclair et avait tranché la pointe de la lance qui arrivait.

« Ngh !? »

Gerhard était abasourdi en voyant son arme bien-aimée brisée avec une apparente facilité.

Hveðrungr le regarda d’un air narquois depuis son siège sur le cheval, lui rendant l’attitude qu’il avait subie il y a un instant.

« Héhé, tu vas toi-même t’incliner devant ce morveux du Clan de l’Acier, plus tôt que tu ne le penses. J’attends avec impatience notre prochaine rencontre ! Adieu ! Maintenant, Narfi, vas-y ! »

« Oui, monsieur ! »

Narfi avait donné un coup de pied dans les flancs de son cheval, qui s’était mis à courir.

Au même moment, Hveðrungr avait saisi le cor de guerre qu’il gardait attachée à sa taille et avait émis une note forte.

C’était le signal pour que ses hommes battent en retraite.

Les soldats d’élite du Régiment de Cavalerie Indépendante avaient immédiatement réagi, se détachant du combat et fuyant le champ de bataille à toute vitesse.

C’était vraiment un exemple splendide d’un retrait bien pratiqué et cohésif.

« Je ne vous laisserai pas vous échapper ! »

« Ne pensez pas que nous allons rester les bras croisés et vous laisser vous enfuir après tout ce que vous nous avez fait ! »

Bien sûr, les soldats de l’armée du Clan Anti-Acier qui avaient été si profondément tourmentés par l’attaque surprise étaient livides, et ils avaient rapidement poursuivi les cavaliers du Régiment de Cavalerie Indépendante, leurs visages tordus de rage meurtrière.

« Héhé, comme des papillons de nuit à une flamme, » gloussa Hveðrungr. Il leva la main. « Maintenant ! »

Tout en faisant avancer leurs chevaux au galop, les cavaliers du régiment avaient tourné le haut de leur corps et avaient commencé à lancer des flèches sur les soldats ennemis qui les poursuivaient.

Les flèches avaient fait mouche, et un certain nombre de fantassins avaient vacillé et étaient tombés face contre terre.

Cela n’avait fait qu’attiser les flammes de la colère chez le reste des soldats du Clan Anti-Acier, qui avaient continué la poursuite.

« Tuez-les ! TUEZ-LES ! » Ils hurlaient de fureur en chargeant, ce qui arracha un petit rire à Hveðrungr.

« Eh bien, messieurs, » cria-t-il, « on dirait que ces gars-là ont faim d’une autre série de flèches ! Mieux vaut les laisser faire ! »

« Oui, sir ! » Ses hommes avaient répondu en criant en chœur.

Avec des huées et des cris sauvages, les cavaliers avaient lâché une deuxième volée.

Il s’agissait du tir parthien : une technique qui consistait à tirer à reculons sur ses poursuivants tout en reculant à cheval.

C’était la technique de tir à l’arc la plus prisée de plusieurs clans de guerriers nomades à cheval à travers l’histoire — l’histoire future, bien sûr.

D’ordinaire, une formation de soldats aussi motivés par la colère était extrêmement forte, et il valait mieux éviter de les engager au combat. Mais pour les cavaliers du régiment, qui pouvaient utiliser le tir parthien, de tels soldats qui continuaient à poursuivre, peu importe combien d’entre eux étaient abattus, faisaient une proie parfaite.

En effet, c’est ainsi que cela aurait dû être…

Sans prévenir, le cheval sur lequel se trouvait Hveðrungr s’était arrêté brusquement.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

« Monseigneur, c’est… »

Narfi regardait fixement devant lui, le visage figé par le choc. Lorsque Hveðrungr dirigea son regard vers cette même zone, il vit qu’une barrière d’épais poteaux de bois avait été érigée. Ils étaient alignés par rangées de vingt, bloquant leur chemin.

De plus, les extrémités des poteaux étaient aiguisées comme des pointes de lance, avec ces pointes pointées directement sur eux dans une disposition plutôt vicieuse.

Les poteaux n’étaient pas très hauts, mais il y en avait beaucoup. Et ils avaient sûrement été placés ici en sachant que les chevaux, par instinct, n’avaient pas envie d’essayer de sauter par-dessus des barrières, même basses.

« Quand ont-ils fait ça !? Et comment ont-ils pu mettre en place un contre-pied aussi audacieux à la cavalerie alors qu’ils ne nous ont jamais vus !? »

Hveðrungr avait craché les mots avec amertume.

L’ennemi n’avait pas utilisé ces barrières pour se défendre contre une attaque de soldats montés, mais avait plutôt appâté l’attaque et les avait ensuite placées sur la voie d’évacuation. Cela montrait qu’ils avaient l’intention de piéger ses cavaliers et de les anéantir.

Apparemment, ils avaient de leur côté un stratège d’une redoutable ruse.

S’il dirigeait une retraite d’infanterie, il ne serait pas difficile de déplacer les barrières, mais comme ils étaient montés, ils devaient d’abord descendre de cheval.

Et, bien sûr, ils n’avaient pas vraiment de temps à perdre pour ça.

Leurs poursuivants les rattrapaient, et plus loin, au-delà des barrières, d’autres soldats les attendaient — sans doute ceux qui les avaient mises en place — et encochaient déjà leurs flèches.

« Merde ! Je ne pensais pas être obligé d’utiliser mon atout si tôt… »

Crachant les mots avec amertume, Hveðrungr fouilla dans sa poche et en sortit plusieurs petits objets — des bombes tetsuhau.

Yuuto les lui avait donnés pour qu’il les utilise en cas d’urgence, en dernier recours.

Il utilisa son briquet pour allumer les mèches de cinq d’entre eux, et les jeta tous en même temps.

Ils avaient explosé en succession rapide, le bruit de la concussion des explosions remplissant l’air.

Heureusement, les poteaux de la barrière n’étaient pas enterrés dans la terre, mais simplement posés sur le sol lui-même.

Comme on peut s’y attendre de la part de barrières conçues pour arrêter les chevaux, elles étaient construites assez solidement pour être brûlées par l’explosion, mais elles avaient tenu bon. Cependant, la force de l’onde de choc des explosions avait été suffisante pour les faire sauter du sol et les écarter du chemin.

Le groupe de soldats qui avait mis en place la barrière avait été tellement surpris par ce bruit soudain et assourdissant qu’ils étaient restés là, hébétés, ayant oublié d’attaquer.

Le chemin était dégagé. S’ils devaient s’échapper, c’était maintenant ou jamais.

Hveðrungr fronça les sourcils. « Hmph. Bon sang, je n’arrive pas à croire que j’ai déjà fini par lui en devoir une. Ce n’est pas ce que j’espérais. »

Ainsi, le régiment de cavalerie indépendant avait failli rencontrer sa fin, mais avait réussi à s’échapper de justesse.

***

Chapitre 3 : Acte 3

Partie 1

À peu près au même moment où le Régiment de Cavalerie Indépendante décorait sa jeune histoire de sa première victoire, Yuuto arrivait à cheval à Gimlé, la capitale du Clan de l’Acier.

Il avait voyagé à toute vitesse jour et nuit, et avait atteint Gimlé juste avant ses soldats.

C’était au milieu de la nuit, et malgré le fait que le Réginarque qui régnait sur sept clans était rentré chez lui, il n’y avait personne pour l’accueillir. Les gardes à la porte de la ville avaient été choqués par son arrivée soudaine et inattendue.

Bien sûr, on pouvait dire que c’était normal, car Yuuto était arrivé avant les messagers qui annonceraient son retour.

Yuuto s’était tenu à son entraînement physique quotidien, mais la majorité de son temps était encore consacrée au travail de bureau.

Après s’être forcé à parcourir en un jour et demi une distance qui demanderait à l’infanterie sept jours de marche, il était complètement épuisé. Malgré cela, il utilisa sa volonté pour se maintenir conscient, et après qu’il soit descendu de cheval, Félicia et lui se précipitèrent dans le palais.

« S-Seigneur Réginarque !? »

« S’il vous plaît, attendez, mon seigneur. Mère est actuellement endormie… »

« C’est urgent, et on n’a pas le temps. Laissez-moi passer ! »

Yuuto n’avait pas eu le temps d’expliquer ou de répondre aux questions.

Il passa les gardes à la porte et entra dans la chambre.

« Linéa ! »

« Zzz… Zzz… »

Même lorsqu’il criait son nom, sa douce respiration était la seule réponse.

Chaque jour, elle se levait plus tôt que la plupart des gens pour commencer son travail, et se couchait plus tard que la plupart des gens chaque nuit. Il n’est que logique qu’elle soit une grande dormeuse.

Yuuto n’aurait rien voulu de plus que de la laisser se reposer en paix, mais il n’avait pas ce luxe pour le moment.

« Désolé, Linéa, il faut te réveiller. »

Il attrapa ses épaules et la secoua.

« Nn. Nn... »

« Es-tu réveillée maintenant ? »

« Hm… Héhé, Père… Oh, je t’aime tellement. »

« Bwuh ? »

Cette confession romantique était si abrupte qu’elle avait choqué Yuuto, et pendant un court instant, il oublia la raison pour laquelle il était si pressé.

Il sentit son visage rougir de chaleur.

Bien sûr, ce n’était pas comme si les sentiments de Linéa pour lui étaient une surprise. Son attirance pour lui était quelque chose qu’il ne comprenait que trop bien.

Mais le fait qu’elle murmurait cela alors qu’elle était à moitié endormie lui indiquait à quel point elle gardait ces sentiments dans son cœur, et c’était beaucoup à encaisser.

« Hmph… » À côté de lui, Félicia gonfla ses joues d’un air maussade. « Pour ta gouverne, Grand Frère, moi aussi je pense toujours à toi quand je dors ! »

Pourquoi agis-tu comme ça alors que c’est toi qui nous a piégés, Linéa et moi ? se dit Yuuto. Apparemment, elle avait ressenti le besoin d’être compétitive après avoir vu le visage de Yuuto devenir timidement rouge en réaction à Linéa.

« Nous n’avons pas le temps de discuter de ce genre de choses en ce moment ! Hé, Linéa, réveille-toi ! »

Incapable de supporter l’embarras, Yuuto s’était empressé de recommencer à secouer Linéa.

Enfin, cela avait semblé porter ses fruits, car Linéa avait lentement ouvert les yeux.

« Hn... Père… ? »

« Hey, désolé de te réveiller. Le truc c’est que — mmph !? »

Au moment où ses yeux avaient rencontré les siens, elle l’avait attiré dans une étreinte et avait couvert ses lèvres des siennes.

Et une fois qu’elle avait relâché ses lèvres, elle avait commencé à frotter sa joue contre la sienne.

« Héhé. Père… ♥ ! »

Apparemment, elle était encore à moitié endormie.

D’une certaine manière, c’était beaucoup plus dur à accepter que la confession.

Avec la douce sensation de son corps contre le sien… la façon dont elle communiquait ses sentiments d’adoration pour lui… il ne pouvait empêcher son corps de réagir.

« Hmph ! Eh bien, si tu veux frimer comme ça devant moi, alors je vais devoir me joindre à toi et te montrer que… »

« Ce n’est pas une compétition ! »

 

 

Malheureusement pour Yuuto, il était coincé dans une bataille perdue d’avance, qui avait continué pendant un certain temps jusqu’à ce que Linéa soit, enfin, complètement réveillée.

« P-Pardonne-moi, Père. J’étais tellement sûre que je rêvais encore, et… ! »

Linéa s’était prosternée devant Yuuto pour s’excuser.

Yuuto avait tendu une main pour l’arrêter. « Non, c’est — c’est bon. C’est moi qui suis fautif d’avoir fait irruption ici et de t’avoir réveillée au milieu de la nuit comme ça. Mais plus important encore, quelle est la situation de la guerre ? » Sa voix s’était faite plus pressante et il avait abordé le sujet pour lequel il était venu ici.

Il avait déjà perdu du temps à cause de ce qui venait de se passer. Il n’avait pas l’intention de perdre une seconde de plus pour quoi que ce soit d’autre.

Linéa avait un peu de mal à gérer les surprises, mais son esprit travaillait incroyablement vite. En un rien de temps, son expression était passée de celle d’une fille normale à celle d’une dirigeante nationale, la jeune femme qui dirigeait l’administration d’une nation puissante.

« Le château de Dauwe est tombé, » répondit-elle franchement.

« Quoi !? Attends, sérieusement !? C’est arrivé bien trop vite ! »

En entendant une nouvelle aussi horrible, même Yuuto n’avait pu s’empêcher d’exprimer un choc ouvert.

La campagne qu’il avait menée contre le Clan de la Foudre faisait partie d’un plan pour attirer ses ennemis, et la forteresse de Dauwe avait été la pierre angulaire de ce plan.

« Quels étaient les effectifs de l’ennemi, et quelles méthodes utilisaient-ils ? »

Les premières questions qui vinrent à l’esprit de Yuuto furent les mêmes que celles posées par le patriarche du Clan du Frêne, Douglas. Après tout, la réputation de forteresse solide et imprenable du château de Dauwe était quelque chose que Yuuto avait souvent entendu.

Juste avant d’organiser sa cérémonie de mariage, il s’y était secrètement rendu pour se faire une idée précise de la situation.

« Bien que j’aie du mal à le croire, le récit indique qu’elle a été capturée par la force uniquement, par un assaut frontal. »

« … Hmm. Mais même s’ils ont une énorme armée, ce n’était pas le genre de forteresse qu’ils auraient dû être capables de capturer si facilement. »

Le château de Dauwe avait été construit en tirant pleinement parti de la géographie du terrain sur lequel il se trouvait, de sorte que même une armée extrêmement importante n’aurait pas pu tirer parti de l’avantage que lui conférait son nombre.

Elle était si bien fortifiée que si Yuuto était chargé de la capturer sans l’utilisation du trébuchet, il jetterait honnêtement les bras en l’air et la qualifierait de cause perdue.

C’était exactement la raison pour laquelle il avait compté sur elle dans le cadre de son plan. Sachant que le groupe des forces du Clan Anti-Acier attaquant par l’est serait le plus important, il avait supposé que Dauwe serait capable de les maintenir en place pendant un bon moment.

Qu’elle tombe aux mains de l’ennemi en l’espace de quelques jours seulement était une chose qu’il n’aurait jamais envisagée en temps normal.

En d’autres termes, en regardant cette situation de l’autre côté, il y avait quelque chose d’inhabituel à l’œuvre ici.

« On dirait qu’ils ne vont pas être faciles à gérer après tout, hein ? … Qu’en est-il des forteresses dans d’autres régions ? »

La frontière Est n’était pas la seule zone attaquée.

Il avait appris que les territoires de l’ouest étaient attaqués par les restes de l’ancien Clan de la Panthère, ainsi que par l’armée du Clan du Sabot. Il voulait également en savoir plus à ce sujet.

« Le Clan du Blé semble lui aussi être dans une situation très difficile. Ils ont envoyé un message demandant de l’aide dès que possible. Pour l’instant, j’ai envoyé le commandant en second du Clan de la Corne, Haugspori, dans leur direction avec des renforts. »

« Je vois. C’était une bonne décision. » Yuuto avait acquiescé.

Haugspori était connu pour être un peu volage en termes de personnalité, et un playboy impénitent quand il s’agissait de femmes, mais il était peut-être le choix le plus approprié pour ce genre de cas.

L’objectif principal, à court terme, n’était pas de repousser l’ennemi, mais de lui résister.

Si l’on confiait le commandement des troupes à un homme au sang chaud, il risquerait d’être impatient de prendre l’avantage et de subir des pertes inutiles. En revanche, on pouvait compter sur Haugspori pour prendre des décisions réfléchies.

« Quant à Frère Ská, j’ai reçu un message de sa part qui disait : “Vous ne devez pas vous inquiéter pour le Clan de la Panthère. Envoyez des soldats dans d’autres régions qui en ont besoin.” »

« Héhé. En effet, ça lui ressemble. »

Après une série de renseignements qui ne parlaient que des difficultés auxquelles ils étaient confrontés, recevoir un message qui semblait si fiable avait naturellement fait sourire Yuuto.

Skáviðr était le patriarche de l’actuel Clan de la Panthère sous la domination du Clan de l’Acier, et bien que sa force et ses accomplissements en tant que guerrier soient nombreux, il était principalement connu dans toute la région de Bifröst comme quelqu’un qui excellait dans la guerre défensive.

Dans son service précédent en tant que général chargé de protéger la ville occidentale de Myrkviðr, il s’était également habitué à combattre la cavalerie armée. Si cet homme disait qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, alors il devrait pouvoir s’en remettre à lui et porter son attention ailleurs.

« Auquel cas, on finit par revenir au problème de l’Est. Hmm… » Yuuto fronça les sourcils.

La perte du château de Dauwe avait été un coup très douloureux — il n’y avait pas deux façons de le dire.

On disait que les Einherjars étaient aussi rares qu’un sur dix mille. Et en ce moment, juste sur le front de l’est, les armées des Clans de l’Épée, des Nuages, des Crocs, du Bouclir et de la Lance travaillaient toutes en tandem. Il n’était pas difficile d’imaginer qu’en plus du nombre combiné de leurs soldats normaux, ils avaient sûrement un nombre proportionnel de puissants Einherjars.

Il était probable que parmi eux se trouvait un Einherjar avec des pouvoirs que Yuuto ne connaissait pas, quelque chose d’équivalent à la force imparable que possédait Steinþórr.

Cependant, ils n’étaient pas les seuls à avoir un pouvoir qui défie l’ordinaire. Le Clan de l’Acier pouvait les égaler à cet égard.

« Je compte sur toi, mon frère. Il faut que tu tiennes le coup jusqu’à ce que j’y arrive. »

Du point de vue de Hveðrungr, le fait de découvrir qu’il était tombé dans la tromperie d’un ennemi avait signifié que sa première bataille en tant que commandant du régiment s’était terminée comme une expérience amère pour lui.

Cependant, du point de vue de l’armée des forces Anti-Acier, c’était à peu près la même chose.

Les cavaliers qui les avaient attaqués avaient fait fi de leurs rangs, puis avaient facilement brisé le piège qui leur avait été tendu, s’échappant complètement.

Le camp de l’armée avait subi des pertes de plusieurs centaines de personnes, contre seulement quelques dizaines pour l’ennemi. Quelle que soit la façon dont vous le regardez, c’était une défaite totale.

On pouvait également dire que la frustration liée aux événements de la bataille était beaucoup plus forte de ce côté-là.

« C’est complètement au-delà de ce que j’avais imaginé… »

C’était le matin suivant l’attaque, et Bára était accroupie pour examiner l’une des barricades calcinées, grommelant pour elle-même, déçue.

Ce genre de barrière était quelque chose que les chevaux n’auraient pas dû pouvoir franchir, mais l’ennemi avait utilisé une sorte d’arme inconnue pour faire sauter les barrières. C’était vraiment quelque chose qu’elle n’aurait pas pu imaginer.

Même si son stratagème avait fonctionné comme prévu et qu’elle avait d’abord piégé l’ennemi, ils l’avaient quand même retournée contre elle. C’était une première pour elle.

« Je comprends maintenant. C’est vraiment une sérieuse crise. »

Cependant, elle ne parlait pas de l’arme étrange, qui avait fait un bruit terrible comme le tonnerre et produit une force suffisante pour faire sauter ces poteaux.

Bien sûr, l’arme elle-même était en effet une menace en soi. Mais une fois qu’elle avait appris à son sujet, elle serait en mesure de le contrer.

La menace la plus terrifiante était le fait que l’ennemi créait régulièrement de nouvelles armes comme celle-ci.

« C’est vrai, Theeen. Si nous ne les écrasons pas rapidement, ils seront trop forts pour que nous puissions les gérer. »

Rien que cette fois-ci, il y avait eu la cavalerie armée qui s’était frayé un chemin à travers le champ de bataille, et l’étrange lame de fer qui avait brisé l’épée préférée d’Erna, et puis ces soi-disant « bombes de tonnerre », des armes à projectiles minuscules, mais destructrices. Chacune de ces armes suffisait à elle seule à faire basculer le cours d’une bataille.

***

Partie 2

Est-ce que le Clan de l’Acier avait encore plus que cela à sa disposition ?

Tout comme Yuuto avait ressenti la menace de l’inconnu dans la puissance qui avait renversé le château de Dauwe, Bára avait ressenti une grande peur en pensant à ce que Yuuto pourrait avoir en réserve pour leurs futures batailles…

« Je suis désolée, Bára. Si seulement j’avais pu tuer leur général à l’époque… ! »

Erna s’était excusée abondamment, le visage froncé comme si sa colère contre elle-même la faisait terriblement souffrir.

Bára avait fait un signe de la main, rejetant les excuses. « Ne sois pas désolée pour ça. Ce n’est pas ta faute. Après tout, la personne que tu as combattue était aussi très forte, n’est-ce pas ? »

Erna n’était pas aussi brillante que Bára l’aurait souhaité, mais lorsqu’il s’agissait d’aptitude au combat, elle était, sans aucun doute, la plus compétente parmi les Demoiselles des Vagues.

La rune qu’Erna portait canalisait toute sa puissance divine — son ásmegin — dans ses jambes, de sorte que lorsqu’elle s’élançait pour attaquer, c’était comme un éclair dans le ciel. Il n’était pas facile d’esquiver un coup d’épée porté sur le fil par un jeu de jambes aussi rapide.

Bára était aussi une Einherjar, et certainement plus douée à l’épée qu’un soldat moyen, mais elle n’avait jamais réussi à bloquer une telle attaque d’Erna, pas même une seule fois.

Non seulement ce chef ennemi avait vu et bloqué l’attaque initiale d’Erna, mais il l’avait fait dès sa première rencontre avec elle. Ennemi ou pas, c’était digne d’éloges.

« En fait, à ce propos, il y a quelque chose de bizarre que j’ai remarqué. »

« Hmm ? »

« D’après ce que nous savions, le général commandant la cavalerie ennemie était censé être une femme aux cheveux argentés, et à la personnalité glaciale. Cependant, celui qui donnait réellement les ordres était un homme portant un étrange masque. Et les soldats à cheval portaient des vêtements faits de cuir souple et de fourrures… je pense qu’ils ressemblaient beaucoup à des nomades. »

« Un masque ? » demanda Bára avec méfiance, en penchant la tête sur le côté.

Si l’on parlait d’un homme masqué avec des nomades, le premier homme qui venait à l’esprit était l’ancien patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr — l’homme connu sous le nom de Grímnir, le Seigneur Masqué.

Cependant, elle avait entendu dire qu’il avait été capturé et emprisonné par le Clan de l’Acier lors de leur précédente campagne contre le Clan de la Panthère…

« Et pour commencer, les combattants à cheval du Clan de l’Acier, les Múspell, n’étaient censés compter qu’environ cinq cents hommes dans leurs rangs au maximum, mais les cavaliers qui nous ont attaqués cette fois-ci en comptaient certainement au moins deux mille. »

« Je pense que j’ai une idée de ce qui se passe avec ça. » Une troisième voix avait interrompu leur conversation.

C’était le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard.

« Ah, oui, cela me rappelle, Seigneur Gerhard, vous aviez l’air de connaître cet homme masqué… »

« C’est le cas. C’est l’ancien patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr. Il y a un peu plus d’un an, je l’ai rencontré en personne une fois, lorsque nous nous sommes retrouvés tous les deux pour jurer un pacte de non-agression. »

« Ohh, alors c’était lui. Je comprends maintenant. » Bára avait posé une main sur sa joue et avait laissé échapper un soupir.

Il semblerait que son mauvais pressentiment ait été juste. En bref, l’unité des forces spéciales Múspell du Clan de l’Acier, leurs plus puissants guerriers, étaient totalement distincts de ceux qui avaient attaqué la nuit précédente.

Cette bataille avait suffi à montrer à quel point les archers montés avaient un avantage écrasant au combat. Et maintenant, il était confirmé que l’ennemi avait cinq fois plus de cette cavalerie que les estimations initiales.

Et puis, bien sûr, il y avait cette arme que l’ennemi avait utilisée.

« Cela pourrait s’avérer être un vrai problème pour nous. »

Les mots de Bára ne tarderont pas à devenir réalité.

Et donc, le jour suivant…

« Ha ha ha ! Les lâches du Clan de l’Acier. Penser que vous allez me fuir sans même vous battre. Comme c’est pathétique. »

« Alors, vous êtes revenu. Vous n’avez pas appris votre leçon, n’est-ce pas ? Ne tournez pas la queue et ne me fuyez pas cette fois, d’accord ? »

« Merde, ils se sont encore échappés ! »

Erna avait craché les mots avec une frustration amère en frappant durement le sol.

L’impact était assez lourd pour envoyer des ondes de choc à travers le sol, comme si un ours géant se déchaînait. Les soldats dans la zone autour d’elle s’étaient tous tendus par réflexe.

« Erna, calme-toi, » déclara doucement Bára.

« Comment puis-je être calme à ce sujet !? » Erna avait hurlé furieusement en réponse.

Ce n’est pas comme si Bára ne comprenait pas ses sentiments.

Au cours de la journée d’hier et d’aujourd’hui, ce même groupe de cavalerie était venu les attaquer un certain nombre de fois, et à chaque fois, ils s’étaient enfuis.

De plus, hier, l’armée avait au moins réussi à leur infliger quelques dégâts, mais aujourd’hui, toutes les pertes s’étaient produites de ce seul côté. C’était un vrai désordre.

Et la raison en était singulière.

« Qu’ils aillent au diable, ces sales lâches ! Ils nous tirent des flèches de plus loin que nous ne pouvons riposter, et puis quand nous essayons de nous approcher d’eux, ils s’enfuient en nous tirant encore plus dessus. Je n’en peux plus ! »

« Et cette fois, j’étais si près de les attraper ! Maudits soient-ils… ! Je le jure, la prochaine fois, je les attraperai pour sûr et je les rembourserai pour tout ce qu’ils ont fait ! »

Erna avait frappé son poing serré dans la paume de son autre main, brûlant positivement de combativité.

Il semblerait qu’elle ait laissé ce feu lui monter à la tête.

Bára l’avait secouée d’un doigt.

« Comme je l’ai dit, tu dois te calmer. Erna, ne vois-tu pas que tu tombes dans le piège de l’ennemi ? »

« Huuh !? »

Erna s’était tournée vers Bára, l’air étonné.

Bára avait haussé les épaules. « En y pensant normalement, les gens qui courent à pied ne pourraient jamais rattraper les chevaux à pleine vitesse. Et ce, même si des gens les montent, n’est-ce pas ? »

« Euh… Oui, maintenant que tu le dis… » Erna avait l’air de s’en rendre compte seulement maintenant.

Le fait est qu’avec cette fille en particulier, rattraper son retard pourrait être possible, donc elle n’y avait pas pensé.

« Ils ralentissent, et vous laissent vous approcher dans un but précis. C’est pour qu’ils puissent tirer beaucoup de flèches, et aussi pour qu’ils puissent fatiguer nos soldats. »

Le moyen le plus efficace d’épuiser complètement quelqu’un était de l’amener à dépenser son énergie en efforts inutiles.

Si les cavaliers ennemis s’enfuyaient trop rapidement, les soldats de l’armée des Clans Anti-Acier ne les poursuivraient pas en premier lieu. Mais au lieu de cela, les soldats de l’armée avaient été trompés en ayant toujours l’impression qu’ils étaient sur le point de les rattraper, puis ils avaient été forcés de courir encore et encore à ce rythme, pour finalement échouer à vaincre un seul cavalier ennemi et rentrer au camp en titubant, complètement épuisés.

Si cela continuait ainsi pendant plusieurs jours, les troupes de l’armée Anti-Acier seraient épuisées dans leur corps et leur esprit, et rendues inutiles en tant que ressources du champ de bataille avant que le corps principal de l’armée du Clan de l’Acier n’arrive pour leur bataille décisive.

« Merde ! » Erna cria encore. « Dans ce cas, je devrais juste courir devant tout le monde et essayer d’empêcher l’ennemi de… »

Bára eut un sourire douloureux devant l’attitude et la vigueur d’Erna, mais la coupa. « Je sais à quel point tu es forte, mais tu serais trop en infériorité numérique pour survivre. »

Erna était l’un des piliers importants du Clan de l’Épée. Bára ne pouvait pas la laisser partir et mourir d’une mort aussi inutile et sans gloire.

« Mais à ce rythme, on va continuer à perdre des hommes et le moral à cause de leurs sales coups ! »

Bára croisa les bras et fronça les sourcils. « Hm, c’est vrai. Je me demande ce que nous devrions faire. C’est tendu. »

Sa façon de dire « tendu » donnait l’impression qu’elle n’était pas du tout troublée, mais elle réfléchissait en fait très sérieusement à cette question.

Même le simple fait d’approcher ces ennemis était incroyablement difficile. Même si Bára était connue dans toutes les nations de sa région comme une stratège de génie, franchement, elle ne voyait pas de solution.

Jusqu’à présent, le Clan de l’Épée avait été invincible sur le champ de bataille grâce à la carte maîtresse de Fagrahvél — la rune Gjallarhorn, l’Appel à la guerre, qui conférait aux soldats le pouvoir de vaincre n’importe quel ennemi, quelle que soit sa force.

Cependant, ce pouvoir s’avérerait futile contre ces adversaires particuliers.

Honnêtement, elle était encore frappée d’étonnement devant la nouveauté de se battre comme ils le faisaient.

La seule contre-stratégie dont elle pouvait être sûre était de construire des fossés et des talus en terre, ainsi que des barrières en bois pour empêcher les chevaux d’approcher.

Mais son camp était celui qui menait une invasion, renforcer leurs défenses et creuser ici allait totalement à l’encontre de cet objectif.

Et il faudrait bien plus qu’un jour et une nuit supplémentaires pour construire ce genre de défenses de toute façon, pendant lesquelles elle était sûre qu’ils seraient victimes d’autres attaques et sabotages.

Dans tous les cas, les hommes finiraient par s’épuiser, et l’armée du Clan de l’Acier arriverait alors. C’est quelque chose qu’elle ne pouvait pas laisser se produire.

« Ça me fait vraiment réaliser à quel point ça nous fait mal de ne pas avoir pu tuer cet homme la première nuit. »

À cause de cet échec, le général ennemi avait appris à se méfier d’elle et ne lançait plus d’attaques sans grande précaution.

Même si elle montrait délibérément une ouverture, ils ne mordraient sûrement pas à l’hameçon une nouvelle fois.

Ils n’allaient plus essayer d’infliger à son camp de lourds dégâts en une seule attaque. Au lieu de cela, ils allaient s’en tenir à leur infliger de modestes pertes à longue portée, encore et encore.

« Argh. Je suis désolée. »

« Ohh, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je ne te blâmais pas. »

« Mais quand même… »

« Hm, on dirait que quelque chose vous perturbe. »

Alors qu’elles ruminaient toutes les deux, une voix tout à fait ensoleillée et confiante les avait surpris.

Il appartenait à un homme un peu rondouillard avec une barbe plutôt impressionnante, portant des vêtements faits de fils de soie rares qui indiquaient qu’il s’agissait d’une personne de statut plutôt élevé.

« C’est vous… » commença Bára.

« Seigneur Alexis ! » Erna termina la phrase.

Le prêtre impérial, Alexis — un homme que toutes deux connaissaient bien, et l’homme dont elles se méfiaient le plus.

En apparence, c’était un goði, un prêtre qui servait également de représentant officiel de l’autorité du Þjóðann. Il voyageait en mission diplomatique auprès de nombreux clans différents, servant de médiateur pour leurs plus importants rituels du Serment du Calice.

Cependant, elles avaient découvert que, dans les coulisses, il était directement lié au patriarche du Clan de la Lance, Hárbarth.

Alexis accompagnait l’armée des Clans Anti-Acier dans sa campagne, servant d’« yeux » à Hárbarth ici.

« Pour quelle raison venez-vous nous voir ? »

« Hee hee, oh, j’aimerais que vous ne soyez pas si hostile avec moi. Après tout, je suis ici avec des informations que vous trouverez, je pense, tout à fait bienvenues à entendre. »

« Informatiooon ? » Bára avait rétréci ses yeux sur Alexis.

Cet homme était le fidèle serviteur de Hárbarth, l’homme qui se disputait le contrôle politique de l’empire dans les coulisses depuis un certain temps maintenant. Il était juste de suspecter qu’il y avait une arrière-pensée en jeu ici.

Alexis semblait reconnaître silencieusement cet aspect de la situation, conservant son sourire amical et laissant sa suspicion manifeste glisser sur lui plutôt que de protester.

« Oui, c’est exact. Le seigneur Hárbarth aimerait vous offrir sa coopération. »

***

Partie 3

« Vous êtes venu au mauvais endroit. Vous ne trouverez rien pour vous nourrir ici. »

Les remarques de Hveðrungr s’adressaient aux corbeaux qui trottaient dans l’herbe trempée de rosée à ses pieds.

Les corbeaux étaient des oiseaux charognards — des charognards qui se nourrissaient de la chair des morts — un spectacle familier sur les champs de bataille.

Attirés par l’odeur du sang, ils se rassemblaient sur les lieux des batailles, venant souvent de nulle part.

À cause de cela, ils étaient considérés comme des signes avant-coureurs de malheur et vus avec dégoût. Cependant, Hveðrungr ne trouvait rien à redire à ces créatures rusées et opportunistes.

Après tout, n’était-ce pas là les attributs considérés comme les plus essentiels chez les patriarches et les généraux ?

Il avait passé quelques instants à ruminer ces pensées, se disant qu’il voulait être connu et craint pour ces mêmes caractéristiques, tout comme les corbeaux.

Pendant qu’il le faisait, cependant, un éclaireur qu’il avait envoyé était arrivé au camp avancé du régiment, l’air plutôt mal en point.

« Père ! » avait-il crié. « Les troupes de l’Alliance des Clans Anti-Acier qui campaient autour du château de Dauwe se sont formées et ont commencé à marcher vers l’ouest ! »

« Alors, c’est le choix qu’ils ont fait… » Hveðrungr avait hoché la tête pensivement, en plaçant une main sur son menton. « Il semble qu’ils aient vraiment un esprit vif parmi eux. »

Hveðrungr avait calculé que, en réponse à la tactique de frappe et de fuite de sa cavalerie, son ennemi adopterait très probablement l’une des deux lignes de conduite suivantes.

Soit ils se fortifiaient au fil du temps afin d’être prêts à recevoir et à riposter aux attaques du régiment au maximum de leur force, soit ils avançaient, finissant par l’attirer, lui et ses cavaliers, en créant une situation où ils n’auraient d’autre choix que d’attaquer.

La première option aurait été la plus pratique des deux pour les besoins de Hveðrungr.

Son objectif n’était pas de vaincre et de repousser l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier, mais plutôt d’entraver leur progression, de les retenir dans cette zone le temps que l’armée principale du Clan de l’Acier arrive, en faisant de son mieux pour les épuiser pendant ce temps.

Si l’armée ennemie avait plutôt choisi de se retrancher ici et de se préparer à mieux contrer ses attaques, cela aurait été bien plus idéal.

Apprendre et ensuite prendre le plan d’action que l’ennemi souhaite le moins était un principe de base de la guerre. Dans ce sens, l’adversaire de Hveðrungr avait pris une excellente décision.

« Naturellement, ils doivent se diriger vers Vígríðr. »

Vígríðr était la capitale du clan du Frêne. Si l’on comptait les nombreux petits villages agricoles qui l’entouraient, des dizaines de milliers de personnes vivaient dans la région.

Le stratège ennemi avait probablement supposé que si l’Armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier devait attaquer à cet endroit, la cavalerie qui les avait jusqu’à présent tourmentés avec des attaques répétées en rafale serait au contraire obligée de les combattre sans avoir la possibilité de fuir.

Tout bien considéré, cette ligne de pensée était dans l’ensemble correcte.

Le système de clans de la société d’Yggdrasil avait été construit sur les liens formés par le Serment du Calice.

Un enfant subordonné prêtait un serment de loyauté absolue à un parent assermenté, et en échange, le parent jurait de fournir soutien et protection à ses enfants assermentés.

Si la capitale du clan du Frêne, Vígríðr, tombait aux mains de l’ennemi, le Clan de l’Acier n’aurait pas respecté son vœu de protéger son clan enfant subordonné, et aurait subi une grande atteinte à son honneur.

« Ça commence à devenir un mal de tête, » murmura Hveðrungr.

Il y avait trois jours de marche de Dauwe à Vígríðr, et même s’il continuait à utiliser la tactique du « hit-and-run » du régiment pour les ralentir, il ne pourrait probablement que doubler ce temps au maximum. En attendant, il faudrait encore attendre au moins vingt jours avant que l’armée principale du Clan de l’Acier n’arrive.

Ce sont également ces forces qui avaient capturé le célèbre château imprenable de Dauwe en une journée. Selon toute estimation normale, il n’y avait aucun moyen de les retenir assez longtemps.

« Pourtant, je suppose que je n’ai pas d’autre choix que de faire en sorte que ça arrive, d’une manière ou d’une autre… »

Hveðrungr avait ses propres raisons de vouloir empêcher la capture de Vígríðr.

Ce n’était pas par souci pour le peuple. Cet homme avait autrefois mis le feu à ses propres terres, brûlant les maisons de ses sujets pour retarder sa propre défaite — Il ne se souciait pas le moins du monde de ce qui arrivait à une région où il n’avait mis les pieds que quelques jours auparavant.

Cependant, pour l’instant, il voulait faire tout son possible pour ne rien laisser se produire qui puisse nuire à sa réputation dans les rangs du Clan de l’Acier.

Il n’allait pas prendre sa retraite et passer le reste de ses jours à vivre une vie modeste et tranquille. Il était encore jeune. Il voulait profiter de la liberté que lui procuraient son nouveau rang et son nouveau statut.

Il voulait aussi être témoin du chemin parcouru par l’homme qui l’avait vaincu et surpassé.

« Héhé… Tout ce que je peux faire maintenant, c’est donner tout ce que j’ai. »

Hveðrungr s’était levé, sa cape accrochant l’air alors qu’il se tournait.

Il lui restait encore du temps pour réfléchir à quelque chose, et il n’y avait aucun mal à ralentir les mouvements de l’Armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier autant que possible en attendant.

« Très bien, les gars ! Nous partons ! »

Lorsque Hveðrungr avait crié l’ordre, il avait monté son propre cheval et l’avait éperonné au galop. Le reste du Régiment de Cavalerie Indépendante suivait derrière lui.

Après une heure de trajet, ils avaient repéré l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier en marche.

… Et dès qu’ils l’avaient fait, le son aigu des gongs de guerre en bronze avait résonné dans cette direction. Il semblait qu’après les nombreuses attaques qu’ils avaient subies ces derniers jours, l’ennemi se méfiait suffisamment des attaques-surprises pour repérer l’arrivée du régiment.

Cependant, cela n’avait pas posé de problème majeur.

« Tirez des flèches ! »

À la suite de l’ordre de Hveðrungr, les cavaliers du régiment avaient tous décoché leurs flèches en même temps.

Le Clan de l’Acier leur avait fourni des arcs en composite, les mêmes nouveaux modèles que ceux utilisés par les forces spéciales de Múspell.

Les nouveaux arcs avaient une portée bien plus grande que les arcs ordinaires que ces hommes avaient utilisés jusqu’à présent. Par conséquent, ils pouvaient maintenant tirer leurs flèches en dehors de la portée des archers de l’ennemi. En d’autres termes, ils pouvaient mener une attaque complètement unilatérale.

La volée de flèches avait été lancée très haut dans le ciel, où elle avait tracé un grand et long arc de cercle, pour finalement s’abattre sur les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

« Hm !? » Hveðrungr grogne de surprise en regardant ce qui se passa ensuite.

Avec un bruit sourd et satisfaisant, la pluie de flèches s’était encastrée dans les boucliers en bois brandis par les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

Bien qu’elles soient en fer, les flèches n’avaient pas traversé complètement les boucliers. Il aurait fallu que les boucliers soient très épais pour que cela arrive.

« … C’est étrange. » Derrière son masque, les sourcils de Hveðrungr s’étaient froncés.

Jusqu’à la veille, les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier utilisaient des boucliers beaucoup plus fins — le genre bon marché, mais suffisant pour se défendre contre de simples flèches aux pointes de bois aiguisées ou des pointes de pierre.

Hveðrungr ne pensait pas qu’ils auraient pu distribuer des boucliers plus épais comme ceux-ci à toute leur armée de trente mille personnes en si peu de temps.

Cette armée combinée était composée d’escouades assemblées à partir des armées individuelles de plusieurs clans différents. En tenant compte de cela, il était difficile d’imaginer qu’ils portaient tous le même type d’équipement. Ainsi, il était tombé par hasard sur une formation armée de boucliers lourds cette fois-ci.

C’était une conclusion raisonnable qu’il pouvait faire, mais il avait soudainement un sentiment terrible à ce sujet.

… Et c’est là que c’est arrivé.

« Rrraaaaaaggghhh ! »

« Rrrooooooggghhh ! »

Des cris de guerre s’élevèrent derrière lui, sur ses flancs arrière gauche et droit.

« Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Les yeux écarquillés, Hveðrungr s’était retourné pour regarder derrière lui.

Pendant un court instant, il n’avait aucune idée de ce qui se passait.

Normalement, la réponse n’aurait pas dû nécessiter de réflexion. C’était évident.

Cependant, même pour quelqu’un d’aussi intelligent que Hveðrungr, il avait fallu quelques secondes à son esprit pour atteindre la vérité.

C’est parce qu’il pensait que ça ne pouvait pas lui arriver.

« Une embuscade ? »

Les deux grands groupes de soldats arboraient les bannières de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier. Le sol grondait bruyamment, et ils soulevaient de gros nuages de poussière en fonçant vers la formation du régiment.

« Inconcevable ! Comment est-ce possible ? »

S’ils lui avaient tendu une embuscade, cela signifiait qu’ils savaient exactement où dans leur formation il avait prévu d’attaquer.

S’il s’agissait d’une embuscade après une retraite feinte, dans laquelle ils l’avaient attiré pour qu’il les suive dans leur piège, cela aurait encore un certain sens.

De même si leurs éclaireurs l’avaient repéré longtemps à l’avance, ce qui leur aurait donné le temps de manœuvrer sur place.

Cependant, aucune de ces choses ne s’était produite ici.

Plutôt qu’une fausse retraite, l’ennemi avait effectué une marche normale, avançant dans une longue formation serpentine. Ils n’avaient aucun moyen de savoir à quel endroit de leur colonne de marche il allait frapper — sans parler du fait qu’il allait le faire de leur côté gauche ou droit.

Leurs éclaireurs l’avaient-ils repéré et suivi ?

Non, cela n’avait pas pu se produire.

L’incroyable rapidité et mobilité du régiment de cavalerie indépendant était l’un de ses traits caractéristiques.

Même s’il était repéré par des éclaireurs, le régiment pourrait atteindre la formation de l’armée ennemie avant que les éclaireurs ne puissent revenir à pied pour les signaler.

Même si Hveðrungr envisageait la possibilité que des éclaireurs aient réussi à les avertir de sa présence, cela ne leur aurait pas donné assez de temps pour préparer un piège aussi élaboré que celui-ci.

« Grrh, ça n’a aucun sens ! » grogna Hveðrungr. « Mais je suppose qu’il est inutile de s’attarder sur ce point pour le moment. »

Au moment où il parlait, l’embuscade ennemie avait déjà coupé la direction d’où venaient ses hommes — en d’autres termes, leur itinéraire de fuite. Ils étaient encerclés.

À ce rythme, ce ne serait qu’une question de temps avant qu’ils ne soient anéantis.

Il n’avait pas de temps à perdre à hésiter.

« À toutes les troupes, chargez en avant ! Nous allons les transpercer ! »

Hveðrungr avait dégainé la lame attachée à sa taille, et chevauchant pour mener sa formation de front, il avait plongé dans les forces ennemies de plein fouet.

Si la mort est certaine, alors je mourrai au moins avec courage.… Naturellement, une telle pensée héroïque et résignée ne pouvait être plus éloignée de l’esprit de Hveðrungr.

Il avait pris cette décision précisément parce qu’il voyait là sa seule chance de survie.

Son adversaire était une armée massive.

Tout comme il y avait dans ses rangs des commandants de première ligne dotés de véritables talents et compétences, il y en avait d’autres qui n’en avaient pas.

Yggdrasil était une société méritocratique centrée sur le règne du plus fort, aussi les nominations de personnes sans aucune compétence à des postes d’autorité étaient certainement peu fréquentes. Bien sûr, chaque personne avait ses propres points forts et points faibles.

Quelqu’un qui avait gravi les échelons grâce à son habileté au combat n’avait pas nécessairement la capacité de commander efficacement les autres.

Sans compter que cette armée avait été formée en combinant à la hâte les soldats de plusieurs clans différents.

Il y aurait des difficultés de communication et de coordination entre les équipes de différentes nations.

Les signes de ces faiblesses n’étaient visibles que dans des détails très subtils, comme de minuscules irrégularités dans les mouvements des soldats. Ces signes étaient des choses que n’importe quelle personne ordinaire pouvait manquer — que même une personne expérimentée et entraînée pouvait manquer — mais Hveðrungr était capable de les rechercher et de les repérer avec précision.

En effet, cela n’était possible que grâce aux incroyables pouvoirs de perception que Yuuto tenait en si haute estime.

Ses cavaliers avaient attaqué en utilisant la formation en pointe de flèche, concentrant toute leur énergie en un point étroit, et cela avait probablement fait pencher la balance.

Après une bataille acharnée, le régiment de cavalerie indépendant avait traversé les lignes ennemies jusqu’à l’autre côté et s’était ensuite échappé.

***

Partie 4

Une fois qu’ils n’étaient plus encerclés, ils pouvaient se déplacer comme ils le souhaitaient. Utilisant la mobilité offerte par leurs chevaux, ils avaient facilement distancé toute tentative de poursuite, et bien qu’ils aient subi quelques pertes, ils avaient réussi à se libérer d’un piège mortel.

Malheureusement, ce n’était que le début de la terreur qui allait les frapper, comme ils allaient bientôt l’apprendre.

« Pheew ! C’était horrible ! »

« Gah ! Chaque gorgée que j’essaie de prendre de ce kumis rend mes maudites blessures encore plus douloureuses. »

« Alors, arrête de le boire. »

« Ferme-la ! Crois-tu que je peux me passer d’un verre après tout ça ? »

Au plus profond de la forêt, au cœur de la nuit, les hommes du régiment de cavalerie indépendant étaient rassemblés autour de minuscules feux de camp, discutant et plaisantant de leur manière habituelle et turbulente.

Ils s’étaient parlé de manière assez grossière, mais dans la bonne humeur.

Après avoir échappé de justesse à la bataille ce matin-là, le régiment était retourné se cacher dans les forêts épaisses près du château de Dauwe, où il se reposait actuellement afin de se remettre de cette épreuve.

« Hé, n’oublie pas que tu dois aussi te battre demain. Ne te déchaîne pas trop ce soir. »

Celui qui avait jeté de l’eau froide sur leurs réjouissances était, bien sûr, leur commandant Hveðrungr.

« Héhé héhé, ne vous inquiétez pas, monsieur, nous savons. »

« Haha, ça ne compte même pas comme “boire” pour moi. »

« Et puis, voyons, quand il fait aussi froid, sans un petit verre ou deux pour réchauffer le sang, un type peut attraper un rhume et se retrouver encore plus mal en point pour se battre demain matin ! »

La saison des récoltes était passée, et l’automne était déjà bien avancé.

C’était déjà la période de l’année où le froid commençait à rendre difficile de dormir dehors la nuit, et pour ajouter à cela, ils campaient dans les hautes terres de l’est de Bifröst, où il faisait encore plus froid.

Ils ne pouvaient pas non plus faire de grands feux de joie, car ils risquaient de révéler leur position à l’ennemi. Ainsi, Hveðrungr avait décidé d’autoriser ses hommes à boire une petite quantité d’alcool pour les aider à faire face à la situation.

« Ils vous respectent beaucoup, c’est sûr, » avait remarqué un homme qui s’était approché de Hveðrungr.

Il s’agissait de Bömburr, le commandant adjoint des forces spéciales de Múspell, qui avait été désigné comme « chien de garde » pour le surveiller pendant cette mission.

Il n’avait rien d’extraordinaire en matière d’aptitude au combat, mais son rôle principal au sein des forces spéciales était de veiller à leur organisation et à leur coordination, et en tant que tel, il était doué pour prêter une attention particulière aux gens. On pouvait supposer que même Hveðrungr ne serait pas capable de comploter quoi que ce soit de traître sous son regard attentif.

Bien sûr, Hveðrungr n’avait pas l’intention de le faire. Du moins, pas maintenant, en tout cas.

« Pour parler franchement, Seigneur Hveðrungr, je m’étais un peu inquiété de savoir si les membres du régiment allaient suivre vos ordres, mais il semblerait que mon inquiétude était déplacée. »

« Hmph, » Hveðrungr avait renâclé dédaigneusement, et avait pris une gorgée de sa propre tasse.

Ce n’est pas comme si le doute de Bömburr était quelque chose qu’il ne pouvait pas comprendre.

Les soldats s’étaient battus avec leur vie en jeu. On ne s’attendrait pas à ce qu’ils suivent quelqu’un au combat qui n’avait pas la force de caractère nécessaire pour se montrer digne de les commander.

Hveðrungr avait toujours perdu bataille après bataille contre Yuuto : la bataille de Náströnd, la bataille de la rivière Körmt, puis les batailles lors de la campagne d’invasion finale du Clan de l’Acier contre eux. Au total, son camp avait subi un nombre assez important de blessés et de morts.

Cette fois-ci, l’ennemi l’avait également déstabilisé et il n’aurait pas été étrange que certains hommes commencent à ne plus vouloir suivre ses ordres.

« Haha ! Vous n’avez rien à craindre ! »

« C’est vrai. Nous savons exactement à quel point ce type est génial parce que nous avons combattu si longtemps à ses côtés. »

« Oui, il a conquis tout le Miðgarðr occidental en un an. Mec, c’était vraiment quelque chose d’autre. »

« Quant aux batailles contre le Clan de l’Acier… eh bien, il s’est juste retrouvé avec le pire ennemi possible. C’est la seule façon de le dire. »

« Oui, c’est vrai. Ils utilisaient ces murs faits de wagons, et ces boules de tonnerre explosives — personne ne pouvait gagner contre des trucs comme ça ! »

« Mais quand même, ce type a trouvé un tas de façons différentes de les contrer. Vous pouvez le croire ? »

« Il est vraiment incroyable. »

Les membres du régiment s’étaient relayés pour chanter les louanges de Hveðrungr.

Hveðrungr avait laissé échapper un petit rire ironique.

« Héhé, ça ne sert à rien, je peux dire exactement ce que vous pensez tous. Même si vous me flattez, je ne vous donnerai pas d’alcool supplémentaire. »

« Bon sang ! Vous n’êtes pas drôle, Père ! »

« Argh, voilà ce que j’obtiens pour vous avoir loué ! »

« Très bien, alors, si on ne suivait pas vos ordres à moins que vous nous donniez plus à boire ? »

« Oui, c’est une idée ! »

Et avec cela, l’atmosphère autour du camp du régiment était devenue encore plus bruyante.

Cette scène avait laissé Bömburr, ainsi que les autres membres de Múspell présents, complètement abasourdis.

Le Clan du Loup sous Yuuto avait été une nation de droit, et cela s’était poursuivi sous le nouveau règne du Clan de l’Acier. Le Clan de l’Acier était très dur en matière de discipline militaire, et cela était encore plus vrai pour la culture des forces spéciales de Múspell, en raison de la personnalité de son commandant, Sigrún.

De leur point de vue, l’idée que des soldats adoptent ce genre d’attitude avec leur commandant et l’ancien dirigeant de leur nation était absolument impardonnable.

« Ils, ah… c’est certainement une culture très informelle dans vos rangs. »

« Héhé, c’est parce que les hommes de Miðgarðr sont rudes et sauvages, et l’ » étiquette » est un concept étranger pour eux. »

« Ah, je vois… » Bömburr n’avait pu répondre que par un vague hochement de tête.

Apparemment, même le commandant adjoint des forces spéciales de Múspell avait été déconcerté par la différence de culture.

« Mais ils sont fidèles à leurs ordres », poursuit Hveðrungr. « Il n’y aura pas de… hm ? »

Hveðrungr s’interrompit lorsqu’il entendit un bruit inattendu : un grand groupe d’oiseaux qui s’envolaient tous en même temps. Il regarda le ciel nocturne d’un air soupçonneux.

D’ordinaire, il ne se serait pas permis de s’y attarder, revenant rapidement à la conversation.

Cependant, après l’incident de ce jour-là, il y avait un étrange malaise en lui, quelque chose qu’il ne pouvait pas expliquer.

Il y avait, bien sûr, quelques oiseaux qui se déplaçaient la nuit, mais pour la plupart, les oiseaux ne volaient que le jour.

« Hé, vous tous, préparez-vous à partir. Leki, Skola, allez regarder dans la direction d’où viennent ces oiseaux. »

« J’ai compris. »

« Aye-aye, monsieur. »

Les deux hommes à qui il avait donné les ordres avaient monté leurs chevaux et étaient partis dans la direction indiquée par Hveðrungr.

Les oiseaux étaient facilement effrayés par de petites perturbations et réagissaient les uns aux autres, de sorte que si l’un d’eux s’envole par surprise, toute la volée faisait de même. Les causes habituelles étaient un oiseau ou une bête prédatrice se déplaçant à proximité. Selon toute vraisemblance, c’était aussi le cas cette fois-ci.

Cependant, il n’y avait rien à perdre en choisissant d’être très prudent ici.

Ce choix avait déterminé le destin du régiment de cavalerie indépendant cette nuit-là.

Un petit moment s’était écoulé, et puis…

« Père ! C’est l’ennemi ! Ils viennent par ici, et ils sont nombreux ! »

Les hommes qu’il avait envoyés en éclaireurs étaient revenus en courant au camp en criant qu’une attaque était imminente.

« Rrrgh, merde ! » cracha Hveðrungr avec amertume. « Comment se fait-il qu’ils sachent où nous sommes !? »

Après avoir conduit ses hommes hors de l’embuscade ennemie et de la zone de combat, il s’était assuré que personne ne les poursuivait encore. En plus de cela, une fois que tous les soldats ennemis avaient été complètement hors de vue, il avait même pris la peine de changer l’itinéraire du régiment.

Tout comme ses ennemis avaient prédit l’heure et l’endroit de son attaque-surprise ce matin-là, cela aussi semblait complètement absurde.

« Quoi qu’il en soit, nous nous retirons, maintenant ! »

En criant cet ordre, Hveðrungr avait monté son propre destrier et l’avait éperonné pour qu’il s’élance.

Grâce à ses ordres antérieurs, les hommes du régiment étaient parfaitement préparés, et ils s’étaient rapidement mis en ligne derrière lui.

La valeur de ces premières actions ne pouvait être sous-estimée.

Si, par exemple, Hveðrungr avait ignoré le bruit des oiseaux, il aurait sans doute été directement touché par l’assaut surprise de son ennemi, et le régiment aurait subi de terribles pertes.

Cependant, les luttes du régiment ne s’arrêtaient pas là.

Chaque fois qu’ils essayaient de mener leurs attaques soudaines, l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier était prête et attendait avec des embuscades entièrement préparées qui semblaient faites sur mesure pour chaque situation.

Peu importe où ils essayaient de s’enfuir ensuite, l’ennemi découvrait facilement leur emplacement et lançait ses propres attaques-surprises.

« Quelle sorte de cerveau est derrière tout ça !? Comment quelqu’un peut-il voir à travers nous si clairement !? »

Au risque d’énoncer une évidence, Hveðrungr avait vécu à une époque de l’histoire antérieure à l’invention de choses comme les avions et les émetteurs-récepteurs. La recherche de personnes dépendait principalement de la main-d’œuvre.

Bien que le clan du Frêne soit une petite nation par rapport aux autres, c’était quand même une vaste zone à couvrir à pied.

Le fait que sa localisation et ses mouvements puissent être découverts à maintes reprises comme cela était impensable dans les limites du bon sens.

« Ce serait une chose pour les dieux qui peut nous regarder du haut des cieux, mais les humains sont des créatures qui marchent sur la terre. Comment des yeux humains pourraient-ils nous chercher de la sorte ? »

Hveðrungr avait senti un terrible frisson froid parcourir son échine.

Heh heh heh, il a une bonne intuition ! Mais je suis sûr que lui-même n’a aucune idée qu’il a donné la réponse à sa propre question.

Une petite silhouette regardait Hveðrungr du haut du ciel.

Déployant ses ailes, il avait audacieusement suivi l’homme dans sa fuite.

Si cette silhouette avait été humaine — non, si au moins il s’était agi de quelque chose qui le suivait sur terre — Hveðrungr, avec ses capacités de perception, aurait pu le remarquer.

Mais les plumes noires d’un corbeau le rendaient difficile à repérer dans le ciel de la nuit noire. Et en ce moment, l’homme était poursuivi par ses ennemis, il n’avait donc pas le temps de scruter le ciel à la recherche de bizarreries.

Et c’est pourquoi il n’avait pas pu le remarquer.

Cette petite créature l’avait toujours observé.

Il est vrai que vous êtes l’unité militaire la plus rapide d’Yggdrasil, plus rapide que quiconque dans le royaume, et de loin. Mais même ainsi, vous n’êtes pas assez rapides pour échapper à l’œil vigilant du Guetteur d’en haut.

Les yeux rouges du corbeau — les yeux de Hárbarth — trahissaient un subtil soupçon de joie, scintillant faiblement d’une lumière sinistre.

Tel était le pouvoir de Hárbarth : son esprit pouvait posséder et contrôler le corps d’autres créatures vivantes.

Cependant, ce pouvoir avait encore des limites. En général, il ne pouvait prendre le contrôle que de créatures de moindre importance, dépourvues d’une intelligence complexe ou d’une forte volonté.

Lorsqu’il s’agissait d’autres humains, c’était fondamentalement impossible, à moins qu’ils ne dorment ou ne soient inconscients, et même dans ce cas, à l’instant où la cible reprenait connaissance, son esprit était éjecté de force. Dans ce sens, son pouvoir était faible, imparfait.

Cependant, la valeur de tout outil résidait dans la manière dont on l’utilisait.

En se projetant dans de petites créatures comme les souris et les écureuils, il pouvait voir dans tous les coins et recoins du palais impérial. En se projetant dans les oiseaux, il pouvait surveiller ses ennemis à l’abri des regards depuis les cieux, comme il le faisait actuellement.

C’étaient les informations qu’il avait recueillies en utilisant son pouvoir de cette manière qui lui avaient permis d’accéder à son poste actuel.

Il avait dévoilé les secrets de ses ennemis politiques et les avait privés de leur soutien public, tout en faisant tomber des ennemis étrangers dans ses pièges et en ajoutant à ses réalisations militaires. Au cours des longues années, il avait accumulé et considérablement étendu son autorité.

Aujourd’hui, la grande capacité de Hárbarth à obtenir n’importe quelle information était connue de tous, de sorte qu’il ne restait pratiquement plus personne au cœur de l’empire qui ose dire du mal de lui.

Le Þjóðann Sigrdrífa et le patriarche du Clan de l’Epée Fagrahvél étaient peut-être les seules exceptions à cette règle. Bien sûr, même ces deux-là étaient maintenant ses pions, se déplaçant selon sa volonté.

Heh heh heh, quel spectacle c’était à voir ! Le pouvoir de Gjallarhorn, l’appel à la guerre, est en effet magnifique.

Il avait regardé la bataille se dérouler au château de Dauwe du début à la fin. La rune de Fagrahvél pouvait agir sur une armée entière en une seule fois, et en termes d’influence sur la dynamique d’une bataille à grande échelle, personne d’autre ne possédait un pouvoir comparable — à l’exception de Hárbarth lui-même, avec sa capacité à surveiller toutes les positions et tous les mouvements des troupes ennemies depuis le ciel.

L’un ou l’autre d’entre eux était déjà une menace terrible, et maintenant, ils avaient uni leurs forces.

De plus, ils pouvaient tirer le meilleur parti de leurs pouvoirs grâce à l’éventail de généraux compétents à la tête de leurs armées.

Les préparatifs avaient été sans faille.

Keh heh heh, tout est prêt. Enfin, le Ténébreux va rencontrer sa fin ici.

Le croassement d’un corbeau résonnait dans l’obscurité de la forêt, se répercutant avec force.

Pour les membres en fuite du régiment de cavalerie indépendant, c’était un son sinistre — comme le rire d’un présage de leur malheur.

***

Chapitre 4 : Acte 4

Partie 1

Dans le monde entier et tout au long de l’histoire, il existe une certaine tradition dans les foyers nobles de nombreuses cultures : après l’accouchement, plutôt que d’allaiter elle-même son nouveau-né, la mère le confiait à une autre femme qui venait également d’accoucher.

Ainsi, une relation familiale se formait entre des enfants qui, sans être strictement liés par le sang, avaient été élevés par la même femme et nourris au même sein. Ces enfants étaient connus sous le nom de « frères et sœurs de lait » et, comme leurs familles étaient souvent liées par la hiérarchie de la noblesse, ils passaient souvent leur vie ensemble, l’un au service de l’autre, et partageaient un lien étroit et spécial entre eux, aussi puissant que celui de véritables frères et sœurs.

Fagrahvél était le frère de lait de Sigrdrífa et l’aimait vraiment comme une sœur, même si elle comprenait que de tels sentiments étaient inappropriés envers une personne d’un statut si élevé.

De plus, Sigrdrífa était née avec la malédiction d’un corps qui ne pouvait pas être exposé à la lumière directe du soleil, ce qui lui donnait des difficultés sans fin.

Je vais la protéger.

Fagrahvél l’avait juré pour la première fois lorsqu’elle était une jeune enfant. Au fond, une partie de Fagrahvél croyait que ce moment, et le chemin qui en découlait étaient destinés à se produire depuis le tout début.

Le tournant de ce destin s’était produit plus tard — il y a six ans, maintenant…

« Le destin est étrange, n’est-ce pas ? Moi, la ratée sans valeur, je suis maintenant le Þjóðann. »

Le précédent Þjóðann était mort de façon inattendue, et la sœur de lait de Fagrahvél, Sigrdrífa, était soudainement devenue la successeur au trône.

Dans des circonstances ordinaires, son frère aîné biologique aurait dû être le prochain dans la ligne de succession appropriée.

Cependant, par un quelconque tour du destin, les runes jumelles d’Ásgarðr — symboles du droit de régner sur le Saint Empire d’Ásgarðr et preuve du véritable successeur du Þjóðann — étaient apparues dans les yeux de Sigrdrífa à la place.

« Telle est la sagesse du grand Ymir, Votre Majesté. Il a dû comprendre les profondeurs de votre cœur et votre extraordinaire force de caractère. »

Ce n’était pas de la flatterie, mais ce que Fagrahvél croyait vraiment.

Certes, Sigrdrífa était faible de corps et passait de nombreux jours sans pouvoir quitter son lit.

Cependant, son intellect était fort pour compenser cela, et elle était une assoiffée de connaissances avide.

Au cours des dix premières années de sa vie, elle s’était instruite en matière de politique et de gouvernance, de rites religieux, d’histoire et des sortilèges compliqués de la magie seiðr. L’étendue et la profondeur de ses connaissances étaient suffisantes pour étonner Fagrahvél, de sept ans son aîné.

Son frère biologique, par contre, était complètement différent.

Il ne s’intéressait pas au gouvernement et ne consacrait aucun effort à ses études. Il se contentait d’utiliser son autorité et son influence en tant que membre de la famille impériale pour servir ses propres désirs égoïstes, remplissant ses journées de fêtes, de boissons et de femmes.

Il n’y avait même pas besoin de les comparer tous les deux. Il était clair quant à ce qui méritait le plus de devenir le Þjóðann.

Sigrdrífa n’était peut-être pas capable de foncer sur les champs de bataille, menant les armées à la victoire, mais en gouvernant l’empire avec sagesse, elle pouvait apporter à ses citoyens une ère de paix et de stabilité.

Fagrahvél la croyait vraiment capable de cela, même si cela venait peut-être d’une position de parti pris en tant que sœur de lait. Fagrahvél avait un sentiment de fierté en elle… comme le ferait une grande sœur.

Sigrdrífa, cependant, avait répondu par un rire sec, plein de ce qui semblait être un sentiment de résignation sinistre.

« Ha ha… Le caractère n’a que peu d’importance pour une figure de proue décorative. »

« Votre Majesté, c’est… »

« Hmph, c’est la réalité, quelle que soit la langue dans laquelle tu essaies de l’habiller. La véritable autorité sur cet empire n’est plus détenue par les Þjóðann. Elle est détenue par ce vieil homme hideux et méprisable. »

Sigrdrífa avait craché les mots avec un dégoût amer dans la voix.

Le patriarche du Clan de la Lance, Hárbarth.

La durée de vie moyenne à Yggdrasil était d’environ cinquante ans, mais ce vieil homme était sur le point d’atteindre les quatre-vingts ans, et il était toujours aussi rusé et plein d’énergie que jamais. Cela semblait presque surnaturel.

Au cours des vingt dernières années, Hárbarth avait étendu son influence au sein de la cour impériale et du gouvernement, et il y a seulement quelques jours, il avait obtenu le poste de Grand Prêtre Impérial, sans précédent et inhabituel pour quelqu’un qui était déjà un seigneur vassal.

Le Grand Prêtre Impérial exerçait la plus grande autorité religieuse et la plus grande responsabilité sur les rites sacrés d’adoration des dieux de l’empire. Comme le Saint Empire Ásgarðr était une théocratie, cela signifiait qu’il occupait également la position de la plus haute autorité politique au sein du gouvernement impérial.

Et le fait que la prise de pouvoir éhontée de Hárbarth ait été autorisée en premier lieu témoignait de l’influence écrasante qu’il avait finalement acquise au sein de l’empire — et de l’affaiblissement de l’autorité réelle des Þjóðann.

« Alors, tu as entendu ? Ce vieil homme se présente comme candidat pour être mon mari, et essaie de faire passer la décision en force. »

« Quoi — !? » Fagrahvél était restée bouche bée.

C’était complètement inattendu.

« Mais il est assez vieux pour être votre arrière-grand-père… »

« Oui. C’est un problème qui ralentit un peu ses efforts, mais finalement, je pense que les choses iront dans son sens. »

Sigrdrífa soupira et regarda au loin.

Il n’y avait pas de lumière dans ses yeux. C’était comme si elle avait déjà renoncé à la vie.

 

 

Comment se fait-il qu’elle soit toujours en proie à la malchance ?

Les dents de Fagrahvél s’étaient serrées d’indignation.

Malade depuis le jour de sa naissance. Incapable de marcher dehors à la lumière du soleil. Rejetée même par ses propres parents biologiques à cause de son apparence particulière. Évitée par les membres de la cour impériale à cause de sa réputation d’enfant bannie. Et maintenant, forcée d’épouser un vieil homme aussi horrible. C’était trop. C’était injuste.

« Eh bien, nous parlons d’environ six ans à partir de maintenant, lorsque je serai majeure. Je suis sûre que le vieil homme nous fera une faveur et mourra avant, et la question sera réglée. »

Sigrdrífa avait dit cela d’un ton enjoué, peut-être en réponse à l’expression sinistre de Fagrahvél.

Mais cela n’avait pas dissipé les nuages au-dessus du cœur de Fagrahvél.

Il est vrai que Hárbarth était très vieux.

Le bon sens voudrait qu’il soit plus probable qu’improbable qu’il décède au cours des six prochaines années.

Cependant, il avait déjà accompli quelque chose de miraculeux rien qu’en ayant vécu jusqu’à son âge actuel.

Fagrahvél ne pouvait pas imaginer un avenir où ce vieil homme étrange et effrayant mourrait si facilement.

« … Votre Majesté. »

« Hm ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu fais un visage effrayant. »

« Je voudrais demander un peu de temps loin de votre service. »

« Quoi !? Qu’est-ce qui te prend tout d’un coup !? »

Jusqu’à présent, l’expression de Sigrdrífa avait été froide et immuable, mais maintenant elle était troublée et élevait la voix.

Elle ne voulait pas que Fagrahvél la quitte.

Cette émotion avait été communiquée si clairement par sa réaction, et cela avait rempli Fagrahvél de bonheur et d’un sentiment de fierté.

C’était précisément la raison pour laquelle Fagrahvél avait besoin d’être séparée d’elle maintenant.

« Tel que je suis maintenant, je n’ai pas le pouvoir nécessaire pour m’opposer efficacement à ce vieil homme. Au cours des six prochaines années, j’obtiendrai ce pouvoir sans faute. Un pouvoir qui vous protégera de tous ceux qui vous veulent du mal. »

Ensuite, grâce aux relations politiques de son père, Fagrahvél avait pu prêter serment en tant que nouveau membre du Clan de l’Épée et elle avait passé les mois et les années qui avaient suivi à s’efforcer désespérément de remporter des succès militaires qui lui permettraient d’obtenir un statut élevé au sein du clan.

Enfin, l’avant-dernière année, Fagrahvél avait accédé au poste de patriarche du Clan de l’Épée et avait fait un retour triomphal dans la capitale impériale.

Tout ça pour protéger la précieuse petite sœur de Fagrahvél.

Et ainsi, plus de temps passa…

« Le chef du Clan de l’Acier, Suoh-Yuuto. Celui qui se fait appeler le “réginarque”. Il est en fait… le Ténébreux de la prophétie. »

« Quoi !? »

Fagrahvél était si choquée qu’elle avait d’abord douté de ses oreilles. Elle s’était ensuite retrouvée à maudire le grand dieu Ymir pour avoir imposé à sa petite sœur un destin aussi cruel.

Le Ténébreux.

Ce nom énigmatique était apparu lorsque le premier Þjóðann, Wotan, avait demandé à l’oracle et prêtresse Völva de prédire l’avenir de l’empire. Sa prophétie suggérait que le Ténébreux causerait la destruction de l’empire.

Le premier homme pour lequel la petite sœur de Fagrahvél avait nourri des sentiments romantiques dans son cœur tendre — lui, de toutes les personnes, était la némésis ultime qui menaçait l’empire !

Fagrahvél avait prié pour que tout cela soit une sorte d’erreur.

Cependant, dans les retransmissions de la prophétie de Völva laissées derrière elle, il y avait trop de lignes qui correspondaient parfaitement à l’histoire et aux actions du seigneur du Clan de l’Acier.

Le poids terrible de cette connaissance sur Sigrdrífa était probablement la raison pour laquelle son comportement était si étrange ces derniers temps, aussi, comme si elle était devenue une personne différente…

« Je suis désolée de la douleur que vous endurez, Lady Rífa… Ah ! »

Fagrahvél avait été réveillée par le son de sa propre voix, criant dans son sommeil.

Elle était dans un petit espace sombre et exigu.

Elle pouvait entendre le grondement et le claquement des roues des chariots, et sentir les vibrations des bosses dans le sol.

Apparemment, elle était dans une voiture hippomobile couverte.

***

Partie 2

« Oooh, tu es enfin réveillée ? »

Assise à côté de Fagrahvél, Bára affichait un sourire éclatant.

« Il semble que je faisais un rêve de jours lointains, » chuchota Fagrahvél, en regardant le plafond du carrosse.

Le changement du niveau de léthargie dans son corps lui avait permis de savoir combien de jours s’étaient écoulés. Il semblait qu’elle avait été endormie pendant plus d’un ou deux jours.

Elle se sentait coupable d’avoir fait en sorte que Bára et ses autres subordonnés enfants s’inquiètent pour elle.

Cependant, elle avait également pu réaffirmer la mission de sa vie.

Elle éliminerait toute personne qui causerait du mal ou de la souffrance à sa petite sœur.

Peu importe que cette personne soit le seigneur conquérant d’une superpuissance émergente comme Suoh-Yuuto, ou un vieil homme qui dirige l’empire depuis l’ombre avec des pouvoirs étranges et monstrueux, comme Hárbarth.

Fagrahvél accomplirait sa mission, même si cela lui coûtait la vie en échange.

Avec ce serment juré dans son cœur, Fagrahvél avait tendu sa main devant elle et l’avait serrée en un poing.

« Des ennemis aussi redoutables… Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé plus tôt ? »

Ce cri de reproche fut la première et immédiate réaction de Fagrahvél lorsque Bára eut fini d’expliquer l’état de leurs troupes, et les événements qui s’étaient déroulés pendant que Fagrahvél était inconsciente.

Elle avait déjà entendu des rumeurs sur les guerriers du Clan de l’Acier qui se battaient à cheval, et que leur armée avait une unité entièrement composée de ces combattants montés, mais elle ne put réprimer un frisson de frayeur en entendant les résultats de leur affrontement au combat.

Et pensant qu’un ennemi aussi difficile attaquait, le commandant de l’armée était endormi. C’était un manquement inexcusable au devoir.

Elle se sentait tellement coupable envers ses enfants jurés, et leurs enfants jurés, qui lui avaient tous confié leur vie.

« Oh, c’est bon. Après tout, même si tu avais été éveillée, il n’y aurait rien eu à faire. »

« Ngh. » Fagrahvél n’était pas amusée par une remarque aussi directe de Bára et laissa échapper un grognement maussade.

Comme toujours, la fille jurée de Fagrahvél était bien trop débridée et familière dans sa façon de parler à son parent juré.

Bára était l’amie d’enfance de Fagrahvél. Elles avaient grandi ensemble, et avaient même étudié ensemble au même pupitre dans une école de la capitale impériale, Glaðsheimr.

Même après avoir prêté le serment du Calice en tant que parent et enfant, cette relation n’avait pas vraiment changé.

Bien sûr, Fagrahvél était en fait assez heureuse que Bára soit restée comme ça, traitant Fagrahvél comme elle l’avait toujours fait.

Pour un patriarche de clan, une figure d’autorité absolue, la présence d’une personne comme Bára qui ne mâchait pas ses mots était essentielle pour pouvoir réfléchir correctement à ses actions, mais les personnes comme elle étaient rares.

« Hmph, eh bien, d’après ce que tu décrives, il se peut que ma rune ait été un peu faible face à des ennemis comme ceux-là. » À contrecœur, Fagrahvél avait concédé le point de vue de Bára.

Honnêtement, en entendant la description de ces cavaliers qui attirent les soldats pour les poursuivre pendant qu’ils s’enfuient, puis qui font demi-tour pour leur tirer dessus en arrière, cela avait fait froid dans le dos de Fagrahvél.

Contre de tels adversaires, peu importe à quel point on améliore magiquement le moral des troupes, cela n’aurait pas eu la moindre importance. Non, en fait, cela n’aurait fait que les pousser à poursuivre les cavaliers plus loin, entraînant des pertes encore plus importantes.

Comme si elle avait perçu les sentiments de Fagrahvél, Bára avait offert un autre sourire doux.

« Un “peu” de mauvais goût ? » dit-elle, sans pitié.

« Oh, tais-toi donc ! » avait crié Fagrahvél.

Fagrahvél était normalement une personne très rationnelle et contrôlée, qui ne criait que rarement, voire jamais, même à ses subordonnés. Mais elle avait baissé sa garde avec cette personne, son amie d’enfance en qui elle avait confiance.

« Si je n’ai pas pu être utile à tout le monde avant, alors je vais me rattraper à partir de maintenant ! » cria Fagrahvél avec confiance.

Fagrahvél et Bára étaient rivales depuis leur enfance, se disputant les notes et autres. Peut-être que le fait de parler ainsi avec Bára faisait ressurgir des souvenirs de cette époque, et que cela faisait également ressortir l’esprit de compétition de Fagrahvél.

« Tee hee, oh, j’ai hâte de voir ça. Alors, comment est ton corps ? »

« Hm ? Eh bien, ça semble encore un peu lourd, donc je ne peux pas exactement dire que je suis de retour en forme, mais je suis déjà bien mieux qu’avant. Je ne devrais pas avoir de problèmes pour prendre le commandement. »

« Okaaay, alors tu dois quand même te ménager et te reposer. Je te remplacerai. »

« Non, ça ne va pas marcher. Si le commandant de l’armée est constamment cloué au lit, les troupes ne vont pas… »

Avant que Fagrahvél ne puisse terminer cette argumentation, le doigt de Bára s’était doucement pressé contre ses lèvres.

« Tu es vraiment trop sérieuse pour ton propre bien. Je sais que c’est l’une des qualités qui attirent les gens vers toi, mais pour une fois, je veux que tu fasses un compromis pour moi, d’accord ? »

« Nggh… »

« Le travail le plus important pour le commandant de l’armée est de gagner la guerre. Il n’y a rien de plus important que ça. »

Le commandant de l’armée était quelqu’un à qui l’on confiait un grand nombre de vies.

Et donc, leur travail consistait à revendiquer la victoire par tous les moyens nécessaires. Les objectifs les plus élevés et les caractères les plus honorables ne valaient rien en cas de défaite.

Fagrahvél l’avait compris à un niveau rationnel.

« Oui, tu as raison. »

« Et pour ce faire, ta priorité absolue est de te reposer, afin d’être en bonne santé avant l’arrivée du Clan de l’Acier. Ton pouvoir est notre meilleure arme, n’est-ce pas ? Ce n’est pas grave si on n’a pas à l’utiliser. Mais c’est Suoh-Yuuto qu’on affronte, non ? »

« … D’accord. »

Après quelques instants d’hésitation, Fagrahvél acquiesce enfin, les sourcils froncés, et un regard consterné se dessina sur son visage.

Honnêtement, elle ne pouvait pas dire qu’elle l’avait pleinement accepté sur le plan émotionnel, mais comme Bára l’avait dit, leur adversaire était ce qu’il était. Et il y avait le serment qu’elle s’était fait à nouveau à elle-même. Il était vrai que l’affronter, préparée et en pleine forme, était la meilleure chose à faire.

« Tee hee hee, bon, tu peux me laisser préparer la scène pour toi. Avant que l’armée du Clan de l’Acier n’arrive, nous capturerons Vígríðr même toi. »

Quatre jours après son départ du château de Dauwe, l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier avait atteint la capitale du Clan du Frêne, Vígríðr, et avait commencé à l’encercler progressivement.

Tout se déroulait comme prévu.

À partir du deuxième jour, les assauts soudains de l’unité de cavalerie ennemie avaient diminué. Après avoir commencé à tomber sur une embuscade parfaitement arrangée à chaque fois qu’ils attaquaient, il semblait qu’ils avaient appris leur leçon.

D’après un rapport d’Alexis, ils campaient actuellement dans une zone située loin à l’arrière, dans la direction d’où venait l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

La grande distance qu’ils avaient mise entre l’armée et eux-mêmes montrait à quel point ils se méfiaient d’eux maintenant.

Il n’était pas vraiment agréable de savoir qu’une force ennemie se trouvait à l’arrière de l’armée, mais pour l’instant, il n’y avait pas d’autre choix que de les laisser faire.

La cavalerie ennemie était, par-dessus tout, extrêmement rapide lorsqu’elle devait s’enfuir. Il était possible d’envoyer une unité détachée à leur poursuite, mais il y avait de fortes chances pour qu’ils reviennent bredouilles après une poursuite infructueuse.

De plus, dès qu’ils auront quitté cet endroit, l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier le saura.

La chose la plus intelligente à faire, alors, était de les laisser tranquilles à moins qu’ils ne fassent un mouvement, et alors simplement réagir avec le contre approprié.

Et donc, l’ordre du jour le plus important était de capturer la ville de Vígríðr.

Si l’armée principale du Clan de l’Acier avait marché jusqu’ici juste pour protéger le Clan du Frêne, pour découvrir que leur capitale était déjà tombée, cela aurait certainement porté un coup choquant au moral des troupes du Clan de l’Acier et aggravé leur épuisement.

Cette baisse de moral jouerait alors très bien en faveur de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier lors de l’épreuve de force décisive. Il était donc important de capturer cette ville par tous les moyens nécessaires.

« Si l’on réfléchit bien, cela devrait prendre encore quinze jours avant que l’armée principale du Clan de l’Acier n’arrive. Cependant, leur patriarche est connu pour défier le bon sens, alors peut-être devrions-nous travailler sur un délai de la moitié de ce temps. »

En marmonnant pour elle-même, Bára avait essayé d’organiser ses pensées.

« Alors ça veut dire… encore sept ou huit jours. Hmm, le Patriarche devrait être complètement remis d’ici là. Okaaay, la seule question qui reste est… comment allons-nous capturer cette ville ? »

Fixant les murs imposants de la ville au loin, Bára réfléchit au problème.

Elle avait fait mine de dire à Fagrahvél de se reposer et de la laisser faire, mais en vérité, elle n’avait pas de plan particulier en tête pour conquérir la ville.

Elle avait simplement supposé qu’une fois qu’elle serait arrivée ici et qu’elle aurait jeté un coup d’œil à la ville, une idée ou une autre lui viendrait sûrement, et elle avait misé ses affirmations confiantes sur cela.

En d’autres termes, cela signifie que cette façon de penser ne lui avait pas causé de problèmes auparavant, car dans la plupart des situations, elle trouvait une idée qui fonctionnait.

Cette fois-ci n’avait pas fait exception.

Elle avait soudainement frappé ses mains ensemble.

« Maintenant que j’y pense, il y a des gens parfaits pour ça. On pourrait aussi bien les éliminer tous d’un coup. »

***

Partie 3

« Père ! L’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier a brisé sa formation qui encerclait Vígríðr, et elle se dirige à nouveau vers Dauwe ! »

« Quoi ? Qu’est-ce qu’ils font ? »

Hveðrungr avait répondu avec choc et suspicion au rapport de son éclaireur.

Ses vêtements étaient déchirés à plusieurs endroits, très probablement par des armes blanches, et sous ces déchirures, on pouvait voir des bandages qui, vraisemblablement, étaient tachés de sang.

Grâce aux extraordinaires capacités de perception de Hveðrungr et à la capacité du Régiment de Cavalerie Indépendante à diriger efficacement sa puissance d’attaque dans une charge montée, ils s’étaient maintenant libérés des forces ennemies qui les avaient complètement encerclés pas moins de trois fois. Cependant, ils ne s’en étaient pas sortis indemnes.

Les trois mille guerriers d’élite à cheval étaient déjà réduits à deux mille, et bien que Hveðrungr lui-même n’ait pas de blessures mettant sa vie en danger, il n’était pas en état de combattre avec sa force habituelle.

« Je n’en ai pas la moindre idée, monsieur… Peut-être ont-ils décidé qu’ils ne pourraient pas capturer Vígríðr, et ont-ils abandonné ? »

« Non, ce n’est pas possible. L’armée qui a capturé le château de Dauwe en un jour ne va pas reculer devant le défi de conquérir Vígríðr. »

« Huh… Alors, peut-être que quelque chose de majeur est arrivé dans leur pays d’origine ? »

« Hm. » Hveðrungr avait fait une pause.

Ce n’était pas complètement hors de question.

Hveðrungr lui-même avait entendu parler d’un cas où l’armée d’invasion d’un clan s’était bien battue, à un pas de la conquête totale de ses ennemis, pour s’arrêter et rentrer dans ses propres frontières en recevant la nouvelle que son patriarche était soudainement décédé.

Se pourrait-il que la chance ait rendu ce genre d’urgence rare à ses ennemis maintenant ?

C’était une façon bien trop optimiste de voir les choses.

« Continuez à les surveiller attentivement. Et restez vigilants. Si vous remarquez des changements, faites-le-moi savoir immédiatement. »

« Oui, monsieur. »

« Très bien, qu’est-ce qu’ils prévoient cette fois ? »

Hveðrungr se murmura à lui-même en regardant le ciel.

De ce qu’il avait vu jusqu’à présent, il savait que cet ennemi préférait utiliser une stratégie rusée.

Il n’avait toujours aucune idée concrète de leur nouveau plan, mais il était pratiquement certain que les mouvements des troupes ennemies en faisaient partie.

Le changement suivant avait eu lieu le jour suivant.

« L’ennemi a divisé ses forces en deux ! On dirait que la moitié d’entre eux va essayer de nous contourner. »

« Je vois maintenant. Donc quand ils se sont dirigés vers Dauwe, c’était pour nous empêcher de réaliser qu’ils allaient faire ça. »

Si l’ennemi attaquait le régiment de front, tout ce que le régiment avait à faire était de fuir.

L’ennemi en serait également pleinement conscient.

Ainsi, ils avaient d’abord pris la route vers le château de Dauwe comme une feinte afin de pouvoir se placer derrière la position du camp du régiment, et maintenant ils se séparaient en deux groupes afin de pouvoir également couper toute issue de secours.

« Tch ! » Hveðrungr fit claquer sa langue amèrement en signe de frustration. « Et cela confirme qu’ils ont toujours accès à la connaissance de notre position exacte. »

En d’autres termes, même à ce moment précis, ils observaient Hveðrungr et ses hommes de quelque part.

C’était déjà assez inconfortable de savoir cela, mais pire encore, Hveðrungr était frustré contre lui-même du fait qu’il ne pouvait pas discerner d’où ils regardaient.

« À ce rythme, nous réagissons constamment à un pas derrière eux. Si seulement nous pouvions trouver un indice sur la façon de les contrer efficacement… »

« À toutes les escouades, vous êtes à vos positions ? Alors, commencez l’attaque ! »

« Yeaaaaahhhh ! »

Lorsque Fagrahvél donna l’ordre et fit un geste d’une main, un chœur de cris de guerre exubérants s’éleva et remplit l’air, et les soldats partirent en courant, le sol grondant sous eux.

Après les avoir regardés partir, Fagrahvél avait laissé échapper une longue inspiration et s’était assis sur une chaise.

« Bon travail. Désolée pour ça. Si j’étais le seul à donner les ordres, les soldats du Clan de l’Épée seraient peut-être bien, mais ceux des autres clans pourraient commencer à se plaindre. »

En disant cela, Bára avait offert à Fagrahvél une tasse de lait chaud.

On peut supposer qu’il s’agissait d’un message du type : « Bon, tu as fait ce que tu devais faire, maintenant bois ça et retournes te coucher ! … ou quelque chose de ce genre.

Fagrahvél ne pouvait s’empêcher de penser que Bára était de plus en plus surprotectrice ces derniers temps.

Peut-être s’était-elle inquiétée de la tension supplémentaire causée par l’utilisation du pouvoir du Gjallarhorn sur une armée de trente mille personnes.

« Non, ça ne me dérange pas du tout », répondit Fagrahvél. « En fait, le fait de pouvoir faire un peu de travail m’aide à me détendre. »

Ce n’était pas une remarque faite pour justifier le fait de se forcer — c’était ce que Fagrahvél ressentait sincèrement.

En ne faisant rien d’autre que de rester allongée dans son lit, elle s’était retrouvée incapable de se calmer, et donc incapable de se reposer correctement.

C’était le genre de chose qui faisait que Bára et les autres enfants subordonnés la réprimandaient toujours avec des remarques du genre : « Tu es beaucoup trop sérieuse ! »

« Alors, tu penses que ça va marcher ? »

« Eh bien, nous avons fait tout ce que nous pouvions. Il ne reste plus qu’à voir ce que ça donne. »

« Monseigneur ! L’ennemi s’enfuit ! »

Un messager était rapidement arrivé avec un rapport.

« Hm, comme tu l’avais dit. »

« C’est ce qu’il semblerait. Mais, vu qu’ils s’enfuient sans même essayer de se retourner et de tirer sur nous, ça montre à quel point ils sont prudents avec nous maintenant. »

Ils étaient tombés dans un piège après l’autre et en avaient souffert.

Ils savaient que leurs mouvements étaient également un livre ouvert pendant tout ce temps.

Dans une telle situation, ils avaient sûrement compris que la dernière chose qu’ils voulaient était d’attaquer à nouveau et de tomber dans un autre piège douloureux qui les affaiblissait encore plus. C’était une réaction parfaitement naturelle.

« Alors nous allons garder les choses dans l’ordre. À toutes les troupes, continuez l’avancée ! »

+++

« Ce n’est pas bon. Père ! Cette route a été bloquée par des soldats ennemis ! »

« Père ! Celui-là aussi est coupé ! »

« Héhé, je ne peux même pas prendre la peine d’être surpris à ce stade… » dit Hveðrungr en levant les yeux au ciel avec un sourire, comme s’il trouvait sa propre situation comique.

Le Clan du Frêne était une nation dans les hautes terres montagneuses remplies de ravins.

Naturellement, cela signifiait qu’il y avait un nombre limité de routes par lesquelles on pouvait diriger une formation de deux mille soldats. Avec l’abondante main-d’œuvre de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier, les sceller toutes ne serait pas une tâche difficile.

Du moins, ce serait vrai si ce n’était pas un territoire ennemi pour eux.

« Quel ennemi vraiment étrange ! Donc, ils ont en quelque sorte une compréhension approfondie de la géographie d’une nation étrangère. »

Hveðrungr n’aurait peut-être pas trouvé cela incrédule si, par exemple, cette invasion avait été soigneusement planifiée sur une période de dix ans ou plus, mais la réalité était que moins d’un mois s’était écoulé depuis la publication de l’ordre de soumission de l’empire contre le Clan de l’Acier.

Et bien que les Clans des Nuages et des Crocs se soient longtemps disputé le territoire avec le Clan du Frêne, envahir tout ce qui se trouve à l’ouest de Dauwe nécessiterait qu’ils capturent d’abord le Château de Dauwe, ce qu’ils n’avaient pas été capables de faire jusqu’à présent. Il serait donc étrange qu’ils aient obtenu des informations stratégiques détaillées sur le territoire au-delà de ce point.

« Eh bien, ironiquement, grâce à cela, je peux dire exactement ce que notre ennemi prépare. »

Il y avait exactement une route qui n’avait pas été touchée — la route principale menant directement à la ville de Vígríðr.

La force d’une unité de cavalerie résidait avant tout dans sa mobilité.

C’est précisément grâce à cette mobilité supérieure que, malgré le désavantage écrasant de l’ennemi qui connaissait parfaitement sa position et ses mouvements, le régiment avait pu échapper à une succession d’incidents.

Cependant, s’ils étaient conduits derrière les murs de la ville de Vígríðr, ils ne pourraient pas utiliser pleinement cette force, et ils n’auraient nulle part où s’échapper.

L’ennemi avait dû en conclure que la cavalerie du régiment serait alors piégée comme des rats, et pourrait être éliminé avec les troupes de Vígríðr lors de la chute de la ville.

« Pourtant, les autres routes ne sont guère une option. »

Attaquer les soldats qui bloquaient l’une des autres routes viables et essayer de forcer un passage était techniquement une option, mais il était probable que d’autres forces de l’Alliance des Clans Anti-Acier atteignent rapidement leur position actuelle pendant le combat.

Après tout, comme indiqué précédemment, les mouvements du régiment étaient totalement visibles pour l’ennemi.

Il y avait de fortes chances que, quelle que soit l’alternative choisie par Hveðrungr, les soldats qui bloquaient cette route particulière soient lourdement renforcés lorsqu’il les atteindrait.

Et ce n’était pas tout… Si la force principale de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier était capable de se rapprocher derrière eux pendant que ses hommes luttaient au combat, ils pourraient être complètement pris en tenaille sans aucun moyen de s’échapper.

Alors que Hveðrungr réfléchissait encore, il avait soudain souri et claqué des doigts.

« Héhé ! Dans ce cas, je vais peut-être leur donner exactement ce qu’ils veulent. Cela devrait être très amusant… »

« Ouf, finalement, ce petit groupe gênant est forcé de rentrer dans la cage avec les autres. Quel soulagement c’est ! »

Bára avait regardé l’unité de cavalerie ennemie entrer dans les murs de Vígríðr avec un sourire en coin, et avait hoché la tête en signe de satisfaction.

En vérité, pour Bára, s’occuper du problème posé par ces soldats de cavalerie avant l’arrivée de l’armée principale du Clan de l’Acier était encore plus important que de capturer Vígríðr.

Même avec l’aide des « yeux » de Hárbarth, ces guerriers à cheval représentaient toujours une énorme menace grâce à leur grande mobilité et à leurs puissants assauts.

En particulier, il y avait le scénario potentiel où, alors que l’armée des Clans Anti-Acier était occupée à combattre l’armée du Clan de l’Acier, les cavaliers se précipitaient pour attaquer par l’arrière. Même si les alliés de Bára savaient qu’ils arrivaient à l’avance, il y avait de fortes chances que les soldats sur le terrain ne puissent pas réagir à temps.

***

Partie 4

C’est pourquoi elle avait voulu les écraser maintenant et éliminer tout souci d’une menace par derrière.

« Donc, les choses se sont bien passées jusqu’à présent. »

À côté d’elle, Fagrahvél fixait les murs de Vígríðr d’un air sombre.

Son malaise et son agitation étaient clairs comme le jour.

Bára posa une main sur l’épaule de Fagrahvél. « Erna et les autres vont réussir, » dit-elle. « J’en suis sûre. »

En effet, le stratagème de Bára ne s’était pas arrêté là.

En fait, le nœud du problème ne faisait que commencer à se dévoiler.

Dans Vígríðr, l’air de la nuit était rempli du son crépitant du bois brûlé.

Comme la ville se trouvait au milieu d’un siège défensif pendant une guerre, il y avait des torches partout, de sorte que la ville était brillamment éclairée même la nuit.

Les rues de la ville et les allées du haut des murs extérieurs étaient patrouillées par des soldats en permanence, ce qui créait une atmosphère imposante qui donnait l’impression que la ville, autrefois vivante, était complètement différente.

Au milieu de tout cela, trois silhouettes se déplaçaient tranquillement parmi les ombres.

Ils restaient cachés dans les poches d’obscurité, chronométrant leurs mouvements aux moments où ils se trouveraient dans les angles morts des soldats à proximité, et passant d’un couvert à l’autre sans faire de bruit.

« Il n’y a vraiment personne comme Bára quand il s’agit d’imaginer des petites opérations sournoises comme celle-ci. » Une fois qu’elle s’était engagée dans une ruelle et qu’elle avait confirmé qu’aucun soldat ne se trouvait à proximité, l’un de ces personnages, Erna, avait murmuré ceci à personne en particulier.

Elle était vêtue d’une tenue très différente de la normale, faite de peaux de cerfs et ornée de plumes d’oiseaux.

C’était l’une des nombreuses armes qu’elle avait « empruntées » à la cavalerie ennemie qu’elle avait vaincue au cours de plusieurs batailles.

Avec elle, elle avait pu se glisser parmi les soldats de la cavalerie qui se dirigeaient vers la ville, lui permettant d’entrer dans Vígríðr, où elle avait silencieusement attendu son heure, jusqu’à présent.

« Es-tu sûre que tu veux dire quelque chose comme ça ? Je pourrais toujours te dénoncer. »

« Quoi — Hrönn, de quel côté es-tu exactement !? »

« Avec tout le respect que je te dois, Erna, Bára est bien plus effrayante que toi », avait lancé Hrönn sans détour et sans une seconde de pause.

Ses cheveux étaient attachés en deux chignons à gauche et à droite, et son visage conservait encore de petites touches enfantines dans ses traits, mais elle était une Einherjar et un membre à part entière des Demoiselles des Vagues.

Une troisième voix, basse et froide, s’était fait entendre. « Toutes les deux, pas de conversation inutile. Nous sommes au milieu d’une mission d’infiltration. »

Erna et Hrönn s’étaient empressés de se couvrir la bouche et avaient hoché la tête à plusieurs reprises.

La propriétaire de cette voix froide s’était avancée dans l’obscurité, se révélant aux deux autres. C’était une femme âgée, dans la fleur de l’âge, avec de longs cheveux argentés descendant jusqu’à la taille, qui faisaient une forte impression visuelle.

Cependant, contrairement à l’attrait de sa silhouette svelte et magnifique, la réaction des deux autres femmes à son égard montrait clairement qu’elle les effrayait.

Et il était tout naturel qu’elle le soit, car elle était la chef féroce des Demoiselles des Vagues, et celle qui avait enseigné l’art du combat à Erna et Hrönn. Elle était Thír, la Beauté de Glace.

Elle avait déjà été assignée comme garde et escorte pour le Þjóðann Sigrdrífa, ce qui montrait à quel point Fagrahvél avait confiance en ses compétences.

D’ailleurs, elle était de loin la membre le plus âgée des Demoiselles des Vagues, au moins quarante ans, mais tout le monde vous dirait qu’elle avait l’air d’avoir encore une vingtaine d’années.

Après un moment, elle laissa échapper un soupir. « Je me demande si vous n’avez pas été le mauvais choix pour cette mission », dit-elle en les regardant attentivement.

Pour l’instant, elles menaient toutes les trois une mission top secrète confiée par Bára.

Leur objectif était d’ouvrir la porte de la ville, permettant à leurs alliés d’entrer.

Il serait trop difficile de placer plus qu’un petit nombre de saboteurs parmi les soldats entrant dans la ville, aussi les deux juniors de Thír avaient-elles été choisies pour la mission en vertu de leurs capacités de combat, qui étaient de premier ordre même par rapport aux autres membres des Demoiselles des Vagues. Cependant, elles étaient toutes deux clairement inadaptées aux opérations furtives.

« Eh bien, se plaindre maintenant ne changera rien. Toutes les deux, allez-y. »

« Exact. » Erna et Hrönn avaient répondu à l’unisson.

« Au moins, vous savez toutes les deux comment donner une réponse rapide, » dit Thír en haussant les épaules et en secouant la tête.

L’instant d’après, elle avait disparu sans faire de bruit.

Elle avait supprimé sa présence et s’était fondue dans l’obscurité.

« Elle est plus incroyable que jamais. Je n’arrive pas du tout à savoir où elle se trouve », dit Hrönn en jetant des coups d’œil autour d’elle.

« Arrête de paresser. Veux-tu que je te laisse derrière ? »

« J-J’arrive ! »

Hrönn avait frémi en entendant la voix venant apparemment de nulle part et était passée à l’action.

Même avec la perception sensorielle améliorée d’une Einherjar, elle ne pouvait pas du tout sentir la présence de Thír.

Erna et Hrönn étaient fortes et pleines de passion juvénile, mais il s’agissait là de l’habileté d’un maître, quelque chose qu’elles ne pouvaient pas encore atteindre pour eux-mêmes.

« … Hm, c’est ce que je pensais. C’est relativement peu surveillé. »

En atteignant la zone située devant la porte principale de la ville, Thír s’arrêta et scruta calmement son environnement.

Il semblait n’y avoir que quelques personnes debout près de la porte, cinq qu’elle pouvait voir.

Pendant ce temps, en haut du mur, elle pouvait distinguer les silhouettes d’un nombre bien plus important de personnes.

Alors qu’elle continuait calmement à se concentrer sur les gens au-dessus d’elle, elle était capable de discerner qu’ils étaient tous tournés dans la même direction — vers l’extérieur, vers l’invasion de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier. Ils ne dirigeaient pas leur attention à l’intérieur des murs.

Bien sûr, cette décision était la plus naturelle à prendre. Après tout, une attaque ennemie viendrait normalement de l’extérieur.

Garder une escouade de soldats prêts à intervenir dans la zone devant la porte, même s’il n’y a pas de mouvement ennemi enregistré, ne ferait que les épuiser, et finalement, ils seraient trop fatigués pour être utiles lorsque le moment serait venu de combattre.

L’un des principes fondamentaux de la défense de siège était de veiller à ce que les soldats bénéficient d’un repos adéquat lorsque la situation le permettait.

Le plan de Bára était d’en profiter et de l’utiliser contre eux.

« Très bien, nous commençons l’opération. Allons-y. »

Après avoir prononcé ces mots, la silhouette de Thír s’était à nouveau fondue dans l’obscurité.

Et, quelques secondes plus tard…

« Je n’arrive vraiment pas à faire une pause ici. Je suis censé me marier le mois prochain, tu sais ? Je me demande si on va pouvoir faire la cérémonie avec tout ce qui se passe. »

« Je suis désolée d’entendre ça. »

« Hein ? Qui est — gakh !? »

Avant même que le guetteur ait pu se retourner pour localiser la source des mots de Thír, elle lui avait tranché la gorge avec sa dague.

« Qui… va… gaugh… ! »

Le soldat avec lequel l’homme maintenant mort avait parlé, qui se tenait juste en face de lui, réagit immédiatement, essayant de tirer son épée. Mais avant qu’il ne puisse terminer le mouvement, il s’était figé et avait grogné pour la dernière fois, une lame au reflet argenté et terne étant maintenant plantée fermement dans sa poitrine.

C’était une épée en fer, une autre pièce d’équipement qu’Erna avait saisie sur l’un des cavaliers.

« Ghh, une attaque ennemie !? T-Tout le monde —. »

Un des autres soldats avait compris ce qui se passait et avait tenté de crier, mais Thír l’avait atteint le premier.

« Tu vas nous causer des problèmes si tu es trop bruyant, alors pourquoi ne pas rester silencieux ? »

Se fondant dans l’obscurité, elle avait fait le tour derrière lui, avait couvert sa bouche d’une main, puis lui avait tranché la gorge avec l’autre.

« Aaaaugh, qu’est-ce que c’est que ces gens !? »

« Ils sont bien trop forts ! »

Les visages des deux autres guetteurs étaient tendus par la terreur. Ils avaient tous deux commencé à fuir en toute hâte.

« Déserter face à l’ennemi ? Juste pathétique. »

Erna s’élança en avant, les rattrapant en un clin d’œil, et tous deux tombèrent sans ménagement sur sa lame.

Du début à la fin, l’acte de massacre d’Erna, bien chorégraphié par une seule femme, s’était déroulé en moins de dix secondes.

« Pourquoi n’as-tu rien laissé à faire pour moi ? » Hrönn s’était plainte.

« Penses-tu vraiment que nous avions le temps de faire ça ? » Erna avait répliqué. « S’ils parviennent à appeler des renforts, nous serons finis avant même d’avoir pu commencer. »

« Cependant, il se trouve que la sauvegarde est ici de toute façon. »

La voix de l’homme, surgie de nulle part, avait tranché leur échange comme un couteau, et elles s’étaient retournées, les yeux écarquillés par le choc.

L’homme qui se tenait là était quelqu’un qu’Erna connaissait bien. Un homme étrange au visage caché derrière un masque sombre.

« Hveðrungr… ! »

« Je suis très honoré de découvrir que les courageux héros du Clan de l’épée connaissent mon nom. Ah, vous l’avez appris de Gerhard, peut-être ? »

Il s’était adressé à eux d’un ton doux et très amical.

Cela le rendait juste encore plus inquiétant.

Pour être tout à fait franche, elle sentait en lui quelque chose qui ressemblait à Bára.

Il s’est avéré que cet instinct était juste.

« Je vous dois beaucoup pour tout ce qui s’est passé ces derniers jours. Et je n’aimerais rien de plus que de vous rembourser. »

Hveðrungr avait levé sa main droite et, à ce signal, un grand nombre de soldats avaient commencé à sortir discrètement de l’ombre.

Il y en avait au moins une centaine !

« Il y avait autant de personnes cachées à proximité et je ne pouvais pas les sentir… J’ai été négligente. » Thír semblait absolument vexée par son échec.

« Héhé… Eh bien, les hommes de Miðgarðr gagnent leur vie en chassant le gibier dans les steppes ouvertes, » répondit Hveðrungr. Il avait l’air de s’amuser un peu. « Dissimuler sa présence est l’une des nombreuses compétences qu’ils se sont appropriées. Et ceux que vous voyez ici sont les meilleurs des meilleurs, même parmi eux. Il n’est donc pas étonnant que vous ne puissiez pas les détecter. »

« Tch ! Erna, Hrönn, retirez-vous pour l’instant ! » Thír cria l’ordre et les trois Einherjars se mirent à courir.

***

Partie 5

Jusqu’à il y a quelques instants, l’ennemi était totalement caché, dissimulant sa présence. De ce fait, ils n’avaient pas encore pu encercler complètement le groupe de Thír. De petites ouvertures subsistaient encore.

Toutes les trois s’étaient faufilées rapidement et habilement à travers ces ouvertures, échappant ainsi au filet.

« Ne croyez pas que je vais vous laisser vous échapper ! Mes hommes, attrapez-les ! »

Au commandement de Hveðrungr, ses soldats s’étaient tous rapidement mis en chasse.

Même s’ils n’étaient pas à cheval, ils possédaient tous une force impressionnante au niveau des jambes, et ils s’étaient lancés à la poursuite à grande vitesse.

Thír et Hrönn étaient toutes deux des Einherjars, mais elles n’avaient pas la force surhumaine des jambes qu’avait Erna.

Elles n’avaient pas pu se libérer complètement de leurs poursuivants, et alors qu’elles couraient de plus en plus loin, leur manque de familiarité avec le plan de la ville avait été leur perte.

« Ah ! Un cul-de-sac !? »

L’une des routes qu’elles avaient empruntées menait droit à un mur solide.

Le chemin qu’elles avaient emprunté était déjà encombré de soldats qui leur bloquaient le passage, alors revenir en arrière jusqu’à la dernière intersection n’était pas une option.

« A-t-on fini de jouer à notre petit jeu de chasse maintenant ? »

L’homme masqué se faufila entre les soldats qui bloquaient l’entrée des trois Einherjars et s’avança devant eux.

« Oui… il semble que c’est le cas. »

Thír répondit lentement, s’efforçant de rétablir sa respiration et de reconstituer un peu d’endurance.

Efforcez-vous à tout moment de vous placer dans la meilleure condition possible, la mieux préparée.

C’était le credo du guerrier que Thír suivait, et qu’elle avait enseigné à Erna et à ses autres élèves.

« Je suis… impressionnée que vous ayez compris notre plan. Vous saviez qu’on s’était cachés parmi vous, qu’on était entrés dans la ville et qu’on allait essayer d’ouvrir la porte. »

« Héhé, c’est parce que j’ai appris que la personne qui commande vos armées a un sacré goût pour les stratégies et les astuces rusées. Je me suis rendu compte que le simple fait de nous rassembler ici avec tous les autres à Vígríðr était trop simple — il manquait une touche d’élégance. Et c’est là que ça m’a frappé. Vous voyez, j’ai moi-même utilisé ce même plan à Gashina. »

« Je vois. »

Et donc, Hveðrungr avait utilisé cette connaissance pour organiser une embuscade, un acte de vengeance qui reflétait délibérément ce qu’il avait subi jusqu’à présent.

Il avait une personnalité vraiment tordue.

« Oh, au fait, si vous en avez l’occasion, j’aimerais que vous transmettiez un message à cette personne de ma part. Dites-lui qu’il y a un dicton amusant venant d’un pays lointain qui dit : “L’astucieux est la proie de son propre piège.” En supposant que vous en ayez l’occasion, bien sûr. »

« … Je m’en souviendrai, juste au cas où. »

« Maintenant, je pense que nous avons assez plaisanté. Je suppose que vous n’avez pas envie de vous rendre ? Je suis sûr que vous retenir toutes les trois sera une vraie lutte pour moi, et je ne veux certainement pas perdre de bons hommes dans le processus. Ce serait tout simplement stupide. Je peux vous promettre que si vous vous rendez maintenant, vous serez traitées assez gracieusement. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

Hveðrungr avait écarté les bras et avait pratiquement murmuré ces derniers mots avec un sourire joyeux.

Sa gentillesse affectée le rendait encore plus rebutant.

S’il faisait exprès de produire cet effet, alors il avait vraiment une personnalité tordue. Thír avait de plus en plus l’impression que cet homme apprécierait probablement de converser avec Bára.

« Cependant, si vous choisissez de vous battre… Dans ce cas, oh, j’espère que vous êtes préparées à la douleur. Après tout, il y a tellement de secrets que nous devons vous soutirer… par exemple, comment avez-vous été capable de suivre la position et les mouvements de mes hommes et moi ? »

L’homme masqué montra enfin son vrai visage, ses lèvres se retroussant en un rictus. Il n’était guère plus qu’un démon masqué maintenant.

« Donc, c’est ce que vous cherchez. »

Savoir que l’ennemi s’infiltrait dans la ville, et le laisser faire quand même, c’était faire un pari assez sérieux et risqué. En d’autres termes, il avait dû considérer qu’il valait la peine de prendre ce risque afin de percer le mystère qui le frustrait.

Et, en fait, il avait largement raison dans son jugement.

Sans faire quelque chose pour atténuer l’avantage de cette « puissance », le Clan de l’Acier n’avait sûrement aucune chance de victoire.

Cet homme était intellectuellement vif, avant-gardiste, courageux, fort dans un combat, et audacieux par-dessus le marché.

Même en tant qu’ennemi, Thír le trouvait impressionnant.

Cependant, elle savait aussi que lorsqu’il s’agissait d’intelligence vraiment aiguisée et rusée, il y avait un démon encore plus redoutable que lui.

« Héhé, je m’excuse de vous interrompre pendant que vous êtes occupé à vous féliciter, mais êtes-vous vraiment sûr que c’est bien pour vous d’être ici en ce moment ? »

« Quoi ? » Hveðrungr la regarda avec suspicion.

C’est à ce moment-là que c’est arrivé.

Le bruit fort et métallique des gongs de guerre en bronze résonnait dans l’air.

« Non… ce n’est pas possible… »

Il semblerait que cet homme était vraiment un malin.

En quelques secondes, il avait déjà commencé à comprendre ce qui se passait en ce moment.

Voyant cela, Thír décida qu’elle allait parler et prouver que son hypothèse était correcte.

« Oui, c’est vrai. Nous trois étions une diversion. Nos ordres étaient d’essayer d’ouvrir la porte nous-mêmes si nous le pouvions, et si nous échouions, d’attirer les forces ennemies loin de la porte, permettant à quelqu’un d’autre de l’ouvrir. »

« Grrgh… »

L’homme masqué se mordit la lèvre inférieure dans ce qui semblait être une frustration douloureuse.

Voir ce genre d’expression sur un homme qui avait une confiance absolue en son propre pouvoir était un vrai régal.

Et donc, Thír avait décidé de remuer le couteau dans la plaie pour son propre plaisir.

« Le moment même où vous nous avez découvertes et où vous étiez sûrs d’avoir lu tout ce que nous avions prévu, que vous nous aviez surpassé et que vous aviez gagné… c’est exactement le moment où vous avez perdu contre nous. Oh, c’est vrai. Récemment, j’ai appris de quelqu’un une phrase pratique pour décrire une telle situation. Quelle était cette phrase… ? Oh, “L’astucieux est la proie de son propre piège.” Je crois que c’est comme ça que ça se passe ? »

C’était une intense moquerie.

Ce côté sadique de Thír était la raison pour laquelle Erna et Hrönn avaient si peur d’elle.

C’est parce qu’elle savait comment dire des choses qui allaient droit au cœur d’une personne.

« Khh… ! Tuez-les ! Tuez-les jusqu’au dernier, et faites en sorte qu’elles souffrent ! »

Hveðrungr avait hurlé de fureur, montrant une fois de plus sa vraie nature.

Thír s’était beaucoup amusée à le tourmenter, mais elle considérait maintenant qu’elle était peut-être allée un peu trop loin.

L’aura de pure méchanceté qui se dégageait de lui était en fait assez incroyable.

Il s’agissait bien de l’homme qui avait auparavant fait d’un clan de nomades une nation puissante contrôlant les terres de l’ouest de Miðgarðr jusqu’à l’ouest d’Álfheimr.

Sa présence était suffisamment intimidante pour que même un vétéran comme Thír grimace.

Il semblait qu’Erna se retenait elle aussi, mais Hrönn, plus jeune et moins expérimentée, était submergée par la pression et semblait complètement terrifiée.

Elles avaient déjà accompli leur rôle. Il devrait être possible d’utiliser leur carte maîtresse maintenant.

« Erna ! »

« Ah… C’est vrai ! »

Dès que Thír avait prononcé son nom, Erna avait passé un bras autour de la taille de Thír et l’autre autour de celle de Hrönn…

Et elle s’était envolée dans les airs.

Bien sûr, Erna n’était pas un oiseau. Elle n’avait pas la capacité de voler.

Cependant, « décoller » était la seule façon dont les spectateurs auraient pu le décrire, car c’est exactement ce à quoi elle ressemblait lorsqu’elle avait sauté dans les airs en utilisant la force surhumaine de ses jambes que lui conférait sa rune.

« Quoi !? »

Même Hveðrungr avait été complètement surpris par la vue.

Et c’était tout naturel qu’il le soit.

Sauter de la rue jusqu’au toit d’un immeuble tout en portant deux personnes était un exploit stupéfiant, quelque chose qu’un être humain ne devrait pas être capable de faire.

Même dans le vaste monde d’Yggdrasil, les deux seules personnes capables d’accomplir une telle chose étaient probablement Erna et feu Steinþórr, le tigre avide de combats.

Même avec le talent de stratège de l’homme masqué, il n’aurait jamais été capable de prévoir une telle méthode d’évasion.

La raison pour laquelle le groupe de Thír avait osé se lancer dans ce plan d’infiltration était précisément parce qu’elles savaient qu’elles avaient cette méthode à utiliser en cas d’urgence.

« Eh bien, on se reverra un jour, Monsieur l’Homme Masqué. »

Thír fit un signe de la main, puis courut sur le toit du bâtiment et sauta au niveau de la rue de l’autre côté.

Naturellement, personne n’avait réussi à la rattraper après ça.

Le son des gongs de guerre en bronze résonnait au loin.

« C’est le signe. On dirait que tous ceux qui se sont faufilés ont réussi à faire leur part du travail. »

Parlant d’une voix exubérante, Bára s’était retournée pour regarder Fagrahvél, qui avait répondu d’un simple signe de tête.

« Une autre mission réussie pour les Demoiselles des Vagues. Maintenant, attention à toutes les troupes ! » Fagrahvél se leva de sa chaise, dégaina son épée et la pointa sur Vígríðr.

« Avancez sur Vígríðr ! Chaaarge ! »

Les beaux traits et la noble apparence de Fagrahvél, qui lui avaient valu le surnom de Seigneur de la beauté, étaient associés à son armure d’or étincelante, et lorsqu’elle brandissait son épée et donnait un ordre, c’était un spectacle pittoresque en effet.

C’était le genre d’atmosphère et d’image qui inspirait la vénération de ses soldats.

« Yeeeaaaahhhh ! »

Les troupes de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier avaient poussé des cris de guerre jubilatoires et s’étaient précipitées vers Vígríðr, où le combat avait rapidement éclaté avec les soldats défendant la ville.

Les sons des ordres de campagne aboyés et le cliquetis des armes en métal se répercutaient bruyamment, jusqu’à la formation du commandant, plus loin au milieu de l’armée.

« Hmm, on dirait qu’ils mettent en place un sacré combat. »

Bára avait supposé qu’une fois les portes ouvertes, la ville tomberait facilement, donc c’était un peu inattendu pour elle.

Cette cavalerie était terriblement forte et compétente.

Peut-être qu’ils retardaient les choses en se battant particulièrement fort.

Mais au final, ça ne devrait pas durer longtemps.

Les humains souffraient de fatigue comme toute autre créature vivante, et ils avaient certainement leurs limites.

Le côté défensif n’avait pas d’autre choix que de se battre continuellement sans repos, tandis que le côté attaquant pouvait échanger ses soldats attaquants en vagues alternées.

Il était clair comme le jour lequel d’entre eux avait le dessus ici.

Le flux et le reflux des combats avaient continué toute la nuit, jusqu’à ce que le soleil se lève.

C’était très probablement le moment où les soldats défenseurs devaient atteindre les limites de leurs forces, surtout après avoir combattu sans relâche toute la nuit.

Ce n’était plus qu’une question de temps avant que les défenses de Vígríðr ne tombent, et la ville serait à eux.

Fagrahvél et Bára en étaient toutes deux totalement convaincues.

Et c’est là que c’est arrivé.

« C’est une urgence ! »

Le prêtre impérial Alexis s’était frayé un chemin à travers la formation du commandant, pratiquement en sprintant, en criant d’une voix stridente.

C’était quelqu’un qui était toujours posé et sûr de lui, d’une manière qui rendait difficile de comprendre ses motivations. C’était la première fois que Bára ou Fagrahvél le voyait agir de la sorte.

Que s’est-il passé ?

« L’armée principale du Clan de l’Acier est… elle est déjà presque là ! »

« Qu… Qu… Quoi… !? »

« H-Huuuuh !? »

Face à ce qui devrait être une situation totalement impossible, Fagrahvél et Bára ne savaient plus quoi dire.

Lorsque l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier avait déclaré la guerre au Clan de l’Acier et commencé l’invasion, Hárbarth avait confirmé, grâce à ses pouvoirs, que le gros de l’armée du Clan de l’Acier se trouvait sur le territoire du Clan de la Foudre, dans la région de Gashina.

Il leur aurait fallu au moins quinze jours de plus pour parcourir la distance entre là-bas et ici. Fagrahvél frissonna et balbutia à voix haute : « Qu’as-tu fait, Dieu de la guerre ? Quelle sorte de magie as-tu utilisée ? »

***

Chapitre 5 : Acte 5

Partie 1

Pour mieux expliquer cet acte miraculeux, rembobinons quelque peu l’horloge.

« Linéa, les préparations que j’ai demandées sont-elles déjà terminées !? »

Yuuto traversa les salles du palais d’un pas particulièrement vif, lançant sa question à Linéa sans même se retourner.

Le château de Dauwe, le point défensif clé sur lequel il comptait, était tombé.

Il ne pouvait pas se permettre de perdre, ne serait-ce que quelques précieuses secondes en marchant vers sa destination à un rythme normal.

« Oui ! Ils ont pu en préparer un nombre suffisant à temps. »

« Je vois. Et les armes et les armures ? »

« Ceux-ci ont également déjà été préparés, comme tu l’as ordonné. »

« Bien. Les soldats devraient commencer à arriver demain matin. »

« Dans ce cas, permets-moi d’appeler tout le monde dans les cuisines et de leur demander de préparer des repas maintenant. La nourriture qui peut être transportée pendant le voyage est préférable, n’est-ce pas ? »

« Absolument. »

« Compris. Laisse-moi m’occuper de tout le reste. »

Linéa avait répondu à toutes les questions de Yuuto de manière rapide et satisfaisante. C’était en fait une sensation assez agréable.

Une fois qu’elle avait été complètement réveillée, elle était vraiment, et de loin, la plus remarquable de ses officiers lorsqu’il s’agissait de ce genre de choses.

Cette fois, le plan allait être un peu sauvage et risqué, et s’il avait pu le mettre en place, c’était en grande partie grâce à elle.

Même si Yuuto avait lui-même trouvé un concept intelligent, il était tout aussi important de trouver comment le faire fonctionner concrètement et de régler les détails nécessaires à sa mise en œuvre. Sans cela, cela pourrait tout aussi bien n’être qu’un tas de gribouillis sur du papier brouillon.

Yuuto s’était brusquement arrêté dans son élan et s’était retourné pour faire face à Linéa.

Il fixa profondément les yeux de Linéa, qui leva les yeux vers lui, perplexe devant son arrêt soudain.

« Merci pour tout, Linéa. Je vais y aller maintenant. »

« … Bien sûr. Je te souhaite bonne chance au combat. »

Linéa lui dit adieu, ses mots étant clairement remplis de plus d’émotion qu’elle ne pouvait en exprimer, et s’inclina profondément devant lui.

Avec ses bons souhaits comme un vent dans le dos, Yuuto se mit une fois de plus en route vers l’entrée du palais.

Au moment où il atteignait la porte séparant le palais de la ville proprement dite, il aperçut un visage familier.

« Mitsuki ? »

« Ne me fais pas le coup du “Mitsuki” ! Tu viens juste de rentrer d’une guerre, et tu vas vraiment faire demi-tour et repartir sans même voir le visage de ta femme !? Qu’est-ce que c’est que ça !? »

« Urk. »

Le regard furieux de sa femme le transperça. L’expression de Yuuto était résolue et sévère jusqu’à il y a une seconde, mais maintenant il grimaçait et reculait devant elle.

« Je dois remercier Félicia d’avoir été assez prévenante pour me dire que tu étais ici. Tu pourrais au moins me laisser vous dire au revoir. »

« … Désolé. »

Yuuto avait regardé ses pieds avec culpabilité, se grattant l’arrière de sa tête.

« C’est juste que je suis très agité dès que je suis sur le point de partir à la guerre, et je n’aimais pas trop l’idée que tu me voies quand je suis… effrayant, comme ça. Surtout maintenant que tu as notre enfant en toi. »

« Il se trouve que ce gamin vient de me dire il y a une minute qu’il veut voir son père partir, avec un coup de pied. »

« Quoi… il donne déjà des coups de pied !? »

Par réflexe, Yuuto avait posé une main sur le ventre de Mitsuki.

« Eh bien, pas encore si fréquemment, mais… Oh. »

« Oh ! »

Ce n’était qu’un instant, mais la main de Yuuto avait ressenti la force d’un impact minuscule.

« C’était un coup de pied. C’était un coup de pied juste maintenant, non ? »

« Hee hee. On dirait que notre bébé sait reconnaître son père. »

« Je vois. Donc il peut le dire… Les bébés sont étonnants. »

S’il s’était arrêté pour y penser rationnellement, cela n’aurait pu être qu’une coïncidence. Mais malgré cela, Yuuto avait l’impression que son enfant inconnu lui parlait, qu’il lui disait au revoir.

Il n’y avait pas de plus grand encouragement au monde pour lui.

 

 

Le jour suivant — .

On pouvait voir Yuuto arpenter les couloirs du palais du patriarche dans la capitale du Clan de la Griffe, loin de Gimlé.

C’était une distance qui prendrait au moins quinze jours à parcourir à pied, même selon les estimations les plus courtes, donc selon les normes de cette époque, cette situation défiait tout bon sens. Cependant, Gimlé et les autres grandes villes du Clan de l’Acier étaient déjà reliées par un réseau de postes avec des chevaux frais pour faciliter le transport rapide des messagers. Yuuto avait commencé à mettre en place ce système entre lui et ses alliés depuis l’époque où il était encore patriarche du Clan du Loup.

Même les voyages sur cette distance étaient désormais possibles en utilisant les stations et en chevauchant sans interruption pendant une journée et une nuit complètes, sans aucun problème.

« Ggh... ! »

Ou plutôt, pas de problèmes à proprement parler, sauf un en particulier : les escarres.

« Je m’excuse, Grand Frère. Ça te fait-il mal ? »

Agenouillée entre ses jambes, Félicia le regarda avec des yeux pleins de larmes et d’inquiétude.

Elle appliquait une pommade sur l’intérieur de ses jambes, censée être efficace contre les escarres.

Les plaies étant, eh bien, là où elles étaient, il avait dû enlever son pantalon, et même s’il s’était entêté à lui dire, « C’est bon, je peux l’appliquer moi-même ! » une douzaine de fois dans le passé, à ce stade, cela lui semblait presque inutile d’opposer une résistance supplémentaire.

Cela dit, la position relative de Yuuto et de Félicia et son état de déshabillage actuel faisaient que Yuuto n’arrivait pas à se défaire de l’impression qu’ils faisaient quelque chose d’indécent.

De plus, il fallait penser à la dignité et à la position du Réginarque. Yuuto ne pouvait que prier pour que, jusqu’à ce qu’elle ait fini d’appliquer le traitement, personne n’entre dans cette pièce et ne les surprenne comme ça.

 

 

Bien sûr, l’idée qu’un membre du Clan de l’Acier puisse même envisager d’entrer dans les quartiers d’habitation du Réginarque sans permission était…

« Waaaah ! Père, Pèèèèèèrreeee ! »

– à considérer absolument.

Il y avait au moins une personne qui le pouvait. Une jeune enfant à l’esprit libre qui agissait selon ses caprices et allait où bon lui semblait, sans se soucier des attentes tacites des autres.

Elle s’appelait Albertina, et était une fille de douze ou treize ans avec des cheveux en une adorable queue de cheval sur le côté.

Malgré son apparence innocente, elle était une Einherjar de la rune Hræsvelgr, provocatrice de vents, et quand il s’agissait d’agilité rapide comme l’éclair, personne dans le Clan de l’Acier ne pouvait la surpasser.

Sa rune lui donnait le pouvoir de créer et de contrôler les vents dans l’air qui l’entourait, et son style de combat s’en servait pour lui permettre de se déplacer et de manœuvrer à la vitesse d’un tourbillon. Même Sigrún, le plus fort guerrier du clan et héritier du titre de Mánagarmr, qui était la preuve de cette force, la considérait comme une combattante au potentiel incroyable…

« Uwaaah ! Uuugh… ! »

… Ou du moins, c’était la réputation qu’elle s’était forgée, mais l’enfant qui sanglotait et pleurait de grosses larmes devant Yuuto en ce moment ne semblait pas à la hauteur de ces affirmations.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? Kris t’a encore embêtée ? »

La petite sœur jumelle d’Albertina, Kristina, était une petite fille diabolique dont le seul plaisir dans la vie était de taquiner et de tourmenter sa sœur bien-aimée Albertina.

Yuuto avait pensé que c’était la cause des larmes d’Albertina cette fois aussi, mais Albertina avait secoué la tête pour dire non.

« Uuugh… C’était les gens du palais, ils, ils parlaient, et je les ai entendus. Uuuugh, ils disaient que j’étais sans valeur et que tout le monde se porterait mieux si je n’étais pas là, comme ça Kris pourrait être le prochain patriarche du Clan de la Griffe sans aucun problème ! »

« Ngh. »

L’expression de Yuuto s’était assombrie.

Il avait supposé que la cause de cette explosion serait probablement quelque chose de convenable pour un enfant et un peu stupide, mais ce qu’elle décrivait n’était pas exactement une conversation triviale qu’il pouvait simplement ignorer.

« Nngh... Suis-je vraiment sans valeur ? Est-ce que ce serait vraiment mieux pour, pour Kris si je n’étais pas là ? »

« Non, ce n’est absolument pas vrai ! » Yuuto répliqua fermement, ne supportant plus de l’entendre parler ainsi d’elle.

Yuuto savait très bien que pour Kristina, Albertina était la chose la plus importante de sa vie.

« Écoute. Je sais que Kris est reconnaissante du fond du cœur que tu sois là. »

« V-Vraiment ? »

« Oui, vraiment ! »

 

 

Kristina disait son lot de mensonges et de demi-vérités, et elle aimait taquiner les gens, et il était souvent difficile de dire ce qu’elle ressentait ou pensait vraiment. Malgré tout, Yuuto pouvait être sûr qu’il ne s’était pas trompé sur ce point.

En entendant les mots de Yuuto, le visage d’Albertina semblait s’épanouir de joie une fois de plus… mais cette joie fut de courte durée.

« M-Mais, je ne suis pas du tout intelligente comparée à Kris, et je ne fais pas vraiment quelque chose qui t’aide, Père… »

Elle avait recommencé à se pleurer sur elle-même.

Cela sortait de l’ordinaire pour Albertina.

C’est comme si elle avait complètement perdu toute confiance en elle. Il devait y avoir d’autres choses vraiment désagréables dans cette conversation qu’elle avait entendue.

« Pourtant, tu m’aides beaucoup. »

Yuuto ne lui disait pas ça juste pour être gentil. Il le croyait vraiment sincèrement.

Au moins, son attitude ensoleillée, insouciante et joyeuse était quelque chose qui guérissait souvent le cœur de Yuuto. Il en était de même pour sa femme Mitsuki, et pour la jeune servante Éphelia, que Yuuto traitait comme une petite sœur adoptive.

Il est vrai que Kristina avait gagné la gloire au sein du clan en obtenant toutes sortes de renseignements utiles — des informations bien plus précieuses que l’or — et Albertina ne pouvait rien faire de tel. Mais grâce à ses propres capacités, Albertina pouvait facilement appréhender les espions ou les bandits qui se glissaient occasionnellement dans l’enceinte du palais. Et en temps de guerre, elle pouvait utiliser son incroyable agilité pour transporter des messages entre les différentes parties de l’armée à une vitesse incroyable, ce qui signifiait qu’elle contribuait effectivement à Yuuto et au Clan de l’Acier.

Cependant…

« Tu n’as pas besoin de dire des choses gentilles juste pour que je me sente mieux ! Je sais mieux que quiconque que je suis stupide et que je ne suis bonne à rien ! »

C’était comme si elle ne pouvait pas se permettre de le croire.

À ce rythme, Yuuto aura beau argumenter, il n’aura pas beaucoup de chance de la convaincre.

Yuuto avait réfléchi pendant un moment à la meilleure façon d’aborder ce problème, quand soudain il eut une idée.

« … Hm. Alors, que penses-tu de ça ? Dans cette bataille à venir, il te suffit d’obtenir des résultats qui prouvent ta valeur, et de forcer les personnes qui ont dit ces choses sur toi à se taire. »

« Hein ? M-Mais, je ne peux pas… »

« Héhé, tu peux, et j’ai quelque chose qui va t’aider, quelque chose qui est juste parfait pour toi. Félicia, apporte-moi mon sac, s’il te plaît. »

Yuuto se tourna vers son adjudante et fit un geste vers le fond de la pièce.

***

Partie 2

À l’arrière se trouvait un très grand sac à dos. Il était rempli d’objets que Yuuto avait ramenés de l’ère moderne lorsqu’il avait été convoqué à Yggdrasil pour la deuxième fois.

Parmi eux, il y avait un certain nombre d’objets qui devraient s’avérer utiles dans le conflit actuel et dans la bataille à venir.

Yuuto avait pris le sac de Félicia et avait immédiatement commencé à fouiller dans son contenu jusqu’à ce qu’il trouve un article en particulier.

« Ceci. »

Il l’avait remis à Albertina.

C’était un objet cylindrique, fait de métal qui brillait d’un éclat terne. Sa forme et son design n’étaient pas du tout adaptés à cette époque.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Une arme. Et de tous les membres du Clan de l’Acier, tu es probablement le mieux placé pour l’utiliser. »

« Hein ? Mais je ne sais même pas comment l’utiliser. Je ne sais même pas ce que c’est. »

« Oh, c’est simple. Il suffit d’appuyer sur cette partie-là. Oh, mais n’appuie pas tout de suite, quand même ! »

« Père, puis-je vous demander de vous abstenir de remettre des objets aussi dangereux à ma chère sœur ? »

Soudain, une autre voix était venue de derrière Yuuto, une voix qui ressemblait fortement à celle d’Albertina.

Yuuto savait qui c’était sans même se retourner pour le voir.

« Depuis combien de temps es-tu là, Kris ? »

« Depuis combien de temps ? Peut-être aussi loin que lorsqu’Al est venue ici en sanglotant. »

Kristina avait souri. Yuuto pouvait se sentir se crisper.

Yuuto était maintenant le plus puissant seigneur conquérant des terres de l’ouest d’Yggdrasil, en nom et en fait, mais même lui avait ressenti un terrible frisson face à ce sourire.

« K-Kris ? Tu es un peu effrayante en ce moment. »

Albertina avait complètement arrêté de pleurer à présent, mais elle frissonnait un peu en s’adressant à sa sœur jumelle.

« Oh ? Mais je ne suis pas différente de la normale. »

C’est un mensonge, avait pensé Yuuto, mais il l’avait gardé pour lui.

Kristina était une fille qui normalement gardait une expression neutre et ne montrait pas ses vrais sentiments sur son visage. Elle ne le montrait pas visiblement en ce moment, mais il était clair pour Yuuto qu’elle était d’humeur dangereuse en ce moment.

Elle était furieuse.

Savoir que sa sœur avait été rabaissée et poussée aux larmes l’avait rendue plus furieuse que Yuuto ne l’avait jamais vue auparavant.

Kristina en faisait son passe-temps personnel pour taquiner et tourmenter sa sœur elle-même, mais malgré cela, elle ne pardonnait à personne d’autre de ridiculiser Albertina.

Elle était aussi un maître dans la collecte d’informations. Elle aurait probablement identifié et traqué les personnes qui avaient blessé Albertina dans la journée.

Après cela, qui peut dire quelle sorte de vengeance elle pourrait exercer sur eux…

Yuuto s’était presque surpris à se sentir désolé pour les pauvres idiots qui avaient mérité son ire, mais il s’était rappelé qu’ils avaient blessé une fille pure et innocente comme Albertina.

Il avait décidé que c’était peut-être mieux après tout s’ils recevaient une leçon pour ce qu’ils avaient fait.

« … Hé, ne sois pas trop dur avec eux, d’accord ? »

« Oh, de quoi pouvez-vous bien parler ? »

Kristina avait feint une ignorance totale.

En d’autres termes, au moins en ce qui concerne cet incident, elle allait être très dure avec eux.

« Plus important encore, quelle est la situation actuelle ? »

Décidant qu’il était plus sage de ne pas s’impliquer davantage dans cette affaire, Yuuto changea de sujet.

Un homme sage se tient à l’écart du danger, comme le dit le proverbe.

Et d’ailleurs, c’était ce dont il avait besoin de parler avec Kristina de toute façon.

L’utilisation de pigeons voyageurs pour envoyer des messages constituait une amélioration remarquable de la vitesse de communication par rapport aux normes de l’époque, mais elle nécessitait la présence physique de pigeons nichés à des endroits stratégiques, de sorte qu’ils ne pouvaient pas être utilisés quand on le souhaitait. Leur utilisation était limitée aux communications réellement urgentes.

En fin de compte, le meilleur moyen de recevoir de grandes quantités d’informations avec un décalage aussi faible que possible était de se rapprocher physiquement de la source.

C’était précisément la raison pour laquelle Yuuto avait personnellement été si pressé de se rendre ici, au point qu’il avait même laissé son armée derrière lui pour arriver au plus vite.

Cette fois, son ennemi le surpassait de loin en taille.

Il n’allait pas pouvoir gagner contre eux en se battant simplement au hasard.

Celui qui contrôle l’information contrôle la bataille.

Grâce à ses expériences jusqu’à présent, Yuuto ne le savait que trop bien.

En attendant…

« Vous savez, je suis un militaire depuis l’époque où le seigneur Fárbauti était le patriarche du Clan du Loup, et c’est une première pour moi. Quelle étrange façon de mener une marche ! »

« Haha ! Qu’est-ce que vous dites, mon vieux ? Depuis que le Seigneur Yuuto a pris le pouvoir, ce n’est qu’une succession de “premières”, n’est-ce pas ? »

« Je veux dire, oui, c’est assez vrai. »

« Eh bien, hé, cependant, ce n’est pas comme si je ne comprenais pas ce que vous voulez dire. Je n’ai certainement jamais imaginé qu’un jour je recevrais l’ordre de me diriger vers la ligne de front sans une seule arme à la main. »

Les soldats de rang de l’armée du Clan de l’Acier discutaient entre eux alors qu’ils se déplaçaient en formation sur la route.

Ils marchaient tous d’un pas léger et sans contrainte.

On pourrait dire que c’est tout à fait naturel, cependant, puisqu’aucun d’entre eux ne portait d’armes, d’armures ou de provisions d’aucune sorte — toutes choses que des soldats porteraient habituellement lors d’une marche plus traditionnelle.

Cela leur permettait non seulement de marcher à un rythme plus rapide, mais aussi de réduire leur taux de fatigue, ce qui leur permettait de marcher plus longtemps dans une journée.

Bien sûr, ils ne pouvaient pas vraiment aller au combat sans armes, mais ce n’était pas un problème, parce que…

« On est censé récupérer nos armes et autres en arrivant au Clan de la Griffe, non ? »

« Ouais. Tout le monde dit qu’apparemment ils étaient envoyés là-bas en secret avant même que la campagne contre le Clan de la Foudre ne commence, non ? Ce qui veut dire que le Seigneur Yuuto savait déjà à l’époque que tout ça allait arriver. »

« Merde, c’est bien approprié venant du Seigneur Yuuto. »

Telle était la procédure actuellement en vigueur.

Déplacer un grand nombre de soldats en même temps attirerait l’attention des nations environnantes et les mettrait en état d’alerte, donc pendant la période entre la cérémonie de mariage de Yuuto et le début de la campagne du Clan de la Foudre, Yuuto avait fait en sorte que de petits groupes séparés transportent les fournitures petit à petit.

Au départ, l’intention de Yuuto était d’acheminer le matériel d’avance vers la capitale du Clan du Frêne, Vígríðr. Cependant, le patriarche Douglas du Clan du Frêne avait montré des hésitations après la publication de l’ordre d’assujettissement impérial, et en prenant en considération le fait qu’il pourrait vaciller dans sa loyauté, Yuuto avait changé la destination vers le Clan de la Griffe à la place.

Maintenant que le château de Dauwe était tombé, et que Vígríðr lui-même risquait d’être capturé par l’ennemi, ce changement de plan précoce s’était avéré étonnamment fortuit.

Le contenu des cargaisons était d’ailleurs répertorié comme étant du blé dans les registres publics — il s’agissait de rembourser le Clan de la Griffe pour les denrées alimentaires qu’il avait fournies pendant la crise de pénurie de l’été dernier. Ce déguisement n’était qu’une précaution de plus contre la découverte éventuelle de son plan.

Le grand stratège Sun Tzu avait déclaré dans ses écrits qu’il était préférable de s’approvisionner localement — dans la région où la bataille aurait lieu, ou en cours de route.

Il y avait aussi l’exemple historique de Napoléon Bonaparte, qui était capable de déplacer son armée sur de longues distances à grande vitesse, ce qu’il avait accompli grâce à sa pratique de l’approvisionnement local.

Bien sûr, trop se reposer sur l’approvisionnement local pouvait être dangereux, car il y avait le risque que les chiffres réels soient inférieurs aux estimations, laissant l’armée à court de provisions. Cependant, dans le cas présent, les troupes de Yuuto se déplaceraient en territoire allié, et la personne chargée d’organiser la logistique et le soutien n’était autre que Linéa, une experte en la matière.

Il n’y aurait pas de problème du tout sur le plan de l’approvisionnement.

« Oh, ça me fait penser à un truc, as-tu pu monter dans l’un des carrosses ? »

« Oui, je l’ai fait ! »

« C’était comme avoir un aperçu de la vie de la haute société, hein ? »

« En fait, j’ai eu un peu la nausée pendant le trajet. »

C’était une autre partie du plan, un facteur de plus pour augmenter la vitesse de la marche.

À cette époque de l’histoire, le fait de monter sur des chars ou des voitures tirées par des chevaux n’était autorisé que pour une classe supérieure choisie, celle des personnes de haute naissance ou de haut rang.

La conduite d’un véhicule était une marque visible de statut, et conférer ce privilège aux officiers militaires était utilisé comme un moyen de renforcer leur autorité.

Il serait tout à fait hors de question de laisser des soldats ordinaires monter dans des carrosses, si l’on s’en tient aux valeurs normales.

Cependant, la pensée de Yuuto n’était pas freinée par ces coutumes fixes.

Pour Yuuto, les véhicules étaient quelque chose que les masses communes utilisaient. Les voitures, les trains, les avions… tout cela était quelque chose que tout le monde pouvait conduire normalement.

Grâce à la production intensive de chariots blindés destinés à être utilisés dans la tactique du mur de chariots, il y avait un grand nombre de chariots sous la main. Il n’y avait aucune chance qu’il ne les utilise pas ici.

Bien sûr, il n’en avait pas assez pour mettre toute l’armée sur des roues, mais il pouvait placer des groupes de soldats sur les chariots par roulement, ce qui réduisait considérablement leur fatigue. En d’autres termes, il pouvait déplacer son armée tout en permettant à ses troupes de se reposer.

Et, après le coucher du soleil…

Les côtés de la route étaient brillamment éclairés par d’innombrables torches.

Ils étaient retenus par des résidents, qui s’étaient rassemblés le long de la route depuis les villages environnants.

« Tout le monde, faites de votre mieux ! »

« Tenez bon ! »

« Nous vous encourageons tous ! »

Des acclamations aiguës avaient fusé des deux côtés de la route.

La vérité était que toutes ces personnes avaient été payées pour être là, cependant.

Les forces spéciales de Múspell avaient utilisé leur grande mobilité en tant qu’unité de cavalerie et ils avaient chevauché devant le reste de la colonne de l’armée, s’arrêtant dans les villages le long de la route, et ils avaient offert des sommes d’argent décentes à toutes les jeunes femmes qu’ils avaient pu trouver, les enrôlant pour jouer ce rôle.

Les forces spéciales de Múspell étaient la partie la plus connue et la plus célèbre de l’armée du Clan de l’Acier, et leur commandante était également une femme, ce qui leur valait une grande popularité et la confiance de la population.

Personne n’avait rechigné à la demande. En fait, elles étaient toutes heureuses d’aider.

« Voici du pain frais. Assurez-vous pour le manger, d’accord ? »

« Et voici de l’eau. »

« Voici aussi un peu de viande. Vous aurez besoin de vos forces. »

Elles distribuaient même personnellement de la nourriture aux soldats, de la nourriture qu’ils pouvaient manger pendant qu’ils marchaient.

Les hommes sont, dans l’ensemble, des créatures très simples.

Ils ne peuvent pas se résoudre à paraître faibles ou pathétiques devant les femmes.

Ils veulent se montrer, paraître forts et impressionnants.

Bien que les soldats du Clan de l’Acier aient fait des pauses le long du chemin, ils étaient toujours épuisés par la routine épuisante de la marche du matin au soir chaque jour — mais maintenant cet encouragement les avait revigorés pour un grand effet.

***

Partie 3

Il s’agissait d’un plan qui combinait l’acte de sécuriser les approvisionnements en nourriture de la région locale avec une stimulation du moral des soldats, faisant d’une pierre deux coups. Au cours de la période Sengoku, Toyotomi Hideyoshi avait utilisé une stratégie similaire lors d’une marche forcée éclair connue sous le nom de « Grande Marche de Retour de Chugoku », et Yuuto avait repris ce célèbre exemple et l’avait adapté à ses propres besoins.

Yuuto ne se battait pas dans les batailles qu’il ne pouvait pas gagner. C’était sa politique.

La raison pour laquelle il avait choisi de poursuivre un plan aussi risqué que celui-ci — utiliser une campagne contre le Clan de la Foudre comme appât pour attirer ses ennemis — était précisément parce qu’il avait organisé ces préparatifs particuliers bien avant cela.

Compte tenu de la réputation de forteresse imprenable du château de Dauwe, ses calculs prévoyaient à l’origine qu’il arriverait avec beaucoup de temps à disposition.

Ainsi, grâce à toute cette planification, l’armée du Clan de l’Acier avait réussi à mener à bien ce qui aurait normalement été une marche forcée d’au moins vingt jours en sept jours seulement, et sans pratiquement aucune perte due à l’épuisement ou à la désertion en cours de route.

« Je sais que la marche a été difficile, mais vous l’avez tous bien supportée ! Laissez-moi vous remercier du fond du cœur. Beau travail, les gars ! »

Yuuto éleva la voix pour appeler les dix mille soldats d’élite rassemblés devant lui, maintenant qu’ils avaient enfin atteint la zone proche de la frontière entre le Clan de la Griffe et le territoire du Clan du Frêne.

Les visages de ses hommes étaient remplis de fierté en entendant ses mots.

Naturellement, ils étaient eux aussi conscients de l’effort qu’ils avaient fourni pour accomplir ce qu’ils avaient fait.

Leur seigneur, le Réginarque, l’avait remarqué et leur donnait la reconnaissance appropriée pour cela. Ils avaient toutes les raisons d’être heureux.

« Lorsque le château de Dauwe est tombé, il y a un moment où je me suis préparé à la possibilité que nous perdions aussi Vígríðr. Mais, grâce à vous tous, nous sommes arrivés à temps pour empêcher cela ! Vígríðr continue à se battre ! »

« Ouuuuiii ! »

Un chœur d’acclamations avait secoué l’air.

Un long travail qui se termine en vain laissait une personne encore plus épuisée dans son découragement. Mais le sentiment d’accomplissement qui découlait du succès pouvait faire oublier la fatigue, et même charger le corps et l’esprit d’une force renouvelée.

Yuuto s’était arrêté un moment, attendant que les acclamations se calment, puis il continua.

« Maintenant, tout le monde, prenez vos armes ! Nos ennemis sont certes nombreux, mais nous n’avons rien à craindre d’eux ! Dans tout le royaume, il n’existe qu’une seule armée dont les soldats sont si forts et résistants qu’ils ont traversé de Vanaheimr à Bifröst en seulement sept jours ! Nous sommes cette armée ! N’est-ce pas !? »

« Yeeeaaahhh ! Sieg Iárn ! Sieg Iárn ! »

Le moral des soldats du Clan de l’Acier était monté en flèche, et leurs cris de « Sieg Iárn » — « Gloire au Clan de l’Acier » — témoignaient de la grande fierté qu’ils éprouvaient pour eux-mêmes et leur nation.

Lorsqu’une personne surmonte un obstacle très difficile, cela devient la base d’une grande confiance personnelle.

Les mots du Réginarque du Clan de l’Acier sonnaient juste pour ses hommes.

En effet, où d’autre dans le monde pouvait-on trouver une armée qui avait accompli quelque chose d’aussi incroyable ?

Ils étaient les seuls à l’avoir fait.

Ils ne pouvaient pas être vaincus ici.

Les soldats du Clan de l’Acier en étaient totalement convaincus maintenant.

« Maintenant, allons-y et sauvons Vígríðr ! Toutes les troupes… avancez — ! »

L’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier était remplie des généraux les plus profondément accomplis sélectionnés dans les forces respectives de chaque clan.

Et en ce moment, le groupe de personnes rassemblées ici dans le quartier général à l’intérieur de la formation principale était le sommet parmi ceux-ci, tous des vétérans redoutablement talentueux et expérimentés dont les noms étaient bien connus parmi les nations de leurs régions respectives.

Cependant, la nouvelle de l’arrivée du corps principal de l’armée du Clan de l’Acier les avait fait frémir.

« Est-ce vraiment vrai ? »

Le premier à ouvrir la bouche fut le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard.

Il avait semblé être considérablement choqué.

C’était logique qu’il le soit, cependant.

Le Clan des Nuages était une nation de nomades qui parcouraient les terres de l’est du Miðgarðr. Ils étaient capables de voyager par voie terrestre à un rythme que les peuples des sociétés agricoles sédentaires ne pouvaient égaler.

Cependant, même pour eux, parcourir toute la distance entre le territoire du Clan de la Foudre et ici en si peu de temps était totalement impossible, quelles que soient les circonstances.

« Je suis terriblement désolé de vous informer que c’est, en fait, la vérité. »

Le prêtre impérial Alexis avait répondu, l’air complètement honteux et semblant devoir se forcer à parler.

Ces mots venaient de l’homme qui leur avait indiqué la position et les mouvements de l’unité de cavalerie armée de l’ennemi avec une parfaite précision jusqu’à présent. Personne ici ne pouvait douter de la fiabilité de cette information venant de lui.

« Rrrrghh, mais alors pourquoi le Seigneur Hárbarth n’a-t-il pas été capable de les remarquer jusqu’à ce qu’ils soient si proches !? N’est-il pas censé être capable de tout voir !? »

Cette question chargée était venue de Sígismund, le patriarche du clan du croc.

D’ordinaire, l’idée que quelqu’un ait une perception aussi complète de tout serait la plus étrange. Cependant, sur la base des résultats que tout le monde avait vu jusqu’à présent, c’était une question raisonnable.

« Je vous demande de ne pas avoir d’attentes déraisonnables. Même le Seigneur Hárbarth n’est qu’un humain. Ce n’est pas comme s’il pouvait surveiller une multitude d’endroits différents en même temps. »

« En d’autres termes, cela signifie-t-il qu’il ne peut voir qu’un seul endroit à la fois ? »

Bára avait posé la question normalement, comme si elle demandait juste une petite clarification.

Alexis avait grimacé pendant une seconde, et son expression était devenue très tendue.

Toutes les personnes réunies ici n’étaient que des alliés temporaires. Une fois qu’ils auraient vaincu le Clan de l’Acier, leurs relations redeviendraient ce qu’elles étaient auparavant.

Il était raisonnable d’envisager que l’un d’entre eux puisse entrer en guerre avec le Clan de la Lance dans le futur.

En particulier, le Clan de l’Épée était l’ennemi politique le plus féroce du Clan de la Lance, et s’était battu avec eux en coulisses pour le contrôle du gouvernement impérial.

Pour Alexis, laisser échapper des détails sur le pouvoir de son maître — en particulier, ses limites — n’était rien d’autre qu’une terrible gaffe.

« Ah, c’est, euh… »

Alexis s’était efforcé de trouver une excuse pour réfuter la supposition de Bára, mais il n’avait rien trouvé de convenable.

En fait, cela revenait à avouer qu’elle avait raison.

« Hm, je vois. Ainsi donc, parce qu’il était concentré sur l’observation de la zone autour de Vígríðr, il a fini par manquer la chance d’observer l’armée du Clan de l’Acier. »

Fagrahvél résuma les choses d’un ton calme, les mains jointes pensivement devant son menton.

L’expression d’Alexis était de plus en plus douloureuse, comme s’il avait avalé un insecte, mais Fagrahvél ne se sentait pas obligée de se retenir à cause de ses sentiments.

« Je ne peux pas en vouloir au Seigneur Hárbarth pour cela. Aucun d’entre nous n’aurait pu prédire que les forces du Clan de l’Acier nous atteindraient aussi rapidement. Le centre d’intérêt de cette guerre était Vígríðr, où les combats se déroulent encore en ce moment même. Diriger ses observations là-bas n’était pas seulement le choix naturel, dans des circonstances ordinaires, ce serait absolument le bon. »

« C’est vrai. À ce stade, nous devons simplement accepter qu’ils soient déjà là. Je dirais que le problème à considérer maintenant est… comment devrions-nous les traiter ? »

« Oui. Cependant, je suis sûr que notre capture de la ville est imminente. Si nous pouvons le faire maintenant, je préfère le faire… »

En s’éloignant, Fagrahvél s’était tournée vers la ville de Vígríðr.

« Sieg Reginarch ! Sieg Reginarch ! »

Même sans tendre l’oreille, les voix des personnes louant avec zèle leur seigneur pouvaient être entendues au loin.

Malgré le fait que leur ville soit complètement encerclée et isolée, ils semblaient avoir appris que la force principale du Clan de l’Acier était arrivée pour les sauver.

« Je pense que ça pourrait être une tâche difficile maintenant. Les soldats de la ville ont complètement retrouvé leur énergie. »

« … En effet. »

Fagrahvél expira brusquement, semblant quelque peu impressionnée, puis hocha la tête.

Lors d’un siège prolongé, il était souvent impossible de savoir combien de temps la partie défenderesse devra tenir sous un lourd verrouillage.

Dans ces conditions, il serait beaucoup plus facile de leur briser le moral.

Cependant, s’ils savaient que tout ce qu’ils avaient à faire était de tenir une demi-journée de plus, alors on pouvait être sûr qu’ils y parviendraient en résistant jusqu’à ce moment avec chaque once de force qu’ils pouvaient rassembler.

Ce n’était pas une tâche facile de briser cet esprit par la seule force pure.

En effet, si une telle chose était possible, il n’y avait qu’un seul moyen de l’accomplir maintenant…

« Qu’en est-il de la puissance de votre rune ? Si vous l’utilisiez comme vous l’avez fait à Dauwe, cela changerait-il les choses ? »

Sígismund avait adressé la question à Fagrahvél avec attention, avec des yeux qui semblaient chercher des informations dans sa réponse.

Le Clan du Croc et le Clan de l’Épée partageaient une frontière. Bien que l’on puisse qualifier de telles actions d’un peu prématurées dans cette situation, c’était un peu de préparation de sa part pour l’avenir, après la défaite du Clan de l’Acier.

C’était certainement opportuniste, ce qui était approprié, car il était le dirigeant d’une nation, après tout.

« Il est certainement vrai que si j’utilise ma rune, nous pouvons prendre Vígríðr. Cependant, son pouvoir draine une quantité excessive d’énergie à chaque utilisation. Si je l’utilise maintenant, vous pouvez être sûr que je ne pourrai pas l’utiliser pendant la bataille cruciale contre l’armée du Clan de l’Acier. »

Fagrahvél n’avait pas essayé de cacher sa propre faiblesse, la révélant à tous sur le champ.

Bára ne pouvait s’empêcher de rouler les yeux en signe d’exaspération, mais elle savait que c’était exactement le genre d’individu qu’était Fagrahvél.

L’ordre du Þjóðann Sigrdrífa était de soumettre le Clan de l’Acier, et Fagrahvél exécuterait cet ordre.

Pour l’instant, il n’y avait sûrement rien d’autre dans son esprit.

Fagrahvél avait toujours été honnête, toujours sérieuse dans ses efforts, et avait toujours refusé les faux-semblants.

Et c’est exactement pour cela que je dois rester à ses côtés et la soutenir, se dit Bára avec un petit rire.

« En tant que votre stratège, je voudrais vous proposer que plutôt que de préparer la bataille ici, je pense qu’il serait préférable de lancer notre attaque contre eux dès maintenant. »

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda Sígismund, avec de la pression derrière son regard.

Il avait probablement encore voulu obtenir un peu plus d’informations sur le pouvoir de Fagrahvél.

« Il est vrai que, même pour moi, l’arrivée de l’armée du Clan de l’Acier ici était inattendue. Cependant, s’ils ont voyagé jusqu’ici aussi vite qu’ils l’ont fait, cela signifie aussi qu’ils devaient être épuisés par la marche. »

« Hm, oui, c’est tout à fait raisonnable de le supposer. » Fagrahvél avait approuvé en hochant la tête.

« Plutôt que de leur laisser une chance de se reposer, je suggère que nous les attaquions maintenant pendant qu’ils sont encore faibles. »

« C’est tout à fait logique. Je suis enclin à suivre son conseil. Y a-t-il des objections à cela ? »

Fagrahvél avait jeté un regard de gauche à droite sur les visages des généraux réunis.

Une fois de plus, c’était Sígismund qui avait pris la parole.

« Et pour Vígríðr ? Si nous les ignorons, ils pourraient finir par nous prendre en tenaille. »

« Si nous laissons environ cinq mille soldats pour les occuper, je ne pense pas qu’ils seront un problème. »

« Dans ce cas, j’assumerai ce rôle. »

Le patriarche du Clan des Nuages, Gerhard, avait levé la main.

***

Partie 4

« Cet homme masqué, Hveðrungr… Lui et moi avons quelques histoires en commun. Je pense que c’est le bon moment pour lui montrer qui est le vrai chef de Miðgarðr. »

« Je crois que la tâche sera en sécurité entre vos mains, » dit Fagrahvél. « Seigneur Sígismund, êtes-vous également d’accord avec cet arrangement ? »

« … Bien sûr. »

« Y a-t-il d’autres objections ? … Il semblerait que non. »

Avec cette confirmation, Fagrahvél s’était levée.

D’un geste de la main, elle déclara d’une voix forte : « Nous allons maintenant déplacer nos forces pour frapper l’armée du Clan de l’Acier ! Ce sera notre bataille la plus cruciale. Je compte sur vous tous pour vous battre vaillamment avec tout ce que vous avez ! »

« Une masse de soldats a été repérée s’approchant directement devant nous ! Leur nombre est estimé à environ dix mille ! On pense qu’il s’agit du corps principal de l’armée du Clan de l’Acier ! »

« Donc, comme le disait l’information d’Alexis. Dix mille… »

Ignorant les cris rauques du messager, Fagrahvél avait réfléchi à la signification de l’information sans ouvrir les yeux.

En termes de nombre de troupes, l’Alliance des Clans Anti-Acier avait toujours un avantage écrasant.

Cependant, leurs ennemis, le Clan de l’Acier, avaient une longue histoire de triomphe sur des armées aux effectifs supérieurs aux leurs. Le Clan du Sabot, le Clan de la Foudre, le Clan de la Panthère… Ils avaient étendu leur pouvoir et leur influence grâce à des victoires qui avaient renversé de tels désavantages.

Ils n’étaient en aucun cas un ennemi à prendre à la légère.

Inspire… expire. Inspire… expire.

Fagrahvél s’était concentrée sur sa respiration, calmant son esprit.

On lui avait confié la vie de ses soldats. Elle devait garder un esprit calme, ou elle risquait de laisser perdre une bataille gagnable.

La victoire ou la défaite de la bataille à venir serait décidée par les ordres qu’elle donnerait en tant que commandante de cette armée.

« Très bien, commençons comme prévu. Déployez les troupes en formation d’oiseau ! »

Quelques instants plus tard, les armées de l’Alliance des Clans Anti-Acier et du Clan de l’Acier s’étaient rencontrées et s’étaient engagées sur les champs justes à l’est de la ville de Vígríðr.

Le Clan de l’Acier avait été le premier à prendre de l’avance.

« C’est comme avec ces combattants de la cavalerie. Ils tirent des flèches qui peuvent nous atteindre depuis l’extérieur de notre propre portée. Ils sont juste si ennuyeux. »

« En effet, ils le sont, » avait convenu Fagrahvél, en jetant un regard noir.

Il n’y avait rien qu’ils puissent vraiment faire, mais quand même, être attaqué de cette façon, sans avoir de contre-attaque significative à leur disposition, et ne pouvant que serrer les dents pendant que leurs hommes étaient fauchés étaient une expérience assez désagréable.

« Cependant, c’est quelque chose que nous avons déjà pris en compte. Continuez l’avance ! »

S’ils pouvaient réduire la distance et commencer un combat à bout portant, l’Alliance des Clans Anti-Acier aurait un avantage de quinze mille hommes.

Alors, ils seraient capables de tourner les choses en leur faveur…

… Du moins, c’est ce qui aurait dû se passer, mais alors que les troupes de Fagrahvél enduraient les attaques unilatérales, et que les deux armées arrivaient enfin à portée de combat au corps à corps, c’était encore les troupes de l’Alliance des Clans Anti-Acier qui s’étaient retrouvées repoussées.

« Je comprends maintenant. En utilisant ces lances absurdement longues et cette formation serrée, ils peuvent encore infliger des dommages unilatéraux sans permettre à leurs adversaires d’avancer. C’est vraiment intelligent. »

Bára avait hoché la tête pour elle-même, impressionnée.

Il s’agissait de la formation de la phalange macédonienne à longues lances, que Yuuto avait dérivée de son étude de l’histoire militaire. S’il était vrai que pendant les guerres de Yuuto avec le Clan de la Foudre et le Clan de la Panthère, elle n’avait pas été aussi efficace, elle restait une tactique datant de plus de mille ans dans le futur par rapport à notre époque. Ces armes et ces formations serrées étaient révolutionnaires sur les champs de bataille d’ici.

En revanche, les soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier étaient encore équipés d’armes et d’armures en bronze, et ils n’étaient pas entraînés à combattre en formation serrée et coordonnée. Une fois en mêlée, leurs soldats se battaient individuellement comme ils l’entendaient.

Indépendamment de toute supériorité numérique, la différence de puissance de combat entre les deux camps était évidente.

« Je vois. C’est puissant. Mais, avec la longueur et la lourdeur de ces lances, ils auront sûrement du mal à tourner et à changer de direction. »

En quelques brefs instants d’observation, Fagrahvél avait analysé les forces et les faiblesses de la tactique de son ennemi.

Les capacités de Fagrahvél étaient, bien entendu, loin de se limiter au pouvoir qu’elle exerçait à travers Gjallarhorn. Elle était extrêmement capable en tant que commandante, comme ses observations rapides l’avaient prouvé.

Elle s’était immédiatement déplacée pour donner son prochain ordre.

« Très bien, faites sonner les gongs et donnez le signal aux ailes droite et gauche de commencer leur attaque ! »

La « formation d’oiseaux » — c’était une nouvelle formation que Bára avait conçue, qui utilisait la force d’une grande armée.

L’armée était divisée en trois groupes, avec quinze mille personnes au centre, et cinq mille personnes chacune en formation « aile » à gauche et à droite, en angle comme les côtés d’un triangle pointant vers l’arrière.

Les ailes gauche et droite devaient se mettre en position sans se faire remarquer, puis attendre tranquillement que les forces ennemies les dépassent et engagent le combat avec les soldats du groupe central.

Puis, pendant que l’ennemi était maintenu en place, les ailes gauche et droite entraient en action et attaquaient par-derrière, descendant sur les flancs arrière gauche et droit, les piégeant pour qu’ils puissent être facilement éliminés.

Alors que les groupes de gauche et de droite se rapprochaient pour attaquer, leurs trajectoires donnaient l’apparence d’un oiseau battant des ailes, d’où le nom de cette formation particulière.

Grâce à la « vue » de Hárbarth, Bára pouvait obtenir des informations constantes et détaillées sur la position et la route exactes de ses ennemis, ce qui lui permettait de diviser et d’utiliser si efficacement une armée d’une telle ampleur. C’était, en un mot, une stratégie qui garantissait la victoire.

Dans les ères ultérieures de l’histoire, il y avait eu des exemples de tactiques utilisant des formations similaires, comme « l’embuscade des dix côtés » de Takenaka Hanbei, et la tactique du pêcheur et du bandit qui avait été conçue et utilisée de manière experte par Shimazu Yoshihisa et le clan Shimazu, qui contrôlait la région de Satsuma. Cependant, on pouvait certainement dire qu’il s’agissait d’une tactique extrêmement avancée et nouvelle par rapport aux normes de l’époque d’Yggdrasil.

Cependant, malheureusement pour Bára, l’ennemi auquel elle était confrontée surpassait de loin ce type d’esprit incroyable.

Grâce à Bömburr, le vice-capitaine des forces spéciales de Múspell, le patriarche du Clan de l’Acier Suoh-Yuuto avait déjà reçu un rapport l’informant du fait que l’Alliance des Clans Anti-Acier avait une méthode pour connaître la position et les mouvements précis de leurs ennemis.

Il avait déjà deviné qu’ils allaient tendre une embuscade à ses forces en utilisant cette information, comme ils l’avaient fait contre le régiment de cavalerie indépendant.

Et, plus que tout, Yuuto était un homme qui connaissait les stratégies militaires d’un lointain avenir.

Il avait déjà préparé de solides contre-mesures.

Alors que Bára continuait à réfléchir à ses options, le grondement sourd des chariots du Clan de l’Acier se faisait entendre au loin, ainsi qu’un grand nombre de bruits sourds. Ceux-ci, en particulier, étaient un son inhabituel ici à Yggdrasil.

« Un message vient de nous parvenir de l’aile gauche ! L’ennemi a rassemblé des groupes de chariots en cercle, formant un mur avec les chariots ! Ils utilisent aussi une sorte de sorcellerie qui jette du feu et fait un bruit terrible ! On ne peut pas s’approcher d’eux ! »

« Il y a un rapport similaire venant de l’aile droite ! »

« Ohhh, alors ils utilisent ce truc… » Bára avait gémi en fronçant les sourcils.

« Je suppose que c’est l’arme que les combattants à cheval ont utilisée la nuit où vous les avez combattus pour la première fois — celle qui a forcé les barrières de la route, » avait ajouté Fagrahvél avec amertume.

Les armes étranges et inconnues se succédaient chez ces ennemis, comme s’il s’agissait d’une démonstration.

Et qui plus est, chacune d’entre elles était puissante en soi.

« Nous ne pouvons pas arrêter l’élan de l’ennemi ! À ce rythme, nous allons… ! » Le messager, paniqué, s’interrompit, ne pouvant se résoudre à terminer sa phrase.

Pendant que cette conversation se déroulait, ils poussaient de plus en plus loin dans la formation centrale de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

La puissance derrière cette charge vers l’avant était terrifiante.

Les combattants d’élite du Clan de l’Épée n’avaient même pas pu les ralentir.

Au rythme où allaient les choses, ce ne sera qu’une question de temps avant qu’ils ne se frayent un chemin jusqu’à la formation du commandant.

« La formation d’oiseaux était une tactique sans faille, mais ils l’ont vaincue si facilement… »

« Même avec une telle différence de nombres, nous ne pouvons guère opposer de résistance… »

La force de leur ennemi était si écrasante que même Fagrahvél et Bára avaient ressenti l’envie de lever les mains en signe d’incrédulité.

Cela ressemblait à un combat entre un adulte et un petit enfant.

Non, c’était peut-être encore plus pitoyable que ça. Ils avaient attaqué de trois côtés, après tout.

Et, même si trois petits enfants essayaient ensemble d’attaquer un homme adulte, ça ne ferait pas un grand concours.

Peu importe s’ils parviennent à localiser les mouvements de leur ennemi, et peu importe s’ils trouvaient une tactique intelligente à utiliser — la victoire restait impossible.

La différence de force entre eux était trop grande.

Un enfant ne pourrait pas vaincre un adulte à mains nues.

Pas sans une arme blanche, pas sans quelque chose pour égaliser les chances.

« Maître, je ne voulais vraiment pas que tu aies à utiliser ton pouvoir alors que tu n’es pas encore complètement guéri, » dit Bára, le regret dans la voix. « Mais j’ai bien peur qu’il semble que nous n’ayons plus ce luxe. »

Fagrahvél avait hoché la tête. « Oui, je le sais ! »

C’était donc le pouvoir du Ténébreux.

Les choses dont parlait la prophétie semblaient d’autant plus crédibles à la lumière des événements qui se déroulaient actuellement.

En effet, avec une telle puissance, il n’y avait aucun doute qu’il pouvait conquérir tout Yggdrasil.

« Je ne peux pas lui permettre de détruire l’empire ! Sa Majesté… Je la protégerai ! »

Elle avait laissé échapper un cri de ralliement presque guttural en rassemblant toute la puissance qu’elle pouvait obtenir.

« Entendez-moi, soldats de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier ! Entendez-moi, et répondez à mon appel à la guerre ! Gjallarhorn ! »

***

Partie 5

« Ça se passe bien… jusqu’à présent. »

Yuuto murmura à lui-même en regardant l’état actuel de la bataille.

À ce moment-là, il semblait que tout ce qui devait être fait avait été fait et que les résultats étaient bons.

L’ordre d’assujettissement impérial contre le Clan de l’Acier avait retourné tous ses voisins contre lui du jour au lendemain, et après avoir divisé son armée pour se défendre contre les menaces sur de multiples autres fronts, Yuuto devait maintenant affronter une armée combinée formée de l’alliance de cinq puissants clans, en utilisant seulement ce qui lui restait.

Même Yuuto avait tremblé de peur à l’approche de cette bataille.

Mais une fois que les choses avaient enfin commencé, les ennemis qu’il avait affrontés lui avaient semblé être un peu plus que des parasites en termes de résistance.

C’était exactement ce à quoi faisait référence l’expression « battre quelqu’un à plate couture ».

« Quand les choses se passent aussi bien, cela semble presque décevant, n’est-ce pas ? » fit remarquer Félicia. Il semblerait qu’elle ait eu la même impression.

En y repensant, cela faisait plus de deux ans maintenant que Yuuto était arrivé au pouvoir en tant que patriarche de clan. Durant cette période, il avait continuellement pensé et conçu de nouvelles armes et tactiques, les mettant en œuvre dans son armée et renforçant sa puissance militaire.

Contre le Clan de l’Acier, qui se battait avec des tactiques et des équipements aussi avancés, novateurs et logiques, il n’y avait tout simplement aucune raison pour qu’une armée de cette époque se battant encore avec des armes en bronze et des chars comme technologie la plus avancée puisse espérer se comparer.

On pourrait dire que les résultats d’un tel conflit ne devraient être qu’évidents, mais…

« Je serais heureux si la victoire était facile pour nous, mais je dirais qu’il y a neuf chances sur dix pour que cela ne se passe pas comme ça. »

Yuuto n’avait pas relâché sa garde le moins du monde.

Avec une expression sévère, Félicia avait acquiescé.

« Des soldats qui n’ont aucune peur de la mort et qui ignorent leurs blessures, chacun d’entre eux se battant avec la force farouche du plus grand guerrier… ou comme les membres d’une armée de morts vivants. C’est cela qui t’inquiète encore, oui ? »

« Exact. Notre adversaire n’a pas encore montré toutes ses cartes. »

Dans le cadre de la collecte d’informations qu’il avait effectuée avant son arrivée, il avait parcouru les rapports sur ce qui s’était passé pendant la bataille du château de Dauwe, et aussi pendant les batailles que le régiment de cavalerie indépendant avait menées par la suite.

Il était sûr qu’il n’y avait aucune chance que ce combat se termine sans incident.

« … ! » Yuuto s’était crispé. « L’air vient de changer. »

Félicia hocha lentement et sérieusement la tête. « … Oui, tu as raison. Il a effectivement changé à l’instant. »

Ils ne parlaient pas de quelque chose d’aussi simple qu’un changement de direction du vent.

C’était plutôt comme si l’énergie qui imprégnait l’air du champ de bataille — l’intention de tuer et l’esprit combatif des combattants, des choses de cette nature — avait changé, s’était gonflée et était devenue beaucoup plus lourde.

« Je suis tout de même impressionnée que tu aies pu percevoir cela, Grand Frère. Grâce à ma maîtrise des magies galdr et seiðr, je suis sensible à de tels changements d’énergie, mais… pardonne mon impolitesse, Grand Frère, mais vu que tu n’es pas un Einherjar, je ne pensais pas que tu serais capable de sentir quelque chose comme ça. »

« Hein ? Je l’ai ressenti assez clairement, pourtant. C’était comme si… tout d’un coup, tous mes cheveux se dressaient sur la tête, presque comme la chair de poule. »

Les personnes ayant un certain niveau de compétence dans un domaine particulier étaient connues pour développer une certaine « intuition » ou un sentiment instinctif qui entre parfois en jeu.

C’était bien plus important qu’une simple supposition basée sur l’émotion.

Cette « intuition » était fonction de l’expérience de la personne concernée.

Dans le cas de Yuuto, malgré son jeune âge, il avait accumulé une grande quantité d’expérience sur le champ de bataille.

Peut-être était-ce aussi en partie à cause du potentiel latent qu’il possédait déjà, mais cette expérience lui avait permis de sentir un changement subtil dans l’atmosphère qu’une personne ordinaire n’aurait pas pu déceler.

« Envoie un avertissement à la ligne de front en leur disant de ne pas baisser leurs gardes. Dis-leur que le vrai combat commence maintenant ! »

Ce n’est que quelques instants plus tard que l’« intuition » de Yuuto s’était révélée exacte.

Pendant ce temps, sur les lignes de front…

« Haha ! Ces gars-là sont à peine en train de se battre ! »

« Oui, mais tu sais, n’était-ce pas comme ça aussi au début ? »

« Hein ? Oui, maintenant que tu le dis. Je suppose que c’est plutôt que toutes nos batailles les plus récentes étaient les plus bizarres ! »

« C’est vrai. Je veux dire, nous avons affronté Steinþórr, le Tigre affamé de combats, et son armée de berserkers. Quel monstre… ! Puis c’était ce Grímnir, le Seigneur Masqué, et sa bande de cavaliers armés qui apparaissaient et disparaissaient quand ils le voulaient. »

« Hé ! Mangeurs de paroles ! On est en plein milieu d’une bataille, là ! Fermez vos gueules et concentrez-vous ! »

« Oh, merde ! »

Après s’être fait engueuler par leur chef d’équipe, les deux soldats bavards se concentrèrent à nouveau sur le travail qui les attendait : ils poussaient leurs longues lances vers l’ennemi.

Ils se battaient avec leur vie en jeu. Il n’y avait aucune excuse pour se relâcher.

Bien sûr, seule une infime partie des soldats du Clan de l’Acier était aussi détendue que ces deux-là à ce sujet. Néanmoins, le fait que certains d’entre eux puissent se permettre d’adopter cette attitude montrait à quel point l’anticipation d’une victoire facile était omniprésente dans leurs rangs.

Cependant, cela avait rapidement changé.

Malgré le fait que leurs corps venaient d’être embrochés, les soldats les plus avancés de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier s’étaient tous élancés en avant sans broncher, et s’étaient agrippés fermement aux manches des lances.

Ils l’avaient fait en dépit de blessures manifestement mortelles, ou même, dans le meilleur des cas, de blessures si nombreuses et si douloureuses qu’ils auraient dû être incapables de faire autre chose que de se tordre de douleur sur le sol.

Il y a clairement quelque chose qui ne va pas ici.

« Ggh... Je, je ne peux pas bouger ma lance ! »

« Qu… oh, oh merde ! »

« N-Non, non, ne vous approchez pas plus ! Guaah ! »

Maintenant que les lances étaient immobilisées, les autres soldats de l’Alliance des Clans Anti-Acier avaient avancé à travers les espaces qui les séparaient, réduisant la distance restante. Enfin, ils étaient arrivés à portée de combat et avaient enfoncé leurs lances dans les soldats du Clan de l’Acier.

« Merde… ! »

L’un des lanciers du Clan de l’Acier, dans la rangée suivante, avait maudit à haute voix et avait plongé sa longue lance dans la poitrine d’un soldat de l’Alliance, se vengeant de la mort de son camarade.

Cependant…

Ce soldat avait complètement ignoré la lance qui lui avait transpercé le torse et avait couru en avant, enfonçant sa propre lance dans le cou du soldat du Clan de l’Acier, se vengeant de sa propre mort dans les dernières secondes avant qu’elle ne l’emporte.

« Qu’est-ce que c’est que ces gens !? »

« Ils sont comme ces berserkers du Clan de la Foudre ! »

« Non, ces gars-là sont encore plus fous ! »

Même en cas de défaite, ils utilisaient une force invisible pour sceller les mouvements de leurs attaquants du Clan de l’Acier, ou même pour les tuer carrément dans une sorte d’échange équivalent de vie.

Contre des ennemis comme ceux-là, même se battre pour sa vie était inutile.

Les soldats du Clan de l’Acier avaient hoché la tête alors qu’une peur profonde et insondable commençait à s’emparer d’eux.

+++

« Haah... haah... khh ! »

Le corps de Fagrahvél menaçait de basculer, mais elle parvint à peine à rester sur ses pieds en plantant son fourreau au sol et en s’appuyant lourdement dessus.

Comme une bouteille de calebasse dont le fond aurait été soudainement troué, elle pouvait sentir la force s’écouler d’elle à une vitesse terrible.

Aaaaaaaaaaaaaaa

Bien qu’elle ait été cinq mille de moins que la dernière fois, elle avait quand même utilisé le pouvoir de Gjallarhorn pour forcer le courage et le moral de vingt-cinq mille soldats au maximum, en tirant toute leur force latente. Par nature, c’était simplement une œuvre magique trop puissante pour être alimentée par l’ásmegin d’une seule personne.

« Fagra... Maître, vas-tu bien ? »

Bára s’était précipitée vers Fagrahvél et lui avait offert son épaule.

Tout à l’heure, elle avait failli s’adresser à Fagrahvél par son nom, comme elle le faisait lorsqu’elles étaient enfants à l’école ensemble. Une telle maladresse ne lui ressemblait pas. Peut-être était-ce une indication de la gravité de l’état de Fagrahvél à ses yeux.

Fagrahvél elle-même ne pouvait que constater la puissance de la réaction cette fois-ci.

Elle avait utilisé son pouvoir à nouveau avant d’avoir pu récupérer complètement des effets de sa dernière utilisation.

Si elle devait relâcher son emprise sur la conscience, ne serait-ce qu’une fraction de seconde en ce moment, elle se perdrait sûrement dans le brouillard blanc qui menaçait d’engloutir son esprit.

Pour être honnête, même utiliser son fourreau comme une canne pour se soutenir devenait rapidement trop douloureux pour tenir le coup.

 

 

Si elle laissait Bára la soutenir, elle n’aurait pas besoin d’utiliser sa propre force déclinante pour rester sur ses pieds, et cela soulagerait une grande partie de la douleur.

Cependant, Fagrahvél avait serré les dents et avait repoussé Bára.

« Je n’ai pas besoin de ça… ! Qui voudrait suivre au service d’un commandant… haah… hahh… qui est si faible qu’il ne peut même pas se tenir sur ses deux pieds sans s’appuyer sur l’épaule de quelqu’un d’autre !? »

Haletant pour respirer, Fagrahvél avait lutté pour faire sortir les mots.

Cela n’avait servi à rien. C’était seulement pour satisfaire son propre ego.

Elle le savait.

Le moral des soldats avait déjà été relevé au-delà de toute limite raisonnable grâce au pouvoir de Gjallarhorn, l’appel à la guerre. Quelque chose comme ça ne les affecterait pas le moins du monde, que ce soit positivement ou négativement.

Elle le savait.

Malgré tout, c’était elle qui avait forcé cette poussée de moral en eux, les envoyant se battre sans peur dans une situation qui signifiait une mort certaine pour beaucoup d’entre eux. Comment la personne qui leur avait fait ça peut-elle être autorisée à prendre la voie la plus facile ?

« Honnêtement… tu es tellement têtue. Ta fierté va te tuer, tu le sais. »

« Heh, si je meurs en restant fidèle à ma fierté, je serai satisfaite… ngh ! »

Elle avait compris que c’était l’une des parties les plus désagréables de son caractère.

Cependant, elle n’avait pas non plus envie de vivre sa vie en faisant des compromis sur ce qu’elle était. Elle n’était tout simplement pas une personne flexible.

« Eh bien, peut-être que cette obstination a été utile cette fois-ci. Il semble que les soldats ont empêché l’ennemi d’avancer plus loin. Ils devraient être en mesure de tenir le coup pendant un petit moment. »

« Haha, même après avoir utilisé cette puissance… hahh… c’est tout ce qu’ils peuvent faire juste pour tenir un peu. Le Clan de l’Acier est vraiment… un ennemi terrifiant… ! »

Il semblerait que l’écart de puissance entre les soldats des deux forces était simplement trop important pour être surmonté.

La vérité est que, avant cela, une partie de Fagrahvél avait cru que peut-être il n’y avait personne d’autre dans ce monde capable de la vaincre.

Elle avait Bára comme stratège militaire, et des soldats qui n’avaient aucune faiblesse au combat. Le Clan de l’Épée semblait se vanter d’avoir la plus forte armée de tout Yggdrasil, et Fagrahvél n’avait pas jugé bon d’en douter.

Cette fierté avait été impitoyablement mise en lambeaux par cette guerre.

Les tactiques de fuite de l’unité de cavalerie du Clan de l’Acier ne lui avaient laissé d’autre choix que de s’appuyer sur le pouvoir de son ennemi détesté, Hárbarth.

Et même dans cette bataille actuelle, les soldats dotés du pouvoir de Gjallarhorn repoussaient l’ennemi, mais s’il n’y avait eu que les soldats de l’armée du Clan de l’Épée, ils auraient été complètement envahis à l’heure actuelle.

En tant que général individuel, elle avait complètement perdu face à son adversaire.

Cependant, en ce moment, Fagrahvél était à la tête d’une alliance, une armée combinée de cinq nations.

Le principe le plus simple de la guerre était en jeu ici, le plus fondamental des principes fondamentaux.

Le plus grand facteur d’influence sur le déroulement d’une bataille était la différence de nombre.

***

Partie 6

« Ça vient, ça vient, ça vient, ça vient — ! »

Erna, chef de l’escadron d’assaut spécial du Clan de l’Épée, qui avait été chargé de l’aile droite de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier, s’était penchée en arrière et avait crié vers les cieux.

Elle avait senti un puissant esprit de combat se développer dans son cœur.

Elle avait senti une force débordante dans chaque partie de son corps.

Elle avait l’impression qu’elle pouvait gagner contre n’importe qui en ce moment.

« Woooo ! Ernaaa ! Je suis aussi prête à y aller ! »

Hrönn hurla également d’excitation et positionna son arme ver le haut — une lance géante qui ne correspondait pas du tout à sa petite taille.

Il n’y avait plus aucune trace d’infantilisme en elle. En ce moment, elle ressemblait à une bête affamée prête à trouver et à dévorer sa proie.

« Vous êtes toutes les deux plus simples d’esprit que jamais. Vous vous perdez toujours dans le pouvoir du Maître. »

Thír porta une main à sa joue et laissa échapper un soupir déçu.

Cependant, malgré ce qu’elle disait, ses yeux abritaient également une lumière dangereuse, presque violemment affamée.

Sa langue était sortie, léchant sa lèvre supérieure.

« Rappelez-vous juste que ce pouvoir est une arme à double tranchant pour son utilisateur. C’est pourquoi nous devons terminer les choses ici aussi vite que possible. Allez, vous deux ! »

« Bien ! »

Les trois Einherjars avaient mené l’aile droite à la charge et, comme une vague, ils s’étaient écrasés sur le flanc gauche de l’armée du Clan de l’Acier.

« Hm, j’ai l’impression que mon cœur est porté par une puissante excitation. Je me sens aussi physiquement énergisé, comme si j’avais accès à un puits de force sans fond. Mais, honnêtement, je n’aime pas ça. »

Au même moment, dans l’aile gauche, Sígismund fixait son poing serré, l’expression tordue d’agacement.

Il était le patriarche du Clan du Croc, le fier dirigeant de sa nation.

Il était destiné à faire en sorte que les gens le servent, pas à suivre les ordres de quelqu’un d’autre.

Et pourtant, il y avait une puissance qui agissait sur son cœur, le poussant à se battre indépendamment de sa propre volonté.

Il ne pouvait penser à rien de plus vexant que ça.

Grâce à la volonté de fer de Sígismund et à sa fierté inébranlable en tant que patriarche du clan, il avait pu garder la tête froide, mais on ne pouvait pas en dire autant des soldats sous son commandement.

« Wôwaaah ! Dépêchez-vous et laissez-moi me battre ! »

« Tuez, tuez, tuez ! »

« Je vais tuer tous les membres du Clan de l’Acier jusqu’au dernier ! »

Ce n’était plus un simple esprit de combat qui les animait, mais une violente soif de sang qui semblait jaillir d’eux.

Il était difficile de croire qu’il s’agissait des mêmes hommes qui, il y a quelques instants à peine, tremblaient de peur devant les bombes de tonnerre que le Clan de l’Acier leur lançait.

Ils étaient, de l’avis général, une armée totalement différente en ce moment.

Cela aussi avait agacé Sígismund.

C’étaient ses enfants sous serment, et leurs enfants sous serment.

En tant que patriarche, voir leurs cœurs si facilement manipulés par une puissance extérieure était tout sauf agréable.

« Pourtant, il est indéniable que nos chances de victoire sont incroyablement minces sans compter sur les effets de ce “pouvoir” ridicule. Tch… Je déteste tout ce qui se passe ici. »

Sígismund maudit amèrement et fit claquer sa langue en signe de frustration.

Même s’il ne l’admettait pas à voix haute, il était aussi incroyablement agacé par la façon dont il avait été amené à voir, grâce à cette guerre, à quel point il avait surestimé son importance par sa propre ignorance.

Le régénérateur du Clan de l’Acier, Suoh-Yuuto.

Le patriarche du Clan de l’Épée, Fagrahvél.

Comparé à eux, Sígismund était insignifiant.

Cette pensée continuait à remonter à la surface de son esprit, malgré tous ses efforts pour essayer de l’enfouir.

Il secoua violemment la tête pour faire le vide dans son esprit et cria à ses hommes.

« Très bien, les gars, soyez tous attentifs ! Nous allons montrer au Clan de l’Acier à quel point les guerriers du Clan du Croc sont terrifiants ! »

« Yeeeaaaaaahhhh ! »

Comme s’ils n’attendaient que ces mots, les soldats du Clan du Croc s’étaient mis à pousser des cris de guerre et s’étaient lancés vers le flanc des forces du Clan de l’Acier.

Une flèche s’était envolée depuis les lignes du Clan de l’Acier, transportant une bombe de tonnerre qui avait explosé en s’approchant d’eux.

Plusieurs personnes se trouvant près du cœur de l’explosion avaient été projetées par le souffle, souffrant de brûlures douloureuses.

Cependant, c’était le seul dommage qu’ils avaient subi. À ce stade, ce n’était rien pour eux.

Les autres soldats ne s’étaient pas montrés inquiets et avaient continué à se précipiter en avant, déferlant comme une vague vers les lignes du Clan de l’Acier.

Le son d’une autre volée avait rempli l’air. Cette fois, une multitude de flèches volaient directement sur eux.

Il s’agissait de flèches au pouvoir de pénétration si puissant qu’elles pouvaient traverser entièrement des boucliers en bois sans grande résistance.

Ces flèches terriblement destructrices avaient été tirées sur eux sans pause.

Cependant, même si ces flèches leur transperçaient le corps en plusieurs endroits, les soldats continuaient leur charge sans broncher.

Bien sûr, ceux qui avaient subi des blessures mortelles n’avaient pas pu continuer à courir très longtemps. Ils avaient fini par s’effondrer sur le sol, sans bouger.

Cependant, jusqu’à ce dernier instant, ils avaient dépensé leur dernière énergie à servir de bouclier humain aux soldats qui couraient derrière eux.

Une fois qu’ils avaient traversé la tempête de flèches, les soldats avaient alors été confrontés à un mur fait de métal sombre qui brillait faiblement dans la lumière.

Le fait que leurs ennemis aient préparé une chose aussi incroyable était un peu impressionnant. Mais même ainsi, cette barrière n’était pas du tout haute comparée aux murs du château de Dauwe.

Les soldats du Clan du Croc s’y précipitèrent et utilisèrent le dos des hommes devant eux comme point d’appui pour grimper et saisir le rebord supérieur. L’un après l’autre, ils avaient escaladé le mur de métal.

À l’instant où l’un d’entre eux avait remonté son corps sur le rebord, une lance avait jailli de derrière le mur, le poignardant et le renvoyant au sol.

Pour les soldats du Clan du Croc d’il y a quelques minutes, après avoir été si sévèrement repoussés par ces défenses de fer, ils se seraient demandés comment ils pourraient passer, et auraient probablement eu le moral brisé.

Cependant, à cet instant, aucun d’entre eux n’avait montré une once d’hésitation ou de doute.

Le Clan du Croc n’avait cessé de poursuivre son attaque.

« Argh… Ok, ça pourrait être un peu mauvais. »

Yuuto avait froncé les sourcils et avait gémi.

Techniquement, l’armée du Clan de l’Acier était toujours en train d’avancer, dominant la compétition entre les deux camps… mais quelque chose semblait très étrange ici.

Dans la guerre, la victoire et la défaite étaient déterminées par l’élan de la bataille.

Ne pas tenir compte des pertes ou des chances écrasantes — refuser de se rendre et se battre courageusement jusqu’au dernier homme — ce genre de situation n’existait pas sur un vrai champ de bataille.

La plupart des soldats de l’armée d’un clan étaient recrutés dans les différents villages et villes agricoles de son territoire.

La loyauté de ces recrues n’était pas vraiment profonde. S’il leur apparaissait que leur camp allait perdre, ils se retournaient brusquement et fuyaient pour sauver leur peau, se dispersant comme des graines de pissenlit au vent.

C’est ce qui est étrange ici — ces conventions ne semblent pas s’appliquer du tout.

Les rangs de l’ennemi ne montraient aucun signe de rupture.

La différence de puissance entre les deux camps était claire comme le jour. Même les hommes les moins expérimentés de leur rang auraient rapidement compris qu’ils n’avaient aucune chance de gagner. Mais aucun d’entre eux ne s’était tourné vers la fuite.

« Bon sang, en fait, ils se défendent encore plus fort qu’avant… ! »

Yuuto recevait rapidement de plus en plus de rapports de ses escouades de première ligne qui affirmaient que les troupes ennemies avaient « changé » d’une certaine manière. Elles se battaient comme si elles avaient été possédées par une sorte d’esprit vengeur.

On aurait dit qu’ils n’étaient même plus humains. Même en l’entendant de seconde main, l’image était étrange d’une manière qui donnait la chair de poule à Yuuto.

Cependant, pour l’instant, il importait peu que Yuuto les trouve dérangeants ou non. Ils représentaient une menace certaine, et il fallait s’en occuper rapidement.

Peu importe combien d’entre eux avaient été tués, ils ne cesseront jamais de venir.

Quelque chose comme ça pourrait facilement user l’esprit d’une personne si ce n’était pas contrôlé.

Pour commencer, l’armée du Clan de l’Acier luttait déjà contre toute la fatigue accumulée au cours de leur marche forcée.

Les encouragements qu’ils avaient reçus avaient remonté leur moral et contribué à leur faire oublier cela, mais c’était comme s’ils étaient retenus par une corde qui avait été tendue. Il y avait de fortes chances que ce moral retombe au moment où quelque chose dans cette bataille les poussait un peu trop fort.

Et, comme si le moment était parfaitement choisi pour ajouter à cette pression, deux autres rapports étaient arrivés avec de très mauvaises nouvelles.

« Seigneur Réginarque ! L’aile droite détachée des forces ennemies a lancé un deuxième assaut sur notre flanc. Même les explosifs n’ont pas été capables de les arrêter cette fois-ci ! »

« C’est la même chose avec leur aile gauche, mon seigneur. Ils ont déjà fait pression jusqu’au Mur des Chariots, et on me dit que nous ne pourrons pas les retenir longtemps si cela continue ! »

« Tch. Alors ça se passe exactement comme je le craignais, » dit Yuuto en claquant la langue en signe de frustration.

La plus grande faiblesse des formations de phalanges était qu’elles étaient vulnérables aux attaques par l’arrière et les côtés.

Afin d’atténuer cette faiblesse, Yuuto avait pris la décision de protéger les flancs de son armée à l’aide de barricades de type « Mur de Chariots », où des soldats sur leurs bords lançaient des bombes tetsuhau pour effrayer et étourdir l’ennemi, tandis que des arbalétriers derrière eux lançaient des flèches en continu en utilisant des tirs de volée à trois rangs.

Cette configuration devait permettre à une petite partie de ses hommes d’empêcher les soldats ennemis de se rapprocher de ses flancs, mais il commençait à être difficile de savoir combien de temps ils seraient capables de maintenir cette situation.

Dans tous les cas, au rythme où allaient les choses, il y avait une très forte probabilité que la formation du Clan de l’Acier soit encerclée — et par la suite écrasée — bien avant qu’elle ne puisse percer la ligne défensive centrale de l’ennemi.

« Grand Frère, si ça continue comme ça, on est foutu ! Que devons-nous... Ah !? »

Avant que Félicia ait pu finir de formuler sa question, elle s’était arrêtée et avait haleté.

L’aura autour de Yuuto s’était transformée.

Chaque fois que Félicia avait été témoin de ce changement et qu’elle avait ressenti la force écrasante de la présence et l’incroyable pression qu’il projetait, elle s’était toujours trouvée incapable de s’empêcher de frissonner — moitié par peur, moitié par plaisir.

Le lion rugissant dans son cœur s’était réveillé. Ici se tenait le futur conquérant de ce monde.

« Il semblerait que je n’ai plus d’autre choix que de devenir sérieux avec eux aussi. »

« Merveilleuses nouvelles ! Il semblerait que l’escouade de Hrönn sur l’aile droite ait enfin réussi à franchir la barricade de chariots de l’ennemi et qu’elle s’enfonce dans leur formation au moment où nous parlons ! »

« Je… Je vois… Donc Hrönn a réussi… dans sa mission. »

Alexis avait livré son rapport avec excitation, et si Fagrahvél n’avait pu répondre qu’entre deux halètements, ce fut avec un léger sourire.

Hrönn était la plus jeune membre des Demoiselles des Vagues, mais même parmi les nombreux guerriers forts et courageux du Clan de l’Épée, elle était, au moins, parmi les trois premiers en termes de valeur au combat.

Alors qu’Erna était une Einherjar dont les pouvoirs étaient concentrés sur l’amélioration de la force de ses jambes, Hrönn était une Einherjar dont les pouvoirs étaient concentrés dans ses bras.

Il est fort probable qu’elle ait utilisé ses bras incroyablement puissants pour ouvrir une brèche dans le mur de chariots de l’ennemi.

Les fortifications étaient faites de chariots, naturellement, ces chariots avaient été amenés sur des roues.

***

Partie 7

Ils étaient mobiles, donc il n’y avait aucune chance qu’une fille aussi forte qu’elle ne soit pas capable de les déplacer par la force.

« Peu importe la solidité du tissu, défaites une couture et tout commence à s’effondrer. C’est juste la nature des choses. Eh bien, eh bien, nous avons en quelque sorte réussi à… »

Avant même que Bára ait pu finir d’exprimer son soulagement, ses mots avaient été coupés.

« Quoi ? Une unité de cavalerie ennemie se rapproche de l’escouade de Hrönn par l’arrière ! » rapporta Alexis, la voix pleine de tension.

« C’est donc maintenant qu’ils ont choisi de faire leur mouvement. » Bára avait fait signe à un soldat messager tout près. « Transmettez un message à l’escouade d’Erna. Dites-lui d’aller renforcer l’escouade de Hrönn, compris ? »

Il s’agissait d’une unité de cavalerie différente de celle de Vígríðr, ce qui signifiait qu’il devait s’agir de l’unité Múspell, connue comme les plus forts combattants du Clan de l’Acier.

Cela signifiait également qu’ils seraient dirigés par leur chef, Sigrún, qui était elle-même connue pour détenir le titre de guerrier le plus fort de tout le Clan de l’Acier — le Mánagarmr.

Dans ce cas, Bára n’avait d’autre choix que d’envoyer les plus forts contre eux.

« Oui, madame ! » Le messager répondit, et se mit à courir aussi vite qu’il le pouvait. Cependant, l’expression inquiète d’Alexis était restée inchangée.

« M-Malheureusement, comme l’unité ennemie est à cheval, elle se déplace beaucoup plus vite que nous. L’escouade de Hrönn a été prise par surprise par-derrière, et l’attaque leur cause pas mal de problèmes… »

« Khh… ! Nous n’avons pas pu réagir à temps… »

Fagrahvél avait craché les mots avec amertume, vaincue par la frustration.

Même si le pouvoir de Hárbarth lui permettait de connaître tous les détails des mouvements de l’armée du Clan de l’Acier, la seule personne à qui il pouvait communiquer directement ces informations était Alexis.

Une fois que Bára et Fagrahvél auraient reçu les informations d’Alexis, elles devraient utiliser les messagers militaires standard pour envoyer des ordres aux endroits appropriés. Naturellement, ces messagers étaient à pied. Il était impossible d’éviter le temps qu’ils mettaient à transmettre ces messages.

« Oh, non ! » s’exclama Alexis d’une voix douloureuse, en plaçant ses deux mains avec regret contre ses joues.

« Qu’est-ce que… c’est maintenant !? »

« Il semblerait qu’à cause de l’attaque soudaine par-derrière, nos forces aient créé une accalmie momentanée dans leur propre assaut, et l’ennemi a exploité cette ouverture. Ils étaient sur le point de rompre il y a quelques instants, mais ils ont renforcé leurs effectifs, repoussé nos forces en dehors de leur barricade, et reconstruit la section percée. »

« Êtes-vous sérieux ? » Les épaules de Bára s’étaient affaissées. « Ils sont juste trop résistants. »

Pendant un instant, les forces de l’Alliance avaient enfin brisé les défenses de l’ennemi, et elle avait été convaincue que la victoire était à portée de main. Ce revirement soudain était d’autant plus décevant.

Cependant, après quelques instants, Alexis s’était soudainement réveillé avec excitation.

« Oh, ohh ! Il semblerait maintenant que les forces de Sígismund, dans notre aile gauche, se soient frayé un chemin au-delà d’une partie du mur d’enceinte et dans le flanc de l’ennemi ! »

« Oh, bon sang ! »

La voix de Bára était également plus brillante. Mais, une fois encore, sa joie fut de courte durée.

« Quoi ? Comment ? »

« C’est quoi, cette fois ? »

Au ton choqué de la voix d’Alexis, Bára pouvait déjà dire que c’était quelque chose qu’elle n’aimerait pas entendre, mais elle devait quand même demander.

« Il semblerait que les soldats du Clan du Croc soient maintenant attaqués sur leur flanc par l’unité de cavalerie de tout à l’heure ! »

« Quoi !? Ces cavaliers n’étaient-ils pas encore en train de combattre l’escouade de Hrönn depuis la droite ? »

« A-Apparemment, la cavalerie ennemie s’est déjà désengagée du combat à cet endroit et, utilisant sa mobilité supérieure, s’est rapidement déplacée pour aider la zone attaquée par les forces de Sígismund. »

« Excusez-moi !? » cria Bára. « Quelles que soient les circonstances, cette réaction est beaucoup trop rapide ! » Elle s’était passé les doigts de ses deux mains dans ses cheveux.

Même Fagrahvél, qui connaissait Bára depuis plus de quinze ans maintenant, ne l’avait jamais vue s’énerver au point de perdre son calme comme ça.

Cependant, Fagrahvél elle-même ressentait exactement la même chose et manquait simplement d’énergie pour être capable de l’exprimer.

Comme précédemment, l’attaque féroce de l’unité de cavalerie ennemie avait fait vaciller l’assaut de l’Armée de l’Alliance, et pendant ce temps, l’Armée du Clan de l’Acier avait bouché le trou dans sa ligne défensive.

Au début, il était tentant de penser qu’il s’agissait d’une malheureuse coïncidence, mais ce schéma s’était répété de nombreuses fois par la suite.

Les défenses de l’armée du Clan de l’Acier semblaient pouvoir être percées, mais elles ne l’avaient jamais été pour de bon.

« Il y a… clairement quelque chose d’étrange dans cette… beaucoup trop… étrange…, » dit Fagrahvél entre deux respirations hagardes.

C’était facile à comprendre, même si c’était difficile de penser à travers le brouillard dans son esprit en ce moment.

Aucun commandant, aussi talentueux ou expérimenté soit-il, ne pouvait connaître parfaitement l’état de toutes les troupes d’une armée entière. C’était particulièrement vrai pour une armée de plus de dix mille hommes. En fait, c’était catégoriquement impossible.

« L’ennemi a percé les défenses sur notre flanc. »

Cette information devait d’abord être relayée par un soldat au commandant, et parcourir cette distance prenait un certain temps.

Le commandant envoyait alors un ordre aux troupes pour qu’elles aillent aider la section en danger, et une fois encore, il fallait du temps pour que cet ordre parvienne aux escouades concernées.

Cependant, le point le plus important était autre chose.

L’unité de cavalerie de l’armée du Clan de l’Acier était détachée, se déplaçant et combattant indépendamment du corps principal de leur armée. Ce serait une chose s’ils ne communiquaient que les informations les plus basiques à l’aide de simples signaux, mais dans ce cas, les ordres envoyés à la cavalerie devaient inclure des détails sur l’emplacement exact de la brèche.

Comment diable ont-ils pu faire ça !?

Ça n’avait aucun sens.

C’était l’armée de l’Alliance qui avait utilisé des pouvoirs surnaturels pour faire ce qui aurait dû être impossible en temps normal, en observant tout sur la disposition et les mouvements de ses ennemis et en déplaçant ses propres troupes en conséquence.

Mais ces ennemis réagissaient encore plus vite que ça ! Et de manière bien efficacement !

« Ont-ils… la capacité de voir le futur… !? »

En fait, c’était comme si le commandant ennemi savait quelle section allait être envahie ensuite et avait envoyé des ordres bien à l’avance. C’était la seule façon de rationaliser cela.

Et chacun de ces ordres était si précis !

Les troupes du Clan de l’Acier s’étaient déplacées pour renforcer les zones qui commençaient à s’affaiblir, et elles s’étaient déplacées sans hésiter pour attaquer tous les petits points vulnérables de la formation de l’armée de l’Alliance à la seconde où ils s’étaient présentés.

Lorsque les forces de l’armée de l’Alliance s’étaient préparées à lancer une contre-attaque, leurs adversaires s’étaient immédiatement retirés et avaient évité de subir des pertes.

On avait dit à Fagrahvél que le chef du Clan de l’Acier était un jeune homme encore adolescent, mais ses performances en tant que commandant correspondaient davantage à celles d’un vieux vétéran rusé ayant de nombreuses années d’expérience.

Son commandement était un mélange parfait de force rigide et de souplesse, comme s’il avait vécu sur le champ de bataille depuis si longtemps que toutes ses nombreuses subtilités lui venaient aussi facilement que la respiration.

« Est-ce vraiment… l’oeuvre d’un humain… !? Ce n’est pas possible… Est-ce qu’il… Ce Suoh-Yuuto serait-il en fait l’incarnation d’un dieu de la guerre… !? »

« C’est Kris. La section du mur de l’escouade Klaes a été percée. »

« J’ai compris. Dans ce cas… Ok, que l’escouade Sveigðir se déplace pour les soutenir ! »

« Compris. »

« Sigrún ! As-tu eu entendu tout ça !? »

« Oui, Père ! »

« Je suis sûr que vous êtes tous épuisés de vous battre dos à dos comme ça, mais pouvez-vous continuer ? »

« Ce ne sera pas un problème ! Mes combattants ne sont pas si faibles que ce niveau de travail les fatiguerait. Je les ai entraînés assez durement pour m’en assurer ! »

« Bon, alors je compte sur vous ! Mais veillez à ce que cette confiance ne vous induise pas en erreur : donne-leur du repos dès que tu en as l’occasion ! »

« Oui, Père ! Maintenant, si tu veux bien m’excuser ! »

« Al ! Comment ça se passe de ton côté ? Pas de problèmes pour l’instant !? »

« Nooope, pour l’instant tout va bien ! »

« D’accord, si quelque chose arrive, fais-le-moi savoir tout de suite. »

Après avoir aboyé un ordre après l’autre en succession rapide, Yuuto avait enfin laissé échapper une longue et profonde respiration, et avait baissé l’émetteur-récepteur de son oreille.

« … Ouf, je suppose que c’est tout pour le moment. »

Il avait déjà utilisé des émetteurs-récepteurs une fois, lors de la bataille de la rivière Körmt, en envoyant quelqu’un espionner les mouvements de l’ennemi et en utilisant ces informations pour déterminer le moment de sa stratégie.

Cependant, il les avait initialement amenés avec lui du Japon moderne à Yggdrasil afin de les utiliser comme il le faisait maintenant — pour la communication et la coordination à grande vitesse entre les unités de son armée actives sur le terrain.

C’est parce qu’il les avait destinés à cette fin qu’il en avait apporté autant — quinze au total.

Il en avait alloué treize à Kristina, Albertina et leurs subordonnés dans la division de renseignement qu’elles dirigeaient, et en les répartissant tous, il pouvait obtenir des mises à jour sur l’état de toute son armée presque en temps réel.

Dès qu’une partie de ses défenses commençait à céder, ou qu’une vulnérabilité était découverte dans les forces ennemies, il pouvait immédiatement envoyer des ordres à un ou plusieurs de ses agents, qui pouvaient alors courir rapidement vers le commandant approprié à proximité.

Avec un émetteur-récepteur pour lui-même, il avait donné le dernier à Sigrún, afin qu’il puisse envoyer son unité de cavalerie mobile aux endroits les plus dangereux et lui faire frapper l’ennemi attaquant pour affaiblir son élan.

En utilisant cette méthode, Yuuto avait accès à quatorze points d’observation distincts, et il lui était possible de déplacer les différentes parties de son armée massive de dix mille hommes aussi facilement que si elles étaient ses propres bras et jambes.

En effet, son contrôle sur eux était si fluide et sans faille que, du point de vue de quelqu’un pour qui les messages entre les unités de l’armée ne pouvaient être transmis qu’à pied, ce qu’il faisait ne pouvait être expliqué que comme la capacité de voir dans le futur !

Cependant, ce contrôle ne suffirait pas à mettre un terme aux attaques féroces de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier, dont les soldats se battaient sans cesse comme s’ils étaient possédés.

Une grande quantité d’informations utiles était encore inutile sans un commandant capable de les traiter, de les organiser et d’agir en conséquence.

Même si les ordres pouvaient être envoyés à leurs destinataires à la vitesse de l’éclair, si les ordres donnés n’étaient pas la bonne décision pour chaque situation, les troupes finiraient par être envahies par ces redoutables ennemis en un rien de temps.

Il se trouve que le Clan de l’Acier avait effectivement quelqu’un capable de faire cela, envoyant exactement le bon ordre dans chaque cas avec une précision chirurgicale.

Les êtres humains sont des créatures capables de grandir, et ce sont les jeunes parmi eux qui détiennent le plus grand potentiel pour cette croissance.

Cela faisait un peu plus de deux ans maintenant qu’il était devenu patriarche. Il avait traversé plusieurs guerres et assisté à de nombreuses batailles individuelles sur le terrain, survivant à des luttes acharnées contre un ennemi puissant après l’autre.

Cela avait été sa vie de quinze à dix-sept ans.

Ces deux années, les plus impressionnables de la vie de nombreux jeunes hommes, avaient été remplies d’innombrables expériences importantes et enrichissantes, et c’était ces expériences qui avaient débloqué un grand potentiel dormant en lui. C’était un don avec lequel il était né, mais qui n’aurait jamais été utilisé dans le monde du Japon du 21e siècle — le talent d’un commandant sur le champ de bataille.

 

 

« Oh, c’est mauvais. »

Alors que Bára se concentrait sur la situation de combat actuelle, elle ne semblait pas se rendre compte qu’elle se mordait fortement le pouce dans une démonstration évidente de nervosité et de frustration.

Elle avait la réputation d’être toujours imperturbable et apparemment insouciante, quelle que soit la situation, mais en ce moment, son anxiété se lisait sur son visage.

***

Partie 8

Cela faisait déjà six heures que la bataille avait commencé.

Les combats n’avaient fait que s’intensifier pendant ce temps, et alors que les lignes de bataille n’avaient cessé d’avancer et de reculer dans ce qui semblait être une boucle continue, la tendance générale était enfin apparue. Petit à petit, progressivement, mais visiblement, la balance penchait d’un côté.

C’est-à-dire, vers le Clan de l’Acier.

« Haah... haah... » Fagrahvél se tenait devant Bára, haletant d’épuisement, mais ne disant rien.

Soudain, le corps de Fagrahvél avait basculé en arrière et avait commencé à tomber vers le sol, comme si elle avait été tirée vers le bas par une corde invisible.

Bára avait été choquée et s’était précipitée à ses côtés, réussissant à la rattraper juste avant qu’elle ne touche le sol.

« Vas-tu bien ? »

« … je vais bien. »

Elle avait tout de suite compris que Fagrahvél mentait.

Son teint était déjà aussi pâle que celui d’un cadavre. Bára pouvait à peine sentir un semblant de vitalité en elle.

Il était impossible qu’une personne dans un tel état puisse aller bien.

« Hé, Fagrahvél, tu vois ça ? »

Bára avait placé son index devant les yeux de Fagrahvél.

« … Hm ? … Trois ? Trois… quoi ? Qu’est-ce que ça… veut dire ? »

« Rien, ne t’inquiète pas pour ça. »

Bára avait répondu avec la même voix nonchalante qu’elle utilisait toujours, mais son expression était aussi douloureuse et amère que si elle avait mordu un insecte.

Elle avait remarqué que les yeux de Fagrahvél semblaient ne pas se concentrer, et son petit test visuel avait prouvé que cette crainte était fondée.

Elle venait également de s’adresser à Fagrahvél, son parent juré, par son prénom, et Fagrahvél ne l’avait pas remarqué non plus.

Normalement, Fagrahvél aurait absolument remarqué et fait une sorte de commentaire, indépendamment de la fatigue.

Cela signifie que sa conscience était si faible à ce stade que son esprit n’était pas capable de prêter attention à cela.

Elle avait poussé son corps au-delà de ses limites.

« Ne te préoccupe pas… de moi. Je peux encore… ! »

Même si elle continuait à lutter pour parler entre de faibles respirations, Fagrahvél avait essayé de se remettre debout.

Sans doute, parce qu’elle estimait que c’était son devoir en tant que commandant de son armée.

« Khh... ngh... ! »

Cependant, apparemment, la force de sa volonté ne pouvait plus forcer son corps à obéir.

Lorsqu’elle posa ses pieds sur le sol, ses jambes tremblèrent violemment, mais elle ne pouvait pas se tenir debout sur elles. Elle n’avait plus assez de force dans son corps, même pour cela.

Elle avait dépensé jusqu’à la dernière once de sa vitalité, à tel point que le fait qu’elle puisse encore rester consciente relevait du miracle.

Après tout, même à ce moment précis, sa rune Gjallarhorn continuait à drainer son énergie pour maintenir les effets de son pouvoir sur les troupes de l’armée de l’Alliance.

« Je ne peux pas encore m’arrêter ! Je ne m’arrêterai pas… tant que le Clan de l’Acier ne sera pas vaincu… ! »

Ces mots s’étaient échappés des lèvres de Fagrahvél d’une voix faible et délirante, comme si elle marmonnait dans son sommeil.

Elle n’était même pas capable d’avoir une pensée cohérente en ce moment, et pourtant elle s’accrochait comme si elle était poussée par un instinct subconscient.

En ce moment, si elle perdait connaissance, le pouvoir de Gjallarhorn serait coupé, et les soldats de l’armée de l’Alliance perdraient la force dont ils avaient besoin pour retenir le Clan de l’Acier. Ils seraient écrasés en quelques minutes.

Grâce à son expérience de commandant, Fagrahvél avait compris ce fait de manière instinctive.

Et la cruelle réalité était que cette compréhension était correcte.

« Sa Majesté… ma petite soeur… Je dois la protéger… ! »

Cette volonté singulière semblait être la seule chose qui liait son esprit au monde éveillé maintenant.

La force mentale de Fagrahvél était quelque chose que Bára respectait sincèrement, mais dans son état actuel, même cela ne tiendrait pas longtemps.

Elle n’était pas seulement à la limite de la conscience — Fagrahvél était à la limite de la vie et de la mort.

« Je n’ai jamais vraiment aimé les jeux, mais il semble qu’il n’y ait pas d’autre choix que de prendre un pari risqué, tout ou rien. »

« Encore raté… Maudit soit-il ? »

La personne qui crachait ces mots avec dégoût n’était autre qu’Erna, membre des Demoiselles des Vagues du Clan de l’Épée, et chef de la Force d’Assaut Spéciale de son armée.

Son escouade, ainsi que les escouades de ses camarades Vierges des Vagues, Thír et Hrönn, avaient attaqué la formation du Clan de l’Acier par vagues alternées, accumulant une force conséquente contre eux, mais chaque fois que les choses semblaient sur le point de tourner en leur faveur, ils étaient repoussés à la dernière minute.

« Ça ne mène nulle part. À ce rythme, nous allons… ! »

Alors que les sentiments d’anxiété la traversaient, elle serra les dents.

Lorsque la bataille avait commencé, le soleil était au zénith dans le ciel.

Maintenant, il commençait à s’enfoncer derrière les hauts sommets des montagnes Himinbjörg, et la lumière du soir peignait le ciel en rouge vif.

C’était la preuve qu’un nombre important d’heures s’était écoulé, et Erna s’inquiétait de la santé de son maître et patriarche, Fagrahvél.

« Ce n’est pas le moment d’avoir des pensées aussi faibles, Erna. Il n’y a plus non plus de temps pour elles. »

« Hein !? »

Surprise d’entendre la voix de quelqu’un qui ne devrait pas être ici avec elle, Erna s’était retournée, les yeux écarquillés.

« Thír !? Et… et vous tous, aussi !? Pourquoi êtes-vous tous ici ? »

Devant Erna se tenaient toutes les autres membres des Demoiselles des Vagues, à part Bára. Sept Einherjars, les guerriers les plus forts et les plus élites du Clan de l’Épée.

D’après ce qu’Erna avait compris, elles étaient toutes censées travailler séparément, chacune dirigeant sa propre escouade de soldats.

Le fait qu’elles soient toutes là maintenant signifierait qu’elles avaient abandonné ces ordres pour venir ici.

C’était un comportement qui n’avait aucun sens pour des officiers de si haut rang.

« Nous sommes ici sur les ordres de Bára. C’est notre dernière chance de renverser la situation. »

« Notre “dernière” chance… Je vois. »

Même Erna avait immédiatement compris le sens de ces mots.

Cela signifiait que Fagrahvél était déjà presque à court d’énergie.

Thír avait hoché lentement la tête.

« C’est exact. Nous, les Demoiselles des Vagues, allons utiliser toutes nos forces combinées, et voir si nous ne pouvons pas nous frayer un chemin à travers la peau épaisse de l’armée du Clan de l’Acier. »

« Toute notre force… C’est un geste audacieux et agressif de la part de Bára. »

Honnêtement, c’était assez surprenant.

Bára était rusée et calculatrice par nature. Son style consistait à organiser les choses de manière à créer un scénario gagnant avant de commencer le combat.

Il était certainement vrai que si les Einherjars qui composaient les Demoiselles des Vagues attaquaient comme une seule unité concentrée, elles pouvaient assaillir leurs ennemis avec une puissance énorme. D’un autre côté, elles étaient également précieuses pour leur propre armée en tant qu’officiers de terrain qualifiés. Leur absence à ces postes clés affaiblirait considérablement le reste de l’armée de l’Alliance.

Dans une situation comme celle-ci, où leur camp luttait déjà désespérément, un tel changement de force risquait d’affaiblir suffisamment leurs troupes pour qu’elles soient submergées par l’élan de l’ennemi, puis écrasées. C’était un pari extrêmement dangereux à prendre.

« Cela montre à quel point nous sommes dos au mur en ce moment. Bára a dit qu’elle s’assurerait que le reste de nos forces résistent en attendant, mais je doute qu’ils tiennent longtemps. »

« … »

Dégoûtée, Erna n’avait rien dit.

Elle était douloureusement consciente que sur leurs épaules reposaient en ce moment les destins de l’armée du Clan de l’Épée, de l’armée de l’alliance des Clans Anti-Acier, et peut-être même de l’empire lui-même.

« Nous allons le faire, Erna. Montrons au Clan de l’Acier ce que cela signifie quand les Demoiselles des Vagues combattent ensemble. »

« Exact ! » cria Erna. Cette réponse vive était sa seule option.

La bataille était enfin entrée dans son dernier acte.

« Haaaaaah ! »

Thír, balançant son épée à deux mains, repoussa la grêle de flèches qui s’abattait sur elle alors qu’elle chargeait.

Le Clan de l’Acier avait fortifié ses défenses de flanc avec des archers maniant des arbalètes, dont les flèches se déplaçaient bien plus vite que n’importe quel arc de cette époque, mais malgré cela, Thír pouvait toujours voir et suivre chacun d’entre eux avec une totale facilité.

En termes de capacités physiques pures, elle était un ou deux pas en dessous d’Erna et Hrönn, mais grâce aux nombreuses batailles auxquelles Thír avait participé, son expérience du combat dépassait largement la leur.

La direction des yeux des soldats ennemis, l’intensité relative de l’intention meurtrière qu’elle sentait en eux, le flux des courants d’air — utiliser tout cela et plus encore pour lire et prédire les attaques de ses ennemis était une compétence à laquelle personne ne pouvait se comparer.

Elle atteignit facilement le mur constitué de chariots reliés entre eux, et c’est alors qu’une petite silhouette surgit juste derrière elle.

Hrönn était de petite taille, mais elle avait la paire de bras la plus puissante du Clan de l’Épée.

Elle avait mis ses deux mains dans l’espace entre deux voitures, et avait tiré.

« Hrrngh ! »

Malgré le poids supplémentaire des archers qui se tenaient à l’intérieur, elle avait facilement séparé les deux chariots avec rien de plus que la force brute.

Une telle force pouvait difficilement être considérée comme humaine, elle s’apparentait bien plus à celle d’un grand ours.

Dès que Hrönn avait ouvert une brèche dans la barrière, Erna s’était élancée à travers elle.

La rapidité de son élan était tout simplement surnaturelle. Les soldats du Clan de l’Acier qui se trouvaient à proximité n’étaient même pas capables de la voir.

« Gwah ! H-Huh… ? »

« Qu’est-ce que c’est ? Qu-Quand a-t-elle — . »

« Uagh… du sang… Je saigne… »

D’un seul coup, avant qu’ils ne réalisent ce qui se passe, leur vie avait pris fin.

Un instant plus tard, leurs corps s’étaient effondrés, sans vie.

Des exploits incroyables comme celui-ci rendaient impossible de nier que les Einherjars « spécialisés », dont les pouvoirs étaient entièrement concentrés sur un aspect, étaient tout simplement surhumains dans ces domaines particuliers.

« C’est notre Erna ! Les pieds les plus rapides de la Force d’Assaut Spéciale ! »

« Vous feriez mieux de laisser la place au reste de l’unité pour pouvoir briller nous aussi ! »

« Oui, nous voulons toutes avoir la chance de donner à nos corps un peu d’exercice avec de vrais combats. »

Avec ces commentaires excités, les sept autres Einherjars avaient suivi Erna à travers l’ouverture dans le mur de chariots.

Elles n’étaient que huit, maintenant au milieu des rangs de leur ennemi.

Selon toute norme normale, elles étaient désespérément en surnombre.

Cependant…

« Elles sont trop fortes ! »

« Mais qu’est-ce qu’elles sont ? »

« Chacune d’entre elles est aussi forte que Lady Sigrún ! »

Ce sont les Demoiselles des Vagues qui avaient eu l’avantage.

Elles recevaient le pouvoir de Gjallarhorn, l’appel à la guerre, qui faisait appel à leurs capacités latentes et les poussait à leurs limites.

Leur force de combat dépassait de loin celle d’un Einherjar normal.

Et, ce n’était pas tout.

Les huit avaient également un lien formé par leur longue histoire de combat ensemble. Elles étaient des compagnons d’armes.

Elles comprenaient parfaitement les capacités, la personnalité et le style de combat de l’autre. Plutôt que de se gêner mutuellement, elles avaient pu se battre d’une manière qui se complétait bien.

Ces huit femmes qui se battaient ensemble maintenant n’étaient pas simplement huit Einherjars.

Fidèles à leur homonyme, elles s’étaient unies en une seule et puissante vague et avaient balayé les rangs de l’armée du Clan de l’Acier.

« Père, Père ! Nous avons un énorme problème ! »

« Que s’est-il passé, Al ? »

La voix provenant de l’émetteur-récepteur était paniquée, mais Yuuto avait répondu d’un ton calme.

Ce n’était pas qu’il ne fasse pas confiance à Albertina pour dire qu’il y avait vraiment un problème important, ou quelque chose comme ça. Au contraire, Yuuto avait toujours essayé de rester fidèle à sa politique de garder son calme sur le champ de bataille à tout moment.

« L’endroit que je suis chargée de surveiller se fait attaquer en ce moment même, mais les personnes qui mènent la charge… six… sept... ils sont huit, mais tous sont incroyablement forts ! Ils ont traversé le Mur des Chariots en un rien de temps ! Je pense qu’ils sont probablement tous des Einherjars ! »

« … Hmm. »

L’expression de Yuuto était devenue plus sévère, et il avait mis une main sur son menton et avait réfléchi pendant un moment.

« Donc, il semble qu’ils aient décidé de tout miser sur un dernier pari. »

Il est vrai que rassembler huit Einherjars pour attaquer un seul endroit serait probablement suffisant pour franchir la barricade du Mur de Chariots sans trop de difficultés.

Cela était simplement dû à la nature des Einherjars, qui possédaient en règle générale des capacités de combat bien supérieures à celles des humains normaux.

De plus, il était fort probable qu’il ne s’agisse pas de simples Einherjars, mais des guerriers Einherjar de l’élite du Clan de l’Epée, les « Demoiselles des Vagues ».

***

Partie 9

Même si Yuuto déplaçait des troupes pour renforcer la zone attaquée comme il l’avait fait jusqu’à présent, les renforts pourraient eux-mêmes être balayés par la force écrasante de ces ennemis particuliers.

Et, franchement, à l’heure actuelle, l’armée du Clan de l’Acier n’avait pas d’Einherjar comparable à envoyer contre eux.

En comptant Sigrún, il y avait trois Einherjars orientés vers le combat dans les forces spéciales de Múspell, mais actuellement, ils étaient en train de fournir de l’aide à une zone sur le flanc opposé de l’armée, et cela prendrait un temps non négligeable pour les envoyer là où se trouve actuellement Albertina.

Il ne pouvait pas déplacer Hveðrungr hors de Vígríðr, et Skáviðr était loin dans la région d’Álfheimr, protégeant le front là-bas.

Quant aux quatre Einherjars du Clan de la Corne connus sous le nom de Brísingamen, l’un d’entre eux avait péri dans la bataille de la rivière Élivágar, Rasmus avait subi une lourde blessure qui l’avait pratiquement contraint à la retraite, Haugspori était indisponible, car il avait été envoyé comme chef des renforts pour le Clan du Blé, et le dernier membre était essentiel à la défense du flanc droit de l’armée et ne pouvait pas être déplacé non plus.

Les jumelles du Clan de la Griffe étaient toutes deux des Einherjars, mais leurs capacités n’étaient pas adaptées au combat ouvert sur un terrain comme celui-ci.

Cela signifie que Félicia était à peu près sa seule candidate restante, mais l’envoyer seule serait la placer dans une situation désespérée.

C’était la situation dans laquelle se trouvait Yuuto en ce moment.

Yuuto finit de réfléchir, et éloigna sa main de son menton, révélant sa bouche… dont les coins s’étaient recourbés en un large sourire.

« Donc… les quelques troupes ennemies qui peuvent me causer de réels problèmes sont toutes rassemblées au même endroit. Je ne pouvais pas demander mieux. »

+++

« Allez-vous-en ! »

Erna avait abattu le soldat du Clan de l’Acier qui l’attaquait. Puis, d’un geste habile du bras, elle avait projeté le sang de la lame de fer de son épée.

Elle avait précédemment pris l’arme sur le cadavre d’un des hommes du Régiment de Cavalerie Indépendant du Clan de l’Acier, et cela s’était avéré être une bonne décision.

En ce moment, ses ennemis brandissaient également des armes en fer.

Si elle s’était battue avec le type d’épée en bronze qu’elle avait toujours utilisé auparavant, sa lame aurait sûrement été brisée en morceaux, la laissant dans l’incapacité de se battre.

Mais avec une épée en fer comme celle-ci, la lame pouvait subir quelques entailles, mais elle ne se fendait pas. Elle pouvait continuer à se battre !

« Nous pouvons le faire ! Nous pouvons le faire ! »

L’armée du Clan de l’Acier avait complètement surclassé l’armée de l’alliance des Clans Anti-Acier en termes de force de combat de leurs troupes. Mais ces mêmes soldats du Clan de l’Acier n’étaient pas à la hauteur de la puissance de huit Einherjars.

À ce rythme, ils seraient capables de changer le cours de cette bataille avant que la force de Fagrahvél n’arrive à son terme.

Erna avait eu la sensation que le chemin de la victoire était presque à portée de main.

C’est alors que c’était arrivé. Abruptement, le vent s’était arrêté.

Un changement dans les courants de vent pendant une bataille n’était pas inhabituel. C’était plutôt commun.

Cependant, il y avait quelque chose qui clochait. Pour une raison inconnue, Erna avait ressenti un terrible sentiment de pressentiment à ce sujet.

Dans les rangs des soldats du Clan de l’Acier, quelque chose avait été lancé dans sa direction.

C’était une sorte de petit objet, légèrement long et cylindrique, et bien qu’il soit de couleur sombre, il brillait étrangement dans la lumière.

Si, dans cette fraction de seconde, Erna avait utilisé le plat de son épée pour frapper l’objet et le renvoyer dans la direction d’où il venait, son avenir aurait peut-être été bien différent.

Cependant, elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’était cet objet.

Et donc, elle était arrivée trop tard pour y réagir.

Sans prévenir, une fumée blanche avait jailli de l’objet inconnu.

En l’espace de quelques secondes, cela avait englouti la zone autour d’Erna.

« Qu’est-ce qui se passe ? Ghagh ! »

« Mes yeux ! Mes yeuuuuux ! »

« Khak khagh... Ma gorge… ! Elle est en feu ! »

« Qu’est-ce que c’est ? »

L’une après l’autre, les camarades d’Erna, les guerrières d’élite qui avaient chacune combattu avec des prouesses si inégalées qu’aucun des soldats du Clan de l’Acier ne pouvait espérer leur tenir tête, criaient maintenant de douleur.

Ce petit objet cylindrique dégageant de la fumée dont elles avaient été victimes n’était autre qu’une grenade lacrymogène.

Dans l’ère moderne d’où vient Yuuto, il s’agissait d’une arme chimique non létale utilisée principalement pour la répression des émeutes.

Il était également vendu sur Internet en tant qu’« équipement de sécurité », facilement disponible pour le prix de cinq à six mille yens l’unité.

Les Einherjars étaient peut-être plus forts et plus rapides que les humains normaux, mais même les Demoiselles des Vagues n’étaient pas assez rapides pour échapper à la fumée pressurisée qui s’étendait instantanément pour remplir l’air autour d’elles.

Leurs yeux, leurs nez et leurs gorges avaient été assaillis par une violente sensation de brûlure, et elles s’étaient débattues dans la douleur.

« La, la, lala… »

Leurs oreilles, cependant, avaient capté un son étrange — la voix d’une jeune fille, chantant une petite mélodie d’une manière insouciante qui semblait complètement déplacée sur le champ de bataille.

Immédiatement après, une brise soudaine s’était levée.

Ce n’était pas une brise très forte, vraiment, juste assez pour faire voler un peu les cheveux d’une personne.

Cependant, comme le vent avait été complètement arrêté dans cette zone, cette seule brise était suffisante pour pousser la fumée blanche en direction des soldats de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier qui attaquaient.

« Gyaagh ! Ça brûle ! Pourquoi ça brûle !? »

« Mes yeux sont en feu ! »

« Khagh, ugghh, je ne peux pas — je ne peux pas respirer ! »

Leurs cris s’étaient multipliés, se transformant en un tumulte total.

La fumée elle-même se dissipa momentanément, mais les effets du gaz lacrymogène continuaient, les faisant toutes souffrir pendant au moins quinze minutes.

Des quintes de toux ininterrompues et une douleur fulgurante dans les yeux et la gorge les paralysaient pratiquement.

Même le simple fait de respirer était une lutte pour elles en ce moment.

Dans cet état, peu importe qu’elles soient de puissantes Einherjars ou des soldats qui se battaient comme une armée de morts-vivants. Ils ne pouvaient pas se battre pour l’instant.

Les renforts du Clan de l’Acier étaient arrivés, et une à une, les Demoiselles des Vagues avaient été plaquées au sol et attachées.

« Je les ai toutes eues ! »

« Tout va bien ! Tu t’es bien débrouillée, Al ! »

Yuuto avait encouragé Albertina, en levant son poing serré en l’air.

Ce plan était quelque chose qu’il avait initialement conçu pour être utilisé contre Steinþórr, mais il l’avait utilisé ici à la place.

« De penser que le jour viendrait où Al se rendrait utile sur le champ de bataille… »

La voix de sa sœur jumelle Kristina sur l’émetteur-récepteur était décidément plus mitigée. Pour elle, le désespoir d’Albertina était ce qui la rendait adorable.

« Je m’attends à ce qu’il neige demain », avait-elle marmonné. « Ou peut-être de la grêle. Des lances. »

« Quoi !? Kris, c’est trop méchant ! » Albertina s’était indignée, ignorant les sentiments de sa sœur, ce qui avait provoqué un rire de Yuuto.

« Ha ha ha ! Alors, comment as-tu trouvé l’utilisation de la grenade à gaz ? C’est l’arme parfaite pour la fille qui manie Hræsvelgr, le provocateur de vents, n’est-ce pas ? »

L’un des pouvoirs d’Albertina était de « provoquer le vent », comme le suggère l’homonyme de sa rune.

Cependant, la vérité était que jusqu’à présent, il n’y avait pas vraiment eu d’utilisation pratique de ce pouvoir.

Les vents qu’elle pouvait créer étaient faibles, ils ne pouvaient donc pas être utilisés pour quelque chose de majeur comme augmenter la force des volées d’archer.

Le mieux qu’ils aient pu faire était de créer un vent arrière localisé pour augmenter légèrement la vitesse de déplacement d’un chariot, ou une brise agréable pour aider à se rafraîchir dans la chaleur de l’été.

Personne n’aurait soupçonné que c’était avec eux qu’elle avait vaincu huit Einherjars à elle seule !

Sans le pouvoir d’Albertina sur lequel s’appuyer, Yuuto n’aurait eu d’autre choix que de laisser ce plan de coté. Utiliser des armes à gaz avec seulement les courants d’air naturels en place, c’était laisser les choses à la nature, qui les laissait à la chance — il y avait le risque que le vent finisse par renvoyer le gaz lacrymogène sur ses propres troupes, et alors il se serait fait avoir.

Il ne fait aucun doute que la plus grande réussite de cette bataille avait été remportée par la main d’Albertina.

« Oui, ça a très bien marché », déclara Albertina. « Je suis si heureuse que Kris ait passé tout ce temps à me faire répéter comment l’utiliser. Ça a vraiment porté ses fruits ! »

Cela avait provoqué un autre rire de Yuuto.

Bien sûr qu’elle l’avait fait.

Comme on pouvait s’y attendre de la part de Kristina, peu importe à quel point ses mots étaient insultants, au fond elle ne voulait rien de plus que d’aider à donner à sa sœur une chance d’accomplir quelque chose par elle-même.

De plus, elle avait secrètement aidé Albertina sur le champ de bataille. Kristina avait utilisé sa rune Veðrfölnir, le Silencieux des Vents, pour calmer les courants d’air avant qu’Albertina ne passe à l’action. Bien sûr, elle ne l’aurait jamais admis ouvertement.

Elle était vraiment tordue dans sa façon d’agir envers sa sœur bien-aimée.

« Ok, donc maintenant c’est réglé… Hm ? »

Yuuto s’était arrêté net, sentant un changement dans l’air. Il se retourna pour regarder dans la direction de l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier.

La pression lourde, presque douloureuse et inconfortable qu’il avait ressentie de la part de leurs soldats, avait rapidement commencé à disparaître, comme la brume s’évaporant au soleil.

« Eh bien, maintenant… On dirait que l’horloge a sonné minuit, et que leur magie est épuisée. Très bien, nous allons les frapper tous en même temps avec tout ce que nous avons ! »

« Les Demoiselles des Vagues… toutes vaincues… !? »

Lorsque la nouvelle était parvenue à Fagrahvél, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Longtemps après avoir dépassé ce qui aurait dû être ses limites physiques, elle s’accrochait encore à peine à la conscience avec ce qu’on ne pouvait appeler qu’une détermination à défier la mort, mais c’était comme si son esprit s’était brisé en deux.

Alors que Fagrahvél s’effondrait, Bára l’avait prise dans ses bras.

Bára leva les yeux au ciel, presque hébétée, et murmura : « Ainsi, contre Suoh-Yuuto, le dieu de la guerre, même huit Einherjars ne sont qu’un défi insignifiant… »

L’évaluation des Demoiselles des Vagues par Bára n’était pas affectée par une affiliation personnelle. Elles étaient toute simplement les meilleures des meilleures.

En particulier, Thír, Erna et Hrönn étaient suffisamment fortes pour faire jeu égal avec la célèbre guerrière Sigrún du Clan de l’Acier.

Elles avaient été renforcées par le pouvoir de Gjallarhorn, l’appel à la guerre.

Personne ne serait capable de les arrêter. Bára en était absolument certaine.

Mais au lieu de cela, il s’est avéré que les huit avaient été facilement vaincues et capturées.

C’était tout ce qu’elle pouvait faire pour ne pas rire.

« Une défaite totale. Il n’y a pas d’autre mot pour ça. »

Avec la disparition des effets du pouvoir de Gjallarhorn, l’armée de l’Alliance des Clans Anti-Acier n’avait plus la force ni le courage de s’opposer à l’armée du Clan de l’Acier, et les soldats avaient déjà commencé à fuir pour sauver leur vie.

Bára avait fait des préparatifs minutieux avant cette bataille, faisant absolument tout ce qui était nécessaire pour mettre les choses en sa faveur. En fait, elle pourrait aller jusqu’à dire que ses préparatifs avaient été parfaits. Malgré cela, ses ennemis l’avaient combattue de front et l’avaient écrasée par leur force.

« La victoire et la défaite sont souvent décidées par la fortune. » C’était un dicton courant, mais il sonnait faux pour elle.

On lui avait fait croire que la différence entre leurs forces était si écrasante qu’elle pouvait affronter cet ennemi une centaine de fois et qu’elle perdrait à chaque fois.

« C’est la limite de ce que nous pouvons faire ici. Envoyez l’ordre à toutes les troupes de commencer la retraite. »

Le reste de ce qui s’était passé à partir de ce moment-là avait été décidé à ce moment-là.

« Sieg Iárn ! Sieg Reginarch ! »

Les cris victorieux du Clan de l’Acier avaient résonné dans les champs de Vígríðr.

***

Épilogue

Palais de Valaskjálf —

Le siège central du pouvoir du Saint Empire d’Ásgarðr avait été construit pour afficher l’autorité et la grandeur des þjóðann, et vingt ans avaient été consacrés à sa construction. Il était si grand et expansif qu’une ville de taille modeste aurait pu tenir dans l’enceinte du palais.

Dans la partie la plus intérieure du palais s’élevait la tour sacrée connue sous le nom de Hliðskjálf, au pinacle de laquelle se trouvait le sanctuaire hörgr le plus sacré de tout l’empire. Dans ce sanctuaire était assise la souveraine de l’empire elle-même, le þjóðann, Sigrdrífa.

Son corps était immobile, ses yeux fermés, sa tête inclinée vers le bas, sans bouger un seul muscle.

Elle semblait si inerte qu’on aurait pu la croire morte, mais soudain ses yeux s’étaient ouverts en grand et elle s’était relevée.

« Maudit soit ce maudit Ténébreux. Je n’avais pas l’intention de sous-estimer sa puissance le moins du monde, mais même là, il a dépassé tout ce que j’aurais pu imaginer. »

Sa voix était amère et malveillante.

Si Fagrahvél, la sœur de lait de Sigrdrífa, avait été présente pour entendre ces mots, elle aurait peut-être remarqué que cela ne ressemblait pas du tout à la façon de parler de Sigrdrífa. Qu’en fait, cela ressemblait beaucoup plus à une autre personne que Fagrahvél connaissait très bien.

Et peut-être que cette prise de conscience l’aurait amenée à rassembler tous les indices déconcertants qu’elle avait vus et entendus jusqu’à présent, pour arriver à la réponse à la question de savoir qui parlait vraiment.

La Divine Impératrice du Saint Empire Ásgarðr, la petite sœur adorée de Fagrahvél, était habitée par sa némésis la plus détestée.

« Et cela après tout le mal que j’ai eu à contrôler ce réceptacle et à jouer ce rôle ridicule, juste pour que tout soit parfait. Contrecarré par la force pure dans la bataille… Je peux à peine le croire. »

Hárbarth, patriarche du Clan de la Lance et Grand Prêtre du Saint Empire Ásgarðr, avait le pouvoir d’envoyer son esprit posséder le corps d’autres créatures vivantes et de les manipuler.

Ce pouvoir manquait quelque peu de force, et lorsqu’il s’agissait d’autres humains, le mieux qu’il pouvait faire était d’en prendre le contrôle lorsqu’ils dormaient ou étaient complètement inconscients.

Pendant le rituel qui avait invoqué le Ténèbreux à Yggdrasil pour la deuxième fois, Sigrdrífa avait perdu conscience et elle était restée dans cet état. Pour Hárbarth, cela faisait d’elle la marionnette idéale. Possédant son corps, il pouvait utiliser son autorité pour servir son propre agenda.

« Il est rapidement devenu trop puissant pour que quiconque puisse le contenir… »

Avec l’ordre d’asservissement impérial, l’Alliance des Clans Anti-Acier et la stratégie d’encerclement, Hárbarth avait utilisé toute l’autorité dont il disposait pour élaborer son plan, en tenant compte de toutes les possibilités auxquelles il pouvait penser. C’était sa création ultime.

Il avait rassemblé des clans d’Ásgarðr, Bifröst, Miðgarðr, Álfheimr — leurs armées comptaient quarante mille hommes en tout.

Il les avait fait envahir le Clan de l’Acier de trois côtés simultanément.

Enfin, à la force de ces armées s’ajoutait le pouvoir de la rune Gjallarhorn de Fagrahvél, qui conférait aux troupes une force et un moral accrus, ainsi que la capacité de Hárbarth à recueillir des informations en tant que Skilfingr, le Guetteur d’en haut. Ces deux-là, en particulier, avaient des pouvoirs qui prenaient une valeur incomparable lorsqu’ils étaient appliqués à la guerre stratégique.

Il n’y avait aucun doute dans son esprit que cette alliance serait une menace pour le Clan de l’Acier comme aucune autre — en fait, bien plus grande que le danger auquel le Clan de l’Acier avait été confronté dans sa précédente guerre contre l’alliance du Clan de la Panthère et du Clan de la Foudre.

Et pourtant, au lieu de cela, la menace qu’il avait orchestrée avait été vaincue sans aucune lutte…

« Quel homme vraiment terrifiant il est ! Cependant, je n’abandonnerai pas alors que je suis si près de réaliser mes souhaits les plus profonds. Jusqu’à ce que je le fasse, je ne peux pas permettre que l’empire soit détruit. Maintenant, la question est de savoir ce qu’il faut faire ensuite. »

Hárbarth avait réfléchi tranquillement pendant quelques instants, les bras croisés.

Malgré tout ce qu’il avait fait jusqu’à présent pour arranger les choses, il n’avait toujours pas réussi à gagner. Peut-être était-il impossible de vaincre le Ténébreux sur le champ de bataille.

Dans ce cas, la seule option était de trouver une autre vulnérabilité à exploiter.

Enfin, Hárbarth avait eu une idée.

Les coins de la bouche de Sigrdrífa s’étaient recourbés en un sourire sinistre.

« Hm, peut-être que l’utilisation de ce corps serait la méthode la plus intéressante. »

À suivre…

***

Illustrations

 

Fin du tome.

***

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